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Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).
Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Il est évident que sur le fond de la querelle j’avais tort, et je t’en envoie mes excuses. Je ne me surprends que trop souvent à me laisser aller à de telles scènes, dont le plus souvent je ne vois même pas la cause. – Il est non moins évident pour moi que tu n’aurais pas le droit 1°) de me reprocher 1°) d’avoir insulté anonymement Jaloux 2°) de croire que j’étais mécontent pour moi, dans mon intérêt, de l’extrait de Thérive sur [Berg?]
La vérité est que je n’ai pas fait de notes depuis 6 mois. D'abord parce que tu ne m’en a pas demandé qui fussent intéressantes, puis parce que j’avais quelque travail à faire pour moi, puis pour les certaines raisons que je t’ai indiquées (découragement de voir que l’on ne pouvait pas tout dire, qu’il fallait louvoyer, composer) lassitude de faire le père Fouettard, de paraître me plaindre ; je puis commence à avoir horreur de la plainte) ; puis parce que à plusieurs reprises, d’un ton plaisant, mais sérieux au fond, tu as attribué à telle de mes hostilités des causes d’assez bas intérêts (Jaloux, Thérive); parce que je me sens, au fond, assez loin de la nrf., qui est une revue de snobs, de danseurs et de dames qui se rattrapent sur les lettres des échecs qu’elles subissent dans le monde ; parce que ces sentiments, la nrf. me les rend bien, sinon toi absolument, du moins ton milieu, ta maison.
Que les Episodes aient paru avec qqs mois de retard, cela n’entre pas pour moi en ligne de compte. Je collabore depuis assez longtemps à la nrf. pour savoir que le premier rôle d’un collaborateur ordinaire est de savoir s’effacer. J'attache un peu plus d’importance à la non-publication de l’extrait de Monde sur l’Ordre ; tu dis que j’ai repris la question dans mon dernier Episode ; mais si je n’avais pas écrit cet Episode ? Car il eût été impossible de faire paraître dans un n° de Juin ou de Juillet l’extrait d’un article de décembre (à supposer que tu te fusses décidé à le faire paraître).
Voilà beaucoup de paroles.
Marcel Arland à Jean Paulhan (10 septembre 1925) §
voici les manuscrits de Pia et de Lecomte. J'ai lu le dernier n° de la nrf. La correspondance de Rivière et de Claudel mise à part, je l’aime assez peu. Peut-être est-ce cette correspondance, et tout ce qu’elle enferme de grave et d’essentiellement humain, qui me fait traiter le reste avec un peu de dédain. Alibert, [Carno ?] (Quelle, et si fine et si cruelle, que soit ta pointe, fine abeille – Pique du sein etc.) : c’est beaucoup moins joli que Voiture et même que Benserade. Les pages de Cassou sont à peu près insignifiantes. (On dira que cela rappelle la mousse du champagne – mais je n’aime que le vin de bourgogne, qui enivre le corps et l’âme, et par dessus tout l’eau, qui enivre bien plus (voir Gide). Vitrac, je n’en dirai rien, parce que vous m’avez paru goûter ses pages ; je dois donc me tromper, moi qui ne vois là que vent et trompette en carton. Quant à la lettre d’Aragon, j’en suis vraiment déçu ; on n’y trouve même pas ces exercices habiles de littérature qui sont le meilleur de lui-même. Ça ne vaut pas mieux que le Drieu.
Je Voici les épreuves de ma note autour de Hardy (je voyais et j’espérais que vous auriez fait de larges coupures).
Si vous voulez bien m’écrire à propos de Monique, je vous demanderai de le faire le plus nettement qu’il ne vous soit pas déplaisant de faire. Je voudrais savoir, en particulier, si vous accordez à ce récit la sympathie que vous vouliez bien donner à Terres Etrangères. Au reste, la petite préface que j’ai mise en tête de ces 2 récits a pu vous montrer que je ne les tiens l’un et l’autre que pour des ébauches, par rapport à ce que je rêverais de faire.
Je pars dans 2 ou 3 jours. Donc, l’épreuve corrigée de mon Essai, ou l’épreuve définitive, que je vous avais demandée, puis-je vous prier de me l’adresser d’ici à 15 ou à 20 jours, c’est à dire d’ici à mon retour ? Je voudrais m’en débarrasser, le plus tôt possible, en le donnant en plaquette. Sinon je serai obligé de le recommencer. D'ailleurs cette plaquette ne paraîtrait guère, comme vous me le disiez, qu’en janvier.
Votre ami
M. Arland
Puis-je aussi savoir si Commerce publie ou non les pages que je lui avais données ? – Et toute cette lettre est bien pleine de littérature.
T.S.V.P
J'ai poursuivi la remarque que vous avez ébauchée dans l’une de vos dernières lettres à propos de la vie et de l’humain dans l’oeuvre d’art. Vous avez raison. Ce sont là non des qualités d’ « extérieur », et à peine même des qualités volontaires ; elles se dégagent de la structure intime de l’oeuvre. Le théâtre de Marivaux, par exemple, m’apparaît cent fois plus vivant et plus humain que celui de Regnard et de Le Sage.
+ Quand ce méridional d’Aragon (et pardon, je sais que vous êtes de Nîmes) s’engage à mourir pour le mot : république, comment ne voit-il pas qu’il fait le même abus de mot que Drieu commet en parlant des « belles disciplines de la joie » et en parlant de Dieu.
Aragon est bien de l’époque Cocteau. Ils se prennent à leurs grimaces.
Voici 2 notes (Duhamel et le Kim Vân Kiêu). Voulez-vous supprimer la note de moi que vous avez sur Louis l’indulgent : je me rappelle qu’elle est insignifiante.
Les Ames en peine, je vous les ai communiquées sans doute par esprit de mortification. Cela Ce livre m’inquiète beaucoup. Au moins ne croyez pas qu’il me satisfasse.
– [pouvez ?] déchiffrer la signature de la lettre ci-joint, et me dire de qui il s’agit, si vous avez des renseignements sur le cours dont il y est parlé.
Si l’on vous envoie la « vie de Dostoievsky » par sa fille, voulez-vous penser à moi.
– Je vois dans un journal qu’on vient d’attribuer la bourse Bumenthal des beaux-arts. Savez-vous de qui est composént le jury de la bourse de lettres ? Car enfin j’ai posé ma candidature, et la question m’intéresse assez, cette année où je vais être obligé de quitter le Montcel, je ne sais trop pourquoi faire.
– A mardi, soit que je vous prenne à la nrf avant 7h ¼, soit que je vous attende à Robinson.
Je me demande (je vous demande) s’il convient de répondre à Montfort, à peu près comme ceci :
Dans le n° de janvier de la nrf, j’avais, sans commentaires, cité quelques phrases du livre de M. Monfort : [25 ans de L.F. ?] Dans les marges du 18 janvier, ce monsieur me répond de la seule manière qu’on puisse attendre de lui. Croit-il donc que quarante-cinq années de médiocrité et d’envie soient un titre suffisant à la grossièreté ?
mon cher ami. Je crois délibérément que je suis un type comme Rousseau : Je viens de me découvrir une ressemblance avec lui : celle de faire des impromptus à tête reposée. Exemple : Du Bos veut qu’on ne parle pas d’un écrivain dont on ne connaît pas la langue – Pourquoi Du Bos parle-t-il donc de moi ?
J'ai été blessé par l’attitude de Mauriac. Il devait parler de Monique, oudire s’il refusait, donner pour motif la vrai l’ennui d’avoir à en dire du mal. Je pense que, ayant refusé à Massis de parler de Bernanos, il n’a pas voulu que paraître avoir le temps de parler de moi. Tant pis, pour lui et pour moi.
Mon Dieu, que Prévost et Fernandez ont donc l’air à leur aise ! Quels beaux airs ! Quels beaux rires ! Quelle belle assurance !
Je viens de lire B. Quesnay : je n’ai aucune antipathie préconçue contre M. Maurois. Mais j’estime que ce livre est infect ; non seulement infect comme littérature, mais comme témoignage d’unécrivain homme. C'est bas, c’est parfois abominable à force de platitude et de pauvresnob élégance. Cela m’a rendu presque malade, hier soir, de voir ces eaux de bidet, cette nullité souriante, ce laquais d’Anatole France. Mon pauvre ami, vous voulez dire son fait à Carco : Carco est à mille coudées au dessus de cette moisissure parfumée.
A mardi, 6h ½
m. arl
N'oubliez pas de me prêter quelques jours votre Duhamel. Je suis assez content d’en parler, d’abord parce que je ne suis pas sans l’aimer, puis pour faire enrager les beaux messieurs qui ne l’aiment pas.
Vous me connaissez mal, monsieur Jean Paulhan, pour croire que je n’ai jamais lu « Paris-Flirt », « Frou-Frou », et autres feuilles où se traduit de façon assez touchante le manque de bonheur des hommes. Je ne les lis plus guère aujourd’hui, sans doute, non que leur perpétuellebêtise naïveté me semble moins digne de pitié, mais parce que je les connais par cœur. Il n’y a pas plus de cinq ou six ans, j’avais moi-même fait insérer une annonce dans un de ces journaux. Je ne l’ai pas regretté. Parmi les jeunes personnes dont la fréquentation me fut procurée par cette annonce, je me rappelle une jeune fille, au visage de cerise, qui m’avait donné rendez-vous à St Lazare (à la gare) ; nous allâmes dans un café, je commençai à l’embrasser, elle se mit à pleurer ; je craignis qu’elle ne fût atteinte d’une maladie des yeux ; mais non, à peine séparée, elle ne pleurait plus ; à peine approchais-je mon visage du sien : elle repartait. Une autre se nommait Mireille, elle était prix de beauté (et de vertu) des Lilas ; j’étais soldat, même E.O.R., et dans un merveilleux costume j’allais la rejoindre chez sa grand’mère ; elle faisait paître des chèvres près d’un fort ; depuis le fort, des soldats se moquaient de nous ; alors elle prenait mon képi, mon beau képi et, le mettait sur sa tête et menaçait les soldats. Elle avait coutume de me dire : « M__, je ne veux pas que vous me rendiez folle par le corps » ; cette tournure latine me ravissait. – Une troisième, un mois après que nous nous fûmes rencontrés, nous nous trouvâmes devant la Monnaie, sur les berges de la Seine ; je voulais voir jusqu’où cela irait. Mais je dus user de violence : cela aurait été jusqu’à Dieu. Les femmes m’ont toujours semblé d’un admirable courage. A cette époque je passais la plupart de mes soirées à rôder jusqu’à ne plus pouvoir marcher de fatigue. C'était assez douloureux. C'est un peu pour fuir, non pas un tel état d’âme, mais une telle manifestation de cet état, que je me suis réfugié au Montcel. Vous voyez que j’ai autant de souvenirs que Gabory de chant serait mais les raconter avec un sourire, je m’en sens bien incapable.
Que bavardage. Je vais vous rapporter Gide, que j’aime vraiment beaucoup, et Sade, qui m’a bien ennuyé, non pas l’homme, non pas ses intentions, mais l’œuvre et son obscénité.
Oui, Gualène est J'ai la même opinion que vous sur Gaulène. Je viens de demander ses livres précédents, qui ne valent pas celui-ci, sans doute. Si vous lui demandez qqch. pour la revue, il vous donnera sans doute une nouvelle : or elle sera mauvaise, car il ne peut déployer sa force qu’en 200 pages ; en 20 pg., il ne montre que sa vulgarité.
N'oubliez pas de m’envoyer Dostoïevski, quand si vous le recevez.
j’aime beaucoup La Relique St hilaire Belloc (Cahiers du Sud) Ne voudriez-vous pas le signaler dans le Memento ?
La citation que j’ai faite de Béraud me semblait amusante. Mais la phrase par laquelle je l’annonce est bien lourde. (« M. Béraud parle de lui et du reste de la littérature »). Peut-être vaudrait-il mieux mettre : « On goûtera (appréciera) l’éloquence de ce M. Béraud dans la Revue de France ». Ou bien pas d’ironie du tout.
Ce qui m’ennuie dans la note sur Crémieux, c’est que j’ai l’air de la faire pour montrer l’esprit ! De ma répartie à Crémieux ; – alors que cette répartie est et surtout paraît insignifiante.
La rencontre que j’ai faite hier, en vous quittant, m’a, vous l’avez sans doute vu, extrêmement gêné. J'aurais sans doute dû ne pas éviter le bonjour de Vitrac. Et j’ai paru attacher beaucoup d’importance à des choses qui en réalité me sont indifférentes. Mais vraiment j’étais glacé.
A la fin, me répondrez-vous pour Intérieur !
[dans la marge à gauche]
En réfléchissant à mon attitude devant cette rencontre, il me semble qu’elle a été horriblement « jeune homme de lettre ».
Ce que vous me dîtes de du Bos ne m’étonne pas, ne m’étonne plus. Lefèvre m’avait un peu parlé de cette histoire, mais différemment. Ce que vous me dites de Lefèvre m’étonne davantage : je le croyais sincère. Enfin votre lettre a contribué à me faire aimer mon travail, par réaction contre le dégoût de ce monde-là. Précisément une amie m’avait envoyé ce jour-là un n° des Nouvelles Littéraires. C'était complet. Quelle infamie ! Ce n° contenait un article de Montherlant sur Delteil, et une confession de Mme de Noailles, cette putain des lettres, à notre Frédéric. Infâme ou grotesque ? Je ne sais plus où j’en suis.
Je rentrerai sans doute au Montcel, puisque je n’ai rien d’autre. Je ne peux ni ne veux rentrer chez ma mère, qui est pauvre. [Deux mots illisibles barrés] J'ai encore pour 4 ou 5 mois de travail du roman que j’ai entrepris. Mais jusqu’ici, je suis assez content, sinon du livre, du moins de mon zèle.
Vous avez raison : pas de note sur Bernanos. Je croyais faire paraître les Ames en peine en novembre. Mais je n’aurais sans doute pas le temps d’en corriger les épreuves. Si bien que ce sera pour Janvier. Croyez-vous donc que vous pourrez publierIntérieurIntérieurs en Janvier ?
mon cher ami. Je reçois une lettre de notre Lef. dont je détache, pour votre divertissement, quelques phrases : – « J'ai l’étrange et intime certitude qu’il n’y a pas de salut pour vous, même littéraire, en dehors du catholicisme. Je vous l’ai déjà dit à l’enterrement de ce pauvre Rivière. Il est possible que personne ne puisse hâter ce jour pour vous, mais ce jour viendra et doit venir.... Votre œuvre demeurera nouée tant que vous ne vivrez pas selon le catholicisme. Cela est pour moi d’une évidence mathématique. J'attends avec confiance le jour où vous me remettrez votre premier livre pour le Roseau d’Or...... J'ai en vous la plus grande confiance. Le catholicisme ceassera cette mauvaise contention qui vous empêche de vous épanouir pleinement… Vous êtes parmi les jeunes écrivains celui en qui j’ai la plus grande confiance. Je vous admire et vous respecte...
« …. En littérature les grands malhonnêtes aujourd’hui sont des gens comme Du Bos, René Lalou ou quelques autres. Je démarquerai et flétrirai cette étrange et malodorante franc-maçonnerie. »
Il y en a 4 pages en long et en travers. C'est une distraction. Varennes est beau, cette saison ; je suis fâché que vous ne l’ayez pas vu.
Les îles d’or ressemblent à des cartes postales, ou aux pastels qu’on vend sur les quais. Peut-être, après tout, ne sont-elles rien autre que le triomphe de la médiocrité. Mais quel triomphe !
Je découvre la Provence. Comme ces gens bons vivants sont étranges. Il y en a qui ont pris tout à fait leur parti d’être hommes, et heureux. La plupart des femmes ont ici les yeux de Pasiphaë, mais quelques autres (une sœur de charité, une paralytique) : leur regard est d’une lumière étonnante.
voici des remarques sur le Roseau d’Or et même sur Mme de Noailles. Vous verrez s’il convient de les publier, je n’en sais rien. Il y a dans la note sur le R. d’O. une phrase de Claudel : « œuvre qui m’a réjoui...... » qu’il faut peut-être supprimer (trop exclusivement et facilement laudative) malgré le plaisir que j’ai eu à l’écrire.
voici en outre un poème et une lettre que je reçois.Le poème ni J'ai goûté le poème. Renvoyez-les moi, s’ils ne vous plaisent pas. Donnez-moi, s’il vous plaît, une réponse rapide.
voilà. – (Si je n’avais pas motivé mes reproches à Mme de Noailles, c’est que je n’avais pas eu en mail les Nv. L. J'ai dû passer dans cette maison les acheter, 60cm et 40 cmes que j’ai laissés en pourboire pour les rédacteurs.)
Remarquez que je me soucie peu que ces pages passent ou non. Elles m’ont fait perdre 3 jours. –
Comment peut-on venir à Florence, si l’on n’est ni Giotto, ni B. Angelico, ni même Cellini. – Et comment peut-on revenir à Paris, quand on a constaté que l’on n’est ni......
[En haut de la lettre] Pensez quelquefois à moi, avec amitié. Je sens très nettement quand on pense à moi, et comment on y pense.
J'espère que vous allez mieux.
Varennes
Haute Marne
jeudi 6-20 septembre [1926]
mon cher ami
J'irai revoir les [Grunenwald?] ce mois-ci. Après tout, voilà assez longtemps que je ne les ai vus, et je ne tiens qu’à un très petit nombre d’opinions.
« Les Nouv. Litt. ont annoncé que j’étais décoré, mais ce n’est pas vrai. Je n’en suis même pas encore à l’interview avec Lefèvre. Je vous fais remarquer que je ne vous ai pas félicité de votre décoration, que je connaissais. Il ne me semble ni bien ni mal, que vous soyez décoré ; cela me semble amusant. J'ajoute qu’au point de vue des donneurs de décoration, cela me semble juste. Quant à l’interview de Lefèvre, vous auriez dû penser, avant d’en parler, que j’en étais là, moi. Si vous jugez que j’ai mal fait, vous auriez dû me le dire ; je ne l’aurais pas fait.
Le même Lefèvre m’a donné il y a 1 mois un petit livre qu’il a consacré à Bernanos, à Gide, à quel au roman et à lui-même. Il m’a demandé si on ne pourrait pas en parler dans la nrf. On, c’était moi. Cela ne m’amuse pas ; mais Lefèvre m’attendrit. Si je faisais cette note, ce serait pour parler non du livre même, mais de quelques unes de ses propositions. Mais dois-je en parler ? D'autant plus que cet interview, que vous me reprochez, doit paraître dans la prochaine série de l’interviewer. Tranchez ce cas de conscience, s’il vous plaît.
Le Journal de [Salacris?]. Cela m’a beaucoup intéressé, cela m’a parfois charmé, – cela ne m’a pas ému. J'ai trop senti la fabrication, la bonne fabrication. D'autant que maintenant, cela devient vraiment de l’ouvrage de série. J'étais prêt pourtant à suivre pleinement cette œuvre, puisque Duhamel avait mal accueilli ma critique. Et en effet, je l’ai goûtée, je le sujet me semblait présager une merveille. Mais, à seconde réflexion, cela m’a surtout paru le travail d’un bon maître.
La phrase de Gide que vous avais signalée comme étant loin d’être nouvelle (confession et roman), je viens de la retrouver dans la N.R.F. du 1e juin 1919, page 134, sous la plume de Thibaudet, naturellement.
Je suis à Varennes, je pêche un peu aux écrevisses, je me baigne dans des ruisseaux de 50 cm de profondeur. Je travaille assez rudement.
Le reproche que je fais au Journal de [Salacris?]. Je m’étais indigné de l’entendre faire cette année par Crémieux. Pourtant la Pierre d’Horeb m’avait déjà un peu inquiété. Et si je fais ouvertement ce reproche c’est q le sujet, le sujet de [Salacris] ne supportait pas d’être traité en littérateur ; il ne supportait qu’une pureté d’inspiration « absolue ». L'ouvrage de Duhamel sonne creux.
Est-ce que Intérieurs pourra passer en novembre ? Je pense que le livre paraîtra vers le 15 nov.
Je vous renvoie Défaut du langage, non que je n’y tienne pas, mais parce que je crains de vous en priver et que je souhaite de le voir publier. Cela m’a plu tout à fait ; je ne l’ai gardé si longtemps que parce que je cherchais des objections. Mais je n’en peux trouver. Je désire très ardemment voir le livre entier, car ce n’est là, n’est-ce pas, qu’un fragment. Je sens bien que c’est l’ensemble du livre, qui entraînera de moi une complète adhésion, ou des réserves. (Une remarque pourtant : il me semble que vous abusez (ici) des formes impersonnelles : « il est possible », « il serait peu », « il est un reproche », « il suffit bien », « il n’est pas douteux », etc...)
J'ai terminé « le Voyageur sur la Terre », lu une nouvelle de Green dans le Roseau d’or, et relu Mont-Cinère. Je crois que Green ne me touchera jamais, que par l’habileté et, le talent et pour être juste, les dons de métier.
Je rentrerai sans faute à Paris au commencement d’octobre –, hélas !
Votre ami
m. arland
J'ai enlevé Maternité des Ames en peine. L'histoire était vraie, et mon frère m’a demandé de la retirer, à cause des gens de Varennes, et de l’ennui que ma mère en aurait eu. Editée en luxe, on ne le lira pas.
Malraux me conseille de supprimer dans : Un homme de peu, l’histoire des 100 f reçus en trop et considérés comme un vol par celui qui les reçoit. Qu'en pensez-vous ? Mais cela doit être loin de votre esprit.
Je viens de relire quelques anciens nos de la nrf. Il y avait dans La Revue des Revues ou les Echos en avaient un intérêt, une « combativité », qu’ils n’ont plus guère aujourd’hui.
Je suis assez irrité contre moi, au sujet d’un incident qui eut lieu l’autre jour, à Robinson. Je vous demandais les Souvenirs de Gorki. Vous m’avez répondu : « Dans quelques jours, quand G. les aura lus ». J'aurais voulu être à mille lieues sous terre. Car je savais fort bien que Mme G. n’avait pas fini de les lire. Ma seule excuse est qu’après avoir passé la matinée dans votre bureau, je me disais que vous aviez tous deux tant de livres que vous ne deviez pas savoir lesquels lire. Je donne l’excuse pour ce qu’elle vaut : peu de choses. J'ai constaté (et ce n’est pas la première fois) que j’avais une disposition fâcheuse à abuser de la complaisance qu’on peut avoir pour moi.
– Les pages que je vous ai données ce matin, il est bien entendu que je ne suis pas sûr du tout qu’elles il convienne de les publier. Je vois assez comment une histoire ou une note critique peuvent intéresser les lecteurs Mais cela c’est autre chose, ne serait-ce d’abord que parce que je ne songe à intéresser personne, sinon moi, en l’écrivant. D'où un déchet forcé, que vous devez me signaler.
Au revoir
m.a.
J'ai un peu songé à ce que vous m’avez fait lire ce matin. Je suis très contente que cela paraisse dans la revue.
Et pour l’article de vous que vous m’avez fait lire l’autre jour, je maintiens qu’il est passionnant, en lui-même d’abord, mais même par son allure. J'avais déjà remarqué que vous adoptiez pour ces questions un peu l’allure d’un roman « Sherlock Holmes ». Cela va vous piquer, mais vous aurez tort.
Quand je vous écrivais ce mot auquel vous venez de me répondre, je songeais au plaisir que j’aurais à me rétracter. J'étais sincère en vous « grondant », mais je songeais, avec contentement, à cette lettre-ci, où je reconnais que je n’avais pas de motif de le faire. – Je suis vraiment fâché que tout cela soit aussi enfantin.
(J'étais d’ailleurs malade, et passablement découragé, quand je vous écrivais).
Vous avez raison sur tous les points de votre lettre. Permettez-moi une seule explication : J'étais ennuyé du retard apporté à la publication d'Intérieur, parce que la publication de mon livre en était d’autant reculée. – Mais pourquoi être ennuyé de ce dernier fait ? – parce que ce livre est composé depuis plusieurs mois, ce qui ne fait pas l’affaire de la maison Gallimard, Hirsch et Marchesseau (il y a 1/4 d’heure, on vient de me téléphoner à ce sujet). Et pour quelques autres motifs, dont je puis vous dire que vous les approuveriez.
[en haut de la page, à l’envers]
Ce 3èmeCongo est évidemment beaucoup plus important que les 2 premières parties. Il est émouvant, alors que le début me semblait ennuyeux. Cependant... - Bien lourd, le Proust ; on sent qu’il ne l’a pas remanié.
2/
Il est bien entendu que je vous laisse Intérieur, et que je suis content de vous le laisser. Mais, s’il vous est tout à fait impossible (cela veut dire : sans vous attirer d’ennuis de le faire paraître en mars, pourra-t-il passer en avril ? (On me dit que le livre doit paraître en mars, – mais on ne s’opposerait sans doute pas à ce que je le retarde encore d’un mois.) Voulez-vous me répondre là-dessus ?
__
J'ai passé 12 jours à Varennes. J'ai continué mon roman, qui (je veux dire l’ébauche de mon roman) ; mais je ne vous en parlerai que si j’arrive à l’achever.
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Il ne faut pas prêter grande attention à la figure que je peux faire en allant vous voir, à la N.R.F. C'est, évidemment, une figure défensive, genre hérisson. – Tant de gens dans cette maison ! ces gens me dégoûtent et en même temps, j’ai honte de moi devant eux.
Il y en a d’autres, sans doute ; mais... ici, mille sentiments : « que pensent-ils de moi ? Je ne veux pas paraître chercher une leur sympathie. Parler ? non, on croirait que je me prends pour Dieu sait qui. Et puis ces parlottes sont lamentables. Ce qui vous tient au cœur, vous ne le dites jamais. Ce serait à mourir de honte, d’ailleurs, de parler de belles et graves choses dans un couloir, en fumant une cigarette, avec l’air « nous autres littérateurs »... Et puis, qu’ils pensent de moi ce qu’ils veulent. Je me fous d’eux... etc……. »
Quand enfin je suis avec vous (rarement seul d’ailleurs : les raisons ci-dessus jouent donc), il y a : crainte d’être importun, puis ennui du motif d’ordre littéraire de notre rencontre, puis : « cette conversation est médiocre, n’est pas le ¼ de ce qu’elle devrait être ». Et encore ceci, que je déplore : « faire des démonstrations de sympathie, c’est vouloir qu’on vous m’en fasse. Or qui vous me dit qu’on soit prêt à vous m’en faire ? » (Les 3 ou 4 visites que je vous ai faites, quand vous étiez au ministère,me sont m’ont été odieuses ; j’avais alors et je témoignais de la sympathie pour vous, que me connaissiez à peine.) Et beaucoup d’autres piqûres, embarras, etc., que vous pouvez sentir. Je me disais tout à l’heure (j’hésitais à vous parler de ces minuties) : toute froideur, toute attaque, plainte, attitude hostile etc., en amitié,c’est il ne faut y voir que des témoignages d’amitié. Si je ris en écrivant cela, ce n’est pas que je doute que cela soit vrai, mais je sais bien que jamais je ne me tiendrai un tel raisonnement, sinon pour m’innocenter.
– Voilà commencer l’année par beaucoup de « moi ».
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J'aime beaucoup la dernière nrf. Je n’ai pas encore lu Gide ni Proust. Mais Amiel est curieux et touchant. Et si j’écarte l’allure d’Annunzio et l’imitation de Chateaubriand – de Montherlat, je goûte beaucoup sa puissance ; immédiatement, je proteste : boursouflure, rien de nouveau ni dans la pensée, ni dans l’attitude, et ni, peut-être, dasn le style ; n’importe, cela sonne, cela n’est pas médiocre. Je préfère de beaucoup cela à… par exemple à Mauriac (qui me choque beaucoup moins). J'aime beaucoup la partie critique, particulièrement la note de G. Marcel, qui est courageuse.
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J’ai relu le « Dostoiewski » du V. de Vogüé Avec toutes les insuffisances et les faiblesses d’esprit qu’on voudra, personne, ni Gide, ni Aimée Dost., n’a fait mieux que certaines pages de ce livre. Le récit des funérailles est beau.
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« La Comédie du Bonheur », d’Evreïnoff, plutôt que de Pirandello, est tirée du Canard Sauvage, d’Ibsen.
Si, pour répondre à Prévost (– à ce propos il m’écrit qu’il n’aurait jamais osé traiter Pascal comme je fais), je m’étais placé sur son propre terrain, j’aurais pu dire :
– D'un côté la réalité d’une perte (celle des biens terrestres), de l’autre la possibilité d’un gain infini. Voilà entre quoi je dois choisir. Vous ajoutez, Prévost, que cette possibilité est très faible; Et vous dites : « allons-nous sacrifier un bien certain, à l’espoir presque chimérique d’un souverain bien ? Si je parie pour la Terre, je gagne 1 et perds une toute petite chance d’infini ; si je parie pour Dieu, je pers 1 et il y a mille chances contre une pour que je ne gagne rien. »
Je réponds : « Vous trichez. Car d’un côté, il y a 1 à gagner, oui : mais de l’autre il y a d’abord la petite chance d’infini, dont vous parlez, et surtout l’espoir lui-même de cette chance. Et j’ai le droit de considérer cet espoir comme un bien réel, comme un bien à gagner immédiatement, comme un bien de valeur au moins aussi grande que celle des biens terrestres. « Au moins aussi grande », je ris de la concession que je vous fais. Car je sais, je sens bien – que ce bien à 2, 10 fois plus de valeur que les biens terrestres. (Et remarquez, Prévost, que je ne parle que du bien : espoir. Mais il y a aussi le bien : sacrifie, le bien : dénuement etc.)... Et j’accepte, Prévost, l’image du père et des fils, dont vous usez. « Un père voudra-t-il parier la vie de son fils unique contre plusieurs une infinité de fils ? » Je prétends qu’il le fait, que nous le faisons tous, que le berger quitte cent brebis dans l’espoir d’en retrouver une cent-unième, que nous quittons presque à chaque instant un bonheur réel pour courir après l’ombre d’un autre bonheur, et que les chiffres raisons des mathématiciens n’ont rien à faire ici, mais celles-là seules qui, viennent pour venir du cœur, n’en sont pas moins aussi fortes ne doivent pas être prises en moindre considération que les autres. »
je vous remercie de votre dernière lettre. J'y ai beaucoup pensé. Toutes les remarques que vous me faites sur Fin d’été… me semblent justes. Je m’y suis en effet laissé aller à dire des choses qui ne m’étaient pas nécessaires. Je m’en excuse.
Pour mes romans, c’est autre chose. Avant tout, faut-il dire que je n’en suis pas satisfait ? Mais peut-être me permettront-ils de faire un jour une œuvre qui, elle, me satisfera (dans la mesure où...). Et puis, et surtout... mais je ne vais pas pouvoir expliquer ce que je sens encore confusément... Je crois que vous ne devez pas vous placer sur le même plan en lisant un roman et un essai. Il y a une sorte de choc en retour, que j’attends du roman... Que vous dire ? assurément je n’ai pas pris le chemin le plus court, assurément encore je semble parfois me trahir. Mais j’ai l’intime conviction que vous verrez un jour que ce chemin était le mien, et que je ne devais prendre que ce chemin.
Si je suis demeuré « digne de la Route obscure » : ce sont des paroles un peu cruelles. On se juge assez mal soi-même ; cependant il ne me semblait pas avoir changé. Je ne me sens pas plus riche qu’alors, j’entends d’assurance, pas plus pauvre non plus, j’entends d’avidité et de malaise. Je n’ai guère changé qu’en perdant l’espoir (je ne dis pas le besoin) de changer.
