Naudet, A.
Le Ménage de Molière

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Naudet, A.

Gensoul, Justin

1822

Le Ménage de Molière

2018
Gensoul Justin, Naudet A., Le Ménage de Molière, Paris, Mme Huet, 1822, in-8o. Source : Google Books.
Ont participé à cette édition électronique : Côme Saignol (Saisie et édition XML-TEI).

Personnages §

  • Le Semainier de la Comédie-Française, M. Monrose.
  • Un auteur, M. Armand.
La Scène se passe sur le théâtre de la Comédie-Française.

Prologue §

Scène première §

Le semainier

Grand dieu ! quel tourment ! quel supplice !
Parler à chaque acteur, écouter chaque actrice ;
Suivre la répétition ;
Sans offenser des camarades,
Noter avec précaution
Ceux qui se portent bien et ceux qui sont malades ;
Répondre à droite, à gauche, à messieurs les auteurs,
Aux ouvreuses, aux fournisseurs,
Et même aux garçons de théâtre,
C'est le travail opiniâtre
Qu'un Semainier huit jours doit supporter.
Heureusement la semaine s’avance :
Je m’y pourrais plus résister ;
Deux jours de plus, je perdrais patience.
Holà ! personne !… Mongelas ?
(Regardant dans la coulisse.)
Quelque ennuyeux encore ici porte ses pas ?
Je n’en puis pas douter, c’est vers moi qu’il s’approche.
Un manuscrit sort de sa poche :
C'est un auteur ; je n’échapperai pas.

Scène 2 §

Le semainier, un auteur.

L'auteur

Serviteur. J'ai besoin d’un moment d’audience,
Et de Monsieur le Semainier
Je le réclame en toute confiance :
Ce sont les charges du métier.

Le semainier, à part.

Il me manquait cela pour me mettre à la gêne.
(Haut.)
Pardon, Monsieur. En effet… mon devoir…
Mais, en deux mots, ne pourrais-je savoir
Quel motif ici vous amène ?

L'auteur

En deux mots ? non, Monsieur, nous causerons longtemps.

Le semainier

Mille soins au dehors exigent ma présence.

L'auteur

Je n’abuserai pas de votre patience.
(Tirant son manuscrit de sa poche.)
Mettons à profit les instants.

Le semainier

Quoi ! tout cela, Monsieur ?… prétendez-vous me lire ?…

L'auteur

Je comprends : un trait de satire…
Rassurez-vous. Aux comédiens français,
Je viens proposer un ouvrage
Qui doit obtenir leur suffrage,
Et j’en garantis le succès.
Quand je dis moi, c’est nous que je veux dire ;
Car je me suis adjoint un collaborateur…
Mais cela ne fait rien, Monsieur,
À moi seul vous aurez à faire.
Comme la pièce est bonne, à ce qu’il me paraît,
Je dis tout haut que j’en suis seul le père,
Si par hasard elle tombait,
Elle serait de mon confrère.

Le semainier

J'entends ; c’est assez l’ordinaire,
Et j’aime cette franche humeur.
Cependant mon suffrage est de peu de valeur
Et…

L'auteur

J'en fais grand cas, je vous jure.

Le semainier

Soit ; mais le Comité doit vous donner lecture.
A-t-on fixé le jour ?

L'auteur

Non, pour cela je viens :
Ce soir je la demande, et demain je l’obtiens.

Le semainier

Demain ? c’est aller un peu vite.

L'auteur

Aussitôt la réception
Je veux encore que de suite
Mon ouvrage soit mis en répétition.

Le semainier, à part.

Ah ! la tête lui tourne, et c’est vraiment dommage.
(Haut.)
Pour obtenir cette insigne faveur
Quels sont les titres de Monsieur ?

L'auteur

Mais… l’intérêt de mon ouvrage.

Le semainier

Vous risquez, en ce cas, d’attendre encor longtemps.

L'auteur

Et moi, voilà ce que je nie.

Le semainier

Quel titre a cette comédie,
Dont Messieurs les auteurs paraissent si contens ?

L'auteur

C'est : Le Ménage de Molière.

Le semainier, ôtant son chapeau.

De Molière ?

L'auteur

Oui, Monsieur.

Le semainier

J'applaudis au sujet.
Ce titre est déjà sûr de plaire.

L'auteur

Pour célébrer sa double centenaire,
J'ai d’une faible main esquissé son portrait :
C'était de le louer la plus sûre manière ;
Mais une centenaire est une occasion
Qu'on trouve rarement, et vous devez comprendre
Qu'un siècle encor je ne puis pas attendre.

Le semainier

Sans doute ; mais, sans indiscrétion,
Ne pourrais-je, Monsieur, demander votre nom ?
C'est bien souvent pour nous une importante affaire.

L'auteur

Je n’en ai pas encor. Inconnu, sans appui,
Ainsi que sans prôneurs, je débute aujourd’hui,
Et je voudrais entrer dans la carrière,
Sous la protection du beau nom de Molière.

Le semainier

Je désire, Monsieur, qu’il vous porte bonheur.

L'auteur

Je l’espère aussi.
(Observant le Semainier qui paraît réfléchir.)
Mais d’où vient cet air rêveur ?
Vous ne m’écoutez plus ; l’air de votre visage
A changé tout à coup. Quel sinistre présage,
Monsieur, semble-t-il m’annoncer ?

Le semainier

Rien : je songeais à votre ouvrage.
Une difficulté va vous embarrasser.

L'auteur

Laquelle ?

Le semainier

Vous n’avez qu’un seul acte sans doute ?

L'auteur

Qu'un seul.

Le semainier

Il vous faudra de dix à douze acteurs.

L'auteur

Mais, à peu près.

Le semainier

De vous l’annoncer il m’en coûte :
Je vois pleuvoir sur vous les plaintes, les clameurs.

L'auteur

Comment ?

Le semainier

Chacun de nous, pour payer au génie
Son modeste tribut de zèle et de talent,
Voudra jouer dans votre comédie.
Près de vous l’on sera pressant,
Et vous ne pourrez pas contenter tout le monde.
Mais, avant que je vous seconde,
Du rôle que Monsieur veut bien me destiner,
Pourrais-je savoir quelque chose ?
Des conseils que l’auteur voudra bien me donner,
Je ferai mon profit. D'avance je suppose
Que mon rôle…

L'auteur

Pardon, mon cher monsieur Monrose.
Je n’en ai pas un seul qui soit de votre emploi.

Le semainier

Comment ! point de rôle pour moi ?
Je vous en veux beaucoup. L'on fêterait Molière,
Et je n’en serais pas ? Oh ! bien certainement
Je prétends m’y trouver.

L'auteur

La comédie entière
Doit se montrer au dénouement.

Monrose

À la bonne heure.

L'auteur

Cependant
J'ai pour ma pièce encor plus d’une inquiétude.
Il reste peu de jours pour la mettre à l’étude ;
Je crains…

Monrose

Rassurez-vous ; pour un aussi beau jour
[pb]
Ne craignez pas qu’aucun de nous oublie
Ce qu’il doit à la fois de respect et d’amour
Au père de la comédie.
Je vous réponds de chaque acteur.
Le public indulgent jugera notre zèle,
Et nous aurons pour nous la mémoire du cœur :
Celle-là n’est jamais rebelle.

L'auteur

Vous me rendez l’espoir.

Le semainier

Mais, justement,
Voici l’heure de l’assemblée.
Votre lecture ira d’emblée,
Et nous verrons après.

L'auteur, avec inquiétude.

Voici donc le moment
Où l’on va décider du sort de mon ouvrage !
Je me croyais plus de courage.

Le semainier

Suivez-moi.

L'auteur

Pardon. La frayeur
Commence à me gagner.

Le semainier

Allons, n’ayez pas peur.
Nous sommes tous pour vous. Venez ; si le parterre
Veut bien y mettre un peu du sien
Vous verrez que tout ira bien.

L'auteur

Je me recommande à Molière !

Fin du prologue

Personnages §

  • Molière, M. Damas.
  • La Fontaine, M. Saint-Phal.
  • Chapelle, M. Baptiste Ainé.
  • Mignard, M. Michelot.
  • La Thorillière, M. Devigni.
  • Baron, M. Desmousseaux.
  • Brécourt, amant d’Henriette, M. Firmin.
  • Mme Molière, Mlle Mars.
  • Henriette, nièce de Mme Molière, Mlle Bourgoin.
  • Mme du Croisy, comédienne, Mlle Leverd.
  • La Forest, servante de Molière, Mme Demerson.
La Scène se passe à Paris, dans la maison de Molière.

Le Ménage de Molière §

(Le Théâtre représente un cabinet d’étude.)

