Nouvelle mythologie du jeune âge
Introduction. §
La Fable est l’histoire fabuleuse des divinités du paganisme. On lui donne le nom de Mythologie. Ce sont des récits inventés par les anciens en l’honneur des dieux et des héros qu’ils regardaient comme leurs premiers chefs. Une partie de ces récits n’est que la vérité de l’histoire, déguisée par l’amour-propre du merveilleux ; une autre partie est une allégorie des vérités morales des propriétés physiques ; il en est enfin qui ne sont que le jeu de l’imagination des poètes.
On divinisait les héros, les princes, les grands capitaines qui s’étaient illustrés par des actions héroïques. C’est ainsi que Jupiter, roi de l’île de Crète, qu’on appelle à présent Candie, fut mis au rang des dieux à cause de sa valeur et de sa puissance, qui le faisaient respecter de ses voisins. Ses deux frères, Neptune et Pluton, reçurent les mêmes honneurs. Neptune commandait une armée navale : on l’appela dieu des mers. Pluton fut nommé le Dieu des enfers, parce qu’il avait inventé les funérailles. Ainsi, dans ces siècles d’ignorance, on regardait comme des hommes extraordinaires, divins, ceux qui inventaient des choses pour les commodités et les agrémens de la vie qui savaient la conserver ou la prolonger. C’est ainsi qu’Esculape, médecin célèbre, fut honoré comme un dieu.
La cour des rois et des princes était regardée comme la demeure des dieux ; le prince bannissait du ciel celui qu’il exilait. Ceux qui s’enfuyaient, ou qui échappaient à de grands périls, on les croyait métamorphosés en oiseaux ; ceux qui se retiraient sur les montagnes ou qui demeuraient cachés dans les bois, on les disait métamorphosés en bêtes.
Dans un temps plus éclairé, la poésie contribua encore à donner cours à la fable. Les hommes aiment naturellement le merveilleux ; tout ce qui frappe leur imagination leur plait : les poètes, connaissant le penchant de leurs contemporains, se plurent à embellir tous les faits historiques de circonstances surnaturelles : les bergers furent des satyres ou des faunes ; les bergères, des nymphes ; les hommes à cheval, des centaures ; les vaisseaux, tantôt un cheval ailé, comme dans l’histoire de Bellérophon, tantôt des dragons, comme dans celle de Médée. On fit passer les oranges pour des pommes d’or ; l’or, pour une pluie de ce métal précieux, comme dans la fable de Danaé ; les flèches pour des foudres et des carreaux.
Les métamorphoses ne sont que des métaphores, fondées sur des qualités bonnes ou mauvaises. Lycaon, prince cruel, faisait mourir les étrangers ; la fable le change en loup. Ceix et Alcyone, métamorphosés en alcyons, donnent une idée de l’amour conjugal. Quand une princesse mourait de douleur à la mort de son mari ou de ses enfans, les poètes la métamorphosaient en fontaine. Quelquefois la ressemblance des noms fit supposer la métamorphose : ainsi, Picus fut changé en pivert ; Cygnus en cygne ; Alopis en renard ; les Cécropes en singes.
Ces fables ridicules se glissèrent dans l’histoire, et de l’histoire dans la théologie païenne. On forma un système de religion sur les idées d’
et d’ ; on érigea des temples, et l’on offrit des victimes à des dieux qui tenaient leur existence de ces deux poètes.Dans les premiers temps de l’idolâtrie, quand on commença à offrir des sacrifices aux faux dieux, on ne faisait point usage d’encens ni d’autres parfums ; on leur offrait de l’herbe verte, comme les prémices et les premières productions de la terre. Les libations étaient d’eau pure.
On offrait aux dieux, en sacrifice, les mêmes choses dont on avait coutume de se nourrir : ainsi, on substitua aux herbes la farine et les gâteaux, dans lesquels on mettait un peu de sel. Depuis que Bacchus eut appris aux hommes la manière de faire du vin, on en offrit en sacrifice, aussi bien que l’huile et le miel.
La matière des sacrifices changea à mesure que les hommes changèrent d’alimens. Quand ils eurent commencé à se nourrir de la chair des animaux, ils crurent faire plus d’honneur aux dieux en leur offrant des bœufs et des béliers, que des herbes et des fleurs. Les oiseaux entraient aussi dans la matière des sacrifices, principalement les colombes et les tourterelles ; elles étaient offertes par les personnes les moins riches, qui ne pouvaient faire la dépense de béliers et de taureaux.
Les dieux imaginaires des anciens leur parurent sans doute altérés de sang, puisqu’ils crurent se les rendre favorables par des sacrifices humains. Il y eut des hommes assez superstitieux, assez insensés, pour s’offrir d’eux-mêmes pour victimes.
nous apprend, dans son Enéide, que le pieux Enée, dans un sacrifice qu’il fit en l’honneur de Pallas, fit égorger huit prisonniers de guerre : Enée croyait apaiser les mânes de Pallas, qui avait été tué dans un combat.L’Egypte et la Phénicie sont le berceau de l’idolâtrie. Elle a pris naissance dans la famille de Cham, dont les deux fils, Chanaan et Mesraïm, s’établirent chacun dans un royaume auquel ils donnèrent leur nom. L’Ecriture nous apprend qu’en Egypte régnait la divination, l’interprétation des songes et la magie.
ne donna un si grand nombre de préceptes aux Juifs, que pour les opposer en tout aux cérémonies égyptiennes. De l’Egypte et de la Phénicie, l’idolâtrie se répandit en Orient, parmi les descendans de Sem ; ensuite en Occident, où la postérité de Japhet s’était établie. La Grèce, où des colonies phéniciennes s’introduisirent, la transmit aux Romains. Ceux-ci bâtirent le fameux temple du Panthéon, où toutes les divinités honorées dans divers pays furent rassemblées : ainsi, le culte des faux dieux fut répandu, avec la puissance romaine, jusqu’aux extrémités du monde.NOUVELLE MYTHOLOGIE.
Origine du monde d’après la Fable. §
Voici comment les poètes défigurèrent le récit que a fait des merveilles de la création de l’univers.
Avant que la mer, la terre, et le ciel qui les environne, eussent été produits, la nature entière n’était qu’une masse informe : c’est ce que les Grecs nommaient le chaos.
fait cette espèce de généalogie : le chaos, la terre, les enfers et l’amour. Rousseau a fait ainsi la description du chaos, d’après Ovide :Avant que l’air, les eaux et la lumière,Ensevelis dans la masse première,Fussent éclos, par un ordre immortel,Des vastes flancs de l’abîme éternel,Tout n’était rien : la nature enchaînée,Oisive et morte avant que d’être née,Sans mouvement, sans forme et sans vigueur,N’était qu’un corps abattu de langueur,Un sombre amas de principes stériles,De l’existence, élémens immobiles.Dans le Chaos (ainsi par nos aïeuxFut appelé ce désordre odieux),En pleine paix sur son trône affermie,Régna long-temps la discorde ennemie,Jusqu’au jour pompeux et florissant,Qui donna l’être à l’univers naissant,Quand l’harmonie, architecte du monde,Développant dans cette nuit profondeLes élémens pêle-mêle diffus,Vint débrouiller ce mélange confus ;Et, variant leurs formes assorties,De ce grand tout animer les parties,Le ciel reçut en son vaste contourLes feux brillans de la nuit et du jour ;L’air moins subtil assembla les nuages,Poussa les vents, excita les orages ;L’eau vagabonde en ses îlots inconstansMit à couvert ses muets habitans ;La terre, enfin, cette tendre nourrice,De tous nos biens, sage modératrice,Inépuisable en principes féconds,Fut arrondie, et tourna sur ses gonds,Pour recevoir la céleste influenceDes doux présens que son sein nous dispense.Ainsi, des dieux le suprême vouloirDe l’harmonie établit le pouvoir.Elle éteignit par ce sublime exorde,Le règne obscur de l’affreuse discorde.
En style vulgaire : Tous les élémens étaient mêlés les uns avec les autres ; le soleil n’éclairait point ; la lune n’avait ni son croissant, ni son décours ; la terre n’était point suspendue au milieu des airs, et la mer était sans rivages. Le froid et le chaud, le sec et l’humide, les corps durs et les corps mous, les pesans et les légers s’entre-choquaient continuellement, lorsqu’un Dieu ou la nature elle-même, termina ces combats, en séparant le ciel d’avec la terre, la terre d’avec les eaux, et l’air le plus pur d’avec l’air le plus grossier. Le chaos ainsi débrouillé, Dieu établit chaque corps dans le lieu qu’il devait occuper : le feu, le plus léger des élémens, eut la région la plus élevée ; l’air fut mis au-dessous du feu ; la terre, toute pesante qu’elle est, trouva son équilibre au milieu de l’univers, et les eaux occupèrent les parties les plus basses. Dieu arrondit ensuite la surface de la terre, et répandit les eaux par-dessus. Il permit aux vents d’agiter les mers ; mais il prescrivit aux flots des bornes qu’ils ne purent passer. Il forma les fontaines, les étangs, les lacs et les fleuves, commanda aux campagnes de s’étendre ; aux arbres de se couvrir de feuilles, aux montagnes de s’élever, aux vallées de s’abaisser. La terre fut partagée en cinq zones ou parties, qui répondaient à celles qui partageaient le ciel. La zone du milieu était inhabitable par ses grandes chaleurs ; celles des deux extrémités, toujours couvertes de neiges et de frimas ; les deux autres tempérées par le mélange du chaud et du froid. Les brouillards, les nuages, les orages se formaient dans la région de l’air ; les vents y avaient leurs routes marquées, sans quoi ils eussent bientôt bouleversé tout l’univers. L’Eurus fit sa demeure dans les pays où se lève l’Aurore ; le Zéphyr, du côté où se couche le soleil, l’Aquilon ou Borée s’empara des climats glacés du septentrion, et l’Auster, ou vent du midi, qui amène les nuages, régna dans les parties opposées ; enfin, l’Ether ou l’air le plus subtil devint la matière dont se forma le ciel. Les astres brillèrent dans la voûte céleste sous des formes divines ; les poissons habitèrent les eaux ; les quadrupèdes eurent la terre pour demeure ; les oiseaux voltigeant dans l’air, y firent entendre leur chant harmonieux, il manquait à l’univers un être plus parfait. Prométhée forma l’homme avec un peu de terre qu’il détrempa dons l’eau ; et, au lieu que tous les autres animaux ont la tête penchée vers la terre, l’homme seul la lève vers le ciel. Aussitôt que l’univers fut créé, l’âge d’or commença.
Saturne §
Le Ciel, le plus ancien des dieux, selon les poètes, eut deux fils : Titan et Saturne. Titan, par droit d’aînesse, devait hériter du royaume ; mais, touché par les représentations de Vesta, sa mère ; il céda ses prétentions à son frère, à condition que Saturne n’élèverait aucun enfant mâle, afin que dans la suite le royaume retourna à la postérité de Titan.
En conséquence de cet arrangement, Saturne dévorait tous ses enfans mâles aussitôt après leur naissance. Cybèle était au désespoir d’une conduite aussi barbare. Elle mit au monde en même temps Jupiter et Junon ; mais, craignant pour son fils les suites funestes du traité, elle ne montra que Junon. Ayant caché Jupiter avec soin, elle donna, à sa place, au bon Saturne, une pierre emmaillotée qu’il dévora. A la naissance de Neptune et de Pluton, il fit encore deux repas semblables.
Cybèle envoya secrètement Jupiter dans l’île de Crète. Malgré ces précautions, Titan découvrit à la fin la supercherie qu’on lui avait faite. Pour se venger de la mauvaise foi de Saturne, il lui déclara la guerre, l’attaqua, et, après l’avoir vaincu, il le mit en prison avec Cybèle. Ils y languirent long-temps ; mais enfin Jupiter les délivra de leur captivité.
Les inquiétudes de Saturne ne finirent pas avec sa prison, le destin lui apprit que ce même Jupiter qui venait de briser ses chaînes, lui enlèverait le trône et le chasserait de ses états. Dans cette crainte, Saturne dressa des embûches à son fils pour le faire périr ; enfin, il lui déclara la guerre. Le succès trompa ses espérances : il succomba, et, selon l’arrêt du destin, Jupiter le chassa du ciel. Saturne, dépouillé de ses états, vint sur la terre. Il se réfugia dans un coin de l’Italie, où régnait Janus, et où, dans la suite, la ville de Rome fut bâtie.
Là, de roi qu’il était, il se fit laboureur,Et sous le chaume enfin il trouva le bonheur.Un peuple agriculteur, à ses leçons docile,Ensemença la terre, et la rendit fertile.Saturne en fut aimé : ce bonheur, à mon gré,Vaut bien, ô mes amis ! l’honneur d’être adoré..
C’est apparemment comme le père de l’agriculture, que Saturne est représenté sous la figure d’un vieillard tenant une faux de la main droite.
Tout le temps que ce Dieu passa en Italie, les bonnes mœurs, la probité, l’innocence et les beaux-arts furent en honneur sur la terre, et il mérita le nom d’âge d’or.
La terre féconde et paréeMariait l’Automne au Printemps :L’ardent Phébus, le froid Borée,Respectaient l’honneur de ses champs ;Partout les dons brillans de FloreSous ses pas s’empressaient d’écloreAu gré du zéphyr amoureux ;Les moissons inondaient les plainesN’étaient ni le fruit de nos peines,Ni le prix tardif de nos vœux.Mais, pour le bonheur de la vie,C’était peu que tant de faveurs :Trésors bien plus dignes d’envie,Les vertus habitaient les cœurs.Pères, enfans, époux sensibles,Nos devoirs, depuis si pénibles,Faisaient nos plaisirs les plus doux,Et l’égalité naturelle,Mère de l’amitié fidèle,Sous ses lois nous unissait tous..
Janus, roi d’Italie, nommée alors le Latium, rendit toute sorte de bons offices à Saturne, et lui fit partager son trône. Par reconnaissance, le Dieu doua son bienfaiteur d’une rare prudence, et lui donna la connaissance du passé et de l’avenir ; c’est pourquoi on le représente avec deux visages.
Janus était un prince qui gouvernait ses peuples avec sagesse, et qui savait régler sa conduite future sur les événemens passés, de sorte qu’il ne hasardait rien dont il pût se repentir : tel est le sens de cette fable.
Numa Pompilius, successeur de Romulus, et second roi des Romains, fit bâtir en l’honneur de Janus un temple qu’on tenait ouvert pendant la guerre, et fermé pendant la paix ; mais les Romains voulaient se rendre maîtres du monde, et le temple de Janus ne fut fermé que deux fois dans l’espace de sept cents ans.
Pour récompenser les vertus de Janus, on le mit au nombre des dieux. Les anciens le représentaient avec un bâton, comme un voyageur, pour donner à entendre qu’il présidait aux chemins. Il portait pour symbole une clef, comme inventeur des maisons, des portes et des serrures. Janvier tire son étymologie du nom de Janus. Du temps de Romulus, l’année chez les Romains commençait au mois de mars ; elle n’avait que dix mois ; Numa Pompilius la réforma : il y ajouta deux autres mois, janvier et février.
Dans le sens moral, Saturne est l’emblème du temps. Le ciel, par la révolution continuelle de ses mouvemens, mesure notre vie, et nous fait connaître la durée de toutes choses ; puisqu’en effet, tout est compassé par le temps, et que nous n’avons point d’autre règle pour distinguer la succession des mois, des années, des siècles. Le temps, fils du ciel, s’envole avec vitesse, sans qu’on puisse l’arrêter ; c’est le temps qui forme et détruit tout ce qui naît et disparaît dans l’univers ; il dévore ses propres enfans, c’est-à-dire, qu’il détruit tôt ou tard ce qu’il a créé. Pour marquer la rapidité de sa course, on donne à Saturne des ailes, une faulx et un sablier.
En mémoire du séjour que Saturne avait fait en Italie, on y institua des fêtes appelées Saturnales, qui tombaient dans le mois de décembre. D’abord, on les célébra pendant trois jours, ensuite pendant quatre, enfin pendant cinq et davantage. Tant que ces fêtes duraient, le sénat et les écoles publiques vaquaient ; les amis s’envoyaient des présens ; il n’était permis ni d’exécuter un criminel, ni de déclarer la guerre. Les maîtres servaient à table leurs esclaves ; ils en faisaient les fonctions pour rappeler le souvenir de la liberté dont les hommes jouissaient du temps de Saturne, où tous étaient égaux.
Cybèle §
Cybèle, femme de Saturne et fille du Ciel et de la Terre, a plusieurs noms dans les poètes : elle est appelée Dindymène, Bérécynthe et Idée ; ces noms sont tirés de trois montagnes de Phrygie : Dindyme, Bérécynthe et Ida, où elle était aussi appelée la Grand’mère, parce qu’elle est la mère de la plupart des dieux et surtout des dieux du premier ordre. On la nommait aussi Ops et Tellus : Tellus veut dire la terre ; parce que, comme Saturne avait présidé au ciel, de même elle présidait à la terre, et procurait toutes sortes de secours aux mortels ; car Ops signifie secours, richesses.
Prodigue en ses largesses,Cybèle, à pleines mains (nous) répand ses richesses,De ses bienfaits nouveaux nos arbres sont parés,D’une herbe verdoyante elle couvre nos prés..
Cybèle eut aussi le nom de Rhea, du mot grec rheo, qui signifie couler, parce que c’est de la terre que toutes choses proviennent. On représente ordinairement cette déesse assise, pour montrer la stabilité de la terre, portant un disque ou un tambour, symbole des vents qu’elle renferme : on lui donnait une couronne en forme de tour ; elle était entourée d’arbres et d’un nombre d’animaux de différentes espèces.
On nommait les fêtes de Cybèle Megalesia, et ses prêtres Galli, à cause d’un certain fleuve de Phrygie de même nom. On prétend que dès qu’ils avaient bu de l’eau de ce fleuve, ils entraient en fureur jusqu’à se déchirer à coups de couteaux ; ils tournaient la tête en rond, en avançant les uns contre les autres, et se heurtaient comme des béliers. Le nom de Curètes vient, dit-on, de l’île de Crète, où ils avaient élevé Jupiter. On les nommait aussi Dactyles, parce que, pour empêcher que Saturne n’entendit les cris de Jupiter, que Cybèle leur avait confié, ils chantaient des vers de leur invention, dont les mesures inégales imitaient les temps du pied nommé par les latins dactyle ; ou, selon d’autres, du mot grec qui signifie un doigt ; parce qu’au commencement ils étaient dix. Ces prêtres célébraient les fêtes de Cybèle avec des cris confus, au bruit des tambours, des fifres, des flûtes et d’autres pareils instrumens. A Rome, les fêtes de Cybèle étaient célébrées par les dames romaines dans un temple qui était en un lieu retiré, qu’on appelait Opertum, c’est-à-dire, lieu caché ; il n’était pas permis aux hommes d’y entrer.
On nommait aussi la déesse Cybèle Vesta. Cependant Vesta est le nom de la mère de Saturne, et non pas celui de sa femme ; c’est pourquoi quelques savans croient qu’il y a eu deux Vesta : l’une, femme du Ciel et mère de Saturne ; et l’autre, moins ancienne et fille de Saturne ; et que l’ancienne Vesta est la même que Cybèle et la Terre. Le culte de l’une et de l’autre est à peu près le même ; on les représente cependant d’une manière différente.
Cybèle, la douairière, assise gravement,Garde toujours sévèrementSon sérieux de grand’maman.Son front est couronné de tours, de chapiteaux,Et dans ses mains sont les trousseauxDes clés de tous les vieux châteaux.Toujours fraîche, toujours plus belle,La jeune et féconde Cybèle,A sa suite, conduit les Saisons et l’Amour,Et parcourt ses états dans un leste équipage ;Deux superbes lions en forment l’attelage ;Les nymphes dansent à l’entour.L’aimable déité voyageSous un ciel pur et sans nuage.Les vents impétueux, enclos dans un tambour,Dorment à ses côtés : Cérès, Flore et Pomone,Pour leur reine, à l’envi, tressent une couronne,Tandis que, caressant les trésors de son sem,Zéphyre, du bout de ses ailes,Découvre, en souriant, une des deux mamellesQui nourrissent le genre humain..
Lorsque les Romains firent venir de Phrygie la statue de Cybèle, le vaisseau qui l’apportait s’arrêta à l’embouchure du Tibre, sans qu’on pût le faire avancer. Alors Claudia, celle des Vestales dont la réputation était la plus équivoque, saisit cette occasion de prouver sa vertu : elle fit sa prière tout haut à la déesse, et, ayant attaché sa ceinture au vaisseau, elle le fit avancer sans résistance.
Comme l’ancienne Vesta présidait à la terre, la plus jeune présidait au feu. Numa Pompilius, second roi de Rome, quoiqu’il fût originaire du pays des Sabins, institua un grand nombre de cérémonies pour honorer la déesse Vesta. Pour mieux établir son culte, il consacra un autel où des vierges, nommées Vestales, devaient entretenir un feu perpétuel. On regardait comme un grand malheur si ce feu venait à s’éteindre, et on interrompait tous les exercices publics, jusqu’à ce qu’on eût expié cette faute. C’était l’usage de renouveler ce feu tous les ans aux calendes de mars ; on le rallumait aux rayons du soleil. Les Vestales qui manquaient au vœu de virginité, étaient enterrées toutes vives. Ces vierges romaines étaient dix ans à apprendre les fonctions de leur ministère, dix ans en exercice, et dix ans à instruire les novices ; ensuite elles étaient libres de se marier. On choisissait les Vestales dans les plus illustres maisons de Rome ; on les prenait dès l’âge de six à dix ans.
Cérès.
Stellio. — Érésichton. — Aréthuse. — Ascalaphe. §
Cérès, fille de Saturne et de Cybèle, est appelée la déesse des blés et des moissons, parce qu’elle enseigna aux hommes l’art de l’agriculture. Ce fut à Triptolème, fils de Celeus, roi d’Eleusine, qu’elle en donna les premières leçons pendant le séjour qu’elle fit dans ses états, en parcourant l’univers, pour chercher sa fille Proserpine, que Pluton avait enlevée.
Cérès quitta bientôt ce pays pour parcourir le reste du monde. Lorsqu’elle avait couru tout le jour, elle allumait un flambeau pour continuer ses recherches pendant la nuit. Un jour, fatiguée de ses courses, et se sentant pressée de la soif, elle frappa à la cabane de Bécubo, pour y demander à boire. La vieille, touchée de compassion de l’état où était cette déesse, lui donna, entre autres rafraîchissemens, un peu de bouillie. Le jeune Stellio, la voyant manger avec avidité, se moqua d’elle ; Cérès, en colère contre ce jeune enfant, lui jeta au visage le reste de la bouillie, et le changea en lésard.
Érésichton fut aussi victime de la vengeance de cette déesse. Il avait eu l’audace de couper plusieurs pieds d’arbres dans une forêt consacrée à Cérès ; pour l’en punir, la déesse l’affligea d’une faim qu’on ne pouvait apaiser. Métra, sa fille, désirant venir à son secours, pria les dieux de lui donner la vertu de se transformer à son gré. Elle l’obtint. Son père la vendait pour de l’argent ; ensuite elle prenait une nouvelle forme, et il la revendait de nouveau. Cette ruse ne pouvant suffire à sa voracité, il se tua lui-même.
Aréthuse, nymphe de Diane, fille de Nérée et de Doris, avait été métamorphosée en fontaine par Diane, pour la soustraire aux poursuites du fleuve Alphée, qui, depuis, mêle ses eaux avec celles d’Aréthuse. En faisant son cours sur terre, la nymphe vit passer Pluton avec celle qu’il enlevait ; elle instruisit Cérès que sa fille était aux enfers. Aussitôt la déesse monte au palais du père des dieux, elle lui fait ses plaintes et demande justice de cet enlèvement. Jupiter, après plusieurs représentations, consentit, pour l’apaiser, que Proserpine lui serait rendue, pourvu qu’elle n’eût rien mangé depuis son entrée dans les enfers ; Ascalaphe, le seul qui l’eût vue cueillir une grenade dans les jardins du palais infernal, dont elle avait mangé quelques grains, en fit son rapport à Pluton, qui se vit autorisé à retenir la princesse. Cérès, indignée contre le dénonciateur, lui jeta au visage de l’eau du fleuve Phlégéton, et le métamorphosa en hibou, oiseau que Minerve prit ensuite sous sa protection, parce qu’il l’avertissait pendant la nuit de tout ce qui se passait. Jupiter, pour accorder Pluton et Cérès, ordonna que Proserpine demeurerait six mois de l’année dans les enfers, et les six autres mois sur la terre.
Cet enlèvement est regardé comme une allégorie qui a rapport à l’agriculture. Proserpine est la vertu de la semence. Le grain, après avoir été jeté dans la terre pour germer, en sort ensuite pour mûrir : c’est Proserpine qui est six mois aux enfers, et six mois sur la terre.
Quelquefois, on représente Cérès tenant à la main un flambeau ou des pavots, et montée sur un char traîné par des serpens. Le célèbre
a peint Cérès dans un tableau de l’été, d’après tous les attributs que lui donnaient les anciens. Elle est élevée sur un brancard que portent quatre des vierges qui président aux fêtes Eleusines. On la voit tenant d’une main une faucille, et de l’autre des épis dont elle est aussi couronnée ; elle présente des mamelles pleines de lait, comme pour marquer qu’elle est la nourrice des hommes. Une troupe de paysans lui rend hommage : les uns lui offrent des gerbes de blé, les autres lui immolent un pourceau ; quelques-uns chantent en son honneur des hymnes sacrés, comme on pratiquait dans les fêtes Eleusines.Fêtes de Cérès. §
Le nom Eleusines, donné aux fêtes de Cérès, vient de la ville d’Eleus, où elles commencèrent. On y gardait un silence rigoureux : c’eût été un crime des plus grands de rapporter un mot de ce qui s’y était passé. On trouve encore dans les anciens auteurs deux autres fêtes en l’honneur de Cérès : les Tesmophores, ainsi appelées de deux mots grecs qui signifient loi et je porte ; parce que Cérès donna des lois aux Athéniens ; les secondes sont les Ambarvales, d’ambire arva faire le tour des champs. Ces fêtes se faisaient pour obtenir une bonne récolte. L’une des cérémonies qu’on y pratiquait était de faire des processions dans les champs. Le peuple les célébrait, conduisant la victime autour des blés avant la moisson, et dans les temps où l’on craignait la disette. La victime était une génisse ou une laie pleine : quelquefois une brebis. L’origine des Ambarvales, et de leurs ministres, nommés frères Arvales ou Arvaux, vient de ce que Acca Laurentia, nourrice de Romulus, avait coutume de faire tous les ans un sacrifice pour les champs ; elle y faisait marcher devant elle ses douze fils ; comme l’un d’eux était mort, Romulus s’offrit pour remplir sa place. Le vin était banni des autels de Cérès. On lui immolait un porc, parce que cet animal déracine les herbes et détruit les semences.
Cérès, pour punir les Phigaliens, qui avaient oublié son culte et négligé ses fêtes depuis que la statue de cette déesse qu’ils avaient en vénération, fut brûlée par accident, leur envoya une si grande sécheresse, qu’ils eurent recours à l’oracle, qui leur répondit que s’ils ne rétablissaient son culte, la disette serait si grande dans leur pays, qu’ils se trouveraient contraints de manger leurs propres enfans.
dit que Cérès a été une reine de Grèce, et qu’elle a appris à ses sujets l’art de cultiver la terre ; que, par ce moyen, les Grecs se sont nourris des grains qui croissaient dans leur propre territoire, au lieu qu’auparavant ils ne vivaient que de ceux qu’on apportait d’ailleurs.
Le dieu Terme §
Terme était un des plus anciens des dieux chez les Romains. Il marquait les limites des champs ; c’est pourquoi on y mettait sa statue. Elle consistait d’abord en une pierre carrée, ou un tronc d’arbre ; dans la suite, on lui donna une forme humaine, c’est-à-dire, une tête d’homme placée sur une borne pyramidale, sans bras et sans pieds, afin disait-on, qu’il ne pût changer de lieu. On prétend que, lorsqu’on voulut bâtir un temple à Jupiter sur le mont Capitole, tous les dieux cédèrent la place, et qu’il n’y eut que le Dieu Terme qui tint bon contre tous les efforts que l’on fit pour l’enlever.
Numa Pompilius, qui, dans l’intérêt du bien public, imagina le dieu Terme, lui bâtit un temple sur le mont Tarpéien, et fit de son culte un des principaux points de sa religion, pour mettre un frein plus puissant que les lois à la cupidité des hommes, qui, brillant du désir de s’agrandir, avaient besoin d’être contenus dans les bornes de leurs possessions par quelque chose de saint et de sacré, qu’ils n’osassent et ne pussent violer. Lorsque le Dieu Terme était placé, personne ne pouvait y toucher, ni le changer de place ; ceux qui avaient la hardiesse de contrevenir à cette loi étaient dévoués aux furies, et il était permis de les tuer.
Le culte du dieu Terme ne se bornait pas à celui qu’on lui rendait dans les temples ; on l’honorait encore sur les bornes des champs, qu’on paraît de guirlandes, et sur les grands chemins. La voûte de ses temples était ouverte au-dessus de sa statue ; on regardait comme un crime de tenir le dieu Terme caché, parce que les bornes et les limites doivent être à la vue de tout le monde.
Ovide fait parler ainsi au dieu Terme, le possesseur d’un champ :
Terme, qui que tu sois, ou de bois ou de pierre,Tu n’es pas moins un dieu que le dieu du tonnerre,Garde que mon voisin ne me dérobe rien.Mais, dans ton poste inébranlable,Si son avide soc empiétait sur mon bien,Crie aussitôt comme un beau diable :Halte-là ! mon voisin, voisin insatiable ;C’est-là ton champ, et c’est ici le mien.
Avant qu’on eût inventé ce dieu, on invoquait Jupiter comme protecteur des limites ; c’est pourquoi on l’a surnommé Terminalis ; et alors il était représenté sous la figure d’une pierre.
Jupiter §
Jupiter était fils de Saturne et de Cybèle. Ayant chassé son père du ciel, il se rendit maître de l’empire du monde, qu’il partagea avec ses deux frères Neptune et Pluton. Le premier eut la mer ; les enfers échurent au second, et Jupiter se réserva le ciel.
Dès le commencement de son règne, Jupiter se vit troublé dans sa domination. Titan, au désespoir de ce que le gouvernement du monde passait aux enfans de Saturne, son frère, suscita les Géans contre l’usurpateur. Ces enfans de la terre étaient des hommes d’une grandeur et d’une force prodigieuse. Ils entassèrent rocher sur rocher et escaladèrent le ciel ; mais Jupiter les terrassa à coups de foudre, et les précipita dans les abîmes où ils sont accablés sous de grosses montagnes. Les plus fameux étaient Encelade, qui lançait des rochers entiers ; Briarée, qui avait cent bras ; et Typhon, demi-homme et demi-serpent, qui, de sa tête atteignait le ciel. La vue de ce monstre épouvanta tellement les dieux qui étaient accourus au secours de Jupiter, qu’ils s’enfuirent en Egypte, où ils se transformèrent en arbres et en animaux. Ce fut peut-être ce qui donna lieu à l’idolâtrie des Egyptiens, qui adoraient les plantes et les bêtes. Ces dieux poltrons, pour ne pas être reconnus par leurs ennemis, se changèrent
Les uns en rats, d’autres en crocodiles,Plusieurs en choux, en poireaux, en lentilles,En arbres, en fleurs, poissons, et cætera ;L’Egyptien humblement adora,Depuis ce temps tout ce qui l’entoura ;Et, dévotement imbécile,Interrogeant le Nil d’un regard curieux,A deux genoux, crut voir les dieuxNager incognito sous son onde tranquille,Croître, fleurir au milieu des vergers,Et, tous les ans, peupler son potager..
Quitte des combats, Jupiter eut d’autres soucis. Prométhée, fils de Japhet, l’un des Titans, ayant fait quelques statues d’hommes, déroba le feu du ciel pour les animer. Cette hardiesse irrita tellement Jupiter, qu’il le fit attacher par Vulcain sur le mont Caucase, où un vautour lui rongeait le foie, qui, en renaissant chaque jour, éternisait son supplice.
Prométhée inventa l’art de faire des statues, et se livrait à l’étude de l’astronomie. On fait entendre par cette fable qu’il donnait, pour ainsi dire, une âme à ses statues, et qu’il contemplait les astres avec une application extraordinaire.
Le supplice de Prométhée parut trop sévère aux autres dieux. Ils virent avec douleur que Jupiter voulait s’attribuer le droit de former les hommes ; c’est pourquoi, de concert entre eux, ils formèrent une femme. Pallas lui donna la sagesse ; Vénus, la beauté ; Apollon, la connaissance de la musique ; Mercure, l’éloquence : de là vint le nom de Pandore, qui signifie tout don. Cette entreprise des dieux déplut à Jupiter. Pour tromper leur espérance et en empêcher l’effet, il donna à Pandore une boîte, avec ordre de la porter à Prométhée ; mais Epiméthée, son frère, l’ayant ouverte imprudemment, tous les maux qui affligent et tourmentent les hommes, sortirent de la boîte fatale et se répandirent sur la terre. Il n’y resta que la seule espérance ; mais cette ressource n’est pas infaillible : car les hommes sont souvent trompés dans leurs désirs. Telle fut l’origine du siècle de fer.
D’où peut venir ce mélange adultèreD’adversités, dont l’influence altèreLes plus beaux dons de la terre et des cieux ?L’antiquité nous mit devant les yeuxDe ce torrent la source emblématique,En nous peignant cette femme mystique,Fille des dieux, chef-d’œuvre de Vulcain,A qui le ciel, prodiguant par leur mainTous les présens dont l’Olympe s’honore,Fit mériter le beau nom de Pandore.L’urne fatale où les afflictions,Les durs travaux, les malédictions,Jusqu’à ce temps des humains ignorés,Avaient été par les dieux resserrés,Pour le malheur des mortels douloureux,Fut confiée à des soins dangereux.Fatal désir de voir et de connaître !Elle l’ouvrit, et la terre en vit naître,Dans un instant, tous les fléaux divers,Qui depuis inondent l’univers.Quelle que soit, ou vraie ou figurée,De ce revers l’histoire aventurée,N’en doutons point, la curiositéFut le canal de notre adversité..
Jupiter se fit adorer par la douceur de son règne. Alors commença le siècle qui succéda au siècle d’or, c’est-à-dire, que la vertu régnait encore sur la terre, mais avec moins d’empire qu’au siècle précédent.
De la vertu le second âgeFut appelé l’âge d’argent :Mais, dès cette époque, on prétendQu’il s’y glissa de l’alliage..
En effet, le crime commençait à paraître, et Jupiter fut obligé de le punir d’une manière terrible dans la personne de Lycaon, roi d’Arcadie. Ce prince cruel faisait mourir tous ceux qui passaient par ses états. Jupiter alla loger chez lui. Lycaon affecta de ne le pas connaître ; et, bravant sa puissance, il lui fit servir les membres d’un de ses hôtes qu’il avait mis à mort. Jupiter, irrité, foudroya la maison de ce prince et le changea en loup. C’est sans doute à cette occasion que Jupiter fut adoré sous le nom de Jupiter hospitalier, comme ayant vengé l’hospitalité.
On l’appelait aussi Dici Pater, le père du jour ; Stator, en mémoire de ce qu’il avait arrêté les premiers Romains fuyant devant les Sabins. Le titre qu’on lui donnait plus ordinairement était celui d’Olympien, parce qu’on croyait qu’il se plaisait beaucoup sur le mont Olympe. En Afrique, on l’honorait sous le nom de Jupiter Ammon ; voici pourquoi : Bacchus s’étant égaré dans les vastes déserts de la Lybie, et, mourant de soif, s’adressa à Jupiter, qui vint à son secours sous la forme d’un bélier, qui, en frappent la terre de son pied, lui découvrit une source. En reconnaissance, Bacchus lui consacra un temple sous le nom de Jupiter Ammon, mot grec qui signifie arène ou sable, à cause des sables qui sont dans cette contrée.
« Les Cyclopes étaient occupés à finir pour Jupiter une de ces foudres qu’il
lance en grand nombre sur la terre. La foudre était composée de trois rayons de grêle,
de trois rayons de pluie et de trois autres de feu, enfin de trois rayons de vents. On
s’occupait alors à y mêler des éclairs, de la frayeur, du bruit et de la colère. »
Quant à l’aigle de Jupiter,
voici ce qu’on raconte : Périphas, roi d’Athènes, se fit tellement aimer de son peuple,
qu’il en fut adoré comme Jupiter, ce qui irrita si fort le maître des dieux, qu’il voulut
le foudroyer ; mais, par compassion, il se contenta de le changer en aigle : c’est lui qui
servait de voiture à Jupiter quand il traversait les airs, et qui portait ses foudres.
Pour le sens historique de cette fable, il faut savoir que différens princes, sous le nom de Jupiter, ont régné tour à tour dans l’île de Crète, comme on a vu dans l’Egypte plusieurs Pharaons, et en Asie plusieurs Darius. Le plus célèbre des rois qui ont paru sous le nom de Jupiter, était à peu près contemporain d’Abraham, il régnait dans la Thrace, la Phrygie et une partie de la Grèce, qu’il avait conquise. Dans l’ancien Testament, au livre II des Macchabées, chapitre 6, il est fait mention d’un Jupiter Olympien et d’un Jupiter Hospitalier.
