Henri Engrand

1815

Leçons élémentaires sur la mythologie

2017
Engrand, Henri (1753-1823), Leçons élémentaires sur la mythologie, suivies d’un Traité sommaire de l’Apologue ou de la Fable morale à l’usage de la Jeunesse de l’un et de l’autre sexe. Par l’auteur des Leçons élémentaires sur l’« Histoire Ancienne » et l’« Histoire Romaine », des « Principes de la Langue Française », et de l’« Abrégé de l’Histoire de France », Reims, impr. de Le Batard, 1815, 178 p. Source : Google Livres. 1re édition : 1797.
Ont participé à cette édition électronique : Nejla Midassi (OCR, Stylage sémantique), Eric Thiébaud (Stylage sémantique) et Diego Pellizzari (Encodage TEI).

Aux citoyens administrateurs municipaux de la commune de Rheims. §

L’hommage d’un Livre né dans vos murs, et consacré à l’instruction de la Jeunesse, vous est bien dû, Citoyens Magistrats : aussi rien n’égale l’empressement et le plaisir que j’ai de vous l’offrir. Chargés de surveiller les études et de favoriser de tout votre pouvoir la culture et les progrès des sciences et des arts, vous ne pouvez manquer d’accueillir tout ce qui tend à perfectionner l’éducation, et à propager les connaissances utiles. Vous êtes vous-mêmes pères de famille : un Livre fait pour vos enfans, pour cette plus chère partie de votre existence, ne sauroit vous être étranger, ni vous trouver indifférens. J’ai donc lieu de croire que vous approuverez mes efforts, et que vous recevrez favorablement la Dédicace que j’ose vous faire d’un Ouvrage élémentaire destiné à l’instruction publique. Si ce premier travail justifie mon intention et mes désirs, en répandant quelques fruits heureux, je crois pouvoir annoncer d’autres projets d’utilité publique, dont je m’occuperai incessamment, si les circonstances me le permettent.

Veuillez agréer, Citoyens Magistrats , l es assurances de respect et d’estime de

Votre Concitoyen,
ENGRAND,
Conservateur des Dépôts littéraires de la Commune de Rheims.

Préface. §

Je me garderai de faire l’éloge de la science dont ce Livre offre un-court abrégé. Je me contenterai de dire qu’il me semble qu’une éducation soignée ne peut être complette, si on n’y fait entrer quelques connoissances de la Mythologie. On ne sauroit se refuser d’avouer que l’Histoire des Dieux et les Fables du Paganisme, font une partie considérable des Belles-Lettres. Il est impossible de faire un pas dans l’intelligence des plus savans Ecrivains de l’antiquité, et sur-tout des Poëtes tant anciens que modernes, si on ne connoît la Fable.

Nous ne saurions non plus disconvenir que nos peintures, nos statues, nos tapisseries, les monumens de toute espèce, toutes ces riches et grandes productions du génie, où se repose si délicieusement l’œil du spectateur, ne nous offrent pour la plupart que des sujets empruntés de l’ancien Paganisme. N’est-ce pas aussi dans cette même source que les Auteurs dramatiques vont chercher le plus souvent leurs héros et leurs héroïnes, pour les faire figurer sur la scène, où l’on prend tant de plaisir à recueillir leurs touchantes catastrophes ? Il n’est pas rare sans doute d’entendre nos théâtres retentir des plaintes d’Iphigénie et d’Andromaque, des fureurs d’Oreste, des emportemens d’Achille et de Clytemnestre, etc. L’homme honnête rougiroit d’ignorer des choses d’un usage si fréquent et si habituel, et d’ailleurs si propres à procurer de précieuses jouissances. La connoissance de la Mythologie est donc utile, je dis même nécessaire non-seulement à l’homme de lettres, mais à toute personne qui se pique de quelque éducation.

Décidé par ce puissant motif, je travaillai, pour mes Élèves, un petit Traité sur la Mythologie. Une personne, de beaucoup de lumières, informée de mon travail, me fit inviter à le livrer à l’impression, ajoutant que ce seroit servir l’instruction, vu qu’il n’existoit pas, dans cette partie, de Livres élémentaires à l’usage de la Jeunesse. Je ne pus me refuser au plaisir d’être utile à mes Concitoyens : je me déterminai donc sans peine à faire imprimer les Leçons élémentaires que je présente au Public.

Ce petit Livre n’offrira rien de neuf ; ce qu’il renferme n’est pas mon ouvrage : c’est une simple compilation, que j’ai tâché de rédiger avec le plus d’ordre et de méthode qu’il m’a été possible. La Fable est un cahos, dont tous les abords sont couverts d’épaisses ténèbres. Les plus savans Mythologues souvent ne marchent qu’au hasard, et ne peuvent toujours porter la lumière dans la nuit profonde des temps. Les recherches faites dans cette science sont immenses ; mais aucun Savant n’a pu encore lever le voile tout entier. Je n’ai adopté que les choses le plus généralement reçues, et je me suis borné aux notions les plus essentielles et le plus indispensablement nécessaires. C’est donc purement un Traité élémentaire de Mythologie que j’offre ici aux jeunes gens des deux sexes. Ils ont tant de choses à apprendre ! il faut nécessairement se resserrer dans des bornes étroites. De tout un peu : tel devroit être, ce me semble, la devise des Maisons d’éducation.

Pour rendre les connoissances mythologiques, répandues dans les différens articles de ce Recueil, à-la-fois plus amusantes et plus instructives, j’ai cru devoir les accompagner de morceaux de poésies analogues, tirés de nos meilleurs Poëtes, tels que Malherbe, Corneille, Racine, Boileau, Molière, Rousseau, Lamotte, Voltaire, etc. J’ai observé que les jeunes gens apprennent avec plus de plaisir les choses ainsi assaisonnées de vers piquans et curieux. D’ailleurs je crois qu’on doit rechercher tout ce qui tend à meubler avantageusement et à orner leur esprit et leur mémoire.

J’avois également travaillé, pour mes Élèves, un Traité succinct de l’Apologue ou de la Fable morale ; il devoit servir comme d’acolyte et de pendant à ma Mythologie. On m’a aussi engagé à le donner à l’Imprimeur, afin que ces deux petits Traités fussent placés l’un près de l’autre dans un même volume. On a jugé que ce petit écrit n’étoit pas indigne de voir le jour.

Ce sont des leçons de vertus civiles et morales, et des principes de conduite, dont l’unique but est de former au bien le cœur des jeunes gens, et de leur inspirer le goût de l’honnête et du beau. On leur met sous les yeux le tableau des devoirs de l’homme de bien et du citoyen vertueux. On s’est aussi attaché à leur dessiner les vices les plus honteux et les plus ennemis de la société, avec les couleurs propres à leur en dévoiler toute la turpitude, et à leur en donner la plus forte aversion. Le tout est accompagné de Fables choisies, bien capables de faire sortir avec avantage les vérités utiles qu’on s’est efforcé de répandre dans l’ouvrage. Certes, je serois bien récompensé, si ce foible essai pouvoit faire germer une vertu de plus dans le cœur des jeunes personnes qui le liront, ou seulement en extirper un vice.

Leçons élémentaires sur la Mythologie. §

Origine de la Mythologie. §

Origine de la Mythologie. §

D. Qu’est-ce que la Mythologie ou la Fable ?

R. La Mythologie ou la Fable est l’Histoire fabuleuse des Divinités, du Paganismes Mythologie est formé de deux mots grecs, mytos et logos, qui signifient discours fabuleux.

D. Quelle est l’origine de la Fable ?

R. La Fable doit son origine à plusieurs causes, mais sur-tout à l’ignorance, à la corruption, à la vanité et à la crainte.

L’ignorance, 1.ère cause de l’idolâtrie §

Les hommes méconnurent le vrai Dieu, et tournèrent leurs adorations vers les objets sensibles, comme le Soleil, la Lune, les Étoiles, etc. Les hommes, les animaux, les plantes elles-mêmes, ne tardèrent pas à obtenir des autels.

Bientôt une foule d’idoles
Usurpa l’encens des mortels ;
Dieux sans force, ornemens frivoles
De leurs ridicules autels.
Amoureux de son esclavage,
Le monde offrit un fol hommage
Aux monstres les plus odieux :
L’insecte eut des demeures saintes ;
Et, par ses désirs et ses craintes,
L’homme aveugle compta ses dieux.
(Lamotte.)

La corruption, 2.e cause de l’idolâtrie. §

L’homme, pour n’avoir point à rougir de ses excès honteux, imagina de diviniser les passions et les crimes, l’idolâtrie. Il voulut autoriser ses déportemens dans tous les genres à l’exemple des Dieux. Delà un Jupiter incestueux, un Mars adultère, une Vénus impudique, un Mercure voleur, etc.

La vanité, 3.e cause de l’idolâtrie. §

On a élevé au rang des Dieux une foule d’hommes qui se sont rendus célèbres par des actions éclatantes, ou utiles au genre humain par l’invention des arts, ou toute autre découverte importante.

La crainte, autre cause de l’idolâtrie. §

Un déluge de maux fut dans tous les temps le partage des malheureux mortels. Souvent, dans leur aveuglement ridicule, ils s’en prirent aux influences malignes des élémens et des astres. Ils les craignirent, et cherchoient souvent à les appaiser comme des Dieux ennemis et irrités.

Primus in orbe Deus fecit timor.

Utilité de la Fable. §

D. Quels avantages peut-on retirer de la Fable ?

R. Plusieurs très-considérables :

1.° La Fable nous fait connoître de quel aveuglement est capable l’homme livré à ses passions.

2.° Elle nous facilite l’intelligence des meilleurs Ecrivains de l’Antiquité, et des Poëtes les plus estimés.

3.° Par elle, nous connoissons les sujets des ouvrages de peinture, de sculpture, des ouvrages de tapisseries, etc. Enfin elle nous fournit, dans bien des occasions, des connoissances utiles. Les aventures de Phaëton et d’Icare, qui prennent un vol audacieux dans les airs, nous représentent le sort des orgueilleux ; celle du beau Narcisse qui, trop épris de sa beauté, meurt victime de sa passion en se contemplant dans les eaux d’une fontaine, prouve la folle vanité de ceux qui n’aiment qu’eux.

D. La Poésie ne doit-elle pas aussi à la Fable une partie de ses agrémens ?

R. Oui ; elle emprunte d’elle ses plus beaux ornemens. La fiction est ame de la Poésie, et pare tout de ses riches couleurs. La Poésie ne dit presque jamais rien naturellement ; elle relève tout par des images et un langage surnaturel. Ici, les Bergers sont des Satyres ou des Faunes, et les Bergères des Nymphes ; les hommes à cheval, des Centaures ; les vaisseaux, tantôt un cheval ailé, comme dans l’histoire de Bellérophon ; tantôt des dragons, comme dans celle de Médée. On fit passer les oranges pour des pommes d’or, l’or pour une pluie de ce fameux métal, comme dans la fable de Danaé ; les flèches pour des foudres et des carreaux, etc. Écoutons Boileau à ce sujet :

Là, pour nous enchanter, tout est mis en usage :
Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage ;
Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la Prudence, et Vénus la Beauté.
Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre.
Un orage terrible, aux yeux des matelots,
C’est Neptune en courroux qui gourmande les flots.
Echo n’est plus un son qui dans l’air retentisse,
C’est une Nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse.
Ainsi, dans cet amas de nobles fictions,
Le poëte s’égare en mille inventions,
Orne, élève, embellit, agrandit toutes choses,
Et trouve sons sa main des fleurs toujours écloses.

Nombre des Dieux chez les Payens. §

D. Le nombre des Dieux étoit-il considérable chez les Payens ?

R. Varron en fait monter le nombre jusqu’à trente mille ; aussi Juvénal nous représente Atlas gémissant sous le poids du ciel, à cause du nombre des Dieux qu’on y logeoit.

Le Destin. §

D. Quel étoit le plus puissant des Dieux ?

R. Les Payens avoient inventé le Destin, qui étoit supérieur à tous les autres Dieux. C’étoit une Divinité aveugle qui gouvernoit toutes choses par une nécessité inévitable. Tous les autres Dieux, et Jupiter lui-même, étoient soumis à ses décrets. Il s’appeloit Fatum. Il avoit son culte et ses oracles ; mais on ne lui érigea jamais aucune statue. On le peignoit ayant entre tes mains l’urne qui contient le sort des humains ; on lui donnoit aussi un livre, où tout l’avenir étoit écrit, et que les autres Dieux alloient consulter.

Le Destin marque ici l’instant de leur naissance
L’abaissement des uns, des autres la puissance ;
Les divers changemens attachés à leur sort,
Leurs vices, leurs vertus, leur fortune et leur mort.
Le Temps, d’une aile prompte et d’un vol insensible,
Fuit et revient sans cesse à ce palais terrible ;
Et de là sur la terre il verse à pleines mains
Et les biens et les maux destinés aux humains.
Sur un autel de fer, un livre inexplicable
Contient de l’avenir l’histoire irrévocable.
(Voltaire.)

Division des Dieux en deux classes et leurs noms. §

D. En combien de classes partage-t-on les Dieux ?

R. Nous les partageons en deux classes ; nous appelons ceux de la et première les Dieux suprêmes, autrement dits par les anciens majorum Nationum ; parce qu’ils étoient connus et révérés par toutes les nations. On en comptait vingt ; Jupiter, Junon, Neptune, Cérès, Mercure, Minerve, Vesta, Apollon, Diane, Mars, Vénus et Vulcain. Ces douze premiers Dieux formoient le Conseil suprême ; on les appeloit Dii consulentes. Les huit autres n’avoient point séance à ce Conseil suprême ; leur titre étoit Dii selecti : c’étoient Saturne, Génius, le Soleil, Orcus, Bacchus, Janus, la Terre et la Lune.

Les Dieux compris dans la seconde classe, appelés par les Latins Dii minorum Gentium, n’avoient pas de place dans le ciel, ils étoient regardés comme des Divinités bourgeoises : Ovide les appelle de plebe Deos. Pan, Pomone, Flore, Palès, et les autres Divinités champêtres, étoient de ce nombre.

Demi-Dieux et Héros. §

Nous mettrons au troisième rang et Héros les demi-Dieux et les Héros. Ceux-ci étoient des hommes distingués que leur mérite avoit élevés au rang des immortels indigètes (è terrâ geniti).

Les demi-Dieux étoient des Divinités qui tiroient leur origine d’un Dieu et d’une Mortelle, ou d’un Mortel et d’une Déesse : tels étoient Hercule, Esculape, Castor et Pollux, etc.

Les anciens avoient encore divinisé plusieurs Vertus, comme la Fidélité, la Concorde, etc., et même les misères de la vie, comme la Pauvreté, la Fièvre, etc. Ces Divinités formoient une quatrième classe.

Première partie de la Fable.
Des Dieux du premier ordre. §

Avant de commencer leur histoire, nous avons cru devoir placer ici les beaux vers de Rousseau sur le Cahos.

D. Qu’est-ce que le Cahos ?

Le Cahos. §

R. On conçoit par le Cahos cette masse informe, dans laquelle le ciel, la terre, la mer, tous les élémens étoient confondus.

Avant que l’air, les eaux et la lumière,
Ensevelis dans la masse première,
Fussent éclos, par un ordre immortel,
Des vastes flancs de l’abyme éternel,
Tout n’étoit rien. La nature enchaînée,
Oisive et morte, avant que d’être née,
Sans mouvement, sans forme, sans vigueur,
N’étoit qu’un corps abattu de langueur,
Un sombre amas de principes stériles ;
De l’existence élémens immobiles.
Dans le cahos (ainsi par nos ayeux
Fut appelé ce désordre odieux)
En pleine paix sur son trône affermie,
Régna long-temps la Discorde ennemie,
Jusques au jour pompeux et florissant,
Qui donna l’être à l’Univers naissant ;
Quand l’harmonie, architecte du monde,
Développant, dans cette nuit profonde,
Les élémens pêle-mêle diffus,
Vint débrouiller ce mélange confus,
Et variant leurs formes assorties,
De ce grand tout animer les parties,
Le ciel reçut, en son vaste contour,
Les feux brillans de la nuit et du jour.

Saturne. §

Le Ciel passe communément pour le plus ancien des Dieux ; comme la Terre ou Tellus passe pour la plus ancienne des Déesses. Ils eurent pour fils Titan et Saturne, autrement dit le Temps.

D. Comment l’Empire du Monde passa-t-il à Saturne ?

R. Titan, pour condescendre aux désirs de sa mère, céda le trône à son frère Saturne qui étoit son cadet, mais à condition qu’il n’élèveroit aucun enfant mâle. C’est pourquoi Saturne les dévoroit sitôt qu’ils étoient nés. Cependant Cybèle, sa femme, ayant mis au monde Jupiter et Junon, cacha soigneusement Jupiter, et ne montra que Junon.

D. Que fit Titan, lorsqu’il fut instruit de cette supercherie ?

R. Il déclara sur-le-champ la guerre à son frère Saturne, et le renferma dans une étroite prison avec Cybèle, où ils demeurèrent jusqu’à ce que Jupiter, devenu grand, les en tira.

D. Que fit ensuite Saturne ?

R. Saturne avoit lu dans le Livre des Destins que Jupiter lui enlèveroit son royaume. Pour se soustraire à ce malheur, il déclara la guerre à son fils, et lui tendit des embûches où il croyoit le faire périr. Jupiter le vainquit et le chassa honteusement du Ciel.

D. Que devint alors Saturne ?

R. Il se réfugia en Italie, où Janus, roi du pays Latin, le reçut avec bonté. Cette contrée fut ensuite appelée le Latium, du mot latin Latere, parce qu’elle avoit servi de retraite à Saturne.

D. Comment se comporta Saturne dans ce pays ?

R. D’abord, pour reconnoître les services de Janus, il lui donna toutes les qualités qui font un bon Roi. Il enseigna l’agriculture aux hommes ; il leur apprit à fumer les terres ; et le temps de son règne fut appelé Age d’or. Voici la description de cet Age heureux, donnée par le célèbre Despréaux :

Tous les plaisirs couroient au-devant de leurs vœux ;
La faim aux animaux ne faisoit point la guerre ;
Le bled pour se donner sans peine ouvrant la terre,
N’attendoit pas qu’un bœuf, pressé par l’aiguillon,
Traçât d’un pas tardif un pénible sillon.
La vigne offroit par-tout des grappes toujours pleines,
Et des ruisseaux de lait serpentoient dans les plaines.

D. Comment nomme-t-on les trois Ages qui suivirent le Siècle d’or ?

R. On les appelle l’Age d’argent, l’Age d’airain, et l’Age de fer.

D. Qu’est-ce que l’Age d’argent ?

R. L’Age d’argent est celui où les hommes commençant à déchoir de leur première innocence, perdirent en même-temps une partie de leur bonheur. Voici comme s’en exprime Lamotte :

Pourquoi fuis-tu, chère innocence ?
Quel destin t’enlève aux mortels ?
Avec la paix et l’abondance,
Disparoissent les saints Autels ;
Déjà Phébus brûle la terre ;
Borée à son tour la resserre :
Son sein épuise nos travaux ;
Sourde à nos vœux, qu’elle dédaigne,
Il faut que le soc la contraigne
Délivrer ses biens à la faulx.

D. Qu’est-ce que l’Age d’airain ?

R. L’Age d’airain est le temps, où, les hommes devenus plus méchans, on vit tous les vices remplacer les vertus. Le même Poëte dit à ce sujet :

Aux cris de l’Audace rebelle,
Accourt la Guerre au front d’airain ;
La rage en ses yeux étincelle,
Et le fer brille dans sa main :
Par le faux Honneur qui la guide,
Bientôt, dans son art parricide,
S’instruisent les peuples entiers ;
Dans le sang on cherche la gloire ;
Et, sous le beau nom de Victoire,
Le meurtre usurpe les lauriers.

D. Qu’est-ce que 1’Age de fer ?

R. L’Age de fer est le temps où les hommes s’abandonnèrent à tous les excès les plus honteux. Écoutons Lamotte :

Fureur, trahison mercenaire,
L’or vous enfante ; j’en frémis.
Le frère meurt des coups du frère,
Le père de la main du fils.
L’Honneur fuit, l’Intérêt l’immole ;
Des lois, que par-tout on viole,
Il vend le silence ou l’appui ;
Et le crime seroit paisible,
Sans le remords incorruptible
Qui s’élève encor contre lui.

D. Saturne n’étoit-il pas aussi connu sous un autre nom ?

R. Saturne est le même que le Temps, Divinité allégorique, représentée sous la figure d’un vieillard, avec des attributs propres à marquer la rapidité et la vicissitude du temps qui détruit tout ; comme les ailes, la faulx, le sablier, et le serpent qui forme un cercle en se mordant la queue. Voici ce qu’en dit Rousseau :

Ce vieillard qui, d’un vol agile,
Fuit sans jamais être arrêté,
Le Temps, cette image mobile
De l’immobile éternité,
A peine du sein des ténèbres
Fait éclore les faits célèbres,
Qu’il les replonge dans la nuit.
Auteur de tout ce qui doit être,
Il détruit tout ce qu’il fait naître,
A mesure qu’il le produit.

D. Comment s’appeloient les Fêtes de Saturne ?

R. Les Fêtes célébrées en l’honneur de Saturne s’appeloient Saturnales ; tout ce qui pouvoit rappeler les idées de bonheur et d’égalité se pratiquoit les jours où on les célébroit. Les maîtres servoient à table leurs esclaves ; les déclarations de guerre, les exécutions criminelles étoient interdites pendant la célébration de ces Fêtes, etc.

Cybèle. §

D. Qu’est-ce que Cybèle ?

R. Cybèle est femme de Saturne ; elle est regardée comme la mère de plusieurs Dieux ; c’est pourquoi ou l’appelle la Grande-mère, Magna mater. On la nommait encore Ops et Tellus, parce qu’elle donnoit du premier du secours aux humains, et qu’elle présidoit à la terre, comme Saturne au ciel. Nous omettons plusieurs autres de ses noms, comme celui de Rhée, etc.

