Émile Doumergue

1870

La philosophie dans le théâtre de Molière (Revue chrétienne)

2015
Source : Émile Doumergue, « La philosophie dans le théâtre de Molière », Revue chrétienne, 17e année, 1870, p. 326-347.
Ont participé à cette édition électronique : Camille Frejaville (OCR et stylage), Chayma Soltani (Structuration et encodage TEI) et Côme Saignol (Structuration et encodage TEI).
{p. 326}

La philosophie dans le théâtre de Molière1 §

La première partie de notre étude nous a d’abord montré que Molière n’avait attaqué la religion ni directement ni indirectement. Puis, nous avons cherché à dessiner l’attitude qu’il avait prise pendant sa vie, en face de cette « seule chose nécessaire. » Plein de respect pour elle, nous l’avons vu lui prêter, intentionnellement, l’appui de sa satire, sans que nous ayons cru devoir le ranger pour cela au nombre de ses plus fervents disciples.

Mais ce résultat, à moitié négatif, en réclame un autre plus précis, plus positif. Molière croît en Dieu et le défend, — et cette foi n’a pas chez lui une origine religieuse. Molière professe une morale, comme nous le verrons, assez facile à caractériser dans son ensemble, — et ce n’est pas davantage la religion qui lui en a fourni le principe. D’où viennent donc, et son idée de Dieu, et le principe de sa morale ?

C’est ce que nous allons essayer de découvrir, en imitant la marche que nous avons suivie tout à l’heure, et en commençant, maintenant, par nous demander quelle a été la position de Molière, en face de la philosophie de son époque.

I. §

Il n’est pas besoin de connaître à fond l’histoire des idées au dix-septième siècle, pour savoir que nous sommes ici en présence d’une révolution qui semble avoir brisé en deux la pensée humaine. En face de la vieille philosophie, s’en dresse une toute nouvelle, et, comme les conquérants qui établissent de vive force leur domination, les novateurs sont d’abord obligés de détruire, pour pouvoir édifier ensuite. C’est dire qu’il nous faut chercher, en premier lieu, la part de Molière dans l’œuvre de destruction.

{p. 327}

Si, au point de vue seulement du sujet qui nous occupe, nous nous demandons ce qu’était la philosophie ancienne, nous la voyons se résumer pour nous dans un mot : l’École, et se personnifier dans un nom : Aristote.

Or, l’école avait d’abord un principe, celui des formalités, matérialités, entités, virtualités… formes substantielles, qualités occultes… Avec lui on avait réponse à tout. Gomment se fait la coction des aliments dans l’estomac ? — en vertu d’une qualité concoctrice, répondait l’école. Gomment l’aimant attire-t-il le fer ?—en vertu d’une qualité magnétique, continuait-elle imperturbablement. Ce qui rappelle la faculté détersive des brosses pour nettoyer les habits, dont se moque Malebranche, et la définition donnée sérieusement par le père Noël à Pascal : «  La lumière est le mouvement luminaire d’un corps lumineux. »

Molière est ici plus grave encore que le père Noël. Le sujet lui parait si sérieux, qu’il croit devoir parler latin, la langue sacrée des savants. Le langage vulgaire eût été sans doute indigne, sinon incapable, d’exprimer des pensées aussi profondes. Ecoutez, en effet : (2)

PRIMUS doctor.

Si mihi licentiam dat dominus præses,
Et tanti docti doctores,
Et assistantes illustres,
Tres savanti bacheliero,
Quem estimo et honoro,
Domandabo causam et rationem quare,
Opium facit dormire.

Bachelierus.

—    Mihi a doctore,
Domandatur causam et rationem quare,
Opium, facit dormire ;
A quoi respondeo,
Quia est in eo,
Virtus dormitiva,
Cujus est natura,
Sensus assoupire.

Et tout le chœur de s’écrier :

Vivat… cent fois vivat,
Novus doctor, qui tana bene parlat !3 .

À ce beau principe, l’école joignait une méthode non moins belle : la méthode scolastique qui avait enfanté, au moyen âge, ces hommes… énormes, puisque le respect nous défend d’employer une épithète plus juste. — Or, cette méthode a pris possession du corps et de l’âme du seigneur Pancrace : la moindre infraction le met hors de lui : « Sais-tu bien ce que tu as fait ? s’écrie-t-il en se rappelant une phrase de son interlocuteur absent, — un syllogisme in Balordo, — la majeure en est inepte, la mineure impertinente, et la conclusion ridicule (4). »

{p. 328}

Et, là-dessus, lui ou ses amis se plaisent à nous faire admirer les charmes de cette logique « qui enseigne les trois opérations de l’esprit. La première, la seconde et la troisième (5) » Et de quelles questions cette logique-là s’occupe ?

On ne m’en croirait peut-être pas sur parole. Entrons donc à l’école de médecine (6). Les professeurs, fidèles à leur serment, ont « leurs robes longues à grandes manches, le bonnet carré sur la tête, et la chausse d’écarlate à l’épaule (7). » La séance va s’ouvrir. Voici les deux thèses qui vont être solennellement discutées : « An ex heroibus, heroes? — An qui mel et butyrum comedit, sciat reprobare malum et eligere bonum (8) ? » etc. Ou si vous avez peur de vous déranger, prenez Molière, il est aussi profond, plus profond même que l’école de médecine, et non moins au courant qu’elle des questions à la mode : Voulez-vous savoir, en effet, « si la substance et l’accident sont termes synonymes ou équivoques à l’égard de l’être ? »— adressez-vous au grand Pancrace, à moins que vous ne préfériez lui demander « si l’essence du bien est mise dans l’appétibilité ou dans la convenance, — si le bien se réciproque avec la fin, — si la fin nous peut émouvoir par son être réel, ou par son être intentionnel ? »etc. (9).

Mais ceci doit suffire, je pense, pour faire juger du tout, et le lecteur « est déjà charmé de ce petit morceau (10). » — Que sera-ce, quand il verra tous les magnifiques résultats auxquels conduit cette méthode vraiment divine ! Deux mots les résument : parler beaucoup et ne rien dire. — C’est grâce à elle que Gros-René cite le cousin Aristote, et, au bout de je ne sais combien de phrases, de comparaisons, de tempêtes, de…

… Certains vents qui par de… certains flots
De… certaine façon, ainsi qu’un banc de sable,
Quand…

conclut :

Les femmes enfin ne valent pas le diable (11).

C’est grâce à elle, surtout, qu’un médecin, sachant que votre fille ne parle, plus, après une foule de belles démonstrations en français et en latin, sur le foie qui est à gauche, et le cœur qui est à droite, finira par vous apprendre « que votre fille est muette (12). »

{p. 329}

Je ne me trompe pas! En veut-on une dernière preuve ? que l’on écoute le professeur de philosophie lui-même ; qu’on l’écoute… une heure ou deux, et l’on saura… une foule de choses ; l’on saura… « que l’R se prononce en portant le bout de la langue jusqu’au haut du palais ; de sorte qu’étant frôlée par l’air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : R, RA (13). »— Que si l’on hésite encore à s’écrier avec M. Jourdain : Ah ! la belle science! la belle science! — il me suffira, j’espère, pour forcer enfin toute admiration, de montrer un effet pratique de cette grande méthode et de faire voir le même maître de philosophie disant quelques gros mots, et se colletant agréablement avec un maître de danse, avant d’enseigner à M. Jourdain cette morale qui, dit-il, est l’art « de modérer ses passions (14). »

Mais, après tout, un principe et une méthode ne suffisent pas pour faire vivre même une école. Il y avait aussi quelque chose de plus chez elle : un amour, une passion. Je m’explique.