Ce Jupiter, roi de Crète, nommé aussi Cœlus ou Ouranos, avait épousé Titée, sa sœur, dont il eut des enfans, entre autres Saturne, qui, quoique le plus jeune, supplanta Titan, son aîné, et fit mourir son père de chagrin ; d’autres disent d’une manière plus violente. Dans la suite, Saturne ayant été détrôné par son fils Jupiter, en fut traité comme il avait traité son père. Après un règne glorieux, Jupiter mourut dans l’île de Crète, où l’on voyait anciennement son tombeau, avec cette épitaphe : Ci-gît Zan, qu’on nommait Jupiter. Erès, son fils, lui succéda. Jupiter garda pour lui les pays orientaux, comme la Thessalie et l’Olympe ; Pluton eut les provinces d’occident jusqu’au fond de l’Espagne, qui est un pays fort bas par rapport à la Grèce ; et Neptune eut dans sa dépendance la mer Méditerranée, avec ses côtes et ses îles. Dès lors on prit l’Olympe pour le ciel, et l’on ne parla plus de l’Espagne, où Pluton faisait travailler aux mines, que comme du séjour des morts.
Les dieux que les poètes ont associés à Jupiter, marquent seulement les divers emplois que remplissaient les seigneurs de sa cour. Mercure était donc comme son ministre d’état et son ambassadeur ; Neptune ou Eole, l’amiral de ses flottes ; Vulcain, son grand-maître d’artillerie ; Mars, le général de ses troupes ; Cornus, son maître-d’hôtel. On appela l’académie des muses quelques chanteuses ou danseuses qui composaient une espèce d’opéra ambulant, gouverné par un habile maître, sous le nom d’Apollon. Les chiennes du prince furent nommées Harpies. Le combat des Géans qui voulurent détrôner Jupiter, doit s’entendre d’une conspiration de ses ennemis, qui l’attaquèrent sur le mont Olympe, qui n’était sans doute qu’une forteresse dans la Thessalie.
Les jeux Olympiques. §
Ces jeux furent ainsi nommés de la ville d’Olympie, en Elide, où ils se célébraient tous les cinq ans, ce qui fit naître la coutume de compter par olympiades. On prétend qu’Hercule, après avoir défait Augias, roi d’Elide, institua ces jeux en l’honneur de Jupiter ; cependant ce ne fut que long-temps après Hercule, que les Grecs commencèrent à compter par olympiades. L’opinion la plus commune et la plus vraisemblable est que ces jeux furent établis par cinq frères nommés Dactyles1, mot grec qui désigne leur nombre et leur union. Chacun d’eux inventa un genre de combat. Ces jeux se célébraient tous les cinq ans, et duraient cinq jours. Ils commençaient par un sacrifice solennel ; on y accourait de toutes les contrées de la Grèce. Les vainqueurs étaient nommés à haute voix par un héraut, et célébrés par des chants de victoire ; on leur ceignait la tête d’une couronne triomphale ; ils avaient les premières places dans les assemblées et dans les fêtes publiques ; leur ville leur faisait de riches présens, et, le reste de leurs jours, ils étaient entretenus aux frais de l’état.
La première couronne dont on honora les vainqueurs aux jeux Olympiques était d’olivier ;
on leur en donna dans la suite de chiendent, de saule, de laurier, de myrte, de chêne, de
palme et d’ache. Faonius étant édile à Rome, donna au peuple des jeux dans lesquels il
renouvela l’ancienne simplicité : il ne proposa au vainqueur qu’une couronne d’olivier, et
Ah ! Mardonnius, en quel pays nous as-tu amenés ? Les hommes ici
ne combattent pas pour les biens, mais seulement pour la gloire.
Après avoir offert un sacrifice aux dieux, on ouvrait la carrière préparée pour la course, la lutte, le ceste, le disque et les différens tours de force et de souplesse.
Dans le principe, la course n’était que d’un stade, c’est-à-dire, d’environ six cents pas. Les prétendans couraient à pieds, armés de toutes pièces ; mais à la neuvième olympiade on doubla le stade. Alors, on établit la course des chevaux. A la vingt-cinquième, on y joignit celle des chars. Cynisque, fille d’Archidamas, prince de Macédoine, en remporta le prix. Excitées par cet exemple, les autres femmes macédoniennes se mirent sur les rangs, et méritèrent plusieurs fois la couronne de myrte, de chêne ou d’olivier. Avant Cynisque, il était défendu aux femmes de se trouver aux jeux Olympiques, même de s’approcher du lieu où ils se célébraient, déguisées ou non, sous peine d’être précipitées de la montagne de Typée.
Outre la course à pied et celle des chariots à quatre roues, il y avait d’autres manières de se distinguer. La lutte succédait ordinairement à la course. Les lutteurs combattaient nus. On leur frottait d’huile les membres et le corps, pour leur donner plus de souplesse, et laisser en même temps moins de prise à leurs adversaires. Alors, ils entraient en lice, et, se saisissant étroitement, ils essayaient, par force ou par adresse, de se renverser, jusqu’au moment où l’un des deux pliait et tombait sur les reins.
Le Ceste était, de tous les exercices, le plus pénible et le plus dangereux. Les combattans étaient armés de gantelets, composés de plusieurs cuirs plombés, appliqués l’un sur l’autre, et dont un seul coup porté sur la tête suffisait pour assommer.
Le Saut se faisait quelquefois les mains vides, ou bien avec des poids de plomb, qu’on portait ou dans ses mains ou sur la tête et les épaules.
Le Disque était un espèce de palet rond, épais de trois ou quatre doigts, fait de pierre ou d’airain, ou de cuivre, dont on se servait pour lancer en l’air. On jetait ce disque ou palet par le moyen d’une courroie passée dans un trou qu’on perçait au milieu. Celui qui le lançait avait une de ses mains approchée contre sa poitrine, tandis que l’autre balançait quelque temps le disque, puis le lançait avec effort. Le vainqueur était celui qui jetait son disque à la plus grande distance.
Ces jeux se terminaient ordinairement par quelques autres qui exerçaient tour à tour la vigueur, l’adresse et la légèreté.
Les juges qui décernaient le prix, étaient au nombre de neuf ; ils faisaient un noviciat de dix mois avant de monter sur le tribunal, et juraient solennellement d’observer les lois de l’équité la plus rigoureuse. La première ordonnance qu’ils firent portait que les jeunes gens qui voudraient courir dans la carrière, commenceraient avant le soleil levé, et finiraient avant midi, parce que c’était l’heure à laquelle les cinquercions ou les athlètes, qui devaient s’exercer dans les rudes combats, entraient en lice.
A la quatrième olympiade, les juges adjugèrent le prix à Arrachion qui était mort, au préjudice de son adversaire qui était vivant, voici pourquoi : Arrachion, qui avait déjà été couronné deux fois, venait de vaincre tous les combattans, excepté un, qui, par un tour d’adresse, le saisit au cou à deux mains ; Arrachion, presque étranglé et près de mourir, rassembla tout ce qu’il avait de force pour mordre si violemment un doigt du pied de son adversaire, que celui-ci, surmonté par la douleur, lâcha prise et tomba évanoui ; on posa la couronne sur la tête d’Arrachion qui n’était plus.
Les athlètes qui se distinguèrent le plus aux jeux Olympiques, furent Théagène, Milon et Polydamas.
Théagène, né à Thase, petite ville voisine de Lacédémone, se rendit recommandable par son adresse, son agilité, et le grand nombre de couronnes qu’il remporta en différens tournois. On les fait monter à quatorze cents. On raconte qu’à onze ans, revenant de l’école, il emporta sur ses épaules, jusque chez lui, une statue de bronze de bonne hauteur, et qu’il la rapporta ensuite pour apaiser le peuple qui criait au sacrilége. Il fut déclaré héros par l’oracle d’Apollon, pour l’aventure qui suit. On lui avait élevé après sa mort une statue en mémoire de ses triomphes. Un de ses envieux allant toutes les nuits la fustiger, elle tomba sur lui et l’écrasa. Les enfans du mort citèrent la statue en jugement, selon les lois de Dracon, législateur des Athéniens, qui permettaient d’avoir action même contre les choses inanimées, quand il s’agissait de punir l’homicide. La statue fut condamnée à être jetée dans la mer. Peu de temps après, il y eut une grande stérilité dans le pays, suivie de la famine. L’oracle étant consulté, répondit : Rappelez vos exilés ! En conséquence, les habitans de Thase rappelèrent quelques-uns de leurs concitoyens qui avaient été bannis. Mais la calamité ne cessant point, ils renvoyèrent à l’oracle, qui répondit alors plus clairement : Vous avez détruit les honneurs du grand et du vaillant Théagène. La statue fui remise en place, et on lui sacrifia comme à un Dieu.
Milon, de Crotone, surpassa tous les athlètes de son temps. On le vit aux jeux Olympiques, charger sur ses épaules un taureau de quatre ans, le porter au bout de la carrière sans reprendre haleine, l’assommer d’un coup de poing, et le manger le même jour. Il tenait dans sa main fermée, une orange ou une grenade, que personne ne pouvait lui arracher, sans cependant qu’il la pressât assez pour la gâter ou la comprimer. Il montait à pieds joints sur un disque où l’on avait répandu de l’huile pour le rendre plus glissant ; et il se tenait si ferme que des hommes qui prenaient leur secousse, et qui le heurtaient de toutes leurs forces en courant, ne pouvaient l’ébranler. Mais les faveurs particulières que la fortune accorde quelquefois, ne sont pas de longue durée.
Au moment où l’homme commence,La vieillesse vient l’avertirQu’il est déjà temps de finir ;Et bientôt de son existenceIl n’a plus que le souvenir.[]
Milon, dans un âge avancé, se promenant dans une forêt, aperçut un arbre qui avait commencé à s’éclater. L’athlète se rappelle son ancienne vigueur ; il veut fendre l’arbre qui s’entrouvre à la première secousse, puis se referme ; le bras de Milon s’y trouva pris, et tons les efforts de cet homme autrefois si fameux ne purent le dégager, dans cet état, il devint la proie des loups. On admire dans les jardins de Versailles une statue de cet athlète par le célèbre
; l’artiste a trouvé plus noble de le faire dévorer par un lion.Polydamas, son rival et son ami, périt comme lui victime de sa témérité. Cet athlète, fils de Nicias, de Scotuse en Thessalie, avait une taille gigantesque et une force extraordinaire. Etant jeune, il attaqua sur le mont Olympe un lion énorme qui désolait le pays, et le tua. Une autre fois, il saisit un des plus fiers taureaux par les deux pieds de derrière ; il le serra si fort que l’animal ne put lui échapper. Il arrêtait d’une seule main un chariot attelé de plusieurs chevaux. Darius, fils d’Artaxercès, fut curieux d’être témoin de sa force ; il lui mit en tête trois des plus forts de ses gardes ; Polydamas les tua chacun d’un coup de poing. Un jour qu’il était à table dans une grotte, elle s’éboula en partie ; ses amis se sauvèrent, mais s’étant opiniâtré à soutenir à force de bras la voûte de cette grotte, il fut étouffé sous l’éboulement.
Outre les jeux Olympiens, il y avait encore en Grèce, les jeux Pythiens, les Néméens et les Isthimiens, qui se célébraient en l’honneur d’Apollon, d’Hercule et de Mélicerte. Les cérémonies changeaient selon celui qu’on voulait honorer ; mais on s’y exerçait dans les mêmes genres de combats qu’aux jeux Olympiques.
Junon §
Junon, fille de Saturne et de Cybèle, était sœur de Jupiter et devint sa femme. Elle eut trois enfans : Hébé, Mars et Vulcain. Hébé, déesse de la jeunesse, versait le nectar à Jupiter, avant que, sous la forme de l’aigle, ce dieu n’eût enlevé Ganymède, fils de Tros, troisième roi de Troyes, pour en faire son échanson. Junon conçut Hébé après avoir mangé un plat de laitues sauvages ; Mars, par le simple attouchement d’une fleur, et Vulcain par la seule respiration de l’air. Mais Vulcain était si difforme, qu’au moment de sa naissance, Jupiter, d’un coup de pied, le précipita du ciel.
Junon ayant pris parti contre son mari dans la guerre des Géans, Jupiter la suspendit en l’air par le moyen de deux pierres d’aimant, et lui fit attacher sous les deux pieds deux enclumes, après lui avoir lié les mains derrière le dos avec une chaîne d’or. Vulcain fut chargé de cette commission, qu’il exécuta avec plaisir, par vengeance de ce que Junon l’avait mis au monde tout contrefait. Les dieux ne purent dégager la déesse de ses entraves, il fallut avoir recours à celui qui les avait forgées.
Junon était orgueilleuse et jalouse. On sait ce que coûta à la nation troyenne, la préférence que le berger Pâris donna à Vénus, au préjudice de cette déesse. Sa vengeance ne fut pas même satisfaite par les malheurs de la famille de Priam et la ruine de son royaume ; car, Enée étant sur mer pour aller s’établir en Italie, elle alla trouver Eole, et lui promit Déiopée, la plus belle de ses nymphes, s’il voulait le faire périr avec sa flotte ; mais heureusement pour ce prince, Vénus le protégeait. La jalousie de cette déesse parut encore dans les persécutions qu’elle exerça envers toutes les personnes que Jupiter avait aimées et aux enfans qu’il en avait eus.
La nymphe Io. — Argus. — Iris. §
L’inconstance incessante de Jupiter causait de vives inquiétudes à Junon. Pour mieux veiller sur sa conduite, elle mit auprès de lui Argus. Cet espion avait cent yeux ; lorsque les uns étaient fermés par le sommeil, les autres veillaient. La déesse lui donna en garde la nymphe Io, fille d’Inachus et d’Ismène, que Jupiter, pour tromper Junon, avait métamorphosée en vache. Jupiter, fatigué de la surveillance d’Argus, chargea Mercure de l’en délivrer, ce qu’il fit ; car, après l’avoir endormi au son de sa flûte, il le tua.
Junon, furieuse de la mort d’Argus, envoya un faon, qui, piquant sans cesse la malheureuse Io, la fit courir par tout pays. Elle se jeta dans la mer, passa à la nage la Méditerranée, et arriva en Egypte, où Jupiter lui rendit sa première forme. Elle y fut depuis adorée sous le nom d’Isis, et représentée sous la figure d’une femme, ayant une tête de vache. Junon, par reconnaissance pour la fidélité d’Argus, et, pour immortaliser sa mémoire, attacha ses yeux à la queue du paon, oiseau chéri de cette déesse. Dans le temps, Junon, satisfaite d’Iris, sa confidente et sa messagère, qui lui apportait toujours de bonnes nouvelles, la transporta aux cieux ; elle lui donna des ailes, et la revêtit d’une robe violette, dont l’éclat trace dans les nues un sillon de lumière qu’on appelle arc-en-ciel.
Junon avait en partage les royaumes, les empires et les richesses ; c’est aussi ce qu’elle offrit à Pâris s’il voulait lui adjuger le prix de la beauté ; mais elle présidait surtout aux mariages et aux accouchemens, sous le nom de Lucine.
Comme le culte de cette déesse a été très-répandu, le nombre de ses surnoms est considérable ; mais il dérive presque toujours des lieux où elle avait des temples.
On lui sacrifiait ordinairement un agneau femelle ; et le premier de chaque mois, on lui immolait une truie. Parmi les plantes, le dictame, le pavot et le lis surtout, lui étaient agréables. On appelait le lis, la rose de Junon. Cette déesse était représentée sur un char brillant, traîné par deux paons ; elle tenait un sceptre, et son front était couronné de lis et de roses.
Vulcain §
Vulcain, fils de Junon, repoussé si impoliment du ciel à sa naissance, tomba dans la mer. Il en fut quitte pour une cuisse cassée. Les nymphes de l’Océan le reçurent. Malgré leurs soins, il resta boiteux de sa chute.
Etant devenu grand, il se fit forgeron, et travailla pour le service des dieux. Lorsqu’il fut assez habile, Jupiter lui donna la commission de forger les foudres. Son laboratoire était dans les îles de Lemnos et de Lipare, qu’on nomma Vulcanies, puis Eolies, aussi bien que dans les cavernes du mont Etna. Il avait pour compagnons les Cyclopes, ainsi nommés, parce qu’ils n’avaient qu’un œil au milieu du front. Les Cyclopes, fils du Ciel et de la Terre, et, selon d’autres, de Neptune et d’Amphitrite, soulevaient sans cesse de lourds marteaux, et l’Etna retentissait de leurs coups redoublés.
Polyphème, le plus puissant, mais le plus épouvantable des Cyclopes, devint amoureux de Galathée, nymphe marine, fille de Nérée et de Doris ; il alla jusqu’à lui élever un temple. Les galanteries du Cyclope touchèrent peu la nymphe, et elle lui préféra Acis, berger jeune et beau. Polyphème, furieux de se voir dédaigné, s’en vengea sur son rival : un jour, ayant trouvé Acis auprès de son amie, il lui lança un morceau de roc et l’écrasa. La nymphe, pénétrée de douleur, changea le sang d’Acis en un fleuve qui parcourt la Sicile et porte le nom de cet amant malheureux.
La nature, qui avait refusé les grâces à Vulcain, l’en dédommageait en lui prodiguant les dons du génie. Il fit par ordre des dieux cette célèbre Pandore, si admirable par ses perfections. Tous les ouvrages qui passaient pour des chefs-d’œuvre, lui étaient attribués : les armes d’Achille, celles d’Enée, le collier d’Hermione, la couronne d’Ariane, le palais du Soleil, le fameux chien d’airain qu’il forgea et qu’il anima. Les poètes ont feint que Vulcain travaillait lui-même aux armes dont les dieux faisaient présent aux héros. C’est à Vulcain que Vénus s’adressait pour armer Cupidon.
Dans ces antres fameux, où Vulcain, nuit et jour,Forge de Jupiter les foudroyantes armes,Vénus faisait remplir le carquois de l’amour ;Les Grâces lui prêtaient leurs charmes,Et son époux, couvert de feux étincelans,Animait en ces mots les Cyclopes brûlans :Que l’airain écume et bouillonne ;Que mille dards en soient formés ;Que, sous nos marteaux enflammés,A grand bruit l’enclume résonne..
On institua des fêtes en l’honneur de Vulcain ; les Athéniens les célébraient avec beaucoup de pompe. Ils établirent des courses, appelées Lampadophories du mot Lampadophore, qui signifie porte-flambeau ; ces courses étaient une espèce de joute.
On représente quelquefois Vulcain appuyé sur une enclume, et ayant à ses pieds l’aigle de Jupiter, prêt à porter la foudre. Dans les anciens monumens, il paraît barbu, les cheveux négligés, en habit court, tenant de la main droite un marteau, et de la gauche des tenailles.
Le plus ancien des temples élevés en son honneur était à Memphis, et le plus célèbre sur le mont Etna. Il fallait, pour approcher de celui-ci, être chaste et pur. La garde du sanctuaire était confiée à des chiens, qui, par un instinct miraculeux, caressaient les gens de bien et dévoraient les hypocrites.
Mars §
Mars, dieu de la guerre, était fils de Junon seule. Cette déesse, jalouse de ce que Jupiter avait fait sortir Pallas de son cerveau, voulut aussi devenir mère par sa propre puissance : elle alla en chercher les moyens en Orient. Fatiguée de la route, la déesse se reposa près du temple de Flore, qui, instruite des motifs de son voyage, lui indiqua une fleur dont la seule respiration devait opérer le prodige qu’elle désirait. C’est ainsi que Mars vit le jour.
Les inclinations guerrières de ce dieu le rendirent célèbre. Il se trouva à la guerre que l’Olympe eut à soutenir contre les Titans ; mais étant resté presque seul, les Géans Otus et Ephialte le surprirent, et l’enfermèrent dans un cachot d’airain. Il périssait d’ennui dans sa prison, lorsque Mercure, instruit de son sort par la belle Héribée, l’arracha des mains de ses persécuteurs.
Mars est blessé par Diomède. §
Lors de la guerre de Troyes, Jupiter fit défense aux dieux de prendre parti pour ou contre les Troyens : Mars oublia ses ordres, et s’attira son ressentiment. Voulant tirer vengeance de la mort d’Ascalaphus, son fils, tué au siége de Troyes, le dieu se rendit en armes devant cette ville. Minerve qui avait pénétré le dessein de Mars, envoya Diomède pour le combattre ; Mars l’ayant aperçu, courut aussitôt sur lui pour l’attaquer ; mais la déesse détourna le coup qu’il portait à Diomède, et il fut blessé par celui-ci, dont Minerve conduisait le bras. Mars porta sa plainte à Jupiter ; le maître des dieux, loin de l’écouter favorablement, lui reprocha sa désobéissance et sa perfidie ; après avoir donné un libre cours à sa colère, il commanda à Péon, médecin de la cour céleste, de répandre un baume divin sur sa blessure, qui fut promptement guérie.
Aréopage. §
Les poètes rapportent qu’un jour Mars et Neptune eurent ensemble un grand différend. Mars, accusé du meurtre d’Hallirrhothius, fils de Neptune, comparut devant les douze dieux, plaida sa cause, et fut déclaré innocent, vu qu’il n’avait prétendu que venger l’outrage fait à sa fille Alcippe. Par ces douze divinités, il faut entendre les douze juges qui travaillèrent à ce procès, qui tous étaient des meilleures maisons d’Athènes.
Depuis ce célèbre jugement, l’endroit où il s’était rendu, porta le nom du dieu qu’on y avait absous : de là vient le nom d’Aréopage ; areos et pagos, deux mots grecs qui font entendre que Mars lui donna son nom Arès, et que ce palais était bâti sur un roc.
C’est dans l’Aréopage que les Athéniens s’assemblaient pour juger les causes criminelles. La loi défendait à ceux qui plaidaient devant ce tribunal, d’employer les ornemens de l’éloquence, de crainte qu’on ne surprit par cet artifice les suffrages des juges.
Noms de Mars. §
Les Grecs ont donné au dieu Mars le nom d’Arès, qui signifie dommage, à cause des maux que la guerre cause. Les Latins l’appelaient Gradivus, du verbe gradior, je marche, ou Quirinus, du mot quiris, ou curis, qui signifie une demi-pique, ou javelot. C’est pour cela que Romulus, qui prétendait en descendre, s’appelait Quirinus.
On a donné le nom de Mars à la plupart des princes belliqueux. Le dernier Mars fut celui qui trompa Rhéa-Sylvia, et la rendit mère de Rémus et Romulus.
Culte du dieu Mars. §
Les Romains principalement rendaient un culte au dieu Mars : ils l’honoraient comme le protecteur de l’empire. Le plus célèbre de tous les temples qu’il avait à Rome, fut érigé par Auguste, sous le nom de Mars-le-Vengeur, après la bataille de Philippes. On sacrifiait à Mars le loup, le cheval, et surtout le taureau, qu’il n’était pas permis d’offrir à Jupiter. Le coq lui était consacré comme symbole de la vigilance que demande le métier des armes. Selon les poètes, ce fut parce que Mars changea en cet oiseau un de ses gardes nommé Alectryon. Voici ce qu’ils racontent à ce sujet.
Alectryon ou Gallus. §
Un jour que Mars rendait visite à Vénus, il chargea un jeune soldat, son confident, de faire en sorte que le Soleil, qui était son rival, ne s’aperçut en rien de l’aventure ; mais ce confident, nommé Alectryon, s’étant endormi, le Soleil, couvert d’un nuage, vit tout ce qui se passait, et courut en avertir Vulcain. Celui-ci tendit des fils imperceptibles autour de Mars et de Vénus ; ensuite il alla appeler tous les dieux pour les rendre témoins de sa honte. Mars, outré de colère, punit la négligence de son favori, et le changea en l’oiseau qui porte son nom, Gallus, mot latin, signifie en français un coq. Encore aujourd’hui, le coq annonce la venue du soleil, comme s’il voulait avertir Mars de se tenir sur ses gardes, de peur de surprise. Mars, débarrassé de ses filets, s’enfuit en Thrace, où il était surtout honoré, et Vénus se sauva en Cypre.
Les Saliens. §
Les prêtres du dieu Mars se nommaient Saliens, parce que, pendant la cérémonie, ils sautaient et dansaient. Numa Pompilius les institua au nombre de douze. Il fallait être fils de praticiens, ayant père et mère, et être jeune pour être admis dans leur collége. Ils avaient pour vêtement des robes de diverses couleurs, avec la toge bordée de pourpre, et un bonnet élevé en cône. Leurs filles n’étaient point reçues au nombre des Vestales. Les Saliens avaient la garde du bouclier mystérieux, nommé Ancile, ou bouclier sacré.
Ancile. §
On raconte qu’un bouclier qu’on nomma Ancile, étant tombé du ciel, les Aruspices, consultés sur ce prodige, répondirent que la ville qui conserverait ce bouclier serait le siége de l’empire du monde. Numa Pompilius, attentif à tout ce qui pouvait augmenter sa puissance, prédit sur ce bouclier des choses merveilleuses, qu’il disait avoir apprises de la nymphe Egérie. Il fit entendre que les dieux l’avaient envoyé pour le salut de la ville. Afin de le conserver, et pour empêcher qu’on l’enlevât, ce prince en fit faire onze autres de même figure et de même grandeur, et si ressemblans, qu’on ne pouvait reconnaître le véritable.
Tous les ans, au mois de mars, les Saliens portaient en procession les boucliers sacrés. Ils allaient dans tous les quartiers de Rome, et dansaient d’une manière fort agréable, faisant plusieurs tours et retours d’un mouvement rapide, avec beaucoup de force et d’agilité. Cette procession durait quatorze jours, c’est-à-dire, autant qu’il y avait de quartiers dans Rome. Dans chaque quartier, ils avaient un autel où le public les traitait avec une magnificence si grande, que leurs repas passèrent en proverbe ; pour signifier une grande chère, on disait : Chère et repas des Saliens.
Comment on représentait le dieu Mars. §
Dans les anciens monumens, Mars était représenté sous la figure d’un grand homme, armé
d’un casque, d’une pique et d’un bouclier ; tantôt nu, tantôt avec l’habit militaire, ou
un manteau sur les épaules. Demoustier, usant du privilége de poète, présente le dieu
Mars dans un appareil qui mérite de trouver place ici. Ce dieu, dit-il, voulant plaire à
Vénus, s’offrit aux yeux de cette déesse avec le cortége formidable qui annonce
sa puissance. Il était sur un char d’airain, traîné par des chevaux fougueux. Leurs
crins hérissés, leurs yeux ardens, leur bouche écumante de sang, leurs narines
soufflant et respirant la vengeance, les avaient fait nommer la Terreur et la Crainte.
Debout, sur le devant du char, Bellone, le regard furieux, les cheveux épars, tenait
les rênes d’une main, et de l’autre un fouet ensanglanté. Le dieu, le front couvert
d’un casque d’or, surmonté d’un panache, s’appuyait fièrement sur sa lance. Ses
membres nerveux étaient revêtus d’une armure d’un acier étincelant. Son bras gauche
tombait sur la poignée d’un glaive, et présentait un vaste bouclier. La férocité,
l’orgueil, l’impatience et la rage se peignaient tour à tour sur son visage rude et
basané, et faisaient froncer ses noirs sourcils. La Discorde et la Fureur, l’œil en
feu, le front pâle et livide, armées d’un poignard et d’une torche brûlante,
accompagnaient le char, et traînaient après elles l’Innocence et la Faiblesse chargées
de chaînes. Le Désespoir, les Plaintes et la Misère, les yeux baignés de larmes, les
membres déchirés et couverts de lambeaux, suivaient d’un pas chancelant, et fermaient
la marche
.
Bellone §
Bellone, fille de Phorcys et de Céto, était, selon quelques-uns, sœur de Mars, et, selon d’autres, sa femme. On la regardait comme la déesse de la guerre. C’était elle qui préparait à Mars son char et ses chevaux lorsqu’il allait à la guerre. On la représente, le casque en tête, tenant un fléau ou une verge teinte de sang : quelquefois elle tient une torche, et paraît, les cheveux épars, le feu dans les yeux, excitant les guerriers au carnage. Bellone avait un temple et elle était honorée à Comane.
Minerve ou Pallas §
Les uns distinguent Pallas de Minerve, les autres la confondent avec elle. Quoiqu’il en soit, les poètes rapportent que Jupiter éprouvant un grand mal de tête, eut recours à Vulcain, qui lui fendit le crâne d’un coup de hache, d’où Pallas sortit tout armée, le casque en tête et la lance à la main.
L’idée de cette génération toute poétique semble être prise des livres saints, où la Sagesse dit qu’elle est sortie de la tête du Très-Haut avant toute créature.
Comme déesse des sciences, des arts, et surtout de la sagesse, les anciens honoraient Pallas sous le nom de Minerve.
De la vertu qui nous conserve,C’est le symbolique tableau :Chaque mortel a sa MinerveQui doit lui servir de flambeau !Mais cette déité propiceMarchait toujours devant Ulysse,Lui servant de guide et d’appui ;Au lieu que par l’homme conduite,Elle ne va plus qu’à sa suite,Elle se précipite après lui..
Minerve eut, dit-on, un différend avec Neptune, au sujet du nom qu’il fallait donner à la ville d’Athènes. Les douze grands dieux, devenus arbitres, décidèrent que celui des deux qui produirait la chose la plus utile à la ville, lui donnerait son nom. Neptune frappa la terre de son trident, et il en sortit un cheval ; Minerve lui fit produire un olivier. La déesse remporta les suffrages ; parce que la paix, dont l’olivier est le symbole, vaut mieux que la guerre, dont le cheval est l’emblème.
Minerve, ainsi que Vesta, présidait à la virginité. On lui consacrait l’olivier, parce que les sciences et les arts animent la paix. On représente cette déesse ayant sur la tête un casque surmonté d’une chouette, tenant d’une main une pique, et l’égide de l’autre ; c’était un bouclier couvert de la peau d’un monstre nommé Égide, qui vomissait des tourbillons de flammes. Dans la suite, la déesse y fit graver la tête de Méduse.
Arachné. §
On attribue à Minerve l’invention des beaux-arts, l’usage de l’huile, celui de filer la laine et de faire de la tapisserie. Elle excellait surtout à broder sur la toile. Arachné, fille d’Idmond, du pays de Lydie, habile ouvrière, osa défier la déesse de la surpasser ; Minerve, en colère de la voir réussir, déchira sa toile et lui donna des coups de sa navette sur les doigts. Cette fille, outrée de ce traitement, entra dans un si grand désespoir, qu’elle alla se pendre. La déesse en ayant compassion, la soutint en l’air, et la changea en araignée.
Le Palladium. §
Minerve avait un temple dans la citadelle d’Athènes, et un autre dans la ville de Troyes. C’est là qu’elle était honorée sous le nom de Pallas, comme président aux combats. Les Troyens gardaient soigneusement sa statue, qu’ils appelaient le Palladion ou Palladium, descendue du ciel, et d’elle-même se placer sur l’autel. Cette petite figure, faite des os de Pélops, ancien roi du Péloponèse, tenait une pique à la main droite, une quenouille et un fuseau à la gauche ; des ressorts cachés dans la statue en faisaient jouer tous les membres. L’oracle avait assuré les Troyens que, tant qu’ils garderaient le Palladium, Troyes ne serait pas prise ; mais, lorsque les Grecs en firent le siége, Ulysse et Diomède entrèrent par un souterrain dans le temple de Minerve, et ils enlevèrent sa statue. Peu de temps après, les Grecs surprirent la ville.
Apollon §
Jupiter ayant rencontré Latone, fille de Cœus et de Phébé, en devint amoureux, et il en eut Apollon et Diane.
Furieuse de cette nouvelle infidélité, Junon suscita contre sa rivale un serpent effroyable, nommé Python. Ce monstre s’était formé du limon resté sur la terre après le déluge, Junon fit plus, elle pria la terre de de ne point donner retraite à Latone ; la terre s’y engagea : l’infortunée fut contrainte de chercher un asile à Délos, dans l’Archipel. Cette île était alors flottante, et bien avant dans la mer, où elle paraissait abîmée ; Neptune, plein de compassion pour les malheurs de Latone, fit surnager l’île et la rendit stable.
Le temps des couches de Latone approchait ; elle mit au monde, à l’ombre d’un palmier, Apollon et Diane, elle les coucha sur les feuilles de cet arbre, n’ayant aucun secours humain dans cette île déserte où son infortune l’avait conduite. Diane, comme fille de Jupiter, naquit toute savante ; venue la première, elle ne fut pas plutôt née, qu’elle aida sa mère à mettre au jour Apollon. Epuisée de fatigue après cette couche laborieuse, Latone s’endormit ; pendant son sommeil, l’île de Délos s’approcha du rivage, et la déesse, en s’éveillant, se mit en chemin pour rejoindre son père Cœus.
Dans ce trajet pénible et solitaire,Ses deux enfans étaient entre ses bras,Ce doux fardeau ne la fatiguait pas :On devient forte alors qu’on devient mère..
Les Lyciens changés en grenouilles. §
Pour se soustraire aux fureurs jalouses de Junon, Latone précipita sa marche. Arrivée en Lycie, et passant près d’un marais, elle pria des paysans qui travaillaient à la terre de lui donner un peu d’eau pour apaiser sa soif ; mais ces paysans, loin de lui rendre ce service, troublèrent l’eau pour l’empêcher d’en boire. Dans son dépit, Latone se plaignit à Jupiter, qui, pour punir ces Lyciens, les métamorphosa en grenouilles.
Niobé §
Echappée à la colère de Junon, Latone élevait paisiblement Apollon et Diane. Fière de reconnaître en eux le sang du maître du tonnerre, elle préférait ses enfans à ceux des princes voisins. Niobé, fille de Tantale et femme d’Amphion, roi de Thèbes, avait pour sa famille la même faiblesse que Latone ; orgueilleuse du grand nombre de ses enfans, autant que de ses richesses, elle osa se préférer à Latone. Celle-ci, choquée de ses mépris, chargea Apollon et Diane d’en tirer vengeance. Partageant l’outrage fait à leur mère, ils pénétrèrent dans le palais de Niobé, et tuèrent sous ses yeux, à coups de flèches, ses fils, ses filles et son époux. Ils n’épargnèrent que la seule Cloris ; mais elle mourut de douleur en voyant la destruction de sa famille, victime, selon toute apparence, de la peste qui ravagea la ville de Thèbes. Niobé, succombant à son affliction, fut changée en marbre ; sur lequel on voit encore couler des larmes, c’est-à-dire, que l’excès des maux de cette reine la rendit insensible à tout, et qu’elle resta comme pétrifiée.
Dès son enfance, Apollon fut reçu dans le ciel, où il devint le Dieu de la lumière, sous le nom de Phébus. Il est aussi le dieu des arts ; et c’est par cette raison que la fable nous le représente sous la figure d’un jeune homme sans barbe.
Jupin est vieux ; son fils de la jeunesse,Malgré le temps, a conservé les traits ;Les rois, les dieux, ont connu la vieillesse :Les talens seuls ne vieillissent jamais..
Apollon banni du ciel. §
Apollon inventa la médecine. Esculape, son fils, avait fait de tels progrès dans l’art de guérir, sous la conduite de son père et du centaure Chiron, qu’il ressuscita le jeune Hippolyte, fils de Thésée, qu’un monstre marin avait mis en pièces. Jupiter regardant cette résurrection comme un attentat contre son autorité, le foudroya.
Apollon, au désespoir de la mort de son fils, et ne pouvant se venger de Jupiter, vole â l’île de Lemnos ; il pénètre dans l’antre de Vulcain, et perce de ses traits les Cyclopes qui forgeaient la foudre. Cette audace offensa le maître des dieux ; oubliant la tendresse qu’il avait pour son fils, il le bannit du ciel, et le priva pour un temps des honneurs de la divinité.
Cette disgrâce réduisit Apollon dans un état si misérable, que, pour ne pas mourir de faim, il se vit obligé de garder les troupeaux d’Admète, roi de Thessalie. C’est de là qu’on le regarde comme le Dieu des bergers. Dans les sacrifices qu’on lui offrait, on lui immolait un loup, parce que cet animal féroce est l’ennemi le plus redoutable des troupeaux. On raconte que Mercure ayant aperçu le dieu dans sa nouvelle condition, lui enleva adroitement des vaches, et que, comme Apollon voulait saisir son carquois pour se venger du larcin, il s’aperçut qu’on le lui avait aussi dérobé. Qui le croirait ? dépouillé de ses honneurs, de sa puissance, le fils de Latone trouva dans la vie champêtre et paisible le bonheur qu’il cherchait en vain à la cour céleste.
Là, sur l’émail des prés, seul, errant tout le jour,L’ingénieux pasteur, dans le sein de l’étude,Fit éclore les Arts : ces frères de l’AmourSont enfans du Loisir et de la Solitude..
Admète §
Apollon, satisfait des bons traitemens du roi Admète, obtint des Parques que ce prince pût s’exempter de la mort, en substituant un autre à sa place. Alceste, sa femme, s’offrit volontairement, et mourut pour lui ; mais Hercule la ramena des enfers. Cette fable qui nous présente un des plus grands exemples de l’amour conjugal, est racontée par quelques poètes d’une manière différente : Admète étant tombé dangereusement malade, Alceste, sa femme, alla consulter l’oracle, qui répondit que le roi mourrait, à moins que quelqu’un ne consentit à descendre pour lui au tombeau. Les amis du prince, ses proches, son père et sa mère, qui étaient très-vieux, ses sujets, personne enfin ne voulut se dévouer pour lui : Alceste seule eut le courage de s’offrir pour sauver les jours de son époux, et la mort dévora sa proie. Hercule arriva en Thessalie dans le temps même qu’Alceste venait de se sacrifier ; malgré sa vive douleur, Admète le reçut très-bien, et lui rendit tous les devoirs de l’hospitalité. Par reconnaissance, Hercule descendit aux enfers, d’où il ramena Alceste, qu’il rendit à son époux.