Les humains vertueux, sous le règne de Rhée,
Virent du Siècle d’or la trop courte durée.

Cybèle étoit connue sous le nom de Vesta. On lui avoit consacré sous ce nom un feu perpétuel, dont le soin étoit confié à de jeunes Vierges appelées Vestales. Ce feu se renouveloit tous les ans avec les rayons du soleil. S’il s’éteignoit par la faute des Vestales, elles étoient enterrées vives. Elles doivent leur institution à Numa Pompilius, deuxième Roi des Romains.

D. Comment représentoit-on Cybèle ?

R. On la représentoit assise, parce que la terre est stable ; de plus on lui donnoit un tambour qui est le symbole des vents que la terre renferme, et elle avoit la tête ceinte d’une couronne de tours.

D. Quelle étoit la manière de célébrer les Fêtes de Cybèle ?

R. Les Prêtres de Cybèle, appelés Corybantes, célébroient les Fêtes du premier de cette Déesse au son des tambours, avec des hurlemens extraordinaires ; ils dansoient autour de sa statue, en faisant des contorsions épouvantables.

Jupiter. §

D. Quel rang tenoit Jupiter parmi les Dieux ?

R. Jupiter, fils de Saturne et de Cybèle, étoit considéré comme le père des Dieux et des hommes.

Et Jupiter assis sur le trône des airs,
Ce Dieu qui d’un clin-d’œil ébranle l’Univers,
Et dont les autres Dieux ne sont que l’humble escorte,
Leur imposa silence, et parla de la sorte, etc.
(Rousseau.)

Devenu grand, il détrôna son père Saturne, qui en vouloit à ses jours, et partagea l’Empire du monde avec ses deux frères Neptune et Pluton. Celui-ci eut les enfers, et Neptune régna sur les eaux ; Jupiter se réserva le ciel.

D. Comment Jupiter fut-il élevé ?

R. Au son des instruments que touchoient les Corybantes, pour empêcher que ses cris enfantins ne le découvrissent à son père. Il fut nourri du lait de la chèvre Amalthée, qu’il plaça dans le ciel, en reconnoissance des bons offices qu’il en avoit reçus. Il donna une de ses cornes aux Nymphes qui avoient pris soin de sou enfance, avec la vertu de produire ce quelles désireroient. C’est ce qu’on appelle la corne d’abondance.

D. Comment représente-t-on Jupiter ?

R. On le représente avec les sourcils noirs, le front couvert de nuages, la foudre à la main, et l’aigle à ses pieds. Le Respect et l’Équité sont à ses côtés, et devant lui deux vases qui contiennent le bien et le mal, qu’il répand à son gré sur les hommes.

D. Qu’étoit-ce que l’Aigle de Jupiter ?

R. Périphas, Roi d’Athènes, se fit tant aimer de son peuple, qu’il en fut adoré à l’égal de Jupiter ; ce qui irrita si fort le maître des Dieux, qu’il voulut le foudroyer ; mais par compassion il se contenta de le changer en Aigle ; c’est sur cet Aigle qu’il traversoit les airs.

D. Quelle guerre Jupiter eut-il à soutenir contre les Titans ?

R. Titan, oncle de Jupiter, vit avec peine le gouvernement passer aux enfans de son frère. Pour s’en venger, il suscita les Géans contre l’usurpateur ; mais Jupiter terrassa ces enfans de la Terre à coups de foudre, et les accabla sous les montagnes qu’ils avoient amassées pour le détrôner. Les plus fameux sont Encelade, Briarée à cent bras, et Typhée ; ce dernier étoit moitié homme, moitié serpent ; sa tête atteignoit le ciel. Quinault célèbre ainsi la victoire de Jupiter sur les Géans :

Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu’ils entassoient pour attaquer les cieux ;
Nous avons vu tomber leur chef audacieux
Sous une montagne1 brûlante ;
Jupiter l’a contraint de vomir à nos yeux
Les restes enflammés de sa rage mourante.
Jupiter est victorieux,
Et tout cède à l’effort de sa main foudroyante.

D. Quelles ont été les principales métamorphoses de Jupiter ?

R. Il se métamorphosa en cygne pour Léda, dont il eut Castor et Pollux ; en taureau pour Europe, qui lui donna Minos et Radamante ; en pluie d’or pour Danaé, dont il eut Persée ; et en berger pour Mnémosyne, mère des neuf Muses. Molière a dit :

Passe encor de le voir de ce sublime étage,
              Dans celui des hommes venir,
Si, dans les changemens où son humeur l’engage,
A la nature humaine il s’en vouloit tenir ;
              Mais de voir Jupiter taureau,
              Serpent, cygne, ou quel qu’autre chose ;
              Je ne trouve pas cela beau,
Et ne m’étonne pas si parfois on en cause.

D. Quel fut le crime de Prométhée, et comment Jupiter l’en punit-il ?

R. Prométhée, fils de Japet, l’un des Titans, ayant formé quelques statues d’hommes, avoit dérobé le feu du ciel pour les animer. Ce larcin fâcha Jupiter au point que, pour l’en punir, il le fit attacher par Vulcain sur le mont Caucase, où un vautour lui rongeoit le foie, qui, en renaissant chaque jour, éternisoit son supplice. Hercule tua le vautour, et délivra Prométhée.

(Audax Japeti genus ignem fraude, etc.)
Horace.

D. Qui étoit Pandore ?

R. Les Dieux ne purent souffrir que Jupiter s’attribuât exclusivement le droit et la gloire de créer les hommes ; c’est pourquoi ils concoururent ensemble pour former une femme parfaite. Pallas lui donna la sagesse ; Vénus, la beauté ; Apollon, la connoissance de la musique ; Mercure, l’éloquence ; et on l’appela Pandore, nom composé de deux mots grecs, qui signifié tout don.

D. Dites-nous ce que c’est que la boëte de Pandore ?

R. Jupiter, sous prétexte de faire aussi son présent à Pandore, la fit venir et lui donna une boëte, avec ordre de la porter à Prométhée. Epiméthée, son frère, l’ouvrit, et aussitôt tous les maux de la nature, qui y étoient renfermés, se répandirent sur la terre ; l’espérance resta au fond. Voici ce qu’en du premier dit Rousseau :

D’où peut venir ce mélange adultère
D’adversités dont l’influence altère
Les plus beaux dons de la terre et des cieux ?
L’antiquité nous mit devant les yeux
De ce torrent la source emblématique,
En nous peignant cette femme mystique,
Fille des Dieux, chef-d’œuvre de Vulcain,
A qui le ciel prodiguant par leur main
Tous les présens dont l’Olympe s’honore
Fit mériter le beau nom de Pandore.
L’urne fatale, où les afflictions,
Les durs travaux, les malédictions,
Jusqu’à ce temps des humains ignorées,
Avoient été par les Dieux resserrées,
Pour le malheur des mortels douloureux
Fut confiée à des soins dangereux.
Fatal désir de voir et de connoître !
Elle l’ouvrit, et la terre en vit naître,
Dans un instant, tous les fléaux divers
Qui depuis lors inondent l’univers.
Quelle que soit, ou vraie ou figurée,
De ce revers l’histoire aventurée,
N’en doutons point, la curiosité
Fut le canal de notre adversité.

Junon. §

D. Qu’étoit Junon ?

R. Junon, fille de Saturne et de Rhée, sœur et épouse de Jupiter, étoit la Reine des Dieux, et la Déesse qui présidoit aux royaumes.

On la nommoit Lucine, parce qu’elle présidoit aux accouchemens, et Pronuba, parce qu’elle étoit la Déesse des alliances.

D- Quel caractère attribue-t-on à Junon ?

R. Elle étoit d’une jalousie et d’un orgueil insupportables, impérieuse et vindicative. Sa jalousie parut dans les persécutions qu’elle suscita à toutes les personnes que Jupiter avoit aimées, et aux enfans qu’il en avoit eus, comme Hercule, etc. Les filles de Prétus, parce qu’elles s’étoient vanté d’être plus belles que Junon, furent frappées d’un genre de folie qui leur fit croire qu’elles étoient changées en vaches. On sait encore ce que coûta à la nation Troyenne la préférence que le berger Pâris donna à Vénus au préjudice de cette Déesse. Son caractère altier et impérieux est bien peint dans ces vers de Lamotte :

Moi, l’épouse et la sœur du maître du tonnerre !
Moi, la Reine des Dieux, du Ciel et de la Terre !
Ah ! périsse ma gloire ; et faisons voir à tous,
Que ces Dieux si puissans ne sont rien près de nous.
Qu’ils viennent à mes dons comparer leurs largesses ;
Je veux leur prodiguer mes grandeurs, mes richesses ;
Je veux que mon pouvoir, dans les terrestres lieux,
Soit égal au pouvoir de Junon dans les Cieux.

D. Quel étoit l’oiseau favori de Junon ?

R. C’étoit le Paon. Elle en avoit toujours deux attelés à son char. Argus, à cent yeux, dont cinquante étoient sans cesse ouverts pour voir tout ce qui se passoit, servoit d’espion à cette Déesse. Mercure vint à bout de l’endormir au son de sa flûte, et le tua, comme Jupiter l’en avoit chargé. Alors Junon le métamorphosa en Paon, et répandit les yeux d’Argus sur la queue de cet animal, qu’elle prit sous sa protection.

D. Quel étoit l’emploi d’Iris auprès de Junon ?

R. C’étoit de faire ses messages. Cette Déesse, en récompense de ses bons services, la changea en arc et la plaça au ciel ; c’est ce qu’on appelle l’Arc-en-ciel, et quelquefois l’Iris.

Apollon. §

D. De qui Apollon étoit-il fils ?

R. Apollon étoit fils de Jupiter et de Latone. On le regardoit comme le Dieu de la poésie, de la musique et des arts, et en général de tous les ouvrages d’esprit. Il vint au monde et fut élevé dans l’île de Délos. Cette île étoit flottante et quelquefois enfoncée dans l’eau ; mais Neptune la fit surnager et la rendit stable.

D. Sous quels noms divers Apollon étoit-il connu ?

R. On le nommoit Apollon sur la terre, et Phébus dans le ciel, parce qu’il conduisoit le char du Soleil, qui étoit tiré par quatre chevaux fougueux.

O Dieu de la clarté, vous réglez la mesure
           Des jours, des saisons et des ans ;
C’est vous qui produisez dans les fertiles champs,
           Les fruits, les fleurs et la verdure,
                      Et toute la nature
           N’est riche que de vos présens.
           La nuit, l’horreur et l’épouvante
S’emparent du séjour que vous abandonnez ;
           Tout brille, tout rit, tout enchante
           Dans les lieux où vous revenez.
(Quinault.)

D. Pourquoi Apollon fut-il banni du ciel ?

R. Pour avoir mis à mort les Cyclopes, ministres de la colère de Jupiter. Voici à quelle occasion. Esculape, fils d’Apollon et élève du Centaure Chiron dans la médecine, étoit devenu si habile médecin, qu’il vint à bout de ressusciter le jeune Hyppolite, mis à mort par des monstres marins. Jupiter, indigné qu’un mortel empiétât sur ses droits, foudroya le téméraire médecin. Apollon, qui n’osa s’en prendre à Jupiter, s en vengea sur les Cyclopes qui avaient forgé la foudre.

D. Quelles furent ses aventures pendant son exil ?

R. Il garda les troupeaux d’Admète, roi de Thessalie, ce qui le fit honorer depuis comme Dieu des Bergers. Il eut le malheur de tuer d’un coup de palet le jeune Hyacinthe, qu’il aimoit tendrement. Obligé de fuir à cause de cet accident, il se réfugia à Troye, où Laomédon l’employa à bâtir cette ville. Il y rencontra Neptune disgracié comme lui, et réduit, pour vivre, à faire le métier de maçon. Laomédon les ayant frustrés de leur salaire, ils s’en vengèrent, Neptune en inondant les travaux, Apollon en ravageant le pays par la peste.

D. Racontez-nous quelque chose des oracles d’Apollon ?

R. Apollon étoit fameux par les oracles qu’il rendoit. Les oracles de Delphes étoient les plus célèbres. La Prêtresse qui les rendoient s’appeloit Pythonisse, parce que le trépied sur lequel elle se tenoit, étoit couvert de la peau du serpent Python, monstre horrible qu’Apollon avoit tué dans son enfance.

D. Qu’est-ce que les Poëtes feignent d’Apollon considéré comme le Soleil ?

R. Ils feignent qu’il est porté dans un char, qui va se coucher dans les eaux tous les soirs, où est Thétis son épouse, et que les Heures viennent tous les matins atteler ses chevaux, afin de recommencer sa course.

D. Le Soleil eut-il des enfans ?

R. Il en eut plusieurs, entr’autres l’Aurore et Phaëton. L’Aurore, selon les Poëtes, ouvre les portes du ciel, et annonce tous les matins le retour de son père.

D. N’avez-vous rien à nous dire de Phaëton ?

R. Les Poëtes représentent Phaëton comme un jeune étourdi et un ambitieux. Il s’avisa de conduire le char du Soleil ; mais il le fit si maladroitement, qu’il pensa embraser le ciel et la terre.

Roi des Dieux, armez-vous ; il n’est plus temps d’attendre,
                        Tout l’Empire qui suit vos lois
Bientôt ne sera plus qu’un vain monceau de cendre ;
Les fleuves vont tarir ; les villes et les bois,
Les monts les plus glacés, tout s’embrase à-la-fois ;
              Les cieux ne peuvent s’en défendre.

D. Jupiter ne punit-il pas Phaëton de sa témérité ?

R. Jupiter le foudroya, et le, précipita dans le Pô ou l’Eridan. Les Héliades, ses sœurs, en eurent tant de douleur, qu’elles en devinrent stupides, et furent changées en peupliers, et leurs larmes en ambre. Cygnus, parent et ami de Phaëton, fut métamorphosé en Cygne.

D. Quel étoit l’oiseau consacré à Apollon ?

R. C’étoit le corbeau, parce que le Corbeau présidoit aux divinations, et que le vol et le chant de cet oiseau servoient souvent de règle aux Augures. La Fable dit que d’abord il avoit le plumage blanc ; mais que ce Dieu le noircit pour le punir d’un rapport indiscret : il lui avoit découvert l’infidélité de Coronis qu’il aimoit. Apollon, dans un premier transport de jalousie, la tua ; il s’en repentit aussitôt, et la changea en Corneille.

D. Comment Apollon étoit- il représenté ?

R. On le représente sous la figure d’un jeune homme, sans barbe, tantôt avec un arc et des flèches, tantôt avec une lyre à la main, sur la tête une couronne de laurier, et sur un char traîné par quatre chevaux, parcourant le zodiaque.

D. Que doit-on savoir d’Apollon considéré comme l’inventeur de la poésie et de la musique ?

R. Apollon, comme Dieu de la poésie, est en même-temps le chef ou le maître des Muses, avec lesquelles il habite le Mont sacré : cette demeure est appelée le Parnasse, l’Hélicon, le Piérus ou le Pinde, parce que toutes ces montagnes sont consacrées à Apollon et aux Muses. Ou l’appelle encore le sacré Vallon. Ce Vallon est arrosé par le Permesse, par les eaux de Castalie, et par l’Hippocrène.

D. Dites-nous un mot du cheval Pégase.

R. Pégase est un cheval ailé, qui naquit du sang de Méduse, lorsque Persée coupa la tête à cette Gorgonne. On imagine que Pégase est la monture des bons Poëtes. On dit encore que c’est Pégase qui, d’un coup de pied, fit jaillir les eaux de l’Hippocrène.

D. Racontez-nous l’histoire de Daphné.

R. Daphné étoit fille du fleuve Pénée. Elle étoit aimée d’Apollon, qui la métamorphosa en laurier, un jour qu’elle fuyoit ses poursuites. Ce Dieu s’en fit une couronne, et voulut que le laurier lui fût consacré. Il servit de prix aux talens, et fut la récompense des Poëtes.

Aux plus savans auteurs, comme aux plus grands guerriers,
Apollon ne promet qu’un nom et des lauriers.
(Boileau.)

Apollon écorcha vif le satyre Marsyas, qui osa le défier, et prétendit chanter mieux que lui. Il donna aussi des oreilles d’âne à Midas, roi de Phrygie, qui avoit décidé en faveur de Marsyas.

Les Muses. §

D. Quelles étoient les neuf Muses ?

R. Leurs noms sont Calliope, Clio, Erato, Melpomène, Thalie, Terpsicore, Euterpe, Polymnie et Uranie. Elles étoient filles de Jupiter et de Mnémosyne. Elles présidoient aux arts et aux sciences.

D. A quoi chacune d’elles préside-t-elle particulièrement ?

R. Calliope préside à l’éloquence et au poëme héroïque ; Clio, à l’histoire ; Erato, aux poésies amoureuses ; Melpomène, à la tragédie ; Thalie, à la comédie ; Terpsicore, à la danse ; Euterpe, aux instrumens ; Polymnie, à l’ode ; Uranie, à l’astronomie.

Perrault a heureusement exprimé les différens emplois des Muses dans les vers suivans :

La noble Calliope, en ses vers sérieux,
Célèbre les hauts faits des vaillans demi-Dieux.

L’équitable Clio, qui prend soin de l’histoire,
Des illustres mortels éternise la gloire.

L’amoureuse Erato, d’un plus simple discours,
Conte des jeunes gens les diverses amours.

La gaillarde Thalie, incessamment folâtre,
Et de propos bouffons réjouit le théâtre.

La grave Melpomène en la scène fait voir
Des Rois qui de la mort éprouvent le pouvoir.

L’agile Terpsicore aime sur-tout la danse,
Et se plaît d’en régler les pas et la cadence.

Euterpe la rustique, à l’ombre des ormeaux,
Fait retentir les bois de ses doux chalumeaux.

La docte Polymnie, en l’ardeur qui l’inspire,
De cent sujets divers fait résonner sa lyre.

Et la sage Uranie élève dans les cieux
De ses pensers divers le vol audacieux.

Diane. §

D. Sous combien de rapports peut-on considérer Diane ?

R. Diane, sœur d’Apollon, fille de Jupiter et de Latone, est considérée par les Poëtes sous trois rapports différens ; ce qui lui a fait donner le nom de Triple Hécate. On l’appelle la Lune ou Phébé dans le ciel ; Diane sur la terre ; Hécate dans les enfers. Les trois fonctions qui lui sont propres, se trouvent bien détaillées dans ces vers :

Brillant astre des nuits2, vous réparez l’absence
        Du Dieu qui nous donne le jour ;
        Votre char, lorsqu’il fait son tour,
Impose à l’univers un auguste silence,
Et tous les feux du ciel composent votre cour.
En descendant des cieux, vous venez sur la terre
        Régner dans les vastes forêts3 ;
Votre noble loisir sait imiter la guerre.
Les monstres, dans vos jeux, succombent sous vos traits.
Jusques dans les enfers votre pouvoir éclate4 ;
Les Mânes en tremblant écoutent votre voix.
        Au redoutable nom d’Hécate,
Le sévère Pluton rompt lui-même ses lois.
(Fontenelle.)

D. Comment Diane étoit-elle considérée sur la terre ?

R. Elle étoit considérée comme la Déesse des chasseurs. Elle habitoit les bois et les forêts avec une troupe de Nymphes qu’elle occupoit toujours à la chasse. On l’appelle la chaste Diane, parce qu’elle ne voulut jamais se marier. Elle avoit même tant de pudeur, qu’elle changea en cerf le chasseur Actéon qui avoit eu la témérité de la regarder dans le bain. On dit cependant qu’elle aima le berger Endymion ; mais alors elle est regardée comme Divinité céleste ?

D. Comment la représente-t-on ?

R. On la représente chaussée d’un cothurne, tenant un arc d’une main, et de l’autre une flèche ; elle porte un carquois sur l’épaule, et un croissant sur le front. Quelquefois on la peint dans un char traîné par des biches.

Bacchus. §

D. Qui étoit Bacchus ?

R. Bacchus étoit fils de Jupiter et de Sémélé.

D. Comment vint-il au monde ?

R. Les Poëtes le font naître de la cuisse de Jupiter. Voici à quelle occasion. Junon, ennemie déclarée de ses rivales, prit la figure de Béroé, nourrice de Sémélé ; vint trouver celle-ci, lui conseilla de demander à Jupiter de se faire voir à elle dans toute sa gloire, c’est-à-dire, la foudre à la main. Jupiter se rendit avec peine à sa demande. Ayant paru devant elle dans tout son éclat, elle fut réduite en cendres sur-le-champ par le feu du tonnerre. Mais Jupiter, pour sauver le petit Bacchus dont elle étoit enceinte, l’enferma dans sa cuisse, d’où il sortit au temps marqué pour sa naissance. Un Poëte fait parler ainsi Junon :

Exigez qu’aux Thébains lui-même il vienne apprendre
                        Un choix pour vous si glorieux ;
Qu’armé de son tonnerre il se montre à vos yeux ;
                        Que par le Styx il jure de descendre
Avec tout l’appareil du souverain des Dieux,
Tel qu’aux yeux de Junon il paroît dans les cieux.
(Lamotte.)

D. Par qui fut-il élevé ?

R. Le vieux Silène prit soin de son éducation sur le mont Nysa. Il le suivit aussi à la conquête des Indes, monté sur un âne.

D. Que fit Bacchus devenu grand ?

R. Il parcourut toute la terre, et fit la conquête des Indes. On le regarde même comme le plus puissant des Dieux après Jupiter ; il en étoit au moins le plus courageux. Il fut le seul qui osa rester dans le ciel pendant la guerre des géans : il s’étoit changé en lion, pour les combattre. Voici ce qu’en dit Rousseau dans les vers suivans ;

C’est lui qui, des Fils de la Terre
Châtiant la rebellion,
Sous la forme d’un fier lion,
Vengea le Maître du tonnerre
Et par lui les os de Rhécus
Furent brisés comme le verre
Aux yeux de ses frères vaincus.