Peut-être, en effet, eût-il été permis de douter jusqu’à un certain point, de douter un peu, bien peu, des formes substantielles. Peut-être, malgré le témoignage du véridique arrêt burlesque de Boileau, peut-être eût-il été permis de s’écarter un peu, bien peu, de la vieille méthode.

Mais alors ce qui était impardonnable, ce qui était digne de tous les supplices, ce qui, enfin, méritait la malédiction des hommes et du ciel, c’était de ne pas partager ce qui faisait la vie même de l’école, son amour, sa passion pour les anciens.

Cette passion remplit, à cette époque, le cœur et l’âme d’un homme célèbre, Gui Patin. Tout dévoré de ce feu sacré; il ne cessait de parler, de plaider, d’écrire en faveur de ses amis, Galien, Hippocrate et les autres. « Ne perdez pas de temps ! criait-il aux jeunes gens confiés à ses soins, ne perdez pas de temps à lire tant de modernes (15)… »Aussi, dépassé un moment, débordé, il put, avec l’orgueil d’une conscience satisfaite, s’écrier : « Je n’ai jamais donné de quinquina » (remède nouveau alors) (16), et sur la fin de sa vie, dans un moment d’enthousiasme, entonner en l’honneur de ses maîtres cet hymne magnifique : {p. 330}Vive la bonne méthode du Galien et ce beau vers de Joachim du Bellay :    

O bonne, ô sainte, ô divine saignée! (17)

Mais si fidèle représentant des anciens que fut Gui Patin, il eut un mal… Molière. On a pu, en effet, citer davantage ces œuvres oubliées de nos jours ; mois, je le demande, quelqu’un les a-t-il citées plus à propos ?

Si M. Robert, par exemple, tient à s’ingérer dans les affaires d’autrui : « Apprenez, lui répond-il, que Cicéron dit qu’entre l’arbre et le doigt, il ne faut pas mettre l’écorce (18). »

S’agit-il de mettre son chapeau sur sa tâte :

— Hippocrate dit… que nous nous couvrions tous deux.
— Hippocrate dit celât
— Oui.
— Dans quel chapitre, s’il tous plaît ?
— Dans son chapitre… des chapeaux (19).

Après cela, il n’est pas étonnant que Molière soit ferré sur les principes, et parle si respectueusement de ceux qui les suivent les yeux fermés. « Sur toute chose (dit un père de son fils), ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre, ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine (20). » Voilà qui est clair. Quant à ceux qui oseraient écouter une raison, et pousseraient la folie jusqu’au point de ne pas jurer par les anciens, un édit royal de 1624 les condamne au bannissement perpétuel. Malheureusement, l’édit tomba un peu en désuétude, malgré le zèle de quelques docteurs à invoquer pour leur philosophie l’appui du pouvoir civil. Il ne reste plus à notre auteur qu’à gémir avec eux sur les malheurs du temps. « Ah ! seigneur Sganarelle (s’écrie Pancrace),tout est renversé aujourd’hui, et le monde est tombé dans une corruption générale. Une licence épouvantable règne partout, et les magistrats, qui sont établis pour maintenir l’ordre dans cet Etat, devraient mourir de honte, en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler (21). »

Voilà pour l’école. Mais, on le sait, l’amour n’aime pas trop les {p. 331}généralités, surtout les abstractions, et ce tendre sentiment à l’égard de l’antiquité avait bientôt fini par se concentrer dans une ardente passion pour Aristote : Aristote, expression, représentation, personnification, incarnation de la philosophie et de l’école au dix-septième siècle.

Et même (je ferai au lecteur cette confidence), si fêtais partisan de la métempsycose, je serais tenté de croire que l’âme du philosophe a passé tout entière dans le corps de l’illustre Pancrace, si bien que je soupçonne fort le seigneur Aristote d’être lui-même, en réalité, «le docteur in utroque jure, — homme de suffisance, homme de capacité, — homme consommé dans toutes les sciences, naturelles, morales et politiques, — homme savant, savantissime, per omnes modos et casus, — homme qui possède, superlative, fable, mythologie et histoire, — grammaire, poésie, rhétorique, dialectique et sophistique, —mathématiques, arithmétique, optique, onirocritique, physique et métaphysique, — cosmométrie, géométrie,  architecture, spéculoire et spéculatoire, — médecine, astronomie, astrologie, physionomie, métoposcopie, chiromancie, géomancie, etc. (22) » Oui, c’est bien l’Aristote de Molière et du siècle, celui qui est appelé autre part le philosophe des philosophes, ou encore le philosophe tout court (23).

Il est vrai qu’un certain Sganarelle ose traiter ce grand homme de « bavard (24)». Mais quelle confiance peut-on avoir, je le demande, dans la raison d’un homme qui refuse, je ne dis pas de se marier, ce qui se comprend, après tout, mais de se laisser galamment couper la gorge ? Il est vrai aussi qu’un autre Sganarelle, le valet de don Juan, prétend aimer le tabac en dépit (horresco referens), en dépit d’Aristote (25). Mais ce Sganarelle est presque partout un homme de bon sens, et cette seule considération suffit, ce me semble, pour faire tout à fait récuser ici le jugement de ce téméraire.

Aristote, encore une fois, voilà bien l’homme ! Sur lui, le théâtre de Molière est plein de révélations. Voici des traits que l’on ne retrouve pas, j’en suis sûr, dans la célèbre traduction de M. Barthélémy Saint-Hilaire : « Oh ! la grande fatigue d’avoir une femme ! et qu’Aristote a bien raison, quand il dit qu’une femme est pire qu’un démon (26). » Et cet autre, que nous a conservé la rare science de Gros-René :

La tête d’une femme est comme la girouette
Au haut d’une maison, qui tourne an premier vent,
C’est pourquoi le cousin Aristote souvent
La compare à la mer. D’où vient qu’on dit qu’au monde
On ne peut rien trouver de si stable que l’onde (27).
{p. 332}

Enfin, dans son enthousiasme, Molière va jusqu’à citer presque textuellement le plus célèbre, à coup sûr, des passages de cet incomparable auteur : « Je soutiens qu’il faut dire la figure d’un chapeau… Oui, ignorant que vous êtes, c’est comme il faut parler, et ce sont les termes exprès d’Aristote dans le chapitre de la qualité (28). »