Scène première §

Henriette, La Forest.

Henriette

Ma bonne La Forest, tu n’es pas rassurante.

La Forest

Aussi, pourquoi vous aviser d’aimer,
Et sans l’aveu de votre tante ?
Mon devoir est de vous blâmer.

Henriette

Je ne le voulais pas, mais l’amour dans mon âme
S'est glissé si furtivement…

La Forest, la contrefaisant.

« Je ne le voulais pas… vraiment »
C'est bien l’excuse d’une femme.

Henriette

De monsieur Brécourt, entre nous,
Je crois que c’est la faute : il est si bon, si doux,
Que sans l’aimer on ne peut…

La Forest

Oh ! sans doute.
Qui ne serait trompé par cet air doucereux !
(Brusquement.)
Adieu notre raison lorsque l’oreille écoute
Les doux propos d’un amoureux.
Et puis choisir, quand notre cœur se donne,
Un amant de théâtre ?… ils sont tous des trompeurs.

Henriette

On ne m’avait pas dit, ma bonne,
Que les autres étaient meilleurs.

La Forest

Mais est-ce bien à vous que son amour s’adresse ?
Monsieur Brécourt est aimable, galant,
Et j’ai cru remarquer souvent
Qu'il faisait l’agréable auprès de ma maîtresse.

Henriette, mystérieusement.

Je sais bien à quoi m’en tenir.
Nous avons besoin de ma tante,
Et Brécourt, pour mieux la fléchir…

La Forest

J'entends… lui dit qu’elle est charmante.
Ma maîtresse aime assez qu’on lui fasse la cour ;
De son humeur aussi, bien qu’elle soit fort sage,
Souvent mon pauvre maître enrage…
Mais c’est assez parler de votre amour.
De notre bon monsieur Molière
C'est aujourd’hui l’anniversaire ;
Pour célébrer cet heureux jour
Messieurs Mignard, La Fontaine et Chapelle
Vont bientôt accourir ; leur amitié fidèle
N'a pas, jusqu’à présent, manqué de le fêter.

Henriette

Et nous !… que ne peut-il lire au fond de mon âme !
À me voir près de lui, pourrait-on se douter
Que je suis seulement la nièce de sa femme ?
Il m’aime comme un père, et je le lui rends bien.
Aussi, quand je le vois dans sa mélancolie…

La Forest

De tous les beaux esprits c’est dit-on la manie ;
Ainsi nous n’y changerons rien.
Je ne sais pas sur quoi sa tristesse se fonde ;
Lorsqu’il fait rire tout le monde,
Lui seul de ne pas rire a trouvé le moyen.
Il faut dire, il est vrai, qu’il a toujours en tête .
Quelque projet, quelque ouvrage nouveau ;
Ce sont des femmes savantes
Qui maintenant lui troublent le cerveau.
Au peu qu’il m’en a dit, de ces impertinentes,
Le portrait, vraiment, sera beau.
Mais le voici.

Scène 2 §

Henriette, La Forest, Molière.

Molière, un manuscrit à la main.

Je crois que le parterre
Du bonhomme Chrysale aimera le bon sens.
Sa faiblesse de caractère
Se trouve chez beaucoup de gens,
Et cette fois encor j’ai saisi la nature.

La Forest, à part.

Il se tuera, la chose est sûre !

Henriette

Bonjour, mon oncle.

Molière

Ah ! te voilà.
Bonjour, ma chère enfant.

Henriette

Que faites-vous donc là ?
Quoi, toujours travailler !… ah ! cela m’inquiète.
Vous tomberez malade.

La Forest

Oh non, il l’est déjà.
Mais monsieur n’en fait qu’à sa tête.
Je l’ai prédit : au train dont il y va,
Quand il serait de fer, jamais il n’y tiendra.

Molière

Quoi ? La Forest aussi me gronde ?

La Forest

Dame ! Monsieur, vous le méritez bien ;
Et c’est l’avis de tout le monde.
Malgré tout vous n’écoutez rien.

Molière

Quel reproche peux-tu me faire ?

La Forest

De ne prendre aucun soin d’une santé si chère ;
De vous sacrifier toujours pour des ingrats ;
Pour un public dont l’injustice
Souvent ne vous épargne pas ;
Et pour des comédiens dont parfois le caprice…
Ah ! monsieur, croyez-moi, laissez-là vos travaux :
Moins de gloire et plus de repos.

Molière

À mes ennuis ajoute encor cette boutade.

La Forest

Vous êtes si mal conseillé !
En serez-vous plus gras, quand vous serez malade ?
Avec les médecins vous vous êtes brouillé :
C'est bien peu tenir à la vie !

Molière

Rassure-toi ; je n’aurai désormais
À craindre que la maladie.

La Forest

Gare ! si dans leurs mains vous vous trouvez jamais !

Molière

Ils me guériraient, je parie :
Ils sont si maladroits !… Mais, que pour un instant
On me laisse rêver : j’ai quelque chose en tête.

Henriette, à part.

Nous, courons chez ma tante, où Brécourt nous attend.

La Forest

Il est temps de songer aux apprêts de la fête.

Scène 3 §

Molière, seul.

Messieurs les beaux esprits de l’hôtel Rambouillet,
Par votre excès d’extravagance,
Vous avez trouvé le secret
De décrier, d’enlaidir la science.
Je vous tiens cette fois, et votre impertinence
M'a fourni plus d’un heureux trait.
Trissotin, Vadius, allons, pliez bagages :
Allez joindre les ennemis
Que m’ont faits mes autres ouvrages.
Tremblez à votre tour, Messieurs les beaux esprits.
La déroute est déjà dans les rangs des Marquis.
(Travaillant à sa table.)
Revoyons un peu cette scène.
Quand l’ardeur du travail m’entraîne,
Je me néglige, et Despréaux,
Dont l’amitié me gourmande sans cesse,
Avec sévérité tombe sur mes défauts…
(Après avoir réfléchi.)
Chrysale ici montre trop de faiblesse…

Scène 4 §

Molière, Mme Molière.

Mme Molière

Vous voilà, mon ami ? Je vous cherche partout.
Pour un rôle nouveau j’ai fait quelques emplettes,
Et je veux sur cela consulter votre goût.

Molière

À quoi bon ? Ce que vous faites
Est toujours bien.

Mme Molière

C'est l’auteur, mon ami,
Que je veux consulter, et non pas le mari.

Molière

Ma répétition s’apprête
Et vous voyez mon embarras.
Pendant cet heureux tête-à-tête
Ma scène ne s’achève pas,

Mme Molière

Vous la ferez demain, :

Molière

Madame…

Mme Molière

Sans doute.

Molière

L'on attend…

Mme Molière

Eh bien l’on attendra.
Croyez-moi, laissez tout cela,
Et rendez grâce à votre femme.
Sans moi, que feriez-vous ? Du matin jusqu’au soir
On vous verrait rêver, broyer du noir.

Molière

Croyez, mon aimable Isabelle…

Mme Molière

Vous ne méritez pas que l’on vienne vous voir.
Non, vous ne savez point apprécier mon zèle.
En vérité, Messieurs les grands esprits,
Vous êtes faits d’étrange sorte.
Toujours galants dans vos écrits,
Dans vos maisons peu vous importe
Que l’on s’amuse ou non. Modèles des maris
Votre égoïsme encor sur les autres l’emporte :
Vous ramenez chez nous les chagrins, les soucis,
Et le plaisir reste à la porte.

Molière, avec douceur.

Isabelle, plus de raison !

Mme Molière

Vraiment le conseil est fort bon !
J'en sais un qui pourrait vous être très utile.
Vous qui savez si bien de la Cour, de la Ville,
Nous peindre les originaux,
Vous en oubliez un que j’offre à vos pinceaux ;
Vous réussiriez, je le gage :
Peignez l’auteur dans son ménage.

Molière

Oui, le tableau pourrait être piquant.
De ses tourments pour donner une idée,
Près de lui je mettrais sa femme…

Mme Molière

Doucement…
Le rôle serait bon, j’en suis persuadée ;
Mais de la femme, au moins, lorsque l’on aura ri,
Pour que la scène soit complète,
N'oubliez pas les travers du mari.

Molière

Sans doute : mais bientôt vous savez qu’on répète…
Songeons…

Mme Molière

Avec votre permission
Je manquerai la répétition.
Je viens vous l’annoncer.

Molière

Quel motif ?

Mme Molière

Une affaire
Me retient au logis.

Molière

Ne puis-je la savoir ?

Mme Molière

Non : attendez jusqu’à ce soir.
Mais en restant ici, je pourrais vous déplaire.
Je vous laisse, Monsieur, à vos graves travaux.
Adieu.