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J'ai écrit quelques lignes sur l’enquête des Marges. Mais je ne veux parler ni de Lefèvre, ni de Vettard. Tout le monde sait à quoi s’en tenir au sujet des interviews de L., et, en l’occurrence, c’est M. Boulenger qui a tort. Quant à la citation Vettard-Crémieux, je ne puis m’empêcher de penser que M. Vettard figurait choisi par cous, dans ce comité nrf. que vous aviez mis sur pied l’an dernier ; c’est donc qu’il est digne d’estime ; pour moi, je ne le connais que par là et je tiendrai, jusqu’à preuve du contraire, la phrase que vous citez de lui ; comme une bêtise malheureuse, mais non comme une malhonnêteté.
Si vous voulez que je continuecette ces réflexions sur la revue, ne pourriez-vous parfois m’envoyer quelques revues. J'en reçois fort peu. Si vous, ou la nrf., en faites collection, je ne les garderais que quelques jours.
– Si vous n’avez désigné personne pour parler de Raton et de sœur Félicité, de Fleuret, ne voudriez-vous pas demander à Malraux d’en parler ? Il le fera sans doute mieux que la plupart.
Je suis à Varennes, où l’on me pose des cataplasmes et fait des massages – suite de mon accident d’auto.
En venant, l’autre nuit, par le train, voici un rêve que j’ai eu. Autour de moi, des formes animées. Je leur demandais si elles étaient des anges et je m’efforçais de leur donner visage humain (visages un peu mécaniques, comme dans certains Chirico). Mais elles répondaient : « Non, des forces », et elles ressemblaient en réalité à ces dessins vagues de Michaux, ou d’Ernst.
D'ailleurs il m’était difficile de les voir, car je les sentais derrière mon dos. J'étais très anxieux ; je sentais qu’elles allaient me faire une grande révélation. Soudain l’une d’elles m’a murmuré : – « Savez-vous que Dieu est souffrant ? » J'étais éperdu. Je lui ai dit : « – Ne le dites pas seulement à moi, je vous en supplie. »
Il pleut. Je n’ai pour m’amuser qu’un chat très maigre.
Quand vous serez revenu à Paris, lisez dans la Revue de France du 1° Aout une page de M. Pierre Quint sur moi. C'est ignoble. J'ai de cet immonde faquin des lettres où il m’assure « de son admiration, de son respect, et de son amitié » (« et croyez bien, ajoutait le personnage, que je pèse chacun de mes mots. »)
Je pense que vous vous amusez bien tous les deux, et vous envoie mes amitiés.
Quand vous aurez lu les Ames en peine (la date importe peu) je vous demanderai : Pensez-vous que cela vaille mieux ou moins qu’Etienne, Monique, T.E.I ? Croyez-vous que j’aie acquis qqch et quoi ? Croyez-vous que j’aie perdu qqch et quoi ? Questionnaire qui vous paraîtra fâcheux, mais qui m’est extrêmement utile.
Voulez-vous bien envoyer Edith à Malraux.
Décidément je crois que je ne connais pas assez la Provence.
J'essaierai de faire la Chronique.
m.a.
votre ami
m.a.
Merci, et merci à Mme G. de m’avoir signalé les fautes de Où le cœur se partage. C'en est écœurant ; ils ? ont même supprimé la dédicace (à J. Schlumberger)
Voici les épreuves de mon bouquin, à peu près corrigées.
J'ai été plus que touché par votre proposition de nous tutoyer. J'ai y ai réfléchi avec beaucoup d’émotion. Mais je pense, ou sens, qu’il vaut mieux, pour moi, que nous continuions à nous dire vous. Je suis trop mal habitué à ce tu : surtout il ne me laisserait aucun recours ; surtout, il est resté lié pour moi à des souvenirs de collège ou de caserne, que je déteste. Et puis le vous me semble au moins aussi affectueux que le tu.
Mais ce qui me ferait très plaisir, c’est que nous nous appellions, parfois, par nos prénoms.
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Si vous publiez la Lettre du naufragé, vous devriez demander à Wurmser de la corriger, de l’alléger parfois, peut-être de la raccourcir ou du moins de la condenser, d’éviter certaines fioritures qui nuisent au ton pathétique que doit avoir cette lettre. Je luis reproche de dire difficilement des choses difficiles, non parce qu’il y est contraint, mais parce qu’il croit que cela « fait mieux ». Je lui reproche à cette lettre d’être un exercice plutôt qu’un cri.
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Avez-vous remarqué, dans Variétés, les articles de Denis Marion ? Le dernier, sur Malraux, n’est pas le plus intelligent. Mais les autres me paraissent curieux. Je me demande s’il ne donnerait pas de bonnes notes à la nrf.
Mme Pascal m’avait dit que vous aviez trois nouvelles de Sébastien. Pourriez-vous me les communiquer ?
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Votre exemple d’Hérodote est truqué, non seulement parce qu’Hérodote n’a pas écrit en vers, mais parce que il la poésie didactique vise, non pas à informer, mais à enseigner la manière de faire qqch.
– Mais, me direz-vous, les Géorgiques de Jammes n’ont pas cette prétention, donc elles ne sont pas un poème didactique, donc elles échappent aux reproches, que vous adressez au genre.
– Vous avez raison. Je dirai simplement qu’elles ont pris pour modèle une œuvre d’un autre genre, mais que cette œuvre, de par son genre, était manquée, et que cette cet échec se retrouve dans le livre de Jammes.
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Un petit garçon, bouffi, aux yeux énormes, a reçu le surnom de Cœur de Veau, au Montcel. J'en demandais la raison à un de ses camarades :
– C'est qu’il s’appelle Richard, et qu’on ne peut tout de même pas l’appeler Cœur de Lion.
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Notre Cher-cuisinier, mécontent des bonnes qui l’aidaient obtint d’aller en choisir lui-même à Paris. Nous étions sûrs qu’il voulait en constituer un harem. Quand il revint :
– J’en ai vu deux. L'une m’a tout de suite cédé. Je lui ai donné 20f, et j’ai engagé l’autre.
Et, avec beaucoup de gravité :
Il en faut. Mais pas trop n’en faut.
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Mon médecin, à qui je demandais une consultation pour GilbertII, me conseillait de le faire tuberculeux.
– C'est trop littéraire.
– Alors dites qu’il avait une siphylis [syphilis] ignorée.
– Je ne tiens pas à faire les effets de naturalisme.
– Eh bien, dites que son médecin lui croyait... telle maladie que vous voudrez : cancer, abcès... Vous aurez beau donner les symptômes les plus invraisemblables ; tous les médecins qui vous liront comprendront cela.
Oui, s’il vous plaît, faites-moi adresser ce Montesquieu. Merci d’y avoir pensé.
L'histoire Crémieux est ridicule. Je me/vous demande s’il convient de publier la note que j’en fis, même réduite aux proportions que vous m’indiquez (Qu'est ce que cela peut faire aux lecteurs de la nrf.?)
Je ne peux aller ce soir à l’Inst. Métaps : je suis fatigué. Mais la prochaine fois, avec plaisir, si vous songez à me prévenir.
Evidemment supprimez la note Dujardin. J'avais tort. Je n’avais vu là qu’une occasion de dire mon dégoût pour les cabotins.
J'ai lu un article de Massis très intéressant. J'ai pris des notes ; les voici. C'est trop long et ce n’est pas au point. Mais ne croyez-vous pas que j’en pourrais faire une note pour les Revues ?
J'irai vous voir vendredi à la nrf. Le lendemain je partirai pour Varennes, terminer continuer mon roman
je passerai encore vous ennuyer mardi à la nrf. (On ne m’y a jamais tant vu), simplement pour vous demander les nos que vous avez (tous, si possible) d’une petite revue : Les nouveaux essais critiques, qui, à chaque n°, arrange bel et bien la nrf. et ses écrivains. Ne pensez-vous pas que quelques extraits en seraient divertissants.
Je commence à croire que la « Revue les Revues », transformée comme vous l’entendez dans vos derniers billets, peut être qqch. d’intéressant. J'ai terminé pour ce mois-ci. Bien entendu vous corrigerez, ajouterez, supprimerez etc...
Du poème belge, je pensais peu de choses. La forme m’en plaisait. Je vous l’ai envoyé pour accéder au désir de son auteur. Je le ferai publier par une jeune revue.
Il faut me dire quand, exactement, vous pouvez faire passer Intérieur. Il faut me dire aussi si cela ne vous gêne point.
je reçois votre mot. Vous avez raison dans vos critiques, que je vous remercie de me faire. Et raison pour « profondément français » ; c’est assez peu « honnête » ; il faut rectifier : « ils ont le sens de certaines traditions françaises ». (je veux dire par là « d’un équilibre obtenu à force de sobriété ; d’une clarté ; d’une harmonie d’ombres et de lumières ; d’une pudeur de l’expression etc. ».)
Je ne doute pas que vous ne soyez animé des sentiments de Gide à mon égard.
Voici une carte de Porquerolles, d’où je viens.
Je parle à des Américains des grands hommes d’aujourd’hui : cela me donne envie de me pendre.
Avez-vous lu le livre de Malraux ? Et pensez-vous qu’une simple note suffira à débarrasser la nrf. de toutes les questions qu’il soulève ? Je le dis, parce que ce n’est pas moi qui en parlerai : – je craindrais qu’on ne m’accusât de complaisance.
Je vais vous envoyer un exemplaire de Maternité. Je voudrais vous demander des paperasses que vous avez de moi, afin que je les remette, corrigées, à G. Gallimard. Vous n’avez qu’à les apporter à la nrf et je passerai les chercher.
mon cher ami. voici des revues, et ma « chronique » pour laquelle je vous laisse le soin de trouver un nom. J'ai beaucoup hésité à la faire ; cela me semble bien prétentieux. Comme ce n’est ni une note, ni qqch. De courant à la nrf., je suis gêné à la pensée du public. Je me dis : « Il faudrait des réflexions profondes comme celles de Valéry, un lyrisme égal à celui de Claudel etc. Qu'est-ce que j’ai à leur offrir ? » Il me semble que j’entre avec des vêtements sans élégance dans un cercle mondain. Et je sens bien que Prévost ne me pardonnera pas cette Chronique (Prévost est un symbole). Etc.
Enfin voyez. Mais, comme il ne s’agit pas que de moi, mais aussi de vous, qu’on pourrait accuser de favoriser vos amis, soyez pour cette chronique extrêmement sévère, et même tout.
– J'ai « fait » quelques revues. Si vous le voulez bien, je continuerai à en « faire » quelques unes, mais quelques unes une ou deux seulement, car il m’est impossible de lire 10 revues par mois. Il faudrait faire, me semble-t-il, de ces petites notes, qui sont à la fin de la revue, des moyens de discussion, de controverse, de combat, d’affirmation. Je crois d’ailleurs qu’elles sont en train de le devenir.
Votre lecture de mercredi m’avait trop vivement séduit, pour qu’ensuite je ne me méfie pas des causes de cette séduction. Bien entendu, l’intérêt de votre essai est d’abord dans le sujet, et dans votre pensée. Mais il est aussi, très insidieusement, dans la forme de cet essai, et dans les détours de cette pensée. C'est ici que je voudrais reprendre ce que je vous disais naguère à titre de compliment, le reprendre comme un reproche : vous menez vos spéculations plus habilement qu’Arsène Lupin ne cherche un trésor, Holmes : un voleur. Cela me charme et m’irrite. J'ai peur que vous ne vous moquiez de moi, et un peu de vous. Vous exposez un argument, vous paraissez l’abandonner, vous indiquez une nouvelle difficulté, je vous crois perdu ; bien entendu vous vous rétablissez et je sais à quoi vous ont servi vos méandres. Mais précisément c’est cela qui me pique. Vous retombez trop bien sur vos pieds. Je me demande s’il n’y a pas là un tour de passe-passe. Remarquez que je serais désolé si vous changiez de procédé. Mais enfin... vous pensez bien que je ne pourrai apprécier votre essai qu’en le lisant. Mais je suis un peu inquiet. Vous débutez par un accord de tout l’orchestre, puis je n’entends plus que des soli, et, conclusion : tout l’orchestre de nouveau. Vous semblez expliquer toutes les particularités de la littérature contemporaine par la situation critique des images et lieux communs.
Le plus fort est si je voulais vous faire des compliments, je me servirais des mêmes arguments. Mais de plus je devrais parler de vos conclusions, qui me paraissent extrêmement important. Je vous dirais aussi que vous êtes sans doute seul capable aujourd’hui d’écrire cet essai. Je vous avancerai que je dois à vous connaître de m’efforcer, autant que je le peux, d’exercer un contrôle sur mes mots. Je vous dirais aussi que je ne connais guère de langues plus sobres et plus intelligentes que la vôtre. Mais non, je reviens à mon irritation. Tenez, voici qui vous le montrera bien : l’autre jour, quand vous ouvriez, puis fermiez la fenêtre, je me demande si vous ne l’aviez pas concerté.
** *
– Naturellement, pour Jean Guérin, c’est comme il vous plaira. Crémieux a du [dû] lire ma note sur Montherlant, et sent le besoin de ne pas s’engager. Je le dis sans malice. Quand je pense à Crémieux, maintenant, je l’appelle : Benjamin.
– J'ai fait une petite note sur Gorki, et 3 notules, que je vous enverrai pour le 10.
votre ami
m.a
– J'ai reçu les poèmes. A première lecture, je les aime assez. Je les relirai, pour vous les apporter mardi.
– Toujours pas de salamandre. J'ai deux lézards : animaux communs et indignes de vos constructions.
– Il faut que vous me réserviez une journée à la fin du mois, pour que je vous lise ce qui de mon roman ne sera pas écrit.
– Ici, une de mes Américaines ressemble à Mlle Marchesseau. Nous nous aimons beaucoup. Je me promène avec elle dans les bois, le soir : parfois j’éclate de rire. Cela la surprend.
– Je pense vous faire avoir 2 ou 3 abonnements à la revue.
voici la lettre de Körner, qui me paraît digne de sympathie. C'est donc entendu, en ce qui me concerne, et je serai content d’aller là-bas, au nom de la nrf. Reste à savoir ce qu’en pensent Fernandez et Prévost. Körner ajoute : « et d’autres ». Mais quels autres ? Si je le comprends bien, il souhaiterait que nous y allions tous ensemble. Je ne demande pas mieux mais alors il faudrait être sûr des « partants », s’entendre pour les conférences, pour la date du départ (Körner ne dit rien sur ce dernier point). Je crois qu’on pourrait faire qqch. d’intéressant, et de profitable à la nrf… Un point qui m’ennuie : « La librairie Günzburg, dit K., se chargerait de tous les frais d’un séjour de 10 ou 15 jours. » Bien, mais se chargerait-elle des frais de voyage ? Et surtout comment le ferait-elle ? Car, en ce qui me regarde, je n’ai pas la possibilité même d’ « avancer » mes frais de voyage. Quant à une absence de 10 ou 15 jours, j’aimerais beaucoup que ce fût soit pendant le mois prochain, où je suis en congé, soit beaucoup plus tard. Mais ce n’est pas là une condition absolue, et je tâcherais de m’arranger.
- Entendu pour Schlumberger. Mais est-ce sur l’œuvre entier de S. ou sur ses derniers livres ? Et pour quand ?
- Félicitations pour Lalou.
- Vous aurez votre phono à mon prochain voyage à Paris.
mon cher ami, je suis content d’avoir votre lettre. Je commençai à penser que Port-Cros vous absorbait beaucoup. Mais qu’est-ce que cette note de J.S. dont vous me parlez ? S'agit-il de Schlumberger et d’une note sur les Ames en p. ? Je croyais que Fernandez la devait faire. D'ailleurs je suis content. Mais qu’est-ce encore que la « question Duhamel » ? Il y a sans doute une question Duhamel. Je suis énervé. 3 personnes ont écrit que j’avais imité Deux hommes de Duhamel dans Un homme de peu, un M. Loewel, un M. Buenzard et un M. Crémieux. Avez-vous lu la note de Crémieux sur les Ames en P; cet individu est immonde et je le lui dirai – (Et vous-même, je me rappelle fort bien qu’un jour vous m’avez taquiné avec Duhamel : pourquoi ne pas m’avoir adressé nettement le reproche ?) Ecoutez, Paulhan, si Schlumberger a la gentillesse de répond à ce reproche, c’est gentil, mais insuffisant. Un homme de peu a été écrit sous 3 formes. D'abord une nouvelle de 30 pages, en 1923 (donc avant Deux hommes de Duhamel.) Malraux l’a lue à cette époque. Puis ramenée à une nouvelle de 3 ou 4 pages et publiée dans l’Intransigeant vers 1924 (donc en même temps que le livre de Duhamel) et enfin étendue à sa forme actuelle, mais sans changement de personnages ni de situation. – Je ne puis donc admettre qu’on dise que j’aie imité Deux Hommes de Duhamel. Et si Schlumberger pouvait dire qu’ Un homme de peu ne doit rien à Deux hommes, j’en serais heureux. Qu'on me dise que j’aie été inspiré par Duhamel, d’une façon générale (par exemple par les Hommes abandonnés), je ne le crois pas, mais c’est cela m’est égal. Mais je ne puis admettre qu’on me reproche d’avoir volé à Duhamel une situation et des personnages.
Un hommes de peu, je l’ai vécu. La 2eme année que j’ai passée à Paris, je travaillais à la Cie d’Orléans, place Walhubert. J'habitais rue des Ecoles, au coin de la rue de la montagne Ste Geneviève. Je déjeunais et dînais au restaurant de l’Etoile bleue, qui existe toujours et que j’ai décrit dans mon histoire. Mes 2 héros étaient mes voisins de tables. Est-ce ma faute si Duhamel habite le même quartier. J'y ai passé 3 ans. J'ai bien le droit d’en parler.
Si c’est vraiment Jean Schlumberger qui fait la note sur mon livre, j’en suis très, très content. Vous savez que c’est un des hommes au jugement et à la sympathie de qui je tiens le plus.
Pardonnez-moi de vous parler si longuement de choses, en somme, assez peu importante. Jacques Rivière me plaisantait jadis sur mon irascibilité ; mais tandis qu’il en plaisantait, lui-même tremblait encore d’énervement à la suite de l’ « affaire » Béraud.
J'ai beaucoup travaillé ces temps-ci. J'élève une salamandre et, trois jeunes corneilles et un hérisson.
J'avais de petites choses à vous donner pour la revue (« Revues », note sur le Jardin de Pivoines). Mais sans doute est-il trop tard.
Votre ami
M.A
Vous devriez me téléphoner quand vous serez revenu.
Dans « les Revues », je n’ai pu compléter une note au bas d’une page (référence d’un article de Gide). Si vous n’avez pas le temps de découvrir le n° de la N.R.F où cet article a paru, supprimez tout simplement cette petite note. – Vous ne m’avez pas dit ce que vous pensiez de ces remarques sur l’article de Massis ; le sujet était pourtant est assez important pour que je dé souhaite de savoir si vous m’approuvez ou non.
Vous ne m’avez pas encore parlé de ce que Gaston Gallimard a dit à Mme G. à propos de mes Revues. Qu'en pensez-vous vous-même et que souhaitez-vous que je fasse, ou que je ne fasse pas ?
J'ai été content de rencontrer Schlumberger. Il m’a donné les pages qu’il a écrites sur la mort de sa femme, gestes et pages qui m’ont touché.
Je viens de recevoir Numquid et tu ?, avec la signature de Gide (et de Du Bos). Dois-je y voir un rappel de Cinna ? En tous cas, ces pages m’ont plus vivement ému que tout ce que je connaissais de Gide.
Et maintenant une drôle de demande. J'ai songé à dédier un petit livre de morale qui va paraître dans « Une oeuvre/Portrait » – à Massis. A l’égard de Massis, j’éprouve des sentiments extrêmement troubles. J'ai certainement de la sympathie pour lui. Lui-même m’en a témoigné, qui m’a touché ; mais on me dit (Malraux) que ce témoignage pouvait bien être de la politique (encore que je ne voie pas...). Bref que pensez-vous de mon idée ? D'autre part, j’aime trop peu les amis de Massis (Maritain mis à part) pour ne pas redouter cette promiscuité. La question que je vous pose est embarrassante ; mais vous vous en tirerez par un sourire sybillin [sibyllin].
Je viens de lire un petit livre : « Méditations profanes sur la Grâce », qui m’a plu, moins par lui-même peut-être que par ses préoccupations. Ne pourrais-je pas en dire quelques mots dans la revue (dix ou douze lignes) ?
Mme G. me disait : « Le titre Les Revues est mal choisi. » C'est vrai ; et cela explique un peu que ce que Gaston Gallimard a pu s’étonner à bon droit que ce que j’écris sous ce titre y réponde si mal. Il me semble qu’il a raison de dire que des extraits de revue, une Revue des Revues qui mettrait les lecteurs au courant de ce qui se publie dans ailleurs, – serait intéressante (pour ces lecteurs). Mais l’un doit-il empêcher l’autre ? La part d’information doit-elle supprimer la part de doctrine (Je me rends compte de ce que [ce] mot : doctrine a de prétentieux ; si je le hasarde, c’est que je pensais moins exprimer dans ces « Revues » des opinions strictement personnelles, que des opinions communes à ce qui a été, quoiqu’on en dise, le groupe de la nrf., et qui, me semble-t-il, l’est encore ; et qui – et c’est un très noble rôle pour vous – peut le devenir de plus en plus. De là les conseils que je vous demandais, le contrôle et la collaboration. Regardez la N.R.F d’avant-guerre ; comme les notes de l situées à la fin du n°, sur les tel article d’une revue, sur tel événement littéraire, ont une valeur de doctrine ! Comme elles semblent faites non par un collaborateur, exprimer non pas le sentiment d’un collaborateur, mais celui de la revue même ! Comme elles contribuent à donner une personnalité à la revue ! – Bien entendu, je ne me sens pas capable ni dési de les poursuivre, ni désigné pour les poursuivre. Mais j’applaudirai quand je les verrai renaître.)
– Je vais encore vous ennuyer. Qu'avez-vous décidé pour Intérieur ? De toutes façons votre avis sera le mien, et sans réticences.
Dites-moi : est-ce vous qui avez mon Guide Spirituel, de Molinos ? Je ne crois pas.
merci de m’avoir communiqué la lettre de Gide. Je ne croyais pas que cet homme fût si vindicatif, et si homme de lettres. Sa lettre est haineuse. Ce sont de véritables insultes, qu’il m’adresse. M'accuser d’ingratitude, de reniement et presque de malhonnêteté, parce que j’ai dit sur les F.M. Ce que je pense être la vérité ! Je n’ai pas besoin qu’il me rappelle ce que je lui dois. Mais quoi ? Voudrait-il que je l’en paie par des flatteries ou des compliments de commande ? Vraiment, me prend-il pour un de ces jeunes gens de bonne volonté qui, à chacun de ses passages à Paris, vont quêter son opinion sur la température ? Est-ce là toute l’estime qu’il a pour moi ? Quand ai-je fait figure de complaisant ? Comment ne voit-il pas que si je l’admirais moins, je lui ferais moins de reproches ?
J'ai relu l’article incriminé. Il est possible que je ne sois pas adroit, mais je ne tiens pas à l’être avec les gens que j’aime, ou que j’admire. Aujourd’hui encore, il n’est aucun des termes de cet article, que je ne sois prêt à soutenir. Je ne le regrette qu’autant que G. en a été blessé ; mais je regrette surtout, et amèrement, que G. soit blessé par une opinion critique sincère. J'avais une autre opinion de lui.
« Blessé ». J'ignorais que Gide pût être blessé par un article de moi, et même qu’il s’en souciât, et aussi qu’il se souciât de moi en quoi que ce fût. J'ai eu pour cet homme (je dis pour cet homme et non pas seulement pour son oeuvre) une affection que j’ai la naïveté de croire assez rare. Libre à lui de l’avoir traitée négligemment. Mais qu’il ne vienne pas maintenant se dire « blessé ». On ne peut être blessé que par des gens auxquels on n’attache quelque importance.
Vous me dites « Je désirerais vraiment beaucoup que vous vous réconciliez. » Je me reprocherais de ne pas obéir à un souhait de votre part. Mais est-ce moi qui me suis fâché ? Comment aurais-je l’audace d’être fâché contre André Gide ! Si loin de Gide que je puisse aller, je garderai pour son oeuvre (puisqu’il m’empêche de le faire pour sa personne) les mêmes sentiments que j’eus jamais. Et, qu’il se rassûre, je serai toujours le premier à dire ce que je lui dois, comme je l’ai dit jusqu’ici. Afin de ne pas risquer de le blesser, je me garderai d’écrire quoi que ce soit sur lui. Quant à lui « offrir le retour », cela veut dire sans doute faire un article d’excuses. Non.
Si enfin l’animosité d’André Gide y peut trouver satisfaction, je m’interdirai toute collaboration à la nrf.
votre ami
marcel arland
Une remarque. Contrairement à ce que prétend A.G., je ne lui ai nullement donné du « grand écrivain » dans l’article en question. Sur ce point encore il défigure mes sentiments et jusqu’à mes paroles à son égard.
Mon cher ami. Je n’ai pas voulu écrire Edith telle que j’aurais écrite il y a 6 ou 8 ans. Mais parlant j’a conservé de certaines choses de mon enfance, de l’atmosphère de cette enfance, la même image, le même sentiment (ou presque) qu’il y a 6 ou 8 ans. Il était donc naturel que je prisse en parlant d’elle le même ton qu’alors. Edith, cela a été pour moi 3 semaines de plaisir, d’abord à cause des choses dont je parlais, puis comme repos à mon long roman, puis à cause de la « voix ». Voici ce que je veux dire ; quand j’écris mon roman, la voix que je prends me semble la plus simple et la plus naturelle que je puisse prendre. Mais cela n’empêche pas que, dès que je m’arrête, je ne sente que d’autres voix, en moi, voudraient parler à leur tour. Vous allez trouver ces explications grandiloquentes.
Je ne comprends pas bien votre pensée. Voulez-vous me dire que cette petite nouvelle, ingénieuse su j’avais voulu l’écrire telle que j’aurais fait il y a 8 ans, est insignifiante du fait que je l’ai écrite sincèrement ?
Mais c’est trop parler de 3 semaines de rêverie.
Je vais faire des Revues. Quelques notes sur les Annales, sur le dernier Roseau d’Or.
- Est ce que Mme G. (je voudrais bien avoir son avis sur Edith) vous a parlé de ce Hollandais corydonesque dont je l’avais entretenue ? L'histoire me semble assez touchante.
« Il y a une délivrance de l’écrivain à opérer une fois pour toutes ; je me crois capable d’y réussir ou tout au moins de l’amorcer... »
Je m’exalte de vous avoir fait écrire cette phrase. Car je vous reprochais aussi d’avoir lu votre article en souriant. Il est vrai qu’un instant, vous avez répliqué vertement à Benjamin mais vous n’êtes pas allé jusqu’à l’insulter ou à le frapper. Voici qui vaut mieux.
Mon cher ami, je vous ai déjà remercié en Juillet dernier de m’avoir indiqué Cassis et Porquerolle. Je vous remercie aujourd’hui pour Port-Cros. Evidemment c’est assez merveilleux (cela m’ennuie de le reconnaître.) C'est un repos pour moi, et un petit paradis. Mais il est bien entendu que je n’aime pas ça. Je le déteste. Ce paradis me rend malade. - Je vos ai envoyé quelques niaiseries ? Ce matin.
Votre ami
m.a
Je ne vous ai pas dit – mais ma voix compte pour vous, n’est-ce pas ? - que votre réponse au banquet P. était à la fois très noble et très [fine?]
mon cher ami. Je vous remerciais hier de m’avoir indiqué Port-Cros. Que dirai-je aujourd’hui ? Je suis couvert de blessures, les vêtements en lambeaux et fatigué pour « des mois ».
Je me suis perdu. Votre île n’a même pas de chemins qui « aboutissent ». Ils donnent en pleine broussaille. Parti à 1 heure, à 3 heures j’étais complètement perdu et entouré de buissons. Pour faire un pas, je devais lutter, me déchirer, m’écorcher. J'ai fait 4km ainsi. Jugez comme j’étais quand enfin j’atteignis le rivage. Mais mes aventures ne faisaient que commencer. A quel point du rivage me trouvais-je ? J'ai marché le long de la mer. La nuit est venue. Je sautais de rocher en rocher (Vous pouvez rire!). J'avais une jambe de mon pantalon complètement emportée. Ma chemise était en loques. J'ai dégringolé 3 ou 4 fois du haut des falaises, cassé mes lunettes, tordus les pieds. Je ne sais comment je ne me suis pas tué. - Mais, me direz-vous, vous n’aviez qu’à coucher à la belle étoile. Comment vous dire, j’étais complètement affolé ; et recommencer à chercher le lendemain, non. Vers 11 heures du soir, j’ai fait une chute assez sérieuse, au pied d’un fort abandonné (J'ai appris ensuite que c’était le fort de la Pointe de Port-Man). Je suis resté étendu sur une roche, incapable de remuer. Enfin vers 1 heure du matin, im m’a semblé apercevoir une barque. J'ai crié. On est venu. C'étaient les pêcheurs du Lavandon. Ils m’ont ramené moyennant 100F à Port-Cros. J'en repartirai demain. A partir d’aujourd’hui, je demande à parler dans la nrf. des romans d’aventures !
B.de St Pierre revu par Melle de Scudéry : j’avais le « sentier de la Solitude ». Voilà où cela m’a mené !
- Voici aussi mes notes sur les revues et autres manifestations littéraires. Je vous l’ai dit : arrangez-le comme vous voudrez.
- Je voudrais aussi en publier dans le n° de Janvier (cette belle ardeur se refroidira). Pour Janvier je pensais à Crémieux pour écrire quelques lignes peu méchantes. J'y joindrais la citation de Vettard que vous m’aviez communiquée, mais en la dépouillant de la pointe trop aigre dont vous l’aviez parée. Puis des extraits du Cahiers de l’Ami, et 1 ou 2 citations sérieuses. - ?
- Si personne, à la nrf., ne parle de Codine, d’Istrati, ou de Nicolo-Peccavi, de Lunel, j’aimerais assez à dire que je les apprécie vivement.
Je n’ai pas fini mes citations des nouveaux essais critiques. Je vous passerai le reste mardi. Mais cela [souvient?] il de les publier ?
m.a.
Ma note sur Dostoievsky, du dernier n°, était bien mauvaise. Je m’en aperçois seulement. Vous n’auriez pas dû la publier.
Je ne regrette pas d’être venu à Auxerre, que j’aime. On me dit que c’est beaucoup moins joli et parfait que par exemple, Arles. Mais je m’y sens plus à l’aise. J'étouffe moins que dans [Arles?].
Auxerre est de ces rares régions de France qui me semblent ni pays de voluptueux, ni d’esclaves, di d’indifférents. - Le paysage de cette carte est un des plus beaux que j’aie vues, des plus émouvants.
vous aviez bien voulu nous charger de demander réclamer des explications à M. André Breton au sujet d’une lettre privée de lui, jugée par vous offensante.
Nous nous sommes présentés ce matin chez M. André Breton qui nous a déclaré qu’il refusait de constituer des témoins et de se battre.
