Épître à Molière §
PHILOSOPHE profond, dont l’esprit courageux
Sondant du cœur humain les replis tortueux
Des fripons et des sots prépara les supplices,
Osa dans tous les rangs attaquer tous les vices ;
Le plus bel ornement du siècle de Louis,
Gloire, gloire Molière, à tes divins écrits !
Dans cet art difficile où tu n’eus point de maître,
Tu régnas deux cents ans sans rival, et peut-être
Ta gloire doit toujours rester sans héritiers.
Si malgré tes efforts, tes succès, tes lauriers,
Des vices dont gémit notre humaine faiblesse
Tu ne corrigeas pas l’incorrigible espèce,
Laissant sur nos défauts tomber tes traits railleurs,
Dans l’emploi périlleux de nous rendre meilleurs
Prêtant ton éloquence à la plus noble cause,
J’aime que ton courage à le tenter s’expose :
Mais de la vérité les dangereux accents
Ont armé contre toi la horde des méchants.
Quel prix te réservait cette ligue ennemie ?
Tu mourus couronné des palmes du génie :
{p. 6}Quel Panthéon pour toi, dans ce siècle vanté,
Devança les honneurs de l’immortalité ?
Consulté par son Roi, Boileau, sur le Parnasse,
Au-dessus de Racine avait marqué ta place,
Et le temps a, depuis, confirmé cet arrêt ;
Mais, en vain, à tes jeux ton siècle s’instruisait,
Des préjugés encor la voix était sacrée,
Et de l’Académie ils t’ont fermé l’entrée.
Aimant à s’égayer par d’utiles loisirs,
Louis, qui te devait ses plus nobles plaisirs,
Dont l’appui protecteur faisant taire l’envie,
Contre elle, tant de fois, a défendu ta vie ;
Cet esprit éclairé, ce brillant potentat
Qui de l’éclat des arts a reçu tant d’éclat 1;
Qui soutint si longtemps le Tartuffe et Molière ;
De son siècle, avec peine, obtint qu’un peu de terre
Couvrirait par pitié l’honneur du nom français.
Du fanatisme, enfin, abjurant les excès,
La France, te vengeant de tant de barbarie,
T’a rendu, mais trop tard, ton ingrate patrie.
Pour mieux corriger l’homme, adroit réformateur,
Tu l’observas longtemps, et tu le sais par cœur.
Tu servais à la fois nos plaisirs et ta gloire
Quand des mœurs de ton temps tu nous traçais l’histoire ;
Quand tes vers, devenus proverbes en naissant,
Marquaient le front des sots d’un stigmate cuisant.
À venger le bon goût tu travaillas sans cesse ;
Ta muse à tous les tons se plie avec souplesse ;
{p. 7}Dans chacun de tes vers nous donne une leçon,
Et, toujours en riant, fait parler la raison.
Quelquefois, il est vrai, ton austère férule
En passant près de lui frappa le ridicule,
Dont la vie éphémère, en son obscurité,
Eût échappé, sans elle, à la postérité :
Mais plus souvent, aussi, ta généreuse audace
Brave le vice altier, l’attaque et le terrasse,
Et, marchant droit au but, sans le laisser en paix,
Torture le méchant qui ne change jamais.
Nous cherchons ton secret, ô sublime Molière !
Mais ton génie ouvrit et ferma la carrière.
Peintre habile des mœurs, quel brillant coloris
Anime tes tableaux, embellit tes écrits !
Quelle force, et, surtout, quel charme dans ton style !
Souvent pur, et toujours éloquent et facile,
Dans tes scènes jamais le stérile clinquant
Ne brillante tes vers de son faux ornement.
Laissant le madrigal au froid épithalame,
Jamais, hors de propos, la mordante épigramme
Ne vient, dans l’action que rien ne refroidit,
Aux dépens du bon sens faire briller l’esprit.
Tu conserves toujours à chaque personnage
Son état et ses mœurs, ses traits et son langage ;
Et, par l’illusion complétant notre erreur,
Derrière lui jamais l’on n’aperçoit l’auteur.
L’ignorance te blâme et la raison t’approuve
Lorsque, cherchant ton bien où tu sais qu’il se trouve,
{p. 8}De ta propre richesse augmentant le trésor,
Le cuivre à ton creuset vient se changer en or.
