Note sur la présente édition §
Nous avons modernisé l’orthographe et délié les esperluettes pour permettre une meilleure compréhension des récits anecdotiques. Cependant, nous avons gardé l’orthographe des mots qui ne sont plus usités aujourd’hui et des termes qui se trouvent à la rime pour ne pas l’anéantir. À chaque fois que nous avons rencontré une coquille ou une difficulté de lexique, nous l’avons annotée par une note de bas de page. Nous avons également indiqué par des notes, des informations contextuelles relatives à chaque anecdote. Enfin, nous avons créé un lexique de noms propres dans lequel figurent des notices sur les personnages récurrents des anecdotes.
Nous avons décidé utiliser une abréviation pour les dictionnaires suivants :
- Michel CORVIN, Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, in extenso, Larousse, 2003 : DET
- Dictionnaire des Lettres Françaises, Le XVIe siècle, La Pochothéque, Livre de Poche, 2001 : DLF XVI
- Dictionnaire des Lettres Françaises, Le XVIIe siècle, La Pochothéque, Livre de Poche, 1996 : DLF XVII
- Dictionnaire des Lettres Françaises, Le XVIIIe siècle, La Pochothéque, Livre de Poche, 1996 : DLF XVIII.
1-Les différentes éditions du Moliérana : §
Nous avons trouvé deux éditions du Moliérana : une de 1801 et une de 1855. Nous travaillerons sur le texte de 1801 tout en se référant parfois, en note de bas de page, à celui de 1805.
Les différents exemplaires consultés de l’édition de 1801 :
- Tolbiac-Rez-de-jardin : LN27-14363
- Tolbiac-Rez-de-jardin : 8-LN-14363
- Arsenal : 8-NF-7016.
- Richelieu : 8-RF-4125
Les exemplaires non consultés de l’édition de 1801 :
- Tolbiac-Rez-de-jardin : SMITH Lesouef R-4295 <Ex. 1> (non consultable pour cause de réparation).
Les différents exemplaires consultés de l’édition de 1855 :
- Tolbiac-Rez-de-jardin : 8-LN27-14384
Cette seconde édition diffère considérablement de la première. La liste des pièces a été modifiée, et leur agencement est différent. Des passages ont été ajoutés ou retranchés, des anecdotes enlevées1.
- Tolbiac-Rez-de-jardin : Z-42531
La notice de la bibliothèque nationale de France présente cet exemplaire sous le titre Trésors des Bons mots, pensées, traits remarquables, etc. des personnages célèbres : Scarroniana, Fontenelliana, Moliérana, Fontainiana, publié par Ana-gramme Blismon de Simon Blocquel. Cette édition correspond parfaitement à l’exemplaire 8-LN-14384 à la différence qu’il est publié dans un recueil d’ana. Nous pouvons donc en déduire que Simon Blocquel a repris pour son recueil d’ana l’exemplaire du Moliérana de Cousin d’Avalon datant de 1855.
2-Description de l’édition de 1801 : §
[I] : MOLIÉRANA, / ou / RECUEIL /D’AVENTURES, Anecdotes, Bons / Mots et Traits plaisans de /POCQUELIN, DE MOLIÈRE. / PAR C.....… D’AVAL. / [Filet] / A PARIS, / CHEZ MARCHAND, LIBRAIRE PALAIS DU / TRIBUNAT, GALERIE NEUVE, N°. 10. / AN IX. --- 1801.
[II] : [verso blanc]
[III-V] : PRÉFACE
[VI] : [verso blanc]
(9-31) : VIE / DE / MOLIÈRE.
[XXXII] : [verso blanc]
(33-142) : MOLIÉRANA, / OU / RECUEIL /D’AVENTURES, Anecdotes, Bons / Mots et Traits plaisans / DE POCQUELIN, DE MOLIÈRE.
[CXLIII] : Se trouvent chez le même Libraire.
Introduction §
L’anecdote est un petit récit savoureusement « piquant », usité généralement pour agrémenter des conversations ou pour exemplifier des propos qui est peu considéré par les savants. Cataloguée comme frivole et fausse, l’anecdote est négligée par les chercheurs littéraires. Pourtant elle constitue un formidable vivier d’informations. Trois études viennent combler cette lacune : deux consacrées aux anecdotes2 et une consacrée aux ana3. Karine Abiven fait remarquer, dans sa thèse, que M. Beugnot, « s’étonnait [déjà] de ce silence bibliographique sur les anecdotes des XVIIe-XVIIIe siècles »4 qui comparé à « la bibliographie allemande abonde sur le sujet, comme sur les formes brèves en général »5.
Paradoxalement, la recherche sur Molière est extrêmement importante, il est l’un des sujets les plus étudiés du XVIIe siècle. Il est surprenant de ne trouver aucune étude conséquente sur les anecdotes concernant Molière.
Certes, nous avons trouvé un article6 relatant ce sujet, une étude qui examine une trentaine d’anecdotes7 et un colloque qui analyse quelques anecdotes relatives à Molière8 ; mais ces études ne sont guère complètes.
Nous nous proposons donc, de manière partielle malheureusement, de compléter ces deux bibliographies par une étude des anecdotes relatives à Molière. Nous bornerons notre corpus aux anecdotes que nous avons récoltées dans les Ana, et, de ce fait, notre étude ne sera pas exhaustive. Nous en exclurons les anecdotes que l’on peut trouver dans les mémoires, les notices, les journaux et dans les vies d’auteurs. Toutefois, nous tenions à étudier les récits anecdotiques que l’on retrouve dans la célèbre Vie de Mr de Molière par J-L Le Gallois, Sieur de Grimarest9. En effet, beaucoup de nos micro-récits sont apparus pour la première fois sous sa plume.
Nous avons également choisi de délimiter notre travail aux ana datant de 1691 à 1801 pour deux raisons. 1691 est la date de parution du Sorbierana où l’on découvre, pour la première fois dans un ana, deux anecdotes en lien avec Molière. 1801 correspond à l’apparition du Moliérana, - point central de notre travail - recueil d’anecdotes regroupant plusieurs micro-récits sur le dramaturge.
Voici la première :
J’ai lu et vu plusieurs fois la célèbre École des femmes de Mr. De Molière, qui toute charmante qu’elle est, ne me semble néanmoins aujourd’hui qu’un coup d’essai, et un ouvrage médiocre, quand je la compare à son Tartuffe. Certainement le Théâtre François se doit glorifier d’avoir un tel homme, auquel seul il appartient Sapere et fari posse qua sentit, de faire des Comédies qu’il joue trente fois de suite, dont une seule a été le divertissement de tout un Carnaval, et qui depuis quatre ans est continuellement souhaitée. Paris pourra bien renommer quelque jour cet illustre Comedien Splendidissimum Urbis ornamentum, et su temporis primum, conformement à l’inscription que Grutterus raporte, et qui se trouve à Milan sur le sépulcre de deux personnes de la profession de Mr. Molière.10
Et voici la seconde :
Il y a dans les ouvrages de Mrs. de Molière un admirable tour d’esprit, une adresse qui se trouve en peu d’Auteurs, un raffinement pour la Comédie, dont les plus grands Maîtres ne s’étaient point encore aperçus, un assaisonnement qu’on n’avait pas su donner avant lui ; et qui s’accommode au goût de tout le monde ; c’est pourquoi il arrive que les ignorants, aussi bien que les gens d’esprit, courent également après ses Comédiens. Mais les premiers n’y sont pas attirés par ce qui y charme les yeux savants et les oreilles délicates. Ceux-là n’y trouvent que le plaisant, et ne sont amoureux que du burlesque ; mais ceux-ci remarquent jusques où il a pénétré dans les mœurs des hommes, et reconnaissent les traits d’une belle Philosophie. 11(Sorbierana, 1694, p. 170-171).
Avant de nous lancer dans notre étude, nous proposons de donner une définition du terme « anecdote » et son histoire.
ANECDOTE 12
Petit fait historique survenu à un moment précis de l’existence d’un être, en marge des événements dominants et pour cette raison souvent peu connu.
Petit aventure vécue qu’on raconte en en soulignant le pittoresque ou le piquant.13
Voici la définition moderne du terme anecdote que l’on trouve dans le Trésor de la langue française. Les sens donnés par le TLF ne sont pas les mêmes que ceux de la définition de XVIIe siècle. En effet, certains sens n’étaient pas encore actualisés au XVIIe siècle. En voici la définition donnée par le dictionnaire Le Furetière :
Termes dont se servent quelques Historiens pour intituler les Histoires qu’ils font des affaires secrètes et cachées des Princes, c’est-à-dire, des Mémoires qui n’ont point paru au jour, et qui n’y devraient point paraître. Ils ont imité en cela Procope, Histoirien qui a ainsi intitulé un livre qu’il a fait contre Justinien et sa femme Theodora. C’est le seul des Anciens qui nous ait laissé des Anecdotes, et qui ait montré les Princes tels qu’ils étaient dans leur domestique. Varillas a fait les Anecdotes, ou l’Histoire secrète de la Maison de Médicis. Ce mot vient du grec Anecdota, qui signifie, Choses qui n’ont pas paru, qui ont été tenues secrètes, qui n’ont pas été données au public.14
Ainsi au XVIIe siècle le sens le plus courant est celui d’« histoire secrète » à caractère historique. Le terme vient du grec Anekdota, qui désigne une « chose inédite ». Il est issu d’une œuvre intitulée Anekdotal de Procope. La définition du Furetière nous renvoie également à l’œuvre de Varillas. C’est cet ouvrage qui marque la vogue du terme anecdote.
La lexie anecdote est attestée pour la première fois au XVIIe siècle dans le Furetière. Usité généralement au pluriel, ce terme aux sens multiples signifie d’abord « histoire secrète » avant de prendre peu à peu le sens de « petit fait curieux ».
Ce récit simple et court est généralement focalisé sur une personne ou un personnage célèbre. Selon notre définition du terme, l’anecdote se fonde sur un pacte de véracité. En effet, l’anecdote s’inscrit dans la réalité : du fait qu’elle serait arrivée à un individu elle peut dès lors être considérée comme vrai. Nous n’essayerons pas d’établir si oui ou non les anecdotes que nous étudions sont réelles. De plus, comme le souligne K. Abiven « Puisque la vériconditionnalité est un postulat, il ne s’agit pas de prouver la conformité de chaque anecdote à la vérité historique. »
15
La doxa la lie au bon mot et à la pointe qui sont généralement usités comme éléments de clôture, ce qui crée également la surprise. Comme l’indique la définition, l’anecdote est inédite : elle nous conte ce qui se passe dans les coulisses de l’Histoire, ce qui doit rester caché et secret. Dans cette définition, on retrouve les sèmes les plus importants du terme (histoire, cachée, secrète). L’utilisation du sens antique y est récurrente.
Cependant la définition du terme anecdote change au XVIIIe siècle. K. Abiven remarque que « cette définition aurait laissé perplexe un lecteur du XVIIIe siècle, qui achetait un volume d’Anecdotes plutôt pour y lire de longues histoires romancées ou satiriques [...]. »
16 Au début du XVIIIe siècle, la lexie est attestée au singulier dans les dictionnaires17.
À partir du XIXe siècle, le terme cesse d’être utilisé comme un adjectif et il est remplacé par le terme anecdotique. Le sens de court récit historique inédit se maintient jusqu’à nos jours. Le second sens de la définition du TLF a été obtenu par extension du premier sens et désigne un micro-récit frivole. Cette connotation péjorative existe déjà dans la définition du Furetière mais le terme a le sens de ragot. Le sème du « secret » s’efface peu à peu.
Comme le souligne K. Abiven, on peut « dégager quatre orientations sémantiques en français moderne »
du terme anecdote :
- « particularité historique (secret) ».
- « petit fait curieux »
- « récit bref d’un petit fait curieux »
- « détail sans portée générale »18
Ces orientations sont déjà présentes au XVIIe siècle. Selon Karine Abiven, l’anecdote aurait hérité ses caractéristiques de trois formes antiques : la Chrie, l’Apophtegme et l’Exemplum.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le terme anecdote est peu utilisé. On lui préfère les termes d’ historiette19, de particularité20, de singularité21 ou encore de bagatelle22 qui sont tous des parasynonymes d’anecdote.23
L’anecdote est la matière privilégiée des ana, qui sont généralement rapprochées des anecdotes. Ce rapprochement provient certainement du fait qu’ils sont phoniquement proches car ces deux lexies n’ont absolument pas la même origine.
Nous étudierons, dans un premier temps, les ana en général et nous donnerons une présentation du Moliérana. Dans un second temps nous exposerons le texte de Cousin d’Avalon et toutes les anecdotes que nous avons collectées dans les divers ana que nous avons feuilletés.
1. Les Ana en général24 §
Comme indiqué au début de notre introduction, nous nous intéresserons seulement aux micro-récits25 figurant dans les recueils d’anecdotes, c’est-à-dire, les ana. Avant toute chose en voici la définition selon le Trésor de langue française. Dans un premier temps, le terme ana est une « terminaison latine qu’on ajoute à certains noms propres pour indiquer un recueil de pensées détachées, de bons mots, d’anecdotes qu’on attribue à ces personnages. Le Segraisiana, Le Carpenteriana, Le Furetériana, Le Voltairiana ».
Dans un second temps, il désigne un « recueil d’anecdotes, de traits attribués à un auteur célèbre ».
Commençons par l’étude du titre en ana puis nous étudierons l’évolution des recueils d’anecdotes.
1.1. Le Titre §
On peut rencontrer deux types de suffixation pour les titres de recueils d’anecdotes : -ana ou -iana. La seconde terminaison est surtout utilisée pour éviter un phénomène d’euphonie. Pour former le titre des ana, on peut partir d’un nom déjà latinisé comme pour le Patiniana ou encore le Huetiana. Mais certains noms latinisés peuvent poser problème. En effet, ils peuvent être pourvus de terminaisons comme -anus ou -eus. Pour former le titre, il faut donc changer de terminaison et y apposer – ana pour les autres noms propres, il faut les latiniser avant de former le titre, ce qui causa de nombreuses critiques et problèmes.
Cette « latinisation du nom est une pratique habituelle des milieux humanistes »26, qui allègue l’affiliation à ces milieux. Toutefois, la latinisation ne suit aucun code et elle devient par-là impossible, car les noms peuvent prendre un aspect incompréhensible. Les savants décident de latiniser les noms propres en ajoutant la terminaison – us, afin que la latinisation soit moins compliquée et reste au plus près du nom propre de départ ce qui rend aisée la reconnaissance de l’auteur (qui dans certains cas a formé son surnom lui-même).
Certains ouvrages portent un titre en -ana bien qu’ils ne rentrent pas dans notre définition. Ce sont des « monographies » qui ont pour thème la société religieuse et ecclésiastique, ils sont rédigés en latin et ont pour origine une base écrite et non orale.
D’autres titres de recueils ont été formés à partir d’un adjectif, comme l’Anonimiana. Cependant, selon Francine Wild, si « ces titres ont pu choquer des lettrés exigeants, ils étaient excellents du point de vue du libraire
»27. En effet, la latinisation du nom pouvait être un problème pour une part des lecteurs. Ainsi pour attirer un maximum de public, les libraires prenaient un nom facilement identifiable et ils y accolaient le suffixe – ana au lieu de – us.
Comme elle le souligne, « lorsqu’on lit la liste des ana publiés entre 1720 et 1820, on a l’impression que le suffixe -ana est apposé tant bien que mal au nom d’un auteur connu, ou un nom commun choisi pour ses connotations amusantes »
28. Pour le cas des noms d’auteurs, elle cite le Sevigniana, le Maintenoniana et notre recueil le Moliérana.
L’ana s’assimile à trois genres : Les « recueils d’extraits », les « recueils de pensées détachées » et les « recueils d’apophtegmes ».
Au départ, il est facile de faire la différence entre « recueils d’extraits » et ana, qui sont des recueils constitués d’entretiens inédits. Cependant, peu à peu la différence disparaît. Les critères d’oralité et d’inédit disparaissent peu après le Ménagiana, ce qui aboutit à une fusion des deux genres. La distinction entre ana et « recueils de pensées détachées » est beaucoup plus difficile. Comme le remarque Francine Wild, la plupart des journalistes et critiques ne font pas la différence entre les deux genres. Le critère qui les différencie, est « l’homogénéité de la forme et du fond »29. Les recueils d’apophtegmes contiennent eux des morceaux détachés sur différentes célébrités mais ces dernières ne sont pas le point central des morceaux, alors que les recueils d’anecdotes sont centrés sur le caractère d’une seule et même personne.
1.2. Histoire et évolution du genre : §
Le premier ouvrage portant un titre en -ana est apparu en 1666. Il s’intitule le Scaligerana. Selon Francine Wild, il serait l’ouvrage « qui [marquerait] la naissance du genre comme tel »30.
Cette œuvre fait partie des textes fondateurs des ana nommés les « ana savants »31. Ces recueils contiennent des entretiens collectés sur une personne célèbre. Cependant, ce phénomène de prise de note relève d’une tradition antique. Il comporte une substance savante. Ces ouvrages sont publiés bien après la mort du héros éponyme.
Ils sont confectionnés par plusieurs personnes. D’abord par l’élève de l’auteur éponyme, qui prend en note les paroles de son « maître ». Ces notes sont ensuite conservées et communiquées à un imprimeur, sans que cela soit au départ la volonté de celui ayant pris les notes. Les « éditeurs » recopient les notes, ajoutent des annotations et de nouveaux passages qui ne figuraient pas dans les notes de départ, avant de les publier.
Celui que l’on cite comme auteur, le personnage éponyme, n’est paradoxalement pas l’investigateur de l’ouvrage : il n’a pas décidé de la parution de l’œuvre, ni même de sa rédaction, puisqu’il était déjà mort. La seule chose qui est de son fait est la matière, le « fond » de l’ana. La plupart de ces ana savants étaient écrits en latin, cependant d’autres mélangeaient le français et le latin.
C’est à partir de 1693 que le Ménagiana bouleverse le genre de l’ana. Cet ouvrage marque un tournant important dans l’évolution du genre. C’est à partir de ce recueil que la vogue des ana plaisants est lancée. C’est également à ce moment que le terme ana apparaît. Le Ménagiana, composé et publié par Antoine Galland un an après la mort du héros éponyme, propose non plus de diffuser des connaissances mais de diffuser les traits intellectuels d’une personne célèbre. Il n’est plus écrit en latin mais en français et est envahi par une matière mondaine, ce qui permet d’attirer un public plus important. Cette mise à l’écrit des entretiens de Ménage permet de conserver sa parole, sa saveur et son attrait. Comme le souligne Francine Wild, « le Ménagiana est le premier ana qui joue ce rôle d’école des beaux esprits »
.32 Il deviendra pour les recueils d’anecdotes à venir l’archétype du genre. Peu de temps après, plusieurs ouvrages portant dans leur titre la terminaison -ana furent publiés.
De moins en moins de recueils, après le Ménagiana, proposeront de diffuser des entretiens oraux. Chaque ana sera « systématiquement un hommage posthume »33. Les ana visent de plus en plus un public mondain et « galant ». Les entretiens sont remplacés par des poèmes, des « réflexions » (dont l’origine est Les Caractères de La Bruyère). Ainsi les ana deviennent « des recueils de pièces détachées »34.
Plusieurs types de recueils font leur apparition : des ana où l’auteur et le rédacteur s’assimilent, des ana qui ne parlent absolument pas de l’auteur, des ana qui rassemblent des micro-récits de différentes origines, etc. Au fur et à mesure, le « rédacteur-éditeur » devient de plus en plus important dans la fabrication de l’ana. En effet, il est « rédacteur-éditeur » mais également auteur : il structure l’ouvrage, décide d’ajouter ou de retrancher des séquences entières.
Le genre continue d’évoluer. Vers 1700 les recueils d’ana changent dans leur constitution. Mais les critères classiques ne cessent pas totalement. Deux types d’ana paraissent : « des ana sérieux et des ana frivoles »
35. A cette époque les recueils d’anas sont semblables aux journaux : ils n’ont pas l’exclusivité de ces petits récits qui peuvent apparaître dans d’autres ouvrages.
Le vocable « ana » est surement apparu progressivement en suivant la vogue éditoriale de ce genre de recueil. À lui seul, il désigne le genre. Le terme est usité de manière ponctuelle depuis 1696. Cependant, il apparaît dans les revues à partir de mars 1699. Pourtant les savants hésitent à l’utiliser. En effet, il est souvent usité dans une expression, en italique ou encore en majuscule. Trévoux nous en donne une définition dans son dictionnaire datant de 1721 :
Ana, s. m. Les livres en ana. Ce mot ne signifie rien et n’est qu’une terminaison latine de noms adjectifs neutres pluriels ; mais parce que depuis quelque temps on a formé de ces sortes d’adjectifs latins, des titres à des livres, même français, qui sont des recueils de mots ou sentiments mémorables de quelques savants ou gens d’esprit ; ainsi l’on dit : Tous ces livres en ana, ou tous ces ana me déplaisent fort.36
Au départ, le terme ana est utilisé par les savants au pluriel pour rappeler son origine latine. Vers le XVIIIe siècle, le terme commence à se singulariser petit à petit.
Comme le souligne Francine Wild, le genre connaît ainsi une « évolution précoce »37 et rapide.
2. Présentation du Moliérana : §
Mademoiselle Poisson, fille du Ducroisy*, comédien de la troupe de Molière, fait ainsi le portrait de l’auteur du Misanthrope et du Tartuffe.« il n’était (Molière) ni trop gras, ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle ; il marchait gravement, avait l’air très-sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu’il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. A l’égard de son caractère, il était doux, complaisant, généreux. Il aimait fort à haranguer ; et quand il lisait ses pièces aux comédiens, il voulait qu’ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leurs mouvements naturels. »38
Ainsi commence le Moliérana, ou recueil d’aventures, anecdotes, bons mots et traits plaisants de Pocquelin, de Molière. Ce recueil d’anecdotes est composé par Cousin d’Avalon en 1801. Il contient exclusivement des anecdotes relatives à Molière. Le Moliérana connaîtra une seconde édition différente de la première qui sera publiée en 1855. En effet, plus de la moitié des anecdotes en lien avec Molière ont disparu et leur classement est différent. Certains passages dans la partie concernant la vie de Molière ont été ôtés et d’autres ont été amplifiés par l’ajout d’informations39. On retrouvera Le Moliérana de 1855 dans un recueil qui contient divers recueils d’anecdotes publié également la même année : Le Trésor des bons mots, pensées, traits remarquables, etc., des personnages célèbres par Simon Blocquel.
2.1. Le Moliérana : un Ana anthologique §
Dans son ouvrage40, Francine Wild distingue neuf types d’ana41. Il y a, tout d’abord, les ana qu’elle nomme « savants » où l’on retrouve les ana datant de 1666 à 1669, comme le Scaligerana (1666), le Perroniana (1667) ou encore le Thuana (1669). Ces recueils ont été édités dix ans après la rédaction de leurs manuscrits. La visée première de ces recueils est didactique, éducative et mémorielle. En effet, par ces recueils composés de prises de notes, on a pu garder une trace des idées et des pensées de ces savants.
Le deuxième type d’ana concerne les recueils datant de 1668 à 1693. Ces recueils ont été publiés avant le fameux Ménagiana qui, comme nous l’avons déjà indiqué dans notre introduction, marque un tournant dans l’histoire du genre de l’Ana. F. Wild classe dans cette catégorie le Sorberiana datant de 1691 mais également le Colomesiana datant, lui, de 1668. Ces deux recueils diffèrent des premiers ana savants car ils ne sont plus faits à partir de propos collectés mais sont « rédigés entièrement »42.
La troisième catégorie est consacrée entièrement au Ménagiana. Dans cette partie, F. Wild explique l’importance de ce recueil pour l’évolution du genre. Le Ménagiana est le plus célèbre des recueils d’anecdotes43 et il est également « le premier ana conçu comme un hommage posthume, et publié peu après la mort de l’auteur. »44. Ce recueil est considéré comme l’archétype du genre de l’ana et il est un modèle pour tous les autres recueils d’anecdotes divertissantes et plaisantes publiés postérieurement. Selon Francine Wild, « il annonçait la fin des recueils de propos transcrits. Ce qui avait été à l’origine la principale caractéristique des ana s’estompa, […], dans le Ménagiana.
»45. Ainsi le Ménagiana n’est plus composé de propos recueillis comme les premiers ana. En cela, il révolutionne le genre.
Le quatrième groupe est constitué des recueils « issu du cercle de Ménage »46, c’est-à-dire des recueils rédigés et composés par des connaissances de Ménage. Nous retrouvons dans cette catégorie trois ana. Tout d’abord, il y a L’Anti-Ménagiana de Jean Bernier édité en 169347 dans lequel Ménage est constamment critiqué. On trouve également le Valesiana rédigé par Charles de Valois, publié en 169348, qui se rapproche du Ménagiana par l’architecture et les méthodes de rédaction utilisées. Il rend également un hommage posthume à son père, Adrien de Valois. Enfin, les Paroles remarquables des Orientaux, datant de 1694 et édité par Antoine Galland.
La cinquième catégorie, qui réunit les ana datant de 1694 à 1696, comporte aussi trois recueils. L’Arliquiniana, recueil entièrement factice publié en 1694, le Furetiriana datant de 1696 et Les Réflexions, pensées et bons mots de Pépinocourt édité en juin 1696. Ce dernier n’est pas un ana mais il utilise une partie des dispositifs du recueil d’anecdotes. Ces trois recueils présentent plusieurs similitudes, en particulier celle de n’être pas signés. En cela, ils ont participé à la dégradation du genre de l’ana.
Les sixième et septième groupes concernent les recueils d’anecdotes datant de 1697 à 1701 que F. Wild intitule « la nouvelle génération des ana savants
»49. Elle est constituée de deux sous-ensembles d’ana : les ana « de la retraite », où l’on peut regrouper le Chevraeana et les Mélanges d’histoire et de littérature. Ces deux ana, l’un rédigé par Chevreau et l’autre par Vigneul-Marville, se rapprochent des premiers recueils d’anecdotes du fait qu’ils sont composés de propos et de micro-récits savants, mais ils restent dans la lignée du Ménagiana. Ensuite, on trouve les ana dits « du refuge », comme le Parrhasiana de Clerc et le Mélange critique de littérature de David Ancillon, leur point commun étant d’avoir été édités à l’étranger.
L’avant dernière catégorie est composée par des ana publiés dans les années 1700 que Francine Wild appelle « les ana galants »50. Elle y classe le Saint-Evremoniana de Cotolendi publié en 1700, l’Anonimiana (également édité en 1700) et l’ Elite des bons mots et des pensées choisies, constitué de deux volumes (l’un qui paraît en 1704 et l’autre en 1706). Ces ana, du fait qu’ils sont plaisants et divertissants, touchent tout particulièrement le public mondain qui, au XVIIe siècle, fréquentait les salons comme celui de Madame de Rambouillet. Ils étaient composés d’une compilation de micro-récits qui figuraient déjà dans d’autres recueils d’anecdotes.
La dernière catégorie est constituée du Naudaeana, du Patiniana, du Pithaeana et du Fabriana, qui furent tous publiés au début du XVIIIe siècle et sont issus de manuscrits qui ont été édités tardivement.
De ce classement chronologique, Karine Abiven, dans son étude sur l’anecdote, a déduit cinq catégories. Dans un premier groupe51, elle réunit les ana dits « savants », ceux de la « nouvelle génération d’ana savants » et les ana qui ont été publiés tardivement.
Sa deuxième catégorie, qu’elle nomme les ana « conversationnels »52, regroupe les ana datant de 1668 à 1693 : le Ménagiana et les recueils rédigés par l’entourage de Ménage.
Sa troisième classe est composée de « forme dérivée » ou « dégradée », c’est-à-dire des recueils publiés entre 1694 et 1696.53
Son quatrième groupe, qui ne figure pas dans les neuf catégories que dégage Francine Wild dans sa thèse, rassemble des ana qui contiennent des pamphlets54. K. Abiven cite le Burmanniana ou encore le Voltairiana.
Enfin, sa dernière catégorie est celle des recueils « galants ».55
Avec la consultation de plusieurs ana, nous nous sommes aperçus que le Moliérana ne contenait qu’une infime partie des anecdotes existantes relatives à Molière. Prenons comme exemple le micro-récit sur la naissance de la vocation de Molière :
Molière avait un grand-père, qui l’aimait éperdument ; et comme ce bon homme avait de la passion pour la Comédie, il y menait souvent le petit Pocquelin, à l’Hôtel de Bourgogne. Le père qui appréhendait que ce plaisir ne dissipât son fils, et ne lui ôtât toute l’attention qu’il devait à son métier, demanda un jour à ce bon homme pourquoi il menait si souvent son petit-fils au spectacle ? « Avez-vous », lui dit-il, avec un peu d’indignation, « envie d’en faire un Comédien ? ― Plût à Dieu », lui répondit le grand-père, « qu’il fût aussi bon Comédien que Belleroze » (c’était un fameux Acteur de ce temps là). Cette réponse frappa le jeune homme, et sans pourtant qu’il eût d’inclination déterminée, elle lui fît naître du dégoût pour la profession de Tapissier ; s’imaginant que puisque son grand-père souhaitait qu’il pût être Comédien, il pouvait aspirer à quelque chose de plus qu’au métier de son père.56
Nous pouvons classer le Moliérana dans la catégorie des ana galants. En effet, le Moliérana est une anthologie des anecdotes dont nous supposons qu’elles sont les plus célèbres sur Molière à l’époque où le recueil a été publié. Bien que Cousin d’Avalon argue dans son introduction que l’ « on sera étonné d’apprendre des particularités inconnues jusqu’à présent sur cet homme célèbre »
, nous pensons que cela est une « stratégie marketing » pour attirer et amener le lecteur à acheter son ouvrage. Comme nous allons le constater, Cousin d’Avalon a publié beaucoup d’ana. Ces recueils étaient sa principale source de revenus.
2.2. Charles-Yves COUSIN D’AVALON (1769-1840) : « Le compilateur »57 §
Charles-Yves Cousin, surnommé d’Avalon, est un écrivain, un compilateur et un historien français. Il est connu particulièrement pour la publication d’ana sur des personnages littéraires et historiques. Il est né en 1769 à Avallon dans l’Yonne, d’un père procureur au bailliage et notaire apostolique. À la fin de ses études, en 1789, il se rendit à Paris où il travailla chez un procureur au Châtelet puis chez un banquier. Il participa à la rédaction du Postillon des Armées, mais le 10 août 1792 (jour de la prise des Tuileries), la publication en fut suspendue. À partir de ce moment, Cousin d’Avalon se consacra à la littérature. Il publia divers recueils (tel que La Guirlande de fleurs, recueil lyrique, 1794-1797), des romans (dont La Belle Catherine, ou la Blanchisseuse de Neuilly, 1803) et un grand nombre d’ana, dont plusieurs eurent un grand succès, tel que le Pironiana publié en 180158. Il participa également à la rédaction de divers dictionnaires dont Le Dictionnaire universel de la France, en cinq volumes, publié par Prud’homme en 1804. Malgré de nombreux écrits et publications, Cousin d’Avalon vécut la fin de sa vie dans l’adversité et la pauvreté. M. Salvandry, ministre de l’Instruction publique, lui attribua une pension, grâce aux sollicitations de la Société des gens de Lettres, il mourut à Paris en 1840.
1.2.2. Les Ana publiés
Cousin d’Avalon a publié et participé à la réaction de plusieurs ouvrages notamment d’un grand nombre de recueils d’anecdotes. En voici la liste, classée par date de publication :
- Voltairiana, ou Recueil des bons mots, plaisanteries, pensées ingénieuses et saillies spirituelles de Voltaire suivi des Anecdotes peu connues relatives à ce philosophe et poète célèbre, à Paris, chez Pillot, libraire, sur le pont-neuf, n°5, 1799.
- Pironiana, ou Recueil des aventures plaisantes, bons mots, saillies ingénieuses, etc., d’Axel Piron, 1801.
- Moliérana, ou Recueil d’aventures, anecdotes, bons mots et traits plaisants de Pocquelin de Molière, à Paris, chez marchand, libraire du Palais du tribunat, galerie neuve, n°10, 1801.
- Bonapartiana, ou Recueil des réponses ingénieuses ou sublimes, actions héroïques et faits mémorables de Bonaparte, à Paris, chez Corbet ainé, libraire, quai des augustins, n°61, 1801.
- Santoniana, ou Recueil des aventures, anecdotes, bons mots et plaisanteries de Santeul, 1801.
- Fontainiana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots de M. de La Fontaine, 1801.
- Fontenelliana, ou Recueil des bons mots de Fontenelle, 1801.
- Feminaeana, ou La langue et l’esprit des femmes, recueil des ruses, bons mots, naïvetés, saillies, reparties ingénieuses du beau sexe, suivi d’une notice sur les plus illustres françaises, 1801.
- Harpagoniana, ou Recueil d’aventures, d’anecdotes et de traits sur les avares, de pensées sur l’avarice, tirées des meilleurs auteurs, avec des remarques, 1801.
- Comediana, ou Recueil choisi d’anecdotes dramatiques, bons mots des comédiens, et réparties spirituelles, de bonhomie et de naïveté du parterre, 1801.
- Linguétiana, ou Recueil des principes, maximes, pensées de Linguet, 1801.
- Scarroniana, Recueil de bons mots, traits plaisants, aventures, etc., de Paul Scarron, 1801.
- Christiana, ou Recueil complet de maximes et pensées morales du christianisme, 1802.
- Malesherbiana, ou Recueil d’anecdotes et pensées de Chrétien-Guillaume de Lamoignon-Malesherbes, 1802.
- Gastronomiana, ou Recueil curieux et amusant d’anecdotes, bons mots, plaisanteries, maximes et réflexions gastronomiques, précédé d’une dissertation historique sur la science de la gueule et entremêlée de chansons et propos de tables à égayer la fin d’un repas, 1809.