Nous considérons dans ces conditions notre mission comme terminée et vous prions de trouver ici nos sentiments les plus amicaux,
J'ai fêté la nrf. Sans le filet, au dessus de moi, tant le patois de la Goufle m’ennuyait. Puis je l’ai reprise, car je ne manque pas de « conscience » ; j’ai été payé de ma peine ; je goût très vivement cette farce. Je n’aime ni Drieu, ni Ribemont, ni certes Bosco. Le Blott est intéressant. Ce n° est mauvais au point de vue du public, et passable au mien. - Une chicane : la nuit d’Orage de Duhamel vaut beaucoup moins que les 2 livres de Bove, dont je parle. Pourquoi la note sur Duhamel a-t-elle passé avant la note sur Bove ? (Non pas, vous me ferez l’honneur de le croire : pourquoi ma note a-t-elle passé après celle de Dalby) – Non pas même pourquoi ma Ce que je dis à propos de ces 2 notes, j’aurais pû déjà le dire maintes fois. Est-ce à vous, parce qu’un écrivain est célèbre, de le mettre systématiquement en vedette alors même que son livre est mauvais ?
- Vous avez bien fait d’écrire une note sur les Cahiers du Sud ; je voudrais que, comme vous l’aviez dit, chaque n° publiât une note sur une jeune revue. Peut-être pourtant n’avez-vous pas fait assez de réserves en ce qui concerne les C du S, et leur snobisme provincial, pire encore que celui de Paris, qu’il singe.
- Des notules comme la mienne sur « M. St Hélier et autres Cl. Francillas » doivent être impitoyablement refusés. Qu'est ce que ces politesses ! Si l’on ne parle dans la Revue des Livres, de beaucoup de livre aussi insignifiants, cette chronique tombera à plat.
- Même remarque que ma première, à propos de la place respective d’un livre de critique inexistant de Billy et des lettres de Rivière.
- J'ai besoin de savoir, de façon nette, si vous publiez dans la nrf. une partie de l’Ordre, quelle partie et quand. Vraiment j’ai honte de parler de ces tractations littéraires participer à ce point au remue-ménage littéraire.
Et plutôt que de vous causer quelques gênes par une telle publication, j’aimerais mieux envoyer balader tout projet de publication en toute revue. Mais enfin j’aime à voir clair en ces choses qui peuvent salir. - Voilà 3 mois que j’ai achevé mon roman : le souci de sa publication m’abat dès que je pense à le faire paraître, je me sens si accablé, si ahuri, que je n’ai d’autres ressource que de renoncer à toute pensée de publication. Mais ce n’est pas là une solution durable, hélas !
Hier, devant la nrf, je rencontre Thibaudet et Crémieux, qui s’interrogent sur les candidats à la bourse Blumenthal. Je n’ai pas pipé ; je ne sais pourquoi. - Je croyais, à vrai dire, que vous leur aviez dit que j’étais, moi-même, candidat ?
Je vous ai rapporté, hier, votre livre de Soupault (½ d’Apollinaire, 1/4 d’Aragon, 1/4 de Mac-Orlan, le reste de Soupault), le tout assez ennuyeux et sans grande valeur.
L'année scolaire finit demain ; j’irai passer 4 ou 5 jours en Belgique, et reviendrai donner quelques cours aux Américaines.
Je dois faire une note sur Constant, dont je viens de lire jusqu’aux écrits politiques. Je ne connaissais pas non plus son Cahier rouge ; quel livre aimable ! Je crois que je le préfère à H. Brulard. Quelle amicale compagnie ! Que d’émouvantes qualités n’a-t-il pas, pour qu’on lui pardonne son esprit, pour que son esprit même émeuve.
Je voudrais aussi parler de Niels Lyhne, de Jacobsen ; je l’ai, ne l’ai pas lu, mais suis curieux de le lire ; ne serait-ce que pour ne pas l’aimer et le dire, contrairement à Jaloux, qui le porte aux nues.
Fernandez viendra, l’an prochain, 3 matinées par semaine au Montcel. 10-12000F.
Marlaux est allé en Belgique. Vu grenier qui m’a dit qu’il vous appréciait beaucoup. Voilà qui est répété.
Lu quelques lignes d’une préface de Mauriac à un livre sur Hardy : « je n’ai jamais pu lire Tess d’Uberville en entier, tant j’avais pitié de la jeune fille, tant la cruauté de Hardy me blessait, etc... » Tendre Racine !
Ferez-vous parler des livres de Breton et d’Aragon , Si oui, je souhaite que ce ne soit ni par un Cassou, ni par un Dupeyron. Non que je prenne déplaisir à les entendre louer. Mais quand on les loue, c’est, presque toujours, par pleutrerie ou par snobisme. L'autre jour, je lis dans un journal, à propos du livre d’Aragon « D'un bout à l’autre, ce livre est une merveille et juste doit être loué en tous points. » dans quel journal ? Dans l’Ami du peuple...
Je peux critiquer (et ne m’en prive pas auprès de vous) le choix des textes que vous publiez ; dire que Vitrac me semble aussi fade que Thérive, etc ; mais l’impression qui me reste de l’ensemble de ces textes me fait « approuver » le choix de chacun de ces textes (impression d’ensemble : portrait générique, buste de la nrf, comme une Marianne androgyne.) (Ce qui me paraît beau et rare dans la Nouvelle Revue française, au moins en principe, c’est une grande liberté à l’égard des convenances, des écoles, des partis politiques, etc ; sinon toujours à l’égard des modes. C'est son « protestantisme » (au sens idyllique du mot))
Je viendrai lundi après-midi, à la nrf. Je lisais hier les pages de Goethe, du dernier n°. Quel hommage que vous n’ayez pas pu les publier sans la signature Louis Roussel : on n’aurait pas manqué de vous blâmer de leur « insignifiance ». Je les aime et les admire beaucoup.
J'ai vu la note des Nouv. Litt. sur le Retour. Me voilà auréolé parmi les écrivains catholiques. Patience. Le chameau (qui d’ailleurs me semble un des moins sots parmi les collaborateurs des Nouv. Litt., malgré son séné) use (innocemment, je crois, d’un procédé infect : celui d’attribuer à un auteur les paroles et pensées d’un de ses personnages.
Je relis le Valéry des poèmes : il n’en restera pas grand chose. Je relis les Jeunes filles en fleurs, qui me prennent plus que naguère (mais quelle réaction contre Proust dans quelques années !). Ah! Et j’ai relu beaucoup de Jammes. Mauriac l’appelle un grand poète, mais on appelle bien [lui?] un grand romancier. Vous rappelez-vous les Notes d’Algérie, à la du Roman du lièvre? Si elles sont écrites avant les Nourrit. Terr. mon admiration pour ce dernier livre baissera d’un tiers.
A Varennes, les conseillers municipaux et autres gens sérieux m’appellent monsieur Arland, des jeunes gens qui ont de 0 à 3 ans plus ou moins que moi m’appellent par mon prénom (et cela me trouble, car je n’en reconnais pas le tiers), les enfants restent bouche bée. Tout cela est bien intimidant. Quand je vais sur l’une des deux places de Varennes, j’ai peur qu’on ne s’imagine que je pense à la place de ma statue future. Il est vrai que je vais beaucoup plus souvent au cimetière. – Il faudra que vous veniez à Varennes; je vous donnerai une maison tout entière pour vous installer; et vous aimerez mes grands-parents, s’ils vivent encore.
J'ai songé, ces jours derniers, à transformer la 3eme partie de mon roman. Gilbert serait interdit de séjour; il vivrait avec Renée en banlieue (lui, secrétaire dans une usine) sous une menace (celle d’être découvert et conduite hors de France) dont il s’exagérait l’importance, et qui donnerait de sa vie une couleur un peu romantique qui flatterait son orgueil. (Je montrerais d’ailleurs à la fin que cette menace était vaine, et qu’on avait toujours connu on adresse à la préfecture de police). – Le métier de professeur que je fais faire à G. me gêne. – Dites-moi ce que vous pensez de cette modification.
J'ai perdu la lettre où, à propos de l’article que G. écrit, et qui doit amener les poursuites, vous me citez une dizaine de lignes d’un article de... ([?]?). Je voudrais que vous me les écriviez de nouveau.
Je voulais vous écrire, ou vous dire, ces jours derniers, que tout malentendu entre nous, au sujet de Malraux était disparu; que, d’ailleurs, ce malentendu blessait mon amitié pour Malraux, mais non la vôtre, car je me disais que vous connaissiez moins bien Malraux que je ne fais, ce qui expliquait que vous ayez pu – être non pas convaincu, mais rendu un peu inquiet par certains propos.
–
J'ai relu votre deuxième Spectateur. Je persiste à penser qu’il va moins loin que le premier (ou peut-être ne sais-je pas en voir la résurgence). Je le trouve aussi exact, aussi vivant, et peut-être encore plus habilement mené que le premier, mais il manque de ce grand accent qui élargit et prolonge la fin du premier. Vous me direz que vous ne pouvez, à chaque fois... et que ce n’est là qu’un fragment, qui vient à sa place, et qu’on ne peut guère juger que par rapport à l’ensemble. Aussi bien me placé-je surtout dans la position d’un lecteur ordinaire de la revue, qui vous connaîtrait peu, et vous lirait au numéro. Voilà pourquoi j’aurais souhaité que pendant les premiers mois au moins chaque n° contînt un Carnet.
–
Pouvez-vous m’envoyer le livre de [Créach?] dont je dois parler? Et celui de Léautaud quand il aura paru?
Je crois vraiment que si Marcel Aymé veut venir au M, il lui faut montrer un diplôme de licence d’histoire. Car cette année un professeur s’étant donné comme agrégé, on a reconnu ensuite qu’il n’avait aucun titre universitaire; d’où une méfiance en éveil.
- Il m’a semblé, après vous avoir quitté hier, que j’avais trop vivement soutenu mon point de vue contre le vôtre. Je vous prie de m’en excuser. Mais vous m’avez excusé, ce n’est pas cela qui m’embarrasse. Je crains seulement de vous avoir un peu gêné. Vous pensez bien que je ne me permettrais pas de vous donner aucun avis pour la nrf., si vous ne me le demandez. Et certes, cet avis, quand vous me le demandez, il serait juste que je vous le donne avec mesure, et sur le ton dont vous vous servez pour me le demander. Mais si je dépasse cette mesure (comme hier), vous savez bien que je le fais sans intentions blâmables, et que je serais désolé de vous peiner le moins du monde.
- Que « je me considère comme à part en tant que critique », c’est évidemment une plaisanterie.
- Vous vous rappelez; il y a 2 ans, à peu près, vous me disiez : « Il n’y a pas assez de mysticisme dans la revue », ni auteur de la revue. » C'est ce mysticisme – mais disons simplement : ce dévouement, cette confiance, et ce besoin que je reproche à Crémieux de ne pas avoir. (Je me dis que je les aie à un très haut degré). Ne le dites pas à Crémieux, contre lequel je n’ai aucune antipathie. (Pour Crémieux, la partie est jouée – gangée ou perdue, je ne sais – gangée et perdu ; elle ne l’est pas encore pour Fernandez. La partie, mettons, en gros : la vie).
Vous recevrez mes notes samedi
votre ami
m.a.
Je n’avais pas vu, l’autre jour, que vous débitiez mes Voyages en tranches de roman-feuilleton.
Croyez-vous que ce soit bon? Le reste aurait à peine tenu 3 pages : j’aurais même pu réduire l’ensemble. N'est-ce pas donner trop d’importance surtout à ces 3 pages qui restent? - Bien entendu, il en sera comme vous voudrez.
Pour Et vous…, c’est ma faute. Je m’étais désintéressé des nécessités de la publication en revue. Du reste, si j’en juge d’après les corrections que j’apporte aux épreuves, et le temps que me prennent ces corrections (je corrige en moyenne un placard par jour), il eût été très difficile de faire paraître en octobre.
Il faut qque vous me disiez, le plus rapidement possible, si vous pensez encore publier ce fragment, et quand, et si c’est dans un ou dans plusieurs n°, car la date de publication du livre est subordonnée à la publication de ces fragments.
G.G. pensait le faire paraître au début de novembre. Je crois que ce sera impossible ; et puis je serai ainsi mêlé aux histoires Goncourt. Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux publier mon livre en mars ? Je veux lui ôter toutes les imperfections que je pourrai. Donnez-moi, je vous prie, votre avis.
–
Voici ce qui en a pr mon voyage. Je vous ai parlé d’une dame hollandaise, avec qui j’ai fait quelques traductions l’an dernier. Elle me fit assez rapidement avertir que je ne lui déplaisais pas, je vous demande pardon de le dire avec si peu de formes ; mais vous verrez que je ne suis pas brillant dans l’histoire). Ce fut le principal motif, pour lequel je fis mine de ne rien comprendre. Elle me disait que les romanciers, voire psychologues, étaient bien naïfs ; je l’approuvais. Puis nous allames en Hollande, et ce fut charmant, car elle avait suffisamment à faire de veiller à l’auto, de me montrer les curiosités, de me faire connaître quelques écrivains… Sans doute, il lui arrivait de me prendre bien souvent la main ; mais j’étais libre de penser que les Hollandais sont gens expansifs. – Elle me fit promettre de voyager avec elle cet été, en France. Sans doute se méfie-t-elle de ma prouesse, car elle m’écrivit peu après qu’une jeune fille voyagerait avec nous, qui avait grand désir de me voir et que je serais moi-même heureux de la connaître. C'était en juillet, je lui écrivis, à la suite d’autres histoires ennuyeuses, que je voulais avoir un été tranquille, que je n’irais pas les rejoindre, car j’avais peur de devenir amoureux de sa compagne (je regrette aujourd’hui cette grossièreté ; le plus fort, c’est qu’alors je voyais là non de la grossièreté, mais la plus grande marque de confiance). Elle me répondit que tous les hommes étaient des idiots, et que je ne faisais pas exception ; puis, que je vinsse pourtant les rejoindre, qu’elle n’avait qu’un seul désir, c’était que Jotjke (la jeune file) et moi fussions heureux. J'hésitai longtemps ; j’avais grand’envie de voir le massif central, un peu de voir Jotjke ; les « autres histoires ennuyeuses » s’étant soudain aggravées, j’allai un beau matin chez vous.
Or Jotjke était fiancée, et près de se marier. Le voyage fut infernal. On me mit dans l’impossibilité de recourir à mon refuge habituel : l’incompréhension. On me posa nettement les questions. Jamais plus qu’alors je ne parlai de montagnes et d’art antique ; – vainement. Il faut songer à Joseph et à Hippolyte : vous comprendrez ce voyage. Il y avait des repas, où nos n’échangions pas un mot ; où la dame se levait brusquement et nous laissait là, Jotjke et moi. Parfois, en auto, elle lâchait le volant, riait comme une folle et criait : « Si je voulais !... » Je menaçais chaque soir de reprendre le train ; prières, promesses – c’était ridicule et navrant. Jotjke et moi étions devenus tout de suite amis ; je lui donnais des conseils pour la conduite de son futur ménage ; elle me questionnait sur Proust. Notre conductrice déclara un matin que nous nous tutoierions tous ; Jotjke et moi le fimes immédiatement, et sans la moindre gêne ; je ne pus jamais dire tu à cette dame. Elle allait dire à Jotjke de se méfier de moi, que je n’avais pas de coeur, que je voulais simplement jouer avec elle (Jotjke) ; puis venait me dire de ne pas croire à l’amitié de Jotjke, qui n’aimait que son fiancé. Au matin je ne vis plus la jeune fille ; on me dit qu’elle avait pris le train pendant la nuit. (Une lettre d’elle m’attendait à Varennes ; c’était notre compagne qui lui avait demandé comme un service de reprendre le train pour La Haye). Nous étions alors au Puy ; je m’emportai si bien, que le surlendemain, j’étais à Paris.
–
Je suis extrêmement content de votre projet de donner une étude chaque mois ; pour vous, bien entendu, d’abord, mais aussi pour la revue. Il faut que vous songiez qu’ainsi, vous serez très utile à la revue ; cela vous fera persévérer dans ce projet. – Sans doute, on vous trouvait dans chaque n°, mais indirectement, parfois très indirectement. J'ai souvent regretté qu’on ne vous y entendît pas parler nettement, et je ne suis pas le seul ; des lecteurs, qui sont en pas [sic] dehors du monde littéraire, se sont souvent étonnés de ne pas vous entendre. Il me semble que c’est une sorte de devoir pour vous.
–
« M. Arl. semble conclure au bienfait du catholicisme... » ; c’est idiot, mais cela m’ennuie un peu (même si on remplace catholicisme par christianisme). Il peut s’agir pour moi de sympathie (il peut), non d’utilité, non de vérité.
–
Mon père, faible de santé, était revenu à Varennes après le collège, s’était marié (ma mère est d’origine paysanne, mon père, bourgeoise), a vécu pauvrement, et est mort à 29 ans d’une maladie de coeur. Je l’ai à peine connu, sinon par certains papiers de lui, que j’ai retrouvés, très fins, encore que très voltairiens.
J'espère que vous ne souffrez plus de votre coupure.
La session américaine est beaucoup moins intéressante que l’an dernier. 30 jeunes hommes américains sont réunis à 10 Français, auxquels ils ont offert des bourses de pension. Je donne quelques cours de littérature (5 heures par semaine) à leurs professeurs. L'élément féminin est peu nombreux. (Non, la jeune fille dont je vous ai parlé l’an dernier est cette année à Middlebury, sur mon conseil.) Le soir, séances de musique : hier, six « Troubadours russes » (c’est leur titre, leur raison sociale) en costume adéquat. Ils imitent les cloches de façon anormale : l’un fait « Bing », l’autre « Bang », un autre « Bong » etc., pendant une demi-heure.
Jacques Maritain est venu dîner l’autre jour avec moi, au petit restaurant du bois. Je l’aime beaucoup. Il y a en lui une part d’enfant. Il semble d’une timidité qui permet de belles audaces. La maison Plon lui reproche amèrement de ne pas avoir le sens des réalités. Je l’ai consolé en lui disant qu’il n’avait pas besoin de ce pluriel.
Le Luther de Febure est un beau livre, un des plus probes qu’on ait publiés sur la question. L'étonnante figure ! N'importe : j’ai plus d’admiration pour Calvin, Calvin le pur, le glacé, le violent sans gestes, le politique de la cité de Dieu.
J'ai fait une note sur Constant. – Quand revenez-vous ?
– « La prochaine foie », me dites-vous en parlant de la bourse Blumenthal. Vous plaisantez ! Ou je réclamais un prix : et alors je ne puis permettre qu’on me préfère Chadourne et Beucler. Ou je demandais une aumône : et je ne le ferai pas deux fois.
Je ne sais si je pourrai parler de J'adore. Il faudra que vous me le fassiez envoyer.
Et puis, Paulhan, si ingénieux, et même si exacts, en partie, que soient vos propos sur Andromaque et Alexandre, ils excusent trop de chose pour que nous puissions, vous et moi, les accepter. Par instants je déteste votre apparence de calme, d’ironie. Je me demande si votre amitié pour Gide ne s’appuie pas sur ce qu’il y a de moins beau en vous deux : je ne sais quelle résignation, quel regard amusé, quelle complaisance dans le sentiment de la vanité de tout. (J'enrage, d’ailleurs, d’être parfois obligé d’admettre, de sentir, la légitimité de cette attitude).
Je lis votre introduction. Je vous en parlerai la prochaine fois. Affectueusement à tous deux
J'ai lu et relu votre « Introduction ». Elle est d’une belle clarté (rassurez-vous, ce n’est pas cela qui frappera d’abord, au contraire.) Le problème est nettement posé, et dans toute son importance. (Vous avez bien fait d’ajouter la page que vous me signalez). Ce chapitre, tel que vous le publiez, – dans Commerce ! – excite, mais ne satisfait pas l’intérêt. Vous me direz qu’en volume… Êtes-vous bien sûr de n’avoir pas trop fait de votre livre un « traité de méfiance » ? J'ai hâte de lire l’oeuvre entière. –
Peut-être votre dernière page est-elle trop schématique, trop rapide, par rapport aux pages précédentes.
Je vous signale, 2 pages avant la fin, le mot seulement trois fois répété en 10 lignes, et surtout l’expression il est, qui agace la troisième fois. L'alinéa qui suit : « Il est des crimes si odieux... » me semble d’ailleurs un peu indiscret.
Je ne doute pas que votre entreprise puisse être une grande chose. Il me semble que le grand danger contre lequel elle doit se prémunir, c’est de se voir taxer d’ingéniosité.
–
En publiant Niels Lyhne ; je ne l’aime pas beaucoup. Cela me semble le chef-d’oeuvre selon le coeur de Jaloux. Je n’en parlerai pas (ou, si personne n’en parle, j’en parlerai après une seconde lecture, en octobre).
Je ne parlerai pas de Faillite. C'est un louable effort de Bost ; mais c’est toujours médiocre.
–
Je parlerai de J'adore, non qu’en parler m’ébranle, mais pour éviter qu’on ne le débine ou qu’on ne l’exalte systématiquement.
Je n’ai pas dit que les Chardons du Baragan fussent le meilleur livre de P-I. ; la meilleure réussite ; c’est à dire le mieux orchestré. J'ajouterai sur épreuves 4 ou 5 lignes à propos de Mes Départs. –
Prévenez-moi de votre séjour à Paris. Vous y viendrez sans doute seul ? Je suis content que vous preniez de longues vacances. Je voudrais bien passer 2 ou 3 jours à Port-Cros. (Port-Cros est le seul endroit où j’aimerais vivre pendant un an). Mais je me suis laissé aller, très à la légère, à des promesses qui engagent mes vacances.
– En hiver, pendant une semaine, j’avais confié mon chat Bouru [?] à Malraux. Hier, sa femme et lui me l’ont demandé en mariage pour leur chatte. Ces deux esprits observateurs ne s’étaient même pas aperçu que Bouru était lui-même une chatte. D'ailleurs, eût-il été chat, j’aurais refusé ; la chatte de Malraux
C'est Malraux qui parlait de coquetterie. Il le faisait en plaisantant, et vous n’avez pas à vous fâcher de ce mot. « Paulhan, voulait-il dire sans doute, parce qu’il a à se plaindre des surréalistes, se pique de coquetterie de leur faire la place belle à la nrf. » – Vous me dites : Il a refusé d’écrire une note sur B. ou sur A. « pour un motif, dont vous avouerez qu’il ne pouvait d’aucune façon l’empêcher de dire ce qu’il pensait de B., à bien plus forte raison d’A. » Je suis de votre sentiment, beaucoup plus vivement, et beaucoup moins gaiement, qu’il ne peut sembler. – Peut-être serai-je amené à vous en reparler.
–Je reste confus d’être allé, un beau matin, à une heure impossible, dans une maison que je connaissais à peine – vous éveiller, – et pour quelle cause ! Si j’ai une excuse, c’est que je l’ai fait sans réfléchir.. mais ma démarche me paraît si gauche et si peu décente, que j’espère que vous en ayez été assez étonné pour ne pas prendre d’animosité.
A Varennes, il y avait depuis 6 mois un nouveau médecin. Il faisait les merveilles ; tout le canton chantait sa louange. Parmi les notables, c’était à qui se lierait avec lui, et avec sa femme. On vient de l’arrêter : c’était un étudiant en médecine, et sa femme, qui n’était pas sa femme, une infirmière. – Depuis lors, on se souvient qu’il était toujours fourré au café, ou chez une fille, la Blandine, dont la famille, depuis trois générations, sert au village de maison publique. Cette fille a recueilli la compagne du « médecin » (on la montrait à présent au doigt), l’a fait vivre pendant un mois, puis lui a donné l’argent nécessaire pour revenir à Paris. Il y a aussi, mêlée à cela, une histoire d’auto non payée. Les notables sont furieux ; mais les paysans, les vieux surtout, parlent avec attendrissement de « ce jeune docteur, si intelligent, si allant »
–Si vous avez la revue hollandaise : Le Stern de juillet, voulez-vous me l’envoyer. » Elle contient, m’a-t-on dit, une étude de Dirck Coster sur moi.
–Europe m’avait demandé qqche ; je lui ai donné le premier chapitre de mon roman. Pour que je leur indique une date de publication, il faut que je connaisse celle du livre, et, pour celle-ci, d’abord, celle du fragment dans la N.R.F. ?
–Envoyez-moi votre récit dès que vous le pourrez. J'ai hâte de le lire.
–A propos de mon roman, G.G. accepte de faire paraître en même temps les 3 vol.. mais, me dit-il, si on les vend séparément, il faut leur donner des titres séparés. Cela m’ennuie ; qu’en pensez-vous ?
–En attendant de lire Tristram Shandy, je l’ai parcouru. Je n’aime pas ça.
–Je vous ai reporté l’autre jour les livres de Malraux, parce que je ne pouvais le voir avant mon départ.
–Voulez-vous dire à Mlle Gras qu’elle veuille bien m’envoyer les épreuves des 6 premiers chapitres du second volume de l’Ordre ? Je ne les ai pas reçues.
–Varennes est vraiment beau, et sans banalité. Vous qui avez toujours habité dans une ville, vous vous rendez peut-être mal compte de ce que peut être une promenade dans un cimetière dont on connaît toutes les tombes. –Je viens d’atteindre l’âge de mon père ; cela me trouble beaucoup.
Plus j’y réfléchis, plus je me trouve satisfait de votre récit. Vous direz : – C'est peut-être parce que je vous ai mis sur la voie. Je ne sais pas ; j’ai peur, maintenant, qu’en ajoutant quoique ce soit à ces pages, vous les alourdissez, les priviez d’équilibre. – D'ailleurs, que vos pages ne me satisfassent qu’à la seconde lecture, ou réflexion, je ne dois pas m’en étonner : il en a été de même pour tous vos livres (sauf peut-être pour le Guerrier, que j’ai aimé d’abord.) ; mais alors ils me satisfont pleinement. Je crois que c’est cette satisfaction « après coup » que vous cherchez et qu’il faut chercher.
Je regrette que votre spectateur ne commence pas dans le prochain n° ; vous allez encore le reculer pendant des mois, – cela est inadmissible.
Je regrette que les Fleurs de Tarbes ne paraissent pas comme elles devaient paraître. J'ai peur que vous ne fassiez la « bêtise » de les découper, de les condenser en deux ou trois petits articles, comme honteux ou peu sûr de l’importance de votre thèse.
Je passerai à la revue mercredi, ou jeudi assez tard. Voulez-vous m’apporter les Gardiens ?
N'oubliez pas, dès que vous n’aurez plus besoin des premiers placards que je vous ai remis, de me les renvoyer.
Fernandez a une belle Bugatti. – Vu Prévost avant-hier, à la nrf. ; je lui demande si Malraux l’a déjà vu au sujet de la « littérature ». Son visage, de rogue, s’est lentement fait cordial. Il a accepté que je lui dise que préférer la Vie à ses enfants, de d’Aubigné, aux Tragiques, comme il fait dans sa préface, c’est une plaisanterie. Il m’a même confié que Faillite de Bost était aux autres romans de cet auteur comme 10 à 1. – J'étais donc à la nrf. Je veux me faire annoncer auprès de Gaston Gallimard ; dans la pièce des secrétaires, un vieillard, bavard, tremblottant, courbé, poussant un petit cri après chaque mot. – « Mais enfin, oui ou non, avez-vous annoncé qui j’étais ? » Une des secrétaires : – « Voulez-vous me rappeler votre nom, Monsieur ? » Lui – « J.– H.– Rosny – aîné – président – de l’Académie – Goncourt ! » Stupeur. Lui, d’un air malin : « – Peut-être avez-vous compris Rosmy ou Rosly ! ». La secrétaire, tête baissée, se glisse au bureau de G.G. ; Rosny, satisfait, et furieux, grommelait : « – Quelles boîte ! Mais quelle boîté. » Retour de la secrétaire : « – M. Gaston Gallimard n’est pas là. » Tout le bureau, qui savait que G. était là, relève la tête ; sourires en coin, coups d’oeil. Déconcerté, la voix soudainement bon enfant, Rosny : « Eh ! Mais, eh ! Mais, il n’y avait qu’à le dire. Pardi ! J'étais passé lui dire un petit bonjour, lui serrer la main. C'est bon. Ce sera pour une autre fois. » – Je suis alors entré. La secrétaire « – Qui faut-il annoncer ? » – J.– H. – Rosny Jeune. » J'ai vu l’instant où elle se serait changée en statue.
Lu Giraudoux. Ce n’est pas grand’chose. Amusant, sans plus, et bien long. Le Démon de la Connaissance ne me semble pas du bon Mauriac. Je goûte peu Suarès. J'aime tellement Supervielle, sauf quelques taches ; beaucoup Malraux, naturellement. Gide, oui, mais ça se répète. Les chroniques sont agréables ; celle de Gide, trop longue.
Lu Ta main gauche de Frédérix. Plus guindé que Bosco, mais plus élégant. Des pages très jolies. Un vrai don de narrateur. Lu Les Chardons du Baragan : le meilleur Istrati (je fais la note).
Bonjour à vous deux. Amusez-vous bien, et bonjour à toute l’île.
m.a.
On m’apprend que Maritain est [désespéré]. Il ne fera pas la note qu’il vous avait promis sur Cocteau. Les relations Cocteau – Desbordes ont été la goutte d’eau… Surtout la valeur littéraire et morale que Cocteau et Max Jacob entendent donner au jeune marin. Scènes violentes. « C'est bien à vous de vous indigner contre Desbordes, lui dit Cocteau, vous qui avez accueilli des jeunes gens comme Sébastien, Houvert, Schowb etc. Enlevez donc votre barbe, faux prophète, instigateur d’un esthétisme à odeur d’encens et à destination spéciale. » Maritain veut-il se jeter de l’autre côté ; toutes les sacristies lui beuglent la même antienne. Le pauvre homme pleure et lève les yeux au ciel. Il ne lui reste plus que Fernandez, qui va le voir à peu près chaque jour (et qui vient de faire baptiser sa fille).
La pièce de Crémieux m’a semblé d’une platitude et d’une vulgarité extraordinaire. Si vous la connaissiez auparavant, vous auriez dû lui déconseiller de la lire. Cette réunion fut amusante, mais absolument inutile. Il ne faudrait pas beaucoup d’épreuves comme celle-là pour m’enlever toute estime à l’égard de Crémieux, ce dont je serais fâché ; – car je désirais vivement aimer sa pièce, vous ne devez pas en douter.
*
Je trouve que nous négligeons trop la rubrique des revues. Je me demande, s’il ne serait pas bon que toutes personnes s’en chargent à tour de rôle, une chaque mois, ce qui n’empêcherait pas les autres d’ajouter, le cas échéant, à ce fonds assuré.
Le Memento, tel qu’il est, n’a aucune raison d’être. Vous y signalez parfois des articles que vous n’avez pas lus. Et à quel titre signalez-vous un article ? C'est ce qui intéresserait le lecteur.
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Je vous disais que la fin de votre Spectateur m’émeut comme une belle page de la Chartreuse, c’est qu’elle renvoie quelque chose de beau, de vivant, qu’à la vérité qu’elle découvre je me sens engagé intimement. Je goûte extrêmement l’allure dramatique que prend chez vous la découverte d’une vérité.
*
Deux demandes (mais depuis quelque temps vous ne répondez plus à mes demandes, homme pressé)
1°) Ne voulez-vous pas me rappeler l’article de Tailhade ?
