Agricol-Joseph Fortia d’Urban

1821

Sur le mariage de Molière et sur Esprit de Raimond de Mormoiron, comte de Modène

2015
Source : Agricol-Joseph Fortia d’Urban, « Sur le mariage de Molière et sur Esprit de Raimond de Mormoiron, comte de Modène », in Dissertation sur le passage du Rhône et des alpes par Annibal, l’an 218 avant notre ère, 3e éd., Paris, Treuttel et Wurtz, novembre 1821, p. 131-151.
Ont participé à cette édition électronique : Camille Fréjaville (OCR, Stylage sémantique).

Sur le mariage de Molière et sur Esprit de Raimond de Mormoiron, comte de Modène §

{p. 131}Esprit de Raimond de Mormoiron, comte de Modène1, est connu dans la république des lettres par une Histoire des révolutions de la ville et du royaume de Naples2, où lui-même avait joué un très grand rôle, en sorte que cet ouvrage a l’intérêt qu’excite toujours un auteur qui parle des événements dont il a été le témoin, et auxquels il a pris part.

{p. 132}Il est donc naturel que l’on veuille connaître les principaux traits de sa vie, et surtout celui qui en lie un fait très important à celle du célèbre Molière, sur lequel une dissertation curieuse qui vient d’être publiée par M. Beffara, a dirigé particulièrement notre attention.

Parmi plusieurs erreurs commises par les biographes de Molière, M. Beffara croit devoir en relever une de laquelle je m’occuperai ici, et qui exige la connaissance détaillée de tout ce qui concerne le comte de Modène.

Esprit de Raimond de Mormoiron, fils aîné de François de Raimond de Mormoiron, baron de Modène, et de Catherine d’Alleman, naquit à Sarrians, village assez considérable, situé dans le comté Vénaissin, à deux lieues de Carpentras, le 19 novembre 16083. Son père, parent (oncle maternel à la mode de Bretagne) du connétable de Luines, avec lequel il était fort lié, avait partagé la faveur de Louis XIII, {p. 133}qui lui accorda son estime, et, lui confiant ses affaires les plus importantes, le nomma son ambassadeur extraordinaire à la cour d’Espagne, à celle de Savoie, etc. À son retour, il fut nommé conseiller d’état le 25 juillet 1617, et conseiller au conseil des Finances le 7 janvier 1620 ; au mois de mars suivant, le Roi lui donna la charge de grand-prévôt de France, vacante par la démission de Joachim de Bellengreville4. Il était très connu à la cour, où on l’appelait le gros Modène.