- Gasconiana, ou Recueil des hauts faits et jeux des enfants de la Garonne, à Paris, chez marchand, libraire, palais du tribunat, galerie neuve, n°1, 1809.
- Diderotiana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots, plaisanteries, réflexions et pensées de Denis Diderot, suivi de quelques morceaux inédits de ce célèbre encyclopédiste, 1810.
- Rousseana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots, maximes, pensées et réflexions de J-J Rousseu, enrichi de notes et de quelques pièces inédites de ce célèbre philosophe, 1810.
- Malherbiana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots, plaisanteries, originalité, épigrammes de Malherbe, précédé de sa vie, avec un choix de ses poésies, 1811.
- Beaumarchaisiana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots de Caron de Beaumarchais, avec des notes et éclaircissements ; précédé de la vie de l’auteur, 1812.
- Rivaroliana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots, sarcasmes, réparties et autres pièces peu connues de Rivarol, précédé de la vie de l’auteur, à Paris, à l’entrepôt de librairie, tenu par J. M. Dave, et Logard, libraire, rue neuve de Seine, au coin de celle des Boucheries-S.-Germain, 1812.
- Asiniana, ou Recueil de naïvetés et d’âneries, 1813.
- D’Alembertiana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots de d’Alembert, 1813.
- Delilliana, ou Recueil d’anecdotes concernant M. Delille, de ses bons mots, de ses pensées ingénieuses, avec une notice sur sa vie et ses écrits contenant des particularités inconnues, par un ami poète, 1813.
- Grimminiana, ou Recueil des anecdotes, bons mots, plaisanteries de Grimm, avec les pensées, maximes et jugements de ce philosophe ; extraits tant de sa correspondance que de celle de La Harpe, des mémoires et brochures du temps et un choix de bons mots de Mlle Arnould, 1813.
- Chateaubriantiana, ou Recueil de pensées, maximes et réflexions de M. de Chateaubriand, entremêlées d’anecdotes curieuses, et précédées d’une notice biographique sur l’auteur, avec des notes historiques, littéraires et critiques, propres à faire connaître l’esprit de ses ouvrage, 2 vol., à Paris, chez Plancher, libraire, quai Saint-Michel, maison des cinq arcades, 1820.
- Fontanesiana, ou Recueil des opinions, pensées et réflexions de M. de Fontanes, entremêlées de plusieurs fragments de prose, de poésies et précédées d’une notice sur sa vie, à Paris, chez Plancher, quai Saint-Michel, maison des cinq arcades, 1820.
- Genlisiana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots, plaisanteries, pensées et maximes de Mmela Ctesse de Genlis, précédé d’une notice sur sa vie et ses ouvrage, à Paris, chez Plancher, libraire, quai Saint-Michel, maison des cinq arcades, 1820.
- Pradtiana, ou Recueil des pensées, réflexions et opinions politiques de M. l’Abbé de Pradt, entremêlé de quelques anecdotes aussi curieuses qu’amusantes, et précédé d’une notice biographique sur la vie et les ouvrages de cet écrivains politique, à Paris, chez Plancher, libraire, quai Saint-Michel, maison des cinq arcades, 1820.
- Staëlliana, ou Recueil d’anecdotes, bons mots, pensées et réflexions de Mmela *Bonne de Staël-Holstein, à Paris, chez Plancher, libraire, quai Saint-Michel, Maison des cinq arcades, 1820.
- Gregoireana, ou Résumé général de la conduite, des actions et des écrits de M. le Cte Henri Grégoire, précédé d’une notice sur sa vie politique, littéraire et religieuse, contenant quelques anecdotes propres à faire connaître ce prélat, à Paris, chez Plancher, libraire, quai Saint Michel, maison des cinq arcades, 1821.
- Merciériana ou Recueil d’anecdotes sur Mercier : ses paradoxes, ses bizarreries, ses sarcasmes, ses plaisanteries, etc., 1834.
2.3. La Réception du Moliérana §
Nous n’avons trouvé aucun élément sur la réception du Moliérana dans les journaux datant de la publication du recueil. Nous ne savons guère si cet ana fut bien reçu ou non, par les lecteurs.
3. La Composition §
Dans la préface du Moliérana datant de 1801, Cousin d’Avalon annonce la composition de son ouvrage.
Après une esquisse rapide de la vie de Molière, et un catalogue raisonné, mais court, de ses pièces de théâtre, on développe par la série des faits et des anecdotes, dans le cours de cet ouvrage, toutes les omissions faites à dessein ou par ignorance.
Ainsi son ana est composé d’une vie de Molière,59 contenant également la mention de toutes ses pièces et de micro-récits concernant Molière et son univers.
Dans un premier temps nous étudierons la vie de Molière que l’on retrouve dans le Moliérana. Nous comparerons cette biographie avec celle du Sieur de Grimarest et avec celle de Clément et De Laporte que nous avons découverte dans le recueil Anecdotes Dramatiques. Dans un second temps nous nous attarderons sur les anecdotes qui composent notre recueil.
3.1. La vie de Molière §
Cousin d’Avalon justifie l’insertion de la Vie de Molière dans sa préface :
Tous ceux qui ont donné des éditions des œuvres de Molière, les ont fait précéder de la vie de cet illustre comique.
En invoquant ce qu’ont fait d’autres auteurs, comme ceux de l’édition des Œuvres de Molière datant de 1682, il se place dans leur lignée. Il signale aussi qu’il a confronté les différentes biographies sur Molière.
De toutes ces vies comparées les unes aux autres, aucunes n’a la même physionomie. Ceux-ci ont fait un roman ; ceux-là, plus scrupuleux, ont fait un abrégé si court qu’il est impossible de reconnaître l’auteur du Misanthrope.
Parmi ces biographies, nous pensons reconnaître celle de Grimarest, La Vie de Mr de Molière, datant de 1705, qu’il qualifie de « roman » et celle de Donneau de Visé, datant de 1663, que M. Forestier nomme « l’abrégé de l’abrégé de la vie de Molière »60 et qui est, pour notre compilateur, « un abrégé si court qu’il est impossible de reconnaître l’auteur du Misanthrope »
. Nous supposons que Cousin d’Avalon, avec son recueil, souhaite se placer entre ces deux pôles biographiques.
Nous proposons d’opposer La Vie de Molière par Cousin d’Avalon avec la Vie que nous supposons rédigée par Grimarest. Néanmoins, nous allons également comparer la Vie écrite par Cousin avec la biographie que nous avons découverte dans le recueil Anecdotes Dramatiques datant de 177561.
Cette confrontation des Vies nous permettra de dégager les points communs mais aussi les différences avec celle écrite par notre compilateur afin de voir si, effectivement la biographie de Cousin d’Avalon se situe entre ces deux bornes.
Chacune de ces biographies est de taille différente. Deux des Vies de Molière que nous avons analysées sont divisées en plusieurs parties alors que celle de Grimarest est d’un seul tenant. Cette division des Vies en diverses sections est héritée des modèles antiques62 de la biographie. L’ouvrage de Cousin d’Avalon est divisée en deux parties : dans un premier temps, une Vie de Molière puis, en second temps, un descriptif de ses œuvres. La Vie qui figure dans les Anecdotes Dramatiques est en trois parties : la biographie de Molière, suivie d’un récapitulatif de ses pièces et enfin quelques anecdotes nommées « portrait ». Selon les critères évoqués par Daniel Madelénat63, dans son ouvrage sur le biographe, ces deux vies se classeraient dans la catégorie qu’il intitule « paradigme classique »64 car elles sont d’une longueur moyenne (environ huit pages), elles sont composées de plusieurs parties qui respectent parfaitement la division « Homme-œuvre » elles relatent la vie de Molière de manière simple, efficace et agrémentée de quelques anecdotes65 (qui restent ponctuelles), et enfin, elles content les événements qui ont permis à Molière de devenir l’une des figures majeures de la dramaturgie française et mondiale.
On pourrait classer la Vie de Mr de Molière rédigée par Grimarest dans la catégorie que Daniel Madelénat intitule le « paradigme romantique »
66. Les critères des biographies dites « classiques » sont délaissés au profit d’une vie romancée et foisonnante en informations. En effet, cette vie de Molière fait environ 170 pages et est truffée d’anecdotes et de détails qui nous permettent de nous introduire dans l’intimité du dramaturge. Ces anecdotes permettent à Grimarest d’exemplifier son propos et apportent une plus grande authenticité à son récit.
Toutefois ces vies ou biographies comportent une structure interne commune. De ce fait, nous avons constaté plusieurs procédés identiques :
— Dans un premier temps, le biographe expose son dessein par une introduction :
Il y a lieu de s’étonner que personne n’ait encore recherché la Vie de Mr de Molière pour nous la donner. On doit s’intéresser à la mémoire d’un homme qui s’est rendu compte si illustre dans son genre. Quelles obligations notre Scène comique ne lui a-t-elle pas ? Lorsqu’il commença à travailler, elle était destituée d’ordre, de goût, de caractère ; tout y était vicieux. Et nous sentons assez souvent aujourd’hui que sans ce Génie supérieur le Théâtre comique serait peut-être encore dans cet affreux chaos, d’où il l’a tiré par la force de son imagination ; aidée d’une profonde lecture, et de ses réflexions, qu’il a toujours heureusement mises en œuvre. Ses Pièces représentées sur tant de Théâtres, traduites en tant de langues, le feront admirer autant de siècle que la scène durera. Cependant on ignore ce grand Homme ; et les faibles crayons, qu’on nous a donnez, sont tous maqués ; ou si peu recherchés, qu’il ne suffisent pas pour le faire connaître tel qu’il était. Le Public est rempli d’une infinité de fausses Histoires à son occasion. Il y a peu de personnes de son temps, qui pour se faire honneur d’avoir figuré avec lui, n’inventent des aventures qu’ils prétendent avoir eues ensemble. J’en ai eu plus de peine à développer la vérité ; mais je la rends sur des Mémoires très assurés ; et je n’ai point épargné les soins pour n’avancer rien de douteux. J’ai écarté aussi beaucoup de faits domestiques, qui sont communs à toutes sortes de personnes ; mais je n’ai point négligé ceux qui peuvent réveiller mon Lecteur. Je me flatte que le Public me saura bon gré d’avoir travaillé : je lui donne la Vie d’une personne qui l’occupe si souvent ; d’un Auteur inimitable, dont le souvenir touche tous ceux qui ont le discernement assez heureux pour sentir à la lecture, ou à la représentation de se Pièces, toutes les beautés qu’il y a répandues.67
Le dessein de Grimarest est de combler une lacune. En effet, dans cette introduction il nous expose le fait qu’il n’y ait pas de Vie de Molière, ce qui le pousse à en faire une. Il n’est pas le seul de nos biographes à avoir cette visée : Cousin d’Avalon exprime également ce désir68 dans sa préface. Cependant celle des Anecdotes dramatiques ne comporte pas d’exorde car cette vie est une notice et n’a aucunement besoin d’une introduction.
Dans un deuxième temps, le biographe commence à exposer la vie du dramaturge en annonçant son identité, sa situation familiale.
Jean-Baptiste Pocquelin naquit en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des halles. Son père Jean-Baptiste Pocquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand de fripier, et Anne Boulet sa mère, […].
L’erreur commise sur l’année de naissance de Molière est également présente dans la notice des Anecdotes Dramatiques69. On pourrait ainsi se demander si ces deux biographies n’ont pas été créées à partir de la même source. Nous remarquons également que dans chaque vie étudiée, le biographe indique la profession du père : Il est « valet de chambre tapissier du roi ».
-
Puis il narre la jeunesse du dramaturge et ses études :
il passa quatorze ans dans la maison paternelle, où l’on songea qu’à lui donner une éducation conforme à son état. Sa famille, qui le destinait à la charge de son père, en obtint pour lui la survivance ; mais il conçut un dessein fort opposé aux vues de ses parents : il demanda instamment, et on lui accorda avec peine, la permission d’aller faire ses études au Collège de Clermont.70
- Moment incontournable des biographies sur Molière, la naissance de sa vocation pour le théâtre.
- Récit de la création de l’Illustre théâtre, son départ en province et la protection du Prince de Conti. Il y a également l’évocation des premières pièces écrites par Molière71.
- Le retour à Paris et l’installation de la troupe au théâtre du Petit-Bourbon.
- Sous la protection de Monsieur, frère unique du roi, Molière fera la connaissance du roi. Puis sa troupe deviendra celle du roi. Grâce à cela, il connaîtra le succès et cultivera des relations étroites avec les Grands du Royaume, cependant il connaîtra également quelques querelles.
- Enfin, le récit de sa mort.
On peut conclure que Cousin d’Avalon se place certainement entre les pôles annoncés dans son introduction.
Le premier pôle est représenté par la biographie rédigée par Grimarest, extrêmement romancée et abondante en anecdotes et en informations. Le second pôle est illustré par une vie très abrégée et fournissant très peu de renseignements sur le dramaturge.
Cependant la vie d’Avalon reste similaire à celle que l’on trouve dans les Anecdotes Dramatiques. On peut se demander si ces vies n’ont pas la même source de départ car elles se ressemblent dans le fond comme dans la forme.
3.2. Les micro-récits §
Le plus important dans les recueils d’anecdotes, ce sont les micro-récits qui y figurent. Ils sont le fond de l’ouvrage, sa moelle. Comme nous l’avons vu dans l’introduction, les ana sont composés d’anecdotes relatives à un auteur et le titre est fabriqué sur le nom de l’auteur, auquel on a apposé la terminaison -ana. Dans le cas des micro-récits relatifs à Molière, le sous-titre Moliérana indique que le fond comporte plusieurs types de micro-récits, dont des anecdotes. Mais comment les reconnaître ?
Pour cela nous nous baserons sur la structure de l’anecdote donnée par Karine Abiven dans sa thèse72 et dans son article « La cristallisation narrative comme embrayeur de signification dans le récit anecdotique
»73.
Nous prendrons plusieurs anecdotes qui figurent dans le Moliérana pour exemplifier notre propos sur la structure de l’anecdote.
D’après Karine Abiven, pour qu’il y ait anecdote, il faut tout d’abord qu’on ait affaire à un récit. Ainsi pour qu’il y ait récit, il faut une « relation d’actions temporellement ordonnées (t → t + n) et tendues entre un début et une fin qui permettent de nouer et de dénouer une action »74.
Soit l’anecdote de Molière et Chapelle revenant d’Auteuil :
Un jour Molière et Chapelle, revenant d’Auteuil à Paris par la rivière, disputaient sur une question philosophique, un religieux, assis à côté d’eux, paraissait prendre beaucoup d’intérêt à leur dispute ; tantôt il encourageait par un air d’applaudissement, tantôt il les enflammait par un air de doute et d’objection. Arrivé devant Chaillot, il prend congé d’eux et reprend sa besace ; c’était le frère quêteur des Minimes de Chaillot. Son silence, dit en riant Molière à Chapelle, avait plus d’esprit que ton éloquence et que ma philosophie ; il nous a pris pour dupes.
On peut remarquer que chacune de ces assertions sont « nouées » entre elles et amènent progressivement vers la fin et la chute du récit. On peut également constater que la structure du récit est la suivante : la première proposition « Un jour Molière et Chapelle, revenant d’Auteuil à Paris par la rivière, disputaient sur une question philosophique
» est la situation initiale de notre récit. Ensuite, vient l’élément déclencheur ou perturbateur « un religieux, assis à côté d’eux, paraissait prendre beaucoup d’intérêt à leur dispute
». Puis nous avons ce que Karine Abiven nomme la « complication 75 » : « tantôt il encourageait par un air d’applaudissement, tantôt il les enflammait par un air de doute et d’objection
». Ensuite vient « l’action »76. Ici elle n’est pas décrite. L’action serait la discussion entre Molière et Chapelle. Elle est néanmoins annoncée dans la complication. Enfin, la clôture et la résolution du récit « Arrivé devant Chaillot, il prend congé d’eux et reprend sa besace ; c’était le frère quêteur des Minimes de Chaillot. Son silence, dit en riant Molière à Chapelle, avait plus d’esprit que ton éloquence et que ma philosophie ; il nous a pris pour dupes.
»
Karine Abiven argue que la narration se doit de déclencher l’attention et l’intérêt du lecteur77pour qu’il y ait récit. En cela, l’anecdote est donc récit puisqu’elle éveille l’appétit du lecteur par le fait d’être inédite, plaisante et piquante.
Selon Karine Abiven, il y a deux sortes de « seuils de narrativité »
78 pour l’anecdote. Tout d’abord, le « seuil maximal »79 où l’anecdote se fond dans une narration plus complexe à l’instar des anecdotes que l’on trouve dans La Vie de Mr de Molière par Grimarest.
Soit la version de Grimarest de l’anecdote de Molière et Chapelle revenant d’Auteuil :
Molière n’était pas seulement bon Acteur et excellent Auteur, il avait toujours soin de cultiver la Philosophie. Chapelle et lui ne se passaient rien sur cet article-là. Celui-là pour Gassendi ; celui-ci pour Descartes. En revenant d’Auteuil un jour dans le bateau de Molière, ils ne furent pas longtemps sans faire naître une dispute. Ils prirent un sujet grave pour se faire valoir devant un Minime qu’ils trouvèrent dans leur bateau, et qui s’y était mis pour gagner les Bons-Hommes. « J’en fais Juge le bon Père, » dit Molière, « si le Système de Descartes n’est pas cent fois mieux imaginé, que tout ce que Mr de Gassendi nous a ajusté au Théâtre, pour nous faire passer les rêveries d’Épicure. Passe pour sa morale ; mais le reste ne vaut pas la peine que l’on y fasse attention. N’est-il pas vrai, mon Père ? » ajouta Molière, au Minime. Le Religieux répondit par un hom ! hom ! qui faisait entendre aux Philosophes qu’il était connaisseur dans cette matière ; mais il eut la prudence de ne se point mêler dans une conversation si échauffée, sur tout avec des gens qui ne paraissaient pas ménager leur adversaire. « Oh ! parbleu, mon Père, » dit Chapelle, qui se crut affaibli par l’apparente approbation du Minime, « il faut que Molière convienne que Descartes n’a formé son Système que comme un Mécanicien qui imagine une belle machine sans faire attention à l’exécution : le Système de ce Philosophe est contraire à une infinité de Phénomènes de la nature, que le bon homme n’avait pas prévus. » Le Minime sembla se range du côté de Chapelle par un second hom hom ! Molière, outré de ce qu’il triomphait, redouble ses efforts avec une chaleur de Philosophe, pour détruire Gassendi par de si bonnes raisons, que le Religieux fut obligé de s’y rendre par un troisième hom ! hom ! obligeant, qui semblait décider la question en sa faveur. Chapelle s’échauffe, et criant du haut de la tête pour convertir son Juge, il ébranla son équité par la force de son raisonnement. « Je conviens que c’est l’homme du monde qui a le mieux rêvé, » ajouta Chapelle ; « mais morbleu ! il a pillé ses rêveries par tout, et cela n’est pas bien. » N’est-il pas vrai, mon Père ? » dit-il au Minime. Le Moine, qui convenait de tout obligeamment, donna aussitôt un signe d’approbation, sans proférer une seule parole. Molière, sans songer qu’il était au lait, saisit avec fureur le moment de rétorquer les arguments de Chapelle. Les deux Philosophes en étaient aux convulsions, et presque aux invectives d’une dispute Philosophique quand ils arrivèrent devant les Bons Hommes. Le Religieux les pria qu’on le mît à terre. Il les remercia gracieusement, et applaudit fort à leur profond savoir sans intéresser son mérite. Mais avant que de sort du bateau, il alla prendre sous les pieds du batelier sa besace, qu’il y avait mise en entrant. C’était un Frère-lay, les deux Philosophes n’avaient point vu son enseigne ; et honteux d’avoir perdu le fruit de leur dispute devant un homme qui n’y entendait rien, ils se regardèrent l’un l’autre sans se rien dire. Molière revenu de son abattement, dit à Baron* qui était de la compagnie, mais d’un âge à négliger une pareille conversation : « Voyez, petit garçon, ce que fait le silence, quand il est observé avec conduite. – Voilà comme vous faites toujours, Molière » dit Chapelle, « vous me commettez sans cesse avec des ânes qui ne peuvent savoir si j’ai raison. Il y a une heure que j’use mes poumons, et je n’en suis pas plus avancé. »80
Au-delà de cette limite, l’anecdote devient une nouvelle. Le second seuil est le « seuil minimal ». La narration est beaucoup moins développée que dans le premier seuil. Elle est vierge de tout apport ou de modifications. À chaque fois que ce « seuil minimal de narrativité » sera observé, nous serons en présence d’un récit et donc d’une anecdote.
Karine Abiven utilise ce second seuil pour déterminer la différence entre une anecdote et d’autres formes telles que le bon mot ou la notice que l’on rencontre également dans les ana.
Une autre caractéristique du récit est l’utilisation des temps du récit (imparfait / passé simple ou passé composé). Ainsi, l’imparfait marque les actions du second plan, qui sont généralement la description de l’action. Ce temps crée un effet de suspension, de pause dans le récit. On observe dans l’anecdote citée au-dessus, plusieurs verbes à l’imparfait : « disputaient », « encourageait », « enflammait », « c’était », « avait
». Ils sont usités pour décrire la situation et l’action. On peut noter également que l’imparfait est utilisé pour introduire une remarque du narrateur : « c’était le frère quêteur des Minimes de Chaillot
». Le jaillissement de l’imparfait après l’emploi de deux verbes au présent de l’indicatif annonce un commentaire du narrateur. Il apporte une explication qui permet une meilleure compréhension de l’anecdote. Ainsi nous comprenons mieux pourquoi Molière et Chapelle ont été pris pour des dupes : Le frère lai provenant d’un milieu modeste n’avait pas l’éducation nécessaire pour comprendre la conversation de Molière et Chapelle.
Le passé simple ou passé composé, lui, marque les actions de premier plan. En effet, le passé simple met en relief l’élément perturbateur. Il met également en exergue la proposition qui permet de clôturer le récit. Dans cette anecdote, il n’y a aucun verbe au passé simple. Nous rencontrons des verbes au présent de l’indicatif « prend », « reprend » et « dit
». L’élément perturbateur est mis en relief par le surgissement du présent de l’indicatif : « un religieux, assis à côté d’eux
». Les deux premiers verbes sont ce qu’on appelle des présents de narration. Ils suggèrent des « événements situés dans le passé »81. On peut les remplacer par de l’imparfait ou du passé simple. En ce qui concerne le verbe « dire » qui se trouve dans l’incise, il est également une des indications du discours rapporté. Ce présent a une valeur de passé. Ce phénomène, selon la Grammaire du français, est fréquent à l’oral. Cela rappelle ce que nous avons énoncé dans notre introduction : au départ, l’anecdote est un récit oral. Cette incise annonce, en outre, le bon mot et la clôture du récit.
Le présent de l’indicatif donne aussi un effet de véracité, créant l’illusion que l’anecdote est réellement arrivée. Il permet également une mémorisation de cette dernière car on a l’impression que l’action se déroule sous nos yeux.
Nous avons également deux participes : « revenant » et « Arrivé
». Le premier participe est un participe présent. Tout comme l’imparfait, il permet de décrire l’action de manière concise. Il « indique que les procès sont simultanés, ou encore concomitants »82. Le second participe est un participe passé. Il expose une action qui est achevée et « antérieure au procès principal »83.
Maintenant, étudions le cadre de l’anecdote. Tout d’abord, dans les ana, les micro-récits sont facilement repérables. En effet, chaque micro-récit est séparé par un saut de ligne. Cette séparation peut également être faite par une ligne, comme dans le Moliérana, ou par un cul de poule. Un alinéa ouvre également chaque début de micro-récit. Cette présentation des anecdotes facilite la lecture mais aussi une rapidité dans la recherche d’un récit.
L’anecdote débute par un terme temporel « un jour » ou par des termes similaires. C’est l’un des indices de son ouverture. L’anecdote de Molière et Chapelle ne déroge pas à cette règle. Comme le souligne Karine Abiven, le rôle de ce terme est d’être un « cadratif »84. En effet, il n’apporte pas réellement d’information temporelle, il délimite le cadre et la structure de l’anecdote en amont. Ce « cadratif » ouvre le récit mais suggère aussi sa fermeture et nous dirige vers sa fin et sa chute. Karine Abiven suppute que l’anecdote serait construite à rebours comme la comédie. La construction commencerait ainsi par la fin de l’anecdote jusqu’à remonter vers la situation initiale. Elle argue que « l’anecdote était un petit système conçu pour sa chute, vers laquelle elle converge et qui la structure en retour »
85.
L’ouverture de l’anecdote peut être renforcée par une phrase introductive, comme dans la célèbre anecdote sur le dîner d’Auteuil.
Sur la fin de ses jours, Molière ne vivait que de lait ; mais lorsqu’il allait à sa maison d’Auteuil, il engageait Chapelle à faire les honneurs de sa table, et lui laissait le choix des convives. Molière s’étant couché un jour de bonne heure, laissa ses amis à table. La conversation tomba insensiblement, vers les trois heures du matin. Que notre vie est peu de chose, dit Chapelle ! Qu’elle est remplie de traverses ! Nous sommes à l’affût pendant trente ou quarante ans, pour jouir d’un moment de plaisir que nous ne trouvons jamais. Notre jeunesse est harcelée par de maudits parents qui veulent que nous nous mettions un tas de fariboles dans la tête. Je me soucie morbleu bien que la terre ou le soleil tourne ! Que ce fou de Descartes ait raison, ou cet extravagant Aristote ! J’avais pourtant un enragé précepteur qui me rebattait toujours de ces fadaises là, et qui me faisait retomber sans cesse sur son Épicure ; encore passe pour ce philosophe là, c’était lui qui avait le plus de raison. Nous ne sommes pas débarrassés de ces fous-là, qu’on nous étourdit les oreilles d’un établissement. Toutes les femmes sont des animaux, ennemis jurés de notre repos. Oui, morbleu ! Chagrins, injustices, malheurs de tous côtés dans cette vie-ci. Tu as parbleu raison ! Mon cher ami, répondit J… en l’embrassant ; la vie est un pauvre partage : quittons-la, pour ne point séparer d’aussi bons amis que nous le sommes ; allons nous noyer de compagnie ; la rivière est à notre portée. Cela est vrai, dit N*** nous ne pouvons mieux prendre notre temps pour mourir bons amis et dans la joie : notre mort fera du bruit. Ainsi ce glorieux dessein fut approuvé tout d’une voix. Ces ivrognes se lèvent et vont gaîment à la rivière. Baron courut avertir du monde et éveiller Molière, qui fut effrayé de cet extravagant projet, parce qu’il connaissait le vin de ses amis. Pendant qu’il se levait, la troupe avait gagné le rivière, et ils s’étaient déjà saisis d’un bateau pour prendre le large, et se noyer en plus grande eau. Des domestiques et des gens du lieu furent promptement à ces débauchés, qui étaient déjà dans l’eau, et les repêchèrent. Indignés du secours qu’on venait de leur donner, ils mettent l’épée à la main, courent sur leurs ennemis, les poursuivent jusques dans Auteuil, et les voulaient tuer. Ces pauvres gens se sauvent la plupart chez Molière, qui, voyant ce vacarme, dit à ces furieux : Qu’est-ce donc que ces coquins-là vous ont fait, messieurs ? Comment ! Ventrebleu, dit J… qui était le plus opiniâtre à se noyer, ces malheureux nous empêchent de nous noyer ! Écoute, mon cher Molière, tu as de l’esprit ; vois si nous avons tort : fatigués des peines de ce monde-ci, nous avons résolu de passer en l’autre : la rivière nous a paru le plus court chemin pour nous y rendre, ces marauds nous l’ont fermé. Pouvons-nous faire moins que de les punir ? Comment ! Vous avez raison, répondit Molière. Sortez d’ici, coquins ! Que je ne vous assomme, dit-il à ces pauvres gens, paraissant en colère ; je vous trouve bien hardis de vous opposer à de si belles actions. Ils se retirèrent marqués de quelques coups d’épée. Comment, messieurs, poursuit Molière, que vous ai-je fait pour former un si beau projet sans m’en faire part ? Je vous croyais plus de mes amis. Il a parbleu raison, dit Chapelle ; c’est une injustice que nous lui faisons. Viens donc te noyer avec nous. Oh ! Doucement, répondit Molière : ce n’est point ici une affaire à entreprendre mal-à-propos ; c’est la dernière action de la vie, il n’en faut pas manquer le mérite. On serait assez malin pour lui donner un mauvais jour : si nous nous noyons à l’heure qu’il est, on dirait, à coup sûr, que nous l’aurions fait la nuit comme des désespérés, ou comme des gens ivres. Saisissons le moment qui nous fasse le plus d’honneur ; sur les huit à neuf heures du matin, bien à jeun, et devant tout le monde, nous irons nous jeter dans la rivière, la tête la première. J’approuve ses raisons, dit N… il n’y a pas le mot à dire. Morbleu ? J’enrage, dit L... ; Molière a toujours cent fois plus d’esprit que nous. Voilà qui est fait, remettons la partie à demain, et allons nous coucher, car je m’endors. La présence d’esprit de Molière prévint quelques malheurs : tous ces messieurs étaient ivres, et animés contre ceux qui les avaient empêchés de se noyer.86
La proposition que nous avons mise en gras introduit l’anecdote et dirige le lecteur vers un « horizon d’attente générique »87. Karine Abiven signale que cette phrase d’exorde apparente l’anecdote à une de ces formes antiques qu’est l’exemplum. Elle permet, en outre, d’extraire l’anecdote d’une narration plus complexe.
Le début de l’anecdote peut être également accentué par les pronoms « je » et « on ». Ils seront le plus souvent suivis des verbes « dire », « ouïr », « entendre », etc. Ils peuvent aussi ouvrir et introduire l’anecdote.
Comme le souligne Karine Abiven, « ces divers indices [...] précédent et surdéterminent le cadre ouvert par “un jour” »
88.
Ce qui vient en aval dans le cadre de l’anecdote est la chute. Elle prend généralement la forme d’un bon mot ou d’une pointe. Elle est souvent mise en relief par une typographie en italique (« Son silence, dit en riant Molière à Chapelle, avait plus d’esprit que ton éloquence et que ma philosophie ; il nous a pris pour dupe »
). A l’âge classique le discours rapporté est en italique et, comme le présent de l’indicatif, il rappelle l’origine orale de l’anecdote. La chute est également mise en exergue par l’utilisation du passé simple, comme on le voit dans l’anecdote où Racine désigne Molière comme le plus grand auteur de son siècle :
Racine regarda toujours Molière comme un homme unique. Le roi lui demandant un jour quel était le premier des grands écrivains qui avaient honoré la France pendant son règne, il lui nomma Molière. Je ne le croyais pas, répondit le roi ; mais vous vous y connaissez mieux que moi.89
La chute se définit par sa clarté et son dépouillement. Elle peut être suivie d’un commentaire, d’une remarque ou encore un résumé de l’anecdote. Cette réflexion, permet d’orienter l’interprétation du lecteur et d’ouvrir le dialogue. Cependant cette remarque est également un obstacle au récit anecdotique car, comme le souligne K. Abiven, « l’essentiel est l’enchaînement événementiel »
90.
Pour créer une anecdote réussie, le personnage central du récit doit être célèbre. Comme précédemment dit dans notre introduction, tous les micro-récits figurant dans un ana réfèrent au même personnage. En cela l’ana, du fait qu’il contient des micro-récits relatifs à une personne célèbre, s’apparente au potin mais également à nos « magazines people » actuels. On trouve d’autres personnages, mais ils servent de personnages secondaires. Ils tiennent généralement le rôle soit d’un adjuvant soit celui du bouc-émissaire. Ainsi par ces noms propres, l’anecdote est un récit particularisant, mais elle est en même temps généralisante car, comme le remarque Karine Abiven, les noms propres peuvent être facilement remplacés par d’autres noms propres sans pour autant changer le récit.
Enfin, l’anecdote se caractérise par son style bref. Le récit est essentiellement constitué de « conjonctions ». Pour des anecdotes plus conséquentes, les formes privilégiées seront la juxtaposition et la coordination, ce qui rend l’anecdote efficace et concise.
Ces critères nous permettent de reconnaître et d’analyser une anecdote. Mais ce n’est pas le seul micro-récit que nous pouvons rencontrer dans notre ana. Comme l’indique le sous titre, le Moliérana contient des aventures, des bons mots et des traits plaisants. Nous définirons chacun de ces termes.
Commençons par « aventure ». Selon le Furetière (1690) le terme adventure signifie « accident, ou chose qui est arrivée, ou qui doit arriver »
. Pour le Dictionnaire de L’Académie Française de 1798 (5ème édition), il signifie « ce qui arrive inopinément à quelqu’un »
. Et voici la définition du Robert du terme « aventure » : « ce qui arrive d’imprévu, de surprenant ; ensemble d’événements qui concernent quelqu’un. »
. Dans ces trois définitions, nous constatons le sème « ce qui arrive inopinément ». Sème également présent dans la définition du terme anecdote qui conte un fait arrivé à quelqu’un.
Voici la définition du Furetière (1690) pour le « bon mot » : « Se dit de quelque trait sentencieux, ou plaisant, d’une bonne rencontre. »
Le Dictionnaire de l’Académie Française donne la même définition. Selon Le Robert le « bon mot » est « une parole exprimant une pensée de façon concise et frappante »
. Le « bon mot » comporte plusieurs caractéristiques en commun avec l’anecdote : ils sont tous deux considéré comme plaisants ; il sont « concis et frappants » ; ils ont la même chute.
Enfin, la définition de « trait plaisant ». Il faut entendre le terme de « trait » dans le sens de « caractéristique d’une personne ». Selon Le Robert un trait peut aussi signifier un bon mot. « Plaisant » dans le Furetière signifie « Qui plaît, qui fait rire »
. Nous retrouvons également cette définition dans le Dictionnaire de l’Académie Française. Dans Le Robert, on a les même sèmes que dans les deux définitions précédentes du terme « plaisant » : « Qui plaît, qui procure du plaisir »
et « Qui plaît en amusant, en faisant rire »
. Ainsi le trait plaisant est comme l’anecdote : ils doivent plaire et amuser le lecteur.