Je ne crains pas que le lecteur se soit mépris sur le ton de cette exposition. Mais est-il satisfait ? Peut-on croire que le désir de notre auteur eût été de nous faire rire, et qu’il se soit moqué d’Aristote et de son autorité, seulement pour accomplir son métier de comique (29)? Non, assurément. Hâtons-nous de le dire : Molière poursuit ici un but plus élevé, plus philosophique, si l’on veut. Ce but est d’affranchir l’esprit du joug de ces mille autorités qui l’accablait à cette époque, et menaçait de l’écraser entièrement. Voilà la grande, la généreuse pensée que l’on découvre dans son œuvre, et non pas seulement dans les quelques fragments que je viens de citer. C’est elle qui vivifie, anime son théâtre tout entier, et lui donne aux yeux d’un observateur réfléchi une forte, j’allais dire une majestueuse unité. Pourquoi, en effet, a-t-il combattu la médecine ? Pourquoi, comme on l’a dit spirituellement, a-t-il engagé contre elle cette longue lutte aux nombreux épisodes, lutte qui va de sa première pièce, le Médecin volant, jusqu’à sa dernière, le Malade imaginaire, sinon par haine de l’école, de cette école qui semblait avoir caché tout son amour de l’autorité, et toute la susceptibilité du moyen âge, sous la robe de Gui Patin et de ses confrères ? Pourquoi, à deux reprises, attaque-t-il les Précieuses et dépasse-t-il presque le but dans les Femmes savantes, sinon par haine de l’école transformée en coteries dont l’autorité et la subtilité tyrannisaient le bon goût et allaient comme le chasser de France ?

Pourquoi enfin, pourquoi surtout toutes ces violentes et perpétuelles sorties contre les Métaphraste, les Caritidès, les Vadius, les Trissotin et tous les sots de .cette espèce, sinon par haine toujours pour l’école, dont leur pédante ignorance était devenue le dernier et le plus dangereux soutien ?

Mais en rendant justice à notre auteur, n’oublions pas notre but : ce principe si fécond, à qui le dut-il ? A personne ou à tout le monde, serait-il facile de répondre ; et l’on pourrait invoquer ici l’unité de la philosophie nouvelle en face de sa rivale, faire voir Bacon, Gassendi, Descartes, au milieu de leurs doutes et de leurs affirmations contradictoires, d’accord pour résister aux anciens, et montrer enfin tout le mouvement philosophique du grand siècle venant aboutir à cette pensée, ou plutôt à cet effort commun : affranchir la science et l’esprit de toute autorité {p. 333}extérieure. Mais pour rester fidèle à la vérité, j’aime mieux avouer que, dans cette attaque générale, personne ne porta à l’ennemi commun des coups plus directs que le rival de Descartes, et conclure cette première discussion en confessant que Molière est ici le disciple de Gassendi.

Mais unis pour détruire, les modernes philosophes ne pouvaient plus l’être pour reconstruire. A peine sorti de sa nouvelle source, le torrent de la pensée humaine, arrêté un moment par d’antiques barrières, les renverse et se partage en deux courants bien distincts. Deux écoles opposées se fondent, dont l’une a pour chef Descartes, et l’autre Gassendi. Trouver à laquelle appartint Molière, ce sera achever de résoudre la question que nous avons posée au début de cette seconde étude.

Or, en vue toujours de notre sujet, nous pouvons ramener à ces trois points la philosophie de Descartes : un principe, qui est en même temps une méthode, et deux thèses, qui en sont la conséquence. Un principe : n’admettre que l’évidence, et dans la ferme résolution de rejeter tout ce dont on peut douter, ne s’arrêter que devant le : « Je pense, donc je suis. » C’est ce qu’on a appelé le doute méthodique. Deux thèses : le corps et l’esprit sont profondément distincts ; l’âme est plus certaine que le corps.

Voilà Descartes : que dit Molière!

Tout d’abord, on prétend qu’il a attaqué le principe lui-même, et dans le scepticisme universel de Marphurius, on croit reconnaître une parodie du doute, si fort recommandé dans les premières pages du Discours de la Méthode. Le lecteur me pardonnera de remettre sous ses yeux une partie de la scène :

MARPHURIUS.

Que voulez-vous de moi, seigneur Sganarelle ?

SGANARELLE.

Seigneur docteur, j’aurais besoin de votre conseil sur une petite affaire dont il s’agit, et je sais venu ici pour cela.

MARPHURIUS.

Seigneur Sganarelle, changez, s’il vous plaît, cette façon de parler. Notre philosophie ordonne de ne point énoncer de propositions décisives, de parler de tout avec incertitude, de suspendre toujours son jugement et, par cette raison, tous ne devez pas dire : Je suis venu, mais : il me semble que je suis venu.

SGANARELLE.

Il me semble ?

MARPHURIUS.

Oui.

SGANARELLE.

Parbleu ! il faut bien qu’il me semble, puisque cela est.

MARPHURIUS.

Ce n’est pas une conséquence, et il peut vous sembler sans que la chose soit véritable,

SGANARELLE.

Comment! il n’est pas vrai que je suis venu ?

MARPHURIUS.

Cela est incertain, et nous devons douter de tout.

SGANARELLE.

Quoi! je ne suis pas ici, et vous ne me parlez pas ? Laissons ces subtilités, je vous prie, et parlons de mon affaire. Je viens vous dire que j’ai envie de me marier.

MARPHURIUS.

Je n’en sais rien.

SGANARELLE.

Je vous le dis.

MARPHURIUS.

Il se peut faire.

SGANARELLE.

La fille que je veux prendre est fort jeune et fort belle.

MARPHURIUS.

Il n’est pas impossible.

SGANARELLE.

Ferais-je bien ou mal de l’épouser ?

MARPHURIUS.

L’un ou l’autre… (30)

{p. 334}

Et la conversation continue. Est-ce là, vraiment, le ton de Descartes ? Ne voit-on pas, au contraire, que le scepticisme pour l’un méthode, c’est-à-dire moyen d’arriver à la vérité, devient ici pour l’autre la vérité même, et n’est-il pas évident que celui-là ne doute que pour ne plus douter, tandis que celui-ci ne doute que pour avoir le droit de douter encore (31). Avouons-le simplement : Marphurius est un pyrrhonien, rien de plus, et pour moi, je ne saurais m’étonner que l’attention de Molière se soit portée sur cette doctrine, et qu’il lui ait fait l’honneur de se moquer d’elle. Quelques critiques, en effet, ont l’air de croire que cette attaque manquait d’à-propos. Il n’y avait pourtant pas si longtemps, ce me semble, qu’avaient été prononcés le « Que sais-je ? » de Montaigne, le « Je ne sais, » de Charron, le « Quid igitur, » de Sanchez. N’est-ce pas deux ans seulement avant le Discours de la Méthode que la Mothe-le-Vayer, le coryphée des douteurs du temps, avait publié son grand ouvrage sceptique ? Huet et Bayle ne préparaient-ils pas, comme dans l’ombre, leurs terribles attaques contre toute certitude ? Et même ce luxe de preuves est inutile. Les Pensées de Pascal, ardente réfutation ou apologie passionnée du scepticisme, suffisaient à elles seules pour prouver la vérité de ce que nous avançons.

