Louis Baude

1845

Mythologie de la jeunesse

2016
Baude, Louis (1804-1862), Mythologie de la jeunesse, par M. Louis Baude, auteur des cahiers d’une élève de Saint-Denis ; [dessins par Gérard Seguin], Paris, J. Hetzel, Collection Hetzel, s. d. [1845], 160 p. Source : Gallica.
Ont participé à cette édition électronique : Nejla Midassi (Stylage sémantique) et Diego Pellizzari (Encodage TEI).

[Frontispice] §

[Fig. 1]

[Page de titre] §

[Fig. 2]

Préface §

La Mythologie est une matière où l’invention, étant un droit d’aînesse, comme dit La Fontaine, appartient tout entière aux anciens. Aussi, quant à ce qui regarde la part de l’auteur dans un ouvrage de ce genre, nous bornerons nous à dire seulement quelques mots du plan que nous avons adopté et du but que nous avons tâché d’atteindre dans ce petit traité, qui vient après tant d’autres. Il nous a semblé qu’en cherchant à faire de la mythologie, mélange confus des débris de l’histoire et des fictions de la poésie, un tout composé de parties correspondantes, on rentrait dans l’obscurité dont on avait voulu sortir. Pour éviter cet inconvénient, nous avons séparé les métamorphoses et les aventures des dieux de leur généalogie et de leurs attributs. La clarté, qui est une des qualités essentielles de tout ouvrage destiné à l’instruction du jeune âge, nous faisait une loi de cette division. Aussi bien, il s’agit ici d’instruire encore plus que de plaire. La vie et la beauté des fables, dont se compose la mythologie, sont des choses qui ne se transportent pas. Homère, Virgile, Ovide, voilà leur sol natal ; c’est là qu’il faut aller chercher tous ces brillants mensonges de l’antiquité païenne. Mais dans un traité didactique, comme celui-ci, destiné à précéder l’étude des poëtes anciens, on doit, avant tout, se proposer l’utilité.

Nous avons donc divisé ce petit cours de mythologie en deux parties. La première contient purement et simplement, comme nous l’avons dit, la généalogie et les attributs des dieux, et la seconde leurs aventures et leurs métamorphoses. Cette division a surtout l’avantage d’aider à la mémoire des enfants, en leur présentant d’un côté tout ce qu’il est essentiel de savoir sur la nature de chaque divinité en particulier, et en leur offrant, de l’autre, dans les métamorphoses, autant de petites scènes détachées, dont chacune forme une histoire à part, et qui, racontées isolément, frappent davantage l’imagination. Enfin, nous avons suivi le conseil de Rollin en rejetant dans des notes explicatives les interprétations, quelquefois arbitraires, qu’on peut donner des fables, soit historiques, soit allégoriques, et qui, lorsqu’elles se trouvent mêlées au récit de chaque fiction, ne servent qu’à en ôter tout le charme.

L. B.
[Fig. 3]

Notions préliminaires §

Origine de la Fable. — Nécessité de l’étude de la mythologie. §

La mythologie est l’histoire des traditions et des croyances religieuses de l’antiquité païenne. Le mot mythologie est composé de deux mots grecs, dont le premier signifie fable, tradition, et le second, discours.

La Fable est, en grande partie, une altération des vérités que Dieu révéla au premier homme, et de certains faits primordiaux de l’histoire tant sacrée que profane, qui, en passant de peuple en peuple, de bouche en bouche, ont été plus ou moins dénaturés par les opinions populaires. Les poètes, dont l’objet est d’embellir et d’animer tout ce qu’ils touchent, et les philosophes, obligés souvent de recourir à des allégories et à des personnifications pour rendre plus sensibles leurs systèmes sur la formation du monde et les phénomènes de la nature, ont beaucoup contribué, de leur côté, à agrandir ce monde de l’imagination. Enfin, la corruption du cœur humain, naturellement porté à diviniser ses passions et ses vices pour les excuser, a été aussi une source féconde de fictions.

La mythologie ne doit donc pas être regardée comme un tissu de contes inventés à plaisir. La plupart des fables dont elle se compose sont ou historiques ou allégoriques ; en les lisant, il ne faut pas s’arrêter à la surface, mais tâcher de pénétrer jusqu’aux vérités qu’elles déguisent, avec discrétion toutefois, car, de même que tout n’y est pas pur, tout n’y est pas non plus explicable. L’ombre s’y mêle à la lumière.

Considérée dans ce qu’elle a de noble et de sérieux, l’étude de la mythologie doit être rangée au nombre de celles que les jeunes gens ne peuvent se dispenser d’acquérir de bonne heure. La mythologie, en effet, a été pour les poètes et les artistes de tous les temps un fonds inépuisable d’images riantes et d’idées ingénieuses. Beaucoup de fables, sans doute, ont vieilli et ne sauraient se concilier avec l’esprit des croyances chrétiennes ; mais il en est une foule d’autres qui conserveront toujours leur grâce, leur fraîcheur et leur vérité. L’étude de la Fable est encore indispensable pour l’intelligence des auteurs grecs et latins ; elle est même inséparable de l’étude de l’histoire ancienne, car la religion des peuples est tellement identifiée avec leur histoire, qu’il est impossible de comprendre leurs mœurs et de se rendre compte des événements sans une connaissance approfondie de leurs croyances religieuses. Enfin, la mythologie se retrouve partout, dans les temps modernes comme dans les temps anciens. Elle décore nos palais, nos galeries, nos jardins. N’est-il pas évident que ces tableaux, ces statues, ces tapisseries, ces bas-reliefs, qui ont aussi leur langage, sont autant d’énigmes pour ceux qui ignorent la Fable ?

Ajoutons à tout cela que la mythologie, en particulier, a un avantage qui manque à beaucoup d’autres sciences : c’est d’unir l’agréable à l’utile1.

[Fig. 4]

Division de ce traité §

Nous diviserons ce Traité en deux parties principales :

La première traitera de la généalogie et des attributs des dieux, et de l’histoire des demi-dieux et des héros.

La seconde traitera des métamorphoses2.

[Fig. 5]

Première partie §

[Fig. 6]

Le Chaos. — Formation du monde. — Les quatre âges. §

Avant la formation du monde, il n’existait que le Chaos, assemblage confus de tous les éléments. Le soleil et la lune n’éclairaient pas ; la terre n’était point suspendue au milieu de l’espace, et la mer était sans rivages. Le froid et le chaud, le sec et l’humide, les corps pesants et les corps légers se livraient une guerre perpétuelle. Un dieu inconnu mit fin à ce désordre, en marquant à chaque élément la place qu’il devait occuper et en assujettissant la nature aux lois d’une immuable harmonie. Le Chaos cessa d’exister3.

C’est alors que parurent le soleil, la lune, les étoiles, les animaux de l’air, de la terre et des mers, et enfin l’homme.

On vit d’abord fleurir l’innocence et la justice. La terre produisait sans culture, et des fleuves de lait et de miel coulaient de toutes parts. C’était l’âge d’or4 [Fig. 7].

[Fig. 7]

À cet âge heureux succéda l’âge d’argent, où l’homme, déchu, de sa pureté, fut condamné à se vêtir, à bâtir des maisons et à cultiver la terre [Fig. 7]. Il fut suivi de l’âge d’airain, où commencèrent les crimes et les combats [Fig. 8]. Enfin se leva l’âge de fer, époque où l’impiété amena le débordement de tous les crimes [Fig. 9].

[Fig. 8]
[Fig. 9]

Jupiter, voyant la corruption générale des hommes, résolut de les exterminer par un déluge universel. La surface de la terre fut inondée, et le genre humain périt tout entier, à l’exception de Deucalion, le plus juste des hommes, et de Pyrrha, la plus vertueuse des femmes. Ils se sauvèrent dans une barque, qui s’arrêta sur le sommet du Parnasse [Fig. 10]. Quand les eaux se furent tout à fait retirées, ils allèrent consulter la déesse Thémis, qui rendait les oracles au pied de ce mont. L’invisible divinité leur fit cette réponse mystérieuse : « Sortez du temple, voilez-vous le visage, détachez vos ceintures, et jetez derrière vous les os de votre mère. » Deucalion, après avoir cherché pendant quelque temps le sens de ces paroles, comprit qu’il s’agissait de la terre, mère commune des hommes, et des pierres de la terre, qui sont comme les os de ce grand corps. Ils en ramassèrent donc, et firent ce que Thémis avait ordonné.

[Fig. 10]

Les pierres de Deucalion devinrent des hommes, et celles de Pyrrha furent changées en femmes [Fig. 11]. La terre, ainsi repeuplée, vit renaître les arts et le culte des dieux [Fig. 12].

[Fig. 11]
[Fig. 12]

Les anciens reconnaissaient trois classes de dieux : les grands dieux, les dieux subalternes, et les demi-dieux, au nombre desquels on comptait les héros. On distinguait aussi parmi les grands dieux ceux qui composaient le conseil céleste : c’étaient Jupiter, Junon, Neptune, Cérès, Mercure, Minerve, Vesta ou Cybèle, Apollon, Diane, Vénus, Mars et Vulcain.

Divinités du premier ordre §

Le Destin. §

Au-dessus de tous les dieux était le Destin, divinité toute puissante, née du Chaos et de la Nuit. Ses arrêts étaient irrévocables, et Jupiter lui-même ne pouvait en empêcher l’exécution 5.

On représentait ce dieu sous la figure d’un vieillard aveugle, ayant un pied sur le globe de la terre, et la tête surmontée d’une couronne d’étoiles, pour indiquer que tout lui était soumis : le ciel, la terre et les enfers. Il tenait en main un livre ou une urne qui renfermait le sort de tous les êtres [Fig. 13].

[Fig. 13]

Uranus et Tellus. §

Les plus anciennes divinités, après le Destin, étaient Uranus ou Cœlus (le Ciel) et Tellus (la Terre), qu’on appelait aussi Titéa. Uranus épousa la Terre, et de leur mariage naquirent les Titans, géants monstrueux, au nombre desquels était Saturne. Épouvanté, Uranus voulut les précipiter dans le Tartare ; mais Tellus, qui aimait ses enfants malgré leur laideur, fit venir Saturne, et, après l’avoir excité à la révolte, l’arma d’une faux qu’elle avait fabriquée avec le fer tiré de son sein [Fig. 14]. Saturne remonta au ciel, attendit son père à l’écart et le frappa du tranchant de sa faux.

[Fig. 14]

Saturne. §

Après avoir dépossédé Uranus, Saturne régna à sa place, du consentement de Titan, son frère aîné, mais à condition qu’il n’élèverait aucun enfant mâle. Le but de Titan était de se réserver le moyen de remonter sur le trône après la mort de Saturne, ou d’y placer ses enfants. Saturne y consentit ; et, fidèle, à sa parole, il dévorait ses fils aussitôt qu’ils venaient au monde. Cependant sa femme Rhéa fille d’Uranus et de Titéa, en déroba plusieurs à sa voracité, en leur substituant des pierres emmaillottées [Fig. 15]. C’est ainsi qu’elle sauva Jupiter, Neptune et Pluton. Titan, instruit de cette supercherie, déclara la guerre à Saturne, le vainquit et l’emprisonna. Jupiter, devenu grand, vengea son père et lui rendit son trône ; mais Saturne, ayant appris du destin que Jupiter était appelé à commander un jour à l’univers, chercha tous les moyens de perdre son fils, qui prévint ses desseins et le chassa du ciel.

[Fig. 15]

Saturne, exilé, se réfugia dans cette partie de l’Italie, qui depuis fut appelée Latium (de latere, se cacher). Janus, qui régnait alors dans cette contrée, le reçut avec honneur et partagea son trône avec lui. Saturne civilisa les peuples encore sauvages de l’Italie, leur apprit à cultiver la terre, et fit fleurir chez eux l’abondance et la paix. Les poètes ont célébré cette époque d’innocence et de bonheur sous le nom d’âge d’or. Pour récompenser Janus de sa généreuse hospitalité, Saturne lui accorda le don de connaître l’avenir et de ne jamais oublier le passé. C’est pour cela que les Romains donnaient deux visages à Janus [Fig. 16]. Comme son règne avait été fort paisible, ils firent de lui le dieu de la paix, et Numa Pompilius, second roi de Rome, lui éleva un temple dont les portes ne se fermaient que pendant la paix. On ne les ferma que trois fois dans l’espace de sept cents ans : la première sous Numa, la seconde après la deuxième guerre punique, et la troisième pendant le règne d’Auguste.

[Fig. 16]

Saturne figurait le temps. On le représentait sous les traits d’un vieillard chauve, tenant d’une main une faux, et de l’autre un sablier, pour montrer que le temps détruit tout et s’écoule incessamment [Fig. 17]. On lui donnait aussi pour attribut un serpent qui se mord la queue, symbole de l’éternité. On lui sacrifia d’abord des victimes humaines ; mais Hercule abolit cette barbare coutume [Fig. 18].

[Fig. 17]
[Fig. 18]

Les Romains l’honoraient par des fêtes appelées Saturnales, qui se célébraient au mois de décembre et duraient trois jours. La liberté la plus entière régnait dans ces solennités [Fig. 19]. Toutes les distinctions de rang étaient oubliées : les esclaves étaient servis par leurs maîtres, et pouvaient leur dire tout ce qu’ils voulaient ; les tribunaux, les écoles étaient fermés ; on n’entreprenait aucune guerre, on n’exécutait aucun criminel ; la cuisine devait absorber tous les soins. Nos trois jours de carnaval sont, sans doute, une réminiscence des anciennes Saturnales.

[Fig. 19]

Jupiter. §

Jupiter, fils de Saturne et de Rhéa, qu’on nommait aussi Cybèle, était le dieu suprême des Grecs et des Romains. Pour le soustraire à la voracité de Saturne, Rhéa le fit élever secrètement dans l’île de Crète. Le jeune dieu fut allaité dans une grotte du mont Ida par la chèvre Amalthée, et soigné par deux nymphes appelées Mélisses6 [Fig. 20]. Les Curètes, appelés aussi Corybantes ou Dactyles, prêtres de Cybèle, pour empêcher les cris de l’enfant de parvenir aux oreilles de son père, dansaient autour de la grotte, en frappant leurs boucliers et en faisant retentir l’air du bruit des cymbales et des tambours [Fig. 21]. Devenu grand, Jupiter détrôna Saturne, et partagea l’empire du monde avec ses deux frères. Neptune régna sur la mer, et Pluton dans les enfers ; Jupiter se réserva le ciel.

[Fig. 20]
[Fig. 21]

Les commencements de son règne furent troublés par la révolte des Géants 7, enfants de la Terre, qui tentèrent d’escalader le ciel en entassant montagnes sur montagnes. Jupiter, les voyant s’approcher, appela les dieux à son secours ; mais la plupart, saisis d’épouvante, se réfugièrent en Égypte, où, ne se croyant pas assez en sûreté, ils se cachèrent sous la forme de différents animaux et même de plantes. De là vint le culte que les Égyptiens rendaient aux animaux et aux plantes.

On vit le peuple fou, qui du Nil boit les eaux,
Adorer les serpents, les poissons, les oiseaux ;
Aux chiens, aux chats, aux boucs offrir des sacrifices ;
Conjurer l’ail, l’oignon, d’être à ses vœux propice,
Et croire follement maîtres de ses destins.
Ces dieux nés du fumier porté dans ses jardins.
[Boileau]
[Fig. 22]

Cependant Jupiter ne se laissa pas intimider par le danger ; il prit sa foudre et vint à bout d’exterminer toute la race des Géants [Fig. 23]. Les plus redoutables étaient Typhon, Typhée, Encelade, Ephialte et Titye. Encelade fut enseveli sous, l’Etna, et les poètes ont supposé que son haleine exhalait les feux que lance ce volcan, et qu’il causait des tremblements de terre toutes les fois qu’il voulait changer de place. Après la révolte des Géants, Jupiter ne fut pas tout à fait tranquille. Prométhée, fils du Titan Japet, ayant formé un homme du limon de la terre, monta au ciel par le secours de Minerve, et y déroba un rayon du soleil pour animer son ouvrage. Jupiter, irrité de ce larcin, ordonna à Mercure de l’attacher sur le Caucase où un vautour rongeait continuellement ses entrailles toujours renaissantes8 [Fig. 24]. Les autres dieux virent avec douleur que Jupiter voulait s’attribuer seul le droit de créer des hommes. De concert entre eux, ils formèrent une femme à laquelle chaque dieu ou déesse fit un don particulier. Minerve lui donna la sagesse, Vénus la beauté ; Apollon lui enseigna la musique, et Mercure l’éloquence ; enfin les Grâces en firent une créature accomplie. Ils l’appelèrent Pandore, c’est-à-dire assemblage de tous les dons. Pour Jupiter, il lui donna une boîte mystérieuse, avec ordre de la présenter à celui qui devait l’épouser [Fig. 25] ; puis il commanda à Mercure de la conduire à Prométhée. Celui-ci, qui se défiait de Jupiter, ne voulut recevoir ni Pandore ni la boîte ; mais son frère Épiméthée, séduit par la merveilleuse beauté de Pandore, la prit pour épouse et ouvrit la boîte fatale, d’où s’échappèrent aussitôt tous les maux qui depuis n’ont cessé de désoler la terre [Fig. 26] : il ne resta au fond que l’Espérance9.

[Fig. 23]
[Fig. 24]
[Fig. 25]
[Fig. 26]

Devenu paisible possesseur de son empire, Jupiter ne s’occupa plus que de ses plaisirs. Ce que la Fable raconte de la vie privée de ce maître des dieux fait peu d’honneur au paganisme. On retrouve cependant quelques attributs imparfaits de la divinité dans plusieurs de ses hymens. Ainsi il épousa successivement Métis, qui signifie la pensée ; Thémis, c’est-à-dire la justice ; Mnémosyne, ou la mémoire ; Latone, ou la lumière, etc. La plus célèbre de ses femmes fut Junon, qui s’asseyait à ses côtés sur le trône du ciel. Comme cette déesse était d’une humeur querelleuse, il descendait souvent sur la terre pour s’y désennuyer10.