2°) Vous savez que Crémieux accusait Marcel, l’enfant pour qui Gilbert se prend d’amitié, d’être un de ces enfants tant de fois vus dans les romans contemporains etc. moi-même me l’étais dit (cet enfant, c’est celui d’une des nouvelles les Ames en peine). – Dois-je le supprimer ? Le modifier ? (Marcel a existé, bien entendu ; mais ce n’est pas une excuse)
Voici quelques divertissements pour mes jours de pluie à Port-Cros. On me les a proposés en Hollande. Malraux, à qui je les ai confiés, m’a dit qu’ils étaient idiots. Mais Malraux a trop confiance en ses licornes, ours en peluches et chats touffus…
17 joursVI 1° – Un escargot veut escalader un mur de 20 m. de hauteur ; il fait 4 m. chaque jour, et en redescend 3 chaque nuit. Au bout de combien de jours etc... ?
2° – Vous rangez normalement dans votre bibliothèque les 2 tomes de la Chartreuse. Ils sont reliés, chaque couverture a 2 mm. D'épaisseur, et les pages contenues entre ces couvertures 2 cm. (On peut donc représenter l’épaisseur de chaque livre par 2 mm + 2 cm. + 2 mm.). A quelle distance la 1ere page du 1er livre est-elle de la dernière page du 2eme livre. 4 mmVII
3°. Une araignée se trouve à l’angle supérieur droit d’une chambre. Elle veut aller à l’angle inférieur gauche, par le plus court chemin, mais en suivant les murs, plafond au parquet. Quel est ce chemin. Énoncé [?]VIII
4° : On a 2 mesures, l’une de 5 litres, l’autre de 3 litres, et un verre (pour prendre de l’eau!). Comment fera-t-on pour mesurer 4 litres ?
N.B. Pour vous rendre compte que vous vous trompez à la 3eme question, prenez le couvercle d’une boite d’allumettes ; imaginez qu’il représente la chambre ; voyez l’angle sup. dr. et l’angl. inf. gauche ; dépliez ce couvercle ; unissez par une ligne droite ces deux angles.
En Hollande, tout cela était très amusant.
remplir M5 versez M5 dans M3 il reste 2 litres de M5. Videz M3 videz les 2 l de M5 dans M3 remplir M5 [?] M5 dans M3 qui contient déjà 2 l et ne gardera pas un litre. – il restera 4 litres dans M5 – verre inutileIX
(Ce début est cérémonieux ; mais ma lettre ne le sera point). J'ai fait une figure assez maussade l’autre jour, chez vous. Vous me l’avez d’ailleurs fait remarquer (soit dit sans reproche), ce qui m’a beaucoup touché. (Mme Crémieux l’a vu et a pris ma défense) (Vous vous rappelez : c’était quand vous m’avez dit que Port-Cros m’avait mis de mauvaise humeur). (Je suis bien obligé de dire que c’est Mme Crémieux qui avait raison, en expliquant que ce n’était pas le voyage, mais le retour.) Mais je ne m’en reproche pas moins ma piteuse figure. Il est vrai que j’étais un peu malade. Quand je suis un peu malade, je deviens le centre de la terre (il faut que je le sois davantage, pour reprendre une place normale). - Je suis persuadé que vous avez fait exprès de me donner l part de gâteau à qui j’au dû la royauté. Et cela me désespère. Quoi ! Vous me donnez une couronne qui aurait si bien convenu à la noble tête de Crémieux, ou à la tête énergique de Fernandez ; - et je semble la dédaigner, et je manque à tous les usages, bien pis : à la plus élémentaire politesse ! Non, non, je ne la dédaignais pas. Mais cet homme m’accablait ; je ne m’en sentais pas digne. Hélas ! C'est bien plus simple : j’étais horriblement embarrassé. Songeant aux sourires, aux gestes que je devais faire, au bonheur que je devais arborer – je me sentais glacé. Je 'men suis tiré selon mon habitude, par une impolitesse. Mais maintenant que je vous ai tout révélé, j’espère que vous serez indulgente.
Je reviens à Port-Cros. Comment pouviez-vous me dire que les voyage à Port-Cros m’avait mis de méchante humeur. Vous m’avez défendu de vous remercier. Je vous dirai donc seulement ce que je me suis dit cent fois : de toutes les vacances que j’aie passées soit seul, soit en compagnie d’amis, ce sont les seules qui m’aient rendu pleinement content, qui m’aient libéré d’un tas de ruminations idiotes.
« Vous allez jusqu’à vous aliéner... dans tous les domaines ». J'ai voulu dire que, ne sentant pas en vous d’enthousiasme pour telle idée, d’affection véritable pour tel homme, oui n’en éprouvant pas qui vous transforme, où vous vous perdiez ; - mais d’autre part ayant du « goût » pour cette idée, de la sympathie pour cet homme ; - regrettant de n’avoir que ce goût, que cette sympathie, (sans en être transformé etc...) ; -et ne tenant pas véritablement à vous : = vous agissez exactement comme si, en réalité, vous étiez transformé, perdu etc... Jules Lemaître raconte quelque part l’histoire d’un martyr sans la foi. Ce martyr devait être un disciple de Sénèque et de Paul Valéry.
Mais, bien entendu, je ne suis pas du tout sûr de ne pas me tromper. - Oui, (je réponds à votre avant-dernière lettre), l’amitié devrait être moins méfiante. Faites attention pourtant que cela mène à dire : moins exigeante, ce qui me paraît un non-sens. - Pourtant je sens que j’ai tort. Mais laissez-moi parfois avoir tort en vous accusant faussement. Je vais vous dire une chose ridicule. Je ne conçois pas l’amitié sans un désir de perfectionnement mutuel. Aussi, plutôt que de rien trouver à « perfectionner » chez un ami, inventerais-je chez lui quelque défaut.
- Excusez ce papier : j’écris dans l’antichambre d’un médecin ces salles d’attente sont des lieux où l’on ne dispose pas d’une vue étendue, mais d’une vue, dans ses limites, assez précise.
- Je vous ai envoyé mon « Voyage à Paris ». C'est encore bien long. Coupez ce que vous voudrez. Envoyez-moi une épreuve, je vous prie.
- Voici des notules. Les 2 pages sur les Inassouvis : faites-en à votre gré, une notule ou une note. Je ne sais trop ce qui convient.
- Demain, je vous enverrai une note de 2 pages sur Wilde. Vous la recevrez samedi, à Robinson.
- Le reste sera pour le mois prochain.
- Tant pis : je me présenterai à la bourse Blumenthal contre votre candidat (toute réflexion faite, je me reconnais le droit de me présenter ou de me laisser présenter), et j’écrirai une lettre d’injures aux membres du jury qui n’auront pas voté pour moi.
- Voulez-vous un Kodak? J'en ai deux, et serais content que vous en acceptiez un, ne serait-ce que pour Port-Cros.
Vous attachez trop d’importance à l’ « incident Valéry ». j’ai essayé de vous répondre aussi franchement que j’ai pu- Ai-je dit que vous m’aviez semblé comique en lisant Valéry à Marcel Henry ? J'ai donc mal su m’exprimer. Le fait que vous ayez lu Valéry, près du paratonnerre (et je crois qu’il ne faisait pas très bon) m’a paru amusant, m’a fait sourire de bon coeur. Et il est évident que c’est la seule forme de « comique » (pour reprendre un mot qui ne convient pas) sous laquelle je puis vous voir (et non pas un comique qui me soit désagréable ou qui vous diminue à mes yeux).
Cependant je vous ai donné ce fait plaisant comme une des excuses de ma mauvaise humeur. Je me suis sans doute trompé : ce n’en était qu’un prétexte. Quant aux causes véritables de cette humeur (que je regrette vivement, puisque vous lui avez attribué quelque importance) c’est d’abord je vous l’ai dit, que je craignais de vous gêner en restant à Port-Cros, puis : qu’en admettant par instants cette gêne comme véritable, je vous reprochais de l’avoir ; puis : que je me reprochais de l’admettre. De plus (car ceci n’est pas tout à fait la même chose) je craignais de vous ennuyer, je me reprochais (non, j’étais mécontent) de n’avoir aucune conversation, aucun côté plaisant. Sans doute encore étais-je gêné de vous avoir entendu attaquer Malraux assez vivement. Gêné peut-être aussi que nous ayons été trop souvent « littérateurs » (quand j’y repense certaines conversations avec Gaillard ou certaines attitudes, et surtout la journée de Marseille, me dégoûtent)...
Si vous pensez que mes derniers Voyages à Paris peuvent paraître, renvoyez-les moi en me montrant d’un trait ce que je peux en rayer, ou en omettre.
Il me semble que voici le reproche que je vous ferais, je je ne craignais d’être injuste. Vous me paraissez parfois vous prêter trop (non pas trop facilement, mais trop également, trop uniformément) aux choses et aux gens, sans vraiment vous y passionner, sans souffrir d’eux. Il me semble parfois que tout un comportement nuancé, délicat, scrupuleux, affectueux même, ne servent qu’à remplacer chez vous un certaine impossibilité de vous perdre. Il me semble aussi que par mécontentement de cette impossibilité, et par réaction, vous allez jusqu’à vous aliéner. Et cela, sinon toujours, du moins peut-être dans tous les domaines. - Bien entendu, je ne suis nullement convaincu de ce que je dis là : mais j’y ai pensé quelquefois.
- Je vous ai entendu l’autre jour parler à Thibaudet de M; Aymé, pour la bourse Blumenthal. Voilà 2 mois, ou 3 mois, G. Gallimard me dit à peu près : « Je veux vous présenter pour la bourse Bl. » Sr ses instances, j’ai accepté. Si cependant vous estimez que j’ai eu tort, je laisserai là cette aventure.
- J'ai une répulsion assez vive pour Vitrac. Je crois l’avoir dominée en lisant son article. Il n’empêche que je me croie obligé de dire que cet article est fâcheux pour la revue. C'est une niaiserie et une malhonnêteté. Je n’ai pas d’opinion sur Roussel ; je suis prêt à la considérer comme un génie ; mais qu’on me le montre, qu’on me parle de son oeuvres, de ses dons ! L'article de Vitrac est un tissu de ragots aussi prétentieux que sorts. Il n’y a là que bluf et saleté d’âme. Cette pantalonnade dans la nrf. m’écoeure et me décourage un peu.
J'aime Arles autant que je déteste Avignon. Le cloître d’Arles est l’endroit le plus reposant de Provence (les Baux mis à part). Et toutes les rues, tous les monuments d’Arles sont organisés contre la dispersion.
La nuit, les chats d’Arles se mettent aux fenêtres, derrière les barreaux, et croisent leurs mains, comme ils ont vu faire à leurs maîtresses pendant le jour. - Vous reconnaît distinguerez un chat d’une chatte à ce signe qu’il a le nez beaucoup plus gros. - Un chien attaque un chat comme les Peaux-Rouges une maison, en en faisant le tour. Quand le chien renonce à la lutte, avez-vous vu les pas solennels du chat, qui s’éloigne, lentement, haut sur pattes, pour bien montrer qu’il ne s’en va as par peur. - Le chat est le seul animal qui baille par ennui, ou par littérature.
Jeudi. Je suis à Allais, qui est belle. Comme j’ai peur des accidents d’auto, je me suis mis, depuis Avignon, à conduire moi-même, pour la 1ère fois de ma vie. Cela donne de curieuses émotions, surtout à mes compagnons. - Nous allons traverser les Cévennes et remonter le Tarn.
Mon cher ami, vous m’aviez dit que vous liriez avant votre départ la 2ème partie de mon roman, et surtout le début de cette 2ème partie. J'en ai besoin, car je ne sais si les changements que j’y ai apportés sont heureux. Pouvez-vous lire cela avant de partir et m’envoyer un mot. C'est pressé : Gaston Gallimard me réclame le manuscrit. Quand vous aurez fini, remettez-lui ce manuscrit. Votre ami
Mon cher ami, je pensais descendre la route des Alpes. J'yen ai été réduit (par politesse!) à descendre le Rhône ; du moins était-ce sur sa rive droite, qui était beaucoup plus belle que l’autre. J'espère encore gagner le massif central. - J'espère surtout pouvoir vous rejoindre à Port-Cros. Maintenant, je voulais vous dire ceci : c’est que si je suis à Port-Cros, je veux payer ma part de frais. Je me fâcherai, si vous voyez là une demande inamicale. Quand je serai un peu plus riche, je demanderai à souscrire une part, ou une demi-part, de la Vigie. Laissez-moi croire que c’est déjà fait, et par conséquent participer aux frais, comme un propriétaire ! - Vous savez bien d’ailleurs que si en ce moment je n’avais pas du tout d’argent, je viendrais tout aussi bien. Je réserve une note sur Jammes ?
Affectueusement
m.a
SI vous pouvez avoir le billet demi-tarif, envoyer-le comme je vous l’ai dit. Je pense rentrer à Paris avant d’aller à Port-Cros.
Mon cher ami, je ne vous enverrai pas de notes ce mois-ci. Je voulais en faire une sur Constant ; mais la lecture du Journal intime m’a entraîné à celle des écrits politiques, de la correspondance, et de divers ouvrages sur Constant. Le temps que je mets à faire certaines de mes notes ne m’est pas une garantie de leur valeur, mais pour user de leur honnêteté décence. Et je ne crois pas que ce caractère d’honnêteté décence soit absolument fastidieux dans la nrf. J'ai lu consciencieusement les notes et notules du n° de Juillet. Il en est, comme celle de Cassou, qui me semblent insignifiantes; je n’aime décidément pas Dupeyron, je ne sens rien en lui, qu’opinions acceptées par mode et non révisées, suffisance et expression aussi détestable que celle de Duron. Je n’aime pas non plus Bounoure (je le trouve d’ailleurs un des meilleurs critiques en poésie qu’aie eu la nrf.) Gobeur, avec tous les défauts de la province, et quel cacographe ! Je n’aime pas Thérive : ça pue le pédant, l’homme sans coeur, sexe ni esprit. Je donne la note 12/20 à Crémieux, et lui préfère Fernandez.
Vous m’avez prié de vous indiquer les écrivains qui me paraîtraient de bonnes recrues pour la revue. Demandez donc à Jean Paulhan (je vous en prie vivement) de faire, à partir d’octobre, la critique de la poésie.
Je n’ai pas encore lu la première partie de la nrf ; je vous en parlerai quand ce sera fait.
Je suis content des critiques que vous m’avez faites de la seconde partie de mon roman. A ce propos, dites-moi s’il est entendu que le fragment que vous voulez en publier passe en octobre et novembre. Je voudrais en être sûr, afin de faire paraître auparavant en volume ce qui précède.
- je n’ai pas eu de bourse Blumenthal. Cela m’a déçu pendant 5 minutes, hier, à la gare de Versailles, où je lisais les noms de Guilloux, Chadourne et Beucler, qui ont été choisis. Pendant le reste de la soirée, j’y ai songé encore trois ou quatre fois avec ennui. Aujourd’hui, cela me semble extrêmement naturel. Je crois avoir le droit de dire que je n’attache presque aucune importance au plus ou moinns d’argent que je puis avoir. - Aujourd’hui, même, je suis content de n’avoir pas en prix, un peu du même contentement que j’éprouvai à me retrouver libre à l’égard des Annales. - Je regrette pourtant que vous n’ayez pas plus de chance quand vous vous occupez de moi. Hier, j’étais aussi un peu frappé en constatant le peu de sympathie que l’on a pour moi, - encore que je ne cherche pas à m’en attirer, au contraire. - Mais c’est très bien, je n’avais rien à faire dans cette galère. - Je ne m’y serais pas embarqué si Gaston Gallimard ne me l’avait demandé en novembre dernier (depuis lors il ne m’en a jamais reparlé), si d’autre part je n’avais reçu, à trois reprises, une lettre du comité des bourses, qui était manifestement une invitation à poser ma « candidature ». Enfin 'car je vous dois cette explication) je n’aurais pas consenti à rien accepter de ces gens, si, jusqu’au mois d’avril dernier, je n’avais eu la conviction (et je l’avais depuis plusieurs années) qu’il allait me falloir subir une opération (non pas d’ailleurs celle que le médecin me conseille de [?] à présent). Et si je n’avais voulu avoir de l’argent en vue de cette opération. et de mon indisponibilité
Tout cela n’empêche pas que je ne sois pas satisfait de moi. Candidature à une bourse, candidature à la publication dans les Annales, après-midi perdues la nrf, soucis de bonne publication d’un roman : c’est beaucoup pour une demi-année. Et je m’aperçois que je ne peux pas compter sur mes amis, pour me signaler ce qu’il y a de vraiment sale sous certaines apparences douteuses.
Port-Crois doit être beau. Dites à ses propriétaires que je me souviens d’eux avec plaisir. Mes cours finissent le 12, mais la session américaine commence aussitôt après, je n’aurai de vacances que le mois de septembre.
J'aurai 29 ans Jeudi. Je n’ai pas encore fait Andromaque, ni conquis la Perse, ni fait une belle grande action. Je n’accepte pas ma vie, je ne m’accepte pas moi-même.
Affectueusement
m.a.
Je voudrais bien savoir, pourtant, qui a pu me soutenir voter pour moi aux bourses Bl. Si vous l’apprenez, ne manquez pas de me le dire.
Quand vous disposez de quelques instants libres, voulez-vous relire Où le coeur se partage et me signaler ce qui vous semblera devoir être retouché ?
Malraux, à qui j’ai montré les pages que j’avais lues à notre dernière réunion, me dit que j’aurais tort de les publier en même temps que d’autres, en revue; Donc je te les envoie, corrigées. Tu les publier quand tu auras la place (si du moins tu pense encore qu’il est bon de les publier)X.
Je me rappelle à peu près par coeur les pages que tu m’as lues l’autre jour. (par coeur non mot à mot mais la suite et le mouvement des idées).
Mon cher Jean, il y a dans ta lettre des choses peut-être un peu injustes. Je ne m’en plains pas, car je les sens amenées par une démarche de l’amitié. Par exemple ta question à propos de deux lettres, que tu m’avais envoyées, l’une ou tu blâmais M., l’autre où tu le justifiais – de ne pas critiquer ouvertement les surréalistes. Comment peux-tu penser que j’aie, soit à dessein, soit par un « calcul » inconscient, omis de faire part à M. de la seconde ? Par négligence ? Mais M., que j’interrogeais l’autre jour, m’assure qu’aucune impression trouble ne lui est restée, et même ne lui est venue à cette occasion.
Et tu m’accuses d’embrouiller les choses. Si cela est vrai, c’est malgré moi. Je me rappelle pourtant que jadis je poussais jusqu’à la manie le besoin de réconcilier les gens. Il ne me semblait pas que j’eusse tellement changé.
Tu ne dois pas penser douter que j’aurais eusse agi pour toi tout comme je l’ai fait pour Malraux.
Je me suis demandé si tu n’avais pas été un peu gêné par le fait qu’après avoir décliné ton offre de nous tutoyer, je l’aie prise à mon compte. Dès que tu me la fis, j’étais enchanté à la pensée de ce tutoiement, mais gêné si j’en imaginais la pratique. C'est que, je te l’ai dit, j’y étais mal habitué, et que les personnes qui peuvent me tutoyer, exception faite pour mes parents et quelques paysans, ne m’inspirent aucune sympathie. Mais je ne tardai pas à me familiariser avec cette offre, à penser que parmi les personnes qui me disent vous, la plupart ne m’inspirent pas plus de sympathie, et que d’ailleurs, je tutoie Limbour, pour qui j’ai des sentiments amicaux.
- Tes pages sur Valéry me semblent solides, d’une grande portée, et conduites sans défaillance. Mais j’y reviendrai après une nouvelle lecture.
Ton
m.a
J'eus un jour une querelle avec Malraux. - Il faut accepter ses amis tels qu’ils sont, disait M. - Je répliquais qu’un des grands points de l’amitié me semblait pouvoir être un perfectionnement mutuel. Je ne nie pas que cette réponse comporte de la naïveté et entraîne quelques heurts. Cependant...
Tu es injuste. Comment peux-tu penser que je souhaite que tu refuses la collaboration de Jaloux et de Thérive parce qu’ils ont sottement parlé de l’Ordre ?
- Je t’ai dit ceci : tu n’estimes pas Jaloux, tu le dis, cependant tu acceptes un article de lui (- mais Rivière, dirais-tu … - Il ne s’agit pas de Rivière ; D'ailleurs l’article de Jaloux, que Rivière avait accepté, portait sur Larbaud).- Puis : pourquoi attaquer [Berg?], insignifiant, alors qu’on ménage et Thérive, et jaloux, et Lefèvre, et Martin du Gard, etc. ?
Comment peux-tu penser un instant que l’attitude de la nrf me semble devoir être modifiée, si peu que ce soit, par le fait que tel écrivain est mon ennemi ? Ton estime pour moi est en train de baisser singulièrement. - Je t’ai presque toujours séparé de la revue. Quand je t’adresse des critiques, c’est à Jean Paulhan, non au rédacteur en chef. - Et tu sais que cela n’empêche pas de penser et de dire que jamais la revue n’a été mieux conduite, et plus proprement.
Pour la partie critique, compte sur moi, quelque décision que tu puisses prendre.
- Songe, je te le demande, à réunir en 1 volumes : La Guérison, Le Pont, Aytré, Les gardiens, Luce (que je n’aime pas beaucoup)...
- Veux-tu, pendant mon absence, voir Aron 1 ou 2 fois au sujet des traductions de l'Ordre ?
- Si tu veux que je parle de bouquins, fais-les mois envoyer à Port-Cros. Berthaut me demande de parler de sa Cathédrale. Faut-il... ?
Ton Marcel
[En haut, à l’envers de la première page]
J'écrirai à G.G pour lui faire parler encore de ce projet dont tu l’as entretenu : les classiques de la nrf. Je voudrais qu’il accepte et qu’il en confie le soin (si tu ne peux pas t’en occuper seul) aussi à Fernandez, à Malraux ou à moi.
Soigne-toi : tu ne me parais pas en très bonne santé.
Mon cher Jean, ta lettre m’a fait plaisir. (Je croyais que tu avais des reproches à m’adresser, et que tu dédaignais même de le faire).
Quand nous sommes arrivés à la Vigie, c’était une tempête. M[Balyne?] nous avait remis des clés qui, disait-il, étaient celles des chambres. Nous avons, une heure durant, sous la pluie, tenté de nous en servir. A la fin, nous avons découvert les vraies dans la cuisine. Mais impossible d’ouvrir le salon. Nous nous sommes réfugiées dans votre chambre, où nous avons dîné et dormi. - Mais tout cela, bien entendu, était très bien, et nous regretterions que cela ne fût pas arrivé.
Tout s’est arrangé les jours suivants ; nous serions tout à fait bien, n’était parfois le vent d’sest , qui nous enfume, le réchaud radiateur à pétrole marche à merveille.
Janine a eu pour devant Port-Cros les mêmes réactions que moi, jadis : d’abord une admiration méfiante, puis plus de confiance d’abandon à mesure qu’elle le découvrait. Elle a fait un curieux portrait de moi, et un bon intérieur. - Je travaille quelque peu.
Le dernier vent d’est a fait des dégâts dans la toiture. Je tâcherai de décider le maçon à venir.
Je suis content que tu réussisses les Carnets du Spectateur, et que tu sembles décidé à ne plus quitter les Fleur de Tarbes. Mais tu devrais songer à réunir en un volume de la collection blanche : la Guérison, le Pont, Aytré, les Gardiens.
Je t’écris au coin du feu, dans le salon, après dîner. Janine lit Don Quichotte.J'éprouve pour elle, à mesure que je la connais plus je la connais intimement, plus j’éprouve pour elle d’estime et de gratitude. -
Il ne m’arrive rien d’autre que de me découvrir de plus en plus pareil à moi. Peut-être aussi je ne sais quelle sorte de résonnance grandissante (mais peut-être vient-elle de cette découverte).
J'ai écrit à S.H sans lui rien cacher ; elle m’a répondu. Cette chose me navre ; mais que Janine n’en ignore absolument rien m’est d’un grand prix. - s me dit que J ne serai pas heureux ; je m’en réjouirais si elle devait l’être.
Nous reviendrons tout à la fin du mois ; le beau-frère de Janine vient nous chercher en voiture. - J'avais un peu promis à Rouault que j’irai le voir en Suisse ; ce sera pour plus tard.
Crise ne vaut pas grand’chose. J'essaierai d’en dire 2 mots.
Le L'idée des monument à « la poésie immortelle » me semble un geste surréaliste. Je n’ai aucune sympathie pour lui. Cependant, si tu juges que je dois le faire, inscris-moi pour la même somme que toi.
Pour les Revues, je t’envoie, à propos de Chagall, une page de Maritain, qui me paraît toujours plaisante et toujours excellente. Il ne me semble pas qu’on ait dit mieux.
-
Est-ce que Début d’une amitié passe en Septembre ? Ou en octobre ?
-
Crois-tu qu’il serait bon de publier (dans les Chroniques) cette conversation entre un jeune homme et moi, que je t’ai lue l’an dernier ? Je viens de la relire, je trouve cela intéressant. Si tu le penses, j’essaierais j’essaierais de faire (2 ou 3 par an) une nouvelle série de chronique, peut-être sous le même titre : Voyages à Paris, qui commence à me plaire.
-
Tu as dû, ,et Germaine, me trouver maussade et désagréable, tous ces temps-ci. Mais Je me supporte moi-même difficilement.
Depuis quelques années, il m’est arrivé quelques unes des plus grandes satisfactions qu’enfant, je souhaitais. Ces derniers mois, à eux seuls, m’auraient fait tourner la tête il y a 10 ans. Je ne suis pas tellement loin d’un état où je ne saurais plus rien souhaiter, sinon d’humainement impossible. - Or je ne me suis jamais senti plus maussade, plus chargé de protestations, plus mal à l’aise, que maintenant. Je ne suis même plus en lutte avec moi ; j’assiste à moi-même, et ça ne me semble pas extrêmement drôle.
Pardonnez-moi cet étalage intime. Je croyais y avoir renoncé.
J'irai à Port-Cros vers le 15 septembre, à ce qu’il me semble.
je crois que je vous ai très mal montré combien mon séjour à Port-Cros avait été précieux pour moi. J'étais sûr qu’après les deux semaines extrêmement belles que j’avais passées près de Vichy, c’est avec vous que je serais le mieux.
Tu me proposais il y a quelques semaines de continuer mes anciens « Voyages ». Non, je ne m’y sens pas disposé, je ne sais pas exactement pourquoi (peut-être parce que je ne suis pas content de ce que je t’ai donné sous ce titre). Mais souvent, ces derniers mois surtout, j’ai été amené à me dire : « Je voudrais bien dire ceci..., cela. » Mais « ceci, cela » ne pouvaient rentrer ni dans les notes, ni, bien entendu, dans les articles. Par exemple, telles réflexions sur une pièce classique, à propos de Dieu et Mammon (sur quoi tu ne m’avais pas encore suggéré l’idée de faire une note), sur un ensemble de livres de mêmes tendances etc. Au contraire, j’imaginais volontiers la possibilité de le dire dans une rubrique comme Remarques, ou Commentaires.
Je vois bien des objections. Mais dis-moi ce que tu en penses. Ce n’est pas u projet auquel je tienne vraiment.
veux-tu me faire envoyer les Varais ? Je m’étonne un peu de ne pas l’avoir reçu. Tu sais que je dois en parler.
Je te donnerai aussi pour le n° de Juillet :
R. Lehmann – Poussière
O. Rung. Cortège d’ombres
1 petite note
Mauriac – Dieu et Mammon
Enfin je voudrais assez parler de la Joie de Bernanos. Mais c’est comme tu voudras.
-
Cela fait 3 fois que je promets de dîner avec vous et que je ne viens pas. C'est qu’à Paris, cela me ferait peu de plaisir. Et à Robinson, les trains me gênaient. La prochaine fois (je le dis tranquillement), je viendrai de Jouy à bicyclette.
-
Je voudrais bien qu’une des réunions de notre petit comité se passât au Montcel. Mais ce mois-ci il ne fait pas encore assez bon. Car le mieux serait sans doute que nous discutions dans ma chambre ou au salon, puis que nous allions au petit restaurant des bois, que tu connais ; et que nous y poursuivions la discussion en plein air.
J'ai reçu, au dernier courrier, envoyés par mon frère, un certain nombre d’extraits de journaux. J'ai beau faire : j’enrage un peu du sens que les 2/3 de ces journaux donnent à l’Ordre. Est-ce que dans la revue des revues, on ne pourrait pas mettre qqch. comme ceci :
Le nombre de contre-sens que l’on a faits sur l’Ordre tantôt par naïveté, tantôt pour des raisons exactement opposées à la naïveté, ne manque pas d’intérêt. Voici, en regard, quelques paroles de Marcel Arland, rapportées par M. Carmelo Puglionisi dans Monde (J'ai souligné dans cet article les points importants. Vois s’il est bon de les rapporter. Je m’en rapporte entièrement à toi.)...
_
L'ascenseur aux Enfers. C'est amusant, cela a des qualités de rapidité, et de surprise, et de netteté. Mais assez banal ; un gros geste pour un résultat assez pauvre. C'est d’une mécanique alerte, peu compliquée, mais non sans prétention. 1er prix au concours de nouvelles pour journaux. (Voilà ce que dit Janine ; moi aussi)
Nous avons vu cette après-midi Mme [Balyne ?]. Si heureuse de nous avoir eus à Paris.
Claude Balyne m’a dit il y a 8 jours qu’il inclinait de plus en plus vers le catholicisme. Il ne m’en plus reparlé aujourd’hui ; son albumine a diminué.
Relu le Soulier de Satin. Je me suis dit plus d’une fois : c’est grand. Et plus d’une fois : c’est gros.
Au revoir. Ce serait une joie que de vous avoir auprès de nous.
Marcel
Trop tard pour Cathédrale apparue (ce n’est pas que je n’aie pas travaillé). Est-ce une note ou une notule ?
Moi aussi, j’ai de plus en plus d’estime pour Benda. Tu peux le lui dire !
mon cher Jean, je me suis habitué à l’idée de vous dire tu, et je pense qu’ill sera bien que nous nous le disions, si du moins tu le penses encore. - Il y a bien quarante centimètres de neige, à Varennes. Ce qui fait que j’ai lu (je ne l’avais pas encore fait vraiment), les Hommes de la route, que j’aime beaucoup, et certes plus que le Crime des Justes, que je suis loin pourtant de ne pas goûter. J'ai lu aussi la Nymphe au coeur fidèle, de Margaret Kennedy, qui ne vaut pas les meilleurs Hardy mais vaut plus que les moins bons. - C'est tout pour aujourd’hui ; je grelotte au coin du feu, et j’ai une humeur de bouledogue. Affectueusement à tous deux,
Le livre de J. Maxence n’est pas négligeable. Et que M. ait dit du mal de la nrf, c’est une nouvelle raison d’en parler, n’est-ce pas ?
Tu devrais parler des jeunes revues; Je ne vois que toi (et moi, peut-être) pour en parler. Mais moi, ne me demande pas de notes, s’il te plaît, avant quelques mois.
Est-ce que nous ne devrions pas tourner en ridicule la manière dont on parle (Et d’abord dont l’éditeur parle) de certains livres ? J'imagine assez bien ce que pourrait être un « sottisier « qui ne s’intéresserait pas aux fautes de français ou aux erreurs de géographie ou d’histoire.
- Comme, au milieu même de gens sympathiques, je me sens près de toi !