Une fois ce point accordé, il nous sera plus facile, à notre tour, de faire des concessions sur la manière dont Molière défend les deux thèses cartésiennes dont nous avons parlé.

La première, en effet, l’âme, distincte du corps, et si supérieure au corps qu’elle ne semble plus guère s’apercevoir de ses rapports avec lui, a le malheur de n’être plus soutenue que par Armande. C’est elle qui

Traitant de mépris les sens et la matière,

donne à sa sœur ce modeste conseil :

À l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière (32).

Elle va plus loin, et comme Frosine qui voulait faire épouser l’Adriatique au Grand Turc, elle veut marier sa sœur à la philosophie

Qui donne à la raison l’empire souverain,
Soumettant à ses lois la partie animale,
Dont l’appétit grossier aux bêtes nous ravale (33).

Pour la seconde thèse, l’âme plus certaine que le corps, il est facile {p. 335}d’y voir une allusion peu flatteuse dans toute la belle théorie du mariage, qui se termine par ces vers d’Armande :

Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports.
Et Ton ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps (34).

Enfin, pour achever de la ruiner, Belise vient lui prêter son appui :

Nous, nous établissons une espèce d’amour
Qui doit être épuré comme l’astre du jour.
La substance qui pense y peut être reçue,
Mais nous en bannissons la substance étendue (35).

Le lecteur a reconnu les deux définitions du corps et de l’âme, de la matière et de l’esprit, selon Descartes. Mais une remarque est ici fort nécessaire. Que blâme en réalité Molière, ou du moins que tourne-t-il en ridicule ? Les excès auxquels peuvent conduire certains principes, plutôt que ces principes eux-mêmes. Quand il s’agit de physique, par exemple, il n’y a que la matière subtile et les tourbillons, c’est-à-dire des hypothèses fort hasardées, qui ont le funeste bonheur de plaire à Armande et à Philaminte. Mais dans tous ces passages, notre auteur ne dit rien autre chose que ce que répètent aujourd’hui les plus grands admirateurs de Descartes. M. Janet a écrit, il y a quelque temps, dans un article sur ce philosophe : « Les jésuites trouvent qu’on a trop maltraité Aristote (en quoi ils n’avaient pas tort) ; ils critiquent les abus du doute méthodique (en quoi ils pourraient bien avoir raison). »En sorte qu’il serait tout aussi juste de faire de M. Janet l’ami de la scolastique et des jésuites, que de Molière l’ennemi déclaré de Descartes.

Dans le doute donc où nous conduit notre étude, voyons si, plus heureux d’un autre côté, nous ne pourrons pas clairement découvrir la pensée du poète comique sur Gassendi.

Ce qui, en tous cas, est facile, c’est de résumer, pour notre but au moins, les doctrines de ce philosophe : il suffit de renverser celles de Descartes.

Nous avons vu, en effet, Descartes affirmer deux choses : la profonde distinction du corps et de l’âme, et la connaissance de l’âme beaucoup plus claire que celle du corps. Gassendi en affirme- deux autres, à son tour : la ressemblance du corps et de l’âme, qui n’est qu’un corps plus subtil (36), et la connaissance de notre corps, beaucoup plus claire que celle de notre âme (37).

De même, en physique, Descartes, confondant la matière et l’étendue, soutenait que le vide ne pouvait exister, à moins d’un lieu sans étendue, {p. 336}ce qui serait contradictoire, c’est-à-dire qu’il soutenait le plein et la matière subtile. Gassendi, à son tour, défend Épicure, et avec lui le vide et les atomes.

Enfin, comme si les deux adversaires eussent pris à tâche de se contredire en tout et partout, tandis que Descartes refuse l’âme aux animaux et en fait de simples machines, Gassendi est près de raccorder aux plantes et de les ranger parmi les animaux (38).

Voilà Gassendi : que dit Molière ?

Nous l’avons déjà entendu parler du corps et de l’âme. Et ce n’est sans raison, selon nous, que, dans ce passage des Femmes savantes, on a cru voir une allusion aux deux mots célèbres : Ô Esprit, ô chair. De plus, nous avons reconnu qu’il se moquait, et à juste titre, peut-être, d’un spiritualisme poussé à l’extrême ; il serait plus vrai de dire à l’excès. Faut-il aller plus loin, faut-il, avec tel ou tel critique, un peu trop pressé, selon nous, de triompher, ne plus voir en Molière que le zélé disciple d’un sensualisme tout récemment renouvelé d’Épicure ? Soit. Cette belle philosophie, avouons-le donc, est prêchée dans le théâtre de notre auteur : elle a un admirateur, un admirateur passionné. C’est le… bonhomme Chrysale. Voilà tous les sensualistes bien flattés, à coup sûr, de posséder un tel défenseur, et tout prêts à applaudir, sans doute, quand, à propos de sa domestique, il s’écrie avec une si profonde tristesse :

Qu’importe qu’elle manque aux lois de Vaugelas,
Pourvu qu’à la cuisine elle ne manque pas ?
J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes,
Elle accommode mal les noms avec les verbes,
Et redise cent fois un bas et méchant mot,
Que de brûler ma viande ou saler trop mon pot ;
Je vis de bonne soupe et non de beau langage (39).

C’est là ce que Molière a trouvé de plus fort en faveur de sa philosophie favorite ! Mais s’il avait voulu s’en moquer, comment donc aurait-il dû s’y prendre ?

Et défend-il mieux, au moins, Épicure et les atomes ? Hélas! il faut que ce soit une cartésienne, et quelle cartésienne ? Armande ! qui admire le philosophe latin. Pour comble de malheur, Belise est encore favorable aux atomes. Développant d’une façon tout à fait originale, du reste, la pensée du maître, elle les divise en classes correspondant à celles de la société, et se demande avec douleur, à propos de son malheureux frère :

S’il est de petits corps un plus lourd assemblage,
Un esprit composé d’atomes plus bourgeois… (40)

« Un esprit composé d’atomes. » C’est la première thèse gassendiste.

{p. 337}

Quelle est donc alors la pensée de Molière ? Son maître, est-ce Descartes, est-ce Gassendi ? La réponse est difficile. Voici qui la rend un peu plus difficile encore.

À peine s’est-il moqué de Descartes, par la bouche de Philaminte s’écriant :

Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,
D’un prix à mériter seulement qu’on y pense,

que tout aussitôt Chrysale nous fait rire aux dépens du sensualisme de Gassendi :

Oui, mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin.
Guenille si l’on veut ; ma guenille m’est chère (41).

« Mon corps est moi-même. » C’est la seconde thèse gassendiste.

L’embarras du lecteur s’accroît : qu’il me permettre de l’accroître encore par une dernière citation, où nos philosophes sont plus ou moins malmenés tour à tour :

TRISSOTIN.

Je m’attache pour l’ordre au péripatétisme.

PHILAMINTE.

Pour les abstractions, j’aime le platonisme.

ARMANDE.

Épicure me plaît, et ses dogmes sont forts.

BELISE.