Tout semble se créer sous ta plume hardie,
Et l’imitation est chez toi du génie.
De l’avare Euclion Plaute esquissant les traits2,
D’Harpagon avant toi commença le procès :
De ce maître, il est vrai, la peinture est fidèle,
Mais que l’imitateur surpasse le modèle !
Plus courageux que lui, dans le cœur du méchant
Tu descendis sans crainte, et creusas plus avant ;
Et fouillant les replis de ce nouveau Protée,
Rien n’échappe, Molière, à ta loupe enchantée.
Quand des imitateurs dédaignant le sentier
Tu voulus nous montrer Molière tout entier ;
Quand, dans le Misanthrope, on vit ton éloquence
En corrigeant Alceste, essayer sa défense,
Et, sans désespérer de sa conversion,
Blâmer de la vertu l’exagération ;
Quand ta brillante verve exposa sur la scène
La prude Arsinoé, la folle Célimène ;
Pour la première fois quand tu mis au grand jour
La sottise et l’orgueil des beaux esprits de cour,
Que tu fus grand ! que j’aime à voir le ridicule
Expirer à tes pieds sous les flèches d’Hercule !
De la raison chez toi voilà donc le pouvoir !
Mais ce n’est rien encore, et nous allons te voir
De ta carrière, enfin, mesurer l’étendue,
Et d’Hercule vengeur ressaisir la massue.
{p. 9}Ne va pas succomber, moraliste imprudent !
Toi seul, tu veux lutter contre un vice puissant
Qui jamais ne pardonne !… ah ! crains la calomnie,
Et rassemble du moins les efforts du génie !
Des méchants contre toi les rangs se sont serrés...
Le Tartuffe a paru nous voilà rassurés !
C’en est fait ! au génie appartient la victoire ;
Jamais de plus d’éclat n’avait brillé sa gloire ;
Et l’envie à ses pas veut en vain s’attacher,
C’est l’onde qui mugit en frappant le rocher.
De la dévotion nous marquant la limite,
Tu ne prétendis pas corriger l’hypocrite :
Mais, en le démasquant, ton vers accusateur
À la crédulité signala l’imposteur.
Je ne te suivrai pas dans ta pénible tâche,
Lorsque tu la remplis sans pitié, sans relâche ;
Implacable ennemi de tous les charlatans,
Je te laisse écraser sous le poids du bon sens
Du bel esprit du jour la risible manie ;
Chez Dandin nous montrer la vanité punie ;
T’égayer aux dépens du bon monsieur Jourdain ;
Rire de Vadius, et fouetter Trissotin.
Déployant la rigueur d’un si beau ministère,
Suis leurs pas ! glace-les d’un effroi salutaire !
Et puisse enfin, sortant de la nuit des tombeaux,
Ton ombre épouvanter tous nos vices nouveaux !
Aussi bien, après toi, tes indulgents élèves
Semblent les protéger par d’éternelles trêves.
{p. 10}Dans leurs sermons rimés nos modernes auteurs
Prêchent, prêchent sans cesse, et ces réformateurs,
Retirant sa marotte à l’aimable folie,
De ses joyeux grelots ont dépouillé Thalie.
Aujourd’hui, sur la scène, et leur prose et leurs vers
Des vivants et des morts respectent les travers :
Si jamais le Léthé les jetant sur ses rives
Te porte les tributs de leurs rimes craintives,
Quand tu reconnaîtras dans leurs tristes tableaux
Que la timidité, dirigeant leurs pinceaux,
Ose à peine, aujourd’hui, rire d’un ridicule,
Peut-être, cette fois, Molière trop crédule
Nous croira corrigés : cependant, ici bas,
Sans heurter quelque vice on ne peut faire un pas :
Tu l’attaquas en vain, chez nous toujours nouvelle,
Comme le monde, hélas, sottise est éternelle !
Le temps n’a pas vieilli les Français, et Paris
Est encore aujourd’hui ce qu’il était jadis :
Chez ce peuple léger, d’une humeur si commode,
L’inconstance toujours est le vice à la mode ;
Au moindre vent qui souffle aussitôt nous tournons ;
Nous savons à propos, adroits caméléons,
Prendre forme nouvelle, et changer de visage,
De goûts, d’opinion, d’esprit et de langage ;
Libres ou dans les fers, sans nous plaindre de rien,
Optimistes prudents nous disons : tout est bien.