On peut considérer chacun de ces termes comme des para-synonymes du vocable anecdote. Ainsi, nous comprenons mieux pourquoi l’ana est réduit à la simple appellation de « genre anecdotique ».
Nous avons classé ces micro-récits par thèmes. Il en est ressorti trois grandes thématiques. La première réfère à ce qui concerne Molière et son entourage, la deuxième à ce qui est dit de ses pièces de théâtre, et la troisième thématique regroupe les anecdotes qui utilisent Molière comme référence ou qui le mentionnent.
La thématique la plus récurrente dans le Moliérana est celle concernant ce que l’on dit de ses pièces de théâtre : sur la centaine d’anecdotes, une quarantaine concerne cette thématique, qui est aussi présente dans les autres ana que nous avons consultés.
3.3. L’évolution des micro-récits §
La mise en série des différentes versions des récits relatifs à Molière, nous permet de constater une évolution formelle de l’anecdote.
On constate plusieurs phénomènes d’évolution au niveau de la macrostructure de l’anecdote : l’amplification et la réduction (deux anecdotes qui n’en font plus qu’une, ou une anecdote qui en devient deux).
Dans un premier temps nous verrons le phénomène de l’amplification de l’anecdote. L’amplification peut se faire par divers procédés venant s’additionner au micro-récit. Comme nous l’avons vu dans la partie où l’on analyse la structure de l’anecdote, l’amplification peut se faire soit en amont ou soit en aval. Ainsi l’extension peut se faire par l’adjonction d’une épître comme dans l’anecdote sur les obsèques de Molière.
- Version des Anecdotes Dramatiques :
Molière étant mort, les Comédiens se disposaient à lui faire un Convoi magnifique : mais M. de Harlai, Archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu’on l’inhumât en terre sainte. La femme de Molière alla sur le champ à Versailles se jeter aux pieds du Roi, pour se plaindre de l’injure que l’on faisait à la mémoire de son mari, en lui refusant la sépulture ecclésiastique. Le Roi la renvoya, en lui disant que cette affaire dépendait du ministère de M. l’Archevêque, et c’était à lui qu’il fallait s’adresser. Cependant Sa Majesté fit dire à ce Prélat, qu’il fit en sorte d’éviter l’éclat et le scandale. L’Archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l’enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. Il se fit en effet par deux Prêtes qui accompagnent le corps sans chanter ; et on l’enterra dans le cimetière qui est derrière la Chapelle de Saint-Joseph, dans la rue Montmartre. Tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main. L’épouse du défunt, s’écrirait partout : « Quoi ! L’on refuse la sépulture à un homme qui mérite des Autels ! ». 91
- Version du Moliérana :
(49) - Les comédiens avaient résolu de faire à Molière un convoi magnifique. Mais M. du Harlay, archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu’on l’inhumât. La femme de Molière alla sur-le-champ à Versailles, se jeter aux pieds du roi, pour se plaindre de l’injure que l’on faisait à la mémoire de son mari, en lui refusant la sépulture. Le roi la renvoya en lui disant que cette affaire dépendait du ministère de l’archevêque, et que c’était à lui qu’il fallait s’adresser. Cependant sa majesté fit dire à ce prélat, qu’il fit en sorte d’éviter l’éclat et le scandale. L’archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l’enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. Il fut fait pas deux prêtes, qui accompagnèrent le corps sans chanter, et on l’enterra dans le cimetière qui est derrière la chapelle Saint-Joseph, rue Montmartre. Tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main. Mademoiselle de Molière s’écriait partout : Quoi ! L’on refuse la sépulture à un homme qui mérite des autels. Boileau déplora alors la perte de ce célèbre comique dans son épître septième qu’il adresse à Racine.
Avant qu’un peu de terre, obtenu par prière,Pour jamais sous la tombe eut enfermé Molière,Mille de ces beaux traits, aujourd’hui si vantés,Furent des sots esprits, à nos yeux, rebutés.L’ignorance et l’erreur à ses naissantes pièces,En habits de marquis, en robes de comtesses,Venaient pour diffamer son chef-d’œuvre nouveau ;Et secouaient la tête à l’endroit le plus beau.Le commandeur voulait la scène plus exacte,Le vicomte indigné sortait au second acte.L’un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,Pour prix de ses bons mots, le condamnait au feu ;L’autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,Voulait venger la cour immolée au parterre ;Mais sitôt que, d’un trait de ses fatales mains,La parque l’eut rayé du nombre des humains,On reconnut le prix de sa muse éclipsée.L’aimable comédie avec lui terrassée,En vain d’un coup si rude espère revenir,Et, sur ses brodequins, ne peut plus se tenir.92
Cette extension qui se fait en aval de l’anecdote, permet à la fois la lecture mais également d’ouvrir le dialogue.
L’anecdote peut être amplifiée par l’ajout d’une remarque comme dans l’anecdote sur la lecture du Misanthrope.
-Version des Anecdotes Dramatiques :
Boileau racontait que Molière, après lui avoir lu le Misanthrope, lui avait dit : « Vous verrez bien autre chose ». Ce seul mot nous fait regretter que Molière n’ait pas fourni une plus longue carrière.93
-Version du Moliérana :
Boileau racontait que Molière, après lui avoir lu le Misanthrope, lui avait dit : Vous verrez bien autre chose. Qu’aurait-il donc fait si la mort ne l’avait surpris, cet homme qui voyait quelque chose au-delà du Misanthrope ? Ce problème qui confondait Boileau, devrait être pour les auteurs comiques un objet continuel d’émulation et de recherches : et ne fut-ce pour eux que la pierre philosophale, ils feraient du moins en la cherchant inutilement, mille autres découvertes utiles94.
La remarque peut se présenter sous la forme d’une note de bas de page. Prenons comme exemple l’anecdote du vieillard qui crie à Molière « Courage, Molière ; voilà la bonne comédie »
:
-Version des Anecdotes Dramatiques :
Un jour qu’on représentait les Précieuse Ridicules, un vieillard s’écria du milieu du Parterre : "Courage, Molière ; voilà la bonne Comédie."95
-Version du Moliérana :
Un jour que l’on représentait cette pièce, un vieillard s’écria du milieu du parterre : Courage, courage, Molière ! Voilà la bonne comédie (1).
(1) On n’aura pas la satisfaction aujourd’hui d’adresser à nos comiques le même éloge. Depuis le fameux drame de Pinto, jusqu’à l’Abbé de l’Epée, la comédie n’est plus qu’une suite de scènes décousues, sans intérêt, et sans situations comiques. Le citoyen Bouilli, dans son Abbé de l’Epée ! Qui a fait courir tout Paris, semble avoir pris à tâche d’outrager le bon sens, et les premières règles de la comédie. Cette pasquinade faite pour révolter les bons esprits, n’est qu’un tissu d’invraisemblances, et d’invocations à l’éternel et à la providence ; le citoyen Bouilly a oublié une invocation, c’est celle au sens commun.
Quant au drame de Pinto, on peut lui appliquer ce vers de Virgile.
Monstrum, horrendum, informe, ingens cuilumen ademptum.96
Cette note de bas de page est une remarque de l’auteur du recueil qui explicite la situation de la comédie en cette fin de XVIIIe siècle, début XIXe siècle.
La note peut également être une anecdote qui explicite une autre anecdote comme celle sur Tartuffe :
-Version de Grimarest :
Molière laissa passer quelque temps avant que de hasarder une seconde fois la représentation du Tartuffe : et l’on donna pendant ce temps-là Scaramouche Hermite, qui passa dans le Public, sans que personne s’en plaignît. « Mais d’où vient, » dit-on à Mr le Prince défunt, « que l’on n’a rien dit contre cette pièce, et que l’on s’est tant récrié contre le Tartuffe ? -C’est, » répondit ce prince, « que Scaramouche joue le Ciel et la Religion, dont ces Messieurs là ne se soucient guère, et que Molière joue les Hypocrites dans la sienne . »97
-Version du Ménagiana :
On se plaignait devant feu M. le Prince de ce qu’on souffrait que les Comédiens représentassent le Festin de Pierre, qui est une Pièce pleine d’impiété, pendant que l’on faisait défendre le Tartuffe, qui est une Pièce de Morale. M. le Prince dit : c’est que dans la première, on joue la Religion ; et dans l’autre les faux dévots.
Voici comme Molière à la fin de la Préface de son Tartuffe conte la chose. Huit jours après que le Tartuffe eut été défendu, on représenta devant la cour une pièce intitulée Scaramouche* Ermite, et le Roi en sortant dit au grand Prince que je veux dire : Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la Comédie de Molière, ne disent mot de celle de Scaramouche* ? Á quoi le Prince répondit : La raison de cela, c’est que la Comédie de Scaramouche* joue le Ciel et la Religion, dont ces Messieurs ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes ; c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir.98
Nous pouvons remarquer que l’anecdote du Ménagiana est une sorte de résumé de l’anecdote qui suit dans la note de bas de page. Nous constatons que les chutes des deux récits et celle de la note de bas de page se ressemblent fortement. De plus, dans le Ménagiana nous avons une information différente : l’élément déclencheur de ce récit est le fait que l’on joue le Festin de Pierre alors que cette pièce est « pleine d’impiété » et que le Tartuffe, lui, est qualifié de « pièce morale » ne puisse pas être représentée.
La remarque peut prendre également la forme d’un résumé d’une pièce de théâtre comme l’anecdote qui suit :
-Version de Grimarest :
L’habile homme voulait qu’un Auteur comme Molière conduisît son sujet, et remplît noblement, en suivant la nature, le caractère qu’il avait choisi à l’exemple de Térence. On le voit par le jugement que Mr Despréaux fait de Molière dans son Art Poétique :
Ne faites point parler vos acteurs au hasard,Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillardÉtudiez la Cour et connaissez la Ville :L’une et l’autre est toujours en modèles fertile.C’est par là que Molière illustrant ses écrits,Peut-être de son art eût remporté le prix,Si moins ami du peuple en ses doctes peintures,Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,Quitté, pour le bouffon, l’agréable et le fin,Et sans honte à Térence allié Tabarin.Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,Je ne reconnais point l’auteur du Misanthrope, etc. 99
-Version des Anecdotes Dramatiques :
Quand Boileau a reproché à Molière,…......D’avoir à Térence allié Tarabin :Il avait principalement en vue, comme on sait, les Fourberies de Scapin, dont la moitié est prise du Phormion de Térence, et la Scène du Sac empruntée des Farces de Tabarin. On sera peut-être curieux de voir ici l’extrait de deux de ces Farces que Molière connaissait sûrement.
Piphagne, Farce à cinq personnages, en Prose.
Piphagne est un vieillard qui veut épouser Isabelle. Il confie son projet à son Valet, Tarabin, et lui ordonne d’aller acheter des provisions pour le festin des noces. D’un autre côté, Francisquine enferme dans un sac son mari Lucas, pour le dérober à la vue des Sergents qui le cherchent. Elle enferme dans un autre le Valet de Rodomont, qui vient pour la séduire. Sur ces entrefaites, Tabarin arrive pour exécuter sa commission. Francisquine, pour se venger, et de son mari, et du valet de Rodomont, dit à Tabarin que ce sont deux cochons qui sont dans ces sacs, et les lui vend vingt écus. Tabarin prend un couteau de cuisine, délie les sacs, et est fort surpris d’en voir sortir deux hommes. On rit beaucoup de son étonnement : et tous les Acteurs finissent par se battre à coups de bâtons.
Francisquine, seconde Farce.
Lucas veut faire un voyage aux Indes ; mais il est inquiet comment faire garder la vertu de sa fille Isabelle. Il en confie la garde à Tabarin qui promet d’être toujours dessus. Lucas part. Isabelle charge Tabarin d’une commission pour le Capitaine Rodomont, son Amant. Tabarin promet à Rodomot de le faire entrer dans la maison de sa Maîtresse ; et il lui persuade, pour que les voisins ne s’en aperçoivent pas, de se mettre dans un sac. Le Capitaine y consent ; et tout de suite on le porte chez Isabelle. Dans le même temps, Lucas arrive des Indes. Il voit ce sac où est Rodomont ; il le prend pour un ballot de marchandises, et l’ouvre. Il est fort étonné d’en voir sortir Rodomont, qui lui fait croire qu’il ne s’y était caché, que pour ne pas épouser une vieille qui avait cinquante mille écus. Lucas, tenté par une si grosse somme, prend la place du Capitaine, et se met dans le sac. Alors Isabelle et Tabarin paraissent. Rodomont dit à sa Maitresse qu’il a enfermé dans ce sac un voleur, qui en voulait à ses biens et à son honneur. Il prennent tous un bâton, battent beaucoup Lucas, qui trouve enfin le moyen de se faire reconnaitre ; et la Pièce finit.100
L’amplification peut se faire par l’addition de vers d’une pièce de théâtre comme l’anecdote sur la trouvaille du nom de Tartuffe :
- Version du recueil des Anecdotes Dramatiques :
On a ignoré longtemps où Molière avait pris le nom de Tartuffe, qui a fait un synonyme de plus dans notre langue, avec les mots d’Hypocrite et de Faux-Dévot. Voici ce que la Tradition nous apprend à cet égard. Molière se trouvant chez le Nonce du Pape avec deux Ecclésiastiques, dont l’air mortifié et hypocrite rendait assez bien l’idée qu’il avait alors dans la tête, en travaillant à sa Comédie de l’Imposteur, on vint présenter à son Excellence des Truffes à acheter. Un de ces Dévots, qui savait un peu l’Italien, à ce mot de Truffes, sembla, pour les considérer, sortir tout-à-coup du dévot silence qu’il gardait ; et choisissant saintement les plus belles, il s’écriait d’un air riant : Tartufoli, Signor nuntio, Tartufoli. Molière, qui était toujours un Spectateur attentif et observateur, prit de-là l’idée de donner à son Imposteur le nom Tartuffe.101
-Version du Moliérana :
On a longtemps ignoré où Molière avait puisé le nom de Tartuffe, qui a fait un synonyme de plus dans notre langue, aux mots hypocrite, faux dévot, etc.
« Et ton nom paraîtra dans la race future,Aux plus vils imposteurs une cruelle injure. »Voici ce que la tradition nous apprend à cet égard.
Molière, plein de cet ouvrage qu’il méditait, se trouva un jour chez le nonce du pape, avec plusieurs personnes, dont un marchand de truffes vint par hasard animer les physionomies béates et contrites. Tartufoli, signor Nuncio ; tartufoli, s’écriaient les courtisans de l’envoyé de Rome, en lui présentant les plus belles. Attentif à ce tableau, qui peut-être lui fournit encore d’autres traits, il conçut alors le nom de son imposteur d’après le mot de tartuffoli, qui avait fait une si vive impression sur tous les acteurs de la scène.102
Deux vers de la pièce de Racine, Britannicus, ont été ajoutés à l’anecdote. Cette adjonction se fait en amont de l’anecdote, dans la phrase d’introduction.
Nous avons également constaté des citations de vers de Molière comme dans l’anecdote sur le poème sur la fièvre :
-Version des Anecdotes Dramatiques :
La Scène cinquième du troisième Acte de cette Pièce, est l’endroit qui a fait le plus de bruit. Trissotin et Vadius y sont peints d’après Nature. Car l’abbé Cotin était véritablement l’Auteur du Sonnet à la Princesse Uranie. Il l’avait fait pour Madame de Nemours, et il était allé le montrer à Mademoiselle, Princesse qui se plaisait à ces sortes de petits ouvrages ; et qui, d’ailleurs, considérait fort l’Abbé Cotin, jusques-là même, qu’elle l’honorait du nom de son ami. Comme il achevait de lire ses vers, Ménage entra. Mademoiselle les fit voir à Ménage, sans lui en nommer l’Auteur. Ménage les trouva, ce qu’effectivement ils étaient, détestables. Là-dessus, nos deux Poètes se dirent à-peu-près l’un à l’autre, les douceurs que Molière a si agréablement rimées.103
-Version du Moliérana :
Molière n’aimait pas Cotin ; et le ressentiment qu’il avait contre lui, provenait de ce que cet abbé avait cherché à le desservir auprès du duc de Montausier, en insinuant à celui-ci que c’était lui que Molière avait voulu jouer dans le Misanthrope. Aussi l’abbé Cotin, décrie par Boileau comme prédicateur et comme poète, fut joué sur le théâtre, par Molière, comme un mauvais poète, comme un pédant, et ce qui ne peut être jamais permis, à moins que la personne ne soit infâme, comme un mal honnête homme, du moins comme un homme sans délicatesse, et même sans principes.
…. Ce sonnet qui chez une princesse.A passé pour avoir quelque délicatesse.Ce sonnet sur la fièvre qui tient la princesse Uranie, était véritablement de Cotin, et la princesse Uranie était la duchesse de Nemours, sœur du duc de Beaufort. Le voici :
Sonnet à la princesse Uranie,
La querelle entre Trissotin et Vadius, au sujet de ce sonnet, eut réellement lieu entre l’abbé Cotin et Ménage, chez Mademoiselle où Cotin venait réciter son sonnet, lorsque Ménage entra, et en dit du mal de la manière exactement dont le fait est représenté dans les Femmes savantes. Ménage lui-même reconnaît dans une de ses lettres qu’il est le Vadius de cette pièce, et quant à Cotin, il était difficile de le désigner mieux que par un de ses ouvrages104.
Cousin d’Avalon cite deux vers de l’acte III mais aussi le sonnet à la princesse Uranie. Nous supposons que ces citations de pièces de théâtre d’auteurs contemporains ou de Molière lui-même permettent d’exemplifier l’anecdote.
Tous ces phénomènes d’amplification viennent renforcer le cadre du récit. L’amplification est le phénomène le plus récurrent de l’évolution du récit, notre seconde partie en fournira de nombreux exemples.
À l’inverse, certains récits sont réduits au maximum. Tous les moyens d’amplification sont retirés, tous les renforcements du cadre de l’anecdote sont éliminés, ce qui donne une anecdote dépouillée. Prenons par exemple l’anecdote sur les mousquetaires qui entrent dans le théâtre sans vouloir payer, ou encore celle de Molière et de Chapelle revenant d’Auteuil : leur dépouillement permet une meilleure efficacité et facilite la mémorisation.
La plupart des anecdotes, dans leur évolution, combinent les deux phénomènes. Nous appellerons cela « l’effet yoyo ». Nous avons constaté qu’entre chaque ana, certains micro-récits subissent des effets d’amplification puis sont réduits jusqu’à atteindre le « seuil minimal ».
Nous prendrons comme exemple l’anecdote sur Molière et Mauvilain :
Comment êtes-vous avec vôtre Médecin, disait un jour un Seigneur de la Cour à Molière. Nous avons répondit-il, d’agréables conversations ensemble, il me donne des remèdes quand je suis malade, je ne les prends point, & je guéris105.
Depuis ce temps-là Molière n’a pas épargné les Médecins dans toutes les occasions qu’il en a pu amener, bonnes ou mauvaises. Il est vrai qu’il avait peu de confiance en leur savoir ; et il ne se servait d’eux que fort rarement, n’ayant, à ce que l’on dit, jamais été saigné. Et l’on rapporte dans deux livres de remarques que Mr de Mauvilain, et lui, étant à Versailles au dîner du Roi, Sa Majesté dit à Molière : « Voilà donc votre Médecin ? Que vous fait-il ? — Sire », répondit Molière, « nous raisonnons ensemble ; il m’ordonne des remèdes ; je ne les fais point, et je guéris. » On m’a assuré que Molière définissait un Médecin : un homme que l’on paye pour conter des fariboles dans la chambre d’un malade, jusqu’à ce que la nature l’ait guéri, ou que les remèdes l’aient tué. Cependant un Médecin du temps et de la connaissance de Molière veut lui ôter l’honneur de cette heureuse définition, et il m’a assuré qu’il en était l’Auteur. Mr de Mauvilain est le Médecin pour lequel Molière a fait le troisième placet qui est à la tête de son Tartuffe, lorsqu’il demanda au Roi un Canonicat de Vincennes pour le fils de ce Médecin.106
Mauvilain était Médecin de Molière. C’est celui pour lequel ce Poète a fait le troisième Placet qui se voit à la tête de son Tartuffe. Étant tous deux à Versailles au dîner du Roi, Sa Majesté dit à Molière. Voilà donc votre Médecin ? Que vous fait-il ? Nous raisonnons ensemble, répondit Molière, il m’ordonne des remèdes, je ne les fais point, & je guéris. 107
Louis XIV, voyant un jour Molière a son dîné, avec un médecin nommé Mauvillain, lui dit : " vous avez un Médecin, que vous fait-il ? Sire, répondit Molière, nous raisonnons ensemble : il m’ordonne des remèdes ; je ne les fais point ; et je guéris." Mauvillain était ami de Molière, et lui fournissait les termes d’art, dont il avait besoin. Son fils obtint, à la sollicitation de Molière, un Canonicat à Vincennes.108
M.de Mauvilain, médecin, était ami de Molière. Ils se trouvèrent un jour l’un et l’autre à Versailles au diner du roi. Sa majesté dit à Molière : « Voilà donc votre médecin ? Que vous fait-il ? » Sire, répondit Molière, nous raisonnons ensemble ; il m’ordonne des remèdes ; je ne les fais point, et je guéris.109
Cet « effet yoyo » est dû au fait que l’anecdote est un récit facilement altérable, dans le sens où l’on peut ajouter et retirer des indications accessoires sans que le récit principal soit endommagé. En effet, chaque fois que l’anecdote sera contée, le narrateur y ajoutera sa touche personnelle, pour la rendre plus piquante et plus intéressante afin qu’elle semble nouvelle à chaque fois.
Les autres phénomènes que nous avons rencontrés sont beaucoup moins fréquents que les deux premiers. D’un recueil à l’autre, certaines anecdotes peuvent subir ce que l’on nommera un découpage, c’est-à-dire que l’anecdote en formera deux bien distinctes.
Soit l’anecdote de Chapelle qui aurait écrit la scène de Caritidés pour Molière.
-Version du Bolaeana :
Bien des gens ont crû que Chapelle, auteur du voyage de Bachaumont, avait beaucoup aidé Molière dans ses Comédies. Ils étaient certainement fort amis ; mais je tiens de Monsieur Despréaux qui le savait de Molière, que jamais il ne s’est servi d’aucune scène qu’il eût empruntée de Chapelle. Il est bien vrai que dans la Comédie des Fâcheux, Molière étant pressé par le Roi, eut recours à Chapelle pour lui faire la scène de Caritidés, que Molière trouva si froide qu’il n’en conserva pas un seul mot, et donna de son chef cette belle scène que nous admirons dans les Fâcheux. Et sur ce que Chapelle tirait vanité du bruit qui courut dans le monde, qu’il travaillait avec Molière, ce fameux Auteur lui fit dire par Monsieur Despréaux qu’il ne favorisât pas ces bruits-là ; que autrement il l’obligerait à montrer sa misérable scène de Caritidés, où il n’avait pas trouvé la moindre lueur de plaisanterie. Monsieur Despréaux disait de ce Chapelle, qu’il avait certainement beaucoup de feu, et bien du goût tant pour écrire que pour juger ; mais qu’à son voyage près, qu’il estimait une pièce excellente, rien de Chapelle n’avait frappé les véritables connaisseurs, toutes ses autres petites Pièces de Poésies étant informes et négligées, et tombant souvent dans le bas, témoin ses vers sur l’Éclipse, où il finit par ce quolibet, Gare le pot au noir, et fait venir, comme par machines, Juste Lipse, afin de trouver une rime à Éclipse. Cependant c’était ce même Chapelle qui donnait le ton à tous les beaux esprits, comme à tous les Ivrognes du Marais ; on prenait son attache pour débiter dans le beau monde des vers prétendus Anacréontiques, où régnaient, disait-on, le plus beau naturel et les plus heureuses négligences. 110
-Version des Anecdotes Dramatiques :
Bien des gens ont cru que Chapelle, Auteur du Voyage de Bachaumont, avait beaucoup aidé Molière dans ses Comédies. Ils étaient certainement fort amis ; mais on tient de M. Despréaux qui le savait de Molière, que jamais il ne s’est servi d’aucune Scène qu’il eût empruntée de Chapelle. Il est bien vrai que dans la Comédie des Fâcheux, Molière, étant pressé par le Roi, eut recours à Chapelle* pour lui faire la Scène qu’il eût empruntée de Chapelle. Il est bien vrai que dans la Comédie des Fâcheux, Molière, étant pressé par le Roi, eut recours à Chapelle pour lui faire la Scène de Caritidés, que Molière trouva si froide qu’il n’en conserva pas un seul mot, et donna de son chef cette belle Scène que nous admirons dans les Fâcheux. Et sur ce que Chapelle tirait vanité du bruit qui courut dans le monde qu’il travaillait avec Molière, ce fameux Auteur lui fit dire par M. Despréaux qu’il ne favorisât pas ces bruits-là ; que autrement il l’obligerait à montrer sa misérable Scène de Caritidés, où il n’avait pas trouvé la moindre lueur de plaisanterie. M. Despréaux disait de ce Chapelle, qu’il avait certainement beaucoup de feu, et bien du goût, tant pour écrire que pour juger ; mais qu’à son Voyage près, qu’il estimait une Pièce excellente, rien de Chapelle n’avait frappé les véritables connaisseurs, toutes ses autres petites Pièces de Poésies étant informes et négligées, et tombant souvent dans le bas ; témoin ses vers sur l’Éclipse, où il finit par ce quolibet, Gare le Pot au noir : et fait venir, comme par machine, Juste-Lispe, afin de trouver une rime à Éclipse.111
Cependant c’était ce même Chapelle qui donnait le ton à tous les beaux-esprits, comme à tous les ivrognes du Marais ; on prenait son attache pour débiter dans le beau monde des vers prétendus anacréontiques, où régnaient, disait-on, le plus beau naturel et les plus heureuses négligences.112
Nous constatons que l’anecdote a simplement été coupée au niveau du terme « Eclipse ». En effet, dans la présentation des Anecdotes dramatiques, les deux morceaux sont séparés par un saut de ligne et le second morceau s’ouvre par un alinéa, ce qui signifie que nous sommes bien en présence d’une seconde anecdote. La seconde partie de l’anecdote ressemble fortement à un commentaire du narrateur.
Pour ce phénomène, il existe également le phénomène inverse, c’est-à-dire que nous pouvons trouver deux anecdotes qui dans un autre recueil ne formeront plus qu’une seule et même anecdote.
La microstructure de l’anecdote peut également évoluer. De nombreux micro-récits subissent une ou plusieurs amplifications. Elles sont généralement faites par l’adjonction de propositions accessoires :
-Soit la version des Anecdotes Dramatiques :
Le père de Molière, fâché du parti que son fils avait pris d’aller dans les Provinces jouer la Comédie, le fit solliciter inutilement par tout ce qu’il avait d’amis, de quitter cette pensée. Enfin il lui envoya le Maître chez qui il l’avait mis en pension pendant ce temps-là, il pourrait le ramener à son devoir ; mais bien loin que cet homme l’engageât à quitter sa profession, le jeune Molière lui persuada de l’embrasser lui-même, et d’être le Docteur de leur Comédie ; lui représentant que le peu de Latin qu’il savait, le rendrait capable d’en bien faire le personnage, et que la vie qu’il mèneraient, serait bien plus agréable que celle d’un homme qui tient des Pensionnaires.113
La version de Cousin d’Avalon :
Perrault dit, dans ses Hommes Illustres, que le père de Molière, fâché du parti que son fils avait pris d’aller dans les provinces jouer la comédie, le fit solliciter inutilement par tout ce qu’il avait d’amis, de quitter cette pensée. Enfin, il lui envoya le maître chez qui il l’avait mis en pension pendant les premières années de ses études, espérant que par l’autorité que son maître avait eue sur lui pendant ce temps là, il pourrait le ramener à son devoir ; mais bien loin que ce bonhomme lui persuadât de quitter sa profession, le jeune Molière lui persuada de l’embrasser lui-même, et d’être le docteur de la comédie ; lui ayant représenté que le peu de latin qu’il savait le rendrait capable d’en bien faire le personnage, et que la vie qu’ils mèneraient serait bien plus agréable que celle d’un homme qui tient des pensionnaires.114
La proposition accessoire est ici une apposition. Elle permet d’amplifier l’anecdote. Notre hypothèse reste la même : ces différents phénomènes sont utilisés pour renouveler l’anecdote. Ces effets d’amplification, de réduction, de découpage et de collage permettent un renouvellement du récit donc de susciter l’attention du lecteur. Même si ce dernier connaissait déjà le récit, il sera toujours intéressé par de nouvelles informations qu’il pourra après utiliser au détour d’une conversation.
Conclusion §
Pour conclure, le Moliérana est un recueil d’ana anthologique sur Molière ne contenant qu’une partie des micro-récits relatifs à ce dernier. Ces micro-récits, souvent nommés par des métaphores culinaires, ont une structure commune et repérable. L’anecdote peut être indépendante et détachable. Nous utiliserons une métaphore végétale pour désigner l’anecdote ; nous la voyons comme une mauvaise herbe, non dans le sens où elle apporterait un mauvais jugement sur le personnage principal mais dans le sens où elle s’étend, se propage et perdure dans le temps à cause des divers narrateurs qui la content.
Nous supposons que l’anecdote par cette facilité d’évolution et de mémorisation peut influencer l’image que l’on se fait du personnage principal. Il serait donc intéressant d’étudier cette influence. Toutes ces anecdotes ont sûrement influencé notre vision. Nous pensons ainsi que certaines anecdotes sont à l’origine de plusieurs mythes sur Molière comme celui de Molière mauvais comédien de tragédie115 ou encore celui de la naissance de la vocation de Molière116.
Certains de ces mythes, comme celui de Molière cocu, ont au contraire pu naître de la lecture de ses pièces.
Nous supposons aussi que Pierre Louis aurait basé sa thèse sur une anecdote. Nous n’avons malheureusement pas trouvé cette anecdote.
Les Anas §
- 1667, Perroniana sive excerpta ex ore cardinalis Perronii, Genève.
- 1693, Ménagiana, ou bons mots, rencontres agréables, pensées judicieuses, et observations curieuses de M. Ménage, Amsterdam.
- 1694, Les Paroles remarquables, les bons mots, et les maximes des orientaux, Paris.
- 1694, Arliquiniana ou les bons mots, les histoires plaisantes et agréables recueillies des conversations d’Arlequin, Lyon.
- 1694, Sorbierana sive execerpta ex ore Samuël Sorbiere, Toulouse.
- 1695, Valesiana ou les pensées critiques, historiques et morales, et les poésies latines de Monsieur de Valois, Paris.
- 1699, Parrhasiana ou pensées diverses sur des matières de critique d’histoire, de morale, et de politique, Amsterdam.
- 1700, Chevraeana, ou diverses pensées d’histoire, de critique, d’érudition et de morale. Recueillies et publiés par Mr Chevreau, Amsterdam, 1700.
- 1701, Vigneul-Marville : Mélanges d’histoire et de littérature, premier volume, Paris.
- 1703, Le Naudaeana et Patiniana, ou singularitez remarquables, prises des conversations de Mess. Naude et Patin, Amsterdam.
- 1704, Furetiriana, ou les bons mots, et les remarques, d’histoire de morales, de critique, de plaisanterie, et d’érudition, de Mr Furetier, Paris.
- 1705, Grimarest, Sieur de : La Vie de M. de Molière.
- 1708, Vasconiana ou recueil des bons mots, des pensées les plus plaisantes et des rencontres les plus vives des Gascons, Paris.
- 1710, Vasconiana ou recueil des bons mots, des pensées les plus plaisantes et des rencontres les plus vives des Gascons, seconde édition augmentée, Paris.
- 1710, Saint Evremoniana ou recueil de diverses pieces curieuses, avec des pensées judicieuses, de beaux traits d’histoire, et des remarques très utiles de Monsieur de Saint-Evremont, Caen.
- 1715, Ménagiana, ou les bons mots et remarques critiques, historiques, morales et érudition, de Monsieur Ménage, recueillies par ses Amis, tome premier et second, Paris.
- 1721, Segraisiana ou mélange d’histoire et de littérature. Recueilli des entretiens de Monsieur de Segrais de l’Académie françoise, Paris.
- 1722, Baillet, Adrien : Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des auteurs, tome cinquième, Paris, 1722.
- 1723, Huetiana, ou pensées diverses de M. Huet, evesque d’Avranche, Amsterdam.
- 1723, Segrais : « Memoires, anecdotes de Mr de Segrais », dans Œuvres diverses de M. de Segrais, tome I, Amsterdam.
- 1730, **** Ana ou bigarrures calotines, Paris.
- 1730, Anonimiana ou mélanges de poésies d’éloquence et d’érudition, Paris.
- 1740, Scaligerana, Thuana, Perroniana, Pithoeana et Colomesiana ou remarques historiques, critiques, morales, et littéraire de Jos. Scaliger, J. Aug. De Thou, le cardinal du Perron, Fr. Pithou, et P. Colomiés avec les notes de plusieurs savans, 2 tomes, Amsterdam.
- 1741, Carpentariana ou remarques d’histoire, de morale, de critique, d’érudition et de bons mots de Mr Charpentier de l’Académie françoise, Paris.
- 1742, Bolaeana, ou bons mots de M. Boileau avec les poésies de Sanlecque, etc, Amsterdam
- 1742, « Santoliana, ou les bons Mots de Monsieur de Santeuil », dans La Vie et les bons mots de Monsieur de Santeuil, tome premier, Cologne, p. 29-178.
- 1754, Longueruana ou recueil de pensées de discours et de conversations, partie I et II, Berlin.
- 1775, Clément et Laporte : Anecdotes dramatiques, 3 tomes, Paris.
- 1801, Cousin d’Avalon, Charles-Yves : Moliérana ou recueil d’aventures, anecdotes, bons mots et traits plaisans de Pocquelin, de Molière, Paris.