Je m’accommode assez, pour moi, des petits corps ;
Mais le vide à souffrir me semble difficile,
Et je goûte bien mieux la matière subtile.

TRISSOTIN.

Descartes, pour l’aimant, donne fort dans mon sens.

ARMANDE.

J’aime ses tourbillons.

PHILAMINTE.

Moi, ses mondes tombants(42).

Que conclure, enfin, de toutes ces contradictions ? dira-t-on. — Conclure même est-il possible ? — Oui, si l’on veut y réfléchir sérieusement.

Et la première conclusion qui s’offre à nous renverse tout d’abord la thèse généralement admise, qui, en métaphysique et en physique, fait de Molière un fidèle disciple de Gassendi. Après avoir reçu de cet excellent maître la haine de tout joug, c’est contre lui tout d’abord qu’il se sert de ce principe. On lui a appris à ne jurer ni par l’école, ni par Aristote ; il refuse maintenant de jurer par Gassendi. On en a eu, je pense, des preuves assez éclatantes ; mais que dis-je jurer ? Une fois lancé sur la route de l’indépendance, Molière y marche à grands pas. Voici que sa raillerie devient de plus en plus mordante, et Gassendi, qui ne veut pas admettre la circulation du sang, est mis à côté des Diafoirus, père et fils, et de tous ceux qui refusent « d’écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes du siècle, touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine (43). »

Est-ce assez fort ? Voici qui l’est davantage, peut-être. Tout le monde connaît la fameuse fleur nommée héliotrope, qui se tourne sans cesse {p. 338}vers l’astre du jour, ni plus ni moins que le cœur de M. Thomas Diafoirus se tourne toujours vers l’astre resplendissant des yeux adorables de sa maîtresse. Veut-on savoir à qui Molière a emprunté cette belle comparaison! A un philosophe, et à un philosophe qui, pour comble de malheur, l’avait faite, lui, très-sérieusement (44). Or, ce philosophe, c’est Gassendi. Avouons que si le trait est d’un disciple, mieux vaudrait peut-être un adversaire.

Mais il est un second résultat de nos recherches plus important encore. Molière a vu les excès des deux systèmes qui se partageaient alors la domination des esprits, et il nous les a signalés, tout en nous faisant rire. J’avoue qu’il serait peut-être hasardé, par cela seul qu’il s’est encore plus moqué de Gassendi que de Descartes, de le ranger nettement parmi les disciples de ce dernier. Mais cette demi-conclusion, si j’ose dire, nous suffit déjà en métaphysique, et surtout en physique. On s’était plu, en effet, à représenter notre auteur comme le seul des grands hommes du dix-septième siècle qui eût refusé de suivre la bannière de Descartes. Or, ce reproche ne manquait pas d’une certaine gravité; car de plus en plus, à notre époque, l’auteur de la Méthode passe pour avoir eu non-seulement en métaphysique, mais en physique aussi, le regard autrement pénétrant que son adversaire, et l’heure ne semble pas éloignée où tout le monde s’accordera pour saluer en lui un des fondateurs des sciences modernes (45). Que notre grand comique n’ait pas su découvrir la marche future des sciences, sans doute c’est une erreur bien pardonnable, et toutefois le dirai-je, ce serait presque avec un douloureux regret que je verrais le génie de notre grand homme engagé seul dans une voie qui nous paraît aujourd’hui plus ou moins ridicule, condamné seul à voir les progrès des sciences accuser tous les jours la faiblesse de son regard, et creuser sans cesse l’abîme qui le séparerait tous les jours davantage de nous et de la vérité. Oui, si ce reproche est fondé, c’est une tache, ou si l’on veut, c’est une ombre bien légère ; mais enfin, c’est une ombre qui ternit pour moi l’éclat de cet incomparable génie. Mais voici que cette accusation ne saurait se soutenir devant les textes ; nous l’avons vu, et comme si cette preuve ne suffisait pas, l’histoire est là pour l’appuyer. Un témoignage catégorique vient éclairer les ténèbres de notre incertitude, et nous permettre une conclusion nette et positive. Grimarest déclare que Molière avait pleinement adopté la physique cartésienne. Un jour même que, revenant d’Auteuil sur le bateau, il discutait {p. 339}avec Chapelle resté fidèle aux leçons de Gassendi, excité par la contradiction, il alla jusqu’à s’écrier : « Gassendi ! passe encore pour la morale, mais tout le reste ne vaut pas la peine qu’on y pense. »Le mot est dur, mais surtout il est clair.

II §

Disciple de Gassendi en face de l’ancienne philosophie, c’est-à-dire alors que Gassendi se trouvait d’accord avec Descartes, — puis en métaphysique raillant tour à tour les excès de Gassendi et de Descartes, partisan déclaré de Descartes en physique, — voilà Molière tel que nous l’ont révélé toutes nos précédentes recherches.

Mais notre œuvre est-elle achevée ? Non, évidemment. Nous n’avons vu encore qu’un côté, et, j’ose dire, le moins intéressant de la question qui nous occupe. Si même on me permet une comparaison, car, selon Gros-René, la comparaison

Nous fait distinctement comprendre une raison,
Et nous aimons bien mieux, nous antres gens d’étude,
Une comparaison qu’une similitude (46),

je dirai : Il est temps de descendre de ces hauteurs plus ou moins escarpées, en tous cas plus ou moins arides de la métaphysique, dans les plaines plus commodes et plus riantes de la morale. — Oui, de la morale, et ce n’est pas sortir de notre sujet ; car nous disons morale et non moralité. Que les pièces de notre auteur aient exercé sur leur siècle une bonne ou une mauvaise influence, peu importe pour notre nouvelle recherche. Nous ne parlons ici que de ce principe vraiment philosophique, d’où découle avec les règles pratiques pour la conduite de la vie la moralité elle-même ; de ce principe que possède tout système de philosophie, celui d’Épicure comme celui des stoïciens, et que l’on retrouve chez les sensualistes les pins effrénés aussi bien que chez les spiritualistes les plus extrêmes. Quel fut donc le principe de la morale de Molière, et à qui l’emprunta-t-il ?

Il ne faut pas s’y tromper ; c’est le fond même de l’âme de notre auteur que nous allons chercher à pénétrer, ses œuvres à la main. Une courte digression biographique nous parait donc ici nécessaire.

Au moment où notre poète venait de terminer ses humanités, le père de son ami Chapelle, voulant léguer à ce fils naturel, à défaut de son nom, au moins une éducation solide, engagea Gassendi à lui donner des leçons. Molière avec deux autres de ses amis, Bernier et Hesnault, fut admis à y prendre part, et c’est ainsi qu’il put étudier cette philosophie d’Épicure « qui, dit Voltaire, quoique aussi fausse que les autres, avait {p. 340}du moins plus de méthode et plus de vraisemblance que celle de l’école, et n’en avait pas la barbarie (47). » C’était en 1642. Molière avait vingt ans.