Ô sainte humanité ! vertu des belles âmes !
On ne te trouve plus, chez nous, que dans les drames ;
{p. 11}L’égoïsme, insensible à la voix du malheur,
Aux pleurs de la pitié ferme toujours son cœur ;
Et la philosophie et sa douce influence
N’ont pu, de son exil, tirer la bienfaisance :
Le cri de l’infortune est à peine écouté ;
L’homme d’esprit sourit au mot d’humanité ;
Le mérite caché languit dans la misère,
Et l’intrigant, hélas ! comme autrefois prospère !
Dépourvu de talents, de vertus et d’honneur,
Et ne sachant que faire, il s’est fait délateur :
Métier noble, du reste, et, bien que l’on en glose,
Facile, et sûr du moins pour être quelque chose.
Du courage ! frappons ! Molière de son temps,
N’épargna même pas les pauvres courtisans ;
Et, montrant la sottise en robe de comtesse,
Sous ses vieux parchemins il tança la noblesse.
Autres temps, autres mœurs ! dans mon heureux pays
On ne sait déjà plus ce que c’est qu’un marquis :
Mais, des marquis en vain l’on a perdu la trace,
Hélas ! des sots d’alors d’autres ont pris la place !
Nous avons beau changer, sous des noms différents
Les hommes sont toujours des fous ou des méchants :
Du nouveau parvenu l’orgueilleuse impudence
Brille sous les lambris de la fière opulence ;
Pour mieux se déguiser parlant toujours d’honneur,
Mondor avec succès tranche du grand seigneur ;
Et sous les noms pompeux d’Excellence ou d’Altesse,
De sa grandeur d’hier il cache la bassesse.
{p. 12}Près de lui Dorval, fier de ses douze quartiers,
Méprisant de Mondor les vices roturiers,
Se rit des parvenus ; mais, grâce à sa naissance,
De vertus, comme lui, Monseigneur se dispense.
Vétérans de l’orgueil, des anciens préjugés
Les défenseurs encor ne sont pas corrigés3 :
Leurs faibles yeux du jour redoutent la lumière ;
Ils n’ont plus d’avenir, et, toujours en arrière,
Reportent leurs regards dans la nuit du vieux temps.
Pour redresser nos torts ces Chevaliers errants,
Émules valeureux du héros de Gamache,
Pleins d’une noble ardeur ont repris la rondache :
Ils ne frappent point l’air d’un belliqueux signal,
Mais, laissant échapper un soupir féodal,
De ces gothiques preux l’espérance insensée
Rêve encor le retour de leur grandeur passée.
Au bruit de nos exploits ils se sont endormis,
Et n’ont rien oublié, comme ils n’ont rien appris :
Ils ne peuvent encore, en lisant notre histoire,
Nous pardonner trente ans de travaux et de gloire,
Et se bercent toujours de regrets superflus,
Oubliant que le temps passe, et ne revient plus.
De quelques écrivains la féale éloquence
Dans de fervents sermons nous prêche l’ignorance,
Et, pour mieux convertir les mécréants français,
Elle invoque sur eux ses ténébreux bienfaits.
Ah ! si tu les tenais tous ces dévots de places,
Singes défigurés par leurs viles grimaces,
{p. 13}De leurs fronts dégradés nous montrant la laideur,
Tu les dépouillerais de leur masque imposteur.
Comme toi, sans pitié pour les cerveaux malades,
Nous saurons dissiper ces nouvelles croisades :
Le bataillon fallot semble en vain se grossir,
Quelque jour sur la scène on pourra le flétrir.
Des lettres, cependant, la triste République,
Qui reposait aussi d’un sommeil léthargique,
Vient de se réveiller : Bardes et Troubadours
De toutes parts, ici, renaissent tous les jours :
Le ciel bénit, je crois, leur nombreuse famille,
Car de petits auteurs le Parnasse fourmille.
Donnant un libre cours à leur docte travers
Ils riment par milliers, et chacun deux, en vers,
Croit de déraisonner avoir le privilège :
Un jeune imberbe, à peine au sortir du collège,
Accouche d’un poème, et s’excuse, en disant
Que l’homme de génie est poète en naissant ;
On voit de bonne foi leur innocente muse
S’accorder à l’envi l’encens qu’on leur refuse ;
De son public toujours chacun est satisfait,
Et de gloire, lui-même, il se donne un brevet.