On se figurait ce dieu avec un air majestueux, une longue barbe, assis sur un trône d’or ou d’ivoire, tenant d’une main la foudre et de l’autre un sceptre, et ayant à ses pieds un aigle aux ailes déployées [Fig. 27]. D’un signe de tête il ébranlait le ciel et la terre.

[Fig. 27]

Il avait des temples dans toutes les villes et dans tous les pays du monde. La forêt de Dodone11, en Épire, et l’antre de Trophonius, en Béotie12, étaient ses deux plus célèbres oracles. Jamais ses autels ne furent, comme ceux de Saturne et de Diane, souillés de sang humain.

Junon. §

Junon, fille de Saturne et de Rhéa, épousa Jupiter et devint la reine du ciel et des dieux. Elle était d’un caractère impérieux, jaloux et vindicatif. Elle protégeait le mariage, et, sous le nom de Lucine, elle présidait à la naissance.

On lui donne trois enfants : Hébé, déesse de la jeunesse, qui servait aux dieux le nectar et l’ambroisie13 [Fig. 28], et fut plus tard remplacée dans cette fonction par Ganymède, prince troyen, enlevé au ciel par l’aigle de Jupiter ; Mars, dieu de la guerre, et Vulcain, dieu du feu et des forges.

[Fig. 28]

Iris, ou l’arc-en-ciel, était sa confidente et sa messagère. Elle avait encore pour espion Argus aux cent yeux ; après que Mercure l’eut tué, Junon, pour récompenser Argus de ses services, le métamorphosa en paon, et voulut que ses yeux restassent empreints sur le plumage de cet oiseau.

Elle était principalement honorée à Argos, à Samos, à Carthage et à Rome. Appuyée sur un arc-en-ciel, le sceptre en main, la tête couronnée de lis, elle avait à ses pieds un paon, symbole de la fierté, de la beauté et de l’empire [Fig. 29].

[Fig. 29]

Neptune. §

Neptune, frère de Jupiter, obtint en partage l’empire des mers. Il épousa Amphitrite, fille de Nérée et de Doris, dont il eut, entre autres enfants, les Tritons et les Harpies.

Les Tritons précédaient son char, armés d’une conque recourbée qui leur servait de trompette. Ils offraient aux yeux l’aspect d’un homme-poisson [Fig. 30].

[Fig. 30]

Les Harpies présidaient aux vents et aux tempêtes. Il y en avait un grand nombre ; mais les principales étaient Aello, Ocypète et Céléno. Elles avaient un visage de vieille femme, un corps de vautour, des oreilles d’ours, et des griffes aux pieds et aux mains. Elles causaient la famine partout où elles passaient, enlevaient les viandes de dessus les tables, ou les souillaient d’immondices14 [Fig. 31].

[Fig. 31]

On représentait Neptune sur un char en forme de coquille, traîné par des chevaux marins, et tenant en sa main un trident [Fig. 32].

[Fig. 32]
Il attelle son char, et, montant fièrement,
Fend les flots écumeux de l’humide élément.
Dès qu’on le voit marcher sur ces liquides plaines,
D’aise on entend sauter les pesantes baleines ;
L’eau frémit sous le dieu qui lui donne sa loi,
Et semble avec plaisir reconnaître son roi
Boileau, (trad. d’ Homère.)

On lui attribuait les tremblements de terre ; témoin cet autre passage d’ Homère :

L’enfer s’émeut au bruit de Neptune en furie.
Pluton sort de son trône, il pâlit, il s’écrie ;
Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour,
D’un coup de son trident ne fasse entrer le jour,
Et, par le centre ouvert de la terre ébranlée,
Ne fasse voir du Styx la rive désolée ;
Ne découvre aux vivants cet empire odieux,
Abhorré des mortels, et craint même des dieux.
( Boileau, trad. d’ Homère.)

Neptune avait un grand nombre de temples dans la Grèce et dans l’Italie, surtout dans les lieux maritimes. On avait institué en son honneur des jeux solennels, dont les plus célèbres ont été ceux de Corinthe, connus sous le nom de Jeux isthmiques, et ceux du cirque à Rome. Les Romains lui avaient consacré le mois de février ; et, comme on croyait qu’il avait fait naître le premier cheval, on couronnait les chevaux de fleurs pendant les fêtes de ce dieu, et il n’était pas permis de les faire travailler.

Les principales divinités auxquelles Neptune commandait en qualité de dieu des mers étaient : l’Océan et Téthys15, Nérée et Doris, Protée, Glaucus, Éole, les Sirènes et les Nymphes.

L’Océan, fils d’Uranus et de Tellus, était regardé comme le père des fleuves. Il habitait au fond des mers un palais de corail et de perles. Il épousa sa sœur Téthys [Fig. 33], et de leur union naquirent Nérée et Doris, qui se marièrent ensemble et donnèrent naissance aux Nymphes.

[Fig. 33]

Protée, fils de l’Océan ou de Neptune, était le gardien des troupeaux du dieu des mers, qui, pour le récompenser de ses soins, lui donna la connaissance du passé, du présent et de l’avenir. Pour le consulter, il fallait le surprendre pendant qu’il dormait, et le lier de manière qu’il ne pût échapper, car il prenait toutes sortes de formes pour épouvanter ceux qui rapprochaient. Mais, si l’on persévérait à le tenir bien lié, il reprenait sa première forme, et répondait à toutes les questions qu’on lui faisait16.

Glaucus était un célèbre pêcheur de la ville d’Anthédon, en Béotie. Un jour qu’il faisait sécher ses filets sur l’herbe du rivage, et qu’il comptait les poissons qu’il avait pris, il s’aperçut que ces poissons s’agitaient d’une manière extraordinaire et se replongeaient dans la mer. Persuadé que cette herbe sur laquelle il les avait posés avait une vertu particulière, il en mâcha quelques brins, et, atteint aussitôt du même vertige, il se précipita dans les ondes. L’Océan et Téthys le dépouillèrent de ce qu’il avait de mortel, et l’admirent au nombre des dieux marins17.

Éole, dieu des Vents, habitait les îles Vulcaniennes ou Éoliennes, entre la Sicile et l’Italie. Les Vents, ses sujets, y étaient enfermés dans des cavernes profondes [Fig. 34]. C’étaient, entre autres, Borée, vent du nord ; Eurus, vent de l’est ; Notus, vent du sud ; Zéphyre, vent de l’ouest.

[Fig. 34]

Les Sirènes, filles d’Achéloüs et de Calliope, célèbres par la douceur magique de leur voix, habitaient des rochers escarpés entre l’île de Caprée et la côte d’Italie. L’oracle avait prédit qu’elles vivraient autant de temps qu’elles pourraient arrêter les voyageurs qui navigueraient près des côtes, mais que, dès qu’un seul passerait sans être séduit par leurs chants, elles périraient. Aussi, à peine apercevaient-elles une voile à l’horizon, qu’elles faisaient entendre leur voix enchanteresse ; et les voyageurs, ravis en extase, oubliaient de boire et de manger, et périssaient d’inanition. Cependant Ulysse, comme on le verra plus tard, échappa à leurs séductions et à la mort, et les Sirènes, de dépit, se précipitèrent dans la mer, où elles furent changées en rochers.

On les représentait sous la figure de jeunes filles, dont le corps se terminait en poisson [Fig. 35]. On leur donnait quelquefois des ailes18.

[Fig. 35]

La ville de Naples porta d’abord le nom de Parthénope, parce qu’elle fut bâtie, dit-on, sur le tombeau d’une des Sirènes qui portait ce nom.

Au nombre des divinités de la mer, on mettait aussi les Nymphes, dont les unes étaient filles de l’Océan et de Téthys ; les autres, filles de Nérée et de Doris. Sous le nom d’Océanides ou de Néréides, elles habitaient la mer. Penchées sur une urne, au milieu des roseaux, les Naïades présidaient aux fleuves, aux lacs et aux fontaines [Fig. 36]. Les Napées erraient dans les bocages et les prairies, et les Oréades, sur les montagnes. Les Dryades et les Hamadryades protégeaient les arbres et les forêts. Les Hamadryades naissaient et mouraient avec l’arbre auquel elles étaient incorporées.

[Fig. 36]

Jeunes filles aux formes légères et aériennes, elles étaient le type de la grâce et de la naïveté.

Pluton. §

Pluton frère de Jupiter, régnait dans les Enfers. Le royaume qui lui était échu en partage était si triste, qu’aucune déesse ne voulut le partager avec lui. Aussi fut-il obligé de recourir à la violence pour se procurer une épouse. Il enleva Proserpine, fille de Jupiter et de Cérès, un jour que cette nymphe cueillait des fleurs dans la vallée d’Enna, en Sicile, sur les bords de la fontaine Aréthuse [Fig. 37]. Femme du dieu des morts, elle était pâle et stérile.

[Fig. 37]

Pluton était généralement haï et redouté, parce qu’on le croyait inflexible. On ne lui érigeait ni temples, ni autels, et l’on ne chantait point d’hymnes en son honneur. On ne pouvait lui sacrifier qu’au milieu des ténèbres, et on ne lui offrait que des victimes noires, dont on faisait couler le sang dans une fosse. On le représentait tantôt sur un trône d’ébène, tantôt sur un char traîné par des chevaux noirs, tenant de la main droite une espèce de fourche ou des clefs [Fig. 38], et souvent ayant la tête couverte d’un casque, présent des Cyclopes, et dont la propriété était de le rendre invisible.

[Fig. 38]

Les Enfers étaient des lieux souterrains, où les âmes se rendaient après la mort. Ils se divisaient en deux parties : les Champs-Élysées, séjour des bons, et le Tartare, séjour des méchants. Quelquefois on les désignait indistinctement par les noms d’Érèbe, de Tartare, de Ténare, d’Orcus, quoique ces noms ne désignassent proprement que certaines parties des Enfers.

Ils étaient traversés par cinq fleuves : le Styx, le Cocyte, l’Achéron, le Phlégéton et le Léthé.

Le Styx en faisait neuf fois le tour. Les dieux juraient par ses eaux, et le serment était irrévocable ; celui qui se rendait parjure était privé de la divinité pendant cent ans.

Les larmes des méchants, en tombant goutte à goutte dans une sombre vallée du Tartare, avaient formé le Cocyte. Les âmes de ceux qui n’avaient point été inhumés erraient cent ans sur ses bords.

L’Achéron, aux flots rapides, entraînait les rochers, et rien ne pouvait en arrêter l’impétuosité.

Le Phlégéton roulait des torrents de flammes. Il ne croissait sur ses bords ni arbres ni plantes.

Le Léthé, fleuve d’oubli, avait un cours très paisible. Ses eaux avaient la vertu de faire perdre entièrement à ceux qui en buvaient le souvenir des misères de la vie terrestre.

L’empire souterrain avait, comme les royaumes d’en haut, ses agents, ses ministres.

Le vieux Caron, nocher des Enfers, transportait, pour une obole, les âmes des morts au delà du Styx [Fig. 39]. Il n’admettait dans sa barque que les ombres de ceux qui avaient reçu les honneurs de la sépulture. Aussi était-ce une impiété chez les anciens que de ne pas jeter un peu de terre sur un cadavre qu’on rencontrait sur une route ou sur un rivage.

[Fig. 39]

Au delà des cinq fleuves, Cerbère, chien à trois têtes hérissées de serpents, gardait la Porte des Enfers et du palais de Pluton [Fig. 40]. Il caressait les ombres qui entraient, et menaçait de ses aboiements et de ses trois gueules béantes celles qui voulaient sortir. Les âmes, en arrivant devant le trône de Pluton, étaient jugées par Minos, Eaque et Rhadamanthe, juges incorruptibles, qui avaient été sur la terre des rois renommés par leur sagesse et leur justice [Fig. 41].

[Fig. 40]
[Fig. 41]

Quand la sentence était prononcée, les ombres de ceux qui avaient bien vécu passaient dans les Champs-Élysées, et celles des méchants étaient entraînées par une main invisible dans le Tartare, où les attendaient les Furies, ministres de la vengeance des dieux. On en comptait trois : Tisiphone, Mégère et Alecton. On les représentait avec un air sévère et menaçant, la bouche béante, des vêtements noirs et ensanglantés, des serpents entrelacés autour de la tête, tenant d’une main une torche ardente, et de l’autre un fouet de couleuvres [Fig. 42]. Elles étaient le symbole des remords qui déchirent presque toujours le cœur des coupables.

[Fig. 42]

Filles de l’Erèbe et de la Nuit, les Parques présidaient à la vie et à la mort. Elles filaient les jours de chaque mortel. Clotho tenait la quenouille, Lachésis tournait le fuseau, et Atropos coupait le fil avec des ciseaux [Fig. 43].

[Fig. 43]

Parmi les autres divinités infernales, on comptait encore la Nuit, la Mort, le Sommeil, les Songes et les Dieux Mânes.

La Nuit, fille du Chaos, dormait assise sur un char, et couverte d’un voile noir parsemé d’étoiles [Fig. 44]. Sa main tenait un flambeau renversé.

[Fig. 44]

Elle avait enfanté la Mort sans le secours d’aucun dieu. Celle-ci était accroupie au pied du trône de Pluton, pâle et les yeux fermés, couverte d’un voile, et tenant une faux à la main. Le coq, l’if et le cyprès lui étaient consacrés.

Plus loin le Sommeil, frère de la Mort et père des Songes, reposait sur un lit d’ébène, dans un antre inaccessible aux rayons du soleil, et dont l’entrée était obstruée par d’énormes touffes de pavots et d’autres plantes somnifères [Fig. 45]. Un ruisseau, émané du Léthé, coulait devant la porte, et on n’y entendait d’autre bruit que le murmure de ses eaux. C’est là que, autour du dieu couché et endormi, voltigeaient les Songes, aussi nombreux que les feuilles des bois et que les sables de la mer. Les uns étaient faux, les autres vrais ; les premiers sortaient des Enfers par une porte d’ivoire, les seconds par une porte de corne. Morphée, principal ministre du Sommeil, entretenait dans son palais un silence perpétuel.

[Fig. 45]

Les Dieux Mânes étaient pris, tantôt pour les âmes des morts, tantôt pour des dieux infernaux ou génies des morts, qui veillaient sur les tombeaux. Aussi trouve-t-on souvent sur les tombes des anciens ces deux lettres initiales DM, c’est-à-dire Diis Manibus, aux Dieux Mânes, comme pour leur recommander l’ombre du mort.

Les Enfers se divisaient, comme nous l’avons vu, en deux parties : les Champs-Élysées et le Tartare.

Les Champs-Élysées étaient un séjour délicieux, où les ombres vertueuses jouissaient d’une félicité parfaite. Il y régnait un printemps perpétuel.

Le Tartare, au contraire, était une prison profonde, fortifiée de trois enceintes de murailles et entourée du Phlégéton. Parmi les principaux coupables, torturés dans cet affreux séjour, les anciens nommaient avec effroi Sisyphe, fils d’Éole, condamné à rouler continuellement une énorme pierre au sommet d’une montagne, d’où elle retombait aussitôt [Fig. 46] ; Ixion, fils de Phlégias, attaché à une roue environnée de serpents, et qui, tournant sans cesse, rendait son supplice éternel ; Titye, géant monstrueux, étendu sur le dos et couvrant un espace de neuf arpents, tandis qu’un vautour insatiable, attaché sur sa poitrine, lui dévorait sans cesse le foie et les entrailles, qui renaissaient éternellement pour son supplice ; Tantale, fils de Jupiter, tourmenté par une faim et une soif perpétuelles, au milieu d’un étang dont l’eau échappait sans cesse à ses lèvres desséchées, et sous des arbres chargés de fruits, dont les branches se redressaient chaque fois qu’il voulait y porter la main [Fig. 47] ; et les cinquante filles de Danaüs, condamnées à porter éternellement des cruches d’eau dans une cuve sans fond, et à essayer de la remplir [Fig. 48].

[Fig. 46]
[Fig. 47]
[Fig. 48]

Cérès. §

Cérès, fille de Saturne, était la bienfaitrice du genre humain. Elle voyagea longtemps avec Bacchus, enseignant aux hommes l’art d’ensemencer la terre. Inconsolable de la perte de sa fille Proserpine, que lui avait enlevée Pluton, elle alluma deux torches de pin aux flammes de l’Etna, et se mit à la chercher nuit et jour de tous côtés. Fatiguée de ses poursuites, elle s’arrêta chez Triptolème, roi d’Éleusis, qui l’accueillit avec bonté. La déesse, par reconnaissance, lui enseigna l’agriculture. Enfin, après des recherches inutiles, elle revint en Sicile, où la nymphe Aréthuse lui apprit que Proserpine était devenue l’épouse de Pluton. Aussitôt elle alla implorer l’assistance de Jupiter en faveur de sa fille. Le maître des dieux décida que Proserpine serait rendue à sa mère, si toutefois elle n’avait pris aucune nourriture dans les Enfers. Malheureusement elle avait mangé quelques grains de grenade, et son gardien Ascalaphe l’avait vue. Proserpine resta donc dans les Enfers ; seulement elle obtint la grâce de passer tour à tour six mois auprès de son époux et six mois auprès de sa mère19.

L’imagination a fait de Cérès une belle femme, couronnée d’une guirlande d’épis, et tenant dans ses mains une gerbe de blé et une faucille [Fig. 49].

[Fig. 49]

Les Grecs avaient institué en son honneur des fêtes appelées Éleusinies, du nom de la ville d’Éleusis, où l’on commença à les célébrer ; c’était un crime de révéler ce qui s’y était passé. C’est pour cela qu’on leur donnait aussi le nom de Mystères.

Vesta. §

On adorait, sous le nom de Vesta, plusieurs déesses, qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer. Femme d’Uranus, Vesta était la même que Tellus ; fille d’Uranus et de Tellus et femme de Saturne, elle était communément nommée Cybèle, et avait, entre autres surnoms, ceux de Bonne Déesse et de Mère des Dieux. On l’appelait encore Bérécynthie, Dyndimène et Idée, du nom de trois montagnes de Phrygie où elle était honorée d’un culte particulier. Sous le nom de Cybèle, elle était ordinairement représentée sur un char traîné par des lions, la tête couronnée de créneaux [Fig. 50]. Enfin, comme fille de Saturne et de Rhéa, et c’est la plus connue, elle était la déesse du feu. Énée apporta son culte en Italie, et Numa lui bâtit un temple à coupole, où des vierges, appelées Vestales, entretenaient un feu perpétuel dans une cassolette d’or. La prêtresse qui le laissait éteindre était sévèrement punie ; mais le grand crime des Vestales était la violation du vœu qu’elles faisaient, en se consacrant à Vesta, de vivre étrangères au monde. On enterrait toute vive celle qui se trouvait convaincue d’y avoir manqué.