L’influence du maître sur l’élève fut profonde. Il faudrait s’étonner du contraire. — Et cet aveu ne s’accorde pas mal avec le peu de respect que nous avons vu Molière témoigner pour certaines parties du système gassendiste. Il ne s’agit pas ici de système ni d’enseignement. Je parle de cette influence indirecte, cachée, latente, si j’ose dire, d’un caractère sur un autre, — influence que ne troublent pas les plus grandes divergences d’opinions, — influence qui gagne le cœur, s’insinue jusqu’au centre même de la vie, et de là transforme l’homme tout entier, — et le possède quelquefois d’autant mieux qu’il en a moins conscience.

Or cette influence, personne peut-être en ce moment ne pouvait mieux l’exercer que Gassendi.

Il était si bien fait pour attirer et charmer un homme capable de le comprendre, cet honnête abbé de Digne, avec son esprit délicat, héritier de la finesse de Montaigne et de Charron ! Toujours modéré, quelquefois même un peu timide, et préférant combattre ses adversaires avec les armes légères de l’ironie plutôt qu’avec celles plus pesantes de l’école, — prêt du reste à les déposer toutes, et même sans sourire, sur un ordre souverain de l’Eglise ; — trouvant tous les systèmes plus ou moins bons, un peu parce qu’il les croyait tous faux, il ne demandait qu’une égale tolérance et la fin de toutes les disputes. Son caractère était aimable, son cœur ouvert à toutes les amitiés. Dans son enfance, composant de petites comédies, il se plaisait à les réciter et à amuser par ses récits spirituels le cercle étroit de ses amis intimes. Plus tard, il passait ses journées, à peine interrompues par quelques visites, à s’égarer au fond de sa retraite sur les traces de cette philosophie qui, disait-il ne se révèle qu’à quelques amis dans le silence et la tranquillité ; heureux de poursuivre avec ses disciples l’ombre de la vérité, qui lui échappait toujours, et dont la poursuite suffisait pour le remplir de joie, — l’ombre, ajoutait-il, « car, pour la vérité, Dieu seul peut la connaître..» Douce et sereine figure, que la mort même ne put troubler : sentant s’affaiblir les battements de son cœur, il posa dessus la main de son ami, et ferma les yeux en lui disant : « Vous voyez ce qu’est la vie de l’homme. »

Or, il faut l’avouer, le nouveau disciple, que le père de Chapelle amenait à l’illustre philosophe, se fût difficilement soustrait à son influence. La nature, par le contraste même des caractères, semblait avoir tout disposé pour la lui faire mieux subir. —Molière était à l’âge où les impressions sont vives et les admirations faciles. Les passions qui devaient plus tard troubler sa vie, commençaient à s’agiter dans son sein, essayant de {p. 341}s’échapper et de se satisfaire, sans que la satisfaction eût encore amené avec elle le dégoût et l’ennui. Il ne méritait ni le surnom de contemplateur, ni celui de héros de la tristesse. Tourmenté cependant par le sentiment plus ou moins obscur de sa vocation, il cherchait sa voie, sérieux et pensif. Avide de tout connaître, capable de tout comprendre, il venait au philosophe : il était vaincu d’avance. Comment eût-il pu résister ? La seule arme, pour combattre ce sensualisme déguisé, était le sérieux moral. Il lui manquait. Il ne devait l’atteindre que rarement, dans ces jours où brisé par la lutte, le choc même de ses passions venait illuminer comme d’un éclair le fond de son cœur, et lui laisser enfin apercevoir le vide désespérant qu’il ne pouvait combler.

Aussi (et nous rentrons dans notre sujet, si l’on peut dire que nous en étions sortis), aussi que voyons-nous ?

Tout d’abord Gassendi communique à Molière son amour passionné pour Lucrèce. Le maître sait le poète entier par cœur : l’élève se met à le traduire ; mais de son œuvre qu’il a brûlée, il nous reste seulement quelques vers insérés dans Le Misanthrope.

Plus tard, cette influence se retrouve (nous l’avons déjà remarqué) dans la guerre acharnée que Molière fit à l’école, à son esprit de conservatisme absolu et de routine obstinée, et plus d’une fois, sans doute, dans un des épisodes de cette grande guerre, je veux dire dans son attaque contre les médecins, il se souvint des railleries de son maître qui, au dire de Sorbière, badinait si agréablement aux dépens des disciples d’Hippocrate.

Enfin, et pour passer tout d’un coup des petites choses aux grandes, et accord est plus visible encore à propos de l’idée de Dieu. Gassendi n’admet en faveur de son existence qu’un seul genre de preuves, les causes finales (48). Molière déclare dans une préface que : « La philosophie nous a été donnée pour porter nos esprits à la connaissance d’un Dieu par la contemplation des merveilles de la nature (49). » Et la démonstration qu’il met dans la bouche de Sganarelle est presque copiée du Syntagma de Gassendi (50).

Nous pouvons donc maintenant aborder la grande question : N’y a-t-il pas un rapport intime entre la morale plus ou moins facile de Molière, et la philosophie de celui que Gui Patin appelle « un vrai épicurien mitigé? »La morale du juste milieu prônée par le maître n’est-elle pas celle qui remplit les œuvres et la vie de son illustre élève ?

Quelque tristesse que nous en ayons, il faut bien l’avouer, le fait est indiscutable. On pouvait même le prévoir : tel Dieu, telle morale… et il nous faut ici souscrire à ce jugement sévère, mais juste : « Comme Rabelais, comme Montaigne, comme La Fontaine et comme quelques modernes, {p. 342}Molière a exprimé dans l’ensemble une certaine morale moyenne, morale que Ton peut appeler celle de l’homme naturel bien né, et que dans sa vie il réalise bien mieux que La Fontaine dans la sienne (51). »

« Dans l’ensemble » : que le lecteur se garde bien d’oublier le mot. Oui, le devoir avec ses ordres impérieux et ses saintes violences est à peu près inconnu à notre auteur. Il faut vivre le plus doucement possible, cédant et résistant tour à tour aux passions qui nous sollicitent et nous entraînent ; tel est bien le résumé de son théâtre, mais dans l’ensemble seulement. Car si l’on peut lui reprocher de n’avoir pas même toujours su se maintenir à cette modeste hauteur, et d’être tombé plus bas encore dans telle ou telle scène justement blâmée, — hâtons-nous de le reconnaître, il a voulu, disons mieux, il a dû parfois s’élever plus haut et faire entendre quelques-uns de ces aveux qui suffiront toujours pour lui gagner les sympathies des esprits les plus sévères. — On dirait en effet à certains moments que, fatigué de se traîner toujours dans cette atmosphère plus ou moins énervante de nos instincts et de nos passions, il a senti lui aussi le besoin de prendre son vol vers ces cimes sublimes de la conscience et du devoir, où l’air est toujours pur, et la lumière d’en haut toujours rayonnante.

Quant à la vérité du jugement de Vinet, elle n’est que trop facile à établir. « Je doute (dit Molière lui-même à propos des exigences excessives de quelques dévots), je doute qu’une si grande perfection soit dans les forces de la nature humaine, et je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement (52). »

Voilà le texte : le commentaire est dans ses pièces.