Préface §
Tous ceux qui ont donné des éditions des œuvres de Molière, les ont fait précéder de la vie de cet illustre comique. De toutes ces vies comparées les unes aux autres, aucune n’a la même physionomie. Ceux-ci ont fait un roman ; ceux-là, plus scrupuleux, ont fait un abrégé si court qu’il est impossible de reconnaître l’auteur du Misanthrope.
C’est pour remplir ces lacunes que nous avons composé cet ana. Après une esquisse rapide de la vie de Molière et un catalogue raisonné, mais court, de ses pièces de théâtre, on développe par la série des faits et anecdotes, toutes les omissions faites à dessein ou par ignorance.
On sera étonné d’apprendre des particularités inconnues jusqu’à présent sur cet homme célèbre. On le suivra avec plaisir au milieu de la société, où il épie les ridicules pour les mettre en scène, et on le verra avec peine, dans l’intérieur de sa maison, tourmenté par une femme acariâtre et galante en même temps, qui jeta le dégoût et l’amertume sur ses jours, et les abrégea.
Molière était original, et son caractère d’originalité perce sur le théâtre comme dans la société. Élève d’un célèbre philosophe (Gassendi*), il mit ses leçons en pratique ; profond dans la connaissance du cœur humain, il en développa les ressorts avec une sagacité étonnante ; bon et humain, il sema ses bienfaits sans ostentation, et n’en chercha de récompense que dans son cœur. Il eût ses défauts, car quel homme en est exempt ? Mais ils furent voilés par les excellentes qualités qui ont fait le bon citoyen et l’honnête homme.
Vie de Molière §
Jean-Baptiste Pocquelin naquit en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des halles. Son père Jean-Baptiste Pocquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand fripier, et Anne Boulet sa mère, lui donnèrent une éducation trop conforme à leur état ; il resta jusqu’à quatorze ans dans leur boutique, n’ayant rien appris, outre son métier, qu’un peu à lire et écrire. Ses parents tinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son génie l’appelait ailleurs.
Pocquelin avait un grand père qui aimait la comédie, et qui le menait quelquefois à l’hôtel de Bourgogne*. Le jeune homme sentit bientôt une aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l’étude se développa, il pressa son grand père d’obtenir qu’on le mît au collège, et il arracha enfin le consentement de son père qui le mit dans une pension, et l’envoya aux Jésuites.
Il y étudia cinq années, et suivit le cours des classes du premier prince de Conti*, qui depuis fut le protecteur des lettres et de Molière.
Il y avait alors dans ce collège, deux enfants qui eurent depuis beaucoup de réputation dans le monde. C’était Chapelle* et Bernier* : Gassendi* était chargé de leur éducation.
Ce dernier ayant démêlé de bonne heure le génie de Pocquelin, l’associa aux études de Chapelle* et de Bernier*. Le jeune Pocquelin fit des progrès étonnants, et s’attira en même temps l’estime et l’amitié de son maître.
Son père étant devenu infirme et incapable de servir, il fut obligé d’exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. Il suivit Louis XIII : dans Paris, sa passion pour la comédie qui l’avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force.
Le théâtre qui commençait à fleurir alors, détermina Pocquelin à s’associer avec quelques jeunes-gens qui avaient du talent pour la déclamation. Ils jouaient au faubourg St. Germain et au quartier St. Paul. Cette société éclipsa bientôt toutes les autres. Ce fut alors que Pocquelin, sentant son genre, résolut de s’y livrer tout entier, d’être à-la-fois comédien et auteur. Il prit le nom de Molière, et il ne fit, en changeant de nom, que suivre l’exemple des comédiens d’Italie et de ceux de l’hôtel de Bourgogne*.
Molière fut ignoré pendant tout le temps que durèrent les guerres civiles en France. Il employa ces années à cultiver son talent, et à préparer quelques pièces ; il en fit alors pour la province, plusieurs en prose qui sont aujourd’hui absolument ignorées.
La première pièce régulière qu’il composa, fut l’Étourdi ; il représenta cette comédie à Lyon, en 1658. Il y avait dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée, dès que celle de Molière parut.
Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent à Molière, et il partit de Lyon pour les états de Languedoc, avec une troupe assez complète, composée principalement des deux frères nommés Gros-Resné, de Duparc, d’un pâtissier de la rue St. Honoré, de la Duparc* de la Béjart et de la Debrie117*.
Le prince de Conti* qui tenait les états Languedoc, à Béziers, se souvint de Molière qu’il avait vu au collège ; il lui donna une protection distinguée. Il joua devant lui l’Étourdi, le Dépit Amoureux et les Précieuses Ridicules.
Molière avait alors 34 ans.
Après avoir couru quelque temps toutes les provinces, il vint enfin à Paris en 1658. On permit à sa troupe de s’y établir ; ils s’y fixèrent, et partagèrent le théâtre du Petit-Bourbon*, avec les comédiens Italiens qui en étaient en possession, depuis quelques années.
La troupe de Molière prit le titre de la troupe de Monsieur, qui était son protecteur ; deux ans après, en 1650, il leur accorda la salle du Palais-Royal. Cette troupe eut la jouissance de cette salle jusqu’à la mort de son chef.
Depuis l’an 1658, jusqu’en 1673, c’est-à-dire en quinze années de temps, Molière donna toutes ses pièces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique, mais il n’y réussit pas ; il avait une volubilité118 dans la voix et une espèce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant.
Molière se fit dans Paris un très grand nombre de partisans, et presque autant d’ennemis. Louis XIV, qui avait un goût naturel et l’esprit très-juste, sans l’avoir cultivé, ramena souvent par son approbation la cour et la ville aux pièces de Molière.
Il eut des ennemis cruels, surtout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales, ils suscitèrent contre lui les dévots119, on lui imputa des livres scandaleux ; on l’accusa d’avoir joué des hommes puissants, tandis qu’il n’avait joué que les vices en général, et il eut succombé sous ces accusations, si ce même roi, qui encouragea et soutint Racine et Despréaux, n’eut pas aussi protégé Molière.
Il n’eut à la vérité qu’une pension de mille livres. La fortune qu’il fit par le succès de ses ouvrages, le mit en état de n’avoir rien de plus à souhaiter ; ce qu’il retirait du théâtre avec ce qu’il avait placé, allait à 30000 livres de rente, somme qui en ce temps-là faisait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d’aujourd’hui.
Il faisait de son bien un usage noble et sage ; il recevait chez lui des hommes de la meilleure compagnie, les Chapelles*, les Jonsac, les Desbarreaux, et qui joignirent la volupté à la philosophie. Il avait une maison de campagne à Auteuil, où il se délassait avec eux des fatigues de sa profession.
Molière employait une partie de son revenu en libéralités. Il encourageait souvent par des présents considérables, de jeunes acteurs, sans fortune, dans lesquels il remarquait du talent. Il engagea le jeune Racine, qui sortait de Port-Royal, à travailler pour le théâtre. Dès l’âge de 19 ans, il lui fit composer la tragédie de Théagène et Cariché, et quoique cette pièce fût trop faible pour être jouée, il fit présent au jeune acteur de cent louis, et lui donna le plan des frères ennemis.
Il éleva et il forma un autre homme, qui par la supériorité de ses talent, et par les dons singuliers qu’il avait reçus de la nature, a mérité d’être connu de la postérité, c’était le comédien Baron* qui a été l’unique dans la tragédie et la comédie. Molière en prit soin comme de son propre fils.
Molière, heureux par ses succès et ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison ; il avait épousé en 1661, une jeune fille née de la Béjart, et d’un gentilhomme nommé Modène*. La disproportion d’âge, et les dangers auxquels une comédienne jeune et belle est exposée, rendirent ce mariage malheureux, et Molière tout philosophe qu’il était d’ailleurs, essuya dans son domestique les dégoûts, les amertumes et quelquefois les ridicules qu’il avait si souvent joués sur le théâtre.
La dernière pièce qu’il composa fut le Malade imaginaire ; il y avait quelque temps que sa poitrine était attaquée, et qu’il crachait quelquefois du sang ; le jour de la troisième représentation, il se sentit plus incommodé qu’auparavant ; on lui conseilla de ne point jouer ; mais il voulut faire un effort sur lui-même, et cet effort lui coûta la vie.
Il lui prit une convulsion en prononçant Juro, dans le divertissement de la réception du Malade Imaginaire, il acheva la représentation. On le rapporta mourant chez lui, rue de Richelieu, où il mourut quelques instants après, entre les bras de ses deux sœurs, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 février 1673, âgé de 53 ans. Il ne laissa qu’une fille qui avait beaucoup d’esprit, et sa veuve épousa le comédien Guérin*.
On refusa de l’enterrer ; mais le roi qui le regrettait, pria l’archevêque de Paris de lui faire donner la sépulture dans une église. Son corps fut porté à St. Joseph, rue Montmartre, où il fut mis derrière l’autel.
Comme dans cette vie de Molière on ne s’est point étendu sur les pièces de théâtre de cet illustre comique, on y suppléera par le tableau suivant, où l’on verra d’un seul coup d’œil, la date de la première représentation de chaque pièce, et le jugement qu’on en doit porter120.
121L’étourdi, ou les Contre-Temps, comédie en cinq actes en vers, représentée à Paris, sur le théâtre du Petit-Bourbon, le 3 décembre 1758122.
On remarque dans cette pièce de la froideur dans les personnages, des scènes peu liées entre elles, des expressions incorrectes. Ces défauts sont couverts par une variété qui tiennent le spectateur en haleine, et l’empêchent de trop réfléchir sur ce qui pourrait le blesser123.
Le Dépit Amoureux, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, la même année.124
Trop de complicité dans le nœud, et peu de vraisemblance dans le dénouement ; mais une source de vrai comique, et des traits également ingénieux et plaisants.
Les Précieuses Ridicules, comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre, le 18 novembre 1659.
Cette pièce, quoique mal intriguée, est un des chef-d’œuvre de Molière ; on y trouve une critique fine et délicate des mœurs et des ridicules de son temps.
Sganarelle125, ou le Cocu Imaginaire, comédie en 3 actes et en vers représentée sur le même théâtre, le 28 mars 1660.126
Tout, dans cette pièce, semble annoncer qu’elle est moins faite pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude ; mais une sorte d’intérêt né du sujet, et une plaisanterie gaie compensent ce qui s’y présente de défectueux.
Dom Garcie de Navarre, ou le Prince Jaloux, comédie héroïque en cinq actes et en vers, représentée à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 4 février 1661.
Cette pièce imitée de l’Espagnol, n’eut aucun succès. Le fond en est vicieux.
L’école des Maris, comédie en 3 actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 24 juin 1661.
Cette pièce simple, claire, est féconde en incidents, qui développés avec art, amènent un des plus beaux dénouements qu’on ait vu sur le théâtre français.
Les Fâcheux, comédie-ballet, en 3 actes et en vers, représentée sur le même théâtre le 4 novembre de la même année.
Cette espèce de comédie est presque sans nœud, ni liaison dans les scènes ; mais elle brille par la vérité des portraits, et par l’élégance toujours soutenue du style.
L’École des Femmes, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, le 28 décembre 1662.127
Les ressorts cachés de cette pièce, produisent un mouvement brillant. Les caractères sont inimitables, et le jeu des personnages subalternes sont autant de coups de maître.
La Critique de l’École des Femmes, comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre le premier juin 1663.
Image fidèle d’une partie de la vie civile. Copie du langage et du caractère des conversations ordinaires des personnes du monde.
L’impromptu de Versailles, comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre, le 4 novembre de la même année.
Espèce de vengeance exercée par Molière contre Boursault* : du comique.
La Princesse d’Élide, comédie-ballet (le premier acte et la première scène du second en vers, le reste en prose,) représentée sur le même théâtre le 9 novembre de la même année.128
Cette pièce faite à la hâte, décèle la finesse dans le développement des sentiments du cœur, et l’art employé dans la peinture de l’amour-propre, et de la vanité des femmes.
Fêtes de Versailles, en 1664.
Le Mariage Forcé, comédie-ballet, en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre le 15 novembre de la même année129.
Dom Juan ou le Festin de Pierre, comédie en 5 actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 15 février 1665.
Pièce imitée de l’Espagnol, et qu’on ne peut qualifier du nom de comédie.
L’Amour médecin, comédie en 3 actes et en prose, avec un prologue, représentée sur le même théâtre, le 22 septembre de la même année.
Ridicule jeté à pleines mains sur les médecins. Peu d’intrigue, et action peu soutenue.
Le Misanthrope, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris, sur le même théâtre, le 4 juin 1666.
Chef d’œuvre de la comédie ancienne et moderne. L’intrigue n’est pas vive, mais les nuances sont fines.
Le Médecin malgré lui, comédie en 3 actes et en prose, représentée à Paris sur le même théâtre, le 6 août de la même année.
Petite pièce faite pour amuser, et qui a toujours été applaudie par le peuple.130
Mélicerte, pastorale héroïque en vers, représentée à Saint-Germain en Laye, au moins de décembre de la même année, dans le ballet des Muses.
La scène du second acte entre Mirtil et Mélicerte, est remarquable par la délicatesse des sentiments, et par la simplicité de l’expression.
Fragment d’une pastorale comique, représentée dans la même ville et la même année, dans le ballet des Muses, à la suite de Mélicerte.
Ce fragment suffit pour faire admirer la fécondité et l’étendue du génie de Molière, qui savait se plier à tant de manières, et se prêter à tous les genres.
Le Sicilien, ou l’Amour peintre, comédie-ballet, en un acte et en prose, représentée sur le théâtre de Palais royal, le 10 juin 1667.
Petite comédie d’intrigue, dialogue fin, et peinture vive de l’amour.
Le Tartuffe, ou l’Imposteur, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, le 5 août 1667, et depuis, sans interruption, le 5 février 1669.
L’hypocrisie y est parfaitement dévoilée, les caractères en sont aussi variés que vrais, le dialogue également fin et naturel.
Amphitrion, comédie en trois actes et en vers, avec un prologue, représentée à Paris sur le même théâtre, le 13 juin 1668131.
Comédie imitée de Plaute et supérieure à son modèle : respecte moins les bienséances que le Tartuffe, et faire rire davantage.
L’Avare, comédie en cinq actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 9 septembre de la même année.
Autre imitation de Plaute. L’Avare est un peu outré ; mais le vulgaire ne peut être ému que par des traits marqués fortement.
Georges Dandin, ou le Mari confondu, comédie en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 9 novembre de la même année.
Pièce d’un comique plus propre à divertir qu’à instruire, quoiqu’il y ait plusieurs ridicules exposés fortement.
Fête de Versailles, an 1668.
Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet, en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 15 novembre de la même année.
Ton peu noble, mais du comique.132
Les Amants magnifiques, comédie-ballet, en cinq actes et en prose, représentée à Saint-Germain en Laye, au moins de février 1670.
Comédie qui n’est pas sans beauté pour ceux qui savent se reporter aux lieux, aux temps et aux circonstances, dont ces sortes de divertissements tirent leur plus grand prix.
Le Bourgeois gentilhomme, comédie en cinq actes et en prose, représentée sur le théâtre du Palais royal, le 29 novembre de la même année.133
Peinture fidèle du ridicule commun à tous les hommes, dans tous les états. De la gaîté et du comique.
Les Fourberies de Scapin, comédie en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 24 mai 1671.
Dans le sac ridicule où Scapin s’enveloppe,je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope.
Quoique le comique qui caractérise cette pièce, soit d’un ordre inférieur, on ne peut s’empêcher cependant d’y applaudir.
Psyché, tragédie-ballet, en cinq actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 24 juillet de la même année.
Malgré l’irrégularité de la conduite de cette pièce, elle plaît par un grand nombre de traits, et sur-tout par le tour neuf et délicat de la déclaration de l’amour à Psyché
Les Femmes savantes, comédie en cinq actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 11 mars 1672.
Satyre ingénieuse du faux bel esprit et de l’érudition pédantesque. Les incidents n’en sont toujours pas bien combinés ; mais le sujet quoique aride en lui-même, y est présenté sous une face très-comique.
La Comtesse d’Escarbagnas, comédie-ballet, en plusieurs actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 8 juillet de la même année.
Peinture simple des ridicules qui étaient alors répandus dans la province, d’où ils ont été bannis à mesure que le goût et la politesse s’y sont introduits.
Pastorale comique.
Le Malade Imaginaire, comédie-ballet, en trois actes en prose, avec un prologue, représentée sur le même théâtre, le 10 février 1673.
Comique d’un ordre inférieur ; mais peinture vraie de la galanterie et du pédantisme des médecins.
Remerciement au roi.
La Gloire du Val-de-Grâce.
[Anecdotes] §
[1, p. 33134] §
Mademoiselle Poisson, fille du Ducroisy, comédien de la troupe de Molière, fait ainsi le portrait de l’auteur du Misanthrope et du Tartuffe.
« Il n’était (Molière) ni trop gras, ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle ; il marchait gravement, avait l’air très-sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu’il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. A l’égard de son caractère, il était doux, complaisant, généreux. Il aimait fort à haranguer ; et quand il lisait ses pièces aux comédiens, il voulait135 qu’ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leurs mouvements naturels. »
[2, p. 34-35] §
On prétend que le Prince de Conti* voulut prendre le jeune Molière pour son secrétaire, et qu’heureusement pour la gloire du théâtre français, Molière eut le courage de préférer son talent à un poste honorable. Je suis, dit-il, un acteur passable, et je serais peut-être un fort mauvais secrétaire. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince et au comédien.
[3, p. 35] §
Le fameux comte de Grammont136 a fourni à Molière l’idée de son Mariage forcé. Ce seigneur, pendant son séjour à la cour d’Angleterre, avait aimé mademoiselle Hamilton. Leurs amours avaient même fait du bruit ; il repassait en France sans avoir rien conclu avec elle. Les deux frères de la demoiselle le joignirent à Douvres, dans le dessein de faire avec lui le coup de pistolet. Du plus loin qu’ils l’aperçurent, ils lui137 crièrent : Comte de Grammont, n’avez-vous rien oublié à Londres ? Pardonnez-moi, répondit le comte, qui devinait leur intention, j’ai oublié d’épouser votre sœur, et j’y retourne avec vous pour finir cette affaire.138
[4, p. 36] §
Les mousquetaires, les gardes du corps, les gendarmes, les chevau-légers139 entraient à la comédie sans payer, et le parterre en était toujours rempli ; de sorte que Molière, pressé par les comédiens, obtint un ordre du roi pour qu’aucune personne de sa maison n’entrât sans pays. Ces messieurs, indignés, forcèrent la porte de la comédie, tuèrent les portiers, et cherchèrent la troupe entière pour lui faire éprouver le même traitement : mais Béjart, qui était habillé en vieillard pour la pièce qu’on allait jouer, se présenta sur le théâtre : Eh, messieurs, leur dit-il, épargnez un pauvre vieillard de soixante-quinze ans, qui n’a plus que quelques jours à vivre. Les paroles de ce jeune comédien, qui avait profité de son habillement pour parler à ces mutins, calmèrent leur fureur. Molière tint ferme, et l’ordre du roi fut depuis respecté.140
[5141, p. 37] §
Molière était désigné pour remplir la première place vacante à l’académie française. La compagnie s’était arrangée au sujet de sa profession. Molière n’aurait plus joué que dans les rôles de haut comique : mais sa mort inattendue le priva d’une place bien méritée, et l’académie d’un sujet si propre à la bien remplir.
[6142, p. 37-38] §
Molière se présenta un jour pour faire le lit du roi. Un autre valet de chambre, qui le devait faire avec lui, se retira brusquement, en disant qu’il ne le ferait point avec un comédien Bellocq143, autre valet de chambre, homme de beaucoup d’esprit, et qui faisait de très-jolis vers, s’approcha dans le moment, et dit : « Monsieur de Molière, voulez-vous que j’aie l’honneur de faire le lit du roi avec vous ? » Cette aventure vint aux oreilles du roi, qui fut très-mécontent qu’on eût témoigné du mépris à Molière.
[7144, p. 38] §
L’Amour médecin est le premier ouvrage où Molière ait attaqué les médecins. Il logeait chez un médecin, dont la femme extrêmement avare, dit à madame de Molière qu’elle voulait augmenter le loyer de la portion de maison qu’elle occupait. Celle-ci ne daigna pas seulement l’écouter, et son appartement fut loué à un autre. Molière épousa, en cette occasion, la passion de sa femme y attaqua le médecin. Depuis ce temps-là il n’a cessé de verser le ridicule sur la médecine. Il définissait un médecin, un homme que l’on paye pour conter des fariboles dans la chambre d’un malade, jusqu’à ce que la nature l’ait guéri, ou que les remèdes l’aient tué.
[8145, p. 39-40] §
Il y a une anecdote assez plaisante au sujet de la chanson
Qu’ils sont doux,Bouteille, ma mie, etc146.
que chante Sganarelle dans le Médecin malgré lui. M. Rose147, de l’académie française, et secrétaire du cabinet, fit des paroles latines sur cet air, d’abord pour se divertir, et ensuite pour faire une petite pièce à Molière, à qui il reprocha, chez le Duc de Montausier*, d’être plagiaire ; ce qui donna lieu à une vive et plaisante dispute. M. Rose soutint toujours, en chantant les paroles latines, que Molière les avait traduites en français, d’une épigramme latine, imitée de l’anthologie. Voici ces paroles :
Quam dulcesAmphora amoena !Quam dulcesSunt tuae voces !Dum fundis merum in calices,Utinam esses plena !Ah ! Ah ! Cara mea lagena,Vacua cur jaces ?
[9, p. 41] §
Lorsque Molière se préparait à donner son George Dandin, un des ses amis lui fit entendre qu’il y avait dans le monde un Dandin qui pourrait se reconnaître dans la pièce, et qui était en état, par sa famille, non seulement de le décrier, mais encore de le desservir dans le monde. Vous avez raison, dit Molière à son ami ; mais je sais un moyen sûr de me concilier l’homme dont vous me parlez ; j’irai lui dire ma pièce. Au spectacle où il était assidu, Molière lui demanda une de ses heures perdues pour lui faire la lecture. L’homme en question se trouva si honoré de ce compliment, que, toutes affaires cessantes, il donna parole pour le lendemain ; et il courut tout Paris pour tirer vanité de la lecture de cette pièce. Molière, disait-il à tout le monde, me lit ce soir une comédie ; voulez-vous en être ? Molière trouva de nombreuse assemblée, et mon homme qui présidait. La pièce fut jouée, personne ne la faisait mieux valoir que celui qui aurait pu s’en fâcher, une partie des scènes que Molière avait traitées dans sa pièce, lui étant arrivées. Ce secret de faire passer sur le théâtre des traits un peu hardis, a été trouvé si bon que plusieurs acteurs l’ont mis en usage depuis avec succès.148
[10, p. 41] §
Dans une préface que les Anglais ont mise à la tête d’une traduction de Molière, ils comparent les ouvrages de ce grand comique à un gibet. Le vice, dit-on, et le ridicule y ont été exécutés, et y demeurent exposés comme sur le grand chemin, pour servir d’exemple.149
[11, p. 42] §
Lorsque Molière fait dire à Chrisalde, dans L’École des femmes, acte premier, scène première :
Je suis un paysan qu’on appelle gros Pierre,Qui n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,Y fit, tout à l’entour, faire un fossé bourbeux,Et de monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux.150
Il eut en vue Thomas Corneille, qui, après avoir porté long-temps le nom de Corneille le jeune, se fit appeler dans la suite Corneille de l’Isle.151
[12, p. 43-44] §
Le Bourgeois gentilhomme fut joué la première fois à Chambord. Le roi n’en dit pas un mot, et tous les courtisans en parlèrent avec le dernier mépris. Le déchaînement était si grand, que Molière n’osait se montrer. Il envoyait Baron à la découverte, qui lui rapportait toujours de mauvaises nouvelles. Au bout de cinq à six jours, on joua cette pièce pour la seconde fois. Après la représentation, le roi, qui n’avait pas encore porté son jugement, dit à Molière : « Je ne vous ai point parlé de votre pièce à la première représentation parce que j’ai appréhendé d’être séduit par la manière dont elle a été représentée ; mais, en vérité, Molière, vous n’avez encore rien fait qui m’ait mieux diverti ; et votre pièce est excellente. » Aussitôt l’auteur fut accablé de louanges par les courtisans, qui répétaient, tant bien que mal, ce que le roi venait de dire à l’avantage de cette pièce.152
[13, p. 44] §
J’étais à la première représentation des Précieuses Ridicules de Molière, dit Ménage, et tout l’hôtel de Rambouillet s’y trouva. La pièce fut jouée avec un applaudissement général. Au sortir de la comédie, prenant M. Chapelain par la main : monsieur, lui dis-je, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d’être jouées si finement, et avec tant de bon sens ; mais, croyez-moi, pour me servir de ce que Saint Remi dit à Clovis : Il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé.
[14, p. 44-45] §
Un jour que l’on représentait cette pièce [Les Précieuses ridicules], un vieillard s’écria du milieu du parterre : Courage, courage, Molière ! Voilà la bonne comédie (I).153
(I) On n’aura pas la satisfaction aujourd’hui d’adresser à nos comiques le même éloge. Depuis le fameux drame de Pinto154, jusqu’à l’Abbé de l’Epée, la comédie n’est plus qu’une suite de scènes décousues, sans intérêt, et sans situations comiques. Le citoyen Bouilly, dans son Abbé de l’Epée155 qui a fait courir tout Paris, semble avoir pris à tâche d’outrager le bon sens, et les premières règles de la comédie. Cette pasquinade156 faite pour révolter les bons esprits, n’est qu’un tissu d’invraisemblances, et d’invocations à l’éternel et à la providence ; le citoyen Bouilly a oublié une invocation, c’est celle au sens commun.
Quant au drame de Pinto, on peut lui appliquer ce vers de Virgile.
Monstrum, horrendum, informe, ingens cui lumen ademptum. 157
[15, p. 45-46] §
Molière avait commencé à traduire Lucrèce dans sa jeunesse, et il aurait achevé cet ouvrage sans un malheur qui lui arriva. Un de ses domestiques prit un cahier de cette traduction pour faire des papillotes : Molière qui était facile à irriter, fut si fâché de ce contre-temps, que dans sa colère il jeta le reste au feu. Pour mettre plus d’agrément dans cette traduction, il avait rendu en prose tous les raisonnements philosophiques, et avait mis en vers les belles descriptions qui se trouvent dans le poème de Lucrèce.
[16, p. 46-47] §
Molière lisait ses comédies à une vieille servante nommée Laforest ; et lorsque les endroits plaisants ne l’avaient point frappée, il les corrigeait, parce qu’il avait éprouvé plusieurs fois que ces endroits ne réussissaient point. Un jour Molière, pour éprouver le goût de cette servante, lui lut quelques scènes d’une comédie de Brécour*, comédie qu’il disait être de lui : la servante ne prit point le change ; et après avoir entendu quelques pages, elle soutint que son maître n’avait pas fait cette pièce.158
[17, p. 47-48159] §
Perrault dit, dans ses hommes illustres160, que le père de Molière, fâché du parti que son fils avait pris d’aller dans les provinces jouer la comédie, le fit solliciter inutilement par tout ce qu’il avait d’amis, de quitter cette pensée. Enfin, il lui envoya le maître chez qui il l’avait mis en pension pendant les premières années de ses études, espérant que par l’autorité que son maître avait eue sur lui pendant ce temps là, il pourrait le ramener à son devoir ; mais bien loin que ce bonhomme lui persuadât de quitter sa profession, le jeune Molière lui persuada de l’embrasser lui-même, et d’être le docteur de la comédie ; lui ayant représenté que le peu de latin qu’il savait le rendrait capable d’en bien faire le personnage, et que la vie qu’ils mèneraient serait bien plus agréable que celle d’un homme qui tient des pensionnaires.161
[18, p. 48162] §
La première représentation du Tartuffe fit un bruit étonnant dans Paris. Les dévotes jetèrent les hauts cris, et le parlement défendit de jouer cette comédie. On était assemblé pour la seconde représentation, lorsque la défense arriva. « Messieurs, dit Molière, en s’adressant à l’assemblée, nous comptions aujourd’hui avoir l’honneur de vous donner le Tartuffe, mais M. le Président ne veut pas qu’on le joue ».163
[19, p. 49] §
Ce même mot fut tourné d’une manière un peu différente, mais non moins satirique, par des comédiens de province. Ils étaient dans une ville dont l’évêque était mort depuis peu : le successeur, moins favorable au spectacle, donna ordre que les comédiens partissent avant son arrivée. Ils jouèrent la veille ; et comme s’ils eussent dû jouer le lendemain, celui qui annonça dit : Messieurs, vous aurez demain le Tartuffe.
[20, p. 49-50] §
Huit jours après que le Tartuffe eut été défendu, on représenta à la cour une pièce intitulée Scaramouche hermite164. Le Roi, en sortant, dit au grand Condé : Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière, ne disent rien de Scaramouche ? À quoi le prince répondit : la raison de cela est, que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes, ce qu’ils ne peuvent souffrir.
[21, p. 50] §
Lorsque Molière fit jouer son Tartuffe, on lui demanda de quoi il s’avisait de faire des sermons. Pourquoi sera-t-il permis au Père Maimbourg165, répondit-il, de faire des comédies en chaire, et qu’il me sera défendu de faire des sermons sur le théâtre ?
[22, p. 50-51] §
Un jour qu’on représentait le Tartuffe, Champmêlé166 qui n’était point alors dans la troupe, alla voir Molière dans sa loge qui était près du théâtre. Comme ils en étaient aux compliments, Molière s’écriait : ah, chien ! ah, bourreau ! et se frappait la tête comme possédé. Champmêlé crut qu’il tombait de quelque mal, et il était fort embarrassé. Mais Molière qui s’aperçut de son étonnement, lui dit : ne soyez pas surpris de mon emportement ; je viens d’entendre un acteur déclamer faussement et pitoyablement quatre vers de ma pièce ; et je ne saurais voir maltraiter mes enfants de cette force-là, sans souffrir comme un damné.167
[23168, p. 51169] §
Molière revenait d’Auteuil avec Charpentier170, fameux compositeur de musique, il donna l’aumône à un pauvre, qui, un instant après, fit arrêter le carrosse, et lui dit : Monsieur, vous n’avez pas eu dessein de me donner une pièce d’or ? Où la vertu va-t-elle se nicher ! s’écria Molière, après un moment de réflexion : tiens, mon ami, en voilà une autre.
[24, p. 52] §
Le Trissotin171 de la comédie des Femmes Savantes, est l’abbé Cotin. Jusques-là que Molière fit acheter un de ses habits pour le faire porter à celui qui faisait ce personnage dans sa pièce. La scène où Vadins172 se brouille avec Trissotin173, parce qu’il critique le sonnet sur la fièvre174, qu’il ne sait pas être de Trissotin, s’est passée véritablement chez un particulier de la connaissance de Despréaux et Molière. Ce fut Despréaux qui la donna à notre comique.175
[25176, p. 52-53177] §
Molière joua d’abord Cotin, sous le nom de Tricotin, que plus malicieusement, sous prétexte de mieux déguiser, il changea depuis en Trissotin, équivalant à trois fois sot. Jamais homme, excepté Montmaur*, n’a été tant turlupiné que le pauvre Cotin ; on fit en 1682, peu de temps après sa mort, ces quatre vers :
Savez-vous en quoi CotinDiffère de Trissotin ?Cotin a fini ses jours,Trissotin vivra toujours.
[26178, p. 53] §
Molière disait que « le mépris était une pilule qu’on pouvait bien avaler ; mais qu’on ne pouvait guère la mâcher, sans faire la grimace ».
[27179, p. 53] §
On voit aujourd’hui des auteurs qui, parce qu’ils sont jeunes, voudraient nous faire croire que Molière a vieilli. La chose est risible, dit un bel esprit, mais il manque des rieurs.
