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Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).
Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial), Jean-Kely Paulhan (Transcription), Anne-Laure Huet (Édition TEI) et Nolwenn Chevalier (Édition TEI).
Jean Paulhan à Barbara Church (décembre décembre 1935) §
IMEC, fonds PLH, boîte 120, dossier 375231 – décembre 1935.
Noël 35
Bien chère amie, vous avez, je pense, comme toutes les personnes sensées et pourtant délicates, le sentiment que pour rien au monde il ne vous serait possible de recommencer l’année qui va finir, si elle devait être exactement la pareille. Je vous en dirai la raison que vous ne savez pas.
Elle est que vous avez découvert tant de choses depuis un an, que pour rien au monde vous ne voudriez un instant les avoir oubliées.
Si nous étions sages, il faudrait tenir, vers Noël, une réunion où chacun dirait ses découvertes de l’année. Il est bien sûr que nous n’avons cessé de gagner, depuis le premier jour où nous avons choisi de vivre. (Ce n’est pas à la naissance, mais plus tard le jour où les petites filles prennent un air simple et sombre.) On s’en apercevrait mieux ce jour-là. On serait ému et joyeux, on s’embrasserait.
Vous voilà si loin, que ce projet n’est guère pratique.
Je vous dirai du moins ce que j’ai trouvé. Et il se peut bien que nous n’ayons, tant que nous sommes en vie, qu’une seule chose à découvrir ; mais sitôt découverte, il n’est plus tout à fait possible de la dire : il faut se dépêcher de parler, tandis que l’on en est encore aux approches, et aux biais (s’il s’agit, comme il est probable, de ce qui nous presse et nous cerne de toute part, et où nous baignons, sans jamais découvrir l’inclinaison, le penchement de tête, qui nous ferait le voir en face.)
Je ne sais plus quel savant autrichien a montré que nous nous parlions en rêve un langage chiffré où le balcon (entre autre) veut dire les seins ; ni quel linguistique, en plein jour un langage d’allusions où le même mot (par exemple) qui désigne en chaque langue le lézard ou la souris est aussi celui qui veut dire le muscle, ou le bras. C'est où l’on surprend qu’il nous est arrivé de confondre la course d’un lézard et le tressaillement d’un muscle, et le reste.
Songez pourtant à cet autre trait du langage, bien plus constant encore : c’est qu’il est donné à chaque mot de désigner, à notre gré, aussi bien une chose du monde qu’une pensée ou un simple mot. Ainsi puis-je vous dire que voici le nouvel an revenu avec la même place du soleil et des étoiles (c’est la chose) ou bien que je vous souhaite, à partir de ce nouvel an (c’est la pensée) tout le bien et le bonheur possibles ; ou encore que ce n’est point là façon de parler (c’en est pourtant aussi une).
C'est donc que nous avons formé, et que nous savons aussi former à tout instant – certes, sans jamais la voir – une pensée pour qui le monde et les choses et notre esprit et le langage même ne sont qu’un, une pensée hors d’atteinte et sont il serait enfin invraisemblable (et plus singulier mille fois qu’elle n’est ) qu’elle ne fût pas vraie, et qu’elle pût un jour disparaître, ou changer. (Mais je vous laisse à imaginer le reste). Bonne année, chère amie. Je pense qu’un souhait, qui touche d’aussi près à cette sorte de pensée sera bien plus d’un an efficace. A bientôt.
Un grand merci pour la lettre, merci de m’avoir envoyé la traduction.
J’avais naturellement envie de répondre tout de suite et en détail, je ne l’ai pas fait et c’est bien aussi, j’aurais voulu vous faire des objections en allemand, je vous assure ce que j’écris est bien plus simple en allemand, en français par moment cela me semble et plat et prétentieux, mais comme vous me l’avez déjà écrit, c’est de ma faute et de l’incompatibilité bien connue du français et de l’allemand. Comme Musil j’avais quelquefois de la peine à m’y retrouver.
Je n’aime pas « l’Ombrageuse » j’aimerais mieux « Gelegenheitsgedichte », encore un intraduisible ? Enfin nous parlerons de ça quand nous nous reverrons.
Ne croyez pas que je suis ingrate, je vous sais gré de vous avoir donné [sic] tant de mal et j’ai lu et relu.
Vulpera a ce matin un air gai, le soleil est revenu après 5 jours de pluie et de froid. Nous grelottions et la question du Directeur : « est-ce assez chaud chez vous » posée à tous les clients – je pense -, avait toujours comme réponse : non.
Nos faisons la cure, nous nous reposons, nous nous promenons et nous sommes sages, pas de vin, pas de tabac, pas de café. Et cette vie nous plaît, du moins pendant quelques temps, puis elle est assortie au pays, aux montagnes.
Nous nous tourmentons pour l’Espagne, tous les noms Somosierra, Buitrago etc. nous les connaissons si bien.
Le Luxembourg nous l’avons traversé en auto Paris, la Belgique, la Hollande, le Luxembourg, l’Allemagne. Je me rappelle que j’avais des difficultés à me reconnaître avec sa monnaie. Je vous souhaite un beau temps, un bon repos. Etes-vous dans la forêt ?
Avez-vous des manuscrits à nous faire lire ? H. veut avoir deux mois de montagne cette année, nous monterons d’ici à St Moritz, puis nous descendrons à Ragaz et nous ne serons de retour que le 15 ou 20 septembre.
Nous pensons beaucoup à vous deux, nous aimerions bien parler Mesures, Paulhan et Church ici où tout est calme.
Bien emmitouflées jusqu’au nez, nous sommes allées Laure et moi à la grande Messe dans l’Eglise St Ignatius de Loyola qui a été bâtie à la 84ème rue il y a cent ans sur l’emplacement d’une maison de jeux, de danses. Elle est vide, magnifique autant, l’encens monte en grands nuages, les vêtements sont merveilleux, quelques uns du 16ème siècle, un chœur de garçons) on ne fait pas mieux à Rome – j’aime y aller d’ailleurs j’ai toujours eu un faible pour les Jésuites – ils sont très intelligent [sic], ne trouvez vous pas, vous aussi, vous êtes très intelligent.
Hier soir je suis sortie avec mes amis Sweeney cocktail d’abord chez des amis, d’autres, où on a bu du whisky irlandais, bon, très bon, particulièrement stimulant après dîner avec eux et les Sweeney dans un restaurant Chinois – puis dans une atmosphère toute spéciale, modernistique avec des femmes étonnantes d’aspect, je ne sais ce qu’elles voulaient prouver – des hommes jeunes, sérieux avec des chemises et des cravattes [sic] assorties aux femmes. C’était dans un studio et c’était pour présenter « Mobiles » d’Alexander Calder en film avec bruit et music appropriés. Vous rappelez vous le film de Kandinsky chez Drouin ? Ici c’était parfait comme film, comme représentation. Chez Drouin tout le monde était déçu – mais la tradition se niche avec orgueil et compétence dans la machine, dans le Cinéma. Et cet après-midi et comme tous les Dimanche nous irons au concert – Bach, Mozart, Brahms – vous voyez, mêmes les Dimanches ont leur programme. Je ne sais pourquoi je raconte tout cela pour bavarder comme je le ferais rue des Arènes.
J’ai mon billet pour l’Europe, je serai à Ville d’Avray fin mai. Je vous embrasse. Toute mon amitié à vous deux.
Justement, j’allais vous téléphoner pour aller rue des Arènes quand votre mot est arrivé.
Je suis triste pour les souffrances de Germaine, aussi la gingivite et j’espère avec vous que la forêt vous fassent [sic] grand bien à tous deux.
Mon voyage avec Pierre Lévêque et Marthe Ternand dans l’Hispano, et avec Jean naturellement, à travers la Belgique, la Hollande, 2000 km. le grand tour, a été merveilleux à tous points de vue. Nous avons vu, revu, fait, refait un tas de choses que nous avons vu et fait, Henry et moi ; la pointe de regret, de peine m’a empêché d’être trop contente, pendant 10 jours.
Hier je suis allée voir les Sweeney [ ?] à l’hôtel Crillon, ils sont à Paris pour quelques jours, je suis sortie avec Laura Sweeney pour l’aider à s’acheter un costume tailleur, puis nous avons pris une glace à la terrasse de Francis et finalement nous avons regarder [sic] les mobiles de Calder, exposition chez Maegt [sic] av. de Messine, une belle salle aux tentures grises ou les mobiles se mouvaient aux courants d’air d’été – j’étais assez contente de les voir à Paris, les avez vous vu [sic] ?
Nous irons, les Sweeney et moi, mardi le 11 Juillet à Fontainebleau pour y déjeuner et si vous êtes d’accord, nous irons vous voir à Brinville l’après-midi.
James J. Sweeney parle français, il a été en France pour une partie de son éducation.
Je suis bien contente que l’Artane est arrivé et j’espère que la cure ne fatigue pas Germaine.
Et je suis très contente que vous allez travailler, achever « la peinture moderne, ou l’espace devant les maisons », j’aime beaucoup cet « espace », et je vous promets de lire, et attentivement.
Trop de gens autour de moi, trop de famille, trop de paysages m’empêchent d’écrire une lettre.
C’est pourquoi on a inventé les cartes postales – en allemand une carte postale est une carte avec un timbre imprimé dessus, les autres s’appellent Ansichtskarten – cartes pour regarder ou pour voir quelque chose. Je serai à V. d’A. le 28 Aout après 2 semaines à Munich et presque 2 semaines dans ma ferme avec ma sœur, mes 2 nièces, leurs maris et enfants, on neveu, sa femme, ses 2 filles et même mon frère, c’est un peu beaucoup, même pour ma résistance. Ma solitude à V. d’A. me paraitra douce, je pourrai penser, écrire ou rêvasser dans le vague et vide à ma guise.
Mais j’étais contente d’être ici quand même, nous avons eu des belles journées splendides dans les montagnes, des maussades dans ces parages, il nous a fallu allumer le grand poêle en faience [sic] verte, nous étions assis autour sur le grand banc, on parlait, parlait, racontait des histoires racontées depuis des générations.
C’était gentil aussi.
J’ai écrit à Dubuffet pour lui demander de venir déjeuner à V. d’A. le 30 Aout, m’apporter la Metromanie – avez-vous envie de venir ?
Moi je serais contente. J’espère que Brinville vous a fait du bien à tous deux.
Jean, le chauffeur ira vous chercher, vous et Germaine avec l’Hispano, le 12 septembre à 2h de l’après-midi.
J’ai bien regretté que vous ne pouviez venir avec les Dubuffet. C’était très gentil – un temps splendide pour faire le Tour du propriétaire – pour manger des raisins sucrés et dorés de la Treille, pour me donner à moi une autre occasion à admirer mes arbres, à me pénétrer de la douceur de Ville d’Avray – j’ai vraiment regretté votre absence. Vous faîtes tellement partie de toute ma vie d’ici – je ne peux me promener dans mon jardin sans penser à nos réunions.
Henry était si bien dans son rôle d’hôte discret et attentif et vous étiez de ceux qui le comprenaient le mieux.
VWallace Stevens écrit souvent et gentimment [sic], il dit des choses bien sur « les causes célèbres ».
Les Sweeney sont en Irlande pour se reposer de leurs courses folles à travers l’Europe. J’au vu l’exposition de La Fresnaye – je l’aime beaucoup. Et bien sûre [sic] j’ai vu aussi les Matisse. Je vous embrasse tous deux bien affectueusement.
Barbara.
Barbara Church à Jean Paulhan (27 septembre 1950) §
Je suis mal en point. Ma sœur vient de mourir subitement à Munich. Lundi soir, je l’ai su par télégramme. Je suis ébranlée, triste, triste, c’est difficile de raisonner, de se supporter.
Moi aussi, j’étais contente de notre petite réunion, comme vous je sentais Henry là, près de moi. Cependant la solitude est mon sort, je le sais, je la subit [sic], avec révolte par moment.
Je ne connais pas Mr Mazars et je lis rarement et distraitement le Figaro. Je regrette que vous avez été ennuyé par sa note que vous m’avez fait connaître, n’y ajoutez pas d’importance.
Je viendrai rue des Arènes quand je me sentirai plus courageuse.
Le médicament est envoyé, un mot s.v.p. quand vous l’aurez, j’espère qu’il fera encore plus de bien à Germaine. Mon ami pharmacien m’a dit que sa mère atteinte de la même maladie prend, elle aussi, de l’Artane et que c’est merveilleux pour elle. Elle ne tremble plus, elle vit en Californie. Le climat paraît-il y est pour quelque chose.
Nous avons un temps d’été depuis deux jours, il fait trop chaud. Les hommes se promènent en veston, les femmes en robes d’été.
On est accablés, la paresse ne semble pas de saison et cependant nous sommes en plein dans ce qu’on appelle ici l’Indian summer.
Pourquoi, je ne sais.
J’ai passé la soirée d’hier avec les Auberjonois, nous avons vu un film sur Paris 1900-1914 assez réussi.
F. A. vient de faire paraître son livre, le dernier, sur l’Isle de feu [sic] (Fire Island), il écrit des articles et la Radio est son principal souci.
Il m’a demandé comment vous allez, il voulait que je raconte un tas de choses sur Paris, ce n’était pas facile, il interrompt souvent, fait des mots d’esprit moitié slang américain, moitié suisse – Genevois. Nous avons passé une bonne soirée. Tout à l’heure je déjeunerai avec Monique, la fille de Laure Lévêque. Je sors beaucoup.
Toute mon amitié
Barbara
Barbara Church à Jean Paulhan (26 novembre 1950) §
J’ai beaucoup pensé à votre conseil : la même heure chaque jour – J’ai décidé pour lundi, mardi, vendredi, Dimanche, à 10h du matin et je commence aujourd’hui. En prenant, relisant votre lettre, j’ai eu envie d’écrire à vous, et vous me direz : ce n’est pas ce que je voulais que vous fassiez. Mais vous m’avez laissé le choix entre travailler ou rien faire et vous avez ajouté qu’on ne reste jamais très longtemps à ne rien faire. Je suis restée une demie heure, tout de même.
D’abord : pourriez-vous m’envoyer 2 copies de la traduction des Poèmes de Wallace Stevens – j’aimerai lui en envoyer une des deux. C’est une traduction en français, je pense puisque c’était fait dans le Lot. Tous les Berlinois savent donc le Français. Mais même en allemand l’avoir peut-être à Temps pour un Christmas-cadeau.
J’ai donné un premier grand (grand pour mon appartement) cocktail party depuis mon retour. C’était le 16 novembre, des Anglais, des Français, des Espagnols, des Italiens, des Allemands, naturellement ma famille américaine, mes amis américains, Suzanne a fait merveille. Nous étions 45 pour le cocktail, 25 sont restés souper – c’était gentil, très fou, beaucoup de champagne, des conversations à battons [sic] rompus, gaies, amusantes. On aime beaucoup ces sortes de réunion ici, on s’assoit par terre, en rond, ou on reste debout et on va de l’un à l’autre, j’aurais tellement aimé vous voir parmi nous.
Malheureusement ni James Sweeney, ni Wallace Stevens ne pouvaient venir, le premier à Athènes en Georgie pour enseigner aux athéniens comment approcher l’art moderne, Wallace Stevens est venu me voir le mardi, deux jour [sic] avant ; pour affaires, il doit venir à New York une fois par mois. Il m’a envoyé une lettre en français qu’il a écrit [sic] à H. Pourrat pas mal. – Un nouveau Poème de luiVII vient de paraître je vous l’enverrai – lisez « The Owl in The Sarcophagus » Il l’a écrit à la mort de Harry, voulait le lui dédier, n’osait pas m’écrire au moment même, ne voulait pas le faire sans mon consentement. Je regrette et lui aussi.
Ce « Indian Sommer » comme nous disons ici s’est prolongé cette année bien plus que d’habitude mais hier l’hiver est arrivé avec fracas – une Tempête a passé sur Manhattan – 120 kms à l’heure – des rafales de pluie, on enlevait auvents, étalages, la Radio annonçait qu’il fallait fermer les magasins et renvoyer les employés d’eux – Je ne suis sortie que le matin pendant une heure, tout le reste de la journée VIII à la maison, contente, à lire, écrire, écouter la Radio, la pluie battre les fenêtres, le vent siffler tout le long de l’avenue. Il y a eu des nombreux accidents, beaucoup de dégâts. Les tempêtes en U.S.A sont de taille, biger and better. Seulement à minuit, le vent commençait à diminuer et ce matin il fait beau, clair, très froid.
Et nous sommes tous encore sous l’influence de l’ouragan, les journaux, les « commentators » à la Radio ne savent parler que de cela – la publicité en U.S.A est chose magnifique.
Je déjeune seule et à 3h, j’irai au Concert, quelque chose de très spéciale « The Stradivarius Quartet au Frick Museum. C’est gratuit pour les élus dans une salle ronde, merveilleuse, 200 places seulement – le Palais a été construit par un de ces milliardaires de légende, disparus aujourd’hui, une collection de Tableaux hors pair, le directeur T. M. Clapp est un grand ami. Dans la salle de concert point de peinture – le palais était la demeure de Mr Frick, il l’a laissé à la ville de N.Y avec une grosse somme pour les concerts ; pour l’entretien, c’était une des collections les mieux réussies, J. Sweeney m’a dit, que Frick était intelligent et très bien conseillé.
L’autre soir, j’ai diné avec Janet Flanner une femme qui sait beaucoup de choses, tout de Paris et des façons françaises, elle est intelligente, agréable à regarder – elle écrit dans une des meilleures revues de N.Y le « New Yorker ». Moi, comme toujours, devant les gens qui savent tout, je me ferme et quand les autres veulent que je m’affirme, je fais l’ignorante, ou à peu près, ma façon d’être snob, je crains, Harry l’a beaucoup encouragé [sic], cette tendance, la trouvait drôle.
Seule, je réfléchis bien plus sur moi. Dommage. Je n’aime pas être seule, mais il me le faut être. C’est mieux pour moi, malgré les moments horribles ou je me débats contre la solitude, les affres du vide. J’étais en plein dans la vie pour moi, pour Harry, maintenant je suis en dehors, en spectateur.
Et la mort de ma sœur m’a replongé [sic] dans le marasme, je voyage, je m’agite, c’est là mon Artane.IX
Je suis contente que tout est bien arrivé [sic] et j’espère de tout cœur que la transformation de Maine sera bientôt parfaite, je pense à elle souvent, souvent.
Je vous aime tous deux – vous êtes de mes plus grands des amis et j’en ai besoin, des amis – vous le comprenez – Dieu aussi je pense, le Dieu Américain tout spécialement.
Mes amis d’ici, ma famille, ne savent qu’inventer pour me faire plaisir et souvent ils y réussissent.
J’ai écrit à Henri Pourrat, je lui ai promis de venir à Ambert l’été prochain et de vous demander de venir avec moi. Il a envoyé à W Stevens une photo de lui avec sa femme, W. St lui dit dans sa lettre en français qu’elle lui fait croire que H. P. est un Américain dans un paysage également américain et moi de penser « Plus ça change etc ». La lettre finit par « Vraiment à vous » (Sincerly yours) que je trouve très gentil, tout nouveau dans la traduction.
Mon amie anglaise Miss St. John vient d’arriver, c’est avec elle que je vais au concert.