Molière, la retenant avec tendresse.

Ne croyez point…

Mme Molière

Ma parole est donnée :
Vous ne me verrez pas de toute la journée.
(Elle sort.)

Scène 5 §

Molière, seul.

Elle est charmante au fond, et, malgré ses défauts,
Je sens que je l’adore… et c’est là ma folie.
Par les sots tracassé, poursuivi par l’envie,
J'avais besoin de repos,
Et non pas de femme jolie !
Mais voici La Fontaine.

Scène 6 §

Molière, La Fontaine.

Molière

Eh ! bonjour, mon ami.

La Fontaine

Bonjour ; je passais près d’ici,
Et j’ai voulu te voir.

Molière

J'en ai l’âme ravie.
Assieds-toi.

La Fontaine

Volontiers. J'ai du temps, Dieu merci,
Car je vais à l’Académie.
Mais quand je suis entré, tu composais, je crois ?

Molière

Je travaille toujours… et bien souvent j’enrage.

La Fontaine

Tu me fais peur : explique-toi.

Molière

Mon ami, plus heureux que moi,
Tu n’as jamais connu les tracas du ménage !

La Fontaine

Ma foi, non. N'est-il pas plus sage
De prendre le temps comme il vient ?
Madame La Fontaine, à qui je rends hommage,
Est assez bonne femme… autant qu’il m’en souvient.
De plus elle est sage, fidèle ;
Elle sait avec soin éloigner les galants ;
Mais pour n’avoir jamais de dispute avec elle,
Je vais la voir une fois tous les ans.

Molière

À ta facile humeur combien je porte envie !
Ma femme est sage aussi ; mais sa coquetterie,
Malgré moi, trop souvent, excite mon courroux.

La Fontaine

Eh quoi ! Molière aussi jaloux !
Je ris de ton peu de courage.
Faible roseau, le moindre orage
Te fait plier au moindre vent,
Et malgré toute sa sagesse,
Le bon Molière, trop souvent,
A peint d’après son cœur notre humaine faiblesse.

Molière

Il est vrai ! mais en ce moment
Ce n’est pas là mon seul tourment.

La Fontaine

Qu'est-ce donc ? -

Molière

Mon ami, je suis dans la disgrâce.

La Fontaine

Du Roi ?

Molière

Non ; mais des courtisans :
Ils me reprochent tous l’audace
D'avoir fait rire à leurs dépens.
Je reçois chaque jour des marques de leur haine.
Mon Bourgeois Gentilhomme en a porté la peine.
Il est tombé.

La Fontaine

Vraiment !

Molière

Ainsi que son auteur.
De mon enfant tu sais qu’un grand-seigneur
Devait être parrain. À mon rare mérite
Il voulait, disait-il, accorder cet honneur,
Et maintenant je le vois qui m’évite.
Le baptême, par lui, depuis plus de trois mois,
Est toujours différé.

La Fontaine

Ma foi, j’en suis fort aise.
Au lieu de faire un pareil choix,
Prends-moi dans ta famille un honnête bourgeois.

Molière

Le bon homme a raison.

La Fontaine

Souvent trop d’honneur pèse.
Laisse-là tes seigneurs, crois-moi.
Il ne faut pas hanter plus haut que soi.

Molière

Le public quelquefois aussi me désespère.
Pour Scaramouche il m’a souvent quitté :
Le Misanthrope, avec sévérité
Fut condamné par le parterre.

La Fontaine

Et le parterre y reviendra.

Molière, avec expression.

J'aurai fermé les yeux quand on l’applaudira !
Par le travail je sens que ma santé s’altère.

La Fontaine, avec émotion et allant à lui.

Ah ! mon ami ! conserve une santé si chère !

Scène 7 §

Molière, La Fontaine, Chapelle, Mignard.

Chapelle

Eh bien que faites-vous donc là ?
Fort à propos j’arrive, ce me semble.
Vous soupirez, je crois ?

La Fontaine

Nous raisonnions ensemble.

Chapelle

Et pourquoi raisonner ? Cela ne mène à rien.
Je fais tout le contraire, et je m’en trouve bien.
Il m’en souvient, dans mon jeune âge
J'avais formé, comme un franc étourdi,
Le projet insensé de vivre en homme sage.
(À Molière.)
Ainsi que toi, sous Gassendi,
Après avoir longtemps disputé, réfléchi,
Je cherchai le bonheur dans la philosophie.
Mais qu’ai-je appris à ses doctes leçons ?
Rien : le bonheur, c’est l’oubli de la vie ;
Si je le cherche encor, c’est parmi les flacons.

Mignard

Il a raison : sa vie est une longue ivresse.

Molière

Bonjour, Mignard, bonjour, Chapelle. Mes amis,
Dans un mauvais moment vous nous avez surpris.

Mignard

D'où peut venir cette tristesse ?
Hier, Monsieur Jourdain n’a-t-il pas réussi ?

Molière

Non, la Cour a baillé ; le Roi n’avait pas ri.
Franchement, je comptais beaucoup sur cette pièce ;
Car La Forest en riait fort.

La Fontaine

La Forest a raison ; le Roi, la Cour ont tort.

Chapelle

Des jugements de cour à bon droit on appelle ;
Louis, tout roi qu’il est…

Molière, l’interrompant.

Est bon juge, Chapelle.
Sans ce grand roi, digne de notre amour,
Tartuffe n’eût pas vu le jour.
Mais laissons-là cet art, le tourment de ma vie.
C'en est fait, je renonce aux faveurs de Thalie.

Chapelle

Serment d’ivrogne, mon ami ;
Je m’y connais, et, dieu merci,
De ces menaces-là nous n’avons rien à craindre.
Au surplus, entre nous, de quoi peux-tu te plaindre ?
Autour de toi tu répands le bonheur ;
Tu peux mener une joyeuse vie,
Et, plus heureux qu’un grand-seigneur,
Tu n’es pas de l’Académie.
Pour moi, jusques au bout, je nargue les soucis.
Imite-moi, mon cher Molière ;
De la foule en tout je diffère :
Où les autres pleurent, je ris.

Mignard, à Molière.

Il ne te manque à toi que cette humeur heureuse.

La Fontaine

Il sait quelquefois ce qu’il dit,

Molière

Mignard est le moins fou de la bande joyeuse ;
Celui-là n’a jamais écrit.

Chapelle

Mignard est plus fin qu’on ne pense.
De l’immortalité pour s’assurer d’avance,
Il peint tous les hommes fameux,
Que dans ce siècle à l’envi l’on admire.
Mon portrait, mon ami, chez nos derniers neveux,
Suffira seul pour te conduire.

Mignard

Lui-même, à ses dépens, il a besoin de rire.

Molière, prenant la main à Mignard.

J'ai déjà dans mes vers célébré tes travaux.

Mignard, avec chaleur.

Laisse-là mes faibles pinceaux.
C'est aux tiens qu’il faut rendre hommage,
Quand chaque jour tes chefs-d’œuvre nouveaux
Font le juste orgueil de notre âge ;
Lorsque, des plus riches couleurs,
La nature prodigue a chargé ta palette ;
Lorsque du feu divin l’influence secrète,
Du plus grand peintre de nos mœurs,
Fit aussi le plus grand poète !

Molière

Le peu que vaut un pauvre auteur,
Ton amitié de beaucoup l’exagère.

Scène 8 §

Molière, La Fontaine, Chapelle, Mignard, La Forest.

La Forest

Pardonnez ; au théâtre on répète, Monsieur,
Et c’est vous qu’on attend.

Molière

Ce n’est pas l’ordinaire !
Il faut vous quitter malgré moi,
Mes amis.

Chapelle

Entre nous l’on ne se gêne guère.

Mignard

J'ai de l’ouvrage en train et je sors avec toi.

La Fontaine

Je t’accompagne aussi, car je n’ai rien à faire.
(Ils sortent.)

Chapelle, revenant sur ses pas.

Je vous suis. La Forest, ferons-nous bonne chère ?
C'est aujourd’hui qu’il faut te surpasser.
Surtout, songe au bon vin ; l’on ne peut s’en passer

La Forest

Vous serez content, je l’espère.

Scène 9 §

Chapelle, La Forest, Mme Molière.

Mme Molière

Ah ! vous voilà, Chapelle ! eh bien, pour aujourd’hui
Aurai-je mes couplets ?

Chapelle

Oui.
Sur moi, pour une fête on peut compter, je pense.
Vous le savez : lorsqu’il s’agit
De fêter un ami d’enfance,
J'ai bon cœur et bon appétit.

Mme Molière

Fort bien, mais ma chanson ?