[28, p. 53-54180] §
Molière était fort ami du célèbre avocat Fourcroy,181 homme redoutable par la capacité et par la grande étendue de ses poumons. Ils eurent une dispute à table, en présence de Despréaux. Molière se tourna du côté du satyrique, et dit : Quest-ce182 que la raison, avec un filet de voix, contre une gueule comme celle-là.183
[29184, p. 54-59185] §
Sur la fin de ses jours, Molière ne vivait que de lait ; mais lorsqu’il allait à sa maison d’Auteuil, il engageait Chapelle à faire les honneurs de sa table, et lui laissait le choix des convives. Molière s’étant couché un jour de bonne heure, laissa ses amis à table. La conversation tomba insensiblement, vers les trois heures du matin. Que notre vie est peu de chose, dit Chapelle ! qu’elle est remplie de traverses ! nous sommes à l’affût pendant trente ou quarante ans, pour jouir d’un moment de plaisir que nous ne trouvons jamais. Notre jeunesse est harcelée par de maudits parents qui veulent que nous nous mettions un tas de fariboles dans la tête. Je me soucie morbleu bien que la terre ou le soleil tourne ! que ce fou de Descartes ait raison, ou cet extravagant Aristote ! J’avais pourtant un enragé précepteur qui me rebattait toujours de ces fadaises-là, et qui me faisait retomber sans cesse sur son Épicure ; encore passe pour ce philosophe-là, c’était lui qui avait le plus de raison. Nous ne sommes pas débarrassés de ces fous-là, qu’on nous étourdit les oreilles d’un établissement. Toutes les femmes sont des animaux, ennemis jurés de notre repos. Oui, morbleu ! chagrins, injustices, malheurs de tous côtés dans cette vie-ci. Tu as parbleu raison ! Mon cher ami, répondit J… en l’embrassant ; la vie est un pauvre partage : quittons-la, pour ne point séparer d’aussi bons amis que nous le sommes ; allons nous noyer de compagnie ; la rivière est à notre portée. Cela est vrai, dit N*** nous ne pouvons mieux prendre notre temps pour mourir bons amis et dans la joie : notre mort fera du bruit. Ainsi ce glorieux dessein fut approuvé tout d’une voix. Ces ivrognes se lèvent et vont gaîment à la rivière. Baron courut avertir du monde et éveiller Molière, qui fut effrayé de cet extravagant projet, parce qu’il connaissait le vin de ses amis. Pendant qu’il se levait, la troupe avait gagné le rivière, et ils s’étaient déjà saisis d’un bateau pour prendre le large, et se noyer en plus grande eau. Des domestiques et des gens du lieu furent promptement à ces débauchés, qui étaient déjà dans l’eau, et les repêchèrent. Indignés du secours qu’on venait de leur donner, ils mettent l’épée à la main, courent sur leurs ennemis, les poursuivent jusques dans Auteuil, et les voulaient tuer. Ces pauvres gens se sauvent la plupart chez Molière, qui, voyant ce vacarme, dit à ces furieux : Qu’est-ce186 donc que ces coquins-là vous ont fait, messieurs ? Comment ! Ventrebleu, dit J… qui était le plus opiniâtre à se noyer, ces malheureux nous empêchent de nous noyer ! Écoute, mon cher Molière, tu as de l’esprit ; vois si nous avons tort : fatigués des peines de ce monde-ci, nous avons résolu de passer en l’autre : la rivière nous a paru le plus court chemin pour nous y rendre, ces marauds187 nous l’ont fermé. Pouvons-nous faire moins que de les punir ? Comment ! Vous avez raison, répondit Molière. Sortez d’ici, coquins ! que je ne vous assomme, dit-il à ces pauvres gens, paraissant en colère ; je vous trouve bien hardis de vous opposer à de si belles actions. Ils se retirèrent marqués de quelques coups d’épée. Comment, messieurs, poursuit Molière, que vous ai-je fait pour former un si beau projet sans m’en faire part ? Je vous croyais plus de mes amis. Il a parbleu raison, dit Chapelle ; c’est une injustice que nous lui faisons. Viens donc te noyer avec nous. Oh ! doucement, répondit Moliere : ce n’est point ici une affaire à entreprendre mal-à-propos ; c’est la dernière action de la vie, il n’en faut pas manquer le mérite. On serait assez malin pour lui donner un mauvais jour : si nous nous noyons à l’heure qu’il est, on dirait, à coup sûr, que nous l’aurions fait la nuit comme des désespérés, ou comme des gens ivres. Saisissons le moment qui nous fasse le plus d’honneur ; sur les huit à neuf heures du matin, bien à jeun, et devant tout le monde, nous irons nous jeter dans la rivière, la tête la première. J’approuve ses raisons, dit N… il n’y a pas le mot à dire. Morbleu ! j’enrage, dit L… ; Molière a toujours cent fois plus d’esprit que nous. Voilà qui est fait, remettons la partie à demain, et allons nous coucher, car je m’endors. La présence d’esprit de Molière prévint quelques malheurs : tous ces messieurs étaient ivres, et animés contre ceux qui les avaient empêchés de se noyer.
[30188, p. 59189] §
Racine regarda toujours Molière comme un homme unique. Le roi lui demandant un jour quel était le premier des grands écrivains qui avaient honoré la France pendant son règne, il lui nomma Molière. Je ne le croyais pas, répondit le roi ; mais vous vous y connaissez mieux que moi.
[31, p. 59-61] §
Tout le monde sait que le Misanthrope fut d’abord mal reçu, et qu’il ne se soutint au théâtre qu’à la faveur du Médecin malgré lui. On rapporte un fait singulier, qui peut avoir contribué à la disgrâce de la meilleure comédie qui ait jamais été faite. À la première représentation, après la lecture du sonnet d’Oronte, ainsi conçu :
L’espoir, il est vrai, nous soulage,Et nous berce un temps notre ennemi,Mais, Philis, le triste avantage,Lorsque rien ne marche après lui !
Vous eûtes de la complaisance ;Mais vous en deviez moins avoir,Et ne vous pas mettre en dépense,Pour ne me donner que l’espoir.
S’il faut qu’une190 attente éternelle,Pousse à bout l’ardeur de mon zèle,Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne peuvent m’en distraire ;Belle Philis on désespère,
le parterre applaudit : Alceste démontra, dans la suite de la scène, que les pensées et les vers de ce sonnet étaient,
De ces colifichets dont le bon sens murmure.194
Le public, confus d’avoir pris le change, s’indisposa contre la pièce.
[32195, p. 61-62] §
Lorsque Molière donna son Misanthrope, il était brouillé avec Racine. Un flatteur crut faire plaisir au dernier, après la première représentation, en lui disant : la pièce est tombée ; rien n’est si froid : vous pouvez m’en croire. Vous y étiez, reprit Racine, et moi je n’y étais pas ; cependant je n’en croirai rien, parce qu’il est impossible que Molière ait fait une mauvaise pièce ; retournez-y : et examinez-la mieux.
[33196, p. 62] §
On sait que les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier*, renommé pas ses mœurs austères, et sa vertu sauvage, que c’était lui que Molière jouait dans le Misanthrope. Le duc de Montausier* alla voir la pièce, et dit en sortant, qu’il voudrait bien ressembler au Misanthrope de Molière.
[34197, p. 62-63 ] §
Molière voulait détourner Despréaux de l’acharnement qu’il faisait paraître dans ses satyres contre Chapelain ; disant que Chapelain était en grande considération dans le monde ; qu’il était particulièrement aimé de M. Colbert ; et que ces railleries outrées pourraient lui faire des affaires auprès de ce ministre, et du roi même. Ces réflexions trop sérieuses ayant mis le poète de mauvaise humeur : « Ho ! le roi et M. Colbert feront ce qu’il leur plaira, dit-il brusquement : mais à moins que le roi ne m’ordonne expressément de trouver bons les vers de Chapelain, je soutiendrai toujours qu’un homme, après avoir fait la Pucelle,198 mérite d’être pendu ». Molière se mit à rire de cette saillie, et l’employa ensuite fort à propos. (Misanthrope, acte 2, scène dernière.)
Hors qu’un commandement exprès du roi ne vienne,De trouver bons les vers dont on se met en peine ;Je soutiendrai toujours, morbleu ! Qu’ils sont mauvais,Et qu’un homme est pendable après les avoir faits199.
[35, p. 64] §
Un jour Molière et Chapelle, revenant d’Auteuil à Paris par la rivière, disputaient sur une question philosophique ; un religieux, assis à côté d’eux, paraissait prendre beaucoup d’intérêt à leur dispute ; tantôt il les encourageait par un air d’applaudissement, tantôt il les enflammait par un air de doute et d’objection. Arrivé devant Chaillot, il prend congé d’eux et reprend sa besace ; c’était le frère quêteur des Minimes de Chaillot. Son silence, dit en riant Molière à Chapelle, avait plus d’esprit que ton éloquence et que ma philosophie ; il nous a pris pour dupes.200
[36, p. 64-67] §
Molière n’aimait pas Cotin ; et le ressentiment qu’il avait contre lui, provenait de ce que cet abbé avait cherché à le desservir auprès du duc de Montausier*, en insinuant à celui-ci que c’était lui que Molière avait voulu jouer dans le Misanthrope. Aussi l’abbé Cotin, décrié par Boileau comme prédicateur et comme poète, fut joué sur le théâtre, par Molière, comme un mauvais poète, comme un pédant, et ce qui ne peut être jamais permis, à moins que la personne ne soit infâme, comme un mal honnête homme, du moins comme un homme sans délicatesse, et même sans principes.
…. Ce sonnet qui chez une princesse.A passé pour avoir quelque délicatesse.201
Ce sonnet sur la fièvre qui tient la princesse Uranie, était véritablement de Cotin, et la princesse Uranie était la duchesse de Nemours202, sœur du duc de Beaufort203. Le voici :
Sonnet à la princesse Uranie,
sur la fièvre.204Votre prudence est endormieDe traiter magnifiquement,Et de loger superbementVotre plus cruelle ennemie.
Faites-la sortir, quoiqu’on die,De votre riche appartement,Où cette ingrate insolemmentAttaque votre belle vie.
Quoi ! Sans respecter votre rangElle se prend à votre sang !Et nuit et jour vous fait outrage ?
Si vous la conduisez aux bains,Sans la marchander davantage,Noyez-la de vos propres mains.
La querelle entre Trissotin et Vadius, au sujet de ce sonnet, eut réellement lieu entre l’abbé Cotin et Ménage, chez Mademoiselle où Cotin venait réciter son sonnet, lorsque Ménage entra, et en dit du mal de la manière exactement dont le fait est représenté dans les Femmes savantes. Ménage lui-même reconnaît dans une de ses lettres qu’il est le Vadius de cette pièce, et quant à Cotin, il était difficile de le désigner mieux que par un de ses ouvrages.
[37205, p. 67-68] §
Un bon bourgeois de Paris, vivant bien noblement, s’imagina que Molière l’avait pris pour l’original de son Cocu imaginaire. Il crut devoir en être offensé, et en marqua son ressentiment à un de ses amis. Comment, lui dit-il, un petit comédien aura l’audace de mettre impunément sur le théâtre un homme de ma sorte ! je me plaindrai, ajouta-t-il ; en bonne police, on doit réprimer l’insolence de ces gens-là : ce sont les pestes d’une ville ; ils observent tout pour le tourner en ridicule. L’ami, qui était homme de bons sens, lui dit : Eh ! Monsieur, si Molière a eu intention sur vous en faisant son Cocu imaginaire, de quoi vous plaignez vous ? Il vous a pris du bon côté, et vous seriez bien heureux d’en être quitte pour l’imaginaire. Le bourgeois, quoique peu satisfait de la réponse de son ami, ne laissa pas d’y faire quelques réflexions, et ne retourna plus au Cocu imaginaire.
[38206, p. 68-69] §
Le roi, en sortant de la première représentation des Fâcheux, dit à Molière, en voyant passer le comte de Soyecourt, insupportable chasseur : voilà un grand original que tu n’as pas encore copié. C’en fut assez ; la scène du fâcheux chasseur fut faite et apprise en moins de vingt-quatre heures ; et, comme Molière n’entendait rien au jargon de la chasse, il pria le comte de Soyecourt lui-même de lui indiquer les termes dont il devait se servir.
[39, p. 69] §
Madame Dacier207, qui a fait honneur à son sexe par son érudition, et qui lui en eût fait davantage, si, avec la science des commentateurs, elle n’en eût pas eu l’esprit, fit une dissertation pour prouver que l’Amphitrion de Plaute était fort au-dessus du moderne ; mais ayant entendu dire que Molière voulait faire une comédie des Femmes savantes, elle supprima sa dissertation.
[40, p. 69-70 208] §
L’École des femmes éprouva, dans sa naissance, de grandes contradictions. Plapisson, qui passait pour un grand philosophe, était sur le théâtre pendant la représentation ; et à tous les éclats de rire que faisait le parterre, il haussait les épaules et regardait le parterre en pitié, et disait quelquefois tout haut : Ris donc, parterre ! ris donc ! le duc de *** ne fut pas un des moins zélés censeurs de cette pièce. Qu’y trouvez-vous à redire d’essentiel, lui dit un connaisseur ? Ah, parbleu ! ce que j’y trouve à redire est plaisant, s’écria le duc : Tarte à la crème209 ! Mais tarte à la crème n’est point un défaut, répondit le bel esprit, pour la décrier comme vous faites. Tarte à la crème est exécrable, répliqua le courtisan : tarte à la crème ! bon dieu ! avec du sens commun peut-on soutenir une pièce où l’on ait mis tarte à la crème. Cette expression fut bientôt répétée partout le monde. Molière fit jouer quelque temps après la Critique de l’École des femmes : la tarte à la crème n’y fut pas oubliée ; et quoique ce mot fût déjà devenu proverbe, la raillerie que Molière en fit fut partagée entre ceux qui l’avaient employé. Le seigneur qui en était l’original, fut si vivement piqué d’être mis sur le théâtre, qu’il s’avisa d’une vengeance aussi indigne de sa qualité, qu’elle était imprudente. Un jour qu’il vit Molière passer par un appartement où il était, il l’aborda avec les démonstrations d’un homme qui voulait lui faire caresse. Molière s’étant incliné, il lui prit la tête en lui disant : Tarte à la crème, Molière, tarte à la crème ! Il lui frotta le visage contre ses boutons qui, étant fort durs et tranchants, le mirent en sang. Le roi qui vit Molière le même jour, apprit la chose avec indignation, et la marqua au duc d’une manière assez vive.210
[41, p. 71-72] §
Boileau racontait que Molière, après lui avoir lu le Misanthrope, lui avait dit : Vous verrez bien autre chose. Qu’aurait-il donc fait si la mort ne l’avait surpris, cet homme qui voyait quelque chose au-delà du Misanthrope ? Ce problème qui confondait Boileau, devrait être pour les auteurs comiques un objet continuel d’émulation et de recherches : et ne fût-ce pour eux que la pierre philosophale, ils feraient du moins en la cherchant inutilement, mille autres découvertes utiles.
[42, p. 72-73] §
Molière est au-dessus de tous ceux qui l’ont précédé ou suivi. Voici le parallèle qu’en a fait avec Térence l’auteur du siècle de Louis XIV, le plus digne d’en juger, La Bruyère :
« Il n’a manqué à Térence que d’être moins froid : quelle pureté ! quelle exactitude ! quelle politesse ! quelle élégance ! quels caractères ! Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon, et d’écrire purement : quel feu ! quelle naïveté ! quelle source de la bonne plaisanterie ! quelle imitation des mœurs ! et quel fléau du ridicule ! mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques ! »211
[43, p. 73-77] §
Molière, dans la société, possédait l’art si peu connu de ménager la délicatesse de ses amis, et qui plus est de leur donner d’excellents conseils. Parmi plusieurs, nous rapporterons l’avis si sage qu’il donna à Chapelle* et à son valet, avis qui fit rentrer le valet en grâce auprès de son maître, et ménagea l’amour-propre du maître qui se serait révolté de revenir sur ses pas.
Chapelle* revenant de chez Molière à Auteuil, après avoir bu largement à son ordinaire, eut querelle au milieu de la petite prairie d’Auteuil, avec un valet nommé Godemer212, qui le servait depuis plus de trente ans. Ce vieux domestique avait l’honneur d’être toujours dans le carrosse de son maître. Il prit fantaisie à Chapelle*, en descendant d’Auteuil, de lui faire perdre cette prérogative, et de le faire monter derrière son carrosse. Godemer, accoutumé aux caprices que le vin causait à son maître, ne se mit pas beaucoup en peine d’exécuter ses ordres. Celui-ci se met en colère, l’autre se moque de lui ; ils se prennent dans le carrosse. Le cocher descend de son siège pour aller les séparer. Molière, qui était à sa fenêtre, aperçut les combattants. Il crut que les domestiques de Chapelle* l’assommaient, et il accourut au plus vite : ah ! Molière, lui dit Chapelle*, puisque vous voilà, jugez si j’ai tort : ce coquin de Godemer s’est lancé dans mon carrosse, comme si c’était à un valet de figurer avec moi. Vous ne savez ce que vous dites, répondit Godemer. Monsieur sait que je suis en possession du devant de votre carrosse depuis plus de trente ans : pourquoi voulez-vous me l’ôter aujourd’hui sans raison ? Vous êtes un insolent, qui perdez le respect, reprit Chapelle* ; si j’ai voulu vous permettre de monter dans mon carrosse, je ne le veux plus ; je suis le maître, et vous iriez derrière ou à pied. Y a-t-il de la justice à cela, répliqua Godemer ? Me faire aller à pied présentement que je suis vieux, et que je vous ai si bien servi pendant si longtemps ! Il fallait m’y faire aller pendant que j’étais jeune, j’avais des jambes alors ; mais à présent je ne puis plus marcher ; en un mot comme en cent, vous m’avez accoutumé au carrosse, je ne puis plus m’en passer ; et je serais déshonoré aujourd’hui si l’on me voyait derrière. Jugez-nous, Molière, je vous prie, ajouta Chapelle* ; j’en passerai par tout ce que vous voudrez. Eh bien ! Puisque vous vous en rapportez à moi, dit Molière, je vais tâcher de mettre d’accord deux si honnêtes gens. Vous avez tort, dit-il à Godemer, de perdre le respect envers votre maître, qui peut vous faire aller comme il voudra ; il ne faut pas abuser de sa bonté. Ainsi je vous condamne à monter derrière son carrosse jusqu’au bout de la prairie ; et là vous lui demanderez fort honnêtement la permission d’y rentrer : je suis sûr qu’il vous le donnera. Parbleu, s’écria Chapelle*, voilà un jugement qui vous fera honneur dans le monde : tenez, Molière, vous n’avez jamais donné une marque d’esprit si brillante. Oh bien ! ajouta-t-il, je fais grâce entière à ce maraud, en faveur de l’équité avec laquelle vous venez de nous juger. Ma foi, Molière, je vous suis obligé ; car cette affaire-là m’embarrassait, elle avait sa difficulté. Adieu, mon cher ami, tu juges mieux qu’homme de France.213
[44214, p. 77] §
Le docteur Malouin215, médecin de la reine, était, comme a dit Molière, tout médecin de la tête aux pieds. Il représentait un jour à un incrédule, que tous les grands hommes avaient honoré la médecine. C’est dommage, lui répondit le mécréant, qu’il faille rayer de cette liste des grands hommes un nommé Molière. « Aussi, répliqua sur-le-champ le médecin, voyez comme il est mort ».
[45216, p. 77-78] §
Molière avait un cœur excellent. Baron* lui annonça un jour à Auteuil, un homme que l’extrême misère empêchait de paraître ; il se nomme Mondorge217, ajouta-t-il. Je le connais, dit Molière ; il a été mon camarade en Languedoc ; c’est un homme honnête homme. Que jugez-vous qu’il faille lui donner ? Quatre pistoles, dit Baron*, après avoir hésité quelque temps. Eh bien ! répliqua Molière, je vais les lui donner pour moi ; donnez-lui pour vous ces vingt autres que voilà. Mondorge parut : Molière l’embrassa, le consola, et joignit au présent qu’il lui faisait, un magnifique habit de théâtre, pour jouer les rôles tragiques.
[46, p. 78-80] §
Les situations comiques sont les moments de l’action qui mettent plus en évidence l’adresse des fripons, la sottise des dupes, le faible, les travers, le ridicule enfin du personnage qu’on veut jouer. Personne n’y a excellé comme Molière ; mais où le génie de ce célèbre comique domine au plus haut point, c’est dans les moyens de sortir d’une situation qui paraît sans ressource. Pour exemple nous citerons la ruse qu’emploie la femme de Georges Dandin, lorsqu’elle fait semblant de se tuer, et qu’elle réussit, par la frayeur qu’elle lui cause, à le mettre dehors et à rentrer chez elle.218
Le moyen qu’emploie Isabelle dans L’École des maris, pour empêcher Sganarelle d’ouvrir sa lettre,
« Lui voulez-vous donner à croire que c’est moi ? »219
n’est ni moins naturel, ni moins ingénieux, et il est d’un plus fin comique.
Mais le prodige de l’art, pour se tirer d’une situation difficile, c’est ce trait du caractère du Tartuffe :
Oui, mon frère, je suis un méchant un coupable,Un malheureux pécheur, tout plein d’iniquité,Le plus grand scélérat qui jamais ait été.220
Ce serait là les derniers degrés de perfection du comique, si, dans la même pièce et après cette situation, on n’en trouvait une encore plus étonnante ; on parle de celle de la table, au-delà de laquelle on ne peut rien imaginer.
[47, p. 80] §
Le maréchal de Vivonne221, connu par son esprit et par son amitié pour Despréaux*, allait souvent chez Molière, et vivait avec lui comme Lélius222 avec Térence*. Le grand Condé* exigeait de lui qu’il le vînt voir souvent, et disait qu’il trouvait toujours à apprendre dans sa conversation.
[48, p. 80-81] §
Molière n’aimait point le jeu ; mais il avait assez de penchant pour le sexe ; la de ***223 l’amusait quand il ne travaillait pas. Un de ses amis, qui était surpris qu’un homme aussi délicat que Molière eût si mal placé son inclination, voulut le dégoûter de cette comédienne. Est-ce la vertu, la beauté ou l’esprit, lui dit-il, qui vous font aimer cette femme-là ? Vous savez que Labarre224 et Florimont225 sont de ses amis ; qu’elle n’est point belle, que c’est un vrai squelette, et qu’elle n’a pas le sens commun. Je sais tout cela, monsieur, lui répondit Molière ; mais je suis accoutumé à ses défauts ; et il faudrait que je prisse trop sur moi pour m’accommoder aux imperfections d’une autre ; je n’en ai ni le temps, ni la patience.
[49, p. 81-82] §
Les hypocrites avaient été tellement irrités par le Tartuffe, que l’on fît courir dans Paris un livre abominable, que l’on mit sur le compte de Molière pour le perdre.
« Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévots ? »226
C’est à cette occasion qu’il plaça dans le Misanthrope les vers suivants :
Et non content encore du tort que l’on me fait,Il court parmi le monde un livre abominable,Et de qui la lecture est même condamnable,Un livre à mériter la dernière rigueur,Dont le fourbe a le front de me faire l’auteur.Et là-dessus on voit Oronte qui murmure,Et tâche méchamment d’appuyer l’imposture ;Lui qui d’un honnête homme à la cour tient le rang, etc.227
[50, p. 83-85] §
Les comédiens avaient résolu de faire à Molière un convoi magnifique. Mais M. du Harlay228, archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu’on l’inhumât. La femme de Molière alla sur-le-champ à Versailles, se jeter aux pieds du roi, pour se plaindre de l’injure que l’on faisait à la mémoire de son mari, en lui refusant la sépulture. Le roi la renvoya en lui disant que cette affaire dépendait du ministère de l’archevêque, et que c’était à lui qu’il fallait s’adresser. Cependant sa majesté fit dire à ce prélat, qu’il fît en sorte d’éviter l’éclat et le scandale. L’archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l’enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. Il fut fait pas deux prêtres, qui accompagnèrent le corps sans chanter, et on l’enterra dans le cimetière qui est derrière la chapelle Saint-Joseph, rue Montmartre. Tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main. Mademoiselle de Molière* s’écriait partout : Quoi ! L’on refuse la sépulture à un homme qui mérite des autels. Boileau déplora alors la perte de ce célèbre comique dans son épître septième qu’il adresse à Racine.
Avant qu’un peu de terre, obtenu par prière,Pour jamais sous la tombe eut enfermé Molière,Mille de ces beaux traits, aujourd’hui si vantés,Furent des sots esprits, à nos yeux, rebutés.L’ignorance et l’erreur à ses naissantes pièces,En habits de marquis, en robes de comtesses,Venaient pour diffamer son chef-d’œuvre nouveau ;Et secouaient la tête à l’endroit le plus beau.Le commandeur voulait la scène plus exacte,Le vicomte indigné sortait au second acte.L’un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,Pour prix de ses bons mots, le condamnait au feu ;L’autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,Voulait venger la cour immolée au parterre ;Mais sitôt que, d’un trait de ses fatales mains,La parque l’eut rayé du nombre des humains,On reconnut le prix de sa muse éclipsée.L’aimable comédie avec lui terrassée,En vain d’un coup si rude espère revenir,Et, sur ses brodequins, ne peut plus se tenir.
[51, p. 85-86] §
Un abbé crut faire sa cour au grand Condé*, en lui présentant l’épitaphe qu’il avait faite pour Molière. « Ah ! lui dit ce prince, que celui dont tu me présentes l’épitaphe, n’est-il en état de faire la tienne ! »
[52, p. 86] §
La difficulté qu’on fit de donner la sépulture à Molière, et les injustices qu’il avait essuyées pendant sa vie, engagèrent le père Bouhours229 à composer l’épitaphe suivante :
Tu réformas et la ville et la cour ;Mais quelle en fût la récompense ?Les français rougiront un jourDe leur peu de reconnaissance ;Il leur fallut un comédienQui mit à les polir sa gloire et son étude ;Mais Molière à ta gloire il ne manquerait rien,Si parmi les défauts que tu peignis si bien,Tu les avais repris de leur ingratitude.
[53230, p. 87231] §
Dans le Malade imaginaire, la dernière pièce que Molière ait mise au théâtre, il y a un M. Fleurant, apothicaire, brusque jusqu’à l’insolence, qui vient, une seringue à la main, pour donner un lavement au malade. Un honnête homme, frère de ce prétendu malade, qui se trouve là dans le moment, le détourne de le prendre ; ce qui irrite l’apothicaire, qui lui dit toutes les impertinences dont les gens de cette sorte sont capables.La première fois que cette pièce fut jouée, l’honnête homme répondit à l’apothicaire : Allez, monsieur, on voit bien que vous n’avez coutume de parler qu’à des culs. Tous les spectateurs furent révoltés de cette grossièreté ; au lieu qu’à la seconde représentation, on entendit, avec plaisir, allez, monsieur, on voit bien que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages.
[54232, p. 88] §
Despréaux* n’approuvait pas le jargon que Molière mettait dans la bouche de ses paysans et de quelques autres de ses personnages. « Vous ne voyez pas, disait-il, que Plaute*, ni ses confrères, aient estropié la langue en faisant parler des villageois ; ils leur font tenir des discours proportionnés à leur état, sans qu’il en coûte rien à la pureté du langage. Ôtez cela à Molière, continuait-il, je ne lui connais point de supérieur pour l’esprit et le naturel ; ce grand homme l’emporte de beaucoup sur Corneille, sur Racine et sur moi ; car, ajoutait-il en riant, il faut bien que je me mette de la partie ».
[55, p. 89] §
Molière, en quelque sorte, remplaça Voltaire à l’académie : le fameux buste de ce comique, fait par Houdon233, y fut placé. Quand il fut question d’y mettre une inscription, quelqu’un proposa d’écrire : Molière, de l’académie française, après sa mort ; mais on préféra ce vers de Saurin234 :
Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre.
[56, p. 89-93] §
L’abbé Batteux235, dans ses principes de littérature, s’exprime ainsi sur Molière :
« Molière tâcha de réunir les caractères de Térence* et de Plaute*, et il y a réussi en beaucoup d’endroits. Observant continuellement la nature, et rapportant à son art toutes les attitudes et toutes les expressions qui caractérisent les passions, il copiait le geste, le ton, le langage de tous les sentiments dont l’homme est susceptible, dans toutes les conditions et dans tous les états. Guidé d’ailleurs par l’exemple des anciens et par leur manière de mettre en œuvre, il a peint la cour et la ville, la nature et les mœurs, les vices et les ridicules, avec toutes les grâces de Térence* et le feu de Plaute*. Dans ses comédies de caractères, comme le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, c’est un philosophe et un peintre admirable. Dans ses comédies d’intrigues, il y a une souplesse, une flexibilité, une fécondité de génie dont peu d’anciens lui ont donné l’exemple. »
« Il a su allier le piquant avec le naïf, le singulier avec le naturel ; ce qui est le plus haut point de perfection en tout genre. Car il est bien plus difficile de faire des tableaux d’après nature, c’est-à-dire, où on ne s’écarte jamais des idées du commun des hommes, que de s’abandonner à des caprices où le pinceau joue en liberté, et donne comme fait à dessein, ce qui n’est souvent que l’effet du hasard, ou quelquefois même de l’inhabileté, ou de quelque fougue d’imagination, enfin d’une sorte de libertinage de génie qui a secoué le joug... »
« Il semble que Molière ait choisi dans les maîtres leurs qualités éminentes pour s’en former un talent particulier. Il a pris d’Aristophane* le comique, de Plaute* le feu et l’activité, et de Térence* la peinture des mœurs. Plus naturel que le premier, plus resserré et plus décent que le second, plus agissant et plus animé que le troisième : aussi fécond en ressorts, aussi vif dans l’expression, aussi moral qu’aucun des trois. Peut-être que la comédie n’est nulle part aussi parfaite que chez lui. Aristophane* songeait principalement à attaquer : c’est une sorte de satire perpétuelle. Plaute* tendait surtout à faire rire ; il se plaisait à amuser et à jouer le petit peuple. Térence*, admirable par son élocution, sa douceur, sa délicatesse, n’est nullement comique ; et d’ailleurs il n’a point les mœurs des Romains, pour qui il travaillait. Molière a fait rire les plus austères : il instruit tout le monde, ne fâche personne. Il peint non seulement les mœurs du siècle, mais celles de tous les états et de toutes les conditions. Il joua la cour, le peuple et la noblesse, les ridicules et les vices, sans que personne eût droit de s’en offenser. Enfin s’il s’agissait de se faire l’idée d’une comédie parfaite, il me semble qu’aucun des comiques anciens ne fournirait autant de traits que Molière ; il a ses défauts, j’en conviens ; par exemple, il n’est pas souvent heureux dans ses dénouements ; mais la perfection de cette partie est-elle aussi essentielle à l’action comique, surtout quand c’est une pièce de caractère, qu’elle l’est à l’action tragique ? Dans la tragédie, le dénouement a un effet qui reflue sur toute236 la pièce : s’il n’est point parfait, la tragédie est manquée. Mais qu’Harpagon, avare, cède sa maîtresse pour avoir sa cassette, ce n’est qu’un trait d’avarice de plus, sans lequel toute la comédie ne laisserait pas de subsister. L’action comique intéresse tout au plus par sa singularité ; le tragique intéresse outre cela par son importance, son atrocité : c’est le corps même du spectacle, la machine qui frappe ; au lieu que l’action comique n’est qu’un canevas, une toile pour recevoir des objets dessinés et des couleurs ».
[57, p. 94] §
Boileau a beaucoup loué Molière, et vivant et mort ; mais dans l’Art Poétique, où il paraît plus particulièrement le juger, il dit que Molière :
Peut-être de son art eut remporté le prix,Si moins ami du peuple, en ses doctes peintures,Il n’eut point fait souvent grimacer ses figures ;Quitté pour le bouffon, l’agréable et le fin,Et sans honte à Térence* allié Tabarin.
Un contemporain en pouvait parler avec cette réserve, mais la postérité a prononcé, il n’y a plus là de peut-être ni de si. Molière est l’esprit le plus original et le plus utile qui ait jamais honoré et corrigé l’espèce humaine, et Boileau même le jugeait à peu près ainsi.
[58, p. 95-96] §
La comédie de l’École des femmes attira à Molière une nuée de critiques toutes plus mauvaises les unes que les autres ; plusieurs personnes même la frondèrent237 ouvertement. Pour venger Molière de tous ses détracteurs, Boileau fit les stances suivantes qu’il envoya à son ami :
En vain mille jaloux esprits,Molière, osent avec méprisCensurer ton plus bel ouvrage :Sa charmante naïveté,S’en va pour jamais d’âge en âgeDivertir la postérité.
Que tu ris agréablement !Que tu badines savamment !Qui mit Carthage sous sa loi,Jadis sous le nom de Térence*Sut-il mieux badiner que toi ?
Ta muse avec utilitéDit plaisamment la vérité ?Chacun profite à ton école :Tout en est beau, tout en est bon ;Et la plus burlesque paroleEst souvent un docte sermon.
Laisse gronder tes envieux ;Ils ont beau crier en tous lieux,Qu’en vain tu charmes le vulgaire ;Que tes vers n’ont rien de plaisant.Si tu savais un peu moins plaire,Tu ne leur déplairais pas tant.
[59, p. 96-98] §
Boileau lut sa deuxième satire adressée à Molière, à quelques amis parmi lesquels était notre illustre comique ; en achevant la lecture des quatre vers suivants :
Mais un esprit sublime en vain veut s’éleverÀ ce degré parfait qu’il tâche de trouver ;Et toujours mécontent de ce qu’il vient de faire,Il plaît à tout le monde et ne saurait se plaire.
Molière, dit à Boileau, en lui serrant la main : voilà la plus belle vérité que vous ayez jamais dite. Je ne suis pas du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez ; mais tel que je suis, je n’ai rien fait en ma vie, dont je sois véritablement content (I)240.
(I) Molière n’avait pas la modestie du citoyen Champagne, auteur d’une mauvaise satire, qui parut il y a environ un an. Quelques journalistes mal intentionnés prétendaient que cette satire ne valait rien. Pour répondre à l’inculpation, le satirique fit imprimer et placarder une affiche longue d’une aune241, où, tout en citant des morceaux de sa satire, il traitait les journalistes d’ignorants et de mauvais connaisseurs, et finissait par avouer avec une candeur d’âme tout-à-fait risible que son écrit était bon, et parfait en son genre. Le public ne partagea pas la tendresse du citoyen Champagne pour l’enfant chéri. On déchira l’affiche, on fit des papillotes de la satire, et depuis ce temps on n’a plus parlé du poète ni de sa satire.242
[60, p. 98] §
Molière était incommodé lorsqu’on représenta le Malade imaginaire. Sa femme et Baron* le pressèrent de prendre du repos, et de ne point jouer. Oh ! Que feront, leur répondit-il, tant de pauvres ouvriers ? Je me reprocherais d’avoir négligé un seul jour de leur donner du pain.243
[61, p. 99] §
Racine, après avoir donné son Alexandre244 à la troupe de Molière, pour le jouer, le retira pour le donner aux comédiens de l’hôtel de Bourgogne. Il eut chez eux tout le succès possible, ce qui déplut fort à Molière ; outre que Racine lui avait débauché la Duparc*, qui était la plus fameuse de ses actrices. De là vint la brouillerie de Racine et de Molière, qui s’étudiaient tous deux à soutenir leur théâtre avec une pareille émulation.
Peu de temps après la désertion du poète tragique, Molière donna son Avare, où Despréaux fut des plus assidus. « Je vous vis dernièrement, dit Racine à Boileau, à la pièce de Molière, et vous riiez tout seul sur le théâtre. Je vous estime trop, lui répondit le satirique, pour croire que vous n’y ayez pas ri, du moins intérieurement ».
[62, p. 100] §
Despréaux* ne se lassait point d’admirer Molière, qu’il appelait toujours le contemplateur. Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes. Il regrettait fort qu’on eût perdu sa petite comédie du Docteur amoureux, parce qu’il y a toujours quelque chose de saillant et d’instructif dans ses moindres ouvrages.