J’ai également écrit à Rebecca Boyer, une réponse à une lettre qu’elle a dicté [sic] au jeune peintre, parent de P. Boyer qui vit chez elle. Elle a été 2 mois à Cornery[ ?], trouve que 19 rue de Lille est une prison, elle voudrait voyager – en bateau pendant – un an sans descendre – elle oublie les tempêtes, la cuisine monotone – mais sa lettre était moins décourageante qu’elle quand je la voyais 19 rue de Lille cet été.XI
Barbara Church à Jean Paulhan (18 décembre 1950) §
Nous sommes tous dans la fièvre, la fièvre de Noël qui pendant la dernière semaine monte jusqu’au vertige – mais nous sommes joyeux, optimistes, il fait beau, très froid, on achète, on achète, malgré les discours, malgré les impôts qui grimpe [sic] – je viens de recevoir une lettre de la banque m’annonçant la grande augmentation pour Janvier. Heureusement que j’ai acheté ma nouvelle Cadillac avant – j’ai aussi un Chauffeur – a [sic] regret, j’aurais bien voulu avoir Jean, mais j’amènerai la voiture en Europe et il la conduira. Mon départ est projeté poru le 26 mai, le retour pour le 13 Oct. Vous savez, tout le monde fait des projets, moi, la campany des bateaux, tous. J’espère que vous allez bien. Laure Lévêque écrit me donne des nouvelles, elle est contente d’être à Paris elle avec Pierre et les enfants.
Je vous ai fait envoyer « Prints of Klee » par le Museum of Modern Art.
Merci pour la charmante lettre optimiste, gaie, pleine de choses qui m’intéressent, m’amusent, me font sourire. Et je suis si contente que Germaine se sente mieux, malgré le froid – J’ai moins de remords d’envoyer ces médicaments américains – biger and better - qui peut-être la tourmentent encore un peu plus. Et puis Artane n’est point trop mal, un peu rêche le MT [ ?], mais deux a – facile à prononcer, en anglais on dit Artème, on prononce avec l’accent sur la seconde.
Et je vous envoie mes trois lettres de Noël pour Harry, pou 1950, je parle un peu trop, je me répète – mais ce sont comme toujours des lettres, Gelegenhetsgedichte, pour Harry, pour moi, pour quelques amis que je soupçonne de comprendre.
Je suis beaucoup sortie, j’ai fêté Noël avec les Russes chez moi, chez Monique Lévèque-Polgar et ses enfants – pour la veille du jour de l’an je suis allée à la Cathédrale Episcopale avec mon amie anglaise miss St. John et nous avons entendu les Hymnes joyeux chantés par la foule composée de blancs et d’un grand nombre de nègres. Ces derniers chantent les Hymnes avec enthousiasme, à pleine voix, c’était magnifique. Maintenant nous pouvons à nouveau nous inquiéter sur les problèmes internationaux.
Je suis triste de penser qu’Alix est si malade. J’espère que son énergie, son optimisme l’aideront à guérir promptement. Je voulais lui écrire, mais où ?
Dites lui si vous la voyez, toute ma sympathie et mes vœux fervents.
Avez-vous reçu l’artane ? Je l’ai fait assez avant mon départ pour Pâques. Je suis allée avec Monique, ses 2 enfants et ma Suzanne à Atlantic City à 124 miles d’ici.
Il faisait froid, beau, du soleil, de la brume, du vent, autant d’océan qu’on peut souhaiter. Les fatigues de la grippe – nous disons « Virus » ici – sont parties, New York, ses énervements, sa pluie, son ciel gris ne m’incommode plus ou pas encore.
Naturellement en rentant lundi il a fallu répondre au téléphone toute la journée – je suis sortie chaque jour, chaque soir, ce n’est qu’aujourd’hui, vendredi que je pourrai rester à la maison tranquillement. J’ai vu Jouvet et Blanchard dans l’Ecole des femmes, très bien joué devant un public enthousiaste le même décor de Christian Berard, Dominique Blanchard était ravissante, Jouvet secouant sa perruque, ses rubans, le pompom de sa canne était comme je l’ai vu à Paris et il y a très longtemps avec Harry. Monique, Natacha et Serge Aesketh étaient avec moi) nous étions tous contents du succès. Tout le monde l’était. Derrière moi deux jeunes Américains ne comprenant évidemment pas beaucoup du texte, ont pris tout à la blague, ont ri aux éclats trop fort – nous trouvions – mais eux aussi s’amusaient.
J’ai vu dernièrement assez souvent Marianne Moore – nous nous entendons bien, nous aimons être ensemble, elle m’écrit des lettres charmantes, c’est bon pour moi d’avoir des amis, des amis comme elle.
Wallace Stevens viendra de Hartford la semaine prochaine, j’aurai une réunion chez moi avec les Sweeney et d’autres amis. Wallace Stevens aime les Irlandais, il trouve qu’ils ont un cœur, un cœur gai.
Mon voyage me semble déjà très proche – je m’occupe des papiers pour la voiture que j’amènerai avec moi – les astrologues disent qu’il n’y aura pas de guerre en Europe – mais en Asie sans bombes atomiques, sans gaz, sans microbes. Evidemment c’étaient des astrologues américains – mais je me sentais rassurée – quand-même.
Le président Auriol est à Washington, on dit ici que l’élégante Mme Auriol aurait dû être la femme de de Gaule [sic] et Mme de Gaule [sic] Mme Auriol. Nous les verrons à N.Y. la semaine prochaine et on prépare les vitrines de la 5ème Avenue pour les fêtes avec des drapeaux, des photos, des inscriptions. Ils auront une « Parade » comme on dit – Les New Yorkais adorent les Parades.
« Les Vendéens du Temple » de Marc Beigbeder sont arrivés. J’ai lu, relu, très effrayée de la violence, du pessimisme du livre mais encore plus de lui donner raison souvent.
Il dit lui-même : « Celui qui vient de parler n’est ni un Saint, ni un pur, ni un parfait – ce serait une escroquerie de sa part de le laisser croire – il ajoute qu’il a eu lui aussi des faiblesses – et j’ai respiré à nouveau. Mais j’ai passé plusieurs jours à ruminer, à me désespérer, et le soir je me dépêchais à prendre un autre livre, à écouter de la musique pour ne pas être tourmentée pendant des heures.
Merci pour la lettre du 6, arrivée ce matin, merci pour votre assurance qu’il n’y aura pas de guerre en Europe. D’ailleurs vous êtes du même avis sur le côté asiatique que les astrologues américains.
Je suis triste de la mort d’Alix – vous êtes tourmenté pour votre fils et sa mère – et vous allez voir Bertha Rhodes en Angleterre – oui, c’est dur « le sentiment d’être à présent du côté pas sur de la vie » (Très finement dit.)
Je serai à Ville d’Avray le soir du 2 juin – nous arriverons au Havre le matin tôt Jean sera là et je rentrerai en auto, comme d’habitude. J’aimerais beaucoup vous voir tout de suite.
Voulez-vous m’envoyer le numéro sur Gide de la N.R.F ?
Marianne Moore s’occupe de La Fontaine surtout en ce moment – elle a fait une conférence la semaine dernière au Y.M.H.A (yorm mens he [ ?] association), les « Abyssiniens » comme Wallace Stevens les appela - j’y suis allée avec les Sweeney et leur fils (19 ans) Jean – elle a lu ses poèmes, quelques uns, puis quatre fables – déjà dans leur forme définitive en américain – M.M est charmante, lit très mal, je connaissais presque tout déjà, j’avais moins de peine à suivre – Les microphones ne font du bien qu’à ceux qui au fond n’en ont pas besoin ;
Après la conférence nous sommes tous monté [sic] chez moi pour souper, pour bavarder – vous savez que les Sweeney sont de très bon amis, et Marianne et Barbara s’entendent très bien) elle aime mon nom et elle a découvert que nos deux noms ont le même nombre de lettre, bon présage, paraît-il.
Je suis votre conseil, je me mets assez régulièrement à travailler le matin – souvent j’écris des réponses à des amis qui m’ont plus particulièrement touchés par leurs messages – mes amis sont précieux dans ma solitude ) oh, je ne suis presque jamais seule, à vrai dire – je suis seule cependant, sans Harry – et vous le comprenez.
L’hiver est presque fini, hier Dimanche à la Campagne – tout paraît vert et jaune, l’herbe, les haies de Cytises, je me suis promenée à travers bois pendant 2 heures avec mon avocat, j’étais chez lui dans sa propriété, à 100 km. de N.Y. il s’occupe de Daumier et écrit un livre sur Louis Philippe. Je suis arrivée vers 11h et nous avons assisté au service épiscopalien dans une petite église ravissante, nous avons chanté ensemble des hymnes. Mme Bechtel la femme de l’avocat faisait une leçon aux enfants de Sunday School.
Une amie anglaise, Miss Margaret St. John, vient d’arriver, je lui ai lu ce que vous dites sur l’anglais, elle riait fort et disait qu’à Hindermere on était déjà arrivé aux monosyllabes – peut-être même au monosyllabe. Hou, hou, voilà ce qu’ils disent à Hindermere.
J’ai eu une longue lettre d’Yvonne Moreau-Lalande – des affaires sur tout – mais aussi des nouvelles sur Paris, de l’affection, de l’amitié.
Embrassez Germaine – à vous mon amitié affectueuse.
Barbara
La recette -–
Un petit peu de raison
Un petit peu d’amour
Un rire au bon endroit
La fantaisie, tant que tu veux,
Avec mesure, s’entend.
Le mot qui sonne, qui donne
La saveur, la valeur
Qui fait d’une toute petite idée
Une chose qui rit,
Qui rit, qui rit
Qui rend heureux.
Racontes [sic] la fable,
Choisis, fouilles [sic], finis,
N’oublies pas la fin
Qui tombera à point
Si légèrement, si juste
Rien ne changera, ne pourra
Se faire plus beau –
Les frises [ ?] le disent
Toi, tu le sais.
C’est St. John qui m’a dit que je devais remplir tout l’espace blanc du papier – et voilà – c’est fait –excusez-moi – Il fait très beau et je sortirai avec St. John au Central Park, tout près de chez moi pour voir un jeune chameau qui vient de naître dans le petit Zoo du Park.
Jean vous porte cette lettre. Vous l’aurez sûrement avant votre départ, avec la poste on ne sait jamais – avec la chaleur en plus.XVII
1 avenue Halphen Ville d’Avray S et O [ ?] France
Le 30 Juillet 1951
Cher Jean, chère Germaine
Mon Jean sera chez vous demain le 31 à 14h et il fera tout pour vous rendre à tous deux le voyage aussi confortable que possible.
Je n’ai pu aller rue des Arènes malgré mes intentions – mes invités américains sont venues [sic] 2 jours en avance sur le programme. Ils étaient gentils, amusants, absorbants, le temps était magnifique pendant tout le temps – nous sortions, nous sommes allés à Versailles, à Paris, à Chârtres [sic] – Ville d’Avray était bien agréable dans sa splendeur d’été. Nous prenions le petit déjeuner sur ma terrasse, les autres repas sur le perron de l’escalier devant la maison. J’étais heureuse, fière de ce que nous avons fait, Harry et moi de Ville d’Avray, de voir que mes amis d’Amérique, eux aussi, ont compris.
Je vous écrirai à Sceaux. Wallace Stevens m’a écrit une très jolie lettre avec des réflexions sur l’été, la chaleur – américaine, et Mac Arthur, qui, en ce moment est plus important que le soleil.
Puis un passage sur une conférence qu’il fera à Chicago sur « The poetry of Philosophie [sic] » Je traduirai le passage en français, je vous l’enverrai et je suis sûre que vous aurez là-dessus des idées plus originales que Jean Wahl – qui évidemment est aussi Philosophe et Poète, « [ ?] ».
Aujourd’hui il fait doux d’être seule à nouveau – j’ai un grand tas de lettres devant moi – je lis Heine et Brecht (vous rappelez-vous, vous me l’avez conseillé et quand je dis, je lis, je devrai [sic] dire, je relis), et je serai paresseuse autant que peut se faire. C’était toujours des bons moments pour Harry et moi, les premiers après un passage d’amis absorbants. Seule – il [sic] les seront moins – je penserai quand même. Il me semble qu’ensemble nous arrivions à ne presque plus penser aux heures de paix. C’était secret, sans paroles, très doux.
Je m’excuse, je parle trop, mais je suis sûre tout de même de votre amitié indulgente.
Reposez-vous, [grosse biffure] j’espère bien fort que la campagne fera du bien à Germaine. Il fait trop chaud à Paris maintenant.
J’ai traduit le mot à mot. Est-ce que cela vous inspire [sic] « to cite instances » ? La voiture vient de rentrer, j’espère que Germaine se sera [sic] pas trop fatiguée.
Aujourd’hui il fait lourd et chaud, même ici. J’ai fait des courses ce matin, mais l’après-midi je suis restée chez moi dans la maison, dormant à moitié.
Pierre Lévêque viendra ce soir dîner et passer la nuit. Il est seul à Paris, il souffre de la chaleur dans son bureau près de la bourse.
Laure Lévêque et le [sic] 2 garçons de Monique viendront ici le 3 pour 15 jours, Laure pour se reposer, les garçons pour jouer aux cowboys dans le jardin, moi je regarderai, je lirai, je dormirai. Au fond j’aime assez la grosse chaleur, celle d’ici, celle de N.Y. est bien plus terrible. C’est le premier mois d’Aout pour moi à Ville d’Avray.
je donnerai la conférence Moody à l’Université de Chicago en Novembre et j’ai choisi comme thème « La poésie de la Philosophie ». Et je ne veux point dire que la Philosophie exprimée dans la poésie comme dans le cas de Lucrèce, et je n’ai pas non plus dans l’esprit le style des philosophes particuliers comme p. e. Nietzsche ou Santayana. Je voudrais attirer l’attention sur la nature poétique de beaucoup des conceptions philosophiques. Par exemple, l’idée que parce que la perception est affaire des sens, que nous ne voyons jamais immédiatement la réalité, mais toujours un moment après, cette idée est une idée poétique.
W Nous vivons dans des représentations mentales du passé.
Jean Wahl parmi ses lectures, son savoir (immense reading) pourrait peut-être citer des instances – si vous le voyez, voudriez-vous lui suggérer qu’il m’écrive (de préférence à la machine). La grande chaleur, la difficulté de plus en plus grande de trouver des livres ici [biffure] m’obligeront de prendre du temps de mon bureau, de pour me concentrer sur le sujet des livres à trouver.
Et même alors, ça n’est pas facile de parcourir rapidement ces sortes [biffure] d’ouvrages.
Hier soir en rentrant de Berk Plage, où nous sommes allés chercher les 2 garçons de Monique, j’ai trouvé votre lettre – une seconde : en réponse re W. ST. et sa conférence sur le rôle de la poésie, même en science (philosophique s’entend). Je lui communiquerait [sic] vos réflexions – puis ce que vous dîtes sur l’état de santé de Germaine. Elle avait une terreur de ce déplacement, elle me l’a dit à ma première visite, je suis triste pour elle, pour vous aussi terriblement. Moi aussi j’ai parlé d’un séjour dans une maison de santé avec médecins et infirmières au bout de la sonnette. Elle secouait la tête énergiquement et ses yeux étaient remplis de larmes. Si vous plaindre pourrez [sic] servir à quelque chose je contribuerait [sic] [sic] ment à une amélioration.
J’ai écrit ce matin à mon amie anglaise pour l’Artane. Je vous ai dit que normalement on doit présenter une ordonnance d’un médecin américain pour l’avoir. Les règlements sont plus strictement enforcés [sic] depuis l’année dernière. Mais j’ai un ami pharmacien qui me donne l’Artane dans tout cela. C’est le pharmacien de l’hôtel Plaza où nous étions, où je suis encore, bons clients.
J’espère que St John est à N.Y., mon amie anglaise espère que mon pharmacien est là aussi. S’il y a retardement, ce ne sera pas de ma faute. Le mieux, le plus simple aurait été que je l’apporte avec moi en Juin, c’est plus difficile pour un autre que moi.
J’ai écrit à Jean Wahl à son adresse à Paris, il a répondu gentiment du petit village en S. et M. où il passe ses vacances, il me dit qu’il écrira à W. ST., son grand ami, et le grand poète qu’il admire. Que d’ennemis vous avez à cause de Jouhandeau ! Mais Jean Wahl est un passionné et je crois qu’il change de passion quand elle est épuisée.
Henri Pourrat a écrit de Vernet-la-Varenne, nous irons le voir le 25 Aout. Laure Lévêque et moi en voiture. Il paraît qu’il y a un hôtel confortable, modeste. Nous y passerons 2 nuits puis ce sera Genève et la Suisse pour quelques jours – puis Munich, la Bavière, la famille. Toujours avec Laure.
De retour à nouveau à Ville d’Avray vers le 12 Septembre pour rester jusqu’au 13 Octobre, jour de mon départ pour N. S. A. sur l’America. Mes chers amis toute mon amitié
Barbara.
Et je rêverai sur « l’approximation macroscopique » comme vous, comme le fera sûrement W. ST. Tout en déplorant qu’il y ait des mots si peu poétiques.XIX
XX - This conférence que le poète fait et nous invite à faire, au monde, of which Jean Paulhan speaks, is the essential value of poetry to-day. If the philosophy of the sciences is as inimical to that as it has been to the idea of God, then that particular philosophy will leave nothing for us, in the end, except itself. But if so, instead of merely having destroyed antagonistic concepts, it will have substituted its own concepts for others.
Is not the concept of final knowledge poetic?
Jean Paulhan isolates the philosophy of the sciences. The quantum theory to which he refers is not a thing to be assimilated offhand.
But I love his “approximations macroscopiques” and must think to use them together with Jean Wahl’s fausses reconnaissances.
Is not the idea of the hero an “approximation macroscopique?”
In any event, your friends are saints to have come to my help. Please tell Jean Paulhan how grateful I am for his doubts, which are invigorating. I hope this comes in time for you to tell him before you start on your trip. It made me happy the other day to find that Carnap1) said flatly that poetry and philosophy are one.
The philosophy of the sciences is not opposed to the poetry any more. The the [sic] philosophy of mathematics is opposed.
1) je ne sais, si c’est bien le nom que je ne connais pas et que je ne pouvais lire, peut-être vous le savez.
Obviously, the confiance au monde is only one among other possible ethereal confiances, the confiance aux sciences, of exemple. Adieu.
J’ai copié cette missive amusante ? il était content et stimulé évidemment par ce que vous avez dit. Je lui ai écrit en français ce que vous m’avez répond. W. ST. lit très bien le français. En fait sa bibliothèque contient autant, sinon plus d’ouvrages français, qu’anglais ou américains.
Autre bonne nouvelle, miss ST. John, mon amie anglaise a eu ma lettre juste avant son départ de New York et l’Artane a été envoyé. J’espère que vous l’aurez bientôt.
Moi-même je partirai après-demain pour Vernet-la-Varenne et je passerai avec Mme Lévêque le Dimanche 26 chez les Pourrat. J’ai eu une lettre de Henri Pourrat enthousiaste. Il semblait content de ma visite.
Comment allez-vous tous deux ?
Le mieux possible, j’espère.
Je vous embrasse et Laure Lévêque vous envoie ses amitiés. Il fait beau, le jardin a l’air d’un jardin de printemps, je me sens gaie et dispose à prendre le chemin d’Auvergne. Dommage que je n’ai pas pu m’arranger autrement. Pour vous – pour que vous auriez pu [sic] être avec nous.
Barbara.