Chapelle

N'en soyez pas en peine,
C'est à toi, La Forest, à réchauffer ma veine :
À jeun, je ne mets pas mon esprit à l’envers.
C'est avec le bon vin que coulent les bons vers.

Mme Molière

Avec moi, mon ami, voulez-vous être aimable ?
Avant qu’on ne se mette à table,
Que tout soit prêt.

Chapelle

Eh bien, au gré de vos souhaits,
Allons péniblement rimer quelques couplets,
Qu'on fait si gaîment quand on dîne.
Adieu, j’y vais rêver.

La Forest

Je cours à ma cuisine.

Scène 10 §

Mme Molière, seule.

Chapelle est un peu fou, mais excellent ami,
Et sa gaîté fait du bien à Molière.
Mais j’aperçois Brécourt… il vient souvent ici,
Et si j’étais coquette, pour lui plaire,
J'aurais, je crois, bien peu de chose à faire.

Scène 11 §

Mme Molière, Brécourt.

Brécourt

Je sors du théâtre à l’instant ;
Madame du Croisy se fait encore attendre.

Mme Molière

Je la reconnais là.

Brécourt

Molière, impatient,
Ne sait, vraiment, quel parti prendre.
Mais viendrez-vous ?

Mme Molière

Non, je ne puis m’y rendre.

Brécourt

Je venais vous chercher ; mais je reste en ce cas ;
De vous on ne se passe guère,
Et, pour moi, je n’ai que faire
Aux lieux où vous n’êtes pas.

Mme Molière

Avouez que je suis bien bonne.
Vous faites tous les jours le galant avec moi,
Et cependant je vous pardonne ;
Les amoureux sont votre emploi.

Brécourt

À bon droit cet emploi m’enchante.
À le jouer je trouve mon profit :
On applaudit lorsque je vante
Et vos grâces et votre esprit.
Habile dans l’art de séduire,
Un geste, un regard, un sourire,
Un mot, voilà pour vous des moyens de succès ;
Vous prêtez au génie une grâce secrète,
Et l’heureux Molière, jamais,
N'aura de meilleur interprète.

Mme Molière

Un moment, s’il vous plaît ; comme vous prenez feu !
Votre admiration est sans doute flatteuse,
Mais ne pourriez-vous pas vous modérer un peu ?

Brécourt

Pour moi soyez plus généreuse,
Et souffrez qu’à vos pieds je vous fasse l’aveu…

Mme Molière

N'achevez pas, Monsieur, je ne veux rien entendre.

Scène 12 §

Mme Molière, Brécourt, Henriette, au fond du théâtre.

Brécourt

C'est de vous aujourd’hui que mon sort va dépendre.

Mme Molière

Ah ! je me fâcherai, ceci devient trop fort.
J'ai bien voulu souffrir votre galanterie,
Mais je vois bien que j’avais tort ;
Et quand l’égarement va jusqu’à la folie…

Brécourt

Oui, j’en conviens, jusqu’à ce jour,
Dans la crainte de vous déplaire,
Je n’osai pas déclarer mon amour.

Mme Molière

Votre aveu cette fois est beaucoup trop sincère !

Brécourt

Vous me protégerez près de Monsieur Molière ?

Mme Molière

Comment…

Brécourt

Vous ferez mon bonheur.
De vos bontés j’obtiendrai votre nièce.

Mme Molière

Ma nièce ?

Brécourt

Vous daignez m’en faire la promesse ?

Mme Molière, riant.

Ah ! j’en suis quitte pour la peur !

Brécourt

Madame, à quel propos ?…

Mme Molière

Oh ! j’en ris de bon cœur !
Je suis femme, et, suivant l’usage,
J'ai cru qu’à ma beauté s’adressait votre hommage.

Henriette

Vous l’avez cru ?… Pourtant, moi qui vous écoutais,
Ma tante…

Mme Molière

Eh bien, Mademoiselle, après ?

Henriette

Au premier mot, j’ai bien vu tout de suite
Que de moi Monsieur vous parlait.

Mme Molière

Qui vous a donc si bien instruite ?

Henriette

Mais… je ne savais pas que cela s’apprenait.

Mme Molière

Vous l’avez deviné toute seule ?

Henriette

Ma tante,
C'était bien facile, je crois ;
Et j’ai pensé, sans être très savante,
Que vous ne pouviez pas vous marier deux fois.

Mme Molière

C'est bien, Mademoiselle ; allons, baissez la vue.
Nous pourrons au théâtre en faire une ingénue.
De toutes vos douceurs, Brécourt, j’ai le secret :
On courtisait ma nièce, et de moi l’on faisait
Une tante de comédie.

Brécourt

J'attends de vous le bonheur de ma vie.

Henriette

Pourriez-vous bien le rendre malheureux ?

Mme Molière

De bon cœur je cède à vos vœux ;
Mais mon consentement n’est pas seul nécessaire.
Molière est son tuteur ; c’est à lui qu’il faut plaire.
Je parlerai pour vous, demain.

Henriette

Pourquoi demain ?

Mme Molière

Vous êtes bien impatiente !
Savez-vous que c’est fort vilain ?

Henriette

Pardon : je l’ignorais, ma tante.

Mme Molière

Mes amis, à votre bonheur
Je donnerai mes soins ; mais, aujourd’hui, Molière
[pb]
Doit seul nous occuper. Pour son anniversaire
Depuis quelques jours, en secret,
Je lui ménage une surprise :
Je veux lui donner mon portrait.
(À Brécourt.)
J'ai besoin de votre entremise ;
Chez mon peintre, Brécourt, vous irez le chercher.

Brécourt

Combien ce soin va le toucher !
Mais j’entends la voix de Molière ;
Baron le suit avec La Thorillière.

Mme Molière

Sortons vite, et pensez à ma commission.
(Ils sortent.)

Scène 13 §

Molière, La Thorillière, Baron.

Molière

Je suis content de toi, Baron.
C'est bien là l’esprit de ton rôle.

Baron

J'ai suivi vos leçons.

La Thorillière

Il est à bonne école.
Et moi, mon bon ami, tu ne me dis donc rien ?

Molière

Pour toi, mon cher La Thorillière,
Ce que tu fais est toujours bien.

La Thorillière

Lorsque c’est pour l’ami Molière,
Je le fais au moins de bon cœur.
(Un domestique entre et remet des lettres à Molière.)

Molière, parcourant une lettre.

Oh ! oh ! l’on veut me faire peur.
Un médecin qui me menace
De punir ma témérité,
Pour avoir eu, dit-il, l’audace
De rire de la faculté !
On lit mal dans ma pensée,
Je respecte les vrais talents ;
La science n’est point blessée
Des traits qu’on lance aux charlatans.
(Ouvrant une autre lettre.)
Du prince de Conti !… c’est pour la comédie
Quelque faveur encor.

La Thorillière

Lis tout haut, je te prie.
Nous sommes à bon droit tes premiers confidents.

Molière, lit.

« Mon cher Molière, à force de chefs-d’œuvre, vous avez vaincu la résistance de mes confrères de l’Académie, et ils commencent à être embarrassés de ne pas vous compter au nombre des élus. Vous connaissez les motifs qui vous ont fermé jusqu’ici l’entrée du temple. On doit faire des démarches auprès de vous, pour vous engager à quitter l’état de comédien. Je n’ai pas de conseils à vous donner ; mais j’ai besoin de vous dire combien je serais heureux d’être le confrère de celui dont je m’honore d’être l’ami. »

Baron

Quoi ! nous quitter ?

La Thorillière, avec inquiétude.

Eh bien ! que vas-tu faire ?

Molière, avec force et les prenant par la main.

Ils apprendront du refus de Molière,
Que j’ai trouvé chez vous l’honneur et l’amitié.

La Thorillière

Mon ami !

Molière

Je vous dois ma gloire toute entière.
Mon sort au vôtre est pour jamais lié.
Si par un préjugé, né de la barbarie,
On prétendait flétrir un art qui fut le mien,
Vous répondrez alors que j’étais comédien,
Et vous raconterez ma vie.

La Thorillière

Elle appartient à l’immortalité ;
Ô grand homme ! ton nom justement respecté,
Est notre orgueil à tous ; et, béni d’âge en âge,
Il sera de nos fils le plus bel héritage.

Molière, ouvrant une autre lettre.

Quel est ce billet-ci ? Je reconnais le seing.
C'est Mondorge…

Baron

Je l’ai rencontré ce matin.

Molière

C'est un bon homme, un ancien camarade.
Nous étions à Beziers tous deux.

Baron

Il m’a prié
De vous parler pour lui.

Molière, après avoir lu.

Réclamer ma pitié !…
Ah ! ce mot-là me blesse.

