Correspondances écrites et reçues par Jean Paulhan (1925-1936 et 1950-1958), éditées en collaboration avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC, Caen) et la Société des lecteurs de Jean Paulhan (SLJP).

Il semble que ce soit votre première visite de notre site (cookie non trouvé). Nous vous invitons à lire la description du projet, afin de comprendre les négociations délicates et fragiles qui ont permis de donner accès à ces documents. Un bouton vous est proposé au bas de cette page pour exprimer votre acceptation des conditions d’utilisation, avant de poursuivre votre navigation.

Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).

Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :

  • 1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
  • 1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…

L’OBVIL, dont l’accès et la consultation en ligne sont libres, constitue cependant une base de données protégée, au sens des articles L341-1 et suivants, du code de la propriété intellectuelle française. Il est donc convenu que :

  • La diffusion sur le site de l’OBVIL des lettres, quoiqu’ayant été autorisée par les ayants-droit des auteurs concernés, demeure soumise aux règlementations en vigueur sur les droits d’auteur.
  • Pour toute citation d’une lettre ou diffusion d’une image, dans le cadre d’une utilisation privée, universitaire ou éducative, il doit être fait mention de la source [« Labex OBVIL »]
  • Pour toute citation ou diffusion dans le cadre d’une utilisation commerciale, il faut obtenir l'autorisation préalable des ayants-droit concernés.

L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur.

*

  • Pour obtenir l’autorisation de reproduction d'un document du site HyperPaulhan, contactez la représentante des ayants-droit de Jean Paulhan, soit Claire Paulhan.
  • Pour obtenir des informations biographiques sur Jean Paulhan, ou se renseigner sur les activités de la Société des Lecteurs de Jean Paulhan, consultez le site de la SLJP.
  • Pour consulter les archives-papier originales de Jean Paulhan à l'abbaye d'Ardenne, inscrivez-vous à l’IMEC.

Blaise Allan

1950/1958

Blaise Allan à Jean Paulhan

Correspondance (1950–1958)

2016
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125
Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial) et Anne-Laure Huet (Édition TEI).

Blaise Allan à Jean Paulhan (1er décembre 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 1er décembre 1950.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

L'armée des Poèmes tragiques et de Sapho pourrait prêter à confusion.

Cependant, elle vous a vu naître, et c’est aussi celle des premières traductions françaises de Tolstoï et de Dostoïevski.

Le jour n’est pas moins ambigu. L'Eglise Romaine, le 2 décembre, célèbre, selon l’agenda Guillaume Tell, Sainte-Bibiane, et, selon le calendrier des P.T.T. Sainte Viviane. Cela sent le complot espagnol par la Franche-Comté, terre obscure.

Mais le nom de cette Sainte ne paraît pas très catholique ; l’on vivait celui d’une fée.

Et surtout, il y a la joie de nous féliciter de vote anniversaire et de vous dire des voeux bien affectueux : plutôt la grâce que les [Saints?] .

Ces temps offrent peu d’occasions d’être heureux : en voici une pour votre dévoué

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (14 août 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 14 août 1951.

Hauterive

(Neuchâtel)

SUISSE

le 14 août 1951

Cher ami,

Les épreuves d’André Gide et Neuchâtel me sont bien parvenues et je viens de les envoyer, corrigées, à la N.R.F., Editions Gallimard, sans plus de précisions.

Cet été, je ne sais quelle lucidité m’a gagné, et je vois que Neuchâtel m’a gagné et je vois encore Neuchâtel a beaucoup changé depuis mon enfance ; André Gide, revenu dans cette ville, constaterait même qu’en quatre ans de nombreuses transformations se sont produites.

Il y a ici moins d’arbres et plus de coiffeurs, moins de bouchers et plus de fleurs. L'éclairage public de blanc qu’il était, est devenu bleu ou rose; Sur le lac, en se multipliant, les cygnes ont perdu leur naturel et jouent la comédie. On ne rencontre presque plus de ces vêtements noirs, où il fallait deviner un visage, des mains ; maintenant la plus part des gens sont habillés de peau humaine ; ils demeurent graves, et c’est bien.

Mais, surtout, à l’invasion des Alémanes s’est ajoutée celle des Lombars. Cela crée de singulières nouveautés dans le langage, le mouvement des rues, le rythme de la cité, la nourriture, la façon d’imaginer et de faire l’amour, la religion. Les Burgondes, auxquels appariennent ces lieux, s’imposent encore par un ordre où Roger Caillois trouverait à juste titre, du sacré, mais il se remettent à craindre Rome et le nord.

Ces changements, sous d’autres formes, atteignent toute la Suisse.

Quand on pense à ce pays, il faut toujours le situer à sa vraie place, qui est le royaume de Bourgogne – Charles-Albert Cingria vous le disait mieux que moi.

J'espère que vous reviendrez bientôt dans les terres helvètes : je rêve d’un Supplément au Guide d’un petit voyage en Suisse.

J'ignore où vous passez ce mois d’août ; j’hésite entre trois contrées, purement imaginaires d’ailleurs, mais que vous charmes les trois !

Jean-Michel Janienko se joint à mois pour vous souhaiter d’heureuses vacances.

J'écris deux romans, et je vous envoie mes affectueuses pensées.

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (25 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 25 avril 1952.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

j’ai envoyé votre mot à Marguerite Mespoulet, curieux personnage filleule de Faguet, une des premières femme agrégée, professeur à l’Université de Columbia, violente en tout, haïssant l’Université, mais connaissant la littérature française et la littérature anglaise mieux que personne, et si savante dans le XIXe siècle qu’elle s’y perd.