[Fig. 50]

La déesse était représentée vêtue d’une longue robe, le front voilé, et tenant de la main droite une lampe [Fig. 51].

[Fig. 51]

Mercure. §

Mercure, fils de Jupiter et de l’Atlantide Maïa, était l’interprète et le messager des dieux. On le regardait aussi comme le dieu de l’éloquence, du commerce et des voleurs. C’était encore lui que Jupiter avait chargé de conduire les âmes aux Enfers, et de les en ramener. On lui attribuait l’invention de la lyre.

Homère et Virgile l’ont peint sous les traits d’un jeune homme, avec des ailes aux épaules et aux talons, la tête ornée d’une espèce de chapeau ailé, tenant à la main le caducée, symbole de la paix [Fig. 52]. Ce caducée était une baguette surmontée de deux ailes et entrelacée de deux serpents, dont voici l’histoire : Mercure, après avoir reçu d’Apollon une baguette en échange de sa lyre, rencontra un jour deux serpents qui se battaient, et les sépara avec sa baguette, autour de laquelle ils s’entortillèrent, et qui devint depuis l’emblème de la concorde.

[Fig. 52]

Mars. §

Mars, dieu de la guerre, était, suivant l’ancien poète Hésiode, fils de Jupiter et de Junon ; mais, selon d’autres, Junon seule lui donna le jour en touchant une fleur, qui croissait dans les champs d’Olène, ville d’Achaïe. On le représentait sous la figure d’un guerrier terrible qu’un char traîné par des coursiers fougueux emportait au milieu des combats [Fig. 53]. Le coq, symbole de la vigilance, lui était consacré.

[Fig. 53]

C’est à Rome que le culte de Mars était le plus en honneur. Les Romains le regardaient comme le père de Romulus et le protecteur de leur empire. Les prêtres de ce dieu se nommaient Saliens, d’un mot latin qui signifie sauter, danser, parce que, dans les fêtes de Mars, ils dansaient en chantant des hymnes.

Vénus. §

Vénus, déesse de la beauté et de l’amour, naquit de l’écume de la mer, ce qui la fit surnommer Aphrodite20. Selon quelques poètes, elle était fille de Jupiter et de Dioné, une des nymphes de l’Océan.

Quand elle parut dans l’Olympe, toutes les déesses frémirent de dépit, et tous les dieux, séduits par sa beauté, la demandèrent en mariage ; mais Jupiter la donna à Vulcain pour le récompenser de ce qu’il avait autrefois forgé les foudres qui avaient servi à exterminer les Géants.

Vénus manqua souvent à la fidélité qu’elle devait à son époux. Elle aima, entre autres, le dieu Mars, et le bel Adonis pour qui elle abandonna l’Olympe.

Elle était ordinairement accompagnée de Cupidon, son fils, et des trois Grâces, Aglaé, Thalie et Euphrosine [Fig. 54]. Elle portait une merveilleuse ceinture, qui donnait une puissance irrésistible à celle qui la possédait. On la représentait tantôt sous la forme d’une jeune fille sortant du sein des eaux, tantôt assise sur un char traîné par des colombes [Fig. 55], quelquefois les yeux baissés et les pieds posés sur une écaille de tortue.

[Fig. 54]
[Fig. 55]

On l’adorait surtout à Paphos, ville de Chypre ; à Cnide, ville de Carie, et à Cythère, île au sud du Péloponèse.

Vulcain. §

Vulcain, fils de Jupiter et de Junon, était le dieu du feu et des forgerons. Lorsqu’il vint au monde, Jupiter le trouva si laid, qu’il le précipita d’un coup de pied sur la terre ; dans sa chute il se cassa la cuisse, et il resta boiteux toute sa vie.

Chargé de fournir des foudres au maître des dieux, il établit ses forges dans l’île de Lemnos et dans les cavernes de l’Etna [Fig. 56]. Les compagnons de ses travaux étaient les Cyclopes, géants monstrueux, qui n’avaient qu’un œil au milieu du front. On lui attribuait tous les ouvrages qui passaient pour des chefs-d’œuvre dans l’art de forger, comme la couronne d’Ariane, le bouclier d’Hercule, les armes d’Achille, le sceptre d’Agamemnon.

[Fig. 56]

Malgré sa difformité, il épousa Vénus, la plus belle des déesses.

On le représentait noir et crasseux, avec une barbe touffue, une chevelure négligée, à demi nu, portant un bonnet rond et pointu. et tenant un marteau et des tenailles [Fig. 57].

[Fig. 57]

Minerve. §

Minerve, déesse de la sagesse, des - sciences et des arts, devait le jour à Jupiter seul. Elle sortit de son cerveau tout armée21. On conte que Jupiter se fit donner un coup de hache sur la tête pour la mettre au monde. Sous le nom de Pallas, elle présidait aux combats. On a souvent confondu Pallas avec Bellone ; mais les plus anciens auteurs les distinguent. L’une figurait l’art militaire, et l’autre ne représentait, de la guerre, que l’épouvante et les horreurs.

Un des traits les plus célèbres de l’histoire de Minerve est son différend avec Neptune, à qui elle disputa l’honneur de nommer la ville bâtie par Cécrops. Les douze grands dieux, choisis pour arbitres, décidèrent que celui des deux qui produirait la chose la plus utile à cette ville lui donnerait son nom. Le dieu des eaux, d’un coup de son trident, fit sortir de terre un cheval, emblème de la guerre ; et Minerve, d’un coup de sa lance, donna naissance à l’olivier, symbole de la paix. Les dieux prononcèrent en faveur de Minerve, et la ville fut appelée Athènes, du nom d’Athéna, que les Grecs donnaient à cette déesse.

On la représentait avec un casque à visière, une lance d’une main, un bouclier de l’autre, et l’égide22 sur la poitrine [Fig. 58]. La chouette, symbole de la prudence, qui ne s’endort jamais, lui était consacrée.

[Fig. 58]

Athènes institua en son honneur des fêtes qu’on appelait Panathénées, et lui éleva un temple, le Parthénon, dont les ruines subsistent encore. Elle avait aussi un temple dans la citadelle de Troie. Les Troyens y gardaient précieusement sa statue, appelée palladium, qu’ils regardaient comme un talisman et le gage du salut de leur patrie.

Apollon. §

Apollon, dieu du jour, de la divination, de la médecine et des beaux-arts, était fils de Jupiter et de Latone. La Terre avait promis à Junon de ne donner aucun asile à cette fille du Titan Cœus ; mais Neptune, touché de compassion, fixa l’île de Délos, qui flottait alors dans la mer, et sur laquelle la Terre n’avait aucun droit. Latone s’y réfugia sous la forme d’un oiseau, et mit au monde Apollon et Diane sous un palmier.

Le premier usage qu’Apollon fit de ses traits fut de venger sa mère du serpent Python, que Junon avait suscité contre elle. Cette victoire lui fit donner le nom de Pythien.

La joie de ce triomphe fut troublée par la mort de son fils Esculape, dieu de la médecine [Fig. 59], que Jupiter foudroya pour le punir d’avoir rendu la vie à Hippolyte. Apollon, furieux, tua les Cyclopes qui avaient forgé la foudre dont Jupiter avait frappé son fils. Cet attentat le fit chasser du ciel.

[Fig. 59]

Réduit à la condition de simple mortel, Apollon se réfugia chez Admète, roi de Thessalie, qui lui confia le soin de ses troupeaux. Ce fut pendant son séjour chez Admète qu’il inventa la musique. Ensuite, ne sachant que devenir, il alla avec Neptune faire des briques, pour aider Laomédon à relever les murs de Troie, et n’en reçut aucun salaire. Après quelques années d’exil, il fut rappelé par Jupiter qui lui rendit sa divinité.

Comme dieu des beaux-arts, Apollon présidait le chœur des Muses, et habitait le Parnasse, le Pinde, l’Hélicon, les bords du Permesse, et les autres lieux de la Grèce chantés par les poètes. Sous le nom de Phébus, il conduisait le char du Soleil [Fig. 60].

[Fig. 60]

Il eut un grand nombre d’oracles, dont les plus célèbres furent ceux de Delphes, de Délos et de Claros.

On le représentait sous la figure d’un beau jeune homme sans barbe, la tête ceinte d’une couronne de laurier et une lyre à la main [Fig. 61]. Le souvenir de sa victoire sur le serpent Python a inspiré un des chefs-d’œuvre de la sculpture grecque, connu sous le nom d’Apollon du Belvédère [Fig. 62].

[Fig. 61]
[Fig. 62]

Diane. §

Diane, belle, chaste et sévère, était sœur d’Apollon. Jupiter composa son cortège de soixante Océanides et de vingt autres Nymphes, qui renoncèrent, comme elle, au mariage. Cependant elle aima Endymion, berger de Carie, qu’elle allait visiter toutes les nuits dans une grotte du mont Latmus23. À la vérité, l’amie d’Endymion n’était point Diane proprement dite, mais Phébé ou la Lune ; car la sœur d’Apollon avait trois fonctions, trois séjours et trois noms différents. Sur la terre, on l’appelait Diane, et elle présidait à la chasse ; sous le nom de Phébé, elle conduisait le char de la Lune ; et, sous celui d’Hécate elle régnait aux Enfers, et on la confondait alors avec Proserpine. De là le nom de triple Hécate que lui donnent quelquefois les poètes. On la surnommait aussi Trivia, parce qu’on l’adorait dans les carrefours, qui en latin s’appelaient trivia.

Il était aisé de la reconnaître dans ses statues. Comme déesse de la chasse, elle était représentée sous les traits d’une jeune fille, chaussée d’un cothurne, vêtue d’une tunique légère, un carquois sur l’épaule, un arc et une flèche à la main, un chien ou une biche à ses côtés [Fig. 63]. Prise pour la Lune, elle avait la tête ornée d’un croissant.

[Fig. 63]

Diane avait à Éphèse un temple fameux, qui fut mis au nombre des sept merveilles du monde24, et auquel Érostrate mit le feu dans l’espoir de rendre son nom célèbre. On l’honorait encore dans la Chersonèse Taurique, où les étrangers que la tempête jetait sur le rivage étaient immolés sur ses autels25.

Bacchus. §

Bacchus, dieu du vin, devait le jour à Jupiter et à Sémélé. Sémélé mourut avant la naissance de son fils, victime de l’artifice de Junon. Cette déesse s’était introduite auprès de la fille de Cadmus, sous la figure de Béroé, sa nourrice, et lui avait conseillé de demander à Jupiter qu’il lui apparût dans tout l’éclat de sa gloire. Sémélé suivit ce perfide conseil, et Jupiter, qui avait juré par le Styx, la satisfit à regret ; il parut devant elle armé des éclairs et de la foudre. Sémélé fut aussitôt consumée par le feu ; mais l’enfant qu’elle portait dans son sein fut sauvé par Mercure.

Bacchus fut élevé par les Nymphes de Nysa26 et par Silène, que les poètes nous représentent comme un vieil ivrogne, monté sur un âne. Devenu grand, il fit la conquête des Indes, accompagné de son père nourricier, et suivi d’une multitude d’hommes et de femmes, portant, au lieu d’armes, des thyrses et des tambours [Fig. 64]. Il civilisa les peuples de ces contrées lointaines, et leur enseigna l’art de cultiver la vigne.

[Fig. 64]

On donnait à Bacchus les traits d’un jeune homme riant et sans barbe, couronné de pampres et de lierre, tenant d’une main des grappes de raisin ou une coupe, et de l’autre un thyrse, baguette surmontée d’une pomme de pin [Fig. 65] ; tantôt assis sur un tonneau, tantôt sur un char traîné par des tigres ou des lions.

[Fig. 65]

Les fêtes de ce dieu s’appelaient Orgies ou Bacchanales. Des femmes, demi-nues, échevelées, armées de thyrses et de flambeaux, couraient çà et là dans la campagne, poussant des cris et des hurlements, et bondissant au son des tambours et des cymbales. Elles portaient le nom de Bacchantes.

L’Amour. §

Suivant Hésiode, l’Amour était, avec le Chaos, le Tartare et la Terre, un des quatre grands principes des êtres. Dans la mythologie vulgaire, l’Amour était le fils de Vénus et de Mars, et s’appelait aussi Cupidon. On le représentait sous les traits d’un enfant nu, qui se balançait dans l’air sur des ailes, armé d’un arc et d’un carquois rempli de flèches ardentes [Fig. 66], quelquefois avec un bandeau sur les yeux et une torche à la main.

[Fig. 66]

Il épousa Psyché, malgré sa mère, qui s’opposait à leur union. Psyché était une jeune princesse d’une si grande beauté, qu’on la comparait à Vénus, et qu’elle se fit aimer de l’Amour même. Un oracle avait prédit qu’elle serait l’épouse d’un monstre, tyran des dieux et des hommes, et avait ordonné qu’elle fût exposée sur un rocher désert, parée comme pour un jour de noces. Zéphyre, par l’ordre de l’Amour, vint l’en arracher pendant qu’elle dormait, et la transporta dans un palais délicieux, où elle était servie par des Nymphes invisibles qui prévenaient tous ses désirs. L’Amour y devint son époux ; mais, présent pendant la nuit, il s’échappait aux premières lueurs du jour, en lui recommandant de ne point souhaiter de le voir. Une nuit qu’il était endormi auprès d’elle, Psyché se lève si doucement, qu’il ne se réveille pas, allume une lampe, et s’approchant du lit, reconnaît, au lieu d’un monstre, le fils de Vénus. Tandis qu’elle se penchait pour contempler ses traits, elle laissa tomber une goutte d’huile, qui l’éveilla aussitôt. L’Amour, irrité, s’envole en lui reprochant sa défiance, le palais enchanté s’évanouit, et Psyché reste seule au milieu d’un affreux désert [Fig. 67]. Dans sa douleur, elle veut se donner la mort, mais son invisible époux arrête ses transports. Toujours persécutée par Vénus, qu’elle n’avait pu attendrir par ses pleurs, elle reçoit de cette déesse l’ordre de descendre aux Enfers, et d’aller demander à Proserpine une boîte mystérieuse que l’épouse de Pluton doit lui remettre. Psyché devait succomber dans ce message ; mais elle descendit au sombre Averne avec cette sécurité qui accompagne l’innocence, et tous les obstacles s’évanouirent sous ses pas. Proserpine lui remit la boîte destinée à Vénus, en lui recommandant de ne pas l’ouvrir. Mais Psyché ne put résister à sa curiosité, elle entr’ouvrit la boîte, et aussitôt il s’en échappa une épaisse fumée qui lui noircit le visage. Elle pensait que la boîte contenait le fard qui entretenait l’éternelle beauté des déesses. Alors elle tomba dans une profonde léthargie ; mais l’Amour, qui n’avait pas cessé de l’aimer, vint l’arracher à ce sommeil de mort, et l’emporta au ciel où Jupiter légitima leur mariage. De leur union naquit la Volupté. On représentait Psyché avec des ailes de papillon aux épaules. Son nom, en grec, signifie âme27.

[Fig. 67]

Divinités du second ordre §

Les Muses. §

Les Muses, filles de Jupiter et de Mnémosyne28, présidaient aux sciences et aux arts ; elles étaient au nombre de neuf [Fig. 68].

[Fig. 68]

Calliope était la muse de la poésie héroïque. Le front ceint de lauriers, elle tenait d’une main une trompette, et de l’autre un livre.

Clio, muse de l’histoire, avait à peu près les mêmes attributs.

Thalie avait inventé la comédie. On la, représentait appuyée sur une colonne, avec un masque a la main ; elle était chaussée de brodequins.

Melpomène, chaussée du cothurne, et armée d’un poignard, présidait à la tragédie.

Terpsichore, muse de la danse, était représentée sous la figure d’une jeune fille vive et enjouée, couronnée de guirlandes, et tenant une harpe.

Érato, muse des amours, avait pour attributs une lyre et un flambeau ; à ses pieds jouaient des tourterelles.

Polymnie était la muse de la poésie lyrique, c’est-à-dire des odes, des cantiques et des chansons ; c’est pour cela qu’on la représentait avec une lyre.

Euterpe présidait à la musique ; elle tenait à la main une flûte.

Uranie, muse de l’astronomie et des mathématiques, était vêtue d’une robe d’azur, et mesurait un globe avec un compas ; une couronne d’étoiles brillait sur sa tête.

Les Muses se plaisaient dans la solitude et sur les lieux élevés. Le Parnasse, l’Hélicon, le Pinde, étaient leur demeure ordinaire. Le cheval Pégase29 paissait ordinairement sur ces montagnes et aux environs. Parmi les fontaines et les fleuves, l’Hippocrène, Castalie et le Permesse leur étaient consacrés ; et, parmi les arbres, le laurier et le palmier. On les représentait jeunes, belles, modestes, simplement vêtues, ayant à leur tête Apollon. On les appelait quelquefois Piérides, à cause de leur victoire sur les filles de Piérus. (V. Métamorphoses.)

Quoique la Fable leur ait donné à chacune des fonctions particulières, les poètes les invoquaient, sans distinction, pour tous les genres de poésie. C’est que les Muses étaient sœurs, et que les arts relèvent tous des mêmes principes, qui sont la vérité et la beauté. Suivant un auteur latin, le mot muses dérive d’un mot grec, qui signifie égales, pareilles.

Pénates et Lares. §

Outre les dieux publics, chaque ville, chaque maison, chaque individu avait ses dieux particuliers. Les divinités des villes se nommaient Pénates ; celles des maisons s’appelaient Lares. Cependant on confondait souvent ces deux sortes de divinités. On donnait le nom de Génie au dieu qui veillait sur la vie et la conduite de chaque homme. Le Génie présidait aussi à la naissance.