Son fils, dont il s’agit ici, fut élevé page de Monsieur (Gaston), frère du roi Louis XIII, duquel il devint un des Chambellans, vraisemblablement lors de son mariage, dont le contrat fut signé le 19 janvier 1630, avec Marguerite de la Baume, veuve d’Henri de Beaumanoir, marquis de Lavardin, gouverneur du Maine et du Perche et fille de Rostain de la {p. 134}Baume, comte de Suze et de Rochefort, maréchal-de-camp, et de Madelène de Lettes des Prés de Montpezat, sa première femme5. Cette dame, qui s’était mariée pour la première fois en 16146, devait être beaucoup plus âgée que son second époux. Elle en eut cependant un fils, né vraisemblablement en 1630, qui fut nommé Gaston par Monsieur, duc d’Orléans, et qui porta le titre de baron de Gourdan. La mère ne survécut pas longtemps à cet accouchement tardif. Le père, encore bien jeune, puisqu’il devait avoir alors vingt-trois ans, se remaria peu de temps après avec Madelène l’Hermite de Souliers, en Limousin, de laquelle il n’eut pas d’enfants. Il paraît que le comte de Modène contracta ces deux mariages par déférence pour son père, plutôt que par inclination. Le prince auquel il était attaché, et qui était du même âge que lui, étant né précisément la même année, ne lui donnait pas de bons exemples. Les mœurs de {p. 135}ce temps-là n’avaient pas à beaucoup près la décence qu’elles acquirent sous le beau siècle de Louis XIV. Gaston, né avec de l’esprit et une humeur facile et douce, ne respectait pas toujours les convenances de son rang. Il s’avilissait quelquefois par la fréquentation d’hommes obscurs ou de femmes perdues7. Le jeune Modène suivit cet exemple, et s’attacha à la fille d’un simple bourgeois de Paris, appelée Madelène Bejard, connue depuis par son goût pour le plaisir. Il eut de cette femme une fille qu’il fit baptiser le 11 juillet 1658 sous leur nom à tous deux, et qu’il fit tenir sur les fonts par son fils Gaston, âgé d’environ sept ans, et représenté par son beau-frère l’Hermite de Vauselle8. La mère de Madelène Bejard, appelée Marie Hervé, fut la marraine. Le père prit alors dans l’acte de célébration du baptême le titre d’écuyer, que lui donna sûrement son gendre futur pour le rapprocher de lui. Peut-être en effet M. de Modène eut-il la faiblesse {p. 136}de promettre d’épouser cette Madelène, s’il devenait veuf un jour9. Mais on sait ce que valent ces sortes d’engagements. Le comte de Modène eut bientôt des occupations plus sérieuses. Après avoir imité Gaston dans ses faiblesses amoureuses, il ne fut sans doute pas étranger aux intrigues politiques dont la France fut agitée sous le règne de Louis XIII. D’ailleurs il avait été trop attaché à la famille du connétable de Luines, pour n’être pas ennemi du cardinal de Richelieu. Il se jeta sans doute dans le parti du comte de Soissons, et entra dans cette ligue fameuse qui prit le nom spécieux de « Ligue confédérée pour la paix universelle de la chrétienté ». On sait que ce Prince fut tué le 6 juillet 1641, à la bataille de la Marfée, près de Sedan, entre les bras de la victoire10. Il fut remplacé par le jeune duc de Guise (Henri II de Lorraine), digne d’être {p. 137}chef du parti par son esprit et son courage11 ; Modène s’attacha à lui, et, comme il avait six ans de plus, Guise profita quelquefois de son expérience. Pendant que ce Prince était condamné dans sa patrie à avoir la tête tranchée, il se rendit à Bruxelles, pour commander les troupes confédérées de la maison d’Autriche contre la France. Ce fut là qu’il unit son sort à celui d’Honorée de Berghes, veuve du comte de Bossut : mais ayant fait sa paix avec la Cour en 1643, il revint en France, et oublia son épouse au milieu des plaisirs de la capitale. Modène revenu à Paris avec lui, trouva Madelène Bejard, livrée à une société qu’il ne connaissait point. Le principal objet des attachements de cette fille était le fils d’un tapissier, qui formait une troupe de comédie en 1645. C’est le célèbre Molière qu’elle accompagna dans la province, ainsi que ses deux frères et sa sœur, et avec lequel elle s’unit pour le reste de sa vie. Le comte de Modène, ainsi débarrassé d’une famille qui lui était devenue presqu’étrangère, s’occupa principalement de son {p. 138}fils, jeune homme plein d’esprit et de mérite, dont on admirait la facilité à s’exprimer, mais qui malheureusement mourut fort jeune12.

Le duc de Guise voulant prendre une nouvelle épouse, Modène s’y opposa, et s’efforça de modérer sa passion. N’ayant pu y réussir, il partit avec lui de Paris pour Rome, vers la fin de l’année 1646, afin de faire casser le mariage du duc avec une femme qui le gênait13. Le succès ne couronna point les espérances de ce prince : mais son séjour dans la capitale du monde chrétien s’étant prolongé à cette occasion, il s’y trouvait encore lorsque les Napolitains, mécontents du duc d’Arcos, qui gouvernait alors les deux Siciles, pour le roi d’Espagne Philippe IV, se révoltèrent contre lui. Ces rebelles, sentant qu’ils avaient besoin d’un chef qui leur procurât l’appui de la France14, s’adressèrent au duc de Guise, par {p. 139}qu’il descendait des anciens rois de Naples15, et que cette entreprise était digne de lui. Le cardinal Mazarin promit de la favoriser. Sans attendre la flotte qui devait partir de Provence, le duc s’embarqua au port d’Ostie, sur des felouques napolitaines, et arriva le 15 novembre 1647, à Naples, où il entra au milieu des acclamations du peuple16. Modène arriva trois jours après lui, avec quelques prisonniers espagnols qu’il avait déjà faits. Dans l’acte de fidélité que Guise prêta au nouveau gouvernement, dans la cathédrale, il prit la qualité de « Général des armées, et de défenseur du royaume et de sa liberté ». Il fit frapper en même temps des pièces d’argent et de cuivre au coin de la république, et se fit élire pour sept ans duc de Naples. Modène fut son mestre-de-camp-général, c’est-à-dire, qu’il eut le premier emploi après celui de duc. Il prouva qu’il en était digne. En moins d’un mois il soumit plus de trente villes ; mais ses {p. 140}armes ne furent pas toujours heureuses. Le mauvais succès du siège de Capoue mit la division parmi les rebelles. Le duc de Guise crut devoir faire arrêter Modène, et publia un manifeste à ce sujet, le 17 février 164817. Mais en se privant ainsi de son principal appui, ce prince ne fit que s’affaiblir. Le comte d’Ognate, qui avait succédé au duc d’Arcos dans la vice-royauté, vint à bout de rétablir la paix à Naples, par de simples négociations, et y rentra, sans effusion de sang, le lundi saint, 6 avril 1648. Le duc de Guise, obligé de prendre la fuite, fut poursuivi avec tant de diligence, qu’il fut arrêté à Gaëte, et de là transporté en Espagne, où il fut privé de sa liberté pendant l’espace de quatre ans18.