Je suis navré de savoir que votre sciatique ne veut pas vous lâcher. Dominique me dit que vous êtes soigné par un grand médecin et me donne des détails qui m’inquiètent beaucoup. Peut-être faudra-t-il essayer d’autres méthodes.

Nous avons eu ici un voyant qui, sans vous connaître, et simplement au toucher d’une envoeloppe portant votre écriture et pliée en quatre, nous a donné toutes espèces de détails sur votre vie.

Puis-je faire quelque chose pour vous ? Ecrivez-le moi, téléphonez (Gobelins 3231) ou faites le dire par Dominique.

Je serais très heureux de vous aider en quoi que ce soit.

Jean-Michel Jasienko joint ses voeux aux miens.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (25 juin 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 25 juin 1952.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher ami,

Pardonnez-moi de ne vous envoyer qu’aujour'hui la « voyance » dont je vous ai parlé.

J'espérais revoir le voyant et l’entendre encore ; il est sur la côte d’Azur et vient de m’écrire qu’il ne rentrerait pas à Paris avant le mois de septembre.

Le texte ci-joint ne donne qu’une très mauvaise idée de ce que le voyant a dit de vous ; mais je neveux pas faire appel à ma mémoire pour compléter ; c’est plus pur ainsi.

Avec les meilleurs messages de Jean-Michel Jasienko et ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (1er décembre 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 1er décembre 1952.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

Souvent je m’interroge sur l’obscurité des mouvements qui semblent écarter nos chemins et ne leur permette de se croiser qu’en de rares occasions.

Aussi un jour comme votre anniversaire achève-t-il de me convaincre de la valeur des signes non seulement « parmi nous » mais pour nous, ce qui est l’essentiel.

Demain, quelques uns sentiront le signe de votre naissance et sauront qu’elle contenait déjà votre présence ; je serai de ceux-là, avec tout mon coeur, au sens le plus vulgaire, comme au plus [mot illisible] de ce mot.

D'autres, qui nient l’être, refuseraient, en se moquant, de voir un signe dans le souvenir de l’instant où, selon eux, vous n’étiez rien ; c’est ignorer le drame de la promesse et la mystérieuse magnificence de la promesse tenue.

Nous appartenons à une religion selon laquelle Dieu a fait le monde et le conduit éternellement, « hic et nunc » mais a laissé à l’homme la liberté de le croire ou de ne pas le croire.

Comment ne pas le croire devance ces signes – ce signe précis que j’évoque ici ?

Pour moi, le 2 décembre signifie votre nécessité ; ce jour est donc aussi celui de la reconnaissance.

Jean-Michel Jasienko me demande de joindre ses messages et ses voeux aux miens.

Avec toute la fidèle affection de

votre ami
Blaise Allan

Ps S'est-on rendu compte de l’importance qu’a pour la Suisse Romande la réapparition de la N.R.F ? Et du contraire, au poins de vue matériel au moins ?

Blaise Allan à Jean Paulhan (6 février 1953) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 6 février 1953.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher ami,

merci de votre mot qui me touche, mais me charge d’une responsabilité inquiétante.

Non ! Vous n’avez pas dit de « bêtises » et en auriez-vous dit qu’il faudrait vous excuser : les théologiens (les catholiques aussi) ont tellement varié sur la question du baptême.

Mais vous vous êtes aventuré dans un domaine dangereux ; le problème du baptême passionne aujourd’hui les Protestants, jette le trouble sur les Eglises et provoque des réactions violentes, dont vous ne serez peut-être pas à l’abri. Ces réactions seront différentes et même opposées, selon le journal qui publiera votre texte. La plus grande partie de la presse protestante de langue française étant barthienne, vous vous trouverez donc, probablement, en face de Barthiens (c’est en particulier le ces de [Reformel?]) qui sont des gens d’un dogmatisme féroce.

Je ne veux pas faire ici un cours de théologie ; mais voici, en gros, comment se pose le problème.

Zwingli n’attribuerait au baptême aucune influence sanctifiante et ne voyait dans le baptême qu’un engagement par les parents, le signe de l’Eglise visible par lequel l’'hommes est [pris?] au nombre des Chrétiens un appel à la bénédiction de Dieu. Cette doctrine, qui a trouvé son expression la plus poussée dans le « Libéralisme » a fini par se répandre chez un grand nombre de Protestants, et elle est encore très répandue. Sa forme actuelle a été résumée par Wilfred Monod : « L'acte matériel du baptême n’a jamais transformé spirituellement une créature inconsciente. Mais par les promesses d’éducation chrétienne (par l’intention sainte qui s’attache au baptême) et de fidélité à l’Evangile qui l’accompagne, l’enfant est [pris?] au profit d’une bénédiction : il est, inséré dans le corps visible de l’Eglise, avec la possibilité d’appartenir un jour à son âme invisible, quand il verra lui-même Celui qu’il faut rencontrer : « Toi, suis-moi! » (Wilfred Monod : Du protestantisme, Alcan 1928, P.P 109-110). Il faut souligner que Wilfred Monod parle au [prédobaptiste?].

Ce que vous avez dit (je m’en tiens aux mots) ne se rattache pas à cette doctrine libérale ; vous avez parlé comme si vous pensiez que votre baptême éventuel pourrait (je dis provisoirement « pourrait » : vous verrez plus loin le sens de cette réserve) effacer toutes vos fautes.

Il est certain que beaucoup de Protestants, plus ou moins marqués par le libéralisme, et tous les théologiens libéraux vous en voudront ; ces derniers jours, du reste bien rares aujourd’hui en France et en Suisse Romande, et leur âge a diminué leur agressivité, en France en Suisse Romande, les jeunes théologiens sont presque tous barthiens.