Les statues des Pénates et des Lares étaient placées dans le lieu le plus sacré de la maison, auprès du foyer, ou derrière la porte, et quelquefois, chez les riches, dans un oratoire particulier qu’on appelait Laraire. On leur offrait des fruits, des fleurs, du lait, de l’encens.

On représentait les Lares, ou sous la figure d’un chien, symbole de la fidélité, ou revêtus de la peau de cet animal. La figure des Pénates était le plus souvent celle de quelque divinité publique. Quant au Génie, il était ordinairement représenté sous la figure d’un jeune homme, tantôt ailé, tantôt sans ailes, et presque toujours une coupe à la main.

Comus. §

Comus, dieu de la bonne chère et des danses nocturnes, inspirait les chansons qui assaisonnent la joie des festins. Jeune, gras, la tête couronnée de roses, il tenait un flambeau de la main droite, et de la gauche s’appuyait sur un pieu [Fig. 69].

[Fig. 69]

Momus. §

Momus, dieu de la raillerie et des bons mots, était fils du Sommeil et de la Nuit. Ses sarcasmes n’épargnaient pas même les dieux. Livré à la paresse, et ne sachant rien faire de bon, il s’occupait à critiquer les œuvres d’autrui. Neptune ayant fait un taureau, Vulcain un homme, et Minerve une maison, Momus fut choisi pour juger de l’excellence de leurs ouvrages. Il trouva que les cornes du taureau étaient mal plantées, et qu’il aurait fallu qu’elles fussent placées plus près des yeux, pour frapper plus sûrement, ou des épaules, afin de donner des coups plus violents. Quant à l’homme, il aurait dû avoir une petite fenêtre au cœur, pour qu’il fût possible de voir ses pensées les plus secrètes. Enfin, la maison lui parut trop massive pour être transportée en cas de mauvais voisinage. Momus critiqua aussi la chaussure de Vénus ; mais s’arrêter à la chaussure, et se taire sur le reste, c’était rendre hommage à la déesse. On le représentait levant le masque de dessus son visage, et tenant une marotte [Fig. 70].

[Fig. 70]

Harpocrate. §

Harpocrate, dieu égyptien, fils d’Osiris et d’Isis, était, chez les Grecs, le dieu du silence. On le représentait sous la figure d’un jeune homme demi-nu, tenant d’une main une corne, et ayant un doigt sur la bouche [Fig. 71]. Sa statue se trouvait à l’entrée de la plupart des temples. Chez les Romains, c’était la déesse Angerona qui présidait au silence.

[Fig. 71]

Pan. §

Pan, dieu des bergers, des troupeaux et des campagnes, était fils de Jupiter ou de Mercure et d’une Nymphe. Il naquit sur les bords du fleuve Ladon, et faisait sa principale résidence dans les bois et sur les montagnes de l’Arcadie. Il se plaisait à y chasser et à répandre, par de soudaines apparitions, la terreur parmi les bêtes sauvages. De là le nom de panique donné à cette terreur qui saisit tout à coup sans qu’on en sache la cause. Il passait pour l’inventeur de la flûte à sept tuyaux [Fig. 72].

[Fig. 72]

Le culte de Pan fut porté dans l’Italie par Évandre, qui était originaire de l’Arcadie, et les Romains honoraient ce dieu d’un culte particulier, en mémoire de Romulus et de Rémus allaités par une louve. De là le nom de Lupercales donné à ses fêtes, qui se célébraient dans le mois de février. On le représentait avec un visage enflammé, des cornes sur la tête, l’estomac couvert d’étoiles, et la partie inférieure du corps semblable à celle d’un bouc.

Pan est un mot grec qui signifie tout ; de sorte que, sous ce nom, c’était, selon quelques auteurs, toute la nature qu’on adorait.

Flore. §

Flore, que les Grecs appelaient Chloris, était, comme l’indique son nom, la déesse des fleurs, et femme de Zéphyre. On la représentait sous la figure d’une jeune fille, ornée de guirlandes, et portant une corbeille de fleurs [Fig. 73].

[Fig. 73]

Pomone et Vertumne. §

Pomone, déesse des fruits, avait pour époux Vertumne, dieu des jardins. On la représentait couronnée de feuilles de vignes et de grappes de raisin, et portant des fruits dans les plis de sa robe. Vertumne était couronné d’herbes, et tenait à la main des fruits et une corne d’abondance [Fig. 74].

[Fig. 74]

Priape. §

Priape, dieu des jardins et des arbres fruitiers, était fils de Jupiter ou de Bacchus et de Vénus. Il était principalement honoré à Lampsaque, capitale de la Mysie, d’où son culte passa à Rome. On le représentait sous la forme d’un nain, avec des cornes et des oreilles de bouc, tenant une baguette ou une faucille [Fig. 75]. On le plaçait ordinairement dans les jardins pour servir d’épouvantail. Il présidait aussi aux routes et aux chemins.

[Fig. 75]

Faune. §

Faune fils de Picus, roi des Latins, et petit-fils de Saturne, fut mis, après sa mort, au rang des dieux. C’est de lui que descendaient les Faunes, génies des campagnes, qui étaient chez les Romains ce qu’étaient les Satyres chez les Grecs. On les confondait avec les Silènes et les Sylvains. Ces différentes divinités étaient ordinairement représentées sous la forme de petits hommes très velus, avec des cornes et des pieds de boucs. Ils étaient la terreur des Nymphes. Toutefois, d’après les traditions de l’art antique, les Faunes étaient de jeunes hommes d’une figure fine et railleuse, qui n’avaient du bouc que deux petites cornes au front [Fig. 76] ; on les représentait quelquefois avec des oreilles allongées et une queue de chèvre.

[Fig. 76]

Terme. §

Terme, dieu latin, présidait aux bornes des champs. Numa introduisit son culte à Rome, et lui bâtit un petit temple sur la roche Tarpéienne. Tarquin le Superbe ayant formé le projet d’élever à Jupiter un temple au même endroit, il, fallut déplacer les statues des dieux qui y étaient déjà. La légende raconte que tous les dieux cédèrent sans résistance la place qu’ils occupaient, mais que nul effort humain ne put faire bouger la statue du dieu Terme, et qu’il fallut nécessairement le laisser en place.

On le représenta d’abord sous la forme d’une borne ou d’un pieu fiché en terre ; dans la suite on lui donna une tête humaine placée sur une pierre pyramidale [Fig. 77] ; mais il resta toujours sans bras et sans pieds.

[Fig. 77]

Palès. §

Palès était, chez les Romains, la déesse des bergers, des troupeaux et des pâturages. On lui offrait en sacrifice des gâteaux de miel et de fèves, du lait et du vin cuit ; et l’on faisait tourner les troupeaux autour de son autel pour la prier d’écarter les loups. Les bergers allumaient aussi, à égale distance, trois grands feux de paille, et sautaient par-dessus. Une chèvre ou un agneau était le prix du plus agile.

Thémis et Astrée. §

Thémis, fille du Ciel et de la Terre, présidait à la justice. On la représentait avec une balance à la main et un bandeau sur les yeux [Fig. 78].

[Fig. 78]

Astrée, sa fille, descendit du ciel, dans l’âge d’or, pour habiter la terre. Au commencement de l’âge d’airain, elle retourna au ciel. Comme présidant à la justice, on la confondait souvent avec Thémis.

Némésis. §

Némésis, fille de Jupiter et de la Nécessité, était la déesse de la vengeance. Elle châtiait les méchants et ceux qui abusaient des dons de la fortune ; elle punissait l’orgueil, la vanité et l’impudence, et l’on avait soin de l’invoquer tout bas, comme pour lui demander grâce, lorsqu’on voulait parler avantageusement de soi, afin de ne pas s’attirer son indignation. Des ailes, un griffon qui semble voler, un glaive, et quelquefois un voile, symbole de l’impénétrabilité des vengeances célestes : tels étaient les principaux attributs de Némésis [Fig. 79]. On l’appelait aussi Adrastée.

[Fig. 79]

La Fortune. §

La Fortune distribuait les biens et les maux suivant son caprice. Elle était particulièrement honorée chez les Romains. On la représentait chauve, aveugle, ou ayant un bandeau sur les yeux, debout, avec des ailes aux pieds, l’un posé sur une roue, et l’autre en l’air [Fig. 80] ; quelquefois au milieu des flots agités, cherchant à fixer son pied sur un globe mobile et glissant.

[Fig. 80]

Plutus. §

Plutus, dieu des richesses [Fig. 81], avait originairement la vue bonne, et n’accordait ses faveurs qu’aux justes ; mais, plus tard, Jupiter lui creva les yeux, et les richesses de vinrent indifféremment le partage des bons et des méchants.

[Fig. 81]

La Nécessité. §

La Nécessité, déesse inflexible, était adorée par toute la terre. Sa puissance était si grande, que Jupiter lui-même était forcé de lui obéir. Horace la dépeint avec des mains de bronze, dans lesquelles elle tenait de longues chevilles, des crampons et des coins de fer.

La Discorde. §

La Discorde naquit de la Nuit qui l’enfanta en même temps que la Mort et le Sommeil. Jupiter la chassa du ciel, parce qu’elle brouillait continuellement les dieux. Irritée de n’avoir point été invitée aux noces de Thétis et de Pélée, elle jeta au milieu des déesses la pomme d’or, sur laquelle était écrit : À la plus belle. On la représentait avec des yeux hagards et enflammés, la tête entourée de serpents, tenant d’une main une torche ardente, et de l’autre une couleuvre et un poignard [Fig. 82].

[Fig. 82]

L’Envie. §

L’Envie, fille de la Nuit, habitait, au fond d’une vallée, une caverne ténébreuse, où elle ne pouvait jouir d’un seul instant de sommeil, et versait sur des lauriers le fiel amer que sa langue distillait sans cesse. Elle était représentée sous la figure d’une femme au regard louche et sombre, au teint livide, tenant des vipères dans ses mains, et entourée d’un serpent qui lui rongeait le sein [Fig. 83]. À son approche, l’herbe se fanait et les fleurs se flétrissaient sur leur tige.

[Fig. 83]

L’Espérance. §

L’Espérance était restée au fond de la boîte de Pandore, c’est-à-dire au fond du cœur de l’homme, qu’elle accompagne jusqu’au tombeau. Communément on la représentait appuyée sur une ancre de vaisseau [Fig. 84]. La couleur verte a toujours été regardée comme un de ses symboles, parce que la verdure présage la récolte des fruits.

La Force. §

La Force était la fille de Thémis. On la représentait sous les traits d’une amazone, embrassant d’une main une colonne, et tenant de l’autre un rameau de chêne ; à ses pieds reposait un lion [Fig. 84].

[Fig. 84]

La Fraude. §

La Fraude était représentée avec une tête humaine d’une physionomie agréable, et le reste du corps en forme de serpent, avec une queue de scorpion [Fig. 85]. Le Cocyte était sa demeure ordinaire ; elle n’élevait que la tête hors de l’eau.

[Fig. 85]

La Paix. §

Les Romains avaient élevé à la Paix un temple magnifique. Elle était représentée sous les traits d’une belle femme, tenant d’une main une branche d’olivier, et de l’autre un caducée [Fig. 86]. On lui donnait encore pour attributs la corne d’abondance, des épis de blé, un flambeau renversé.

[Fig. 86]

Les Heures. §

Les Heures, filles de Jupiter et de Thémis, étaient chargées d’ouvrir et de fermer les portes du jour, et avaient soin du char et des chevaux du Soleil.

La Renommée. §

Virgile a représenté la Renommée comme un monstre ailé, qui a autant d’yeux, d’oreilles, de bouches et de langues que de plumes.

La Victoire. §

La Victoire tenait d’une main une couronne, une palme de l’autre, et s’appuyait d’un pied sur un globe [Fig. 87].

[Fig. 87]

La Vérité. §

La Vérité était représentée sous les traits d’une vierge, vêtue de blanc, ayant une contenance modeste, tenant de la main gauche un livre ouvert, et de la droite un miroir [Fig. 88]. Suivant Démocrite, elle est nue et habite toujours au fond d’un puits.

La Pudeur. §

La Pudeur avait des temples en Grèce et en Italie. Tantôt c’était une femme voilée, tantôt une vierge qui approchait sa main de son visage, pour montrer qu’elle n’a aucun sujet de rougir [Fig. 88].

[Fig. 88]

L’Amitié. §

L’Amitié était représentée vêtue d’une tunique, sur les bords de laquelle on avait gravé cette légende : La mort et la vie [Fig. 89].

La Liberté. §

Les Romains, après l’expulsion des rois, élevèrent des temples et des autels à la Liberté. Ils la représentaient sous la figure d’une femme qui se tient debout, et qui a dans sa main un bonnet, symbole de la liberté [Fig. 89], car les esclaves avaient toujours la tête nue.

[Fig. 89]

Demi-dieux et héros §

On désignait sous le nom de demi-dieux ou héros les personnages privilégiés, qui tiraient leur origine, soit d’un dieu et d’une mortelle, soit d’un mortel et d’une déesse, ou qui s’étaient illustrés sur la terre par de grandes vertus et des talents supérieurs. Nous commencerons par Hercule, le plus célèbre, sans contredit, de tous ces héros ou demi-dieux.

Hercule. §

Hercule eut pour père Jupiter, et pour mère Alcmène, femme d’Amphitryon, roi de Thèbes. Pendant qu’Alcmène portait Hercule dans son sein, la femme de Sthénélus, roi d’Argos, était aussi enceinte. Junon, animée d’une haine jalouse contre Alcmène, fit déclarer par Jupiter que celui qui naîtrait le premier aurait un empire absolu sur le second30 ; puis elle hâta la délivrance de la reine d’Argos, qui fut mère d’Eurysthée ; et celui-ci imposa, au fils d’Alcmène les plus rudes épreuves.

Hercule se signala de bonne heure par sa force et son courage. Étant encore au berceau, il étouffa sans peine deux serpents monstrueux que Junon avait envoyés contre lui pour le faire périr. Obligé, par le sort de la naissance, d’obéir à Eurysthée, il exécuta, d’après ses ordres, ces périlleuses entreprises appelées communément les douze travaux d’Hercule. Il étrangla dans la forêt de Némée un lion furieux, dont il porta depuis la dépouille comme un monument de sa victoire. Il abattit d’un seul coup de sa massue les sept têtes de l’hydre de Lerne. Il prit en Arcadie le sanglier d’Erymanthe, qui faisait d’affreux ravages dans cette contrée. Il atteignit la biche aux pieds d’airain, qui jusqu’alors avait toujours échappé à la poursuite des chasseurs par la rapidité de sa course. Il extermina à coups de flèches les oiseaux de proie du lac Stymphale. Il dompta le taureau monstrueux qui désolait l’île de Crète [Fig. 90]. Il triompha de Diomède, roi de Thrace, qui nourrissait ses chevaux de chair humaine. Vainqueur des Amazones, il prit leur reine Hippolyte, qu’il fit épouser à Thésée, son compagnon dans cette expédition. Il nettoya les étables d’Augias, roi d’Élide, en détournant le cours de l’Alphée. Il terrassa Géryon, roi de l’île de Gadès (Cadix), qui nourrissait ses bœufs de la chair de ses sujets. Il enleva les pommes d’or du jardin des Hespérides31, dont un dragon à sept têtes gardait l’entrée. Enfin il descendit aux Enfers pour en retirer Thésée, ou, suivant une autre tradition, Alceste, femme d’Admète, roi de Thessalie, qu’il arracha des bras mêmes de la Mort.

[Fig. 90]

À ces douze travaux il ajouta un grand nombre d’actions mémorables. Il tua Busiris, tyran d’Égypte, le géant Antée et le brigand Cacus, dont il délivra l’Italie. Arrivé aux bords de l’océan Atlantique, il sépara les deux montagnes de Calpé et d’Abyla, depuis appelées les Colonnes d’Hercule, et sur lesquelles il inscrivit, en grec sans doute : Non plus ultra32.

Il épousa Déjanire, qui lui avait été disputée par le fleuve Acheloüs. Après avoir vaincu ce rival, il emmenait son épouse, lorsqu’il fût arrêté par les eaux d’une rivière. Comme il délibérait s’il retournerait sur ses pas, le centaure Nessus33 vint s’offrir pour passer Déjanire sur son dos. Mais à peine fut-il arrivé à l’autre bord, qu’il voulut enlever la jeune princesse. Hercule, indigné de cette perfidie, lui décocha une flèche teinte du sang de l’hydre de Lerne, et le blessa mortellement [Fig. 91]. Nessus, pour se venger, donna à Déjanire sa tunique ensanglantée, comme un talisman propre à ramener à elle son mari, si jamais il l’abandonnait.

[Fig. 91]

Les dernières années du héros furent moins glorieuses. Il devint l’esclave d’Omphale, reine de Lydie, auprès de laquelle il oublia honteusement sa valeur et ses exploits. Tandis qu’Omphale, couverte de la peau du lion de Némée, tenait la massue, Hercule, habillé en femme, filait à ses pieds avec ses suivantes. De temps en temps la reine frappait légèrement le héros avec sa sandale, pour le punir de la maladresse avec laquelle il tenait la quenouille et le fuseau.

Cependant Hercule s’arracha à ce honteux esclavage, et alla mettre le siège devant la ville d’Œchalie, pour se venger du roi Euryte qui lui avait promis sa fille Iole en mariage, et la lui avait ensuite refusée. Il prit la ville, tua le roi et emmena la jeune Iole, qui devait, peu de jours après, devenir sa femme. À cette nouvelle, Déjanire, se souvenant du don de Nessus, lui envoya la robe du centaure, comme un gage de sa tendresse ; mais à peine se fut-il revêtu de cette tunique empoisonnée, qu’elle s’attacha à sa chair, et qu’un feu dévorant pénétra jusqu’à la moelle de ses os. Poussé à bout par la douleur, il dressa lui-même un bûcher sur le mont Œta, et, s’y étant couché la tête appuyée sur sa massue, il ordonna à Philoctète d’y mettre le feu. Quand le bûcher eut consumé ce qu’il y avait de mortel en lui, Jupiter l’appela au ciel, l’admit à la table des dieux et lui donna pour épouse Hébé, déesse de la jeunesse.