Barbara Church à Jean Paulhan (24 décembre 1951) §
Nous avons grand froid, grand vent, je suis sortie ce matin pour faire plusieurs choses. J’en ai fait une seule et je suis rentrée au chaud en hâte.
Cependant je sors ce soir à l’opéra. Mais je mettrai mon manteau le plus chaud et Ernest, mon chauffeur américain est toujours à la porte tout comme mon Jean de Ville d’Avray, à la maison, au théâtre.
Non – je n’ai pas écrit de poème. Mais Noël approche et je pense beaucoup – sans insister d’ailleurs.
Je n’ai rien entendu de Jean Dubuffet, je n’ai pas répondu à sa lettre où il m’annonçait qu’il avait rompu avec vous. Je n’avais pas envie de répondre. Alors il est probablement brouillé avec moi maintenant. Mais qu’importe. Je suis tellement occupée que je n’aurais pas pu lui donner beaucoup de temps. Je vois déjà trop de monde.
Wallace Stevens m’a dit que l’Art Brut ne l’intéressait pas trop, il aimait mieux ses artistes à peu près normaux et en liberté. Je ne suis pas étonné que l’accueil a été brillant, il l’est toujours, c’est après qu’il faut montrer qu’on l’a mérité, on passe vite ici à d’autres divertissement [sic].
C’est bien d’avoir trouvé un traducteur pour les 3 vol. de Musil. Ce sera difficile. Il – Musil – m’a dit à Ville d’Avray : Quand je mets un und (et) j’ai une raison qu’il faut respecter. Et achevez de persuader Gallimard.
Je suis bien contente que l’artane soir arrivé. Vous aurez un autre envoi dans le courant du mois prochain. Je suis encore plus contente que ce médicament mystérieux, un peu effrayant, fasse du bien à Germaine.
Wallace Stevens a fait paraître un bouquin « L’ange nécessaire » - en prose cette fois – des essais, ses conférences ; sa dernière conférence où il parle des philosophes, des poètes, de Jean Paulhan, de Jean Wahl n’est pas dans ce volume. Je l’ai lu en manuscript [sic] avec grand plaisir, W. ST. est artiste, intelligent et mon très grand ami. Vous recevez « l’ange ».
Marianne Moore viendra ce matin (je continue ma lettre, commencée hier soir) pour déjeuner. Nous irons à une matinée ensemble pour entendre « Don Juan in Hell » de Shaw. J’aime être avec M. M., elle s’intéresse à tout, elle m’aime bien, elle aussi.
Allen Tate est professeur dans Université du Wisconsin. Il est heureux, il est devenu catholic [sic] fervent, sa femme aussi, avant lui, il sait enseigner, ses élèves l’adorent, il le leur rend.
Peut-être essayerai-je de traduire quelque chose – je pense souvent à nos réunions à Ville d’Avray, à Chatenay, nous discutions les traductions, nous cherchions le mot juste, souvent Germaine le trouvait. C’était l’époque heureuse de ma vie, pour Harry aussi. C’était lui le plus difficile et tellement content quant il trouvait le problème résolu.
Sancier m’a écrit et j’ai répondu. Je n’ai rendu aucun livre à personne – et je ne sais pas qui et comment quelqu’un a pu avoir le livre de Jouhandeau.
Oui j’aurais bien voulu voir – avec vous l’exposition des impressionnistes à Paris. Peut-être leur grand intérêt pour moi était leur intention d’éviter les règles de la perspective. Jamais je n’ai pu m’y intéresser, cela me semblait humiliant de penser à ces règles en peignant. Peut-être les Allemands ont-ils choisi justement les tableaux qui montrent clairement cette intention. Ce sont eux – les Allemands – les moins disciplinés entre tous. Les règles, ils les inventent, toujours des nouvelles, parce qu’au fond ils aiment les désordres (et je veux dire désordres au pluriel)
A New York au Musée de l’Art Moderne il y a une exposition de Henri Matisse. J’y suis allée plusieurs fois. Quel chercheur. Jamais 2 tableaux ne se ressemblent, il y en a de ravissants. C’est très bien arrangé dans des belles salles.
New York est comme tous les ans à cette époque un peu fou, trente grands arbres de Noël allumés tous les soirs jusqu’à minuit dans Park Avenue, les boutiques pleines de choses tentantes surtout pour (comme ils disent en language [sic] publicité [sic]) ceux qui ont tout (comme si cela était possible, même en « publicity »), les gens sont affairés et hier pendant la tempête de neige du soir qui arrêtait toute circulation en voiture, hommes et femmes luttaient, pataugeaient, semblaient ravis de l’aventure.
Moi je regardais tout cela de mon 9ème étage. Le soir pour aller à l’opéra en voiture, une affaire d’un quart d’heure, nous en avons mis presqu’une heure.
Je m’arrête de bavarder. Marianne Moore est à la porte. Je vous embrasse tous deux
L’artane, le 2 envoi, l’avez-vous reçu ? J’espère qu’il continue à vous faire du bien, ma chère, chère Germaine. Je pense beaucoup à vous.
Je demanderai à Jean Dubuffet et à sa femme de venir me voir chez moi mais peut-être pour dîner, j’ai déjeuné avec eux avant les fêtes à N.Y dans le restaurant de l’Hôtel Plaza. Puis les fêtes, un petit déplacement pour un long week-end, une petite attaque de la grippe nationale, m’ont empêché de faire plus – peut-être aussi mon enthousiasme refroidi, même au déjeuner déjà – j’ai dit à J. D. qu’il ne comprenait rien à Jean, à quoi elle et lui ont eu l’air obstrué, visage fermé, répondant que lui, J.D, connaissait J.P depuis fort longtemps, je n’aime pas du tout ces conversations sur le dos de mes amis. Il dit que Jean lui a donné du chagrin et j’ai ri, ironiquement, je crains.
Merci pour les jolis petits dessins sur votre lettre, peut-être penserez-vous Jean à m’envoyer une carte postale du village nègre.
Vous êtes en pleine Guinée dans le plus beau village nègre ; j’aurais bien voulu y aller avec vous, Jean. N’ayez aucune crainte que New York et les amis New Yorkais [sic] me feront jamais oublier Paris et les amis Parisiens.
Et surtout pas Vile d’Avray. Quand j’y arrive j’ai une sensation d’apaisement, la solitude pèse moins, je m’attarde dans la maison, dans le jardin, sans au fond penser à rien de précis, presque comblée d’être chez moi. Evidemment la voiture, les voyages me tentent à nouveau très vite.
Je crois ma façon de me partager entre New York et l’Europe la bonne formule, ma famille d’ici semble contente, ils me trouvent très courageuse. Je ne suis pas sure de mon courage. J’ai pris le bateau pour l’Europe 6 semaines après la mort de Harry. Nous avions pris en partant des billets de retour en France, pensant à un autre été sous nos arbres. Laure Lvêque est venue avec moi alors. Depuis c’est une habitude et qui me convient. J’aime parler, penser en français pédant une partie de l’année.
On me gâte, on croit que je suis une femme remarquable. Pour ne pas le croire moi aussi trop, il est bon d’aller en Europe, d’avoir le bénéfice du doute.
Peut-être avez-vous lu que Marianne Moore a eu 2 prix, le Bollinger, que Wallace Stevens a eu en 1949, et un autre – la récompense nationale du Livre – (The National Book Award), donné chaque année pour : Fiction – Non Fiction – Poetry. Elle se fait interviewer, parle à la Radio, on la photographie, et quand elle n’en peut plus, je la sors de son appartement, de son milieu. Je vais au théâtre avec elle, elle dîne chez moi avec des gens, pas le moins du monde littéraires au point de vue professionnel, des admirateurs modestes. Nous sommes grandes amies. J’aime bien, et ce qu’elle écrit et sa personne. Peut-être se laissera-t-elle persuader à venir en France cet été, elle aura envie.
Monique m’a donné votre dernier livre « Petite préface à toute critique ». Toutes deux nous l’avons lu – avec plaisir, avec étonnement, étonnement heureux, c’est que c’est frais, c’est consolant et naturellement très bien écrit.
Je l’ai envoyé, le petit livre, à Wallace Stevens qui l’a lu à fond, il s’en est commandé une copie de Paris, il m’a promis une longue lettre, que je vous traduirai. Henri Pourrat m’a envoyé « Le Trésor des Contes ». Nous en avons parlé cet été avec lui en Auvergne. Je ne l’ai pas encore lu, il me semble au premier Tour [ ?] – régionale [sic], il est devenu le prophète de l’Auvergne. Il est si sympathique, il nous aime beaucoup. Quand il parle des montagnes, des sapins, du ciel, je le suis avec enthousiasme. Les contes m’emballent moins – mais en les lisant, je changerai d’avis peut-être.
Il fait très très froid depuis quelques jours. Mais nos maisons d’ici sont surchauffées – généralement je n’ouvre pas les radiateurs – aujourd’hui tout est ouvert, mon amie anglaise qui s’appelle Margaret ST. John a toujours froid, elle a passé la journée avec moi et c’était là un bon prétexte la chaleur pour elle il faut avouer que moi aussi je trouvais très agréable cette température 72° Fahrenheit (24° Celsius). Dehors il fait – 10°C.
Mais le ciel est bleu et le soleil sans rancune. Les jours sont plus longs, on pense au printemps quand même. Je vous embrasse tous deux bien affectueusement.
J'ai souvent songé à vous en Guinée, mais le moyen de vous l’écrire ? Tout le jour, nous étions en voyage, Pilotaz et moi ; et plus tard sur un cargo trop agité, où d’aller seulement prendre le repas posait des problèmes. Savez-vous que sous les Tropiques on ne voit jamais le soleil (et le caméléon que j’ai rapporté est tout étonné de cette boule, et devient nostalgique). Mais rien qu’un ciel brumeux, gris, pétillant de brumes. A côté de la Guinée, Madagascar me semble brusquement très oriental, à demi-malais, à demi-chinois. Nous avons voyagé chez les Foulas entre Egyptiens et Ethiopiens, à qui l’on a laissé leurs villages d’esclaves (longs, dédaigneux, un peu sombres) puis chez les malinkés de la forêt à qui l’on a laissé leurs sacrifices humains (Rassurez-vous, ils ne sacrifient jamais que des enfants, en général des petites filles, et ne les mangent pas en entier : seulement le foie et le cœur.) Et bien, je ne me fatiguais pas de voir des singes (surtout des cynocéphales, peu sympathiques) – et des rats palmistes (c’est une sorte d’écureuil, à poils de porc-épic). Je ne me fatiguais pas de voir des noirs (les jeunes filles surtout, très merveilleuses) très honteux de ne pas leur rendre ce plaisir : si seulement j’avais trois jambes, ou un œil au milieu du front !
N'y pensons plus. De retour à Paris (par un très lent voyage en cargo, qui m’a laissé voir Dakar, Casablanca, Oran, Alger) j’ai été accueilli par une petite montagne d’injures. C'est que j’ai écrit une petite « lettre aux directeurs de la Résistance » où je me plains – trop violemment, me dit-on – que la Résistance en devenant politique ait laissé corrompre sa première pureté, sa mystique. L'Epuration a été, et continue à être, d’une injustice immonde. Voilà qui n’a pas été du goût de tous les gens. Mais me voici rentré, et je me défendrai.
J'ai eu des lecteurs de qualité : M. Vincent Auriol m’a écrit une lettre de quatre pages (il n’est pas de mon avis) ; mais le Pape m’a fait savoir que j’avais raison et que je n’avais qu’à continuer. Dois-je vous envoyer la petite plaquette ? Plutôt, je vous la donnerai, quand vous serez de retour. Il ne faut pas envoyer aux Etat-Unis les livres où l’on dit du mal de la France. Mais je crois que cous serez de mon avis. Et à bientôt Barbara. Tout deux, nous embrassons bien fort
jean
Cette fois, le colis d’artane n’est pas arrivé, j’ai grand peur qu’il ne se soit égaré.
J 'ai été bien content des prix de Marianne Moore.
Il est fortement question de reprendre en Juin la nrf. (Mais n’en parlez à personne, c’est un secret.)
Moi aussi, bien sûr je vous trouve très courageuse. Et je vous embrasse
J
Il fait tiède, une sorte de printemps très rapide, un peu inquiétant.
Il est 11h20, et, disent les gens compétents, le moment de l’entrée du printemps. C’est vrai aussi pour les autres, il fait tiède dehors et dedans, un ciel sans nuages qui semble promettre avec assurance que l’hiver est parti.
Assez curieux que dans la Guinée, le soleil semble absent, je me rappelle cependant les journées grises d’Assouan étonnantes, un peu effrayantes.
Oui, j’aurais voulu voir une lettre de là-bas de vous, encore plus j’aurais voulu faire ce même voyage avec vous. Qui est Pilotaz ? Devrais-je le connaître ? Et je verrai le caméléon en Juin, s’il a survécu sa nostalgie. Vous me direz aussi de longues histoires, n’est-ce pas sur les Foules, les singes, les rats palmistes, les jeunes filles noires et merveilleuses, tall tales comme nous disons ici.
Et je suis si contente que vous avez vu tout cela et il ne faut pas dire « n’y pensons plus », au contraire, pensons-y et rêvons. C’est un bon exercise [sic] en tout temps, mais surtout quand le quotidien, l’ennuyeux pèsent. J’en use – peut-être j’en abuse.
Merci de m’avoir envoyé la « Lettre aux Directeurs de la Résistance ». Je l’ai lu [sic] d’un trait, debout, en train de sortir quand le courrier est arrivé. Monique Polgar a fait la même chose chez moi et, dit-elle : « Comme il sait dire les choses simplement, magnifiquement. Politiquement je ne suis pas toujours d’accord, moralement si, et il m’aplatit. » Je cite et il faut ajouter qu’elle est en N. S. A. pour faire voir aux citoyens américains la France sous son plus bel aspect.
Merci de me l’avoir envoyé, merci pour la dédicace.
Et je suis de votre avis, défendez-vous bien…
Je regrette que l’artane ne soit pas arrivé. Mon pharmacien m’a montré le reçu de la Poste (Air Mail), l’avion est parti et revenu, c’est peut-être la Douane française qui ne veut pas le rendre. Ou bien il viendra, ce coli, avec retard sans explication.
En tout cas j’en ai fait faire un autre envoi et quand je viendrai j’apporterai moi-même le double. Je pense qu’il n’y ait [sic] pas d’inconvénient à le garder.
Et j’espère, comme toujours, que Germaine trouve du soulagement, je pense si souvent à elle avec amitié, avec compassion, avec un immense désir de faire quelque chose pour elle.
J’attends mes invités – que vous connaissez tous, plus ou moins, j’aimerai [sic] tant vous attendre aussi. Marianne Moore – Wallace Stevens – les 2 Sweeney – les 2 Dubuffet – la comtesse Nelly de Vogüé (la connaissez-vous ? Elle est ici pour trouver des gens qui s’intéressent ou s’intéresseraient à sa nouvelle revue « Revue Libre ». Je l’ai vu [sic] chez moi, elle est charmante de sa personne. Je ne crois pas que je m’intéresse tant à sa revue.)
Nous aurons un très bon déjeuner – Suzanne est une artiste – nous boirons du vin rosé d’Anjou et nous parlerons de « poetry », de la dernière exposition de J. D. chez Pierre Matisse, réussie à beaucoup de points de vue et nous regarderons, nous écouterons la Comtesse. Cela vaut la peine, elle est jolie, elle parle bien et l’anglais et le français. Savez-vous que J. D. fait une conférence à Chicago, en anglais, qu’il a écrit [sic] lui-même, et bien, la préface en anglais de son catalogue ?
Je ne connaissais pas la Comtesse de Paris, c’est Wallace Stevens qui m’a demandé de la voir, d’être « courtoise » à sa place à New York. Un ami lui avait recommandé un ami qui se trouvait à Paris pour quelques mois.
Bien des choses aimables, affectueuses à tous deux
Mes malles sont presque faites. Naturellement il y a encore mille choses à faire, un tas de gens à voir. Je suis sûre d’oublier quelque chose d’importante, d’avoir négligé quelqu’un qui méritait mieux.
Mais peut-être vous connaissez cet état qu’on appelle « Reisefieber » en allemand. Il pleut depuis ce matin sans arrêt, excellente excuse pour ne pas sortir, pour mettre de l’ordre, un peu, dans mon esprit et autour de moi.
J’apporterai de l’artane. Mon ami pharmacien m’a dit que l’envoi que nous croyions perdu est revenu avec la mention qu’il n’y avait personne à l’adresse indiquée ; il l’a expédié à nouveau.
J’espère que vous allez bien tous deux, aussi bien que possible. J’ai grande envie de vous voir. On m’écrit que Ville d’Avray est ravissant, le jardin beau, la maison fraichement peinte, dehors, dedans. J’y pense beaucoup, à mon arrivée.
Laure Lévêque viendra me chercher au Hâvre [sic] avec jean, nous déjeunerons à Rouen et nous serons chez moi, - mon chez-moi français – Jeudi le 5 Juin vers le soir.
Wallace Stevens a lu avec intérêt votre lettre, il m’en a parlé longuement dans une lettre et [?] il m’a envoyé une coupure de « Illustrated Supplement » ?, une petite photo de Paul Pilotaz et de vous à Gayah [ ?] ; on y dit – Jean Paulhan auteur d’une bombe à retardement dont on n’a pas fini de parler.
Je vous l’apporterai.
L’hiver a passé rapidement, il me semble, j’ai fait comme toujours rien pour moi beaucoup pour les autres et encore – mais je sors, je m’agite, je m’amuse même, surtout quand je me sens seule et quand au fond je voudrais l’être. Comprenez-vous ?
J’aimerais bien trouver un mot de vous à Ville d’Avray en arrivant – j’aimerai vous voir, vous parler.
Avez-vous vu l’exposition du festival Parisien, organisé par J. J. Sweeney ? Ils viennent de rentrer enchantés du printemps de Paris, de tout.
Ils vont repartir tout aussitôt pour l’Irelande [sic] où Mme Sweeney a acheté un vieux manoir pour y passer des vraies vacances en été avec sa famille. C’est sur une petite Isle [sic], tout est simple, facile, pas de distraction possible. Tout ceci a été dit au téléfone [sic] hier matin. Demain j’irai chez eux pour passer la soirée et on en reparlera.
Bien des amitiés à tous deux
Affectueusement Barbara
Barbara Church à Jean Paulhan (22 septembre 1952) §
Un beau voyage. Nous faisons un beau voyage – il est presqu’à sa fin – Lyon – Turin – Vérone – Florence – Rome – Sienne – Rapallo – aujourd’hui la frontière et Nice. Demain La Perne [ ?] chez ma Suzanne puis Lyon à nouveau et Ville d’Avray. Nous avons visité naturellement églises, musées, revisité – j’ai si souvent fait des grandes randonnées avec Harry ? un gros chagrin hier « Le Campo Santo » à Pise un de mes plus beaux souvenirs par son calme, sa [ ?] est un chantier de reconstruction. Une bombe à incendie l’a presque démoli. Avez-vous entendu parler des peintures étrusques dans la nécropole de Tarquinia – elles sont merveilleuses – à San Giminiano [sic] – hier j’ai acheté des poteries bon marché, très jolies, c’était Dimanche et tous les San Giminiais étaient sur la place du Dôme pour nous regarder, interrompant leurs discussions, leurs jeux.