Luther a beaucoup varié sur la question du baptême (cf. Lichtenberger : Encyclopédie des Sciences religieuses, tome II. P.P. 68 en suiv, Fischbacher). Selon le Sermon sur le sacrement du baptême (1519), la régénération opérée par la Foi commence au baptême et se continue pendant toute la vie. La Confession d’Augsbourg (1530), à l’article IX, dit simplement que le baptême est nécessaire au salut, que la Grâce y est offerte. A la fin de sa vue, Luther considérait que l’eau du baptême, eau à laquelle se joint la Parole de Dieu (cat. min. IV.10) est une eau divine, sainte, salutaire (cat maj IV 17, 18) opérant la rémission des péchés (cat. min. IV.6), mais seulement pour ceux qui croient à la parole et aux promesses divine (cf.ibid.)

Georges Fulliquet, professeur de théologie à l’Université de Genève, sans son Précis d’Histoire des Dogmes (Fischbacher) P.P. 162-163, résume ainsi la doctrine de Luther : « Le baptême des enfants est la manifestation la plus claire de la grâce [prévenante?] La foi d’autrui est ici utile à l’enfant et, de plus, le baptême confère la foi personnelle. Mais il s’agit encore ici d’un point de vue prédobaptiste.

Pour Luther, l’essentiel c’est la gloire de Dieu, sa volonté, son action (vous vous doutez que Calvin n’a pas été sans subir l’influence de Duns Scot), d’où un monisme absolu et une religion d’héroïsme, de plus, en donnant au Saint-Esprit la fonction de lien entre les hommes, les Ecritures, Jésus-Christ, et Dieu, Calvin a pris une position originale, qui, en dehors de toute ontologie, attribue au Saint-Esprit un rôle psychologique. La Doctrine calviniste du baptême se fonde sur ces données ; elle se situe entre Zwingli et Luther, et plus près de ce dernier. Pour Calvin, le baptême est un signal d’initiation par lequel on entre dans la communion de l’Eglise visible, un sceau de Dieu. Il est un témoignage qui nous assure que nos péchés, nous sont pardonnés, mais en nous, non par le baptême lui-même, mais par le Sang du Christ, dont le baptême est le symbole (Inst. ch.IV, 15, 1 et 2). le baptême nous unit au Christ (ibid, 3,6). Calvin justifie le prédobaptisme par l’analogie avec la circoncision. Je pense que si les enfants ne sont pas encore en état de connaître le Christ et donc de recevoir la régénération et la sanctification par le Saint-Esprit et d’avoir la foi, ils ont déjà une étincelle de lumière qui brillera plus tard en eux. Cette étincelle est suffisante pour les élus (ibid, 17-21). Les enfants qui meurent non baptisés et sont au nombre des élus héritent de la vie éternelle; Le baptême n’est dont pas une condition essentielle du Salut (ibid, 20).

Il faudrait également citer tous les chapitre Des Sacrements dans le Catéchisme de l’Eglise de Genève par Jean Calvin (Ed. « Je sers » 1934). Les Sacrements sont d’abord présentés comme devant « soulager notre faiblesse » (46° Section p. 110), comme « figure des choses spirituelles » (ibid. P.III) Puis Calvin explique que « les incrédules ou les méchants anéantissent la grâce qui leur est présentée dans les sacrements » (ibid. 47e Section, P.III) Il dit ensuite qu’il est nécessaire de recevoir les sacrements « avec foi » (ibid. P. 112), qu’il n’y a pas dans le signe visible « quelque vertu [mot illisible] III fermée », mais « une aide pour nous conduire » directement au Seigneur Jésus-Christ, pour chercher en lui le Salut en la solide félicité » (ibid). Il continue : « Le baptême nous est comme une entrée dans l’Eglise de Dieu : car il nous assure que Dieu, au lieu que nous lui étions étrangers, nous reçoit pour ses domestiques » (cf. ibid. 48e section, P.P. 113-114). Dans la 49e section (P.P.114-116) Calvin dit que l’eau représente la rémission des péchés, en même temps que la modification de la nature ; elle est un signe de [mot illisible] de résurrection. Mais seul le Sang de Jésus-Christ lave par le Saint-Esprit. La rémission des péchés est offerte et règne dans le baptême, mais peut être ensuite anéantie par le pécheur. Puis dans la 50 e Section (P.P. 116-117) : le légitime usage du baptême consiste dans la foi et la repentance, et Calvin insiste sur la nécessité de faire paraître le fruit du baptême. Il résume enfin : « On doit administrer le baptême comme un signe ou un témoignage qu’ils (les enfants) sont héritiers de la bénédiction que Dieu a promise à la postérité de fidèles ; enfin qu’étant parvenus à l’âge de discrétion, ils reconnaissent la vérité de leur baptême, pour en profiter » (Je vous signale le caractère figurant du vocabulaire de Calvin).

Bref, pour les Protestants-non-libéraux (s’inspirant de Luther ou de Calvin), le baptême offre la rédemption mais ne la garantit pas ; seule la Foi garantit la rédemption.

Les Barthiens vont jusqu’au bout de la doctrine de [Kare Barth?] en anti-prédobaptiste, (c’est à dire qu’il réserve le baptême à l’âge adulte, où la Foi intervient. Pour eux, c’est une question capitale. Kare Barth a écrit : « la négligence du sacrement a contribué à rendre le protestantisme moderniste » (Karl Barth : Credo : Appendice IX. Prédication et Sacrement : P. 244, Editions « Je sers », Paris 1936) Voyez également l’étude de Barth sur le baptême (1942), sa Dogmatique (en cours de publication) et les études sur le baptême dans la revue barthienne Verbum Caro (Ed. Du Griffon, Neuchâtel).