Thésée. §

Thésée était fils d’Égée, roi d’Athènes, et d’Éthra, fille du roi de Trézène. Il fut élevé à la cour du sage Pitthée, son aïeul maternel. Il marcha sur les traces d’Hercule, et commença par purger l’Attique des brigands qui l’infestaient : tels que Scyron, qui, non content de dépouiller les passants, les précipitait du haut des rochers dans la mer ; Procuste, qui étendait ses hôtes sur un lit de fer, leur coupait l’extrémité des jambes lorsqu’elles dépassaient le lit, et faisait tirer avec des cordes ceux qui n’étaient pas assez longs, jusqu’à ce qu’ils en atteignissent la longueur. Il affranchit les Athéniens du honteux tribut qu’ils payaient à Minos, en tuant le Minotaure, monstre moitié homme, moitié taureau [Fig. 92], et trouva l’issue du Labyrinthe, où ce montre était enfermé, à l’aide du peloton de fil que lui avait donné Ariane, fille de Minos. Après la mort de son père, il régna sur l’Attique, et y établit de sages lois ; puis il se mit à courir de nouveau les aventures. Il prit part à l’expédition des Argonautes ; il mit en fuite les Amazones, et épousa leur reine Antiope ou Hippolyte, dont il eut un fils du même nom. Ayant formé, avec son ami Pirithoüs, le dessein d’enlever Proserpine, il fut retenu prisonnier dans les Enfers jusqu’au moment où Hercule vint le délivrer. À son retour il eut le malheur de perdre son fils Hippolyte, que, sur une fausse accusation de Phèdre, son épouse, il avait dévoué à la vengeance de Neptune. La perte de son fils fut suivie de la révolte des Athéniens. Le malheureux Thésée se réfugia chez Lycomède, roi de Scyros, qui, jaloux de sa réputation, ou gagné par ses ennemis, le fit précipiter du haut d’un rocher.

[Fig. 92]

Persée. §

Acrisius, roi d’Argos, avait appris de l’oracle que Danaé, sa fille, mettrait au monde un fils qui lui ravirait la couronne et la vie. Pour échapper aux menaces de cet oracle, il fit enfermer cette jeune princesse dans une tour d’airain ; mais Jupiter s’y introduisit changé en pluie d’or, et Danaé devint mère de Persée. Acrisius, instruit de la naissance de l’enfant, le fit exposer sur la mer dans une nacelle avec Danaé. La malheureuse fut poussée par les vents sur les côtes de l’île de Sériphe, où un pêcheur recueillit la mère et l’enfant, et les conduisit à Polydecte, roi de cette île. Polydecte les reçut avec humanité, et prit soin de l’éducation du jeune Persée. Devenu grand, Persée se signala par diverses actions d’éclat. Muni du bouclier de Minerve, du casque de Pluton, des ailes et des talonnières de Mercure, il coupa la tête de Méduse34. Monté sur le cheval Pégase, il se transporta dans la Mauritanie, où il changea Atlas en montagne, en lui présentant cette tête. Il délivra Andromède, fille du roi d’Éthiopie, qui était exposée sur un rocher pour être dévorée par un monstre marin [Fig. 93]. Après avoir épousé cette princesse, et pétrifié Phinée qui avait voulu s’opposer à son mariage, il retourna en Grèce, rétablit Acrisius sur le trône d’Argos, d’où il avait été chassé par Prœtus, et tua l’usurpateur. Bientôt après il eut le malheur de tuer son père en jouant au palet. Désespéré de ce meurtre involontaire, il résolut d’abandonner Argos, et échangea le royaume de son aïeul avec Mégapenthe, fils de Prœtus, contre le territoire de Mycènes. Dans la suite Mégapenthe, voulant venger la mort de son père, dressa des embûches à Persée et le fit périr. Ce héros fut placé dans le ciel, parmi les constellations, avec Andromède, son épouse.

[Fig. 93]

Jason et les Argonautes. §

Phryxus et Hellé, sa sœur, ne pouvant souffrir les mauvais traitements d’Ino, leur belle-mère, femme d’Athamas, roi de Thèbes, résolurent de quitter leur pays ; ils montèrent sur un bélier dont la toison était d’or afin de passer la mer. Hellé eut un vertige dans le passage, et se noya dans le détroit qui, depuis, fut nommé Hellespont. Quant à Phryxus, il acheva heureusement le voyage et arriva en Colchide. Là, il sacrifia son bélier sur l’autel de Mars, suspendit la dépouille à un arbre dans un bois consacré à ce dieu, et le mit sous la garde d’un énorme dragon35 [Fig. 94].

[Fig. 94]

Dans le même temps, Jason, fils d’Eson, roi d’Iolchos, avait été dépouillé de l’héritage de son père par l’usurpateur Pélias. Celui-ci promit à ce jeune prince de lui rendre son trône, s’il parvenait à reconquérir la toison d’or. Son intention était de le perdre ; cependant cette entreprise, quoique périlleuse, tenta le courage du jeune héros. Dès que la nouvelle du projet aventureux fut répandue, l’élite de la Grèce voulut y prendre part, et s’embarqua avec Jason sur le navire Argo, ainsi nommé, soit d’Argus, qui présida à sa construction, soit des Argiens qui s’y trouvaient en plus grand nombre ; soit enfin du mot grec argos, qui signifie léger. Parmi les guerriers qui partirent avec Jason, on distinguait Hercule, Thésée, Orphée, qui devait charmer l’ennui du voyage par ses chants et les sons de sa lyre ; le pilote Tiphys ; Lyncée, qui avait la vue très perçante, et qui était chargé de signaler les écueils ; Castor et Pollux, etc.

Arrivé en Colchide, Jason parvint à se faire aimer de Médée, fille du roi et habile magicienne ; avec son secours, il endormit et tua le dragon, et se rendit maître de la toison. Après cet heureux succès, Jason s’enfuit avec Médée et ses compagnons, et revint en Thessalie. Là, comme Pélias différait toujours de lui rendre la couronne, Médée feignit d’avoir un secret pour rajeunir ce prince, et engagea ses filles à tuer leur père et à faire bouillir ses membres dans une chaudière, leur faisant espérer qu’il renaîtrait plein de vigueur et de jeunesse. Pélias perdit la vie ; mais ce crime ne rendit pas la couronne à Jason. Acaste, fils de Pélias, s’en empara, et força Jason et Médée à s’enfuir à Corinthe. Là, Jason conçut de l’amour pour Creüse, fille du roi Créon. Médée, pour se venger, fit périr sa rivale, égorgea les enfants qu’elle avait eus de Jason [Fig. 95], et s’enfuit sur un char attelé de dragons ailés. Jason mena ensuite une vie errante, et ne put se fixer en aucun lieu. Médée lui avait prédit qu’il périrait sous les débris du vaisseau des Argonautes ; la prédiction se réalisa. Un jour qu’il se reposait sur le bord de la mer à l’abri de ce vaisseau, il fut écrasé par une poutre qui s’en détacha.

[Fig. 95]

Castor et Pollux. §

Castor et Pollux, étaient fils de Jupiter et de Léda, femme de Tyndare, roi de Sparte. Ils sont célèbres par leur amitié, et par leurs exploits sur mer contre les pirates. Ils suivirent Jason à la conquête de la toison d’or. Pollux excellait dans la lutte au pugilat et dans le combat du ceste ; Castor, de son côté, se signala dans l’art de dompter les chevaux. Après leur mort, ils furent placés parmi les astres, et on les appelle les Gémeaux.

Bellérophon. §

Hipponoüs, fils de Glaucus, roi d’Ephyre (ancien nom de Corinthe) et d’Eurymède, reçut le nom de Bellérophon après avoir tué par mégarde à la chasse son frère Bellerus36. Forcé de s’expatrier, il se rendit à Tirynthe, à la cour de Prœtus. Sténobée, femme de ce prince, ayant conçu une violente passion pour Bellérophon, et s’en voyant dédaignée, l’accusa auprès de son mari d’avoir voulu la séduire. Prœtus, n’osant violer les lois de l’hospitalité en punissant lui-même Bellérophon, l’envoya, sous un faux prétexte, à la cour du roi de Lycie, Iobate son beau-père, avec une lettre par laquelle il priait ce roi de tirer vengeance d’un homme qui avait voulu attenter à l’honneur de sa fille. De là le proverbe : Prenez garde de porter une lettre de Bellérophon. Iobate, suivant l’usage, commença par donner l’hospitalité à Bellérophon, et ce ne fut qu’au bout de neuf jours qu’il ouvrit la lettre de Prœtus. Cependant, Iobate lui-même, n’osant souiller ses mains du sang de son hôte, le pria de délivrer le pays de la Chimère, monstre terrible, qui avait la tête d’un lion, le corps d’une chèvre et la queue d’un dragon, et dont la gueule béante vomissait des tourbillons de flamme37. Bellérophon semblait devoir succomber dans cette entreprise ; mais, avec le secours de Minerve et à l’aide du cheval Pégase, il triompha de la Chimère [Fig. 96]. Iobate l’exposa à de nouvelles épreuves en l’envoyant contre les Amazones et les Solymes. Bellérophon sortit vainqueur de cette guerre, et, à son retour, tua les soldats qu’Iobate avait apostés pour l’assassiner. Un bonheur si constant convainquit le roi de l’innocence de Bellérophon ; forcé de reconnaître en lui un mortel aimé des dieux, Iobate lui donna sa fille Philonoé en mariage, et partagea son royaume avec lui. Iobate étant mort sans laisser d’enfants mâles, Bellérophon lui succéda ; mais, sur la fin de sa vie, il encourut la haine des dieux, et tomba dans une profonde mélancolie, qui le portait à errer seul dans les déserts, dévoré de soucis, et fuyant tout commerce avec les hommes.

[Fig. 96]

Cadmus. — Œdipe. — Guerre de Thèbes. §

Cadmus, fils d’Agénor, roi de Phénicie, avait été envoyé par son père à la recherche d’Europe, sa sœur, enlevée par Jupiter, avec ordre de ne point revenir sans elle. Après l’avoir longtemps cherchée en vain, il consulta l’oracle de Delphes, qui, au lieu de le satisfaire sur sa demande, lui ordonna de bâtir une ville à l’endroit où un bœuf le conduirait, et de donner au pays le nom de Béotie. Il se remit donc en chemin, et ne tarda pas à rencontrer une génisse, qui lui servit de guide et qui s’arrêta au lieu où fut ensuite bâtie la ville de Thèbes. Deux compagnons marchaient avec lui. Cadmus, voulant faire un sacrifice à Minerve, les envoya puiser de l’eau à une source voisine ; mais ils périrent dévorés par un dragon. Cadmus vengea leur mort en tuant le monstre, dont il sema les dents à terre par le conseil de Minerve. Des hommes armés en sortirent, qui se battirent et s’entre-tuèrent, à l’exception de cinq qui lui aidèrent à bâtir la nouvelle ville. Il épousa Harmonie ou Hermione, dont il eut Polydore, Sémélé, Ino, Autonoé et Agavé. Un second oracle lui ayant appris que sa postérité était menacée des plus grands malheurs, pour n’en pas être témoin, il s’exila avec sa femme, et se retira en Illyrie. Ce fut là que Cadmus et Harmonie, selon les uns, moururent de vieillesse, ou, suivant les autres, furent métamorphosés en dragons.

Polydore, leur fils, fut déchiré par les Bacchantes ; et Labdacus, qui lui succéda, mourut prématurément, ne laissant qu’un fils au berceau. Ce fils fut Laïus, époux de Jocaste. L’oracle avait prédit que le fils qui naîtrait de leur union serait le meurtrier de son père et le mari de sa mère. Aussi fut-il confié, quelques heures après sa naissance, à un pâtre, qui devait l’égorger, et qui, par pitié, se contenta de lui percer les pieds et de le suspendre à un arbre sur le mont Cithéron [Fig. 97]. Par hasard, Phorbas, berger de Polybe, roi de Corinthe, vint en ce lieu, et, attiré par les cris de l’enfant, le détacha de l’arbre et l’emporta. Péribée, reine de Corinthe, voulut le voir ; et, comme elle n’avait point d’enfants, elle l’adopta. Ce fut alors qu’il reçut le nom d’Œdipe (oidéin, s’enfler, pous, pied), à cause de l’enflure de ses pieds. Œdipe, devenu grand, alla consulter sur sa destinée l’oracle de Delphes, qui lui fit une réponse semblable à celle qu’avait reçue Laïus. Comme il se croyait fils de Polybe et de Péribée, il résolut de ne jamais retourner à Corinthe, et partit pour la Phocide. Ayant rencontré Laïus dans un chemin étroit, où celui-ci lui disputa le pas, il le tua, sans le connaître, à la suite d’une rixe qui s’était engagée entre eux [Fig. 98]. Arrivé à Thèbes, Œdipe trouva la ville désolée par le Sphinx38. Ce monstre, qui avait la tête et le sein d’une jeune femme, le corps d’un chien, les griffes d’un lion, les ailes d’un aigle et une queue armée d’un dard aigu, proposait une énigme aux passants, et dévorait ceux qui ne pouvaient la deviner. Voici cette fameuse énigme : — Quel est l’animal qui a quatre pieds le matin, deux à midi, et trois le soir ? On avait promis le trône de Laïus et la main de Jocaste à celui qui devinerait le sens de ces paroles. Œdipe y réussit, et répondit que cet animal est l’homme, qui, dans son enfance, se traîne sur ses pieds et sur ses mains ; qui, dans la force de l’âge, se tient debout sur ses deux jambes, et qui, dans sa vieillesse, s’appuie sur un bâton. Le monstre, vaincu par cette explication, se précipita du haut du rocher, où il faisait sa demeure, et se brisa la tête. Œdipe devint donc roi de Thèbes et épousa Jocaste, dont il eut deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène. Quelques années après, le royaume fut désolé par une peste cruelle. On consulta l’oracle, qui déclara que ce fléau ne cesserait qu’après l’exil du meurtrier de Laïus. Après bien des perquisitions, Œdipe aboutit à dévoiler le mystère de sa naissance, et à se reconnaître parricide et incestueux.

[Fig. 97]
[Fig. 98]

Dans l’excès de sa douleur, il s’arracha les yeux, et s’exila de Thèbes. Il alla dans l’Attique avec sa pieuse fille Antigone, qui lui servait de guide, et s’arrêta près d’un bourg nommé Colone, dans un bois consacré aux Euménides [Fig. 99]. C’est là qu’il disparut de la terre, au milieu des foudres et des éclairs.

[Fig. 99]

Les fils d’Œdipe, Étéocle et Polynice, héritèrent de la malédiction attachée à la race de Cadmus. Ces deux frères donnèrent l’exemple unique d’une inimitié invincible, qui avait commencé même avant qu’ils eussent vu le jour. Ils se battaient dans le sein de leur mère. Après la mort d’Œdipe, ils convinrent de régner chacun une année alternativement. Étéocle, qui était l’aîné, régna le premier ; mais, l’année révolue, il refusa de céder la couronne à son frère. Cette usurpation causa la fameuse guerre de Thèbes, tant célébrée par les poètes. Polynice alla implorer le secours d’Adraste, roi d’Argos, qui lui donna en mariage sa fille Argie, et organisa en sa faveur une puissante armée. Sept chefs intrépides commandaient cette armée ; ils sont appelés les sept chefs devant Thèbes : c’étaient Polynice, Adraste, Tydée, Capanée, le devin Amphiaraüs, Hippomédon et Parthénopée.

Après une guerre sanglante et inutile, Étéocle et Polynice voulurent terminer leur différend par un combat singulier, et ils s’entre-tuèrent [Fig. 100]. Créon, frère de Jocaste, se trouva, par cette mort, possesseur du trône. Il fit donner la sépulture à Étéocle, et défendit, sous peine de mort, d’ensevelir le corps de Polynice. La pieuse Antigone brava cet ordre cruel, et alla avec sa belle-sœur Argie rendre à cet infortuné les honneurs funèbres [Fig. 101]. Créon, loin d’être touché de ce dévouement, condamna Antigone à être enterrée vive ; mais elle prévint cet affreux supplice en s’étranglant. Suivant une autre tradition, les corps d’Étéocle et de Polynice furent mis sur le même bûcher, et l’on crut remarquer que les flammes se divisaient pour ne pas confondre les cendres de ces deux frères, ennemis jusque dans la mort.

[Fig. 100]
[Fig. 101]

Adraste, qui était resté seul des sept chefs, reprit la route d’Argos. Mais, dix ans après, Alcméon, fils d’Amphiaraüs, Égialée, fils d’Adraste, Diomède, fils de Tydée, Promaque, fils de Parthénopée, Sténélus, fils de Capanée, Thersandre, fils de Polynice, et Polydore, fils d’Hippomédon, s’armèrent pour venger leurs pères. On les appela les Épigones ou dépendants. Thèbes fut prise et livrée au pillage, et Thersandre, fils de Polynice, remonta sur le trône de Laïus ; mais il fut tué quelques années après en allant au siège de Troie. Après sa mort, deux princes de sa famille régnèrent à Thèbes ; mais le second fut tout à coup saisi d’une noire frénésie, et les Thébains, persuadés que les Furies ne cesseraient pas de poursuivre le sang d’Œdipe et la race de Cadmus, mirent une autre famille sur le trône.

Pélops. §

La postérité de Tantale, comme celle d’Œdipe, a dans la fable une triste célébrité. On attribuait les malheurs de cette famille à l’impiété de Tantale, père de Pélops et de l’infortunée Niobé. Tantale, ayant reçu les dieux dans son palais, et voulant éprouver leur divinité, s’avisa d’égorger son fils Pélops et de le leur servir avec d’autres viandes. Cérès seule, absorbée par la douleur que lui causait la perte de sa fille, porta la main à cet exécrable mets et en mangea une épaule. Jupiter précipita Tantale au fond des Enfers et rendit la vie au jeune Pélops, dont il rajusta tous les membres, à l’exception de l’épaule que Cérès avait mangée et qu’il remplaça par une épaule d’ivoire. Quelque temps après, Pélops, obligé de quitter ses États, à la suite d’une guerre contre Tros, roi de Troie, s’enfuit en Élide, à la cour du roi Œnomaüs, qui le reçut favorablement, et dont il épousa la fille, Hippodamie. Après la mort d’Œnomaüs, il devint roi d’Élide et étendit ses conquêtes dans la plus grande partie de la contrée, qui, de son nom, fut appelée Péloponèse. Il eut de son mariage avec Hippodamie deux fils, Atrée et Thyeste, fameux par les inimitiés et par les crimes qui en furent la suite.