Daphné §
Pendant son exil, Apollon vit Daphné, fille du fleuve Pénée : il la trouva belle et le lui dit ; mais Daphné, sans vouloir l’entendre, se mit à fuir de toutes ses forces. Comme Apollon qui la poursuivait était près de l’atteindre, la nymphe tombant de lassitude, appela son père à son secours ; aussitôt elle fut métamorphosée en laurier. Le dieu n’embrassant plus qu’un arbre insensible, en détacha un rameau dont il se fit une couronne, qu’il porta toujours ; il voulut que le laurier lui fût consacré, qu’il servît de prix au talent, et devînt la récompense des poètes.
Aux plus savans auteurs comme aux plus grands guerriers,Apollon ne promet qu’un nom et des lauriers.[]
Cet arbre, qui ne perd jamais sa verdure, est le symbole de l’immortalité.
dit que le laurier seul avait le privilége de ne pas craindre la foudre, et de servir d’ornement et de sentinelle au palais des Césars. C’est par allusion à cette croyance qu’on lit dans Corneille.Tout couvert de lauriers, ne craignez pas la foudre.
On assure que Tibère mettait sur sa tête une couronne de laurier quand il tonnait. Cette fable n’a d’autre fondement que le nom de Daphné, qui, en grec, signifie laurier.
Hyacinthe §
Apollon ne fut pas plus heureux dans son amitié pour Hyacinthe que dans son amour pour Daphné. Zéphyre, qui n’avait pas moins de tendresse que lui pour cet enfant, fut si piqué de le voir jouer au palais avec Apollon, qu’avec son haleine, il dirigea le disque de ce dieu sur la tête d’Hyacinthe, et le tua. Le sang qui sortit de sa blessure produisit la fleur qui porte son nom, et qui naît à la fin de l’hiver. Poursuivi par les parens d’Hyacinthe, Apollon se vit forcé, pour se soustraire à leur vengeance, de fuir jusque dans la Troade, où, de berger, il devint maçon.
Perséis §
Ne pouvant vivre sans aimer, bientôt Apollon soupira pour la nymphe Perséis. Elle était fille de l’Océan, c’est-à-dire, qu’on ne connaissait point son père. Les généalogistes de ce temps-là faisaient descendre de la mer ou des fleuves, les héros et les nymphes dont l’origine était inconnue. Perséis ne fut pas insensible à l’amour du jeune dieu, et elle devint mère de la célèbre Circé.
Cyparisse §
Dans le même temps, Apollon donna à Cyparisse la place qu’Hyacinthe occupait autrefois dans son cœur, et la mort le lui enleva. Cyparisse aimait tendrement un cerf qu’il avait élevé. Un jour, vers le soir, voulant écarter quelque bête sauvage, il prend son arc et ses flèches, le trait part, et va frapper le jeune cerf errant dans la campagne. Cyparisse, désespéré, voulait se laisser mourir ; mais Apollon, ému de pitié le changea en Cyprès. Cyparisse, mot grec, signifie cyprès. Dans la suite, on porta cet arbre dans les pompes funèbres ; il fut consacré aux morts, sans doute parce qu’il est sans feuilles, et qu’il ne présente que des idées, lugubres.
Apollon bâtit les murailles de Troyes. §
Neptune ayant conspiré contre Jupiter, venait aussi d’être banni du ciel. Apollon et lui s’étant rencontrés, s’unirent ensemble, et allèrent offrir leurs services à Laomédon, qui faisait bâtir la ville de Troyes. Ils convinrent d’un certain prix pour leur travail, et commencèrent ce grand ouvrage. Lorsqu’il fut achevé, Laomédon inventa mille détours pour les frustrer de la récompense qu’il leur avait promise. Apollon et Neptune irrités de la mauvaise foi de ce prince, en tirèrent une prompte vengeance : Neptune envoya les eaux de la mer qui renversèrent les murailles de la ville, et Apollon fit périr un grand nombre d’habitans par le fléau de la peste.
Tout le monde connaît ce joli madrigal de mademoiselle Scudéri, pendant son séjour à la Bastille, où elle occupait la même chambre que le grand Condé avait eue, et sur la fenêtre de laquelle étaient des œillets que ce prince y avait fait mettre :
En voyant ces œillets, qu’un illustre guerrierArrosa d’une main qui gagna des batailles,Souviens-toi qu’Apollon a bâti des murailles,Et ne t’étonne pas de voir Mars jardinier.
Hésione §
Laomédon cherchant à faire cesser d’aussi grands malheurs, consulta l’oracle : on lui répondit qu’il devait apaiser les dieux en exposant, chaque année, une fille troyenne sur une montagne, pour y être dévorée par des monstres marins. Une fois, le sort tomba sur Hésione, sa fille, et elle fut exposée. Hercule s’offrit de la sauver, à condition que Laomédon lui donnerait les deux plus beaux chevaux de son écurie : le roi y consentit ; mais, lorsque sa fille fut délivrée et les monstres détruits, il renvoya Hercule sans récompense, ajoutant encore l’ironie à cette action perfide. Outré de fureur, Hercule tua le roi, mit la ville à feu et à sang, et emmena prisonnier Priam, fils de Laomédon.
Apollon remonte dans l’Olympe. §
L’exil et les malheurs d’Apollon apaisèrent enfin Jupiter ; il le rappela dans le ciel, et lui rendit les honneurs et les priviléges de la divinité.
Apollon, rétabli dans ses droits, répandit la lumière dans le monde. Plusieurs mythologues donnent cependant cette charge à Hypérion, et distinguent Apollon du soleil.
Sans rien décider, ils feignent que le dieu du jour est porté sur un char attelé de chevaux d’une vitesse extraordinaire ; qu’il va le soir se coucher dans l’Océan, ou Thétis le reçoit ; et que tous les matins les Heures attellent ses chevaux, pour qu’il recommence sa course.
Les Colosses de Rhodes. §
Entre tous les pays du monde, le Soleil parut regarder l’île de Rhodes avec prédilection, à cause de la beauté et de la fertilité de son territoire. Ce fut dans cette île que lui naquît une fille nommée Rhodia. Le jour de sa naissance devint célèbre par des prodiges : le soleil y répandit une pluie d’or, et fit naître une prodigieuse quantité de roses : ce qui signifie qu’il y eut cette année-là une grande abondance de toutes choses. Les Rhodiens, dont le soleil était la principale divinité, avaient érigé en son honneur un colosse d’airain, qui mérita par sa singularité d’être mis au rang des sept merveilles du monde. C’était une statue du soleil de cent pieds de haut, qui fut construite par
, indien, élève du fameux . Elle était toute d’airain : on avait pratiqué dans l’intérieur, des ponts de fer et de pierres. Ses pieds, posés sur des bases prodigieusement hautes, étaient si éloignés l’un de l’autre, que les vaisseaux pouvaient passer à pleines voiles entre ses jambes : à peine pouvait-on embrasser son pouce. Ce colosse fut renversé et détruit par les Sarrasins, lorsque ces barbares sortirent en foule de l’Afrique, et causèrent de grands ravages par toute l’Europe : on chargea neuf cents chameaux des débris de cette énorme statue.Tous les peuples d’Orient adorèrent le soleil sous le nom de quelques-uns de leurs rois. Les Chaldéens et les Phéniciens l’adoraient sous le nom d’Adonis, de même que les Arabes ; les Egyptiens sous celui d’Osiris et celui d’Horus, son fils ; les Ammonites et les Chananéens, sous celui de Moloch ; les Moabites, sous celui de Béelphégor ; les Carthaginois, sous celui de Saturne ; les Indiens sous celui de Dionysius ; les Grecs et les Romains, sons celui d’Apollon ou Phébus. Il est à remarquer que les Grecs, qui tirèrent le fond de leur théologie des Egyptiens, adorèrent bien comme eux les diverses parties de la nature, comme le soleil, la lune, etc. ; mais qu’ils choisirent parmi les héros des sujets propres à représenter ces différentes parties, et les substituèrent aux divinités de l’Egypte. Ainsi, Apollon, un de leurs plus grands princes, fut chez eux ce qu’était Osiris chez les Egyptiens, le symbole du Soleil ; comme Diane et Cérès furent ce qu’était chez les mêmes, Isis, le symbole de la lune. Plusieurs savans, ont même cru, que, sous le nom du soleil étaient renfermés tous les dieux du paganisme, et toutes les déesses sous celui de la lune.
Le soleil a été adoré sous son propre nom dans différens pays. L’empereur Héliogabale, qui se glorifiait d’avoir été prêtre du soleil, lui consacra un temple à Rome. On lui a dédié plusieurs autels sur une montagne près de Corinthe. Les Messagères et les anciens Germains ont passé pour adorer le soleil : ils lui sacrifiaient des chevaux.
Coronis. — Le Corbeau. §
Le Corbeau était consacré à Apollon, parce que ce dieu présidait aux oracles, et que le vol et le chant du corbeau servaient souvent de règles aux augures. La fable dit que d’abord cet oiseau avait le plumage blanc, mais que ce dieu le noircit pour le punir de lui avoir découvert l’infidélité de Coronis : dans un premier transport de jalousie, Apollon la tua ; mais s’en étant repenti aussitôt, il la changea en corneille.
Le Zodiaque. §
Le soleil parcourt dans l’espace d’un an un cercle nommé Zodiaque, où se trouvent douze signes ou assemblages d’étoiles qui figurent des hommes ou des animaux. Voici à quel trait de la fable chaque signe fait allusion.
Le Bélier. C’est celui que montèrent Phryxus et Hellé, pour échapper à la fureur d’Ino leur marâtre.
Le Taureau, celui dont Jupiter prit la forme pour enlever Europe.
Les Gémeaux, sont les dieux Tyntarides, Castor et Pollux.
L’Ecrevisse, les poètes croient que c’est celle qui piqua Hercule lorsqu’il tua l’hydre.
Le Lion, celui de la forêt de Némée.
La Vierge, on croit que c’est Astrée.
La Balance, Thémis.
Le Scorpion, c’est Orion changé en cet animal par la déesse Diane.
Le Sagittaire, c’est Chiron le Centaure, qui tirait de l’arc.
Le Capricorne, c’est la chèvre Amalthée, nourrice de Jupiter.
Le Verseau, c’est Ganimède.
Les Poissons, les dauphins qui conduisirent Amphitrite à Neptune.
On ne finirait pas si l’on voulait décrire en détail toutes les autres constellations dont les dieux ont embelli le Zodiaque et les autres parties du ciel, par des métamorphoses d’hommes, de femmes et de différens animaux.
On appelle aussi les signes du Zodiaque, Maisons du Soleil ; il entre dans le bélier vers la fin de mars ; dans le taureau, vers la fin d’avril ; dans les gémeaux, vers la fin de mai ; dans l’écrevisse, vers la fin de juin ; dans le lion, vers la fin de juillet ; dans la vierge, vers la fin d’août ; dans la balance, vers la fin de septembre ; dans le scorpion, vers la fin de novembre ; dans le capricorne, vers la fin de décembre ; dans le verseau, vers la fin de janvier ; dans les poissons, vers la fin de février.
Orion §
Rien de réel dans l’histoire des métamorphoses : tout y est symbolique et merveilleux. Voici entre autres choses ce que la fable nous apprend d’Orion. Fils des dieux, il naquit sans mère. Jupiter, Neptune et Mercure étant en voyage, allèrent loger chez Œnopeus, homme fort pauvre, qui les reçut très-bien ; il tua le seul bœuf qu’il avait, et le leur donna à manger. Jupiter, charmé du bon cœur de cet homme, l’assura qu’il était prêt à lui accorder ce qu’il souhaiterait le plus. Œnopeus dit qu’il désirait ardemment être père sans prendre de femme. Il obtint cette faveur : les dieux firent naître Orion dans la peau du bœuf dont leur hôte les avait régalés. Cet Orion était célèbre par son amour pour la chasse et pour l’astronomie ; il apporta en Grèce la connaissance des astres et du mouvement des cieux ; il l’y enseigna. A sa mort, on prétendit, qu’ayant été blessé dans les bois par un serpent, Diane, dont il était le garde-chasse, l’avait placé au ciel et changé en serpent, pour reconnaître les services qu’il lui avait rendus en la suivant sur les montagnes et dans les forêts. Le signe d’Orion est l’avant-coureur de la pluie. Selon quelques poètes, ce chasseur était un très-bel homme ; il avait une taille si avantageuse qu’on en avait fait un géant.
Clytie. — Leucothoé. §
Le Soleil devint amoureux de Clytie, une des nymphes de l’Océan. Peu de temps après, il porta son hommage à la belle Leucothoé, fille d’Orchame roi de Babylone. Pour entretenir la belle Leucothoé sans témoin, le dieu prit la figure d’Eurynome, mère de la princesse ; et feignant d’avoir quelque chose à lui dire en secret, les dames de sa suite se retirèrent : alors Apollon se fit connaître. Clytie, jalouse de la préférence que le dieu donnait à sa rivale, et voulant s’en venger, instruisit Orchame des amours de sa fille avec Apollon. Ce père entrant en fureur, ordonna qu’elle fut enterrée toute vive, et qu’on jeta du sable sur son corps. Apollon, désespéré de sa perte, la transforma en l’arbre qui porte l’encens. Loin de rendre son cœur à la nymphe jalouse, le dieu n’eut plus pour elle que du mépris ; elle s’en aperçut, et sa douleur fut si violente, qu’elle se laissa mourir de faim. Couchée par terre, la nuit et le jour, les cheveux en désordre et le visage baigné de larmes, Clytie tournait continuellement ses yeux vers le soleil, et l’accompagnait de ses regards pendant toute sa course. Apollon, par pitié, la changea enfin en tournesol, plante qu’on dit se tourner toujours vers le soleil, ou plutôt nommée ainsi, parce qu’elle paraît dans les plus grandes chaleurs, lorsque le soleil est dans le tropique du cancer (l’écrevisse). On reconnaît dans cette fable l’influence du soleil sur les plantes : elles périssent lorsqu’il les abandonne, parce que la chaleur de cet astre donne seul la vie aux productions de la nature.
Esculape §
Apollon eut plusieurs enfans. Les plus remarquables sont Esculape, l’Aurore que d’autres lui donnent pour sœur, Phaéton, Aétès, Pasiphaé, Circé.
Esculape, fils d’Apollon et de la nymphe Caronis, fut mis de bonne heure entre les mains du centaure Chiron qui lui donna la connaissance des simples. Esculape fit de si grands progrès dans cette science, que, dans la suite, il fut regardé et honoré comme le dieu de la médecine.
Ayant rendu la vie au malheureux Hippolite par la force et la bonté de ses remèdes, Pluton irrité s’en plaignit à Jupiter qui le foudroya ; mais le maître des dieux voulant consoler Apollon de la perte de son fils qu’il regrettait vivement, reçut Esculape dans le ciel. Apollon en fit un astre nommé Ophieus ou Serpentaire.
Esculape laissa deux fils, Mochaon et Podalire, qui suivirent les Grecs à la guerre de Troyes. Les plus habiles médecins de l’antiquité passaient aussi pour ses fils. Esculape fut particulièrement honoré à Epidaure, ville du Péloponèse, lieu de sa naissance, ou on lui éleva un temple magnifique. Il y était représenté assis sur un trône, tenant d’une main un bâton, et appuyant l’autre sur la tête d’un serpent, avec un chien couché à ses pieds.
L’an 462 de la fondation de Rome, cette ville fut affligée de la peste : Esculape
d’Epidaure fit cesser ce fléau. Valère Maxime raconte ainsi de quelle manière ce dieu
favorisa les Romains de sa présence : « La peste, dit-il, faisait à Rome des
ravages affreux ; le sénat députa un ambassadeur vers Apollon à Delphes, pour le prier
de faire cesser la contagion. Apollon renvoya à Esculape. Le sénat fit une seconde
députation à Epidaure. Les ambassadeurs y exposèrent l’état misérable où la ville
était réduite, et conclurent à ce que les Epidauriens eussent la charité de leur
laisser emporter à Rome la statue de leur dieu, qui, infailliblement ferait cesser la
maladie. Le conseil d’Epidaure fut si partagé sur cela, que le jour se passa sans
qu’on eut rien arrêté. La nuit suivante, Esculape apparut en songe au chef de
l’ambassade ; il avait dans la main gauche un bâton autour duquel était un serpent, et
de la droite il arrangeait sa barbe ; il lui promit de quitter le lendemain son temple
d’Epidaure, déguisé en serpent, et d’aller avec eux à Rome. Le lendemain, dès le grand
matin, les ambassadeurs se mirent en prières pour savoir du dieu s’il désirait qu’on
lui dressât à Epidaure un autel au nom de Rome, ou s’il voulait attendre qu’il fût
arrivé dans cette ville. Pendant qu’ils priaient, ils aperçurent un serpent d’une
grosseur énorme, qui siffla d’une manière si épouvantable que,le temple en fut ébranlé
jusqu’aux fondemens. Le prêtre, qui reconnut la métamorphose d’Esculape rassura les
Romains. Le dieu, suivi des ambassadeurs, traversa la ville aux yeux de tous les
habitans ; il entra dans le vaisseau des Romains, puis aborda avec eux sur les bords
du Tibre. Le sénat et les Vestales allèrent au-devant de lui en grande pompe. Le dieu
remarqua une belle île sur le Tibre, où il montra qu’il souhaitait qu’on lui éleva un
temple, et dans l’instant il reprit sa forme divine. La peste cessa aussitôt. »
Les poètes font prendre à
Esculape la figure du serpent, symbole de la prudence, pour faire entendre que cette
vertu, si essentielle dans un médecin, peut faire des prodiges.
Aurore §
Aurore était fille d’Apollon, ou, selon d’autres, d’Hypérion et de Théa : Titan et la Terre. Les anciens, qui ont prodigué les noms de dieux et de déesses au soleil, à la lune et aux autres constellations, ont dû avoir les mêmes égards pour l’Aurore, dont le retour réjouit toute la nature en bannissant les ténèbres. Les poètes disent que l’Aurore ouvre tous les matins les portes du ciel, et qu’elle précède le dieu du jour. On représente cette déesse sur un char brillant, traîné par deux chevaux. Elle sème des fleurs sur son passage, et embellit toute la nature par la douceur de sa lumière. Elle a sur la tête un grand voile, rejeté fort en arrière, pour marquer sans doute que sa présence dissipe l’obscurité de la nuit.
L’Aurore, dit la fable, éprise d’amour pour Tithon, fils de Laomédon, roi de Troyes, et frère de Priam, l’enleva ; elle le conduisit dans l’île de Délos, où l’hymen les unit secrètement. L’Aurore obtint de Jupiter l’immortalité pour son époux ; mais elle oublia de demander pour lui le privilége d’être toujours jeune. Il devint si vieux, qu’il fallut l’emmailloter et le bercer comme un enfant Dans cet état, la vie lui étant insupportable, il souhaita de pouvoir mourir ; enfin, à sa prière, l’Aurore le changea en cigale, ce qui veut dire que ce prince mourut dans une extrême vieillesse.
L’Aurore eut plusieurs enfans, entre autres, Memnon, roi d’Egypte, qui, étant venu au secours de Priam, fut tué par Achille, au siége de Troyes, après avoir donné des marques éclatantes de son courage. Sa perte fut si sensible à l’Aurore, qu’elle répandit des larmes en abondance, et n’a point cessé d’en répandre depuis ce jour fatal : ces larmes produisent, dit-on, la rosée qu’on voit tous les matins avant le lever du soleil. Pénétrée de douleur d’avoir perdu son cher Memnon, se couvrit d’un voile noir, et elle ne voulut plus rendre le jour au monde ; pour la consoler et l’obliger à reprendre ses fonctions, Jupiter fit naître, des cendres du bûcher de son fils, des oiseaux appelés de son nom Memnonides. Pour perpétuer la mémoire de Memnon, les Egyptiens érigèrent en son honneur une statue qui, frappée des rayons du soleil levant, rendait un son mélodieux.
Phaéton §
De tous les enfans du Soleil, Phaéton fut le plus chéri, et celui qui lui causa des ennuis plus cuisans par sa téméraire présomption. Epaphus, fils de Jupiter et de la nymphe Io, lui ayant reproché qu’il n’était pas fils du Soleil, il alla se plaindre à sa mère, Clymène, puis à son père dans son palais ; il lui demanda pour preuve de sa naissance de lui permettre de conduire son char pendant un jour. Le Soleil résiste long-temps ; enfin il cède. Il appelle en soupirant les Heures matinales ; elles volent précédées de l’Aurore, et attèlent au char du Soleil le rapide Eoüs, l’ardent Phlégon, le fougueux Ethon et le léger Piroïs. Phaéton s’élance sur le char radieux, saisit avec assurance les rênes étincelantes, et reçoit à peine, en partant, les derniers avis de son père :
« Dans ton vol, trop timide ou trop ambitieux,« Evite également et la terre et les cieux :« Suis le milieu ; c’est là le chemin qu’il faut prendre.« Il y va de tes jours à le bien observer :« On tombe pour trop s’élever,« Et l’on se perd pour trop descendre. ».
Phaéton manquait de tête et d’habileté ; il s’égara dès le commencement de sa course. Les chevaux allaient plus vite que le vent. Ne reconnaissant pas la main novice qui les guidait, ils prirent l’écart, et embrasèrent le ciel et la terre. Jupiter craignant pour lui-même, foudroya l’imprudent jeune homme, et le précipita dans le Pô, fleuve d’Italie.
Le sort de Phaéton se découvre à mes yeux ;Dieux ! Je frémis ! que vois-je ? ô dieux !Tremblez pour votre fils, ambitieuse mère !Où vas-tu, jeune téméraire ?Tu dois trouver la mort dans la gloire où tu cours.En vain le dieu qui nous éclaire,En pâlissant pour toi se déclare ton père ;Il doit servir à terminer tes jours..
Cette fable, ainsi que celle d’Icare, fait connaître les funestes effets de l’ambition. Elle est fondée sur une chaleur extraordinaire, pendant laquelle il tomba des nues des globes de feu qui embrasèrent plusieurs pays.
Les Héliades §
Les Héliades, sœurs de Phaéton, furent tellement affligées du malheur de leur frère, qu’elles en moururent. Les dieux, touchés de compassion, les changèrent en peupliers ; et les larmes qu’elles n’avaient cessé de répandre furent converties en grains d’ambre.
Cygnus §
Cygnus, roi des Liguriens, voit du rivage tomber dans le fleuve Phaéton, son parent et son ami ; il ne peut le secourir, son cœur se brise ! II voudrait au moins l’embrasser pour la dernière fois ! Le ciel seconde ses vœux : soudain Cygnus est couvert de plumes blanches comme la neige ; il nage vers le corps de Phaéton, et le couvre de ses ailes ; sa douleur long-temps muette, s’exhale en un chant tendre et plaintif, dont l’écho répète et prolonge les accens mélodieux. Il est aisé de voir que cette fable n’est fondée que sur la ressemblance du nom. Une semblable métamorphose a eu lieu aussi à l’égard du fils d’Hirée, et d’un autre Cygnus, fils de Neptune, qu’Achille a tué.
Pasiphaé §
Pasiphaé, fille du Soleil et de la nymphe Perséis, était femme de Minos, roi de Crète. Les poètes disent qu’elle déshonora son nom et sa naissance par l’amour qu’elle prit pour un taureau, dont elle eut le Minautaure avec l’industrie et le secours de Dédale. La haine des Grecs contre Minos, qui leur avait imposé un tribut, donna lieu sans doute à l’invention de cette fable odieuse. Il est possible cependant qu’elle soit fondée sur l’équivoque du nom d’un seigneur crétois, nommé Taurus, que la reine aimait, et dont Dédale favorisa la passion.
Circé §
Circé, sœur de Pasiphaé, femme de Minos, passait pour être fille du Soleil et de Perséis. La grande connaissance qu’avait cette princesse de la médecine et des plantes, la faisait regarder comme une personne extraordinaire. Habile à composer des poisons, elle se servit de cet art dangereux pour se venger de ses ennemis en les faisant périr. On croit que Circé épousa un roi des Sarmates, et qu’elle l’empoisonna pour régner seule. Cette action barbare la rendit odieuse à ses sujets ; ils voulurent la tuer ; mais elle se sauva par adresse, et se retira dans un désert sur les côtes d’Italie, vers le promontoire d’une île qui est proche de la Toscane.
Les Muses §
Apollon, considéré comme l’inventeur de la poésie et de la musique, fut le maître des neuf Muses, qu’il instruisait sur le Mont-Parnasse. Les Muses, filles de Jupiter et de Mnémosyne, déesse de la mémoire, étaient vierges, et gardaient la chasteté la plus scrupuleuse. Le nom de Muse vient de
, selon , et, selon d’autres, d’un verbe grec qui signifie enseigner des choses élevées. Le nom de Piérides leur fut donné, à cause de la victoire qu’elles remportèrent sur les neuf filles de Piérus, roi de Macédoine. Ces filles, orgueilleuses de leur belle voix, osèrent défier les Muses de mieux chanter : pour les punir, Apollon les changea en pies. Voici le nom des Muses et leur emploi :Calliope présidait au poème héroïque ;
Clio, à l’histoire ;
Erato, aux poésies amoureuses ;
Thalie, à la comédie ;
Melpomène, à la tragédie ;
Terpsichore, à la danse ;
Euterpe, aux instrumens ;
Polymnie, à l’ode ;
Uranie, à l’astrologie.
Perrault a exprimé les différens départemens des Muses dans ces vers :
La noble Calliope, en ses vers sérieux,Célèbre les hauts faits des vaillans demi-dieux,L’équitable Clio, qui prend soin de l’histoire,Des illustres mortels éternise la gloire.L’amoureuse Erato, d’un plus simple discours,Conte des jeunes gens les diverses amours.La gaillarde Thalie, incessamment folâtre ;Et de propos bouffons réjouit le théâtre.La grave Melpomène en la scène fait voirDes rois de qui la mort éprouvent le pouvoir.L’agile Terpsichore aime surtout la danse.Et se plaît d’en régler le pas et la cadence.Euterpe, la rustique, à l’ombre des ormeaux,Fait retentir les bois de ses doux chalumeaux.La docte Polymnie, en l’ardeur qui l’inspire,De cent sujets divers fait résonner sa lyre ;Et la sage Uranie élève dans les cieuxDe ses pensers divers le vol audacieux.
On donne des ailes aux Muses, sans doute parce que les Sirènes, à la sollicitation de Junon, s’étant vantées de mieux chanter qu’elles, les neuf Sœurs acceptèrent le défi, les vainquirent, et leur arrachèrent les ailes dont elles se firent des couronnes. D’autres rapportent qu’elles prirent des ailes pour échapper aux outrages de Pyrénée, tyran de Phocide, chez lequel une grosse pluie les avait obligées de se réfugier en allant au Parnasse. Ce prince, voulant les poursuivre monta sur une haute tour et s’élança après elles ; mais, comme il ne put se soutenir dans les airs, il tomba et se tua. On prétend que Pyrénée chassa tous les sages de son royaume, qu’il fit abattre les écoles publiques, et qu’il mourut misérable pour n’avoir pas suivi les bons conseils qu’on lui avait donnés.
Apollon habite avec les neuf Sœurs les sommets du Pinde, du Parnasse et de l’Hélicon, les bords du Permesse, de la fontaine Castalie, ou d’Hippocrène, non loin de la délicieuse vallée de Tempé, en Thessalie.
Midas §
Midas, était un roi de Phrygie, sot et vain, qui se croyait capable de décider les questions les plus difficiles. Un jour Apollon et Pan firent un défi dont Midas et le Mont Tmolus furent pris pour juges. Tmolus, pour mieux les entendre, écarta tous ses arbres. Pan joua le premier, ensuite Apollon : Tmolus prononça en faveur du dieu de la musique ; mais Midas, en riche ignorant et sans goût, préféra les sons rustiques de la flûte de Pan aux accords doux et harmonieux de la lyre d’Apollon. Ce dieu, pour se venger, lui allongea les oreilles. Le barbier de Midas s’aperçut de cette difformité ; mais Midas lui imposa silence. Suffoqué par ce secret, et ne pouvant parler de peur d’encourir la colère du roi, cet homme fit un trou dans la terre, et s’y enterra. Quelques temps après, il crût dans cet endroit des roseaux, qui, agités par le vent, faisaient entendre : Le roi Midas a des oreilles d’âne ! Ici ce roi n’avait manqué que de goût ; dans une autre occasion, il manqua de sagesse, comme on va le voir.
Bacchus allant faire la conquête de l’Inde, passa par les états de Midas. Ce roi qui avait appris que Silène, père nourricier du dieu, aimait fort le vin, en remplit une fontaine, où le vieillard s’enivra de telle sorte, qu’il fut contraint d’y rester. On l’amena à Midas comme un espion ; mais ce roi lui fit le meilleur accueil qu’il pût attendre. Bacchus, à son retour, passa encore par la Phrygie ; il fut si content de Midas et du traitement qu’il avait fait à Silène, qu’il pressa ce roi de lui demander telle grâce qui lui plairait, avec promesse de la lui accorder. Midas demanda que tout ce qu’il toucherait devînt or. Ce don pensa lui devenir funeste, car les alimens se changeaient en or sitôt qu’il les touchait pour les porter à sa bouche, et il courait le risque de mourir de faim. Pour se défaire de cette pernicieuse faculté, Midas eut recours à Bacchus, qui l’envoya se baigner dans le Pactole, fleuve de Lydie, qui descendait du Mont Tmolus. Les eaux de ce fleuve attirèrent la vertu qu’avait Midas ; et depuis elles ont roulé avec elles un sable d’or.
Marsyas §
La présomption est quelquefois sévèrement punie : Marsyas en est la preuve. Ce Satyre était un phrygien ; il trouva le fifre que Minerve avait jeté et accablé de malédictions, parce qu’il la rendait si difforme quand elle en jouait, qu’elle excitait la risée de toutes les autres déesses. Marsyas perfectionna cet instrument ; et, comme il était de la cour de Cybèle, on observa depuis de mêler toujours des fifres dans les sacrifices qu’on faisait à cette déesse. Ce satyre fut assez téméraire pour défier Apollon. Les conditions du cartel furent que le vaincu demeurerait à la discrétion du vainqueur. Le Satyre tira de son instrument des sons assez mélodieux pour charmer tout le monde, et même pour intimider Apollon, mais ce dieu qui joignait aux accords de sa lyre les accens de sa voix, emporta tous les suffrages. Il attacha le Satyre à un pin, et l’écorcha tout vif, pour le punir de sa témérité. Les Nymphes, les Satyres et les Faunes donnèrent tant de larmes à sa mort, qu’elles produisirent un fleuve qui porte son nom. On représente Marsyas avec des oreilles de Faune ou de Satyre.
Oracles §
Dans l’antiquité payenne, les Oracles avaient pour seul et unique but, le commerce immédiat avec les dieux, afin de se décider dans les affaires épineuses, et le plus souvent pour connaître l’avenir. Sitôt qu’ils furent établis, on alla les consulter ; leur réponse passait pour loi, et on la suivait religieusement. Les plus accrédités et les plus multipliés étaient les oracles d’Apollon, dans la persuasion où l’on était que Jupiter, premier moteur et première source de la divination, avait laissé à son fils le soin d’inspirer les prophètes. Pour consulter l’Oracle, tous les jours n’étaient pas propres ; il fallait attendre le temps où il plaisait aux dieux d’en rendre. La Pythie à Delphes ne donnait de réponse à ceux qui venaient la consulter, qu’au commencement du printemps ; dans la suite, ce fut un jour de chaque mois. Les Oracles se rendaient de diverses manières : tantôt c’était le dieu lui-même qui répondait, tantôt la prêtresse ; une autre fois le dieu s’expliquait dans le sommeil, ou par billet cacheté, ou bien en tirant au sort. Souvent il fallait beaucoup de préparations pour se rendre digne de l’Oracle ; d’autres fois, au contraire, on recevait sa réponse au moment même où l’on arrivait pour le consulter.
Delphes, ville ancienne de la Phocide, fut surtout célèbre par le temple et l’Oracle d’Apollon. Les Grecs, les étrangers, les particuliers et les princes même venaient à Delphes en personne, ou y envoyaient pour apprendre la volonté d’Apollon sur leurs affaires. Les présens magnifiques faits par les souverains au temple de Delphes, et les richesses immenses dont il était rempli, furent comparés aux trésors du roi de Perse.
On nommait Pythie, la prêtresse d’Apollon qui présidait au temple de Delphes. Le jour qu’elle rendait ses oracles, on lui faisait boire de l’eau de la fontaine Castalie, dans la croyance qu’Apollon lui avait communiqué sa vertu. Ensuite, on conduisait la prêtresse dans le sanctuaire : là, placée sur la cortina ou trépied, qui était une petite table à trois pieds, couverte de la peau du serpent Python, la Pythie rendait ses oracles ; puis, on la reconduisait dans la cellule, où elle était plusieurs jours à se remettre des fatigues qu’elle avait eues : souvent même son enthousiasme lui causait une prompte mort.
La Sybille de Cumes §
Cumane ou Cumée, et l’une des Sybilles, était fille de Glaucus. Elle naquit à Cumes dans l’Eolide, et fut prêtresse d’Apollon. Ce dieu la trouvant belle, n’épargna rien pour la rendre sensible ; il lui offrit même de lui accorder tout ce qu’elle souhaiterait. Cumane, comme la plupart des mortels, attachait du prix à la vie ; elle pria le dieu de lui accorder autant d’années qu’elle tenait alors de grains de sable dans la main ; mais elle oublia de demander la faveur de ne point vieillir. Apollon lui accorda ce qu’elle désirait : il offrit de plus de lui conserver la fraîcheur et les grâces de la jeunesse pendant tout le cours de sa longue vie, si elle voulait répondre à ses soupirs ; mais Cumane, par amour pour la chasteté qu’elle avait juré de conserver sans tache, refusa cette offre séduisante. Avec le temps ses brillantes années s’écoulèrent, et elle sentit le poids d’une languissante vieillesse. Lorsqu’Enée la consulta avant de descendre aux enfers, elle lui dit qu’elle avait sept cents ans ; que, pour remplir le nombre des grains de sable qui était la mesure de sa vie, elle avait encore trois ans à vivre dans la langueur ; qu’alors, son corps épuisé et consumé serait réduit à rien, et que la voix, que le destin lui laisserait éternellement, était ce qui devait la faire reconnaître. L’opinion où l’on était que les Sybilles devaient vivre long-temps, et qu’Apollon connaissait l’avenir, a sans doute donné lieu à cette fable.
Cumane, inspirée par Apollon, rendait ses oracles dans le temple de ce dieu, au fond d’un antre d’où sortaient par cent portes autant de voix terribles qui répétaient les réponses de la prêtresse. Cumane fut aussi prêtresse d’Hécate, qui l’avait faite gardienne des bois de l’Averne.
C’est la Sybille de Cumes qui apporta à Tarquin-l’Ancien un recueil de vers en neuf volumes, pour lesquels elle lui demandait trois cents écus. Ce prince s’en étant moqué, elle jeta dans le feu trois de ses livres, et vint lui présenter les six autres, lui en demandant la même somme. Le mépris de Tarquin causa encore la perte de trois de ces livres, que la Sybille brûla ; ce qui surprit tellement ce prince qu’il lui donna les trois cents écus pour avoir les trois derniers. Il les fit renfermer dans un coffre de pierre, et mettre, comme une chose sacrée, dans les archives de l’empire, au Capitole, sous la garde de deux patrices, nommés Duumvirs. Cet édifice ayant été brûlé du temps de Sylla, Auguste rassembla tout ce qu’il put des fragmens détachés de ces vers, et les fit mettre dans des coffres d’or au pied de la statue d’Apollon-Palatin, où l’on allait les consulter. La collection des vers de cette Sybille, dont le secret fut toujours gardé, était en telle vénération, qu’on forma un collége de quinze personnes, nommées les Quindecemvirs des Sybilles, pour veiller à sa conservation. On avait une si grande foi aux prédictions qui y étaient contenues, qu’on y avait recours lorsqu’il s’agissait d’une guerre importante à entreprendre, d’une révolte considérable à apaiser, de la défaite d’une armée, de la peste ou de la famine, d’une maladie épidémique qui ravageait la ville ou la campagne, enfin de l’aspect de quelque prodige qui paraissait annoncer de grands malheurs. Les Romains consultaient ces oracles aussi souvent et avec autant de confiance que les Grecs celui de Delphes. La Sybille de Cumes reçut les honneurs divins dans un temple que les Romains lui élevèrent dans le lieu même où elle avait rendu ses oracles.
On compte jusqu’à dix Sybilles : la plus ancienne était celle de Perse, et la plus fameuse celle de Cumes, en Italie, où elle faisait son séjour.
, savant médecin, a fait un traité de Sibylla, où il croit qu’il n’y a jamais eu qu’une Sybille, dont on a partagé les actions et les voyages à plusieurs. Ce qui a donné lieu, dit-il, à cette multitude, ce sont les voyages de cette fille mystérieuse, dans lesquels elle se fit voir en divers pays. Une chose remarquable, c’est que tous les vers de Sybille sont écrits en grec, ce qui ne serait pas s’il y en avait eu en Perse, en Phrygie, etc. Peut-être aussi a-t-on donné le nom de Sybille à quelques personnes qui, à l’imitation de la seule qu’on doit reconnaître, se sont mêlées de prédire l’avenir.Laocoon §
Laocoon, fils de Priam et d’Hécube, était prêtre d’Apollon et de Neptune. Il s’opposa fortement à ce que les Troyens reçussent dans leur ville le fameux cheval de bois des Grecs ; et, soupçonnant une perfidie, il lança son javelot contre les flancs du colosse ; mais les Troyens, qui couraient à leur perte, loin de le croire, traitèrent son action d’impiété. Bientôt ils n’en doutent plus, et ce qu’ils voient les confirme dans leur opinion : deux serpens énormes, venant de l’île de Ténédos, s’avancent sur la surface des eaux ; ils vont droit à l’autel où sacrifiait Laocoon, s’élancent sur ses deux fils et les étouffent ; puis, saisissant Laocoon lui-même qui venait au secours de ses enfans, ils le font mourir dans les plus cruelles souffrances, comme si les dieux eussent voulu le punir de son peu de respect pour une offrande qui leur était consacrée. Les deux serpens s’allèrent réfugier au pied de la statue de Minerve et se cacher dans son bouclier, comme dans un asile respectable. Virgile, dans ses vers immortels, nous offre un effrayant tableau de la mort de Laocoon.