[63245, p. 100-101] §
Molière était sujet à de fréquentes distractions. On a rapporté de lui ce trait comique :
Un jour qu’il était pressé par l’heure du spectacle, il prit une brouette pour se rendre promptement à la comédie ; mais cette voiture n’allait pas assez vite à son gré. Que fait-il ? Il en sort, et se met à la pousser par derrière. Il ne s’aperçut de son étourderie, que par les ris246 inextinguibles du brouetteur247, et parce qu’il se vit tout crotté en arrivant.
[64248, p. 100-101] §
Les Précieuses ridicules mirent Molière en réputation. La pièce ayant eu l’approbation de tout Paris, on l’envoya à la cour, qui était alors au voyage des Pyrénées, où elle fut très-bien reçue. Cela enfla le courage de l’auteur. « Je n’ai plus que faire, dit-il, d’étudier Plaute* et Térence*, ni d’éplucher les fragments de Ménandre* ; je n’ai qu’à étudier le monde ».
[65, p. 101-102] §
Molière a joué, dans les Femmes savantes, l’hôtel de Rambouillet*, qui était le rendez-vous de tous les beaux esprits. Molière y eut un grand succès, et y était fort bien venu ; mais lui ayant été dit quelques railleries piquantes, il joua ses railleries, Cotin* et Ménage* : le premier sous le nom de Trissotin ; et le second sous celui de Vadius, qui eurent la querelle si plaisamment dépeinte dans les Femmes savantes. Cotin* avait introduit Ménage* chez madame Rambouillet. Ce dernier allant voir cette dame, après la première représentation des Femmes savantes, où elle s’était trouvée, elle ne put s’empêcher de lui dire : Quoi, monsieur, vous souffrirez que cet impertinent de Molière nous joue de la sorte ? Ménage* lui répondit : madame, j’ai vu la pièce, elle est parfaitement belle : on n’y peut rien trouver à redire ni à critiquer.
[66, p. 102-103] §
Le refus que l’on fit de donner la sépulture aux restes de Molière, attira aux dévots l’épigramme suivante. Elle est de Chapelle* :
Puisqu’à Paris on dénieLa terre après le trépas,À ceux qui, durant leur vie,Ont joué la comédie,Pourquoi ne jette-t-on pasLes bigots249 à la voirie ?Ils sont dans le même cas.
[67, p. 103-104] §
Dans la scène VI de l’acte II du Bourgeois gentilhomme, on trouve le trait suivant :
« Par ma foi il y a plus de cinquante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien. »
Madame de Sévigné250 dit à peu-près la même chose dans ses lettres : lettre cinq, tome 6.
« Comment ! J’ai donc fait un sermon sans y penser ! J’en suis aussi étonnée que le comte de Soissons251, quand on lui découvrit qu’il faisait de la prose ».
La comédie de Molière fut représentée en 1670, et la lettre est de 1681.
[68, p. 104] §
La première comédie que vit à Paris le célèbre Piron*, ce fut le Tartuffe de Molière ; son admiration alla jusqu’à l’extase. À la fin de la pièce, ses transports de joie augmentant encore, ses voisins lui en demandèrent les motifs : Ah ! Messieurs, s’écria-t-il, si cet ouvrage sublime n’était pas fait, il ne se ferait jamais.
[69, p. 105] §
Rousseau*, de Genève, a dit : les mœurs ont changé depuis Molière ; mais le nouveau peintre n’a point encore paru.
[70252, p. 105253] §
M. de Mauvilain254, médecin, était ami de Molière. Ils se trouvèrent un jour l’un et l’autre à Versailles au dîner du roi. Sa majesté dit à Molière : « Voilà donc votre médecin ? Que vous fait-il ? » Sire, répondit Molière, nous raisonnons ensemble ; il m’ordonne des remèdes ; je ne les fais point, et je guéris.
[71, p. 105-106] §
L’Avare de Molière eut à peine sept représentations lorsqu’il parut. La prose dérouta le public. Comment ! Disait-on, Molière est-il fou, et nous prend-il pour des sots, de nous faire essuyer cinq actes de prose ? A-t-on jamais vu plus d’extravagance ? Le moyen d’être diverti par de la prose ! Molière fut vengé de ce jugement du public, lorsqu’il donna cette pièce pour la seconde fois, le 9 septembre 1668. On y courut en foule, et il fut joué presque une année entière.
[72, p. 106-108] §
On jouait sur le théâtre de Molière une pièce intitulée Dom Quichotte255. Elle commençait à l’instant que Dom-Quichotte installait Sancho Pansa dans son gouvernement. Molière faisait Sancho ; et comme il devait paraître sur le théâtre monté sur un âne, il se mit dans la coulisse pour être prêt à entrer dans le moment que la scène le demanderait. Mais l’âne qui ne savait point le rôle par cœur, n’observa point ce moment ; et dès qu’il fut dans la coulisse, il voulut entrer, quelques efforts que Molière employât pour qu’il n’en fit rien. Sancho tirait le licou256 de toute sa force ; l’âne n’obéissait point ; il voulait absolument paraître. Molière appelait, Baron* ; Laforest, à moi ; ce maudit l’âne veut entrer. Cette Laforest était sa servante ; elle était dans la coulisse opposée, d’où elle ne pouvait passer à travers le théâtre pour arrêter l’âne ; et elle riait de tout son cœur de voir son maître renversé sur le derrière de cet animal, tant il mettait de force à tirer son licou pour le retenir. Enfin destitué de tout secours, et désespérant de pouvoir vaincre l’opiniâtreté de son âne, il prit le parti de se retenir aux ailes du théâtre, et de laisser glisser l’animal entre ses jambes, pour aller faire telle scène qu’il jugerait à-propos.257
[73, p. 108] §
Molière ne traitait point de caractères, il ne plaçait aucuns traits ; qu’il n’eût des vues fixes. C’est pourquoi il ne voulut jamais ôter du Misanthrope : ce grand flandrin qui crachait dans une pinte pour faire des ronds258, que madame de France259 lui avait dit de supprimer, lorsqu’il eut l’honneur de lire sa pièce à cette princesse. Elle regardait cet endroit comme un trait indigne d’un si bon ouvrage, mais Molière avait son original, il voulut le mettre sur le théâtre.260
[74, p. 108-114] §
Un jeune homme de vingt-deux ans, d’une belle figure et bien fait, vint un jour trouver Molière ; après les compliments ordinaires, il lui découvrit qu’étant né avec toutes les dispositions nécessaires pour le théâtre, il n’avait point d’autre passion plus forte que de s’y attacher ; qu’il venait le prier de lui en procurer les moyens, et lui faire connaître que ce qu’il avançait était véritable. Il déclama quelques scènes détachées, sérieuses et comiques, devant Molière, qui fut surpris de l’art avec lequel ce jeune homme faisait sentir les endroits touchants. Il semblait qu’il eût travaillé vingt années, tant il était assuré dans ses tons ; ses gestes étaient ménagés avec esprit, de sorte que Molière vit bien que ce jeune homme avait reçu une excellente éducation. Il lui demanda comment il avait appris la déclamation. Après avoir satisfait à cette question et à plusieurs autres qui lui furent faites, Molière lui demanda : avez-vous du bien ? ― Mon père est un avocat qui possède une fortune assez honnête. ― « Eh bien ! lui répliqua l’auteur du Misanthrope, je vous conseille de prendre sa profession. La nôtre ne vous convient point : c’est la dernière ressource de ceux qui ne sauraient mieux faire, ou des jeunes gens déréglés, qui veulent se soustraire au travail. D’ailleurs c’est enfoncer le poignard dans le cœur de vos parents, que de monter sur le théâtre ; vous en avez les raisons : je me suis toujours reproché d’avoir donné ce déplaisir à ma famille ; et, je vous avoue que si c’était à recommencer, je ne choisirais jamais cette profession. Vous croyez peut-être qu’elle a ses agréments ; vous vous trompez. Il est vrai que nous sommes en apparence recherchés des grands seigneurs, mais ils nous assujettissent à leurs plaisirs, et c’est la plus triste de toutes les situations que d’être l’esclave de leurs fantaisies. Le reste du monde nous regarde comme des gens perdus, et nous méprise. Ainsi, monsieur, quittez un dessein si contraire à votre honneur et à votre repos. Si vous étiez dans le besoin, je pourrais vous rendre mes services, mais je ne vous le cache point ; je vous serais plutôt un obstacle ».
Le jeune homme donnait quelques raisons pour persister dans sa résolution, quand Chapelle* entra, un peu pris de vin. Molière fit déclamer ce jeune homme devant lui. Chapelle* en fut aussi étonné que son ami. Ce serait, lui dit-il, un excellent comédien ! On ne vous consulte pas sur cela, répondit Molière à Chapelle*. « Représentez-vous, ajouta-t-il, en s’adressant au jeune homme, la peine que nous avons ; incommodés ou non, il faut être prêts à marcher au premier ordre, et à donner du plaisir quand nous sommes souvent accablés de chagrin ; à souffrir les grossièretés de la plupart des gens avec qui nous avons à vivre, et à captiver les bonnes grâces d’un public qui est en droit de nous gourmander261 pour son argent. Non, monsieur, croyez-moi encore une fois, ne vous abandonnez point au dessein que vous avez formé ; faites-vous avocat, je vous réponds du succès ».
Avocat ! dit Chapelle*, et fi ! Il a trop de mérite pour brailler à un barreau ; et c’est un vol qu’il fait au public, s’il ne se fait prédicateur ou comédien. En vérité, lui répondit Molière, il faut que vous soyez bien ivre pour parler de la sorte, et vous avez mauvaise grâce de plaisanter sur une affaire aussi sérieuse que celle-ci, où il est question de l’honneur et de l’établissement de monsieur. Ah ! Puisque nous sommes sur le sérieux, répliqua Chapelle*, je vais le prendre tout de bon. Aimez-vous le plaisir, dit-il au jeune homme ? ― Je ne serai pas fâché de goûter celui qui peut m’être permis, répondit le fils de l’avocat. ― Eh bien donc, répliqua Chapelle*, mettez-vous dans la tête que malgré tout ce que Molière vous a dit, vous en aurez plus en six moins de théâtre qu’en six années de barreau. Molière qui n’avait en vue que de détourner ce jeune homme de la profession de comédien, redoubla ses raisons pour le faire ; et enfin il lui fit perdre la pensée de paraître sur les planches. Oh ! Voilà mon harangueur qui triomphe, s’écria Chapelle* ; mais morbleu vous répondrez du peu de succès que monsieur fera dans le parti que vous lui faites embrasser.(I)262
(I) Voltaire adressa un pareil discours au fameux Lekain, lorsque ce dernier lui fit part du dessein qu’il avait de monter sur le théâtre. Lekain n’écouta point Voltaire et s’en trouva bien, et le public aussi.
Aujourd’hui le préjugé qui flétrissait la profession de comédie, est anéanti, et Molière, dans ce temps-ci, eût tenu un tout autre langage.
[75, p. 114-115] §
Molière était minutieux et incommode dans son domestique, par son exactitude et son arrangement. Il n’y avait personne, quelque attention qu’il eût, qui pût y répondre. Une fenêtre ouverte ou fermée, un moment devant ou après le temps qu’il l’avait ordonné, le mettait en convulsion ; il était petit dans ces occasions. Si on lui avait dérangé un livre, c’en était assez pour qu’il ne travaillât de quinze jours ; il y avait peu de domestiques qu’il ne trouvât en défaut ; et la vieille servante Laforest y était prise aussi souvent que les autres, quoiqu’elle dût être accoutumée à cette fatigante régularité que Molière exigeait de tout le monde, et même il était prévenu que c’était une vertu ; de sorte que celui de ses amis qui était le plus régulier, et le plus arrangé, était celui qu’il estimait le plus.
[76, p. 115-117263] §
Penaut, frère de Despréaux, ayant essayé de tourner en épigramme un mot assez malin qu’il avait dit à Pradon264, n’avait pu faire que ces deux vers :
Hélas ! Pour mes péchés je n’ai su que trop lireDepuis que tu fais imprimer.
Ce fut à son frère et à Racine et Molière qu’il trouva rassemblés, qu’il demanda deux autres vers pour rimer aux siens, et voici ceux qu’ils lui donnèrent :
Froid, sec, dur, rude auteur, digne objet de satire,De ne savoir pas lire oses-tu me blâmer ?Hélas ! &c.
Ce qu’il y a de particulier dans ce fait, c’est que Racine et Molière eurent une petite querelle sur le premier hémistiche du second vers. Le poète tragique voulait qu’on écrivit :
De mon peu de lecture oses tu me blâmer ?
Pour éviter sans doute la consonance de la rime de satire avec le mot lire qui termine cet hémistiche ; mais Molière soutint qu’il fallait s’en tenir à la première expression, et que la raison et l’art même demandaient et autorisaient souvent le sacrifice d’une plus grande perfection du vers à une plus grande justesse. Despréaux n’oublia pas cette décision de Molière, et en fit un précepte dans son art poétique, chant 4e.
Quelquefois dans sa course un esprit vigoureuxTrop resserré par l’art, sort des règles prescrites,Et de l’art même apprend à franchir les limites.
[77, p. 118-119] §
Molière était l’homme du monde qui se faisait le plus servir. Il fallait l’habiller comme un grand seigneur, et il n’aurait pas arrangé les plis de sa cravate. Il avait un valet, espèce de lourdaud qui était chargé de ce soin. Un matin qu’il chassait à Chambord, il mit un de ses bas à l’envers. Un tel, dit gravement Molière, ce bas est à l’envers. Aussitôt ce valet le prend par le haut, et en dépouillant la jambe de son maître, met ce bas à l’endroit : mais comptant ce changement pour rien, il enfonce son bras dedans, le retourne pour chercher l’endroit, et l’envers revenu dessus, il rechausse Molière. Un tel, lui dit-il encore froidement, ce bas est à l’envers. Le stupide domestique qui le vit avec surprise, reprend le bas, et fait le même exercice que la première fois ; et s’imaginant avoir réparé son peu d’intelligence, et avoir donné sûrement à ce bas le sens où il devait être, le sens où il devait être, il chausse son maître avec confiance : mais ce maudit envers se trouvant toujours dessus, la patience échappe à Molière. Oh, parbleu ! C’en est trop, dit-il, en lui donnant un coup de pied qui le fit tomber à la renverse : ce maraud-là me chaussera éternellement à l’envers ; ce ne sera jamais qu’un sot quelque métier qu’il fasse. Vous êtes philosophe ! Vous êtes plutôt le diable, lui répondit ce pauvre garçon qui fut plus de vingt-quatre heures à comprendre comment ce malheureux bas se trouvait toujours à l’envers.265
[78, p. 118-119] §
On a longtemps ignoré où Molière avait puisé le nom de Tartuffe, qui a fait un synonyme de plus dans notre langue, aux mots hypocrite, faux dévot, etc.
« Et ton nom paraîtra dans la race future,Aux plus vils imposteurs une cruelle injure. »266
Voici ce que la tradition nous apprend à cet égard.
Molière, plein de cet ouvrage qu’il méditait, se trouva un jour chez le nonce du pape267, avec plusieurs personnes, dont un marchand de truffes vint par hasard animer les physionomies béates268 et contrites269. Tartufoli, signor Nuncio ; tartufoli, s’écriaient les courtisans de l’envoyé de Rome, en lui présentant les plus belles. Attentif à ce tableau, qui peut-être lui fournit encore d’autres traits, il conçut alors le nom de son imposteur d’après le mot de tartuffoli, qui avait fait une si vive impression sur tous les acteurs de la scène.
[79, p. 121] §
« Pourceaugnac est une farce, a dit Voltaire ; mais il y a dans toutes les farces de Molière des scènes dignes de la hautes comédie (I) ».
(I) Diderot disait : « si l’on croit qu’il y ait beaucoup plus d’hommes capables de faire Pourceaugnac, que le Misanthrope, on se trompe. »
[80, p. 121-126] §
C’est dans le divertissement du second acte des Amants magnifiques que se trouve la première imitation qu’on ait faite de la charmante ode d’Horace, Donec gratus eram270, etc. J. J. Rousseau* paraît en avoir adopté la tournure dans son Devin de village271. Voici d’abord l’imitation de Molière :
Philinte.
Quand je plaisais à tes yeux ;J’étais content de ma vie,Et ne voyais Rois ni DieuxDont le sort me fit envie.Chimène.
Lorsqu’à toute autre personneMe préférait ton ardeur,J’aurais quitté la couronnePour régner dessus ton cœur.Philinte.
Un autre a guéri mon âmeDes feux que j’avais pour toi.Chimène.
Un autre a vengé ma flammeDes faiblesse de……………272,Philinte.
Cloris, qu’on vante si fort,M’aime d’une ardeur fidèle ;Si ses yeux voulaient ma mort,Je mourrais content pour elle.Chimène.
Myrtil, si digne d’envie,Me chérit plus que le jour ;Et moi je perdrais la viePour lui montrer mon amour.Philinte.
Mais si d’une douce ardeurQuelque renaissante trace,Chassait Cloris de mon cœurPour te remettre en sa place !Chimène.
Bien qu’avec pleine tendresseMyrtil me puisse chérir,Avec toi je le confesse ;Je voudrais vivre et mourir.Tous deux ensemble.Ah ! Plus jamais aimons-nous,Et vivons et mourons en des liens si doux.273
Passons maintenant à l’imitation de cette même ode, par J. J. Rousseau.
Colette.
Tant qu’à mon Colin j’ai su plaire,Mon sort comblait mes désirs.Colin.
Quand je plaisais à ma bergère,Je vivais dans les plaisirs.Colette.
Depuis que son cœur me méprise,Un autre a gagné le mien274.Colin.
Après le doux nœud qu’elle brise,Serait-il un autre bien ?Ma Colette se dégage !Colette.
Je crains un amant volage.Ensemble.Je me dégage à mon tour,Mon cœur devenu paisible,Oubliera, s’il est possible,Que tu lui fus cher un jour.chèreColin.
Quelque bonheur qu’on me prometteDans les nœuds qui me sont offerts,J’eusse encore préféré ColetteÀ tous les biens de l’univers.Colette.
Quoiqu’un seigneur jeune, aimable,Me parle aujourd’hui d’amour,Colin m’eût semblé préférableÀ tout l’éclat de la cour, &c.
Nous avons rapporté ces deux morceaux, pour donner une idée du faire de deux grands maîtres. En les comparant l’un avec l’autre, on distingue la différence des temps où chacun d’eux a été composé. On remarque moins de pureté dans le style de Molière, et plus de grâces et d’aménité dans celui du genevois. (I)275
(I) Cette ode a été imitée depuis par tous les cuistres du Parnasse, et malgré toutes les imitations, aucune encore n’a égalé son original.
[81, p. 127] §
Dans la moindre des comédies de Molière, dit Cailhava276, dans celles qu’on affecte de mépriser et d’appeler des farces, il y a plus de philosophie, plus de saine morale que dans toutes les larmoyantes productions du jour (I),
(I) Sans même en excepter Misanthropie et Repentir, Pinto et l’Abbé de l’Epée.
[82, p. 127277] §
Molière ne s’est pas borné à peindre dans son Avare, l’Avare amoureux, l’Avare mauvais père, l’Avare usurier ; son Harpagon est tout cela ; il ne s’est pas contenté de saisir une seule branche de l’avarice, il les a embrassées toutes.
[83, p. 127-128278] §
Les grands génies, comme les grands talents, sont toujours modestes. Molière devait lire une traduction de Lucrèce* en vers français, chez un ami, où étaient Boileau et plusieurs autres personnes de mérite. En attendant le dîner, on pria Despréaux de réciter la satire adressée à Molière ; mais après ce récit, Molière ne voulut plus lire sa traduction, craignant qu’elle ne fût pas assez belle pour soutenir les louanges que Boileau venait de recevoir. Il se contenta de lire le premier acte du Misanthrope, auquel il travaillait en ce temps-là, disant : qu’on ne devait pas s’attendre à des vers aussi parfaits et aussi achevés que ceux de Despréaux* ; parce qu’il lui faudrait un temps infini, s’il voulait travailler ses ouvrages comme lui.
[84, p. 128-129] §
Joly était un prédicateur fameux, qui vivait du temps de Molière. Les libertins, ou plutôt les jeunes gens qui aimaient à rire et à plaisanter, comparaient les talents de Joly avec ceux de Molière ; mais ils disaient que Molière était meilleur prédicateur, et que Joly était plus grand comédien.
[85, p. 129-130] §
Molière peint dans son Misanthrope, acte 2, scène 4, sous le nom de Timante279, un monsieur de St-Gilles qui était un homme de la vieille cour, et d’un caractère singulier. Molière prenait ses originaux partout où il pouvait les trouver. Comme cet ancien Gille ressemble à beaucoup de Gilles modernes, nous allons citer le portrait qu’en fait l’auteur du Misanthrope :
C’est de la tête aux pieds, un homme tout mystère,Qui vous jette en passant un coup d’œil égaré,Et sans aucune affaire est toujours affairé.Tout ce qu’il vous débite, en grimaces abonde,À force de façons, il assomme le monde ;Sans cesse, il a tout bas, pour rompre l’entretien,Un secret à vous dire, et ce secret n’est rien,De la moindre vétille280 il fait une merveille,Et jusques au bon jour, il dit tout à l’oreille.
[86, p. 130-131] §
Lors de la première défense de jouer le Tartuffe, la curiosité du public fut piquée, tout le monde voulait avoir Molière pour la lui entendre réciter. Boileau fait allusion à cet empressement, dans ce vers de la troisième satire où il fait la description d’un mauvais repas.
Molière avec Tartuffe y doit jouer son rôle.
[87, p. 131-132281] §
Racine et Despréaux*, avec lesquels La Fontaine était extrêmement lié, s’amusaient quelquefois à ses dépens : aussi l’appelaient-ils le bonhomme, quoiqu’ils connussent bien d’ailleurs tout ce qu’il valait. Une fois, entre autres, qu’ils étaient à souper chez Molière, avec Descoteaux282, célèbre joueur de flûte, La Fontaine y parut plus rêveur et plus concentré en lui-même qu’à l’ordinaire. Pour le tirer de sa distraction, Despréaux* et Racine qui étaient naturellement portés à la raillerie, se mirent à l’agacer par différents traits plus vifs et plus piquants les uns que les autres ; mais La Fontaine ne s’en déconcerta point. Ils avaient cependant poussé si loin la raillerie, que Molière, touché de la patience de La Fontaine, ne put s’empêcher d’en être piqué pour lui, et de dire à Descoteaux, en le tirant à part au sortir de table : Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n’effaceront pas le bonhomme.
[88, p. 132] §
Molière eut, comme les premiers farceurs, l’objet d’amuser et de faire rire ; mais par des moyens moins libres, et moins éloignés de la vraie comédie. « Je suis comédien aussi bien qu’auteur, disait-il, il faut réjouir la cour et attirer le peuple, et je suis quelquefois réduit à consulter l’intérêt de mes acteurs aussi bien que ma propre gloire. »
[89, p. 133] §
Pourceaugnac fut fait à l’occasion d’un gentilhomme limousin, qui, dans une querelle qu’il eut sur le théâtre avec quelques comédiens, développa tout le ridicule du plus épais provincial. Le contemplateur Molière, qui avait été témoin de la scène, en conçut l’idée de cette ingénieuse farce, qui eut le plus grand succès, et qu’on voit encore tous les jours avec le plaisir le plus vif.
Robinet283, dans sa lettre en vers du 23 novembre 1669, paraît appuyer cette anecdote lorsqu’il dit :
Il joue autant bien qu’il se peut,Ce marquis de nouvelle fonte,Dont par hasard, à ce qu’on conte,L’original est à Paris.En colère autant que surprisDe se voir dépeint de la sorte,Il jure, il tempête, il s’emporte,Et veut faire ajourner l’auteur, etc.
[90, p. 134] §
L’auteur fécond et célèbre des Singularités de la nature284, nous a appris une allusion très heureuse au trait plaisant du Pédant joué, que diable allait-il faire dans cette galère ? adopté par Molière dans les Fourberies de Scapin. Nos lecteurs à qui le petit écrit qu’on vient de citer, peut-être inconnu, seront bien aises de trouver ici cette bonne plaisanterie.
Le comte de Saxe285 avait imaginé en 1729 de faire construire une galère sans rames et sans voiles, qui devait remonter la seine de Rouen à Paris, en 24 heures. Sur les certificats de deux membres de l’académie des sciences, il avait obtenu un privilège exclusif pour sa machine, qui lui coûta beaucoup, et qui ne réussit point : la fameuse Lecouvreur286, amante du comte, s’écriait, après cette dépense inutile, que diable allait-il faire dans cette maudite galère ?
[91, p. 135] §
La farce du Médecin malgré lui, composée à la hâte, et dans laquelle Molière ne daigna pas même s’asservir à la règle de l’unité de lieu, eut le plus grand succès et soutint le Misanthrope, à la honte de l’esprit humain. C’était, dit Voltaire, l’ouvrage d’un sage qui écrivit pour les hommes éclairés, et il fallut que le sage se déguisât en farceur pour plaire à la multitude.
[92, p. 135-136] §
Molière attachait peu d’importance au Médecin malgré lui. Ce fait est confirmé par le comédien Subligny*, auteur de la Gazette rimée, sous le nom de Muse Dauphine. Voici par où ce gazetier termine ce qu’il dit du Médecin malgré lui.
Molière, dit-on, ne l’appelleQu’une petite bagatelle,Mais cette bagatelle est d’un esprit si fin,Que s’il faut que je vous le die,L’estime qu’on en fait est une maladieQui fait que dans Paris tout court au médecin.
[93, p. 136-138] §
Le Festin de Pierre eut peu de succès. La véritable raison fut qu’on ne permit pas à Molière, qui avait purgé le théâtre de tant de folies, d’y reporter lui-même un tissu d’extravagances.
Ce n’est pas qu’il ne plaisante quelque fois agréablement dans les rôles de Sganarelle et de monsieur Dimanche ; mais le tout ensemble n’était pas digne de passer sous la plume de notre auteur, et l’on ne peut qu’applaudir au mot ingénieux de cette femme qui dit à Molière,
votre figure de D. Pèdre baisse la tête, et moi je la secoue.
Il s’éleva contre cette comédie des ennemis d’une nouvelle espèce, et mille fois plus dangereux que les Saumaize*, les Boursault* &c.
La scène d’un pauvre avec D. Juan, dans laquelle Molière avait peint, avec trop d’énergie peut-être, la scélératesse raisonnée de son héros, éleva les clameurs des hypocrites et des faux dévots. Elle fut supprimée à la deuxième représentation.
Voici cette scène très courte que Voltaire nous a donnée, après l’avoir vue écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de l’un des amis de notre auteur.
Dom Juan rencontre un pauvre dans la forêt, et lui demande à quoi il y passe sa vie.Le Pauvre
A prier Dieu pour les honnêtes gens qui me donnent l’aumône.
Dom Juan
Tu passes ta vie à prier Dieu ? Si cela est, tu dois être fort à ton aise.
Le Pauvre
Hélas ! Monsieur, je n’ai pas souvent de quoi manger ?
Dom Juan
Cela ne se peut pas ; Dieu ne saurait laisser mourir de faim ceux qui le prient du soir au matin : tiens, voilà un louis d’or, mais je te le donne pour l’amour de l’humanité.
[94, p. 138-139] §
L’abbé Dubos287 admire dans la scène 7 du troisième acte288 du Misanthrope, la saillie de ce même personnage, qui rendant un compte sérieux des raisons qui l’empêchent de s’établir à la cour, ajoute, après une déduction des contraintes réelles et gênantes qu’on s’épargne en n’y vivait point :
« On n’a point à louer les vers de messieurs tels. »289
Cette pensée devient sublime, dit-il, par le caractère connu du personnage qui parle, et par la procédure qu’il vient d’essuyer, pour avoir dit que des vers mauvais ne valaient rien.
[95, p. 139-140] §
Voici comme Piron* s’exprime sur le Misanthrope :
« Un chasseur qui se trouve en automne, au lever d’une belle aurore, dans une plaine ou dans une forêt, fertiles en gibier, ne se sent pas le cœur plus réjoui que dût l’être l’esprit de Molière, quand, après avoir fait le plan du Misanthrope, il entra dans ce champ vaste où tous les ridicules du monde venaient se présenter en foule et comme d’eux-mêmes, aux traits qu’il savait si bien lancer. La belle journée du philosophe ! Pouvait-elle manquer d’être l’époque du chef-d’œuvre de notre théâtre ? »
[96290, p. 140-141] §
Parmi les épitaphes qu’on fit pour Molière, il y en a de plaisantes, et quelques-unes de sérieuses. Nous rapportons ici les deux suivantes qui font allusion à l’accident mortel qui lui arriva à la représentation de son Cocu imaginaire291 :
Ci gît, sans nulle pompe vaine,Le singe de la vie humaine,Qui jamais n’aura son égal.De la mort comme de la vie,Voulant être le singe en une comédie,Pour trop bien réussir, il y réussit mal :Car la mort en étant ravie,Trouva si belle la copie,Qu’elle en fit un original.
[97292, p. 141] §
Autres 293
Passant, ici repose un qu’on dit être mort ;Je ne sais s’il vit, ou s’il dort.
Le Malade imaginaireNe saurait l’avoir fait mourir ;C’est un tour qu’il joue à plaisir,Car il aimait à contrefaire.Quoiqu’il en soit, ci gît Molière ;Comme il était comédien ;Pour un malade imaginaire,S’il fait le mort, il le fait bien.
[98, p. 142] §
La seule épitaphe digne d’être mise sur le tombeau de cet incomparable comique est celle qui fut faite par La Fontaine. La voici :
Sous ce tombeau gisent Plaute* et Térence*,Et cependant le seul Molière y gît.Leurs trois talents ne formaient qu’un esprit,Dont le bel art réjouissait la France :Ils sont partis, et j’ai peu d’espéranceDe les revoir. Malgré tous nos efforts,Pour un longtemps, selon toute apparence,Térence* et Plaute* et Molière sont morts.
Annexes §
Lexique des noms propres §
Aristophane :
Aristophanês, auteur comique grec (Athènes v.-450 - -386). Apparaissant un demi-siècle après la tragédie, la comédie grecque a trouvé en Aristophane son véritable fondateur. Polémiste vigoureux, dédaigneux des convenances sociales, ennemi de la démagogie, de la violence et de la dictature, il célébra avec une verve jusqu’alors inégalée des valeurs toujours sûres : la sagesse, la nature, la paix. Un mélange permanent de grossièreté et poésie a fait le succès populaire de ce théâtre, adapté au goût et à la pensée d’un public méfiant, égoïste et irréligieux. Les guerres du Péloponnèse et la défaite athénienne le disposaient à apprécier le pragmatisme et le non-conformisme du poète. Des 44 comédies qui sont attribuées à Aristophane, 11 seulement nous sont parvenues : Les Acharniens (-425), Les Cavaliers (-424), Les Nuées (-423), Les Guêpes (-422), La Paix (-421), Les Oiseaux (-414), Lysistrata (-411), Les Thesmophories (-411), Les Grenouilles (-405), L’Assemblée des femmes (-392), Plutus (-388). (Le petit Robert des noms propres 2007)
Arnauld Antoine :
Dit le grand Arnauld, Théologien français (Paris 1612 – Bruxelles 1694). Sous l’influence de Saint-Cyran, il adopta, sur la grâce, les thèses les plus rigoureuses de l’augustinisme et devint le chef du parti janséniste. Exclu de la Sorbonne en 1656, il passa quelque temps dans la clandestinité, documentant Pascal pour les Provinciales, puis se retira à Port-Royal. À la reprise de la persécution antijanséniste (1679), il s’exila en Flandre puis aux Pays-Bas. Œuvres principales : De la fréquente communion (1643), Apologie pour les Saints-Pères (1651), Lettre d’un docteur de Sorbonne à une personne de condition et Seconde Lettre à un duc et pair (1655), où il formule sa position sur les cinq propositions attribuées à Jansénius ; Grammaire générale et raisonnée ou Grammaire de Port-Royal (1660, avec Lancelot), Logique de Port-Royal (1662, avec Nicole) et des ouvrages contre le protestantisme. Outre son rôle éminent dans l’histoire du christianisme, Antoine Arnauld est une figure majeure de la logique et de la philosophie du langage ; […].
Baron :
Baron (Michel Boyron, dit), célèbre acteur et auteur de plusieurs comédies estimables. Né en 1653, il était fils d’André Boyron, dit Baron le père (1600-1655), et de Mlle Baron, née Jeanne Auzoult (1625-1662), tous deux comédiens de l’hôtel de Bourgogne. Orphelin de bonne heure, il débute dans la troupe des Petits Comédiens du Dauphin vers 1665. […] Baron joue en province, dans la troupe du duc de Savoie, dès 1667, et qu’à Pâques 1670, il entre dans la troupe de Molière. Il représente l’Amour dans Psyché, et probablement Ariste dans Les Femmes savantes. À la mort du grand comique, il passe à l’hôtel de Bourgogne, où il crée vraisemblablement le rôle d’Achille dans Iphigénie et celui d’Hippolyte dans Phèdre. Après la fusion de 1680, il est toujours extrêmement apprécié du public pour la beauté de ses traits, la noblesse de sa voix, la justesse étudiée de son jeu. En même temps, il fait jouer plusieurs comédies en prose de sa composition, amusante par la peinture qu’elles nous offrent de la belle société parisienne ; l’une de ces pièces, L’Homme à bonne fortune, peut même rivaliser avec les comédies correspondantes de Dancourt. Brusquement, en octobre 1691, Baron quitte le théâtre, avec une pension de 1000 livres par an. Il borne désormais son activité de comédien à conseiller ou à seconder de jeunes princes, comme le duc d’Orléans ou la duchesse de Bourgogne, dans les représentations privées qu’ils organisent pour distraire le roi ; d’autre part il fait jouer deux adaptations de Térence : en 1703, l’Adrienne, et, en 1705, Les Adelphes. […]. Il meurt chrétiennement le 22 décembre 1729.