Guerre de Troie. §

La guerre de Troie est le grand événement qui termine l’histoire fabuleuse. Le jugement de Pâris et l’enlèvement d’Hélène en furent la cause.

Pâris, surnommé Alexandre, était fils de Priam, roi de Troie. Pendant qu’Hécube le portait dans son sein, elle songea qu’elle enfermait une torche qui devait un jour embraser Troie. Sur la foi des devins, qui avaient prédit que cet enfant causerait la ruine de sa patrie, Priam, aussitôt qu’il fut né, le donna à un de ses esclaves pour le faire périr ; mais Hécube, n’écoutant que la tendresse maternelle, le déroba et le confia à des bergers du mont Ida. Pâris trahit bientôt sa naissance par sa beauté, son esprit et son adresse, et inspira de l’amour à la nymphe Œnone, qu’il épousa. Quoiqu’il ne fût en apparence qu’un simple pâtre, Jupiter le choisit pour arbitre du différend qui s’était élevé entre Junon, Minerve et Vénus, au sujet de la pomme d’or jetée par la Discorde aux noces de Thétis et de Pélée, et sur laquelle était cette inscription : À la plus belle ! Plus tard, Pâris se rendit à Lacédémone, et, secondé par Vénus, à qui il avait adjugé la pomme, il se fit aimer d’Hélène, femme du roi Ménélas, et l’enleva [Fig. 102]. Une ligue se forma pour venger l’affront fait à Ménélas ; et, à la tête d’une armée formidable, les principaux chefs de la Grèce vinrent mettre le siège devant Troie.

[Fig. 102]

Les plus célèbres furent : Agamemnon, roi de Mycènes et frère de Ménélas ; Ulysse, roi d’Ithaque ; Achille, fils de Thétis et de Pélée, roi de la Phtiotide, et Patrocle, son ami ; Nestor, roi de Pylos, célèbre par sa sagesse et son éloquence ; Diomède, roi d’Étolie, fils de Tydée ; Sthénélus, fils de Capanée ; Ajax, roi de Salamine, fils de Télamon ; un autre Ajax, roi des Locriens, fils d’Oïlée ; Idoménée, roi de l’île de Crète, et le brave Mérion, qui l’avait accompagné ; Philoctète, héritier des flèches d’Hercule, etc.

Tous ces princes étaient arrivés dans l’Aulide avec leurs vaisseaux et leurs troupes, à l’exception d’Ulysse et d’Achille. Marié depuis peu de temps avec Pénélope, qu’il aimait tendrement, Ulysse, pour s’exempter d’aller au siège de Troie, imagina de contrefaire l’insensé ; pour mieux faire croire qu’il avait l’esprit aliéné, il s’avisa de labourer le sable sur le bord de la mer avec une charrue attelée de deux bêtes de différente espèce et d’y semer du sel. Mais Palamède découvrit la feinte, en plaçant le jeune Télémaque devant le soc de la charrue. Ulysse, craignant de blesser son fils, leva la charrue, et fit connaître par là que sa folie n’était que simulée.

Thétis, sachant que son fils devait périr au siège de Troie s’il s’y rendait, l’envoya, déguisé en femme sous le nom de Pyrrha, à la cour de Lycomède, roi de Scyros. Cependant, comme Troie, d’après la prédiction de Chalcas, ne pouvait être prise sans Achille, les princes grecs chargèrent Ulysse de découvrir le lieu de sa retraite. Celui-ci, s’étant déguisé en marchand, se rendit à Scyros, où il soupçonnait qu’il était caché, et présenta aux jeunes filles de la cour des parures, des bijoux et des armes. Les princesses choisirent naturellement les parures ; mais Achille se trahit par l’impétuosité avec laquelle il se jeta sur les armes, et ne put se refuser à suivre Ulysse au siège de Troie. Après l’arrivée de ces deux héros, les Grecs partirent. Leur départ coûta la vie à Iphigénie, fille d’Agamemnon, que Chalcas, prêtre et devin des Grecs, sacrifia sur l’autel de Diane, pour obtenir un vent favorable [Fig. 103].

[Fig. 103]

Troie, ville célèbre de l’Asie Mineure, était située sur les bords du fleuve Scamandre ou Xanthe, dans la partie de la Phrygie qui regardait l’Hellespont.

Du côté des Troyens étaient Priam, roi de Troie ; Hector et Pâris, ses deux fils ; Memnon, fils de l’Aurore ; Rhésus, roi de Thrace ; Énée, fils de Vénus et d’Anchise ; Sarpédon et Elpénor ; Penthésilée, reine des Amazones.

Les dieux eux-mêmes prirent parti dans cette grande querelle ; Jupiter seul resta neutre. Vénus, Mars et Apollon défendaient les Troyens ; Junon, Minerve, Neptune et Vulcain protégeaient les Grecs.

Après dix années de siège, la ville fut prise et réduite en cendres [Fig. 104]. Énée fut presque le seul qui échappa à la mort ou à l’esclavage. Protégé dans sa fuite par Vénus, sa mère, il alla s’établir en Italie, où il fonda une ville qui fut le berceau de Rome.

[Fig. 104]

Les princes grecs, pour la plupart, furent moins heureux qu’Énée. Agamemnon trouva son trône occupé par un indigne usurpateur, et périt assassiné par Clytemnestre, son épouse ; Diomède perdit tous ses compagnons et ne put retourner dans sa patrie ; Ajax, fils d’Oïlée, fut tué de la foudre en pleine mer ; d’autres, comme Idoménée, Diomède, Teucer, trahis par leurs parents et leurs amis, furent forcés d’aller chercher dans des pays lointains une nouvelle patrie ; Ulysse erra pendant dix ans sur les mers avant de pouvoir regagner Ithaque.

Le siège de Troie et les événements qui s’y rapportent ont été chantés par les deux plus grands poètes de l’antiquité, Homère et Virgile. Rien n’étant plus intéressant que les aventures d’Ulysse, en qui Homère, auteur de l’Odyssée39, a voulu donner un modèle de prudence, de courage, de patience et de fermeté, nous consacrerons à ce héros un article particulier.

Ulysse. §

Ulysse, fils de Laërte et roi d’Ithaque, était marié depuis peu de temps, comme nous l’avons dit plus haut, avec Pénélope, fille d’Icarius et de Péribée, lorsque l’enlèvement d’Hélène causa la guerre de Troie. Pendant son absence, Pénélope fut recherchée en mariage par une foule de prétendants, qui tâchaient de lui persuader qu’Ulysse avait péri devant Troie. Cette princesse, non moins renommée par sa vertu que par sa beauté, sut éluder leurs poursuites par toutes sortes de stratagèmes. Elle les assura, par exemple, qu’elle se déciderait pour l’un d’eux, lorsqu’elle aurait achevé un voile auquel elle travaillait et qu’elle destinait, disait-elle, aux funérailles du vieux Laërte ; mais elle défaisait la nuit l’ouvrage qu’elle avait fait pendant le jour. De là le mot : C’est la toile de Pénélope, pour dire une affaire qui ne finit pas. Cependant les prétendants s’étaient emparés du palais d’Ulysse et dévoraient ses biens, en attendant que son épouse prît un parti ; mais le retour du héros délivra Pénélope, après vingt ans d’absence, de l’embarras où elle se trouvait.

Ulysse était parti de Troie avec les douze vaisseaux qu’il avait emmenés d’Ithaque. Une tempête le jeta d’abord sur les côtes des Cicones, peuple de Thrace, chez lesquels il perdit plusieurs de ses compagnons. De là il fut porté au rivage des Lotophages, peuple d’Afrique, qui se nourrissaient du fruit du lotos, dont la vertu était de faire perdre aux étrangers le souvenir de leur patrie, lorsqu’ils en avaient mangé. Ulysse envoya pour reconnaître le pays deux de ses compagnons, à qui les habitants donnèrent à goûter de ce fruit ; mais il attendit en vain leur retour : ils avaient oublié tout, parents, amis, patrie. Il fallut les faire enlever et les embarquer de force.

Les vents le conduisirent ensuite sur les côtes de Sicile, sur les terres des Cyclopes, géants monstrueux, qui vivaient sans religion, sans lois, et sans aucun commerce avec le reste des hommes. Prenant avec lui douze de ses compagnons, il descend sur ce rivage inhospitalier, et arrive à l’entrée d’une profonde caverne. C’était la demeure de Polyphème, le plus redoutable des Cyclopes. À peine Ulysse et ses compagnons y sont-ils entrés, que Polyphème arrive avec une charge de bois sec pour préparer son repas, et ferme l’entrée de son antre avec un énorme roc que lui seul pouvait ébranler.

À la vue du Cyclope, les Grecs vont se tapir dans le fond de la caverne ; mais Polyphème les aperçoit à la clarté du feu qu’il vient d’allumer, et en empoigne deux qu’il dévore. Le lendemain matin, avant que de conduire ses troupeaux aux pâturages, il en prend encore deux pour son repas du matin, et referme son antre en sortant. Cependant Ulysse, qui conservait toujours dans les plus grands dangers un sang-froid et une présence d’esprit admirables, songea pendant la journée aux moyens de se venger du Cyclope. Ayant aperçu dans la caverne un énorme pieu, il l’amenuisa par le bout, le cacha dans un tas de fumier, et se tint tranquille jusqu’au soir. Lorsque Polyphème eut ramené ses troupeaux et refermé son antre, il mangea encore deux Grecs. Alors Ulysse, qui avait apporté avec lui une outre de vin, en remplit une coupe, qu’il présente au Cyclope. Celui-ci prend la coupe et boit ; le vin lui paraît délicieux ; il en redemande, et fait si bien, qu’il s’enivre. Il regarde Ulysse d’un air attendri, et lui demande son nom. « Je me nomme Personne, lui répond le héros ; ainsi me nomment mon père, ma mère et tous les miens. — Eh bien, lui dit le Cyclope, puisque Personne est ton nom, Personne sera mangé le dernier. » En disant ces mots, il se laisse tomber en arrière, et cède au sommeil qui l’accable. Ulysse ne perd point de temps ; il prend le pieu qu’il avait préparé, et, après l’avoir fait rougir au feu, il l’enfonce, à l’aide des plus intrépides de ses compagnons, dans l’œil unique que Polyphème avait au milieu du front. Le monstre, réveillé par la douleur, pousse d’épouvantables hurlements. Tous les Cyclopes des environs accourent en foule auprès de sa caverne, et lui demandent à plusieurs reprises qui lui a fait du mal. Comme il répondait toujours : Personne, ils crurent qu’il avait perdu la raison et se retirèrent. Cependant Polyphème, frémissant, de rage, s’approche en tâtonnant de l’entrée de sa caverne, en ôte la pierre, et reste là jusqu’au matin dans l’espoir de saisir Ulysse au passage ; mais ce héros, toujours prudent, avait prévu le danger. Il choisit les plus gros moutons du Cyclope ; il attache ses compagnons sous le ventre de ces animaux, et lui-même se cramponne à la toison d’un énorme bélier. Ils sortent ensuite avec le troupeau, et courent en toute hâte vers le rivage, où ils se rembarquent.

De la Sicile, Ulysse passa dans les îles Éoliennes, où il séjourna un mois. Là, il apprit d’Éole, roi des Vents, la route d’Ithaque, et reçut de lui des outres où les vents étaient emprisonnés. Malheureusement ses compagnons, cédant à une indiscrète curiosité, ouvrirent les outres, d’où les vents s’échappèrent et causèrent une effroyable tempête.

Six jours après, il se retrouva en Sicile, sur la côte des Lestrigons, anthropophages de taille gigantesque. Il y perdit presque tous ses compagnons et onze de ses vaisseaux ; puis, après s’être remis en mer, il fut poussé par les vents sur l’île d’Æa, où régnait Circé, fille du Soleil, fameuse magicienne.

Ulysse, que ses malheurs passés avaient rendu encore plus circonspect, entre sans bruit dans le port ; mais le manque de vivres le met dans la nécessité de détacher une partie de ses compagnons pour aller reconnaître le pays. Ceux-ci pénètrent jusqu’au fond d’une vallée, où ils découvrent le palais de Circé, environné d’une épaisse forêt, et voient à l’entrée des loups et des lions que la magicienne avait apprivoisés, et qui, au lieu de se jeter sur eux, viennent en rampant les caresser. Circé les accueille avec de douces paroles, les fait asseoir sur des sièges magnifiques, et leur présente un breuvage, qu’ils ont l’imprudence d’accepter. À peine en ont-ils goûté, qu’ils sont convertis en pourceaux et s’enfuient dans une étable. Un seul, qui, par défiance, était resté hors du palais, courut avertir Ulysse de la disgrâce de ses compagnons. Le héros arrive et se jette, l’épée à la main, sur la déesse, comme pour lui ôter la vie. Celle-ci, effrayée, tombe à ses genoux, et reconnaît alors qu’il est ce sage et prudent Ulysse que Mercure lui avait autrefois annoncé. Elle lui tient, pour le fléchir, les discours les plus touchants ; mais il refuse de l’écouter, jusqu’à ce qu’elle ait rendu à ses compagnons leur première forme. Circé obéit, et Ulysse, satisfait, consent à demeurer un an dans son palais.

Il descendit ensuite aux Enfers, pour y consulter l’ombre du devin Tirésias sur sa destinée. Il y apprit qu’il n’était pas encore arrivé au terme de ses épreuves ; mais il sut les surmonter toutes par sa prudence et son courage. Obligé de passer devant les rochers qu’habitaient les Sirènes, il trouva moyen d’échapper à leurs séductions. Il boucha soigneusement avec de la cire les oreilles de tous ses compagnons, et se fit attacher au grand mât du navire, après leur avoir ordonné que, si, charmé par les chants et les attraits des Sirènes, il lui prenait envie de s’arrêter, loin de condescendre à ses désirs, ils le liassent encore plus fort avec de nouvelles cordes. Il évita aussi les écueils de Charybde et de Scylla, dans le détroit de Sicile ; mais une nouvelle tempête fit périr son vaisseau et le reste de ses compagnons, et il se sauva seul dans l’île de Calypso. Il y passa sept ans, retenu par cette déesse qui lui offrit l’immortalité, s’il voulait l’épouser [Fig. 105] ; mais il préféra Pénélope et le bonheur de revoir la fumée du toit de son palais à un si brillant avantage, et Calypso le renvoya sur un radeau. Il gagna avec beaucoup de peine l’île des Phéaciens, où il fut reçu avec distinction par le roi Alcinoüs.

[Fig. 105]

Ce prince, après avoir entendu le récit de ses aventures, lui fournit les moyens de retourner à Ithaque. Ulysse y débarqua déguisé en mendiant, et se rendit d’abord à la cabane du vieil Eumée, son fidèle serviteur, qui le conduisit à la ville. À la porte du palais, Argus, son chien, le reconnut, après une si longue absence, et mourut de la joie d’avoir revu son maître, après avoir fait de vains efforts pour se traîner jusqu’à lui. Ayant trouvé moyen de pénétrer jusqu’à Pénélope, Ulysse l’entretint sans se faire connaître, lui donna des nouvelles de son époux, et l’assura qu’il serait bientôt de retour. Pénélope, de son côté, lui confia les chagrins et les embarras qu’elle avait éprouvés depuis le départ de son mari. Elle lui dit que, ne pouvant plus éluder les poursuites des prétendants, elle leur avait proposé pour le lendemain l’exercice de la bague avec l’arc d’Ulysse, et qu’elle avait juré d’épouser celui qui parviendrait à tendre cet arc. Ulysse, qui avait tout préparé pour se défaire des prétendants, approuva sa résolution. Le lendemain, au lever de l’aurore, on apporte l’arc immense d’Ulysse avec les douze anneaux que doit traverser la flèche. Cet exercice de la bague, qui ne paraissait qu’un jeu, devait devenir un spectacle tragique par le carnage dont il allait être suivi. Tous les princes font de vains efforts pour tendre l’arc. Ulysse, déguisé en mendiant, se présente à son tour et demande qu’il lui soit permis d’éprouver ses forces. Les prétendants se moquent d’abord de lui et s’opposent à ce qu’il se mettre au nombre des concurrents ; mais Pénélope les y fait consentir. Ulysse prend l’arc, le tend presque sans peine, et la flèche, rapide comme l’éclair, traverse les douze bagues. Les prétendants pâlissent. Ulysse se dépouille de ses haillons, se fait connaître, et, secondé de Télémaque et d’Eumée, il perce de ses flèches tous ses ennemis l’un après l’autre. On ne fit grâce qu’au musicien Phémius, en considération du don précieux qu’il avait reçu des dieux. Les prétendants l’avaient appelé auprès d’eux pour chanter pendant leur repas, et il n’avait pu se dispenser de leur obéir. C’était lui qui quelquefois charmait les ennuis de Pénélope par la douceur de ses chants.

La reconnaissance d’Ulysse et de Pénélope suivit le meurtre des princes. On peut se figurer la joie que firent éclater les deux époux, qui n’avaient point cessé de s’aimer, et qui, après une longue séparation, jouissaient, contre toute espérance, du bonheur de se revoir. Ulysse retrouva aussi son père Laërte encore vivant ; il rétablit le calme parmi le peuple, que quelques séditieux étaient parvenus à soulever contre lui, et depuis ce moment il régna paisiblement dans Ithaque.

Seconde partie.
Métamorphoses §

Lycaon. §

Lycaon, roi d’Arcadie, prince impie et cruel, faisait périr tous les étrangers qui passaient dans ses États. Jupiter étant descendu chez lui, Lycaon se prépare à lui ôter la vie ; mais, frappé de la majesté de son visage, et voulant s’assurer si ce n’est pas un dieu, il lui fait servir de la chair humaine. À l’instant Jupiter s’arma de sa foudre ; le palais s’embrase et s’écroule, et Lycaon s’enfuit, en hurlant, dans un bois voisin, sous la forme d’un loup40 [Fig. 106].