Pour le comte de Modène, il fut retenu prisonnier par les Espagnols plus de deux ans dans le Château-Neuf de Naples, et traité comme un esclave. Quand il fut revenu en France, il s’informa sans doute de ce que sa fille était devenue. Le vieux Bejard s’était fait procureur. Ses enfants continuaient de jouer la {p. 141}comédie avec Molière, toujours assidu auprès de Madelène Bejard, certainement plus âgée que lui, puisqu’elle avait été mère en 1658, et que Molière était né en 162219. Il n’avait donc que seize ans de plus que Françoise, qu’il se chargea d’élever, et à laquelle il donna tous ses soins. La mère, qui comptait sur l’attachement qu’il lui avait témoigné, s’aperçut trop tard que le précepteur était devenu amoureux de son élève. Elle n’avait jamais voulu que sa fille jouât la comédie20, se flattant peut-être qu’à l’aide de l’extrait baptistaire elle pourrait la faire reconnaître et lui procurer un établissement avantageux. M. de Modène sans doute ne se prêtait nullement à cette idée. Il avait perdu son fils unique ; mais il voulait assurer sa succession à quatre neveux21 qui conservaient un nom, dont il s’honorait avec raison, Molière n’avait pas la prétention de la leur disputer ; on sait que son caractère n’était {p. 142}ni avide ni intéressé. La famille Bejard crut devoir se prêter à une précaution nécessaire pour l’exercice des droits que M. de Modène avait l’intention de laisser à ses héritiers légitimes. Elle reçut sans doute un dédommagement pécuniaire. Cet arrangement n’avait rien de vil de sa part. Dans les usages de la société, Françoise pouvait réclamer une dot, mais non un héritage. En épousant Molière, le 20 février 166222, elle changea de nom ; elle fut métamorphosée en Armande-Grésinde Bejard. La vieille madame Bejard, Marie Hervé, la reconnut pour sa fille, quoiqu’elle fut véritablement son aïeule et sa marraine ; le comédien son oncle, la comédienne sa tante, et sa mère elle-même, se prêtèrent à ce déguisement, et y jouèrent leur rôle comme ils l’auraient fait sur le théâtre. Quant au père et au beau-frère de Molière, qui signèrent aussi l’acte de célébration, ils ont pu ignorer des faits qui leur étaient presqu’étrangers, et qu’ils tenaient aisément pour vrais, lorsque celui qu’ils regardaient avec raison comme le plus intéressé dans cette affaire, les tenait pour tels. Le vieux {p. 143}Bejard, devenu procureur, était mort, ainsi que son fils aîné, ce qui facilita vraisemblablement la conclusion. Ce fut ainsi que l’on vint à bout de faire disparaître légalement la fille de M. de Modène, qui cependant ne la perdit pas entièrement de vue. En effet, il fut parrain du second enfant qu’elle eut de Molière, le 4 août 166523. Aussi le public ne fut point, trompé sur la prétendue Armande-Grésinde. Baron, élève et ami de Molière, dans les Mémoires qu’il fournit à Grimarest, pour la vie de cet homme illustre, reconnaît que la femme de Molière est fille de Madelène Bejard, et de M. de Modène24. Il soupçonne même qu’il y a eu un mariage secret entre ce père et cette mère, ce que l’extrait baptistaire, dont il peut avoir eu connaissance, donnait lieu de penser. Il ne fut engagé par Molière qu’en 1670, huit ans après le mariage de son directeur, dont la tradition était conséquemment déjà un peu ancienne. Son erreur à cet égard est donc très naturelle, et ne diminue nullement la force de son témoignage. D’un autre {p. 144}côté, Montfleuri, comédien qui osait être rival de Molière, crut si bien qu’Armande-Grésinde était fille de la comédienne Bejard, qu’il accusa Molière d’avoir épousé la fille et d’avoir vécu autrefois avec la mère25, parce que Molière avait en effet vécu intimement avec cette comédienne. On alla même jusqu’à le soupçonner d’avoir épousé sa fille26 ; mais la disproportion d’âge rendait cette accusation absurde, puisqu’il aurait fallu que Molière eût été père à quinze ans, et que d’ailleurs sa liaison n’avait commencé qu’en 1645, sept ans après la naissance de Françoise ; mais aussi la calomnie aurait été trop grossière, et sans aucune espèce de fondement, si la femme de Molière eut été fille légitime du procureur, et si elle avait eu pour mère Marie Hervé, qui avait vingt-deux ans de plus que Molière27, et qui n’aurait pu devenir mère d’Armande qu’à un âge assez {p. 145}avancé. Le nom de Bejard resta cependant à la prétendue Armande-Grésinde, qui prend seulement le prénom de Grésinde, le 31 mai 1677, dans l’acte de célébration de son second mariage avec Isaac-François Guérin, en sorte qu’elle n’est pas d’accord avec elle-même en supprimant ici son premier nom de baptême. Lorsque son premier mari l’avait inscrite sur le rôle des acteurs, il lui avait donné le nom de mademoiselle Molière28 ; après son second mariage, elle fut inscrite sur le rôle de 1680, sous les noms d’Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth Bejard, femme Guérin, reprenant ainsi le nom d’Armande, et en ajoutant deux autres. Si l’on veut se faire une idée nette de toutes ces variations, on observera que les prénoms sont inscrits ainsi :