C'est ici que les choses se compliquent, que se représente le danger, et voici pourquoi plus haut, j’ai fait une réserve sur les sens véritable de vos paroles.

Vous avez dit que le baptême éventuel vous laverait de toutes vos fautes. Cela plaira, je crois, aux Barthiens qui croient à l’efficacité du baptême. Mais avez-vous, en fait, voulu dire que le baptême vous laverait de ces fautes si certaines conditions, non nommées par vous, étaient remplies ? Alos on serait en droit de vous rappeler l’action de la grâce reconnue par la foi, en s’étonnant de votre silence à ce sujet.

Ou avez-vous, en fait, voulu dire que le bapême vous laverait en tous lors de vos fautes ? Ce serait admettre une interprétation excessive de la Doctrine (catholique, telle qu’elle s’applique aux enfants – sacrement ou régénération. (Catéchisme Romain. p. II, C.2, par 5) infusion de la grâce ou de toutes les vertus (cf.ibid. Par 53, 54) forme verbale du sacrement (cf. ibid. par 13, 14) – mais non aux adultes dont on exige la foi, la repentance, le désir de ne plus pécher (cf.ibid. Par 40) On pourrait aussi vous le reprocher.

Au-delà de toutes ces considérations théologiques, que je donne uniquement pour être complet, l’essentiel me semble tenir à ceci : le texte écrit retiendra-t-il le ton ou les nuances qui situaient vraiment ce que vous avez dit ?

J'en doute un peu ; votre voix a joué un rôle considérable dans ces émissions de la radio ; et d’une façon générale on vous comprend plus facilement quand on vous écoute que quand on vous lit.

Ne faudrait-il donc pas, peut-être, ajouter un mot qui rétablirait l’équilibre, en évoquant les conditions spirituelles, ou baptême en en éclaircissant le sens de votre phrase écrite, où faute de ce signe, on pourrait voir l’expression d’une croyance ou baptême « magique »?

Ou bien un mot qui situerait cette phrase sur les plus poétique, où les théologiens n’aueraient plus rien à voir ?

Je crois qu’en tous cas, on reconnaîtra en vous quelque chose de profondément protestant.

Peut-être quelques-uns sentiraient-ils ce que je sens : un lien secret avec le monde de la grâce.

Je ne vous dirai pas mes convictions personnelles sur le baptême. Mais je me permettrait d’ajouter que sans cette [émission?] dite maintenant « de baptême », j’ai souffert d’une absence.

Et je me suis souvenu de la parole de Paul : « Si une femme a un mari non croyant et qu’il consent à habiter avec elle, qu’elle ne répudie point son mari .Car le mari non croyant est sanctifié par la femme... autrement vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints. (I. Corinthiens, VII, 13-14)

C'est là le mystère...

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Ps : Si vous avez quelque chose à me demander, je serai chez moi demain, dimanche, après-midi (Gobelins 32 31)

J'ai beaucoup aimé votre émission de ce soir.

Blaise Allan à Jean Paulhan (6 juillet 1953) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 6 juillet 1953.

51, rue Boussingault

Paris XIII

Cher Ami,

pardonnez-moi de ne vous remercier qu’aujourd’hui de La Preuve par l’Etymologie : je voulais, pour livre votre livre, avoir un moment tout à fait tranquille, et c’est seulement hier que j’ai trouvé ce moment.

Depuis le jour où j’ai reçu votre envoi, j’étais du reste, agréablement occupé par le problème fondamental que pose le titre : peut-on trouver-même dans la mesure très limitée de toute preuve un tant soit peu valable – quoi que ce soit sur les mots par les mots – car ce sont bien les mots qui se présentent d’abord dans la preuve.

Il me semble que Dieu seul se prouve par Dieu.

Puis à mesure que je vous lisais, de très courts poèmes, poèmes de mots seulement, hantaient mon esprit, en compagnie de curieuses étymologies que je connais et dont je vous parlerai.

Puis, j’ai été ému par le combat que se livrent dans vos pages une interprétation trçs rationaliste, à mon sens, du langage,et de ses phénomènes si divers et de secrètes tentations, mais puissantes, qui vous entraînent fort loin.

Enfin, vous m’avez fait sentir, mieux encore, le mystère des mots, et j’aime ce mystère.

Je vous remercie donc de tout ce que La preuve par l’étymologie m’a rappelé, révélé ou promis et du plaisir de sa lecture ; et je vous remercie de l’envoi même de ce signe qui m’est plus précieux que vous ne le pensez.

Je compte sur vous, vendredi 10, pour dîner et je me réjouis de cette heureuse perspective, il y a trop longtemps que les complications de la vie nous ont empêchés de nous voir.

Avec ma fidèle affection de votre bien dévoué

Blaise Allan

PS : pardonnez cette affreuse écriture : j’ai un stylo qui ne marche pas.

Blaise Allan à Jean Paulhan (1er décembre 1953) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 1er décembre 1953.

51 rue Boussigault

Paris XIIIe

Cher ami,

oui!... Je crois qu’il faut se féliciter d’être né.

En tout cas, je me félicite de votre naissance et de ce deux décembre, je serai, avant otut, reconnaissant de savoir que vous êtes né, de vous connaître, de pouvoir vous dire mon affection.

Ceci m’entraîne dans des méditations aussi graves qu’heureuses.

Jean-Michel Jasienko se joint à moi pour vous envoyer tous nos voeux et nos salutations les meilleures.

