**** *book_ *id_body-1 *date_1801 *creator_cousin_davallon Préface Tous ceux qui ont donné des éditions des œuvres de Molière, les ont fait précéder de la vie de cet illustre comique. De toutes ces vies comparées les unes aux autres, aucune n'a la même physionomie. Ceux-ci ont fait un roman ; ceux-là, plus scrupuleux, ont fait un abrégé si court qu'il est impossible de reconnaître l'auteur du Misanthrope. C'est pour remplir ces lacunes que nous avons composé cet ana. Après une esquisse rapide de la vie de Molière et un catalogue raisonné, mais court, de ses pièces de théâtre, on développe par la série des faits et anecdotes, toutes les omissions faites à dessein ou par ignorance. On sera étonné d'apprendre des particularités inconnues jusqu'à présent sur cet homme célèbre. On le suivra avec plaisir au milieu de la société, où il épie les ridicules pour les mettre en scène, et on le verra avec peine, dans l'intérieur de sa maison, tourmenté par une femme acariâtre et galante en même temps, qui jeta le dégoût et l'amertume sur ses jours, et les abrégea. Molière était original, et son caractère d'originalité perce sur le théâtre comme dans la société. Élève d'un célèbre philosophe (Gassendi⁎), il mit ses leçons en pratique ; profond dans la connaissance du cœur humain, il en développa les ressorts avec une sagacité étonnante ; bon et humain, il sema ses bienfaits sans ostentation, et n'en chercha de récompense que dans son cœur. Il eût ses défauts, car quel homme en est exempt ? Mais ils furent voilés par les excellentes qualités qui ont fait le bon citoyen et l'honnête homme. **** *book_ *id_body-2 *date_1801 *creator_cousin_davallon Vie de Molière Jean-Baptiste Pocquelin naquit en 1620, dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des halles. Son père Jean-Baptiste Pocquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand fripier, et Anne Boulet sa mère, lui donnèrent une éducation trop conforme à leur état ; il resta jusqu'à quatorze ans dans leur boutique, n'ayant rien appris, outre son métier, qu'un peu à lire et écrire. Ses parents tinrent pour lui la survivance de leur charge chez le roi ; mais son génie l'appelait ailleurs. Pocquelin avait un grand père qui aimait la comédie, et qui le menait quelquefois à l'hôtel de Bourgogne⁎. Le jeune homme sentit bientôt une aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l'étude se développa, il pressa son grand père d'obtenir qu'on le mît au collège, et il arracha enfin le consentement de son père qui le mit dans une pension, et l'envoya aux Jésuites. Il y étudia cinq années, et suivit le cours des classes du premier prince de Conti⁎, qui depuis fut le protecteur des lettres et de Molière. Il y avait alors dans ce collège, deux enfants qui eurent depuis beaucoup de réputation dans le monde. C'était Chapelle⁎ et Bernier⁎ : Gassendi⁎ était chargé de leur éducation. Ce dernier ayant démêlé de bonne heure le génie de Pocquelin, l'associa aux études de Chapelle⁎ et de Bernier⁎. Le jeune Pocquelin fit des progrès étonnants, et s'attira en même temps l'estime et l'amitié de son maître. Son père étant devenu infirme et incapable de servir, il fut obligé d'exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. Il suivit Louis XIII : dans Paris, sa passion pour la comédie qui l'avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force. Le théâtre qui commençait à fleurir alors, détermina Pocquelin à s'associer avec quelques jeunes-gens qui avaient du talent pour la déclamation. Ils jouaient au faubourg St. Germain et au quartier St. Paul. Cette société éclipsa bientôt toutes les autres. Ce fut alors que Pocquelin, sentant son genre, résolut de s'y livrer tout entier, d'être à-la-fois comédien et auteur. Il prit le nom de Molière, et il ne fit, en changeant de nom, que suivre l'exemple des comédiens d'Italie et de ceux de l'hôtel de Bourgogne⁎. Molière fut ignoré pendant tout le temps que durèrent les guerres civiles en France. Il employa ces années à cultiver son talent, et à préparer quelques pièces ; il en fit alors pour la province, plusieurs en prose qui sont aujourd'hui absolument ignorées. La première pièce régulière qu'il composa, fut l'Étourdi ; il représenta cette comédie à Lyon, en 1658. Il y avait dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée, dès que celle de Molière parut. Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joignirent à Molière, et il partit de Lyon pour les états de Languedoc, avec une troupe assez complète, composée principalement des deux frères nommés Gros-Resné, de Duparc, d'un pâtissier de la rue St. Honoré, de la Duparc⁎ de la Béjart et de la Debrie⁎. Le prince de Conti⁎ qui tenait les états Languedoc, à Béziers, se souvint de Molière qu'il avait vu au collège ; il lui donna une protection distinguée. Il joua devant lui l'Étourdi, le Dépit Amoureux et les Précieuses Ridicules. Molière avait alors 34 ans. Après avoir couru quelque temps toutes les provinces, il vint enfin à Paris en 1658. On permit à sa troupe de s'y établir ; ils s'y fixèrent, et partagèrent le théâtre du Petit-Bourbon⁎, avec les comédiens Italiens qui en étaient en possession, depuis quelques années. La troupe de Molière prit le titre de la troupe de Monsieur, qui était son protecteur ; deux ans après, en 1650, il leur accorda la salle du Palais-Royal. Cette troupe eut la jouissance de cette salle jusqu'à la mort de son chef. Depuis l'an 1658, jusqu'en 1673, c'est-à-dire en quinze années de temps, Molière donna toutes ses pièces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique, mais il n'y réussit pas ; il avait une volubilité dans la voix et une espèce de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant. Molière se fit dans Paris un très grand nombre de partisans, et presque autant d'ennemis. Louis XIV, qui avait un goût naturel et l'esprit très-juste, sans l'avoir cultivé, ramena souvent par son approbation la cour et la ville aux pièces de Molière. Il eut des ennemis cruels, surtout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales, ils suscitèrent contre lui les dévots, on lui imputa des livres scandaleux ; on l'accusa d'avoir joué des hommes puissants, tandis qu'il n'avait joué que les vices en général, et il eut succombé sous ces accusations, si ce même roi, qui encouragea et soutint Racine et Despréaux, n'eut pas aussi protégé Molière. Il n'eut à la vérité qu'une pension de mille livres. La fortune qu'il fit par le succès de ses ouvrages, le mit en état de n'avoir rien de plus à souhaiter ; ce qu'il retirait du théâtre avec ce qu'il avait placé, allait à 30000 livres de rente, somme qui en ce temps-là faisait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d'aujourd'hui. Il faisait de son bien un usage noble et sage ; il recevait chez lui des hommes de la meilleure compagnie, les Chapelles⁎, les Jonsac, les Desbarreaux, et qui joignirent la volupté à la philosophie. Il avait une maison de campagne à Auteuil, où il se délassait avec eux des fatigues de sa profession. Molière employait une partie de son revenu en libéralités. Il encourageait souvent par des présents considérables, de jeunes acteurs, sans fortune, dans lesquels il remarquait du talent. Il engagea le jeune Racine, qui sortait de Port-Royal, à travailler pour le théâtre. Dès l'âge de 19 ans, il lui fit composer la tragédie de Théagène et Cariché, et quoique cette pièce fût trop faible pour être jouée, il fit présent au jeune acteur de cent louis, et lui donna le plan des frères ennemis. Il éleva et il forma un autre homme, qui par la supériorité de ses talent, et par les dons singuliers qu'il avait reçus de la nature, a mérité d'être connu de la postérité, c'était le comédien Baron⁎ qui a été l'unique dans la tragédie et la comédie. Molière en prit soin comme de son propre fils. Molière, heureux par ses succès et ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison ; il avait épousé en 1661, une jeune fille née de la Béjart, et d'un gentilhomme nommé Modène⁎. La disproportion d'âge, et les dangers auxquels une comédienne jeune et belle est exposée, rendirent ce mariage malheureux, et Molière tout philosophe qu'il était d'ailleurs, essuya dans son domestique les dégoûts, les amertumes et quelquefois les ridicules qu'il avait si souvent joués sur le théâtre. La dernière pièce qu'il composa fut le Malade imaginaire ; il y avait quelque temps que sa poitrine était attaquée, et qu'il crachait quelquefois du sang ; le jour de la troisième représentation, il se sentit plus incommodé qu'auparavant ; on lui conseilla de ne point jouer ; mais il voulut faire un effort sur lui-même, et cet effort lui coûta la vie. Il lui prit une convulsion en prononçant Juro, dans le divertissement de la réception du Malade Imaginaire, il acheva la représentation. On le rapporta mourant chez lui, rue de Richelieu, où il mourut quelques instants après, entre les bras de ses deux sœurs, étouffé par le sang qui lui sortait par la bouche, le 17 février 1673, âgé de 53 ans. Il ne laissa qu'une fille qui avait beaucoup d'esprit, et sa veuve épousa le comédien Guérin⁎. On refusa de l'enterrer ; mais le roi qui le regrettait, pria l'archevêque de Paris de lui faire donner la sépulture dans une église. Son corps fut porté à St. Joseph, rue Montmartre, où il fut mis derrière l'autel. Comme dans cette vie de Molière on ne s'est point étendu sur les pièces de théâtre de cet illustre comique, on y suppléera par le tableau suivant, où l'on verra d'un seul coup d'œil, la date de la première représentation de chaque pièce, et le jugement qu'on en doit porter.⁎ L'étourdi, ou les Contre-Temps, comédie en cinq actes en vers, représentée à Paris, sur le théâtre du Petit-Bourbon, le 3 décembre 1758. On remarque dans cette pièce de la froideur dans les personnages, des scènes peu liées entre elles, des expressions incorrectes. Ces défauts sont couverts par une variété qui tiennent le spectateur en haleine, et l'empêchent de trop réfléchir sur ce qui pourrait le blesser. Le Dépit Amoureux, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, la même année. Trop de complicité dans le nœud, et peu de vraisemblance dans le dénouement ; mais une source de vrai comique, et des traits également ingénieux et plaisants. Les Précieuses Ridicules, comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre, le 18 novembre 1659. Cette pièce, quoique mal intriguée, est un des chef-d'œuvre de Molière ; on y trouve une critique fine et délicate des mœurs et des ridicules de son temps. Sganarelle, ou le Cocu Imaginaire, comédie en 3 actes et en vers représentée sur le même théâtre, le 28 mars 1660. Tout, dans cette pièce, semble annoncer qu'elle est moins faite pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude ; mais une sorte d'intérêt né du sujet, et une plaisanterie gaie compensent ce qui s'y présente de défectueux. Dom Garcie de Navarre, ou le Prince Jaloux, comédie héroïque en cinq actes et en vers, représentée à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 4 février 1661. Cette pièce imitée de l'Espagnol, n'eut aucun succès. Le fond en est vicieux. L'école des Maris, comédie en 3 actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 24 juin 1661. Cette pièce simple, claire, est féconde en incidents, qui développés avec art, amènent un des plus beaux dénouements qu'on ait vu sur le théâtre français. Les Fâcheux, comédie-ballet, en 3 actes et en vers, représentée sur le même théâtre le 4 novembre de la même année. Cette espèce de comédie est presque sans nœud, ni liaison dans les scènes ; mais elle brille par la vérité des portraits, et par l'élégance toujours soutenue du style. L'École des Femmes, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, le 28 décembre 1662. Les ressorts cachés de cette pièce, produisent un mouvement brillant. Les caractères sont inimitables, et le jeu des personnages subalternes sont autant de coups de maître. La Critique de l'École des Femmes, comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre le premier juin 1663. Image fidèle d'une partie de la vie civile. Copie du langage et du caractère des conversations ordinaires des personnes du monde. L'impromptu de Versailles, comédie en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre, le 4 novembre de la même année. Espèce de vengeance exercée par Molière contre Boursault⁎ : du comique. La Princesse d'Élide, comédie-ballet (le premier acte et la première scène du second en vers, le reste en prose,) représentée sur le même théâtre le 9 novembre de la même année. Cette pièce faite à la hâte, décèle la