D. Que dit-on encore de Bacchus ?

R. Bacchus, après la conquête des Indes, revint en Egypte, où il enseigna aux hommes l’agriculture, planta la vigne, et inventa la vendange. Un Poëte célèbre s’en exprime ainsi :

Prends part à la juste louange
De ce Dieu si cher aux guerriers,
Qui, couvert de mille lauriers
Moissonnés jusqu’aux bords du Gange,
A trouvé mille fois plus grand
D’être le Dieu de la vendange,
Que de n’être qu’un conquérant.
(Rousseau.)

D. Comment représente-t-on Bacchus ?

R. On le peint sous la figure d’un jeune homme avec un teint vermeil et un visage réjoui, comme il convient au Dieu de la vendange. Il est assis sur un tonneau avec une coupe à la main, ou sur un char traîné par des tygres, des lynx ou des panthères, et tenant à la main un thyrse, qui est une baguette entourée de pampres, de lierre, et surmontée d’une pomme de pin.

D. Comment célébroit-on les Fêtes de Bacchus ?

R. Elles se célébraient en automne avec une licence qui alloit jusqu’à la fureur. Ces Prêtresses, appelées Bacchantes, couraient alors sur les montagnes, et mettoient en pièces tous les hommes qu’elles rencontroient. Ces Fêtes s’appeloient Orgies (fureur) ou Bacchanales.

Les paysans de l’Attique les célébroient en sautant, un pied en l’air, sur des peaux enflées en forme de ballons et frottées d’huile. Ceux qui se laissoient tomber, faisoient l’amusement de toute l’assemblée.

On immoloit à Bacchus une pie, parce que le vin fait parler avec indiscrétion ; ou un bouc, parce que cet animal détruit les bourgeons de la vigne.

Il punit sévèrement Penthée qui vouloit s’opposer à ces solennités, et changea en chauve-souris les filles de Minée, qui travailloient à la tapisserie le jour destiné à ces Fêtes.

Mercure. §

D. Qu’étoit Mercure ?

R. Mercure, fils de Jupiter et de Maïa, étoit l’interprète et le messager des Dieux, mais sur-tout de Jupiter. Il avoit des ailes à la tête et aux pieds, afin qu’il put exécuter plus promptement leurs ordres. Il gouvernoit aussi les affaires qui regardoient la paix et la guerre ; enfin il conduisoit les ames dans les enfers, et avoit le pouvoir de les en retirer. Lamotte lui adresse ainsi la parole :

Toi qui d’une ardeur empressée,
Sers le Maître de l’Univers,
Prends tes ailes, ton caducée,
Vole, et va t’ouvrir les enfers.
Cherche l’ombre de Roquelaure ;
D’un ami qui le pleure encore,
C’étoit la plus chère moitié ;
Va, ce seul espoir me soulage ;
Va lui porter le tendre hommage
Que lui rend ma triste amitié.

D. Mercure n’avoit-il pas encore d’autres qualités ?

R. Mercure étoit encore honoré comme le Dieu de l’éloquence, du commerce et des voleurs.

Chargé d’entendre les harangues et d’y répondre, il s’en acquittoit avec toutes les grâces de l’élocution la plus brillante et la plus fleurie ; c’est pourquoi on le représente quelquefois avec des chaînes d’or qui lui sortent de la bouche, et par lesquelles il semble tenir ses auditeurs enchaînés.

On le regardoit comme le Dieu du commerce, parce qu’il inventa les poids, les mesures, et ce qui fait la science du négociant. Son nom seul semble l’indiquer ; il vient du mot latin Mercatura, qui signifie Commerce.

Il étoit le Dieu des voleurs, parce qu’il aidoit à voler, et qu’il avoit donné en ce genre des preuves de ton talent. Il enleva dans le même instant les troupeaux, les armes et la lyre d’Apollon, qui étoit alors au service au roi Admette.

D. Comment représente-on Mercure ?

R. Mercure est ordinairement représenté habillé en coureur, avec des ailes à la tête et aux talons. Il porte à la main un caducée ; c’étoit une baguette où étoient deux serpens entrelacés : elle étoit le symbole de la paix et de l’union.

Vénus. §

D. Que nous disent les Poëtes sur la naissance de Vénus ?

R. Les uns la disent fille du Ciel et de la Terre, les autres de Jupiter et de Dioné : la plupart prétendent qu’elle est sortie de l’écume de la mer. On la nomme encore Cypris ; elle est la Déesse de la beauté. Les Heures, sitôt sa naissance, l’enlevèrent dans le ciel ; les Dieux la trouvèrent si belle, qu’ils la nommèrent Déesse de l’Amour. Jupiter, pour récompenser Vulcain des services qu’il lui avoit rendus, lui fit épouser Vénus.

D. Dites-nous quelques mots de la ceinture de cette Déesse ?

R. Cette ceinture étoit le plus bel ornement de Vénus. Elle renfermoit tous les attraits, tous les agrémens, et tout ce que les grâces ont de plus séduisant. Homère en fait une magnifique description. (Iliad. l. 44).

D. En quels lieux Vénus étoit-elle particulièrement adorée ?

R. Elle avoit des temples dans tous les pays du monde ; les plus beaux et les plus célèbres étoient à Amathonte, à Lesbos, à Paphos, à Gnide et à Cythère. L’île de Chypre lui étoit particulièrement consacrée. Le culte qu’on lui rendoit étoit un composé de jeux, de chants, de danses, de débauches infâmes. La rose, le myrthe et la colombe lui étoient consacrés. Les femmes étoient dans l’usage de lui offrir leur chevelure. Delà l’histoire de la chevelure de Bérénice changée en étoile, et placée au ciel.

D. Quels furent les enfans de Vénus ?

R. Les Poëtes en comptent un grand nombre, mais on nomme particulièrement Cupidon ou l’Amour, et les Grâces. On dit encore du premier qu’elle est la mère des Ris, des Jeux et des Plaisirs, qu’on représente sous la forme de Génies ou de petits Enfans ailés.

D. Comment représente-t-on Cupidon ?

R. On le peint sous la figure d’un enfant, avec un sourire malin, et un bandeau sur les yeux. Il tient un arc à la main et quelquefois un flambeau. Il porte des ailes, et un carquois rempli de flèches ardentes.

Le culte qu’on lui rend lui est commun avec sa mère.

Dans une obscurité profonde,
Je porte au hasard mon flambeau :
Otez à l’Amour son bandeau,
Vous rendez le repos au monde.
(Rousseau.)

D. Dites-nous le nombre des Grâces, et leurs noms ?

R. Elles sont trois, et se nomment Aglaé, Thalie et Euphrosine. Elles sont les compagnes inséparables de Vénus. Elles suivent aussi assez ordinairement la cour des Muses.

D. Comment Venus est-elle représentée ?

R. On la peint traînée par des colombes, par des cygnes ou par des moineaux ; on place à côté d’elle son fils Cupidon.

D. Expliquez-nous ce que c’est que le saut de Leucade ?

R. Il y avoit en Leucadie un lieu fort élevé, d’où on se jetoit dans la mer, pour trouver un remède à l’amour ; mais on ne se faisoit aucun mal. Sapho, poète pleine de grâces, fit ce fameux saut.

Vulcain. §

D. Qui étoit Vulcain ?

R. Il étoit le fils de Junon et de Jupiter, qui le précipita du ciel à cause de sa difformité. Il se cassa la jambe en tombant, et demeura boiteux. Pour l’en consoler, son père lui donna l’intendance de ses foudres.

        C’est Vulcain qui fait le tonnerre,
Dont le maître des cieux épouvante la terre.
(Lamotte.)

On le regardoit comme le Dieu du feu ; il avoit sous ses ordres du premier les Cyclopes, géans qui n’avoient qu’un œil au milieu du front.

D. Où étoient les forges de Vulcain ?

R. Les forges de Vulcain étoient dans les îles de Lemnos, de Lypare, et dans le mont Etna. Voici ce qu’en dit Rousseau dans les vers suivans :

Dans ces antres fameux, où Vulcain nuit et jour
Forge de Jupiter les foudroyantes armes,
Vénus faisoit remplir le carquois de l’Amour,
        Les Grâces lui prêtoient des charmes ;
Et son époux, couvert de feux étincelans,
Animoit en ces mots les Cyclopes brûlans :
        Que l’airain écume et bouillonne ;
        Que mille dards en soient formés ;
        Que, sous nos marteaux enflammés,
        A grand bruit l’enclume résonne.

D. Comment peint-on Vulcain ?

R. On représente Vulcain sous un air hideux et difforme, avec les yeux et le visage enflammés, et tenant un marteau à la main.

Minerve. §

D. Comment les Poëtes font-ils naître Minerve ?

R. Minerve, ou Pallas, sortit du cerveau de Jupiter, armée de pied en cap. Pour la mettre au monde, ce Dieu se fit donner un coup de hache sur la tête par Vulcain. On distingue cette Déesse sous deux rapports ou comme la Déesse de la guerre, et alors on lui donne le nom de Pallas ; ou comme la Déesse de la sagesse et des beaux-arts, et on l’appelle Minerve :

                O Minerve savante !
                O guerrière Pallas !
        Que, par votre faveur puissante,
        Une félicité charmante
Nous offre, chaque jour, mille nouveaux appas
        Animez nos cœurs et nos bras,
        Rendez la victoire constante,
                Conduisez nos soldats ;
                Par-tout, devant leurs pas,
        Jetez le trouble et l’épouvante.
(Quinault.)

D. Quel fut le différent de Minerve avec Neptune ?

R. Neptune et Minerve se disputoient l’honneur de donner un nom à la capitale de la Grèce que Cécrops venoit de bâtir. Les Dieux assemblés se décidèrent en faveur de la Divinité qui produiroit la chose la plus belle et la plus utile. Minerve, d’un coup de lance, fit sortir de terre un olivier tout fleuri ; Neptune, d’un coup de son trident, fit naître un beau cheval. Minerve l’emporta, et donna le nom d’Athènes à cette ville, qui devint dans la suite si célèbre.

D. Comment considéroit-on Minerve sous le nom de Pallas ou de Bellone ?

R. Elle étoit considérée comme la Déesse de la guerre et des combats.

A leurs légions indomptables,
Bellone inspire la fureur :
Le bruit, l’épouvante et l’horreur
Devancent leurs flots redoutables ;
Et la mort remet dans leurs mains
Ces tonnerres épouvantables
Dont elle écrase les humains.
(Rousseau.)

D. Comment représente-t-on cette Déesse ?

R. On la représente armée d’une cuirasse, avec un casque sur la tête, une lance à la main, l’égide au bras, et auprès d’elle un hibou.

D. Dites-nous quelque chose de l’égide de Minerve ?

R. L’égide étoit un bouclier couvert de la peau d’un monstre de ce nom qui vomissoit feu et flammes, que Minerve tua. Pour le rendre plus effroyable, elle y attacha la tête de Méduse, l’une des trois Gorgones.

D. Quels étoient les objets consacrés à Minerve ?

R. Le hibou et l’olivier ; le hibou est le symbole de la prudence et de la sagesse ; et l’olivier celui de la paix.

Mars. §

D. De qui Mars étoit-il fils ?

R. Jupiter avoit donné seul la naissance à Pallas ; Junon de même donna seule le jour à Mars. C’étoit le Dieu de la guerre.

Le caractère de ce Dieu est bien rendu dans ces vers que Rousseau met dans la bouche de Jupiter.

Tigre, à qui la pitié ne peut se faire entendre,
Tu n’aimes que le meurtre et les embrasemens ;
Les remparts abattus, les palais mis en cendre,
Sont de ta cruauté les plus doux monumens.

La frayeur et la mort vont sans cesse à ta suite,
Monstre nourri de sang, cœur abreuvé de fiel,
Plus digne de régner sur les bords du Cocyte,
Que de tenir ta place entre les Dieux du ciel !

De la Noue achève de le faire connoître :

   Ce Dieu terrible, environné d’éclairs,
   Brise, en passant, les sceptres, les couronnes,
   Frappe les Rois écrasés sous leurs trônes,
   Lance la foudre, ébranle l’univers,
Et fait trembler Pluton, en peuplant les enfers.

D. Comment représente-t-on le Dieu Mars ?

R. On le représente toujours armé de pied en cap, et un coq auprès de lui. Cet animal lui étoit consacré, pour figurer la vigilance qu’exige le métier de la guerre. On dit qu’il eut de Rhéa-Sylvia, fille de Numitor, Romulus et Rémus, qui furent les fondateurs de la ville de Rome.

D, Comment appeloit-on les Prêtres de Mars ï

R. On les appeloit Saliens, parce qu’ils célébroient leurs fêtes en dansant et sautant dans les rues. Numa en institua douze, auxquels il donna de petits boucliers, appelés Ancilles.

Neptune, et autres divinités des eaux. §

Neptune. §

D. Qu’étoit Neptune ?

R. Neptune, fils de Saturne et de Cybèle, avoit l’empire des Eaux, et fut appelé le Dieu de la Mer.

Amphitrite. §

D. Quelle fut l’épouse de Neptune ?

R. Neptune épousa Amphitrite ; il eut de ce mariage l’Océan, les Tritons et les Harpies.

L’Océan. — Thétys. §

D. Qui étoit l’Océan ?

R. L’Océan étoit regardé comme le père des Fleuves, des Rivières des Fontaines. Il épousa Thétys, dont il eut Nérée et Doris qui se marièrent ensemble, et eurent un grand nombre de filles, connues sous le nom de Nymphes.

Nymphes. §

D. Quels sont les noms de ces Nymphes ?

R. Elles portent différens Noms selon la différence de leurs emplois.

Les Néréides sont les Nymphes de la mer ;

Les Naïades, celles des fleuves, des rivières et des fontaines ;

Les Dryades, celles des campagnes ;

Les Hamadryades sont les Nymphes des forêts ; les Napées, celles des bocages et des prairies ; et les Oréades, celles des montagnes.

Tritons. §

D. Que dites-vous des Tritons ?

R. Les Tritons avoient la partie supérieure du corps semblable à l’homme ; et le reste, depuis la ceinture, ressembloit à un poisson. Ils composoient la cour de Neptune, et l’accompagnoient toujours, en sonnant d’une conque marine, qui leur servoit de trompette. On les représente sur un dauphin, un cornet marin à la bouche.

Harpies. §

D. Qu’étoient les Harpies ?

R. Les Harpies étoient des monstres qui avoient une tête de femme, des oreilles d’ours, le corps d’un vautour, des ailes de chauve-souris, et des griffes aux pieds et aux mains. Elles infectoient tout ce qu’elles, touchoient.

Prothée. §

D. Qu’étoit Prothée ?

R. Il étoit aussi fils de l’Océan, et conduisoit les troupeaux de Neptune. Il connoissoit l’avenir, mais il ne l’expliquoit jamais que par force. Quand on vouloit l’y contraindre, il se changeoit en eau, en feu, en bête féroce, etc.

Tel que le vieux pasteur des troupeaux de Neptune,
Prothée, à qui le Ciel, père de la fortune,
              Ne cache aucuns secrets,
Sous diverse figure, arbre, flamme et fontaine,
S’efforce d’échapper à la vue incertaine
              Des mortels indiscrets.
(Rousseau.)

D. Les Poëtes ne nomment-ils pas encore quelques autres Divinités maritimes ?

R. Ils parlent encore de plusieurs, entr’autres d’Eole et des Styrènes ?

Eole. §

D. Qu’étoit Éole ?

R. Eole, fils de Jupiter, étoit le Dieu des Vents, qu’il tenoit enchaînés dans le creux d’un rocher et qu’il gouvernoit à son gré.

Qu’Éole en ses gouffres enchaîne
Les Vents ennemis des beaux jours ;
Qu’il dompte leur bruyante haleine,
Et ne permette qu’aux Amours
De voler sur l’humide plaine.
(Rousseau.)

On le représente avec un sceptre de fer à la main, assis ou appuyé du premier sur un rocher, d’où les Vents cherchent à s’échapper.

Les Vents sont représentés sous la figure de jeunes enfans ailés.

Syrènes. §

D. Que sont les Syrènes ?

R. Les Syrènes, filles de l’Océan Arènes et d’Amphitrite, étoient des monstres, moitié femmes et moitié poissons, qui, par la douceur de leurs chants, attiraient les voyageurs pour les dévorer.

Nos chants harmonieux forcent tout à se rendre,
   Nous disposons des cœurs à notre gré ;
   Dès que nos voix se font entendre,
   Notre triomphe est assuré.
(Fontenelle.)

D. Dites-nous comment Ulysse évita leurs piéges ?

R. Il se fit attacher au mât de son vaisseau, et boucha les oreilles de ses compagnons. Par ce moyen, il entendit impunément la voix enchanteresse des Syrènes. Celles-ci, désespérées, se précipitèrent dans la mer, et furent changées en rochers.

D. Comment représente-t-on Neptune ?

R. On le représente ordinairement sur un char en forme de coquille, et traîné par des chevaux marins, qui le font voler sur la surface des eaux. Il a pour sceptre un trident, et pour gardes des Tritons. Amphitrite est représentée dans le même appareil ; mais elle n’a ni sceptre ni trident.

Pluton, et autres divinités des Enfers. §

Pluton. §

D. Qu’étoit Pluton ?

R. Pluton, fils de Saturne et de Cybèle, régnoit dans les Enfers. Ce Dieu étoit si laid, qu’il ne pouvoit trouver de Déesse qui voulût l’épouser. Il enleva Proserpine, fille de Cérès, un jour qu’elle s’amusoit à cueillir des fleurs dans les campagnes de Sicile. Les cris et les plaintes de la Déesse le trouvèrent inflexible.

Cybèle. §
O mes compagnes ! ô ma mère !
O vous, maître des cieux, mon père !…
Cris impuissans et vains regrets !
Au char la terre ouvre une voie,
Et déjà le Styx voit la proie
Que Pluton enlève à Cérès.
(Lamotte.)

D. Comment représente-t-on Pluton ?

R. Pluton est représenté sur un char tiré par des chevaux noirs, portant une couronne d’ébène sur la tête, et des clefs à la main. Son royaume est communément appelé le royaume des Ombres et des Morts.

Juges des Enfers. §

D. Donnez-nous une idée du gouvernement des Enfers ?

R. On y comptoit trois Juges, Minos, Eaque et Rhadamante : Mercure conduisoit les Ames devant leur Tribunal. L’Élisée étoit le séjour des hommes vertueux, et le Ténare ou le Tartare, le lieu destiné au supplice des scélérats.

Qu’entends-je ? le Tartare s’ouvre ;
Quels cris ! quels douloureux accens !
A mes yeux la flamme y découvre
Mille supplices renaissans.
(Lamotte.)
Furies. §

D. Qu’étoient les Furies ?

R. Elles étoient filles de la Nuit et de l’Achéron, connues aussi sous le nom d’Euménides. Elles étoient trois et se nommoient Thisiphone, Mégère et Alecto. Elles châtioient avec des serpens et des flambeaux ardens ceux qui avoient mal vécu. On les représente coëffées de couleuvres.

Parques. §

D. Qu’étoient les Parques ?

R. Les Parques, quelquefois appelées les Sœurs filandières, étoient trois, Clotho, Lachesis et Atropos ; elles filoient la vie des hommes. La première tenoit la quenouille, la seconde tournent le fuseau, et la troisième coupoit le fil avec des ciseaux. On dit qu’elles employoient de la laine blanche mêlée d’or et de soie, pour exprimer les jours heureux, et de la laine noire, pour exprimer les jours malheureux.

Les Parques d’une même soie,
Ne dévident pas tous nos jours.
(Malherbe.)
Fleuves des Enfers. §

D. Comment nomme-t-on les fleuves des Enfers ?

R. Ce sont l’Achéron, le Cocyte, le Phlégéton et le Léthé.

Fleuves affreux, qui par vos noirs torrens,
Défendez le retour des royaumes funèbres ;
Par les Mânes plaintifs sur vos rives errans,
      Par vos éternelles ténèbres,
Par les sermens des Dieux, dont vous êtes garans,
      Écoutez-nous, Dieux redoutables ;
Que nos vœux, que nos cris, vous trouvent favorables !
(Lamotte.)

Les eaux de l’Achéron sont bourbeuses et amères.

Le Styx faisoit sept fois le tour des Enfers ; c’étoit par ce fleuve que juroient les Dieux, et s’ils se parjuroient, ils étoient privés de la Divinité pendant cent ans.

Le Cocythe ne grossissoit que des larmes des méchans.

Le Phlégéton ne rouloit que des flammes liquides.

Le Léthé étoit appelé le Fleuve d’oubli, parce que ses eaux faisoient oublier le passé.

Caron. §

D. Qu’étoit Caron ?

R. Caron étoit le Nautonnier des Enfers. Son office étoit de passer les Ames dans une barque pour une pièce de monnoie : de-là vient que les Grecs et les Romains mettoient une obole dans la bouche de leurs morts. Les corps privés de sépulture erroient cent ans sur le rivage, sans pouvoir obtenir le passage des Enfers.

Cerbère. §

D. Dites-nous ce qu’étoit Cerbère ?

R. Cerbère étoit un chien à trois têtes ; il gardoit la porte des Enfers et du Palais de Pluton ; il caressoit tous ceux qui entroient, et dévoroit ceux qui vouloient sortir, ou qui se présentoient pour entrer avant leur mort. Hercule l’enchaîna ; la Sibylle, qui conduisit Enée aux Enfers, l’endormit avec un gâteau ; Orphée, lorsqu’il alla redemander à Pluton son épouse Euridice, l’endormit au son de sa lyre :

A mes pieds s’abaisse Cerbère ;
J’ai calmé sa rage ordinaire ;
Ses regards ne menacent plus ;
Ses oreilles sont attentives,
Et de ses trois gueules oisives
Les hurlemens sont suspendus.
(Lamotte.)