Fidèlement

votre
B.A

Blaise Allan à Jean Paulhan (25 février 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 25 février 1954.

Paris XIIIe

51 rue Boussigault

Cher Ami,

merci de votre mot qui m’a touché.

La lettre de M.M. Est bien féminine.

M.M a sa guerre à elle, contre R.R, et c’est une guerre de Cent-Ans, - alors....

Mais je lui écrirai que sa lettre vous a fait plaisir.

J'espère que les brumes se dissipent...

Jean-Michel Jasienko vous envoie ses meilleures messages.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (21 août 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 21 août 1954.

Hauterive

(Neuchâtel)

SUISSE

Cher ami,

Merci de votre lettre. J'essayerai d’écrire la page que vous me demandez sur Ch. A. Mais j’ay vois beaucoup de pièges. Pour quand vous faudrait-il ce texte ?

Ch.A a publié vers 1930, chez Payot – dans une petite collection où j’ai aussi donné un livre, un Saint-Gall. Je vais voir si on le trouve encore. Chez Mermod (Guilde du Livre) Ch.A a publié Stalactites, qui est épuisé, mais que je crois avoir à Paris. Chez Mermod : le Canal exutoire, le 16 juillet, et me semble-t-il, Enveloppes (mais c’est peut-être quelqu’un d’autre). Ces livres sont eux aussi épuisés. Mais on m’assure que Mermod en a quelques exemplaires et qu’il vous les donnerait si vous les lui demandiez.

Il faudrait chercher les textes. Or Ch. A. dans La voile latine (vers 1906-1910) Les Cahiers Vaudois (1914-1920) et Aujourd’hui (que Mermod publiait il y a quelques années).

Dominique me dit que vous allez nous donner votre article pour Profils ces prochains jours, j’en suis très heureux, - merci.

Avec toute ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (30 novembre 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 30 novembre 1954.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

j’espérais que nous pourrions célébrer votre anniversaire avec vous.

Mais la distance permet peut-être de mieux méditer cet événement et d’en voir la perspective, c’est à dire d’en saisir le poids et la richesse.

J'évoque ce que je sais de votre vie et je constate mélancoliquement que j’en ignore sans doute l’essentiel ; cependant, ce qui reste dans le secret n’est pas ce qui m’[émeut?] le moins.

A mon tour, je pourrais vous dire que vous ignorez beaucoup de choses de moi et marquer combien vous m’avez plus donné que vous ne l’imaginez.

Je pense aussi à vos parents – il ne faut jamais oublier les parents de ceux dont on célèbre l’anniversaire, - et les vôtres, à titre différent, m’ont beaucoup frappé.

Mais croyez-bien que je ne suis pas tourné seulement vers le passé.

Quand je vous remercie d’exister, je regarde surtout vers l’avenir : ce que vous nous donnez, - vous me donnez, nous entraîne.

Jean-Michel Jasienko se joint à moi pour vous dire mes affectueuses pensées et nos voeux les meilleurs.

Jeudi, nous serons avec vous par le coeur et nous serrons heureux.

Votre ami
Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (8 juillet 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 8 juillet 1955.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

Je n’arrive pas à terminer la traduction de l’article de [Roduran?] sur la « Crucifixion » de Rico Lebrun avant votre départ. Pardonnez-moi. Vous l’aurez dès votre retour.

J'essaie de me rassurer en écoutant Dominique qui me dit que vous n’emporteriez pas ce texte en voyage.

Je souhaite que vous alliez à Ravello (au dessus d’Amalfi) dont j’ai parlé Dominique. C'est très beau et reposant.

Jean-Michel – qui a fait pousser de merveilleux pavots dans son jardin, - se joint à moi pour vous envoyer nos affectueuses pensées...

Fidèlement

votre
Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (30 juillet 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 30 juillet 1955.

I Vieux-Châtel I

Neuchâtel

SUISSE

Cher Ami,

L'article sur les peintures religieuses de Rico Lebrun est renvoyé à Profils 13 : cela vous donne donc plus de temps pour faire le vôtre.

Dès que j’aurai fait la traduction je vous l’enverrai.

J'espère que votre voyage en Italie s’est bien passé ; e suis heureux de savoir que vous êtes allé à Ravello, où, plus encore que la ville, le paysage et le souvenir, quelque chose de l’air me touche.

Ici, les Neuchâtelois font de la théologie, jusque dans les bains du lac ; l’autre jour, j’ai vu des cygnes qui tournaient lentement autour du premier volume de l’Institution Chrétienne (me direz-vous rien dans la N.N.R.F. De cette réédition?) flottant sur les eaux glauques de Gide.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

Jean-Michel vous fait dire tous ses affectueux messages.

Ne pensez pas que cette adresse soit une protestation contre le Neuchâtel de la reine Berthe et Charles-Albert.

Blaise Allan à Jean Paulhan (2 octobre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 2 octobre 1955.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Téléphone : Gobelins 3231

Monsieur Jean Paulhan

5 rue des Arènes

Paris Ve.

Cher ami,

Merci de votre mot qui m’a surpris : je vous croyais encore dans e Midi.

Oui : …. bien sûr que « l’art sacré » tient toujours et j’y tiens, moi, beaucoup.

Comme je vous l’ai dit, je désire mettre votre article dans le même numéro de PROFILS que celiu de Selden Rodman sur le peintre américain Rico Lebrun, qui fait des tableaux religieux. Le texte de Rodman devait d’abord paraître dans le numéro 13, puis dans le 14. Il est maintenant renvoyé au 15, d’où mon silence, dont je m’excuse.