finesse dans le développement des sentiments du cœur, et l'art employé dans la peinture de l'amour-propre, et de la vanité des femmes. Fêtes de Versailles, en 1664. Le Mariage Forcé, comédie-ballet, en un acte et en prose, représentée sur le même théâtre le 15 novembre de la même année. Dom Juan ou le Festin de Pierre, comédie en 5 actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 15 février 1665. Pièce imitée de l'Espagnol, et qu'on ne peut qualifier du nom de comédie. L'Amour médecin, comédie en 3 actes et en prose, avec un prologue, représentée sur le même théâtre, le 22 septembre de la même année. Ridicule jeté à pleines mains sur les médecins. Peu d'intrigue, et action peu soutenue. Le Misanthrope, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris, sur le même théâtre, le 4 juin 1666. Chef d'œuvre de la comédie ancienne et moderne. L'intrigue n'est pas vive, mais les nuances sont fines. Le Médecin malgré lui, comédie en 3 actes et en prose, représentée à Paris sur le même théâtre, le 6 août de la même année. Petite pièce faite pour amuser, et qui a toujours été applaudie par le peuple. Mélicerte, pastorale héroïque en vers, représentée à Saint-Germain en Laye, au moins de décembre de la même année, dans le ballet des Muses. La scène du second acte entre Mirtil et Mélicerte, est remarquable par la délicatesse des sentiments, et par la simplicité de l'expression. Fragment d'une pastorale comique, représentée dans la même ville et la même année, dans le ballet des Muses, à la suite de Mélicerte. Ce fragment suffit pour faire admirer la fécondité et l'étendue du génie de Molière, qui savait se plier à tant de manières, et se prêter à tous les genres. Le Sicilien, ou l'Amour peintre, comédie-ballet, en un acte et en prose, représentée sur le théâtre de Palais royal, le 10 juin 1667. Petite comédie d'intrigue, dialogue fin, et peinture vive de l'amour. Le Tartuffe, ou l'Imposteur, comédie en cinq actes et en vers, représentée à Paris sur le même théâtre, le 5 août 1667, et depuis, sans interruption, le 5 février 1669. L'hypocrisie y est parfaitement dévoilée, les caractères en sont aussi variés que vrais, le dialogue également fin et naturel. Amphitrion, comédie en trois actes et en vers, avec un prologue, représentée à Paris sur le même théâtre, le 13 juin 1668. Comédie imitée de Plaute et supérieure à son modèle : respecte moins les bienséances que le Tartuffe, et faire rire davantage. L'Avare, comédie en cinq actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 9 septembre de la même année. Autre imitation de Plaute. L'Avare est un peu outré ; mais le vulgaire ne peut être ému que par des traits marqués fortement. Georges Dandin, ou le Mari confondu, comédie en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 9 novembre de la même année. Pièce d'un comique plus propre à divertir qu'à instruire, quoiqu'il y ait plusieurs ridicules exposés fortement. Fête de Versailles, an 1668. Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet, en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 15 novembre de la même année. Ton peu noble, mais du comique. Les Amants magnifiques, comédie-ballet, en cinq actes et en prose, représentée à Saint-Germain en Laye, au moins de février 1670. Comédie qui n'est pas sans beauté pour ceux qui savent se reporter aux lieux, aux temps et aux circonstances, dont ces sortes de divertissements tirent leur plus grand prix. Le Bourgeois gentilhomme, comédie en cinq actes et en prose, représentée sur le théâtre du Palais royal, le 29 novembre de la même année. Peinture fidèle du ridicule commun à tous les hommes, dans tous les états. De la gaîté et du comique. Les Fourberies de Scapin, comédie en trois actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 24 mai 1671. Dans le sac ridicule où Scapin s'enveloppe, je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope. Quoique le comique qui caractérise cette pièce, soit d'un ordre inférieur, on ne peut s'empêcher cependant d'y applaudir. Psyché, tragédie-ballet, en cinq actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 24 juillet de la même année. Malgré l'irrégularité de la conduite de cette pièce, elle plaît par un grand nombre de traits, et sur-tout par le tour neuf et délicat de la déclaration de l'amour à Psyché Les Femmes savantes, comédie en cinq actes et en vers, représentée sur le même théâtre, le 11 mars 1672. Satyre ingénieuse du faux bel esprit et de l'érudition pédantesque. Les incidents n'en sont toujours pas bien combinés ; mais le sujet quoique aride en lui-même, y est présenté sous une face très-comique. La Comtesse d'Escarbagnas, comédie-ballet, en plusieurs actes et en prose, représentée sur le même théâtre, le 8 juillet de la même année. Peinture simple des ridicules qui étaient alors répandus dans la province, d'où ils ont été bannis à mesure que le goût et la politesse s'y sont introduits. Pastorale comique. Le Malade Imaginaire, comédie-ballet, en trois actes en prose, avec un prologue, représentée sur le même théâtre, le 10 février 1673. Comique d'un ordre inférieur ; mais peinture vraie de la galanterie et du pédantisme des médecins. Remerciement au roi. La Gloire du Val-de-Grâce. **** *book_ *id_ana1 *date_1801 *creator_cousin_davallon 1, p. 33 Mademoiselle Poisson, fille du Ducroisy, comédien de la troupe de Molière, fait ainsi le portrait de l'auteur du Misanthrope et du Tartuffe. « Il n'était (Molière) ni trop gras, ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle ; il marchait gravement, avait l'air très-sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. A l'égard de son caractère, il était doux, complaisant, généreux. Il aimait fort à haranguer ; et quand il lisait ses pièces aux comédiens, il voulait qu'ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leurs mouvements naturels. » **** *book_ *id_ana2 *date_1801 *creator_cousin_davallon 2, p. 34-35 On prétend que le Prince de Conti⁎ voulut prendre le jeune Molière pour son secrétaire, et qu'heureusement pour la gloire du théâtre français, Molière eut le courage de préférer son talent à un poste honorable. Je suis, dit-il, un acteur passable, et je serais peut-être un fort mauvais secrétaire. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince et au comédien. **** *book_ *id_ana3 *date_1801 *creator_cousin_davallon 3, p. 35 Le fameux comte de Grammont a fourni à Molière l'idée de son Mariage forcé. Ce seigneur, pendant son séjour à la cour d'Angleterre, avait aimé mademoiselle Hamilton. Leurs amours avaient même fait du bruit ; il repassait en France sans avoir rien conclu avec elle. Les deux frères de la demoiselle le joignirent à Douvres, dans le dessein de faire avec lui le coup de pistolet. Du plus loin qu'ils l'aperçurent, ils lui crièrent : Comte de Grammont, n'avez-vous rien oublié à Londres ? Pardonnez-moi, répondit le comte, qui devinait leur intention, j'ai oublié d'épouser votre sœur, et j'y retourne avec vous pour finir cette affaire. **** *book_ *id_ana4 *date_1801 *creator_cousin_davallon 4, p. 36 Les mousquetaires, les gardes du corps, les gendarmes, les chevau-légers entraient à la comédie sans payer, et le parterre en était toujours rempli ; de sorte que Molière, pressé par les comédiens, obtint un ordre du roi pour qu'aucune personne de sa maison n'entrât sans pays. Ces messieurs, indignés, forcèrent la porte de la comédie, tuèrent les portiers, et cherchèrent la troupe entière pour lui faire éprouver le même traitement : mais Béjart, qui était habillé en vieillard pour la pièce qu'on allait jouer, se présenta sur le théâtre : Eh, messieurs, leur dit-il, épargnez un pauvre vieillard de soixante-quinze ans, qui n'a plus que quelques jours à vivre. Les paroles de ce jeune comédien, qui avait profité de son habillement pour parler à ces mutins, calmèrent leur fureur. Molière tint ferme, et l'ordre du roi fut depuis respecté. **** *book_ *id_ana5 *date_1801 *creator_cousin_davallon 5, p. 37 Molière était désigné pour remplir la première place vacante à l'académie française. La compagnie s'était arrangée au sujet de sa profession. Molière n'aurait plus joué que dans les rôles de haut comique : mais sa mort inattendue le priva d'une place bien méritée, et l'académie d'un sujet si propre à la bien remplir. **** *book_ *id_ana6 *date_1801 *creator_cousin_davallon 6, p. 37-38 Molière se présenta un jour pour faire le lit du roi. Un autre valet de chambre, qui le devait faire avec lui, se retira brusquement, en disant qu'il ne le ferait point avec un comédien Bellocq, autre valet de chambre, homme de beaucoup d'esprit, et qui faisait de très-jolis vers, s'approcha dans le moment, et dit : « Monsieur de Molière, voulez-vous que j'aie l'honneur de faire le lit du roi avec vous ? » Cette aventure vint aux oreilles du roi, qui fut très-mécontent qu'on eût témoigné du mépris à Molière. **** *book_ *id_ana7 *date_1801 *creator_cousin_davallon 7, p. 38 L'Amour médecin est le premier ouvrage où Molière ait attaqué les médecins. Il logeait chez un médecin, dont la femme extrêmement avare, dit à madame de Molière qu'elle voulait augmenter le loyer de la portion de maison qu'elle occupait. Celle-ci ne daigna pas seulement l'écouter, et son appartement fut loué à un autre. Molière épousa, en cette occasion, la passion de sa femme y attaqua le médecin. Depuis ce temps-là il n'a cessé de verser le ridicule sur la médecine. Il définissait un médecin, un homme que l'on paye pour conter des fariboles dans la chambre d'un malade, jusqu'à ce que la nature l'ait guéri, ou que les remèdes l'aient tué. **** *book_ *id_ana8 *date_1801 *creator_cousin_davallon 8, p. 39-40 Il y a une anecdote assez plaisante au sujet de la chanson Qu'ils sont doux, Bouteille, ma mie, etc. que chante Sganarelle dans le Médecin malgré lui. M. Rose, de l'académie française, et secrétaire du cabinet, fit des paroles latines sur cet air, d'abord pour se divertir, et ensuite pour faire une petite pièce à Molière, à qui il reprocha, chez le Duc de Montausier⁎, d'être plagiaire ; ce qui donna lieu à une vive et plaisante dispute. M. Rose soutint toujours, en chantant les paroles latines, que Molière les avait traduites en français, d'une épigramme latine, imitée de l'anthologie. Voici ces paroles : Quam dulces Amphora amoena ! Quam dulces Sunt tuae voces ! Dum fundis merum in calices, Utinam esses plena ! Ah ! Ah ! Cara mea lagena, Vacua cur jaces ? **** *book_ *id_ana9 *date_1801 *creator_cousin_davallon 9, p. 41 Lorsque Molière se préparait à donner son George Dandin, un des ses amis lui fit entendre qu'il y avait dans le monde un Dandin qui pourrait se reconnaître dans la pièce, et qui était en état, par sa famille, non seulement de le décrier, mais encore de le desservir dans le monde. Vous avez raison, dit Molière à son ami ; mais je sais un moyen sûr de me concilier l'homme dont vous me parlez ; j'irai lui dire ma pièce. Au spectacle où il était assidu, Molière lui demanda une de ses heures perdues pour lui faire la lecture. L'homme en question se trouva si honoré de ce compliment, que, toutes affaires cessantes, il donna parole pour le lendemain ; et il courut tout Paris pour tirer vanité de la lecture de cette pièce. Molière, disait-il à tout le monde, me lit ce soir une comédie ; voulez-vous en être ? Molière trouva de nombreuse assemblée, et mon homme qui présidait. La pièce fut jouée, personne ne la faisait mieux valoir que celui qui aurait pu s'en fâcher, une partie des scènes que Molière avait traitées dans sa pièce, lui étant arrivées. Ce secret de faire passer sur le théâtre des traits un peu hardis, a été trouvé si bon que plusieurs acteurs l'ont mis en usage depuis avec succès. **** *book_ *id_ana10 *date_1801 *creator_cousin_davallon 10, p. 41 Dans une préface que les Anglais ont mise à la tête d'une traduction de Molière, ils comparent les ouvrages de ce grand comique à un gibet. Le vice, dit-on, et le ridicule y ont été exécutés, et y demeurent exposés comme sur le grand chemin, pour servir d'exemple. **** *book_ *id_ana11 *date_1801 *creator_cousin_davallon 11, p. 42 Lorsque Molière fait dire à Chrisalde, dans L'École des femmes, acte premier, scène première : Je suis un paysan qu'on appelle gros Pierre, Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre, Y fit, tout à l'entour, faire un fossé bourbeux, Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux. Il eut en vue Thomas Corneille, qui, après avoir porté long-temps le nom de Corneille le jeune, se fit appeler dans la suite Corneille de l'Isle. **** *book_ *id_ana12 *date_1801 *creator_cousin_davallon 12, p. 43-44 Le Bourgeois gentilhomme fut joué la première fois à Chambord. Le roi n'en dit pas un mot, et tous les courtisans en parlèrent avec le dernier mépris. Le déchaînement était si grand, que Molière n'osait se montrer. Il envoyait Baron à la découverte, qui lui rapportait toujours de mauvaises nouvelles. Au bout de cinq à six jours, on joua cette pièce pour la seconde fois. Après la représentation, le roi, qui n'avait pas encore porté son jugement, dit à Molière : « Je ne vous ai point parlé de votre pièce à la première représentation parce que j'ai appréhendé d'être séduit par la manière dont elle a été représentée ; mais, en vérité, Molière, vous n'avez encore rien fait qui m'ait mieux diverti ; et votre pièce est excellente. » Aussitôt l'auteur fut accablé de louanges par les courtisans, qui répétaient, tant bien que mal, ce que le roi venait de dire à l'avantage de cette pièce. **** *book_ *id_ana13 *date_1801 *creator_cousin_davallon 13, p. 44 J'étais à la première représentation des Précieuses Ridicules de Molière, dit Ménage, et tout l'hôtel de Rambouillet s'y trouva. La pièce fut jouée avec un applaudissement général. Au sortir de la comédie, prenant M. Chapelain par la main : monsieur, lui dis-je, nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'être jouées si finement, et avec tant de bon sens ; mais, croyez-moi, pour me servir de ce que Saint Remi dit à Clovis : Il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. **** *book_ *id_ana14 *date_1801 *creator_cousin_davallon 14, p. 44-45 Un jour que l'on représentait cette pièce Les Précieuses ridicules, un vieillard s'écria du milieu du parterre : Courage, courage, Molière ! Voilà la bonne comédie (I). (I) On n'aura pas la satisfaction aujourd'hui d'adresser à nos comiques le même éloge. Depuis le fameux drame de Pinto, jusqu'à l'Abbé de l'Epée, la comédie n'est plus qu'une suite de scènes décousues, sans intérêt, et sans situations comiques. Le citoyen Bouilly, dans son Abbé de l'Epée qui a fait courir tout Paris, semble avoir pris à tâche d'outrager le bon sens, et les premières règles de la comédie. Cette pasquinade faite pour révolter les bons esprits, n'est qu'un tissu d'invraisemblances, et d'invocations à l'éternel et à la providence ; le citoyen Bouilly a oublié une invocation, c'est celle au sens commun. Quant au drame de Pinto, on peut lui appliquer ce vers de Virgile. Monstrum, horrendum, informe, ingens cui lumen ademptum. **** *book_ *id_ana15 *date_1801 *creator_cousin_davallon 15, p. 45-46 Molière avait commencé à traduire Lucrèce dans sa jeunesse, et il aurait achevé cet ouvrage sans un malheur qui lui arriva. Un de ses domestiques prit un cahier de cette traduction pour faire des papillotes : Molière qui était facile à irriter, fut si fâché de ce contre-temps, que dans sa colère il jeta le reste au feu. Pour mettre plus d'agrément dans cette traduction, il avait rendu en prose tous les raisonnements philosophiques, et avait mis en vers les belles descriptions qui se trouvent dans le poème de Lucrèce. **** *book_ *id_ana16 *date_1801 *creator_cousin_davallon 16, p. 46-47 Molière lisait ses comédies à une vieille servante nommée Laforest ; et lorsque les endroits plaisants ne l'avaient point frappée, il les corrigeait, parce qu'il avait éprouvé plusieurs fois que ces endroits ne réussissaient point. Un jour Molière, pour éprouver le goût de cette servante, lui lut quelques scènes d'une comédie de Brécour⁎, comédie qu'il disait être de lui : la servante ne prit point le change ; et après avoir entendu quelques pages, elle soutint que son maître n'avait pas fait cette pièce. **** *book_ *id_ana17 *date_1801 *creator_cousin_davallon 17, p. 47-48 Perrault dit, dans ses hommes illustres, que le père de Molière, fâché du parti que son fils avait pris d'aller dans les provinces jouer la comédie, le fit solliciter inutilement par tout ce qu'il avait d'amis, de quitter cette pensée. Enfin, il lui envoya le maître chez qui il l'avait mis en pension pendant les premières années de ses études, espérant que par l'autorité que son maître avait eue sur lui pendant ce temps là, il pourrait le ramener à son devoir ; mais bien loin que ce bonhomme lui persuadât de quitter sa profession, le jeune Molière lui persuada de l'embrasser lui-même, et d'être le docteur de la comédie ; lui ayant représenté que le peu de latin qu'il savait le rendrait capable d'en bien faire le personnage, et que la vie qu'ils mèneraient serait bien plus agréable que celle d'un homme qui tient des pensionnaires. **** *book_ *id_ana18 *date_1801 *creator_cousin_davallon 18, p. 48 La première représentation du Tartuffe fit un bruit étonnant dans Paris. Les dévotes jetèrent les hauts cris, et le parlement défendit de jouer cette comédie. On était assemblé pour la seconde représentation, lorsque la défense arriva. « Messieurs, dit Molière, en s'adressant à l'assemblée, nous comptions aujourd'hui avoir l'honneur de vous donner le Tartuffe, mais M. le Président ne veut pas qu'on le joue ». **** *book_ *id_ana19 *date_1801 *creator_cousin_davallon 19, p. 49 Ce même mot fut tourné d'une manière un peu différente, mais non moins satirique, par des comédiens de province. Ils étaient dans une ville dont l'évêque était mort depuis peu : le successeur, moins favorable au spectacle, donna ordre que les comédiens partissent avant son arrivée. Ils jouèrent la veille ; et comme s'ils eussent dû jouer le lendemain, celui qui annonça dit : Messieurs, vous aurez demain le Tartuffe. **** *book_ *id_ana20 *date_1801 *creator_cousin_davallon 20, p. 49-50 Huit jours après que le Tartuffe eut été défendu, on représenta à la cour une pièce intitulée Scaramouche hermite. Le Roi, en sortant, dit au grand Condé : Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière, ne disent rien de Scaramouche ? À quoi le prince répondit : la raison de cela est, que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes, ce qu'ils ne peuvent souffrir. **** *book_ *id_ana21 *date_1801 *creator_cousin_davallon 21, p. 50 Lorsque Molière fit jouer son Tartuffe, on lui demanda de quoi il s'avisait de faire des sermons. Pourquoi sera-t-il permis au Père Maimbourg, répondit-il, de faire des comédies en chaire, et qu'il me sera défendu de faire des sermons sur le théâtre ? **** *book_ *id_ana22 *date_1801 *creator_cousin_davallon 22, p. 50-51 Un jour qu'on représentait le Tartuffe, Champmêlé qui n'était point alors dans la troupe, alla voir Molière dans sa loge qui était près du théâtre. Comme ils en étaient aux compliments, Molière s'écriait : ah, chien ! ah, bourreau ! et se frappait la tête comme possédé. Champmêlé crut qu'il tombait de quelque mal, et il était fort embarrassé. Mais Molière qui s'aperçut de son étonnement, lui dit : ne soyez pas surpris de mon emportement ; je viens d'entendre un acteur déclamer faussement et pitoyablement quatre vers de ma pièce ; et je ne saurais voir maltraiter mes enfants de cette force-là, sans souffrir comme un damné. **** *book_ *id_ana23 *date_1801 *creator_cousin_davallon 23, p. 51 Molière revenait d'Auteuil avec Charpentier, fameux compositeur de musique, il donna l'aumône à un pauvre, qui, un instant après, fit arrêter le carrosse, et lui dit : Monsieur, vous n'avez pas eu dessein de me donner une pièce d'or ? Où la vertu va-t-elle se nicher ! s'écria Molière, après un moment de réflexion : tiens, mon ami, en voilà une autre. **** *book_ *id_ana24 *date_1801 *creator_cousin_davallon 24, p. 52 Le Trissotin de la comédie des Femmes Savantes, est l'abbé Cotin. Jusques-là que Molière fit acheter un de ses habits pour le faire porter à celui qui faisait ce personnage dans sa pièce. La scène où Vadins se brouille avec Trissotin, parce qu'il critique le sonnet sur la fièvre, qu'il ne sait pas être de Trissotin, s'est passée véritablement chez un particulier de la connaissance de Despréaux et Molière. Ce fut Despréaux qui la donna à notre comique. **** *book_ *id_ana25 *date_1801 *creator_cousin_davallon 25, p. 52-53 Molière joua d'abord Cotin, sous le nom de Tricotin, que plus malicieusement, sous prétexte de mieux déguiser, il changea depuis en Trissotin, équivalant à trois fois sot. Jamais homme, excepté Montmaur⁎, n'a été tant turlupiné que le pauvre Cotin ; on fit en 1682, peu de temps après sa mort, ces quatre vers : Savez-vous en quoi Cotin Diffère de Trissotin ? Cotin a fini ses jours, Trissotin vivra toujours. **** *book_ *id_ana26 *date_1801 *creator_cousin_davallon 26, p. 53 Molière disait que « le mépris était une pilule qu'on pouvait bien avaler ; mais qu'on ne pouvait guère la mâcher, sans faire la grimace ». **** *book_ *id_ana27 *date_1801 *creator_cousin_davallon 27, p. 53 On voit aujourd'hui des auteurs qui, parce qu'ils sont jeunes, voudraient nous faire croire que Molière a vieilli. La chose est risible, dit un bel esprit, mais il manque des rieurs. **** *book_ *id_ana28 *date_1801 *creator_cousin_davallon 28, p. 53-54 Molière était fort ami du célèbre avocat Fourcroy, homme redoutable par la capacité et par la grande étendue de ses poumons. Ils eurent une dispute à table, en présence de Despréaux. Molière se tourna du côté du satyrique, et dit : Quest-ce que la raison, avec un filet de voix, contre une gueule comme celle-là. **** *book_ *id_ana29 *date_1801 *creator_cousin_davallon 29, p. 54-59 Sur la fin de ses jours, Molière ne vivait que de lait ; mais lorsqu'il allait à sa maison d'Auteuil, il engageait Chapelle à faire les honneurs de sa table, et lui laissait le choix des convives. Molière s'étant couché un jour de bonne heure, laissa ses amis à table. La conversation tomba insensiblement, vers les trois heures du matin. Que notre vie est peu de chose, dit Chapelle ! qu'elle est remplie de traverses ! nous sommes à l'affût pendant trente ou quarante ans, pour jouir d'un moment de plaisir que nous ne trouvons jamais. Notre jeunesse est harcelée par de maudits parents qui veulent que nous nous mettions un tas de fariboles dans la tête. Je me soucie morbleu bien que la terre ou le soleil tourne ! que ce fou de Descartes ait raison, ou cet extravagant Aristote ! J'avais pourtant un enragé précepteur qui me rebattait toujours de ces fadaises-là, et qui me faisait retomber sans cesse sur son Épicure ; encore passe pour ce philosophe-là, c'était lui qui avait le plus de raison. Nous ne sommes pas débarrassés de ces fous-là, qu'on nous étourdit les oreilles d'un établissement. Toutes les femmes sont des animaux, ennemis jurés de notre repos. Oui, morbleu ! chagrins, injustices, malheurs de tous côtés dans cette vie-ci. Tu as parbleu raison ! Mon cher ami, répondit J… en l'embrassant ; la vie est un pauvre partage : quittons-la, pour ne point séparer d'aussi bons amis que nous le sommes ; allons nous noyer de compagnie ; la rivière est à notre portée. Cela est vrai, dit N⁎⁎⁎ nous ne pouvons mieux prendre notre temps pour mourir bons amis et dans la joie : notre mort fera du bruit. Ainsi ce glorieux dessein fut approuvé tout d'une voix. Ces ivrognes se lèvent et vont gaîment à la rivière. Baron courut avertir du monde et éveiller Molière, qui fut effrayé de cet extravagant projet, parce qu'il connaissait le vin de ses amis. Pendant qu'il se levait, la troupe avait gagné le rivière, et ils s'étaient déjà saisis d'un bateau pour prendre le large, et se noyer en plus grande eau. Des domestiques et des gens du lieu furent promptement à ces débauchés, qui étaient déjà dans l'eau, et les repêchèrent. Indignés du secours qu'on venait de leur donner, ils mettent l'épée à la main, courent sur leurs ennemis, les poursuivent jusques dans Auteuil, et les voulaient tuer. Ces pauvres gens se sauvent la plupart chez Molière, qui, voyant ce vacarme, dit à ces furieux : Qu'est-ce donc que ces coquins-là vous ont fait, messieurs ? Comment ! Ventrebleu, dit J… qui était le plus opiniâtre à se noyer, ces malheureux nous empêchent de nous noyer ! Écoute, mon cher Molière, tu as de l'esprit ; vois si nous avons tort : fatigués des peines de ce monde-ci, nous avons résolu de passer en l'autre : la rivière nous a paru le plus court chemin pour nous y rendre, ces marauds nous l'ont fermé. Pouvons-nous faire moins que de les punir ? Comment ! Vous avez raison, répondit Molière. Sortez d'ici, coquins ! que je ne vous assomme, dit-il à ces pauvres gens, paraissant en colère ; je vous trouve bien hardis de vous opposer à de si belles actions. Ils se retirèrent marqués de quelques coups d'épée. Comment, messieurs, poursuit Molière, que vous ai-je fait pour former un si