[Fig. 106]

Apollon et Daphné. §

Apollon aimait Daphné, jeune nymphe, fille du fleuve Pénée, et n’en était point aimé. Un jour, pour se dérober aux poursuites du dieu, qui était sur le point de l’atteindre, la- nymphe implora le secours de son père, et incontinent elle fut changée en l’arbre qui, de son nom, fut appelé laurier41 [Fig. 107]. Apollon en détacha un rameau dont il se fit une couronne, et voulut que cet arbre lui fût consacré.

[Fig. 107]

Pan et Syrinx. §

Il y avait dans l’Arcadie une naïade, fille du fleuve Ladon, nommée Syrinx. Elle était d’une rare beauté et une des plus fidèles compagnes de Diane. Un jour qu’elle revenait du Lycée, Pan la vit, et, frappé de l’éclat de sa beauté, se mit à la poursuivre. La nymphe effrayée prend la fuite ; mais, arrivée sur les bords du Ladon et s’y trouvant arrêtée, dans sa détresse elle prie les Naïades de la secourir. Pan s’approche pour la saisir ; mais, au lieu de la nymphe, il n’embrasse que des roseaux. Il gémit, et, frappés de ses soupirs, les roseaux rendent des sons harmonieux. Le dieu, charmé de la douceur de ces nouveaux sons, joint ensemble sept roseaux d’une longueur inégale, et en forme cette flûte à sept tuyaux, ce chalumeau chéri des bergers, symbole de la vie pastorale, qui porta depuis le nom de la nymphe.

Phaéton. — Sœurs de Phaéton, et Cycmes, son ami. §

Phaéton était fils du Soleil et de l’Océanide Clymène. Dans une querelle qu’il eut avec Épaphus, fils de Jupiter et d’Io, celui-ci lui soutint qu’il n’était pas fils du Soleil, comme il s’en vantait. Phaéton, irrité, alla se plaindre à Clymène, qui le renvoya vers son père, pour apprendre de la propre bouche du Soleil la vérité sur sa naissance. Il se rendit donc auprès du Soleil, et le supplia de lui accorder un gage qui prouvât incontestablement qu’il était son fils. Le Soleil l’embrasse, le console, et jure par le Styx de ne lui rien refuser. Alors le jeune téméraire lui demande la permission de conduire son char pendant un jour seulement. Le Soleil se repentit aussitôt de son serment ; il veut en vain détourner son fils d’un si funeste dessein, en lui représentant que Jupiter lui-même succomberait dans une pareille entreprise. Phaéton persiste dans sa demande, et son père le conduit où était le char. L’Aurore, vêtue de pourpre, ouvre son palais semé de roses ; les étoiles disparaissent, et le Soleil commande aux heures d’atteler ses coursiers. Il couronne de rayons la tête de son fils, et lui donne des instructions dont une partie a été ainsi exprimée par un poëte ancien :

Prends garde qu’une ardeur, trop funeste à ta vie,
Ne t’emporte au-dessus de l’aride Libye.
Là jamais d’aucune eau le sillon arrosé
Ne rafraîchit mon char dans sa course embrasé.
…………………………………………
Aussitôt devant toi s’offriront sept étoiles.
Dresse par là ta course, et suis le droit chemin.
Phaéton, à ces mots, prend les rênes en main ;
De ses chevaux ailés il bat les flancs agiles ;
Les coursiers du Soleil à sa voix sont dociles.
Ils vont, le char s’éloigne, et plus prompt qu’un éclair
Pénètre en un moment les vastes champs de l’air.
Le père, cependant, plein d’un trouble funeste,
Le voit rouler de loin sur la plaine céleste ;
Lui montre encore sa route, et, du plus haut des cieux,
Le suit, autant qu’il peut, de la voix et des yeux.
Va par là, lui dit-il, reviens, détourne, arrête.
[Boileau]

Cependant les chevaux du Soleil, se sentant conduire par une main étrangère, se détournent de la route ordinaire ; Phaéton se trouble et abandonne les rênes. Les chevaux alors s’emportent, et tantôt, s’élevant jusqu’à l’Empyrée, menacent d’embraser le ciel ; tantôt, descendant trop bas, brûlent les montagnes et dessèchent les rivières. Ce fut alors que les Éthiopiens prirent ce teint noir qu’ils conservent encore, et que l’Afrique perdit sa verdure.

Enfin, la Terre, se voyant périr, implore le secours de Jupiter, qui, pour remédier à ce pressant danger, foudroie le fils du Soleil, et le précipite dans l’Eridan (le Pô), fleuve d’Italie.

Les Héliades, Phaétuse, Lampéthie et Phœbé, sœurs de Phaéton, affligées de la mort de leur frère, allèrent le chercher au bord de l’Eridan, où les Nymphes de ce fleuve l’avaient enseveli. Elles le pleurèrent pendant quatre mois entiers ; puis, les dieux, prenant en pitié leur douleur, les métamorphosèrent en peupliers, et leurs larmes en grains d’ambre.

Cycnus, roi de Ligurie, parent de Phaéton et son ami, vint aussi pleurer sur les bords du fleuve. Il déplora son sort avec une voix si mélodieuse, que les dieux le changèrent en cygne.

Cet oiseau, qui se souvient toujours de la foudre dont Phaéton fut frappé, se contente de raser la terre, et la haine qu’il a conçue pour le feu lui fait choisir pour demeure les lacs et les étangs.

Calisto. §

Lorsque Jupiter descendit sur la terre pour éteindre le feu que le char du Soleil y avait allumé, il s’éprit d’amour pour Calisto, nymphe de la suite de Diane, et en eut un fils, nommé Arcas. Junon, ayant découvert cette intrigue, changea cette nymphe en ourse. Longtemps après, son fils Arcas la rencontra à la chasse, et, ne pouvant la reconnaître sous cette nouvelle forme, il allait la percer de ses traits, lorsque Jupiter, pour prévenir un parricide, le métamorphosa lui-même en ours, et les transporta tous deux dans le ciel, où ils formèrent les constellations de la Grande et de la Petite Ourse.

Le corbeau. §

Le corbeau, oiseau consacré à Apollon, avait autrefois le plumage blanc. Il crut plaire à ce dieu en lui découvrant l’infidélité de la belle Coronis, fille de Phlégias. Apollon, dans le premier mouvement de sa colère, la perça d’une de ses flèches ; mais il se repentit bientôt de sa vengeance, et noircit le plumage du corbeau pour le punir de son rapport indiscret. De ce moment le corbeau devint un oiseau de mauvais augure.

Actéon. §

Actéon aimait beaucoup la chasse. Un jour il passa près d’une fontaine où Diane se baignait avec ses nymphes. La déesse, honteuse de se voir ainsi surprise, puise de l’eau dans ses mains et en jette au visage du chasseur [Fig. 108]. Actéon s’enfuit, mais il était devenu cerf ; et aussitôt ses chiens, qui ne le reconnaissaient plus, se précipitent sur lui et le dévorent.

[Fig. 108]

Battus. §

Mercure venait de dérober à Apollon une partie des troupeaux du roi Admète ; Battus, berger de Pylos, avait par hasard vu le larcin. Mercure, pour l’engager au silence, lui donne une belle génisse, et le berger promet de se taire. Cependant Mercure, qui ne se fiait pas trop à lui, feignit de se retirer, et revint un moment après, sous la forme d’un paysan et avec une autre voix, lui offrir un bœuf et une vache, s’il voulait dire où était le bétail qu’on cherchait. Battus se laissa tenter et découvrit tout ; alors Mercure le métamorphosa en pierre de touche.

La nymphe Écho. §

Écho, fille de l’Air et de la Terre, nymphe de la suite de Junon, avait encouru par ses mensonges la haine de la déesse, qui la chassa du ciel et la condamna à ne pouvoir répéter que la dernière syllabe des mots qui lui étaient adressés. Exilée sur la terre, elle vit Narcisse et l’aima sans pouvoir s’en faire aimer. Dans sa douleur, elle se retira au fond d’un bois, et n’habita plus que les antres et le creux des rochers [Fig. 109]. Consumée à la fin de regret et de langueur, il ne lui resta plus que les os et la voix, et Junon la métamorphosa en pierre.

[Fig. 109]

Narcisse. §

Narcisse, fils du fleuve Céphise et de la nymphe Liriope, était un jeune homme d’une rare beauté, qui fut aimé de plusieurs nymphes. Tirésias avait prédit à sa mère qu’il vivrait tant qu’il ne se verrait pas. Revenant un jour de la chasse, accablé de fatigue et consumé de soif, il passa près d’une fontaine, dont l’eau fraîche et limpide l’invita, pour son malheur, à s’y désaltérer. Tandis qu’il se penchait pour boire, il aperçut son image dans le miroir de l’eau, et devint tellement amoureux de lui-même, qu’il mourut de langueur sur le bord de la fontaine [Fig. 110]. Sa folle passion l’accompagna jusqu’aux Enfers, où il se regardait sans cesse dans les eaux du Styx. Les Naïades, ses sœurs, le cherchèrent longtemps et apprirent d’une nymphe qu’il avait été changé en cette fleur jaune qu’on appelle Narcisse.

[Fig. 110]

Pyrame et Thisbé. §

Pyrame et Thisbé étaient tous deux de Babylone et s’aimaient tendrement. Comme leurs parents étaient ennemis mortels et se refusaient à les unir, ils ne pouvaient se parler qu’en secret et par une ouverture qu’ils avaient faite à un mur commun. Las enfin de cette contrainte, ils prirent la résolution de s’enfuir, et se donnèrent rendez-vous sous un mûrier, à quelque distance de la ville, près du tombeau de Ninus. Thisbé arriva la première ; mais, ayant aperçu une lionne qui rôdait autour du tombeau, la gueule béante et ensanglantée, elle se sauva, et en fuyant laissa tomber son voile que la lionne déchira et teignit de sang. Pyrame arrive ensuite ; il reconnaît le voile, aperçoit les traces du monstre, et, croyant que Thisbé a été dévorée, il se perce de son épée. Thisbé, qui n’entendait plus les rugissements de la lionne, revient un moment après et trouve Pyrame expirant. Après avoir cherché en vain à le rappeler à la vie, désespérée, elle ramasse le glaive, et se le plonge dans le cœur [Fig. 111]. Les fruits du mûrier, sur lequel avait rejailli le sang des deux amants, devinrent rouges, de blancs qu’ils étaient auparavant.

[Fig. 111]

Philomèle et Progné. §

Pandion, roi d’Athènes, avait deux filles, Progné et Philomèle. Il était en guerre avec les Thébains, et Térée, roi de Thrace, étant venu à son secours, le délivra de ses ennemis. Pandion, par reconnaissance, lui donna la main de Progné. Ce mariage néanmoins se fit sous les plus tristes auspices.

Il y avait cinq ans que Progné vivait dans la Thrace avec Térée. Ne pouvant supporter l’ennui d’être si longtemps séparée d’une sœur qu’elle aimait tendrement, elle pria son mari de lui permettre de l’aller voir à Athènes, ou de faire lui-même ce voyage pour la lui amener. Térée se chargea d’aller chercher Philomèle. Mais, pendant le retour, ce prince infâme osa outrager la sœur de son épouse, et, dans la crainte qu’elle ne s’en plaignît à Progné, il lui coupa la langue ; puis il la conduisit dans un vieux château caché au milieu des bois, où il la confia à des gardes aussi féroces que lui. Il retourna ensuite auprès de Progné, à qui il annonça, avec une douleur feinte, que Philomèle, n’ayant pu supporter les fatigues du voyage, était morte en route.

Cependant Philomèle gémissait depuis un an dans sa cruelle captivité, lorsqu’elle réussit à faire passer à sa sœur une tapisserie sur laquelle était tracée l’histoire de ses malheurs. À cette vue, Progné est saisie d’horreur, et ne songe qu’à la vengeance. Profitant d’une fête de Bacchus durant laquelle il était permis aux femmes de courir les champs, elle se mêle aux Bacchantes, les conduit au château où sa sœur était renfermée, délivre Philomèle et l’amène au palais du roi. Les deux princesses forment alors un abominable complot : c’est de servir à Térée les membres de son propre fils Itys dans un festin. Progné invite donc son mari à venir seul au repas qu’elle avait préparé, et lui allègue la coutume des Athéniens, de manger seuls avec leurs femmes pendant les fêtes de Bacchus. Térée accepte l’invitation ; cependant, sur la fin du repas, il demande qu’on lui amène son fils. « Ce que tu demandes est ici, » lui dit Progné. Aussitôt les portes de la salle s’ouvrent, et Philomèle paraît tenant la tête sanglante d’Itys qu’elle jette sur la table. Térée, épouvanté, pousse des cris affreux, se lève, et, appelant à son secours toutes les Furies des Enfers, court, l’épée à la main, sur Philomèle et Progné ; mais elles fuyaient avec tant de rapidité, qu’elles semblaient voler. Elles avaient, en effet, des ailes : Philomèle, métamorphosée en rossignol, regagna les bois, et Progné, changée en hirondelle, s’arrêta sur le toit du palais. Elles ont conservé dans leur plumage des taches du sang dont elles s’étaient souillées. Térée lui-même fut changé en huppe, et Itys en chardonneret.

Ces aventures de Philomèle et de Progné ont fourni à La Fontaine la matière d’une de ses plus belles fables, que voici :

        Autrefois Progné l’hirondelle
        De ses demeures s’écarta,
        Et loin des villes s’emporta
Dans les bois qu’habitait la triste Philomèle.
« Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous ?
Voici bientôt mille ans que l’on ne vous a vue :
Je ne me souviens pas que vous soyez venue
Depuis le temps de Thrace habiter parmi nous.
        Dites-moi, que pensez-vous faire ?
Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire ?
— Ah ! reprit Philomèle, en est-il de plus doux ? »
Progné lui repartit : « Eh quoi ? cette musique,
        Pour ne chanter qu’aux animaux,
        Tout au plus à quelque rustique ?
Les déserts sont-ils faits pour des talents si beaux ?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles.
        Aussi bien, en voyant les bois,
Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois,
        Parmi des demeures pareilles,
Exerça sa fureur sur vos divins appas.
— Et c’est le souvenir d’un si cruel outrage,
Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas :
        En voyant les hommes, hélas !
        Il m’en souvient bien davantage. »

Orphée et Eurydice. §

Orphée, célèbre musicien de Thrace, était fils d’Apollon et de Calliope. Il jouait si bien de la lyre, que les bêtes féroces s’attroupaient autour de lui, les arbres descendaient des montagnes et les fleuves suspendaient leur cours. Eurydice, sa femme, étant morte de la blessure d’un serpent le jour même de ses noces, il descendit aux Enfers pour la redemander [Fig. 112], et toucha tellement Proserpine par ses chants et les accords de sa lyre, que cette déesse la lui fit rendre par Pluton, mais à condition qu’il ne regarderait pas derrière lui avant d’être sorti des Enfers. Orphée revenait donc avec Eurydice ; déjà il apercevait la lumière du jour, lorsque, tout à coup, ne pouvant maîtriser son impatience, il tourne la tête, il voit Eurydice, qui à l’instant disparaît au milieu des ténèbres, et pour toujours. Depuis ce malheur il vécut seul, avec sa lyre, dans les antres de la Thrace. Son indifférence irrita si fort les Bacchantes, qu’elles se liguèrent contre lui, le mirent en pièces, et jetèrent sa tête dans l’Hèbre.

[Fig. 112]

Les Muses recueillirent ses membres dispersés et leur rendirent les honneurs funèbres. Il fut métamorphosé en cygne par son père, et sa lyre fut placée au nombre des constellations.

Virgile a raconté la fable d’Orphée et d’Eurydice dans le quatrième livre des Géorgiques. C’est le chef-d’œuvre de ce poète.

Pyrénée et les Muses. §

Un jour que les Muses se rendaient au Parnasse, elles furent surprises par un orage qui les força de s’arrêter chez Pyrénée, roi de la Phocide. Le prince leur fit beaucoup d’accueil ; mais à peine furent-elles entrées, qu’il fit fermer les portes de son palais, et voulut faire violence aux filles de Jupiter et de Mnémosyne. Alors les Muses, ayant imploré Apollon, prirent des ailes et s’envolèrent. Pyrénée voulut les suivre, et monta sur le haut d’une tour, croyant pouvoir voler comme elles ; mais il essaya vainement de se soutenir dans les airs : il tomba et se tua42.

Les Piérides et les Muses. §

Piérus, roi d’Émathie, avait neuf filles, qui se prétendaient supérieures aux sœurs d’Apollon dans la musique et dans la poésie. Elles osèrent aller défier les Muses jusque sur le Parnasse. Le défi fut accepté, et les Nymphes de la contrée, choisies pour arbitres, prononcèrent en faveur des filles de Mnémosyne. Les Piérides, piquées de ce jugement, s’emportèrent en invectives contre les Muses ; elles voulurent même les frapper ; mais, au même instant, elles furent changées en pies par Apollon, et allèrent se percher sur les arbres voisins. Apollon voulut même que les Muses prissent le nom de leurs rivales.

Stellio. §

Cérès, cherchant sa fille Proserpine que Pluton avait enlevée, se trouva un jour si altérée, qu’elle entra dans un cabaret pour demander un peu d’eau. Une bonne vieille s’empressa de lui en donner, et lui offrit même de la bouillie. En voyant cette déesse boire et manger avec avidité, un petit enfant nommé Stellio, se prit à rire ; Cérès, irritée, jeta sur lui ce qui restait de bouillie, et le rieur fut changé en lézard.

Arachné. §

Arachné, fille d’Idmon, de la ville de Colophon, brodait avec tant de perfection, qu’elle osa faire un défi à Minerve, qui l’accepta. La déesse, voyant que l’ouvrage de sa rivale était aussi beau que le sien, et honteuse de se voir surpassée par une simple mortelle, brisa le métier et les fuseaux d’Arachné ; elle s’emporta même jusqu’à la frapper au visage de plusieurs coups de navette. Arachné se pendit de désespoir, et Minerve la changea en araignée.