Je serai à V. d’A. le 27 Sept. Pour assister au banquet des jardiniers. I y aura comme tous les ans une exposition des fleurs dans mon village et Henry, mon jardinier, est comme tous les ans un des premiers exposants.
J’espère vous voir dès ma rentrée. Mon départ pour N. Y. est tout proche le 10 Octobre.
Bien des amitiés à tous deux
Barbara
Le ciel, le soleil nous [sont ?] cléments. La voiture a bien marché et Jean a conduit de main de maître sur l’échine. Marthe Ternand est un guide intelligent, habile.
L’Artane est parti, j’espère que vous l’aurez bientôt et je serai contente d’avoir un mot de vous (je le suis toujours) sur son arrivée.
J’ai passé les 48 heures usuelles d’ahurissement en arrivant dans la grande ville extraordinaire, contradictoire à tous points de vue, obsédante – la ville tentaculaire de Verhaeren.
La traversée fut bonne sur ce nouveau bateau qui ne vibre pas, qui ne roule presque pas, qui va à une vitesse imposante étonnante, mais il faut regarder la mer du pont en haut pour s’en rendre compte.
Le temps est merveilleux, ce prodigieux temps d’automne qu’on ne voit qu’en Amérique. Nous n’avons pas de printemps ici, ou presque pas.
L’appartement fut tout ordonné, propre, gai, plein de fleurs, un tas de lettres, sur ma table, des visites toute la journée et hélas des coups de téléphone sans interruption. Il fait bon d’être dans mon chez moi new yorkais, je pense quand-même à l’autre, à Paris, à ville d’Avray.
J’étais déjà à un conseil d’administration de Church & Dwight en ma qualité de Directors (un des 12), je suis allé à Radio-City, je suis allée au Musée Métropolitain pour voir de l’art oriental au Musée de l’Art Moderne pour voir les Fauves (français) et naturellement à Greenwood (le cimetierre [sic])
Wallace Stevens m’a écrit très gentiment, Marianne Moore téléphone souvent et viendra dîner après-demain. Je m’agite, je fais un tas de choses, parfois c’est fatiguant, mais c’est probablement ce qu’il me faut, il reste peu de temps pour penser, pour me sentir seule.
Ecrivez-moi, j’aime vos lettres, vous me ferez un petit tableau de Paris,
de ce que vous faites, des nouvelles de Germaine, de vous.
Merci de m’avoir écrit si gentiment. J’ai fait lire à Marianne Moore ce que vous avez dit sur elle, elle rougissait de plaisir. Je l’aime beaucoup, comme poète, comme individu, comme amie, elle a une façon de m’apprécier tout en me critiquant (sans aucune méchanceté) qui me va droit au cœur.
Je suis contente que l’Artane soit arrivée, que Germaine continue à lire, à ête courageuse, même si elle a des accès de dépression – nous les avons tous, ces accès.
Soyez gentil et envoyez moi le premier numéro de la N.R.F. tous de suite et tous les autres après.
Moi aussi je regretterai les cahiers, le dernier je l’ai lu d’un bout à l’autre, il est sur le piano et tous mes amis le feuillettent, me posent des questions, semblent intéressés et impressionnés. Il fait très bien déjà d’aspect.
Et le contenu est fin, distingué, sans peur. La N.R.F aura plus de peine à obtenir le même résultat.
J’aime beaucoup Apollinaire – Kafka, un peu moins Jouhandeau et le Léon Brillouin aurait été lu par Harry et je l’aurait [sic] lu sous son instigation. Et Amélie et Germaine – Amelie distraite et gaie et Germaine qui est parvenue à faire perdre son sang-froid à B.C. – m’ont amusée, charmée, apaisée.
Oui j’ai vu « limelight » et Charlot, qui s’appelle maintenant Charles, deux grandes salles le donnent avec salle comble, il m’a plu surtout quand il fait le clown, les [ ?] et le violon avec Buster Keaton au piano. Curieux qu’il trouve toujours une partenaire assez semblable à la précédente. On a trouvé le film long ici, mais il a beaucoup à dire, il donne l’impression de revenir encore et encore sur le même sujet. Evidemment le film muet lui a été plus favorable.
Cet après-midi je suis allée avec les enfants de Monique pour vois Hans Christian Anderson avec Danny Kaye. Très sentimental, très joli technicolor et tout et tout, quand même touchant et bien fait, des chants, des contes de fée.
Naturellement je vais à l’Opéra tous les vendredi soir, hier c’était Lohengrin long, clinquant – mais à l’extrême et comme chaque fois je marche et je rentre fatiguée et contente. Voix et orchestre épatants.
Mais le plus beau des spectacles en ce moment est Electra (Sophocle) jouée par des auteurs grecs en grec moderne, l’actrice Paxinon est admirable le principal acteur cependant est le chœur – dans Electra 20 femmes, grandes, belles, minces qui parlent, se meuvent en parfaite
harmonie ; naturellement je n’ai pas compris, mais tous et toutes mimaient parfaitement les jeux et même les oreilles étaient satisfaits. C’est une compagnie d’Athènes qui est venue pour 15 jours, ils ont prolongé leur engagement pour encore 15 jours.
Et puis nous avons les Barrault – J’ai déjà vu « Occupes-toi [sic] d’Amélie » et je verrai encore « Amphytrion » et « Les fausses confidences ». Eux aussi ont eu un succès fou. J’étais bien amusée de voir cette pièce du Palais Royal et de voir un public très élégant, plutôt bourgeois. A New York « La Cocotte » ce côté de nos mœurs corrompus[sic] est plus qu’escamoté et ce public riait, applaudissait avec entrain, évidemment c’était en français, il leur faut pardonner beaucoup, même quand ils sont antiaméricains comme maintenant.
Eisenhower est venu de Corée et la presse d’ici tout en sachant n’a rien laissé percer du secret, il y avait même une sorte de [ ?] comme s’il avait été chez lui, des communications sur les futurs membres du gouvernement. Il paraît qu’il aime l’harmonica, Truman peut emporter son piano à Ludependance.
Je bavarde – trop – mais j’ai confiance et votre lettre m’a fait grand bien, merci à tous deux mon amitié et mon affection
Barbara.
Je vous ai fait envoyer des livres que Marianne Moore m’a conseillé de nous pour vous. Dites moi s’ils sont arrivés et si l’anglais vous ennuie.
Il y a longtemps que nous ne sommes pas écrit – j’espère que tout va bien, que vous n’avez pas eu la grippe ou autre chose. Pour nous ici l’hiver n’a pas été trop méchant, nous avons ignoré la grippe aujourd’hui il fait beau il fait printemps assez frais, mais je préfère cela.
Je viens d’essayer – c.a.d déjà en Janvier – 24 Artanes c’est le double de la quantité habituelle, j’apporterai avec moi la même quantité pour éviter du retard et je souhaite de toutes mes forces que nous faisons [sic] bien. Mon ami pharmacien me dit « sure sure my mother has lived on it for several years now. »
J.J Sweeney est directeur du Musée Guggenheim, collection splendide, il a un bureau imposant dans un bel immeuble de la 5e avenue, en face du Park. Il a commencé par enlever tous les cadres des tableaux, à enlever tous* les meubles, à peindre les murs en blanc et maintenant ni l’œil ni l’imagination ne sont bridés, la composition la couleur comptent seuls et c’est très bien.
Picasso, Modigliani, Klee, Feiminger, Delaunay, Kandinsky, Leger, un tas d’autres et ce n’est qu’une sélection, d’autres suivront en attendant le nouveau musée où tout pourrait être montré. C’est une fortune de collection et c’est un grand succès, justifié !
Ce soir Laure Lévêque viendra dîner, puis nous irons voir Carmen dans un nouveau décor à l’opéra, je dis nouveau, mais le grand directeur Bères [ ?] a fait les décors et les costumes comme ils étaient à la Première, la Toute Première, c’est charmant, les chanteurs sont à la hauteur, l’orchestre aussi – un fait saillant : les femmes s’intéressent à l’opéra à nouveau. Les mieux habitués sont contents et attendris.
J’ai vu Marianne Moore souvent, hier par Ex, et avant-hier, je lui ai dit ce que vous avez écrit sur elle et elle était rosie. Wallace Stevens aussi était à New York hier, il est sortie [sic] de son refuge d’hiver, il est gai et enthousiaste, rit d’un grand rire en se jetant en arrière – puis me demande : « - est-ce qu’on voit ma couronne en or ? » Et je ne sais s’il veut ou non qu’on la voie.
On va publier de lui – en Angleterre cette fois- un nouveau volume de ses vers. C’était bon de le vois, il m’a parlé longtemps de Harry, de leurs conversations.
Il a regardé chez moi la nouvelle Nouvelle Revue Française, se disait content de l’aspect bien [ ?] – pourrons nous lui faire avoir un abonnement.
Wallace Stevens
C/O Hartford and Indemnity (a Hartford Com. USA)
Et je règlerai quand nous nous verrons ce qui arrivera vite maintenant.
Maintenant faut-il vous expliquer la carte et sa signification ? Avez-vous entendu parler de St Valentine ? C’est le patron des amoureux malheureux (dit l’Encyclopédie) Ils s’envoient des cartes le 14 février et on les appelles Valentines, ces cartes ou leurs parodies. Nous faisons de cela une grande industrie comme Henri Heine qui faisait de ses grandes peines des petites chansons, nous faisons ici de nos petites plaisanteries une grande industrie.
La nrf a bien dû vous arriver ; On m’avait interrogé, j’avais dit : « si elle reparaît, on s’en apercevra après vingt ans ». Vraiment je n’ai pas le sens des choses, pas du tout. Il y a eu grand vacarme. Nous avons été de tous côtés ou engueulés. Mauriac en a fait étrangement une affaire personnelle. Dans la dernière Table ronde il s’en prend jusqu’à Gaston G. qu’il traite de perfide requin ; Moi, je suis le poisson-pilote qui avertit le requin des dangers. Quant à Arland, c’est un malheureux matelot passé à l’ancienneté quartier-maître. Et la nrf, une vieille dame, tondue à la libération, dont les cheveux ont mis huit ans à repousser. Le tout, affreusement sordide. Que répondre ? Rien.
(Ce n’est pas que Mauriac soit tellement marin que ça. C'est simplement qu’il vient de lire Le vieil homme et la mer. Hemingway fait en ce moment grand bruit de nos côtés.)
Chère Barbara, évidemment, vous n’y pouvez pas grand chose. Mais si vous étiez ici, on se sentirait un peu protégé. Enfin on aime vous avoir près de nous.
Je voudrais bien pouvoir donner bientôt des traductions de Marianne Moore (il me semble qu’Edith Boissonnas s’en tirerait très bien) et de Wallace Stevens (lui, il me semble, bien plus difficile à traduire.) Mais je vous en reparlerai. Henry Miller est ici : il a pris quelque chose de très chauve et d’infortuné qui est assez émouvant. Qu'est devenue Anaïs Nin ? Evanouie.
Les nouvelles Artanes sont bien arrivées. Grand merci ! Il me semble que leur bienfait persiste. Mais la grippe, qui nous a tous plus ou moins frappés a donné à Germaine une grande faiblesse, dont elle ne se remet que lentement. Une infirmière vient à présent passer avec elle la moitié des journées. Elle, s’applique à tenir bon, ne cède pas à la maladie, refuse de rester couchée quand elle en aurait tant envie. Il m’arrive d’être bouleversé aux larme de son courage.
(moi, je souffre toujours de la même sciatique ridicule, à quoi s’ajoutent les rayons X qui en principe devraient la guérir. Il arrive que la sciatique m’oublie un peu. Mais les rayons eux, ne m’oublient pas du tout. Il me donnent leur douleur particulière, qui est très reconnaissable. Tout cela passera.)
A part ça, nous avons une exposition splendide du Cubisme. (Mais vous arriverez à temps pour la voir.) On joue aussi une pièce assez saisissante d’un ami de Joyce, Beckett. Je travaille à achever ma « Peinture moderne ». Je vais voir Braque de temps en temps : le Louvre lui a commandé un plafond. Il fera quelque chose d’assez extraordinaire. Si vous voulez bien, nous irons un jour le voir travailler sur place. Bonsoir, Barbara. Nous songeons à vous avec grande et forte affection.
Jean
Fred et Jacqueline vous envoient leurs vives amitiés. Leur fils (Jean) est très extraordinaire. On peut le laisser seul des jours entiers sans qu’il proteste. C'est seulement quand ses parents rentrent qu’il leur fait des reproches et se met à hurler.
J'ai les 2 numéros de la Nouvelle Nouvelle Revue Française j’espère les avoir tous, j’attends l enuméro de mars. Wallace Stevens les a eu aussi. Il en est content et va m’écrire en détails quand il les aura lu. Marianne Moore aussi voudrait les avoir – voulez-vous lui prendre un abonnement pour un an (naturellement commençant avec le n°1).
Voici son adresse
260 Cumberland Street
Brooklyn
New York
U.S.A
Le plus vite s.v.p
Et moi je reglerai le tout en mai – je serai au Havre le 2 mai, j’arriverai sur la Mauritania – cette fois un bateau de la [?] dont tous disent du bien.
On verra.
Je pense beaucoup à Ville d’Avray, à mes arbres, à mon jardin en Mai. Je ne les ai pas vu [sic] depuis 1939, je suis toujours arrivée depuis 1946 en Juin.
Et naturellement je verrai Paris en pleine activité, je vous verrai – nous pourrions parler nouvelle NRF, un tas d’autres choses, sur nous, sur tout. J'y pense beaucoup avec plaisir, avec anticipation comme nous disons ici, je suis peut-être plus heureuse que jamais de revoir mon chez moi français en mai. Il faut nous efforcer de nous voir beaucoup, à Paris, à Ville d’Avray – peut-être pourrions nous avoir une reedition (une petite) de nos réunions Mesures. Je sais que vous avez souvent demandé cela sans insister – vous n’insistez jamais – mais j’avais un peu peur de l’effort, de moi, maintenant que la maison est en ordre (grâce à Jean Bouygues), un tas d’autres raisons, le mois de mai, la nouvelle N.R.F. Avec tous les noms familiers, sympathiques – j’ai presque tout lu – je ne veux pas vous ennuyer avec un commentaire, vous en avez déjà trop de ces commentaires, des violents [sic] approbations, des non moins (peut-être plus) violents engueulades. Je vous aime bien en poisson pilote- je vois moins G.G en requin, encore moins M.A en malheureux matelot.
Mais tout cela est dans cette atmosphère de littérature, « du geste gratuit », du temps bienheureux, ou les discussions
Je viendrai vous voir en Mai, j’arriverai à Ville d’Avray le 1er Mai. Je vous apporterai 24 petits flacons d’Artane.
Soyez indulgente, comme vous savez l’être.
J'aimerais tant vous distraire, vous amuser un peu – peut-être le pourrais-je, j’essayerai – et voici :
Europe-France-Conditionel
Nous allons voyager
Voir du pays
Pourquoi? Tout va trop vite
Tout es connu
On devrait pouvoir laisser à la consigne
Le vieux moi
Mais cela aussi est conditionel
Et plein d’embûches.
L'Europe est l’achèvement
Elle le croit,
Les autres la suivent.
La raison, la mesure
Evidemment
Sont ses vertus.
Les deux continents
S'attirent, se fuient
A l’Ouest est U.S.A
Le mire, l’envie, le point d’attaque
Les rêves d’Europe
Sont quotidiens
Deviennent faillite, déceptions
Alors.
Les rêveurs perdent joie
Et n’aiment plus leurs rêves.
Et cependant – et cependant -
Le ciel est beau
La ville est formidable
Et quant au Luxe
Il est à tout le monde.
- Le nouveau est trop nouveau,
Le vieux se vend très cher
Tout passe – trop vite.
Nous allons voyager
Voir du pays.
Cet hiver a passé lui aussi, on s’en est aperçu à peine ici, presque pas de neige et je n’ai pas eu la grippe. Je me suis beaucoup agité [sic] comme toujours, je sors, je reçois, je me fatigue, quelquefois je trouve un moment de paix, comme Jeudi dernier. Wallace Stevens, Marianne Moore, les J.J Sweeney ont déjeuné avec moi dans le restaurant « Chambord » un des mieux – plus chers aussi – de N.Y. C'est français naturellement, ils ont une bonne cave. Nous étions tous les cinq gais, bavards, nous nous sentions tous intelligents peut-être même, nous l’étions. Après nous allions au Musée Guggenheim, ou J.J Sweeney est directeur depuis l’hiver dernier, nous avons regardé cette magnifique collection, bien présentée comme toujours et nous avons fini par des cocktails chez les Sweeney dans leur appartement. Wallace Stevens voulait prendre un train à 6h pour rentrer à Hartford, il est resté jusqu’à 8h.
Et Marianne Moore parlait, parlait, disait des choses pleine d’esprit.
Et le 31 Mars je vais à Washington en voiture avec Ruth Mae Willy, nous regarderons en route tous les signes du printemps qui est arrivé depuis une semaine exacte à la date. A Washington, nous verrons la fille de Ruth, Willy avec son mari français. Nous nous entendons tous, ce sera gentil. Je serai de retour le 3 avril pour aller au cimetierre le 4. Cela fera 6 ans que je suis seule. Evidemment j’ai mes amis et une famille charmante, il faut être reconnaissante toujours.
Je n’aime pas du tout le Henry Miller dans le numéro 3. Il est lourd, bavard, il exagère. Je sais bien qu’avec l’âge les défauts s’exagèrent, - mais qu’il est loin de « Via Dieppe-Newhaven » de Mesures. Il doit le savoir, c’est pourquoi il insiste tant. Et vous êtes bien trop fin pour ne pas vous en apercevoir. Je comprends mieux ce que vous m’avez dit dans une autre lettre : « La N.R.F. Va reparaitre [sic], je regrette « les Pléiades » qui se rapprochaient le plus, me semble-t-il de Mesures » Julien Benda, que je ne lis pas souvent, du coup paraît moins froid, moins pédant.
J'ai lu très attentivement (je lis tout de [?] très attentivement) le prologue du 1er numéro, j’étais si contente, aussi de votre introduction à Vaillanti; c’est toujours nouveau, inattendu, c’est très bien. Amers est un beau poème, le jeune homme de Domenach ravissant N°1, N°2 et 3 – vous voyez que la Nouvelle Nouvelle me donne du tracas – agréable souvent.
Vous avez du avoir un monceau de lettres, sans compter ce que disent revues et journaux – celle-ci est de plus - pardon.
Je n’aime pas critiquer et probablement je le fais mal comme tout ce qu’on n’aime pas faire.
Ce soir j’irai voir Tristan et Isolde pour la nième fois – mais ce sera bien chanté, bien joué, avec le meilleur orchestre du monde et comme toujours je ne resisterai qu’au début.
Le printemps est arrivé avec violence, il fait trop chaud tout d’un coup du vent à je ne sais combien de Miles à l’heure et une pluie torrentielle trempe la terre et fait pousser herbes et fleurs. J'aime surtout les arbres qui deviennent violets et noirs, tout mouillés, plein de sève, presque nus encore.
Etes-vous comme moi et trouvez-vous les heures, les jours, semaines et mois bien plus courts depuis quelques temps? Cela prouve paraît-il qu’on ne s’ennuie pas – moi j’aimerais mieux m’ennuyer un peu. Ça peut-être très doux – Harry et moi avions une bonne technique pour nous arranger ce plaisir parfois, nous en faisions un jeu, même en Amérique.