M.
par exemple « Le grand critique A. Thérive » (publicité N.R.F.) - « Un de ces romans comme il n’en paraît qu’un par siècle » (publicité des Hommes de bonne volonté) – Liste des écrivains qui réclamèrent de veiller le cadavre présidentiel.XIII
vendredi
Je reçois une lettre de Th. Maulnier ; je te la montrerai. Elle est très belle. Il est impossible pour l’homme qui l’a écrite soit un sot (mais la question ne se pose pas) et que nous ne lui devions pas de la sympathie. Lui as-tu demandé qqch. pour la nrf ?
Maulnier me paraît de tous les jeunes gens de ce groupe, le plus indépendant. Nous devrions le gagner à la nrf.XIV
Tu devrais demander que l’on parle du livre de Berthault.XV
Voici enfin les poèmes tant attendus de M. Léon-Paul Fargue. Nous ne saurions trop les recommander à nos lecteurs .M. Fargue est une personnalité éminemment sympathique. Plusieurs jeunes hommes le considèrent comme notre plus grand poète. Nous nous abstiendrons de prendre parti dans cet important débat. Nous avons nous-même beaucoup aimé M. Fargue. Il fut un temps où son livre Poèmes ne quittait pas notre chevet ; il nous a rendu fort malheureux et nous a fait rendre malheureux plus d’une des jeunes filles ou des jeunes femmes qui cherchaient auprès de nous un aliment à leur sensibilité, voire à leur sensualité. - Depuis lors, M. Fargue a évolué ; il vit d’élégance et de fines plaisanteries. C'est l’enfant gâté de certains salons. Il entretient soigneusement certaines manies et certains défauts. Tout porte à croire que s’il ne parvient pas à l’Académie, il se trouvera quelques donatrices pour créer une académie, dont la présidence reviendrais tout naturellement à notre poète M; Fargue – qui fut voilà quelques 10 ou 15 ans le poète du coeur et de la pureté.
Je vais rester qqs jours dans un village près de Vichy. Il y a ici de grandes forêts qu’on appelle « les Bois noirs », de robustes collines, et une lumière si blanche et si subtile, qu’elle finira bien par...
les lapins ne veulent pas venir dans les pièges. Mais j’ai tenu entre mes mains un merveilleux oiseau.
J'ai lu ton art essai de Commerce sur Une poésie obscure. Je crains toujours à te voir « t’amuser » avec ceci ou cela, que tu oublies de quitter la terre. Et vraiment tu attends jusqu’à l’extrême limite. Mais tu la quittes bien, et tout s’éclaire.
(Je te proposerai 2 ou 3 sens, pour ces hain tenys, qui ne sont pas ceux que tu donnes)
Janine lis les Entretiens sur des faits-divers, qui lui plaisent extrêmement.
- J'ai acheté une petite 201 Peugeot. Je l’aurai demain. Pourvu que je puisse la ramener jusqu’ici !
Ton
M.
J'ai lu, ces mois derniers, 4 ou 5 romans que des jeunes gens m’avaient envoyé et qui ne m’ont pas paru sans analogie avec les miens. Mais je les ai trouvés bêtes à faire pleurer. Cela m’inquiète.
J'éprouve, en pensant aux Fleurs l’impression d’une sorte d’appui, qui me charme d’autant plus que sur certains points, sur certains mots, sur certaines réactions, je ne vois que trop notre divergence.
N'oublie pas de m’envoyer le plus tôt possible les épreuves de ma note sur Mauriac : j’en ai besoin pour mon livreXVII.
[1930]
Mon cher Jean,
J'ai reçu ta lettre hier. Nous sommes heureux, évidement, que G. aille mieux. - Ecoute : je voudrais bien que tu écrives des : souvenirs de voyage ; tu n’y parlerais que de ce dont on ne parle pas : les chardons de la Vigie, les tortues de Robinson, la pension Eugénie... Si cela ne te paraît pas sérieux, tu les publierais sous un pseudonyme (par exemple : Ulysse Delavierge, ou Richard Sangdboeuf).
Oui, je voudrais bien lire ta note sur Sade et surtout les Fleurs. Oui je dirai qqs mots de la Vie des Fourmis (veux-tu me l’envoyer !) ; je possède le Rimbaud de Rivière, mais ne l’ai pas encore lu.
Voici mon Gide. Je l’ai écrit pour mon livre de critique ; je ne suis pas sûr qu’il convienne à la revue ; tu jugeras – mais il ne faut pas avoir d’histoires avec Gide. J'ai quelques réserves à y introduire ; mais je ne le ferai sans doute que dans le livre. Si tu penses que cet article convient pour la revue, fais le imprimer tout de suite, afin que je le revoie sur épreuves. En ce cas, il pourrait passer pour le n° d’Octobre. Je te donnerai encore pour ce n° quelques petites notes et notules. - Pour novembre, j’aurai des Episodes (journal de Gilbert).
Je pense faire cette prochaine année des articles (comme je l’ai fait sur Mauriac et sur Gide) sur : Jouhandeau, Montherlant, Claudel, Drieu, Duhamel, Schlumberger... et sur quelques classiques : Vauvenargues, Calvin, peut-être Baudelaire, mais comment placer ces articles, s’ils ne correspondent pas à un livre nouveau ? Parmi les notes, malgré tout, ou bien parmi les chroniques sous une rubrique comme Etudes ? Déjà la question se pose pour le Gide, si... Fais comme tu veux.
Note, s’il te plaît, que je ferai parlerai pour Octobre et ou pour Novembre des livres suivants :
Trotsy - Ma vie : notule
Barbey – Toute à tous : :petite note
Istrati – Pêcheur d’éponges : notule
J. Rostand – La formation de l’être : notule.
Mélot du Dy – petite note ou notule.
H. Hesse – Demian : notule
R. Laporte – Joyce : petite note ou notule
- Pour la conférence d’Anvers, de préférence au début de l’année.
- Le mari de Madeleine est parti : il a fait des chassis pour toutes les fenêtres et quelques meurtrières.
- Nous partons vendredi 22 (ou samedi). Nous allons immédiatement à Cusset (8, rue de la Révolution) où nous resterons 18 jours.
nous partons samedi pour Cusset (8, rue de la Révolution) jusqu’au 8 sept. Et vous, quel jour partez-vous et quelle sera votre adresse ?
Nous avons pêché avant-hier, et pris 4 poissons. Hier Mme Balyne et M. Henry sont venus dîner, nous leur avons confié quelques étoiles.
Dimanche, nous étions allé à l’île du Levant avec les Supervielle.
Je nage de telle façon que l’on vient sur la plage exprès pour me voir (me semble-t-il).
Les rats sont très audacieux, percent des trous dans l’armoire de la cuisine. Nous avons pu avoir du poisson assez régulièrement : tant mieux, car le viande de Daumat est infecte, comme d’ailleurs presque toutes les marchandises : conserves, salades, fruits, qu’il apporte et les prix. Nous ne sommes pas seuls à nous en apercevoir à Port-Cros. - Il faudrait envisager, pour une autre année, un autre système, ou un système complémentaire, d’approvisionnement. (une personne, par exemple, expédiant 2 ou 3 fois par semaine un colis d’Hyères) ; - tout au moins apporter de Paris ou de Toulon une bonne quantité de conserves.
N'oublie pas que j’ai besoin de mon article sur Mauriac. Tu ne m’as pas répondu en ce qui concernait Hubert Dubois.
Mme Balyne m’a demandé à plusieurs reprises ce que je pensais de Dieu, de la survivance de l’âme, et du libre-arbitre. Je crains de l’avoir déçue.
Les Supervielle : très gentils. Mais je crains de l’avoir beaucoup gêné en lui conseillant des un assez grand corrections assez nombreuses, aux nouvelles qui doivent former son prochain livre.
Mme B. nous a dit (en nous demandant le secret à l’égard des Supervielle) qu’elle il se pourrait qu’elle habitât le fort François 1er l’an prochain.
D'autre part il m’a semblé, ou plutôt il a semblé à Janine, que Mme S. avait des visées sur l’île du Levant.
Mon cher Jean, je ne sais si Janine a écrit à Germaine que j’avais capturé un insecte-brindille ; je ne le regardais pas sans respect. Il a profité d’un instant de liberté pour se changer en pierre, en lézart ou peut-être en véritable rameau.
Les Supervielle ont dû arriver aujourd’hui.
Il n’a pas encore plu.
Je me baigne.
J'ai envoyé à Paillart les épreuves de ma note sur Mauriac ; pas de corrections sinon 1 mort et les épreuves de 3 courtes notules : pas de corrections. Je lui ai envoyé aussi 1 notule à composer, sur Kurt et Grete, de Lafue : environ 15 lignes de revue, et 1 notule sur Paris vécu de Daudet : 1 seule ligne.
Pour octobre : as-tu des notes à me proposer ?
J'ai travaillé à la nouvelle édition de la Route obscure ; je vais travailler à mes Essais critiques.
Que fais-tu ? Comment va Germaine ? Quand revenez-vous à Paris ?
Nous pouvons être le 26 à Cusset, et le 8 sept. à Paris.
T'ai-je dit (non) qu’à l’issue de notre dernière réunion, Crémieux m’a demandé si je voulais faire une note sur Rosa Colonna. J'ai bredouillé. - « Enfin, m’a-t-il dit, je vous laisse faire ; je ne veux plus m’occuper de rien. » Tu vas penser que 1° Crémieux exagère 2° je n’avais qu’à refuser nettement. C'est exact (toutefois, en ce qui me concerne, Crémieux me demandant cette note, c’était comme 'sil m’eût emprunté mille francs : - je ne songeais même pas que je pouvais me dérober : c’était un service de même nature). - Tout cela n’empêche que tu n’aies pris aucune décision dans cette affaire. Je vois 2 solutions : - ou demander à Rival de corriger un peu sa note – puisque aussi bien Crémieux même la trouve trop élogieuse. - ou demander à Crémieux de faire cette note. Je crois que la 1ère est la meilleure.
Le n°d’aout me paraît très bien composé. Je goûte beaucoup Benda et Max Jacob, un peu moins, Grenier (c’est honnête, mais n’apporte aucune vue nouvelle). [Fauconnier?] est un curieux roman de vacances. Je n’ai pas lu Hamp ; j’ai parcouru Rigaut, que je n’aimerai sans doute pas, mais que tu as bien fait de publier. Les notes me paraissent former un ensemble convenable. Je suis J'ai lu avec plaisir une Revue des Revues plus intéressantes que ces temps derniers.
Le colis en souffrance au port est bien parvenu ici : c’est du linge.
Le mari de Madeleine est sourd ; il fait de très bonnes menuiseries.
Nous avons pris deux lapins.
Rencontré un gros serpent.
Je relis Baudelaire, non sans gêne. Que pensez-tu de sa critique d’art, de ses essais « philosophies » et de sa prose ! Tout cela me paraît assez faible. - J'aimerais assez de parler de Baudelaire à loisir ; sais-tu si es volumes de l’oeuvre complète qui restent à paraître à la nrfsont serait précédés d’une préface, et si tous les préfaciers sont choisis ?
- Bien entendu, nous pensons à vous
M
St Gingolph est ainsi nommé du nom du saint patron de Varennes : Gingolph ou Gengoulf. Il a une chapelle à Varennes ; il y a fait des miracles ; j’ai montré à Janius la trace de ses chevaux, quand ils posaient leurs pieds sur le bord de la fontaine où ils venaient chaque jour.
Ci-joint deux « lettres » trouvées déposées sur la table du salon par des visiteurs clandestins.
il ne m’est pas venu à l’esprit que la publication de la note de Daumal pût être une action inamicale à mon égard. Sois sûr que si un propos ou un acte de toi pouvaient offraient toute l’apparence d’être tels, j’attendrais , avant d’accorder crédit à cette apparence, que tu dénonces notre amitié.
Simplement je me suis dis que tu avais fait une bêtise. Je me le dis encore, après avoir relu, attentivement, a note de Daumal, et l’avoir fait lire à deux personnes. 1°) Si tu n’étais pas satisfait de la note de Spitz, tu ne devais pas la publier. 2°) l’éloge de Pierre-Quinet est non seulement ridicule, mais offensant ; tu sais que sa critique est à l’opposé de celle que tu voudrais que l’on fît dans la revue. 3°) cette accusation de grossiereté qui m’est adressé est, je crois inopportune ; (et je persiste à dire 4°). Enfin la note elle-même contient à peu près 3 ou 4 lignes quelques peu intéressantes ; le reste est exécrable – je le pense du moins, et crains, pour toi, de n’être pas seul à le penser.
Je dois ajouter, pour me satisfaire moi-même, qu’il y a beaucoup de petites choses, comme cette note, qui m’ont fait protester violemment à mesure que je les voyais se produire, et dont pourtant j’approuvais la place quand je me retournais pour voir la ligne réelle que tu faisais suivre à la revue.
Cher Jean, je ne t’ai pas écrit depuis assez longtemps : mais j’en ai souvent éprouvé l’envie. Même j’avais complètement écrit une longue lettre pour G. et toi ; puis elle m’a semblé si belle, que je l’ai déchirée. Je la résumerai volontiers par une phrase de mirliton : « Le temps passe; mais mon amitié croît. »
*
Je n’ai rien pu faire de nouveau pour le prochain n° de la revue. Pour celui de mars, je te donnerai : une page (avec citations de Rivière) sur Vigile, une note ou notule sur Véry, et, si personne ne l’a fait, sur La grande ourse, de Malvil. Puis tu auras mon Dostoeivsky. Quant à la lettre sur Dieu, l’escargot, ne la publie pas.
*
Ce roman que publie la revue est bien agréable. Mais les textes de Morand et de Valéry... Les crois-u même utiles à la revue ? Tu diras peut-être que cela c’est nécessité par le Benda. Précisément on sent trop le dosage d’anthologie, - et non pas seulement dans ce dernier n°. Tu diras peut-être que la N.R.F ne peut être qu’une anthologie. Je ne le crois pas.
Où en sont les Fleurs de Tarbes ?
Que tu publies Oedipe, je le comprends ; mais non que Gide ne voie pas quel tort il fait à la revue.
Nous voici au couvent, qui vaut mieux que Paris. -
Puisque tu veux bien corriger mon texte, fait-le attention, je te prie ; j’aurais certainement changé des choses.
Je me suis aperçu que dans les annonces « Abonnez-vous à la N.R.F. » qui ont paru ces jours-ci dans plusieurs journaux, on citait les noms de tous les collaborateurs de janvier, sauf le mien. C'est ce que l’on appelle un manque d’égards.
Prévenez-vous dès que saurez qqch sur Port-Cros. Quand partez-vous ? Quand viendrez-vous ici ?
Ton
M.
J'ai besoin de savoir très vite ce que la nrf de février publiera de moi. En effet les trois essais ou notes que je t’ai donnés : Gide, Dostoiewski, et la lettre à propos de l’oeil de Boeuf doivent paraître en volume au début de février. Dis-moi donc ce que tu comptes publier afin que je dispose du reste.
Envoie-moi, je te prie, dès que tu pourras une épreuve de ma note sur Thérive. J'en ai besoin, non pour les corrections, bien entendu, mais pour moi.
Tu as raison pour ma lettre sur Dieu, etc : je t’avais dit que je m’étais péniblement amusé à l’écrire. Je la retoucherai. Merci de tes remarques, les exemples que tu cites à l’appui de tes critiques nous seront très utiles.
Je t’écrirai plus longuement demain ou après-demain. Nous sommes assez fatigués. Nous avonseu à peu près autant de travail que vous à Port-Cros la première année. Cela va mieux. Il restera du travail pour toi.
Oui, oui, on fera ton portrait. Ce sera l’affaire d’une quinzaine de jours, de chacun 4 ou 5 heures de complète immobilité.
Au revoir. Nous sommes vraiment heureux, de penser que vous serez bientôt auprès de nous.
M.
J'ai envoyé directement à Paillart les épreuves de mes notules. Aucune corresction qui entraîne un changement de lignes.
- Mme de Noailles est très souvent grotesque ; je viens de lire d’elle certains poèmes de guerre, où elle est à fesser. Mais tu as tort si tu n’as pas vu dans Exactitudes certains passages qui tiennent le milieu entre Montherlant et Barrès. (Par exemple, au début, quand elle parle de la campagne romaine « Je viens de chez les morts. Ils dorment, certes, profondément ». Je cite faussement, mais il y a là un ou deux mots, mais en incision comme ce « certes » qui sont d’un grand artiste.)
- Je n’ai pas ouvert un livre depuis près d’un mois.
Mardi. Je viens de lire le début des Fleurs. Je trouve cela très au point (ce que je craignais un peu, c’était certaine dispersion ; c’est au contraire très ordonné). A peine ai-je eu parfois une impression d’éparpillement ; peut-être était-elle due au grand nombre d’exemples, et à leur bonheur individuel. J'ai parfois eu cette impression chez Montesquieu. - Je n’ai pas d’objections. Peut-être te fais-tu un peu la partie belle en faisant de cette crise des lettres la marque de notre époque ; peut-être aurait-il été bon que tu en cherches les origines.
- Tu dis « Je ne sais s’il est vrai que les h. de lettres se soient contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. Ils le disaient. » Je ne crois pas que ce soit vrai. Ils se disaient au contraire que le but de la littérature était d’instruire. Jadis Rivière m’objectait que Racine ne cherchait pas à s’instruire ; eh bien ! Oui, il le cherchait ; du moins le dit-il dans la préface de Phèdre.
Je crois que les Fleurs viennent à leur heure, et qu’elles auront beaucoup d’influence.
Cher Jean, peux-tu m’apporter à la revue, lundi, les nouvelles de Green qui ont paru en volume voilà 4 ou 5 mois et la Voie royale. Quand tu auras lu « le Journal de Gilbert » veux-tu le donner à Mlle Gras, et lui dire de ne pas l’envoyer à l’imprimeur avant lundi.
Ton
M
La nouvelle de B. Marion ne m’a pas semblé sans intérêt, surtout si elle a été écrite vers 1920-22.
Je reçois ta lettre. Tu ne donnes pas de nouvelles de Germaine.
[J'ai vu Larbaud hier ; cela m’a fait grand plaisir. Nous avons parlé des abeilles et de Lochac.]
Voici ma vote et voici la petite chose dont je te parlais hier. En ce qui concerne mon article sur Gide, oui, j’ai eu l’impression de ne pas voir G., parfois, d’assez loin. Je te prie instamment de m’indiquer à quels endroits.
Il est regrettable, ne trouves-tu pas ? Que Bravo ait donné les souvenirs de Migué-Poë en même temps que la nrf.?
Je te répète que la note de Lièvre m’a paru plaisante. Salmon, ennuyeux ? Fauconnier, beau (le rythme est un peu trop celui de Nourritures). Je n’ai pas encore lu le reste.
Donc, vous serez à Paris le 26. Viendrez-vous tout de suite au couvent ?
Affectueusement
Marcel
Je te retourne la demande de traduction des Episodes d’aout. Je ne demande pas mieux que cette dame les traduise. Si c’est toi que cela regarde, réponds-lui. Si c’est Aron, veux-tu lui transmettre la lettre ?
Dis-moi si qq. doit parler de la Rue sans Nom de M. Aymé ; j’aimerais assez à faire une petite note sur ce livre. Même demande pour Exactitudes et l’anthologie de Mme de Noailles (je n’ai ni l’un ni l’autre de ces livres, que je voudrais que tu m’envoies, si tu les as ; mais j’ai parcouru le premier : c’est beaucoup mieux que je ne pensais, ou moins mal).
Nous partons ce matin, pour 10 jours. L'adresse est 8, rue de la Révolution, Cusset. - Reçu ta lettre hier. Tu as raison, comme rédacteur en ch. de la nrf. - Nous en reparlerons peutetre. Une remarque : j’ai souhaité de dire à Jaloux ce que je pensais de lui avant qu’il eût parlé de l’Ordre et même des Ames en peine, à un moment où je n’avais qu’à me louer de ses attentions. (par exemple à Port-Cros, il y a 3 ans, en hiver)
Et rappelle toi que j’ai toujours été étonné du crédit que tu accordais à Thérive, et de sa collaboration à la nrf. - Enfin Berge n’est pas et n’a jamais été mon ami. J'ai peu d’estime pour lui, et moins encore pour ses livres. S'il avait été mon ami, j’aurais quitté la nrf le lendemain de la publication de l’extrait de Thérive. - Mais, je t’en prie, dès que tu crois voir de ma part qqch de mauvais, dis le moi tout de suite.
Deux mots en vitesse. Nous aimons vraiment beaucoup Claude Balyne. Il est digne de la Vigie. (il nous est arrivé un tas d’histoires : on vous contera tout ça). M. Ozène déjeune jeudi à la Vigie. Madeleine, seule, est venue aujourd’hui.
Robert et sa femme : tout à fait charmants.
Evidemment, Mme Balyne et Marcel Henry manquent extrêmement, nous manquent : mais difficile de ne pas penser à eux soit à la Vigie, soit au port. Faites-leur toutes nos amitiés.
Jean, veux-tu un peu t’occuper des traductions de l’Ordre. - Je voudrais parler du prochain livre de Berl (Morale bourgeoise). Veux-tu me le faire envoyer dès qu’il paraîtra. Peux-tu nous faire envoyer le Soulier de Satin ?
Le G.AXIX m’émeut davantage à chaque lecture. Toutes les corrections que tu as faites (Jai comparé les deux textes) me semblent bonnes. Simplement, je n’aime pas beaucoup page 32 : et nous nous appuyons nos dos. Et je ne suis pas dou, page 60 de : « avec le bruit d’un tapis de velours ».
Le livre est souvent poignant. S'il me faut faire une réserve, ce sera peut-être celle-ci : certaines remarques de pittoresque me gâtent un peu les remarques purement humaines. Mais de moins en moins à mesure qu’on avance. Et voilà peut-être une des forces du livre (cette découverte progressive épuration progressive, cet enrichissement progressif en humanité), sans quoi, précisément, on pourrait être tenté de reprocher au livre (je l’ai été) un manque de progression.
Voulez-vous que nous dinions tous 4 demain Jeudi ? Je te téléphonerai demain pour le savoir.
Ton
M.
Excuse-moi de n’avoir rien fait pour la revue. Ce sera pour le prochain n°. Dis-moi exactement ce que tu désires que je fasse. Je suis résolu à travailler.
- Veux-tu être mon témoin, avec mon frère ? Simple formalité, mais si cela t’ennuie un peu, dis-le.
Eh bien, j’accepte. Du moins je vais essayer. Essayer de donner pour chaque n° soit une chronique, soit une longue note ; Et quelques notes ou notules (notules de livres ou de revues). Mais si cela ne paraît pas régulièrement, je crains d’y renoncer.
- Nous avons aimé plus d’une chose dans ce déjeuner nrf. (Je ne parle pas des mets) ; je crois qu’il peut être utile.
- Je n’aime pas beaucoup que tu me dises : « Je tacherais d’obtenir que la rétribution n’en soit pas trop ridicule ; par exemple, tu recevrais chaque mois 250 F » N'est-ce pas ce que recevait Prévost il y a 1 ou 2 ans pour ses petites notes de théâtre ? (Tu me comprends : ce n’est pas à la somme, que j’en ai 1, mais à ton explication.J'aurais souhaité que tu me dises : - « Accepte tant, non pas parce que je ne puis t’offrir davantage mais parce que etc... »
- Schlumberger viendra jeudi. 10h-10h1/2 n’est-ce pas ?
1. Ce qui ne m’empêche pas de penser que, lorsque Fargue touche tant, et Green tant...
- T'ai-je parlé de Soutine ? Je le tiens pour quelqu’un de bien.
- Delacroix, non vraiment, - une mascarade. 50% de Rubens, 20% de Poussin (oui, la disposition des couleurs), 30% de basse peinture vénitienne.
- Vu l’exposition Corot. Je ne suis pas fou de Corot. Mais c’est un peintre, et de qualité.
- Dîné avec Rambaud. Il m’a dit qu’il ferait terminerait une note, déjà commencée, sur Du Bos.
- As-tu lu dans le dernier n° d’Europe : Comment on fait un saint ? Tu devrais le signaler.
Je pense que tes accusations, mise en demeure et autres violences étaient des réactions d’amitié. C'est en le pensant que je ne suis pas entièrement mécontent de voir qu’en fait, tu as un caractère presque aussi mauvais que le mien.
Convenons, si tu veux, que nous pourrons tout nous dire (même injustement) et que nous devrons tout supporter, sauf le silence et le manque d’affection.
Janine, à qui je parlais un peu de notre querelle, me dit qu’elle a déjà eu l’impression que tu prends la critique que l’on adresse à la revue comme si on te les adressait à toi, comme si on dénonçait telles ou telles mauvaises choses en toi. De mon côté, d’ailleurs, je me reproche de ne pas me rendre compte assez net. Et que tu te sentes engagé dans la revue, que tu sois sensible à toute critique, que tu te sentes perpétuellement responsable, je le comprends (et je me reproche de ne pas en tenir assez compte) ; et, par exemple, il m’est arrivé, te faisant des critiques au sujet de la revue devant d’autres personnes, de me sentir soudain mal à l’aise, comme si je t’attaquais, toi) (Et hier encore, à la réunion, il m’a semblé que certaines critiques que te faisaient Schlumberger, Crémieux ou Fernandez, tu en souffrais, toi. Et en effet, tu n’étais pas comme aux autres réunions, : et Germaine non plus). - Mais de ton côté, tu devrais faire un effort pour voir d’où viennent ces critiques, et qu’on ne les adresserait pas, si l’on pensait te critique, toi, et si l’on pensait qu’elles puissent être comparées un seul instant, de si loin que ce fût, avec ce que tu es et ce que tu as fait de la revue.
Je me dis que je te critique comme je me critiquerais souvent avec injustice, mais à coup sûr avec plus d’affectionXX.
Je me dis aussi que tu ne sais pas ce que tu es pour nousXXI.
mon cher Jean, veux-tu bien corriger attentivement ma note sur Mauriac (supprime ou change ce que tu veux).
A moins que tu ne me l’envoies à Varennes. Mais aurais-je le temps ? Et je quitte Varennes vendredi matin.
Nous irons 1 ou 2 jours à Colmar, nous serons à Paris dimanche, lundi, mardi et mercredi.
Je viens d’ébaucher une longue note sur Gide : elle a pris, un peu à mon étonnement, presque une allure de panégyrique. J'espère que tu ne m’en veux plus, des querelles de ces derniers temps. Je te jure que tu aurais tort. - Nous embrassons Germaine.
Sais-tu où a paru naguère Siddharta, de Hermann Hesse ? Je souhaiterais le lire, afin de parler de Demian.
Je songe tout de suite que tu as peut-être été fâché que, après avoir reçu de toi l’offre de passer ensemble qqs. Heures chaque mois, pour y parler du n° en cours, je sois parti le 12, [vous?] le 13. C'est que je n’y ai plus du tout songé, sans quoi j’aurais reculé mon départ.
Veux-tu me faire envoyé, rue Marbeuf (ou, si tu l’as reçu, me l’envoyer à Varennes avant Vendredi) : Un père et sa fille, de Bove (Emile-Paul).
Ci-joint divers papiers pour le n° en préparation. Je t’enverrai demain une petite chose que je me suis péniblement amusé à écrire, sous forme de lettres. Je doute un peu que cela puisse convenir comme Episodes : tu verras. En tout cas, je pensais le prendre dans mon livre de critique, sauf si c’est trop insignifiant – ce que je te serais reconnaissant de bien vouloir me dire.
-
Le n° de septembre m’intéresse. La partie critique. Je goûte les notes de Prévert et de Lièvre ; la tienne est excellente, mais Sade n’est pas « un écrivain qu’il faut placer sans doute parmi les plus grands » ; il te reste du moins à le prouver. - (Connais-tu l’Histoire de Mme de Luz de Duclos ? Ce n’est pas sans rapport avec Justine). - Le Fauconnier devient bien beau. Lugué-Poë intéressant, mais un peu bas, et si cabotin ! Je n’ai pas lu le reste. - Le P. Hamp d’aout est un des meilleurs que je connaisse.
Lu la Vie des [Fourmis?] : c’est bien médiocre, à tous points de vue.
Je n’ai pas reçu de lettre de toi depuis environ 1 mois. Et de Germaine, nous n’avons pas de nouvelles depuis plus de 3 semaines.
*
Nous sommes restés à Cusset depuis 15 jours. Nous serons à Paris, à partir lundi prochain. J'ai passé l’examen pour le permis de conduire.
Si tu m’écris avant Octobre (il faut tout prévoir), mon adresse est toujours 27 rue Marbeuf.
Au revoir.
M.A.
Je vois Larbaud ce soir
Le poème de Fargues, que tu cites, est bien médiocre.
Marcel Arland à Jean Paulhan (12 septembre 1930) §
D'abord ne ris pas de ce papier. Il m’épargnera de mettre mon adresse au bas de mes elttres. Et puis je n’ai pas indiqué : château. Et puis il y a une faute d’impression.
Nous emménageons demain. Toujours très content d’aller là-bas. Nous emmenons le chat. Nous allons nous mettre en quête d’un chien.
Tu aurais pu manifester quelque émotion quand je t’ai annoncé que j’avais obtenu le permis de conduire. Ne crois pas qu’on l’accorde au premier venu.
S'il te plaît, réponds moi au sujet d’Aymé. Quelqu’un doit-il en parler ?
Tu as raison pour mon « Gide ». Je le reprendrai. Janine m’avait fait la même critique que toi à ce sujet.
J'ai reçu les premières pages des Fleurs. Je les lirai dimanche, premier jour de repos depuis quelques semaines.
Je ne disais pas que Germaine n’écrivait pas, mais que nous n’avions pas de nouvelles de sa santé.
Mon cher Jean, si je savais que les critiques que l’on adresse à la revue dans nos réunions puissent te causer quelque peine, je me garderais d’en faire. J'ai pensé soudain que, dans ces réunions, tu n’avais peut-être pas assez constamment à l’esprit ces deux points :
- sur ton invitation même ce ne sont pas les qualités de la revue, que nous cherchons à découvrir (ce serait assez facile), mais ses défauts.
- il n’est aucun de nous qui ne renonçât à toute critique pour peu que tu puisses en être chagriné, et croire à je ne sais quelles réserves, quelle distance. - croire seulement que nous prenions nous-même au sérieux notre « rôle ».
ton
M.
ta présence m’a été bien utile pour mon Rouault. Mais te voilà contraint, chaque fois que tu voudras que je fasse une étude critique, de venir au couvent.
- Veux-tu, dans la page de réclame où tu annonces les oeuvres à paraître, mettre après Antarès : récit (au lieu de nouvelles) – c’est au cas où je le ferais paraître seul en édition.
Il est nécessaire (indispensable) que vous alliez voir 1° l’exposition Cézanne, chez Bernheim, rue la Boétie du Fg St Honoré, 2° l’exposition du XIXe siècle chez Paul Rosenberg, 21 rue la Boétie (et dans cette dernière, que vous vous arrêtiez devant la petite femme nue de Corot : cela soutient la comparaison avec tout). Décidément, je crois que le grand peintre français, c’est Cézanne, plus même que Poussin. Cézanne renoue la tradition de l’école d’Avignon, avec un autre esprit. - Mais, je t’en prie, vois ce Corot.
Samedi et dimanche, je vais pêcher la truite. - Je ne manquerai pas de te tenir au courant.