Prêtre du dieu des mers, pour le rendre propice,Laocoon offrait un pompeux sacrifice,Quand deux affreux serpens sortis de Ténédos(J’en tremble encor d’horreur), s’allongent sur les flots ;Par un calme profond, fendant l’onde écumante,Le cou dressé, levant une crête sanglante,De leur tête orgueilleuse ils dominent les eaux,Le reste au loin se traîne en immenses anneaux.Tous deux nagent de front ; tous deux des mers profondesSous leurs vastes élans font bouillonner les ondes.Ils abordent ensemble, ils s’élancent des mers,Leurs yeux, rouges de sang, lancent d’affreux éclairs,Et les rapides dards de leur langue brûlanteS’agitent, en sifflant, dans leur gueule béante.Tout fuit épouvanté. Le couple monstrueuxMarche droit au grand-prêtre ; et leur corps tortueuxD’abord vers ses deux fils en orbe se déploie,Dans un cercle écaillé saisit sa faible proie.L’enveloppe, l’étouffe, arrache de son flancD’affreux lambeaux suivis de longs ruisseaux de sang.Leur père accourt : tous deux à son tour le saisissent,D’épouvantables nœuds tout entier l’investissent ;Deux fois par le milieu leurs plis l’ont embrasséDeux fois autour du cou leur corps s’est enlacé ;Ils redoublent leurs nœuds, et leur tête hideuseDépasse encor son front de sa crête orgueilleuse.Lui, dégoûtant de sang, souillé de noirs poisonsQui du bandeau sacré profanent les festons,Raidissant ses deux bras contre ses nœuds horribles,Il exhale sa rage en hurlemens terribles.Tel d’un coup incertain par le prêtre frappé,Mugit un fier taureau de l’autel échappé,Qui, du fer suspendu victime déjà prête,A la hache trompée a dérobé sa tête,Enfin, dans les replis de ce couple sanglant,Qui déchire son sein, qui dévore son flanc,Il expire… aussitôt l’un et l’autre reptileS’éloigne, et de Pallas gagnant l’auguste asile,Aux pieds de la déesse, et sous son bouclierD’un air tranquille et fier va se réfugier.[]
Diane §
Diane, déesse de la chasse, était fille de Jupiter et de Latone, et sœur d’Apollon. On la nommait Lune dans le ciel, Diane sur la terre, et Hécate ou Proserpine dans les enfers. Sous ces trois noms, elle n’était qu’une seule divinité ; c’est pourquoi les poètes l’appellent Déesse à trois formes et Triple Hécate.
Brillant astre des nuits, vous réparez l’absenceDu dieu qui nous donne le jour ;Votre char lorsqu’il fait son tour,Impose à l’univers un auguste silence,Et tous les feux du ciel composent votre cour.En descendant des cieux, vous venez sur la terreRégner dans les vastes forêts ;Votre noble loisir sait imiter la guerre,Les monstres dans vos jeux succombent sous vos traitsJusque dans les enfers votre pouvoir éclate ;Les mânes en tremblant écoutent votre voix :Au redoutable nom d’HécateLe sévère Pluton rompt lui-même ses lois..
Voici, au rapport de la fable, ce qui donna occasion à Diane de se vouer à une éternelle virginité. Elle naquit un instant avant Apollon, et aussitôt elle aida Latone à le mettre au monde. Témoin des douleurs de l’enfantement, elle pria Jupiter de lui donner le don de chasteté.
Diane, sur la terre, prenait plaisir à poursuivre les animaux des bois, suivie de soixante nymphes, filles de l’Océan, et de vingt autres vierges qui avaient soin de son équipage de chasse.
Actéon §
L’amour de cette déesse pour la chasteté, l’engagea à punir sévèrement Actéon et Calisto : la vaine Chionée éprouva aussi son courroux. Un jour que Diane prenait le bain avec ses nymphes dans un lieu solitaire, le chasseur Actéon y fut conduit par hasard : la déesse irritée le métamorphosa en cerf, de sorte que ses chiens, ne le connaissant plus, se jetèrent sur lui et le déchirèrent.
Calisto. — Argas. §
Calisto, nymphe d’Arcadie et compagne favorite de Diane, eut le malheur de se laisser séduire par Jupiter. Sa honte éclata par le refus qu’elle fit de se baigner avec Diane. La déesse indignée la chassa de sa cour, et Junon, portant plus loin le ressentiment, la changea en ourse.
Long-temps après, comme elle errait dans les bois, Arcas, son fils qui la rencontra, allait la percer d’un dard ; mais Jupiter voulant prévenir un parricide, enleva Arcas et sa mère, et les plaça au ciel, où ils forment les constellations de la grande et de la petite ourse. A la vue de ces astres nouveaux, Junon entra dans une telle fureur, qu’elle pria les dieux de la mer de ne pas permettre qu’ils se couchassent jamais dans l’Océan.
Chionée §
Chionée, petite fille du matin, et plus belle que l’Aurore, osa comparer ses attraits à ceux de Diane. Cette témérité lui coûta cher : la déesse la perça d’une flèche. Deucalion, son père, outré de douleur, se précipita du haut d’un roc ; Apollon le changea en épervier.
Endymion §
Comme la divinité du ciel, Diane ne put défendre son cœur des charmes d’Endymion. Ce jeune homme devint suspect à Jupiter, qui le condamna à un sommeil perpétuel. La déesse touchée du malheur de son favori, et craignant encore les funestes effets de la colère du dieu, cacha le beau berger sur le sommet d’une montagne.
Les mythologues disent qu’Endymion fut un roi d’Elyde, qui se retirait ordinairement dans une grotte à Latma, montagne de Carie, où était la ville d’Héraclée, et la Lune se rendait dans ce lieu.
Cette prétendue passion de la Lune pour ce prince est fondée probablement sur le goût d’Endymion pour l’astronomie, qui lui faisait passer les nuits sur une montagne pour mieux contempler le cours des astres.
Comment Diane est représentée §
Diane est aisée à reconnaître dans nos tableaux, où on la représente chaussée d’un cothurne, en habit court de chasse, portant sur l’épaule un arc et un carquois, et ayant un croissant sur le front, ou bien couverte d’un grand voile parsemé d’étoiles. Quelquefois elle est dans un char traîné par des cerfs ; quelquefois on la voit courant à pied avec son chien.
Le temple d’Éphèse . — Erostrate §
Le plus célèbre de tous les temples qui furent érigés en l’honneur de Diane était à Ephèse. On a cru long-temps que les Amazones avaient fait bâtir ce temple par l’architecte
. Il était d’une telle magnificence, qu’on le regardait comme une des sept merveilles du monde. Il avait quatre cent vingt-cinq pieds de longueur, sur deux cent trente-sept de largeur. On comptait dans l’enceinte du temple, cent vingt-sept colonnes dressées par autant de rois, qui avaient voulu renchérir à l’envi les uns sur les autres, et se surpasser par la dépense, la perfection de l’ouvrage, et leur zèle envers les dieux qu’ils adoraient. Ces colonnes avaient environ soixante pieds de hauteur ; trente-six entre autres étaient ornées de bas-reliefs admirables. Tous les peuples et tous les princes de l’Asie contribuèrent à la dépense de cet édifice merveilleux, qui ne fut pourtant achevé qu’au bout de deux cent vingt ans.Ce temple magnifique, décoré d’excellens tableaux et de belles statues, fut brûlé le jour même de la naissance d’Alexandre-le-Grand, roi de Macédoine, par un Ephésien, espèce de fanatique, nommé Erostrate, qui, n’ayant ni valeur ni talent pour acquérir de la réputation, voulut éterniser sa mémoire par le crime. Houdard de la Motte a dit avec raison :
Les grands crimes immortalisent,Ainsi que les grandes vertus.
Les Ephésiens, au désespoir de cette perte irréparable, défendirent, sous peine de la vie, de prononcer jamais le nom d’Erostrate : cette défense même servit à perpétuer sa mémoire, et se conserva avec l’histoire de l’incendie du temple.
Diane avait encore un temple fameux dans la Cherchonèse Taurique, aujourd’hui la Crimée, proche le Pont Euxin. On immolait des victimes humaines ; c’étaient les étrangers qui faisaient naufrage sur ces côtes.
Bacchus §
Bacchus, dieu du vin, était fils de Jupiter et de Sémélé. Les poètes racontent ainsi sa naissance :
Jupiter, épris de Sémélé, fille de Cadmus, roi de Thèbes, quittait souvent l’Olympe pour la voir. Junon, toujours attentive à troubler les plaisirs de son infidèle mari, n’eut pas plutôt connu sa rivale, qu’elle jura sa perte. Elle prit la figure de Béroé, nourrice de la princesse, et, par des discours perfides, elle lui inspira des doutes sur l’honneur que lui faisait le dieu ; lui faisant entendre que Jupiter ne se déguiserait pas sous la forme d’un mortel, mais qu’il paraîtrait avec tout l’éclat qui l’environne quand il approche de Junon. Elle lui conseilla de prier Jupiter, s’il l’aimait véritablement, de se faire voir à elle dans toute sa gloire. L’ambitieuse Sémélé tomba dans le piége qu’on lui tendait ; elle fit cette demande indiscrète. Le maître des dieux, pour la satisfaire, vint la voir avec le magnifique appareil de sa puissance ; mais, ne pouvant en soutenir l’éclat, elle fut frappée de la foudre, et son palais réduit en cendres. Jupiter sauva Bacchus dont Sémélé était enceinte, et l’enferma dans sa cuisse jusqu’à ce qu’il fût au terme de sa naissance. On dit que Bacchus vit le jour dans l’île de Naxe. La montagne sur laquelle il fut élevé, aux environs de Nysa, se nommait Méros ; qui, en grec, signifie cuisse : c’est sans doute ce qui a donné lieu à cette fable.
Les Hyades §
Sitôt que Bacchus fut né, Mercure le porta aux nymphes de la montagne, qui prirent soin de son enfance. Dans la suite, Jupiter, pour les récompenser, les plaça dans le ciel : c’est ce qu’on appelle aujourd’hui la constellation des Hyades, nommées ainsi de Bacchus, surnommé Hyé. Les poètes, qui disent que les Hyades étaient filles d’Atlas et d’Ethra, au nombre de sept, on feint qu’ayant perdu leur frère Hyas, déchiré par un lion, elles ne cessèrent de pleurer sa mort, et que Jupiter, par compassion, les transporta au ciel. Les pluies abondantes qu’elles produisent sont regardées comme les larmes qu’elles versent encore : c’est de là qu’on a formé leur nom d’un mot grec qui signifie pleuvoir.
Silène §
Silène fut le père nourricier de Bacchus ; il n’avait qu’un âne pour monture. Lorsque le dieu passa dans les Indes pour en faire la conquête, Silène l’accompagna, monté sur son âne, qui, au milieu du combat, se mit à braire d’une façon si terrible, que les éléphans dont les Indiens se servaient, en furent épouvantés et prirent la fuite. Cet incident contribua au gain de la victoire. Pour perpétuer le souvenir de ce grand événement, on plaça l’âne parmi les étoiles voisines du signe de l’écrevisse. Silène, à son retour des Indes, s’établit dans l’Arcadie, où il s’enivrait tous les jours. Il fut jeté, dit un poète, sur le rocher d’Etna, où le cyclope Polyphème le fit son esclave, jusqu’à ce qu’Ulysse vint l’en tirer. Silène était alors accompagné de ses fils, les Silènes, et cherchait sur mer Bacchus qu’il avait perdu.
Noms de Bacchus §
On donnait à Bacchus différens noms. Il est appelé Dionysius, qui signifie Jupiter, par allusion au dieu de qui il tenait le jour, ou de la ville de Nisa, où il régna. Évan, Évohé, dans la guerre des géans, Bacchus fut le seul de tous les dieux de l’Olympe qui n’abandonna pas le ciel ; transformé en lion, il contribua par sa valeur à la victoire que Jupiter remporta sur les monstrueux enfans de la terre. Pendant le combat, le maître des dieux lui criait : Évohé ! c’est-à-dire, courage ! Liber, parce qu’il inventa le vin, qui inspire la licence et dissipe les soucis ; le nom de Bromius, Jacchus, Bacchus, vient du bruit et des cris que faisaient les Bacchantes, le mot grec Bacchein, signifie hurler.
Symbole qu’on donnait à Bacchus. §
Suivant les poètes, Bacchus a trouvé l’usage du vin, et il est le premier qui ait attelé des bœufs à la charrue, c’est pour cela, sans doute, qu’on le peint avec des cornes à la tête. Elles marquent encore la force et la hardiesse ordinaire à ceux qui sont ivres. Le lierre lui était consacré, parce que cette plante, naturellement froide, dissipe les fumées du vin. Bacchus portait, au lieu de sceptre, une javeline entourée de lierre et de pampres ; cette javeline s’appelle thyrse : mot grec qui signifie proprement la tige d’une plante. Il avait à son char des tigres ou des panthères, pour montrer la fureur que le vin inspire, et qu’il fait perdre avec la raison tout sentiment d’humanité. On lui immolait la pie, parce que le vin fait parler indiscrètement ; et le bouc, parce que cet animal détruit les bourgeons de la vigne.
Fêtes de Bacchus §
Les fêtes de Bacchus s’appelaient parmi les Grecs Dionysia ; les Latins les nommaient Liberalia ou Bacchanalia, pour exprimer des fêtes où l’on ne gardait nulle mesure. Les Athéniens célébraient ces fêtes avec beaucoup d’appareil. En Italie, on les célébra d’abord trois fois l’année ; ensuite tous les mois ; mais le désordre y devint si affreux, que le sénat les supprima l’an de Rome 568. On y voyait des hommes travestis en satyres, en silènes, etc. Ces fêtes étaient aussi appelées orgies à cause de la fureur des Bacchantes. Ce mot orgie est purement grec, et signifie impétuosité, fureur. On le disait d’abord de toutes sortes de fêtes, mais on l’a restreint aux fêtes de Bacchus.
Les Bacchantes §
Les Bacchantes étaient une troupe de femmes qui, aux fêtes de Bacchus, faisaient l’office des prêtres et des sacrificateurs. C’étaient des espèces de fanatiques que les fumées du vin rendaient comme furieuse. Les premières Bacchantes accompagnèrent Bacchus dans ses voyages ; elles le suivaient partout, chantant, criant, sautant, et faisant toutes sortes d’extravagance, sans respect pour la pudeur, et sans égards pour les bienséances. On leur donnait des noms convenables à leur caractère et à leurs actions. Elles furent appelées Ménades, d’un mot grec qui signifie être en fureur, tant à cause de leurs cris que des cérémonies étranges qu’elles faisaient pendant les fêtes de Bacchus, où, après avoir dansé, sauté, et fait mille contorsions, elles passaient à des actions violentes, et allaient jusqu’à tuer ceux qu’elles rencontraient. Ces prêtresses de Bacchus couraient partout comme des furies, vêtues de peaux de tigres et de panthère, et tout échevelées ; elles portaient dans leurs mains des flambeaux ou des thyrses, grimpaient sur les montagnes, répétaient confusément des mots barbares, qui exprimaient assez bien la fureur dont elles étaient transportées, en criant : Evohe ! Bacche ! pour dire : Courage, Bacchus ; bien vous soit !
Bacchus fait la conquête de l’Inde. §
Devenu grand, Bacchus voulut parcourir le monde. Il leva une puissante armée d’hommes et de femmes, puis il partit pour la conquête des Indes. Ses soldats, au lieu de boucliers et de lances, portaient des tambours et des thyrses ; Bacchus, monté sur un char, traîné par deux tigres, portait un thyrse pour sceptre, et le pampre formait son diadème. Par les Indes, il ne faut pas entendre le pays qui s’étend jusqu’au Gange, mais seulement celui qui est au-delà de la Méditerranée, comme l’Arcadie et la Syrie ; c’étaient les provinces voisines seulement qu’on appelait les Indes.
Cette armée bruyante et tumultueuse était faite pour effrayer ; aussi les peuples de l’Inde s’enfuirent à son approche ; mais, revenus de leur première terreur, ils accoururent en foule au-devant de leur nouveau maître, qui, loin d’exiger des tributs et des otages, leur dit :
Ensemencez ce champ fertile, mais inculte,Plantez ces jeunes ceps le long de ces coteaux ;Dans ces rians vallons rassemblez vos troupeaux :Voilà mes lois, voilà mon culte.Je n’exerce point les horreursDu Dieu de Thrace et de Bellonne :Soyez libres ; je veux n’enchaîner que les cœurs.A vos princes soumis je laisse la couronne :Mais à condition que de votre bonheurIls me rendront un pur hommage.Je ne veux de mes droits que votre amour pour gage.Allez, soumettez-vous, et buvez au vainqueur..
Persuadées de la sincérité du dieu, toutes les villes lui ouvrirent leurs portes. Lorsque Bacchus eut fait la conquête de l’Arcadie, de la Syrie et des autres provinces de l’Inde, il quitta ses nouveaux sujets en leur disant :
Je confie à vos soins tout ce que j’ai soumis,D’autres vainqueurs feront garder leurs diadèmes :Je n’ai conquis que des amis,Et les cœurs se gardent d’eux-mêmes..
Prends part à la juste louangeDe ce dieu si cher aux guerriers,Qui, couvert de mille lauriersMoissonnés jusqu’au bord du Gange,A trouvé mille fois plus grandD’être le dieu de la vendange,Que de n’être qu’un conquérant..
Ariane §
En revenant des Indes, Bacchus rencontra dans l’île de Naxos l’infortunée Ariane, que Thésée avait abandonnée. Le dieu l’épousa, et lui donna une couronne d’or enrichie de pierreries : c’était le chef-d’œuvre de Vulcain, Après la mort de cette princesse, sa couronne fut mise au rang des signes célestes : ce sont huit étoiles dont trois entre autres brillent d’un grand éclat.
Érigone. — Icarius. — Méra. §
Dans ses voyages, Bacchus, ayant été cueilli par Icarius, séjourna quelque temps dans ses états ; il lui enseigna l’art de cultiver la vigne. Le temps des vendanges arriva. Icarius y invita les pasteurs du territoire d’Athènes ; mais ces hommes rustiques burent le nectar avec si peu de modération, qu’ils tombèrent dans une affreuse ivresse. S’imaginant être empoisonnés, ils tuèrent Icarius et le jetèrent dans un puits. Icarius était alors accompagné d’une petite chienne qu’il appelait Méra. Cet animal courut informer Érigone, fille d’Icarius de la mort de son père ; elle la tira par sa robe, jusqu’à ce qu’elle l’eût conduite au puits où était le corps du malheureux Icarius. Erigone se pendit de désespoir, après avoir accablé les meurtriers de malédictions. Méra mourut aussi de douleur. Depuis les dieux les placèrent tous trois à la voûte céleste : Icarius est la constellation du Bootès ; Erigone, le signe de la Vierge, et Méra celui de la Canicule.
Penthée §
Bacchus ne pouvait souffrir qu’on méprisât son culte. Penthée, Lycurgue et les Ménéides osèrent braver la puissance de ce dieu, et ils éprouvèrent les effets de son courroux.
Penthée, roi de Thèbes, était fils d’Echion et d’Agave ; il succéda à Cadmus, son grand-père. Voulant s’opposer à la licence qui s’était introduite dans le culte et les mystères de Bacchus, il alla sur le mont Cythéron où les Bacchantes célébraient les orgies. Ces femmes, dans un accès de fureur, couraient alors à travers les forêts et les montagnes, les cheveux épars, et poussant des cris effroyables. Comme elles connaissaient les desseins de Penthée, elles se jetèrent sur lui, et, pour satisfaire leur vengeance, elles le mirent en pièces. Les Thébains regardaient la mort cruelle de leur roi comme une punition de Bacchus.
Lycurgue §
Lycurgue, qu’il ne faut pas confondre avec le législateur de Lacédémone, voulut arracher les vignes qui étaient dans la Thrace où il régnait, et il se coupa lui-même les deux jambes. On regarda cet accident comme une vengeance de Bacchus.
Les Ménéides §
Les Ménéides, ou filles de Minée, refusaient à Bacchus le titre de fils de Jupiter. Elles affectèrent de travailler à des ouvrages de tapisserie, le jour destiné à ses fêtes ; ce dieu, pour les punir, les changea en chauve-souris, et leur ouvrage en lierre.
Mercure §
Mercure. Ce nom vient de Mercatura, négoce ; parce que ce dieu y présidait. Si l’on en croit
, il y a eu cinq Mercure ; l’un sans doute était éloquent, l’autre médecin, l’autre adonné au commerce, etc. Dans la suite, toutes ces qualités sont attribuées au seul fils de Jupiter et de Maïa, fille d’Atlas, lequel vit le jour en Arcadie, sur le mont Cyllène.Celui qui a fourni aux poètes le plus de matériaux pour la fable, est
ou trois fois grand, roi d’Egypte, qui vivait peu après . Il fut l’auteur des anciens livres qui concernaient la religion, et que les Egyptiens gardaient précieusement.Surnoms de Mercure. §
Mercure eut plusieurs noms pris de ces différens emplois. Il s’appelait Agoreus, dieu des marchés : sous ce nom, il avait une statue en Achaïe ; Camilla, comme ministre, ou plutôt serviteur de Jupiter : ce nom était affecté à ceux qui servaient aux sacrifices ; Cliophore, bélier : la peste ravageait la ville de Thèbes ; Mercure arrêta ce fléau en portant un bélier autour des murailles, c’est pourquoi on lui dressa un autel sous le nom de Mercure Criophore ; Cyllenius, de la montagne de Cyllène, où il était né ; Hermès, interprète : sous ce nom on attachait à sa statue des chaînes sortant de sa bouche, pour marquer qu’étant le dieu de l’éloquence, il enchaînait et captivait les auditeurs ; Nomius, à cause des lois qu’il donna ; Promachus, défenseur : Mercure avait sous ce nom un temple à Tanagre en Béotie ; Quadratus, parce qu’anciennement on le représentait sous la figure d’une pierre carrée ; Triceps, à trois têtes, ses fonctions l’appelant au ciel, sur la terre et dans les enfers ; Vialis, de via, chemin : on sait qu’il présidait aux chemins. A Rome, les statues de Mercure étaient placées dans les carrefours et autres endroits où plusieurs chemins aboutissaient, et elles servaient à indiquer la route : ces statues n’avaient ni pieds ni mains ; on les nommait Hermoe, Hermès. Mercure inventa plusieurs beaux-arts ; voilà pourquoi les Romains avaient coutume de placer sa statue auprès de celle de Minerve et sur le même piédestal. On appelait ce double buste Hermathènes, mot composé de Mercure et de Athéné, surnom de Minerve. Quand la statue de Mercure était adossée à celle de l’Amour, on leur donnait le nom commun d’Hermérotes, et la même statue jointe à celle d’Hercule se nommait Herméracles.
Emplois de Mercure. §
Jupiter donna à Mercure l’emploi de messager et d’ambassadeur des dieux ; il gouvernait leurs affaires et se chargeait des négociations les plus importantes. Afin, qu’il s’acquittât de ses messages avec plus de vitesse, on lui attacha des ailes aux talons et à la tête. Il portait en main un caducée, baguette autour de laquelle étaient deux serpens, symbole de paix et d’alliance.
Mercure avait plus d’occupation que tous les dieux ensemble. Dès le point du jour, il nettoyait la salle du festin et celle des assemblées ; ensuite il se trouvait au lever de Jupiter pour recevoir ses ordres et les porter de côtés et d’autres ; lorsqu’il était de retour, il servait de maître-d’hôtel, et quelquefois d’échanson. Après avoir été occupé le jour aux fonctions de sergent, d’orateur, d’athlète, il fallait que, la nuit, à l’heure où chacun repose, il allât, une baguette à la main, conduire les morts aux enfers et assister à leur jugement. Telle était l’idée populaire : il semblait qu’on ne pouvait mourir sans que ce dieu, avec sa verge d’or, n’eût rompu les liens qui attachaient à la vie. On croyait de plus que c’était par le moyen de cette baguette que passaient en d’autres corps, selon la doctrine de la métempsichose, les hommes qui avaient fait leur temps dans les Champs-Elysées. Cette fable vient sans doute de ce que le prince qu’on honore sous le nom de Mercure s’appliquait à la magie et à la nécromancie, exerçant l’art mystérieux d’évoquer les âmes des morts, comme la Pythonisse de l’Écriture Sainte. Selon les poètes, outre ces emplois, Mercure doit encore suivre Junon, soit pour lui servir d’escorte, soit pour veiller sur sa conduite. Si Junon garde son appartement, le maître des dieux, qui vient d’entamer une intrigue, l’envoie porter ses lettres. Il transporte à Pallène Castor et Pollux ; accompagne le char de Pluton enlevant Proserpine. C’est lui encore que les dieux nomment pour concilier les trois déesses prétendant au prix de la beauté, et pour être témoin du jugement de Pâris. Mais tous les services que Mercure rendit à Jupiter et aux autres dieux n’empêchèrent pas qu’il ne tombât dans leur disgrâce ; il fut chassé du ciel, et se vit réduit à garder les troupeaux.
Mercure est regardé comme le dieu des voleurs. Apollon, exilé aussi de l’Olympe, menait paître les bœufs du bon roi Admète. Mercure, fin et subtil, crut pouvoir s’approprier un troupeau à peu de frais. Dans ce dessein, il profita du moment où Apollon célébrait sur sa flûte ses amours pastorales ; le temps d’une cadence et d’une tenue lui suffit pour détourner et cacher les bœufs au fond d’un bois. Apollon, s’étant aperçu du vol courut à son arc pour en tirer vengeance ; Mercure, pour achever de le mortifier, détacha adroitement le carquois que ce dieu portait sur l’épaule, et le lui enleva. Ce n’était qu’un jeu d’enfant. Plus tard, il vola à Vénus sa ceinture, à Mars son épée, à Neptune son trident ; et c’est à bon droit qu’il est appelé le dieu des voleurs.
Selon quelques-uns, par ces vols faits aux dieux, on donne à entendre que Mercure était habile navigateur, adroit à tirer de l’arc, brave dans les combats ; et qu’à toutes ces qualités, il joignait les grâces et tous les charmes de l’éloquence.
Battus §
Mercure n’avait eu pour témoin de ce vol que le vieux berger Battus. Pour payer sa discrétion, il lui donna la plus belle vache du troupeau volé. Un moment après, le dieu reparaissant sous la figure d’Admète, demande à Battus des nouvelles de son troupeau ; il lui offre deux vaches pour récompense, s’il veut lui découvrir en quel lieu il est caché. Battus, calculant comme les négociateurs, vend son secret le double de son silence. Aussitôt Mercure irrité reprend sa première forme, et change l’indiscret en pierre de touche : c’est une pierre qui découvre de quelle nature est le métal qu’on lui fait toucher.
La Lyre. — Le Caducée. §
Apollon, trompé, molesté, fit d’abord grand bruit, mais tout cet éclat se termina par des complimens et des présens de part et d’autre. Mercure avait inventé la lyre.
et racontent que cette invention se fit de cette manière. Il trouva une tortue morte sur le sable du Nil ; il la vida toute avec un ferrement, fit plusieurs trous à la coquille, colla du cuir alentour, y mit deux cornes, et la monta de cordes de fil de lin, celles de boyaux de mouton n’étant pas encore en usage. Ces cordes étaient au nombre de neuf, en l’honneur des neuf muses. D’autres prétendent qu’il ne la monta que de sept, en l’honneur des sept Atlantides, dont Maïa était une. Quoi qu’il en soit, il en fit présent à Apollon, qui lui donna en échange une baguette de coudrier, laquelle avait la vertu de concilier tous les êtres divisés par la haine. Mercure pour éprouver le pouvoir de cette merveilleuse baguette, la jeta entre deux serpens qui se battaient ; aussitôt ils se réunirent autour, s’y entrelacèrent, et formèrent ainsi le caducée, principal attribut de Mercure. Ce dieu le portait toujours comme plénipotentiaire ; et c’est de là que ceux qui font cet office se nomment caduceatores.Aglaure §
Mercure étant devenu amoureux de Hersé, fille de Cécrops, roi d’Athènes, dans une fête qui se célébrait en l’honneur de Minerve, fit tous ses efforts pour mettre dans ses intérêts Aglaure, sœur d’Hersé. Elle lui promit de s’employer en sa faveur, moyennant qu’il lui donnerait une somme d’argent assez considérable. Minerve, irritée de ce trafic honteux, ordonna à l’Envie de rendre Aglaure jalouse de sa sœur. Mercure, ne pouvant supporter les obstacles qu’elle lui opposait, le changea en statue de pierre.
Culte qu’on rendait à Mercure. §
Mercure avait un temple dans plusieurs villes du Péloponèse. Les Grecs et les Romains célébraient ses fêtes au mois de mai, consacré à Maïa, mère du dieu. Ils lui immolaient une truie pleine, quelquefois un veau, mais principalement les langues des victimes, comme au dieu de l’éloquence. En Egypte, on lui sacrifiait la cigogne, et chez les Gaulois des victimes humaines. Les portes des maisons étaient sous la protection de Mercure ; on les décorait de son image, persuadé qu’il en écartait les voleurs.
Attributs de Mercure. §
On représente Mercure sous la figure d’un jeune homme leste, riant, presque toujours nu, quelquefois à moitié couvert d’un petit manteau. Son bonnet et ses talons portent toujours des ailes ; il tient, suivant la circonstance, un caducée, une bourse, des chaînes d’or, une lyre, ou une baguette. On met à ses pieds un coq, une tortue ou un bélier.
Sens Historique. §
Pour entendre le sens historique de cette fable, il faut savoir que les anciens, peu curieux observateurs de la chronologie, ont confondu plusieurs Mercure en un seul : le Mercure fils de Maïa et petit-fils d’Atlas, régna après Jupiter, son père, dans une partie de l’Italie et des Gaules. Les qualités de son esprit ont fait dire qu’il était le dieu des voleurs et l’inventeur de plusieurs arts ; car il était fin, dissimulé, fourbe et artificieux. Il consultait les savans, et profitait de leurs entretiens pour s’instruire dans les sciences et dans les arts. Les négociations délicates où il fut employé l’ont fait passer pour l’interprète et le messager des dieux.
Vénus. §
Vénus naquit de l’écume de la mer. Lorsqu’elle sortit du sein des ondes, Zéphir la reçut dans une conque marine, et la porta en Cypre, où les Heures se chargèrent du soin de l’élever :
Éducation de Vénus. §
Si l’on en croit certain poète, l’éducation de Vénus ne ressemble point à celle de la plupart des jeunes filles ; être belle sans orgueil, aimable sans coquetterie, instruite sans prétentions, amie discrète, épouse vertueuse et bonne mère, ce fut là tout ce qu’on exigea d’elle. Sur ces principes, qui valaient bien les nôtres, ses institutrices établirent leur plan d’instruction, et lui disaient :
« Méprisez l’art de la parure,« Il n’en faut que pour la laideur :« Soyez modeste ; la pudeur« Est le fard qui sied à votre âge :« Que le trésor de vos attraits« Soit toujours voilé d’un nuage.…………………………………………………………………………« Ne prétendez point à l’esprit,« Et surtout gardez-vous d’en faire.« Parlez peu, mais bien ; ce qu’on dit« Jamais ne peut manquer de plaire,« Quand la raison, quand la gaîté,« Quand le sentiment assaisonne« Un mot dont la simplicité« N’offense l’orgueil de personne.…………………………………………………………………………« Quoique femme, soyez discrète :« Songez qu’il est cruel d’oser sacrifier« Un jeune cœur qui vient nous confier« Son espoir, son bonheur, ou sa peine secrète ;« Et qu’un secret dont on prend la moitié« Est un dépôt sacré qu’on ne peut se permettre« D’aller divulguer, sans commettre« Un sacrilége en amitié. »[]
Les Heures enseignaient aussi à leur élève les devoirs de l’humanité ; elles lui disaient tour à tour :
« A peine l’univers commence,« Il est déjà des malheureux :« Ne dédaignez pas l’indigence.« Le plus noble attribut des dieux,« Ma fille, c’est la bienfaisance.« Si vous saviez comme il est doux« De visiter sous leur chaumière« Les mortels que le sort jaloux« A condamnés à la misère ;« De compatir à leurs malheurs :« De mêler nos soupirs aux leurs,« D’entrer dans leur douleur profonde,« De leur prouver par nos soins réunis,« Qu’ils ne sont pas seuls dans le monde,« Et que les malheureux ont encor des amis ! ».
Ce fut par de semblables conseils que ces sages institutrices formèrent le cœur et l’esprit de leur élève ; elles lui apprirent encore les belles manières et l’art de se rendre agréable, et elles lui disaient : Ma fille, si vous voulez plaire,
« Que vos grâces soient naturelles ;« Ne les contrefaites jamais :« Dès que l’on veut courir après,« On commence à s’éloigner d’elles. »..
Après quelques années d’une telle éducation, l’élève des Heures se trouva si accomplie, que les dieux voulurent la voir, pour s’assurer eux-mêmes de tout ce que la renommée en publiait. Son maintien noble et décent, ses grâces naïves, son modeste embarras lui gagnèrent tous les cœurs : le maître des dieux lui donna la couronne de la beauté. Mars, Apollon, Bacchus voulaient l’épouser, mais Jupiter prononça en faveur de Vulcain, pour le récompenser des services qu’il lui avait rendus dans la guerre des Géans.
On donne à Vénus les noms des lieux où elle était particulièrement adorée : Cypris, de l’île de Cypre ; Cythéré, de Cythère, où elle avait un temple. Paphos, Idalie, Amathonte, etc., lui dressèrent des autels. Suada ou Pitho est souvent regardée comme sa compagne. Pitho vient d’un mot grec qui signifie persuader.
Vénus avait pour ornement particulier, une ceinture qu’on appelait ceste ; ce tissu mystérieux renfermait tout ce que les charmes ont de plus séduisant : la déesse eut soin de l’étaler lorsqu’elle voulut avoir le suffrage de Pâris. Les savans prétendent que la Vénus de la fable fut une reine de Phénicie, nommée Astarbe ; mais il est probable que toutes les histoires publiées sur les Vénus de plusieurs pays ont été mises ensuite sur le compte d’une seule à laquelle on a donné différens noms, comme Vénus marine, Vénus céleste, etc.
Les trois Grâces. §
Aglaé, Thalie et Euphrosyne, surnommées les trois Grâces, étaient filles de Vénus, et elles ne la quittaient point.
On les peint nues, jeunes, riantes et se tenant par la main. Elles sont nues pour montrer que les grâces n’empruntent rien de l’art, et qu’elles n’ont d’autres charmes que ceux de la nature ; elles sont jeunes, parce que les agrémens sont le partage de la jeunesse, et que la mémoire d’un bienfait ne doit jamais vieillir. Les poètes ont feint qu’elles étaient petites et d’une taille fort menue, pour faire entendre par là, que les agrémens consistent dans les petites choses : un geste, un sourire. Elles sont dans l’attitude de personnes qui dansent, se tenant par la main sans se quitter, pour nous apprendre que nous devons, par des bienfaits réciproques, serrer les nœuds qui nous attachent les uns aux autres ; qu’il doit y avoir entre les hommes une circulation de bienfaits, et que, par le moyen de la reconnaissance, le bienfait doit retourner à celui de qui on l’a reçu. On place les Grâces au milieu des Satyres fort laids, sans doute pour nous faire entendre que les défauts de la figure peuvent se réparer par les agrémens de l’esprit, et qu’il ne faut juger personne sur de simples apparences. On dit qu’elles étaient vives et légères, parce qu’il faut obliger promptement, et qu’un bienfait ne doit point se faire attendre ; qu’elles étaient vierges, parce que l’inclination à rendre service doit être accompagnée de prudence et de retenue.
Ces aimables divinités ont eu des temples et des autels. Etéocle, roi d’Orchomène, fut le premier qui leur en éleva un, et qui leur assigna un culte particulier. On leur rendit des honneurs à Byzance, Delphes, Elis, Perges, Périnthe et à l’île de Paros. Les temples consacrés à Vénus l’étaient très-souvent aux Grâces, et elles avaient place quelquefois dans ceux de Mercure. Les Grâces et les Muses n’avaient pour l’ordinaire qu’un même temple. Le printemps leur était spécialement consacré. Dans la plupart des repas on invoquait les Grâces, et l’on buvait trois fois en leur honneur. La plus belle de toutes leurs prérogatives était de présider aux bienfaits et à la reconnaissance ; aussi, dans toutes les langues, lorsqu’on veut exprimer la reconnaissance et les bienfaits, on se sert de leurs noms.
Péristère §
Péristère était une nymphe de la suite de Vénus. Cette déesse, se trouvant avec son fils dans un endroit charmant, tapissé de fleurs, se vanta d’en cueillir plus que Cupidon qui accepta le défi. L’Amour voltigeait de fleur en fleur, et, avec le secours de ses ailes, il était prêt de remporter la victoire ; mais Péristère aida Vénus, et lui fit gagner la gageure. L’Amour, piqué d’être vaincu, changea la nymphe en colombe. Dès ce moment, ces oiseaux devinrent chers à Vénus, et elle les attela à son char. Péristère, nom grec, signifie une colombe ; tout le reste de la fable est de l’invention des poètes.