Au cas où vous ne souhaitiez pas lire l’article sur Rico Lebrun, donnez-moi l’article dès que vous l’aurez écrit et je vous le ferai régler tout de suite.

Si au contraire, vous tenez à lire l’article de Rodman, il faudra attendre un peu, car ce texte n’est pas encore traduit.

Il y a peut-être une solution intermédiaire. Je peux vous envoyer les photographies des oeuvres de Rico Lebrun, que nous donnerons dans PROFILS (je vous demanderais de me les retourner). Vous verrez que c’est très inspiré de Rouault.

Vous connaissez Neuchâtel mieux que moi : j’ignorais M. Blin.

Le prince Eristov (qui était un bon ami de Cingria) et moi avons envie de faire donner un service othodoxe pour Charles-Albert, avec beaucoup de musique et de pompes byzantines.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (1er décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 1er décembre 1955.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

J'évoque le jour de 1927 ou 1928 où, avec Marcel Jouhandeau, je vous ai rencontré pour la première fois. C'était un soir de brume comme ce soir. Peut-être la veille ou l’avant-veille du 2 décembre Nous vous avons attendu devant la petite porte. Je me souviens de vous avoir vu d’abord à la lueur vague d’un réverbère, puis à celle, plus forte et soudain surprenante, d’un étalage de fruitier.

Je ne sais pas ce que j’ai fait depuis, mais je sais ce que vous avez fait.

Je mesure le poids et la richesse de cet attachement que trente ans, ou presque, ont tissé.

Jean-Michel Jasienko se joint à moi pour vous dire nos meilleurs voeux et nos affectueuses pensées.

Fidèlement

vôtre
Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (13 février 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 13 février 1956.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

merci de votre gentil mot et de la photo.

J'ai été heureux de vous voir ici, mais j’ai toujours l’impression que la cuisine et ses soucis m’empêchent de bien voir ceux qui viennent chez moi.

Charles-Albert est très beau et d’une gravité émouvante.

Je crois qu’il a dix ou douze ans.

Je serais ravi d’avoir une photographie de vous enfant. Je ne suis jamais remonté au delà du zouave (que je ne possède pas, mais que j’ai vu).

Merci de ne pas oublier votre article pour Profils : cela devient pressant.

N'écririez-vous pas une petite lettre à Henry Ford pour protester contre la disparition de cette revue (Son adresse est au 477 Maison Avenue, New York 22.) ?

Jean-Michel vous envoie ses meilleures salutations.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (25 février 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 25 février 1956.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe.

Monsieur Jean Paulhan 5 rue des Arènes

Paris Ve.

Cher ami,

Voici enfin l’article sur Rico Lebrun et les reproductions qui l’accompagneront.

Je pense que ce texte ne changera rien au vôtre et j’espère donc avoir votre article le plus vite possible.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (16 mars 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 16 mars 1956.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

Votre lettre m’a enchanté et je vous en remercie.

J'ai hâte de lire votre texte qui promet d’être passionnant.

Je suis très touché de la peine que vous voulez bien prendre et je l’ai dit à l’imprimeur pour calmer ses impatiences, qui sont grandes depuis le 10.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

P.S. Je pense toujours à la photo...

Blaise Allan à Jean Paulhan (13 juillet 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 13 juillet 1956.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

le 13 juillet

Cher Ami,

Merci de votre lettre qui m’a touché.

J'ai communiqué à « Intercultural Publications » ce que vous m’avez écrit sur Profils : cela peut être très important.

J'ai dit à l’imprimeur et à Jean-Michel, qui a corrigé les épreuves, que vous étiez satisfait de la typographie de votre article ; ils en sont heureux.

Je ne m’étonne pas du retentissement de votre texte. La lumière ascétique dont vous éclairez la peinture moderne devait frapper. Je connais des gens que vous avez enchantés et convaincus, d’autres qui se sont fâchés.

Vous savez sans doute que Profils va disparaître. Me voici dans un grand vide. Je me demande, non sans inquiétude, ce qu’il va faire de moi, ce que je ferai de lui.

Je vous envoie un numéro de la Politische Rundschau, où l’on parle de Charles-Albert à la page 159 ; ce qu’il y a de curieux, c’est que cette publication est la revue du Parti radical Suisse.

Ci-joint une annonce parue en deuxième page du Monde, où l’espace est cher.

Jean-Michel vous envoie tous ses bons messages.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

P.S. Roger Caillois m’a dit que Neuguen est un endroit perdu tout au fond de l’Argentine.

Blaise Allan à Jean Paulhan (22 août 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 22 août 1956.
Cher Ami,

voilà un nouvel exemple du style ésotérique des Neuchâtelois

[coupure de presse]

Droz-Vauseyon-Neuchâtel

On sortirait

mise en marche

Ecrire sous P.C. 3673 au bureau de la Feuille d’avis.

Il paraît que ça rapporte beaucoup d’argent.

Je suis retourné à Berne voir l’exposition Klee qui réunit plus de 400 oeuvres. C'est d’une richesse extraordinaire. N'irez-vous pas en Suisse bientôt ? Je le souhaite.

Je rentre à Paris vendredi et 'j espère vous voir prochainement.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (27 septembre 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 27 septembre 1956.

51 rue Boussingault Paris XIIIe

Cher Ami,

Peut-être le Figaro ne parvient-il pas à Veyrier : voici ce qui vous concerne dans celui d’hier.

Mais il me semble que votre nom est assez vivant pour changer de prononciation.

Etes-vous allé à Berne ? Voir l’exposition Klee ?

Je l’espère et vous souhaite de bonnes vacances.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Jean-Michel Jasienko vous envoie ses meilleurs messages.