beau projet sans m'en faire part ? Je vous croyais plus de mes amis. Il a parbleu raison, dit Chapelle ; c'est une injustice que nous lui faisons. Viens donc te noyer avec nous. Oh ! doucement, répondit Moliere : ce n'est point ici une affaire à entreprendre mal-à-propos ; c'est la dernière action de la vie, il n'en faut pas manquer le mérite. On serait assez malin pour lui donner un mauvais jour : si nous nous noyons à l'heure qu'il est, on dirait, à coup sûr, que nous l'aurions fait la nuit comme des désespérés, ou comme des gens ivres. Saisissons le moment qui nous fasse le plus d'honneur ; sur les huit à neuf heures du matin, bien à jeun, et devant tout le monde, nous irons nous jeter dans la rivière, la tête la première. J'approuve ses raisons, dit N… il n'y a pas le mot à dire. Morbleu ! j'enrage, dit L… ; Molière a toujours cent fois plus d'esprit que nous. Voilà qui est fait, remettons la partie à demain, et allons nous coucher, car je m'endors. La présence d'esprit de Molière prévint quelques malheurs : tous ces messieurs étaient ivres, et animés contre ceux qui les avaient empêchés de se noyer. **** *book_ *id_ana30 *date_1801 *creator_cousin_davallon 30, p. 59 Racine regarda toujours Molière comme un homme unique. Le roi lui demandant un jour quel était le premier des grands écrivains qui avaient honoré la France pendant son règne, il lui nomma Molière. Je ne le croyais pas, répondit le roi ; mais vous vous y connaissez mieux que moi. **** *book_ *id_ana31 *date_1801 *creator_cousin_davallon 31, p. 59-61 Tout le monde sait que le Misanthrope fut d'abord mal reçu, et qu'il ne se soutint au théâtre qu'à la faveur du Médecin malgré lui. On rapporte un fait singulier, qui peut avoir contribué à la disgrâce de la meilleure comédie qui ait jamais été faite. À la première représentation, après la lecture du sonnet d'Oronte, ainsi conçu : L'espoir, il est vrai, nous soulage, Et nous berce un temps notre ennemi, Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après lui ! Vous eûtes de la complaisance ; Mais vous en deviez moins avoir, Et ne vous pas mettre en dépense, Pour ne me donner que l'espoir. S'il faut qu'une attente éternelle, Pousse à bout l'ardeur de mon zèle, Le trépas sera mon recours. Vos soins ne peuvent m'en distraire ; Belle Philis on désespère, Alors qu'on espère toujours. le parterre applaudit : Alceste démontra, dans la suite de la scène, que les pensées et les vers de ce sonnet étaient, De ces colifichets dont le bon sens murmure. Le public, confus d'avoir pris le change, s'indisposa contre la pièce. **** *book_ *id_ana32 *date_1801 *creator_cousin_davallon 32, p. 61-62 Lorsque Molière donna son Misanthrope, il était brouillé avec Racine. Un flatteur crut faire plaisir au dernier, après la première représentation, en lui disant : la pièce est tombée ; rien n'est si froid : vous pouvez m'en croire. Vous y étiez, reprit Racine, et moi je n'y étais pas ; cependant je n'en croirai rien, parce qu'il est impossible que Molière ait fait une mauvaise pièce ; retournez-y : et examinez-la mieux. **** *book_ *id_ana33 *date_1801 *creator_cousin_davallon 33, p. 62 On sait que les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier⁎, renommé pas ses mœurs austères, et sa vertu sauvage, que c'était lui que Molière jouait dans le Misanthrope. Le duc de Montausier⁎ alla voir la pièce, et dit en sortant, qu'il voudrait bien ressembler au Misanthrope de Molière. **** *book_ *id_ana34 *date_1801 *creator_cousin_davallon 34, p. 62-63 Molière voulait détourner Despréaux de l'acharnement qu'il faisait paraître dans ses satyres contre Chapelain ; disant que Chapelain était en grande considération dans le monde ; qu'il était particulièrement aimé de M. Colbert ; et que ces railleries outrées pourraient lui faire des affaires auprès de ce ministre, et du roi même. Ces réflexions trop sérieuses ayant mis le poète de mauvaise humeur : « Ho ! le roi et M. Colbert feront ce qu'il leur plaira, dit-il brusquement : mais à moins que le roi ne m'ordonne expressément de trouver bons les vers de Chapelain, je soutiendrai toujours qu'un homme, après avoir fait la Pucelle, mérite d'être pendu ». Molière se mit à rire de cette saillie, et l'employa ensuite fort à propos. (Misanthrope, acte 2, scène dernière.) Hors qu'un commandement exprès du roi ne vienne, De trouver bons les vers dont on se met en peine ; Je soutiendrai toujours, morbleu ! Qu'ils sont mauvais, Et qu'un homme est pendable après les avoir faits. **** *book_ *id_ana35 *date_1801 *creator_cousin_davallon 35, p. 64 Un jour Molière et Chapelle, revenant d'Auteuil à Paris par la rivière, disputaient sur une question philosophique ; un religieux, assis à côté d'eux, paraissait prendre beaucoup d'intérêt à leur dispute ; tantôt il les encourageait par un air d'applaudissement, tantôt il les enflammait par un air de doute et d'objection. Arrivé devant Chaillot, il prend congé d'eux et reprend sa besace ; c'était le frère quêteur des Minimes de Chaillot. Son silence, dit en riant Molière à Chapelle, avait plus d'esprit que ton éloquence et que ma philosophie ; il nous a pris pour dupes. **** *book_ *id_ana36 *date_1801 *creator_cousin_davallon 36, p. 64-67 Molière n'aimait pas Cotin ; et le ressentiment qu'il avait contre lui, provenait de ce que cet abbé avait cherché à le desservir auprès du duc de Montausier⁎, en insinuant à celui-ci que c'était lui que Molière avait voulu jouer dans le Misanthrope. Aussi l'abbé Cotin, décrié par Boileau comme prédicateur et comme poète, fut joué sur le théâtre, par Molière, comme un mauvais poète, comme un pédant, et ce qui ne peut être jamais permis, à moins que la personne ne soit infâme, comme un mal honnête homme, du moins comme un homme sans délicatesse, et même sans principes. …. Ce sonnet qui chez une princesse. A passé pour avoir quelque délicatesse. Ce sonnet sur la fièvre qui tient la princesse Uranie, était véritablement de Cotin, et la princesse Uranie était la duchesse de Nemours, sœur du duc de Beaufort. Le voici : Votre prudence est endormie De traiter magnifiquement, Et de loger superbement Votre plus cruelle ennemie. Faites-la sortir, quoiqu'on die, De votre riche appartement, Où cette ingrate insolemment Attaque votre belle vie. Quoi ! Sans respecter votre rang Elle se prend à votre sang ! Et nuit et jour vous fait outrage ? Si vous la conduisez aux bains, Sans la marchander davantage, Noyez-la de vos propres mains. La querelle entre Trissotin et Vadius, au sujet de ce sonnet, eut réellement lieu entre l'abbé Cotin et Ménage, chez Mademoiselle où Cotin venait réciter son sonnet, lorsque Ménage entra, et en dit du mal de la manière exactement dont le fait est représenté dans les Femmes savantes. Ménage lui-même reconnaît dans une de ses lettres qu'il est le Vadius de cette pièce, et quant à Cotin, il était difficile de le désigner mieux que par un de ses ouvrages. **** *book_ *id_ana37 *date_1801 *creator_cousin_davallon 37, p. 67-68 Un bon bourgeois de Paris, vivant bien noblement, s'imagina que Molière l'avait pris pour l'original de son Cocu imaginaire. Il crut devoir en être offensé, et en marqua son ressentiment à un de ses amis. Comment, lui dit-il, un petit comédien aura l'audace de mettre impunément sur le théâtre un homme de ma sorte ! je me plaindrai, ajouta-t-il ; en bonne police, on doit réprimer l'insolence de ces gens-là : ce sont les pestes d'une ville ; ils observent tout pour le tourner en ridicule. L'ami, qui était homme de bons sens, lui dit : Eh ! Monsieur, si Molière a eu intention sur vous en faisant son Cocu imaginaire, de quoi vous plaignez vous ? Il vous a pris du bon côté, et vous seriez bien heureux d'en être quitte pour l'imaginaire. Le bourgeois, quoique peu satisfait de la réponse de son ami, ne laissa pas d'y faire quelques réflexions, et ne retourna plus au Cocu imaginaire. **** *book_ *id_ana38 *date_1801 *creator_cousin_davallon 38, p. 68-69 Le roi, en sortant de la première représentation des Fâcheux, dit à Molière, en voyant passer le comte de Soyecourt, insupportable chasseur : voilà un grand original que tu n'as pas encore copié. C'en fut assez ; la scène du fâcheux chasseur fut faite et apprise en moins de vingt-quatre heures ; et, comme Molière n'entendait rien au jargon de la chasse, il pria le comte de Soyecourt lui-même de lui indiquer les termes dont il devait se servir. **** *book_ *id_ana39 *date_1801 *creator_cousin_davallon 39, p. 69 Madame Dacier, qui a fait honneur à son sexe par son érudition, et qui lui en eût fait davantage, si, avec la science des commentateurs, elle n'en eût pas eu l'esprit, fit une dissertation pour prouver que l'Amphitrion de Plaute était fort au-dessus du moderne ; mais ayant entendu dire que Molière voulait faire une comédie des Femmes savantes, elle supprima sa dissertation. **** *book_ *id_ana40 *date_1801 *creator_cousin_davallon 40, p. 69-70 L'École des femmes éprouva, dans sa naissance, de grandes contradictions. Plapisson, qui passait pour un grand philosophe, était sur le théâtre pendant la représentation ; et à tous les éclats de rire que faisait le parterre, il haussait les épaules et regardait le parterre en pitié, et disait quelquefois tout haut : Ris donc, parterre ! ris donc ! le duc de ⁎⁎⁎ ne fut pas un des moins zélés censeurs de cette pièce. Qu'y trouvez-vous à redire d'essentiel, lui dit un connaisseur ? Ah, parbleu ! ce que j'y trouve à redire est plaisant, s'écria le duc : Tarte à la crème ! Mais tarte à la crème n'est point un défaut, répondit le bel esprit, pour la décrier comme vous faites. Tarte à la crème est exécrable, répliqua le courtisan : tarte à la crème ! bon dieu ! avec du sens commun peut-on soutenir une pièce où l'on ait mis tarte à la crème. Cette expression fut bientôt répétée partout le monde. Molière fit jouer quelque temps après la Critique de l'École des femmes : la tarte à la crème n'y fut pas oubliée ; et quoique ce mot fût déjà devenu proverbe, la raillerie que Molière en fit fut partagée entre ceux qui l'avaient employé. Le seigneur qui en était l'original, fut si vivement piqué d'être mis sur le théâtre, qu'il s'avisa d'une vengeance aussi indigne de sa qualité, qu'elle était imprudente. Un jour qu'il vit Molière passer par un appartement où il était, il l'aborda avec les démonstrations d'un homme qui voulait lui faire caresse. Molière s'étant incliné, il lui prit la tête en lui disant : Tarte à la crème, Molière, tarte à la crème ! Il lui frotta le visage contre ses boutons qui, étant fort durs et tranchants, le mirent en sang. Le roi qui vit Molière le même jour, apprit la chose avec indignation, et la marqua au duc d'une manière assez vive. **** *book_ *id_ana41 *date_1801 *creator_cousin_davallon 41, p. 71-72 Boileau racontait que Molière, après lui avoir lu le Misanthrope, lui avait dit : Vous verrez bien autre chose. Qu'aurait-il donc fait si la mort ne l'avait surpris, cet homme qui voyait quelque chose au-delà du Misanthrope ? Ce problème qui confondait Boileau, devrait être pour les auteurs comiques un objet continuel d'émulation et de recherches : et ne fût-ce pour eux que la pierre philosophale, ils feraient du moins en la cherchant inutilement, mille autres découvertes utiles. **** *book_ *id_ana42 *date_1801 *creator_cousin_davallon 42, p. 72-73 Molière est au-dessus de tous ceux qui l'ont précédé ou suivi. Voici le parallèle qu'en a fait avec Térence l'auteur du siècle de Louis XIV, le plus digne d'en juger, La Bruyère : « Il n'a manqué à Térence que d'être moins froid : quelle pureté ! quelle exactitude ! quelle politesse ! quelle élégance ! quels caractères ! Il n'a manqué à Molière que d'éviter le jargon, et d'écrire purement : quel feu ! quelle naïveté ! quelle source de la bonne plaisanterie ! quelle imitation des mœurs ! et quel fléau du ridicule ! mais quel homme on aurait pu faire de ces deux comiques ! » **** *book_ *id_ana43 *date_1801 *creator_cousin_davallon 43, p. 73-77 Molière, dans la société, possédait l'art si peu connu de ménager la délicatesse de ses amis, et qui plus est de leur donner d'excellents conseils. Parmi plusieurs, nous rapporterons l'avis si sage qu'il donna à Chapelle⁎ et à son valet, avis qui fit rentrer le valet en grâce auprès de son maître, et ménagea l'amour-propre du maître qui se serait révolté de revenir sur ses pas. Chapelle⁎ revenant de chez Molière à Auteuil, après avoir bu largement à son ordinaire, eut querelle au milieu de la petite prairie d'Auteuil, avec un valet nommé Godemer, qui le servait depuis plus de trente ans. Ce vieux domestique