D. Nommez-nous quelques-uns des fameux scélérats que la Fable place dans les Enfers.

R. Elle nomme sur-tout Sisyphe, ordre. Tantale, Typhon, les Danaïdes, les Titans, etc.

Autour d’une tonne percée
Se lassent ces nombreuses sœurs,
Qui, sur les frères de Lyncée,
Vengèrent de folles terreurs.
Sur cette montagne glissante,
Élevant sa roche roulante,
Sisyphe gémit sans secours ;
Et plus loin, cette onde fatale
Insulte à la soif de Tantale,
L’irrite et la trahit toujours.
(Lamotte.)
Sisyphe. §

D. Quel a été le crime de Sisyphe ?

R. Sisyphe, fils d’Eole, avoit infesté la Grèce par ses brigandages ; il fut condamné à rouler au haut d’une montagne escarpée un rocher qui retomboit sans cesse.

Tantale. §

D. De quel crime Tantale s’étoit-il rendu coupable ?

R. Tantale voulant éprouver les Dieux, leur avoit servi les membres de son fils Pélops. Il étoit plongé dans l’eau jusqu’au menton, et une branche chargée de fruits exquis paroissoit auprès de sa bouche. Ce scélérat, condamné à une faim et à une soif éternelle, voyoit l’eau se retirer quand il vouloit boire, et la branche d’arbre se redresser dès qu’il croyoit s’en approcher.

Danaïdes. §

D. Quel fut le crime des Danaïdes ?

R. Les Danaïdes, filles de Danaüs, étoient cinquante. Elles épousèrent les cinquante fils d’Egyptus leur oncle. Danaüs avoient appris de l’Oracle que ses gendres le détrôneroient. Il ordonna à ses filles d’égorger leurs maris la première nuit de leurs noces. Hypermnestre fut la seule qui refusa d’obéir.

      Chante cette épouse empressée,
      Dont Minos condamna les sœurs,
Qui, saintement parjure, osa sauver Lyncée,
      De leurs parricides fureurs.
(Lamotte.)

Les coupables furent condamnées à remplir d’eau un tonneau percé.

Titans. §

D. Dites-nous quelque chose des Titans ?

R. On sait qu’ils voulurent escalader le Ciel pour détrôner Jupiter. Ils furent précipités dans les Enfers, et accablés sous le mont Etna, qu’on prétend être un soupirail de l’Enfer. On avance que les tremblemens de terre ne sont autre chose que les mouvemens qu’ils font pour s’agiter, et que les éruptions du mont Etna sont les soupirs et les mouvemens d’indignation de Encelade l’un d’eux.

Encelade. §
Encelade, malgré son air rébarbatif,
Dessous le mont Etna fut enterré tout vif.
      Là, chaque fois qu’il éternue,
      Un volcan embrase les airs ;
      Et quand par malheur il remue,
      Il met la Sicile à l’envers.
Plutus. §

D. Plutus est-il le même que Pluton ?

R. Les Poëtes les confondent assez ordinairement. Mars Plutus doit être considéré particulièrement comme le Dieu des richesses ; il est le Ministre de Pluton. Il préside aux mines d’or et d’argent, et distribue les richesses à son gré. On le représente tantôt boiteux, tantôt aveugle, et tantôt faisant un usage éclairé de ses dons :

   Aimable Dieu, de qui la main dispense
      Ce qui rend les mortels heureux,
         Votre vaste puissance
      Réunit pour vous tous les vœux :
   En vous cherchant, la peine devient chère ;
On se fait de vous voir le plus charmant plaisir.
      Le bonheur même de vous plaire
      En irrite encor le désir.
(Lamotte.)

Seconde partie de la Fable.
Des Dieux du second ordre. §

La Terre avoit ses Dieux, ainsi que le Ciel, la Mer et les Enfers. Leur nombre est si prodigieux, qu’il seroit difficile de les placer avec assez de méthode pour en donner une idée nette et précise. Nous les distinguerons en Divinités terrestres, champêtres et domestiques.

Divinités terrestres. §

Cérès. §

D. Qu’étoit Cérès ?

R. Cérès, fille de Saturne et de Cybèle, présidoit aux moissons ; elle avoit enseigné aux hommes l’agriculture.

      Par mes soins, les champs de Cybèle
De fruits et de moissons viennent d’être couverts ;
De mes dons précieux la richesse nouvelle
Brille par mes travaux en cent climats divers ;
Et, quand de tant de biens j’ai comblé l’univers,
Les Dieux percent mon cœur d’une douleur mortelle.
(Quinault.)

D. Comment représente-t-on Cérès ?

R. On la représente couronnée d’épis, tenant d’une main une faucille, et de l’autre une poignée d’épis mêlée de pavots.

D. Comment nommoit-on ses Fêtes ?

R. On les nommoit Eleusines, du nom de la ville d’Eleuse, où elles commencèrent. Elles eurent aussi le nom de Thesmophories, du mot Thesmophore ou Législatrice, parce qu’elle avait donné des lois aux Athéniens. Enfin, on appela ces Fêtes Ambarvalies, mot qui signifie faire le tour, parce que dans ces Fêtes on faisoit des processions autour des champs.

Palès. §

D. Qu’étoit Palès ?

R.  Palés étoit la Déesse des pâturages, des bergers et des troupeaux.

Pomone. §

D. Qu’étoit Pomone ?

R. Pomone présidoit aux fruits. Elle étoit l’épouse de Vertumne, Dieu de l’Automne.

Flore. §

D. Qu’étoit Flore ?

R. Flore étoit la Déesse des fleurs et du Printemps. Elle avoit épousé Zéphire.

D. Comment la représente-t-on ?

R. On la représente ornée de guirlandes, et portant une corbeille de fleurs. Ses Fêtes s’appeloient les Jeux floraux. Elles étoient célébrées par des femmes qui couroient et dansoient un jour et une nuit au son des trompettes.

Priape. §

D. Qu’étoit Priape ?

R. Priape, fils de Vénus et de Bacchus, étoit le Dieu des Jardins. On le représente avec la barbe et la chevelure fort négligées, et une faucille à la main.

Tous les ans, d’un lait pur une coupe t’est due,
Priape ; c’est assez pour un Dieu tel que toi :
Si mon troupeau s’accroît, j’ornerai ta statue,
Et dans tous nos jardins nous chérirons ta loi.
(Gresset.)
Comus. §

D. Qu’étoit Comus ?

R. Comus étoit le Dieu des festins, et présidoit aux fêtes et aux parures. On le représente avec un chapeau de fleurs, et portant un flambeau.

Momus. §

D. Qu’étoit Momus ?

R- Momus, fils du Sommeil et de la Nuit, étoit le Dieu de la raillerie et du badinage. On le représente avec les attributs propres à son caractère satyrique et bouffon : il démasque un visage, et tient une marotte à la main.

La Nuit. §

D. La nuit n’est-elle pas considérée comme une Divinité de la terre ?

R. Oui, elle est la Déesse des ténèbres, et fille du Ciel et de la Terre. On la représente en long habit de deuil, parsemée d’étoiles. Elle épousa l’Erèbe, dont elle eut Morphée.

Morphée. §

D. Qu’étoit Morphée ?

R ; Morphée, fils de l’Erèbe et de la Nuit, étoit le Dieu du sommeil ; il endormoit les hommes avec une plante de pavots ; il présidoit aux songes. Les Poëtes imaginèrent que les Songes passoient par deux portes, l’une de corne, et l’autre d’ivoire. Celle-ci étoit destinée aux visions véritables. Celle-là donnoit passage aux vaines illusions.

Harpocrate. §

Q. Comment nomme-t-on le Dieu du silence ?

R. On le nomme Harpocrate ; c’est une Divinité allégorique, représentée sous la figure d’un homme ou d’une femme qui tient un doigt sur la bouche.

Thémis. §

D. Qu’étoit Thémis ?

R. Thémis, fille du Ciel et de la Thémis. Terre, est la Déesse de la Justice. On la représente avec un bandeau sur les yeux, tenant une balance d’une main, et de l’autre une épée.

Je vois une auguste Déesse,
De qui la droite vengeresse
Fait briller un glaive tranchant ;
Dans sa gauche est une balance
Que ni fraude, ni violence
Ne forcent au moindre penchant.

C’est Thémis ; oui, c’est elle-même :
Orné de l’éclat le plus beau,
Son front porte le diadême
Que l’erreur prend pour un bandeau.
(Lamotte.)
La Paix. §

D. La Paix n’étoit-elle pas aussi une Divinité allégorique ?

R. Oui ; on faisoit descendre la Paix de Jupiter et de Thémis : elle porte souvent le nom d’Astrée. On dit qu’elle présidoit à l’Age d’or, et en faisoit tout le bonheur.

Descends du ciel, divine Astrée ;
Ramène-nous ces jours heureux,
Où des mortels seule adorée,
Seule tu comblois tous leurs vœux.
(Lamotte.)

Elle est représentée couronnée de laurier, portant d’une main une petite statue de Plutus, et de l’autre une branche d’olivier.

La Renommée. §

D. Comment peint-on la Renommée, et quelles en sont les fonctions ?

R. La Renommée est chargée d’annoncer à l’Univers toutes les nouvelles bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses. On la représente avec des ailes, et sonnant de la trompette. On prétend qu’elle est toute couverte d’yeux et d’oreilles, et qu’elle a cent bouches. Les Poëtes lui donnent fréquemment le nom de Déesse aux cent voix.

Quelle est cette Déesse énorme,
Ou plutôt ce monstre difforme,
Tout couvert d’oreilles et d’yeux,
Dont la voix ressemble au tonnerre,
Et qui des pieds touchant la terre,
Cache sa tête dans les cieux ?
C’est l’inconstante Renommée
Qui sans cesse les yeux ouverts,
Fait sa revue accoutumée
Dans tous les coins de l’univers.
Toujours vaine, toujours errante,
Et messagère indifférente
Des vérités et de l’erreur,
Sa voix, en merveilles féconde,
Va chez tous les peuples du monde
Semer le bruit et la terreur.
(Rousseau.)
La Fortune. §

D. Dites-nous quelque chose de la Fortune ?

R. On nous peint la Fortune debout, ou assise sur une roue qui tourne sans cesse, et qui est le symbole de son inconstance. Elle est aveugle, et les Poëtes la font l’arbitre souveraine de tous les évènemens humains.

Pourquoi d’une plainte importune
Fatiguer vainement les airs ?
Aux jeux de l’aveugle Fortune
Tout est soumis dans l’univers.
Ainsi de douceurs en supplices
Elle nous promène à son gré.
Le seul remède à ses caprices
C’est de s’y tenir préparé.
(Rousseau.)
Némésis. §

D. Comment nommoit-ou la Déesse de la Vengeance ?

R. Son nom étoit Némésis. On l’appeloit aussi Adrastée. Elle punit ou récompense selon le mérite.

Némésis vous observe, et frémit des blasphêmes
Dont rougit à vos yeux l’aimable Vérité.
N’attirez pas sur vous, trop épris de vous-mêmes,
                  Sa terrible équité.
C’est elle dont les yeux certains, inévitables,
Percent tous les replis de nos cœurs insensés ;
Et nous lui répondons des éloges coupables
                  Qui nous sont adressés.
(Rousseau.)

On la représente avec des ailes, armée de serpens et de torches ardentes, et une couronne sur la tête.

L’Envie §

D. Comment représente-t-on l’Envie ?

R. L’Envie, fille de la Nuit, est représentée sous la figure la plus hideuse, un front ridé, un teint livide, un air sombre et sinistre, des yeux enfoncés, le regard inquiet des vipères au lieu de cheveux, trois serpens d’une main, une hydre de l’autre, et un serpent monstrueux attaché sur son sein, qui la déchire et lui inspire son poison.

Mais que vois-je ! la noire Envie
Agitant ses serpens affreux,
Pour ternir l’éclat de ma vie,
Sort de son antre ténébreux.
L’Avarice lui sert de guide ;
La Malice au souris perfide,
L’imposture aux yeux effrontés,
De l’Enfer filles inflexibles,
Secouant leurs flambeaux horribles,
Marchent sans ordre à ses côtés.
(Rousseau.)
La Discorde. §

D. Dites-nous quelque chose de la Discorde ?

R. La Discorde est encore une Divinité allégorique ; chassée du ciel par Jupiter, elle est sans cesse occupée à semer le trouble et le désordre parmi les hommes. On la représente armée d’un flambeau, d’un serpent et d’un poignard. Elle ne respire que la fureur et les combats.

Ce monstre impérieux, sanguinaire, inflexible ;
De ses propres sujets est l’ennemi terrible :
Aux malheurs des mortels il borne ses desseins.
Le sang de son parti rougit souvent ses mains.
Il habite en tyran dans les cœurs qu’il déchire,
Et lui-même il punit les forfaits qu’il inspire.
Son haleine en cent lieux répand l’aridité :
Le fruit meurt en naissant de son germe infecté ;
Les épis renversés sur la terre languissent :
Le ciel s’en obscurcit, les astres en pâlissent ;
Et la foudre en éclats qui gronde sous ses pieds,
Semble annoncer la mort aux peuples effrayés.
(Voltaire.)

Divinités champêtres. §

Pan. §

D. Quel Dieu tenoit le premier rang parmi les Divinités champêtres ?

R. C’étoit le Dieu Pan ; il étoit l’inventeur de la flûte, et le Dieu des bergers, des bois et des prairies.

Pan trouva le premier cet art ingénieux
De former sur la flûte un son harmonieux.
Pan règne sur nos bois ; il aime nos prairies ;
C’est le Dieu des bergers et de leurs bergeries.
(Gresset.)

On le représentoit ayant des cornes sur la tête, des pieds de chèvre, la face rubiconde, et tenant en main une espèce de flûte, que les Grecs nommoient Syrinx.

D. Donnez- nous l’origine de l’expression teneur panique ?

R. La voici, selon que quelques-uns la racontent : Brennus s’étant avancé à la tête des Gaulois, pour piller le fameux Temple de Delphes, Pan jeta l’épouvante dans cette armée qui fut taillée en pièces. De là vient l’expression de terreur panique, pour signifier une frayeur peu motivée.

Les Satyres. — Faune. — Sylvain. §

D. Quelle étoit la suite ordinaire du Dieu Pan ?

R. Il étoit ordinairement accompagné des Satyres, qui étoient semblables à lui, et dont on le dit le père.

Faune, mis aussi au rang des Dieux champêtres, parce qu’il avoit contribué à perfectionner l’agriculture, et Sylvain qui présidoit aux bois et aux forêts, formoient habituellement son cortège. On représentoit Sylvain avec un cyprès à la main, parce que la Nymphe Cyparis, sa maîtresse, avoit été changée en arbre par Apollon.

Echo. §

D. Qu’étoit Echo ?

R. Echo étoit une Nymphe, fille de l’Air et de la Terre, qui répétoit les sons. Elle aima éperdument Narcisse qui la négligea. Elle en sécha de douleur, et fut métamorphosée en rocher.

La triste amante de Narcisse,
Ne se plaignoit de son caprice
Qu’en répétant ses propres mots.
Telle est l’impuissance où nous sommes,
Toujours muets sur les grands hommes
Dont nous sommes les vains échos.
(Lamotte.)
Narcisse. §

D. Dites-nous un mot de Narcisse ?

R. Narcisse, fils de Céphise et de Liriope, se trouvoit si beau, qu’il n’aimoit que lui-même. Il fut métamorphosé eu une fleur qui porte son nom.

             Au bord d’une fontaine
          Narcisse goûtoit le repos ;
          De lui-même une image vaine
          Se présente à lui dans les flots.
          Veut-il embrasser ce qu’il aime ?
          L’eau se trouble et l’image fuit.
Quand elle reparoît, son plaisir est extrême ;
En s’approchant encor, son espoir se détruit ;
          Toujours séparé de lui-même,
Il s’échappe sans cesse, et toujours se poursuit.
(Lamotte.)

Dieux domestiques. §

D. Comment nommoit-on les Dieux domestiques ?

R. Les plus connus étoient les Dieux Pénates ou Lares. Leur figure étoit conservée dans l’endroit le plus secret de la maison, appelé Lararium. Les uns présidoient aux royaumes et aux provinces ; les autres aux villes et aux moissons ; ceux-ci aux rues et aux carrefours ; ceux-là aux portes et aux grands chemins.

Les Romains consacroient à leurs Dieux domestiques les anneaux, en forme de cœur, que les enfans portoient jusqu’à l’âge de quatorze ans.

Énée, prince Troyen, est célèbre par sa piété envers les Dieux, mais sur-tout pour avoir sauvé de l’incendie de Troye les Dieux tutélaires de cette ville.

Terme. §

D. Ne regardoit-on pas comme des Dieux les pierres qui servoient de bornes ou de limites aux champs ?

R. Oui, et on les appeloit les Dieux Termes. Les vers suivans donneront une idée de leurs fonctions ; c’est le maître d’un champ qui parle à l’un d’eux.

Terme, qui que tu sois, ou de bois ou de pierre,
Tu n’es pas moins un Dieu que le Dieu du tonnerre,
Garde que mon voisin ne me dérobe rien,
               Mais dans ton poste inébranlable,
Si son avide soc empiétoit sur mon bien,
               Crie aussitôt comme un beau diable ;
Alte-là, mon voisin, voisin insatiable,
               C’est-là ton champ, et c’est le mien.
(Ovide, Traduction libre.)
Génie. §

D. Chaque personne, selon les Anciens, n’avoit-elle pas sa Divinité particulière ?

R. Oui, et le nom de cette Divinité étoit Génie. Il naissoit avec la personne, et périssoit avec elle.

On distinguoit deux sortes de Génies ; les uns blancs et de bon augure ; les autres noirs et de mauvais présage : ce qui a donné lieu d’attribuer deux Génies à chaque homme ; l’un qui le portoit au bien, et l’autre au mal. Le plus puissans l’emportoit ; si c’étoit le blanc, ou couloit des jours heureux ; si le noir dominoit, on traînoit des jours malheureux. On a substitué depuis à la place de ces esprits des êtres imaginaires, sous le nom de Gnomes, Sylphes et Salamandres.

Troisième partie de la Fable.
Des demi-Dieux et des Héros. §

D. Qu’entend-on par demi-Dieux ?

R. On entend des Héros nés d’un Dieu et d’une Mortelle, ou d’une Déesse et d’un Mortel.

D. Compte-t-on beaucoup de demi-Dieux ?

R. On en compte un assez grand nombre. Nous parlerons des plus distingués.

Persée. §

D. Quel est celui qui tenoit un des premiers rangs parmi les Héros et parmi les demi-Dieux ?

R. On nomme Persée un des premiers. Il étoit fils de Jupiter et Danaé, Acrise, roi d’Argos, ayant appris de l’Oracle qu’il périroit de la main de son petit-fils, fit enfermer Danaé sa fille unique dans une tour d’airain, et l’empêcha de communiquer avec aucun homme. Jupiter pénétra dans la tour sous la forme d’une pluie d’or : c’est-à-dire, qu’il gagna les gardes à force d’argent. Persée fut le fruit de ce commerce. Acrise fit jeter l’enfant dans la mer ; mais des pêcheurs le sauvèrent de la fureur des flots. Devenu grand, il eut le malheur de tuer Acrise dans des jeux publics sans le connoître.

D. Racontez-nous les grandes actions de Persée ?

R. Il étoit encore dans un âge tendre, qu’il entreprit de combattre les trois Gorgones, Méduse, Euryale et Sténone, qui désoloient les pays voisins du jardin des Hespérides. Il coupa la tête de Méduse ; du sang de Méduse naquit, dit-on, le cheval Pégase.

Persée se voyant mal accueilli d’Atlas, chez lequel il se présenta, pour l’en punir, lui montra la tête de Méduse, et le changea en montagne qui conserva son nom.

On dit d’Atlas qu’il soutient le ciel sur ses épaules, soit parce que le mont Atlas est fort élevé, soit parce qu’il y eut un célèbre Astronome de ce nom.

Il délivra Andromède qui étoit exposée sur un rocher, pour être dévorée par un monstre marin. Il pétrifia ce monstre. Céphée, père de la princesse, la lui accorda pour épouse. Phinée voulant la lui enlever, il le changea en pierre, lui et ses compagnons.

Persée se disposoit à de nouveaux exploits ; mais ayant eu le malheur, comme nous l’avons dit, de tuer son aïeul, il se condamna à l’exil. Jupiter le plaça au ciel avec Andromède et Cassiope, mère de la princesse.

D. A quoi les Poëtes attribuent-ils les glorieux succès de Persée ?

R. Persée avoit obtenu un bouclier de Minerve. C’est à cette puissante Egide que notre Héros doit, selon les Poëtes, tous ses brillans succès. Ils prétendent par-là nous donner dans ce demi-Dieu le modèle d’un Héros, dont la prudence égale la valeur.

               Le plus vaillant guerrier s’abuse
D’oser tout espérer de l’effort de son bras ;
               Si vous voulez vaincre Méduse,
Le bouclier de la sage Pallas.

               Que la vertu, que la prudence
               Quand elles sont d’intelligence,
               Achèvent d’exploits glorieux !
               Le monstre le plus furieux
               Leur fait vainement résistance.
(Quinault.)

Hercule. §

D. Quel a été le plus célèbre parmi les Héros de l’antiquité ?

R. C’est Hercule, fils de Jupiter et d’Alcmène. Dès le berceau il donna des preuves de sa force, en étouffant deux serpens que Junon avoit envoyés pour le faire périr.

Tandis qu’Amphitrion, époux d’Alcmène, étoit occupé à la guerre de Thèbes, Jupiter vint trouver Alcmène, sous la forme de son mari, à laquelle il annonça cette brillante destinée :

Chez toi doit naître un fils, qui, sous le nom d’Hercule,
Remplira de ses faits tout le vaste univers.
L’éclat d’une fortune en mille biens féconde
Fera connaître à tous que je suis son support,
Et je mettrai tout le monde
Au point d’envier son sort.
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données ;
C’est un crime que d’en douter.
Les paroles de Jupiter
Sont des arrêts des destinées.
(Molière.)

D. Racontez-nous comment Junon ne cessa de poursuivre Hercule ?

R. Junon épuisa tous les efforts de sa haine contre ce fils de Jupiter. Elle fit naître Euristhée avant lui, afin qu’en sa qualité d’aîné il eut le droit de lui commander. Ce fut à l’instigation de l’implacable Déesse qu’Euristhée exigea d’Hercule des travaux aussi difficiles que dangereux. On en compte douze principaux, appelés communément les travaux d’Hercule. Les voici :

1.° Il arrêta et étrangla un lion furieux dans la forêt de Némée. Hercule porta toujours la peau de ce lion, comme un monument de sa première victoire.