Baron

Il est pauvre et malade.

Molière

J'irai le voir. Mais je puis faire mieux
Que de le consoler par de vaines paroles.
(À Baron.)
Que lui pourrais-je offrir ?

Baron

Il est bien malheureux !
Je pense que quatre pistoles…

Molière

Tiens, prends, donne-les lui pour moi ;
Mais cependant, puisque, dans sa détresse,
À ton bon cœur aussi l’infortune s’adresse,
Ajoutes-en trente pour toi.
(L'arrêtant.)
Cours vite les porter… Écoute :
Son équipage, en un tel embarras,
Est en mauvais état sans doute ;
Fais-lui remettre, de ce pas,
Un riche habit de comédie ;
Ensuite, de sa maladie,
Baron, tu payeras tous les frais.

Baron

Mais…

Molière

Va, donne toujours, nous compterons après.
(Baron sort.)

La Thorillière

Que de vertus avec tant de génie !

Molière

Une bonne action ne vaut-elle pas mieux
Que la meilleure comédie ?
Me voilà plus content ; et d’un esprit joyeux
J'entrevois le succès de mon nouvel ouvrage.
Madame du Croisy seule me décourage ;
Son rôle lui déplaît.

La Thorillière

Que t’importe cela ?
Penses-tu que, pour toi, son humeur changera ?
C'est notre plus mauvaise tête.
Quand on parle raison, elle n’écoute rien…
Mais elle a du talent, et le rôle ira bien.
Ah ! je l’entends.

Scène 14 §

Molière, La Thorillière et Mlle du Croisy.

Mlle du Croisy

Eh bien ! est-ce ici qu’on répète,
Messieurs ?Je vous cherche partout.
J'arrive du théâtre où je n’ai vu personne.
Oh ! vous me pousserez à bout.

La Thorillière

Vous ? jamais !… vous êtes trop bonne.

Molière

On a manqué la répétition
En attendant votre venue.

Mlle du Croisy

De si bonne heure aussi, pourquoi répète-ton ?
En vérité, si cela continue,
Bientôt avant le jour on nous fera lever.

La Thorillière, lui montrant sa montre.

Permettez-moi pourtant de vous faire observer
Que Madame aujourd’hui n’est pas très matinale.

Mlle du Croisy

Votre obligeance en tout temps se signale.
(À Molière.)
Il me tardait de vous trouver ;
Du Parc et moi sommes très mécontentes,
Et je viens m’expliquer sur vos Femmes Savantes :
On sait que j’ai du goût.

La Thorillière

La pièce est assez bien.

Mlle du Croisy

Qui vous a dit cela ? Mon rôle ne vaut rien.
Je l’avais accepté pour soutenir l’ouvrage ;
Mais Armande est vraiment un si sot personnage,
Qu'à l’embellir je m’essayerais en vain.
Malgré tout mon talent, je n’en pourrais rien faire.

Molière

Nous y voilà.

La Thorillière

Pauvre Molière !

Molière

Que lui reprochez-vous enfin ?

Mlle du Croisy

Du commencement à la fin,
Ce rôle est plein d’extravagance.

Molière

Le mot est dur.

Mlle du Croisy

Je dis ce que je pense.
Je n’ai pas quatre vers que l’on puisse applaudir ;
Pas un mot de galanterie !
Aviez-vous donc peur de mentir,
En disant que je suis jolie ?

Molière

À quoi bon ? Ne le voit-on pas ?

Mlle du Croisy

Oui, franchement je le répète,
Votre rôle est des plus ingrats.
L'auteur le sacrifie à celui d’Henriette.

Molière

Le théâtre ne vit que d’oppositions.

Mlle du Croisy

Ah ! voilà de belles raisons !

Molière

Mais cependant…

Mlle du Croisy

Point de réplique !
Des règles d’Aristote et de sa rhétorique
Je ne fais pas le moindre cas.

Molière

Mais le bon sens le veut.

Mlle du Croisy

Moi, je ne le veux pas.
Je suis certainement très bonne camarade ;
Mais quand on vous jouera je tomberai malade.

La Thorillière

Oh ! pour le coup, ceci devient trop fort.

Mlle du Croisy

Si l’on vous écoutait j’aurais peut-être tort.

La Thorillière

De raisonner avec vous je n’ai garde.

Mlle du Croisy, à Molière.

Le moyen d’y tenir ! Doucement je hasarde
Une observation ; on se fâche d’abord.
Autant que vous, je crois que cela me regarde ;
Car, à parler de bonne foi,
Votre pièce est à vous, mais mon rôle est à moi,
Et chacun pense à ses affaires.

Molière

Aux miennes vous ne pensez guère.

Mlle du Croisy

En suivant mes conseils, vous pouvez éviter
Une chute : du moins il faudrait m’écouter.

Molière

Eh bien donc, puisqu’il faut m’aider de vos lumières,
Que ferai-je ?

Mlle du Croisy

Il vous faut changer vos caractères.

Molière

Rien que cela ?

Mlle du Croisy

Le mien, premièrement.

Molière

J'aurais grand tort ; il est charmant !

Mlle du Croisy

Là, sans disputer d’avantage,
Au parterre croit-on que j’aurai le courage
De parler des plaisirs des sens,
Et des suites du mariage ?…
Je ferais rire à mes dépens.

Molière

Mais mon but est de faire rire,
Non pas de vous, mais des originaux
Dont ma plume fait la satire.
À leur place, mal à propos
Vous vous mettez.

Mlle du Croisy

Non, non. Il est de certains mots
Que je ne dirai point : je me sens des scrupules.

Molière

Ma patience est grande, il le faut avouer.

La Thorillière

En vérité, vous devriez bien jouer
Les Précieuses ridicules.

Mlle du Croisy

Vous me raillez, je crois ?

La Thorillière

Non pas ; mais entre nous,
Je pense que Molière en sait autant que vous. |

Mlle du Croisy

Vous êtes un flatteur.

Molière

À ton tour.

Mlle du Croisy

- Quoi qu’on fasse,
Je n’en démordrai point, et vous le dis tout net.
Il faudra retrancher la scène du sonnet,
Et cet amour du grec, pour qui l’on nous embrasse,
Et mille traits pareils, tous du plus mauvais goût.

Molière

On n’extravague pas avec meilleure grâce ;
Mais je n’en ferai rien du tout.

Mlle du Croisy

Non ? vous reprendrez donc votre rôle d’Armande ?
Le voici.

Molière

Soit, c’est ce que je demande.

Mlle du Croisy

Qu'en ferez-vous ?

Molière

Un autre le prendra.

Mlle du Croisy, reprenant le rôle.

En vérité ? je vous attendais-là.
Et cette autre sans doute, est Madame Molière ;
Femme du directeur, pour elle on doit tout faire.
Aux rôles de coquette, elle prétend, dit-on.
Et pourquoi pas ? elle a raison,
De réussir elle doit-être sûre ;
Elle jouera du moins d’après nature.

Molière

Bien ! ma femme a son tour aussi !

Mlle du Croisy

Cependant, pour cette fois-ci,
Laissez-lui, croyez-moi, son rôle d’amoureuse,
Avec plaisir elle s’en chargera ;
Car Car c’est le cher Brécourt qui la secondera.
En vérité, la troupe est bien heureuse
D'avoir deux amoureux de cette force-là !
Quelle âme ! quel ton vrai, lorsqu’aux pieds d’Isabelle
Le fortuné Brécourt vient déclarer ses feux !

La Thorillière, bas à Mlle du Croisy.

Finirez-vous ?

Molière, inquiet.

Non. Poursuivez : je veux…

La Thorillière, à Molière.

Bon !

Mlle du Croisy

Aurais-je mal parlé d’elle ?
J'en serais désolée ! Elle est sage et fidèle ;
Je le soutiens à tous.

La Thorillière

Que dites-vous donc là ?

Mlle du Croisy, bas à La Thorillière.

Mais voyez la belle nouvelle !
On ne parle que de cela.

Molière, qui l’a entendue.

Vous dites ?

Mlle du Croisy

Rien… Adieu ! je garderai mon rôle,
Puisque vous l’exigez ; mais souvenez-vous bien,
Si vous êtes sifflé, que je n’y suis pour rien.

Molière

Permettez : vous disiez ?…

La Thorillière

Allons ; c’est une folle.
(À Mademoiselle du Croisy.)
Molière est occupé, Laissons-le.

Mlle du Croisy

De ce pas
Je sors ; ici je n’ai plus rien à faire.
(À La Thorillière.)
Vous, pour faire la paix, donnez-moi votre bras.

La Thorillière

Oh ! volontiers.