avait l'honneur d'être toujours dans le carrosse de son maître. Il prit fantaisie à Chapelle⁎, en descendant d'Auteuil, de lui faire perdre cette prérogative, et de le faire monter derrière son carrosse. Godemer, accoutumé aux caprices que le vin causait à son maître, ne se mit pas beaucoup en peine d'exécuter ses ordres. Celui-ci se met en colère, l'autre se moque de lui ; ils se prennent dans le carrosse. Le cocher descend de son siège pour aller les séparer. Molière, qui était à sa fenêtre, aperçut les combattants. Il crut que les domestiques de Chapelle⁎ l'assommaient, et il accourut au plus vite : ah ! Molière, lui dit Chapelle⁎, puisque vous voilà, jugez si j'ai tort : ce coquin de Godemer s'est lancé dans mon carrosse, comme si c'était à un valet de figurer avec moi. Vous ne savez ce que vous dites, répondit Godemer. Monsieur sait que je suis en possession du devant de votre carrosse depuis plus de trente ans : pourquoi voulez-vous me l'ôter aujourd'hui sans raison ? Vous êtes un insolent, qui perdez le respect, reprit Chapelle⁎ ; si j'ai voulu vous permettre de monter dans mon carrosse, je ne le veux plus ; je suis le maître, et vous iriez derrière ou à pied. Y a-t-il de la justice à cela, répliqua Godemer ? Me faire aller à pied présentement que je suis vieux, et que je vous ai si bien servi pendant si longtemps ! Il fallait m'y faire aller pendant que j'étais jeune, j'avais des jambes alors ; mais à présent je ne puis plus marcher ; en un mot comme en cent, vous m'avez accoutumé au carrosse, je ne puis plus m'en passer ; et je serais déshonoré aujourd'hui si l'on me voyait derrière. Jugez-nous, Molière, je vous prie, ajouta Chapelle⁎ ; j'en passerai par tout ce que vous voudrez. Eh bien ! Puisque vous vous en rapportez à moi, dit Molière, je vais tâcher de mettre d'accord deux si honnêtes gens. Vous avez tort, dit-il à Godemer, de perdre le respect envers votre maître, qui peut vous faire aller comme il voudra ; il ne faut pas abuser de sa bonté. Ainsi je vous condamne à monter derrière son carrosse jusqu'au bout de la prairie ; et là vous lui demanderez fort honnêtement la permission d'y rentrer : je suis sûr qu'il vous le donnera. Parbleu, s'écria Chapelle⁎, voilà un jugement qui vous fera honneur dans le monde : tenez, Molière, vous n'avez jamais donné une marque d'esprit si brillante. Oh bien ! ajouta-t-il, je fais grâce entière à ce maraud, en faveur de l'équité avec laquelle vous venez de nous juger. Ma foi, Molière, je vous suis obligé ; car cette affaire-là m'embarrassait, elle avait sa difficulté. Adieu, mon cher ami, tu juges mieux qu'homme de France. **** *book_ *id_ana44 *date_1801 *creator_cousin_davallon 44, p. 77 Le docteur Malouin, médecin de la reine, était, comme a dit Molière, tout médecin de la tête aux pieds. Il représentait un jour à un incrédule, que tous les grands hommes avaient honoré la médecine. C'est dommage, lui répondit le mécréant, qu'il faille rayer de cette liste des grands hommes un nommé Molière. « Aussi, répliqua sur-le-champ le médecin, voyez comme il est mort ». **** *book_ *id_ana45 *date_1801 *creator_cousin_davallon 45, p. 77-78 Molière avait un cœur excellent. Baron⁎ lui annonça un jour à Auteuil, un homme que l'extrême misère empêchait de paraître ; il se nomme Mondorge, ajouta-t-il. Je le connais, dit Molière ; il a été mon camarade en Languedoc ; c'est un homme honnête homme. Que jugez-vous qu'il faille lui donner ? Quatre pistoles, dit Baron⁎, après avoir hésité quelque temps. Eh bien ! répliqua Molière, je vais les lui donner pour moi ; donnez-lui pour vous ces vingt autres que voilà. Mondorge parut : Molière l'embrassa, le consola, et joignit au présent qu'il lui faisait, un magnifique habit de théâtre, pour jouer les rôles tragiques. **** *book_ *id_ana46 *date_1801 *creator_cousin_davallon 46, p. 78-80 Les situations comiques sont les moments de l'action qui mettent plus en évidence l'adresse des fripons, la sottise des dupes, le faible, les travers, le ridicule enfin du personnage qu'on veut jouer. Personne n'y a excellé comme Molière ; mais où le génie de ce célèbre comique domine au plus haut point, c'est dans les moyens de sortir d'une situation qui paraît sans ressource. Pour exemple nous citerons la ruse qu'emploie la femme de Georges Dandin, lorsqu'elle fait semblant de se tuer, et qu'elle réussit, par la frayeur qu'elle lui cause, à le mettre dehors et à rentrer chez elle. Le moyen qu'emploie Isabelle dans L'École des maris, pour empêcher Sganarelle d'ouvrir sa lettre, « Lui voulez-vous donner à croire que c'est moi ? » n'est ni moins naturel, ni moins ingénieux, et il est d'un plus fin comique. Mais le prodige de l'art, pour se tirer d'une situation difficile, c'est ce trait du caractère du Tartuffe : Oui, mon frère, je suis un méchant un coupable, Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité, Le plus grand scélérat qui jamais ait été. Ce serait là les derniers degrés de perfection du comique, si, dans la même pièce et après cette situation, on n'en trouvait une encore plus étonnante ; on parle de celle de la table, au-delà de laquelle on ne peut rien imaginer. **** *book_ *id_ana47 *date_1801 *creator_cousin_davallon 47, p. 80 Le maréchal de Vivonne, connu par son esprit et par son amitié pour Despréaux⁎, allait souvent chez Molière, et vivait avec lui comme Lélius avec Térence⁎. Le grand Condé⁎ exigeait de lui qu'il le vînt voir souvent, et disait qu'il trouvait toujours à apprendre dans sa conversation. **** *book_ *id_ana48 *date_1801 *creator_cousin_davallon 48, p. 80-81 Molière n'aimait point le jeu ; mais il avait assez de penchant pour le sexe ; la de ⁎⁎⁎ l'amusait quand il ne travaillait pas. Un de ses amis, qui était surpris qu'un homme aussi délicat que Molière eût si mal placé son inclination, voulut le dégoûter de cette comédienne. Est-ce la vertu, la beauté ou l'esprit, lui dit-il, qui vous font aimer cette femme-là ? Vous savez que Labarre et Florimont sont de ses amis ; qu'elle n'est point belle, que c'est un vrai squelette, et qu'elle n'a pas le sens commun. Je sais tout cela, monsieur, lui répondit Molière ; mais je suis accoutumé à ses défauts ; et il faudrait que je prisse trop sur moi pour m'accommoder aux imperfections d'une autre ; je n'en ai ni le temps, ni la patience. **** *book_ *id_ana49 *date_1801 *creator_cousin_davallon 49, p. 81-82 Les hypocrites avaient été tellement irrités par le Tartuffe, que l'on fît courir dans Paris un livre abominable, que l'on mit sur le compte de Molière pour le perdre. « Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots ? » C'est à cette occasion qu'il plaça dans le Misanthrope les vers suivants : Et non content encore du tort que l'on me fait, Il court parmi le monde un livre abominable, Et de qui la lecture est même condamnable, Un livre à mériter la dernière rigueur, Dont le fourbe a le front de me faire l'auteur. Et là-dessus on voit Oronte qui murmure, Et tâche méchamment d'appuyer l'imposture ; Lui qui d'un honnête homme à la cour tient le rang, etc. **** *book_ *id_ana50 *date_1801 *creator_cousin_davallon 50, p. 83-85 Les comédiens avaient résolu de faire à Molière un convoi magnifique. Mais M. du Harlay, archevêque de Paris, ne voulut pas permettre qu'on l'inhumât. La femme de Molière alla sur-le-champ à Versailles, se jeter aux pieds du roi, pour se plaindre de l'injure que l'on faisait à la mémoire de son mari, en lui refusant la sépulture. Le roi la renvoya en lui disant que cette affaire dépendait du ministère de l'archevêque, et que c'était à lui qu'il fallait s'adresser. Cependant sa majesté fit dire à ce prélat, qu'il fît en sorte d'éviter l'éclat et le scandale. L'archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l'enterrement serait fait sans pompe et sans bruit. Il fut fait pas deux prêtres, qui accompagnèrent le corps sans chanter, et on l'enterra dans le cimetière qui est derrière la chapelle Saint-Joseph, rue Montmartre. Tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main. Mademoiselle de Molière⁎ s'écriait partout : Quoi ! L'on refuse la sépulture à un homme qui mérite des autels. Boileau déplora alors la perte de ce célèbre comique dans son épître septième qu'il adresse à Racine. Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière, Pour jamais sous la tombe eut enfermé Molière, Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés, Furent des sots esprits, à nos yeux, rebutés. L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pièces, En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau ; Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scène plus exacte, Le vicomte indigné sortait au second acte. L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu, Pour prix de ses bons mots, le condamnait au feu ; L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, Voulait venger la cour immolée au parterre ; Mais sitôt que, d'un trait de ses fatales mains, La parque l'eut rayé du nombre des humains, On reconnut le prix de sa muse éclipsée. L'aimable comédie avec lui terrassée, En vain d'un coup si rude espère revenir, Et, sur ses brodequins, ne peut plus se tenir. **** *book_ *id_ana51 *date_1801 *creator_cousin_davallon 51, p. 85-86 Un abbé crut faire sa cour au grand Condé⁎, en lui présentant l'épitaphe qu'il avait faite pour Molière. « Ah ! lui dit ce prince, que celui dont tu me présentes l'épitaphe, n'est-il en état de faire la tienne ! » **** *book_ *id_ana52 *date_1801 *creator_cousin_davallon 52, p. 86 La difficulté qu'on fit de donner la sépulture à Molière, et les injustices qu'il avait essuyées pendant sa vie, engagèrent le père Bouhours à composer l'épitaphe suivante : Tu réformas et la ville et la cour ; Mais quelle en fût la récompense ? Les français rougiront un jour De leur peu de reconnaissance ; Il leur fallut un comédien Qui mit à les polir sa gloire et son étude ; Mais Molière à ta gloire il ne manquerait rien, Si parmi les défauts que tu peignis si bien, Tu les avais repris de leur ingratitude. **** *book_ *id_ana53 *date_1801 *creator_cousin_davallon 53, p. 87 Dans le Malade imaginaire, la dernière pièce que Molière ait mise au théâtre, il y a un M. Fleurant, apothicaire, brusque jusqu'à l'insolence, qui vient, une seringue à la main, pour donner un lavement au malade. Un honnête homme, frère de ce prétendu malade, qui se trouve là dans le moment, le détourne de le prendre ; ce qui irrite l'apothicaire, qui lui dit toutes les impertinences dont les gens de cette sorte sont capables.La première fois que cette pièce fut jouée, l'honnête homme répondit à l'apothicaire : Allez, monsieur, on voit bien que vous n'avez coutume de parler qu'à des culs. Tous les spectateurs furent révoltés de cette grossièreté ; au lieu qu'à la seconde représentation, on entendit, avec plaisir, allez, monsieur, on voit bien que vous n'avez pas accoutumé de parler à des visages. **** *book_ *id_ana54 *date_1801 *creator_cousin_davallon 54, p. 88 Despréaux⁎ n'approuvait pas le jargon que Molière mettait dans la bouche de ses paysans et de quelques autres de ses personnages. « Vous ne voyez pas, disait-il, que Plaute⁎, ni ses confrères, aient estropié la langue en faisant parler des villageois ; ils leur font tenir des discours proportionnés à leur état, sans qu'il en coûte rien à la pureté du langage. Ôtez cela à Molière, continuait-il, je ne lui connais point de supérieur pour l'esprit et le naturel ; ce grand homme l'emporte de beaucoup sur Corneille, sur Racine et sur moi ; car, ajoutait-il en riant, il faut bien que je me mette de la partie ». **** *book_ *id_ana55 *date_1801 *creator_cousin_davallon 55, p. 89 Molière, en quelque sorte, remplaça Voltaire à l'académie : le fameux buste de ce comique, fait par Houdon, y fut placé. Quand il fut question d'y mettre une inscription, quelqu'un proposa d'écrire : Molière, de l'académie française, après sa mort ; mais on préféra ce vers de Saurin : Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre. **** *book_ *id_ana56 *date_1801 *creator_cousin_davallon 56, p. 89-93 L'abbé Batteux, dans ses principes de littérature, s'exprime ainsi sur Molière : « Molière tâcha de réunir les caractères de Térence⁎ et de Plaute⁎, et il y a réussi en beaucoup d'endroits. Observant continuellement la nature, et rapportant à son art toutes les attitudes et toutes les expressions qui caractérisent les passions, il copiait le geste, le ton, le langage de tous les sentiments dont l'homme est susceptible, dans toutes les conditions et dans tous les états. Guidé d'ailleurs par l'exemple des anciens et par leur