Ainsi donc la sottise en liberté circule
Sans redouter, chez nous, le fouet du ridicule,
Et les méchants en paix, sûrs de l’impunité,
Échappent au carcan de l’immortalité.
Molière ! je le sens, je n’ai que ton courage ;
Mais si du feu divin qui t’échut en partage
{p. 14}Quelque étincelle un jour électrisait mes vers,
Sous mes coups redoublés immolant nos travers,
Je n’écouterais plus que la haine du vice ;
Et la sottise, en tout sa fidèle complice,
Par sa grotesque allure égayant mes portraits,
Viendrait à ses dépens divertir les Français.
Mais où me conduirait cette ardeur querelleuse ?
La carrière, dit-on, redevient périlleuse :
Il est, comme autrefois, quelques vices puissants,
Qui savent du courage étouffer les accents ;
Et si l’on veut, surtout, braver l’intolérance,
Au dix-neuvième siècle il faut de la prudence4.
Tu n’as pas écrasé l’Hydre des faux dévots :
Elle grandit dans l’ombre où ces phénix nouveaux
De leurs cendres encor menacent de renaître,
Et deux cents ans plus tard ils triomphaient peut-être :
Aujourd’hui le Tartuffe apparaîtrait en vain,
Nous verrions repousser ce chef-d’œuvre divin5,
Qui subirait, crois-moi, l’exil expiatoire,
S’il n’était défendu par deux siècles de gloire.
Ah ! s’il est des méchants qu’on ne peut châtier,
Ton art, jadis si beau, n’est plus qu’un vil métier !
Quel bon temps pour messieurs les sots du haut parage !
Le droit d’impertinence est dans leur apanage ;
Ils en usent, Dieu sait ! et les vices titrés
Pour les auteurs du jour sont des objets sacrés.
La censure, il est vrai, de son poids nous écrase6,
Commente chaque mot, mesure chaque phrase ;
{p. 15}Ce vers, nous dira-t-on, ne passera jamais :
Il sent l’indépendance, il n’est donc pas français.
Ce tour est trop hardi pour le temps où nous sommes :
À la lisière, encore, il faut mener les hommes.
Grâce aux modérateurs de notre liberté,
La prudence toujours tempère la gaîté ;
Et l’ennui, sur la scène étendant son empire,
Sans leur permission l’on nous défend de rire7.
Le plus petit écart inquiète un censeur,
Et la moindre équivoque augmente sa frayeur :
Telle on voit sous nos doigts, dans sa pudeur craintive,
Fuir au simple toucher la tendre Sensitive.
Espérons que bientôt l’union des Français
De leur pacte sur eux répandra les bienfaits,
Et nous délivrera de ces chaînes serviles,
Vestiges odieux des discordes civiles.
L’auguste liberté, le plus noble des biens,
Peut seule des Français resserrer les liens,
Et, soutenant la voix des fils de l’harmonie,
Rendre enfin le courage et l’essor au génie.
Protégeons les essais de nos jeunes auteurs ;
De leur siècle, à leur tour, généreux bienfaiteurs,
Ils pourront l’éclairer : leur âme noble et fière
De la philosophie a reçu la lumière.
Le sort les prive eu vain des faveurs de Plutus,
Sa rigueur les poursuit, mais on ne les voit plus
À la table des grands, affamés parasites,
Partager bassement avec de vils Thersites
{p. 16}Le ridicule emploi d’amuser monseigneur ;
Ou, plus lâches encor, caresser sa Grandeur
Dans de serviles vers que l’honneur désavoue.
Ô Fortune ! insensible au branle de ta roue,
Le mérite naissant, loin du monde caché,
Fier d’être utile un jour, à l’étude attaché,
Mûrit dans le travail et sa jeune éloquence,
Et son besoin de gloire, et son indépendance :
Protégé par lui seul il se doit ses progrès,
Et sans remords, au moins, jouit de ses succès.
Des vices de nos jours loin d’être le complice,
S’il dédaigne des grands la hauteur protectrice,
Soutenons son courage ! et que l’adversité
Ne le punisse pas de sa noble fierté !
Que l’État, lui prêtant un appui tutélaire8,
De ses jours, avec soin, écarte la misère :
De l’État qu’il honore, il pourra, sans rougir,
Recevoir un abri contre un dur avenir.