J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages,
Je veux une vertu qui ne soit point diablesse (53).

Et pour abréger, sa pensée à ce sujet me parait être parfaitement rendue dans ce passage que Molière appliquait à la mode, et que j’applique à la morale :

Toujours au plus grand nombre on doit s’accommoder,
Et jamais il ne faut se faire regarder.
L’un et l’autre excès choque…
(Et) je tiens qu’il est mal, sur quoi que l’on se fonde
De fuir obstinément ce que suit tout le monde ;
Et qu’il vaut mieux souffrir d’être au nombre des fous
Que du sage parti se voir seul contre tous (54).

Au reste, pourquoi citer des vers que l’on pourra toujours accuser {p. 343}d’exagérer la pensée de l’auteur. Cette pensée remplit tout son théâtre : il n’en est même, dirai-je, que la forme dramatique.

Prenez ses pièces, en effet ; voulez-vous avoir son idée propre sur la manière dont il faut se conduire avec les femmes ; cherchez un juste milieu entre Sganarelle et Ariste, entre la sévérité par trop farouche de l’un, et la facilité par trop complaisante de l’autre. — Voulez-vous avoir sa théorie propre sur l’éducation ? Cherchez un juste milieu entre Arnolphe qui ne veut pas même que sa femme sache lire, et Chrysale qui est bien près de ne lui laisser rien ignorer du tout. Voyez enfin don Juan et son valet trop crédule, — l’avare et son fils le dissipateur, — les femmes savantes et le rustre Chrysale,… et partout vous apparaissent deux caractères opposés, semblables à deux statues plus ou moins effrayantes et destinées à vous montrer deux précipices entre lesquels l’homme doit se frayer sa route pour marcher en sûreté.

Or, que cette célèbre morale du juste milieu soit bien celle de Gassendi, il est bien difficile de le contester. Quelle autre conséquence, en effet, pourrait-on tirer d’un système juste milieu lui-même entre le sensualisme ouvert d’Épicure et le spiritualisme quelque peu outré de Descartes ? d’un système où l’âme sans être ni esprit ni matière n’était qu’un corps plus subtil que celui qui lui sert d’enveloppe ? ou Dieu lui-même ne pouvait être conçu que sous la forme d’un homme, d’un vieillard vénérable ? — Au reste, inutile de faire des hypothèses. La conséquence a été tirée par celui même qui avait posé les principes. Gassendi définit le bien et le mal : « Rem, bonam voluptatis effectricem, malam molestive, »ajoutant, « neque obstat vero, quod res quae uni pilcet, alii dtspliceat (55). »

— Son fidèle disciple et traducteur, Bernier, conclut de là « que ce n’est pas merveille si autant qu’il y a d’hommes, autant il y a d’opinions différentes, » et comme on le voit, il s’agit d’opinions sur le bien et sur le mal, continue Damiron qui le cite (56). — Gassendi enfin désigne nettement pour but de la vie le bonheur et le bien à cause du bonheur.

Est-ce bien loin de Molière, et n’a-t-on pas décidément le rire bien facile, quand « on ne peut s’empêcher de rire du prétendu épicurisme de Molière, fondé sur l’épicurisme de son maître (57) ? »

Non ; l’accord est parfait. Molière en morale suit Gassendi, nous avons là-dessus son propre aveu (58), nous avons l’aveu de tout son théâtre. Seulement, comme un tel disciple ne pouvait pas ne pas être soi, alors même qu’il imitait ou acceptait des doctrines toutes faites, — le principe de son maître il ne le reçut qu’à la condition de le transformer. De là peut-être l’erreur de quelques critiques. Au fond, il est vrai, {p. 344}il s’agit surtout d’une question de mots ; mais sous les mots nous retrouvons les hommes. Pour Gassendi, en effet, le principe de la morale s’appelle le bonheur, — pour Molière il s’appelle ?… Ah! ne le demandez pas à ses biographes ; — ils l’ignorent, car Molière ne leur a jamais confié son secret. Peut-être même est-ce en vain que vous parcourrez ses pièces. Une fois, en effet, une seule fois, par je ne sais quelle bonne fortune, il s’est oublié, il s’est trahi ; une seule fois l’acteur a disparu, l’auteur a tout à coup parlé en son nom, et on a vu avec étonnement don Juan faire l’aumône au pauvre « au nom de l’humanité (59). » Or le grand principe le voilà : l’humanité ; Molière la trouve belle, et c’est pourquoi il combat et rejette tous ces vains ornements sous lesquels on la lui cache, avec lesquels les précieuses de toutes sortes et les pédants de toute espèce la gâtent et la détruisent. L’humanité, pour tout dire en un mot, il l’aime, et voilà pourquoi il combat tous ces préjugés et ces coutumes barbares qui la gênent et la violentent : en face des Arnolphes et des Sganarelles il se fait l’ardent défenseur de sa liberté ; — il l’aime et c’est pourquoi aussi il ferme les yeux sur ses fautes, admet ses penchants et ses inclinations, et de peur de la faire souffrir ne lui propose que sa morale du juste milieu (60).

Voilà bien, ce me semble, la dernière réponse à notre dernière question. — Mais à peine trouvée, je la vois tout à coup grandir en importance. Je m’occupais de l’œuvre, et voici que l’œuvre vient se confondre avec la vie tout entière de l’auteur. Depuis la sortie du collège jusqu’à sa mort, je parcours d’un regard cette vie de Molière, et le même mot la résume : Molière aime l’humanité. Sachons rendre hommage en terminant à une aussi belle conviction. C’est elle qui a fait les grands hommes de tous les siècles, à partir de ceux dont l’œuvre bienfaisante est oubliée depuis longtemps, jusqu’à ces héros, ces saints, dont notre race a écrit les noms immortels, non dans ses livres, mais dans son cœur. Amour magnifique, chrétien en un mot… quand il n’est pas seul, quand il est pénétré, soutenu, purifié par un amour plus élevé encore, par l’amour pour Dieu. Ne refusons pas cependant de lui rendre justice lorsque nous le rencontrons tout seul, incomplet, et privé de ce qui en fait une vertu, la première des vertus. Le dirai-je même I ainsi dépouillé et isolé, il me saisit davantage et me parait presque plus digne de mon admiration. Je le comprends en effet chez ceux dont la foi, rencontrant Dieu partout, donne à toutes les créatures une inestimable valeur ; pour des chrétiens enfin qui savent retrouver la sainte volonté de leur maître {p. 345}] dans la faveur des hommes comme dans les outrages et les injustices qui trop souvent répondent à leur dévouement. Mais ici, devant l’homme, il n’y a que l’homme, et quels efforts ne faut-il pas pour conserver tout cet amour à cette créature ainsi réduite à sa propre valeur. Si encore on ne la connaissait pas! Mais Molière a sondé jusqu’au fond le cœur humain et ses misères… Torturé par la douleur physique, fatigué de sa vie même et réduit à s’écrier un jour que les chaînes du grand roi le fatiguaient (61), il a vu les hommes lancer contre lui les plus atroces calomnies, ses parents oublier jusqu’à son nom, ses amis le trahir, celle qui possédait son cœur, le tromper! Alors, dans une heure de profonde mélancolie, en face d’une bonne action, comme s’il eût douté du bien même, il a dit avec étonnement : « Où la vertu va-t-elle se nicher » — Il a répété avec Hamlet : « Non, l’homme ne me fait pas plaisir à voir. » Bien plus : un jour il a vu avec douleur toute l’insuffisance de la morale qu’il avait jusque-là prêchée et pratiquée, de cette morale

Qui prend tout doucement les hommes comme ils sont.