Le satyre Marsyas. §

Le satyre Marsyas jouait si bien de la flûte, qu’il attirait auprès de lui tous les bergers et toutes les divinités de la campagne. Il eut l’imprudence de faire à Apollon un défi, dont la condition était que le vaincu serait à la discrétion du vainqueur. Les Muses, choisies pour arbitres, prononcèrent en faveur du dieu du Pinde. Celui-ci attacha son rival à un arbre, et l’écorcha tout vif. Les Nymphes, les Satyres et les Dryades pleurèrent la mort de Marsyas, et versèrent tant de larmes qu’il en naquit un fleuve, qui se répandit par la Phrygie et reçut le nom de Marsyas.

Les Myrmidons. §

Éaque, fils de Jupiter et d’Égine, régna dans l’île d’Énopie, à laquelle il donna le nom d’Égine, en l’honneur de sa mère. La peste ayant dépeuplé son île, il obtint de son père que toutes les fourmis d’un vieux chêne fussent changées en hommes, et appela ses nouveaux sujets Myrmidons43. Cet Éaque est le même qui fut placé, après sa mort, parmi les juges des Enfers, parce qu’il avait été le prince le plus équitable de son temps.

Céphale et Procris. §

Céphale, fils de Déion, roi de la Phocide, et de Dioméda, avait épousé Procris, fille d’Érecthée, roi d’Athènes. Il fut aimé de l’Aurore, qui l’enleva. Cependant l’amour que l’Aurore avait pour lui ne put le captiver, et la déesse le laissa retourner auprès de Procris, mais en lui accordant, dans une intention perfide, la faculté de changer de forme pour éprouver la fidélité de son épouse. Céphale, s’étant travesti en marchand, se présenta chez Procris devant qui il exposa des parures et des diamants, offrant de les lui donner, à condition qu’elle l’épouserait. La princesse se laissa séduire par les offres de l’inconnu, ne pensant pas que ce fût son mari ; mais, Céphale ayant repris sa première forme, elle eut tant de regret de sa faute, qu’elle prit la fuite et se retira dans les bois, où elle se mit à la suite de Diane. La déesse lui donna un chien d’une vitesse si merveilleuse, qu’aucune bête ne lui échappait, et un javelot qui ne manquait jamais son but et avait en outre la vertu de revenir dans la main qui l’avait lancé. Quelque temps après, Procris se présente déguisée chez Céphale, qui, pour obtenir le chien et le javelot, consentit aux propositions de sa femme. Elle se découvrit alors, et les deux époux, forcés de se pardonner leurs torts mutuels, firent la paix et se promirent d’oublier le passé. Cependant Céphale, toujours passionné pour la chasse, parcourait les bois avec le chien et le javelot que son épouse lui avait donnés. Procris, qui n’était point guérie de la jalousie, s’avisa de le suivre secrètement. Un jour, épuisé de fatigue, Céphale vint se reposer non loin d’un buisson où elle s’était cachée, et invoqua l’haleine rafraîchissante de Zéphyre en disant : Aura, veni44. Procris, s’imaginant qu’il appelait une nymphe, entr’ouvrit le feuillage pour regarder. Céphale entend un léger bruit, et, croyant qu’il y a dans le buisson une bête fauve, lance le trait fatal, dont l’atteinte était inévitable. Procris mourut, et Céphale, ayant reconnu sa méprise, se perça de désespoir avec le même trait. Jupiter les métamorphosa en astres45.

Nisus et Scylla. §

Nisus régnait à Mégare, lorsque Minos vint assiéger cette ville. Le sort de Nisus et des Mégariens dépendait d’un cheveu de pourpre que ce prince portait parmi ses cheveux blancs46. Scylla, sa fille, coupa le cheveu de Nisus pendant qu’il dormait, et le porta à Minos dans l’espoir que ce prince l’épouserait en récompense de ce bon office. Mais Minos eut horreur de l’action de Scylla, et, tout en profitant de la trahison, il défendit à cette fille dénaturée de jamais paraître devant lui. Scylla, désespérée, se précipita dans la mer et fut changée en alouette. Son père fut métamorphosé en épervier ; et depuis ce temps il n’a cessé de la poursuivre comme sa plus mortelle ennemie.

Atalante et Hippomène. §

Atalante, fille de Schœnée, était si légère à la course, qu’elle eût effleuré la surface d’un lac sans mouiller sa chaussure. Comme elle était recherchée en mariage par plusieurs jeunes princes, son père déclara que sa main serait le prix de celui qui la vaincrait à la course. Hippomène se présenta dans la lice ; il partit le premier et laissa tomber en courant, à quelque distance l’une de l’autre, trois pommes d’or du jardin des Hespérides, que Vénus lui avait données. Atalante, s’étant amusée à les ramasser, fut vaincue et devint l’épouse d’Hippomène [Fig. 113].

[Fig. 113]

Le roi Midas. §

Midas était un roi de Phrygie, dépourvu d’esprit et fort avare. Des paysans lui ayant amené Silène, qu’ils avaient trouvé ivre, il le rendit à Bacchus, qui, charmé de retrouver son père nourricier, promit à Midas de lui accorder tout ce qu’il souhaiterait. Le roi lui demanda le pouvoir de convertir en or tout ce qu’il toucherait ; mais il se repentit bientôt de son souhait, car tout se changeait en or, jusqu’à ses aliments dès qu’il les touchait. Alors il pria Bacchus de lui retirer le funeste don qu’il lui avait fait, et le dieu lui ordonna d’aller se baigner dans le Pactole, dont les eaux, depuis ce moment, roulent un sable d’or.

Quelque temps après, Midas donna une autre preuve de sa stupidité, en préférant la flûte champêtre de Pan à la lyre d’Apollon. Apollon, pour le punir, lui fit venir des oreilles d’âne. Midas prenait grand soin de cacher cette difformité sous une tiare magnifique ; mais son barbier aperçut un jour le bout de l’oreille, et lui promit d’abord de garder le secret ; mais ce secret lui pesa. N’osant le confier à personne, il fit un trou dans la terre, et y dit tout bas :

« Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne. »

Puis il remplit de terre le trou, comme pour y enfermer ses paroles. Peu de temps après, il crût en ce lieu des roseaux, qui, agités par le vent, redirent les paroles du barbier, et apprirent à tous les passants que le roi Midas avait des oreilles d’âne.

Céyx et Alcyone. §

Céyx, roi de Trachine, était allé consulter l’oracle d’Apollon à Claros ; à son retour il périt en mer. Alcyone, sa femme, faisait tous les jours des prières à Junon, pour obtetenir qu’il revînt heureusement. Cette déesse lui envoya Morphée pendant la nuit, pour lui apprendre qu’il avait fait naufrage.

Désespérée, Alcyone se rendit sur le bord de la mer au lieu où elle avait dit adieu à son mari. Ayant vu de loin son corps flotter sur les eaux, elle se précipita dans la mer, et les deux époux furent changés en alcyons. Éole voulut que la mer fût tranquille tout le temps que ces oiseaux font leurs nids sur le rivage.

Adonis. §

Adonis, fils de Cinyre, roi de Chypre, était un jeune homme d’une rare beauté. Il était passionné pour la chasse, et devançait l’aurore pour courir les bois et les montagnes, malgré les prières de Vénus, qui l’aimait tendrement. Un jour, ses chiens ayant relancé un sanglier, il le perça d’une flèche ; mais cet animal furieux se jeta sur lui, et le tua. Vénus accourut à son secours, mais trop tard. Inconsolable de l’avoir perdu, elle fit naître l’anénome de son sang, et s’abandonna longtemps à la plus vive douleur. De là les fêtes lugubres qu’on institua en son honneur sous le nom d’Adonis.

L’Aurore et Tithon. §

Tithon, fils de Laomédon, roi de Troie, fut aimé de l’Aurore, qui, pendant qu’il chassait un matin sur les montagnes, l’enleva dans son char et l’épousa. Jupiter, à la prière de l’Aurore, lui accorda l’immortalité ; mais elle avait oublié de demander qu’il fût exempt de vieillesse. Tithon devint si caduc et si décrépit, que la vie lui fut insupportable. Il pria Jupiter de lui retirer le don de l’immortalité ; mais le destin ne le permettait pas, et Jupiter, par grâce, le changea en cigale.

L’Aurore avait eu de son mariage avec Tithon le célèbre Memnon, qui fut tué par Achille au siège de Troie. À Thèbes, en Égypte, la statue de Memnon rendait, dit la légende, un son harmonieux lorsque les rayons du soleil venaient à la frapper.

On représentait l’Aurore assise sur un char lumineux, parsemé de rubis et de roses, pour exprimer les brillantes couleurs du matin [Fig. 114]. De là les expressions : l’Aurore aux doigts de rose, au teint de rose, etc.

[Fig. 114]

Hyacinthe. §

Hyacinthe était un jeune prince de Laconie, qui avait beaucoup de talent pour la poésie et qu’Apollon aimait. Zéphyre, qui l’aimait aussi, fut jaloux du dieu du Pinde. Un jour qu’Apollon jouait au disque avec son favori, Zéphyre détourna méchamment le disque et le poussa contre la tête du jeune Hyacinthe. Le coup était mortel, et Apollon employa en vain pour guérir Hyacinthe les plantes qui avaient le plus de vertu. Le dieu, pour consacrer sa mémoire, le changea en une fleur qui porte son nom.

Cyparisse. §

Cyparisse, comme Hyacinthe, cultivait la poésie et était aimé d’Apollon. Il nourrissait un cerf auquel il était très attaché. Un jour il le tua par mégarde, et il en eut tant de regret, qu’il mourut consumé de langueur. Apollon le changea en cyprès, arbre qui devint le symbole de la douleur.

Philémon et Baucis. §

Jupiter, voyageant un jour avec son fils Mercure, sous la figure d’un simple mortel, et se trouvant surpris par la nuit, alla demander l’hospitalité dans un bourg de la Phrygie. Tous les habitants le rebutèrent, à l’exception de Philémon et Baucis, qui, quoique fort pauvres, consentirent à le recevoir et lui ouvrirent la porte de leur petite cabane [Fig. 115]. Pour les récompenser, Jupiter leur ordonna de le suivre au haut d’une montagne. Arrivés au sommet, ils regardèrent derrière eux, et virent tout le bourg et les environs submergés, à l’exception de leur humble cabane, qui fut changée en un temple. Le dieu promit alors à ce couple fidèle de leur accorder ce qu’ils demanderaient. Les deux époux souhaitèrent seulement d’être les ministres de ce temple, et de ne point mourir l’un sans l’autre. Leurs souhaits furent accomplis. Parvenus à une extrême vieillesse, Philémon s’aperçut que Baucis devenait tilleul, et Baucis fut étonnée de voir que Philémon devenait chêne ; ils se dirent alors tendrement les derniers adieux.

[Fig. 115]

Leucothoé et Clytie. §

Leucothoé, fille d’Orchame, roi d’Assyrie, et d’Eurynome, fut aimée du Soleil, qui venait la visiter sous la forme d’une colombe. Clytie, sœur de Leucothoé, en conçut de la jalousie, et alla révéler à son père le secret de sa sœur. Orchame ordonna que Leucothoé fût enterrée vive pendant la nuit. Le Soleil, qui n’avait pu la secourir pendant l’obscurité, arrosa de nectar la terre qui recouvrait le corps de Leucothoé, et l’on en vit sortir l’arbre d’où découle l’encens. Le sort de Clytie n’en fut pas plus heureux ; Apollon ne lui témoigna que du mépris. Alors, dans sa douleur, elle se jeta à terre, renonçant à tout aliment, et les yeux tournés vers l’astre qu’elle aimait. Apollon, par pitié, la métamorphosa en une fleur qui se tourne toujours vers le soleil, et qui pour cela est appelée Héliotrope ou Tournesol.

Alphée et Aréthuse. §

Après avoir en vain cherché par toute la terre sa fille Proserpine, Cérès était retenue en Sicile. Un jour, passant près d’une fontaine, elle aperçoit sur l’eau la ceinture de Proserpine ; elle ne doute plus de son malheur, et, dans la colère qui l’anime contre les hommes, elle maudit les présents qu’elle leur a faits en leur donnant l’usage du blé. Elle brise les charrues, fait périr les bœufs et condamne la terre à une affreuse stérilité. Une naïade, nommée Aréthuse, sort alors du fond des eaux, et représente à Cérès que la terre n’est point coupable de l’enlèvement de sa fille, mais qu’elle s’est ouverte, malgré elle, pour donner passage au ravisseur. Elle lui apprend que Proserpine a été enlevée par Pluton, et qu’elle règne avec lui dans les Enfers. Cérès, comme on l’a vu, alla redemander sa fille à Jupiter, et obtint, par l’entremise de ce dieu, que Proserpine passerait alternativement six mois sur la terre et six mois dans le séjour de son époux. À son retour, son premier soin fut de témoigner à la nymphe Aréthuse la reconnaissance qu’elle lui devait ; ensuite elle lui demanda par quelle aventure elle avait fixé sa demeure dans la Sicile.

« Je suis de l’Élide, lui dit la nymphe, et Pise est le lieu de ma naissance. Entre les nymphes de la Grèce, j’étais la plus passionnée pour la chasse, et, quoiqu’on pût me trouver quelques attraits, je n’aspirais point à la réputation d’être belle ; je rougissais même des louanges qu’on me donnait, et je me faisais un crime de plaire par d’autres dons que ceux de l’esprit et du cœur. Un jour que j’étais lasse et accablée par la chaleur, je m’arrêtai sur les bords d’un fleuve, dont les eaux tranquilles étaient si transparentes, qu’on eût pu compter les cailloux qui en jonchaient le lit. Des saules et des peupliers ombrageaient ses rives. J’entrai dans l’eau pour m’y rafraîchir ; aussitôt j’entends autour de moi un murmure qui m’effraye ; je regagne à l’instant le bord, et je vois paraître Alphée, le dieu du fleuve. Il vient à moi, et je fuis comme la colombe devant l’épervier [Fig. 116]. Je cours à travers les bois et les campagnes ; le dieu me suit toujours. Enfin, ne pouvant plus marcher, j’implore la protection de Diane, et cette déesse, touchée de ma prière, m’enveloppe d’un nuage épais. Alphée me cherche sans pouvoir me découvrir ; il m’appelle et ne peut se résoudre à s’éloigner du nuage. Je tremble comme la brebis qui entend le loup hurler autour de l’étable. Alors une sueur froide se répand sur tout mon corps, des gouttes d’eau tombent de mes cheveux, comme la rosée des feuilles d’un arbre agité par le vent, je m’en vois inondée, et en un instant je suis transformée en fontaine. Alphée reconnaît le changement qui s’est fait en moi ; il quitte la figure humaine, et reprend celle de fleuve. Il s’attache encore à me poursuivre ; et, Diane m’ayant ouvert un passage sous terre, je suis venue me réfugier dans cette contrée, et je n’y ai revu le jour qu’après avoir longtemps coulé sous la mer. »

[Fig. 116]

Niobé. §

Niobé, fille de Tantale, épousa Amphion, dont elle eut sept fils et sept filles. Fière de ses quatorze enfants, elle méprisa Latone, qui n’en avait que deux, et voulut empêcher qu’on fît des sacrifices à cette déesse. Apollon et Diane, à la prière de leur mère, descendirent sur la terre et tuèrent à coups de flèches la famille entière de Niobé. Les fils tombèrent sous les coups d’Apollon, les filles sous ceux de Diane. La malheureuse Niobé quitta le séjour de Thèbes, après la mort de ses enfants, et retourna en Phrygie, où elle finit ses jours près du mont Sipyle, sur lequel on voyait une roche, qui, de loin, ressemblait à une femme affligée ; ce qui fit croire qu’un tourbillon de vent avait transporté cette mère infortunée sur cette montagne, et qu’elle avait été changée en pierre [Fig. 117]. La vérité est que son affliction l’avait rendue muette et immobile comme une pierre : effet ordinaire des grandes douleurs.

[Fig. 117]

Érésichthon. §

Érésichthon, Thessalien, avait osé porter la cognée sur les arbres d’une forêt consacrée à Cérès. La déesse, irritée de cette impiété, l’en punit par une faim horrible que rien ne pouvait assouvir. Métra, sa fille, que Neptune avait aimée, obtint de ce dieu le don de prendre toutes sortes de formes. Érésichthon, qui avait inutilement consumé tout son bien pour satisfaire sa faim, vendait sans cesse sa fille, qui sans cesse échappait à l’acheteur en prenant une nouvelle forme ; mais, cet artifice ayant été découvert, il fut réduit à dévorer ses propres membres47.

Dryope. §

Dryope, fille d’Eurytus roi d’Œchalie, se promenait un jour près d’un lac bordé de myrtes et de lotos, tenant son fils entre ses bras. Elle cueillit une fleur de lotos pour l’amuser ; mais aussitôt elle s’aperçut qu’il sortait de cette fleur des gouttes de sang. Effrayée, elle veut s’enfuir ; mais ses pieds s’attachent à la terre, et elle est elle-même métamorphosée en lotos. Elle n’a que le temps d’appeler sa sœur pour prendre l’enfant, qui aurait été enfermé avec elle sous l’écorce48 [Fig. 118].

[Fig. 118]

Atys. §

Atys était un jeune berger de Phrygie, que Cybèle aimait et à qui elle avait confié le soin de son culte, à condition qu’il ne se marierait jamais. Il oublia le serment qu’il avait fait à la déesse, et épousa la nymphe Sangaride. La déesse irritée lui inspira un tel accès de frénésie, qu’il était sur le point de se pendre, lorsque, touchée de compassion, elle le métamorphosa en pin.

La nymphe Égérie. §

Numa Pompilius, second roi de Rome, pour donner plus d’autorité à ses lois, feignait d’avoir des entretiens secrets avec une nymphe, nommée Égérie. Après la mort de ce prince, les Romains allèrent chercher cette nymphe dans la forêt d’Aricie, où Numa avait coutume de se promener seul, et n’y ayant trouvé qu’une source, ils s’imaginèrent que la nymphe avait été changée en fontaine [Fig. 119].

[Fig. 119]