Adonis §
Myrrha, fille de Cyniras, roi de Cypre, ayant encouru le juste ressentiment de son père, se sauva en Arabie. Elle portait alors Adonis dans son sein. Lasse de l’exil, Myrrha pria les dieux de terminer ses peines ; ils la métamorphosèrent en l’arbre qui porte son nom. Le temps de ses couches étant arrivé, l’arbre s’ouvrit pour donner le jour à l’enfant, et les nymphes du voisinage le reçurent. Adonis, devenu grand, se rendit à la cour de Byblos en Phénicie, où Vénus éprise de sa beauté, le préféra aux dieux mêmes. Pour le voir sans cesse, elle parcourait les montagnes et les bois, et supportait sans se plaindre toutes les fatigues de la chasse. La déesse, s’oubliant elle-même, ne tremblait que pour Adonis : elle craignait qu’il ne s’exposât trop en poursuivant les bêtes sauvages.
Mars, jaloux de la préférence que Vénus donnait à ce jeune prince, employa le secours de Diane pour faire périr son rival. Cette déesse suscita un sanglier énorme auquel elle lança son javelot : le sanglier s’en étant déféré, se jeta sur Adonis et le mit en pièces. Vénus vint trop tard au secours de son favori, il venait de rendre le dernier soupir : elle le changea en anémone.
On consacra la rose à Vénus, parce que cette fleur qui était blanche, ayant piqué Adonis d’une de ses épines, fut teinte de son sang. Le myrthe lui était aussi dédié.
Le saut de Leucate §
Leucate ou Leucade était un lieu élevé près de Nicopolis ; Apollon y avait un temple. Tous les ans, du haut de ce promontoire, on précipitait un criminel à qui on avait attaché des plumes, et qui était reçu au bas du précipice, sur des barques rangées en cercles. On croyait que ceux qui faisaient ce saut sans se noyer, étaient guéris de leur amour. L’illustre Sapho chercha dans les ondes l’oubli d’un ingrat qui la dédaignait : elle se précipita dans la mer, et périt.
Cupidon ou l’Amour §
Cupidon était fils de Vénus et de Mars. A peine eut-il vu le jour, que Jupiter, lisant sur sa physionomie douce et perfide tout le mal qu’il ferait aux hommes, engagea sa mère à l’abandonner. Vénus, pour le soustraire aux desseins funestes du maître des dieux, prit son fils dans ses bras, et faible encore, elle se traîna avec ce doux fardeau dans les forêts de l’île de Cypre. Là, elle oublia les plaisirs brillans de la cour céleste, et s’enivra des délices de l’amour maternel.
Elle éprouvait cent fois le jourCe mélange d’inquiétudes,D’ivresse, de sollicitudes Inséparables de l’amour.Ses soins étaient plaisirs pour elle ;Les soins de mère sont si doux !Son fils jouait sur ses genoux,Ou bien pendait à sa mamelle.Reposait-il : « Vents, taisez-vous,« Zéphirs, flattez-le, disait-elle ;« Embaumez-le, rose nouvelle ;« Sommeil, verse lui les pavots« Que tu me destinais : je veille« Si doucement quand il sommeille !« Comme il sourit ! Que le repos« Donne de grâce à l’innocence !…………………………………………………………………………« Mais ses traits semblent s’altérer ;« Il souffre ! S’il allait pleurer !« Non, ses yeux s’ouvrent, il soupire,« Et s’éveille pour me sourire. ».
Psyché §
Psyché, dont le nom signifie cœur ou âme, était la déesse de la volupté. Vénus fut si jalouse de ce qu’elle avait charmé son fils, qu’elle la persécuta jusqu’à la faire mourir. Jupiter lui rendit la vie, et lui donna l’immortalité en faveur de l’Amour.
Neptune §
Neptune, fils de Saturne et de Rhée, frère de Jupiter et de Pluton, fut un des princes Titans qui, dans le partage que les trois frères firent de l’univers, eut pour son lot la mer, les îles et tous les lieux circonvoisins ; aussi est-il regardé comme dieu de la mer. Chassé du ciel avec Apollon pour avoir conspiré contre Jupiter, ces deux divinités fugitives s’unirent pour se consoler de leur disgrâce. Neptune se fit architecte. Laomédon le pria de rebâtir ses murailles. Les pierres, taillées par Neptune, s’élevaient et se plaçaient d’elles-mêmes au son de la lyre d’Apollon. Le prince troyen, charmé des talens de ses architectes, les combla d’éloges, mais il refusa de leur donner le prix dont ils étaient convenus. Pour le punir de sa mauvaise foi, Apollon infecta l’air d’une vapeur pestilentielle, et Neptune, par une inondation, suscita des monstres marins qui ravagèrent cette malheureuse contrée.
Culte rendu à Neptune. §
Les Romains célébraient des fêtes en l’honneur de Neptune, le premier jour du mois de juillet, et lui consacraient le mois de février, pendant lequel ils tâchaient de se rendre le dieu favorable pour l’époque prochaine de la nouvelle navigation. Les libations, qui, pour les autres dieux, étaient composées de vin, de lait et de miel, se faisaient en l’honneur de Neptune avec l’eau de la mer, des fleuves et des fontaines. On immolait le plus souvent un taureau sur ses autels ; mais quelle que fut la victime amenée dans son temple, les prêtres lui en présentaient toujours le fiel, par analogie avec l’amertume de la mer. Ces cérémonies amenaient un concours prodigieux à Rome, et surtout à l’isthme de Corinthe, où Neptune avait un temple célèbre, dans lequel on voyait sa statue faite d’airain et haute de sept coudées. Son culte était si universel, qu’en parcourant les rivages de la Grèce, de la Sicile et de l’Italie, on trouvait dans le moindre hameau un temple ou au moins un autel dédié au dieu de la mer. Malgré la pompe de ces fêtes, on y était à pied ; car les chevaux et même les mulets, que l’on couronnait de fleurs, ne travaillaient point : ils honoraient par le repos le dieu auquel ils devaient l’existence. Neptune avait aussi un temple magnifique dans l’île Atlantique, où des figures d’or le représentaient sur un char traîné par des chevaux ailés.
Les Fleuves §
Les dieux auxquels Neptune confiait une portion de son autorité, étaient les Fleuves, pour lesquels on avait presque autant de vénération que pour Neptune lui-même. On leur immolait des taureaux blancs, quelquefois même des chevaux, comme aux dieux de la mer.
Les Fleuves étaient représentés nus, couronnés de roseaux, le sein couvert d’une barbe vénérable, et appuyés sur une urne qui versait leur onde blanchissante. Ils tenaient une ancre ou un gouvernail quand les vaisseaux pouvaient voguer entre leurs rivages.
Amphitrite. — Les Dauphins. §
Neptune, au milieu d’une cour brillante, éprouvait souvent de l’ennui. Un jour, cherchant à se distraire, il dirigea ses pas au pied du mont Atlas : là, il aperçut Amphitrite, fille de Doris et de l’Océan ; il la vit et l’aima. Le dieu pensa aussitôt qu’une compagne si aimable répandrait sur ses jours un bonheur inconnu pour lui jusqu’alors, et il résolut de la demander en mariage. Avant d’envoyer ses ambassadeurs au père de la princesse, il voulut lui rendre visite ; mais son teint basané, ses yeux verdâtres, sa chevelure humide, sa barbe limoneuse, sa couronne de roseaux, et sa fourche à trois dents ne plurent point du tout à la nymphe. En vain fut-il soumis et respectueux, en vain mit-il en usage les soins et les empressemens : Amphitrite ne put se résoudre à l’épouser. Privé par sa laideur d’une compagne charmante, et par son rang des consolations de l’amitié, Neptune trouvait son sort déplorable, lorsque deux de ses sujets devinant la cause de ses chagrins, vinrent secrètement lui offrir leurs services sans intérêt.
Sans intérêt ! on le dit ; je le crois.Un simple citoyen doit respecter l’histoire,Mais sitôt que j’aurai le malheur d’être roi,Je fais serment de n’y pas croire..
Le roi des mers, devenu confiant par faiblesse, ou par nécessité, prit les deux dauphins pour ses confidens, et se reposa sur eux du soin de son bonheur. Ils allèrent trouver Amphitrite, et n’épargnèrent rien pour lui procurer les avantages de l’union qu’on lui proposait. L’un d’eux grand improvisateur, lui dit : Madame,
« Le roi qui vous adore est le maître de l’onde,« De son empire immense il embrasse le monde.« Vulcain, Eole et ses enfans« Reconnaissent partout sa puissance immortelle.« Il renouvelle tous les ans« La couronne de Flore et celle du printemps,« Et la ceinture de Cybèle. ».
Pendant que le dauphin parlait, l’image sombre de Neptune se présenta au souvenir d’Amphitrite, et ternit à ses yeux tout l’éclat de sa cour. L’émissaire s’en aperçut ; mais feignant de croire la nymphe au-dessus de son sexe par la solidité de son esprit, il lui fit entendre qu’il n’attribuait sa résistance qu’à une timide réserve, et nullement à la figure grotesque de son futur époux, dont, à l’en croire, la mise négligée cachait de beaux traits et un air noble ; il ajouta :
« Mais que sont la beauté, les trésors, la grandeur,« Au prix des qualités de l’esprit et du cœur ?« Il n’est dans tous ses traits pas un seul qui n’annonce« Son génie, et surtout sa sensibilité :« Tout ce qu’il dit, la raison le prononce ;« Ce qu’il écrit, les Grâces l’ont dicté ;« Et dès que le malheur réclame sa bonté,« Le bienfait accompagne ou prévient sa réponse.« Mais voici l’heureux jour où, pour combler nos vœux« Et signaler son auguste alliance,« Il confie à vos mains le dépôt précieux« Des trésors de sa bienfaisance,« Et vous commet le soin de faire des heureux. ».
En cet endroit l’orateur s’arrêta ; ce n’est pas qu’il n’eût encore de fort belles choses à dire ; mais la vive émotion d’Amphitrite, au récit du bien qu’elle pouvait faire sur le trône, ne lui permit pas de refroidir le pathétique de ce tableau par des détails frivoles et rabattus. Il ajouta seulement pour la décider :
« Que tardez-vous ? l’Amour, les plaisirs vous demandent,« Votre peuple s’empresse au-devant de vos pas ;« Le trône est préparé, l’Hymen vous tend les bras,« Et les malheureux vous attendent. ».
L’éloquent et adroit orateur réussit à persuader Amphitrite : il eut la gloire de la conduire lui-même à son époux. Ce service important mérita au dauphin une place parmi les astres, assez près du Capricorne. Neptune donna à tous les dauphins en général, la vitesse sur tous les autres poissons, et un certain penchant qui les porte à aimer les hommes.
Cette fable d’un personnage qui n’a jamais existé est toute d’invention. Amphitrite n’a aucune analogie avec l’histoire ; son nom vient de ce que la mer environne les terres. Par Neptune, les anciens entendaient l’élément de l’eau : Amphitrite qu’ils lui donnaient pour femme, est l’eau même. L’entreprise du dauphin n’a été que pour marquer qu’il surpasse tous les autres poissons en industrie. Neptune, mis au rang des immortels, et regardé comme le dieu de la mer, était sans doute un prince, un héros ou un capitaine qui commandant une grande armée navale, s’était signalé par ses talens et ses actions héroïques dans quelque combat sur mer.
L’origine de toutes les histoires que l’on met sur le compte de Neptune vient de ce que les poètes ont donné ce nom aux princes inconnus, ou qui venaient par mer s’établir dans quelque nouvelle contrée ; ils donnaient encore ce nom à ceux qui régnaient dans les îles, ou qui s’étaient rendus célèbres par l’établissement du commerce.
Comment on représentait Neptune. §
Au lieu de sceptre, Neptune porte un trident ; son char est une vaste coquille, ses
coursiers des veaux marins, ou des chevaux qui avaient en bas la forme de poissons. Son
cortége consistait en plusieurs tritons qui l’accompagnaient, sonnant de la trompette.
On peut lire dans « Alors, dit-il, nous
aperçûmes des dauphins couverts d’une écaille qui paraissait d’or et d’argent ; en se
jouant, ils soulevaient les eaux… Après eux venaient des tritons qui sonnaient de la
trompette avec leurs conques recourbées ; ils environnaient le char d’Amphitrite
traîné par des chevaux marins plus blancs que la neige, et qui, fendant l’onde salée,
laissaient loin derrière eux un vaste sillon dans la mer, leurs yeux étaient enflammés
et leurs bouches fumantes ; le char de la déesse était une conque d’une merveilleuse
figure ; elle était d’une blancheur plus éclatante que l’ivoire, et les roues étaient
d’or. Le char semblait voler sur la surface des eaux paisibles ; une troupe de nymphes
couronnées de fleurs nageaient en foule derrière le char ; leurs beaux
cheveux-pendaient sur leurs épaules et flottaient au gré des vents ; la déesse tenait
d’une main un sceptre d’or pour commander aux vagues ; de l’autre elle portait sur ses
genoux le petit dieu Palémon son fils, pendant à sa mamelle ; elle avait un visage
serein et une douce majesté qui faisait fuir les vents séditieux et toutes les noires
tempêtes ; les tritons conduisaient les chevaux, et tenaient les rênes dorées : une
grande voile de pourpre flottait dans l’air au-dessus du char ; elle était à demi
enflée par le souffle d’une multitude de petits zéphyrs qui s’efforçaient de la
pousser par leurs haleines : on voyait au milieu des airs, Eole empressé, inquiet,
ardent ; son visage ridé et chagrin, sa voix menaçante, ses sourcils épais et
pendans ; ses yeux pleins d’un feu sombre et austère tenaient en silence les fiers
aquilons, et repoussaient tous les nuages. Les immenses baleines et tous les monstres
marins, faisant un flux et reflux de l’onde amère, sortaient à la hâte de leurs
grottes profondes pour voir la déesse. »
Triton §
Le premier Triton, qui, selon toute apparence, a donné son nom aux autres, fut le fils aîné et le favori de Neptune. Les uns lui donnent pour mère Amphitrite ; d’autres, la nymphe Céléno. La partie supérieure de son corps avait la figure d’un homme, et le bas finissait en une grande queue double ressemblant à celle des dauphins. Triton, trompette de Neptune, en sonna dans la guerre que les dieux eurent à soutenir contre les Géans ; ces colosses, épouvantés d’un son si extraordinaire, prirent la fuite, et laissèrent aux dieux la victoire. Les tritons protégeaient la navigation.
Les Harpies §
Les Harpies, ainsi nommées d’un mot grec qui signifie j’emporte de force, étaient filles de Thamas et d’Electre, fille de l’Océan et sœur d’Iris, ou, selon d’autres de Neptune et de la Terre. Elles étaient trois, Céléno, Ocypéto et Aëlo : ces monstres voraces avaient un visage de fille, un corps de vautour, des ailes aux côtés et des griffes aux mains. On les appelait aussi oiseaux stymphalides ; tout ce qu’elles trouvaient, elles le dérobaient, ou le laissaient infecté de leur attouchement. Voici ce que la fable raconte de ces animaux, qu’on regardait comme les chiennes de Jupiter et de Junon.
Phinée, roi de Thrace, connaissant les secrets des dieux fut assez téméraire pour les révéler aux hommes. Pour le punir, Jupiter le condamna à perdre la vue. Le soleil exécuta la sentence. Le maître des dieux voulut encore que l’infortuné éprouvât une faim perpétuelle, et il envoya les Harpies, qui enlevaient tout ce qu’on servait sur sa table. Le supplice de ce prince dura jusqu’à l’arrivée des Argonautes dans ses états. Le bon accueil qu’il leur fit engagea Calaïs et Zétès, fils ailés de Borée de le défaire de ces monstres.
Nymphes. §
L’Océan, fils de Neptune et d’Amphitrite, est regardé comme le père des fleuves. Il eut de Téthys, sa femme, Nérée et Doris, qui, s’étant mariés ensemble, mirent au monde un grand nombre de filles, connues sous le nom de nymphes. Les unes présidaient aux forêts, aux prairies, aux montagnes, et s’appelaient Dryades, Hamadryades ou Napées et Oréades ; les Nayades avaient la garde des fontaines.
Néréïdes §
Les nymphes qui commandaient sur la mer furent appelées Néréïdes, du nom de leur père Nérée. La plus illustre des Néréïdes se nommait Tétis. Cette nymphe qu’il ne faut pas confondre avec Téthys, la grande déesse des eaux, était la plus belle personne du monde. Jupiter voulait l’épouser ; mais, ayant appris du destin que cette nymphe donnerait le jour à un fils qui serait plus grand et plus illustre que son père, le roi du ciel renonça à ses prétentions, et Thétis épousa Pélée, qui en effet devint père d’Achille.
Les Syrènes. §
Les Syrènes étaient filles du fleuve Achéloüs et de Calliope. On les nommait Leucosie, Lydie et Parthénopée. Cette dernière donna son nom à une ville célèbre d’Italie, où l’on prétend qu’elle mourut.
Les Syrènes avaient la voix fort belle, et pinçaient le luth d’une manière admirable. Orphée, qui accompagnait les Argonautes, voulant empêcher ses compagnons d’être séduits par la douceur de leur voix, prit son luth, sur lequel il chanta avec tant de perfection les batailles des dieux, que de désespoir, elles devinrent muettes, et jetèrent leurs instrumens dans la mer. Circé apprit à Ulysse le secret de se soustraire aux dangereuses Syrènes.
Protée §
Protée, fils de l’Océan et de Téthys, avait la garde des troupeaux de Neptune, composés de phoques ou veaux marins. Protée se distinguait des autres dieux de la mer par la connaissance de l’avenir ; mais pour avoir son secret, il fallait le lier avec des cordes pendant son sommeil, sans cela il s’échappait au moment où l’on croyait le tenir : tigre, lion, serpent, il prenait toutes les formes pour effrayer ceux qui le consultaient.
Glaucus §
Glaucus faisait le métier de pêcheur. Un jour il s’aperçut que des poissons qu’il venait de poser sur le rivage, ayant goûté d’une certaine herbe, prenaient de la force et resautaient ensuite dans l’eau, il voulut en faire l’épreuve : dès qu’il en eut mangé, il se précipita dans la mer, où les dieux marins le reçurent dans leur compagnie.
Ino et Mélicerte §
On met au nombre des divinités de la mer, Ino et Mélicerte. Junon, toujours irritée contre le sang d’Agénor, père d’Europe et de Cadmus, troubla l’esprit d’Athamas, roi de Thèbes, au point qu’il voulut massacrer Ino et ses enfans. Surprise d’une telle violence, elle s’échappa avec Mélicerte, son fils, qu’elle tenait dans ses bras, et se précipita dans les flots. Neptune les reçut l’un et l’autre au nombre des dieux marins. Ino prit le nom de Leucothé, et Mélicerte celui de Palémon.
Phorcys §
Phorcys, dieu marin du second ordre, auquel les pilotes adressaient leurs vœux dans la tempête, était fils de Neptune et père de Méduse. Chassé par Atlas des royaumes de Corse et de Sardaigne, il trouva un asile à la cour de son père, c’est-à-dire, qu’il se noya.
Charybde et Scylla §
Charybde et Scylla sont deux monstres marins que les poètes placent dans le petit détroit qui sépare la Sicile de l’Italie.
L’une se cache sous sa roche,Où tout nocher qui s’en approcheTrouve le trépas qui l’attend :L’autre, dans sa soif renaissante,Engloutit la mer mugissante,Qu’elle revomit à l’instant..
Charybde, était, dit-on, une femme cruelle, qui se jetait sur les passans pour les piller. Elle déroba quelques bœufs à Hercule, qui la tua, et elle fut changée en un monstre marin, ou plutôt en un gouffre, qui est à l’opposite de celui de Scylla. Charybde s’appelle aujourd’hui Galopharo et Scylla Scyllo ; l’un et l’autre sont des écueils dangereux.
Scylla, selon la fable, était fille de Phorcys et d’Hécate. Elle fut aimée de Neptune. Amphitrite, par jalousie, empoisonna la fontaine où la nymphe allait se baigner, et elle devint affreuse. Scylla méconnaissable à ses propres yeux, eut horreur d’elle-même, et dans son désespoir elle se précipita dans la mer, près du détroit qui porte son nom. D’autres, qui attribuent à la jalousie de Circé la méchante action d’Amphitrite, ajoutent que Scylla en tira vengeance en faisant périr les vaisseaux d’Ulysse, que cette magicienne aimait.
, dans l’Odyssée, donne à Scylla six têtes et douze pieds ; chaque tête avait trois rangs de dents, sa bouche, d’une grandeur effroyable, avalait les vaisseaux tout entier ; elle avait autour de sa ceinture des chiens qui dévoraient ceux qui tombaient dans son gouffre. Ce qui a donné lieu aux aboiemens des chiens, c’est le bruit que fait l’impétuosité de l’eau quand elle se précipite dans le gouffre fort serré qui est entre Reggio et Messine. Une autre Scylla s’est rendue fameuse par sa perfidie ; voici son histoire.
Scylla. — Nisus §
Minos, roi de Crète, vint mettre le siége devant Mégare pour venger la mort de son fils Androgé. Scylla, fille de Nisus, roi des Mégariens, conçut pour lui un amour insensé. Elle allait sur les murs de la ville pour entendre les sons harmonieux que rendaient les pierres lorsqu’on les touchait. Apollon, qui avait fait construire les murailles de Mégare, posait souvent sa lyre sur les pierres et leur avait communiqué cette vertu. Scylla du haut des tours se plaisait à considérer Minos dans les exercices militaires ; bientôt sa passion la détermina à le rendre maître de la place.
Le destin de la ville dépendait d’un cheveu couleur de pourpre que Nisus avait sur la tête ; Scylla le lui déroba pendant son sommeil, et le porta triomphante à Minos. Ce sage roi eut tant d’horreur de cette perfidie, qu’il l’abandonna. Elle fut changée en alouette et Nisus en épervier, qui va toujours la persécutant pour sa trahison.
Par le cheveu couleur de pourpre de Nisus, il faut entendre les résolutions secrètes de son conseil que Scylla découvrit, et les clefs de la ville qu’elle prit pendant son sommeil.
Alcyons. §
Les Alcyons, oiseaux marins, font leur nid sur la surface des flots, et présagent le calme, surtout pendant que leurs nids flottent sur la mer : la tempête semble respecter leurs petits. Ce temps est borné à quatorze jours, que les marins nomment dies Alcyonei ; il y en a sept avant le vingt décembre et sept après. Ces oiseaux intéressans ont une noble origine : Alcyone, femme de Ceix, roi de Trachine, ayant vu en songe le naufrage de son époux, qui était allé à Delphes consulter l’oracle, courut au lever de l’Aurore sur le rivage ; elle aperçut de loin un corps flottant qu’elle reconnut pour celui de son mari ; elle allait s’élancer dans la mer pour le rejoindre, quand les dieux, touchés de son amour conjugal, la changèrent ainsi que son mari en Alcyons.
Eole §
Entre les dieux marins, Eole, arbitre de la mer, tient un rang distingué. Eole, fils d’Hippotas, descendait de Deucalion. Sa grande sagesse l’a fait passer pour fils de Jupiter. Il présidait aux vents et aux tempêtes, parce que ce prince, habile pour ce temps-là dans l’art de la navigation, savait conduire un vaisseau sur une mer orageuse. Après en avoir fait son étude, Eole présidait par l’inspection du ciel quel vent devait souffler. Le peuple ignorant se persuada que ce prince tenait les vents enfermés dans une île de Sicile où il faisait sa demeure, qu’il leur donnait la liberté comme il le jugeait à propos.
Eole vivait du temps de la guerre de Troyes. Il régnait dans les îles Eoliennes, situées au nord de la Sicile ; les mêmes que celles où les poètes disent que Vulcain tenait ses forges. On donne à Eole six garçons et six filles ; ce sont sans doute les douze vents principaux. Quand on avait un voyage à faire, on lui offrait un sacrifice.
Les Vents. §
Les Vents, divinités fougueuses, étaient fils du titan Astrée et de l’Aurore. Les poètes leur donnent Eole pour roi. Les philosophes se sont figurés que les vapeurs de la terre mêlées aux influences des astres, étaient la cause des vents ; c’est pourquoi quelques-uns les font fils du Ciel et de la Terre. Quand on entreprenait quelque voyage sur mer, on leur faisait des sacrifices. On assure que les anciens Perses leur immolaient des victimes. Enée, dit
, sacrifia aux Zéphyrs une brebis blanche. Scipion et Auguste bâtirent un temple en l’honneur d’Eole. L’auteur du livre de la Sagesse met au nombre des divinités des Gentils l’Air et le Vent ; ainsi il est présumable que les Grecs prirent ce culte des Orientaux.Les auteurs varient sur le nombre des Vents. Les marins en admettent jusqu’à trente-deux. Les quatre principaux sont : Borée, vent du nord ou septentrion ; Auster est celui du midi au sud ; Eurus vient du levant ou orient ; Zéphyr, le plus agréable et le plus propre à féconder la terre, souffle du couchant ou occident. Le plus violent de tous est Subsolanus, ou l’est, vent de l’orient équinoxial.
Calaïs et Zéthès §
Borée enleva Orythye, fille d’Erechthée, roi d’Athènes, lorsqu’elle s’amusait à jouer sur les bords du fleuve Hissus ; c’est-à-dire, que cette princesse se noya dans la mer, où les vents la firent tomber.
Borée, l’ayant transportée en Thrace, en eut deux enfans, Calaïs et Zéthès ; noms qui signifient qui souffle fort et qui souffle doucement. Ils furent de l’expédition des Argonautes dans la Colchide, et se rendirent célèbres en délivrant des Harpies le roi Phinée et toute la Thrace. Ces deux frères avaient des ailes qui leur vinrent en même temps que les cheveux. Ils furent tués par Hercule, au retour de la Colchide, parce qu’ils s’étaient opposés à ce que le vaisseau retournât d’où il venait, pour reprendre Hercule, occupé à chercher le jeune Hylas que les nymphes avaient enlevé.
Pluton, Proserpine, Cyane §
Pluton était fils de Saturne et de Cybèle. Dans le partage que fit Jupiter, Pluton, le dernier des trois fils de Saturne, fut le plus mal servi, puisque l’enfer tomba dans son lot. D’autres disent qu’il fonda une colonie en Espagne, pays abondant en mines très-riches que ses sujets exploitèrent.
On peint ce dieu avec un visage livide, des sourcils épais, des yeux rouges et un regard menaçant ; dans sa main droite est une longue fourche ; l’autre tient une clef : sa couronne est d’ébène, de narcisses ou de cyprès. Quelquefois il couvre sa tête d’un casque qui le rend invisible ; alors il monte sur son char, s’élance du gouffre de l’Averne, et parcourt en vainqueur le séjour des mortels.
Pluton, tranquille dans son royaume, que personne ne lui disputait, songea à prendre une femme. Rebuté de toutes les déesses à cause de son teint noir et de la tristesse de son empire, il s’en plaignit à Jupiter ; mais cela ne servant de rien, il prit le parti d’enlever Proserpine, fille de Cérès, pendant qu’elle cueillait des fleurs dans les belles prairies d’Enna, en Sicile. Une nymphe, nommée Cyane, lui ayant fait des reproches de cette violence, il la changea en fontaine ; ensuite d’un coup de pied, il ouvrit la terre et rentra avec sa proie dans son royaume.
Là, règne en un morne silenceCe tyran aux sévères traits,Près de la beauté dont l’absenceCoûta tant de pleurs à Cérès.La douleur, la faim, le carnage,Le désespoir, l’aveugle rage,Sont ses ministres odieux :Et, pour plaire aux lois du Ténare,Se disputent l’honneur barbareDe mieux peupler les sombres lieux..
Pluton a, comme ses frères, une multitude de surnoms. On le nommait Dis ou Dives, ou Pluton, parce que ces mots signifient richesses, et qu’il y présidait comme étant renfermées dans le sein de la terre. Le nom d’Urgus lui est venu du latin urgere, parce qu’il pousse à la mort. Celui de Feubruus est tiré d’un ancien mot latin, qui signifie faire des lustrations, parce qu’on en faisait dans les cérémonies funèbres ; c’est pour cette raison que certains sacrifices usités en son honneur, s’appelaient Februa. Ces cérémonies se célébraient pendant le second mois de l’année, qui en a conservé le nom de février. On nommait aussi Pluton Summanus, souverain des mânes.
Les Mânes. §
On distingue des Mânes de trois espèces différentes : les ombres des morts vertueux ; les larves, ou les âmes des méchans ; enfin les dieux Mânes commis à la garde des tombeaux. Aussi trouve-t-on souvent sur les tombes des anciens ces deux lettres initiales, D. M., qui indiquent ces deux mots : Diis Manibus, aux dieux Mânes, comme pour recommander à leurs soins la sépulture des morts.
La Mort. §
Les anciens ont fait de la mort une divinité, qu’ils disent née de la Nuit ; elle est dans les enfers la favorite de Pluton et son ministre : une faulx sanglante arme sa main décharnée ; une robe noire parsemée d’étoiles couvre les os luisans de son squelette livide. Cette divinité implacable est, suivant Orphée, la seule à qui la frayeur même n’ait jamais élevé de temples ni d’autels.
Et pourquoi nous humilierAu point d’encenser cette esclave ?Qui la craint, vainement la prie ; et qui la braveN’a pas besoin de la prier..
Plutus §
Plutus était le dieu des richesses. Les uns le font descendre de Rhée et du Temps, sans doute parce que le temps mûrit avec lenteur les trésors dans le sein de la terre ; d’autres prétendent qu’il est fils de Cérès et de Jasion, célèbre agriculteur. Cette origine est préférable à la première, car l’agriculture est la source des véritables richesses.
Les anciens représentaient Plutus aveugle. Aristophane le fait parler ainsi dans sa
comédie : « Jupiter m’a ainsi maltraité en haine des hommes ; car lorsque j’étais
jeune garçon, je le menaçai de ne faire de bien qu’aux sages et aux vertueux
seulement : c’est pour cela qu’il m’a fait aveugle, afin que je fusse dans
l’impossibilité de reconnaître les gens de mérite, tant il leur porte envie. »
Fleuves de l’Enfer. §
Suivant la fable, il y avait cinq fleuves dans l’enfer : l’Achéron, appelé aussi l’Érèbe, que Jupiter y précipita pour avoir donné à boire aux Titans ; le Styx, qui en faisait neuf fois le tour. C’était par ce fleuve que les dieux avaient coutume de jurer ; lorsqu’ils avaient fait ce serinent solennel ils ne pouvaient plus se dédire, sous peine d’être privés du nectar et des honneurs de la divinité pendant cent ans. Le Cocyte, qui ne grossit que des larmes des malheureux. Le Phlégéton, dont les eaux étaient des flammes liquides ; et le Léthé, qui, comme le dit
, fait perdre aux morts le souvenir du passé.Cerbère §
Cerbère, chien à trois têtes, né du géant Typhon et d’Echidne, gardait la porte de l’enfer. Ce chien horrible, qui avait des serpens au lieu de poil, ne s’opposait point au passage des âmes lorsqu’elles venaient dans le noir séjour : mais il mettait à leur sortie un obstacle invincible, et les effrayait par des cris et des hurlemens épouvantables.
Caron §
Caron, fils de l’Erèbe et de la Nuit, était le nautonnier des enfers, et faisait sa demeure sur le fleuve Phlégéton. Il recevait dans sa barque les âmes qui se présentaient pour passer à l’autre bord du fleuve. Ce batelier farouche incapable de se laisser fléchir, repoussait avec rudesse ceux dont les corps n’avaient pas reçu la sépulture. Leurs âmes erraient sur le rivage, jusqu’à ce qu’on eut jeté un peu de terre sur leurs dépouilles mortelles. Caron exigeait de chaque ombre, pour son passage, une pièce de monnaie nommée naulum ; c’est pourquoi les Grecs et les Romains avaient coutume de mettre une obole dans la bouche des morts.
Les Furies §
Les furies, Alecto, Mégère et Tisiphone, faisaient en enfer la fonction de bourreau. On les représente tenant des flambeaux ardens, et ayant des serpens pour cheveux.
Monarque, esclave de Pluton,Va, tu changeras de langageQuand tes yeux verront AlectonQui veille en ce sombre rivage.Ajax la vit, il tremble encor ;Pâris la craint auprès d’Hector.Elle est pire que les Chimères :D’un flambeau toujours alluméSon bras sanguinaire est armé,Et son front monstrueux est orné de vipères..
Ces trois sœurs sont vierges. On les dit filles de l’Achéron et de la Nuit. Leur robe, souillée de sang, est tantôt noire tantôt blanche ; noire quand elles sont irritées, et alors on les appelle Némèses, furieuses ; blanche, quand elles s’adoucissent, et on les nomme Euménides, bienfaisantes.
Leur ministère ne se borne pas à châtier des ombres criminelles ; souvent elles volent au séjour des vivans, planent sur la tête du coupable, et lui brillent le sein, commençant pour lui sur la terre les supplices éternels du Tartare.
De sinistres tableaux, de songes effroyablesElles tourmentent son sommeil ;De souvenirs affreux, de spectres lamentablesElles entourent son réveil.Aux chants joyeux de l’allégresse.Aux ris de la gaîté, aux accens du plaisir,Son cœur prêt à s’épanouir,Se réserve, accablé du fardeau qui l’oppresse ;Il voit, sans les goûter, les biens qu’il a perdus,Et le remords lui dit : Tu ne dormiras plus..
Les Parques. §
On voyait encore dans les enfers les trois Parques du mot parcere, pardonner ou épargner, ainsi nommées par antiphrase, parce qu’elles ne font grâce à personne. On les dit filles de la Nécessité. Elles filent ensemble les destinées des hommes. La plus jeune, nommée Clotho tient la quenouille ; Lachésis tourne le fuseau, Atropos, avec le ciseau fatal, tranche le fil de la vie.
Mais un fil ne peut suffire pour tous les mortels ; un seul coup de ciseau détruirait le genre humain. Les poètes ont feint que ces trois sœurs présidaient à une filature universelle, dont elles dirigent les travaux. Sous la profondeur de ces voûtes éternelles sont une multitude de femmes, de quenouilles et de fuseaux : chacune de ces fileuses tient un fil : ainsi chaque mortel a sa Parque, à laquelle le destin remet une quenouille, qu’elle file jusqu’au moment où Atropos, passant entre les fileuses, coupe au hasard des fils de toutes couleurs.
Les Parques, ministres du destin, exécutent ses ordres ; elles distribuent aux hommes le bien et le mal.
Clotho, par un destin bizarre,Mêle de soie et d’or les jours qu’elle prépareA l’humble médiocrité ;Et, pour confondre la fortune,File d’une laine communeLes jours de l’opulence et de la pauvreté..
Juges des Enfers. §
Il y avait trois juges dans les Enfers : Minos, Éacus et Rhadamanthe, qui examinaient les âmes à mesure que Mercure les conduisait à leur tribunal.
Minos. §
Minos était fils de Jupiter et d’Europe, ou plutôt d’Astérius, roi de Crète, auquel il succéda. Il donna des lois aux Crétois, et on le regarde comme un des plus grands législateurs de l’antiquité. La sagesse de son gouvernement, et surtout son amour pour la justice, ont fait dire aux poètes, qu’après sa mort les dieux l’avaient établi juge dans les enfers.
Tu paraîtras au tribunalOù Minos, ce juge infernal,Chef du sénat le plus sévère,Minos soumet aux mêmes loisLes vils esclaves et les rois,Les mène aux champs heureux ou les livre à Mégère..
Rhadamanthe. §
Rhadamanthe était aussi fils de Jupiter et d’Europe. On dit qu’après la mort d’Amphitryon, étant obligé de se sauver en Crète pour avoir tué son frère, il se retira à Œcalée en Béotie, où il épousa Alcmène.
Éacus. §
Éacus était fils de Jupiter et d’Égine, fille d’Asope. Il régna dans l’île de Delos, à qui il donna le nom de sa mère. Il épousa deux femmes : la seconde, nommée Endéis, lui donna Télamon et Pélée. On le représente, ainsi que Rhadamanthe, une houssine à la main.
Les Champs-Elysées. §
Les Champs-Elysées étaient, selon les poètes, un lieu de délices où demeuraient les âmes de ceux qui avaient bien vécu sur la terre. Les frimas, les pluies, la neige ne venaient point attrister les habitans de ce beau séjour. On y respirait un air pur, rafraîchi par l’haleine des Zéphyrs. Une douce lumière régnait sans jamais décroître.
Un ciel pur, des astres plus sereins,Furent créés pour ces champs souterrains.Ils ont aussi leur soleil, leurs étoiles,La nuit pour eux n’a point de tristes voilesDans des forêts de lauriers toujours verts,Sur des gazons de fleurs toujours couvertsParmi les jeux, ces ombres fortunéesCoulent en paix leurs saintes destinées..
Le Tartare §
Le Tartare était, dans les enfers, le lieu destiné au supplice des scélérats, dont les crimes ne pouvaient s’expier. C’est, dit-on, une prison obscure, qui a des portes de fer et un pavé d’airain. Elle est fortifiée de trois enceintes de murailles et entourée du fleuve Phlégéton. Une haute tour la défend. Tisiphone veille sans cesse à la porte, et empêche que personne n’en sorte.
Qu’entends-je ? le Tartare s’ouvre !Quels cris ! quels douloureux accens !A mes yeux la flamme y découvreMille supplices renaissans.Là, sur une rapide roue,Ixion, dont le ciel se joue,Expie à jamais son amour.Là, le cœur du géant rebelleFournit une proie éternelleA l’avide faim du vautour..