manière de mettre en œuvre, il a peint la cour et la ville, la nature et les mœurs, les vices et les ridicules, avec toutes les grâces de Térence⁎ et le feu de Plaute⁎. Dans ses comédies de caractères, comme le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, c'est un philosophe et un peintre admirable. Dans ses comédies d'intrigues, il y a une souplesse, une flexibilité, une fécondité de génie dont peu d'anciens lui ont donné l'exemple. » « Il a su allier le piquant avec le naïf, le singulier avec le naturel ; ce qui est le plus haut point de perfection en tout genre. Car il est bien plus difficile de faire des tableaux d'après nature, c'est-à-dire, où on ne s'écarte jamais des idées du commun des hommes, que de s'abandonner à des caprices où le pinceau joue en liberté, et donne comme fait à dessein, ce qui n'est souvent que l'effet du hasard, ou quelquefois même de l'inhabileté, ou de quelque fougue d'imagination, enfin d'une sorte de libertinage de génie qui a secoué le joug... » « Il semble que Molière ait choisi dans les maîtres leurs qualités éminentes pour s'en former un talent particulier. Il a pris d'Aristophane⁎ le comique, de Plaute⁎ le feu et l'activité, et de Térence⁎ la peinture des mœurs. Plus naturel que le premier, plus resserré et plus décent que le second, plus agissant et plus animé que le troisième : aussi fécond en ressorts, aussi vif dans l'expression, aussi moral qu'aucun des trois. Peut-être que la comédie n'est nulle part aussi parfaite que chez lui. Aristophane⁎ songeait principalement à attaquer : c'est une sorte de satire perpétuelle. Plaute⁎ tendait surtout à faire rire ; il se plaisait à amuser et à jouer le petit peuple. Térence⁎, admirable par son élocution, sa douceur, sa délicatesse, n'est nullement comique ; et d'ailleurs il n'a point les mœurs des Romains, pour qui il travaillait. Molière a fait rire les plus austères : il instruit tout le monde, ne fâche personne. Il peint non seulement les mœurs du siècle, mais celles de tous les états et de toutes les conditions. Il joua la cour, le peuple et la noblesse, les ridicules et les vices, sans que personne eût droit de s'en offenser. Enfin s'il s'agissait de se faire l'idée d'une comédie parfaite, il me semble qu'aucun des comiques anciens ne fournirait autant de traits que Molière ; il a ses défauts, j'en conviens ; par exemple, il n'est pas souvent heureux dans ses dénouements ; mais la perfection de cette partie est-elle aussi essentielle à l'action comique, surtout quand c'est une pièce de caractère, qu'elle l'est à l'action tragique ? Dans la tragédie, le dénouement a un effet qui reflue sur toute la pièce : s'il n'est point parfait, la tragédie est manquée. Mais qu'Harpagon, avare, cède sa maîtresse pour avoir sa cassette, ce n'est qu'un trait d'avarice de plus, sans lequel toute la comédie ne laisserait pas de subsister. L'action comique intéresse tout au plus par sa singularité ; le tragique intéresse outre cela par son importance, son atrocité : c'est le corps même du spectacle, la machine qui frappe ; au lieu que l'action comique n'est qu'un canevas, une toile pour recevoir des objets dessinés et des couleurs ». **** *book_ *id_ana57 *date_1801 *creator_cousin_davallon 57, p. 94 Boileau a beaucoup loué Molière, et vivant et mort ; mais dans l'Art Poétique, où il paraît plus particulièrement le juger, il dit que Molière : Peut-être de son art eut remporté le prix, Si moins ami du peuple, en ses doctes peintures, Il n'eut point fait souvent grimacer ses figures ; Quitté pour le bouffon, l'agréable et le fin, Et sans honte à Térence⁎ allié Tabarin. Un contemporain en pouvait parler avec cette réserve, mais la postérité a prononcé, il n'y a plus là de peut-être ni de si. Molière est l'esprit le plus original et le plus utile qui ait jamais honoré et corrigé l'espèce humaine, et Boileau même le jugeait à peu près ainsi. **** *book_ *id_ana58 *date_1801 *creator_cousin_davallon 58, p. 95-96 La comédie de l'École des femmes attira à Molière une nuée de critiques toutes plus mauvaises les unes que les autres ; plusieurs personnes même la frondèrent ouvertement. Pour venger Molière de tous ses détracteurs, Boileau fit les stances suivantes qu'il envoya à son ami : En vain mille jaloux esprits, Molière, osent avec mépris Censurer ton plus bel ouvrage : Sa charmante naïveté, S'en va pour jamais d'âge en âge Divertir la postérité. Que tu ris agréablement ! Que tu badines savamment ! Celui qui sut vaincre Numance, (Scipion l'Africain) Qui mit Carthage sous sa loi, Jadis sous le nom de Térence⁎ Sut-il mieux badiner que toi ? Ta muse avec utilité Dit plaisamment la vérité ? Chacun profite à ton école : Tout en est beau, tout en est bon ; Et la plus burlesque parole Est souvent un docte sermon. Laisse gronder tes envieux ; Ils ont beau crier en tous lieux, Qu'en vain tu charmes le vulgaire ; Que tes vers n'ont rien de plaisant. Si tu savais un peu moins plaire, Tu ne leur déplairais pas tant. **** *book_ *id_ana59 *date_1801 *creator_cousin_davallon 59, p. 96-98 Boileau lut sa deuxième satire adressée à Molière, à quelques amis parmi lesquels était notre illustre comique ; en achevant la lecture des quatre vers suivants : Mais un esprit sublime en vain veut s'élever À ce degré parfait qu'il tâche de trouver ; Et toujours mécontent de ce qu'il vient de faire, Il plaît à tout le monde et ne saurait se plaire. Molière, dit à Boileau, en lui serrant la main : voilà la plus belle vérité que vous ayez jamais dite. Je ne suis pas du nombre de ces esprits sublimes dont vous parlez ; mais tel que je suis, je n'ai rien fait en ma vie, dont je sois véritablement content (I). (I) Molière n'avait pas la modestie du citoyen Champagne, auteur d'une mauvaise satire, qui parut il y a environ un an. Quelques journalistes mal intentionnés prétendaient que cette satire ne valait rien. Pour répondre à l'inculpation, le satirique fit imprimer et placarder une affiche longue d'une aune, où, tout en citant des morceaux de sa satire, il traitait les journalistes d'ignorants et de mauvais connaisseurs, et finissait par avouer avec une candeur d'âme tout-à-fait risible que son écrit était bon, et parfait en son genre. Le public ne partagea pas la tendresse du citoyen Champagne pour l'enfant chéri. On déchira l'affiche, on fit des papillotes de la satire, et depuis ce temps on n'a plus parlé du poète ni de sa satire. **** *book_ *id_ana60 *date_1801 *creator_cousin_davallon 60, p. 98 Molière était incommodé lorsqu'on représenta le Malade imaginaire. Sa femme et Baron⁎ le pressèrent de prendre du repos, et de ne point jouer. Oh ! Que feront, leur répondit-il, tant de pauvres ouvriers ? Je me reprocherais d'avoir négligé un seul jour de leur donner du pain. **** *book_ *id_ana61 *date_1801 *creator_cousin_davallon 61, p. 99 Racine, après avoir donné son Alexandre à la troupe de Molière, pour le jouer, le retira pour le donner aux comédiens de l'hôtel de Bourgogne. Il eut chez eux tout le succès possible, ce qui déplut fort à Molière ; outre que Racine lui avait débauché la Duparc⁎, qui était la plus fameuse de ses actrices. De là vint la brouillerie de Racine et de Molière, qui s'étudiaient tous deux à soutenir leur théâtre avec une pareille émulation. Peu de temps après la désertion du poète tragique, Molière donna son Avare, où Despréaux fut des plus assidus. « Je vous vis dernièrement, dit Racine à Boileau, à la pièce de Molière, et vous riiez tout seul sur le théâtre. Je vous estime trop, lui répondit le satirique, pour croire que vous n'y ayez pas ri, du moins intérieurement ». **** *book_ *id_ana62 *date_1801 *creator_cousin_davallon 62, p. 100 Despréaux⁎ ne se lassait point d'admirer Molière, qu'il appelait toujours le contemplateur. Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes. Il regrettait fort qu'on eût perdu sa petite comédie du Docteur amoureux, parce qu'il y a toujours quelque chose de saillant et d'instructif dans ses moindres ouvrages. **** *book_ *id_ana63 *date_1801 *creator_cousin_davallon 63, p. 100-101 Molière était sujet à de fréquentes distractions. On a rapporté de lui ce trait comique : Un jour qu'il était pressé par l'heure du spectacle, il prit une brouette pour se rendre promptement à la comédie ; mais cette voiture n'allait pas assez vite à son gré. Que fait-il ? Il en sort, et se met à la pousser par derrière. Il ne s'aperçut de son étourderie, que par les ris inextinguibles du brouetteur, et parce qu'il se vit tout crotté en arrivant. **** *book_ *id_ana64 *date_1801 *creator_cousin_davallon 64, p. 100-101 Les Précieuses ridicules mirent Molière en réputation. La pièce ayant eu l'approbation de tout Paris, on l'envoya à la cour, qui était alors au voyage des Pyrénées, où elle fut très-bien reçue. Cela enfla le courage de l'auteur. « Je n'ai plus que faire, dit-il, d'étudier Plaute⁎ et Térence⁎, ni d'éplucher les fragments de Ménandre⁎ ; je n'ai qu'à étudier le monde ». **** *book_ *id_ana65 *date_1801 *creator_cousin_davallon 65, p. 101-102 Molière a joué, dans les Femmes savantes, l'hôtel de Rambouillet⁎, qui était le rendez-vous de tous les beaux esprits. Molière y eut un grand succès, et y était fort bien venu ; mais lui ayant été dit quelques railleries piquantes, il joua ses railleries, Cotin⁎ et Ménage⁎ : le premier sous le nom de Trissotin ; et le second sous celui de Vadius, qui eurent la querelle si plaisamment dépeinte dans les Femmes savantes. Cotin⁎ avait introduit Ménage⁎ chez madame Rambouillet. Ce dernier allant voir cette dame, après la première représentation des Femmes savantes, où elle s'était trouvée, elle ne put s'empêcher de lui dire : Quoi, monsieur, vous souffrirez que cet impertinent de Molière nous joue de la sorte ? Ménage⁎ lui répondit : madame, j'ai vu la pièce, elle est parfaitement belle : on n'y peut rien trouver à redire ni à critiquer. **** *book_ *id_ana66 *date_1801 *creator_cousin_davallon 66, p. 102-103 Le refus que l'on fit de donner la sépulture aux restes de Molière, attira aux dévots l'épigramme suivante. Elle est de Chapelle⁎ : Puisqu'à Paris on dénie La terre après le trépas, À ceux qui, durant leur vie, Ont joué la comédie, Pourquoi ne jette-t-on pas Les bigots à la voirie ? Ils sont dans le même cas. **** *book_ *id_ana67 *date_1801 *creator_cousin_davallon 67, p. 103-104 Dans la scène VI de l'acte II du Bourgeois gentilhomme, on trouve le trait suivant : « Par ma foi il y a plus de cinquante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien. » Madame de Sévigné dit à peu-près la même chose dans ses lettres : lettre cinq, tome 6. « Comment ! J'ai donc fait un sermon sans y penser ! J'en suis aussi étonnée que le comte de Soissons, quand on lui découvrit qu'il faisait de la prose ». La comédie de Molière fut représentée en 1670, et la lettre est de 1681. **** *book_ *id_ana68 *date_1801 *creator_cousin_davallon 68, p. 104 La première comédie que vit à Paris le célèbre Piron⁎, ce fut le Tartuffe de Molière ; son admiration alla jusqu'à l'extase. À la fin de la pièce, ses transports de joie augmentant encore, ses voisins lui en demandèrent les motifs : Ah ! Messieurs, s'écria-t-il, si cet ouvrage sublime n'était pas fait, il ne se ferait jamais. **** *book_ *id_ana69 *date_1801 *creator_cousin_davallon 69, p. 105 Rousseau⁎, de Genève, a dit : les mœurs ont changé depuis Molière ; mais le nouveau peintre n'a point encore paru. **** *book_ *id_ana70 *date_1801 *creator_cousin_davallon 70, p. 105 M. de Mauvilain, médecin, était ami de Molière. Ils se trouvèrent un jour l'un et l'autre à Versailles au dîner du roi. Sa majesté dit à Molière : « Voilà donc votre médecin ? Que vous fait-il ? » Sire, répondit Molière, nous raisonnons ensemble ; il m'ordonne des remèdes ; je ne les fais point, et je guéris. **** *book_ *id_ana71 *date_1801 *creator_cousin_davallon 71, p. 105-106 L'Avare de Molière eut à peine sept représentations lorsqu'il parut. La prose dérouta le public. Comment ! Disait-on, Molière est-il fou, et nous prend-il pour des sots, de nous faire essuyer cinq actes de prose ? A-t-on jamais vu plus d'extravagance ? Le moyen d'être diverti par de la prose ! Molière fut vengé de ce jugement du public, lorsqu'il donna cette pièce pour la seconde fois, le 9 septembre 1668. On y courut en foule, et il fut joué presque une année entière. **** *book_ *id_ana72 *date_1801 *creator_cousin_davallon 72, p. 106-108 On jouait sur le théâtre de Molière une pièce intitulée Dom Quichotte. Elle commençait à l'instant que Dom-Quichotte installait Sancho Pansa dans son gouvernement. Molière faisait