Merci de m’avoir écrit si gentiment, d’autres ont écrit aussi, louant la fête et l’hotesse [sic], c’est agréable, on aime toujours être approuvé. Wallace Stevens m’a dit un jour : dès qu’il s’agit de moi ou e mes vers je peux toujours lire et comprendre n’importe quelle langue.
Vous allez en Savoie – Moi j’irai à Munich le 25 Juin pour 15 jours, j’irai avec vous, vous et Germaine, dès mon retour.
Il fait beau cet été, la température et le ciel m’influencent beaucoup je devrais être contente – mais les journaux et leurs nouvelles sont contre moi.
- The world is out of joint. Hamlet aide et ses citations viennent toutes seules.
Nous sortirons ce soir pour voir Pierre et les enfants, j’aime être avec eux.
Je suis très contente d’avoir parlé avec Edith Boissenas, j’espère avoir fait bonne impression, moi aussi, je voudrais la voir, la connaître un peu mieux.
Je serai de retour le 8 Juillet pour repartir le 16 à Dublin pour faire ce congress des critiques d’Art tout le mois d’Août et jusqu’au 11 Sept., quand je m’embarquerai pour New York, je serai à V D AXXVI qui me paraît bien mieux encore depuis que vous êtes tous venus.
Bien affectueusement
Barbara.
J'aimerai [sic] avoir un déjeuner chez moi avant mon départ avec des amis – comme au temps de Mesures – nous en parlerons et vous m’aiderez, n’est-ce pas?
J'ai aussitôt averti Jean Tardieu, Michaux et Schloezer.
Moi, j’ai bien des choses à vous demander. (Pardonnez-moi, j’ai peur d’être insupportable. Mais, sitôt votre carte reçue je m’étais rendu libre pour le 15. Pour le 5, c’est plus difficile.
a) J'avais promis à Fred et à Jacqueline de les emmener déjeuner. Peut être voudriez-vous bien les inviter avec moi (vous les connaissez tous deux.)
b) Ni Edith B. ni Dominique A. ne sont à Paris.
Peut-être voudriez-vous bien inviter, en place d’elles, Paule Billon ? C'est une gentille jeune romancière, qui est aussi un des grands libraires de Paris. (Notre Temps). Je serais heureux que vous la connaissiez. – et aussi (raison égoïste) : elle m’emmènerait – dans son auto. Parce que j’ai beaucoup de peine à marcher ces jours-ci (ma sciatique) et je ne vois pas trop comment je pourrais arriver à Ville d’Avray par mes propres moyens. (C'est vrai que je devrais avoir une auto à moi. Je le laisse entendre de temps en temps à Gaston Gallimard.) Pardonnez-moi. Voudriez-vous bien me faire donnez un coup de téléphone ? Je vous embrasse.
Jean
Barbara Church à Jean Paulhan (3 septembre 1953) §
Gentiment vous m’avez demander [sic] de vous envoyer ces confessions (c’est trop dire) ces [?] (peut-être) – quel mot ! Enfin les voici et ils sont pour vous et Germaine seuls.
Sincèrement à vous (sincerly yours, comme signe toujours Wallace Stevens)
Barbara
Le 3 septembre 1953
Pitié
J'ai pitié de tout
De moi d’abord
La souffrance est notre lot
Bien sure.
Mais je ne suis pas patiente
Du tout.
Je suis paresseuse
Avide de vivre
Je suis pleine d’énergie
Aux heures de bonheur
Je cours aux autres
D'un grand élan
Puis je retombe
Ils sont pauvres
Ne donnent rien
Ils sont malades
Et je hais les tares
Les cicatrices
Que chacun porte.
La perfection non plus
N'est mon désir -
Je suis troublée -
J'ai pitié.
Vous m’avez demandé un jour si j’avais assez lu Heine et Brecht, évidemment je l’ai fait, en ce moment je lis beaucoup Goethe ) je suis assez adulte – comme pour lire la Bible, Shakespeare, Montaigne ) Harry disait qu’il fallait avoir 60 ans pour être digne.
19 septembre 1953
Lieu commun
Pas si commun - -
Un jour, un homme, une femme
Exprime sans ambages
Une vérité, dite première.
Elle sort, toute nue,
Elle tombe si triste
que personne ne doute
Et tout le monde répète,
Etonné, ravi.
A la naissance
C'est merveilleux
Plein de promesses
C'est beau
Ça s’applique comme le gant
aux difficultés.
–
Puis le quotidien
La re-pe-ti-tion
Font un lieu commun
Qui bannit la pensée,
La parole n’a plus son sens
La phrase est du perroquet
- Pardon, mon bel oiseau -
Il reste à peine le son.
Et la morale :
Parles – mon bon homme
Peut-être un beau jour
Tu feras à ton tour
Un merveilleux
Lieu commun.
31 Août 1953
Regrets
Il fait si beau
Le matin,
Je sors de la nuit
« Je vous salue, Soleil »
Je suis heureuse , - -
Je souffre -
L'été est à sa fin.
Le temps s’use
S'effiloche
Chaque jour.
On n’oublie pas.
Le corps fragile
Toujours en éveil
Vite met le frein.
L'esprit, le saint esprit
Est chose divine,
Le corps est Terre
Et lourd et triste
comme elle.
L'esprit lui est la flamme
Comme le soleil
Qui fait briller la Terre
La chair répond
s’élève, rit, touche la cime -
L'extase est brève – intense -
J'ai des regrets.
30 Août 1953
La visiteuse
Je suis une visiteuse, dis-tu
Et tu ajoutes : C'est drôle -
Et tu oublies ma préférence
De l’être justement.
Les chaînes que nous portons,
Les mêmes visages toujours,
Les mêmes mots
Aux mêmes sons
Tout un brouillard épais
Autour de moi.
Je veux penser, rêver
Dans toutes les langues.
Les hommes sont mes semblables
Qu'en apparence
Et je ne préfère pas
La solitude.
L'âme soeur, une platitude,
La chose absurde,
Le mépris, l’ironie s’en empare
Je la cherche
Cependant.
Le voisin laisse tomber le masque
Parfois
Un éclair – un contact
se fait pour un instant.
Je deviens légère,
Je vois, je sens
Un apaisement tout proche -
Voici le prix qui récompense
Aussi la rançon
Que paie
La visiteuse.
Barbara Church à Jean Paulhan (15 septembre 1953) §
Après-demain, le Jeudi soir, nous serons à New York, je reprendrai ma vie américaine, je parlerai anglais, je lirai et j’écrirai en anglais, en américain.
Le voyage est parfait, monotone à souhait, reposant. Je dors beaucoup, j’ai participé jusqu’à maintenant aux manifestations, au programme de la Armand Line pour distraire les clients.
Je ne fais pas de connaissances – par timidité, par méfiance (on me conseille tellement de me méfier – je me méfie, sans excès) par paresse – en plus, je ne vois personne qui vaille un effort – je me trompe sûrement.
Je suis avec Suzanne qui s’occupe de moi, qui est avec moi toute la journée – et la nuit – nous partageons la même cabine, spacieuse, au milieu du bateau. Suzanne est quelqu’un de très bien, nous nous entendons.
Il y a du cinéma tous les jours, 2 heures sans pensée aucune, je lis l’Exegèse des lieux communs qui m’amuse. Suzanne lit André Maurois, les Romantiques Anglais que vous m’avez donné, je l’avais lu à Ville d’Avray.
Mon été cette année, comme toujours – un succès – peut-être plus – vous y avez contribué pour une grande part. Le gardenparty et le déjeuner ont été un plaisir pour moi, bien sure, mêlé d’un tas d’idées et de souvenirs d’autres gardenparties, d’autres déjeuners ) plus complets, plus insouciants – je recommencerai en 1954 et j’espère que vous m’aiderez, me soutiendrez.
Aussi mes voyages, à Munich, à Genève, à Dublin, à Londres et surtout à travers le Sud-Ouest de la France que je connaissais peu m’ont donné ce que j’en attendais.
L'automne en Amérique est la meilleure saison et se prolonge souvent jusqu’à Noël – je verrai des gens, je sortirai, je continuerai.
Si vous voulez me faire un grand plaisir, écrivez sur vous, ce que vous faites sur Paris, beaucoup de détails – j’ai un côté frivole, romanesque, j’adore les détails, je raffole des ramifications. Et j’aime beaucoup les lettres qui arrivent comme des cadeaux inésperés [sic].
Dites bien des choses gentilles à Germaine – je penserai souvent à elle et à vous
Barbara
Jean Paulhan à Barbara Church (28 septembre 1953) §
On se sentait, la dernière fois, un peu nostalgiques dans ce grand parc. C'est que vous alliez partir. La prochaine fois, vous songerez, n’est-ce-pas à inviter Pierre Leyris, Purnal, Audiberti (enfin, tous nos prix ? ) Il me semble que c’est un pas encore qu’Harry a fait vers nous, cette année.
A Profils qui me demandait un article, j’ai proposé de parler de lui. Il me semble qu’il serait temps qu’on le traduisit en américain.
Groeth est bien loin, lui aussi. Plus loin qu’Harry : c’est qu’on ne retrouve point de tout dans ses livres tout le meilleur qu’il donnait dans sa conversation. (Je me sens tout d’un coup très vieux, beaucoup plus vieux qu’on ne devrait.)
Je vous envoie pour Wallace Stevens tout un livre sur Nicolas de Staël (avec deux dessins du même, qui ne me semblent pas très convaincants) et le livre, un peu trop plein d’éloges, bien écrits mais plutôt vagues.
Savez-vous que l’on parle beaucoup de votre traduction de Musil ? En Suisse surtout, où Musil est mort, et devient brusquement célèbre. (Mais célèbre en allemand.) Comme il est ennuyeux que vous ne l’ayez pas achevée ! Il est vrai que le livre, lui aussi, demeure inachevé. Vous rappelez-vous notre discussion sur « caractères » ? Peut-être les derniers chapitres mettraient-ils plutôt l’accent sur « propriétés » (à quoi Harry avait songé). L'homme de nos jours, dit Musil, peut être courageux, bon, puissant. Mais il se trouve (par la faute des hommes) qu’il n’est pas propriétaire de sa puissance, de sa bonté, de son courage. Et que serait un sentiment – par exemple – l’amour fraternel – dont on serait propriétaire ? (pourquoi pas l’amour ? Mais Musil se défiait de tout ce qui touche aux instincts, il laissait le problème à Freud, qu’il n’estimait pas tant que ça ). Ici commence le roman...
C'est gentil de nous laisser vos poème, sur votre départ. Ils nous tiennent compagnie. Ah, j’aime aussi qu’étant si fins et si volants, ils n’aient pas de complaisance (cette suffisance qui gâte un peu, de loin en loin, votre ami Heine) et que si prompts dans les allers-retours, pourtant vous ne vous y abandonniez pas. Si rigoureuse, malgré tout si peu romantique. Ah, et j’aime bien aussi votre ironie, plus tendre que de l’ironie.
Michaux s’est guéri, sans le dire à personne. Je l’ai aperçu avant hier sur les quais, vers Notre-Dame ! C'est un quartier, dont les Américains se sont emparés (ils y laissent parfois un Japonais ou un nègre, exposer ses tableaux. Je n’ai jamais vu de nègres aussi joyeux que les peintres abstraits. C'est à croire que l’art abstrait a été fait pour eux. A ce propos :
On demandait à une brave fermière de Provence (c’est la petite fille de la fermière de mes parents) ce qu’elle pensait des Américains : « Ah, dit-elle, on peut dire qu’ils étaient gentils. Toujours à vouloir faire plaisir : du chocolat aux enfants, des cigarettes aux hommes ». Puis elle ajoutait : « mais pourquoi avaient-ils amené tous ces Blancs avec eux » !
(ça n’a l’air comme ça de rien ; mais, dit par vous comme vous [l’avez ? illisible] le dire, ce serait très merveilleux.)
D'Ungaretti, voulez-vous des nouvelles ? Voici une petite photo d’une revue italienne, où il est en train [illisible] des machines. Il est à Paris en ce moment et je l’ai amené avant [illisible] voir une course de stock-cars. (Je suppose qu’à New-York on en voit tous les jours. C'est très émouvant une auto dès qu’elle sait se renverser sur le dos, prendre feu, trembler de toutes ses forces, faire toutes les fois qu’il le faut un tête à queue. Me permettez-vous d’écrire à Jean dans ce sens ? Il a beaucoup à apprendre.
Non, je ne lui écrirai pas. Bonsoir, Barbara. Faites pour moi de grands signes d’amitié à Marianne Moore et à Wallace Stevens. Tous deux nous vous embrasserons.
Jean.
Ici, l’automne est déjà très froid. Il me semble que le dernier remède (calcium) que Maine ajoute à l’Artane, lui fait grand bien. La nrf a eu des malheurs, le dernier numéro – j’espère bien que vous l’avez reçu – a été saisi : c’est le frère de Drieu la Rochelle, trouvant inconcevable que son frère eût écrit une sorte d’apologie du suicide. Et bien je suis de son avis : non seulement supprimer un homme, mais (le plus souvent) l’homme qu’on trouve au monde le plus intéressant, ce n’est pas à faire. Mais tout de même, c’est bien grossier de nous faire un procès. Bonnes vacances, bonnes vacances, Barbara.
Nous sommes en plein été, je suis devant la fenêtre grand ouverte en plein courant d’air et je suis bien. Le ciel est bleu par dessus le ciment de Park Avenue devant moi une ouverture entre deux grattes-ciels, une petite maison de 3 étages qui s’obstine quand même. L'automne en Amérique est vraiment quelque chose d’étonnante qui fait croire et espérer.
Vous me dites qu’il fait déjà froid à Paris. Je pense à vous, si souvent à Paris, à la rue des Arènes, à Ville d’Avray et votre lettre m’a émue – je vous sentais si amical, si proche – merci.
J'aime votre indulgence envers mes griffonements (quel mot!)XXVII, j’en trouverai un mieux un jour qui exprime ce que je veux dire – point trop sérieux – et cependant quand je griffone je suis très sérieuse et toute appliquée – pour un instant.
Peut-être suis-je un peu comme Groeth qui lui aussi avait besoin d’amis, d’indulgence, de réponse, comme moi. On s’entendait bien avec lui, il faisait toujours la moitié du chemin, même en philosophie – il était vivant – philosophiquement – poétiquement – je le regrette souvent.
D'ailleurs « Mesures » avait réuni des gens épatants, très différents, mais pareils quand-même, leur désir, leur ambition de prefection, leur amour de vivre - j’essaie d’expliquer à moi-même ce qui ne s’explique pas, mais le jeu est le nôtre, n’est-ce pas ? Et il nous plaît, ce jeu.
J'ai envoyé à Wallace Stevens le livre sur Nicolas de Staël – je l’ai vu (W.St) avant hier à ma première grande réunion chez moi.
Il est venu de Hartford avec sa fille Holly, très jolie, très fière de son père maintenant. Autrefois elle s’impatientait de ne pas comprendre sa poésie – et naturellement elle trouvait que c’était lui qui avait tort. La jeunesse elle aussi vieillit. Holly a 27 ans et son fils Peter 7 ans. W. St la regarde, admire sa fille, il dit : « we have battled through all our miunderstandings to a happy peace » (nous avons battaillé [sic] à travers nos difficultés,de nous comprendre vers une paix heureuse.) j’ai fait des reproches à W. St. D'avoir jugé sévèrement Drieu la Rochelle. Il m’avait écrit après avoir lu le « Récit Secret » qu’il trouvait révoltant – le masochisme et l’égotisme maladif, il me citait aussi l’attitude de D.L.R à l’occasion de son échec à l’Académie – moi je ne me souviens que de sa part bienfaisante envers vous – et W. St : « je ne savais pas et Jean Paulhan restera toujours un héros à travers vous » puis moi : c’est un grand ami et je ne suis pas sure qu’il tient tant que ça à être un héros!
A l’instant une lettre de lui, me remerciant, disant des choses gentilles de la fête, de l’atmosphère toute spéciale - « Jean Paulhan est un grand homme, je le sais, pour vous, pour moi, quand même un héros – au réel et au figuré – son esprit, son courage l’y oblige; » Et Miss St John, mon amie anglaise dit de vous que vous êtes un Saint ou le plus proche ! Qu'en pensez-vous ?
Marianne Moore m’écrit souvent – c’est toujours un moment de détente elle me plaît – je lui ai même envoyé mon poème Américain, écrit à mon retour ici, c’est une faveur, vous le savez. Et de votre part, j’ai fait des grands signes d’amitié aux deux comme vous me l’avez recommandé. Elle m’a dit de vous érpondre pour elle.
On a parlé de la N.R.F. Naturellement – à propos – je veux renouveler les 2 abonnements, je règlerai en 1954 ou si vous le préférez Yvonne Moreau peut le faire pour moi. Wallace Stevens m’a dit que son numéro d’Août n’est pas arrivé, moi j’ai égaré le mien du mois d’avril (4) – Voulez vous faire expédier les deux manquants. Et naturellement tout 1954, pour moi aussi. - Vous me parlez de Musil. Dans le numéro mars avril 1953 on a publié dans le Partisan Review le même chapitre que j’ai traduit en français – sous l’encouragement de Harry, je l’avais traduit, ce même chapitre, en anglais, en 1941 ou 42 et Harry l’avait envoyé à Kenyon [?] Review qui n’en voulait pas. Curieux ! La traduction est de [?] (Irlandaise) et George Kaiser et tout (les 3 volumes) sera publié prochainement – on le compare Musil, à Proust et à Joyce.
J'aime bien la photo d’Ungaretti – j’espère le revoir un jour à Paris, Harry et moi l’avons vu à Rome, nous sommes sortis avec lui et Mme Ungaretti et ce fut une vraie fête, j’ai aussi une jolie lettre de lui sur ma lyrique comme il disait.
Je suis contente que Michaux s’est guéri « sans le dire à personne » et qu’il se promène sur les quais. Si vous pouvez l’attraper au coin d’une rue, dites lui mes amitiés. Je lui ai écrit du bateau, inquiète un peu.
Je les connais bien ces autos clowns – j’ai même vu des hommes en sortir sans dommage apparent, ils se lissaient les cheveux et tiraient sur leurs salopettes d’un air dégagé – au cinéma.
Il faut aller voir Cinérama quand ce sera à Paris – je l’ai vu pour la seconde fois et c’est toujours étonnant – les 3 dimensions. Je me suis rendue comte que le cinéma ordinaire donne des images plats, au Cinérama on est dans l’avion, sur le bateau, on se cramponne à son fauteuil au moment périlleux.
Je suis contente que Germaine ait trouvé un remède qui la soulage, très contente, embrassez la pour moi.
J'aime beaucoup l’histoire de votre Fermière de Province, les Américains américains la goûte moins, mes amis « hyphenated » sont de mon avis et sont ravis.
C'est le point noir, vulnérable pour les premiers, les seconds se sentent un tout petit peu du même bateau.
Le péché des pères - - Et je comprends la joie des « gens de couleur » en peignant abstrait.
Oui nous inviterons tous nos prix en 1954 sur Villon, même les autres, vous m’en donnerez une liste.
Dominique Aury m’a envoyé un livre sur – je lui écrirai – elle y a mis une gentille dédicace.
Et dites des choses aimables, affectueuses à Edith Boissenas, j’ai bien regretté son absence au déjeuner, je m’étais promis de lui parler plus longuement.