Au revoir, nous vous embrassons
Marcel
(hélas ! Jouhandeau a trouvé une belle formule en signant : Marcel votre ami.
voici quelques passages d’Antarès sur lesquels je voudrait attirer ton attention (mais rien ne presse, et je sais combien tu es occupé).
Pl. 6 « D'une maison voisine, des soupirs etc... » Est-ce bien utile ?
PL.6 « la France a beau être petite depuis les guerres etc... » N'est-ce pas un peu trop gentil ?
pl.14 « Un curé qui se roule à terre 'en aboyant’ » N'est-ce pas forcé ?
PL.15 ou 16 – La conversation, la nuit, entre Angèle et Mlle Aimée ne dit-elle pas trop ? Si tu le penses crois, veux-tu songer à ce que je pourrais en ôter ? (Je l’ai déjà fort allégée).
Pl. 16 ou 17 – Tout de suite après cette conversation, de l’autre côté de la page, le début : « Ainsi, toute la matinée, reprenais-je mes souvenirs etc. » Tout le paragraphe. N'est-ce pas un peu trop appuyé, chanté ?
Pl. 17 – Scène où l’on « me » dit que cette étoile n’était pas Antarès. Grammatici [certant?], tu te rappelles ; Crémieux pour, Fernandez contre. Et toi ?
Un peu après, scène où un de mes camarades et moi, dans un collège, disons : « Qu'importe que ce ne soit pas Antarès, etc. » N'est-ce pas trop appuyé ?
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Je détache du Propos Horticole de Novembre, le titre : « Plantes à feuillage panaché – les choux frisés d’appartement », le passage :
« Une fleur est forcément fugace. Comme l’a dit un auteur moderne, Marcel Arland « le destin veut que toutes choses passent et ne soient belles que parce qu’elles passent’ Tout de même, pour qu’une corbeille soit d’un effet constant et durable, le feuillage panaché présente des avantages réels sur les fleurs... »
___
Je me suis attristé de de tes ennuis. Je le suis d’autant plus que tu ne dois presque plus travailler « pour toi ».
Dès que vous le pourrez, venez donc vous reposer quelques jours au Couvent. Tu emporterais ton travail.
Marcel
Amitiés à Marcel Henry. Lui non plus ne songe guère à venir !
Je suis content que tu aimes Antarès. Je l’aime aussi, peut-être parce que rien ne m’a été plus difficile à faire... Je l’ai entrepris comme la troisième partie d’une petite trilogie, tout Terres Etr est la 1ere, Edith la 2ème, et que je réunirai sous le titre commun de Mais le vert Paradis... Cela t’explique pourquoi je n’ai pas craint pourquoi certaines ressemblances avec les deux autres récits, pourquoi même je les ai cherchées. Sujet voisin de celui de T.E, dis-tu : oui, mais différent : T.E, ce sont deux amants qui n’ont pas le courage de se tuer en plein bonheur ; Edith, deux amants qui dont l’un est tué, et l’autre se tue dans leur bonheur ; Antarès, deux amants qui se tuent aussi, mais l’un en réchappe : que va devenir leur amour ? La vraie sujet question, dans A. c’est l’idée même de l’amour, et du bonheur. - Sans doute ferai-je précéder ces 3 récits de Urfé, que j vais achever.
Bien entendu, donne Antarès, si tu le veux. Je ne l’ai promis à personne.
De Bretagne, je vous ai écrit ; mais à Robinson (j’avais perdu votre adresse). Mais ne t’eussé-je pas écrit, c’eût été peu important. Vous savez très bien que nous songeons à vous un peu partout, comme à nos meilleurs amis.
En réponse à ma lettre, il y a 1 mois ½, Maritain m’a envoyé une lettre très compréhensive, belle, et meilleure que je ne le méritais. (J'y ai aimé surtout qu’avec toute sa sympathie, il maintînt sa position). - Est-ce que je vieillis ? Rien ne me touche davantage que de sentir quelqu’un bon (bon sans faiblesse).
Nous vous embrassons tous deux. A la semaine prochaine.
tu plaisantais, quand tu disais que ce n’était pas un des caractères de la langue française primitive, de supprimer le pronom sujet (surtout quand il est impersonnel). - Je trouve même au 16 ème siècle (Littré) : Suffit à un chrétien croire toutes choses venir de Dieu, de Montaigne. Et pour ne plus en douter, suffit que je le nomme, de Corneille.
Ta lettre m’a très durement blessé, ou plus exactement fait de la peine. Si tu étais mon ami, tu ne pourrais croire, tu ne pourrais admettre un instant que je puisse te parler « grossièrement » ; - qu’il soit plus grossier de t’appeler : homme de mauvaise foi, que calomniateur de t’appeler : criminel, - et qu’une plaisanterie puisse être lourde si elle part d’un coeur amical, si elle n’est qu’amitié, si elle ne peut exister adressée à un autre qu’un ami. (« Votre mauvaise foi, monsieur Benda... »). - J'ajoute qu’il m’était plus d’une fois arrivé de te dire : « Ton incroyable, ton épouvantage mauvaise foi, » faisant allusion au plaisir que tu prends parfois à contredire, à soutenir un paradoxe, à raisonner sophistiquement, - par jeu. Sans doute alors déjà estimais-tu que je parlais sans décence. Mais c’était pousser trop loin la politesse, que de ne pas m’en faire la remarque.
Je t’écris de ce petit restaurant où j’aurais voulu dîner avec toi ce soir. Je te remercie d’avoir au lieu de te piquer, répondu vraiment à ma lettre. Je ne puis pas ne pas envisagé l’amitié comme un besoin de perfectionnement de soi-même et de l’ami. Il ne faut pas te dire, quand je te critique : « Comment peut-il dire cela, lui qui... » - Moi qui voudrais tant être autrement, être meilleur, être plus digne d’amitié.. - Peut-être ne t’ai-je cherché querelle que par une inconsciente jalousie. Je me rappelle t’avoir écrit, voilà 5 ou 6 ans : « vous qui avez (ou qui devez avoir) tant d’amis ». Et de temps en temps aussi intervient une pensée, qui me pousserait presque à t’insulter (pour « voir ») : « il dirige une revue où tu tiens à être publié, ou plutôt estimé... Est-ce que cela n’entre pas dans mon amitié? »
Il faut te souvenir, quand nous nous querellons, que tu es mon aîné (le mot est assez beau) donc que tu dois avoir as plus de « responsabilité » que moi – facile à dire, n’est-ce pas ?
Tu parles, dans ta lettre, de ce que tu appelles « ma loyauté ». J'ai honte de répéter ce mot. Car si j’ai toujours eu, comme une maladie, la haine du mensonge, c’est du mensonge d’autrui qu’il s’agissait surtout. Je t’ai menti plus d’une fois. De moins en moins, oui, et nullement en paroles depuis un certain nombre d’années. Mais je ne suis pas sûr de ne pas t’avoir menti par gestes, par attitude, par sous-entendu. Et de même, je n’ai jamais menti par paroles à Janine ; mais je l’ai fait par silences. Du moins, je n’ai pas de plus cher désir que d’être constamment sincère, et le moins imparfaitement possible. Mais si l’on ne m’aide pas ? Tu dois m’aider, toi qui m’as tant aidé, car enfin, si, à 32 ans, je me trouves plus ferme, plus « moi-même » (il me semble), et plus heureux que je ne l’ai jamais été, (et tu sais bien que mon « bonheur » n’est pas une chose basse), je te le dois pour beaucoup.
Ne crois pas que je ne me mette pas parfois à ta place, que je ne me dise pas que tu connais, que tu dois connaître beaucoup plus de gens estimables et aimables que je ne fais moi-même. Ne crois pas non plus que je me place au-dessus de ces gens que tu as connus, ou que tu pourras connaître. - Mais il me semble que l’amitié est moins le choix d’un être parfait, que celui d’un être imparfait, que l’on voudrait parfait, et que l’on se sent obligé d’amener le plus possible vers la perfection, sans quoi (car le même principe me paraît devoir être à la base de l’amour, il ne resterait plus q'à renoncer à tout, c’est à dire..
je ne viendrai pas à Paris lundi ; ne compte donc pas sur moi.
Je t’ai montré une dépêche de Grasset, que j’avais reçue dau Montcel. Mais, bien entendu, il en avait envoyé une au Couvent, et une troisième rue Marbeuf. - Je n’ai pu résister. Grasset m’a dit qu’il avait la conviction que j’étais un des hommes d’aujourd’hui ; je lui avoué que je la partageais. Maurois m’a dit qu’il avait été très peiné en lisant ma note sur Climat, car1° il m’aimait et 2° il savait certes mieux que tous, et il allait me le montrer, qu’il n’avait pas d’habileté dans son livre ; en effet il me le montra. Bédier (charmante tête de vieillard paysan, qui me rappela celle de mon grand’père) me dit qu’il avait jadis publié des Etudes critiques, ce qui devait donc nous mettre à l’aise l’un à l’égard de l’autre. - « Vous connaissez Arland, monsieur Srtowsky ? - Je le connais depuis l’époque où il écrivait Aimée. » Toute l’attitude de Bordeaux ne cessa pas un instant de me réserver un fauteuil académique. Enfin M. Millerand (on l’appelait M. le Président, et j’avais d’abord cru qu’il était président de tribunal ou de salle des ventes) me déclara que les vieux ascenseurs étaient les meilleurs.
Joins à ce beau monde trois secrétaires de Grasset, qui, entre chaque service, exécutaient un peu de danse ou poussaient un éclat de rire, et une jeune fille, nièce de Grasset, qui appelait Maurois : « André », et que j’aurais aimé à fesser.
Tu me demanderas pourquoi je suis allé dans ce milieu. Mais Grasset m’avait vraiment attendri (« Nous avons les mêmes idées ; je le dis demain dans le Temps) ; puis je voulais me prouver que... Mais rassure-toi : je fus sinistre et gêneur à souhait.
Quant à la besogne d’assainissement des notules, tu veux plaisanter. Ce n’est pas que je crois les « notules » inutiles, tu le sais. Mais à côté de notes comme celles de ce n°, elles semblent de toutes petites grimaces de mauvaise humeur.
Je devine comme il était difficile de refuser la note de Massat. Mais, en écartant le ridicule des louanges, elle était par elle-même si sotte et si haïssable, que Gide lui-même n’aurait pu se refuser à voir cette sottise. Tu aurais dû au moins, me semble-t-il, réclamer quelques coupures (par exemple la comparaison avec les tragédies grecques), changer quelques mots ridicules (« Il appert que ce livre...Je n’épiloguerai pas plus avant »).
Gabriel Marcel ne m’a pas fait la moindre réflexion sur ma note. Peut-être 'l’ai-je froisser en le comparant à Corneille. Je m’attends à une lettre déchirante de Chardonne.
Je travaille avec beaucoup de joie, encore que mon entreprise me paraisse vouée à l’échec (le lisvre serait uniquement fait de l’évolution d’un sentiment, à peu près sans répercussions extérieures, et sans part du destin).
- Non, Mangault ne m’a pas déplu. Je prends un certain plaisir à voir, de temps en temps, ces gestes,ces sourires, ces hochements de tête, qui feraient presque croire à la vie.
Le caractère de la nrf est qu’elle contient exprime à la fois des tendances encore discutées, et d’autres qui ne le sont plus. Elle est à la fois séance d’académie, et élections à l’académie. Elle comporte une bataille en même temps qu’un défilé de troupes déjà victorieuses. - C'est ce caractère que tu sembles lui conserver à merveille, et même lui donner avec plus de précision que j’aurais.
- Le n° de novembre m’a beaucoup intéressé. Les lettres sont émouvantes (presque malgré elles) ; les commentaires de P.D, dont j’aime à la fois beaucoup de détails (sur la religion par exemple) et la démarche générale de l’esprit, sont abominablement écrits, au point de paraître un fatras. Le Jouhandeau me plaît, encore qu’il me semble trop bien monté, sans nouveauté véritable, mais d’une extrême habileté. J'aime beaucoup l’Aveugle.
Le chat-phoque (tel est son nom) se révèle digne de ses illustres prédécesseurs. Le chien lui donne des coups de langue et gémit de tendresse ; le chat crache et griffe.
J'ai vu Chardonne, que j’aime beaucoup ; plein d’idées, séduisant, plus d’une fois émouvant.
Je ne parlerai pas du Rôdeur, qui me semble exécrable. Je n’aime pas beaucoup Vol de nuit ; quelques phrases m’en touchent, qui parlent naïvement de tendresse, de devoir, etc ; mais c’est faible, souvent puéril ; non, cela ne vaut pas grand’chose. Que Gide voie dans Rivière (le directeur) une « belle figure de chef », me confond ; aucun de ces personnages n’existe. Et que Crémieux, Fernandez, toi aussi, je crois, aimiez ce livre, cela me donne envie de renoncer à toute critique.
Je parlerai de Bopp et de Graham Greene, mais pas de Fortune des airs (dont Prévost parlerait fort bien). Oui, cela m’amuserait de faire une fois sur quatre ou cinq la revue des revues ; mais il faudra me prévenir 1 mois auparavant. Celle du dernier n° était très amusante.
Gallimard a fort mal soutenu mes Essais critiques, qui sont en train de tomber à plat/
A lundi, pour dîner.
Ton
M.
Je t’apporte lundi mes notes et mon étude sur Rouault.
IMEC, fonds PLH, boîte 92, dossier 095001 – mars 1931.
Mardi matin
[mars 1931]
Mon cher Jean
je crois que je ne serai pas près de toi, cet après-midi, bien que je ne sois pas allé au Montcel aujourd’hui, afin de pouvoir accompagner ton père. Je ne tiens ni à te voir suivant le corps de ton père, ni à te dire, et à tes parents, des mots affectueux, ni surtout à prendre ma place de figurant parmi tous les gens qui seront là. Je passerai l’après-midi à relire des pages de ton père. Nous irons, Janine et moi, la semaine prochaine, au cimetière.
Tu m’approuves, n’est-ce pas ?
Je t’embrasse
Marcel [Arland]
Ce n’est pas seulement à cause de toi, que la mort de ton père m’a ému. Si peu que je l’aie connu, j’avais – j’ai de l’attachement pour lui.
- Je ne veux pas faire une belle lettre à ta mère et à ta tante ; dis-leur, un peu plus tard, ce que je pense, et ressens. Ta mère m’a à peine vu, mais ta tante connait mon affection.
Nous viendrons samedi prochain ; sinon, nous vous enverrons une dépêche.
J'ai rencontré Gaston G. à Vichy, sans faux-col, en maillot bleu, avec un air gentil de souteneur effondré. Il me paraît vieillir de façon inquiétante.
J'ai extrêmement goûté les Réflexions de ton père ; elles ont du poids sans lourdeur, elles semblent le fruit d’une vie, elles émeuvent. C'est précisément de telles oeuvres qui manquent le plus à la nrf. - Je ne dis pas que je les ai lues sans révolte. - (L'avant-dernière, sur la conversation est trop longue, une phrase sur « le doux bouillonnement de la vie qui fermente » est mauvaise).
Ne te serait-il pas possible de publier un roman (celui de Guilloux?) avant Antarès ?
Je rouvre ma lettre. - Il n’est pas impossible que nous habitions Châtenay (à la Vallée aux Loups). C'est loin d’être assuré ; mais je garde un espoir.
mon cher Jean
non, tu ne m’avais pas blessé (tu ne m’as blessé qu’une fois, voilà un peu plus d’un an, quand tu as appelé « grossièreté » le ton et les mots peut-être sots, mais certes non pas inamicaux, que j’avais eus pour toi, qqs. jours avant). Et j’ai moi-même un peu souri de ma défense (de mon panégyrique) Pourtant je n’étais pas content de ce que tu me disais au sujet de la note de Malraux.
Tu as raison : la nrf fait moins de courbettes, de sourires, de concessions qu’autrefois ; et tu as raison : elle est tout aussi jeune, et, je crois, davantage. J'avais parlé à la légère, et un peu pour te faire protester.
Tu as raison encore (trouve ton châtiment dans ces éloges de ton bon sens) : c’était ainsi que j’aurais dû t’écrire, voilà six mois. Je suis un peu effrayé, cher Jean, par la connaissance exacte que tu possède de ce qu’il faut dire, et ne pas dire.
-
Nous cherchons une maison, depuis 1 mois, presque chaque jour. Nous les avons découvert une à Châtenay (mais elle est trop chère) et une à Saulx les Chartreux, près de Palaiseau avec un tennis, un jeu de bouls, et 3 hectares de parc ; mai sil y faut tout installer.
Revenez-vous bientôt ?
Marcel
vendredi
Veux-tu me donner l’adresse de F.P Alibert ? C'est un critique italien qui me la demande.
Je relis, pour la 4ème ou 5ème fois, le Forçat et Gravitations. C'est vraiment beau. Il y a vraiment un « chant Supervielle » - Ce n’est pas une découverte, bien entendu ; je veux dire que ce chant me paraît de plus en plus durableXXIV. extrêmement poignant. Et de plus en plus net, de plus en plus purXXV. Si tu as quelques vers nouveaux de lui, ne voudrais-tu pas me les envoyer.
Je ne suis pas de ton avis au sujet des romans de Bloch, et de ce que tu appelles sa « grandeur ». Je suis frappé par sa perpétuelle indécence.
Chardonne vient au Couvent demain ; j’ai lu son livre sur épreuves. Il n’est rien de lui que je préfère à ces pages. Pourtant une bonne moitié m’en révoltent (par exemple ce qu’il dit de l’amour). Mais c’est sa figure, non point ses paroles, qui me touche.
Germaine me dit que tu as pris mon petit mot au sérieux. Tu sais bien que ce sont de petites crises qui me prennent régulièrement, - et que dès l’instant qu’il y a une querelle véritable, je ne saurais être qu’entièrement de ton côté.
Pourrais-tu me prêter, si vous les avez lus, et que vous lez avez encore : les deux Romains, le Maurois, le Mauriac et le Manfreid ? D'ailleurs rien ne tout cela n’est urgent, ni nécessaire.
- où le raisonnement de Mme Crémieux devient fort, c’est en ceci : qu’il est plus scandaleux de faire ce que l’on a dit du dernier Maurois dans la nrf., que de dire même ce que Rival eût puu dire de Mme [Commène?] - Tu ne me pousserais pas beaucoup pour me faire dire qu’il est pire de publier le roman actuel, qu’il n’eût été de publier celui de Mme C. Je dis « scandaleux », et « pire » pour la nrf.
Nous sommes descendus dans les Causses, qui sont décidément la plus belle partie de la France ; nous allons tenter d’y acheter une petite maison. Puis nous sommes allés à Arles, où nous avons vu Mme Crémieux. C'est là qu’un matin, voilà 3 ou 4 jours, j’entends un marchand de fromage, qui passait dans la rue, dire à une femme, qui, du 2ème étage, se plaignait qu’il ne se fût pas arrêté chez elle : « Il fallait le dire, modeste, Julia »
voici une note, qui m’a fait beaucoup de peine. Tu me diras peut-être que je suis vaniteux. Je le suis ; mais cela ne dure presque jamais plus de quelques heures ; aussitôt après, c’set une vie mêe la plus humble, la plus décriée, que je réclame, pourvu qu’elle soit vraie. - Si cette note me touche tant, c’est parce que je m’y sens moi-même atteint, non pas mon livre ; je suis près de la reconnaître exacte (à un détail près : la Nvlle Eurydice, qui a paru plusieurs mois après l’achèvement de mon livre), et les remarques que tu m’as faites au sujet de mon livre que j’écris à présent m’y incluent. De sentir qu’un livre, en l’écrivant, vous tient aux os, est dans vos os, puis reconnaître que ces os ne sont pas les vôtres – c’est assez atroce. - Peux-tu savoir qui a fait cette note ? Hirsch te le diras peut-être, qui ne me le dirait pas. Voilà 3 mois, dans ce même journal, sous cette même « signature », avait paru sur Antarès une note enthousiaste.
Ecolier, je me sens l’être encore en ceci : la seule pensée d’être regardé, de ne pas être compris immédiatement, de ne pas être aimé, d’être aimé pour ce que je ne suis pas, me fait trembler. Par cela seulement ; au fond, c’est la crainte, l’horreur de n’être qu’un petit tas de boue que je serai un jour.
Pardonne-moi de t’ennuyer quand tu as déjà ta part d’ennuis.
-
Je ne ferais sans doute plus de critique ; je ne veux pas faire éprouver à d’autres ce que j’éprouve. Si j’ai la faiblesse d’écrire encore des histoires, je songe à ne plus les signer (C'est ce que je voulais faire, pour plus d’une raison, pour mon livre actuel).
Nous partirons vendredi samedi matin, sans doute. Nous passerons d’abord à douze jours à Cusset, 8 rue de la Révolution.
Au revoir Jean. Je t’embrasse et j’embrasse Germaine.
Si j’avais à t’« approuver », ou à te désapprouver, 'cest à toi que je m’en ouvrirais. Quand je dis à Germaine, ou à Fernandez, que je comprends l’attitude des catholiques, qu’elle me semble la seule belle s’ils l’ont vraiment adoptées parce qu’ils sont catholiques – que l’on ne me fasse pas dire que je te désapprouve. (De même pour Mme Rivière, que je ne connais pas, mais dont toute l’attitude, si elle n’est due qu’à la foi, me semble admirable).
Où je me sépare un instant de toi, c’est devant l’offre que tu as faite à Claudel de censurer les n°s où il collaborerait.
Je tends enfin à expliquer les doutes, la gêne d’un homme gauche, mais sincère comme Petit, par l’apparence que tu offres souvent de te plaire davantage au jeu des idées, à leur lutte, qu’à ces idées-mêmes, de t’y plaire et de le ménager dans la revue, et de l’exciter.
- Mais peut-être est ce la raison d’être de la revue, qu’elle permette une opposition, qu’elle les éveille même ?
- Oui, si elle ne le fait pas (si elle ne semble pas le faire) par jeu.
Flaubert et Brunot ont raison ; mais « auraient pu » est si proche d’un subjonctif. Bien que jamais coupées est laid, je te l’accorde volontiers ; mais prends garde qu’il l’est surtout à cause du mauvais emploi de jamais.
- Mais il s’agissait de Benda, puriste, et de son bien qu’ayant, que je persiste à trouver mauvais regrettable à tous égards.
Hélas ! Nous n’avons pu avoir le Derain. Qu'il était beau ! Je ne puis me consoler. Je passe le jour à me lamenter ; la nuit, je rêve que je me rends chez l’acheteur, que je me jette à ses pieds...Peut-être faudra-t-il pour me délivrer, que je tente une étude sur Derain.
(Tout était cher à cette vente : 2 Braque, ordinaires, ont faits 15 et 25.000F. Vuillard, 50.000F, etc.). Le monde recommence à être mal fait. Je ne veux plus songer qu’à mon roman.
Quel jour pouvez-vous venir au Couvent pour la réunion ? Fernandez demande un jeudi ou un dimanche. Peut-être qu’un dimanche conviendrait à tous. Mais lequel ?
M.
Le fond était doré, mais sans éclat, cela ressemblait à certaines grandes Vierges de Cimabuë. C'était net et chaud.
Je suis assommé à la fois par Corréa et par Berthault pour faire une note sur le livre de ce dernier. Ne voudrais-tu pas la demander à quelqu’un d’autre ? A Bounoure par exemple. Et Berthault mérite certes que l’on parle de lui.
Le jeune homme dont j’ai parlé à Germaine est en Suisse. C'est un de mes anciens élèves du Montcel. Il a 20 ans, il est bachelier philo-Math ; deux ans d’études de médecine ; il parle l’anglais et l’espagnol aussi bien que le français. Il est débarrassé du service militaire. Américain du sud de naissance, mais formation toute française. C'est un des caractères les plus droits que je connaisse, ferme et sensible. Une très belle intelligence. Très fier ; très courageux... Voici sa dernière lettre.
-
Le dernier n° de la revue est très intéressant. Je me suis demandé un instant si Artaud avait vu le tableau dont il parlait (la description qu’il en donne est insensée) ; et, bien entendu, ce bégayement mélodramatique, cette ignorance, ce sous-Aragonnage me gênent, mais enfin il avait qqch. À dire, et tu as bien fait de publier cet article.
-
Amitiés à [Mariline?] et Marcel Henry ; quand viendront-ils au Couvent ? S'ils neme le faisaient dire par Germaine lundi ? Je passerai à la revue vers 6 heures – 6h 1/2/
De savoir que tu travailles bien m’encourage à travailler moi-mêmeXXVI.
J'ai relu quelques pages de Goethe (pas assez, bien entendu, pour en parler décemment). Mais si je devais en parler, j’intitulerais mon article Contre Goethe, où plutôt contre le Goethe que l’on célèbre aujourd’hui, et qui, s’il n’a pas écrit Oedipe, c’est qu’il n’avait pas le tempsXXVII.
- Moi aussi, j’ai beaucoup aimé Pan, voilà dix ans. Je viens d’en relire 100 pages (les dernières) ; j’ai vieilli.
- Je regarde parfois l’album de [Segonzac], que tu m’as donné. J'en éprouve un grand plaisir.
Ton
Marcel
Je reçois le livre d’Hellens avec une carte : absent de Paris. J'avais rencontré H. le jour même de son service de presse. - Pauvre hommeXXVIII.
Je crains que nous ne nous soyons montrés un peu froids pour le roman de Fernandez. Es-tu sûr que le roman de Bloch vaille mieuxXXIX ?
Il y a, de Lucas de Leyde, deux tableaux beaucoup plus beaux que celui du Louvres. L'un, à Florence, qui représente le Christ dans une sorte de [cuve]; entouré des instruments symboliques de la passion (je t’en montrerai une photo) ; l’autre, à Leyde, qui représente le jugement dernier. - Pourquoi diable A. appelle-t-il « primitif » cet homme du 16ème siècle, d’un art si savant ? Et où va-t-il chercher tous les personnages qu’il voit dans la toile, alors qu’il n’y en a que 3, comme dans la Bible et dans Musset : Loth et ses deux filles non mariées ? - Ce qu’il dit du théâtre grec est une belle image, mais valable pour Eschyle seul. - Je n’ai pu cesser de penser, en lisant cet article, qu’H était acteur. Mais Germaine me dit que lui même l’a pensé. Voilà qui répare.
Reçu qqs. lettres pour Antarès : mais je voudrais que tu me fasses part des critiques qu’il peut te revenirXXX.
Je te dirais difficilement combien m’a gêné l’attitude de Schlumberger et de Fernandez au sujet de cette chronique. Ce n’est point là l’attitude amicale et confiante sans laquelle je ne peux, ni ne voudrais entreprendre cette tâche.
Je dois t’avouer, aussi bien, que notre réunion m’a trouvé plus d’une fois mal à l’aise, que je me suis demandé plus d’une fois par quel hasard je me trouvais là, par quelle indulgence d’autrui, et quelle complaisance de ma part. Et, bien entendu, sur ce point, ce n’est qu’à moi seul que je m’en prends. Mais il suffit que j’éprouve ce malaise, cet étonnement, - ce remords, pour douter que je puisse, dans une chronique, répondre aux voeux de qui me les font éprouver.
J'ai reçu une belle lettre d’Urier, gauche et émouvante.
C'est vrai que son écriture ressemble à la tienne ; mais elle est encore plus belle. Antarès m’a donné quelques belles sympathies il n’est qu’un ou deux avis, que j’ai attendus vainement, celui de Thibaudet, par exemple. Th écrivit jadis quelque mots déloge sur Etienne, fit un article aimable sur l’Ordre ; je crois qu’il ne me connaît pas, qu’il hésite à me connaître ; cela m’ennuie un peu, car tu sais que je l’estime.
L'Ordre a été traduit en allemand sous le titre : Heilige Ordnüng ; j’avais pris M. Aron de vouloir bien s’informer si ce titre est un contre-sens, ou une ironie un peu lourde. C'était il y a 3 mois ; il ne m’a pas répondu. Ne voudrais-tu pas demander, par exemple à Groethuysen, ce que je dois penser de cette traduction ?
Je reçois un mot de M. Petit, qui m’appelle « chez ami » et veut me parler de la nrf.
« Si j’étais catholique, j’aurais... plus de souci d’une certaine place et (malgré le mot) d’une certaine publicité à donner à la vérité ». Comme je vois bien que tu n’es et n’as jamais été catholique (ou protestant ou...) ! Si « je » suis catholique (ou...), si je vois, si je sens Dieu, comment pourrais-je admettre de me voir contredit, moqué, c’est à dire de voir mon (Bien) ravalé au rang des idoles ; au rang des idées ! Dès que tu introduis Dieu, tout disparaît. Faire de la publicité à Dieu, peut-il rien être de plus bas ! C'est cette publicité précisément qui souille et détruira peut-être le catholicisme. « Je » ne peux pas traiter avec toi d’égal à égal. Et puisque « je » représente Dieu, tu t’inclineras ou je m’en irai ; mais je ne puis admettre ni discussion, confrontation, lutte, appel à la raison, ni même amitié.
Et ne dis pas que le Christ lui-même a demandé qu’on aille dans le siècle, et qu’on discute, et qu’on propage la parole. Le Christ a trahi, tu le sais bien. Et c’est peut-être de cette trahison que l’église mourra. Le monde n’avait certes pas besoin que Dieu se fît homme. Et Dieu ! …
Je voudrais savoir en quoi la conception du monde de Claudel te semble plus vraie que celle de Gide.
Ton
M.
L'exposition [Friesz] se terminait aujourd’hui. - Chez l’autre [Bernheim?] (au coin de l’av. Matignon), il y avait un admirable Derain (Une femme nue dans une bibliothèque). Je crains qu’elle n’y soit plus ; j’y passerai mercredi prochain, et si elle y est, je te demanderai d’aller la voir.
- Que penses-tu de Souverbie ? (J'ai failli acheter une petite toile de lui, et puis cela m’a semblé trop facilement joli).
- Vraiment, votreUtrillo est joli, et fin, et frais ; c’est un plaisir pour moi que de savoir que tu le verras. Quant au Fautrier, c’est exactement celui que je ne connaissais pas, mais que je percevais derrière tes paroles et surtout derrière l’opinion de Malraux que tu me rapportais.
- Oursin m’a mordu au pied ; j’avais déjà pris mon fusil pour le tuer , quand Henri m’a arrêté en me disant que « c’était la race »
Je vais me remettre au travail. J'avais lu, il y a quelques jours, une insulte assez grossière à mon égard, qui m’avait un peu découragé.
Je me dis parfois que si je me jugeais clairement, ou si je me voyais comme les autres me voient, je ne pourrais plus vivre. Et que si je jugeais nettement mes livres, je n’oserais plus écrire.
Souvent je m’étonne de l’indulgence que deux ou trois personnes me montrent, ou m’ont montrée (toi peut-être avant les autres), et je leur en veux, comme de m’avoir trompé, ou d’avoir joué de moi. Je me dis pourtant qu’une chose en moi mérite ou méritait de l’indulgence de ces personnes, c’est l’amitié que j’ai pour elles, ou que j’ai eue – par amitié, je n’entends ici que l’affection, (encore qu’une affection qui se risque si peu...)
à toi
Marcel
As-tu retenu le beau mot de Wurmser (courrier de la solitude) : « Le grand secret c’est qu’il n’y a aps de grandes personnes. »?
*
J'ai relu Pan. Il y a beaucoup de choses, et de personnes, que tu aimes, comme on aime le général Dourakine, ou le poirier bossu 'd’un jardin d’enfance – Je ne m’en plais pas. Peut-être que je t’ai rappelé le mot de Wurmser pour bien me convaincre que toi non plus tu n’es pas une grande personne.