Le Français, peuple roi, peuple amant de la gloire,
Un moment descendu de son char de victoire,
Retrouve dans les arts, doux enfants de la paix,
Des lauriers que les pleurs n’arrosèrent jamais.
Donnez ! donnez aussi des palmes au génie !
Et vous verrez bientôt le sol de ma patrie
Se couvrir de nouveau de nourrissons des arts,
Le disputant de gloire aux fiers enfants de Mars.
Mais un frondeur chagrin et que tout inquiète
M’interroge en ces mots : « Trop prévoyant prophète,
{p. 17}Sur qui fondez-vous donc cet espoir si brillant ?
Parlez ! »… de l’avenir me répond le présent ;
Et bientôt les auteurs dont s’honore la scène
Vont de la comédie agrandir le domaine.
Si le mérite est rare il est plus précieux :
Pour consoler Thalie il lui reste Andrieux,
Qui, d’un style élégant, tour à tour sacrifie
Aux grâces, au bon goût, à la philosophie.
Ami de la raison, soutien de la gaîté,
Jamais avec les sots il n’a fait de traité ;
Et si de nos plaisirs il était moins avare
Leur espèce chez nous redeviendrait plus rare.
Malin observateur de nos vices bourgeois,
Bon et joyeux Picard, peut-être, quelquefois,
Dans tes tableaux, brillants de vérité, de grâce,
À nos petits travers tu donnas trop de place ;
Mais que l’on applaudit le flexible talent
Dont la variété nous charma si souvent,
Et que de fois Picard, en voulant nous distraire,
Dans la cause du rire a trouvé l’art de plaire !
Habile comme vous, d’un pinceau vigoureux
Duval en moraliste a tracé sous nos yeux
L’intérieur effrayant du Tyran domestique ;
Et lorsqu’il s’essayait sur un ton plus comique,
De Henry, jeune et fou, nous peignit les travers.
J’aime à le voir, surtout, poursuivant dans ses vers
L’altière ambition à la bassesse unie,
Attaquer des grandeurs la coupable manie.
{p. 18}Rappelons nous qu’un jour l’auteur d’Agamemnon
À sa belle couronne ajoutant un fleuron,
Dans Pinto, se traçant une route nouvelle,
De l’intrigue héroïque a laissé le modèle ;
Qu’Étienne, s’annonçant par de brillants essais,
Promettait de compter ses pas par ses succès,
Mais qu’auprès d’Érato cet infidèle oublie
Que ses premiers lauriers il les doit à Thalie.
Dès son début, aussi, Gosse est victorieux ;
De ses lauriers futurs c’est un présage heureux :
De nos trésors nombreux augmentant les richesses,
L’auteur du Médisant nous tiendra ses promesses.
De talents si divers on peut s’enorgueillir,
Et prédire à la scène un nouvel avenir,
Si de l’autorité la sage tolérance
Rend au génie, un jour, sa fière indépendance.
Que du moins en naissant on ne l’étouffe pas !
Nous le verrons bientôt, affermissant ses pas,
Avec crainte toujours approchant de Molière,
Par de nobles efforts se rouvrir la carrière.
L’espoir renaît enfin : saisissons nos pinceaux !
Rappelons la gaîté dans nos vivants tableaux ;
Sans la moindre pitié dénonçons sur la scène
Les travers de nos jours, et traînons dans l’arène
Du pauvre genre humain les plus grands ennemis,
Les vices, trop longtemps ici bas impunis.
Le Tartuffe à la main Molière nous contemple :
Le premier du courage il nous donna l’exemple.
[p.19]Molière ! loin de toi l’on peut à des succès
Prétendre sans orgueil : le théâtre français,
Quand de la liberté semble briller l’aurore,
De revoir ses beaux jours peut se flatter encore.
Au siècle de Louis, par ton roi protégés,
Tes inflexibles vers bravaient les préjugés ;
Et tu nous as légué ton immense héritage :
Essayons sur tes pas d’imiter ton courage !
Ils sont enfin passés et ne reviendront plus
Ces temps où, du pouvoir un instant revêtus,
Les délateurs, sur nous lançant leur blasphème,
Avec tant de succès proféraient ce blasphème :
Qui méprise Cotin n’estime point son Roi ;Et n’a, selon Cotin, ni Dieu ni ni foi, ni loi.
FIN.[p.20]