Criminels précipités dans le Tartare. §
Typhon §
Les Géans ou Titans ayant escaladé le ciel, Jupiter précipita les uns dans le Tartare, et il engloutit les autres pour toujours dans les cavernes et les gouffres du mont Etna, qu’on prétend être un soupirail de l’enfer. On raconte que l’un d’eux, nommé Typhon, est étendu sous la Sicile, de manière que son bras droit répond au Pélore, qui est vers l’Italie, son bras gauche au Pachine, qui est vers l’orient, et ses pieds sont tournés du côté de Lilybés, à l’occident. Les poètes confondent Typhon et Titye.
Titye §
Titye, fils de Jupiter et de la Terre, énorgueilli de sa taille gigantesque et de sa force prodigieuse, osa insulter Latone. Apollon et Diane, après l’avoir percé de leurs traits, le précipitèrent dans le Tartare, où son corps étendu couvre neuf arpens.
Ixion §
Ixion, roi des Lapithes, en Thessalie, voulant obtenir pour femme Dia, fille de Déionnée, promit à celui-ci des présens considérables ; le père lui accorda sa fille et le somma de tenir sa promesse. Ixion, sous prétexte de l’accomplir, attira chez lui Déionnée, et le fit tomber par une trappe, dans une fournaise ardente. Aussitôt les remords et les Furies vengeresses s’emparent du coupable et le livrent à toutes les horreurs du plus affreux délire. Jupiter, touché de son état l’accueille, le console, le fait asseoir à sa table. Ivre de nectar, le prince osa lever les yeux sur Junon, et lui déclarer son amour. Jupiter fit attacher l’ingrat et audacieux mortel sur une roue environnée de serpens, qui, tournant sans cesse d’un mouvement rapide, lui disloquait les membres sans lui donner jamais de repos.
Les Danaïdes §
Danaüs et Egyptus étaient fils de Bélus. Egyptus s’empara du royaume qui porte son nom, et il obligea son frère d’aller chercher fortune. Danaüs détrôna Sthélenus, roi d’Argos, et régna à sa place. Il eut cinquante filles de plusieurs femmes ; Egyptus eut dans le même espace de temps cinquante garçons. Les cinquante mariages furent proposés et célébrés. Mais, le soir même de la célébration, Danaüs, auquel un oracle avait prédit qu’il serait détrôné par un de ses gendres, assemble ses filles, et, les armant chacune d’un poignard, leur ordonne d’assassiner leurs époux pendant leur sommeil. Elles exécutèrent ce barbare commandement ; la seule Hypermestre sauva la vie à Lyncée. Elle s’enfuit du côté de Larisse tandis que son époux allait à Lyrce, ville voisine d’Argos. La nuit suivante, ils montèrent l’un et l’autre sur une tour, et pour s’instruire mutuellement de leur arrivée, ils allumèrent chacun un flambeau.
Quelque temps après l’oracle se vérifia, Lyncée, vainqueur de Danaüs, monta sur le trône d’Argos. Les Danaïdes furent condamnées par les dieux à remplir continuellement un tonneau percé sans espérance de pouvoir jamais y réussir.
Sisyphe. §
Sisyphe, descendant d’Eole, infestait la Grèce de ses brigandages. Thésée le tua. Il fut condamné, dans le Tartare, à rouler une grosse pierre au sommet d’une montagne, d’où elle retombait aussitôt.
Salmonée. §
Salmonée, roi d’Elide, poussa l’orgueil jusqu’au délire. Non content de se faire adorer le jour, il se faisait traîner la nuit sur un pont d’airain, dans un char dont la rotation rapide imitait le roulement du tonnerre. Là, nouveau Jupiter tonnant, il lançait des torches enflammées sur quelques malheureux que ses satellites assommaient au même moment pour imiter la foudre au naturel. Mais tandis que l’insensé usait de son pouvoir pour détruire ses sujets, Jupiter le foudroya lui-même, et relégua sa divinité dans le Tartare, où le feu céleste le brûle sans le consumer.
Sur un rapide char, dont l’orgueil fut le guide,Une torche à la main ; il parcourait l’Elide,Exigeait les honneurs dus au maître des cieux :Insensé, qui croyait, faux émule des dieux,Que, sur un pont d’airain, construit pour cet usage,De ses quatre coursiers l’impétueux passageImitait la tempête, et mettait dans ses mainsLes secrets du tonnerre, ignorés des humains !Mais Jupiter lança la véritable foudre :Un seul coup de son bras mit tout l’ouvrage en poudre,Et le monarque impie, enveloppé d’éclairs,Avec son char brûlant tomba dans les enfers.[][]
Phlégias §
Phlégias était roi d’un canton de la Béotie nommé de son nom
Plégyade. Il osa mettre le feu au temple de Delphes. Apollon outragé ne laissa pas ce
sacrilége impuni, il le précipita dans les enfers, où il est dans une continuelle
appréhension de la chute d’une masse de rocher qui paraît suspendue sur sa tête. Si
l’on en croit Virgile, Phlégyas est le prédicateur de ces tristes lieux, où il répète
continuellement aux ombres : Apprenez par mon exemple, à respecter
les dieux et la justice.
Mais comme dit fort
plaisamment , ce sermon est inutile, puisqu’il
s’adresse à des gens qui ne sont plus en état de pratiquer cette leçon.
Cette sentence est bonne et belle ;Mais en enfer de quoi sert-elle ?.
Tantale. §
Tantale, roi de Phrygie, souffre dans les enfers un tourment insupportable, mais encore moins affreux que son crime. Ce prince impie et cruel reçut les dieux dans son palais. Pour savoir s’ils avaient connaissance des choses cachées, il tua son fils Pélops, et leur en servit les membres. Les divins hôtes, instruits de son crime, s’abstinrent de ce mets exécrable ; Cérès seule mangea, par mégarde, une épaule. Les dieux saisis d’horreur et de pitié, ressuscitèrent Pélops, et lui mirent une épaule d’ivoire. En punition de son crime, Tantale fut jeté dans le Tartare. Là, enfoncé jusqu’au menton dans un lac, au pied d’une montagne ou des rameaux chargés de fruits ombragent le cristal d’une onde pure, ses lèvres et ses mains essaient vainement d’atteindre ces objets de ses désirs. L’eau fuit lorsqu’il veut boire, et la branche se redresse aussitôt qu’il y touche. Ainsi il meurt de soif au sein des eaux, et la faim le consume au milieu de l’abondance. Horace lui compare les avares.
Tantale dans un fleuve a soif, et ne peut boire,Tu ris ? change de nom, sa fable est ton histoire.[][]
La Nuit §
Quel silence morne ! quel pâle crépuscule éclaire ces ténèbres éternelles !
La fille du Chaos plane dans cette enceinte,La nuit, que suit partout le mystère et la crainte ;Qui des sombres complots dérobe les détours ;Qui sans témoins laisse le vice,Et l’innocence sans secours..
Les anciens regardaient la Nuit comme une déesse. Ils la disaient fille aînée du Chaos. On lui donne pour enfans l’Ether et le Jour, dont le père était l’Erèbe. On dit qu’elle engendra toute seule le Destin, la Mort, le Sommeil, les Songes, la Crainte, l’Obstination, la Douleur, l’Envie, le Travail, la Vieillesse, la Fraude, les Parques, la Misère, les Ténèbres ; en un mot on regardait comme enfant de la Nuit chaque chose nuisible et pernicieuse à l’homme. Quelques auteurs font naître Uranus (le Ciel), et Thitea (la Terre), de l’Océan et de la Nuit.
On dépeint cette divinité vêtue et couverte d’un grand voile noir, allant sur un char précédé par les astres. Les uns lui donnent des ailes, d’autres la représentent sans char, tenant d’une main un grand voile, et tournant de l’autre un flambeau vers la terre, pour l’éteindre ; enfin on la voit ailleurs sur son char, tenant un grand voile tout parsemé d’étoiles sur sa tête.
Le Sommeil §
Les anciens faisaient le Sommeil fils de l’Erèbe et de la Nuit, et frère de la Mort et de l’Espérance. Son palais était impénétrable aux rayons du jour, et l’on n’y entendait d’autre bruit que le doux murmure du Léthé. Sur le bord de ce fleuve croissaient des pavots et d’autres plantes, dont la Nuit exprimait les sucs assoupissans pour les répandre ensuite sur la terre. Au milieu du palais, on voyait un lit d’ébène couvert d’un rideau noir, c’était là, que reposait le paisible dieu du Sommeil, environné des Songes. Morphée, son principal ministre, veillait près de lui avec Phobétor et Tantale, tous trois enfans du Sommeil. On peint toujours Morphée tenant des pavots à la main. Son nom signifie Figure ou Image ; parce que, durant le Sommeil, il se présente souvent à nous sous la figure des êtres qui nous intéressent. Le palais du Sommeil avait deux portes, l’une de corne et l’autre d’ivoire. Par celle de corne, sortaient les songes vrais, et par celle d’ivoire les songes trompeurs et insignifians. A travers le prisme de ces songes, qui réduit tout à sa juste valeur, le sage voit tour à tour :
L’esclavage assis sur le trône,Les soucis voltigeant autour de la couronne ;La véritable royautéRéduite à l’empire suprêmeQue l’homme exerce sur lui-mêmeDans une sage obscurité,Les vrais biens chez la pauvreté,La pauvreté chez l’opulence,Le faux éclat dans la splendeur,Les seuls plaisirs dans l’espérance,Les tourmens dans la jouissance,Et le néant dans la grandeur..
On représente ordinairement le Sommeil sous la figure d’un jeune homme qui dort la tête appuyée sur des pavots, ou d’un enfant assoupi qui a des ailes sur le dos, et tient une corne d’abondance, d’où sortent des pavots et une espèce de vapeur. Les songes sont représentés avec des ailes de chauve-souris toutes noires.
M. Lagrange-Chancel a fait la description de la descente d’Orphée aux enfers ; voici comme il s’exprime :
Un mortel, qui l’eut cru ? jusqu’au sombre rivage,Par ses divins accens, s’est ouvert un passage :De tout ce qui l’entend il dissipe l’horreur :Cerbère, à son approche a perdu sa fureur ;Et Caron enchanté, sur la rive infernale,L’a reçu sans effort dans sa barque fatale.…………………………………………………………………………………………J’ai vu de Danaüs les filles attentivesLaisser l’onde tranquille et leurs urnes oisives :J’ai vu les fières sœurs oublier leur devoir,Jusqu’au fond de ses eaux l’Achéron s’émouvoir ;Ixion et Sisyphe, à cette heureuse approche,S’asseoir, l’un sur sa roue, et l’autre sur sa roche,Titye à son vautour cesse d’être livré,Et Tantale abreuver son gosier altéré.
La Métempsycose. §
La Métempsycose était le passage des âmes dans de nouveaux corps. Ceux qui adoptaient ce système disaient que les âmes, après la mort, s’envolaient, sous la conduite de Mercure, dans un lieu souterrain où se trouvaient d’un côté le Tartare et de l’autre les Champs-Elysées ; les âmes des bons allaient dans le séjour de la paix et du bonheur, tandis que celles des médians, jetées dans le Tartare, étaient tourmentées par les Furies.
Mais après un temps marqué, les unes et les autres quittaient ces lieux pour venir habiter de nouveaux corps ; et afin de perdre le souvenir de ce qu’elles avaient fait, on leur faisait boire de l’eau du fleuve Léthé qui avait cette vertu.
Les Indiens, les Perses et tous les Orientaux se sont soumis à la métempsycose, sans aucune restriction ; ils ont consenti à ce que leur âme passât du corps d’un homme dans celui d’un animal, et de celui-ci dans un arbre ou une plante, parce que tout ce qui végète vit, et que tout ce qui vit doit avoir une âme. Ce système peut offrir quelquefois d’agréables images.
Dans le corps caverneux de cet antique ormeauEst renfermé l’esprit d’un Nestor du hameau.Ces oiseaux qui, battant des ailes,Se caressent sur ce rameau,Ont été deux époux fidèles.Ils furent moissonnés au printemps de leurs jours :Ils sont devenus tourterelles,Et recommencent leurs amours.Cette timide violetteFut une bergère discrète,Qui, des amans craignant la trahison,Se cachait dans la solitude,Et par crainte ou par habitude,Se cache encore sous le gazon.Cet aigle fut le chantre d’Illion ;Ce cygne, celui d’Italie,Cette fauvette était Délie ;Ce rossignol, Anacréon..
Pan §
Pan, dieu des bergers et des montagnes, une des plus considérables parmi les divinités champêtres, était fils de Mercure. Il avait la tête, les pieds, la barbe et les cornes d’un bouc. Les Satyres et les Sylvains qu’on représente avec la même figure, étaient ses compagnons. Une troupe de nymphes le suivaient toujours, il les faisait danser au son de la flûte dont on le croyait l’inventeur.
Les Lupercales. §
Les peuples d’Arcadie rendaient un culte particulier au dieu Pan ; ils lui offraient du lait et du miel. Les Romains avaient les fêtes appelées Lupercales. Le mot Lupercalia vient de Lupercal, qui était une grotte sur le mont Palatin, dans laquelle on croyait à Rome, qu’une louve avait allaité Rémus et Romulus. Les Lupercales se célébraient autour de cette grotte. D’autres disent que ces fêtes étaient ainsi appelées, parce que le dieu Pan, qu’on y honorait, garantit les troupeaux des insultes des loups.
Les uns attribuent l’institution des Lupercales au roi Evandre, d’autres prétendent qu’elles ne commencèrent que sous Rémus et Romulus. On les célébrait le troisième jour après les Ides de février2. On raconte que Rémus et Romulus étant à cette solennité, des filous détournèrent leurs troupeaux : à cette nouvelle, la fête fut interrompue pour courir après les voleurs. Afin de faire plus de diligence, les deux frères et les jeunes gens de leur suite quittèrent leurs habits. Les troupeaux furent retrouvés, et on les ramena en triomphe.
Luperces ou Luperques. §
On nommait Luperces ou Luperques les ministres et les prêtres du dieu Pan. Dans les solennités, ces prêtres quittaient leurs habits, et couraient comme des fanatiques dans les rues de Rome, frappant avec des courroies faites de peaux de chèvre tous ceux qu’ils rencontraient, en mémoire de la recherche que firent autrefois Rémus et Romulus des troupeaux qu’on leur avait volés. Ces prêtres étaient les plus anciens de la religion païenne à Rome. Il y en avait trois colléges, celui des Fabiens, celui des Quintilliens, et celui des Juliens.
Les fêtes de Pan, qui commencent à s’abolir, furent rétablies sous Auguste ; elles se continuèrent au-delà même du paganisme : à la fin du cinquième siècle on faisait encore les Lupercales.
Sens Moral. §
Les Egyptiens, après avoir adoré le soleil sous le nom d’Osiris, la lune sous celui d’Isis, et toutes les parties de la nature sous différens noms, adorèrent l’univers sous l’emblème du dieu Pan : c’est ce que désigne son nom, qui, en grec signifie tout. La figure qu’on lui attribue de forme humaine de la tête à la ceinture, et de celle de bête dans le reste du corps, représente assez bien l’univers, où l’on voit les hommes réunis avec les animaux. On lui fait tenir à la main une sorte de flûte à plusieurs tuyaux, pour marquer l’harmonie des parties de l’univers, unies ensemble dans un ordre et un concert admirable.
Terreur Panique. §
On appelle terreur panique une frayeur qui n’a aucun fondement réel. L’origine de ce mot est incertaine ; quelques-uns l’attribuent au dieu Pan.
raconte que Brennus, à la tête d’une nombreuse armée de Gaulois, étant entré dans la Grèce, l’an 99 avant la naissance de J.-C., s’approcha de Delphes, dont il voulait piller le temple, et jeta la consternation dans la ville. Les habitans eurent recours à l’oracle ; la prêtresse leur répondit qu’ils n’avaient rien à craindre. En effet, les Gaulois éprouvèrent à l’instant la colère des dieux : le terrain sur lequel campait l’armée trembla et menaça de l’engloutir : le tonnerre et les éclairs, par leur fracas et leur continuité, effrayaient les soldats et les empêchaient d’entendre les ordres de leur général. La foudre tomba au milieu d’eux, et des exhalaisons enflammées qui gagnaient de proche en proche, les réduisaient en cendres eux et leurs armes, la nuit fut encore plus affreuse : une terreur soudaine inspirée par le dieu Pan, s’empara de leurs âmes ; ils prirent l’alarme, et se crurent poursuivis par les Grecs dans leur délire, ils se jetèrent sur leurs armes, se battirent et s’entretuèrent les uns les autres, s’imaginant avoir affaire aux ennemis. Cette erreur fatale, qui dura jusqu’au jour, leur coûta plus de 10,000 hommes. D’autres disent que les Grecs ayant fait retentir le nom mystérieux de Pan autour des Gaulois, et poussé de grands cris, leur inspirèrent une telle frayeur qu’ils s’enfuirent tous. Sur tout cela on peut se permettre le doute. Il est présumable que le mot terreur panique vient des forêts épaisses et sombres, qu’on dit être la demeure de Pan, où le bruit des feuilles que le vent agite, inspire quelquefois de vaines terreurs.Syrinx §
Syrinx, nymphe d’Arcadie, fille du fleuve Ladon, était une des plus fidèles compagnes de Diane, qui avait juré d’être toujours chaste et pure. Un jour qu’elle descendait du mont Lycée, Pan la rencontra, et tâcha, mais en vain, de lui faire croire qu’il l’aimait ; la nymphe alarmée des poursuites du dieu, et voulant s’y soustraire, prit la fuite. Lorsqu’elle fut près des bords du fleuve Ladon, son père, elle invoqua Diane, qui la changea en roseau.
Cette fable est purement historique. Pan ayant remarqué que l’air agité dans un roseau y rendait une espèce de son, s’en servit pour faire une flûte qui porta le nom de Syrinx, d’un mot grec qui signifie roseau.
Outre la nymphe Syrinx, Pan aima encore Echo et Pitys.
Pitys §
Pitys, moins sage que Syrinx, écouta le dieu ; mais Borée, qui aimait éperdument cette nymphe, dans sa fureur jalouse, la précipita du haut d’un roc ; pendant sa chute, les dieux la métamorphosèrent en pin, arbre qui se plaît sur les montagnes. Dans la suite on le consacra à Pan, qui en porta une guirlande.
Echo §
Echo, nymphe des bois, qui fut aimée du dieu Pan, avait un esprit fort agréable. Elle sut plaire à Junon, qu’elle amusait par des contes, au point de détourner son attention de la conduite volage de Jupiter. La déesse s’apercevant de l’artifice, lui interdit la parole, et la condamna à ne parler qu’après les autres, pour répéter les dernières syllabes qu’ils prononceraient.
Echo devint éprise de Narcisse, beau jeune homme qui n’aimait que lui ; elle le suivit en vain sur les montagnes et dans les forêts. Désespérée de ne pouvoir toucher son cœur, elle se cacha dans les bois où elle sécha de douleur, et ses os furent changés en pierres.
Narcisse §
Ce jeune homme, dont la beauté a fait tant de bruit, était fils du fleuve Céphise et de Liriope nymphe de la mer. Dès qu’il fut né, son père fut consulter Tirésias sur son sort. Ce célèbre devin répondit qu’il parviendrait à une extrême vieillesse, s’il pouvait éviter de se voir. La beauté de Narcisse le fit aimer de toutes les Nymphes, et entre autres d’Echo. L’indifférence qu’il eut pour elles fut bientôt punie. Un jour qu’il revenait de la chasse, accablé de lassitude, de chaleur, et mourant de soif, il courut à une fontaine pour se désaltérer. Ayant vu son image dans le miroir des eaux, il devint amoureux de sa propre figure, et mourut de cette folle passion.
Le soir, en descendant des montagnes, les Oréades aperçurent le corps immobile de Narcisse. A cette vue, les nymphes, vengées de ses mépris, versent des larmes amères. Elles se dispersent dans toute la contrée, et rassemblent à grands cris leurs compagnes pour célébrer les funérailles de Narcisse. Les nymphes, couronnées de cyprès, s’avancent lentement vers la rive fatale ; mais elles y cherchent en vain le corps de celui qu’elles regrettent ; elles ne trouvent à sa place qu’une fleur nouvelle. Les anciens consacraient cette fleur aux Euménides.
Aristée §
Aristée, fils d’Apollon et de la nymphe Cyrène, apprit des nymphes à cailler le lait et à cultiver les oliviers ; il s’appliqua surtout au grand soin que demandent les abeilles ; il savait les conserver et en réparer la perte. Les poètes, pour exagérer les talens d’Aristée en ce genre, ont inventé la fable suivante :
Aristée devint éperdûment amoureux d’Eurydice. Comme elle fuyait ses poursuites, le jour même de ses noces avec Orphée, elle fut piquée d’un serpent et elle en mourut. Les nymphes, touchées de son malheur, tuèrent toutes les abeilles d’Aristée, qu’elles croyaient cause de la mort de cette princesse. Aussitôt le fils de Cyrène alla trouver sa mère dans la grotte profonde qu’elle habitait à la source du Pénée ; il se plaignit à elle de son infortune, et lui demanda ce qu’il fallait faire pour réparer sa perte. Cyrène lui conseilla de s’adresser à Protée comme à un génie à qui rien n’était inconnu. Surpris de cet accident, Protée lui ordonna d’apaiser les mânes d’Eurydice, en faisant un sacrifice de quatre génisses et de quatre taureaux, l’assurant qu’il en sortirait plusieurs essaims d’abeilles. Aristée exécuta ponctuellement ce qu’il ordonnait, et il répara ses pertes.
Palès §
Il ne paraît pas que les Grecs aient connu cette déesse. Palès, invoquée chez les Romains par les pasteurs, régnait sur les prés et sur les troupeaux. Quelques-uns la confondent avec Cybèle ou Vesta. Sa parure était aussi simple que son culte : on la peint couverte d’un voile, un peu de laurier et de romarin couronne ses cheveux, parce que durant ses fêtes, les bergers purgeaient leurs troupeaux, en mêlant du romarin et du laurier dans leur pâturage. Elle tient une poignée de paille, qui sert de litière aux bestiaux. Quelques étymologistes font venir son nom de Palea, paille. Il est certain qu’on célébrait en son honneur une fête nommée Palilia, ou fête de Palès particulière aux bergers. Cette fête se faisait au milieu des champs, le premier de mai, jour de la fondation de Rome par Romulus. Ce fut, dit-on, ce prince même qui l’établit, pour célébrer le jour annuel de la fondation de cette ville. Les pasteurs offraient à Palès du lait et du miel ; puis allumant, à des distances égales, trois grands feux de paille, ils sautaient pardessus ; le plus agile remportait le prix, qui, ordinairement, était une jeune chèvre ou un agneau.
Ainsi, dans l’âge d’or, quand la simple innocenceRendait hommage à la Divinité,Ses fêtes commençaient par la reconnaissanceEt finissaient par la gaîté.
Picus. — Canente §
Picus, père de Faune et fameux augure, était fils de Saturne, et roi de Lauretanum, en Italie. Ce prince fut, dit-on, changé en pivert par la magicienne Circé. L’usage que ce roi faisait du pivert dans les augures, ou l’allusion de son nom, aura sans doute donné lieu à cette fable.
Picus avait épousé la nymphe Canente, à qui la beauté de sa voix fit donner ce nom. Canente aimait si tendrement son mari, que, lorsqu’il mourut, elle passa plusieurs jours sans manger ni dormir, courant parmi les bois et les montagnes. Enfin, accablée de lassitude, et consumée par la douleur, elle se coucha sur les bords du Tibre ; son corps desséché disparut peu à peu et s’évapora dans les airs, de sorte qu’il ne resta plus d’elle que la voix.
Le nom de Canente donné au lieu où cette princesse expira, est l’unique fond de cette métamorphose. Cette femme, désolée de la perte de son mari, se retira dans une solitude, où la douleur l’entraîna au tombeau.
Faunes §
Picus et Canente laissèrent pour héritier Faune, qui fut le quatrième roi d’Italie. Le courage et la rare prudence de ce prince l’ont rendu célèbre. Voulant enrichir ses sujets, il fit son étude de l’agriculture, les appliqua au labourage et les rendit industrieux. De si grands bienfaits lui méritèrent après sa mort les honneurs divins.
Fauna. — Sterculie §
Faune épousa Fauna, sa sœur. Il en eut d’abord un fils nommé Sterculie, de sterculum, qui signifie fumier, engrais. Les Romains l’ont mis au nombre des dieux, en reconnaissance de ce qu’il leur avait appris à fumer les terres. Ses autres enfans furent les Faunes, qu’on mit de même au rang des dieux champêtres.
Fauna ayant perdu son époux, s’enferma seule, et mourut sans avoir parlé à aucun homme. Les Latins la déifièrent : elle devint la patronne des dames romaines. Fauna avait à Rome un temple, dont les prêtres distribuaient au peuple de simples pour toutes les maladies. Les Romains confondaient Fauna avec Cybèle, ou la bonne déesse, et lui donnaient les mêmes attributs. Les dames romaines célébraient ces fêtes durant la nuit, et il était défendu aux hommes d’approcher du lieu où se célébraient les mystères. Le talent que Fauna avait de prédire lui fit donner le nom de Fatua ou Fatidica.
Les Satyres. — Priape. — Les Sylènes §
Les dieux qui ressemblent le plus aux enfans de Fauna, sont les Satyres, qui ne diffèrent des Faunes que parce qu’ils ont toujours des pieds de chèvres, et qu’ils portent tantôt un thyrse, tantôt une flûte ou un tambourin pour faire danser les nymphes. Priape marche à leur tête. Ce dieu préside aux jardins, et l’on mettait ordinairement sa figure pour servir d’épouvantail.
se moque agréablement de la figure de Priape, lorsqu’il dit qu’un ouvrier, voulant employer un mauvais morceau de bois, aima mieux en faire un dieu qu’un banc. On appelle Silènes les satyres avancés en âge. Le plus ancien est le père nourricier de Bacchus.Sylvain §
Le dieu Sylvain, qui présidait aux forêts, protégeait aussi les troupeaux, partageait avec le dieu Terme la garde des limites champêtres. L’Italie prodigua les honneurs à Sylvain, dans la croyance que né dans le pays, il l’avait gouverné sagement, et que le peuple se trouvait heureux sous son règne.
Sylvain eut un grand nombre de fils, qui tous portèrent son nom. On les confond avec les Faunes, parce que leurs figures et leurs attributs sont les mêmes, mais leur origine est différente.
Les enfans regardaient Sylvain comme leur ennemi : ils en avaient peur, parce que, pour les empêcher de faire du dégât dans les bois, on le leur représentait comme un loup prêt à dévorer ceux qui osaient toucher aux arbres, lesquels lui étaient consacrés.
Flore §
Flore, nommée Cloris chez les Grecs, est la déesse des fleurs. On dit que Zéphyre en étant devenu amoureux, l’enleva pour en faire sa femme. Il lui donna l’empire des fleurs, et la fit jouir d’un printemps perpétuel.
Le culte de Flore fut établi chez les Sabins long-temps avant la fondation de Rome. Ce fut Tatius qui introduisit son culte à Rome : il lui consacra un temple dans cette ville. Les Phocéens, fondateurs de Marseille, honoraient cette déesse, dont
même fit la statue : aussi son culte passa de la Grèce en Italie. Dans la suite, une courtisane, nommée Flore, qui avait acquis de grandes richesses, fit le sénat son héritier, ce qui lui valut une apothéose. On institua en son honneur les jeux floraux. Ils furent célébrés, pour la première fois, le 4 des calendes de mai, c’est-à-dire, le 28 avril, l’an de Rome 513, avant J.-C. 241. La statue de la déesse paraissait dans ces jeux, couronnée de guirlandes et couverte d’une draperie qu’elle tenait de la main droite ; de l’autre elle présentait une poignée de pois et de fèves, parce que, durant les jeux floraux, les édiles jetaient ces légumes au peuple de Rome.Féronie §
Déesse à laquelle les anciens donnaient l’intendance des bois et des vergers. Elle prenait ce nom de la ville de Féronie, située au pied du mont Soracte, aujourd’hui Saint-Sylvestre, au sommet duquel cette déesse avait un temple. Sur la même montagne il y avait un petit bois qui lui était consacré ; le feu y prit par hasard ; aussitôt les habitans se hâtèrent d’aller prendre la statue de la déesse pour la transporter ailleurs, mais tout-à-coup le bois se couronna d’une verdure nouvelle. Ce miracle accrédita tellement Féronie, que ses prêtres osaient se vanter de marcher pieds nus, sans se brûler, sur des charbons ardens. Une fois l’année on faisait un sacrifice en ce lieu. Les voyageurs s’y arrêtaient pour rendre hommage à la déesse.
, qui avait passé dans ce canton, dit qu’il se lava le visage et les mains à la fontaine sacrée qui coulait à l’entrée du bois. Il existe encore des médailles d’Auguste où l’on voit cette déesse avec une couronne. Les affranchis la prenaient pour leur divinité, parce que c’était dans son temple qu’ils prenaient le chapeau ou le bonnet, marque de leur affranchissement, lorsqu’ils étaient mis en liberté.Pomone §
Pomone était une nymphe que les anciens regardaient comme la déesse des jardins et des fruits. Les dieux champêtres s’en disputaient la conquête ; mais Vertumne fut celui de tous qui montra le plus d’empressement à lui plaire. Ce dieu, après avoir pris différentes formes pour avoir occasion de la voir, trouva moyen de lier conversation avec elle, et sous la figure d’une vénérable vieille, il put enfin se faire écouter.
Selon
, Pomone, l’une des plus vigilantes hamadryades, se plaisait à cultiver les jardins et les arbres, surtout les pommiers, d’où lui vient son nom. Ce poète ajoute qu’elle vivait du temps de Procas, roi des Latins, c’est-à-dire, vers l’an 805 avant J.-C. Cette nymphe était sans doute une belle personne qui aimait la vie champêtre, et faisait son unique occupation de la culture des arbres fruitiers ; et ses talens en ce genre lui méritèrent les honneurs divins.Pomone est représentée assise sur un grand panier plein de fleurs et de fruits, tenant quelques pommes dans la main gauche et un rameau dans la droite, sa longue robe, repliée par devant, soutient des branches de pommiers chargées de leurs fruits. Les Romains dressèrent un temple et des autels à Pomone : on lui offrait des sacrifices pour la conservation des fruits de la terre.
Vertumne §
Vertumne, dieu des jardins et des vergers, est ainsi appelé du mot latin vertere, tourner, changer, parce qu’il prenait à volonté toutes sortes de formes. Il se servit surtout de cette faculté pour s’approcher de Pomone, dont il était devenu amoureux ; il parut devant elle en moissonneur chargé de gerbes de blé, en général d’armée prêt à livrer bataille ; en pêcheur avec des filets à la main. Quelquefois il portait une échelle sur ses épaules, pour cueillir des fruits. Tantôt c’était un véritable vigneron, ayant une serpe à la main ; tantôt un faucheur, la tête couronnée de foin et la faulx sur l’épaule ; une autre fois on le voyait comme un bouvier qui quitte la charrue, l’aiguillon à la main. A la faveur de tous ces déguisemens, il avait le plaisir de contempler les traits de la nymphe, mais il ne pouvait pas lui parler. Voulant à tout prix l’avoir pour épouse, il se métamorphosa en vieille ; tout-à-coup son visage se couvre de rides et ses cheveux deviennent blancs ; il s’enveloppe dans des coiffes, et entre dans les jardins de la nymphe. Il parla pour lui-même avec tant d’éloquence, que Pomone se laissa persuader, et elle devient sa femme.
Les Pénates §
Les dieux Pénates étaient regardés comme les dieux de la patrie. En vain cherche-t-on des étymologies grecques et latines de ce mot Pénates, puisque leur nom, leur culte et leurs mystères nous viennent des Samothraces et des Phrygiens. Ils s’appelaient les dieux, les bons dieux et les puissans dieux. Les Pénates Troyens avaient été transportés par Dardanus de la Phrygie dans la Samothrace ; Enée les apporta de Troyes en Italie : dans un temple, à Rome, près du marché, on voyait leurs statues sous la figure de deux jeunes hommes assis, armés chacun d’une pique.
Lorsque ces dieux sont regardés comme les protecteurs des maisons particulières, ils ne diffèrent point des dieux Lares. Dans le palais d’Auguste il y avait un grand appartement pour les dieux Pénates. Les Pénates domestiques se prenaient parmi les grands dieux, quelquefois même parmi les hommes déifiés. Une des lois des douze Tables ordonnait de célébrer religieusement les sacrifices des dieux Pénates. D’abord ces dieux ne furent que les mânes des ancêtres qu’on honorait par devoir. Leur fête se célébrait un jour des Saturnales.
Les Lares. — Les Lémures §
Les Pénates domestiques ou Lares, étaient les protecteurs des empires, des villes, des chemins, des maisons, et de chaque particulier qui les choisissait selon son intérêt, les adoptait pour sa conservation, et les regardait comme de bons génies qui veillaient au succès de ses affaires et protégeaient sa famille. De là les Lares publics, qui présidaient aux bâtimens, publici ; ceux de la mer, permarini ; des chemins, viales ; des champs, rurales ; des ennemis, qu’ils avaient soin d’éloigner, hostiles ; des maisons particulières, familiares ; ceux des villes, urbani ; ceux des carrefours, compitales. On leur donnait en général le nom de præstare opem, secourir.
Selon quelques-uns, les Lares n’étaient autre chose que les âmes de ceux qui avaient bien vécu, ou qui avaient bien servi la patrie ; c’est pour cela qu’on voit sur des médailles, Laribus Augusti.
Ceux qui avaient mal vécu erraient vagabonds, se plaisant à épouvanter les hommes. Ces âmes portaient le nom de Lémures, mot qui, suivant l’ancienne latinité, signifiait l’âme de l’homme séparée du corps après la mort. Les païens regardaient les Lémures comme des génies malfaisans, ou des âmes inquiètes qui revenaient tourmenter les vivans. Pour les apaiser ou pour les chasser, on institua à Rome les fêtes Lémuries ou Lémurales. Ces fêtes, qui se célébraient au mois de mai, et la nuit, furent instituées par Romulus.
Au commencement on représenta les dieux Lares sous la figure d’un chien, sans doute parce que les chiens gardent les maisons, et que l’on croyait que les Lares en écartaient tout ce qui pouvait nuire.
Dans chaque maison il y avait un endroit destiné pour l’idole domestique ; ce lieu, pour l’ordinaire, était derrière la porte ou autour des foyers. Les statues des dieux Lares étaient fort petites : on les tenait ordinairement dans un oratoire particulier, appelé Lararium, Laraire. Là, on leur consacrait des Lampes, symbole de la vigilance ; et on leur immolait des chiens, animaux domestiques et fidèles. C’était encore un usage quand les enfans quittaient un certain ornement nommé bulla, qu’ils portaient au cou, qu’ils le déposassent aux pieds de ces dieux domestiques.
L’idole domestique était choisie parmi les divinités du ciel, de la mer ou des enfers, selon le penchant de chacun : un homme de guerre se mettait sous la protection de Mars ; un marin invoquait Neptune ; un avare offrait son encens à Plutus, comme au dispensateur des richesses. Un philosophe aimable de nos jours, modéré dans ses désirs, s’adressait ainsi à ses Pénates :
Petits dieux avec qui j’habite,Compagnons de ma pauvreté,Vous, dont l’œil voit avec bontéMon fauteuil, mes chenets d’ermite.Mon lit couleur de carméliteEt mon armoire de noyer :O mes Pénates ! mes dieux Lares !Chers protecteurs de mon foyer !Si mes mains, pour vous fétoyer,De gâteaux ne sont point avares ;Si j’ai souvent versé pour vousLe vin, le miel, un lait si doux,Oh ! veillez bien sur notre porte,Sur nos gonds et sur nos verroux :Non point par la peur des filous,Car que voulez-vous qu’on m’emporte ?Je n’ai ni trésors ni bijoux ;Je veux voyager sans escorte.Mes vœux sont courts, les voici :Qu’un peu d’aisance entre chez nous,Que jamais la vertu n’en sorte.Mais n’en laissez point approcherTout front qui devrait se cacher ;Ces échappés de l’indigence,Plutus couvrit de ses dons,Si surpris de leur opulence,Si bas avec tant d’arrogance,Si petits dans leurs grands salons.Oh ! que j’honore en sa misèreCet aveugle errant sur la terre,Sous le fardeau des ans pressé,Jadis si grand par la victoire,Maintenant puni de sa gloire,Qu’un pauvre enfant, déjà lassé,Quand le jour est presque effacé,Conduit pieds nus pendant l’orage,Quêtant pour lui sur son passage,Dans son casque ou sa faible main,Avec les grâces de son âge,De quoi ne pas mourir de faim.O mes dieux Pénates d’argile,Attirez-les sous mon asile !S’il est des cœurs faux, dangereux,Soyez de fer, d’acier pour eux.Mais qu’un sot vienne à m’apparaîtreExaucez ma prière, ô dieux !Fermez vite et porte et fenêtre !Après m’avoir sauvé du traître,Défendez-moi de l’ennuyeux..
La coutume ancienne d’enterrer les morts dans les maisons a donné lieu au peuple de croire que les âmes y demeuraient aussi comme des génies propices et secourables, et il les honora sous le nom de dieu. La coutume s’étant introduite d’enterrer les morts sur les grands chemins, les Lares en devinrent les protecteurs.
Presque tous les jours on offrait aux dieux domestiques du vin, de l’encens, une couronne de laine et une petite partie de ce qu’on servait sur la table.
Outre ce culte particulier, on honorait publiquement les dieux Lares dans les carrefours sous le nom de Compitalitii. Une des cérémonies de cette fête était de suspendre dans les rues de petites figures d’hommes, faite de cire ou de laine, et de prier les dieux de détourner toute leur colère sur ces simulacres.