Sancho ; et comme il devait paraître sur le théâtre monté sur un âne, il se mit dans la coulisse pour être prêt à entrer dans le moment que la scène le demanderait. Mais l'âne qui ne savait point le rôle par cœur, n'observa point ce moment ; et dès qu'il fut dans la coulisse, il voulut entrer, quelques efforts que Molière employât pour qu'il n'en fit rien. Sancho tirait le licou de toute sa force ; l'âne n'obéissait point ; il voulait absolument paraître. Molière appelait, Baron⁎ ; Laforest, à moi ; ce maudit l'âne veut entrer. Cette Laforest était sa servante ; elle était dans la coulisse opposée, d'où elle ne pouvait passer à travers le théâtre pour arrêter l'âne ; et elle riait de tout son cœur de voir son maître renversé sur le derrière de cet animal, tant il mettait de force à tirer son licou pour le retenir. Enfin destitué de tout secours, et désespérant de pouvoir vaincre l'opiniâtreté de son âne, il prit le parti de se retenir aux ailes du théâtre, et de laisser glisser l'animal entre ses jambes, pour aller faire telle scène qu'il jugerait à-propos. **** *book_ *id_ana73 *date_1801 *creator_cousin_davallon 73, p. 108 Molière ne traitait point de caractères, il ne plaçait aucuns traits ; qu'il n'eût des vues fixes. C'est pourquoi il ne voulut jamais ôter du Misanthrope : ce grand flandrin qui crachait dans une pinte pour faire des ronds, que madame de France lui avait dit de supprimer, lorsqu'il eut l'honneur de lire sa pièce à cette princesse. Elle regardait cet endroit comme un trait indigne d'un si bon ouvrage, mais Molière avait son original, il voulut le mettre sur le théâtre. **** *book_ *id_ana74 *date_1801 *creator_cousin_davallon 74, p. 108-114 Un jeune homme de vingt-deux ans, d'une belle figure et bien fait, vint un jour trouver Molière ; après les compliments ordinaires, il lui découvrit qu'étant né avec toutes les dispositions nécessaires pour le théâtre, il n'avait point d'autre passion plus forte que de s'y attacher ; qu'il venait le prier de lui en procurer les moyens, et lui faire connaître que ce qu'il avançait était véritable. Il déclama quelques scènes détachées, sérieuses et comiques, devant Molière, qui fut surpris de l'art avec lequel ce jeune homme faisait sentir les endroits touchants. Il semblait qu'il eût travaillé vingt années, tant il était assuré dans ses tons ; ses gestes étaient ménagés avec esprit, de sorte que Molière vit bien que ce jeune homme avait reçu une excellente éducation. Il lui demanda comment il avait appris la déclamation. Après avoir satisfait à cette question et à plusieurs autres qui lui furent faites, Molière lui demanda : avez-vous du bien ? ― Mon père est un avocat qui possède une fortune assez honnête. ― « Eh bien ! lui répliqua l'auteur du Misanthrope, je vous conseille de prendre sa profession. La nôtre ne vous convient point : c'est la dernière ressource de ceux qui ne sauraient mieux faire, ou des jeunes gens déréglés, qui veulent se soustraire au travail. D'ailleurs c'est enfoncer le poignard dans le cœur de vos parents, que de monter sur le théâtre ; vous en avez les raisons : je me suis toujours reproché d'avoir donné ce déplaisir à ma famille ; et, je vous avoue que si c'était à recommencer, je ne choisirais jamais cette profession. Vous croyez peut-être qu'elle a ses agréments ; vous vous trompez. Il est vrai que nous sommes en apparence recherchés des grands seigneurs, mais ils nous assujettissent à leurs plaisirs, et c'est la plus triste de toutes les situations que d'être l'esclave de leurs fantaisies. Le reste du monde nous regarde comme des gens perdus, et nous méprise. Ainsi, monsieur, quittez un dessein si contraire à votre honneur et à votre repos. Si vous étiez dans le besoin, je pourrais vous rendre mes services, mais je ne vous le cache point ; je vous serais plutôt un obstacle ». Le jeune homme donnait quelques raisons pour persister dans sa résolution, quand Chapelle⁎ entra, un peu pris de vin. Molière fit déclamer ce jeune homme devant lui. Chapelle⁎ en fut aussi étonné que son ami. Ce serait, lui dit-il, un excellent comédien ! On ne vous consulte pas sur cela, répondit Molière à Chapelle⁎. « Représentez-vous, ajouta-t-il, en s'adressant au jeune homme, la peine que nous avons ; incommodés ou non, il faut être prêts à marcher au premier ordre, et à donner du plaisir quand nous sommes souvent accablés de chagrin ; à souffrir les grossièretés de la plupart des gens avec qui nous avons à vivre, et à captiver les bonnes grâces d'un public qui est en droit de nous gourmander pour son argent. Non, monsieur, croyez-moi encore une fois, ne vous abandonnez point au dessein que vous avez formé ; faites-vous avocat, je vous réponds du succès ». Avocat ! dit Chapelle⁎, et fi ! Il a trop de mérite pour brailler à un barreau ; et c'est un vol qu'il fait au public, s'il ne se fait prédicateur ou comédien. En vérité, lui répondit Molière, il faut que vous soyez bien ivre pour parler de la sorte, et vous avez mauvaise grâce de plaisanter sur une affaire aussi sérieuse que celle-ci, où il est question de l'honneur et de l'établissement de monsieur. Ah ! Puisque nous sommes sur le sérieux, répliqua Chapelle⁎, je vais le prendre tout de bon. Aimez-vous le plaisir, dit-il au jeune homme ? ― Je ne serai pas fâché de goûter celui qui peut m'être permis, répondit le fils de l'avocat. ― Eh bien donc, répliqua Chapelle⁎, mettez-vous dans la tête que malgré tout ce que Molière vous a dit, vous en aurez plus en six moins de théâtre qu'en six années de barreau. Molière qui n'avait en vue que de détourner ce jeune homme de la profession de comédien, redoubla ses raisons pour le faire ; et enfin il lui fit perdre la pensée de paraître sur les planches. Oh ! Voilà mon harangueur qui triomphe, s'écria Chapelle⁎ ; mais morbleu vous répondrez du peu de succès que monsieur fera dans le parti que vous lui faites embrasser.(I) (I) Voltaire adressa un pareil discours au fameux Lekain, lorsque ce dernier lui fit part du dessein qu'il avait de monter sur le théâtre. Lekain n'écouta point Voltaire et s'en trouva bien, et le public aussi. Aujourd'hui le préjugé qui flétrissait la profession de comédie, est anéanti, et Molière, dans ce temps-ci, eût tenu un tout autre langage. **** *book_ *id__75 *date_1801 *creator_cousin_davallon 75, p. 114-115 Molière était minutieux et incommode dans son domestique, par son exactitude et son arrangement. Il n'y avait personne, quelque attention qu'il eût, qui pût y répondre. Une fenêtre ouverte ou fermée, un moment devant ou après le temps qu'il l'avait ordonné, le mettait en convulsion ; il était petit dans ces occasions. Si on lui avait dérangé un livre, c'en était assez pour qu'il ne travaillât de quinze jours ; il y avait peu de domestiques qu'il ne trouvât en défaut ; et la vieille servante Laforest y était prise aussi souvent que les autres, quoiqu'elle dût être accoutumée à cette fatigante régularité que Molière exigeait de tout le monde, et même il était prévenu que c'était une vertu ; de sorte que celui de ses amis qui était le plus régulier, et le plus arrangé, était celui qu'il estimait le plus. **** *book_ *id_ana76 *date_1801 *creator_cousin_davallon 76, p. 115-117 Penaut, frère de Despréaux, ayant essayé de tourner en épigramme un mot assez malin qu'il avait dit à Pradon, n'avait pu faire que ces deux vers : Hélas ! Pour mes péchés je n'ai su que trop lire Depuis que tu fais imprimer. Ce fut à son frère et à Racine et Molière qu'il trouva rassemblés, qu'il demanda deux autres vers pour rimer aux siens, et voici ceux qu'ils lui donnèrent : Froid, sec, dur, rude auteur, digne objet de satire, De ne savoir pas lire oses-tu me blâmer ? Hélas ! &c. Ce qu'il y a de particulier dans ce fait, c'est que Racine et Molière eurent une petite querelle sur le premier hémistiche du second vers. Le poète tragique voulait qu'on écrivit : De mon peu de lecture oses tu me blâmer ? Pour éviter sans doute la consonance de la rime de satire avec le mot lire qui termine cet hémistiche ; mais Molière soutint qu'il fallait s'en tenir à la première expression, et que la raison et l'art même demandaient et autorisaient souvent le sacrifice d'une plus grande perfection du vers à une plus grande justesse. Despréaux n'oublia pas cette décision de Molière, et en fit un précepte dans son art poétique, chant 4e. Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux Trop resserré par l'art, sort des règles prescrites, Et de l'art même apprend à franchir les limites. **** *book_ *id_ana77 *date_1801 *creator_cousin_davallon 77, p. 118-119 Molière était l'homme du monde qui se faisait le plus servir. Il fallait l'habiller comme un grand seigneur, et il n'aurait pas arrangé les plis de sa cravate. Il avait un valet, espèce de lourdaud qui était chargé de ce soin. Un matin qu'il chassait à Chambord, il mit un de ses bas à l'envers. Un tel, dit gravement Molière, ce bas est à l'envers. Aussitôt ce valet le prend par le haut, et en dépouillant la jambe de son maître, met ce bas à l'endroit : mais comptant ce changement pour rien, il enfonce son bras dedans, le retourne pour chercher l'endroit, et l'envers revenu dessus, il rechausse Molière. Un tel, lui dit-il encore froidement, ce bas est à l'envers. Le stupide domestique qui le vit avec surprise, reprend le bas, et fait le même exercice que la première fois ; et s'imaginant avoir réparé son peu d'intelligence, et avoir donné sûrement à ce bas le sens où il devait être, le sens où il devait être, il chausse son maître avec confiance : mais ce maudit envers se trouvant toujours dessus, la patience échappe à Molière. Oh, parbleu ! C'en est trop, dit-il, en lui donnant un coup de pied qui le fit tomber à la renverse : ce maraud-là me chaussera éternellement à l'envers ; ce ne sera jamais qu'un sot quelque métier qu'il fasse. Vous êtes philosophe ! Vous êtes plutôt le diable, lui répondit ce pauvre garçon qui fut plus de vingt-quatre heures à comprendre comment ce malheureux bas se trouvait toujours à l'envers. **** *book_ *id_ana78 *date_1801 *creator_cousin_davallon 78, p. 118-119 On a longtemps ignoré où Molière avait puisé le nom de Tartuffe, qui a fait un synonyme de plus dans notre langue, aux mots hypocrite, faux dévot, etc. « Et ton nom paraîtra dans la race future, Aux plus vils imposteurs une cruelle injure. » Voici ce que la tradition nous apprend à cet égard. Molière, plein de cet ouvrage qu'il méditait, se trouva un jour chez le nonce du pape, avec plusieurs personnes, dont un marchand de truffes vint par hasard animer les physionomies béates et contrites. Tartufoli, signor Nuncio ; tartufoli, s'écriaient les courtisans de l'envoyé de Rome, en lui présentant les plus belles. Attentif à ce tableau, qui peut-être lui fournit encore d'autres traits, il conçut alors le nom de son imposteur d'après le mot de tartuffoli, qui avait fait une si vive impression sur tous les acteurs de la scène. **** *book_ *id_ana79 *date_1801 *creator_cousin_davallon 79, p. 121 « Pourceaugnac est une farce, a dit Voltaire ; mais il y a dans toutes les farces de Molière des scènes dignes de la hautes comédie (I) ». (I) Diderot disait : « si l'on croit qu'il y ait beaucoup plus d'hommes capables de faire Pourceaugnac, que le Misanthrope, on se trompe. » **** *book_ *id_ana80 *date_1801 *creator_cousin_davallon 80, p. 121-126 C'est dans le divertissement du second acte des Amants magnifiques que se trouve la première imitation qu'on ait faite de la charmante ode d'Horace, Donec gratus eram, etc. J. J. Rousseau⁎ paraît en avoir adopté la tournure dans son Devin de village. Voici d'abord l'imitation de Molière : Quand je plaisais à tes yeux ; J'étais content de ma vie, Et ne voyais Rois ni Dieux Dont le sort me fit envie. Lorsqu'à toute autre personne Me préférait ton ardeur, J'aurais quitté la couronne Pour régner dessus ton cœur. Un autre a guéri mon âme Des feux que j'avais pour toi. Un autre a vengé ma flamme Des faiblesse de…............, Cloris, qu'on vante si fort, M'aime d'une ardeur fidèle ; Si ses yeux voulaient ma mort, Je mourrais content pour elle. Myrtil, si digne d'envie, Me chérit plus que le jour ; Et moi je perdrais la vie Pour lui montrer mon amour. Mais si d'une douce ardeur Quelque renaissante trace, Chassait Cloris de mon cœur Pour te remettre en sa place ! Bien qu'avec pleine tendresse Myrtil me puisse chérir, Avec toi je le confesse ; Je voudrais vivre et mourir. Ah ! Plus jamais aimons-nous, Et vivons et mourons en des liens si doux. Passons maintenant à l'imitation de cette même ode, par J. J. Rousseau. Tant