Beauval :
Jean Ptiel dit Beauval (1635 – 29 décembre 1709), comédien français. Il se marie avec Jeanne Olivier Bourguignon (1648 – 21 mars 1720), actrice française. Ils ont ensemble deux enfants : François né en 1667 et Jean-Baptiste Monchaingre.
Béjart Armande :
Armande Béjart, Mademoiselle Molière. Elle naquit fin 1642 [...]. Armande épousa Molière le 20 février 1662 ; piquante et gracieuse sans être vraiment belle, elle créa maints premiers rôles dans les pièces écrites par son mari : elle fut sûrement Élise dans La Critique de l’École des femmes, Elmire dans Tartuffe, Angélique dans Le Malade imaginaire, et, très probablement, Célimène dans Le Misanthrope, Lucile dans Le Bourgeois gentilhomme, Psyché dans la tragédie-ballet du même nom, Henriette dans Les Femmes savantes. Une tradition veut qu’elle n’ait pas fait bon ménage avec Molière, et que celui-ci ait laissé passer son œuvre quelque écho de ses infortunes domestiques : il est difficile de rien préciser là-dessus, à moins d’accorder une valeur de document à un pamphlet aussi venimeux que La Fameuse Comédienne. Ce qui est certain, c’est que Mlle Molière eut trois enfants de son mariage avec le poète, et que, devenue veuve, elle n’offrit aucune prise à la médisance, tout en continuant son métier d’actrice. Le 31 mai 1677, elle épousa en secondes noces Isaac François Guérin d’Estriché*, ancien comédien du Marais, passé, depuis la fusion en 1673, au théâtre de la rue Guénégaud. Elle prit sa retraite en 1694, et mourut le 30 novembre 1700.
Benserade ou Bensserade :
Isaac de (Paris 1613 – Gentilly 1691). Poète et dramaturge français qui, pendant sa longue carrière, s’est fait admettre par les cours de Louis XIII et de Louis XIV. Protégé de Richelieu, il fait partie de la Brigade, groupe d’écrivains où l’on rencontre notamment Chapelain et d’Aubignac. Dans la première partie de sa vie, il écrit surtout des tragédies, dont Cléopâtre (1636) et Méléagre (1641). Mais c’est Iphis et Iante, sa première pièce jouée à l’Hôtel de Bourgogne en 1634, qui est la plus connue. Cette comédie, tirée des Métamorphoses d’Ovide, raconte l’histoire d’une jeune fille obligée de se faire passer pour un garçon pour échapper au meurtre. Benserade a également écrit des vers pour les arguments de ballets présentés devant le roi, en association avec Lully. Il entre à l’Académie française en 1674.
Bernier :
(François), né le 25 septembre 1625, à Toué-Étiau, en Anjou, mort à Paris en 1688, s’est fait connaître comme philosophe et lettré, mais surtout comme voyageur. Venu de sa province à Paris, il fut condisciple de Molière au collège de Clermont ; puis, associé, on ne sait par quel concours de circonstances, à l’éducation de Chapelle, il eut comme maître de philosophie Gassendi dont il devait toujours rester le disciple enthousiaste. En 1674, il publiera un Abrégé de la philosophie de Gassendi (Lyon, 1678, 8 vol. in-12). C’est par Molière et Chapelle qu’il connut aussi Boileau, Racine, La Fontaine, Mmede La Sablière, et le cercle de Ninon de Lenclos. Très lié avec les illustres du XVIIe siècle, il fut plus d’une fois leur collaborateur. Docteur de la faculté de Montpellier, il a, dit-on, fourni à l’auteur du Malade imaginaire plusieurs traits contre les médecins et à La Fontaine les détails techniques de son poème sur le Quinquina. Avec Racine il eut sa part dans la rédaction du fameux Arrêt burlesque de Boileau. Pourtant, sans ses voyages, le « joli philosophe », comme l’appelait Saint-Évremond à cause de son caractère enjoué et aimable et de l’agrément de ses manières, n’eût peut-être laissé que la réputation ordinaire d’un homme d’esprit ; mais, d’humeur aventureuse, il avait parcouru la Palestine, l’Égypte et l’Abyssinie et séjourné douze ans aux Indes, où il fut médecin d’Aureng Zeb. À son retour, dans ses Mémoires (Paris, 1670-1671, 4 vol. in-12), il fit connaître à ses compatriotes une contrée inconnue jusque-là en Europe. Les descriptions qu’il donna de l’Inde, de son administration, de ses mœurs, de sa religion, du pays, fixèrent sur lui l’attention du public et lui valurent le surnom de « Mogol » ; mais elles sont encore aujourd’hui appréciées et estimées et le jugement de Voltaire reste vrai : « Les qualités pittoresques et dramatiques de son récit, en même temps que la grande exactitude de son savoir font de Bernier le premier des voyageurs. »
Boccace :
Giovanni Boccaccio, écrivain italien (Florence 1313 – Certaldo Toscane 1375). [...]. Il participa à la vie fastueuse et raffinée de la cour de Robert d’Anjou et découvrit les lettres avec délices, favorisé en cela par la présence d’esprits tels que Cino de Pistoia. Pourtant ses vers de l’époque ne sont guère plus que des exercices littéraires, et c’est sous la forme d’un roman que son expérience amoureuse lui dicta sa seule œuvre napolitaine notable, le Filocolo (1336-1338), [...]. De retour vers 1340 à Florence, Boccace mûrit son art dans l’allégorie pastorale du Ninfale d’Ameto (1341-1342) et surtout dans l’Elegia di Madonna Fiammetta (1344-1345), […]. La dernière œuvre remarquable de cette période est le Ninfale fiesolano (1344-1346), […]. C’est très certainement entre 1349 et 1353, au lendemain de la peste qui ravagea Florence, que Boccace rédigea Le Décameron, dont on présume que le titre est forgé sur l’exemple de l’Hexaméron de saint Ambroise. Sa dernière œuvre d’imagination est le Corbaccio (entre 1365 et 1366), sorte de violente satire misogyne qui étonne après les prises de position « féministes » du Décameron. Après une profonde crise morale, Boccace n’écrivit plus que des œuvres en latin. En 1350, il avait fait la connaissance de Pétrarque, avec lequel il ne cessa de correspondre. En 1373, Florence le chargea de commenter en public La Divine Comédie, activité qu’il poursuivit jusqu’à sa mort.
Boursault :
Boursault Edme (Mussy-l’Évéque, Champagne, 1638 – Paris 1701). Auteur dramatique et poète français, nommé en 1660 secrétaire des commandements de la duchesse d’Angoulême. Auteur de quelques comédies, Boursault se fait surtout remarquer par ses interventions risquées dans les polémiques qui agitent les milieux littéraires. Dans le Portrait du peintre (1663) il s’attaque à Molière dans la querelle de l’École des femmes, en prenant le contrepied de la Critique. En 1669, il compose une farce contre Boileau, la Satire des satires, interdite à la représentation. Plus tard, il critique le Britannicus de Racine. Malgré des réconciliations ultérieures, la réputation de Boursault vient davantage des polémiques que de ses œuvres dramatiques, en dépit du succès de comédies comme le Mercure galant (1663).
Brécourt :
Brécourt (Guillaume Marcoureau, sieur de), Paris, 1639 – Paris, 1685. Auteur-acteur qui se fit connaître d’abord sur la scène du Marais avant de passer dans la troupe de Molière, en juin 1622 ; il s’y illustra en tenant un rôle dans L’impromptu de Versailles. Mais, dès 1664, il entra à l’hôtel de Bourgogne. Il mourut, dit-on, après s’être rompu une veine en jouant sa comédie Timon. L’Ombre de Molière, une comédie en un acte qu’il écrivit juste après la mort de celui-ci, contribua à populariser l’idée d’un Molière défenseur de la morale des honnêtes gens et ennemi des outrances.
Chapelain :
Chapelain Jean (Paris 1595-1674). Poète et esthéticien français. […], Chapelain s’applique dès 1623 à promouvoir la tradition esthétique aristotélicienne en France. Jusqu’en 1665, il exerce un magistère incontesté et tacitement garanti par l’autorité royale, […]. Avec l’appui de Richelieu, il entreprend de doter le nouvel âge dramatique d’un modèle théorique en développant celui qui avait été ébauché par Aristote et formalisé par ses meilleurs exégètes, Scaliger, Castelvetro ou Heinsius. Dans la préface critique à l’Adone de Marino (1623), la Lettre sur les vingt-quatre heures (1630) et Les Sentiments de l’Académie Française sur la tragi-comédie du Cid (1638), Chapelain énonce les principes appelés à régir le champ dramatique après la querelle du Cid. Il établit que la création dramatique obéit à des règles garantissant la qualité de ses productions et permettant d’évaluer celle-ci à leur régularité. Il prescrit surtout de représenter la « belle nature » en tirant par abstraction des paradigmes de la réalité sensible. [...]. Il fonde en particulier les unités de temps et de lieu en démontrant que le théâtre de la fiction dramatique doit se limiter à une aire unique et sa duré rester proportionnée à celle de la représentation et ne jamais excéder vingt-quatre heures. L’esthétique théâtrale classique reçoit ainsi les canons qui lui permettront de perdurer jusqu’à la Restauration. Trop absorbé par la rédaction de la Pucelle, son grand œuvre épique, Chapelain laisse le soin de développer ce modèle dramatique à La Mesnadière (Poétique, 1639) et à l’abbé d’Aubignac (la Pratique du théâtre, 1657).
Chapelle :
Claude Emmanuel Lhuillier, dit Chapelle ou La Chapelle, né en 1626 à La Chapelle Saint-Denis. Il était fils naturel de François Luillier et de Marie Chanut. Son père, homme riche, cultivé, lui fit donner une excellente éducation. Quand il sortit du collège des Jésuites, il lui donna pour maître le philosophe Gassendi qu’il admirait fort et qu’il avait « retiré » chez lui. Gassendi avait en même temps pour élève le philosophe et voyageur Bernier*. Il est fort douteux que Molière se soit joint à eux. [...]. Il fut très vite l’un des plus aimables représentants de ces « libertins » et « débauchés » (nous dirions bons vivants) qui continuent la tradition des poètes bohèmes et « crottés » tels que Saint-Amant et Colletet. Il est probable que des tantes austères, pendant une absence de Lhuillier, prirent prétexte de quelque frasque pour faire enfermer le jeune homme quelques mois à la prison de Saint-Lazare. À sa mort son père lui laissa des rentes largement suffisantes pour lui permettre de continuer à mener la vie qui lui plaisait [...]. Il mourut en 1686.
Colbert :
Colbert (Jean-Baptiste), mécène, 1619-1683, grand ministre de Louis XIV […]. C’est comme employé de banque qu’il s’était fait connaître de Mazarin, à Fouquet et au roi. Celui-ci l’utilisa d’abord comme intendant à son service, [...]. Il attendit 1661 pour lui donner entrée officielle au conseil comme intendant des finances. Colbert poussa aussitôt le roi à se défaire du surintendant Nicolas Fouquet et, quand celui-ci fut arrêté, poursuivit avec la dernière âpreté la perte de son ancien patron. […]. Le roi appréciait ses qualités de travail, et bien qu’il ait supprimé cette charge de surintendant à laquelle Colbert semble bien avoir quelque temps aspiré, il en fit un contrôleur général des finances le 12 septembre 1665. Dès 1664, les flatteurs lui donnaient le titre de ministre d’État ; mais ce n’est que le 16 février 1669 qu’il devint véritablement secrétaire d’État, ayant succédé à Guénégaud au ministre de la Marine. Cependant l’année même où il eut le contrôle général des finances, il acheta pour 200 000 lb. la charge de surintendant général des bâtiments du roi, arts et manufactures de France. […]. Il était devenu l’homme à tout faire de Louis XIV, jusqu’au jour où la faveur grandissante de Louvois commença d’éclipser la sienne. les dépenses exigées par la guerre de Hollande furent les avant-coureurs de son déclin. On a dramatisé les dernières années de Colbert et particulièrement ses derniers mois. Les document publiés montrent que Louis XIV lui rendit toujours justice et que la mort du ministre survenue le 6 septembre 1683, est due davantage à son excès de travail qu’aux reproches immérités que lui aurait fait le roi quelques jours auparavant.
Condé :
Condé (Louis de Bourdon, duc d’Enghien, puis, à la mort de son père, prince de [, dit Monsieur le Prince]) naquit à Paris le 8 septembre 1621. Son père était Henri de Bourdon, prince de Condé, sa mère Charlotte de Montmorency. […] Ce fut dans « son apothéose de Chantilly » que la mort vint le prendre le 11 décembre 1686.
Conti :
Conti (Armand de Bourbon, prince de,) naquit à Paris le 11 octobre 1629. Son père était Henri de Bourbon prince de Condé, sa mère Charlotte de Montmorency. Il fut d’abord destiné à l’Église ; élevé au collège de Clermont par les jésuites. Il étudia la théologie sous le P. de Champs. [...] Conti ne tarda guère à quitter le petit collet pour l’épée. On sait le rôle fâcheux qu’il joua pendant la Fronde, aux côtés du prince de Condé, son frère. Ce qui ne l’empêcha pas d’épouser Anne-Marie Martinozzi, nièce de Mazarin. Le cardinal mit son neveu par alliance à la tête des armées de Catalogne (1655), en Piémont (1637). […]. Gouverneur du Languedoc, il encouragea Molière à Pézenas. Mais converti par l’évêque d’Alet, Pavillon, il retira à la troupe du poète le titre de comédiens ordinaires du prince de Conti. […]. Il composa un traité sur les devoirs des grands et un ouvrage contre la comédie et les spectacles, qui prend à partie les pièces de Corneille et condamne même Polyeucte. [...]. Ce prince théologien mourut au château de la Grange des Prés non loin de Pézenas le 21 février 1666.
Corneille Thomas :
Corneille Thomas (Rouen 1625 – Les Andelys 1709). Auteur dramatique français. Frère cadet de Pierre Corneille, il cultiva avec un succès tous les genres dramatiques (une quarantaine d’œuvres), comédies, tragédies, pièces à machines, et obtint avec sa tragédie Timocrate (1656) le plus grand succès théâtral du XVIIe siècle. Avocat de formation, il commence sa carrière (1649) en adaptant des comedias, comme il était alors de mode, oscillant entre le versant romanesque (les Engagements du hasard, l’Amour à la mode) et le versant burlesque, sur lequel il rivalise avec Scarron (Le Geôlier de soi-même, Dom Bertrand de Cigarral). Lorsque, quelques années après la Fronde, le genre tragique retrouve la faveur du public, il donne Timocrate, tragédie qui, avec notamment les thèmes de l’amante ennemie et du prince déguisé en mercenaire ainsi que par sa fin heureuse, prolonge le genre défunt de la tragi-comédie. Pendant plus de vingt ans les tragédies se succèdent, qu’on classe volontiers en cycles et où l’on se plaît à repérer des influences : tragédies de l’identité (Darius, Pyrrhus, Laodice qui s’inscrivent dans la lignée de l’Héraclius de Pierre Corneille), tragédies de violence politique (Camma, Stilicon), tragédies de sentiments (Ariane, 1672, considérée comme son chef-d’œuvre, et le Comte d’Essex, 1678, qui sont dites « raciniennes »). En même temps sans renoncer à la comédie, il se lance dans les comédies et tragédies à machines et en musique qui font pièce à l’opéra naissant (l’Inconnu, Circé). Talent multiforme, à l’affût des nouveaux courants esthétiques, il fut considéré de son vivant comme l’un des tout meilleurs dramaturges du XVIIe siècle ; il reste en tout cas le plus représentatif de la variété des formules théâtrales qu’à connues le théâtre classique à son apogée.
L’Abbé Cotin :
Cotin (Charles), prédicateur, conseiller et aumônier du roi (Paris 1604, déc. 1681) connu comme auteur d’œuvres galantes et précieuses sous le nom d’abbé Cotin, membre de l’Académie françaises (1655) ; il attaqua Molière qui, en retour, le peignit sous le personnage de Trissotin dans les Femmes Savantes. Il fut en butte aux critiques de Boileau, qui lui reprochait de l’avoir accusé de copier Juvénal.
Cyrano :
Cyrano de Bergerac Savinien de (Paris 1619-1655) [...] issu de la bourgeoisie de robe, et il passe par la carrière militaire, la politique, et enfin la littérature où il est proche des libertins érudits et des burlesques comme Scarron. La Mort d’Agrippine (1653) est une tragédie qui repose sur le mensonge et sur le désir individuel que masque l’intention politique. Le Pédant joué (comédie, 1654) se caractérise par des personnages saisis par le délire verbal.
Debrie :
Brie, pseudonyme de Catherine Leclerc du Rosé (vers 1630-1706). Comédienne française. Remarquée par Molière à Lyon, elle entre dans sa troupe avec son mari, Edme Villequin, dès 1650. Célèbre pour sa beauté et ses qualités d’actrice, elle triomphe dans les rôles d’ingénue et notamment dans celui d’Agnès de l’École des femmes. Elle passa pour avoir été la maîtresse de Molière avant le mariage de celui-ci avec Armande Béjart. Après la mort de Molière, elle rejoint avec ses camarades la troupe de l’hôtel Guénégaud puis la Comédie Française. Elle déplaît à la Dauphine en 1684 et se retire en 1685 avec une pension.
Desmarets
Desmarets ou Desmaretz de Saint-Sorlin, Jean (Paris 1595-1676). « Esprit universel et plein d’invention », selon Tallemant des Réaux, et dramaturge forcé sous la protection dominatrice de Richelieu de 1636 à 1642, puisque son activité théâtrale cesse avec la mort de son maître, qui participe sans doute aux projets de pièces. Un des premiers académiciens, Desmarets contribue à la rédaction des Sentiments de l’Académie sur le Cid. Parmi ses sept pièces, on en retient surtout Mirame (1641) commandé par Richelieu pour l’inauguration du Palais-Cardinal et représenté fastueusement avec des machines. Les Visionnaires (1637) est une étonnante comédie qui dresse une série de portraits de personnages « bizarres » réunis par une intrigue-prétexte, prenant pour modèle des individus réels reconnus par les contemporains.
Donneau de visé :
Donneau de Visé Jean, (Paris 1638 – 1710). Auteur français de nouvelles, de pièces de théâtres, et surtout fondateur et directeur du Mercure galant jusqu’à sa mort. Il débuta au théâtre en 1663 en attaquant l’École des femmes au Tome III de ses Nouvelles Nouvelles et en publiant des ripostes en un acte aux pièces défensives de Molière : Zélinde ou la Véritable critique de l’ École des femmes et Réponse à l’Impromptu de Versailles. C’est pourtant Molière qui monta de 1665 à 1669 plusieurs de ses comédies de mœurs en un acte, notamment la Mère coquette (1665) et la Veuve à la mode (1667). il donna ensuite plusieurs pièces au Marais tout en publiant de nouveaux recueils de nouvelles, puis collabora avec Thomas Corneille, qui devint son associé en 1677 lorsque le Mercure eut une périodicité mensuelle. Ensemble, ils obtinrent deux des grands succès de la période, grâce à la tragédie à machines de Circé (1675) et à une comédie qui faisait écho à l’affaire des Poisons, la Devineresse (1679).
Du Croisy :
Du Croisy, pseudonyme de Philibert Gassot (Conflans-sainte-Honorine 1626-1695). Comédien français. D’abord acteur et chef de troupe en province, il se marie en 1652 et entre dans la troupe de Molière en 1659. Grand et bel homme, il interprète des rôles divers dont Tartuffe qui fut le plus grand. À la mort de Molière, il suit ses camarades à l’Hôtel Guénégaud, puis à la Comédie-Française. Il se retire en 1689 dans son village natal.
Du Parc :
Du Parc (Marquise-Thérèse de Gorla, Mlle), célèbre actrice. Elle épouse le 23 février 1653, René Berthelot, dit Du Parc, acteur de la troupe de Molière (le Gros-René du Dépit amoureux et d’un certain nombre de farces dont La Grange nous a transmis les titres). Elle entre donc dans la troupe de Molière, et s’y fait remarquer par sa beauté ; la tradition veut que l’auteur de l’Étourdi se soit épris de ses charmes ; […]. Rentrés à Paris avec Molière, la Du Parc et son mari jouent une saison au théâtre du Marais (Pâques 1659 – Pâques 1660), puis réintègrent la troupe de Monsieur. Mlle Du Parc y représente Climène dans la Critique de l’École des femmes, Dorimène dans Le Mariage forcé, probablement Éiante dans Le Misanthrope, et Molière rend hommage à son talent de comédienne dans L’Impromptu de Versailles. Mais elle brille davantage encore par son « port d’impératrice » et ses dispositions pour la tragédie (dès 1663, Racine pense à lui confier le premier rôle féminin de sa Thébaïde), et par ses dons de ballerine (elle figure au premier plan dans Les Plaisirs de l’isle enchantée, en mai 1664). Devenue veuve (octobre 1664), la Du Parc continue son métier d’actrice ; le 4 décembre 1665, elle crée le rôle d’Axiane dans l’Alexandre de Racine, qui se brouille peu après avec Molière en donnant sa pièce aux comédiens de l’hôtel de Bourgogne. C’est vraisemblablement sur les instances de Racine que Mlle Du Parc passe à l’hôtel de Bourgogne, à Pâques 1667 : le 17 novembre de cette même année, elle représente le personnage d’Andromaque dans la nouvelle tragédie de Racine. Mais cette carrière qui s’annonçait triomphale se clôt prématurément : le 11 décembre 1668, Mlle Du Parc meurt, à l’âge de trente-cinq ans, et Racine suit son convoi en grand deuil, « à demi trépassé » de douleur, s’il faut en croire Robinet.
Épicure :
Philosophe grec fondateur de l’épicurisme (Samos ou Athènes -341 – Athènes -270). Il passa sa jeunesse à Samos avant de suivre les leçons de Xénocrate à Athènes (-323), puis celles de Nausiphanès près de Colophon. Il ouvrit une première école philosophique à Mytilène (Lesbos) en -311, puis à Lampsaque en -310 avant de fonder à Athènes en -306 l’école du Jardin. Épicure écrivit beaucoup d’ouvrages où il expose ses théories, mais la plupart ont disparu. Nous ne possédons de ses œuvres que trois lettres : Lettre à Hérodote sur la physique (outre les principes de sa physique, il chercha à montrer l’intérêt psychologique et éthique de l’étude des faits naturels : procurer la paix de l’âme en la débarrassant des superstitions), Lettre à Pythoclès sur les météores (son authenticité est contestée), Lettre à Ménécée sur la morale (à la critique des idées fausses que se font les hommes sur les dieux et la mort, succède l’exposé des principes de la morale épicurienne : identité du souverain bien et du plaisir ; l’hédonisme y apparaît comme une recherche de la paix de l’âme : « se suffire à soi-même et se contenter de peu »).
-Fouquet :
Homme d’état français (Paris 1615 - Pignerol 1680). Lié à Mazarin, il succéda à Servien à la surintendance des Finances (1653). Son crédit personnel lui permit de regagner la confiance des traitants et de faire face aux dépenses de l’état après la Fronde. Cependant, il profita de sa situation pour acquérir une fortune prodigieuse, entretenir toute une clientèle et même établir une force militaire personnelle. Il s’entoura au château de Vaux, qu’il avait fait construire, d’un groupe d’écrivains et d’artistes choisis avec discernement (La fontaine, Molière, Le Vau, Poussin, Le Brun). Colbert, qui convoitait sa succession, dénonça ses malversations à Louis XIV. Une fête trop somptueuse à Vaux, où il invita le roi, acheva sa perte. Arrêté à Nantes (1661), il fut jugé avec partialité et irrégularité au cours d’un procès qui dura trois ans et à l’issue duquel il fut enfermé à Pignerol. La fidélité dont ses amis firent alors preuve (La Fontaine, Mmede Sévigné, Mlle de Scudéry) témoigne en sa faveur. Les circonstances de sa mort sont restées obscures.
Gassendi : (1592-1655)
Gassendi (Pierre), 22 janvier 1592 – Paris, 24 octobre 1655. Fils de cultivateurs, il fit ses études à Digne, Aix, Avignon, reçut les ordres et devint prévôt de l’évêque et chanoine de Digne, après avoir quelque temps professé la philosophie. Il s’était rendu à Paris, en Hollande, puis de nouveau à Paris, revint en Provence où il vivait tantôt à Digne, tantôt à Aix. Au début de 1641, il regagna Paris et fut en 1645 nommé à la chaire de mathématiques du Collège royal. Protégé de Peiresc dès sa jeunesse, il s’était lié ou avait correspondu avec tous les savants de son temps. Son amitié avec Diodati, La Mothe Le Vayer et Naudé avait fait nommer leur groupe la Tétrade. Toute l’œuvre de Gassendi est écrite en latin. Elle concerne surtout l’astronomie et la philosophie, mais aussi l’histoire, la musique, diverses sciences, etc. Sa correspondance est fort intéressante. [...] Adversaire d’Aristote, il reprend à son compte un certain nombre des critiques de Ramus. Adversaire de Descartes, il tente d’opposer à la philosophie cartésienne une sorte d’épicurisme chrétien, un sensualisme atomiste auquel il superpose une théorie spiritualiste, fondée sur la création du monde par Dieu. […] Les libertins, qui tentent de compter parmi eux ce séduisant esprit, si ingénieux et si cultivé, ne lisent qu’une partie de son œuvre et ne peuvent être tenus ni pour ses maîtres ni pour ses disciples. Le souvenir de Gassendi s’attache surtout au fait qu’on a tenté […] de le poser en rival de Descartes. Les travaux récents ont cependant contribué à dépasser cette opposition trop simple, en situant Gassendi par rapport à d’autres auteurs, mais aussi en considérant sa personnalité et sa pensée en elles-mêmes, avec les hésitations et les ambiguïtés qui traversent cette œuvre énorme et fort hétérogène.
Guérin :
Eustache-François Guérin d’Étriché (1636 – 28 janvier 1728), comédien français. Il débuta sa carrière en 1672 dans la troupe du Marais. Il épousa en 1677 Armande Béjart. Il mourut en 1728.
Hôtel de Bourgogne :
Salle de théâtre du quartier des Halles à Paris, construite en 1548 par les Confrères de la Passion, sur l’emplacement de l’ancienne demeure des ducs de Bourgogne. Ils ont le monopole des spectacles à Paris. La salle est louée ponctuellement avant 1629 lorsque le roi y installe la troupe de Gros-Guillaume et de Bellerose pour un bail de trois ans qui sera renouvelé sans interruption par les Comédiens du roi jusqu’en 1680. De forme rectangulaire, comme tous les théâtres du XVIIe siècle, l’Hôtel de Bourgogne a un plateau exigu de cinq à six mètres de largeur sur une profondeur qui sera au plus de treize mètres après les travaux de 1645. Scène officielle, l’Hôtel de Bourgogne doit lutter contre le succès du théâtre du Marais auquel il enlève à plusieurs reprises des comédiens pour renforcer sa troupe vers 1630 son répertoire comporte des valeurs sûres traditionnelles de la farce avec Gros-Guillaume, Gauthier-Garguille et Turlupin ainsi que les pièces de Hardy et de Rotrou attachés successivement à la troupe de Bellerose. Sa période de gloire viendra plus tard, pour la tragédie surtout, après 1647, quand le grand comédien Floridor et Pierre Corneille quittent le Marais pour rejoindre la troupe royale. Après 1658, en butte à la dure concurrence de Molière pour la comédie, l’Hôtel de Bourgogne aura cependant le privilège de créer les grandes tragédies de Racine. En 1680 après la fusion des troupes de Guénégaud et de l’Hôtel de Bourgogne, le théâtre sera occupé par les Italiens jusqu’en 1697.
Hôtel de Rambouillet :
Ancien hôtel construit rue Saint-Thomas-du-Louvre (Paris) par Catherine de Vivonne (l’ « incomparable Arthénice »), marquise de Rambouillet (1588- 1655), qui en dessina l’ordonnance (la « Chambre Bleue ») et y reçut des gens du monde et des lettres, de 1620 à sa mort. On s’y livrait, avec bienséance et pédantisme, à des divertissements littéraires et des débats de casuistique amoureuse menés en une langue nuancée et pure. Ce cercle était composé de Chapelain, Cotin, Saint-Amant, Sarasin, Voiture, la Marquise de Sablé etc.
Hubert :
André Hubert (16… - 19 novembre 1700), comédien français. Il épousa Catherine Morant. Après la mort de Molière, Hubert passa dans la troupe de Guénégaud. Il se retira du métier le 14 avril 1685, par permission du roi du 24 février précédent, avec une pension de 1000 livres, et mourut le vendredi 19 novembre 1700.
Lamoignon :
Guillaume de Lamoignon, marquis de Baville, comte de Launai-Courson, baron de S. Yon, premier président au parlement de Paris, fut reçu avocat au parlement le 19 avril 1635, conseiller au même parlement le 14 décembre suivant, maître des requêtes le 15 décembre 1644, et pourvu de l’office de premier président le 2 octobre 1658, dont il prêta serment de fidélité entre les mains du roi le 4 du même mois, et fut reçu le 16 novembre suivant. […]. Il mourut le 10 décembre 1677, et fut inhumé le lendemain dans la cave de sa famille en l’église des Cordeliers.
Lekain :
(Henri Louis Cain, dit), comédien français, sociétaire de la Comédie-Française (Paris 1729 – id. 1778). Soucieux de naturel dans la déclamation et de vérité dans la mise en scène, il obtint en 1759 la suppression des banquettes qui, depuis le XVIIe siècle, encombraient la scène.
Lenclos :
(Anne dite Ninon de), Paris 1620-1705. Sa vie et ses aventures galantes sont célèbres comme sa beauté et son esprit. Elle a laissé des lettres agréables et parmi ses correspondants l’on trouve Mmede Maintenon, Saint-Évremond, le chevalier de Méré, etc. Par son testament (1704), elle demandait au notaire Arouet « de permettre de laisser à son fils qui est aux Jésuites mil francs pour luy avoir des livres ». Le futur Voltaire avait alors dix ans.
Lucain :
Marcus Annaeus Lucanus, poète latin (Cordoue 39 – Rome 65). Neveu du philosophe Sénèque et compagnon de Néron, il fut compromis dans la conjuration de Pison et contraint par Néron de se donner la mort. Il est l’auteur d’une œuvre considérable dont il ne nous reste que la Pharsale, récit de la guerre civile entre César et Pompée, œuvre qui exprime l’âme d’une société où le drame était une expérience de chaque jour.
Lucrèce :
Titus Lucretius Carus, poète latin (Rome v. -98 - -55). Auteur du De rerum natura (« De la nature »), épopée en 6 livres qui expose avec une intention morale la physique épicurienne. Il se propose d’éliminer la crainte des dieux, poison mortel pour l’esprit humain, en fournissant de l’univers physique une explication matérialiste : […]. Par le réalisme de son imagination, par son enthousiasme persuasif, Lucrèce prépare Virgile ; l’intensité poétique de son œuvre est inséparable de la cohérence philosophique de son discours, qui constitue l’un des sommets de la pensée romaine.
Lulli / Lully : (1633-1687)
Lulli (Jean-Baptiste), surintendant de la musique du roi Louis XIV, natif de Florence en Italie, était fort jeune lorsqu’une personne de qualité l’amena en France. Peu de temps après il entra chez mademoiselle de Montpensier, puis chez le roi, où sa réputation s’augmenta de jour en jour. Jamais personne n’avait porté si haut l’art de jouer du violon : instrument qui paraissait plus agréable entre ses mains, qu’aucun autre de ceux qui plaisent le plus. L’usage des Opéra n’ayant pas encore été introduit en France, le roi faisait faire tous les ans de grands spectacles, qu’on nommait Ballets, où il y avait un corps de sujet représenté par un grand nombre d’entrée mêlées de récits. Lulli en composa les airs, les entrées et les ballets ; ce qui lui fit donner la charge de surintendant de la musique du roi. Pendant que les plaisirs de sa majesté l’occupaient entièrement, Perrin, introducteur des ambassadeurs auprès de Philippe de France duc d’Orléans, frère du roi, ayant jugé que les Opéra pouvaient être introduits en France, en demanda le privilège et l’obtint. Il fit ensuite une société avec le sieur Cambert, maître de la musique de la reine-mère Anne d’Autriche, et avec le marquis de Sourdeac, pour l’exécution de ce dessein. Cette nouveauté plut au public, et eut assez de succès ; mais ces intéressés s’étant brouillés, Perrin crut avoir un juste sujet de se plaindre, et transporta son droit de privilège à Lulli, qui l’avait déjà obtenu du roi. L’Opéra parut entre ses mains avec de nouvelles beautés : de sorte qu’il donna tous les ans jusqu’à sa mort, une pièce de sa composition, avec des applaudissements continuels. Il mourut à Paris au mois de mars 1687, âgé de 54 ans.
Malherbe :
(François de), poète français (Caen 1555- Paris 1628). Inspiré d’abord par la Pléiade (Les larmes de saint Pierre, 1587), il évolua vers une poésie oratoire et devint poète officiel (1605) sous Henri IV, puis Louis XIII. Ses œuvres de circonstance où l’éloquence soutient le lyrisme illustrent sa théorie littéraire (Remarques sur Desportes, 1606), selon laquelle un bon « artisan » du vers doit exprimer des thèmes éternels dans une forme rigoureuse et pure où des rythmes et des rimes réglés soutiennent les images (Imitation du psaume Lauda anima mea Dominum, 1627). Cette exigence d’harmonie et de clarté, cette foi en les vertus de la discipline s’écartent de celles de la Pléiade et préparent le lyrisme impersonnel des classiques. Ses poèmes, publiés pour la plupart dans des recueils collectifs, n’ont été réunis en volume qu’après sa mort sous le titre Les Ouvres de François Malherbe (1630).