Armande-Grésinde, acte de mariage de 1662 ; premier enfant, 1664 ; second, 1665 ;

Armande-Claire-Elisabeth Bejard, troisième enfant, 1672 ;

Grésinde, mariage avec Guérin, 1677 ;

Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth, registre {p. 146}de La Grange, de 1662 ; liste de 1680 ; et, comme on va le voir, extrait mortuaire de la femme Guérin.

Les actes de mariage, qui devraient être les plus exacts, le sont le moins, si l’on veut que les quatre noms aient appartenu à la femme de Molière. Elle n’osa jamais prendre celui de Modène, dont la famille ne l’aurait pas souffert. Quant à son père, il était mort avant le second mariage de sa fille, puisque Charles de Raimond son frère, prêta hommage au Pape, pour la terre de Modène, le 2 décembre 1673, comme frère et substitué à ce fief par le décès de son frère sans enfants29.

La tradition de la naissance de madame Molière n’en fut pas moins conservée publiquement, même de son vivant. En effet, l’écrivain contemporain de sa vie, de laquelle il y eut deux éditions publiées en 1688 et 1690, conséquemment avant sa mort, citées par Bayle30 et par Joly31, la reconnaît aussi pour fille de {p. 147}Madelène Bejard, et d’un gentilhomme que Madelène ne nommait point. M. Bret, Voltaire, Petitot et tous ceux qui ont écrit sur la vie de Molière, n’ont pas même révoqué ce fait en doute. Pouvons-nous le faire aujourd’hui sur le vu d’un acte évidemment contraire à toutes les traditions historiques, pour ce qui concerne le nom qu’on a voulu y déguiser. Il faudrait pour cela produire du moins à l’appui, l’extrait mortuaire de Françoise, et l’extrait baptistaire d’Armande-Grésinde, ou de Grésinde, ou d’Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth ; car on a vu que le nom de Françoise a subi ces trois transformations différentes. Il faudrait encore que l’on nous fit voir, non un simple acte de célébration, mais un contrat de mariage où serait stipulée la dot donnée par la prétendue mère qui aurait eu encore trois autres enfants, lorsque Molière signa l’acte de célébration. Il n’y a pas de généalogiste qui n’exige trois actes pour admettre une descendance. Ici on n’en produit qu’un, démenti par tous les témoignages contemporains. Il n’y a pas jusqu’au Nobiliaire du comté Vénaissin32, dont {p. 148}l’auteur, travaillant sur les Mémoires fournis par la famille de Modène, dit (en 1750) que la fille de M. de Modène a épousé Molière. Il commet à la vérité une erreur en énonçant le fait en ces termes :