Les Génies §
D’abord les Génies furent nommés Gerules. Ce nom est commun aux démons, aux Lares, aux Lémures et aux Pénates. On croyait que chaque homme avait deux génies, l’un heureux et l’autre malheureux, qui présidaient à sa naissance et veillaient spécialement sur sa personne. Le bon génie, n’inspirant que l’amour de l’honneur et de la vertu, procurait le bonheur dont on jouissait ; on imputait à l’autre les mauvais penchans et tout le mal qui en résulte ; de sorte que le sort de chacun dépendait de la supériorité d’un génie sur l’autre. Ceux des femmes se nommaient Junones. Il y avait des génies plus puissans les uns que les autres ; ce qui a fait dire aux auteurs que le génie d’Antoine redoutait celui d’Auguste.
On représentait ces petites divinités sous la figure d’un jeune homme tenant d’une main un vase à boire, et de l’autre une corne d’abondance, et quelquefois sous la figure d’un serpent. On l’honorait surtout le jour de sa naissance, en répandant par terre une grande quantité de fleurs, et en lui présentant du vin dans des coupes. Le front lui était particulièrement consacré.
Chaque lieu avait son génie particulier, par l’opinion où l’on était que l’air, la terre, les eaux étaient remplis d’êtres invisibles qui en réglaient-les mouvemens. Ce fut dans la suite le système de
et c’est encore celui des cabalistes, qui ont substitué à ces prétendus esprits des êtres formés par leur imagination et qu’ils nommèrent gnomes, sylphes, etc. Rien n’était plus ordinaire que de croire que le génie de chaque lieu se présentait sous la figure d’un serpent. nous dit qu’Enée, célébrant dans l’île de Sicile l’anniversaire de son père, Anchise, il sortit du tombeau un serpent qu’il invoqua comme le génie du lieu. Chaque peuple avait aussi son génie.Le Destin §
Quelques auteurs font le Destin fils de la nuit : ils l’appellent Fatum. Cette divinité aveugle, supérieure à toutes les autres, gouvernait l’univers par une fatale et inévitable nécessité : tous les autres dieux, et Jupiter lui-même étaient soumis à ses décrets. Ce dieu avait des oracles et un culte ; les trois Parques se chargeaient du soin de faire exécuter ses ordres.
On représente le destin avec un livre où tout l’avenir était écrit, et que les autres dieux consultaient ; il tient dans ses mains l’urne qui renferme le sort des mortels. Voici la description de son temple :
Loin de la sphère où grondent les orages,Loin des soleils, par-delà tous les cieux,S’est élevé cet édifice affreuxQui se soutient sur le gouffre des âges.D’un triple airain tous les murs sont couverts,Et sur leurs gonds quand leurs portes mugissent.Du temple alors les bases retentissent :Le bruit pénètre et s’entend aux enfers.Les vœux secrets, les prières, la plainte,Et notre encens détrempé de nos pleurs,Viennent, hélas ! comme autant de vapeurs,Se dissiper autour de cette enceinte.Là, tout est sourd à l’accent des douleurs.Multipliés en échos formidables,Nos cris en vain montent jusqu’à ce lieu ;Ces cris perçans et ces voix lamentablesN’arrivent point aux oreilles du dieu.A ses regards un bronze incorruptibleOffre en un point l’avenir ramassé ;L’urne des sorts est dans sa main terrible ;L’âge des temps pour lui seul est fixé.Sous une voûte où l’acier étincelle,Est enfoncé le trône du Destin ;Triste barrière et limite éternelle,Inaccessible à tout l’effort humain !Morne, immobile et dans soi recueillie,C’est dans ce lieu que la Nécessité,Toujours sévère et toujours obéie,Lève sur nous son sceptre ensanglanté,Ouvre l’abîme où disparaît la vie ;D’un bras de fer courbe le front des rois,Tient sous ses pieds la terre assujétie,Et dit au temps : « Exécute mes lois. ».
Le Temps, d’une aile prompte et d’un vol insensible,Fuit et revient sans cesse à ce palais terrible ;Et de là, sur la terre il verse à pleines mainsEt les biens et les maux destinés aux humains :Sur un autel de fer, un livre inexplicable,Contient de l’avenir l’histoire irrévocable..
La Foi §
La Foi, divinité que les Romains adoraient, fut introduite par Numa Pompilius. On la représente par deux jeunes filles qui se donnent la main, ou par deux mains passées l’une dans l’autre, comme on se les donne en signe de bienveillance. Ses prêtres, pour faire connaître qu’ils agissaient, avec une extrême sincérité, avaient la tête et les mains couvertes d’un voile blanc.
La Fortune §
Quelques poètes qui font la Fortune fille de l’Océan, disent qu’elle était une des nymphes qui cueillaient des fleurs avec Proserpine lorsqu’elle fut enlevée. Cette déesse, quoiqu’aveugle, fut une divinité puissante et révérée chez les anciens, qui croyaient que les événemens de la vie des hommes étaient son ouvrage, et qu’elle dispensait à son gré les honneurs, les richesses et les autres biens de la vie. Elle les donne en effet, ou les ôte selon son caprice, sans aucun égard pour le mérite ou pour la vertu ; c’est pourquoi on la dépeint sous la forme d’une vieille, avec du feu dans la main droite et de l’eau dans la gauche, quelquefois on lui met un bandeau sur les yeux : faut-il s’étonner si l’aveugle déesse met l’esclave à la place du prince, et le prince à celle de l’esclave ? Inconstante et volage, après avoir élevé ses favoris au comble des honneurs, elle les abandonne tout-à-coup, et les replonge dans la bassesse et dans la misère. Malgré ses injustices, les hommes de toutes les classes lui adressaient leurs vœux : les princes, les grands avaient dans leurs palais une statue d’or de la Fortune, qu’ils honoraient d’un culte particulier, afin qu’elle leur fut toujours favorable.
La plus ancienne de toutes les statues de la Fortune se voyait à Smyrne ; elle était l’ouvrage de
, fameux sculpteur : il la représentait portant le ciel sur sa tête ; et tenant dans une main la corne d’abondance. Chaque poète s’est plu à lui donner une forme nouvelle : l’un la peint debout avec des ailes, un pied sur une roue qui tourne, et l’autre en l’air ; l’autre la place sur un char traîné par des chevaux aveugles. Un ancien a dit fort ingénieusement que la meilleure façon de l’honorer était de l’accabler d’injures et de reproches. Rousseau lui a adressé une belle ode, dont voici la première strophe :Fortune, dont la main couronneLes forfaits les plus inouïs,Du faux éclat qui t’environneSerons-nous toujours éblouis ?Jusqu’à quand, trompeuse idole,D’un culte honteux et frivoleHonorons-nous tes autels ?Verra-t-on toujours tes capricesConsacrés par les sacrificesEt les hommages des mortels ?
Le même poète, en parlant de l’inconstance de cette déesse, dit ailleurs :
Pourquoi d’une plainte importuneFatiguer vainement les airs ?Aux jeux de l’aveugle FortuneTout est soumis dans l’univers.Ainsi de douceurs en supplicesElle nous promène à son gré :Le seul remède à ses caprices,C’est de s’y tenir préparé.
La Nécessité §
On regardait la Nécessité comme la mère de la Fortune. Le pas que les poètes lui donnent sur cette déesse marque que, toute grande qu’est la Fortune, et quelque absolu que soit son pouvoir, la Nécessité commande encore avec plus d’empire. On la représente tenant dans ses mains de bronze de longues chevilles et du plomb fondu, qui unissent et lient les pierres, les poutres et tout ce qu’il y a de plus difficile à joindre ; elle porta aussi des coins de fer, qui divisent les liaisons les plus fortes et les plus intimes.
Némésis §
Némésis, fille de la Nuit et de l’Océan, avait la fonction de châtier ceux qui abusaient des faveurs de la fortune ; elle punissait aussi les ingrats. Son front est calme, son regard est sévère, et sa démarche assurée. Une couronne de narcisses couvre sa noire chevelure ; un voile léger flotte sur ses épaules, et descend à longs plis jusqu’à terre ; elle tient dans ses mains un frein et un compas, l’un pour maîtriser la fougue des passions, l’autre pour mesurer parmi les hommes, les peines les récompenses et l’égalité.
Non cette égalité barbare et ridiculeQui fait d’un Pygmée un Hercule ;Mais cette sainte égalitéQui du faible opprimé protége l’innocence,Et fait fléchir l’orgueil de l’injuste opulenceDevant l’honnête pauvreté..
Quelquefois Némésis tient une lance pour frapper le vice, et une coupe remplie d’une liqueur divine pour fortifier la vertu contre le malheur.
Les Grecs l’adorèrent sous le nom de Némésis, vengeresse ; Adrastée, inévitable ; et Ancharie, formidable. Son temple le plus célèbre était situé sur une éminence près de Rhamnus, ville de l’Attique ; ce qui lui a fait donner le nom de Rhamnusie.
Les Athéniens instituèrent en son honneur les fêtes Némésées, et les Romains lui élevèrent dans le Capitole un autel sur lequel ils déposaient un glaive avant de partir pour la guerre, en conjurant l’équitable déité de protéger la justice de leurs armes.
, célèbre sculpteur d’Athènes, fit la statue de cette déesse avec une couronne taillée en bois de cerf ; elle avait dans la main une branche de frêne.
On la peignait avec des ailes, pour marquer que la peine suit de près le crime : elle pose le pied sur une roue, pour faire voir qu’elle observe tout ce qui se passe dans l’univers.
Némésis vous observe, et frémit des blasphèmesDont rougit à vos yeux l’aimable vérité :N’attirez point sur vous, trop épris de vous-même,Sa terrible équité.C’est elle dont les yeux certains, inévitables,Percent tous les replis de nos cœurs insensés ;Et nous lui répondons les éloges coupablesQui lui sont adressés..
Thémis §
Thémis, fille du Ciel et de la Terre, était regardée comme la déesse de la justice, dont elle porta le nom. On dit que ce fut une reine de Thessalie qui gouverna son peuple par la justice. Elle établit dans ses états les lois, la religion, les cérémonies du culte, et tout ce qui maintient l’ordre et la paix parmi les hommes.
Astrée §
Astrée, fille de Jupiter et de Thémis, se confond avec sa mère la déesse de la justice. Elle habita parmi les hommes tant que dura l’âge d’or ; mais les crimes l’en ayant chassée, elle monta au ciel, et se plaça dans cette partie du zodiaque qu’on appelle le signe de la Vierge.
feint ingénieusement, qu’exilée des villes, elle s’était retirée à la campagne parmi les laboureurs.On représente cette déesse tenant d’une main une balance et de l’autre une épée. D’autres lui ont mis un bandeau sur les yeux, lui ont bouché les oreilles, et l’ont peinte sans mains, pour signifier que la justice ne doit se laisser éblouir par l’éclat du rang, qu’elle doit être sourde aux sollicitations et incapable de se vendre.
Je vois une auguste déesse,De qui la droite vengeresseFait briller un glaive tranchant ;Dans sa gauche est une balanceQue ni fraude ni violenceNe forcent au moindre penchant,C’est Thémis ; oui, c’est elle-même :Orné de l’éclat le plus beau,Son front porte ce diadèmeQue l’erreur prend pour un bandeau..
Momus §
Momus, fils du Sommeil et de la Nuit, s’occupait uniquement à examiner les actions des dieux et des hommes, et à les reprendre librement : cela le fit regarder comme le dieu de la raillerie, et représenter levant le masque de dessus le visage, et tenant une marotte à la main. La Marotte est un petit bâton ayant une petite figure coiffée et des grelots. Momus, choisi pour juge des chefs-d’œuvre de Neptune, de Vulcain et de Minerve, n’en trouva pas un qui méritât ce nom. Il blâma Neptune de n’avoir pas mis les cornes de son taureau devant les yeux ; il critiqua l’homme de Vulcain, qui aurait dû, disait-il, faire au cœur une petite fenêtre, pour découvrir ses plus secrètes pensées ; la maison de Minerve ne lui plut pas davantage, parce qu’on ne pouvait pas la changer de place quand on avait un mauvais voisin.
Harpocrate §
Le dieu du silence se nommait Harpocrate chez les Egyptiens, et Sigalion chez les Grecs. Sa figure représentait un homme qui a le doigt sur la bouche.
nous apprend que les anciens honoraient aussi le Silence sous la figure d’une déesse qu’on nommait Tacita ou Muta.La Vertu — L’Honneur. §
On représentait la Vertu sous la figure d’une femme grave et modeste, vêtue de blanc, mais d’un habit fort simple, assise sur une pierre carrée, pour signifier sa candeur, sa simplicité et sa constance.
Marcellus, voulant faire bâtir à Rome un temple à la Vertu et à l’Honneur, consulta les pontifes sur ce pieux dessein. Suivant leur réponse, qu’un temple serait trop petit pour deux si grandes divinités, il se détermina à en faire ériger deux. Il les fit disposer de manière qu’on ne pouvait entrer dans celui de l’Honneur sans passer par celui de la Vertu ; pour faire entendre que le véritable honneur ne peut s’acquérir que par la pratique de la vertu ; et, pour suivre le conseil des augures ou donner une leçon d’humilité à ceux qui y entreraient, il ordonna de ne pas les élever beaucoup. Les sacrifices qu’on faisaient à l’Honneur se célébraient tête découverte, ce qui se pratique en présence des personnes qu’on honore. Les chevaliers romains se rassemblaient aux ides de juillet (le 15 juillet) dans le temple de l’Honneur, pour se rendre au Capitole. Sur les médailles de Titus, qui mettait son honneur à procurer la paix et l’abondance à l’empire, l’Honneur est représenté sous la figure d’un homme tenant une pique de la main droite, et la corne d’abondance de la main gauche. Sur quelques-unes il tient une pique et une branche d’olivier, symbole de la paix.
Les demi-dieux ou héros §
Persée §
On fait venir le mot de héros du nom de Junon, qui, en grec, s’appelait Héra. Un de ses fils se nomma Héros, et ce nom, qu’il illustra par sa valeur, fut donné sans doute dans la suite à tous ceux qui se rendirent célèbres par leur bravoure ou leurs belles actions.
Persée, que la fable place au rang des héros, était fils de Jupiter et de Danaé. Acrisius, roi d’Argos, père de cette princesse, sur la foi d’un oracle qui lui avait prédit qu’il serait tué par l’enfant qui naîtrait de sa fille, la fit enfermer dans une tour d’airain. Jupiter, pour avoir accès auprès d’elle, se transforma en pluie d’or et entra dans la tour ; ou plutôt un prince de ce nom prodigua ce métal pour corrompre les gardes de Danaé, et l’épousa secrètement. Persée naquit de cette alliance.
A cette nouvelle, Acrisius fit mourir la nourrice de la princesse ; on la mit elle-même dans un coffre avec son enfant, et on les jeta dans la mer, ou plutôt on les exposa sur une méchante barque. Ils furent poussés par les vagues dans l’une des Cyclades, où Polydecte, roi de l’île de Sériphe, leur fit toute sorte de bonis traitemens. Dans la suite l’oracle se vérifia par les précautions mêmes qu’Acrisius avait prises pour s’y soustraire : car Persée, qui ne connaissait point son aïeul, le tua dans un tournoi.
Polydecte, à la cour duquel Persée s’était rendu avec sa mère, prit un grand soin de son éducation ; mais, quelques années plus tard, son mérite lui fit ombrage et lui inspira de la jalousie. Pour s’en défaire avec honneur, il lui persuada, afin d’acquérir de la gloire, d’aller faire la guerre aux Gorgones.
C’étaient trois sœurs qui se nommaient Méduse, Stényo et Euryale ; elles régnaient dans les îles Gorgades, voisines du Cap-Vert, et n’avaient, dit-on, qu’un œil, une dent et une corne, qu’elles se prêtaient tour à tour. D’autres mythologistes représentent Méduse comme une beauté parfaite que Minerve, qu’elle avait offensée, rendit effroyable, en changeant ses cheveux en serpens.
Pour faire entendre que Persée avait les vertus d’un grand capitaine, les poètes feignent qu’avant qu’il partît pour cette expédition, Minerve lui donna son miroir, Mercure ses ailes, Pluton son casque, et que son cimeterre fut forgé par Vulcain.
Vainqueur des Gorgones, Persée coupa la tête à Méduse. Du sang qui en sortit naquit le cheval Pégase, qui, s’envolant aussitôt dans les airs, alla s’abattre sur le mont Hélicon, où, d’un coup de pied, il fit jaillir la fontaine d’Hippocrène.
La tête de Méduse avait la vertu de pétrifier tous ceux qui la regardaient : Polydecte en fit la funeste épreuve.
Un autre prince avait déjà subi ce châtiment. Atlas, roi de Mauritanie, ayant appris de l’oracle qu’il avait tout à craindre d’un fils de Jupiter, défendit l’entrée de son palais à tous les étrangers. Persée, en revenant de son expédition, passa par ses états ; mais ce roi ne voulut point le recevoir ; il pénétra jusqu’à lui, et le changea en rocher ; c’est-à-dire qu’Atlas fut attaqué par Persée, et poursuivi dans les montagnes, où il périt.
Le jeune héros rendit surtout son nom célèbre par la victoire qu’il remporta sur un monstre marin qui allait dévorer Andromède. Cette princesse était fille de Céphée, roi d’Ethiopie, et de la reine Cassiopée, qui avait osé se croire plus belle que Junon. Neptune, pour venger la déesse, envoya un monstre épouvantable qui ravagea les états de Céphée. L’oracle consulté, répondit que, pour fléchir Neptune, il fallait exposer Andromède, fille du roi ; la princesse fut conduite sur une haute montagne pour être la proie du monstre marin. Persée, qui passait aux environs sur le cheval Pégase, accourut à son secours, rompit ses fers, et, avec la tête de Méduse, il pétrifia le monstre, ensuite, il épousa la princesse. Phinée, à qui elle avait été promise, vint au palais avec des troupes pour tuer son rival. Persée, protégé de Pallas, se défendit vaillamment. Pour finir le combat, il se servit de la tête de Méduse : à cette vue Phinée et ses compagnons furent tous changés en pierres.
Après cette victoire, le héros se rendit à Argos ; mais, comme il avait eu le malheur d’y tuer son aïeul, le séjour de cette ville lui devint odieux. Il en partit avec Andromède pour aller bâtir la ville de Mycènes, où il régna paisiblement.
Vainqueur de tous ses ennemis, Persée consacra à Minerve la tête de Méduse, qui fut gravée avec ses serpens sur la redoutable égide de la déesse.
Les vertus de ce prince égalèrent sa valeur. Après sa mort, la reconnaissance des peuples lui érigea des autels, et les poètes le placèrent parmi les astres. On forma de sa famille les constellations d’Andromède, de Cassiopée, etc. Il n’y eut pas jusqu’au monstre qui n’y trouvât sa place sous le signe de la baleine.
Le cheval Pégase, qui avait rendu de si grands services à Persée, ne lui étant plus utile, s’attacha à un autre héros.
Bellérophon, fils de Glaucus, roi de Corinthe, en Achaïe, contraint de s’enfuir pour avoir tué son frère, se réfugia à la cour de Prétus, roi d’Argos, qui le reçut très-bien. Quelque temps après, croyant avoir à s’en plaindre, il l’envoya à son beau-père Lobate, roi de Lycie, avec des lettres par lesquelles il le priait de le faire périr. C’est de cette aventure qu’il est passé en proverbe d’appeler lettres de Bellérophon celles qui contiennent quelque chose contre les intérêts de ceux qui les portent. Lobate, pour répondre aux desseins de Prétus, ordonna à Bellérophon d’aller combattre la Chimère, monstre qui ravageait la Lycie.
La Chimère avait la tête d’un lion, le corps d’une chèvre et la queue d’un serpent ; elle jetait par la gueule du feu et des flammes. Le héros la tua à coups de flèches avec le secours de Minerve, qui lui amena le cheval Pégase.
Quelques auteurs donnent le nom de Chimère à une montagne de la Lycie, où l’on voyait un grand nombre de lions, de chèvres et de serpens qui causaient beaucoup de dommage dans les prairies le long du Xante. Bellérophon chassa ces animaux et rendit ce lieu habitable, et l’on dit qu’il avait dompté la chimère ; et comme cette montagne jetait quelquefois des flammes, les poètes ajoutèrent que le monstre vomissait des torrens de feu et de fumée.
Bellérophon retourna à la cour de Prétus, qui, admirant sa valeur, lui rendit son amitié, et lui donna sa fille en mariage.
Hercule. §
Il y a plusieurs conquérans de ce nom. Le plus fameux naquit de Jupiter et d’Alcmène. On le nomme encore Alcide. On appelle Héraclides les descendans d’Hercule qui régnèrent dans le Péloponèse.
Avant la naissance d’Hercule, Junon se déclara son implacable ennemie, et lui donna un rival dans Eurysthée, fils de Sthénélus, roi de Mycènes. Jupiter avait juré que celui de ces deux enfans qui naîtrait le premier commanderait à l’autre ; Junon fit en sorte qu’Eurysthée vînt au monde avant Hercule ; celui-ci fut par là dans sa dépendance. On prétend qu’à la prière de Minerve, Junon s’adoucit en faveur d’Hercule, et qu’elle lui donna de son lait ; on ajoute qu’Hercule en ayant laissé tomber quelques gouttes, il forma dans le ciel cette partie blanche qu’on appelle la voie lactée.
La bonté de la déesse n’était qu’apparente, car bientôt elle envoya contre Hercule deux énormes serpens pour l’étouffer ; mais le héros, déjà d’une force prodigieuse, prit entre ses mains les deux serpens et les mit en pièces.
Hercule apprit de Rhadamanthe et d’Euryte à tirer de l’arc ; de Castor à combattre tout armé ; de Chiron l’astronomie et la médecine ; de Linus à jouer des instrumens.
Eurysthée étant parvenu au trône de Mycènes, Junon l’engagea à exposer Hercule dans des entreprises dangereuses, croyant qu’Hercule en serait enfin la victime ; mais toutes celles qu’on imagina tournèrent à la gloire du héros. A la fin Hercule, pénétrant les mauvaises intentions de ce prince jaloux et défiant, résolut de ne plus lui obéir et de se tenir en repos ; mais l’oracle lui fit entendre qu’il fallait qu’il fût mis encore douze fois à l’épreuve, et soumis aux ordres d’Eurysthée, selon les décrets du Destin, pour faire monter sa réputation au souverain degré ; c’est ce qu’on appelle les douze travaux d’Hercule.
1er. Il étrangla le lion de la forêt de Némée, et il en porta ensuite la dépouille en signe de victoire.
2e. L’hydre de Lerne avait sept têtes qui renaissaient à mesure qu’on les coupait. Hercule les abattit toutes d’un seul coup.
3e. Il amena vivant à Eurysthée le sanglier d’Erymanthe : en le voyant, ce roi pensa mourir de frayeur.
4e. Il atteignit à la course une biche consacrée à Diane, qui avait les pieds d’airain et les cornes d’or.
5e. Il détruisit les oiseaux du lac Stymphale : ces oiseaux étaient les Harpies.
6e. Il dompta un taureau furieux qui soufflait des flammes par les narines et ravageait la Grèce.
7e. II défit les Amazones auprès du fleuve Thermodoone et donna Hippolyte, leur reine, à Thésée, son compagnon d’aventure.
8e. Il tua deux tyrans fameux : Busiris immolait à Jupiter les étrangers qui passaient par son royaume. Diomède, roi de Thrace, les faisait fouler aux pieds et dévorer par ses chevaux.
9e. Géryon, roi d’Espagne, autre tyran, tomba aussi sous ses coups. La fable lui donne trois corps, soit parce qu’il commandait à trois îles, Ebuse, Majorque et Minorque, soit parce qu’ils étaient trois frères de ce nom, qui vivaient et régnaient dans la meilleure intelligence.
10e.Il détourna la rivière d’Alphée pour nettoyer les étables d’Augias, roi d’Argos, qu’il tua à coups de flèches parce que ce roi lui refusa la récompense qu’il lui avait promise.
11e. Il enleva les pommes d’or du jardin des Hespérides, et endormit le dragon toujours éveillé qui les gardait.
Ces jardins étaient, selon
, dans la Mauritanie, auprès de Lixe ou Lixus, aujourd’hui Larache, dans le royaume de Fez. Ils prenaient leur nom de la situation du lieu où l’on croyait que le soleil allait se coucher tous les soirs.Atlas partagea, dit-on, avec Hercule la peine et la gloire de ce travail : il cueillait les pommes d’or, et, pendant ce temps-là, Hercule soutenait le ciel sur ses épaules.
Ces pommes d’or étaient sans doute de belles oranges ou des citrons dont les jardins de la Mauritanie Tingitane étaient remplis, ou plutôt de riches mines cachées au fond de mont Atlas, dans lesquelles un roi du pays fit fouiller pour enlever ce précieux métal.
On feint qu’Atlas soutient le ciel sur ses épaules, soit parce que le mont Atlas est fort élevé, soit parce qu’il y eut un célèbre astronome de ce nom.
12e. Enfin Hercule délivra Thésée retenu aux enfers, il enchaîna Cerbère.
Hercule acquit par ces douze travaux une gloire immortelle. Tous les princes le respectèrent et le craignirent. Eurysthée même qui l’avait mis à tant d’épreuves, commença à le redouter. Hercule, loin de songer à la vengeance, ne s’occupa qu’à purger le monde des monstres et des tyrans qui le désolaient, il extermina les Centaures, tua Cacus, Eryx, Erytus, Hippocoon, Laomédon, Lycus, Péryclymène ; il étouffa dans ses bras Antée, fils de la Terre, à qui la fable donne soixante-quatre coudées de hauteur.
Il entreprit la jonction de l’Océan avec la Méditerranée, en séparant les deux montagnes Calpé et Abila, pour former le détroit de Gibraltar. Ces deux montagnes, dont la première est en Espagne, et la seconde sur les côtes d’Afrique, sont appelées les Colonnes d’Hercule. Ce héros voulant qu’elles servissent de monument à sa gloire, y mit cette inscription : Non plus ultrà, c’est-à-dire, rien au-delà. Les anciens croyaient en effet que l’extrémité de l’Espagne servait de bornes à l’univers et qu’il n’y avait rien au-delà. Cristophe Colomb et Améric Vespuse ont détrompé les hommes de ces préjugés, qui avaient leur source dans l’ignorance.
Après tant de glorieux travaux, Hercule, vainqueur des tyrans et des monstres, devint l’esclave de ses passions. On raconte qu’ayant été attiré en Lydie pour y détruire un affreux serpent, il fut si sensible aux charmes d’Omphale, fille du roi, que, pour lui plaire, il changea sa massue en quenouille, et sa peau de lion pour des ajustemens recherchés, puis il fila parmi les femmes de la suite de la princesse.
Quelques temps après, Hercule demanda en mariage Déjanire, fille d’Œnée, roi d’Etolie. Cette princesse, recherchée par les plus grands rois de la Grèce, était promise à Achéloüs ; Hercule et lui se battirent en duel. Achéloüs, voyant que son rival était le plus fort, se changea en serpent, en taureau, enfin en homme ayant une tête de bœuf ; mais Hercule lui arracha une de ses cornes et le vainquit ; ensuite il épousa Déjanire. Il voulut passer la rivière d’Evène avec sa nouvelle conquête, mais les neiges fondues avaient enflé ce torrent ; le centaure Nessus offrit à Hercule de passer Déjanire sur sa croupe de l’autre côté du fleuve ; Hercule accepta l’offre. Le centaure, après avoir atteint le rivage, s’apprêtait à fuir avec son précieux fardeau, quand Hercule, qui devina son dessein, le perça d’une flèche trempée dans le sang de l’hydre de Lerne. Le centaure en tira une affreuse vengeance : avant d’expirer, il donna à Déjanire sa robe teinte de sang ; il la conjura de la garder à cause de lui, et l’assura que, si son mari la revêtait, il n’aimerait jamais d’autre femme. A quelque temps de là, Déjanire, prévenue que son mari lui préférait Iole, fille d’Euryte, roi d’Œchalie, lui envoya la robe du centaure, comme il allait faire un sacrifice sur le mont Œta. Le héros ne l’eut pas plutôt mise sur lui, qu’il se sentit embrasé d’un feu extraordinaire, et éprouva des transports de rage. Etant revenu un peu à lui, il étendit la peau du lion de Némée sur le bûcher, se coucha dessus, mit sa massue sur sa tête, puis il ordonna à Philoctète d’y mettre le feu et s’y brûla. Il fut reçu dans le ciel, où il épousa Hébé, déesse de la jeunesse.
dit que, quand il y entra, Atlas se ressentit du poids de cette nouvelle divinité.Hercule, en mourant, avait laissé ses flèches trempées dans le sang de l’hydre à Philoctète, fils de Pœan et son compagnon de voyage, avec ordre de tenir secret le lieu de sa sépulture et celui où ses flèches étaient cachées. Philoctète le lui promit avec serment. Cependant, comme c’était une des fatalités de Troyes qu’elle ne pouvait être prise sans flèches d’Hercule, les Grecs députèrent Pyrrhus pour s’informer de l’endroit où elles étaient renfermées. Philoctète, contraint de déclarer en quel lieu on les avait mises, et ne voulant point fausser son serment, le montra seulement du pied. Il fut bientôt puni de sa trahison ; car étant sur le chemin de Troyes, une de ces flèches tomba sur ce pied, instrument de perfidie, et la plaie exhalait une odeur tellement insupportable, qu’on fut contraint de l’abandonner dans l’île de Lemnos : mais sa présence étant devenue nécessaire aux Grecs, il vint au siége de Troyes, où Machao, célèbre médecin, guérit sa blessure.
Thésée §
Thésée, fils d’Egée, roi d’Athènes, était contemporain d’Hercule, et son proche parent ; il le prit pour modèle et fut un héros. Thésée, témoin des injustices et des violences de plusieurs tyrans qui abusaient de leur force pour commettre des crimes, résolut de les pouvoir mettre hors d’état d’exercer plus long-temps leurs brigandages. Ses exploits guerriers commencèrent aux environs d’Athènes. Il attaqua d’abord et vainquit Périphète, qui portait une massue de cuivre. Thésée la garda toujours comme un monument de sa première victoire. Il extermina Phalaris, roi de Sicile. Ce prince barbare faisait enfermer des hommes tout vivans dans un taureau d’airain rougi au feu. Il poursuivit et tua le brigand Scyron jusque sur ses rochers : cet homme jetait les passans dans la mer. Procuste reçut aussi le châtiment de ses cruautés. Il surprenait les voyageurs sur le chemin d’Eleusis à Athènes, et les faisait écarteler, ou bien il les égalait à la longueur de son lit, leur coupant des pieds ou de la tête ce qui en excédait.
Après avoir délivré le monde des brigands qui le désolaient, Thésée tourna sa valeur contre les monstres : il combattit entre autre le Taureau de Marathon, qui était d’une grandeur et d’une force prodigieuses : l’ayant dompté, il l’emmena à Athènes, et en fit un sacrifice aux dieux. Mais de tous les exploits de ce genre, le plus célèbre fut la victoire que Thésée remporta sur le Minotaure, monstre moitié homme et moitié taureau. Minos, roi de Crète, le tenait renfermé dans le labyrinthe construit par Dédale, l’homme le plus industrieux de son temps, et qui inventa la hache, le niveau, les voiles de navires. Dédale était aussi un habile statuaire. S’étant enfui d’Athènes pour avoir fait périr son neveu et son élève, dont il était jaloux, il s’était réfugié à la cour de Minos, qui l’avait accueilli avec distinction. Dédale fit en Crète plusieurs ouvrages remarquables, entre autres le labyrinthe, dans lequel il fut enfermé dans la suite pour avoir déplu au roi. Icare, son fils, partagea sa disgrâce. Dédale, ennuyé de sa prison, se procura des plumes et de la cire, puis il fabriqua des ailes, qu’il attacha à ses épaules et à celles d’Icare ; mais ce jeune homme, oubliant ses conseils, vola trop près du soleil : la cire de ses ailes se fondit, et il tomba dans la mer, qui porta depuis le nom d’Icarienne. Mais revenons à Thésée.
Minos, sorti vainqueur d’une guerre contre les Athéniens, avait exigé d’eux un tribut annuel de sept jeunes garçons et de sept jeunes filles, qui devaient être dévorés par le Minotaure. La troisième fois que l’on payait cet odieux tribut, Thésée, formant le dessein d’en affranchir sa patrie, voulut être du nombre de ceux qu’on envoyait en Crète. Le labyrinthe où était le monstre formait mille détours, et une fois entré, il était presque impossible d’en sortir. Ariane, fille de Minos, touchée de pitié pour le jeune héros, lui donna un peloton de fil qui lui aida à retrouver son chemin ; il tua le Minotaure et vint retrouver ses compagnons. Dans l’excès de sa reconnaissance, Thésée avait promis à la fille de Minos de la placer sur le trône d’Athènes ; mais il lui manqua de parole et l’abandonna dans l’île de Naxo, où Bacchus l’épousa.
Les Athéniens avaient coutume de mettre une voile noire au vaisseau qui portait en Crète leurs victimes. Egée recommanda au pilote, si son fils revenait vainqueur, d’attacher au vaisseau des voiles blanches ou rouges, mais la joie de la victoire fit oublier au pilote les ordres qu’il avait reçus ; le bon roi, en apercevait les voiles noires, crut que son fils était mort, et il se précipita dans la mer qui porte son nom.
Pirithoüs, roi des Lapithes, peuples de Thessalie, dans la Grèce, sur la réputation de Thésée, voulut se mesurer avec lui ; mais lorsque ces deux héros furent en présence, étonnés, charmés, l’un de l’autre, ils se jurèrent une amitié éternelle. Ils eurent bientôt occasion de s’en donner des preuves.
Pirithoüs épousa Hippodamie ; il invita Thésée à ses noces, dont étaient aussi les Centaures ; ceux-ci, dans la chaleur du vin, prirent querelle avec les Lapithes et en tuèrent plusieurs ; mais Thésée vengea sur les Centaures l’injure faite à son ami et le massacre de ses sujets.
Les Centaures étaient des peuples de Thessalie, qui trouvèrent les premiers l’art de dompter les chevaux et de s’en servir à la guerre.
Thésée sachant qu’Hélène, fille de Tyndare et de Léda, était très-belle, proposa à son ami de l’enlever ; ce qu’ils exécutèrent ; ensuite, pour lui rendre la pareille, il lui prêta son secours pour enlever Proserpine dont Pirithoüs était devenu amoureux ; mais cette seconde expédition ne réussit pas ; Pirithoüs reçut le châtiment de sa démarche téméraire, et Thésée allait être puni, quand Hercule descendit aux enfers et le délivra.
Pendant le séjour de Thésée aux enfers, Castor et Pollux, à la tête d’une armée, revinrent à Athènes pour reprendre leur sœur Hélène : cette guerre s’appela la guerre des Tyndaridée.
Thésée accompagna Hercule à la guerre des Amazones : après la défaite de ces femmes guerrières, il épousa leur reine qu’on appelait Hippolyte ou Antiope. Il en eut un fils, qu’on nomma aussi Hippolyte. Phèdre, fille de Minos, que Thésée épousa en secondes noces, résolut de perdre ce jeune homme : dans ce dessein elle l’accusa auprès de son père d’un crime odieux. Thésée, pénétré de douleur, pria Neptune de venger son injure et de punir son fils. Hippolyte était sur le rivage, un monstre marin sortit de la mer, le traîna à travers les rochers et le mit en pièces. Esculape lui ayant rendit la vie, Diane le transporta en Italie, et lui donna le nom de Virbius, c’est-à-dire, homme pour la deuxième fois.
Thésée dont la prudence égalait la valeur, fut cependant victime de la faction de Mnesthée, qui le chassa de son trône. Le héros se retira dans l’île de Scyros ; mais un ennemi plus redoutable l’y attendait : Lycomède roi de l’île, le fit massacrer. Dans la suite, les Athéniens le mirent au rang des demi-dieux ; et rendirent des honneurs à ses cendres.
Castor et Pollux §
Pollux, Hélène, Castor et Clytemnestre, étaient tous quatre enfans de Léda, femme de Tyndare, roi de Sparte ; mais les deux premiers avaient pour père Jupiter, et les deux autres appartenaient à Tyndare.
Castor et Pollux furent de l’expédition des Argonautes, où ils signalèrent leur valeur. Ils s’aimaient si tendrement, que Pollux qui était seul immortel, voyant son frère mort et n’ayant pu obtenir de Jupiter qu’il le rendît à la vie, demanda comme une grâce de lui faire part de son immortalité. Ainsi, quand l’un descendait aux enfers, l’autre renaissait. Ils vécurent de cette manière jusqu’à ce qu’ils furent tous deux transportés au ciel, sous le signe des Gémeaux.
Pollux, remarquable par son adresse dans le combat du ceste, fut le premier modèle des athlètes. Castor était habile dans l’art de dompter les chevaux. Ils eurent en commun la gloire de purger la mer de pirates ; ce qui les fit regarder par les marins comme des divinités favorables, surtout quand ces deux astres paraissaient ensemble.
Jason et les Argonautes. §
Jason, fils d’Eson, roi d’Iolchos, fut élevé à la cour de Pélias, son oncle, roi de Thessalie, qui eut grand soin de son éducation ; mais, lorsqu’il fut grand, son courage et son habileté inspirant de la défiance à ce roi soupçonneux, il voulut l’éloigner de ses états. La conquête de la Toison d’or lui parut un prétexte honorable ; et Jason, qui aimait la gloire ; saisit avidement l’occasion d’en acquérir.