2.° Il tua l’hydre de Lerne : ce monstre épouvantable avoit sept têtes ; quand on lui en coupoit une, il en naissoit aussitôt plusieurs autres à la place : Hercule les abattit toutes d’un seul coup de sa massue.

3.° Un sanglier terrible étoit sur le mont Erimanthe, et ravageoit les champs d’Arcadie : Hercule le prit, et le présenta tout vivant à Eurysthée.

4.° Il perça de flèches une biche qui avoit les pieds d’airain et les cornes d’or.

5.° Il mit en fuite les harpies, oiseaux monstrueux, qui couvraient les bords du lac Stymphale.

6.° Il défit les Amazones, combat où il se couvrit de gloire. Celles-ci étoient un peuple de femmes guerrières qui habitoient la Scythie. Elles élevoient leurs filles dans l’exercice des armes ; elles estropioient ou tuoient leurs enfans mâles.

7.° Il détourna un fleuve et le fit entrer dans les étables d’Augias, roi d’Elide, pour les nétoyer. Elles répandoient l’infection dans toute la Grèce.

8.° Il se saisit d’un taureau monstrueux qui jetoit feu et flammes, et en délivra la Grèce.

9.° Il mit à mort le tyran Diomède, roi de Thrace, qui faisoit dévorer par des chevaux furieux tous les étrangers qui abordoient dans ses états.

10.° Il délivra la terre d’un autre tyran, nommé Busiris, roi d’Egypte, qui immoloit à Jupiter tous les étrangers. Il préparoit à Hercule le même sort.

11.° Il tua Géryon, roi d’Espagne ; il avoit trois corps, et nourrissoit ses bœufs de chair humaine.

12.° Enfin Hercule enleva les pommes d’or du jardin des Hespérides. Elles étoient gardées par un épouvantable dragon, il tua le gardien de ces pommes, et les emporta.

On dit aussi d’Hercule, qu’il descendit aux enfers. Il força Caron de le recevoir dans sa barque, enchaîna Cerbère, et enleva Alceste, malgré Pluton, et la rendit à Admète son époux.

Ainsi, traversant l’Achéron,
Hercule fit peur à Caron,
Quand sa pesanteur immortelle
Fit trop enfoncer la nacelle.
(Voiture.)

D. Que fit Hercule lorsqu’il eut heureusement terminé les douze travaux qui lui avoient été commandés par Eurysthée ?

R. II parcourut l’univers pour le purger des monstres et des tyrans, et pour soulager les malheureux.

Aux coupables mortels Alcide fait la guerre,
Dans le sein des tyrans il porte le trépas ;
          Et pour en délivrer la terre,
          Le foudre est moins fort que son bras.
(Lamotte.)

Il tua Cacus, insigne voleur qui désoloit l’Italie.

Il détacha Prométhée, et fit mourir le vautour qui lui déchiroit le foie.

Il défit et étouffa dans ses bras le géant Anthée, fils de la terre. Il habitoit les déserts de la Lybie, où il massacroit les passans, pour accomplir le vœu qu’il avoit fait à Neptune de lui bâtir un Temple avec des crânes d’hommes.

Il sépara les deux montagnes Calpé et Abyla ; forma par ce moyen le détroit de Gibraltar, et opéra la jonction de l’Océan avec la Méditerranée. Ces montagnes s’appellent les Colonnes d’Hercule. Ce héros voulant les faire servir de monument à sa gloire, y grava cette inscription : Non plus ultrà : « On ne peut aller au-delà. »

D. Quelles armes Junon employa-t-elle encore contre Hercule ?

R. Junon voyant que les dangers ne servoient qu’à augmenter la gloire du Héros, eut recours à un autre expédient ; elle s’adresse à Cupidon :

Dieu puissant, venge-moi d’un mortel qui m’outrage,
Son cœur, dès le berceau, triomphe de ma rage :
Ma honte et mon dépit croissent par ses travaux ;
Blesse Alcide, il est temps de vaincre ce Héros.
(Lamotte.)

Cupidon servit à souhait les désirs de la Déesse. Bientôt on vit ce grand homme couvert d’un habit de femme, filer aux pieds d’Omphale, reine de Lydie. Cette honteuse passion flétrit en un instant les lauriers du vainqueur de l’univers.

D. Hercule servit-il long-temps sous les lois d’Omphale ?

R. Non ; il ne tarda pas de jeter les yeux sur Déjanire, que le fleuve Achéloüs vouloit épouser. Il vainquit ce rival, et obtint Déjanire. Sur le point de passer le fleuve Evène, le Centaure Nessus s’offrant de passer la princesse, voulut l’enlever, Hercule le perça d’une flèche. Nessus prêt d’expirer, trempa un voile dans son sang, et le donna à Déjanire comme un remède à l’indifférence de son époux. Celle-ci donna ce voile à Hercule. Aussitôt il sentit un feu dévorant, qui couloit dans ses veines.

Voile fatal ! poison dont je suis dévoré,
Brûlerez-vous sans cesse un cœur désespéré ?
Laissez-moi respirer ! Tout est sourd à mes plaintes ;
Hélas ! tout me trahit en ces cruels momens,
                  Et mes tourmens
Bien loin de s’affoiblir, redoublent leurs atteintes.
(Campistron.)

Pour finir son supplice, il se jeta sur un bûcher qu’il avoit préparé sur le mont Oëta, ou il faisoit un sacrifice. Ses cendres furent recueillies par son ami Philoctète, et mises dans une urne.

Hercule fut placé dans le ciel, où il épousa Hébé, Déesse de la jeunesse. On le représente couvert de la peau d’un lion, et armé d’une massue.

Thésée. §

D. Qui étoit Thésée ?

R. Il étoit fils d’Egée, roi d’Athènes ; parent et contemporain d’Hercule, il se proposa de marcher sur ses pas, et s’appliqua particulièrement à délivrer la terre des monstres qui la désoloient.

Résolu de périr par un noble trépas,
Jaloux du nom d’Hercule, et marchant sur ses pas,
J’entrepris de venger et d’affranchir la terre
De monstres, de méchans échappés an tonnerre.
(Racine.)

D. Quelles sont les grandes actions par où il se distingua ?

R. Il fit mourir plusieurs tyrans : tels étoient Phalaris, qui faisoit brûler les hommes dans un taureau d’airain ; Scyrron, qui jetoit dans la mer tous les étrangers ; Procuste, qui faisoit étendre les passans sur un lit de fer, et ordonnoit qu’on coupât la partie des jambes qui en excédoit la longueur.

Il délivra aussi les campagnes de Marathon, ville de l’Attique, d’un taureau furieux, et l’Etolie d’un horrible sanglier.

                                         Ce Héros intrépide,
Consolant les mortels de l’absence d’Alcide ;
Les monstres étouffés, et les brigands punis ;
Procuste, Cercyon, et Scyrron, et Sinnis,
Et les os dispersés du géant5 d’Epidaure,
Et la Crète fumant du sang du Minotaure.
(De la Fosse.)

D. Dites-nous en peu de mots comment Thésée a vaincu le Minotaure ?

R. Le Minotaure étoit un monstre moitié homme, moitié taureau, né, selon les Poëtes, de Pasiphaë, épouse de Minos, roi de Crète. Ce Prince, pour venger la mort de son fils Androgée, tué par les jeunes gens d’Athènes, obligea les Athéniens de lui envoyer, chaque année, sept de leurs enfans, choisis par le sort, pour être dévorés par le Minotaure. Thésée, tout jeune encore, forma le généreux projet d’affranchir sa patrie de ce tribut honteux et cruel.

Ce monstre, homme et taureau, qu’un fol amour fit naître,
Qui du sang des humains brûloit de se repaître,
Sous le fer de Thésée enfin perdit le jour.
Le Héros tient le fil qui trace son retour ;
Tandis qu’un peu plus loin Ariadne tremblante,
Craint que le sort cruel ne trompe son attente ;
Les yeux au labyrinthe et les mains vers les cieux,
Au secours de Thésée elle appelle les Dieux.
(Lamotte.)

D. De qui Thésée fut-il aidé dans son entreprise ?

R. Ariadne, fille de Minos, lui prêta ses secours. Le Minotaure étoit enfermé dans un Labyrinthe, dont il n’étoit pas possible de trouver l’issue. Ariadne donna à Thésée un peloton de fil, par le moyen duquel il lui fut aisé de revenir sur ses pas, après avoir tué le Minotaure.

D. Dites- nous un mot de ce Labyrinthe ?

R. Ce Labyrinthe est célèbre parmi les poëtes ; ils l’appellent souvent le Dédale, du nom de celui qui l’avoit bâti. C’étoit un composé de bosquets et de bâtimens disposés avec tant d’art, qu’il n’étoit plus possible d’en sortir dès qu’on y étoit entré. Minos y enferma Dédale avec Icare. Dédale s’en échappa, en attachant des ailes à ses épaules et à celles de son fils, lui recommandant bien de ne voler ni trop haut ni trop bas, de peur que le soleil ne fondît la cire qui attachait ses ailes, ou que les vapeurs de la mer ne rendissent les plumes trop humides. Ce jeune téméraire, oubliant un avis si sage, s’éleva au haut des airs, tomba, et donna son nom à la mer Icarienne. Un Poëte dit figurément à ce sujet :

          Quand je devrois, nouvel Icare,
De ma chûte orgueilleuse étonner l’Univers ;
          Je veux sur les pas de Pindare
          M’élever jusques dans les airs.
(La Grange-Chancel.)

Thésée, en partant pour son expédition contre le Minotaure, avoit promis à son père de changer les voiles de son vaisseau, s’il revenoit vainqueur. La joie lui fit oublier cette convention. Egée, voyant de loin des voiles noires, crut qu’il avoit perdu son fils, et se précipita dans cette partie de la mer qui porte son nom.

D. Continuez de nous raconter les grands exploits de Thésée ?

R. Il combattit et défit les Centaures. Voici à quelle occasion. Pirithoüs, jaloux de la réputation brillante de Thésée, voulut l’attirer à un combat singulier ; mais ils s’entrevirent à peine, que Thésée le charma par sa douceur et se l’attacha sincèrement. Pirithoüs ayant à se plaindre des Centaures qui avoient massacré plusieurs Lapithes le jour de son mariage avec Hippodamie, Thésée en tira une vengeance éclatante.

Les Centaures étoient si bons cavaliers, qu’ils paroissoient ne faire qu’un même corps avec leurs chevaux, ce qui a donné lieu aux Poëtes de feindre qu’ils étoient moitié homme et moitié cheval.

D. Thésée ne descendit-il pas aux Enfers ?

R. Oui, Thésée et Pirithoüs conçurent le dessein d’enlever Proserpine, et pour cela ils descendirent aux Enfers.

On dit même, et ce bruit est par-tout répandu,
Qu’avec Pirithoüs aux Enfers descendu,
Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,
Et s’est montré vivant aux infernales ombres ;
Mais qu’il n’a pu sortir de ce triste séjour,
Et repasser les bords qu’on passe sans retour.
(Racine.)

Pirithoüs fut dévoré par Cerbère ; et Thésée resta aux Enfers jusqu’au temps où Hercule vint le délivrer. Ils firent ensemble la guerre aux Amazones, et Thésée épousa Hyppolite, reine de ces femmes guerrières, dont il eut un fils qui porta le même nom.

D. Racontez- nous l’aventure funeste de ce malheureux fils ?

R. Hyppolite, aimé de Phèdre, sa belle-mère, refusa de lui montrer les mêmes sentimens ; celle-ci, pour s’en venger, l’accusa faussement auprès de Thésée son mari. Le père furieux chassa son fils, et appela toute la colère de Neptune contre lui :

Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage,
D’infâmes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que pour prix de mes efforts heureux,
Tu promis d’exaucer le premier de mes vœux.
……………………………………………………
Je t’implore aujourd’hui, venge un malheureux père ;
J’abandonne ce traître à toute ta colère.
(Racine.)

Il ne fut que trop exaucé. Neptune envoya un monstre marin qui, par ses mugissemens, effraya les chevaux d’Hyppolite.

L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux
Parmi des flots d’écume un monstre furieux.
……………………………………………………
Tout fuit, et sans s’armer d’un courage inutile,
Dans le Temple voisin chacun cherche un asyle.
Hyppolite lui seul, digne fils d’un Héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant,
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant.
……………………………………………………
A travers les rochers la peur les précipite,
L’essieu crie et se rompt. L’intrépide Hyppolite
Voit voler en éclats tout son char fracassé ;
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
……………………………………………………
J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris ;
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie.
Ils courent ; tout son corps n’est bientôt qu’une plaie.
J’arrive ; je l’appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant qu’il referme soudain.
(Racine.)

Esculape rendit la vie à Hyppolite, et Diane le transporta en Italie. Thésée mourut à Athènes, après avoir mérité d’être mis au rang des Demi-Dieux.

Phèdre, bourrelée par les remords, se pendit de désespoir.

Castor et Pollux. §

D. De qui étoient fils Castor et Pollux ?

R. Castor et Pollux, connus aussi sous le nom de Tyndarides, étoient fils de Jupiter6 et de Léda, épouse de Tyndare. Jupiter avoit pris la forme du cygne, pour mieux tromper Léda.

D. Par où Castor et Pollux se firent-ils connoître particulièrement ?

R. Ils se firent connoître sur-tout par la tendre amitié qu’ils eurent toujours l’un pour l’autre. Castor ayant perdu la vie dans un duel, Pollux fut si touché de sa mort, qu’il pria Jupiter de permettre qu’il partageât son immortalité avec lui. Jupiter y consentit, et depuis ce temps-là ils vécurent et moururent alternativement. Enfin ils furent placés au ciel sous le nom de Jumeaux ou Gémeaux. Ce sont deux étoiles qui ne paroissent que l’une après l’autre.

Jupiter fit l’homme semblable
A ces deux jumeaux que la Fable
Plaça jadis au rang des Dieux ;
Couple de Déités bisarre,
Tantôt habitant du Ténare,
Et tantôt citoyen des Cieux.
(Boileau.)

D. Par où se signalèrent-ils encore ?

R. Ils furent du nombre des Argonautes, qui firent la conquête de la Toison d’or. Ils purgèrent aussi la mer des pirates qui l’infestoient. De là ils étoient honorés comme des Dieux marins, et on leur immoloit des agneaux blancs.

Jason et les Argonautes. §

D. Qui étoit Jason ?

R. Jason étoit fils d’Eson, et neveu de Pélias, roi de Thessalie. Celui-ci s’étant emparé des états d’Eson son frère, envoya Jason à la conquête de la Toison d’or, expédition extrêmement dangereuse, d’où il espéroit que son neveu ne reviendroit pas.

Retraçons aujourd’hui la célèbre entreprise
Qui conduisit Jason sur les bords de Colchos,
Et montrons ce que peut la valeur d’un Héros
        Lorsque le Ciel le favorise.
(Gresset.)

D. Qu’étoit-ce que la Toison d’or ?

R. Aëte, roi de la Colchide, possédoit une Toison d’or, que Phryxus, fils d’Athamas, roi de Thèbes, avoit portée en Colchide. Il la mit dans un bois consacré au Dieu Mars, sous la garde d’un dragon furieux qui ne dormoit jamais, et de plusieurs taureaux qui vomissoient des flammes.

Jason invita les plus grands Héros de la Grèce à réunir leurs efforts aux siens pour enlever cette Toison.

On appelle ces Héros les Argonautes, soit parce que le vaisseau qu’ils montèrent se nommoit Argo, soit parce que la plupart des braves qui s’y embarquèrent étoient du royaume d’Argos.

Argonautes fameux, demi-Dieux de la Grèce,
Castor, Pollux, Orphée, et vous, heureux Jason ;
Vous de qui la valeur, et l’amour et l’adresse
                 Ont conquis la Toison.
(Voltaire.)

D. Par les secours de qui Jason vint-il à bout de son entreprise ?

R. Cette fameuse expédition présentoit des difficultés insurmontables, et Jason auroit infailliblement échoué, sans le secours de Médée, dont les enchantemens étoient absolument nécessaires pour rendre les taureaux dociles, et, endormir les dragons. Médée étoit fille d’Aëte, et par son moyen Jason emporta la Toison d’or.

D. Que fit Médée pour retarder la course d’Aëte qui poursuivoit Jason ?

R. Elle mit en pièces son frère Absirthe, et en dispersa les membres le long du chemin que suivoit son père.

D. Que raconte-t-on encore de Médée ?

R. Voyant Eson, père de Jason, courbé sous le poids des années, elle le rajeunit par la force de ses enchantemens. Pour se venger des vues atroces de Pélias qui avoit eu intention de faire périr Jason, elle conseilla à ses filles de faire bouillir les membres de leur père, afin de le rajeunir comme elle l’avoit fait d’Eson. Elle fut crue, et Pélias périt par cet artifice.

Jason indigné abandonna cette femme détestable, et épousa Creuse, fille de Créon, roi de Corinthe.

D. Que fit alors Médée, et que devint-elle ?

R. Elle massacra sa rivale, empoisonna toute la famille royale, et fit périr les deux enfans qu’elle avoit eu de Jason.

Médée échappa à la colère de Jason en s’élevant dans les airs sur un char traîné par des dragons ailés et se retira à Athènes où elle épousa le roi Egée.

Jason jouit long-temps de sa conquête et régna tranquillement à Iolchos, capitale de la Thessalie où il étoit né.

Bellérophon. §

D- Qui étoit Bellérophon ?

R. Bellérophon étoit fils de Glaucus, roi de Corinthe. Il dut ses aventures brillantes autant à sa valeur qu’à son adresse.

D. Qu’a-t-il fait de remarquable ?

R. Il entreprit de combattre la Chimère, monstre qui avoit la tête d’un lion, le corps d’une chèvre, la queue d’un serpent, et qui vomissoit des flammes. Il monta le cheval Pégase, et vint à bout d’exterminer cet animal affreux qui désoloit la Lycie.

Le monstre couvrira de torrens enflammés
          Nos campagnes fumantes ;
          Et nos champs ne seront semés
Que des restes affreux des victimes sanglantes.
(T. Corneille.)

Bellérophon eut aussi beaucoup de part à la défaite des Amazones. Ses victoires lui méritèrent la main de Philoné, fille d’Iobates, roi de Lycie.

Orphée. §

D. Qui étoit Orphée ?

R. Orphée étoit fils de Clio et d’Apollon. Il en avoit reçu le talent de toucher la lyre avec tant d’art, qu’il passa pour le chantre le plus mélodieux de la Thrace.

Je sais que par son art il entraîne les arbres ;
Que ses divins accords font tressaillir les marbres,
Que du plus fier torrent ils arrêtent le cours,
Et rangent à ses pieds les lions et les ours.
On dit même, et la Grèce est portée à le croire,
Qu’Argos doit à sa voix la moitié de sa gloire,
Et qu’à vaincre Médée, et gagner la Toison,
Elle eut autant de part que le brave Jason.
(La Grange-Chancel.)

D. Les Poëtes ne feignent-ils pas qu’Orphée est descendu aux Enfers ?

R. Oui, et voici à quel sujet. Euridice, son épouse, mourut de la piqûre d’un serpent le jour même de ses noces. Il eut le courage de visiter les sombres bords, pour la redemander à Pluton. Celui-ci la lui rendit, mais à condition qu’elle le suivroit, et qu’il ne la regarderait pas qu’elle ne fut de retour sur la terre. Orphée appercevoit déjà la lumière : il se retourne avec impatience ; Euridice lui est enlevée ; pour toujours.

Heureux et malheureux Orphée !
Ne pouvois-tu de ton trophée
T’assurer un moment plus tard ?
L’enfer te rendoit ta captive ;
Mais, hélas ! ton amour t’en prive
Par un impatient regard.
(Lamotte.)

Orphée, inconsolable, renonça pour jamais aux femmes. Les Bacchantes, outrées de se voir méprisées par lui, le mirent en pièces, et sa lyre fut placée au ciel.

Campistron retrace dans ces vers toutes les merveilles que l’on attribuoit à Orphée :

Les arbres, les rochers, sensibles à sa voix ;
Les tigres, les lions, asservis à ses lois ;
De ses divins concerts l’attrait et la mesure,
Renversant, à son gré, l’ordre de la nature,
Leurs sons victorieux, leurs triomphans accords,
Lui frayant un chemin jusques aux sombres bords,
Rendant à ses désirs la mort même propice,
Et des Enfers au jour ramenant Euridice.

Cadmus. §

D. Que nous apprend la fable de Cadmus ?

R. Cadmus étoit fils d’Agénor et frère d’Europe. Après l’enlèvement de celle-ci par Jupiter, Agénor chargea Cadmus d’aller chercher sa sœur, et de ne pas revenir avant de l’avoir trouvée.

Après avoir voyagé long-temps, inutilement, il consulta l’Oracle, qui lui ordonna pour toute réponse de bâtir une ville dans le lieu même où il seroit conduit par un bœuf :

Après avoir erré sur la terre et sur l’onde,
       Sans trouver Europe ma sœur ;
Après avoir en vain cherché son ravisseur,
Le Ciel termine ici ma course vagabonde,
Et c’est pour obéir aux oracles des Dieux
       Qu’il faut m’arrêter en ces lieux.
(Quinault.)

D. En quel lieu la ville de Thèbes fut-elle bâtie ?

R. Elle fut bâtie en Béotie. L’Oracle consulté sur le sort de cette ville, annonça les plus grands malheurs, ce qui fut cause que Cadmus s’en éloigna. On dit qu’il fut changé en serpent avec Hermione son épouse.