Il a senti l’impérieux besoin de laisser déborder tous les sentiments que la cruelle expérience avait amassés dans son âme. Un jour, son indignation longtemps contenue a éclaté enfin, sa conscience réveillée a parlé… ce jour-là la scène a eu son chef-d’œuvre, et dépassant Gassendi, Molière a triomphé de lui-même… Mais ce jour-là, son amour pour l’humanité a-t-il été vaincu ? Non, Molière est ici supérieur même à Alceste. L’humanité a pu le rendre triste, amèrement triste, et il a pu le lui dire dans un reproche immortel… Mais même alors il ne saurait désespérer d’elle et la maudire. Non content de s’être donné la tâche éternelle de l’amuser tant qu’elle existera, elle qui l’a tant fait souffrir, il l’a aimée jusqu’à sa fin : bien plus, il s’est sacrifié pour elle. Malade, mourant presque, à la vue de ses compagnons qui n’avaient plus pour vivre que son travail et ses souffrances, il n’hésite pas ; une dernière fois il leur sera utile, il jouera, c’est-à-dire il mourra, pour les empêcher de souffrir.

Cette mort, à coup sûr, vaut bien celle de Gassendi. En pratique même, ce qui était difficile, l’élève a été digne de son maître.

Nous voici arrivé au terme de cette double étude. Elle nous a conduit à un résultat double aussi : Molière avait certains principes, — il les a intentionnellement développés. Le premier peut nous aider à comprendre l’œuvre du grand comique, tandis que le second nous permet de la juger. — Reste maintenant à porter ce jugement sur cette œuvre. Nous laissons ce soin au lecteur. Heureux si ces deux résultats acceptés {p. 346}par lui peuvent lui être de quelque utilité dans la partie de la tâche qu’il lui reste à accomplir.

Emile DOUMERGUE.

NOTES SUR GASSENDI. §

Ces pages étaient déjà écrites quand a paru le livre de M. Jeannel, dont nous avons parlé dans notre précédent article. Ce livre nous réservait une surprise. Il devait nous apprendre que « Gassendi n’a jamais été matérialiste ni épicurien que pour ceux qui ne l’ont pas la sérieusement » (p. 17). — Heureusement, ce reproche de légèreté atteignait tant de critiques que le plaisir de nous trouver en si nombreuse et si bonne compagnie aurait pu suffire à lui seul pour nous consoler de notre mésaventure. M. Cousin, en effet, avait déclaré que la vie de Gassendi avait été consacrée à renouveler Épicure (Histoire générale de la Philosophie, p. 388). M. Nourrisson nous avait appris que Gassendi professait pou Épicure une admiration poussée jusqu’à l’engouement (Tableaux des progrès de l’esprit humain, Gassendi) — M. Damiron avait conclu sa longue et consciencieuse étude par ces mots : « En tout Gassendi est sensualiste. » (Essai sur l’Histoire de la Philosophie, Dix-septième p. 48.)- M. Baillet et bien d’autres partageaient sur ce point l’avis des maîtres… et cela non sans quelque apparence de vérité.

Pour que ces critiques aient tort, en effet, il faut oublier que Gassendi était appelé par son ami Gui Patin « on vrai épicurien mitigé. »

Il faut oublier que toute sa correspondance avec Descartes a été résumée par Descartes et par lui-même en ces deux mots célèbres : « O mens, ô caro. »

Il faut oublier que quelques mois avant sa mort, baisant avec respect le De corpore politico de Hobbes, il s’écria : « Ce petit ouvrage est rempli d’un suc précieux : Medulla seatet.

Si de sa vie nous passons à ses écrits, pour que ces critiques aient tort, de ses écrits il but encore effacer tous les passages :

1° Où il nie l’existence des idées innées (Cinquièmes objections, p. 275);

2° Où il établit l’existence des atomes, bien qu’il leur refuse l’éternité (Damiron, p. 421);

3° Où il déclare que toute science est des sens ou vient des sens (Damiron, p. 400 ; Cinquièmes objections, p. 274) ;

4° Où à propos de la pensée, il trouve qu’elle pourrait bien convenir à la matière (Cinquièmes objections, p. 325, p. 259) ;

5° Où sur l’âme il déclare qu’il « balbutiera » seulement, où il admet en l’homme deux âmes, l’une matérielle, l’autre raisonnable, mais où il échoue quand il veut prouver que l’âme raisonnable n’est pas matérielle comme l’autre (Damiron, p. 478, 479, 480) ;

6° Où sur Dieu il déclare que nous ne le concevons que sous la forme corporelle : « Sub idea viri alicujus senis venerabilis » (Log., p. 93);

En sorte qu’en dernière analyse nous ne concevons rien : « Quod nihil ornnino habeat corporeitatis., — quia mens nostra, quamdiu est illigate corpori, haurit per sensus notiones rerum; »

7° Où enfin comme conséquence de tout son système, il avoue son scepticisme. {p. 347}Tout vient des sens ; les sens ne saisissent que l’apparence (Cinquièmes objections, p. 272).

Je sais bien que, tout cela retranché, il reste encore quelque chose. Je sais bien que Ton peut citer des propositions fort spiritualistes.

Mais je remarque d’abord que les contradictions ne coûtaient pas grand’chose à notre auteur : témoin celle sur le syllogisme (Damiron, p. 884); témoin celle sur la notion du temps et de l’espace (Damiron, p. 445) ; témoin… ou plutôt j’arrive tout de suite à la grande source de contradictions, Gassendi faisait profession de christianisme, môme de catholicisme, et admettait tous les dogmes de son Eglise. De là son Dieu chrétien, — à côté de l’autre, — de là sa certitude chrétienne de l’immortalité, — à côté de ses doutes. Cette séparation complète, tranchée entre les deux moitiés d’une môme pensée, trop commune à cette époque, Gassendi au reste ne fait aucune difficulté à l’avouer. Cela lui paraît tout à fait raisonnable (Cinquièmes objections, p. 298, 888). Seulement, et c’est ici le point important, le christianisme est ajouté à la philosophie. La philosophie seule est prouvée enchaînée, — le christianisme est affirmé, avancé. Or, comme on l’a très-bien dit, « un système ne consiste pas dans ce qu’un auteur avance, mais dans ce qu’il prouve. »

Si le prêtre était chrétien, le philosophe était sensualiste, et ce fut au philosophe que Molière eut à faire. En voilà donc assez, ce me semble, sinon pour terminer toute discussion à ce sujet, du moins pour justifier les affirmations de l’étude qui précède.