Mlle du Croisy

Sans rancune, Molière.
Vous voyez, je suis franche, et je ne sais rien taire.
Vous avez de l’esprit : vous ne m’en voudrez pas.

Scène 15 §

Molière, seul.

Juste ciel ! que viens-je d’entendre !
Ah ! d’un trouble mortel je ne puis me défendre.
Se pourrait-il ! Ma femme !… Oh non !
J'aurais tort d’écouter un indigne soupçon.
Pourtant, je crois le voir, Brécourt cherche à lui plaire.
Près d’elle, à chaque instant du jour,
Quel espoir le ramène ? allons, pauvre Molière,
Te voilà jaloux à ton tour.
Ah ! c’est ma faute, aussi ! Fallait-il, à mon âge,
Par un tardif mariage,
Unir mon sort à celui d’un enfant ?
Et devais-je, surtout, mari trop imprudent,
L'offrir moi-même, en plein théâtre,
À l’admiration d’un public idolâtre ?…
S'il en est temps encor, réparons mon erreur…
Assez d’ennuis secrets empoisonnent ma vie ;
Je veux, pour mon repos, comme pour son honneur,
Que ma femme s’occupe enfin de mon bonheur,
Et renonce à la comédie.
Mais la voici.

Scène 16 §

Molière et Mme Molière.

Mme Molière, un rôle à la main.

Chez-vous peut-on se présenter,
Sans indiscrétion ? je viens vous consulter ;
Non pas comme tantôt, sur un objet frivole,
Une robe, un chiffon ; mais sur un nouveau rôle
Qu'avec vous je veux répéter.

Molière

C'est mal prendre son temps.

Mme Molière

Est-ce que je vous gêne ?

Molière

Non pas ; mais je me sens l’esprit
Peu disposé…

Mme Molière

Si ; vous êtes en scène
On ne peut mieux ; car il s’agit
Du Misanthrope, et voici Célimène.

Molière

Vous apprenez ?…

Mme Molière

Oui.

Molière

Pourquoi donc ?…

Mme Molière

Eh quoi !
Ne doit-on pas cette semaine
Jouer la pièce chez le Roi ?

Molière

De quoi vous mettez-vous en peine ?
Madame du Croisy…

Mme Molière

J'entends. Jusqu’à ce jour
Elle a joué ce rôle ; eh bien, c’est à mon tour.

Molière

Ce n’est pas votre emploi.

Mme Molière

Je le prends.

Molière

Mais peut-être
Trouvera-t-on mauvais…

Mme Molière

N'êtes-vous pas le maître ?
Auteur et directeur, vous avez tous les droits.

Molière

Aussi s’en plaint-on quelquefois.

Mme Molière

Je veux jouer, vous dis-je, une grande coquette.
C'est un point résolu. Vous verrez, mon ami,
Que je réussirai.

Molière, à part.

Je le crois trop.

Mme Molière

Ainsi
Répétons. J'ai déjà commandé ma toilette.

Molière

Oh ! je n’en doute pas : c’est le point important.
Vous prétendez apparemment,
À nos jeunes Seigneurs, faire tourner la tête ?

Mme Molière, d’un air de confidence.

Oh ! je serai charmante.

Molière

Je le crois ;
Mais, s’il faut vous parler sans feinte,
Ce rôle-là ne vous sied point.

Mme Molière

Pourquoi ?

Molière

Vous le joueriez fort mal.

Mme Molière

Ah ! c’est là votre crainte ?
Elle n’est pas flatteuse.

Molière

Franchement
Je dois vous l’avouer ; et c’est une imprudence…

Mme Molière

Brécourt, dont vous prenez bien souvent les avis,
Me juge avec plus d’indulgence.

Molière

Oui, je sais que Brécourt est fort de vos amis,
Et vous mettez grand prix à son suffrage ;
Mais moi, Madame, moi qui suis un ami sage,
Et voilà tout, je dois dire la vérité.
On admire votre beauté,
Vous avez des grâces parfaites ;
Mais il faut plus encor pour gagner la faveur
D'un public difficile autant que connaisseur ;
Et si j’étais de vous, sage comme vous êtes,
Fuyant d’un art trompeur les écueils dangereux,
À vivre en paix je bornerais mes vœux.
Toute entière aux devoirs et d’épouse et de mère,
Je cultiverais ma raison,
Et je mettrais enfin ma gloire la plus chère
À bien gouverner ma maison.

Mme Molière

Qui ? Moi ? renoncer au théâtre ?
Quitter un art que j’idolâtre ?
Y pensez-vous ?

Molière

Très sérieusement.

Mme Molière

Allons, vous rêvez ?

Molière

Non, vous dis-je ;
Ce serait agir prudemment.

Mme Molière

Encor ? Mais quel est ce vertige ?

Molière

Croyez-moi ; ce conseil est dans vos intérêts ;
Je crains pour vous les traits de la satire.

Mme Molière

Oh ! finissez, Monsieur,

Molière

Je me retire, mais…

Mme Molière

Mais… suis-je sans talent ?

Molière

Puisqu’il faut vous le dire,
Vous vous flattez en vain d’obtenir des succès.
Vous ne sûtes jamais jouer la comédie,
Et vous ne la jouerez jamais.
(Il sort.)

Scène 17 §

Mme Molière, seule.

Quelle est cette bizarrerie !
C'est sans doute un nouvel accès de jalousie.
Douter de mon amour, c’est mal assurément ;
Mais mettre en doute mon talent !
Ceci passe la raillerie,
Et je l’en punirai, j’espère… Oui, je prétends
Lui prouver que je sais jouer la comédie,
Et le prouver peut-être à ses dépens.

Scène 18 §

Brécourt, Mme Molière, et ensuite Molière.

Mme Molière

Ah ! vous voilà ? fort bien.

Brécourt

Voici, Madame,
Votre portrait.

Mme Molière, la regardant.

Je le crois ressemblant.

Brécourt

Oui, c’est bien vous ; il est charmant !

Molière, au fond du théâtre.

Brécourt déjà près de ma femme !
Il était sur mes pas.

Brécourt, regardant le portrait.

Heureux gage d’amour.

Molière, à part.

Un portrait ! quel est ce mystère ?

Brécourt

Ah ! quand pourrai-je obtenir à mon tour
Un présent aussi doux de celle qui m’est chère !
(Il donne le portrait à Madame Molière.)

Molière, à part.

Que dit-il ?

Mme Molière, bas à Brécourt.

Voici mon mari.
Pour un moment laissez-nous seuls ici.
Vous reviendrez pour notre fête.

Brécourt, bas.

Vous parlerez pour moi, vous me l’avez promis.
(Lui baisant la main.)
Songez que mon bonheur en vos mains est remis.
(Il sort.)

Scène 19 §

Molière, Mme Molière.

Molière, à part.

La perfide !

Mme Molière, à part.

Essayons mon rôle de coquette.

Molière

Ah ! Qu'ai-je vu ?

Mme Molière, à part.

Ma vengeance s’apprête.
Voici mon Misanthrope inquiet et jaloux :
Nous, soyons Célimène.
(Haut.)
Eh ! bon dieu ! qu’avez-vous ?

Molière, haut.

Dirait-on que ce front où la candeur respire
Cache une âme si double et le cœur le plus faux !

Mme Molière

Vous me supposez-là de bien jolis défauts.

Molière

Dans le fond de votre âme à la fin j’ai su lire.
Oui, mes pressentiments ne m’avaient pas trompé,
Quand de vos trahisons en secret occupé…

Mme Molière

Que me voulez-vous dire ?

Molière

En vous voyant si belle,
Je crus qu’il pouvait être une femme fidèle ;
Trop tard désabusé par votre trahison,
Je retrouve mon cœur ainsi que ma raison.

Mme Molière

Vous me direz du moins, Monsieur, quel est mon crime ?

Molière

N'ai-je pas de me plaindre un sujet légitime ?
Quand mille adorateurs sans cesse auprès de vous…

Mme Molière

J'admire, en vérité, ce caprice jaloux.
Est-ce ma faute, à moi, si j’ai le don de plaire ?
Prenez votre parti, car je ne sais qu’y faire.
À l’âge où je me vois, avec quelques appas,
Au monde qui nous charme, on ne renonce pas,
Et l’on peut des amants éviter la poursuite
Sans que par notre abord nous les mettions en fuite.

Molière

Vous vous en gardez bien ; j’en sais qui, chaque jour,
S'empressent près de vous et vous parlent d’amour.
Tout à l’heure mes yeux m’ont abusé peut-être ;
Mais ce portrait, enfin, qu’en me voyant paraître,
Vous venez de cacher ?…

Mme Molière

Quoi ! c’est là le sujet…

Molière

Je le verrai, j’espère.