D. Comment raconte-t-on que s’élevèrent les murs de Thèbes ?

R. Les prodiges attribués par les Poëtes à la lyre d’Amphion et à celle d’Arion, sont exactement décrits dans ces vers :

Songez par quel prodige on connoît Amphion ;
Quel miracle la Grèce a chanté d’Arion ;
Le premier, sans autre art, voit au son de sa lyre,
Les pierres se mouvoir, et Thèbes se construire ;
L’autre, près de périr par la fureur des flots,
Sait trouver dans leur sein la vie et le repos,
Un dauphin, traversant les plaines de Neptune,
Attiré par ses chants, prend soin de sa fortune.
Il l’aborde ; il l’emporte ; il lui sert de vaisseau :
Et donnant aux mortels un spectacle nouveau,
Il le fait à leurs yeux, sans péril et sans crainte,
Naviguer sur les mers de Crète et de Corinthe.
(Campistron.)

D. A qui doit-on la découverte des seize lettres de l’alphabet, et l’invention de l’écriture ?

R. On convient généralement que ce bien si intéressant nous vient de Cadmus, roi de Phénicie, qui le premier porta l’art de l’écriture dans la Grèce. Tout le monde connoît ces beaux vers de Brébeuf sur ce Prince :

C’est de lui que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux ;
Et, par les traits divers des figures tracées,
Donner de la couleur et du corps aux pensées.

Le Poëte Pindare devoit le jour à la ville de Thèbes. Lors du saccagement de cette ville par Alexandre le Grand, l’immortel conquérant ordonna, par respect pour les talens du grand Poëte, que la maison où il étoit né fut épargnée.

Œdipe. §

D. Quelle est l’histoire d’Œdipe ?

R. Œdipe étoit fils de Laïus, roi de Thèbes. Laïus avoit appris de l’Oracle qu’il périroit de la main de son fils ; il ordonna à Jocaste, son épouse, d’égorger cet enfant. La mère ayant horreur de ce crime, en remit l’exécution à un soldat.

Celui-ci se contenta de percer les pieds de l’enfant, et de l’attacher à un arbre sur le mont Cithéron. Un des bergers de Polybe, roi de Corinthe, trouve cet enfant, le détache et, le présente à la reine qui le fait élever comme son fils, et lui donne le nom d’Œdipe, à cause de l’enflure de ses pieds.

D. Par où Œdipe se fit-il connoître ?

R. Devenu grand, il apprit qu’il n’étoit pas fils de Polybe. Ayant consulté l’Oracle, il lui fut répondu qu’il trouveroit son père dans la Phocide, province de la Grèce. Œdipe s’y rendit, et tua Laïus, en lui disputant le passage dans un chemin fort étroit. D’autres prétendent que ce malheur lui arriva dans une sédition populaire.

Dans ce même temps Thèbes étoit désolée par un monstre appelé Sphinx : il avoit la tête d’une femme, le corps d’un chien, les ailes et la queue d’un dragon, les pieds et les ongles d’un lion.

Il proposoit une énigme aux passans, et les dévoroit, s’ils ne la devinoient pas.

Né parmi les rochers, au pied de Cithéron,
Ce monstre à voix humaine, aigle, femme et lion,
De la nature entière exécrable assemblage,
Unissoit contre nous l’artifice à la rage.
Il n’étoit qu’un moyen d’en préserver ces lieux.
D’un sens embarrassé, dans des mots captieux,
Le monstre, chaque jour, dans Thèbes épouvantée,
Proposoit une énigme avec art concertée.
(Voltaire.)

Le Sphinx demandoit : « Quel est l’animal qui, le matin, à quatre pieds, deux à midi, et trois le soir ? »

La couronne et la main de la Reine étoit promise à celui qui expliqueroit l’énigme. Œdipe l’expliqua. Il répondit au Sphinx, que son animal est l’homme qui, dans son enfance, se traîne sur les pieds et sur les mains, dans l’âge viril se soutient sur ses deux pieds, et dans la vieillesse s’appuie sur un bâton qui lui sert de troisième pied :

Le monstre furieux de se voir entendu,
Venge aussitôt sur lui tant de rang répandu ;
Du roc se lance en bas, et s’écrase lui-même :
La reine tint parole, et j’eus le diadême.
(P. Corneille.)

D. Quels furent les malheurs d’Œdipe ?

R. Œdipe avoit tué Laïus, son père, sans le connoître. Ici il épouse sa mère sans le savoir ; il règne, et les premiers momens de son règne parurent heureux. Mais bientôt sou peuple est la proie d’une affreuse famine, et une horrible contagion vint mettre le comble à ses maux. On consulte l’Oracle ; il répond que les malheurs de Thèbes ne finiront qu’après le bannissement du meurtrier de Laïus. Le soldat, qui avoit exposé Œdipe sur le mont Cithéron, découvre le mystère de sa naissance ; Œdipe se reconnoît coupable de deux crimes monstrueux : il voit avec horreur qu’il est le meurtrier de son père, et qu’il avoit épousé sa mère. Celle-ci se pendit de désespoir. Œdipe se creva les yeux, et se condamna à un exil perpétuel.

Voilà donc les horreurs où j’étois entraîné !
Je suis, oui, je le suis, ce fils abandonné,
Je suis fils de Jocaste, et je connois mon crime ;
Grands Dieux, ne tonnez plus ! Prenez votre victime.
Mon sang vous a fléchis, Thèbes ne souffre plus ;
Vous payez à-la-fois mon crime et mes vertus.
(Lamotte.)

Étéocle et Polinice. §

D. Dites-nous en peu de mots l’histoire d’Étéocle et Polinice ?

R. Œdipe avoit eu de Jocaste deux fils, Étéocle et Polinice. Ces deux frères firent paroitre dès l’enfance une haine mutuelle, qui alarmoit souvent Œdipe. Cette haine alla toujours en croissant, et devint implacable. Œdipe, en se retirant, avoit décidé que les deux frères régneroient tour-à-tour, chacun pendant un an. Étéocle, comme ainé, monta le premier sur le trône ; l’année révolue, il refusa d’en descendre. Étéocle et Polinice se firent une guerre sanglante, dans laquelle toute la Grèce prit parti, et se partagea. La victoire ne se déclarant pour aucun des deux partis, les deux frères s’appelèrent à un combat singulier : ils paraissent au milieu des deux armées :

D’un geste menaçant, d’un œil brûlant de rage,
Dans le sein l’un de l’autre ils cherchent un passage ;
…………………………………………………………
Le Roi, frappé d’un coup qui lui perce le flanc,
Lui cède la victoire, et tombe dans son sang.
Polinice tout fier du succès de son crime,
Regarde avec plaisir expirer sa victime.
…………………………………………………………
Et dans l’instant fatal que ce frère inhumain
Lui veut ôter le fer qu’il tenoit à la main,
Il lui perce le cœur, et son ame ravie,
En achevant ce coup abandonne la vie.
Polinice frappé, pousse un cri dans les airs,
Et son ame en courroux s’enfuit dans les enfers.
(Racine.)

Les corps de ces deux malheureux frères furent mis sur le même bûcher, pour y être brûlés. La flamme aussitôt se divisa d’elle-même, ce qui qui fit connoître, ajoute la Fable, que la mort n avoit pu éteindre une haine, dont on n’a point encore vu d’exemple.

Oreste et Pilade. §

D. Racontez- nous l’histoire d’Oreste et de Pilade ?

R. Oreste avoit tué sa mère, bientôt il tomba dans des accès de fureur ; il croit voir l’ombre de sa mère accompagnée des Furies. Il consulte l’Oracle, qui lui ordonne d’aller dans la Tauride. Pilade, son fidèle ami, voulut l’y accompagner. Thoas, roi de cette contrée, les fit arrêter. Oreste étoit le seul dont Thoas désiroit la mort. Mais Pilade voulut mourir en sa place ; ils se disputèrent long-temps la gloire de se sauver la vie. Iphigénie, sœur d Oreste, étoit Prêtresse de Diane ; elle reconnut son frère au moment qu’elle alloit l’immoler :

Armons-nous d’une noble et sainte confiance.
L’image de Diane est en votre puissance :
Pour expier l’horreur dont mon nom est taché,
A son enlèvement mon sort est attaché.
Livrez-la-moi. Comblés de gloire et d’alégresse,
Prenant heureusement les chemins de la Grèce,
Où mon crime par-là doit enfin s’effacer,
Ma sœur, parmi nos Dieux nous irons la placer.
(La Grange-Chancel.)

Oreste et Pilade tuèrent Thoas, pour le punir de ses cruautés, enlevèrent la statue de Diane, et revinrent dans la Grèce avec Iphigénie.

Ulysse. §

D. Qui étoit Ulysse ?

R. Ulysse étoit fils de Laërte, roi d’Itaque. Il erra pendant dix ans sur toutes les mers, et n’échappa aux dangers qu’il courut que par la protection de Minerve qui l’accompagnoit par-tout.

Lorsqu’à l’époux de Pénélope
Minerve accorde secours,
Les Lestrigons et le Cyclope
Ont beau s’arrêter contre ses jours :
Aidé de cette intelligence,
Il triomphe de la vengeance
De Neptune en vain courroucé ;
Par elle brave les caresses.
Des Syrènes enchanteresses,
Et les breuvages de Circé.
(Rousseau.)

Ulysse, pour ne point aller à la guerre de Troye, contrefit l’insensé ; il attela à sa charrue des animaux peu propres au labourage ; il traça des sillons sur les bords de la mer, où il sema du sel au lieu de bled. Palamède, qui soupçonna sa feinte, plaça Télémaque, fils d’Ulysse, devant la charrue ; Ulysse, pour ne pas blesser son enfant, détourna la charrue, ce qui le démasqua, et l’obligea d’entrer dans la ligue des Princes Grecs.

D. Dites-nous comment Ulysse a surmonté tous les différens dangers auxquels il a été exposé ?

R. Il échappa par son adresse à la fureur des Lestrigons. Entre les mains et à la merci de Polyphême, le plus fameux des Cyclopes, il vint à bout de l’enivrer, et lui creva le seul œil qu’il avoit au milieu du front. Pour échapper aux enchantemens de Circé, il se servit d’une herbe qui lui avoit fait connoître Minerve. Ce fut aussi avec cette herbe qu’il rendit à ses compagnons leur première forme. Il épousa ensuite Circé, et en eut Télégone. Le célèbre Rousseau décrit ainsi les fureurs magiques de cette Nymphe :

Sur un autel sanglant l’affreux bûcher s’allume ;
La foudre dévorante aussitôt le consume.
Mille noires vapeurs obscurcissent le jour :
Les astres de la nuit interrompent leur course ;
Les fleuves étonnés retournent vers leur source ;
Et Pluton même tremble en son obscur séjour.

               Sa voix redoutable
               Trouble les enfers,
               Un bruit formidable
               Gronde dans les airs ;
               Un voile effroyable
               Couvre l’univers ;
               La terre tremblante
               Frémit de terreur ;
               L’onde turbulente
               Mugit de fureur ;
               La lune sanglante
               Recule d’horreur.

Neptune, pour venger la mort de Polyphême son fils, qu’Ulysse avoit tué, souleva contre lui les flots. Celui-ci fit naufrage, et aborda dans l’île de Calypso. Il court de nouveaux dangers. Cette Nymphe mit tout en usage pour le retenir, et lui promit de le rendre immortel.

Pour fixer le volage Ulysse,
Jouet de Neptune irrité,
En vain Calypso plus propice,
Lui promet l’immortalité ;

Peu touché d’une isle charmante,
A Pluton, malgré son amante,
De ses jours il soumet le fil ;
Aimant mieux dans sa cour déserte,
Qu’être immortel dans un exil.
(Gresset.)
Ulysse, après vingt ans d’absence,
De disgrâces et de travaux,
Dans le pays de sa naissance
Vit finir le cours de ses maux.
(Rousseau.)

Il arriva enfin à Ithaque, où il vécut peu de temps heureux. Il remit ses états à son fils Télémaque, et périt par la main de Télégone, qu’il avoit eu de Circé.

Pénélope, son épouse, avoit, pour amuser ses amans jusqu’au retour d’Ulysse, imaginé un moyen ; ce fut de leur promettre d’épouser l’un d’eux, lorsque la tapisserie qu’elle avoit commencée, seroit finie. Elle défaisoit la nuit ce qu’elle avoit fait le jour.

Énée. §

D. De qui Énée étoit-il fils ?

R. Enée étoit fils d’Anchise et de la Déesse Vénus. II échappa à la ruine de Troye ; il chargea son père sur ses épaules, prit son fils Iüle, ou Ascagne, par la main, et emporta les Dieux tutélaires de sa patrie.

D. Racontez-nous les aventures d’Enée ?

R. En voici le précis. Après le sac de Troye, il rassemble le peu de Troyens qui avoient échappés à la fureur des Grecs ; il s’embarque avec eux, et erre pendant sept ans de mers en mers, toujours le jouet des flots, et en but à la haine de Junon contre le nom Troyen. Il aborde à Carthage dans le temps que Didon, fille de Bélus, roi de Tyr, en bâtissoit les murs. La Princesse en devient éperdument amoureuse ; elle veut retenir Enée ; mais celui-ci part par ordre de Jupiter. Didon se tue de désespoir. Cette Princesse malheureuse avoit été obligée de fuir à la mort de Sichée son premier mari. Le prince Troyen, qu’elle avoit épouse en secondes noces, fuit, et elle se donne la mort. C’est ce qui a donné lieu à cette belle épigramme d’ Aussonne :

Infelix Dido, nulli bene nupta marito,
Hoc pereunte fugis, hoc fugiente peris.

Ainsi traduite :

Pauvre Didon, où t’a réduite
De tes maris le triste sort ?
L’un, en mourant, cause ta fuite ;
L’autre, en fuyant, cause ta mort.

D. Quelle fut la fin de ses aventures ?

R. Enée aborde en Italie, soutient la guerre contre Turnus qu’il tue dans un combat singulier. Il épouse Lavinie, fille de Latinus, roi du pays Latin, fonde l’empire Romain ; et après sa mort, il est enlevé au ciel par Vénus. On l’honoroit à Rome sous le nom de Jupiter indigète.

Des Sibylles. §

D. Qu’étoient les Sibylles ?

R. Les Sibylles étoient des filles, à qui le Ciel accorda le don de lire dans l’avenir.

La plus célèbre de toutes a été la Sibylle de Cumes en Italie. Des savans croient même qu’il n’y en a jamais eu d’autres que celle-ci. Ce qui a pu donner croyance à l’existence de plusieurs, c’est qu’elle a voyagé en divers pays, et qu’elle a pris les noms des pays qu’elle a parcourus.

On prétendoit qu’elle étoit inspirée d’Apollon. Elle rendoit ses oracles du fond d’un antre qui étoit dans le temple de ce Dieu. Cet antre avoit cent portes, d’où sortoient autant de voix terribles qui faisoient entendre les réponses de la Prophétesse.

Elle étoit aussi la Prêtresse d’Hécate, qui lui avoit confié la garde des bois sacrés de l’Averne.

Les vers de la Sibylle étoient gardés avec grand soin par les Romains. On forma à Rome un Collége de quinze personnes, pour veiller à la conservation de cette collection : on les nomma les Quindécemvirs des Sibylles. On ne manquoit jamais de les consulter dans tous les grands évènemens.

Achille. §

D. De qui Achille étoit-il fils ?

R. Achille étoit fils de Thétis et de Pélée. Il fut confié aux soins du Centaure Chiron, qui ne le nourrit que de la moëlle de lion. Sa mère le plongea dans le Styx, pour le rendre invulnérable ; mais le talon par où elle le tenoit en le plongeant ne le fut point.

Thétis même en trempant Achille,
Laisse à la trâme qu’on lui file
Encore un endroit à couper.
(Lamotte.)

Thétis savoit que le Destin avoit décidé qu’Achille périrait devant Troye ; pour empêcher que son fils ne suivît les Grecs ligués contre cette malheureuse ville, elle le fit déguiser en femme, et l’envoya, sous cet habit, dans l’île de Scyros, à la cour de Lycomède.

D. Comment et par qui fut-il découvert ?

R. Ulysse, déguisé en marchand, arrive à la cour de Lycomède. Il avoit mêlé des armes parmi les bijoux qu’il devoit présenter aux dames. Achille se saisit d’abord des armes, les manie avec beaucoup d’adresse : à ce trait Ulysse reconnut Achille :

Ulysse, cependant, zélé pour sa patrie,
           Veut lui rendre le seul Héros
Dont l’appui des Troyens doit sentir la furie,
Et, pour le découvrir, il se rend à Scyros,
           Il étale aux yeux des Princesses
           Des ornemens et des richesses
Dignes de relever l’éclat de leur beauté :
Achille, avec dédain, envisage leurs charmes ;
Mais d’un trouble soudain il paroît agité,
Quand, parmi ces atours, il voit briller des armes,
Qui semblent l’accuser de son oisiveté.
L’ingénieux Ulysse, à ces signes certains,
Reconnoît le Héros que demande la Grèce, etc.
(La Grange-Chancel.)

P, Que fit Achille reconnu par Ulysse ?

R, Il le suivit avec joie, et Thétis fut contrainte de le laisser partir ; mais elle lui fit faire auparavant des armes d’une excellente trempe par Vulcain. Achille est devant Troye, il y fait des prodiges : mais Agamemnon lui ayant enlevé sa captive Briséïs, il se retire dans sa tenté, et refuse de combattre. Seulement il consent de passer ses armes à Patrocle son ami intime. Celui-ci fait un grand carnage parmi les Troyens ; il défit Hector ; mais il tombe sous les coups du Héros Troyen.

D. Qu’arriva-t-il après cette mort ?

R. Achille brûlant de venger la mort de son ami, reprend les armes, attaque Hector, le tue, l’attache par les pieds à son char, et le traîne trois fois autour des murs de Troye et du tombeau de Patrocle. Priam, accompagné d’une partie de sa famille, redemande le cadavre de son fils, pour lui rendre les derniers devoirs. Achille l’accorda, sur-tout aux larmes de Polixène, sœur d’Hector, dont la beauté avoit paru toucher son cœur ; il désira de l’épouser ; on convint de tout. On étoit à peine assemblé dans le Temple pour célébrer ce mariage, que Pâris décocha une flèche empoisonnée dans le talon d’Achille ; il mourut sur le-champ. Apollon, lui-même avoit conduit la flèche.

A peine il a du coup senti la rude atteinte,
Qu’il tombe ; et, d’un regard qui fait naître la crainte,
Reprochant à Pâris son indigne attentat :
Il faut céder, dit-il, au destin qui m’abat ;
Je meurs : du lâche coup, dont la rigueur m’entraîne,
L’infamie étoit due au ravisseur d’Hélène.
(T. Corneille.)

Le sort de la ville de Troye étoit attaché à la conservation du Palladium : c’étoit une statue de Minerve, descendue du ciel, et qui s’étoit plantée comme d’elle-même sur l’autel. On prétend qu’elle rouloit toujours les yeux, et remuoit de temps en temps la lance qu’elle tenoit à la main. Il fut enlevé par Diomède et Ulysse. Troye fût prise et saccagée l’an du monde 2070.

Pyrame et Thisbé. §

D. Racontez-nous l’histoire de Pyrame et de Thisbé ?

R. Pyrame et Thisbé s’aimoient tendrement, malgré les défenses de leurs parens. Ils se donnèrent un jour rendez-vous hors de la ville de Babylone, près d’un mûrier blanc, au pied duquel étoit le tombeau de Ninus. Thisbé arriva la première, et apperçut une lionne ; la peur la fit fuir avec tant de précipitation, qu’elle laissa tomber son voile. La lionne le déchira et l’ensanglanta. Pyrame arriva au rendez-vous, apperçut le voile tout ensanglanté ; se persuadant que sa maîtresse avoit été dévorée, se perça de son épée. Comme il expiroit, Thisbé le vit en cet état, et se doutant bien de la causé de sa mort, elle se perça de la même épée. Les mûres qui étoient blanches devinrent rouges, et conservèrent toujours depuis cette couleur.

Philémon et Baucis. §

D. Que dit-on de Philémon et de Baucis ?

R. Jupiter et Mercure voyagèrent dans la Phrygie sous une forme humaine. Tout le monde les rebuta ; Philémon et Baucis, sa femme, malgré leur pauvreté, leur firent bon accueil. Les Dieux, pour les récompenser, changèrent leur cabane en un Temple, et eux-mêmes furent changés en arbres, après qu’ils eurent joui d’une longue et heureuse vie.

Pygmalion. §

D. Qu’étoit Pygmalion ?

R. Pygmalion, selon plusieurs Auteurs, étoit roi de Tyr, et frère de Didon. Il fit une statue d’ivoire qui représentoit une femme ; elle étoit d’une si rare beauté, qu’on eut dit qu’elle étoit animée. Il en devint éperdument amoureux.

Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père.

Il fit mille extravagances pour cette statue. Ayant prié Vénus de l’animer, il fut exaucé. Il épousa sa statue, dont il eut Paphus, qui bâtit la ville de Paphos.

Adonis. §

D. Que dit-on d’Adonis ?

R. Adonis, fils de Myrrha, fut aimé tendrement de Vénus. Il aimoit passionnément la chasse ; il perça d’une flèche un sanglier, que ses chiens relançoient : cet animal furieux se jeta sur lui, et le tua : la Déesse de l’Amour le changea en anémone.

Fin des Leçons élémentaires sur la Mythologie.

Traité sommaire de l’Apologue, ou de la Fable morale. §

D. Qu’entend-on par Fables morales ?

R. On entend des fictions faites à dessein d’instruire les hommes en les amusant.

L’Apologue ou la Fable est le remède que de grands génies ont employé pour combattre et détruire le vice.

La morale sans doute est l’ame de la Fable,
   C’est une fleur qui doit donner son fruit,
……………………………………………………
L’homme n’eût point voulu d’un précepte sévère ;
Pour le prendre il falloit trouver cet hameçon.
Ainsi ce Phrygien7 que l’univers renomme,
      Fut Précepteur du genre humain.
      Qu’un lecteur est bien sous sa main !
Il l’amuse en enfant » mais pour en faire un homme.
(Lamotte, L. 5. F. 3.)