Blaise Allan à Jean Paulhan (31 janvier 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 31 janvier 1957.

51 rue Boussingault

Paris XIII

Cher ami,

Pardonnez-moi de ne répondre qu’aujourd’hui, à votre lettre, qui a beaucoup touchés, Jean-Michel et moi

Vous m’avez donné à réfléchir et je me suis longuement demandé si je ne me trompais pas ; mais en fin de compte, je crois que j’ai raison de m’inquiéter.

Si Roger avait dégagé et souligné le mystère du rêve (ce mystère que la psychanalyse, - à laquelle j’attribue un rang assez bas dans l’ordre des valeurs oniriques – n’a pas diminué), je serais tout à fait d’accord avec lui.

Tous ses efforts tendent au contraire à la négation du mystère d’abord, du rêve même ensuite.

Il y aurait beaucoup à dire sur et contre les postulats et les conceptions (conscience du rêve, nature du temps onirique, opposition du rêve et de l’état de veille, absence de contrôle du rêve) développés à cette fin.

Mais ce n’est pas cet aspect du livre de Roger qui est important pour moi.

Ce qui m’a troublé et fait de la peine (je réserve mon indignation pour ceux qui ont influencé Roger dans ce sens), c’est de voir Roger employer son talent, son intelligence, toutes ses forces, à la destination de sa sensibilité. Depuis six ans, il poursuit cette entreprise avec un acharnement qui traduit une décision désespérée et son dernier livre est particulièrement révélateur à cet égard. Tout se passe comme si Roger avait peur de sa sensibilité et des aventures où elle pourrait le conduire. Cette crainte est fort éloignée de l’audace des débuts et si elle aboutissait à un renoncement, ce serait très triste. Il y a sans doute là quelque chose de profond, dont une part reste dans l’inconscient.

Roger se ferme ainsi à tout ce qui tient de la sensibilité (c’est à dire la part essentielle) dans la littérature et la peinture.

Or sa sensibilité est très vive, j’en suis convaincu par tant de signes qu’il n’arrive pas à cacher, - et pourrait connaître de singuliers développements ; c’est contre l’immolation de ce pouvoir privilégié que mon amitié proteste.

Je garde un espoir dans l’érotisme, seul capable aujourd’hui de sauver Roger.

L'efficacité des tableaux de Dubuffet ne m’étonne pas et je suis heureux de savoir que vos yeux vont mieux.

J'attends avec impatience votre livre sur la peinture moderne.

Jean-Michel se joint à moi pour vous envoyer nos affectueuses salutations.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (16 juin 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 16 juin 1957.

51 rue Boussingault

Paris XIII

Cher ami,

Merci de l’invitation pour le 23 ; Jean-Michel et moi aimons l’artifice dans les feux et nous réjouissons à l’idée d’en admirer bientôt les progrès ; nous serons plus heureux encore de vous revoir et de jouer, peut-être, au ping-pong avec votre petit-fils, imbattable, m’a-t-on dit, dans cet exercice.

En vous souvenant de moi, vous attisez les remords qui ne m’ont pas quitté depuis votre lettre sur Roger Caillois et les rêves.

Pardon de vous répondre si tard. Je voulais prendre mon temps pour réfléchir. C'était bien inutile. J'ai réfléchi et je suis toujours convaincu que ce qui compte ici n’est pas telle interprétation psychologique ou philosophique du rêve, mais le rapport du rêve et de la sensibilité.

Vous avez très bien vu que le problème des idées et de la réalité, - comme celui du rêve et de la réalité -, ne peut en fin de compte se résoudre qu’ « à force de sensibilité ».

Dans la conférence qu’il a faite à la Société française de philosophie et que j’ai entendue, Roger a nié l’existence des rêves.

Il ne lui reste plus maintenant qu’à nier l’existence des idées, car il est au moins aussi troublant d’avoir des idées que des rêves.

J'ai cru autrefois que Roger tentait et poursuivait une expérience dangereuse, mais féconde, à la limite de la science et de la sensibilité.

Aujourd’hui, il craint les pouvoirs et les découvertes de la sensibilité.

C'est cette fuite dans le rationnel qui m’inquiète.

Les grands responsables, « ceux qui ont influencé Roger C., dans ce sens », sont en premier lieu Dumézil (que je trouve un très curieux personnage, mais néfastes pour ceux qui se laissent prendre à ses jeux : je l’appelle « Baron Samedi ») et Yvette Billod, actuellement Cottier (qui, lorsqu’elle était la femme de Roger, luttait contre sa sensibilité, parce qu’elle craignait toute aventure), puis à un moindre degré Victor Ocampo (qui a eu un peu la même attitude qu’Yvette, mais dont l’influence s’est surtout exercée sur le plan moral).

Dans l’art et la littérature, qui m’intéressent, cette fuite ne peut que tout fausser.

Pour Roger, qui me touche et auquel je suis très affectueusement attaché, elle est une menace d’appauvrissement, de déception et de chagrin.

Jean-Michel se joint à mois pour vous envoyer nos affectueuses salutations.

A dimanche donc, sous le feu....

Fidèlement vôtre

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (27 juin 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 27 juin 1957.

51 rue Boussingault

Paris XIII

Cher ami,

on m’a si brusquement enlevé, dimanche soir, aux mystères nocturnes du parc de Madame Church, que je n’ai pas pu vous dire au revoir comme je le souhaitais et vous remercier de nous avoir invités à cette fête, Jean-Michel et moi.

La visite de la serre m’a particulièrement enchanté ; mais les fleurs m’intimident.