Mme Molière

Oh ! non. C'est un secret ;
Et vous savez, Monsieur, combien je suis discrète.

Molière

Vous m’oseriez payer d’une telle défaite ?

Mme Molière

Et vous, vous me croyez capable d’un détour ?
C'est fort mal ; je pourrais me fâcher à mon tour ;
Et vous méritez peu l’amour que l’on vous porte ;
Aussi, pour vous punir d’en agir de la sorte,
Je ne parlerai point : il n’est pas encor temps.,

Molière

Quoi ! lorsque ce témoin qu’en vos mains je surprends,
Vous accuse tout haut, vous tardez à répondre ?
Ce portrait de Brécourt suffit pour vous confondre.

Mme Molière

De Brécourt ? Qui vous dit que ce soit là le sien ?

Molière

Il est pour m’en convaincre un prompt et sûr moyen ;
C'est de me le montrer ; ainsi, veuillez, Madame…

Mme Molière

À quoi bon ? si c’était le portrait d’ une femme ?

Molière

J'admire ce détour, et… mais nous verrons bien.
Donnez-le moi, je veux…

Mme Molière, avec fermeté.

Non. Je n’en ferai rien.
C'est souffrir trop longtemps un doute qui m’outrage,
Et vous vous en tiendrez à mon seul témoignage.

Molière

Ne nous emportons point, et daignez seulement…

Mme Molière

Non, vous dis-je, c’est bien le portrait d’un amant.
Croyez-le, j’y consens, et que votre colère
Pousse, jusques au bout, l’éclat qu’elle veut faire.
Je me livre sans crainte à ce bouillant transport,
Et nous verrons après qui de nous deux a tort.

Molière, à part.

Juste ciel ! quel supplice ! et quelle est ma folie !
Vous verrez qu’il faudra que je me justifie.
(Haut.)
Ah ! qu’il est difficile avec un cœur aimant,
De garder son amour et son ressentiment !
Ainsi donc j’avais tort ; j’y souscris avec joie ;
Mais, de grâce, du moins, faites que je vous croie ;
Dissipez les soupçons qui parlent contre vous ;
Un seul mot suffira pour les détruire tous.
De vous seule dépend le bonheur de ma vie,
Et vous croire innocente est ma plus douce envie.

Mme Molière

À la bonne heure ; allons, je vous pardonne tout ;
Mais méritez mon indulgence.
L'hymen veut de la confiance,
Et vous me croirez jusqu’au bout.
Pourquoi ce transport qui m’offense ?
Mon cher Molière, y pensez-vous ?
Quoi ? moi ? j’outragerais le meilleur des époux,
Dont la tendre amitié prit soin de mon enfance !
À qui je dois tant de reconnaissance !
N'êtes-vous pas celui que mon cœur a choisi ?
Ah ! croyez-moi, du beau nom de Molière
Votre heureuse épouse est trop fière,
Pour que l’éclat par elle en soit jamais terni.

Molière

Ô ciel ! à cette voix si tendre,
À ce regard si doux, comment ne pas se rendre.
Je crois tout, Isabelle, et sûr de votre cœur,
Je remets en vos mains le soin de mon bonheur.

Mme Molière

Croyez-moi, c’est toujours ce qu’il faut que l’on fasse.
Mais laissons cela, mon ami.
Vous me boudiez, tout est fini ;
N'en parlons plus, et qu’on m’embrasse.

Molière

Ah ! c’est à vos genoux que je demande grâce.
Et de mes torts, pour effacer la trace,
Je veux…

Scène 20 §

Molière, Mme Molière, La Fontaine et Mignard.

Mignard

Bravo ! Molière ! reste-là.

La Fontaine

Ô le charmant tableau ! Mignard, peints-moi cela.

Molière

Vous voyez, mes amis.

Mignard

Mais d’où te vient, dis-moi,
Un tel excès d’amour ?

Mme Molière

Bon ! c’est une querelle.
(Avec intention.)
Monsieur était jaloux.

Molière, bas

Taisez-vous donc.

Mme Molière

Pourquoi ?
Ce n’est pas un crime, je crois.

Molière, de même.

Quoi ! voulez-vous ?…

Mme Molière, sans l’écouter.

J'ai su sans peine le confondre,
Et me trouvant rien à répondre,
Il était à mes pieds, bien soumis, bien confus !

Molière, bas.

Vous vous moquez, je pense.

Mme Molière

Oh ! n’y revenez plus !
Je ne suis pas toujours bonne, je le confesse.

Molière

Ah ! me me faites pas rougir de ma faiblesse.
(Bas.)
Vous me devez une explication.

Mme Molière

À quoi bon ? la scène est finie.
Avouez maintenant, là, sans prévention
Que je sais assez bien jouer la comédie.

Molière

Eh ! quoi !…

Mme Molière, à Mignard et à La Fontaine.

Mon cher époux s’était mis dans l’esprit
Que j’avais tort de jouer Célimène ;
Que j’étais sans talent. Dans mon juste dépit,
J'ai si bien ménagé la principale scène,'
Qu'à peu de chose près, lui-même, en ce moment,
Il vient de la jouer fort naturellement.
Quant à moi, je n’ai pas manqué d’une réplique.
(Faisant une révérence.)
C'est à mon directeur à juger maintenant.

Molière

Ah ! traîtresse !

Mignard

Le tour me semble assez comique.
Je vous en fais mon compliment.

Molière

Ainsi donc, ce portrait ?…

Mme Molière

N'était pas d’un amant.
C'est le mien : le voici. Votre meilleure amie
Le gardait pour ce jour heureux
Où Molière a reçu la vie,
Jour à jamais cher à Thalie,
Et qui sera fêté par nos derniers neveux.

Scène 21 §

Les mêmes, Brécourt, Henriette et La Forest.

Molière, continuant.

Quant au rival que vous avez en tête,
Le voici qui revient ; vous disiez vrai, l’amour
Le ramène ici chaque jour,
Mais c’est pour ma chère Henriette.

Molière

Ah ! je devine tout : je ferai leur bonheur.

Brécourt

Que ne vous dois-je pas !

Henriette

Oh ! l’excellent tuteur !'
C'est pour le coup que je danse à sa fête.

La Forest

Voici Monsieur Chapelle, il paraît bien joyeux.

Scène 22 §

Les précédents, Chapelle.

Chapelle

Bonne nouvelle, amis.
(À Molière et à sa Femme.)
Embrassez-moi tous deux.

Mignard

Qu'est-ce donc ?

Chapelle, accourant.

Apprenez la faveur singulière
Que vient de recevoir Molière.
Le Roi, pour honorer et l’homme et le talent,
Veut être le parrain de son premier enfant.

Molière

Se pourrait-il ?

Mignard

Comment sais-tu cela, Chapelle ?

Chapelle

Monsieur le duc me l’annonce à l’instant,
Et je viens en courant en porter la nouvelle.

Molière

J'ai peine à croire à cet insigne honneur.

La Fontaine

Au fait, ce parrain-là vaut bien ton grand seigneur.

Mme Molière

De ses bontés, allez lui rendre grâce.

Molière

Oui, je cours à ses pieds…

Chapelle, l’arrêtant.

Viens, je n’ai pas fini,
Et maintenant, c’est l’auteur que j’embrasse ;
Ton Bourgeois Gentilhomme est bien en cour aussi.
Au lever, ce matin, on parlait de ta pièce ;
Le Roi, de si bon cœur a ri,
Que depuis lors, chacun à la louer s’empresse.
Ton succès est complet.

La Forest

On est de mon avis.
Oh ! je m’en doutais bien.

Molière

Maintenant, mes amis,
Quels vœux pourrais-je faire encore ?
D'un grand Roi la bonté m’honore,
Et près de moi je vous vois réunis.

Henriette

Nous vous entourerons de soins et de tendresse.

Brécourt

Vous aurez un enfant de plus.

Chapelle

Que fais-tu là, Brécourt ?

Mignard

Te voilà bien confus :
Il est de la famille.

Mme Molière

Il épouse ma nièce.

Chapelle

| Et quand cela ?

Henriette

Ce soir.

Chapelle

Tant mieux.
J'espérais une fête, et j’en rencontre deux.

Mme Molière, à Molière.

Entre nous plus de jalousie.
Mon cœur est à vous pour jamais.
Je ne serai coquette désormais
Que pour jouer la comédie.

Molière

Du bonheur d’être aimé, je veux jouir en paix.
Si par fois un léger nuage
Vient encore obscurcir mes jours,
Puisse alors l’amitié, venant à mon secours,
Me visiter dans mon ménage.