La Fable est une philosophie déguisée qui ne badine que pour instruire, et qui instruit toujours d’autant mieux, qu’elle amuse.

D. Quel est l’Auteur qui a le mieux réussi en ce genre ?

R. C’est, sans contredit, La Fontaine. Ce Poëte incomparable a mis les Fables d’ Ésope en vers français avec un naturel et des grâces inimitables ; tout devient or entre ses mains.

Tout fleurit dans ses vers ; le plus vil animal
          Est éloquent………………………
(Lamotte, L.3. F.10.)

D. Quels sont les personnages que l’Apologue emploie le plus souvent ?

R. Les animaux, les arbres, etc. En effet, ce sont des maîtres, dont les leçons sont d’autant mieux écoutées, qu’elles choquent moins l’amour propre, toujours ombrageux de l’homme. Voici comme s’en explique notre Auteur :

Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons ;
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.
(La Fontaine.)

Et ailleurs :

Les Fables ne sont pas ce qu’elles semblent être :
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui ;
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire ;
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
(L. 6. F. 1.)

Il ajoute dans un autre endroit :

Le monde est vieux, dit-on ; je le crois : cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
(L. 8 F. 4.)

D. Quelle est la manière de tirer le plus grand avantage de la Fable ?

R. On doit en l’étudiant, observer avec la même attention les vertus et les vices. Tous, et particulièrement les jeunes gens, y trouveront des leçons utiles. On y rencontre par-tout des préceptes d’une philosophie sage également propres à former l’esprit et le cœur.

      Nous pouvons tous tant que nous sommes,
Trouver ici de quoi corriger nos défauts,
      Et disciples des animaux,
      En apprendre à devenir hommes.
(Lamotte, L. 1. F. 2.)

D. A quoi doit-on sur-tout s’attacher dans l’éducation des enfans ?

R. La première attention que doivent avoir les pères et mères, c’est de n’offrir à leurs enfans que des exemples de vertu8. Le mauvais exemple détruiroit les meilleures leçons. On a mauvaise grâce à blâmer dans ses enfans des défauts ou des ridicules, qu’ils remarqueroient en nous. L’Écrevisse reprochoit à sa fille de marcher mal. Ecoutons la réponse de celle-ci.

Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j’aille droit quand on y va tordu ?
      Elle avoit raison ; la vertu
      De tout exemple domestique
      Est universelle et s’applique
En bien, en mal, en tout ; fait des sages, des sots ;
Beaucoup plus de ceux-ci…………………………
(La Font., L. 12. F. 10.)

Un autre Poëte a dit :

Mère, crains pour ta fille ; elle examine en toi
L’esprit, l’air, tout enfin jusqu’à je ne sais quoi.
Le pis pour cet enfant, dont tu fais tes délices,
C’est qu’elle aime bien moins tes vertus que tes vices.
Quoiqu’ailleurs quelquefois son enfance sommeille,
Elle est auprès de toi tout œil et tout oreille.
(Sanlec., Sat. 3.)

Un bon exemple est le germe de mille bonnes actions. Que l’exemple du vice au contraire est facilement contagieux !

D. La sagesse de mœurs et de conduite suffit-elle dans une mère de famille ?

R. Il faut encore d’autres soins de sa part. Elle doit s’attacher à bien connoître le naturel et le caractère de ses enfans : avec cette connoissance intéressante, elle favorisera les inclinations vertueuses des uns, réprimera les penchans vicieux des autres ; fera éclore dans l’un les qualités les plus heureuses, et fera disparoître du cœur de l’autre les germes honteux des passions et des travers. Otez les soins et la culture, les enfans les plus heureusement nés dégénèrent, et souvent se perdent pour jamais.

Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégénère,
Faute de cultiver la nature et ses dons.
(La Font., L. 8. F.  4.)

D. Comment faut-il punir les fautes ?

R. Toujours avec discrétion et dans le calme des sens. Dans vos réprimandes, montrez-vous toujours, pères et mères, les amis plutôt que les maîtres de vos enfans. Sur-tout que vos corrections soient justes et jamais à contre-temps. Un enfant se noyoit ; un pédant le voit, et au lieu de le tirer sur-le-champ de l’eau, il lui fait une longue harangue :

   Ah ! le petit babouin !
Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !
Et puis prenez de tels fripons le soin.
Que les parens sont malheureux, qu’il faille
Toujours veiller à semblable canaille.
(La Font., L. 2. F. 19.)

Qui ne sent tout le ridicule de cette réprimande déplacée ? L’enfant n’a-t-il pas raison de lui répondre :

Hé, mon ami, tire-moi du danger,
   Tu feras après ta harangue.

Les parens prendront sur-tout un soin particulier d’inspirer à leurs enfans l’amour de Dieu, d’où émane tout bien parfait, tout don excellent ; le plus grand respect pour les lois saintes de la bienfaisance, l’amour de leurs semblables et de la patrie : ils leur répéteront sans cesse que défendra sa patrie, mourir pour elle, contribuer de tous ses moyens à la faire fleurir, est le devoir d’un bon citoyen : ce doit être pour toute ame honnête, la tâche à-la-fois la plus chère et la plus scrupuleusement observée.

D. Quelle doit être l’occupation la plus ordinaire de la jeunesse ?

R. L’étude et les connoissances propres à lui former l’esprit et le cœur doivent l’occuper avant tout. On a trop peu suivi jusqu’ici l’éducation des jeunes personnes du sexe. L’ignorance est également honteuse et funeste pour tous. Les femmes tiennent un rang distingué dans la société ; faites pour charmer les ennuis et les fatigues de l’homme auquel le sort les a réunis, et embellir les jours de sa vie, elles ont la plus grande influence sur les destinées du genre humain. Les connoissances inspirent les goûts sérieux et solides, écartent les amusemens frivoles, attachent aux devoirs domestiques. Quel esprit fin et délié, quelle étendue, quelle variété de connoissances n’exige pas l’éducation des enfans, dont le premier âge leur est confié ! et quels charmes ne répandent pas dans la vie ces femmes estimables, dont l’esprit orné réunit aux connoissances une douce aménité de caractère et tous les attraits d’une aimable modestie ! Le premier devoir et le plus grand intérêt des jeunes personnes, est donc de se remplir l’esprit de connoissances solides : elles doivent en faire leur principale occupation.

D. Faites-nous connoître par quelque exemple le mépris attaché à l’ignorance, et son dénuement de toutes ressources dans le besoin ?

R. Ecoutons La Fontaine ; voici ce qu’il nous dit d’un riche ignorant qui s’égaye aux dépens d’un savant en ces termes :

……………………… Tenez-vous table ?
Que sert à vos pareils de lire incessamment ?
Ils sont toujours logés à la troisième chambre,
Vêtus au mois de Juin comme au mois de Décembre,
Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.
           La République a bien affaire
           De gens qui ne dépensent rien.
…………………………………………………………
L’homme lettré se tut…………………………………
La guerre le vengea bien mieux qu’une satyre.
Mars détruisit le lieu que nos gens habitoient.
           L’un et l’autre quitta la ville ;
           L’ignorant resta sans asyle :
           Il reçut par-tout des mépris.
L’autre reçut par-tout quelque faveur nouvelle.
           Cela décida leur querelle.
Laissez dire les sots ; le savoir à son prix.
(La Font., L. 8. F. 19.)

Le paresseux peut lire ses devoirs dans la Fable de la Fourmi et de la Cigale ; L’homme d’étude et de travail au contraire voit dans l’exemple de la Fourmi quel est le prix de la diligence, et combien il est avantageux de se faire de bonne heure un bon fond, et des provisions utiles pour le soir de la vie, c’est-à-dire, pour le temps de la vieillesse. (La Font., L. 1. F. 1.)

D. Quel est le défaut le plus ordinaire de la jeunesse ?

R. C’est la légèreté : réflexion, prudence, sont des vertus qu’elle connoît peu. Tout l’amuse, tout la distrait, elle se repaît de futilités ; les choses sérieuses et vraiment intéressantes l’ennuient ; elle ne goûte rien de ce qui peut lui être utile. Cet esprit de légèreté, ce penchant aveugle pour les bagatelles l’entraînent souvent dans mille dangers qu’elle n’a pas su prévoir. La Fable du Bouc imprudent est une trop fidèle image de la jeunesse étourdie, inconsidérée, qui se laisse entraîner si légèrement dans les folies les plus pernicieuses.

Capitaine Renard alloit de compagnie
Avec son ami Bouc, des plus hauts encornés,
Celui-ci ne voyoit pas plus loin que son nez ;
L’autre étoit passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
           Là, chacun d’eux se désaltère.
Ce n’est pas tout de boire, il faut sortir d’ici,

(dit le Renard) ; il exhorte son ami à lui prêter son dos et ses cornes).

Par ma barbe, dit l’autre, il est bon…
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
           Et vous lui fait un beau sermon,
           Pour l’exhorter à patience :
Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
           Tu n’aurois pas à la légère
Descendu dans ce puits. Or, adieu, j’en suis hors :
Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts.
(La Font., L. 3. F. 5.)

D. Est-il intéressant de s’appliquer au bien de bonne heure ?

R. Rien n’importe tant au jeune âge, que de se plier au bien dès ses tendres années, et de contracter d’heureuses habitudes. Les premiers penchans s’effacent difficilement ; on connoît la force de l’habitude : le pli une fois formé, pour le bien comme pour le mal, rien au monde ne peut le faire disparoître.

                    Tant le naturel a de force,
Il se moque de tout ; certain âge accompli,
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.
(La Font., L. 2. F. 18.)

D. Quelle est la source la plus féconde des vices de la jeunesse ?

R. C’est la mauvaise compagnie. Evitez avec soin toutes les personnes peu exemplaires. Si vous fréquentez les méchans, bientôt la contagion gagnera jusqu’à vous ; le cœur, l’esprit, en seront également infectés, rien n’est si contagieux que le mauvais exemple.

Il faut faire aux méchans guerre continuelle.
(La Font. L. 8. F. 13.)

ou du moins éviter soigneusement leur compagnie.

D. Que pensez-vous des flatteurs ?

R. Ils sont les ennemis les plus dangereux de ceux qui les écoutent. Le poison de la flatterie est d’autant plus pernicieux, qu’il est plein de charmes, et n’offre au premier abord que des douceurs ; mais il ne tarde pas à faire sentir toute son amertume, et à nous rendre ses infortunées victimes. Les paroles suivantes de La Fontaine s’adressent à quiconque écoute le flatteur avec complaisance, et se laisse prendre à ses douces et perfides amorces :

      Mon bon Monsieur,
   Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépensée celui qui l’écoute.
(L. 1. F. 2.)

D. Quel est le cas que l’on doit faire de l’amitié, et quels en sont les caractères ?

R. Rien n’est si propre que l’amitié à semer de fleurs les routes de la vie, et à nous faire goûter les charmes de l’existence. Elle adoucit nos peines, double nos plaisirs par ses doux épanchemens ; elle nous offre mille et mille ressources dans le besoin : enfin elle est un trésor inappréciable pour les ames sensibles et délicates.

La véritable amitié est sincère, indulgente, douce, compatissante, généreuse ; elle ne connoît point le poison de la flatterie, elle pardonne tout, toujours d’une humeur égale, jamais fantasque ; les sacrifices ne lui coûtent point ; sa bourse est toujours ouverte, jour et nuit elle est debout : son temps, ses veilles, sa fortune, ses facultés, tout son être appartient à ses amis, leurs intérêts sont les siens, les servir en tout est sa plus douce jouissance.

La Fable des deux Amis est un modèle admirable d’une parfaite amitié.

Deux vrais Amis vivoient au Monomotapa :
L’un ne possédoit rien qui n’appartint à l’autre ;
                   Les amis de ce pays-là
           Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.
(La Font., L. 8. F. 11.)

Tous deux dorment profondément. Un songe trompeur représente à l’un son camarade dans l’embarras. Il se lève en sursaut, prend son épée, vole à son secours. L’autre étonné de voir son ami à pareille heure, le croyant dans la peine, n’attend pas qu’il s’explique, lui offre sa bourse, son bras.

Qui d’eux aimoit le mieux, que t’en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu’on la propose.
Qu’un ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur :
     Il vous épargne la pudeur.
     De les lui découvrir vous-même.
     Un songe, un rien, tout lui fait peur
     Quand il s’agit de ce qu’il aime,
(Idem.)

D. Comment les jeunes personnes doivent-elles envisager l’amour ?

R. Elles doivent le considérer comme la passion la plus redoutable et la plus dangereuse. Il n’est rien au monde sur quoi elles soient obligées de se surveiller davantage. Le soin de leur réputation, l’innocence des mœurs, les lois saintes de la conscience, leur propre bonheur, leur en font un devoir particulier. Leur réputation, cette fleur si délicate et si précieuse, leur impose la loi d’avoir toujours devant les yeux les tristes et nombreux naufrages que tant de personnes ont faits, pour avoir imprudemment écouté cette funeste passion.

Amour, amour, quand un nous tiens,
On peut bien dire : adieu prudence.
(La Font., L. 4. F. 1.)

Cette passion aveugle n’a d’autre guide que la folie. Les plus grands génies en ont souvent fait la triste expérience. La vertu elle-même a plus d’une fois honteusement échoué contre ce dangereux écueil.

D. Quelles sont les précautions qu’on doit apporter pour se défendre de cet ennemi si funeste à notre bonheur ?

R. La fuite du danger, l’attachement le plus religieux à ses devoirs la compagnie des personnes sages et vertueuses, l’éloignement de celles dont la conduite est suspecte, la proscription absolue des mauvais livres.

Que les jeunes personnes ne perdent jamais de vue que

L’honneur est comme une île escarpée et sans bords ;
On n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors.
(Boileau.)

D. Comment doit-on considérer la beauté ?

R. Comme le trésor le plus fragile : c’est une rose que l’aurore voit éclore, et qui finit avec le déclin du jour qui l’a fait naître. Le mérite seul peut donner du prix à la beauté. La vertu et les talens ne vieillissent pas. On ne doit donc jamais se laisser prendre aux apparences. Un Renard voyant une belle tête :

Belle tête, dit-il, mais de cervelle point !
(La Font., L. 4. F. 14.)

Laissons l’écorce, pour ne nous attacher qu’au solide. L’homme tire tout son prix de l’ame et de ses qualités.

D. Le choix d’un époux est-il une chose bien importante ?

R. On doit le regarder comme l’action la plus importante de la vie. De ce choix, bien ou mal fait, dépend le bonheur ou le malheur des jours. Les jeunes personnes doivent avant tout invoquer les lumières du ciel pour les conduire et les éclairer dans ce choix. Elles ne manqueront jamais de consulter des personnes d’un conseil mûr et sage. La probité, les bonnes mœurs, les qualités douces et honnêtes de lame obtiendront toujours la préférence sur la fortune et les agrémens du corps. La vertu, les talens, la bonne conduite, remportent sur les richesses et la beauté. Tout le prix de l’homme est dans son ame, et non dans son coffre ou dans un beau masque. Qu’elles imposent donc silence aux sens, pour n’écouter que le conseil de la raison et de la sagesse. Elles se garderont bien d’imiter le tom précieux et ridicule si bien peint dans la Fable :

Quoi, moi ! quoi, ces gens-là ! l’on radote, je pense ;
A moi les proposer ! hélas ! ils font pitié ;
           Voyez un peu la belle espèce.
(La Font., L. 7. F. 5.)

Qu’arriva-t-il à cette belle dédaigneuse ? Écoutez-le de La Fontaine :

Celle-ci fit un choix qu’on n’auroit jamais cru,
Se trouvant à la fin toute aise et toute heureuse,
          De rencontrer un malotru.

D. Exposez- nous les devoirs principaux des époux ?

R. Ou peut les réduire à trois, savoir : à ce qu’ils se doivent mutuellement, à ce qu’ils doivent à leurs enfans, enfin à ce qu’ils doivent au gouvernement de leurs domestiques, et de l’intérieur de la maison.

1.° Les époux n’oublieront jamais que les liens du mariage sont les plus augustes et les plus respectables. Les deux époux se doivent le bonheur l’un à l’autre ; des égards, des soins mutuels, tout ce qui peut embellir l’existence et faire le charme de la vie. Une estime réciproque et bien méritée environnera toujours la couche nuptiale, et resserrera chaque jour davantage les doux nœuds qui les attachent l’un à l’autre. Maris, chérissez uniquement vos épouses ; vous ne pouvez avoir d’amis plus tendres, de confidens plus sûrs. Epouses, ne cessez de vous attacher à plaire à vos maris ; ils sont votre soutien, votre consolation, et la gloire de vos jours. Il s’élèvera quelquefois des nuages : (le plus beau ciel n’a-t-il pas aussi les siens ?) Patience, modération, support mutuel, douceur ; sages époux, voilà vos armes : bientôt l’orage se dissipera, et vous recommencerez à goûter les douceurs d’un heureux calme.

Plus fait douceur que violence.
(La Fontaine.)

2.° Comme chefs de famille, leur occupation la plus douce, la plus chère, j’ajoute la plus sacrée, sera le soin de leurs enfans : c’est un dépôt précieux confié à toute leur sollicitude. Leur éducation demande leurs premiers soins ; les bien pénétrer de tous les devoirs de l’homme et du citoyen ; nourrir leurs jeunes cœurs de l’amour de leur patrie, de leurs semblables ; leur inspirer un attachement solide et sincère pour les lois de leur pays, et un respect religieux pour les magistrats ; répandre dans le sein de ces tendres plantes les semences de tontes les vertus morales et civiles ; enfin orner leur esprit des connoissances utiles et agréables : telle est l’importante, la noble et la sainte tâche imposée à tous les pères et mères. Ils se souviendront aussi de marquer à tous leurs enfans les mêmes attentions, la même tendresse. Combien de malheurs doivent être attribués à une indiscrète prédilection des pères et mères pour certains de leurs enfans !

3.° Les maîtres ont encore des devoirs importans à remplir à l’égard de leurs domestiques. Ils les traiteront avec douceur ; ils leur marqueront des attentions, des soins ; ils n’aviliront pas, par d’indignes procédés, l’auguste qualité d’homme que la main du suprême Créateur a imprimée sur leur front ; ils verront en eux des frères, qui ont des droits à leur bienveillance, et dont ils doivent faire le bonheur en échange des services qu’ils en reçoivent. Ils auront un soin particulier à leur inspirer l’amour du bien, de la vertu et des actions honnêtes. Ils surveilleront particulièrement leur conduite, régleront leurs mœurs, leur rendront tous leurs devoirs chers et précieux. Ils ne se permettront jamais rien en leur présence qui puisse leur laisser des impressions fâcheuses, ou les porter au mal.

Une femme mariée doit mettre au rang de ses principaux devoirs, le soin de son ménage et de l’intérieur de sa maison. Elle sera très-économe de son temps, elle ne le perdra pas en courses et en visites inutiles, et encore moins au jeu ; elle fuira la compagnie des femmes oisives et désœuvrées : l’occupation fera ses délices, elle chérira sa maison. Qu’elle dise, avec la Fourmi, aux personnes importunes qui ne savent que faire de leur temps :

Adieu, je perds le temps, laissez-moi travailler ;
        Ni mon grenier ; ni mon armoire
        Ne se remplit à babiller.
(La Font., L. 4. F. 3.)

D. Doit-on faire beaucoup de cas de la discrétion ?

R. La discrétion est la vertu du sage ; cette intéressante qualité est malheureusement trop peu commune. On taxe souvent les femmes de porter mal un secret :

      Rien ne pèse tant qu’un secret ;
Le porter loin est difficile aux Dames.
(La Font., L. 8. F. 6.)

Elles pourraient ajouter avec le bon La Fontaine :

      Je sais même sur ce fait,
Bon nombre d’hommes qui sont femmes.

On ne peut donc trop s’attacher à connoître, à respecter la religion du secret ; l’homme d’une probité délicate s’en fait un devoir sacré. Les jeunes personnes doivent prendre de bonne heure l’heureuse habitude d’être scrupuleusement exactes à garder un secret confié. Cette exactitude doit être portée jusques dans les petites choses. Un mari badin fait accroire à sa femme qu’il étoit accouché d’un œuf ; le secret lui étoit bien recommandé.

Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé ;
N’en dites rien sur-tout ; car vous me feriez battre ;
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
(La Font., idem.)

La commère court le dire aussitôt à une autre, puis celle-ci à sa voisine : en une heure, le secret de l’œuf pondu fut le secret de la comédie.

D. Jusqu’à quel point doit-on respecter les discours de la critique ?

R. Notre premier soin doit être de mettre notre conduite à l’abri de tout reproche. Il est beau d’imposer silence à la malignité de la censure par une vie intègre, de faire taire l’envie par des mœurs pures, par une probité sévère, par la douceur et l’aménité de son caractère. Sûr de l’estime méritée des gens de biens, on peut alors faire peu de cas des discours qui ne doivent leur naissance qu’à la malveillance. Il faut avoir le courage de se mettre au-dessus de pareils discours : ils ne méritent que nos mépris.

D. De quel œil devons-nous voir les défauts des autres ?

R. Nous devons les voir avec des sentimens d’indulgence comme nous désirons qu’on voie les nôtres. Gardons-nous de traiter avec rigueur les foiblesses du prochain ; nos regards doivent se fixer sur nos défauts, avant de voir ceux de nos semblables. Quand nous serons bien pénétrés de la certitude de nos perfections, nous serons bien plus disposés à l’indulgence pour les autres : voilà ce que nous devons être ; mais est-ce bien là ce que sont la plupart des hommes. A combien d’entre nous La Fontaine n’auroit-il pas le droit de dire :

Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tous, et rien aux autres hommes.
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain.
       Le fabricateur souverain
… Fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
(L. 1. F. 7.)

D. Quels sont les défauts les plus nuisibles à la société, et les plus honteux pour l’homme qui s’en rend coupable ?

R. Ce sont la fourberie, l’hypocrisie, le mensonge, la gourmandise, l’entêtement, l’ingratitude, l’orgueil, l’injustice, l’avarice.