qu'à mon Colin j'ai su plaire, Mon sort comblait mes désirs. Quand je plaisais à ma bergère, Je vivais dans les plaisirs. Depuis que son cœur me méprise, Un autre a gagné le mien. Après le doux nœud qu'elle brise, Serait-il un autre bien ? Ma Colette se dégage ! Je crains un amant volage. Je me dégage à mon tour, Mon cœur devenu paisible, Oubliera, s'il est possible, Que tu lui fus cher un jour. chère Quelque bonheur qu'on me promette Dans les nœuds qui me sont offerts, J'eusse encore préféré Colette À tous les biens de l'univers. Quoiqu'un seigneur jeune, aimable, Me parle aujourd'hui d'amour, Colin m'eût semblé préférable À tout l'éclat de la cour, &c. Nous avons rapporté ces deux morceaux, pour donner une idée du faire de deux grands maîtres. En les comparant l'un avec l'autre, on distingue la différence des temps où chacun d'eux a été composé. On remarque moins de pureté dans le style de Molière, et plus de grâces et d'aménité dans celui du genevois. (I) (I) Cette ode a été imitée depuis par tous les cuistres du Parnasse, et malgré toutes les imitations, aucune encore n'a égalé son original. **** *book_ *id_ana81 *date_1801 *creator_cousin_davallon 81, p. 127 Dans la moindre des comédies de Molière, dit Cailhava, dans celles qu'on affecte de mépriser et d'appeler des farces, il y a plus de philosophie, plus de saine morale que dans toutes les larmoyantes productions du jour (I), (I) Sans même en excepter Misanthropie et Repentir, Pinto et l'Abbé de l'Epée. **** *book_ *id_ana82 *date_1801 *creator_cousin_davallon 82, p. 127 Molière ne s'est pas borné à peindre dans son Avare, l'Avare amoureux, l'Avare mauvais père, l'Avare usurier ; son Harpagon est tout cela ; il ne s'est pas contenté de saisir une seule branche de l'avarice, il les a embrassées toutes. **** *book_ *id_ana83 *date_1801 *creator_cousin_davallon 83, p. 127-128 Les grands génies, comme les grands talents, sont toujours modestes. Molière devait lire une traduction de Lucrèce⁎ en vers français, chez un ami, où étaient Boileau et plusieurs autres personnes de mérite. En attendant le dîner, on pria Despréaux de réciter la satire adressée à Molière ; mais après ce récit, Molière ne voulut plus lire sa traduction, craignant qu'elle ne fût pas assez belle pour soutenir les louanges que Boileau venait de recevoir. Il se contenta de lire le premier acte du Misanthrope, auquel il travaillait en ce temps-là, disant : qu'on ne devait pas s'attendre à des vers aussi parfaits et aussi achevés que ceux de Despréaux⁎ ; parce qu'il lui faudrait un temps infini, s'il voulait travailler ses ouvrages comme lui. **** *book_ *id_ana84 *date_1801 *creator_cousin_davallon 84, p. 128-129 Joly était un prédicateur fameux, qui vivait du temps de Molière. Les libertins, ou plutôt les jeunes gens qui aimaient à rire et à plaisanter, comparaient les talents de Joly avec ceux de Molière ; mais ils disaient que Molière était meilleur prédicateur, et que Joly était plus grand comédien. **** *book_ *id_ana85 *date_1801 *creator_cousin_davallon 85, p. 129-130 Molière peint dans son Misanthrope, acte 2, scène 4, sous le nom de Timante, un monsieur de St-Gilles qui était un homme de la vieille cour, et d'un caractère singulier. Molière prenait ses originaux partout où il pouvait les trouver. Comme cet ancien Gille ressemble à beaucoup de Gilles modernes, nous allons citer le portrait qu'en fait l'auteur du Misanthrope : C'est de la tête aux pieds, un homme tout mystère, Qui vous jette en passant un coup d'œil égaré, Et sans aucune affaire est toujours affairé. Tout ce qu'il vous débite, en grimaces abonde, À force de façons, il assomme le monde ; Sans cesse, il a tout bas, pour rompre l'entretien, Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien, De la moindre vétille il fait une merveille, Et jusques au bon jour, il dit tout à l'oreille. **** *book_ *id_ana86 *date_1801 *creator_cousin_davallon 86, p. 130-131 Lors de la première défense de jouer le Tartuffe, la curiosité du public fut piquée, tout le monde voulait avoir Molière pour la lui entendre réciter. Boileau fait allusion à cet empressement, dans ce vers de la troisième satire où il fait la description d'un mauvais repas. Molière avec Tartuffe y doit jouer son rôle. **** *book_ *id_ana87 *date_1801 *creator_cousin_davallon 87, p. 131-132 Racine et Despréaux⁎, avec lesquels La Fontaine était extrêmement lié, s'amusaient quelquefois à ses dépens : aussi l'appelaient-ils le bonhomme, quoiqu'ils connussent bien d'ailleurs tout ce qu'il valait. Une fois, entre autres, qu'ils étaient à souper chez Molière, avec Descoteaux, célèbre joueur de flûte, La Fontaine y parut plus rêveur et plus concentré en lui-même qu'à l'ordinaire. Pour le tirer de sa distraction, Despréaux⁎ et Racine qui étaient naturellement portés à la raillerie, se mirent à l'agacer par différents traits plus vifs et plus piquants les uns que les autres ; mais La Fontaine ne s'en déconcerta point. Ils avaient cependant poussé si loin la raillerie, que Molière, touché de la patience de La Fontaine, ne put s'empêcher d'en être piqué pour lui, et de dire à Descoteaux, en le tirant à part au sortir de table : Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bonhomme. **** *book_ *id_ana88 *date_1801 *creator_cousin_davallon 88, p. 132 Molière eut, comme les premiers farceurs, l'objet d'amuser et de faire rire ; mais par des moyens moins libres, et moins éloignés de la vraie comédie. « Je suis comédien aussi bien qu'auteur, disait-il, il faut réjouir la cour et attirer le peuple, et je suis quelquefois réduit à consulter l'intérêt de mes acteurs aussi bien que ma propre gloire. » **** *book_ *id_ana89 *date_1801 *creator_cousin_davallon 89, p. 133 Pourceaugnac fut fait à l'occasion d'un gentilhomme limousin, qui, dans une querelle qu'il eut sur le théâtre avec quelques comédiens, développa tout le ridicule du plus épais provincial. Le contemplateur Molière, qui avait été témoin de la scène, en conçut l'idée de cette ingénieuse farce, qui eut le plus grand succès, et qu'on voit encore tous les jours avec le plaisir le plus vif. Robinet, dans sa lettre en vers du 23 novembre 1669, paraît appuyer cette anecdote lorsqu'il dit : Il joue autant bien qu'il se peut, Ce marquis de nouvelle fonte, Dont par hasard, à ce qu'on conte, L'original est à Paris. En colère autant que surpris De se voir dépeint de la sorte, Il jure, il tempête, il s'emporte, Et veut faire ajourner l'auteur, etc. **** *book_ *id_ana90 *date_1801 *creator_cousin_davallon 90, p. 134 L'auteur fécond et célèbre des Singularités de la nature, nous a appris une allusion très heureuse au trait plaisant du Pédant joué, que diable allait-il faire dans cette galère ? adopté par Molière dans les Fourberies de Scapin. Nos lecteurs à qui le petit écrit qu'on vient de citer, peut-être inconnu, seront bien aises de trouver ici cette bonne plaisanterie. Le comte de Saxe avait imaginé en 1729 de faire construire une galère sans rames et sans voiles, qui devait remonter la seine de Rouen à Paris, en 24 heures. Sur les certificats de deux membres de l'académie des sciences, il avait obtenu un privilège exclusif pour sa machine, qui lui coûta beaucoup, et qui ne réussit point : la fameuse Lecouvreur, amante du comte, s'écriait, après cette dépense inutile, que diable allait-il faire dans cette maudite galère ? **** *book_ *id_ana91 *date_1801 *creator_cousin_davallon 91, p. 135 La farce du Médecin malgré lui, composée à la hâte, et dans laquelle Molière ne daigna pas même s'asservir à la règle de l'unité de lieu, eut le plus grand succès et soutint le Misanthrope, à la honte de l'esprit humain. C'était, dit Voltaire, l'ouvrage d'un sage qui écrivit pour les hommes éclairés, et il fallut que le sage se déguisât en farceur pour plaire à la multitude. **** *book_ *id_ana92 *date_1801 *creator_cousin_davallon 92, p. 135-136 Molière attachait peu d'importance au Médecin malgré lui. Ce fait est confirmé par le comédien Subligny⁎, auteur de la Gazette rimée, sous le nom de Muse Dauphine. Voici par où ce gazetier termine ce qu'il dit du Médecin malgré lui. Molière, dit-on, ne l'appelle Qu'une petite bagatelle, Mais cette bagatelle est d'un esprit si fin, Que s'il faut que je vous le die, L'estime qu'on en fait est une maladie Qui fait que dans Paris tout court au médecin. **** *book_ *id_ana93 *date_1801 *creator_cousin_davallon 93, p. 136-138 Le Festin de Pierre eut peu de succès. La véritable raison fut qu'on ne permit pas à Molière, qui avait purgé le théâtre de tant de folies, d'y reporter lui-même un tissu d'extravagances. Ce n'est pas qu'il ne plaisante quelque fois agréablement dans les rôles de Sganarelle et de monsieur Dimanche ; mais le tout ensemble n'était pas digne de passer sous la plume de notre auteur, et l'on ne peut qu'applaudir au mot ingénieux de cette femme qui dit à Molière, votre figure de D. Pèdre baisse la tête, et moi je la secoue. Il s'éleva contre cette comédie des ennemis d'une nouvelle espèce, et mille fois plus dangereux que les Saumaize⁎, les Boursault⁎ &c. La scène d'un pauvre avec D. Juan, dans laquelle Molière avait peint, avec trop d'énergie peut-être, la scélératesse raisonnée de son héros, éleva les clameurs des hypocrites et des faux dévots. Elle fut supprimée à la deuxième représentation. Voici cette scène très courte que Voltaire nous a donnée, après l'avoir vue écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de l'un des amis de notre auteur. A prier Dieu pour les honnêtes gens qui me donnent l'aumône. Tu passes ta vie à prier Dieu ? Si cela est, tu dois être fort à ton aise. Hélas ! Monsieur, je n'ai pas souvent de quoi manger ? Cela ne se peut pas ; Dieu ne saurait laisser mourir de faim ceux qui le prient du soir au matin : tiens, voilà un louis d'or, mais je te le donne pour l'amour de l'humanité. **** *book_ *id_ana94 *date_1801 *creator_cousin_davallon 94, p. 138-139 L'abbé Dubos admire dans la scène 7 du troisième acte du Misanthrope, la saillie de ce même personnage, qui rendant un compte sérieux des raisons qui l'empêchent de s'établir à la cour, ajoute, après une déduction des contraintes réelles et gênantes qu'on s'épargne en n'y vivait point : « On n'a point à louer les vers de messieurs tels. » Cette pensée devient sublime, dit-il, par le caractère connu du personnage qui parle, et par la procédure qu'il vient d'essuyer, pour avoir dit que des vers mauvais ne valaient rien. **** *book_ *id_ana95 *date_1801 *creator_cousin_davallon 95, p. 139-140 Voici comme Piron⁎ s'exprime sur le Misanthrope : « Un chasseur qui se trouve en automne, au lever d'une belle aurore, dans une plaine ou dans une forêt, fertiles en gibier, ne se sent pas le cœur plus réjoui que dût l'être l'esprit de Molière, quand, après avoir fait le plan du Misanthrope, il entra dans ce champ vaste où tous les ridicules du monde venaient se présenter en foule et comme d'eux-mêmes, aux traits qu'il savait si bien lancer. La belle journée du philosophe ! Pouvait-elle manquer d'être l'époque du chef-d'œuvre de notre théâtre ? » **** *book_ *id_ana96 *date_1801 *creator_cousin_davallon 96, p. 140-141 Parmi les épitaphes qu'on fit pour Molière, il y en a de plaisantes, et quelques-unes de sérieuses. Nous rapportons ici les deux suivantes qui font allusion à l'accident mortel qui lui arriva à la représentation de son Cocu imaginaire : Ci gît, sans nulle pompe vaine, Le singe de la vie humaine, Qui jamais n'aura son égal. De la mort comme de la vie, Voulant être le singe en une comédie, Pour trop bien réussir, il y réussit mal : Car la mort en étant ravie, Trouva si belle la copie, Qu'elle en fit un original. **** *book_ *id_ana97 *date_1801 *creator_cousin_davallon 97, p. 141 Passant, ici repose un qu'on dit être mort ; Je ne sais s'il vit, ou s'il dort. Le Malade imaginaire Ne saurait l'avoir fait mourir ; C'est un tour qu'il joue à plaisir, Car il aimait à contrefaire. Quoiqu'il en soit, ci gît Molière ; Comme il était comédien ; Pour un malade imaginaire, S'il fait le mort, il le fait bien. **** *book_ *id_ana98 *date_1801 *creator_cousin_davallon 98, p. 142 La seule épitaphe digne d'être mise sur le tombeau de cet incomparable comique est celle qui fut faite par La Fontaine. La voici : Sous ce tombeau gisent Plaute⁎ et Térence⁎, Et cependant le seul Molière y gît. Leurs trois talents ne formaient qu'un esprit, Dont le bel art réjouissait la France : Ils sont partis, et j'ai peu d'espérance De les revoir. Malgré tous nos efforts, Pour un longtemps, selon toute apparence, Térence⁎ et Plaute⁎ et Molière sont morts.