Dimanche 18 Octobre 1953
Je rentre de la messe dans l’église St Ignatius de Layola – avec St John – nous avons un arrangement quand je vais à l’Eglise le Dimanche, c’est à tour de rôle l’anglicane, l’Eglise Jésuite et l’Eglise St John The Divine – les deux ont des choeurs magnifiques et on y chante des choses qui font plaisir. Les Jésuites ont un choeur de garçons, des voix célestes, j’en ai entendu de pareil qu’à Rome et à Séville.
Puis ces deux églises sont parmi les plus riches, les cérémonies sont parfaites de goût, dans leur genre – Spellman et St. Patrick, sa Cathédrale sont bien moins satisfaisants. Et maintenant après déjeuner à 2h ½ j’irai entendre le Concert de la Société Philarmonique à Carnegie Hall – le Dimanche bien pensant et bourgeois – c’est si bien organisé.
Depuis mon retour, un mois, j’ai fait beaucoup de choses, j’ai vu une foule de gens; comme toujours, on me gâte et j’essaie de rendre.
Je lis les revues, les journaux, plus ou moins distraitement, je sors, je rentre, le temps est beau et trop court, je trouve.
Et je suis trop bavarde – ma lettre n’est pas belle à regarder comme le sont les vôtres. Soyez bienveillant, quand-même.
Bien à vous deux, de tout coeur, comme disent mes Russes (blancs)
Bien chère Barbara, c’est le jour où l’on se trouve tous surpris d’avoir tant de famille. Ils arrivent tous à des heures différentes, comme s’ils s’étaient entendus. Chacun a ses preuves (de cousin, de cousine, de petit-fils, etc.) Impossible de les renvoyer. D'ailleurs c’est rare qu’ils ne portent pas à la main un pot de fleurs (en général, rouges) ou bien une petite boite de chocolats de sorte qu’à la fin de la journée on est un peu intoxiqué, bien incapable de se défendre. Pendant ce temps, l’année a commencé, déjà à toute vitesse.
Je suis un peu inquiet pour Jules Supervielle, sombre, angoissé me donnant, et à Arland, d’étranges coups de téléphone, où il se met soudain à pleurer.
Où l’on voit bien le parti-pris (malveillant) c’est quand certains journaux reprochent à la France d’avoir réfléchi sept jours avant de choisir un Président. Comme si un pareil événement n’exigeait pas au moins un ou deux ans de réflexion ! De sorte que je ne suis pas très rassuré sur le résultat. M.Coty a dit pas mal de bien de Braque (dans son premier intervioue) mais s’est montré plein de réserves sur Dubuffet qui mettrait du ciment, paraît-il, dans ses tableaux (ce sont deux peintres havrais comme lui.)
Chère Barbara on espère du moins qu’avec cette année on vous verra bientôt. Alors, tant mieux si elle avance. Vous rappelez-vous Mesures ? Il me semble que tous nos auteurs (sous votre houlette) étaient joyeux. Ceux d’à présent ne le sont guère. De plus ils ont gardé tous leurs mauvais sentiments pour la fin de l’année : nous les recevons à la fois sur la tête. C'est (imaginez-vous) Supervielle qui se plaint de n’avoir pas été placé (comme S.J Perse) en tête de la revue ; c’est Jean Grenier, qui se plaint que son nom ne figure pas dans les annonces. C'est... mais je vous ennuie. Enfin, cela fait une fin d’année assez triste.
Braque, aussi, est assez souffrant. On lui a fait une nouvelle opération, assez grave. Il n’a pas le droit de travailler, d’ici trois mois. Il a encore maigri. Il est très pâle.
Est-ce que vous entendez un peu parler de la revue ? (Il me semble qu’il y avait dans Mesures, et dans l’ancienne nrf un côté un peu fou, un peu libre, qui s’y perd. Mais Arland me dit que je me trompe.)
Ah, je voudrais tout de même bien venir à un de vos goûters. Je suppose qu’avec Wallace Stevens nous ne pourrions pas nous dire grand chose ( à moins qu’il ne sache un peu le français) mais je voudrais bien lui serrer les mains, et pour le reste je sais me taire comme personne. Marianne Moore, je pense que vous l’amènerez un jour avec vous à Paris, n’est-ce-pas ? (Il me semble qu’elle aimera beaucoup, et réciproquement, Edith Boissonnas.)
J'aime toujours vos poèmes, vous le savez. Il me semble parfois qu’à certains moments ils sont tout près de devenir extrêmes, des sortes de non senses comme ceux de Lear (non pas ceux de Caroll, trop intellectuels). Mais peut-être justement serait-ce trop facile et c’est mieux de donner l’impression qu’on serait très capable d’y glisser, sans y glisser.
(mais les fleurs le savent bien, comme vous dites.) Bonne année Barbara, bonne année à tous ceux que vous aimez ! Germaine et moi vous embrasserons bien fort.
Vous êtes un ange, un vrai, d’avoir répondu si promptement, Jean. Naturellement Jacqueline et Fred viendront avec vous Jeudi, la voiture sera chez vous à Midi, midi très précis. Il fait beau ce matin à Ville d’Avray, nous aurons le soleil aussi pour Jeudi, dit Henry le jardinier, l’expert du Temps (du Temps quant au ciel)
Bibliothèque pour Le Corbusier : que désirez-vous exactement ? Si c’est des modernes, je puis vous les apporter. Si c’est des classiques, je peux les acheter facilement (d’occasion). Enfin vous me diriez.
Il faut que je vous présente quelques nouveaux :
Lambrichs (des Ed. De Minuit et des Cahier de la Pléiade) écrit de petits récits aigus, mais presque incompréhensibles à force de contraction. René de Solier, critique d’art et romancier, écrit, un peu à la manière de la Phalange et de la Revue blanche, des récits mystérieux et des chroniques très subtiles, où jamais ne figure le mot pas. Il a pour femme :
Germaine Richier : solide provençale : sans doute, le plus grand sculpteur d’aujourd’hui. (Je voudrais bien que vous alliez la voir dans son atelier.) Elle a fait beaucoup de chauve-souris, des hommes et des femmes en marche.
Marcel Bisiaux, qui a fondé une jeune revue, 84, est un Alsacien têtu, disciple de Dhôtel, qui écrit des romans à demi-fantastiques.
Voilà. Là-dessus, je vous embrasse. A Dimanche, à Dimanche !
Hier à Paris vous veniez de partir de la rue Visconti, m’a dit René Drouin. C'était gentil, sympathique, le pays de Henri Michaux. Il n’aimerait pas mes adjectifs bien sûr. Je l’aime bien Michaux, l’artiste et l’homme. Pour moi ils se confondent – il écrit il peint (je n’ai pas encore entendu ses compositions ) il revient et c’est toujours le même, toujours différent.
Vous avez été gentil, vous aussi pour moi, je ne pourrais jamais vous dire ou écrire, combien vos lettres, vos notes me font plaisir, me font du bien.
Si le Gardentparty (dans la salle) a été réussi, vous y avez contribué grandement avec votre enthousiasme, avec vos jeunes auteurs de la N.R.F., avec l’encouragement que vous me donnez généreusement – il me le faut, même si cela ne se voit pas.
J'ai toujours une crise de panique quand j’entreprends quelque chose que j’avais fait avec Harry, mon voyage en Espagne, le Gardenparty – nous le faisions si facilement sans presque penser, sans soucis – cette fois ci c’était Vendredi le 11 la crise; votre note arrivait, arrivait au moment où je me disais = pourquoi, tout cela c’est inutile pour moi, pour les autres = et j’ai compris qu’évidemment c’était utile pour moi, pour les autres.
Merci, grand merci.
La carte biblique hier matin est arrivée et a confirmé.
Mon amie danoise est partie hier matin, je l’ai conduit au Bourget, pendant une heure j’ai vu partir des avions polonais, yougoslaves, suédois, elle partait avec un finnois. C'était bien joli, il faisait beau, sans vent, les avions multicolores s’envolaient l’un après l’autre, les hommes, les petits autos s’affairaient autour, tellement de bruit de machines – cela ressemblait au silence – j’en faisait partie, j’étais contente, un peu fatigué, quand même de l’effort fourni la semaine passée. Laure Lévèque est malade, migraine, rhumatisme, elle est moins résistante que moi.
Vous m’avez demandé ce que je voudrais pour la Bibliothèque Le Corbusier – eh bien j’accepterai avec plaisir les modernes. Quant au Classiques – Peut-être Molière – Voltaire – Musset – Des auteurs connus qu’on puisse lire facilement – maintenant.
D'occasion, point trop, pas chers. Je suis exigeante, mais si c’est difficile, si cela vous donne du tracas – ne le faites bien. Merci d’y avoir pensé.
Bien des amitiés à tous deux
Barbara
J'ai peur de fatiguer Germaine, pensez-vous que je puisse aller la voir – je ne les fais pas bien ces visites aux malades, et ils doivent s’en rendre compte.
Voulez-vous, pouvez-vous venir déjeuner Vendredi le 9 Juillet?
J'invite pour le même jour Edith Boissenas, je la prendrai à Midi devant sa maison 33 rue Jacob, j’espère vous trouver vous aussi.
Je serais contente de vous voir un moment et E.B ne sait que dire d’émotion poétique quand elle parle de vous.
Comme c’est agréable de lire sur votre carte que Germaine progresse dans sa convalescence.
Je suis tout à fait d’accord sur Chagall, il m’enchante et il m’irrite et je ne sais à quoi céder.
Marte Ternaud est chez moi en ce moment, nous nous entendons bien, elle est à côté de moi et dessine quelque chose. Nous nous consolons mutuellement du mauvais temps, hier une promenade à Port Royal nous a valu une douche, on ne pouvait entrer dans le parc de l’abbaye qu’à pied. Port Royal (je n’y ai jamais été avant) est curieux, joli comme paysage, rien à voir, même pas des ruines respectables, mais le guide = janséniste = parlait bien, savait évoquer un tas de choses.
J'ai été gentille et l’ai lu votre préface – j’ai lu aussi, un peu, le livre. Laure l’a lu en entier. Elle est plus courageuse. Moi je n’aime pas les hopitaux, les maladies les médecins, je les fuit. Vous trouverez, que je me suis trompée de catégorie.
J'ai lu les Liaisons avec intérêt, je ne suis pas arrivé à pouvoir lire Justine, je ne peux m’empêcher de trouver lourdes et encombrantes – O et Justine.
Je n’aime pas les explications, je n’aime pas m’expliquer. Je n’aime que ce qui est inexplicable, le mot la chose qui échappe- sa aussi est une confession - - féminine - -
Mais j’ai bien lu vos pages, avec plaisir. Comme tout ce que vous dites, c’est vu et rendu avec délicatesse, avec un Goût parfait, avec un sourire sérieux, avec sincérité – vous êtes poète – et eux disent la vérité, je l’ai su dès que j’étais capable de formuler une opinion (dommage d’en arriver là)
Merci pour le livre, merci pour la lettre surtout. Mes américains sont partis à l’instant pour Londres, pour l’Ecosse. C'était gentil de les avoir – ils sont bien élevés, merveilleusement, ils étaient ravis d’être à Ville d’Avray dans la maison Le Corbusier – nous avons fait les touristes – le tour du propriétaire, Fontainebleau, Chartres, Maintenon, Versailles – maintenant ce sont les garçons de Monique qui viennent d’arriver d’Amérique (sur un bateau hollandais avec une foule d’étudiants – ils resteront quelques jours puis ils iront à Malassise – puis avec toute la famille Lévèque à l’Ile de Ré pour le mois d’Aout. Laure restera avec moi jusqu’à mon Départ pour Munich le 29 Juillet, elle ira à l’Ile de Ré avec sa grande famille.
Voici les 10000 francs. Si vous avez les livres modernes chez vous, Jean pourrait les prendre maintenant – Merci pour la peine que vous vous donnez.
Pourriez-vous venir déjeuner avec nous à Ville d’Avray Lundi 19 Juillet ? Je dois aller chez mon dentiste à 11h – j’aurais fini vers Midi et j’irais vous prendre chez vous.
Jeudi 22 j’irai à Malassise avec les garçons et Laure – ils y resteront sauf Laure qui reviendra avec moi le 24 – il reste peu de temps et j’aimerais bien vous voir.
Bien affectueusement à vous deux
votre amie Barbara.
Edith Boissenas a écrit une lettre touchante elle m’a envoyé une carte – un diadème d’or du 6e siècle du Musée de Châtillon s/s. Elle me promet d’autres cartes d’Espagne.
J'ai profité d’un mieux de Germaine pour prendre quelques jours de repos. A Capri, où des amis m’ont emmené, la chaleur est inhumaine. C'est pratique pour réfléchit à tout ce qu’on a déjà vu. Et bien, on l’a vu trop lentement. Je crois que pour bien profiter d’une Eglise ou autre grand monument, il faut y entrer, recevoir le grand coup sur la tête que vous donnent les mosaïques (la nuit étoilée) de Ravenne ou l’Eglise d’Assise, avec ses voûtes si hautes qu’à peine si on les voit, et puis s’en aller à toute vitesse. (D'ailleurs les Giotto sont très mal repeints.) Capri me rappelle Port-Cros. Mais où est Port-Cros, où est Henry, où sommes-nous ? Je vous embrasse.
Vous aimiez bien Charles Albert Cingria, n’est-ce-pas ? Il est mort Vendredi dernier. Il avait soixante douze ans. Après un jour passé dans le coma, il s’était réveillé Jeudi, tout joyeux, pour réclamer un bifteck et une bouteille de cognac. C'ont été ses derniers plaisirs.
Il me semble qu’Henry l’aimait aussi (avec quelques réserves, touchant le cognac). Nous vous embrassons tristement. C'était un homme ; c’était aussi une manière de vie, une raison de vivre, enfin un art...
Jean P
Pourrais-je vous demander l’adresse de Fernand Auberjonois ?__ Les livres classiques sont enfin arrivés !
Barbara Church à Jean Paulhan (8 septembre 1954) §
Etes-vous à Knokke-le-Zoute? Vous désirez y être, moi aussi d’ailleurs. Je me déplace pour le congress des architectes, des critiques d’art et c’est surtout pour les poètes que je voudrais le faire.
Je suis à Ville d’Avray déjà depuis quelques temps, retour de mon pèlerinage Munich. Genève. Les visites ininterrompues, une jeune Américaine (16 ans), ma nièce Maria, la plus jolie, la plus élégante avec sont mari – les Lévèque sont rentrés de l’Ile de Ré, Laure est avec moi avec les 2 garçons de Monique en ce moment; Marthe Ternand a passé presque 2 semaines à Ville d’Avray.
Il n’y a que vous que je n’ai pas vu et j’ai des remords, du regret.
Mais je n’aime pas téléphoner ici ça devient compliqué.
Pouvez-vous, voulez-vous déjeuner avec moi et Laure Lévèque chez Prunier Vendredi 10 septembre à 12h30 ? Prunier Rue [P. Duphort ?] le Bar de dégustation.
Si vous pouvez atteindre Edith Boissenas ou Dominique Aury – demandez leur de venir aussi – si elles sont à Paris.
Je serais contente de vous voir vous autres de la N.R.F.
Vous seul, ce sera très bien aussi. J'ai l’intention de donner un déjeuner Samedi 18 septembre (je pars le 28) comme l’année dernière – vous serez gentil de m’aider à faire ma liste, vous faites ça très bien.
Bien affectueusement à tous deux
Barbara
Barbara Church à Jean Paulhan (8 septembre 1954) §
Nous sommes ici sous le signe de Christmas – inutile d’essayer d’y échapper. Même Marianne Moore succombe – elle a écrit un Christmas poem pour Vogue (Vogue américain). Je vous en ferai envoyer le numéro. Le poème est joli est tendre, léger, elle se met à la portée avec grâce et art.
Samedi matin trois lettres importantes pour moi, de vous, de Marianne Moore, de Wallace Stevens, les écrivains, les poètes aiment écrire des lettres surtout s’ils sont timides en face de l’adversaire.
Vous me parlez de Port Cros – j’en ai la nostalgie, on y était heureux, tous avec Germaine s’affairant pour ses hôtes, avec vous l’organisateur des jeux, des promenades dangereuses, des conversations avec Marie, son mari, l’âne, le chien – je n’oublie pas le petit singe méchant. On y dormait si bien, le réveil était délicieux et j’aimais m’assoir sur le haut-banc, les pins verts, la mer bleue – le ciel par-dessus, très haut ne se décidant jamais avant le soir à montrer ses couleurs.
Nous en parlions souvent, Harry et moi – Ce midi là était bien à notre goût.
Maintenant je suis seule avec mes souvenirs et Germaine est malade « que des peines, que des difficultés ». Le séjour au pays du soleil, même s’il y pleut, vous a fait du bien, vous a reposé, je l’espère.
Et envoyez moi « Douleurs imaginaires » même si c’est une épreuve ou le manuscrit, je promets de le renvoyer. Je suis contente de savoir que vous travaillez pour vous même aussi, c’est une mystérieuse et bienfaisante évasion – on pense à ce qu’on fait intensément et puis après la fatigue est encore une intime satisfaction.
Wallace Stevans m’a écrit une jolie lettre sur le même sujet, il est plongé en ce moment dans la prose de Paul Valéry – il veut écrire quelque chose sur lui. Très consciencieux, il veut le connaître à fond avant, réfléchir après, puis écrire – il est perfectionniste comme vous, plus rigide cependant, plus timide.
J'ai rencontré Paul Valéry dans des réceptions, je l’ai vu souvent chez Natacha [? Blueler], qu’il admirait sans réserves et au fond je l’ai vu jeune chez Viele-Griffin. Mais je ne peux pas dire que je sais plus de lui que ces contacts, si c’en étaient, et ce qu’il a écrit.
J'avais l’impression que moi, je ne l’intéressait pas, je m’en contentais. L'avez-vous connu – bien ? Il y a des gens difficiles à connaître, peut-être il ne faut pas faire effort dans ce sens. Il faut la spontanéité des deux côtés.
Oui j’ai retrouvé ma famille, mes amis empressés autour de moi, gentils comme tou. J'ai eu ma réception le 18 novembre, cocktail et souper, une cinquantaine, c’était gai, stimulant, je me suis amusée et les autres font comme moi. Chaque semaine je donne un petit dîner de 8 – un bon nombre je trouve – Suzanne fait un dîner impeccable, je m’occupe des vins, je change chaque fois les convives et je les mélange. J'aime bien ces réunions, j’écoute, je parle en 3 langues souvent. C'est reposant. Avec Harry on le faisait, jamais on ne cherchait ses mots – dans une des trois le mot voulu sortait.
Chaque vendredi, je vais à l’Opéra, quelques fois les plus vieux, les plus italiens des Opéras m’apaisent le plus, les chanteurs sont parfaits, l’Orchestre aussi et la claque gagne bien son salaire – le comble de l’artifice, du clinquant se justifie, les répétitions aussi.
Avez-vous été à la messe basse pour Cingria ? J'aurais bien voulu y être.
Des théâtre il y a multitude – j’y vais quand je trouve des places- très difficiles pour les pièces à succès, on paie des prix astronomiques. Et on joue des pièces amusantes, tristes – les acteurs sont en vedette, on semble s’occuper bien moins des auteurs, dont les noms sont en tout petits caractères. Les pièces, 3 je crois, de Pagnol sont devenues une Opérette (Farmy), un succès fou. Je vais aux expositions, aux conférences, au Cinéma, enfin je remplis mes journées, mes nuits, je ne suis pas seule malgré ma solitude.