D. Dites- nous un mot de la fourberie ?

R. La fourberie est le manque de bonne foi ; c’est un vice du cœur qui dégrade l’homme, qui lui fait perdre l’estime de ses semblables, et qui le rend le fléau de la société. Il faut voir dans La Fontaine un tableau parfaitement dessiné de ce vice honteux dans l’excellente Fable de l’Aigle, de la Laye, femelle du Sanglier, et de la Chatte).

Que ne sait point ourdir une langue traîtresse
   Par sa pernicieuse adresse ?
      Des malheurs qui sont sortis
      De la boëte de Pandore,
Celui qu’à meilleur droit tout l’univers abhorre,
      C’est la fourbe, à mon avis.
(L. 3. F. 6.)

La fourberie est dangereuse non-seulement pour les autres, mais souvent elle n’est pas moins fatale à celui qui l’emploie.

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur,
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
(La Font., L. 4. F. 11.)

Le Loup avoit noirci le Renard dans l’esprit du lion attaqué d’une maladie grave. Il étoit absent, il avoit tort. Le Renard fut mandé. Il se disculpe pleinement, et pour se venger du Loup qui lui avoit rendu ce mauvais service, il dit au roi des animaux : Sire, j’ai consulté plusieurs médecins sur votre maladie ; ils ne connoissent qu’un moyen de guérison, c’est d’envelopper votre majesté de la peau toute fumante d’un Loup écorché vif :

      Le roi goûta cet avis-là :
      On écorche, on taille, on démembre
Messire Loup ; le monarque en soupa,
      Et de la peau s’enveloppa.
(La Font., L. 8. F. 3.)

D. Peignez-nous l’hypocrisie des couleurs qui lui conviennent ?

R. L’hypocrisie est le masque de la vertu ; c’est un vice bas et honteux, qui décèle une ame ennemie de la lumière, et qui ne se pare des traits de la vertu que pour mieux tromper. Le dol et la fourbe marchent toujours à ses côtés : elle est un mensonge continuel ; tout est faux, tout est trompeur dans l’hypocrite ; ses discours, ses gestes, ses regards, toute l’habitude de son corps, son ame toute entière. Ce vice méprisable est justement odieux à toutes les classes de la société. L’homme qui en est entaché ne peut être assez hué, conspué, vilipendé. Il faut le fuir comme une peste dangereuse. La Fable déjà citée (de l’Aigle, de la Laye et de la Chatte, La Font., L. 3. F. 6.), le prouve bien. Le Singe Bertrand, ce rafiné hypocrite, qui se sert de la patte du chat pour tirer les marrons hors du feu, en est un autre exemple.

              Raton avec sa patte,
           D’une manière délicate,
Ecarte un peu la cendre et retire les doigts,
           Puis les reporte à plusieurs fois,
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque,
           Et cependant Bertrand les croque :
Une servante vient, adieu mes gens : Raton
           N’étoit pas content, ce dit-on.
(La Font., L. 9. F. 17.)

On voit encore bien la ruse hypocrite et traîtresse du Vautour dans la Fable de l’Aigle et du Vautour de M.  Richer, (Paris, 1748, L. 1 F. 14).

L’aigle avoit trouvé une huître qui tenoit bon contre les coups de bec,

         Et se tenoit serrée
      Sans vouloir ouvrir sa maison.

Après, de vains efforts,

      Il consulta sur cette affaire
Un docteur du canton, c’étoit un vieux Vautour,
      Maître Gonin, qui savoit plus d’un tour ;
Ouvrir l’huître, seigneur, est fort aisée à faire,
      Répondit le subtil escroc ;
      Faites-la tomber sur un roc.

L’Aigle s’élève vers les cieux, laisse tomber l’écaille qui se brise.

   De l’avaler qui des deux eut la joie ?
Ce fut notre larron ; il fondit sur sa proie
   Dans le moment, et l’aigle de retour
Vit qu’il avoit ouvert l’huître pour le Vautour.

D. Que pensez-vous du mensonge ?

R. On sait combien ce vice est bas et honteux, et nous rend méprisables. On ne peut donner aucune confiance au menteur. La parole est le premier lien de la société ; c’est en briser le nœud le plus sacré, que de s’en servir pour tromper.

Rien n’est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.
(Boileau.)

La candeur est le plus bel ornement de l’ame : cette riche vertu mérite nos hommages et tous nos amours.

Un bûcheron au désespoir, redemandoit sa coignée qu’il avoit perdue : Mercure, pour l’éprouver, vint lui en montrer une d’or, puis une d’argent. Le Bûcheron les refusa toutes deux, disant qu’elles ne lui appartenoient pas. Enfin, le Dieu lui en montra une troisième, qu’il réclama.

Tu les auras, dit le Dieu, toutes trois :
Ta bonne foi sera récompensée.
(La Font., L. 5. F. 1.)

D’autres Bûcherons à qui le mensonge ne coûtoit rien, soutinrent à Mercure que celle qui étoit d’or leur appartenoit.

Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête.
Ne point mentir, être content du sien,
C’est le plus sûr : cependant on s’occupe
A dire faux pour attraper du bien :
Que sert cela ? Jupiter n’est pas dupe.

Que l’amour de la vérité soit notre première passion. L’ame délicate ne sera jamais l’asyle du mensonge.

         On a toujours assez de bien,
En quelque état qu’on soit, quand on a la sagesse.
(M.  Le Noble.)

D. Comment doit-on considérer la gourmandise ?

R. Elle est à juste titre placée au rang des vices qui avilissent l’homme. Celui qui fait un Dieu de son ventre est digne de tous nos mépris : c’est un animal immonde, qui sacrifie tout aux plaisirs honteux de la bouche. Son ame est comme ensevelie dans la fange. Par-tout ses désirs gloutons font taire sa, raison, imposent silence à sa sagesse. M.  De Lamotte nous peint bien l’intempérance du gourmand dans la Fable de l’Huître.

Quel goût ! quelle fraîcheur ! Il avaloit toujours :
Grande exclamation à chaque huître avalée,
      Vive, dit-il, cette eau salée !
Quel délice ! A ce prix je passe ici mes jours.
C’est assez, lui crioit tempérance importune :
Il est sourd à ses cris ; encore une, encore une ;
      Et d’une à une il arriva
      Que l’imprudent glouton creva.
      Voilà l’humaine extravagance :
      Nous nous perdons par les excès :
      Contre plaisir et répugnance,
      Raison perd toujours son procès.

On ne sauroit donc trop fuir l’intempérance ; une fatale expérience ne nous apprend que trop combien cher coûtent les excès en tout genre ; la perte de l’estime, de la fortune, de la santé, de la vie même : tels sont le plus souvent les tristes fruits de l’intempérance.

D. Quel est le jugement qu’on porte dans le monde des caractères entêtés et opiniâtres ?

R. On les fuit, on les évite avec le plus grand soin. Ils sont des fléaux de société. Les dissentions, les querelles les suivent par-tout. L’entêtement décèle un fond d’amour propre insupportable ; l’ignorance souvent le produit. Dans tous les cas, il marque un défaut de savoir-vivre qui nous rend indignes de la bonne société. L’homme honnête et bien élevé fait volontiers le sacrifice de son opinion par égard pour les autres.

D. Que pense-t-on des ingrats ?

R. L’ingratitude est un vice généralement détesté ; cependant il n’en est pas de plus répandu parmi les hommes. On méprise avec raison l’homme ingrat ; néanmoins il se reproduit par-tout :

          L’homme est ingrat, c’est son grand vice :
       Comme une grâce, il sollicite un bien :
       L’a-t-il reçu ? Ce n’est plus que justice.
          On a bien fait, il n’en doit rien.
          Place-t-on un nouveau ministre ?
Il faut pour les flatteurs agrandir son palais.
Des grâces, des trésors n’a-t-il plus le registre ?
          Une solitude sinistre
       Fait déserter jusques à ses valets.
(Lamotte, L. 2. F. 10.)

L’ingrat est souvent puni de sou ingratitude. La Fable de la Tortue et du Scorpion en offre un exemple frappant. Ecoutons le langage que la Tortue tient à ce dernier.

C’est donc ainsi que tu me remercies
   Des égards que j’avois pour toi,
   Ami déloyal et sans foi ?
   Je dois punir tes perfidies :
   Va porter ton poison là-bas.
Que ne puis-je avec toi noyer tous les ingrats !

Que les ames bienfaisantes n’oublient jamais qu’il est beau de faire des ingrats.

Il faut autant qu’on peut obliger tout le monde.
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
(La Font., L. 2. F. 11.)

Le bien ne reste jamais sans récompense. Si les hommes sont injustes, le ciel accorde toujours à la vertu le prix mérité.

D. Que doit-on penser de l’orgueil ?

R. L’orgueil est le produit de l’ignorance et de la sottise. Il suffiroit d’un simple coup d’œil sur nous-mêmes, pour renoncer à toute pensée de suffisance et de présomption. Que sommes-nous, sinon des êtres pétris de foiblesses, de défauts et d’ignorance ? Néanmoins on peut dire que l’orgueil est le mal humain, tant il est généralement répandu chez la pauvre gente, dite raisonnable.

   Qu’est-ce que l’homme ? Aristote répond :
      C’est un animal raisonnable.
Je n’en crois rien. S’il faut le définir à fond,
C’est un animal sot, superbe et misérable.
   Chacun de nous sourit à son néant,
      S’exagère sa propre idée.
      Tel s’imagine être un géant
      Qui n’a pas plus d’une coudée.
Aristote n’a pas trouvé notre vrai nom :
      Orgueil et petitesse ensemble,
      Voilà tout l’homme, ce me semble.
Est-ce donc là ce qu’on nomme raison ?
(Lamotte, L. 1. F. 13.)

Concluons donc que rien ne fait autant de tort à notre raison que le sot orgueil dont se targuent tant de petits personnages tout bouffis de suffisance et de leur propre estime. Plus on a de saine philosophie, moins on s’estime. L’orgueil déplaît à tous, nous fait des ennemis sans nombre ; la modestie au contraire gagne tous les cœurs, et mérite nos hommages : aussi est-elle le partage de toutes les ames bien nées.

D. Avec quel soin doit-on éviter de se rendre coupable d’injustice ?

R. L’injustice est justement repoussée par un mépris général ; elle ne peut reposer que dans un cœur pervers. Ennemie déclarée de la vertu, tous les maux sortent de cette source empoisonnée. Les ames honnêtes doivent donc fuir même jusqu’à l’ombre de l’injustice. Rendre à chacun ce qui lui est dû, respecter scrupuleusement les droits de tous, en un moi, traiter dans toutes choses les autres, comme nous désirons être traités nous-mêmes ; telle sera notre conduite invariable, si nous sommes sages et religieux observateurs de la loi évangélique : telle est la saine morale de tous les honnêtes gens, par laquelle ils ont des droits légitimes à l’estime et à l’affection de leurs concitoyens. Qui ne se sentira saisi d’indignation, en lisant dans M.  Richer la Fable du Chien, du Mouton et du Renard ?

De coucher sur la dure un vieux dogue étoit las ;
Il rencontre un Mouton dont la toison nouvelle
   Lui parut bonne à faire un matelas.
Au paisible animal Moufflar cherche querelle ;
          Tu me dois, lui dit le fripon,
Une livre de laine. Il faut en diligence
                         Me la payer.

Le Mouton nia la dette. Un Renard fut pris pour arbitre ; on procède ; voici la sentence du Renard :

Maraud, on te demande une livre de laine,
      Lui dit ce juge à la douzaine,
On te fait trop de grâce ; et vous n’y pensez pas,
   Seigneur Moufflar, je suis témoin du cas ;
      Au lieu d’une, il vous en doit quatre ;
J’ordonne qu’il les paye, il n’en faut rien rabattre.

Voici la morale :

Le juge patelin fait sa cour au plus fort
         Chez lui le foible a toujours tort.

D. Comment doit-on juger l’avarice ?

R. L’avarice est le vice des ames étroites et dures. Elle enfante bien des maux ; les injustices, les trahisons, la discorde forment son odieux cortège. Elle est à elle-même son propre bourreau ; elle entasse sans cesse, et jeûne sur des tas d’or. On avoit enlevé à l’avare son trésor ; il reposoit près d’une pierre. Que ne le gardiez-vous chez vous, lui dit-on, il vous eût été plus aisé d’y puiser. Y puiser ? répondit-il :

Je n’y touchois jamais. Dites-moi donc, de grâce,
Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent ?
           Mettez une pierre à la place,
           Elle vous vaudra tout autant.
(La Font., L. 4. F. 20.)

L’emploi sage de l’or, et sa juste dispensation, est le seul éclat qu’il ait aux yeux du juste appréciateur des choses. Les richesses sont un dépôt sacré mis entre les mains de l’homme opulent, pour soulager l’indigent, et essuyer les larmes de la misère.

D. Que doit-on penser des personnes passionnées pour la parure et la toilette ?

R. Que ce sont des esprits légers et frivoles, dont la parure fait tout le mérite. Elles se persuadent follement que la considération est attachée à la richesse et à l’éclat des habits. Une dame de haut parage, mais du plus mince mérite, mit un jour son suisse à la porte, pour avoir introduit chez elle un homme distingué par ses lumières et sa vertu, mais qui ne portoit pas des manchettes à la mode ; elle éconduisit l’honnête homme lui-même, qui avoit eu l’insolence de paroître devant madame sans la livrée des modes. On sent combien sont méprisables aux yeux de la raison des personnages aussi ridicules. Une dame Romaine demandait à Cornélie, mère des Gracques, de lui faire voir ses bijoux et ses parures : elle se contenta de lui montrer ses enfans.

La candeur, la modestie, la douceur, l’innocence des mœurs, les connoissances, la vertu : telle est la vraie parure de l’ame, la seule qui mérite notre estime, la seule digne de fixer les désirs et la recherche des femmes honnêtes. Qu’elles aiment la propreté, mais qu’elles fuient tout ce qui annonce la passion de la parure et de la toilette : la vertu ne peut résider dans un cœur possédé d’un goût aussi désordonné. Consultons la Fable du Léopard et du Singe, et bientôt nous dirons avec La Fontaine :

           Ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit.
L’une fournit toujours des choses agréables,
L’autre en moins d’un moment lasse les regardant.
   O que de gens, au Léopard semblables,
      N’ont que l’habit pour tous talens.

Fin du Traité sommaire de l’Apologue.

Histoire des sept Merveilles du monde. §

D. Qu’appelle-t-on les sept Merveilles du monde ?

R. Ce sont sept édifices ou monumens qui ont fait de tout temps l’admiration des hommes.

D. Comment les nommez-vous ?

R. Le Temple de Diane, le Colosse de Rhodes, le Mausolée, le Jupiter Olympien, le Phare d’Alexandrie, les Jardins et les Murs de Babylone, les Pyramides d’Egypte.

Le Temple de Diane, à Éphèse. §

D. Comment considère-t-on le Temple de Diane ?

R. Le Temple de Diane d’Ephèse, est justement nommé une des sept Merveilles du monde. Il étoit un des plus beaux que l’on connut. On y admiroit sur-tout cent vingt-sept colonnes, qui étoient des monumens de la magnificence d’autant de rois. Des tableaux excellens, de superbes statues décoraient ce Temple. On prétend qu’il a été bâti par Ctésiphon.

D. Combien a-t-on mis de temps à le bâtir ?

R. Deux cent vingt ans, et selon quelques-uns quatre cents ans.

D. Qui contribuait aux frais de ce Temple ?

R. Toute l’Asie.

D. Ce superbe édifice subsiste-t-il encore ?

R. Non, Erostrate y mit le feu, pour faire un nom. Cet accident arriva le jour même qu’Alexandre le grand naquit en Macédoine, le sixième jour de Juillet, l’an du monde mil six cent quatre-vingt-dix-huit.

Le Colosse de Rhodes. §

D. Qu’étoit le Colosse de Rhodes ?

R. C’étoit une statue d’airain d’Apollon. Elle étoit placée au port de Rhodes, et étoit d’une hauteur si extraordinaire, qu’on assure que les navires passoient à pleines voiles entre ses jambes. Elle avoit cent cinq pieds de haut.

D. Qui a fait ce Colosse ?

R. Charès de Lynde, disciple du fameux sculpteur Lysippe.

D. Demeura-t-il longtemps sans accident ?

R. Cinquante-six ans après qu’il fut fait, il fut renversé pan un tremblement de terre. Un marchand Juif en acheta les débris, et en chargea neuf cents chameaux.

Le Mausolée. §

D. Que signifie le mot Mausolée ?

R. On donne ce nom aux monumens élevés à la gloire des grands hommes, et aux représentations des tombeaux dans les pompes funèbres.

D. Quelle est l’origine de ce nom ?

R. Il vient du mot Mausole, roi de Carie. Artémise, son épouse, ne pouvoit se consoler de la mort de ce Prince.

   Ainsi quand Mausole fut mort,
   Artémise accusa le sort,
   De pleurs se noya le visage,
   Et dit aux astres innocens
   Tout ce que fait dire la rage
Quand elle est maîtresse des sens.
(Malherbe.)

Pour adoucir sa douleur, elle fit bâtir ce tombeau avec des soins et des frais immenses, au point qu’il mérita d’être mis au rang des sept Merveilles du monde.

Le Jupiter d’Olympie. §

D. Qu’appeloit-on le Jupiter Olympien ?

R. C’étoit la statue de ce Dieu, placée dans le Temple qu’il avoit à Olympie, ville célèbre, située entre le mont Ossa et le mont Olympe.

D. Qui a fait cette statue ?

R. Phidias, fameux sculpteur ; cet ouvrage magnifique mérita l’admiration de toute l’antiquité.

D. Faites-nous la description de ce beau travail ?

R. La statue étoit d’or et d’ivoire : elle représentoit le Dieu assis sur un trône d’or enrichi de pierres précieuses ; il portoit sur la tête une couronne qui imitoit la forme de l’olivier ; la chaussure et le manteau étoient aussi d’or ; le Dieu tenoit de la main droite une victoire d’or et d’ivoire, et de la gauche un sceptre surmonté d’un Aigle.

Le Temple pouvoit passer lui-même pour une merveille. Il étoit orné de tout ce que la peinture et la sculpture pouvoient offrir de plus rare et de plus précieux ; les plus beaux marbres, le bronze, l’or et l’ivoire, décoroient l’intérieur de ce bâtiment, dont l’architecture étoit admirable.

Le Phare d’Alexandrie. §

D. Qu’étoit le Phare d’Alexandrie ?

R. C’étoit un superbe édifice, ouvrage de Sostrate, Gnidien.

Di- Décrivez-nous les parties et l’usage de ce beau monument ?

R. Au-dessus d’un palais de marbre blanc, s’élevoit une tour quarrée, bâtie du même marbre, et d’une hauteur extraordinaire : c’étoit un composé de plusieurs galeries soutenues les unes sur les autres, par de riches colonnes. Du haut de cet édifice, où l’on allumoit tous les soirs un fanal pour éclairer l’entrée du port, on prétend que l’on découvroit tous les vaisseaux qui abordoient à l’île de Rhodes, éloignée de deux cents lieues.

D. Quand fut-il bâti ?

R. Il fut bâti sous le règne de Ptolomée Philadelphe. Il ne reste plus rien aujourd’hui de ce monument célèbre.

Les Jardins et les Murs de Babylone. §

D. A qui est due cette Merveille du monde ?

R. A Sémiramis, reine d’Egypte ; ces magnifiques ouvrages immortalisèrent son règne.

Que la reine en ces lieux brillant de sa splendeur,
De son puissant génie imprime la grandeur !
Quel art a pu former ces enceintes profondes,
Où l’Euphrate égaré porte en tribut ses ondes ;
Ce Temple, ces Jardins, dans les airs soutenus,
Ce vaste Mausolée où repose Ninus ?
(Voltaire.)

D. Dites-nous quelque chose des Jardins ?

R. Ils étoient d’une beauté surprenante, très-vastes, et soutenus en l’air par des colonnes.

D. Par où les Murailles de Babylone étoient-elles sur-tout remarquables ?

R. Elles étoient remarquables par leur épaisseur, leur hauteur et leur circuit. Elles avoient 87 pieds d’épaisseur, 350 pieds de hauteur, et 20 lieues de circuit. Elles formoient un quarré parfait, dont chaque côté étoit de 5 lieues. Chaque côté avoit 25 portes, ce qui fait en tout 100. Ces portes étoient d’airain massif ; de là vient que Dieu, permettant à Cyrus la conquête de Babylone, lui dit : (Isaïe, chap. 25. v. 2.) Je romprai les portes d’airain.

Les Pyramides d’Égypte. §

D. Par qui furent élevées les Pyramides d’Égypte ?

R. Par les Rois d’Égypte.

D. Combien compte-t-on de ces superbes monumens ?

R. Il en existoit un grand nombre ; mais il en reste peu de bien conservées. Les plus belles sont auprès du vieux Caire. Elles sont au nombre de trois, distantes l’une l’autre de deux cents pas. Leur hauteur est si prodigieuse, qu’elles semblent se perdre dans les nues.

D. Exposez-nous en peu de mots l’usage de ces merveilles de l’art ?

R. Elles étoient destinées à recevoir les corps des Rois et des Reines après leur mort. Les Pyramides étoient revêtues de marbre en dehors, et environnées de nombreux édifices de la plus grande magnificence.

Noms des Sept Sages de la Grèce. §

Thalès : Ce Philosophe possédoit une étude profonde de la morale, et disoit que de toutes les connoissances humaines, la plus difficile étoit celle de soi-même.

Bias : Étoit un trésor de sciences et de vertus. L’ennemi emporta d’assaut Priène sa patrie ; averti de sauver promptement ses richesses, il répondit en s’éloignant : j’emporte tout avec moi.

Pittacus ; Cléobule ; Périandre : Ces trois Philosophes furent des Sages ; voilà leur histoire.

Solon : Faisoit consister la vraie richesse dans la vertu, seul trésor que le temps ni la fortune ne peuvent altérer.

Chilon : Sa philosophie se bornoit au simple nécessaire, et sa maxime étoit : Rien de trop.

FIN.