FIN

Scène 23 §

Ajoutée pour la représentation du 15 janvier, jour anniversaire de la Naissance de Molière.
Les mêmes personnages.

La Forest, accourant, et bas à Madame Molière.

Madame, tout est prêt. Peut-on commencer ?

Mme Molière

Oui.
(Le fond du théâtre s’ouvre. On voit sur un piedestal le buste de Molière, couronné de lauriers. Tous les acteurs de son théâtre, une couronne à la main, et en habit de caractère, entourent le buste.)

Molière

Quoi !…

Mme Molière

C'est votre fête aujourd’hui
Et voilà vos amis, Molière.

Brécourt

Vous voyez des enfants qui couronnent leur père.

Molière

Amis, je n’ai point mérité
Ce laurier dont on me couronne.
Il n’appartient qu’à la postérité…
(Il s’avance vivement vers son buste. Tous les personnages l’entourent en élevant leur couronne sur sa tête.)

Mignard

Le laurier maintenant te presse et t’environne.

Chapelle

Te voilà pris, tu n’échapperas pas.
(La Fontaine s’avance vers lui, une couronne à la main.)

Molière

Quoi ! La Fontaine aussi ?

La Fontaine

Pardonne,
Je n’en ai qu’une.

Molière

Amis !…
(À La Fontaine.)
Viens dans mes bras ! ma voix
Ne peut suffire ici…

La Fontaine, lui donnant sa couronne.

Tiens, prends.

Molière

Je la reçois,
Quand le génie à l’amitié la donne.
(Tous les personnages se groupent de nouveau autour de Molière. La toile tombe.)

Fin

Naudet, A.. Le Ménage de Molière. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 25 sc. 435 répl. 1,6 l. 677 l. 677 l. 37 % 1 869 l. (100 %) 2,8 pers.
Le Semainier de la Comédie-Française 2 sc. 25 répl. 2,0 l. 86 l. (13 %) 51 l. (8 %) 60 % 160 l. (9 %) 1,9 pers.
Un auteur 1 sc. 25 répl. 1,4 l. 74 l. (11 %) 35 l. (6 %) 48 % 148 l. (8 %) 2,0 pers.
Molière 17 sc. 133 répl. 1,5 l. 482 l. (72 %) 199 l. (30 %) 42 % 1 453 l. (78 %) 3,0 pers.
La Fontaine 6 sc. 20 répl. 1,2 l. 143 l. (22 %) 23 l. (4 %) 17 % 629 l. (34 %) 4,4 pers.
Chapelle 5 sc. 18 répl. 2,4 l. 95 l. (14 %) 44 l. (7 %) 47 % 500 l. (27 %) 5,3 pers.
Mignard 5 sc. 13 répl. 1,1 l. 106 l. (16 %) 15 l. (3 %) 14 % 555 l. (30 %) 5,2 pers.
La Thorillière 2 sc. 21 répl. 0,9 l. 129 l. (20 %) 19 l. (3 %) 15 % 387 l. (21 %) 3,0 pers.
Baron 1 sc. 7 répl. 0,5 l. 51 l. (8 %) 3 l. (1 %) 7 % 153 l. (9 %) 3,0 pers.
Brécourt 6 sc. 21 répl. 1,2 l. 101 l. (15 %) 26 l. (4 %) 26 % 449 l. (25 %) 4,4 pers.
Mme Molière 12 sc. 85 répl. 1,6 l. 281 l. (42 %) 140 l. (21 %) 50 % 845 l. (46 %) 3,0 pers.
Henriette 5 sc. 19 répl. 1,2 l. 126 l. (19 %) 22 l. (4 %) 18 % 473 l. (26 %) 3,7 pers.
Mme du Croisy 1 sc. 29 répl. 1,9 l. 78 l. (12 %) 57 l. (9 %) 73 % 234 l. (13 %) 3,0 pers.
La Forest 7 sc. 19 répl. 2,2 l. 118 l. (18 %) 43 l. (7 %) 37 % 496 l. (27 %) 4,2 pers.
Naudet, A.. Le Ménage de Molière. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
Le Semainier de la Comédie-Française 12 l. (100 %) 1 répl. 12,0 l. 1 sc. 12 l. (2 %) 1,0 pers.
Le Semainier de la Comédie-Française
Un auteur
39 l. (53 %) 24 répl. 1,6 l.
36 l. (48 %) 25 répl. 1,4 l.
1 sc. 74 l. (11 %) 2,0 pers.
Molière 31 l. (100 %) 4 répl. 7,6 l. 4 sc. 30 l. (5 %) 1,0 pers.
Molière
La Fontaine
24 l. (55 %) 17 répl. 1,4 l.
21 l. (46 %) 16 répl. 1,3 l.
4 sc. 44 l. (7 %) 4,4 pers.
Molière
Chapelle
7 l. (52 %) 4 répl. 1,5 l.
6 l. (49 %) 4 répl. 1,4 l.
3 sc. 12 l. (2 %) 5,6 pers.
Molière
Mignard
6 l. (38 %) 7 répl. 0,8 l.
10 l. (63 %) 5 répl. 1,9 l.
4 sc. 15 l. (3 %) 5,3 pers.
Molière
La Thorillière
19 l. (60 %) 10 répl. 1,8 l.
13 l. (41 %) 11 répl. 1,1 l.
2 sc. 30 l. (5 %) 3,0 pers.
Molière
Baron
21 l. (90 %) 7 répl. 3,0 l.
3 l. (11 %) 5 répl. 0,5 l.
1 sc. 23 l. (4 %) 3,0 pers.
Molière
Brécourt
3 l. (41 %) 3 répl. 0,7 l.
4 l. (60 %) 4 répl. 0,8 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 4,7 pers.
Molière
Mme Molière
71 l. (43 %) 55 répl. 1,3 l.
97 l. (58 %) 56 répl. 1,7 l.
7 sc. 168 l. (25 %) 3,2 pers.
Molière
Henriette
5 l. (95 %) 3 répl. 1,7 l.
1 l. (6 %) 1 répl. 0,3 l.
2 sc. 5 l. (1 %) 5,5 pers.
Molière
Mme du Croisy
12 l. (25 %) 18 répl. 0,6 l.
35 l. (76 %) 19 répl. 1,8 l.
1 sc. 46 l. (7 %) 3,0 pers.
Molière
La Forest
6 l. (28 %) 5 répl. 1,1 l.
15 l. (73 %) 7 répl. 2,1 l.
3 sc. 20 l. (3 %) 5,4 pers.
La Fontaine
Chapelle
2 l. (56 %) 3 répl. 0,7 l.
2 l. (45 %) 1 répl. 1,6 l.
2 sc. 4 l. (1 %) 4,1 pers.
Chapelle
Mignard
21 l. (93 %) 6 répl. 3,5 l.
2 l. (8 %) 3 répl. 0,5 l.
3 sc. 22 l. (4 %) 5,6 pers.
Chapelle
Mme Molière
7 l. (63 %) 3 répl. 2,0 l.
4 l. (38 %) 4 répl. 0,9 l.
2 sc. 10 l. (2 %) 6,4 pers.
Chapelle
Henriette
1 l. (68 %) 1 répl. 0,3 l.
1 l. (32 %) 1 répl. 0,1 l.
1 sc. 0 l. (1 %) 8,0 pers.
Chapelle
La Forest
10 l. (92 %) 3 répl. 3,0 l.
1 l. (9 %) 2 répl. 0,5 l.
3 sc. 10 l. (2 %) 6,2 pers.
La Thorillière
Mme du Croisy
8 l. (25 %) 10 répl. 0,7 l.
22 l. (76 %) 10 répl. 2,2 l.
1 sc. 29 l. (5 %) 3,0 pers.
Brécourt
Mme Molière
22 l. (48 %) 14 répl. 1,5 l.
24 l. (53 %) 17 répl. 1,4 l.
4 sc. 45 l. (7 %) 3,2 pers.
Brécourt
Henriette
2 l. (58 %) 2 répl. 0,5 l.
1 l. (43 %) 1 répl. 0,8 l.
2 sc. 2 l. (1 %) 5,0 pers.
Mme Molière 9 l. (100 %) 2 répl. 4,3 l. 2 sc. 9 l. (2 %) 1,0 pers.
Mme Molière
Henriette
8 l. (53 %) 6 répl. 1,2 l.
7 l. (48 %) 7 répl. 1,0 l.
1 sc. 14 l. (3 %) 3,0 pers.
Henriette
La Forest
15 l. (35 %) 9 répl. 1,6 l.
27 l. (66 %) 9 répl. 3,0 l.
3 sc. 41 l. (7 %) 2,5 pers.