Il invita Hercule, Thésée, Castor, Pollux, Orphée, Lyncée et plusieurs autres grands capitaines de la Grèce, à venir partager le péril et la gloire de cette expédition. Le vaisseau destiné à cette entreprise se nommait Argo, soit du nom de la ville d’Argos où on l’avait fait, soit du nom d’Argus qui l’avait construit : ceux qui le montaient se nommèrent Argonautes.
Jason, avec le secours de Médée, fille d’Æétès, roi de Colchos, enleva la fameuse Toison d’or, dont voici l’histoire en deux mots :
Athamas, roi de Thèbes, avait reçu des dieux, en présent, un bélier dont la toison était d’or, et qu’il conservait comme le palladium de sa famille. Phryxus et Hellé, enfans d’Athamas et d’un premier lit, ayant tout à craindre d’Ino, leur marâtre, se saisirent du bélier, montèrent dessus et s’enfuirent. Hellé tomba dans la mer et se noya. Phryxus, continuant sa route, arriva dans la Colchide, où Æétès, roi du pays, l’accueillit favorablement. Phryxus sacrifia le bélier à Jupiter, et le roi suspendit la toison à un arbre, dans une forêt consacrée à Mars, puis il la fit garder par deux énormes taureaux qui jetaient des flammes par la gueule.
Possesseur de ce trésor, Jason partit de la Colchide avec Médée, qu’il épousa. Arrivée en Thessalie, Médée qui avait une grande connaissance des simples, rajeunit Eson, père de Jason ; mais elle fit égorger Pélias par ses propres filles, en lui persuadant qu’elles lui rendraient sa première jeunesse. Ce crime en annonçait d’autres.
Jason étant allé à Corinthe visiter le roi Créon, fut sensible aux grâces et aux vertus de Creüse sa fille, et il abandonna pour elle sa barbare épouse. Médée, outrée de mépris dissimula, mais pour assurer sa vengeance. Corneille l’a fait parler ainsi :
Quoi ! mon père trahi, les élémens forcés,D’un frère, dans la mer, les membres dispersés,Lui font-ils présumer mon audace épuisée ;Lui font-ils présumer qu’à mon tour méprisée ;Ma rage contre lui n’ait pas où s’assouvir,Et que tout mon pouvoir se borne à le servir ?Tu t’abuses, Jason ; je suis encor la même ;Tout ce qu’en ta faveur fit mon amour extrême ;Je le ferai par haine, et je veux, pour le moins,Qu’un forfait nous sépare, ainsi qu’il nous a joints.
Elle envoya à sa rivale une cassette pleine de bijoux, mais sitôt que la jeune princesse l’eut ouverte, il en sortit un feu subtil qui la consuma ainsi que son père. Jason accourut pour punir cette perfidie ; à son approche, Médée monta sur un char attelé de dragons volans, qui la transportèrent à Athènes auprès du roi Egée, dont elle devint l’épouse.
C’est peu que dans Corinthe on ait vu mon courage,Des mépris d’un époux venger l’indigne outrage ;C’est peu que d’une cour que je remplis d’horreur.Ma fuite triomphale ait bravé la fureur ;Pour mieux jouir encor d’une entière vengeance,Je trouve une autre cour, un roi dont la puissance,Pour m’attacher à lui, me rend avec éclatTout ce que je perdis en suivant un ingrat..
Médée eut de ce mariage un fils appelé Médus. Pour le faire succéder à son père, elle voulut empoisonner Thésée lorsqu’il vint à Athènes, mais son projet criminel étant découvert, elle se sauva dans une contrée de l’Asie à laquelle on a donné son nom.
Les chronologistes fixent l’expédition des Argonautes en l’année soixante-quatrième après la fondation de Troyes.
Orphée §
Orphée, musicien célèbre, était fils d’Apollon et de la muse Calliope. On raconte que, par l’harmonie de sa lyre et de sa voix, il suspendit le cours des fleuves et donnait du mouvement aux rochers. Mais jamais son talent n’éclata davantage qu’aux enfers, où il charma tellement Pluton et Proserpine, qu’il obtint le retour de sa femme Eurydice, morte de la morsure d’un serpent lorsqu’elle fuyait les poursuites du jeune Aristée. Mais il n’obtint cette grâce que sous la condition qu’il ne la regarderait point qu’il ne fut sur la terre.
Proserpine, à ce prix, couronnait sa tendresse ;Soudain ce faible amant, dans un instant d’ivresse,Dieu digne de pardon, si l’enfer pardonnait,Suivit imprudemment l’ardeur qui l’entraînait.Presqu’aux portes du jour, troublé, hors de lui-même,Il s’arrête, il se tourne… il revoit ce qu’il aime !C’en est fait, un coup d’œil a détruit son bonheur ;Le barbare Pluton révoque sa faveur,Et des enfers charmés de ressaisir leur proieTrois fois le gouffre avare en retentit de joie.Eurydice s’écrie : O destin rigoureux !Hélas ! quel Dieu cruel nous a perdu tous deux !…………………………………………………………………………………………………………Adieu, mon cher Orphée ; Eurydice expiranteEn vain te cherche encor de sa main défaillante.…………………………………………………………………………………………………………Elle dit, et soudain dans les airs s’évapore ;Orphée en vain l’appelle, en vain la suit encore.Il n’embrasse qu’une ombre ; et l’horrible nocherDe ses bords désormais lui défend d’approcher.Virg., trad. de Delille.
Orphée, au désespoir de la perte d’Eurydice, renonçant à tout attachement, se retira sur le mont Rhodope. Les dames de Thrace, piquées du mépris qu’il témoignait pour elles, résolurent de s’en venger. Un jour qu’elles célébraient les fêtes de Bacchus, profitant de la fureur prétendue que leur inspirait ce dieu, elles le mirent en pièces. Dans la suite il fut changé en cygne ; sa lyre brilla au ciel ornée de neuf belles étoiles, dont chaque Muse fournit la sienne.
Cadmus §
Cadmus, fils d’Agénor, roi de Phénicie, était frère d’Europe. Jupiter, transformé en taureau, ayant enlevé cette princesse, Agénor ordonna à Cadmus d’aller chercher sa sœur par toute la terre, jusqu’à ce qu’il l’eût trouvée. Ayant parcouru inutilement divers pays, il s’arrêta en Grèce par ordre de l’oracle, et bâtit la ville de Thèbes en Béotie. Amphion construisit les murailles en touchant de la lyre ; au son de cet instrument les pierres allaient se ranger d’elles-mêmes à leur place. Les poètes lui comparent
.Songez par quel prodige on connaît Amphion,Quel miracle la Grèce a chanté d’Arion ;Le premier, sans autre art, au son de sa lyreLes pierres se mouvoir et Thèbes se construire ;L’autre, près de périr par la fureur des flots,Sait trouver dans leur sein la vie et le repos.Un dauphin, traversant les plaines de Neptune,Attiré par ses chants, prend soin de sa fortune ;Il l’aborde, il l’emporte, il lui sert de vaisseau ;Et, donnant aux mortels un spectacle nouveau,Il le fait à leurs yeux, sans périls et sans crainte,Naviguer sur les mers de Crète et de Corinthe..
Cadmus régna long-temps et avec beaucoup de gloire dans ses nouveaux états. Il vit naître une nombreuse postérité de lui et de sa chère Hermione, qu’il aima toujours avec tendresse, comme la fidèle compagne de ses malheurs ; mais des chagrins domestiques remplirent leur vie d’amertume : Sémélé fut consumée de la foudre ; Ino se précipita dans la mer ; Agave mit en pièces son propre fils. Les désastres de cette famille infortunée furent un effet de la haine de Junon, qui vengeait sur les parens d’Europe l’impression que la beauté de cette belle personne avait faite sur Jupiter. Cadmus lui-même, chassé du trône par Amphion, se retira avec sa femme parmi les Illyriens, où ils menèrent une vie triste et obscure ; les dieux, touchés enfin de leurs malheurs, les changèrent l’un et l’autre en serpens. Cadmus porta en Grèce les seize lettres de l’alphabet, et inventa l’écriture.
Œdipe §
Laïus, roi de Thèbes, ayant appris de l’oracle que l’enfant dont sa femme était enceinte lui donnerait la mort, ordonna à la reine de le faire périr sitôt qu’il serait né. Jocaste, ne pouvant se résoudre à cet acte barbare, chargea un soldat d’exposer son fils ; mais cet homme, touché de compassion pour cette tendre victime, se contenta de le suspendre par les pieds à un arbre. Un berger de Polybe, roi de Corinthe, le trouva dans cet état ; il l’emporta et le donna secrètement à la reine, qui n’ayant point d’enfant le reçut comme un don du ciel ; elle l’éleva comme son fils, et le nomma Œdipe à cause de l’enflure de ses pieds.
Un Thébain, qui se dit votre père,Exposa votre enfance en ce lieu solitaire.Quelque dieu bienfaisant guida vers vous mes pas.La pitié me saisit : je vous prends dans mes bras.Je ranime dans vous la chaleur presque éteinte,Vous vivez ! et bientôt je vous porte à Corinthe.Je vous présente au prince : admirez votre sort !Le prince vous adopte au lieu de son fils mort,Et par ce coup adroit, sa politique heureuseAffermit pour jamais sa puissance douteuse.Sous le nom de son fils vous fûtes élevéPar cette même main qui vous avait sauvé..
Œdipe, devenu grand, sut qu’il n’était pas fils de Polybe. Il consulta l’oracle, pour savoir de qui il tenait le jour ; on lui répondit qu’il trouverait son père dans la Phocide. Il y alla, et tua Laïus, sans le connaître, dans une sédition populaire que ce roi cherchait à apaiser ; ensuite Œdipe retourna à Thèbes.
Près de cette ville était le Sphinx. Ce monstre, retiré dans les montagnes, se jetait sur les passans ; leur proposait des énigmes, et dévorait ceux qui ne pouvaient pas les deviner ; de sorte que tout le pays était désert.
Né parmi les rochers, au pied du Cithéron,Ce monstre à voix humaine, aigle, femme, lion,De la nature entière exécrable assemblage,Unissait contre nous l’artifice et la rage,Il n’était qu’un moyen d’en préserver ces lieux :D’un sens embarrassé dans des mots captieux,Le monstre, chaque jour, dans Thèbes épouvantée,Proposait une énigme avec art concertée..
Créon, frère de Jocaste, qui, à la mort de Laïus, s’était emparé du royaume, fit publier par des hérauts qu’il donnerait le trône de Thèbes, et la veuve de Laïus en mariage à celui qui pourrait expliquer une énigme que le Sphinx avait proposée. La grandeur de la récompense détermine Œdipe à tenter l’entreprise ; il explique l’énigme, et le Sphinx vaincu se précipite dans la mer. Ainsi Œdipe devint possesseur du royaume de Thèbes et épousa Jocaste.
De ce mariage naquirent deux princes, Etéocle et Polynice, et deux princesses, Antigone et Ismène.
Cependant une peste affreuse porta la désolation dans Thèbes, et l’on eut recours à l’oracle : les devins répondirent que, pour faire cesser ce fléau, il fallait bannir le meurtrier de Laïus.
Œdipe connut enfin qu’il était coupable du crime d’avoir tué son père et épousé sa propre mère. Pénétré de douleur, l’infortuné roi s’arracha les yeux et s’exila lui-même, laissant le royaume à ses deux fils.
Étéocle et Polynice §
Etéocle et Polynice, fils d’Œdipe, désignés par ce prince pour gouverner le royaume de Thèbes, résolurent, pour ne point le diviser, de régner chacun à son tour. Etéocle, qui était l’aîné, monta le premier sur le trône ; mais l’année étant finie, il refusa d’en descendre pour donner la place à son frère, selon leur convention. Telle fut l’origine de la fameuse guerre de Thèbes, surnommée des sept preux, à cause des vaillans capitaines qui s’y trouvèrent.
Le dévouement de Ménécée, fils de Créon, qui se donna la mort, rendit les dieux favorables aux Thébains, et plusieurs chefs des ennemis périrent, mais la victoire restant incertaine, les deux frères la décidèrent par un combat singulier, dans lequel ils s’entre-tuèrent l’un l’autre. Si l’on en croit la fable, ils avaient une telle haine l’un pour l’autre, qu’ils se battaient dans le sein de leur mère. On ajoute que quand on brûla leurs corps, la flamme du bûcher se partagea.
Polynice était coupable d’avoir amené une armée étrangère contre sa patrie ; Créon, pour l’en punir, défendit qu’on lui donna la sépulture. Antigone, sœur de Polynice, bravant la colère de Créon, fit ramasser les cendres de son frère pour leur rendre les derniers honneurs. D’après les lois, elle fut condamnée à être enterrée toute vive, mais elle prévint cet affreux supplice en se donnant la mort ; Hémon, fils de Créon, qui était sur le point de l’épouser, se tua de désespoir. La mort du fils causa celle de la mère, et Créon, ne pouvant survivre à sa femme, la suivit au tombeau.
Tantale §
La famille de Tantale, roi de Phrygie, ne fut pas moins malheureuse que celle d’Œdipe. En parlant du Tartare, nous avons dit quel supplice souffrait ce prince impie dans les enfers ; nous ajouterons que sa criminelle audace attira sur ses descendans une foule de maux.
Pélops, fils de Tantale, quitta la Phrygie, et passa dans le royaume d’Elide, où il demanda Hippodamie en mariage. Œnomaüs, roi de ce pays, et père de cette princesse, aimait si tendrement sa fille, que pour éloigner les prétendans, il ne donnait Hippodamie qu’à condition de le vaincre à la course des chariots. Si celui qui acceptait le tournoi succombait, Œnomaüs le perçait de sa lance. Plusieurs princes avaient déjà péri dans cette dangereuse épreuve ; mais Pélops n’en fut point effrayé, et il accepta les conditions. Il sut mettre dans ses intérêts Myrtile, fils de Mercure, et cocher d’Œnomaüs. Avant de partir, Myrtile ôta le fer qui retenait la roue : Œnomaüs fut renversé de son char et périt misérablement. Pélops ayant épousé Hippodamie, s’empara de ses états, auxquels il donna son nom : c’est le Péloponèse, qu’on appelle aujourd’hui la Morée.
Pélops laissa un grand nombre d’enfans ; les plus fameux sont Atrée et Tyeste. Celui-ci s’étant rendu coupable envers son frère, Atrée en lira une horrible vengeance : il tua secrètement deux des fils de Thyeste, et les lui servit à table dans un festin. Il restait à Thyeste un autre fils nommé Egisthe ; dans la suite, Egisthe tua Atrée, puis il poignarda Agamemnon fils d’Atrée, lorsque ce roi revint de la guerre de Troyes ; Clytemnestre, femme d’Agamemnon, fut la complice de ce meurtre, et elle aida même Egisthe à le commettre.
Troyes §
Dardanus, fils de Jupiter et d’Electre, après avoir régné en Italie, se retira en Phrygie : il épousa la fille de Teucer maître du pays ; et ces deux princes jetèrent les fondemens de la ville de Troyes dans cette contrée, qui était vis-à-vis le Bosphore de Thrace, environ sept cents ans avant la fondation de Rome.
Erichthonius, fils de Dardanus, eut pour successeur et fils, Tros, qui donna son nom à la ville de Troyes, et celui de Troade à toute la contrée. Ce prince eut trois enfans : Ganymède, enlevé par Jupiter, Assaracus père de Capys et aïeule d’Anchise, et enfin Ilus, ce dernier donna le nom d’Illion à une citadelle qu’il bâtit à Troyes, et ce nom s’étendit même à la ville.
Laomédon, fils d’Ilus, bâtit les murailles de cette citadelle, et il y réussit si bien, que l’ouvrage fut attribué à Apollon, dieu des beaux-arts. Priam, fils de Laomédon, et qui lui succéda, fortifia la ville par des bastions nommés Pergama.
Priam eut beaucoup d’enfans, entre autres Déiphobe, Hélénus, Hector, Pâris. Hécube, femme de Priam, étant enceinte de Pâris, rêva qu’elle accouchait d’un flambeau qui mettait le feu à la ville. Priam frappé de ce songe, voulut que l’on fit mourir ses enfans ; mais Hécube le confia à des bergers qui l’élevèrent.
Pâris, devenu grand, ne tarda pas à sa faire connaître par ses belles qualités. Ce que la renommée publiait à son avantage le fit choisir pour juge du différend qui s’éleva entre Junon, Minerve et Vénus. Ces déesses étant aux noces de Thétis et de Pélée, la Discorde jeta dans rassemblée une pomme d’or avec ces mots : A la plus belle. Pâris adjugea la pomme à Vénus et s’attira ainsi la haine de Junon et de Minerve.
A peu près dans le même temps Priam donna un superbe tournoi à la noblesse troyenne. Pâris s’y rendit, Sa bonne mine attira les yeux de toute la cour, son adresse â manier les chevaux le fit triompher de tous ceux qui osèrent courir avec lui ; il l’emporta même sur Hector. Ce héros éprouva un dépit amer d’être vaincu par un jeune homme qu’il ne connaissait pas, il se mit à le poursuivre â outrance ; mais, au moment où il allait le percer, il connut que Pâris était son frère. Sa fureur se changea en bienveillance ; il le mena à Priam, qui, oubliant les anciennes prédictions, le reçut dans son palais avec ses autres enfans.
Guerre de Troyes §
Hercule, après avoir enlevé Hésione, qu’il avait délivrée du monstre auquel Laomédon, son père, l’avait exposée par ordre de l’oracle, la donna en mariage à son ami Télamon, roi de Salamine.
Priam, devenu puissant, et qui ne cherchait qu’une occasion de se venger des Grecs dont il avait été prisonnier, envoya Pâris avec une flotte pour se faire rendre Hésione. Cette princesse était sœur de Priam et tante de Pâris.
Celui-ci alla droit à Sparte, chez Ménélas, qui en était roi. Ce prince, non-seulement l’accueillit avec bienveillance, mais encore il le laissa dans son palais pendant un voyage qu’il fit en Crète. Pâris, profitant de la circonstance, viola les droits de l’hospitalité, et enleva Hélène, femme de Ménélas. Priam approuva la conduite de son fils : il croyait que par un échange, il serait facile de se faire rendre Hésione ; mais les princes grecs réclamèrent l’une, sans vouloir relâcher l’autre, et une ligue fut faite entre eux de ne pas quitter les armes qu’ils n’eussent vaincu les Troyens.
Le lieu du rendez-vous des Grecs était en Aulide, ville maritime de la Béotie. Les vents contraires les retinrent jusqu’à ce qu’enfin Agamemnon se déterminât à immoler sa fille Iphigénie pour apaiser Diane ; mais cette déesse substitua une biche à la place d’Iphigénie, et transporta cette princesse dans son temple de Tauride en Scythie.
La flotte des Grecs, composée de douze cents vaisseaux ou petites barques arriva heureusement devant Troyes, sous la conduite de quatre-vingt-quinze capitaines.
On comptait dans les deux armées plusieurs chefs d’un grand courage, et la victoire se rangeait tantôt d’un parti, tantôt d’un autre, ce qui fut cause que ce siége dura dix ans. La dispute qui s’éleva entre Agamemnon et Achille contribua aussi à retarder le triomphe des Grecs.
Agamemnon avait enlevé Chryséis, fille du grand-prêtre d’Apollon : ce dieu vengeant l’injure faite à son ministre, envoya une peste qui porta le ravage dans le camp. Le divin Calchas déclara que pour la faire cesser il fallait rendre Chryséis à son père. Agamemnon y consentit ; mais il exigea qu’Achille renonçât aussi à Briséis, qu’il retenait captive. Achille, piqué de ce trait se retira dans sa tente, et aucune prière ne put l’en faire sortir.
Hector ne pouvant se mesurer avec Achille, s’attacha à Patrocle, qu’il défit aisément, quoiqu’il eût pris les armes d’Achille. En apprenant la mort de son ami, Achille, furieux, chercha Hector, le combattit et le tua. On dit qu’Achille, pour assouvir sa colère, perça les talons de son ennemi, avec une courroie, le lia à son char, et le traîna dans la poussière autour des murs de la ville assiégée.
Ruine de Troyes §
Achille ayant vu du haut des murailles, Polyxène, fille de Priam, l’envoya demander en mariage à son père, avec promesse de défendre sa personne et ses états. Priam accepta ses offres. Mais comme, pour célébrer cet hymen, il s’était rendu dans le temple d’Apollon Tymbréen, Pâris, pour venger la mort de son frère, le tua d’un coup de flèche, en lui perçant le talon, seule partie du corps qui n’eût pas été trempée dans les eaux du Styx.
Ulysse et Ajax, fils de Télamon, se disputèrent les armes d’Achille. Ulysse, par son éloquence, charma si fort les chefs de l’armée qui étaient arbitres du différend qu’ils décidèrent en sa faveur ; Ajax en conçut tant de douleur, qu’il se perça de son épée.
Il est à remarquer que le premier combat entre la ville et le camp ne commença qu’à la dixième année du siége. Les neuf premières furent employées par les Grecs à soumettre plusieurs villes qui avaient pris les armes pour la défense de Priam.
La trahison de Pâris envers Achille semble justifier la ruse dont les Grecs se servirent pour prendre la ville de Troyes. Ils firent semblant de se retirer, fatigués de la longueur du siége : et, comme s’ils eussent voulu réparer l’injure faite à Minerve par la profanation du Palladium, ils bâtirent un cheval de bois dans lequel ils enfermèrent des soldats armés. A peine furent-ils dans l’île de Ténédos, que les Troyens, voyant cet immense colosse, délibérèrent s’ils le feraient entrer dans leur ville. Laocoon s’y opposa de toutes ses forces ; mais Sinon, aposté par Ulysse, s’étant laissé prendre, leur dit que c’était un vœu des Grecs pour apaiser Minerve ; qu’ils ne l’avaient fait construire d’une si énorme grandeur que pour empêcher les Troyens de l’introduire dans leur ville. On donna dans le piége ; on abattit un grand pan de muraille, et la machine entra. Pendant que les Troyens qui se croyaient délivrés de leurs ennemis, étaient ensevelis dans le sommeil, Sinon ouvrit les flancs du cheval, en fit descendre les soldats qui y étaient renfermés, et donna le signal aux Grecs. Ceux-ci, faisant voile à petit bruit, vinrent fondre sur la ville et la réduisirent en cendres.
La ville de Troyes fut ruinée l’an du monde 2870, trois cents ans après sa fondation. On prétend qu’il y périt plus de huit cent mille Grecs, et presque autant de Troyens. Le fond de cette histoire est vrai, mais les circonstances en sont fabuleuses.
Agamemnon et Oreste §
Agamemnon, de retour dans son palais, trouva dans sa famille des ennemis plus redoutables que n’avaient été les Troyens à son égard, puisque Clytemnestre, sa femme, lui donna la mort.
Un jour, au milieu d’un festin, cette princesse le pria de quitter un habit à la phrygienne qu’il portait, pour en prendre un qu’elle avait tissé pendant son absence ; le roi y consentit ; mais ses bras s’embarrassèrent dans les manches, dont elle avait fermé les issues ; les conjurés, ayant Egisthe à leur tête, se levèrent aussitôt et le massacrèrent.
Après ce crime, la barbare Clytemnestre épousa Egisthe, et lui mit la couronne sur la tête. Oreste, fils d’Agamemnon, devait aussi périr ; mais Electre, sa sœur, le fit porter chez Strophius, son oncle, roi de la Phocide.
Ce jeune prince lia, à la cour de Strophius, une étroite amitié avec Pylade son cousin. Sept ans après le meurtre de son père, il se rendit secrètement à Argos, et tua de sa propre main Egisthe et Clytemnestre.
Tourmenté par les Furies, qui lui représentaient sans cesse l’horreur de son parricide, Oreste consulta l’oracle sur les moyens de s’en délivrer : l’oracle lui conseilla d’aller en Tauride enlever la statue de Diane, et de la porter en Grèce. Une loi du pays portait que tous les étrangers qui aborderaient sur la côte, seraient immolés à la déesse ; c’est pourquoi Oreste et Pylade qui l’accompagnait, furent conduits au grande prêtre Thoas, qui, se laissant toucher à leur malheur, voulut bien en sauver un. Ce fut alors que l’on vit ce généreux combat d’amitié où chacun des deux amis s’offrait pour l’autre. Le sort ayant désigné Oreste, Iphigénie, prêtresse de la déesse, allait l’immoler lorsqu’elle reconnut son frère. Ils tuèrent Thoas, et s’enfuirent tous trois avec la statue, qu’ils cachèrent dans un faisceau. Oreste donna sa sœur en mariage à Pylade ; lui-même épousa Hermione ; ensuite il prit le gouvernement de ses états.
Ulysse §
Ulysse, fils de Laërte, était roi de deux petites îles de la mer Ionienne, appelées Ithaque et Dulichium. Après avoir essuyé les fatigues d’un siége de dix ans ; il passa dix autres années à lutter contre la fortune.
La tempête l’ayant jeté sur les côtes d’Afrique, plusieurs de ses compagnons y périrent : Polyphême, affreux cyclope, en dévora six ; Ulysse qu’il réservait pour le dernier, l’enivra, et lui creva l’œil qu’il avait au milieu du front.
Arrivé près de la Toscane, Ulysse envoya à terre quelques hommes de son équipage. Circé, fameuse magicienne, qui faisait sa demeure dans ces lieux, les transforma en bêtes. Ulysse se préserva de ses enchantemens ; de plus, il la contraignit, l’épée à la main, de lui rendre ses gens sous leur première forme.
La prudence d’Ulysse lui fit encore éviter les suites funestes du chant trompeur des Syrènes ; il boucha les oreilles de ses compagnons, et se fit attacher au mat du vaisseau.
Ayant fait naufrage pour la troisième ou quatrième fois, il se sauva sur une planche, et il arriva à l’île de Corcyre. Alcinoüs, roi de ce pays lui donna des vaisseaux qui enfin le conduisirent heureusement à Ithaque.
Ulysse, reçu dans son palais par sa femme Pénélope, modèle de vertu, et par le jeune Télémaque, son fils, paraissait n’avoir plus rien à désirer, quand étant sorti à l’occasion de quelque tumulte, une flèche tirée au hasard lui donna la mort.
Énée §
Enée était du sang royal de Troyes. La fable lui donne Vénus pour mère. Après la ruine de sa patrie, ce héros fugitif, chargé de ses dieux, de son père, et accompagné d’Ascagne, son fils, se rendit à un port de Phrygie peu éloigné du mont Ida, où il s’embarqua, et fit voile au nord vers les côtes de Thrace. Ne pouvant y faire d’établissement, il gagna le midi, et passa en Crète sans plus de succès. Après s’être reposé de ses fatigues en Epire, il se remit en mer, et arriva à Drapane en Sicile, où il perdit Anchise son père. Il était prêt d’entrer dans le pays latin, quand Eole, à la prière du Junon, ayant élevé une tempêté horrible qui jeta sa flotte de côté et d’autre, il eut le bonheur d’être poussé à Carthage et d’y relâcher. Il repassa en Sicile pour la seconde fois, et y célébra l’anniversaire de la mort d’Anchise. Enfin, après avoir consulté à Cumes la Sybile de ce nom, il parvint à l’embouchure du Tibre, et pénétra jusqu’au pays Laurentin.
Les poètes feignent que Didon régnait à Carthage lorsque Enée y arriva. Virgile qui, à dessein, fait naître Didon deux cents ans plutôt, raconte son histoire dans l’Enéide.
La reine de ces lieux est la belle Didon :Elle reçut le jour dans la riche Sidon ;Mais d’un frère cruel fuyant la barbarie,Son courage en ces lieux s’est fait une patrie.[]
La reine de Carthage, dit encore la fable, touchée des malheurs d’Enée, chercha à le retenir auprès d’elle ; mais ce fut en vain : les dieux avaient parlé, ils appelaient le héros troyen en Italie. Ni les avantages d’un royaume, ni sa reconnaissance, ni les larmes de Didon, rien ne put le retenir. Virgile met dans la bouche ce cette reine infortunée ces reproches sanglans :
Non, tu n’es pas le fils de la mère d’Amour.Non, au sang de Teucer tu ne dois pas le jour :N’impute pas aux dieux la naissance d’un traître,Non, du sang des héros un monstre n’a pu naître.[]
Enée aborda en Italie, Latinus, qui y régnait, le reçut avec distinction, et lui promit en mariage sa fille Lavinie. Turnus, roi des Rutules, se déclara son concurrent. Junon et Vénus prirent part à cette guerre, dans laquelle Enée perdit ses plus fidèles compagnons. Il vengea bientôt leur mort par des faits d’armes extraordinaires. Enfin les deux rivaux terminèrent la querelle par un combat singulier, dans lequel Turnus succomba. Enée épousa Lavinie et succéda à Latinus ; et, par le droit de sa femme, il jeta alors les fondemens de l’empire romain.
Philémon et Baucis §
Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux.Ces deux divinités n’accordent à nos vœuxQue des biens peu certains, qu’un plaisir peu tranquille :Des soucis dévorans, c’est l’éternel asile ;Véritables vautours, que le fils de JapetReprésente enchaînés sur son triste sommet.L’humble toit est exempt d’un tribut si funeste.Le sage y vit en paix, et méprise le reste :Content de ses douceurs, errant parmi les bois,Il regarde à ses pieds les favoris des rois ;Il lit au front de ceux qu’un vain luxe environne,Que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne.Approche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,Rien ne trouble sa fin : c’est le soir d’un beau jour.Philémon et Baucis nous en offrent l’exemple.
Tous deux virent changer leur cabane en un temple.Hyménée et l’Amour, par des désirs constants,Avaient unis leurs cœurs dès leurs plus doux printemps :Ni le temps ni l’hymen n’éteignirent leur flamme ;Clothon prenait plaisir à filer cette trame.Ils surent cultiver, sans se voir assistés,Leur enclos et leur champ par deux fois vingt étés.Eux seuls ils composaient toute leur république :Heureux de ne devoir à pas un domestiqueLe plaisir ou le gré des soins qu’ils se rendaient.Tout vieillit : sur leur front les rides s’étendaient ;L’amitié modéra leurs feux sans les détruire,Et par des traits d’amour sut encore se produire.Ils habitaient un bourg plein de gens dont le cœurJoignait aux duretés un sentiment moqueur.Jupiter résolut d’abolir cette engeance.Il part avec son fils, le dieu de l’éloquence ;Tous deux en pèlerins vont visiter ces lieux.Mille logis y sont, un seul, ne s’ouvre aux dieux.Prêts enfin à quitter un séjour si profaneIls virent à l’écart une étroite cabane,Demeure hospitalière, humble et chaste maison.Mercure frappe : on ouvre, aussitôt PhilémonVient au-devant des dieux, et leur tient ce langage :Vous me semblez tous deux fatigués du voyage,Reposez-vous. Usez du peu que nous avons ;L’aide des dieux a fait que nous le conservons :Usez-en : saluez ces pénates d’argile.Jamais le ciel ne fut aux humains si facile,Que quand Jupiter même était de simple bois ;Depuis qu’on l’a fait d’or, il est sourd à nos voix.Baucis, ne tardez point, faites tiédir cette ondeEncor que le pouvoir au désir ne réponde,Nos hôtes agréeront les soins qui leur sont dus.Quelques restes de feu sous la cendre épandus,D’un souffle haletant par Baucis s’allumèrent :Des branches de bois sec aussitôt s’enflammèrent.L’onde tiède, on lava les pieds des voyageurs.Philémon les pria d’excuser ses longueurs :Et pour tromper l’ennui d’une attente importune,Il entretient les dieux, non point sur la fortune,Sur les jeux, sur la pompe et la grandeur des rois ;Mais sur ce que les champs, les vergers et les boisOnt de plus innocent, de plus doux, de plus rare,Cependant par Baucis le festin se prépare.La table où l’on servit le champêtre repasFut d’ais non façonnés à l’aide du compas ;Encore assure-t-on, si l’histoire en est crue,Qu’en un de ses supports le temps l’avait rompue.Baucis en égala les appuis chancelantsDu débris d’un vieux vase, autre injure des ans.Un tapis tout usé couvrit deux escabelles :Il ne servait pourtant qu’aux fêtes solennelles.Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tous mets,D’un peu de lait, de fruits, et des dons de Cérès,Les divins voyageurs, altérés de leur course,Mêlaient au vin grossier le cristal d’une source,Plus le vase versait, moins il s’allait vidantPhilémon reconnut ce miracle évident ;Baucis n’en fait pas moins : tous deux s’agenouillèrent ;A ce signe d’abord leurs yeux se dessillèrent.Jupiter leur parut avec ces noirs sourcilsQui font trembler les cieux sur leurs pôles assis.Grand dieu, dit Philémon, excusez notre faute :Quels humains auraient cru recevoir un tel hôte ?Ces mets, nous l’avouons, sont peu délicieux :Mais quand nous serions rois, que donner à des dieux ?C’est le cœur qui fait tout : que la terre et que l’ondeApprêtent un repas pour les maîtres du monde,Ils lui préféreront les seuls présens du cœur.Baucis sort à ces mots pour réparer l’erreur.Dans le verger courait une perdrix privée,Et par de tendres soins dès l’enfance élevée :Elle en veut faire un met, et la poursuit en vain :La volatille échappe à sa tremblante main ;Entre les pieds des dieux elle cherche un asile.Ce recours à l’oiseau ne fut pas inutile :Jupiter intercède. Et déjà les vallonsVoyaient l’ombre en croissant tomber du haut des monts.Les dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes.De ce bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes :Suivez-nous. Toi, Mercure, appelle les vapeurs.O gens durs ! vous n’ouvrez vos logis ni vos cœurs !Il dit, et les autans troublent déjà la plaine.Nos deux époux suivaient, ne marchant qu’avec peine ;Un appui de roseau soulageait leurs vieux ans :Moitié secours des dieux, moitié peur, se hâtant,Sur un mont assez proche enfin ils arrivèrent,A leurs pieds aussitôt cent nuages crevèrentDes ministres du dieu les escadrons flottans,Entraînèrent sans choix, animaux, habitans,Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure,Sans vestige du bourg, tout disparut sur l’heure.Les vieillards déploraient ces sévères destins.Les animaux périr ! car encore les humainsTous avaient dû tomber sous les célestes armes :Baucis en répandit en secret quelques larmes.Cependant l’humble toit devient temple, et ses mursChangent leur frêle enduit en marbres les plus durs.De pilastres massifs les cloisons revêtuesEn moins de deux instans s’élèvent jusqu’aux nues.Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris :Tous ces évènemens sont peints sur le lambris.Loin, bien loin les tableaux deet d’ !Ceux-ci furent tracés d’une main immortelle.Nos deux époux, surpris, étonnés, confondus,Se crurent par miracle, en l’Olympe rendus ;Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures :Aurions-nous bien le cœur et les mains assez puresPour présider ici sur les honneurs divins,Et prêtres, vous offrir les vœux des pèlerins ?Jupiter exauça leur prière innocente.Hélas ! dit Philémon, si votre main puissanteVoulait favoriser jusqu’au bout deux mortels,Ensemble nous mourrions en servant vos autels,Clothon ferait d’un coup ce double sacrifice ;D’autres mains nous rendraient un vain et triste office :Je ne pleurerai point celle-ci, ni ses yeuxNe troubleraient non plus de leurs larmes ces lieux.Jupiter à ce vœu fut encor favorable.Mais oserai-je dire un fait presque incroyable ?Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvisIls contaient cette histoire aux pèlerins ravis,La troupe à l’entour d’eux debout prêtait l’oreille ;Philémon leur disait : Ce lieu plein de merveilleN’a pas toujours servi de temple aux immortels ;Un bourg était autour ; ennemi des autels,Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies ;Du céleste courroux tous furent les hosties,Il ne resta que nous d’un si triste débris ;Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris.Jupiter l’y peignit. En contant ses annales,Philémon regardait Baucis par intervalles ;Elle devenait arbre et lui tendait les bras :Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas.Il veut parler, l’écorce a sa langue pressée ;L’un et l’autre se dit adieu de la pensée :Le corps n’est tantôt plus que feuillage et que bois.D’étonnement la troupe, ainsi qu’eux, perd la voix.Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne.On les va voir encore, afin de mériterLes douceurs qu’en hymen Amour leur fit goûter.Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre,Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre.Ils s’aiment jusqu’au bout malgré l’effort des ans.Ah ! si… Mais autre part j’ai porté mes présens,Célébrons seulement cette métamorphose.De fidèles témoins m’ayant conté la chose,Clio me conseilla de l’étendre en ces versQui pourront en ces jours l’apprendre à l’univers.Quelque jour on verra chez les races futures,Sous l’appui d’un grand nom passer ces aventures.Vendôme, consentez au lot que j’en attends ;Faites-moi triompher de l’Envie et du Temps :Enchaînez ces démons, que sur nous ils n’attentent,Ennemis des héros et de ceux qui les chantent.Je voudrais pouvoir dire en style assez haut,Qu’ayant mille vertus vous n’avez nul défaut.Toutes les célébrer serait œuvre infinie ;L’entreprise demande un plus vaste génie :Car quel mérite enfin ne vous fait estimer ?Sans parler de celui qui force à vous aimer.Vous joignez à ces dons l’amour des beaux ouvrages :Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages ;Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présensQue nous font à regret le travail et les ans.Peu de gens élevés, peu d’autres encor même,Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.Si quelque enfant des dieux les possède, c’est vous ;Je l’ose dans ces vers soutenir devant tous.Clio, sur son giron, à l’exemple d’,Vient de les retoucher, attentive à vous plaire :On dit qu’elle et ses sœurs par l’ordre d’Apollon,Transportent dans Anet tout le sacré vallon :Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombragesDes arbres dont ce lieu va border ses rivages !Puissent-ils tout d’un coup élever leurs sourcils,Comme on vit autrefois Philémon et Baucis ![]