Relu Jouhandeau qui est beau [1er feuillet, en haut]
je pense bien à toi, encore que je t’écrive peu ; et à ton travail, encore que je ne t’en aie plus parlé. Repose-toi bien à Port-Cros (cela veut dire, bien entendu : travaille bien). On m’a dit que tu allais à peu près bien à présent. J'en suis content, car voilà 3 semaines, tu m’as paru très souffrant.
Je voudrais que tu répondes nettement à ceci : lorsque tu as lu Antarès, et lorsque tu l’as relu, et anjourd’hui encore, quand il t’arrive d’y penser, l’as-tu rapproché, le rapproches-tu du Grand Meaulnes ?
Mais je demande plus encore. Tu sais qu’il n’est, je crois, aucune phrase d’Antarès qui ne soit « vécue ». Oublie-le ; fais-toi lecteur ordinaire, ou critique du Petit Parisien, et dis-moi si tu songes à Fournier et pourquoi.
Peut-être ne te poserais-je pas ces questions si je ne me rappelais que voilà une dizaine d’années, Larbaud, qui parlait de mon premier livre, Terre Et., dans la nrf (à une époque où j’ignorais tout de Fournier – sinon son nom) écrivait à peu près : « Voici la reprise d’un chant qui s’était tu avec Alain Fournier. »).
*
Je ne peux « répondre » à la lettre que tu m’as écrite. Je ne l’ai pas tout à fait comprise. C'est à ton livre que je dois répondre, non à deux idées que tu en extrais, et qui me déroutent, soit qu’elles apparaissent ainsi arbitraires, sans terreau, fleurs de vase, soit au contraire que l’idée ne me fût pas même venue de les contester (peut-être même de les exprimer)
*
Non, je te le jure, le Soutine (qui est signé Soutin) est beau, très beau, beau comme un homme, beau comme un cerveau (un cerveau de peintre).
*
Un monsieur m’a dit l’autre jour, en me demandant l’adresse d’un restaurant, que de tous mes livres, qui d’ailleurs ne valaient rien, on pouvait tirer 4 pages, que l’on prendrait pour du Dickens. Ris ; je ris aussi – tu sens bien que je n’ai pas ri.
je te remercie de tes remarques ; elles me semblent toutes justes. Je passerai à la revue lundi : j’espère que les épreuves d’Antarès seront arrivées, et que je pourrai les corriger aussitôt.
J'ai recueilli un hérisson, qui est mort, et une chouette, plus exactement une chenêche, qui me donne de grandes joies. T'ai-je dit que nous avions un dindon ? Il ressemble à Vitrac.
Je voudrais que tu me dises quels sont les meilleurs phonographes, et, à peu près, quels sont leurs prix ; on veut nous en offrir un, et l’on nous demande de choisir. Les phonos électriques ne sont-ils pas les meilleurs?
Je travaille assez. J'aurais beaucoup à te dire sur ce travail. Il me semble que je n’ai rien fait de « plus près de moi ». Il me semble aussi parfois que cela n’intéressera personne.
Toi, que penses-tu de [Maservel?] ?
As-tu reçu, et ne voudrais-tu pas me prêter le Cahier de Moura et Louvet ?
J'ai lu, - relu – Giono. Te rappelles-tu Numa Rumestan, le tambourinaire : « ça m’est venu en écoutant çanter le rossigno.ou.. » Tout cela est faux, et niais, - abominable.
Mauvais Jouhandeau dans le n° de décembre. Je pose une pierre noire (une toute petite pierre).
Les notes sur Gide, de Mme Saint Clair ? J'aime presque mieux Mme Pozzi (Karine). Elle loue chez Gide ce qui périra le premier. Et en quels termes ? Mme de Rambouillet en eût été jalouse.
Et que penses-tu de [Mondzain?], toi ? Et pourquoi cette note qui ne veut rien dire, et qui eût été si bien à sa place dans Europe ?
- Il n’est pas d’homme, si médiocre qu’il soit, qui ne puisse, avec quelque patience, faire un sonnet, un quatrain, un [mot illisible] un peu piquants. La N.R.F. en regorge.
Nous avons acheté un Soutine, le plus joli à mon sens : la nature morte verte ; il ne s’est vendu que 1400F (les autres Soutine entre 4 et 6000F ; celui-là, le plus Soutine, a effrayé) Et, bien entendu, c’est plus que je ne pensais et pouvais mettre ; mais nous n’irons pas en vacances à Pâques. Nous en sommes, jusqu’à présent, tout heureux.
Le Paon de Chagall s’est vendu 2600F ; les autres Chagall environ 1800. C'est une dégringolade. Il y avait un beau Juan Gris, qui ne s’est vendu que 1820F. Les Masques d’Ensor : 7500F ; les Dufy entre 1000 et 5000. Les 3 Derain 8000 et 4000. Fautrier (ce n’est pas fameux, quoiqu’en dise Germaine et cela ne ressemble pas à Georg. Quoiqu’en dise Jean) 1000F. Gromaire 30000. Laprade 6800. Matisse 9700. Picasso 1500. Rouault 3 et 2000 (moins beaux que je ne pensais). Utrillo 12 300. Vlaminck 2000.
J'aurais voulu pouvoir acheter le Chagall, le Gris, et un petit Vlaminck noir.
Ta lettre de Port-Cros n’est peut-être pas très juste. Il semble que je t’aie déçu en n’engageant pas avec toi une discussion sur les Fleurs de T., et que tu l’attribues non peut-être à de l’indifférence, mais à un refus de faire l’effort nécessaire. - Comment veux-tu qu’un travail auquel tu consacres le meilleur de ta pensée puisse ne pas m’intéresser ? Mais ce n’est pas seulement à cause de toi qu’il m’intéresse. Et si je me suis abstenu d’une discussion, c’est précisément que la question me semblait trop importante pour qu’il fût décent que j’y prisse parti, après une heure ou une journée seule de réflexions. Je ne suis pas sûr de Mais ne va pas croire que je ne sente pas la portée, la richesse de tes nouvelles propositions. J'ai toujours pensé que tu allais, dans les F.d.T. , par des chemins nouveaux ; mais j’ai parfois douté que tu atteignisses enfin à un nouveau domaine. Je suis convaincu à présent que ce domaine, tu l’as découvert. Je le pressens. Je le vois déjà dans tes lettes ; mais montre-nous le chemin.
*
Tu me parles aussi de la Nrf, et je suis bien loin d’approuver tes paroles. « Un bloc fermé » à l’intérieur d’une revue aussi capricieuse, aussi diverse, de tendances aussi incertaines et parfois contradictoires, comment peux-tu l’imaginer ? - Et ceci : « Nous attendons de la nrf beaucoup plus que nous sommes prêts à lui donner ». Tu sais bien que ceux qui attendent et obtiennent qqch. De la nrf sont ceux qui ont assez de prudence pour n’en pas faire partie (Ne fronce pas les sourcils, je parle sans mauvaise humeur, au contraire).
« Je dis que la coutume, assez souvent trop forte,
Fait dire improprement que l’on ferme la porte.
L'usage tous les jours autorise les mots,
Dont on se sert pourtant assez mal à propos.
Pour avoir moins de froid à la fin de décembre,
On va pousser sa porte, et l’on ferme sa chambre.
(St Evremond ; les Académiciens (c’est Gombauld qui parle)
Je travaille assez ; mais je suis assez découragé. Il me semble que c’est un échec d’autant plus grand pour moi que j’ai cru mettre là ce que j’avais de meilleur. Je te montrerai cela dans quelques mois (trois mois sans doute, si je ne suis pas malade), à moins que je n’ose le montrer.
Ne néglige pas l’idée que tu avais eue un jour de consacrer une partie d’un n° de la revue à des manuscrits refusés. Cela peut être très intéressant.
Je te donnerai donc – à moins que tu n’aies changé d’avis – Rendez-vous pour la nrf. Peut-être te donnerai-je aussi (ou en remplacement) le dernier récit : mort d’un vieillard ; il me gênerait, je ne sais trop pourquoi, de le voir publié ailleurs.
Voici ma chronique : je l’ai recopiée à la hâte ; mais je la corrigerai sur les épreuves, si tu veux bien me les faire envoyer à Cusset. - Et il faut encore que je t’ennuie ; à propos de la Réponse du Seigneur, je cite – je veux citer – un long extrait. Mais c’est Marceline qui a mon livre ; veux-tu bien copier toi-même cette citation et l’adjoindre à mon texte (en indiquant le caractère d’imprimerie). Il s’agit du conte de l’enfant qui ne songe qu’à la figure de la montagne et devient lui-même cette figure. C'est vers le milieu du livre. C'est long (1 pages ½) et je suis extrêmement ennuyé de te donner cette peine. Mais je crois que ce conte plaira aux lecteurs.
*
Mme Béraud est dans le même état, parfois presque sans conscience, parfois tout à fait vive. - Une terrible chaleur (tu sais que le sol de Vichy dégage de l’acide carbonique).
*
J'ai reçu ce matin la petite lettre que tu m’avais envoyée avant ton départ. Cette histoire de Légion d’honneur est plus amusante que je ne croyais d’abord. - Quel plaisir, quelle joie de te sentir si dévoué (ce n’est pas le mot) – quel que soit l’occasion du dévouement -, de sentir que je compte pour toi (ce n’est pas le mot) comme toi pour moi.
Tu pourras, jusqu’à la fin de mes jours, me taquiner avec Chateaubriand. En vérité je n’ai fait ma note sur lui qu’à cause d’un apologue qui n’était pas de lui.
*
On recarrosse la Ballot. Je ne serai plus à tenir.
*
Le chat Citron, depuis mon retour, est pris d’une véritable passion; Il ne me quitte pas. Il ne mange pas, mais s’assied sur la table en face de moi, pour me regarder manger. La nuit, passant par le toit, il s’introduit dans ma chambre ; il sait que c’est défendu, attendu jusqu’à 1 heure ou 2 heures du matin, - et ses précautions pour que je ne l’entende pas sauter dans la chambre, pour que je ne le sente pas s’asseoir au pied du lit !
J'ai reçu de Colette une lettre un peu piquée, gentille pourtant, et pleine d’esprit.
-
J'ai commencé ma chronique sur Jouhandeau. - As-tu lu la Grange aux trois Belles, de Robert Francis ?
Non, ce que Saurat dit de moi ne me semble pas faux (toutes réserves faites sur l’intelligence : c’est un compliment qui, s’il arrive qu’on me l’adresse, me fait tomber des nues ; je le dis assez naïvement, mais sans modestie). Soit par « sensibilité », soir par curiosité, soit par faiblesse, soit encore, en ce qui concerne cette chronique, par désir de n’être pas injuste, de comprendre, et d’aller à l’essentiel et de ne pas juger une oeuvre d’après mon propre idéal – je me sens touché par l’homme derrière le livre, guetté, requis, séduit par lui.
Cela veut dire sans doute que je ne suis pas un véritable critique. Mais je n’ai jamais cru, jamais désiré l’être. Et je vois bien ce que le lecteur et la revue y perdent. Mais je ne crois pas qu’ils perdront ne fassent que perdre.
Fais-moi part, je te prie, des critiques que l’on t’adresse à mon endroit. Cela m’est très utile. Surtout, de temps à autre, dis-moi ce que tu en penses toi-même, ce que tu regrettes. Tu sais qu’aucune critique de toi ne peut me blesser.
Je ne pense pas d’ailleurs continuer longtemps encore cette chronique. Et si tu trouvais quelqu’un qui s’en chargeât je la laisserais sans hésiter. N'hésite pas toi-même.
Je préférerais
Je me sentirais plus à l’aise, à ne parler, à mon gré, que ce que j’aime ou qui me blesse vraiment, d’un homme, d’un paysage, d’un fait, rarement d’un livre.
*
Ce que Saurat dit de Thibaudet me semble moins bon. Le Thibaudet qui parcourt toute la littérature avec des bottes de sept lieues est plaisant, vivant.
« L'académisme » de la N.R.F.... Oui, peut-être ; c’est peut-être un des deux grands dangers qu’elle encourt, l’autre étant l’inconsistance et la tendance à être à la remorque des petites revues.
Guéris-toi vite.
Tout affectueusement
Marcel
Je ne veux pas dire que Saurat soit extrêmement perspicace (encore qu’il le soit souvent) ; il ne parle guère de moi que par ce que j’en ai dit moi-même. [première page, marge supérieure, à l’envers]
Et vers la fin du mois, je te lirai les 4 récits que j’ai écrits (l’un d’eux d’une cinquantaine de pages, les autres de dix). Ce sont ceux-ci que je corrigerai d’abord. Si tu en veux un pour la revue, il faudra que tu me dises (à peu près) pour quel numéro.
Le mois prochain, je ne ferai pas de chroniques ; simplement des notules.
*
Oui, ce n’est pas une critique de critique, que je fais ; plutôt, sans doute, une critique de romancier ; plutôt, j’espère, une critique d’homme (et d’homme faible, je le veux bien).
N'est pas un homme juste celui qui s’efforce de l’être. Au reste c’est pour la revue que je m’efforce, et sans doute aussi pour certaine tranquillité d’âme.
Comment puis-je être injuste envers M. ? Je ne dis pas qu’il soit sot, ni proprement criminel ; mais qu’il me blesse, et, malgré moi, me répugne.
Tu es né naturaliste, et peut-être collectionneur ; tu te défends mal d’un intérêt pervers pour les chenilles, les limaces et les bousiers, tous animaux créés par le Diable, sois-en sûr, et qui ne sont que la caricature des bêtes de Dieu.
À toi
M
J'ai écrit à Sch. et à Cr. pour leur demander si le dimanche 21 leur convient.
Oui, j’ai lu avec attention le tableau de la Poésie, et t’en parlerai. - Très bon article de Thibaudet.
Nous avons passé une semaine assez vilaine. Dominique s’est fait mordre par le chien, à la joue, très fortement. Il a fallu poser des agrafes etc. La nuit suivante, fièvre très violente ; nous croyions à une infection ; aucun des médecins de Châtenay, de Sceaux et de Fontenay ne répondait au téléphone. Je vais à la maison de Santé du dr Le Savoureux ; on me dit qu’il revient le lendemain – Il n’a donc pas de remplaçant ? - Oui, mais on ne sait pas où il habite. - Etc. Enfin vers deux heures du matin, j’ai trouvé, non loin de notre maison d’ailleurs, un brave homme (docteur Hay) qui vient et reconnut une angine. - Le lendemain on a transporté l’enfant à une clinique, où l’un de nos amis, le chirurgien Desplat, l’a fort bien soignée. Elle est revenue hier. La cicatrice est en bonne voie, et je pense pourra disparaît.
Je travaille un peu avec beaucoup de plaisir.
Nous allons cette fois nous débarrasser du chien (je ne prononce plus son nom). On nous offre un énorme dogue danois, dont la particularité est de manger les autres chiens, mais qui tremble devant les enfants.
Les chats, très dignes dans cet événement, très fraternels aussi, très alliés.
Nous vous embrassons
Marcel
Je suis allé au Louvre, l’autre jour. Il n’y a presque plus d’étrangers, et pas encore de Parisiens. J'y allais pour Poussin, qui m’émeut à chaque fois davantage.
Nous sommes à Port-Cros depuis vendredi. Nous habitons au Barrage, allons chaque matin à la plge du sud, voyons beaucoup de monde. Il fait très, très chaud au Barrage ; nous regrettons un peu la Suisse, cela va sans dire. - La descente de Genève sur Aix était belle ; entre 7 et 8 heures du soir, la campagne du nord d’Aix était une des deux ou trois choses parfaites que nous eussions vues. La voiture est restée aux Salins, chez Bertho ; ne voudriez-vous pas y prendre deux cannes que nous y avons laissées (dans la voiture), si vous le pouvez, si vous y songez ; - ce serait utile pour la Vigie.
Tout le monde vous attend, bien entendu. Nous vous embrassons.
M.
J'ai appris, très indirectement, le dénouement de votre procès. Je ne vous en dirai rien, puisque vous ne m’en avez rien dit.
Je veux t’écrire depuis quelques jours. Mais ma chronique... (- tu l’auras samedi).
J'ai jugé comme tu le fais le manuscrit de Rabourdin. Je lui ai dit, voilà 4 ou 5 mois, qu’il fallait transformer la fin.
Tout ce que tu m’as dit de mon livre m’a été très utile. Oui, je supprimerai Urfé (et du coup, changerai le titre.) Je commencerai par Rendez-Vous. As-tu quelque opinion sur l’ordre que je dois suivre ensuite ? - Il est probable que j’écrirai encore un court récit qui complète ceux-là.
J'aurais aussi besoin de savoir si je dois réserver qqch. de ce livre à la revue, et quoi. Que la reuve en publie ou non, cela n’a (en cette occasion) pas d’importance ; mais comme j’ai fait quelques promesses à la Revue de Paris, à la Revue Universelle, et je crois, à Esprit, et un peu, il me semble, à Europe, je voudrais être à peu près fixé.
À toi
M
Titre. J'ai pensé à celui-ci :
Plaisir des hommes
ou
Plaisir d’un homme
Dans le dernier récit, le « narrateur » accompagne son grand’père jusqu’à une sorte de lande... Cette lande, en réalité, porte un nom assez banal. Mais j’ai songé à lui donner le nom d’un endroit près duquel elle se trouve, et que l’on appelait dans son enfance, : « Le plaisir » (je ne sais ce que l’on voulait dire si c’'était une déformation?). Ce titre est à peu près l’équivalent d’Urfé. Mais ne paraîtrait-il pas trop « cherché » ?
J'ai aussi songé à celui-ci, sans nulle intention symbolique :
Je n’espère plus guère que Jouhandeau puisse aller au Montcel cette année ; tu sais combien cela m’ennuie. Il ne restait guère qu’une possibilité : quelques jours avant les vacances, le directeur du Montcel m’avait dit qu’il serait peut-être obligé de se séparer de Fernandez. Les parents des élèves se plaignaient que F. partît laissât trop souvent ses cours aux soins d’un remplaçant, pour aller faire des conférences. Deux ou trois autres incidents, assez sots, provoqués par les élèves. - Mais une lettre du Montcel m’apprend que les professeurs seront les mêmes que l’an dernier.
-
Faut-il faire une chronique pour ce n° de la nrf ? Je pensais parler de Jouhandeau, et d’au moins 2 livres nouveaux. Peut-être aussi ferai-je des notules. - Si je dois faire cette chronique, ne vaut-il pas mieux que je l’envoie directement à l’imprimerie ?
Je viens de recevoir le dernier n°, qui me semble très intéressant.
-
Tu as raison, pour Chateaubriand et ma note. J'en aurais sans doute changé la conclusion, sur épreuves.
Nous parlions un jour des écrivains connus ou célèbres, qui peuvent attirer des lecteurs à la revue. Il me semble que Lacretelle, Larbaud, Bernanos sont très indiqués. Et peut-être que Montherlant, si tu insistaits... Et Duhamel, et de nouveau Giraudoux. Et pourquoi pas des gens qui ne sont pas du tout nrf. : Maurras par exemple (un voyage, ou une étude sur un écrivain, une province), Maritain même, quoiqu’en dise Crémieux (un article de critiques). J'y songe : si tu demandais un procès à Salman ? Et si je demandais à Rouault une étude sur Manet, Degas, ou tel autre maître ? Ne délaissons nous pas un peu trop Mac-Orlan ? Un bon Bloch ne serait pas négligeable, un bon Hamp non plus. Et si tu demandais à un homme comme Mazon s’il n’a pas en train quelque belle traduction ? N'y aurait-il pas moyen de publier qqch. de la correspondance de Vauvenargues, qui est à Aix, je crois ? Et Suarès ? - Cela s’ajouterait heureusement aux Gide, Valéry, Benda, Supervielle, Green, Mauriac, Drieu, Jouhandeau, Malraux, Prévost, Arland... habituels (excellente habitude d’ailleurs).
- Tu ne me parles plus des Fleurs de Tarbes
J'envoie ce soir à Paillart mes épreuves corrigées très clairement. Je t’en envoie un autre jeu, afin que tu puisses te rendre compte de mes corrections. - Tu m’écris de B. : « Ce gros garçon rusé ». Je notais moi-même, il y a 2 ou 3 jours : « Ce gros matou sentimental » (associant, malgré l’étymologie, matou à matois : remarque aussi que les concierges appellent matous leurs chats coupés. - Autre exemple de contamination, involontaire celui-ci : j’avais écrit « un rythme trop plein de componction », songeant non à poindre, mais à onction, et enchanté de la solennité du cum devant cette onction.) - Mais tu es injuste pour lui ; ta lettre indignée à propos d’un mot qu’il n’a pas écrit m’a bien fait rire. - Ne crois-tu pas que certaines choses, qu’il est bon que l’on dise, ne peuvent être dites sans vulgarité ? Je ne tiens pas la vulgarité pour une vertu en soi, mais... (Balzac, Céline, et même Stendhal).
Le n° en préparation est excellent. Ce ne sont pas les meilleures pages de Supervielle, ,ni de Gide (nous parlions de vulgarité...), ni de Suarès ; mais ce sont des pages intéressantes et la composition du n° me plait fort. - La partie critique est moins bonne (je n’ai lu ni Fernadez, ni Thibaudet, ni Lanoë) ; Crémieux est attristant ; le reste, insuffisant.
Nous parlions de vulgarité, et j’en parlais presque avec respect, - songeant par exemple à la délicatesse, au raffinement, aux grâce et même à la grâce de Larbaud.
-
Nous vous embrassons; Quel jour revenez-vous ?
Marcel
-
C'est vraiment un excellent n°, je veux dire surtout qu’aucune autre revue n’aurait pu le donner.
Je n’aime pas la Suisse, c’est dit. Ces sommités (c’est le mort des prospectus) ne me touchent pas, m’ennuient ; il n’est pas question d’écrasement, mais de l’énervement que donne un perpétuel bavard. On passe le jour à « contempler » toutes les Alpes se sont donné rendez-vous devant l’hôtel). - Pourtant hier, comme nous étions en route pour une promenade d’une heure, nous nous sommes perdus ; nous avons longtemps grimpé et, vers 2000 m d’alt. (notre hôtel est à 1330), rencontré un alpage désert, large, très joli : puis, grimpant encore, nous sommes arrivés, vers 2500m, (non, ce n’est pas une histoire marseillaise) au dessus d’un mont, creusé en amphithéâtre, sauvage, de couleurs rares, de lignes très pures, beau. - Mais Je. Ne pourrait faire souvent de telles promenades ; nous quitterons lundi les Mayeurs, irons du côté de Montana (c’est un plateau), et, si nous ne trouvons rien qui nous plaise vraiment, nous descendrons à Port-Cros.
La jument verte m’a beaucoup amusé : je ne crois pas avoir été trop indulgent. C'est de beaucoup le livre le plus drôle que j’aie lu depuis quelques années.
- « Serais-tu vaniteux ? » Deux ou trois souvenirs entre autres me reviennent, où j’ai nettement fait preuve de vanité, et de la plus risible. - Mais je ne crois pas en avoir montré quand il s’agissait de choses qui me tenaient au coeur. -
Un jour, un homme à qui je parlais, - à qui je voulais bien parler (je ne l’estimais pas) - , m’interrompit pour aller parler à un nouvel arrivant ; je ne le lui ai pas pardonné ; et d’ailleurs il est mort.
De même, quand 4 ou 5 hommes que j’estime me donnent la Légion d’honneur, je supporte mal que quelqu’un, - ou qu’un mécanisme – s’y oppose.
J'avoue que je ne le supporte mal que pendant vingt-quatre heures, et qu’aujourd’hui tout cela, et d’abord moi-même, me fait rire.
- Si j’ai parlé de Chamson (à qui j’ai peu l’habitude de penser), c’est que Chardonne, dans l’entretien que je t’ai rapporté, m’avait dit : « [Monzie ?] a déjà eu du mal à le faire décorer ». C'est d’après [Monzie?] lui-même qu’il le disait. Mais as-tu pu penser que je pouvais envie Chamson ?
Au reste, quand tu me dis : « Pourquoi songer à Ch. plutôt qu’à S. ou à mon père ? », je te répondrais volontiers, si tout cela valait la peine que toi et moi en parlions davantage, qu’à la place de S. ou à celle de ton père, je n’aurais pas eu la modestie d’entrer dans le jeu. (Et, bien entendu, je ne me trompe pas sur le sourire de ton père quand il accueillit sa décoration).
Au revoir. J'ai beaucoup de plaisir à penser à toi. Nous vous embrassons.
Marcel
Cette lettre est pleine de je, et de quels je ! Grande envie de plonger dans un lac, pour en sortir autre. Mais, c’est froid, c’est dangereux, et je n’en ai jamais sous la main. - Je ne désespère pourtant pas d’en trouver enfin un.
Si, depuis 1 mois, tu as reçu un livre roman qui te paraisse intéressant, et dont je puisse parler, veux-tu bien me l’apporter ? On ne m’a pas fait suivre les livres nouveaux. - Je pense, si cela te convient, te donner une petite chronique pour le prochain n°.
Il fait très beau. Nous jouons au tennis. Je fais l’admiration de la plage par ma science (Janine dit : ma persistance) à nager (J. dit : à vouloir nager).
Nous irons demain, avec Marceline, à Aubagne, chercher des assiettes.
Port-Cros est plein de pieuvres, de guêpes et de moustiques. Mais enfin c’est parfait.
L'état de Mme Béraud est toujours très grave, et sans doute de plus en plus grave avec le temps. Nous craignons beaucoup d’être appelés à Cusset.
Je suis très ennuyé : pour la première fois depuis 10 ans, aucun professeur n’a quitté le Montcel. Il n’y a qu’une seule possibilité, mais telle que je ne puis rien faire en ce moment du moins (je veux dire : tant qu’il ne s’agit que d’une éventualité) pour en faire profiter Marcel Jouhandeau. Il s’agit de Fernandez. Je te raconterai. En tout cas, je me tiens en contact avec le Montcel.
Je ne t’ai pas parlé de cette histoire de légion d’honneur. Peut-être as-tu été étonné que j’aie accepté cette décoration qu’elle fût demandée pour moi; C'est que d’abord je n’ai pas plus e mépris pour elle que, par exemple, pour le certificat de bonne conduite qui me permit, au régiment, de ne pas faire en rabiot le mois de consigne que j’avais obtenu. Mais surtout, l’hiver dernier, Chardonne, déjeunant chez moi, me conta soudain qu’il avait vu M. de Manzie je ne sais plus à propos de qui, qu’il lui avait dit accidentellement : - « Quelqu’un que vous devriez bien décorer, c’est A. » que de Manzie avait répondu : « Certes. Mais il est bien jeune. » J'ai rarement autant été blessé que par cette histoire. Et quand tu m’envoyas le papier du ministère, c’est à titre de séparation que je le reçus. - Que M. de Manzie estime que, d’un an plus âgé que Chamson, et un an après lui, je ne veux pas qu’il fasse pour moi ce qu’il a fait pour lui, je trouve cette plaisanterie assez cynique.
- Nous partirons sans doute aujourd’hui pour Varennes.
- Je n’ai même pas eu le temps de relire ma chronique. Veux-tu, s’il te plaît, la bien regarder ? Excuse-moi. Affectueusement
M.
Veux-tu me donner l’adresse de J. Erèbe ? Je l’ai perdue.
Comment peux-tu avoir la pensée que je pourrais rire, même amicalement, les Fleurs de Tarbes ? Si je ne t’en parle pas, c’est afin que tu ne te sentes pas obligé de me dire : « Mais oui, cela va bien. Dans un ou deux mois... » - J'ai pensé, dès le premier jour où j’ai aperçu un peu ton travail, qu’il ne pouvait être honnêtement fait ni en 2 ans ni en 3. Que tu ratures, recommences, modifies, je suis sûr que tu acquiers quelque chose chaque jour, et que c’est nécessaire non seulement à ton oeuvre, mais à toi.
Ce que je regrettes seulement parfois, c’est que tu ne te délasses pas un peu en écrivant, de temps en temps, un très court récit, par exemple, ou quelques remarques sans rapports avec les Fleurs. Mais tu me diras peut-être que les Fleurs t’occupent trop pour te permettre un ouvrage secondaire.
Voici ma note sur Jaloux. Il est certain qu’elle est trop élogieuse (c’est que je n’aime pas Jaloux, et que j’ai souvent eu à me plaindre de lui). Elle est trop élogieuse, non que les réserves n’y soient indiquées, mais parce qu’elle ne dit pas que certains défauts rendent une oeuvre irrémédiablement médiocre et même basse.
Ce qu’il faudrait que tu me dises, le plus nettement possible, c’est si je ne ferais pas mieux de laisser ce livre, et d’en écrire un autre. - S'il ne doit donner qu’une oeuvre honorable, non une oeuvre belle, je ne veux pas m’y remettre.
Tu sais qu’il n’y a que toi qui puisses me dire cela, et que tu dois être aussi sévère envers moi que tu le serais pour toi.
- Quand j’ai pensé à ce livre pour la première fois, j’en plaçais l’histoire en dehors du « cadre » du mariage. Ce qui m’a fait changer d’avis, c’est la méfiance d’un certain des éléments romanesques, et le désir de placer l’histoire dans les conditions les plus pures, les plus rudes. - Je me demande à présent si j’ai bien fait (à cause de l’apparence Chardonnienne).
Je recopie Elise. Mais « Elise ».. d’abord c’est un nom qui appartient à Jouhandeau. Verrais-tu mieux : Laurence, ou Lucile, ou Lucienne ?
Pardonne-moi de t’ennuyer pour si peu. Après tout, cela t’amuserai peut-être;
Marcel
N'oublie pas que l’homme s’appelle : Alexandre, et que beaucoup de phrases sont construites d’après la sonorité d’Elise.
Je crois que le secrétaire du commissariat était très troublé par vous : il m’a attribué comme taille 1m78, ce qui, malgré la meilleure volonté du monde, me laisse un peu incrédule. Mais tu vois comme vous m’avez été utile.
- Je soupire d’aise, à la pensée que tu ne seras plus ennuyé pour toutes ces choses pour lesquelles Marcel Henry s’est employé.
Mon cher Jean, veux-tu bien me téléphoner demain soir vers le dîner ou ce demain matin vers 9 heures pour me dire si tu as vu Gaston Gallimard au sujet de Marianne ? Si tu ne l’as pas vu (et, à vrai dire, je crains de te voir mêlé à une histoire où je suis personnellement visé), j’irai, samedi matin, lui demander quelques éclaircissements. Je le ferai d’ailleurs en toute aménité, et, comment dire, par acquit de conscience. Mais je pars dans 10 jours et ne veux pas laisser traîner cette niaiserie. Si j’ai un entretien avec Renneville [Reneville?], je trouverais stupide qu’il tardât : au moins me servirait-il à proposer, moi aussi, une interprétation des Vivants.
[Carte postale : Eglisse de BESSE – Pilastre à droite du Choeur
Saint-André sur une Croix latine
C'est à partir du XIIIe siècle qu’on le plaça sur la Croix grecque]
[1935]
M et Madame Jean Paulhan
Central hôtel
Poste restante
Vittel
Vosges
Vraiment, vous êtes bien oublieux. Que faites-vous ? Comment allez-vous ? Nous attendions chaque jour un mot. - Nous resterons ici pendant encore une semaine. Janine se repose bien. Moi, je marche du matin au sois; Nous vus embrassons.