L'enfant Jean Paulhan m’a aussi ravi.

J'ai été très heureux de vous voir ; j’espère que nous pourrons nous rencontrer bientôt un peu plus longuement et parler de la sensibilité, dont vous donnez, semble-t-il, une interprétation qui m’intrigue et se situe, je crois, dans la perspective de la peinture.

Jean-Michel Jasienko se joint à moi pour vous dire notre affection.

Fidèlement vôtre

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (8 août 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 8 août 1957.

1 Vieux-Châtel

Neuchâtel

SUISSE

Cher Ami,

merci de votre mot de Clermont.

J'espère que vous vous êtes bien reposé dans une campagne qui ne triche pas comme celle de ce pays où le pittoresque finit par fatiguer.

Roger a eu la gentillesse de me donner un exemplaire de son Procès intellectuel de l’art, que je ne connaissais pas.

Tant de passion romantique et de théologie, - ceux qui repoussent la métaphysique aboutissent toujours à la théologie, - m’ont enchanté.

Bien entendu, je ne crois pas qu’il soit question d’art dans ce texte : la raison est ici une ivresse qui se satisfait en soi.

Mais l’impérieuse gratuité que révèlent ces pages laissait, me semble-t-il, les voies ouvertes dans toutes les directions.

S'il y avait un engagement en 1935, c’était celui de la fièvre aveugle, de la violence pure.

Certains en ont profité pour influer sur Roger.

Les cygnes se multiplient prodigieusement dans les eaux neuchâteloises et commencent à envahir la ville.

Jean-Michel Jasienko vous envoie ses meilleures salutations.

Je crois que nous retrouverons tous le 14.

Avec ma fidèle affection

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (13 août 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 13 août 1958.

1 Vieux-Châtel

Neuchâtel

SUISSE

Cher Ami

A la Brévine, où j’ai conduit l’autre jour Jean-Michel qui n’y était jamais allé, j’ai pensé particulièrement à vous et commencé à vous écrire cette lettre dans ma tête.

Depuis longtemps, Neuchâtel m’a fait comprendre le sens véritable, - puritain-, de l’Immoraliste, roman sur lequel on a écrit et dit tant de sottises.

Mais je m’étais toujours demandé, sans trouver de réponse, le sens de la Brévine (où il a séjourné, sauf erreur, plus d’une année) dans l’oeuvre et la vie de Gide.

Dimanche (il fallait que ce fût un dimanche), je crois que j’ai compris.

La signification de La Symphonie pastorale m’avait toujours semblé obscure (obscurcie par trop d’éléments étrangers, accidentels, contingents) ; j’ai compris que la clef était dans le chapitre du voyage à Neuchâtel (chapitre qui a, du reste, donné au livre son titre), dans 'opposition La Brévine-Neuchâtel.

Ce dimanche, Neuchâtel, dans la lumière de son lac, avait la fascination de la grâce... La Brévine, dans l’obscurité de ses marais, la fascination du péché...

Mais c’était le même pays.

Cette dialectique me faisait revenir à l’Immoraliste et me jetait à travers l’oeuvre entière de Gide.

Mais peut-on le dire encore aujourd’hui où les ennemis de Gide se vengent … ?

J'espère que vous passez un bon été.

Jean-Michel se joint à moi pour vous envoyer nos affectueuses salutations.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

Et Charles Albert que l’on oublie.

Blaise Allan à Jean Paulhan (20 octobre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 20 octobre 1958.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

Merci de votre lettre qui m’a touché.

J'ai assisté à la séance de la société française de philosophie où Roger Caillois a fait son exposé ; je vais me procurer le Bulletin, pour me rafraîchir la mémoire.

Je n’ai pas lu l’Introduction dont vous me parlez, parce que je ne possède pas l’Anthologie ; mais R.C. va me la prêter.

Je vous écrirai bientôt sur tout cela, qui naturellement se tient. Je crois qu’il faut bien distinguer l’attitude de R.C. des problèmes objectifs. Il serait très intéressant de découvrir le scret de cette attitude.

Pour André Gide, je suis scandalisé des attaques injustes qu’on lance contre lui et des interprétations incomplètes et faussées que l’on donne de son oeuvre. Je trouve que le fond de théologie (je ne sis pas : de morale) calviniste qui explique en grande partie cette oeuvre reste toujours ignoré des adversaires, et des analystes de Gide. La Brévine me semble avoir la valeur d’un signe.

A ce propos, pouvez-vous savoir et me dire où en est la vente des oeuvres de Gide ? Roger Caillois prétend qu’elle est nulle.

Je suis heureux de penser que vous êtes enfin en vacances.

Jean-Michel vous envoie ses affectueux messages, auxquels je joins les miens.

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

Blaise Allan à Jean Paulhan (1er décembre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 90, dossier 030125 – 1er décembre 1958.

51 rue Boussingault

Paris XIIIe

Cher Ami,

Jean-Michel Jasienko et moi vous envoyons nos affectueuses pensées et nos meilleurs voeux pour votre anniversaire.

Nous ne vous voyons pas souvent, hélas ! Mais vous êtes toujours présent : nous parlons de vous, nous imaginons ce que vous diriez et, sans vous en doutez, vous résolvez beaucoup de problèmes, - pas seulement littéraires.

Demains, nous vous célébrerons et nous serons heureux de vous célébrer.

Merci d’exister...

Avec ma fidèle amitié

Blaise Allan

P.S. Pardon de ne pas avoir encore répondu à votre lettre qui m’a touché et dont je vus remercie. J'ai enfin l’anthologie de R.C. Et je vais lire sa Préface. Je vous écrirai.