Et physiquement je vais bien surtout depuis qu’il fait froid – froid et beau, c’est bon pour moi.
Je viens de vous faire envoyer les oeuvres complètes de Wallace Stevens (lisez le poème « The Owl in the Sarcophages dans The Aurora of Autumn p. 437 il l’a fait à la mort de Harry, n’a pas osé le désigner sans me demander, n’osant pas me demander au moment) aussi la Vague avec le poème de M. Moore.
N'ayez pas trop de cafard, nos amis ont du chagrin, de ne pouvoir rien faire que cela. Très affectueusement – parlez à Germaine de mon amitié pour elle, je vous embrasse
Barbara.
J'ai fait réserver mes places sur l’Ile de France le 4 Juin 1955. Je serai à V.d.A vers le 10. Mon retour ici sur la Liberté est le 30 septembre.
Pardon de nous apporter si tard nos vœux (mais qui bien sûr, vaudront jusqu’au 30 Janvier 56, De sorte qu’ils finiront par être en avance). Mais l’état de Maine s’est aggravé encore. Il est affreux de rester couché, et couché encore : Maine finit par vivre dans un monde qu’elle pense voir, qu’elle pense entendre et qui n’est pas tout à fait le vrai. Ainsi a-t-elle cru voir, par la fenêtre, des acteurs de cinéma conduire dans le jardin des ours, qui se sont échappés – et puis ces ours se jeter, pour les déchirer, sur des enfants qui jouaient. Elle voit bien d’autres choses, mais ses souvenirs sont intacts, et sa raison ferme. Elle lit beaucoup, ou ses infirmières lui lisent.
Je vais vous renvoyer la lettre de Wallace Stevens. J'ai été heureux de recevoir son livre. Je cite, dans la nrf qui va sortir deux très beaux poèmes de lui (d’après Profils ou Dominique Aury a donné son étude sur les Fables de Marianne Moore).
Qui va sortir, à moins que les eaux ne la retardent : notre imprimeur a été pas mal inondé, et les caves de la nrf aussi d’où l’on a dû déménager en toute hâte des milliers de « Pléiade » ; à présent, elles occupent en force les salons de la Série Noire. Elles paraissent s’y sentir à l’aise.
Les deux poèmes sont les Cataractes, et l’étonnante, la merveilleuse Jarre.
Les eaux se sont aussi promenées dans les allées du Jardin des Plantes. Qui a été surpris heureusement ? Ç'a dû être les poissons. Mais aussitôt désespérés, quand ils ont vu installer – quel manque de tact ! - devant leurs aquariums, les plus grandes pompes dont disposait l’Administration.
Autres mauvaises nouvelles du Jardin : les deux paresseux sont morts. Déjà dans ces derniers temps, ils bougeaient plus que d’habitude et parfois même agitaient les doigts. Ce devait être mauvais signe.
J'aurais bien voulu voir votre arbre de Noël multicolore. Bonsoir, Barbara, je vous embrasse.
Jean.
Mais vous êtes tout à fait bien guérie, n’est-ce-pas ?
J'ai été très ému par le poème de W.St. À la mort de Henry.
Tout le monde s’envoie des Valentines en ce moment aux U.S.A.
Moi je fais comme tout le monde – j’en ai trouvé, des antiquités – celle-ci date de 1850 m’a t-on dit – je vous la met dans cette note, si vous croyez que Germaine y trouvera plaisir donnez-la lui.
Il me semble qu’il y a bien longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles de vous- écrivez moi, racontez moi un tas de choses, sur vous, sur la N.R.F (que d’ailleurs je ne reçois plus, pourquoi ? - je suis prête à payer l’abonnement, j’ai pensé que j’avais demandé à ce que renouvelle chaque année) sur Paris, sur la France – vous savez bien que tout m’intéresse, une lettre de vous est toujours la bienvenue, un beau cadeau.
Nous avons eu très froid, jusqu’à 20° en-dessous, mais j’aime le froid avec mon appartement bien chauffé, emmitouflée pour aller dehors, du soleil, sans vent, je suis gaie et énergique. Aujourd’hui la vague de froid a passé, il pleut, nettoiera peut-être les rues – New York devient très sale avec la neige, on ne peut pas sortir sans snow-shoes – on en fait de très jolis, transparent, en cellophane.
Je pense à Ville d’Avray, à Paris.
En ce moment je lis Trollope (13 vol.) c’est très joli, à tous points de vue, écriture, édition, papier, 1892 - « The Chronicles of Barsetshire » relié pour E.D. Church qui me l’a légué. C'est agréable d’avoir ces livres, à prendre, à laisser – les mêmes personnages qui reviennent, on les aime, on les déteste, le tout dans un langage choisi, finement ironique – un plaisir qui dure pendant 13 vol., j’en suis sûre, je suis au 4e – je relis tout cela après 40 ans.
Edith Boissenas écrit, je réponds je vois Marianne Moore souvent, quelques fois Wallace Stevens. Fernand d’Auberjouois a une nouvelle fille de 5 mois, Anne Isabelle. Il travaille dans la publicité, a un bureau dans le Empire State Building au 81e étage.
Nous sommes accablés d’un printemps violent – encore, quand le ciel est clair ou s’apaise, on pense paresseusement aux voyages, quand, comme aujourd’hui le ciel est gris-noir comme les pavés on pense aux sombres Dimanches de la chanson, même le Mercredi, on est découragé.
Je continuerai sur une note plus gaie. Votre article sur Jean Fautrier est étonnant, amusant, stimulant, même facile à lire – J'ai grande envie de voir une autre exposition de lui, du jeune ancêtre d’une nouvelle dynastie.
Demain j’aurai un déjeuner chez moi : Wallace Stevens, Marianne Moore, les Sweeney, les Roesch (lui un peintre de talent germano-américain, les deux des bons amis), Monique et bien sûr, moi. Suzanne fera de son mieux et son mieux est toujours excellent, nous autres avons l’intention de passer quelques heures de détente – J'aime beaucoup ces petites réunions, elles me tiennent compagnie encore longtemps après. J'aimerais bien vous voir aussi parmi nous.
D'ailleurs comme toujours, je sors – mon dernier Dimanche une grande excursion 350 kilomètres dans le nord de l’Etat de N.Y à Poughkeepsy et à Hyde Park. Nous y avons visité une « Mansion » de Vanderbilt, du petit fils du Comodore, somptueux – construit à l’époque où les Millionnaires pouvaient dépenser leurs millions pour eux, puis après le « home » de F.d.R. Roosevelt, bourgeois, même petit bourgeois.
Des parcs immenses, Très beaux, des arbres étonnants, sur une hauteur dominant le Hudson, le fleuve entre les fleuves. Le plus beau dans le Roosevelt Home est sa Tombe, un bloc de marbre blanc avec son nom, au milieu du jardin des Roses, il paraît en été c’est une splendeur, les roses montent, grimpent, rampent, embaument, c’est un bel endroit pour se faire enterrer même en hiver.
Ce soir, je dinerai avec mon avoué et sa femme les Bechtel, puis après nous irons à une [réception?] très huppée, très habillée dans le Morgan Library (une exposition des gravures de Albrecht Dürer, une conférence d’un professeur célèbre et spécialiste de gravures et dessins). On se regardera, on se comptera – les amis m’envient, à mon étonnement, j’ai grand peur que ce ne soit un peu ennuyeux et je n’aime plus du tout m’ennuyer. Et vous voyez vous-même que les grands tralala me font peur (sauf chez moi) même avec mes meilleures intentions, avant d’y aller.
Je lis beaucoup aussi – en ce moment pour mon plaisir – Trollope (13 vol) dans une édition de [?] 1892 qui m’a été légué par un cousin Church, le plus âgé. C'est charmant à lire, à tenir entre les mains, le papier, la mise en pages, l’écriture, tout m’enchante. Et puis les poètes qui tous se font imprimer, les revues, les journaux – je me suis mise à lire le « Wall Street » Journal, un des quotidiens le mieux fait à N.Y., je le lisais d’abord parce que mon banquier, mon avoué me disaient qu’il fallait que je [commence ou comprenne?] à m’occuper de mes affaires et le Journal de Wall Street m’y aidera , et je le lisais à regret, maintenant c’est par goût, c’est très bien fait par des gens intelligents qui parlent intelligemment des faits.
Je bavarde trop, je crains, j’aime bavarder avec vous, je me sens plus légère après – même le ciel s’est éclairci. Je sortirai en voiture dans le Central Park tout près d’ici, je verrai les lions, les tigres. J'espère que les phoques consentiront à jouer, ils sont drôles, se moquent gentiment des spectateurs. Et puis il y a des oiseaux, des serpents dans leurs grandes maisons luxueusement tenues.
Une gentille lettre de E.B elle est ravie que son livre va paraître – un peu appréhensive. Elle me parle aussi de son déjeuner chez elle avec vous et Michaux.
Il y a longtemps me semble-t-il que je suis sans nouvelles de vous et j’ai du chagrin. Les lettres d’amis, surtout les vôtres sont précieuses.
Je sais que vous êtes occupé, préoccupé, souvent débordé, fatigué – mais un petit mot sur un papier rose, un papier vert, même sur un bout de papier me fera plaisir. Wallace Stevens m’a écrit sur le dernier numéro de la N.R.F. Cingria l’intéressait beaucoup naturellement; il a voulu d’autres détails sur lui – je lui ai répondu en racontant « Cingria visit to Ville d’Avray ». Il a bien aimé ça.
Bientôt je serai moi-même à Ville d’Avray, j’ai mes billets aller et retour et aujourd’hui je m’occuperai des papiers de la voiture – Je partirai sur l’Ile de France le 4 Juin je serai à Ville d’Avray le 10 ou 11 Juin – et mon gardenparty sera le Dimanche 26 Juin – voulez-vous être gentil et me préparer une liste des participants – je leur écrirai dès mon arrivée – vous pourriez déjà les préparer à mettre, à marquer la date dans leurs livres de rendez-vous. J'aimerais tant que ce fut une belle fête. Nous de notre côté, nous nous mettrons en quatre, en huit, en seize. Etc.
Ma dernière grande réception dans Park Avenue sera le 12 Mai. C'est toujours gai et stimulant, mais c’est peut-être ma propre illusion, vanité, j’adore mes propres « parties ». D'aucuns disent que c’est pour cela qu’ils sont amusants, gais. Wallace Stevens, Marianne Moore, les Sweeney, les Serts, mes Princes et Princesses blancs (russes), ma famille américaine, des Français, quelques allemands, même un anglais, enfin tout un groupe qui se réunit ainsi 2 fois par an chez moi, qui ne manquent jamais, qui sont ravis de se retrouver, que j’aime voir chez moi.
J'espère bien que vous allez bien, que Germaine n’aille pas trop mal, vous savez bien tous deux que s’il dépendait de mes voeux, tout ira merveilleusement.
Moi-même je vais bien, mes accès de grande solitude sont compris, quelquefois prévenus par mes hommes-amis – ils semblent plus sensitifs et moins sceptiques. Je me dépense, je circule comme toujours, la voiture est un atout, j’aime rouler, surtout au printemps. Je suis allée à Manchester (New Hamshire), à Washington (D.C), souvent je passe les weekends à Long Island.
Ce soir il y a une représentation au Théâtre « The dark is light enough » de Christopher Fry avec Catherine Cornell – l’auteur n’est pas banal – quelquefois pas assez – C.C est une merveilleuse actrice. Et à midi je déjeunerai avec Monique Lévèque Polgar – je la chercherai à l’Ambassade de France à 1h nous irons au Plaza Hotel et je la reconduira à son [?]. J'aime bavarder avec elle. Je ne suis presque jamais seule – mais la solitude est quand même la grande réalité.
Edith Boissenas qui écrit gentiment (je réponds aussi gentiment) m’a envoyé « L'oeil » - Très intéressant pour moi, je l’ai lu d’un bout à l’autre – Villon, J.L. Sert sur Gaudi – Caravaches – j’ai vu aussi le numéro d’après avec Léger et des ravissantes photos du Rokoko bavarois, l’Eglise (die Wieskirche) que je connais bien que j’ai visité souvent et chaque fois avec ravissement – Albert Einstein est mort, c’était un romantic – un scientist, une grande intelligence, un Bavarois.
Nous l’avons connu, Harry et moi à Princeton, à Munich avant. Il jouait du violon, mal, mais avec enthousiasme. C'était un enthousiaste simplement, par tempérament, un solitaire qui aimait la société.
Cher Jean, je bavarde comme toujours – je pense beaucoup à l’Europe, à vous tous
Bien affetueusement à tous deux. Au revoir. Je vous embrasse
Barbara
- Ils sont étonnants, les Américains avec leurs cartes, cartes lettres pour toutes occasions ou pour rien du tout – je ne sais pas résister. -
Merci pour « das BüchleinXXVIII ». C’est ravissant et fait à Genève. La garden-party est loin, mais je continue à vivre en caravane – mes visiteurs dans la maison Le CorbusierXXIX sont partis et on ne parle plus que français à la maison.
J’aimerai vous voir. Pourriez-vous déjeuner avec moi chez Prunier, avenue Victor Hugo mercredi prochain, 20 Juillet à Midi 30 ?
Vous me manquez. Je voulais vous écrire depuis quelques [sic] temps. Je vous ai écrit pour vous demander de déjeuner avec moi à Paris. Édith Boissonas m’a dit que vous étiez à Naples, puis j’ai reçu votre carte de Capri.
Je continue à être seule, nombreusement seule (je cite), je sors aux expositions, au Cinéma, au Théatre [sic]. J’ai des visiteurs, un peu moins maintenant, mais Laure et les [ illisible ] resteront jusqu’au 6 Août et le 9 je partirai pour mon pèlerinage annuel à Munich, à Genève, je reviendrai en Septembre avec mes cousins américains qui me rejoindront à Munich.
Puis nous essayerons (n’est-ce pas ?) d’arranger un déjeuner.
[sur le côté gauche] Il y a un béret ici, de la garden-party, si quelqu’un parmi vos amis demande, je pourrais l’apporter à Paris
[en oblique, à gauche de la page, à côté de la photo] Et Germaine ? Je pense à elle, j’ai des regrets, des remords, de la peine.
Chez moi, vers la mi-Septembre, le 30 je repartirai pour mon chez moi à New York.
Le voici, mon programme. Le temps passe vite – Ville d’Avray est beau, je suis contente d’être restée deux mois sans bouger.
Edith Boissonas m’a invité [sic] à déjeuner vendredi dernier à la Bucherie, Cétait très bon, charmant. Nous avons des choses à nous dire et nous nous écoutons – elle est enthousiaste, intelligente, intense. Elle n’aime pas Picasso, un peu plus Kandinski, beaucoup Klee et Lukas Kranach [sic], et je crois comprendre. J’admire Picasso, les 2 expositions dans leurs beaux cadres m’ont attiré [sic] 3 fois, évidemment Klee et les « Colonais1 » sont attirants, eux aussi.
Je fais comme vous, je veux parcourir les galeries, les musées, les cathédrales, je m’impatiente avec les gens qui s’attardent –, je trouve que je vois mieux, mes impressions sont plus fortes – rapidement.
Harry2 comprenais [sic], il me laissait courir, il m’interrogeait après, et constatait, un peu ahuri, que j’avais tout vu, quand même.
J’espère que vous trouvez du repos en Italie, j’ai (moi aussi) pensé à Capri, à Port-Cros – comme j’aimerais y retourner – à Port-Cros.
Nous étions heureux, le ciel, la mer, les fougères-arbres, vous deux, la ravissante vigie avec l’âne, le grand chien, votre petit singe.
Bien affectueusement – faites-moi signe.
Barbara
[sur le côté gauche] Marthe Ternand XXX m’a vendu une toile abstraite, qui a nom « Ravenne », Tout bleu, un peu de rose, du gris, bien, dans le Hall, sous le Beauchaud.
J’ai du chagrin, Wallace Stevens[1] est mort – vous l’avez peut-être appris par les journaux [sic] – j’ai beaucoup de difficultés à m’imaginer de ne plus recevoir de ses lettres, de ne plus le voir. Nous nous voyions pas très souvent, mais nous nous écrivions beaucoup. Harry et lui se comprenaient bien, leurs goûts, leurs intelligences, s’accordaient et depuis 1947 Wallace Stevens a souvent trouvé le mot juste pour alléger mon cafard, pour le rendre moins lourd, mon ennui.
Sa dernière lettre, sa dernière longue lettre date du 24 juin, il me raconte qu’il était allé à Yale pour recevoir d’autres honneurs “a degree” – il écrivait avec verve et un évident plaisir ses impressions, il parlait de sa fille Holly, de Peter son petit-fils, il était fier d’eux et avec raison,
je les connais tous deux. Après une autre lettre du 15 Juillet, il me parle d’un poète français, habitant Brooklyn, puis le 21 une petite note de Holly me disant que son père a du [sic] aller à nouveau à l’hopital [sic], la même clinique ou [sic] il était il y a quelques mois.
Et maintenant un cable [sic], il y a trois jours, d’une cousine pour m’annoncer sa mort.
Et je suis triste.
Après-demain, je partirai pour Munich, tous les détails étaient réglés, on m’attend, je pars, peut-être est-ce bien ainsi.
Je tiens beaucoup à mes amis et Wallace Stevens était un des meilleurs.
Quand vous viendrez à Paris, écrivez-moi à Munich,
Hôtel Continental –
J’y resterai jusqu’à la fin Aout [sic].
Bien affectueusement,
Barbara
[1] Le grand poète américain Wallace Stevens (1879-1955) était mort le 2 août.
[Page 1, recto, carte à quatre faces écrite dans le sens de la longueur]
[Tout en haut]
12-8-1955
Au centre, imprimé en caractères gothiques
Cheer, Joy and Hope
Barbara Church
[Dans la partie inférieure de la lettre, sous ces caractères]
1) Cher Jean, c’est si joli ce que vous nous dites de Port-Cros. Pour moi aussi, le souvenir est charmant, heureux, le haut-banc ( ?), les couleurs, l’espace, devant, autour, la Vigie, nous tous. Je me sentais bien, heureuse et Harry me disait chaque soir – on reviendra – je voudrais bien y revenir – ce sera différent pour moi aussi, je retournerai au passé, j’en souffrirai. “Toi tu peux vivre dans le présent, sans arrière-pensée” me disait-il souvent.
New York est à nouveau sous le signe de Noël et on s’y plonge dans cette atmosphère d’optimisme, de générosité facile avec entrain –
[Dans la partie supérieure de cette même page 1, fin du message]
déposés [sic], ils viennent pour dîner, - c’est quand même très joli. Le soleil était une énorme Boule rouge – orange – le ciel d’un ton de rose inattendu, l’air froid et léger – Tout cela me plait et me rend légère aussi. Marthe Ternand m’a écrit sur vous, sur vôtre [sic] intérêt à sa peinture, elle est contente, moi avec elle. Je trouve que depuis 2 ans elle a fait des progrèss [sic] constants – ces [sic] couleurs sont fluides, vivantes – elle fait comme Klee, elle donne des titres à ses toiles. Elle me parle d’une toile bleue du nom d’une ville que j’ai oublié, je la verrai au mois de Mai. Et j’aime beaucoup quand elle m’explique les différentes façons de peindre abstrait.