Nous sommes allés à Pise, à Florence, à Sienne, à San Gimigano, à Pérouse, et à Assise. Nous partons pour Ravenne et Venise. Marceline rêve de recommencer sa vie près du tombeau de St François. Marcel a découvert une nouvelle variété de moustiques; Janine et moi (qui sommes des esprits forts) découvrons Giotto.
Nous sommes, pour une huitaine, à Vollore-Montague (Puy de Dôme – hôtel des Touristes). C'est un pays très simple, très sain. Janine se repose ; je fais de longues courses en montagne; Et puis nous pêcherons, et nous lirons Balzac.
J'aurais voulu reprendre attentivement ma chronique. Mais sans doute ne pourras-tu me l’envoyer à temps. Veux-tu bien la corriger sévèrement, et supprimer en particulier ce qui te déplaît.
J'ai quitté Vollore-Montagu pour aller à peu près au hasard, à pied, seul. Le 1er jour, j’ai fait 30 km, le 2ème, 45, le 3ème 20 ; le 4ème j’ai dû garder le lit, les jambes coupées. Mais je suis reparti le 5ème et me voici au Puy, où Janine vient de me rejoindre en voiture. Non, rien ne vaut la marche. J'emportais dans mes 8 poches tous mes biens, dont un nécessaire contre vipère et un coutelas contre vaches et oies, très nombreuses dans ce pays. J'ai franchi les monts de Forez et, le soir, à l’auberge, o ne voulait pas me croire, j’ai dîné avec des voyageurs de commerce ; l’un d’eux a pleuré entre mes bras, à cause des décrets-lois et de son enfance (il est marié, ne peut avoir d’enfants ; mais possède une T.S.F;) enfant, il a lu Ivan Ivanovitch, un livre comme on n’en fait plus, et qui, d’ailleurs, se passe en Russie. Je suis vêtu notamment d’une blouse de soie imperméable kaki, qui me fait prendre tantôt pour un espion, tantôt pour un officier sud-américain.
- Connais- tu le Puy ? Il y a six pitons volcaniques : au sommet du plus haut est dressée une statue de la Vierge ; je suis monté dans la Vierge et sorti par sa tête. J'ai découvert aussi (après Mérimée ) un ai du dernier empereur, m’a dit le Sacristain) une belle, très belle fresque du Xveme, la plus belle que je connaisse en France après celle de la garde-robe du château d’Avignon.
Nous revenons ce soir à Cusset, en auto. Nous serons à Châtenay le 10.
Je ne crois pas que votre article soit une chose très belle. Je vous plains assez profondément de vous y être livré. Est-il besoin d’ajouter qu’il me serait désormais pénible de recevoir de vous quelque formule de sympathie.
M. Arland
Je te remercie de m’avoir fait renoncer à une lettre plus vive.
*
Je ne crois pas me tromper en te disant que je suis content que le prix du roman soit allé à Alfred Touchard. - Mais je crains un peu que G. Gallimard, Chardonne et peut-être toi ne m’en vouliez un peu. Non, pas toi, cette pensée est ridicule. Chardonne m’avait dit voilà 15 jours : « Vous pouvez avoir ce prix si vous voulez ; mais il y a un minimum à faire ». Je crains que G. et lui ne soient pas contents que je n’aie pas fait ce minimum. Mais je n’en ai pas eu le courage, pas même le courage d’y penser.
2° : J'avais, en lisant la note de Jouhadneau, le même malaise que devant un spectacle de qualité assez pénible. Laisse-moi grossir mon impression : celle d’une histoire de coucherie (entre hommes).
3° : La nrf était ici à la remorque de toutes les feuilles communistes ; avec, en plus, ce ton : papotage de famille, gloussements, mines éplorées, soupirs, etc., qu’elle ne rate pas une fois dans de pareilles circonstances.
Que dire encore ? Que cette eau bénite est de qualité aussi douteuse que cette mort.
M.
J'écris à la hâte et sacrifie toutes nuances ; mais je ne me trompe pas essentiellement.
Si le mot ami n’a pas de sens, ou un sens si lâche, pourquoi t’en sers-tu comme d’un argument ? (Et puis je ne suis pas du tout sûr de l’avoir, même en ce sens, employé à l’égard de Crevel)
je n’ai pas voulu dire qu’entre G. et J. il y ait jamais eu de rapports sexuels (je n’en sais rien ; cela ne me regarde pas) ; mais que l’on ne pouvait lire (et pas moi seulement) cet article sans songer à je ne sais quelle connivence sexuelle.
L' « importance » de C. ? Je ne sais pas ; je ne suis pas au courant, mais autour de cette misérable mort, on a mené (par exemple au congré de la culture) une sinistre, une odieuse bouffonnerie. Et précisément les articles de J. et de Breton prolongent, aggravent encore la farce.
Tu me dis : « Naturellement tu as fait taire tout ressentiment personnel... » Etait-il tout à fait nécessaire de me le dire ? Je n’ai jamais dit un mot contre Crevel. Mais il ne s’agit pas ici de C. ; il s’agit d’une répugnante pitrerie où des éléments nobles sont appelés au secours d’éléments assez bas.
Quant à Crevel, j’ai eu autrefois pour lui un peu plus de sympathie que je n’en eue ensuite. Mais je n’ai jamais changé d’opinions sur lui, je n’ai jamais eu pour lui la moindre estime.
Quand on peut se plaindre de quelqu’un, il est élégant de se taire. Trop facilement élégant ; ici, il m’était plus malaisé de parler.
Il suffit que tu me dises que je me suis trompé, pour que le je croie.
Je voudrais pourtant t’expliquer ma réaction.
D'aussi loin que je reprenne mes souvenirs (ceux qui sont nets), j’y trouve, des sortes de crises périodiques, qu’il me faut bien appeler « morales ». C'est à dire 1°) un malaise, un mécontentement, parfois un dégoût de moi, le sentiment que je gâche, que je perds ma vie 2°) le besoin d’en sortir et la recherche de ce qui peut me « sauver ».
Cela se traduisait, enfant et adolescent, par des examens de conscience, des règles de vie etc. Cela s 'est, depuis lors, un peu apaisé, parce que j’ai travaillé, convaincu que mes livres étaient de ma vie et que ce pouvait être par eux que ma vie me mécontenterait le moins.
Mais un livre fait, bon ou mauvais – surtout si je le vois bon – rien n’est résolu, il faut repartir, avec, de plus en plus, le sentiment que ces départs sont comptés.
Est-ce de la morale ? J'entends par morale non pas une science, mais une recherche dont l’essence est de ne pas avoir de fin, qui ne peut jamais satisfaire, qui ne peut sans doute amener à rien, mais à laquelle il faut pourtant se livrer.
Si donc c’est de la morale, quand tu viens me dire : « les moralistes sont gens inutiles et cruels », je l’admets (j’admets surtout « cruel », et j’admettrais puérils, égoïstes, vaniteux, agaçants ; 'ademts moins « inutiles » - mais la question n’est pas d’être utile, c’est d’obéir). Mais quand tu ajoutes : « Je ne les aime pas », comment veux-tu que je ne me sente pas blessé ?
*
Je suis très content que tu aies « un peu le sentiment » que je suis « fatigué de notre amitié ». Content parce que c’est faux, mais aussi parce qu’il m’arrive de te prêter ce cette même sentiment fatigue.
Je ne crois pas avoir eu, depuis que nous sommes amis, un sentiment envers toi qui ne relevât de l’amitié. Sans doute, je rêve parfois d’une baguette magique, par laquelle je ferais de toi un êter parfait. Mais enfin....
*
Non, je n’ai aucune nouvelle des romans de Breuil. Mais je prendrais, je crois, un grand intérêt à la lire. Le connais-tu ?
*
J'ai entendu Noces, hier, au Trocadéro. Cette merveilleuse chose m’a paru vieillir sans bonheur. Il est vrai qu’elle était massacrée. Stravinsky et Poulenc étaient au piano, Poulenc, très amusant. - Entendu par T.S.F une admirable messe de Mozart ; je ne manquerai pas de le dire à Marcel Henry.
*
Je ne ferai pas de chronique le mois prochain, mais les notes ou notules sur Deberly... J'ai reçu Vallès ; ce sera pour Juin. - Romain (Jules) vient au Montcel dimanche : on y joue Knock.
*
Tu as raison quand tu dis que paraître dans une collection spéciale serait vite agaçant. Mais je ne songeais non pas moins au plaisir de paraître parmi les auteurs choisis qu’au plaisir de voir Gallimard perdre un peu moins sur mes livres.
Je ne crois pas, mon non plus (et n’ai jamais cru) qu’il nous vienne un bien ou un mal essentiels de la société. Je ne crois pas d’autre part que j’aie rien à gagner dans la plus belle Russie (je veux dire : que ma vie y puisse prendre plus de valeur qu’elle ne le pourrait, actuellement, en France). Il me semble même que j’aurais beaucoup à y perdre... Mais enfin ce qui me trouble, c’est de sentir là-bas, tant d’efforts vers un idée peut-être inaccessible, mais que je ne peux pas ne pas approuver. Qu'un peuple ou une fraction de peuple travaille à assurer aux hommes l’égalité la moins imparfaite, une condition à peu près commune (par obligation du travail et limitation de la propriété), un même point de départ, une même chance de vie (par suppression de l’héritage), qu’il tende à les délivrer de certaines hypocrisies morales ou religieuses, de certaines contraintes, de certaines injustices (par exemple par le droit à l’avortement), comment de pas l’approuver qu’il tende surtout à donner aux hommes une nouvelle raison de vivre, un nouveau but, une nouvelle foi, - comment ne pas l’approuver, et, l’approuvant, comment ne pas se sentir honteux de ne pas mêler ses efforts à ceux-là ?
Ses efforts en tant qu’homme. Mais que fera un écrivain qui d’une part n’a e raison 'décrire que parce qu’il confond son oeuvre à sa vie, et d’un autre côté sait que son art ne peut être d’aucune utilité (si même il n’est pas nuisible) à la cause qu’il voudrait soutenir ?
Mon « oeuvre » (j’en sais les limites) n’est pas pour moi en désaccord avec cette cause. Il me semble que, consciemment ou non, je n’ai jamais fait que chercher ce qu’il y avait en moi et chez les autres de petitesse et de revendicat d’aspirations. Et c’est bien pourquoi je me trouve ému aujourd’hui de voir ces aspirations tenter de prendre le pas sur les faiblesses. Mais je sais que le triomphe de cette cause (ou la lutte pour cette cause), si juste qu’elle soit, exige une injustice, une grossièreté, un conformisme qui me semblent la négation je n’ose dire de tout art, du moins de celui que j’aime.
Sans doute, je crois que cet art sera valable encore après cette transformation du monde. Et je me dis que le rôle d’un écrivain, - de cette sorte d’écrivains dont je parle – est, jusque là, de maintenir et d’honorer comme il peut les valeurs permanentes. - Mais reste que tandis qu’il le fait, il est inutile, il nuit même à la cause qu’il voudrait voir triompher.
*
Jouhandeau, dans la lettre que tu me communiques, dit « Laissons la politique ». Mais il s’agit de morale, non de politique.
C'est une lettre amusante. Je ne pousserai pas l’esprit de sacrifice jusqu’à défendre Mme R. Elle me semble, par rapport à la religion, dans la même position que les aboyeurs communistes de France par rapport à la lointaine et peut-être tout idéal Russie.
*
Je ne crois pas que tu aies été injuste à l’égard de la Vigie. Ce que tu m’y as signalé de mauvais est très probablement mauvais. Simplement, tu ne t’es peut-être pas assez soucié de ce qu’il pouvait y avoir là de bon. Je vois dans la V. l’extrême point où je pouvais porter certaines de mes tendances. C'est fait, j’en suis délivré et ne songe plus qu’à faire autre chose.
Je te donnerai la Mère dimanche ou lundi. Je ne suis pas du tout sûr que cela convienne pour Mesures. C'est une sorte de portrait à l’encre, assez poussé, plus proche des Ames en Peine que des Vivants.
J'ai été, ces mois derniers, un peu fâché contre toi. Il me semblait que, par ta faute, j’avais l’air de chercher de toi des louanges. Deux ou trois fois je me suis dit : « Il n’agirait pas autrement à l’égard d’un étranger qui lui ferait lire, de force, un manuscrit, et à qui, mécontent, gêné de cette insistance, il hésiterait à donner son avis. »
- Je ne ferai pas de chronique ce mois-ci. Je voudrais n’en faire qu’une tous les deux mois, ce qui satisferait ceux qui aiment le système de la chronique et ceux qui préfèrent les notes. Je ferai une petite note sur Faux Jour.
- Quoiqu’en dise Lhote, le Saint Grégoire du musée de Grenoble n’est pas, ne peut être de Rubens.
Ce qui était mauvais dans le première lettre que je t’avais écrite, c’est que je l’avais écrite surtout pour moi. Je me demande jusqu’à quel point elle ne me servait pas d’excuse.
- Pour revenir à la querelle que tu me cherchais, je ne sais vraiment pas si tu n’as pas changé à mon égard.
- Nous avons choisi définitivement le Lhote. C'est, comme tu le penses, la grande campagne aux petits arbres. Je suis très content de l’avoir, et très content de le tenir de Lhote.
Veux-tu bien demander que l’on m’envoie le Journal des Goncourt (Cela vient de reparaître chez Flammarion-Charpentier : mais je n’en ai reçu aucun exemplaire). J'aimerais beaucoup à en parler.
m.a
vendredi
Voici mes épreuves. J'ai dû les revoir en hâte (j’étais à Paris). Veux-tu bien les revoir aussi ? Merci.
voici une nouvelle qui, je crois, t’avait plu, et que je ne déteste pas tout à fait : Tu sacerdos... Peut-être conviendrait-elle mieux pour la nrf que celle dont nous avions parlé, et que voici d’ailleurs aussi. Veux-tu me retourner celle que tu ne publieras pas ?
Pas de chronique ce mois-ci. Simplement quelques notules et une note sur Fils du Jour, de Thérive, (que – le livre – je suis loin de détester) ; je te les enverrai dans une huitaine.
Avez-vous aimé le Luxembourg ?
À toi
Marcel
Crois-tu que la situation internationale soit dangereuse ? Alix Guillain m’écrit que c’est le commencement de la grande guerre : fascisme – front populaire.
Cusset (la rue de la Révolution s’appelle rue Gambetta depuis que la municipalité de Cusset est socialiste).
Vendredi
Cher Jean,
Tu as tout à fait raison pour la page sur B.. Faisons la passer en note, ou mieux peut-être demande une note à qq. d’autre (Non, tu ne te trompes pas sur le livre ; il est sans importance, mais sans prétention et plein de gentillesse).
Peut-être aussi (je le crois) faudrait-il faire passer en note les 2 pages sur Proses d’enfant (éd. Journal des poètes), de façon à laisser seul le Romains.
Quant au Romains, il est bien vrai que j’ai souvent l’air de dire : il me faut dire, et j’en éprouve la plus grande peine que... » Mais c’est qu’en effet il m’est assez pénible de le dire. Je crains d’être injuste à l’égard d’un écrivain que je n’aime pas, et pour qui mon admiration est très limitée. Tu sais bien que pour que nous soyons à l’aise avec de tels gens, il faut qu’ils fassent des chefs d’oeuvre [chefs-d’oeuvre] - Toutefois si ma gêne se sent trop, veux-tu supprimer toi-même les passages ou formules où elle se marque le plus.
J'ai un peu précisé « R. et les groupes ».
Et rectifié un peu la fin. Mais je ne sais si le mot « science » convient. Et 'sil ne faudrait pas ajouter : « ; - et son humanité, à une oeuvre où l’on trouve bien peu d’hommes ». Veux-tu en décider ?
*
J'ai une grande hâte de lire la fin des Fleurs.
Ton
M.
Nous sommes allés faire une promenade de 2 jours à travers k'Auvergne, jusqu’au Sud du Cantal. C'est un admirable pays ; celui où j’aimerais le plus vivre d’une façon constante (mais les hivers y sont très durs et les plus beaux endroits sont tout à fait déserts).
J'ai lu le deuxième fragment de la Jeunesse d’un Clerc, que j’aime vraiment beaucoup. Si tu vois Benda, fais-lui mes compliments.
Nous rentrerons à Pairs (4, rue Marbeuf) mardi ou mercredi prochain.
Chardonne m’a demandé si je voulais écrire (pour Stock) une sorte d’histoire de la littérature, des symbolistes à la guerre de 1914, qui complèterait celle de Thibaudet. Cela ne m’a pas d’abord paru très sérieux ; mais peut-être vais-je changer d’avis. (il y a, sur cette époque, 4 ou 5 études que je me proposais depuis longtemps de faire). Qu'en penses-tu ?
Reçu une lettre de M. Henry ; je crois qu’il s’est disputé avec Chardonne ; Rouault lui a envoyé un album (Paysage légendaire), dont il a colorié quelques planches.
J'ai entendu hier Dominique raconter un grand voyage qu’elle faisait avec « Germaine Paulhan » et son ours en peluche sur le Normandie.
L'atmosphère de Vichy est fort loin de celle de Vittel. (dont l’honnêteté déjà alsacienne m’avait frappé.) Ici, de la méfiance, de l’arrogance, des regards haineux chez les ouvriers, même des insultes.
Samedi. Je viens d’achever mes épreuves ; J'ai dû aller vite, car l’heure du courrier presse. Veux-tu bien, s’il te plaît, y jeter un coup d’oeil ?
Je t’enverrai demain matin, sans faute, mes épreuves. Oui, il faut aire passer en notes la page sur Bras. et les 2 pages peut-être aussi les 2 pages sur Proses d’enfants.
Je suis très ennuyé et te prie de m’excuser. A vrai dire, je ne me suis jamais bien rendu compte des difficultés dont tu me parles. Tu auras maintenant une chronique le 10 : c’est promis. Et, s’il y a un livre dont il faut parler d’urgence, 1 page le 14, au plus tard.
- Mais pour ce n°, tu devrais faire tout ton possible pour publier une chronique toit entière ; ce que je t’en ai donné d’abord ne suffit pas, et d’autre part ne peut passer comme notes.
Les préoccupations dont tu me parles sont peu de choses. Si elles étaient graves, oui, je te les dirais : elle le deviendraient moins – mais ta lettre me rend heureux.
Dimanche.
-
Si tu veux bien, je parlerai dans le n° de Janvier de :
Aragon
Raymond Guérin
R. Lehmann (Intempéries)
Clarisse Francillon
Isabelle Rivière
en chronique.
Mais veux-tu demander une note sur Septembre, de Blanzat ? Je crois qu’il faudrait en parler, parce qu’il y a là un grand effort, et que B. est sympathique. Mais je ne puis le faire : j’ai l’impression d’une parodie de ce qui me touche le plus. J'en suis ennuyé : B. me demandait une opinion comme, hélas ! « du plus qualifié de ses juges ». Je vais lui dire que tu avais promis la note à qq. D'autre.
J'ai laissé chez toi l’autre jour des poèmes de Hubert Dubois. Il me demandait de te les communiquer. Auras-tu un instant pour lui écrire ; et si tu le fais, veux-tu bien ne pas le désespérer – je le crois très seul, et malade.
J'ai acheté une petite Corona. Elle me semble très bonne : je remercie Germaine de me l’avoir indiquée.
Nous déménagerons Châtenay à la fin de cette semaine.
Es-tu allé récemment au Louvre ? Les salles de sculpture françaises, elle aussi, sont arrangées. La peinture, au premier étage, n’en paraît que plus lugubre. Pourtant on peut voir maintenant, dans la grande galerie, le portrait de Jeanne d’Aragon, qui, paraît-il, n’est pas de Raphael, que les bons juges, Janine elle-même, critiquent beaucoup mais qui me ravit, à la limité de la préciosité, du jeu byzantin- à la limite au point de jonction de Raphael et de Gustave Moreau (tu sais ,c’est l’adorable jeune femme en rouge, si amplement accoudée qu’il semble que des vêtements allaient tomber, découvrant un torse aussi ferme, aussi fin, mais plus élégant que celui de Diane de Poitiers dans sa baignoire, de Chantilly.- Est-ce Diane de Poitiers ? Une nourrice, dans l’angle, lui tend un enfant). - Ah ! - et l’on a nettoyé le jeune homme à la statuette; du Bronzino, qui m’a bien fait rêver quand j’écrivais l’Ordre.
Mon cher Jean, le temps est un peu maussade, mais l’île toujours belle, et les promenades, plus faciles qu’en été. Je suis allé à la Vigie, que l’hiver a un peu atteinte (fenêtres brisées), mais que l’on va réparer. J'ai découvert les processions de chenilles : c’était vers les falaises du sud, et cette émigration avait vraiment grand air. J'ai passé une matinée à jouer à son égard le rôle du destin. L'une des processions était formée de cinquante-neuf individus ; j’ai écarté l’un d’eux, au milieux de la file : le second tronçon s’est immobilisé, n’étant plus entraîné. Mais le premier aussi, un message ayant aussi été lancé, à l’aide des poils ou des antennes, de la dernière chenille des premiers tronçons à la première. Si la chenille écartée n’est pas écartée trop loin, elle revient à la file et reprend sa place ; si elle tarde, la file se reforme, et la chenille, repoussée 5 ou 6 fois, perd 5 ou 6 rangs.
Puis j’ai écarté la chenille de tête, le guide, le chef. Aussitôt désarroi des suivants. La seconde chenille, devenue la première, va à tâtons, fait décrire à la colonne une sorte de crosse d’évêque et toutes les chenilles s’agglomèrent enfin et s’immobilisent. Je rapproche le chef de sa troupe : elle ne le reconnaît pas, c’est à peine s’il peut se glisser à un rang très subalterne, où lui aussi s’immobiliser. Prenant alors trois ou quatre chenilles au hasard, j’en forme une petite file : elle ne bouge pas. Mais une chenille, dans la masse agglomérée, sent que cette file s’est formée, se détache et la prolonge, et toutes les autres font de même.
Et l’individu, appelé par moi au rôle de chef, se met en marche, d’abord hésitant, puis plus sûr et bientôt conquérant.
Clara Malraux ne cesse de parler de ses ancêtres qui possédaient déjà tant d’intelligence du monde quand les miens et ceux de son mari sautaient encore dans les arbres. Charles Jeaurenaud (que tu connais) est ici, franchit les crêtes en deux enjambées, saute dans la mer, ramène Clara Malraux en barque, et le soir, tout illuminé, déclare : « c’est un pays merveilleux ; voilà la première fois que je suis dans un hôtel sans rencontrer de juifs. »
Je vais t’envoyer ma chronique. Ne pourrais-tu m’envoyer le roman de Bernanos ? (J'aurais voulu en parler en même temps que de Green, Ramuz, Billy, Un Protestant)
ton
Marcel
Un petit abbé belge, peu sympathique. Marceline communie demain. J'irai chanter à la grand’messe.
voici ma chronique. Veux-tu bien y faire placer, comme je l’ai indiqué, la page déjà imprimée sur Billy. Veux-tu bien aussi la corriger attentivement (je ne recevrai pas les épreuves à temps) ? En particulier, à la 2ème et à la dernière page, tu verras que j’ai hésité entre deux expressions ; veux-tu choisir ?
Je t’enverrai demain 2 notules (Constantin-Weyer et Véry).
Le temps est très vilain depuis 2 jour. Nous partirons sans doute lundi (ou samedi si nous passons par Cusset). Mais j’ai fait hier la promenade des crêtes en 1 heure 40.
Je t’embrasse
Marcel
mille amitiés à Germaine
Je reçois ta dépêche ; j’envoie la chronique à Paillard
C'est entendu pour samedi, chez Schlumberger. Je ne t’enverrai pas de nouvelles pour le prochain n°, mais, si tu veux bien, pour le suivant.
Je ne m’habitue pas à Paris. Pourtant nous y passerons l’hiver : c’est devenu nécessaire.
Ton
M.
4 rue Marbeuf (Balzac 16-63) (Veux-tu bien donner ma nouvelle adresse pour l’envoi de la revue?)
-
La personne à qui j’ai laissé notre maison me téléphone que Louis est venu chercher les feuilles et du foin. Des feuilles, bien volontiers. Mais le concierge n’a accepté de faucher l’herbe qu’à condition qu’il pourrait la vendre (à son profit) à je ne sais quel laitier. - Mais il y aura de nouveau de l’herbe en été.
-
Je demanderais hier à Dominique si elle se plaisait dans son école. Elle m’a répondu : « On s’y amuse beaucoup, paraît-il ». Je me sens plein d’amitié pour elle.
[En haut, à l’envers] A l’idée de ne plus te sentir à 10 minutes de ma maison, comme je me reproche de n’avoir pas été t’ennuyer tous les jours de l’année, - de ces 4 années.
Je pars demain pour Varennes. Veux-tu m’y envoyer mes épreuves (mais peut-être n’auras-tu pas le temps : en ce cas, veux-tu bien les revoir ?) J'y resterai jusqu’au 10 Août (l’adresse est Varennes sur Amance, Hte Marne). Janine ira pendant ce temps à Vollore -Montagne, comme l’an dernier. Puis nous irons ensemble à Vittel.
Marceline et M. Henry sont venus nous voir la veille de leur départ. Marcel semblait de nouveau fort bien de la cure de Marceline;
Que ferez-vous ? Ne quitterez-vous pas Châtenay ? Je me demande si ne pourrions pas nous voir, soit à Varennes si vous allez au Luxembourg, soit à Cusset si vous allez chez Pourrat. Nous passerons resterons à Cusset du 10 au 25 septembre, seuls. Ce serait un grand plaisir de vous montrer l’Auvergne (mais aussi un plaisir de vous montrer combien Varennes diffère de Vitel).
Les Fleurs de T. m’enchantent (je viens de lire la 3ème partie). Je ne celle de les trouver très belles ; mais je les lis aussi, égoïstement, pour mon propre avantage. - Il m’est bien venu quelques petites objections ; mais je veux attendre la fin avant de te les présenter.
- Le Benda est très bon, dans ses limites et l’orgueil de ses limites.
J'ai lu aussi avec plaisir la partie critique du n°. C'est très vivant (à part la note de Francis sur Kessel ; non que je souhaite un éreintement de K. ; mais, par exemple, qu’on précise ce qu’il y a en lui de force brutale. Ce par quoi il touche ses lecteurs)
Mesures. J'aime bien la Ferme (où l’on sent si bien l’auteur derrière sa phrase), moins la Peur, bien mal écrite. Mais ce ne sont pas deux nouvelles, ce sont deux fragments. Je n’ai fait que parcourir le reste (mais assez pour trouver le n° très plaisant) ; J'ai relu Leiris avec plaisir, et beaucoup goûté Kleist. J'aime beaucoup plus Mesures que Commerce ; c’est moins froid, moins snob ; on y trouve moins de recherche, et plus de recherches.
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Tu savais sous doute que le mot tennis est une corruption du français : tenez. Je l’ai appris aujourd’hui. Mais savais-tu qu’il existait, qu’il existe encore dans quelques villages un jeu d’enfants que l’on appelle le Tenez. J'y ai joué autrefois. On place un petit bâton en équilibre sur un piquet, comme ceci.
Un enfant, avec un gros bâton, frappe sur l’extrémité du petit, qui s’élance ; d’autres enfants, à quelques mètres, doivent le recevoir sur leur bâton et le lancer à moins d’un mètre du piquet (que le premier joueur ne cesse de garder). Or quand le premier joueur frappe, il crie : « Tenez ». - C'est seulement aujourd’hui, en entendant jouer des enfants, que je suis rendu compte que l’on criait : « Tenez ». En réalité, ils ne savent pas ce qu’ils crient ainsi ; ils prononcent (et je prononçais) : Tennêe !
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Je resterai à Varennes jusqu’au 10 aout. Es-tu ennuyé de rester à Châtenay ? N'y a-t-il rien de grave ? Est-ce que je ne pourrais pas t’être « utile » ? - Excuse-moi, je te prie, de te le demander.
Je travaille assez régulièrement (une nouvelle et quelques projets).
Je suis, en même temps que la cure d’une, une cure d’exercice. Cela se passe dans le petit bois de sapins, non loin de l’étang. Une vingtaine d’amateurs, presque tous assez laids et presque difformes : des médecins, un fabricant de bonbons, un colonel en retraite, deux bijoutiers juifs... Ces gros hommes vieillis sautent, dansent, obéissent comme au collège ou à la caserne. Aux instants de repos, ils se donnent de petites tapes dans le dos, parlent des acteurs de la comédie française... Les médecins sont attendrissants (j’entends les médecins qui viennent se soigner), avec une douceur, une bonne volonté ,un air désarmé et presque timide, qui gagnent le coeur.
Nous nous promenons. Je ne déteste pas Vittel, beaucoup plus tranquille que Vichy. Il faut faire 10 kms pour trouver la campagne, hors de Vichy. A Vittel, elle est là, pas très belle, agréable (non, cela n’a rien à voir avec Varennes), agréable pourtant : Nous sommes allés hier à Epinal, où j’ai revu le beau Duménil de la Tour (la femme en rangs qui se penche sur un prisonnier), mais où je n’ai pas trouvé de vieilles images. - La semaine dernière, à Sion, plus beau que je ne pensais, mais à l’opposé du génie de Barrès.
Et puis j’ai perdu 30F à la boule. C'est, à côté de la roulette, un jeu vulgaire.
Avec tout cela, cures et promenades, il est difficile de travailler. Mon plus grand plaisir (je ne sais si je dois m’en excuser) est de relire – mais non, je ne l’avais jamais vraiment lu – de lire le Jugurtha de Salluste. Il me semble que c’est la plus belle prose après Tacite, et c’est plus intellignent. J'ai toujours préféré le latin au grec ; je commence à y apporter une sorte de passion.
Je lis aussi Romains, hélas, et songe à une chronique ; - et les nouvelles d’Espagne, avec colère, avec stupeur.
Nous resterons ici jusqu’au 1er septembre : puis nous irons à Cusset (du 4 au 20)
J'attends avec impatience ta réhabilitation d’une rhétorique.
La mort de Dabit m’a peiné. Je n’avais pas tout à fait de l’amitié pour lui ; j’aurais voulu en avoir ; je le plaignais un peu. - Je me suis demandé, en apprenant sa mort, s’il n’avait pas été empoisonné.
Ce que tu me dis d’A.M ne m’étonne pas beaucoup. Non que je croie qu’il abandonne Clara ; mais je les sens en conflit, et Malraux agacé, et Clara tenace. Je n’aime pas le rôle qu’il joue dans les affaire d’Espagne ; je ne le trouve même pas noble.
J'ai lu les tomes 9 et 10 des H. de bonne volonté, il sont meilleurs que les suivants. Je me le répète.
31 Août
Nous partons demain, deux jours à Varennes, puis Cusset (14, rue Gambetta) jusqu’au 20 septembre.
Chardonne ne s’est pas beaucoup plu à Port-Cros ; il s’y sent écrasé et rêve à la Suisse.
-Oui, tu réclames beaucoup de patience dans les Fleurs de T. ; mais on serait déçu que tu en réclames moins. Et puis tout se tient avec rigueur. Veux-tu bien m’envoyer à Cusset la 1ère et la 2ème partie (n°S de Juin et de Juillet) ; je voudrais les relire (j’ai la suite).
Nous sommes allés à Nancy, que je n’aime pas : mais qui ne manque point d’allure. Nous y avons vu un bon Pérugin (repeint), un Lucas de Leyde curieux, et un excellent Manet.