« Le baron de Modène eut de la nommée Guérin, femme de… Bejard comédienne de Molière, une fille naturelle que celui-ci épousa. »

On voit que la véritable naissance d’Armande-Grésinde est avouée ici clairement par une famille qui ne craignait plus alors des réclamations trop tardives, et qui s’honorait en quelque sorte de s’allier ainsi à un nom devenu célèbre ; mais celui de Guérin n’appartenait pas à la mère ; il rappelle seulement celui qu’avait pris la femme de Molière en se remariant, et sous lequel sa vie avait été composée et publiée de son vivant ; car elle n’est morte que le 30 novembre33 1700. La faute est trop évidente {p. 149}pour avoir été commise à l’impression. Les points placés avant le mot Bejard, font voir que ce qui précède était une simple note en marge, et que le manuscrit portait :

« Le baron de Modène eut de la nommée Bejard, comédienne de la troupe de Molière, une fille naturelle que celui-ci épousa (Guérin, femme de). »

Le texte ainsi rétabli, par une simple transposition facile à comprendre pour, un manuscrit dont l’auteur n’est pas l’éditeur, prouve que la tradition n’a pas varié, qu’elle est universelle, et ne peut être détruite par un acte que toutes les parties ont eu intérêt à falsifier, comme tant d’autres que nous connaissons.

Le 27 janvier 1821, M. Beffara, toujours infatigable dans ses recherches, a découvert l’extrait mortuaire de la veuve de Molière, sous la date du 2 décembre 1700. Elle y est appelée femme Guérin (Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth Bejard), morte le 30 novembre, à l’âge de cinquante-cinq ans. Elle était logée rue de Touraine (paroisse Saint-Sulpice).

Selon cet extrait mortuaire, mademoiselle Bejard serait née l’an 1645, sept ans après {p. 150}l’accouchement de sa prétendue sœur : c’est-à-dire, que madame Bejard aurait fait un enfant sept ans après l’accouchement de sa fille. Peut-être cela est-il absolument possible ; mais il faut convenir que ce serait un fait extraordinaire. N’est-il pas plus vraisemblable qu’en altérant son existence civile, elle s’est supposée plus jeune qu’elle n’était réellement, et qu’en supprimant son extrait baptistaire elle était la maîtresse de le faire ? Tant que cet extrait baptistaire ne se trouvera point, il sera permis de le supposer, et la multiplicité des découvertes de M. Beffara est un argument de plus en faveur de la non existence de l’extrait mortuaire de Françoise et de l’extrait baptistaire d’Armande. En se faisant naître en 1645, madame Molière autorisait la calomnie de Montfleuri, qui était alors plausible. Elle se supposait mariée à dix-sept ans au lieu de vingt-quatre ; elle s’était retirée du théâtre dans un âge assez avancé, en 169434, à cinquante-six ans, et non à quarante-neuf, comme elle le prétendait, ce qui aurait été un âge prématuré pour cet objet.

Tel est le point de vue sous lequel {p. 151}j’envisage cette question, à laquelle j’ai été entraîné à consacrer plus de temps que je ne le voulais. Je déclare y avoir donné toute l’attention dont je suis capable. M. Beffara, par ses objections, m’a forcé d’éclaircir les moindres difficultés, et je lui ai l’obligation de les avoir bien connues. M. de la Porte, qui a composé l’article Modène, dans la Biographie universelle, y a beaucoup contribué, dans les conférences que nous avons eues à ce sujet. M. Auger n’a pas cru devoir les examiner dans l’article Molière qu’il a composé pour ce même ouvrage ; mais il n’a sans doute qu’ajourné la question ; il pourra s’en occuper dans son édition des Œuvres de cet auteur, qui s’est rendu si intéressant dans les moindres détails de sa vie privée, et pour la postérité la plus reculée. Je crois ne pouvoir mieux faire que de m’en rapporter au jugement d’un éditeur aussi éclairé, et j’adopte d’avance sa décision.

Le comte de F… d’U…