Martial :
Marcus Valerius Martialis, Poète latin (Bilbilis Espagne, v. 40 – id v. 104). Auteur de 15 livres d’Épigrammes, il suivit dans certains la tradition alexandrine qui faisait de l’épigramme une courte pièce commémorative (Sur les spectacles et Xenia et Apophoreta), mais transforma la plupart des poèmes en satires mordantes visant un individu, donnant ainsi au nom du genre le sens nouveau de raillerie satirique. Il fut l’ami de Pline le Jeune et de Juvénal.
Ménage : (1613-1692)
Ménage (Gilles), né le 15 août 1613, à Angers : il vint à Paris en 1632, s’inscrivit au barreau, mais délaissa bientôt le Palais pour les cercles des doctes et les ruelles des précieuses. Il existait alors à Paris un certain nombre d’académies, que l’on appelait aussi réduits ou cabinets : des hommes cultivés s’y réunissaient pour parler librement, pour discuter sur des problèmes posés à l’avance, pour écouter des dissertations. Moins connus que les Salons des dames, ces cercles n’en ont pas moins leur importance et méritaient d’être étudiés. Avec La Mothe Le Vayer, Ménage fréquentait le cercle célèbre des frères Du Puy. En 1652, il s’installa rue du Cloître-Notre-Dame, et il y réunit sa propre académie. Ses Mercuriales (réceptions du mercredi) étaient célèbres : devenu infirme, et ne pouvant quitter la chambre, il leur donna le nom de Cathémérines ― assez caractéristiques du mélange d’érudition et d’esprit qui est le propre de Ménage. Il mourut en juillet 1692.
Ménandre :
(Athènes 342-292 av. J.-C.), poète comique athénien de la comédie nouvelle. […] on possède quelques fragments de plusieurs comédies, en particulier l’Arbitrage, la Samiennne, le Héros, le Flatteur, et une pièce entière, le Misanthrope. Les comédies de Ménandre, composées de plusieurs actes séparés par des intermèdes musicaux, sont des comédies bourgeoises. Elles allient à une intrigue assez conventionnelle où l’amour contrarié finit toujours par triompher une peinture subtile des caractères et une défense et illustration des vertus qui permettent la vie en société.
Mignard Pierre :
Peintre et décorateur français (1612 – 1695). Portraitiste à la mode, peintre du roi à la mort de Le Brun.
Mondory :
pseudonyme de Guillaume des Gilberts (Thiers 1594 – Paris 1653). Acteur français, directeur de troupe, fondateur du théâtre du Marais en 1634. il a eu le privilège de créer la première pièce de Pierre Corneille, Mélite, dans le jeu de paume de Berthault, et, plus tard, le Cid. Directeur de troupe avisé et tragédien apprécié par le public, il est soutenu par le pouvoir et obtient de grands succès. Il doit quitter la scène en août 1637 après une crise d’apoplexie. Il a frappé ses contemporains par sa déclamation passionnée en interprétant Hérode, le héros de la Marianne de Tristan l’Hermite, son dernier rôle.
Montausier :
Montausier (Charles de Sainte-Maure marquis puis duc de), 1610-1690, est un homme d’épée et de pouvoir, mondain raffiné, grand lecteur, fin connaisseur des langues anciennes, ami des savants et des écrivains, auteur réservé mais apprécié, et qui marque de sa présence le monde littéraire, les salons et la cour pendant plus de soixante ans. […]. Louis XIV récompense la valeur et les qualités de ce grand serviteur du royaume en élevant considérablement sa famille […]. Mais ce n’est pas d’un courtisan ordinaire qu’il s’agit. Depuis longtemps, Montausier offre le visage d’un homme au courage opiniâtre « qui fait sérieuse profession de probité et d’honneur » (Blazac), et que la cour n’a pu corrompre. Aussi lorsque le public parisien voit paraître sur scène Alceste dans le Misanthrope, il est frappé de la ressemblance. Loin de s’en irriter, comme l’auraient voulu certains, Montausier en est flatté, reconnaissant un honnête homme dans le héros amer et sincère de Molière. Boileau, au moment des premières Satires (1666), n’eut pas la chance du dramaturge et dut craindre le fort ressentiment, heureusement passager, du duc, heurté dans son amitié fidèle pour Chapelain.
Montmort (Mommor, Montmaur) :
Henri-Louis Habert de Montmort (1600 – 21 janvier 1679). Conseiller du roi et maître requêtes de son hôtel. Il est élu le 4 décembre 1634 à l’Académie Française. Il a soutenu la candidature de Gilles Boilles. Il était ami de Gassendi. Il meurt le 21 janvier 1679.
Pélisson :
Avocat, puis écrivain français (Bézier 1624 -Paris 1693). Ami de Conrart, il écrivit une Histoire de l’Académie française (1653), avant de défendre son bienfaiteur Fouquet dans ses Trois discours, restés célèbres, qui lui valurent l’incarcération. Amnistié, il devint historiographe de Louis XIV (1670) et rédigea des ouvrages d’érudition théologique.
Petit-Bourbon :
Petit-Bourbon (théâtre du). À l’origine grande salle de l’Hôtel de Bourbon à Paris où furent dansés les grands ballets de cour et où siégèrent les États généraux de 1614. Il est réaménagé par Torelli qui équipé le plateau et construit un cadre de scène pour les machines de la Finta Pazza en 1645. Avec soixante-dix mètres sur seize, c’est un bel espace, plus vaste que la grande salle du Louvre, l’Hôtel de Bourgogne et le théâtre du Marais. Sur son plateau de 250 mètres carrés évoluent les figures du Ballet de la nuit (italique) auquel Louis XIV lui-même participe en 1653. Les comédiens-italiens y représentent en 1654 Les Noces de Pélée et de Thétis avec musique et ballets. Ils vont installer dans le théâtre à demeure, bientôt rejoints par Molière en 1658. Les deux troupes joueront en alternance pendant deux ans. En 1660 le théâtre sera démoli lors des travaux d’agrandissement du Louvre.
Plaute :
(Sarsina, Ombrie, v. 254 – Rome 184 av. J.-C.). Poète comique latin. Titus Maccus Plautus est le plus illustre des comiques romains et une partie de son œuvre a été conservée. Son écriture vise à l’efficacité scénique, faisant une grande part à la danse et à la musique. La vie de Plaute est très mal connue et sa biographie est un tissu de conjectures. [...]. Il commence à quarante ans une carrière d’auteur comique, où il obtiendra toujours le succès. Le genre comique vient d’être créé par Luvius Andronicus. Plaute innove dans les parties chantées, en introduisant des séquences musicales et chorégraphiques, canticum, empruntées aux mimes, pour lesquelles il utilise des vers lyriques complexes. Le succès de Plaute à Rome s’explique par la part très importante qu’il donne aux cantica, en particulier aux « entrées de rôle » ; [...]. La plupart des comédies sont organisées autour d’un rôle, joué par l’acteur principal de la troupe : [...]. Plaute use d’une écriture très sophistiquée, [...], jouant sans cesse à exhiber le code comique. Sa création se fait dans le cadre d’une stricte codification ; le poète prouve sa maîtrise du code et sa capacité à l’actualiser toujours différemment mais sans innover et sans décevoir ainsi l’attente du public. [...]. Comme le genre l’impose il traduit et adapte des comédies grecques, mais nous avons perdu ces œuvres et il est impossible de voir la distance prise par rapport aux modèles. Les Anciens attribuent à Plaute cent trente pièces, nous en avons conservé vingt : Amphitryon (Amphitryo) dont le sujet est emprunté à la mythologie grecque, sans doute repris d’une hylaro-tragédie sicilienne, la Comédie des ânes (Asinaria), la Marmite (Aulularia) qui a été imité par Molière dans l’Avare, les Bacchis (Bacchides), les Prisonniers (Captivi), Casina, la Corbeille (Cisellaria), le Charançon (Curculio), Epidicus, les Ménechmes (Menaechmi), le Marchand (Mercator), le soldat fanfaron (Miles gloriosus), le fantôme (Mostelaria), le Persan(Persa), le Carthaginois (Poenulus), l’Imposteur (Pseudolus), le Cordage (Rudens), Stichus, les Trois écus (Trinummus), le Brutal (Truculentus).
Piron :
(Alexis), poète et auteur dramatique français, né à Dijon le 9 juillet 1689, mort à Paris le 21 janvier 1773. [...]. Alexis Piron, d’abord destiné au barreau, fit son droit à Besançon et y fut reçu avocat. Sa famille ruinée, il revint à Dijon et s’y fit connaître par ses satires contre les gens de Beaune et par son Ode à Priape, dont on voulut faire un chef-d’œuvre alors, mais qui, par son immoralité, déchaîna un scandale, étouffé par l’intervention d’un magistrat dijonnais. Piron vint alors à Paris (1719), et y vécut misérablement, […]. Il se tourna vers le théâtre de Foire, dont il fut dix ans un des pourvoyeurs attitrés. Il y a donné son Arlequin-Deucalion, des « opéras-comiques », [...], et des parodies d’opéra, toutes pièces qui ne furent pas imprimées et le firent baptiser « Gilles Piron » par Voltaire. Dès cette époque, ce provincial accueilli dans la société parisienne se rendit fameux par ses bons mots et ses traits satiriques. Chez la marquise de Mimeure, il connut Voltaire et s’éprit de la lectrice de la marquise, Thérèse Quenaudon, dite Mlle de Bar (1688-1751), qui fut vingt ans sa maîtresse avant d’être épousé par lui. [...]. Poussé par Crébillon son compatriote et par Mlle Quinault, Piron se mit à écrire pour le Théâtre-Français, tantôt des tragédies, dont une seule, Gustave Wasa, eut quelque succès, tantôt des comédie dont La Métromanie, son œuvre principale. En dehors de ses pièces, la carrière de Piron fut surtout marquée par ses aventures académiques et ses polémiques avec les écrivains de son temps. S’il fut bien vu de Montesquieu et de Crébillon, la plupart des littérateurs de l’époque furent ses ennemis : [...]. Piron les cribla d’épigramme. Néanmoins, sa notoriété littéraire était telle que l’Académie Française, en juin 1753, le « désigna » au roi pour occuper le siège de Languet de Gergy, prélat fort discuté. C’est alors que ses ennemis, [...], exhumèrent l’Ode à Priape, vieille de 40 ans, et amenèrent Louis XV à refuser son approbation, [...]. Un autre bourguignon, Buffon, fut élu à sa place, et l’on sait que cet épisode nous valut le Discours sur le style. [...]. Piron se vengea en redoublant d’épigramme contre la Compagine : […]. Il fit, du moins, partie de l’académie de Dijon, sa ville natale. Il ne fut jamais riche et vécut quelque peu en gai aventurier ; il fut l’hôte assidu du Caveau. Toutefois, [...], il eut des amis qui vinrent à son aide et auxquels il fait allusion dans la préface de La Métromanie, [...]. Piron oublié, presque aveugle, composa à la fin de sa vie, comme La Fontaine, des poésies religieuses ; il mourut à plus de 83 ans.
Quinault :
Quinault Philippe (Paris 1635 – 1688). Auteur dramatique français. D’humble origine, formé et introduit par Tristan l’Hermite, il rencontra le succès dès ses premiers essais dramatiques et termina sa vie couvert d’argent, de gloire et d’honneurs. La première partie de sa carrière (1653-1662) est dominée par la comédie et la tragi-comédie. On en retiendra, outre une intéressante Comédie sans comédie qui mettait les procédé du théâtre dans le théâtre au service d’une parade des principaux genres dramatiques de l’époque, son choix du genre tragi-comique, à une époque où, discipliné et dépossédé de la plupart de ses caractéristiques par la tragédie romanesque, le genre paraissait mort : coup d’audace qui lui réussit, puisque quatre de ses huit tragi-comédies, Amalasonte (1657) tout particulièrement, mais aussi le Feint Alcibiade (1658), Stratonice (1660) et Agrippa (1662, drame de sosie royal inspiré du très bel Oropaste de Boyer, représenté concurremment par Molière), furent de très grands succès. Ensuite, sans renoncer complètement à la comédie (la Mère coquette, 1665, inspirée de la comédie du même titre de Donneau de Visé jouée concurremment par Molière), il passe à la tragédie. Il n’en composa que trois, dont la première seulement eut un succès exceptionnel, Astrate (1665). […]. Le talent de Quinault ne s’est pas seulement déployé dans la dernière partie de sa carrière, tout entière au service de la tragédie lyrique (1673-1686). Inventeur aux côtés de Lully de l’opéra à la française, dont l’association s’était amorcée à l’occasion de Psyché (Molière, Corneille, Quinault, Lully), dernière grande tragédie à machines, Quinault écrivit pour le musicien une dizaine de « tragédies en musique ». De Cadmus et Hermione (1673) à Armide (1686, « l’opéra des dames »), en passant par Alceste (1674), Thésée (1675), Atys (1676), Isis (1677), Proserpine (1680), Persée (1682), Phaéton (1683 « l’opéra du peuple »), Amadis de Gaule (1684), Roland (1684), Quinault a réussi parfaitement le mariage de la passion pathétique et de la mythologie (mythologie moderne dans ses trois dernières œuvres), de la violence sublimée et de l’héroïsme poétisé, et a remarquablement su s’adapter à cette nouveauté qu’était, pour un Français, le récitatif. […].
Raisin :
Maguerite Siret (4 novembre 1630 - ?) Comédienne française. Elle se marie en 1645 avec Edme Raisin ( ? - 1664), acteur et musicien français. Ensemble, ils auront sept enfants (né entre 1649 et 1658). Vers 1660, ils s’installent à Paris et fondent une troupe de jeunes comédiens. À la mort de son mari, Maguerite reprendra l’affaire. (César.org).
Regnard :
Jean-François (Paris 1655 – Dourdan 1709). Écrivain français. De famille aisée, sa jeunesse est consacrée à des voyages aventureux, [...]. À Paris à partir de 1682, [...], il s’amuse à écrire, surtout pour le théâtre. Ses premières pièces sont destinées aux comédiens-italiens ; à partir de 1694 il se tourne davantage vers les comédiens-français, seule troupe officielle dès 1697 [...]. Après un nombre de petites pièces charmantes et qui resteront plus de cent ans au répertoire (comme la Sérénade et Attendez-moi sous l’orme, 1694, le Bal, 1696), il se lance dans la grande comédie en cinq actes et en vers avec le Joueur (Comédie-Française, 1696), qui suivent plusieurs autres grands succès. Il apparaît comme le successeur de Molière. Son Légataire universel (1708), qui précède d’un an Turcaret, [...].
Rohault :
Rohault (Jacques), [c. 1617-1672] physicien et philosophe cartésien, épousa la fille de Clerselier. Il avait donné à Paris des conférences sur la physique pour substituer les nouveautés cartésiennes aux commentaires des traités d’Aristote que les universités enseignaient. La malveillance l’accusa de nier le dogme de la transsubstantiation. Il répondit par un exposé général très lucide des théories cartésiennes sous le titre d’Entretiens sur la philosophie. Son frère Claude, prête en Picardie, a composé un Recueil de poésies pieuses et morales, 1674.
Le grand Rousseau :
Rousseau (Jean Baptiste), poète lyrique, né à Paris en 1669 ou 1670, mort à Bruxelles en 1741. [...]. Il connut Boileau, qui apprécia ses premiers essais et lui donna des conseils. De grands seigneurs le protégèrent. Tallard même le prit avec lui dans une ambassade en Angleterre : [...]. À son retour, la société du Temple l’accueillit, [...]. On attendait beaucoup de lui : il pensa trouver sa voie au théâtre. En 1694, il avait composé un acte en prose, Le Café. En 1696 et 1700, il fit jouer deux comédies en vers : Le Flatteur et Le Capricieux qui n’obtinrent pas le succès qu’il en espérait. Ses comédies avaient un grand défaut pour des comédies : [...]. La force comique lui faisait défaut. Ce défaut suffisait pour expliquer leur échec. Rousseau préféra attribuer celui-ci à la cabale et à la jalousie de ses confrères. Pour se venger, il se mit à faire des couplets contre ceux qu’il estimait avoir contribué à la chute de ses pièces. Ces couplets se multiplièrent, et, comme il arrive fatalement, devinrent de plus en plus vifs, ― et même scandaleux et calomniateurs. Ils le devinrent au point qu’une poursuite en diffamation et en calomnie le conduisit devant le Parlement. Il se défendit d’avoir composé les vers qu’on lui reprochait, et, chose plus grave, il en attribua la paternité à Saurin, qui n’eut pas de peine à se justifier. […]. Ce qu’il chercha toujours, ce fut sa réhabilitation. Il ne l’obtint pas, et passa ainsi trente années de sa vie en exil. Cet exil, il le passa en Belgique, en Suisse, à Vienne, et pendant ces trente années, tout en demeurant en correspondance suivie avec Brossette, Louis Racine et Rollin, il trouva, à l’étranger de hauts et puissants protecteurs, parmi lesquels le comte de Luc, le prince Eugène, le duc d’Aremberg, le prince de Tout-et-Taxis. Plus d’une fois il dut à leur protection d’échapper à la misère. [...]. Pendant longtemps, Jean-Baptiste Rousseau fut regardé comme le plus grand poète lyrique d’un siècle, qui, à vrai dire, n’en comptait guère. [...].
Sarazin :
Sarazin (Jean-François), poète et historien, né à Caen (25 déc. 1614), mort à Pézenas (Hérault) le 5 décembre 1654. fils d’un trésorier de Caen qui était aussi conseiller à la Cour des aides de Rouen, Sarazin, après avoir fait ses études auprès de l’université de sa ville normande, s’en fut à Paris ou Mlle Paulet l’introduisit à l’hôtel de Rambouillet*. […]. Il voyagea en Allemagne mais manqua une mission en Italie, retenu qu’il était à Paris par les beaux yeux et les menus manèges d’une gourgandine. Il perdit, de ce fait, la protection de Chavigny et, comme un malheur ne vient jamais seul, il épousa, à quelque temps de là, pour le charme de la dot, une veuve aussi laide qu’acariâtre. Pour réparer ces affronts de la fortune, le poète intéressa à son sort Mmede Longueville qui l’attira à Chantilly, dans la société de la princesse de Condé, du duc d’Enghien et du prince de Conti. Il devint le secrétaire de ce dernier. Ce fut au cours d’un voyage fait dans le Languedoc en compagnie du prince qu’il succomba, empoisonné, dit-on, par un mari jaloux.
Scaramouche :
L’un des plus anciens personnage de la commedia dell’arte. Subtil et hâbleur, tout de noir vêtu, il s’incarne en Tiberio Fiorilli (Comédien italien de la commedia dell’arte (Naples 1608 – Paris 1694). Il popularisa le personnage de qui se caractérise par son costume sombre, l’absence de masque et la cithare à la place de l’épée. Invité par Mazarin en France, il eut beaucoup de succès auprès de Louis XIII. Il travailla avec Molière au Petit-Bourbon et au Palais-Royal.) qui, devenu à Paris « le prince des comédiens et le comédien des princes », devait exercer par son exemple, par son exemple, une influence certaine sur Molière.
Scarron :
Paul (Paris 1610-1660). Écrivain français. Auteur du célèbre Roman comique, poète burlesque applaudi par ses contemporains, son théâtre comique rencontra aussi beaucoup de succès. Fils d’un officier au Parlement, Scarron devient abbé puis chanoine pour s’assurer des revenus. Il épouse en 1652, Françoise d’Aubigné qui sera plus tard Mmede Maintenon. [...]. Il écrit pour le théâtre à partir de 1643 avec une verve qui mêle le romanesque espagnol (l’histoire des amours de jeunes couples) au burlesque et fait de ses dix comédies les œuvres les plus gaies de son temps. Il sait utiliser la satire, la mode du moment, et le succès des acteurs Filipin et surtout Jodelet, pour lesquels il écrit plusieurs comédies. Jodelet ou le Maître valet, les Trois Dorothées ou Jodelet souffleté, l’Héritier ridicule, Dom Japhet d’Arménie, le Marquis ridicule sont parmi les plus connues et les plus drôles.
Somaize (seconde moitié du XVIIe siècle) :
(Badeau de). Auteur médiocre, [...], et qui fit beaucoup parler de lui, à propos de la préciosité, en 1660. Il avait publié en 1657 un pamphlet contre la tragédie de Thédore, de Boisrobert. [...]. Au moment de la grande vogue des Précieuses ridicules (1659) de Molière, Somaize s’aboucha avec un libraire indélicat, Jean Ribou, qui avait dérobé le texte de la comédie de Molière et l’avait publié sans son consentement. Molière protesta et intenta un procès à Ribou. Somaize, mettant à profit la vogue de la préciosité due à la comédie de Molière, lui donna une pâle réplique avec Les Véritables précieuses (1660), qui eurent quelques succès, puisqu’on en connaît deux éditions et deux contrefaçons sous la même date. La comédie était dédiée à Louis Habert de Montmor. Dans sa pièce, Somaize accusait Molière d’avoir plagié une comédie de l’abbé de Pure, jouée aux Italiens, ce qui ne l’empêchait pas de s’inspirer de son illustre devancier. La même année, exploitant la mode de la préciosité, Somaize publiait une adaptation en vers des Précieuses ridicules de Molière ; reprenant ses accusations de plagiat, il était forcé de reconnaître le succès de son rival. Puis il lançait le Grand Dictionnaire des précieuses, ou la clef de la langue des ruelles, répertoire utile des mots mis à la mode par les précieuses, et une nouvelle comédie, Le Procès des précieuses, sa meilleure œuvre théâtrale. Enfin, en juin 1661, Somaize éditait son Grand Dictionnaire historique des précieuses ; [...]. Là s’arrête la production littéraire de Somaize. Il est probable qu’il suivit Marie Mancini, devenue la connétable Colonna, en Italie. Dès lors, on perd sa trace et l’on ignore tout de sa fin. […], Somaize ne doit sa notoriété qu’au fait d’avoir été mêlé à la cabale contre Molière débutant à Paris ; mais, du point de vue documentaire, ses ouvrages restent une des sources essentielles pour l’étude de la langue et de la société précieuses.
Subligny :
(Adrien Thomas Perdou), 1636-1696, ami de Molière, et rédacteur d’un journal peu célèbre, surtout connu par sa critique d’Andromaque [et par son roman La Fausse Clélie]. Outre les œuvres dont la liste suit, on lui a attribué [à tort] les Mémoires de la vie de Henriette Sylvie de Molière.
Térence :
(Carthage, vers 184 – Grèce 159 av. J.-C.). Poète comique latin. Comme son nom l’indique, Publius Terentius Afer est un affranchi d’origine africaine, c’est-à-dire punique ou berbère. Vendu dans son enfance à un sénateur romain, il dut être formé par son maître à la danse, à la musique et à la comédie, comme tous les esclaves de luxe. Affranchi vers sa seizième année, il commence une carrière de poète comique et écrit l’Andrienne, présentée en 167.Il est accueilli dans le cercle d’intellectuels hellénisants qui entoure le jeune Scipion Émilien. En 165 il écrit l’Hécyre. C’est un échec, le public s’ennuie et quitte le théâtre. Soutenu par le metteur en scène Ambivius Turpio, il présente l’Eunuque et le Phormion. Présentée de nouveau avec les Adelphes, en 160, l’Hécyre obtient enfin le succès. Puis Térence disparaît au cour d’un voyage en Grèce.
Virgile :
Publius Vergilius Maro, poète latin (Andes, auj., Pietole, près de Mantoue, v. -70 – Brindes -19). Issu de la petite bourgeoisie, Virgile fit, à Crémone puis à Rome, les études qui devaient le mener à une carrière politique et suivit l’enseignement du philosophe épicurien Siron. Mais, introduit dans le cercle d’Asinius Pollion, il renonça à l’éloquence et à la philosophie pour se consacrer à la poésie. [...]. En -39, il publia les Bucoliques, œuvre d’inspiration alexandrine d’une grande sérénité. Dès le début de -38, la situation politique s’assombrit et Virgile traversa une crise de pessimisme. C’est à cette époque qu’il commença les Géorgiques, épopée philosophique qui mettait l’homme face à la nature, le milieu le plus susceptible de le conduire à un bonheur assez proche de celui des épicuriens, et soulignait la valeur édifiante du travail (le « durus labor »). Après avoir achevé les Géorgiques en -29, le poète conçut l’idée d’une épopée nationale qui serait pour les Romains l’équivalent de L’Iliade. Ce fut L’Énéide, qui préfigurait la victoire d’Auguste, fils d’Énée, fin vers laquelle avait tendu toute l’histoire de Rome depuis la chute de Troie jusqu’à la bataille d’Actium. L’œuvre n’était pas achevée à la mort du poète (-19), qui demanda qu’on la brûlat. Mais Auguste s’y refusa et la publication en fut assurée par les poète Varrius et Tucca, amis de Virgile. L’évolution religieuse du poète l’a conduit de son épicurisme primitif à un platonisme mystique qui admet l’existence d’âmes survivant aux corps (L’Énéide). […]. Son influence fut très grande sur toutes les littératures occidentales et tout un cycle de légendes se groupa autour de sa mémoire.
Voiture :
(Vincent), poète et épistolier français (Amiens 1597 – Paris 1648). Habitué de l’hôtel de Rambouillet, il fut, malgré sa roture, l’ « âme du rond » par son enjouement spirituel et son art du badinage. Son esprit précieux, à la fois ingénieux et affecté, apparaît dans ses Poésies (posth. 1650), célébrées dans la société mondaine et soulevant de véritables débats littéraires (querelle des sonnets avec Malleville, puis avec Benserade). Ses Lettres, également publiées en 1650, manifestent sa verve et son imagination et furent admirées de La fontaine comme de Voltaire. [Académie française, 1634]
Bibliographie §
I. Sources §
- MOLIÈRE, « Les Précieuses ridicules », comédie, Paris, 1660, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 3- 30, 2010.
- MOLIÈRE, « Sganarelle ou le cocu imaginaire », comédie, Paris, 1662, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 34- 81, 2010.
- MOLIÈRE, « L’École des maris », comédie, Paris, 1661, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 85- 143, 2010.
- MOLIÈRE, « Les Fâcheux », comédie, Paris, 1662, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 147- 192, 2010.
- MOLIÈRE, « L’Étourdi ou les contretemps », comédie, Paris, 1663, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 195- 295, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Dépit amoureux », comédie, Paris, 1663, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 299- 392, 2010.
- MOLIÈRE, « L’École des femmes », comédie, Paris, 1663, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 395- 481, 2010.
- MOLIÈRE, « La Critique de l’école des femmes », comédie, Paris, 1663, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 485- 512, 2010.
- MOLIÈRE, « L’Amour médecin », comédie, Paris, 1666, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 605- 632, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Misanthrope », comédie, Paris, 1667, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 635- 726, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Médecin malgré lui », comédie, Paris, 1667, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 729- 766, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Sicilien, ou l’amour peintre », comédie, Paris, 1668, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 806- 827, 2010.
- MOLIÈRE, « Amphitryon », comédie, Paris, 1668, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 847- 934, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Mariage forcé », comédie, Paris, 1668, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 938- 959, 2010.
- MOLIÈRE, « George Dandin, ou le mari confondu », comédie, Paris, 1669, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome I, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 974- 1013, 2010.
- MOLIÈRE, « L’Avare », comédie, Paris, 1669, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 4- 73, 2010.
- MOLIÈRE, « La Gloire du Val-de-Grâce », Paris, 1669, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 77-86, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Tartuffe, ou l’imposteur », comédie, Paris, 1669, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 91-190, 2010.
- MOLIÈRE, « Monsieur de Pourceaugnac », comédie, Paris, 1670, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 200-251, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Bourgeois gentilhomme », comédie-ballet, Paris, 1671, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 264-343, 2010.
- MOLIÈRE, « Les Fourberies de Scapin », comédie, Paris, 1671, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 368- 418, 2010.
- MOLIÈRE, « Psyché », tragédie-ballet, Paris, 1671, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 423-503, 2010.
- MOLIÈRE, « Les Femmes savantes », comédie, Paris, 1672, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 536-626, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Malade imaginaire », comédie mêlée de musique et de danses, Paris, 1675, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 631-718, 2010.
- MOLIÈRE, « Don Garcie de Navarre, ou le prince jaloux », comédie, Paris, 1682, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 749-816, 2010.
- MOLIÈRE, « L’Impromptu de Versailles » comédie, Paris, 1682, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 819- 844, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Festin de Pierre », comédie, Amsterdam, 1683, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 848-902, 2010.
- MOLIÈRE, « Mélicerte », pastorale héroïque, Paris, 1682, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 911-942, 2010.
- MOLIÈRE, « Les Amants magnifiques », comédie, Paris, 1682, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 945-995, 2010.
- MOLIÈRE, « La Comtesse d’Escarbagnas », comédie, Paris, 1682, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 1016-1038, 2010.
- MOLIÈRE, « La Jalousie du Barbouillé », comédie, manuscrit du XVIII siècle, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 1074-1087, 2010.
- MOLIÈRE, « Le Médecin volant », comédie, manuscrit du XVIII siècle, dans Œuvres complètes de Molière, de Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Tome II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, p. 1090-1103, 2010.
II. Instruments de travail §
1. Dictionnaires §
- Michel CORVIN, Dictionnaire encyclopédique du Théâtre, in extenso, Larousse, 2003.
- Dictionnaire des Lettres Françaises, Le XVIe siècle, La Pochothéque, Livre de Poche, 2001.
- Dictionnaire des Lettres Françaises, Le XVIIe siècle, La Pochothéque, Livre de Poche, 1996.
- Dictionnaire des Lettres Françaises, Le XVIIIe siècle, La Pochothéque, Livre de Poche, 1996.
- Antoine FURETIERE, Dictionnaire Universel, La Haye et Rotterdam et R. Leers, 1690.
- Jean-Chrétien-Ferdinand HOEFER, La Nouvelle biographie générale, Tome XII, 1851-1866.
- Louis MORERI, Le Grand dictionnaire historique, nouvelle édition, 1759.
- Pierre RICHELET, Dictionnaire français, Genève, Widerhold, 1680.
- Le Robert des noms propres, 2007
- Le Robert, 2010.
2. Bibliographies §
- Otto KLAPP, Bibliographie der französchen Literaturwissenschaft, Francfort, Klostermann, 1956-2012.
- René RANCOEUR, Bibliographie de la littérature française, Paris, A. Colin, 1963-2012.
III. Critique §
1. Histoire du théâtre, histoire littéraire. §
- Anecdotes Dramatiques de la Renaissance aux Lumières, Françoise LECERCLE, Sophie MARCHAND et Zoé SCHWEITZER (dir.), PUPS, Paris, 2012.
- Karine ABIVEN, « Comme une anecdote de la veille » : mise en scène énonciative de l’actualité dans les genres anecdotiques (1660-1710), Écriture de l’actualité (XVI-XVIII siècle) sous la direction de Karine ABIVEN et Laure DEPRETTO, n°78, A. Colin, Paris, p. 17-34, 2012.
- Karine ABIVEN, L’anecdote ou la fabrique du petit fait vrai, un genre miniature de Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1756), Thèse Université Paris IV, 2012.
- François DOSSE, Le Pari biographique, Écrire une vie, édition La Découverte, Paris XIIIe, 2005.
- Daniel MADELÉNAT, La Biographie, PUF, littérature modernes, 1984.
- Hans-Robert JAUSS, Esthétique de la réception, Tel Gallimard, 1990.
- Francine WILD, Naissance du genre des Ana (1574-1712), Honoré Champion, Paris, 2001.
2. Histoire du théâtre du XVII siècle. §
- Paul BÉNICHOU, « Molière », dans Morales du grand siècle, Paris, folio essai, p. 210-296, 1988.
3. Travaux sur Molière §
- Pierre BONVALLET, Molière de tous les jours : échos, potins et anecdotes, le Pré-aux-Clers, Paris, 1985.
- Claude BOURQUI, « Un document de 1678 sur la réception du Festin de Pierre », dans Molière et le jeu, 7-8 juin 2003, Gabriel CONESA, Domens, Pézenas, p. 319-346, 2005.
- Tayah CHARBEL, La Fortune pédagogique de Molière (XVIII-XIX siècles), Thèse 3ème cycle Université Paris IV, 1982.
- Jean Pierre COLLINET, Lectures de Molière, Collection U2, Armand Colin, Paris, 1974.
- Patrick DANDREY, « Situation de Molière en 1683-1685 : Diffusion réception et influence de son œuvre dans la vie culturelle française », dans De la mort de Colbert à la révocation de l’édit de Nantes, p. 377-392, 1984.
- Maurice DESCOTES, Molière et sa fortune littéraire, G. Ducros, 1970.
- Georges FORESTIER et Claude BOURQUI, Œuvres complètes de Molière, Tome I et II, Bibliothèque de la pléiade, éd. Gallimard, Paris, 2010.
- Madeleine JURGENS et Elisabeth MAXFIELD-MILLER, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille, et sur les comédiens de sa troupe, S.E.V.P.E.N, Paris, 1963.
- Richard G. MABER, « Molière à travers le discours de ses contemporains : la perspectives des ana », dans Le Nouveau Moliériste, 4-5, p. 35-55, 1998-1999.
- G. Jonathan MALLISON, « Vision comique, voix morale, la réception du Misanthrope au XVII siècle », dans Littératures classiques, n°27, 1996, p367-377.
- G. MICHAUT, La Jeunesse de Molière, Slatkine Reprints, Genève, 1968.
- G. MICHAUT, Les Débuts de Molière à Paris, Slatkine Reprints, Genève, 1968.
- G. MICHAUT, Les Luttes de Molière, Slatkine Reprints, Genève, 1968.
- Gérard MORET, Molière : portrait de La France dans un miroir (1673-1973), étude bibliographique sur la construction du portrait de Molière par la français, Université de Paris X-Nanterre, 2004.
- Léon SOMVILLE, La Fortune littéraire de Molière, Revue belge de philologie et d’histoire, Bruxelles, 1008/1009, 1971.