Et maintenant à tous deux ma grande affection.
Je vous embrasse,
Barbara
Page 2
L’optimisme est un devoir en U.S.A [sic] et “The pursuit of Happiness” une loi, un droit.
Il fait beau, les boutiques sont jolies, pleines de monde, j’achète comme tous les autres un tas de choses qui m’amusent, me plaisent, puis à la maison je mets un nom dessus – sur chaque objet “and hope for the best” (encore une expression difficile à traduire – peutêtre [sic] – et tant pis, tant mieux) mais le pessimisme domine.
Je vous ai fait envoyer un sweater d’Écosse par Salkin[1] - je le trouvais joli, léger chaud et vous me parliez dans votre lettre, du froid, de lainages, de manteaux chauds.
Oui Wallace Stevens n’aurait pas du [sic] mourir – Marianne Moore m’en parle chaque fois que nous nous rencontrons et dans ses lettres (elle aime les écrire, tout comme moi) et moi, je pense souvent à lui, je lis ses vers, je n’ose pas encore relire ses lettres, j’en ai un grand nombre. Il m’avait d’abord adopté [sic] comme la femme de Harry, qui d’un coup est seule – mais, disait-il, Barbara Church est importante à elle toute seule, il aimait mes lettres d’Europe, je voyageais pour lui.
– Je suis émue quand vous me dites que Germaine a parlé de moi, je pense souvent à elle, désolée de ne pouvoir rien pour elle. Et je ne suis pas courageuse comme vous devant la maladie, la souffrance – les optimistes sont lâches souvent, je crois. L’optimisme se
Page 3 illustration
Gabriel
St John The Divine Cathedral New York
[Quelques lignes sous l’illustration]
La plus grande cathédrale, on y travaille depuis la moitié du 19e siècle et elle n’est pas finie. Tous les styles y sont représentés, c’est imposant et impressionnant. Gabriel sur la cime du toit salue le soleil tous les matins.
Page 4, numérotée par BR 3
défend aprement [sic], peutetre [sic] est-ce la raison pourquoi les Américains ont souvent des “nervous breakdowns”
Le “Penses-tu” français est une saine défense.
Gentil de vous réjouir par la victoire de Yale, il y en avait une autre depuis – sur Harvard, elle est importante et mon jeune ami Dwight Minton de Yale m’a téléphoné, m’a écrit, je devais le savoir au plus tôt. Et je me rappelle qu’à Princeton les professeurs les plus sages, les moins bavards devenaient presque fous – parlant – criant - hurlant – ou apportant des chapeaux (d’hommes) express [sic] pour les jeter dans l’arène, après la victoire. Je peux suivre le jeu, Allen Tate[2] à Princeton m’a appris à connaître les règles, les finesses, je n’ai pas oublié, Allen s’appliquait, était ravi quand j’avais compris, quand j’employais le terme juste.
Je viens de rentrer d’une longue promenade en auto – il faisait beau, un peu brumeux, très peu, le long de l’Océan, par Brooklyn, Coney Island, les mouettes devaient avoir une permission spéciale, par centaines on les voyait voltiger, Ernest, mon chauffeur américain, m’a expliqué que c’est là un des grands endroits ou [sic] les ordures sont [voir la partie supérieure de la page 1].
[Page 1, recto, papier à en-tête Grand Hotel [sic] Continental, München dans le sens de la longueur], avec blason de l’hôtel
Le 14 Aout [sic] 1955
Cher Jean,
Je suis à Munich depuis Mercredi – aujourd’hui c’est dimanche – je vois la famille, il fait beau, frais, l’air de Munich me fait dormir profondément, je me réveille pleine d’énergie.
Hier soir je suis allée avec mon neveu et sa femme à l’opéra – Lohengrin – c’était magnifique à tous point [sic] de vue. Devant une salle pleine de gens, pleine d’enthousiasme, mon neveu a vu Lohengrin 10 fois, moi peut-être 20, je ne sais
Aujourd’hui, j’irai à München Grosshadern chez mon frère et sa fille, sa femme, son gendre, il y a un petit jardin ravissant, des roses partout, j’y passerai la journée et le soir j’irai voir avec ma nièce et son mari – Sofie est intelliegente, gentille, assez grasse, gracieuse étonnement [sic pour étonnamment ?]
[verso, page 2]
dans sa démarche, son mari s’occuppe [sic] de publicité et les affaires affluent - d’ailleurs l’Allemagne, même la Bavière est d’une prospérité sans pareille et la vie est bien meilleur marché qu’en France, qu’en Suisse.
J’ai bien regretté de ne pas vous avoir vu avant mon départ, j’ai reçu votre carte, je regrette vos ennuis au sujet de Mlle O, je m’étonne un peu qu’en France on se préoccupe de ces choses en tant que poursuites [sic], en U.S.A. évidemment cela se serait passé tout autrement. On aurait confisqué, peut-être fermé la boutique et une armée de femmes vous aurait attaqué, lettres, insultes, articles etc, elles sont violentes là-bas et elles ne se laissent pas abaisser, d’ailleurs les hommes américains ne le font pas, manque d’envie ou peur, je ne sais.
(repetition [sic]) Vous savez surement [sic] que Wallace Stevens est mort le 2 Aout [sic], dans une clinique – je n’ai pas eu de détails, un cable [sic] seulement, j’ai écrit à Holly, sa fille
[Page 3]
Je suis encore sous le coup, ma vie à N.Y. sera changé [sic], je ne le voyais pas souvent, mais nous nous écrivions régulièrement – c’était un lien puissant entre ma vie avec Harry et le present [sic]. Harry et lui s’entendaient de gout [sic], d’intelligence, je n’oublierai jamais le bien que W. St. m’a fait par un mot, par un geste pendant cette année difficile de 1947, il semblait comprendre, sentir d’avance la depression [sic], le dessespoir [sic] – sans insister ou préciser – il était poète – j’attends une lettre de Marianne Moore – qui, elle aussi, était sa grande amie – nous nous réunissions chez moi pour déjeuner quand W. St. venait à New York, souvent on y passait tout l’après-midi à bavarder – choses frivoles, choses serieuses [sic], heureux d’être ensemble.
Ecrivez-moi de Paris, je serai ici jusqu’à fin Aout [sic], mes cousins d’Amérique arriveront le 20, nous resterons un peu, puis je les ramènerai.
[Page 4]
à Ville-d’Avray par Genève, début septembre. Je vous les ferais [sic] connaître, elle, Hélène, parle français.
Edith Boissonas est en Italie – Marianne Moore a dit des choses curieuses sur elle dans sa dernière lettre –
Je pense à Germaine, j’espère que vous ne l’avez pas retrouvé [sic] trop déprimée, trop malade – il faut que je sors, on m’attend, il fait beau, un ciel bleu, bleu d’Italie, on est gai, optimiste, quand même.
Bien affectueusement,
je vous embrasse tous deux,
Barbara
Je m’aperçois que je vous ai écrit le 7 Aout [sic] et je savais depuis le 3 que W. ST. était mort – je vous en ai parlé surement, excusez la répétition mais je n’ai pas envie de détruire cette lettre, ni le temps – en ce moment – pour une autre – peutêtre [sic faut-il se repeter [sic], en tous cas sur les choses, les pensées obsédantes – elles deviennent plus supportables – peutêtre [sic].
[1] Wagner, Lohengrin, acte I. Elsa voit venir à son aide un chevalier, porté par un cygne. Le mystérieux personnage l’avertit qu’elle doit jurer de ne jamais lui demander ni son nom, ni qui il est, ni d’où il vient, ni sa race… (« Nie sollst du mich befragen… »)
Barbara Church à Jean Paulhan (20 septembre 1955) §
Voulez-vous encore passer un dimanche familial ? J’ai demandé à la famille Lebègue [ ?] de venir déjeuner pour une dernière fois (je pars le 30) et j’aimerais beaucoup vous avoir aussi.
Et j’ai un service à vous demander. Wallace Stevens m’avait demandé si je ne voulais pas lire un poème d’un jeune homme de Brooklyn, un français, envoyé et dédié à W. ST., lui ne se sentait pas competent [sic], et surtout il se sentait malade.
Et c’est Molly, sa fille, qui me l’a envoyé quand il était à l’hopital [sic]. J’ai promis de rapporter le manuscrit – peut-être pourriez-vous y jeter un coup d’œil (c’est court), votre coup d’œil savant, de grande experiense [sic] ? Moi non plus je ne me sens pas competente [sic].
Telefone ([sic], laissez le message si c’est oui et je l’espère, on ira vous chercher à Midi – Dimanche 25 Septembre chez vous et on vous ramenera [sic].
Barbara Church à Jean Paulhan (29 septembre 1955) §
La voiture est partie, la Cadillac – il parait [sic] qu’il la leur faut maintenant la veille du départ – les baggages [sic] aussi sont au Hâvre [sic] en ce moment, et nous, Laure Lebègue ( ?) et moi, nous y serons demain à Midi.
On vous a bien regretté Dimanche, il faisait beau, on était gai, le déjeuner et les vins à souhait, mais je comprends aussi que Germaine a besoin d’une présence.
Ce que vous dites du poète de Brooklyn n’a fait que confirmer ce que j’en pensait [sic], je ne me méfierait [sic] plus de mon impression – même je la dirai maintenant, sans être soutenue par l’opinion experte. Je suis déjà à moitié dans ma vie, mes habitudes américaines ce n’est pas désagréable, quoique j’ai [sic] du regret de quitter Paris, Ville-d’Avray, mes arbres, C’est très différent ma vie d’Amérique, et cependant pareille, j’essaye d’être heureuse, même seule, même dans l’ennui. Les autres me disent que je leur fait [sic] du bien, cela aussi est une consolation.
Ecrivez-moi, parlez-moi de vous, de votre travail, de ce qui se passe à Paris – les lettres que je reçois sont la grande affaire de la journée, de la semaine, du mois, je réponds aussi de mon mieux – pas aussi bien que vous, bien entendu.
Embrassez Germaine pour moi, je penserai à vous deux souvent.
Au revoir en mai 1956,
Barbara
[Sur le côté]
Dirais-je à Marianne Moore qu’on lui trouve trop d’esprit en France ? Je reçois des lettres gentilles et affectueuses de Holly, la fille de Wallace Stevens.
[Carte postale affranchie le 15 octobre 1955, Lake Minnewaska, New York]
Légende de la carte : le romantique manoir Wildmer, qui domine le lac Minnewaska…]
Le 15 octobre 1955
Cher Jean,
Un week-end gris, pluvieux, quand même agréable avec des amis dans cet hôtel très comfortable [sic], très simple, avec des gens appropriés, tout date de 1879.
C’est charmant, reposant, on aime même la pluie ici. Nous retournerons à New York, à 100 km, demain, Dimanche soir.
J’ai déjà vu beaucoup de monde, l’appartement et [sic] peint, nettoyé, rideaux nouveaux, tout plein gentil, satisfaisant, à mon arrivée, j’avais la nostalgie de je ne sais quoi, d’un climat moins chaud, moins humide, je pense, cet orage peutêtre [sic] changera la température qui depuis que je suis seule joue un grand rôle pour moi, avant j’ai pensé que seulement
Je pense beaucoup à Ville d’Avray, à Paris, à vous – c’est que je suis restée à la maison souvent pour me guérir d’un refroidissement americain [sic] – bigger and better – j’aurais aimé faire cette cure de repos à Ville d’Avray, dans ma chambre avec Paris tout près, surtout maintenant ou [sic] le téléphone marche bien, souterrainement –
Les activitées [sic] cependant sont nombreuses quand même – j’ai eu deux dîners d’amis, j’aurais [sic], comme vous savez mon coming home party le 17 (j’aimerais beaucoup vous y voir), j’ai assisté au meilleur match de football de l’année avec mes cousins [Minton ?] Army – Yale – Army devait gagner mais a été battu par Yale, ce qui nous a grandement réjoui [sic] – Dwight, le fils, est un membre de Yale et un football player – il faisait un temps magnifique après une matinée de pluies, nous étions 61.000 à trépigner, à hurler – vraiment – c’est quelques chose d’étonnant, même pour les amateurs – le retour se faisait sous un coucher de soleil heroic [sic] – nous avons ici La Comédie Française – j’ai vu Le Bourgeois Gentilhomme (avec Monique), la Première, en partant, nous étions
[En marge]
[écrit à la main]
Cocktails
[en caractères imprimés]
Buffet
And Conversation
[écrit à la main]
Suzanne’s
[Page 2, verso]
préparées à nous ennuyer un peu – Tant de souvenirs, matinées classiques, poussière, accent russe etc. Mais ce fut un succes [sic],un vrai, les acteurs, la mise en scene [sic] et le public, surtout le public, Ministres, Ambassadeurs, Diplomates, leurs femmes, leurs plus beaux atours – j’irai encore demain soir : Le Barbier de Séville et Harlequin [sic] poli par l’amour - et puis encore le 15 Novembre (avec Marianne Moore) : Les jeux de l’amour et du Hazard [sic] et une petite chose de Musset.
Et mes soirées de l’Opéra commencent vendredi le18 avec Lohengrin. Et je circule en auto, 2 weekend [sic] à 150 km, à 50 km, le football game était à [ ?], à 200 km de N.Y. Mais l’auto ne me fatigue jamais, les routes sont excellentes – mon chauffeur américain, Ernest sans reproche.
Envoyez moi un petit mot, racontez moi des choses sur vous, sur Germaine – notre grand souci – sur Paris.
Bien, bien, affectueusement
à tous deux
Barbara
[En marge]
Beaucoup de “et” – je suis comme Musil qui m’a dit à Ville d’Avray : quand je mets un et, c’est avec intentions [sic] et cela veut dire quelque chose – je me demande quoi ?
[en haut de la page 2]
[en caractères imprimés]
Date
Time
Place
[écrit à la main]
Thursday, November 17, 1955
6 p.m.
875 Park Ave. New York, 21 N.Y.
Re. 4. 6682
R.S.V.P.
Barbara Church
Jean Paulhan à Barbara Church (19 novembre 1955) §
C'est très étrange de vous imaginer tout d’un coup livrée à une vie si différente. Et puis du haut de votre montagne, on avait un peu le sentiment que vous nous protégiez tous : qu’il suffisait de vous envoler n’aurait l’idée de vous demander une si longue volée.
Ce sont les mouettes qui sont arrivées avant-hier. Au lieu de s’arrêter au Jardin des Plantes, comme d’habitude, elles ont remonté la Seine jusqu’à la tour Eiffel. (C'est un signe, pour l’hiver, de grands froids.) Elles vont et viennent entre les dents du peigne. Elles dorment en volant comme les martinets, pendant que nous achetons tous des bouteilles de gin ou de rhum.
Avez-vous lu, dans la nrf, « Rouge le soir » ? Je ne crois pas qu’il ait paru nulle part sur l’Algérie, un témoignage aussi droit (et même touchant, et même gentil).
Ah, on songe aussi à s’acheter des chandails et des manteaux.
Francis Carmody est ici, en année de sabbat. Il nous parle beaucoup des jeunes poètes américains qu’il aime, et malheureusement qu’il traduit mal, à la façon des professeurs.
Il avait grande amitié pour Wallace Stevens, qui n’aurait pas dû mourir.
De Port-Cros, je garde un souvenir un peu confus, Marceline n’a pas cessé d’être majestueuse : je l’ai vu descendre, pour m’accueillir, sous les nuages
[fin lettre manquante ?]
Jean Paulhan à Barbara Church (16 décembre 1955) §
Bonnes fêtes, Barbara. Bonne année ! Nous songeons à vous avec une grande affection. Mais cette cathédrale avec tant de styles différents, est-ce acceptable (surtout si l’on voit à la fois des styles si différents?) J'ai fait la connaissance d’une minuscule église orthodoxe, qui s’est établie dans une loge de concierge, rue de la Montagne Ste Geneviève. On y tient douze à peine. Mais les deux prêtres vont et viennent très vite, soulèvent puis rabattent le rideau qui les sépare[nt?] de nous. Nulle part, je n’ai mieux senti que Dieu était là. Dans votre gigantesque cathédrale, est-ce qu’il ne se sent pas un peu perdu ? Mais non, bien sûr.
J'ai été content de voir l’autre jour Marthe Ternand chez elle. (J'étais venu avec René de Solier) Ses toiles abstraites sont extrêmement ingénieuses et fines. Que lui manque-t-il ? D'en faire des centaines. D'avoir besoin de les faire. Elle manque un peu de besoin, il me semble : de ce qu’il y a de brutal dans un besoin, et d’irrépressible. (Tout ceci, je vous prie, est strictement entre nous. Je ne voudrais pour rien au monde la peiner.)
Il fait doux, et tiède.
Et bien, les mouettes (qui ont envahi Paris il y a un mois) s’étaient donc trompées. Et les oignons (qui avaient mis des tas de peaux), trompés aussi. Vous voyez, il n’y a pas que les hommes : c’est consolant à penser.
Peut-être Maine va-t-elle un peu mieux. Elle a toujours les mêmes inquiétudes pour les enfants (qu’elle a vus, dans ses rêves, blessés ou accidentés). Mais elle a aussi beaucoup de moments d’une vraie présence d’esprit.
J'ai été bien malheureux. Vous ai-je dit que nous n’avions guère d’argent, que tout ce que je gagne passe dans les soins à donner à Germaine, les infirmières, les docteurs ? Et bien, quand le sweater est arrivé (et je le sentais très bien, à travers le carton, léger et chaud) eh bien, je n’avais pas à la maison les cinq mille frs. que réclamait la douane (abusivement, il me semble) pour nous le remettre. Mais je ne vous suis pas moins reconnaissant de cette gentille pensée.
Bonnes fêtes, Barbara. Est-il vrai que vous ayez été fatiguée, ces derniers temps ? Jamais votre écriture n’a été plus nette et plus (comme on dit) allante. Nous vous embrassons bien fort.
Jean.
N'écrivez-vous plus de poèmes ? J'aimais bien les entendre.
Barbara Church à Jean Paulhan (21 décembre 1955) §
Ce petit mot en hâte et par avion – je veux que vous ayez le petit vêtement en laine – voici un Traveller’s Cheque de 850 – payez la douane (exorbitante, évidemment, je vous direz [sic] combien je l’ai payé ici quand j’aurai la note.
Vous aurez plus que les exigeances [sic] douaniere [sic] – Trouvez quelque chose pour Germaine qui lui fera plaisir, même après les fêtes de Noël – pour le jour de l’an peutêtre [sic].
Il fait très froid à N. Y., sans neige avec un ciel bleu – j’aime bien ça. Je vous embrasse
Depuis 10 h ce matin nous sommes officiellement au printemps – le soleil est éblouissant, le ciel bleu cobalt, mon avenue est couverte de neige, il fait un froid de loup.
Nous avons eu deux tempêtes de neige depuis Vendredi, on ne quittait plus l’écoute – du vent à 80 Km. à l’heure, une neige fine, persistante, comme des voiles de mousseline blanche, qui allaient, venaient, le monde ce n’était plus que cela.
Moi qui aime la neige, le froid je suis sortie avec Monique et ses garçons un soir pour entendre Mozart, le lendemain avec Suzanne au Cinema [sic] – à pied chaque fois (dans le voisinage) les voitures ne circulaient plus. Grande excitation, on était presque déçu, si la catastrophe semblait diminuer. Demain on aura tout oublié naturellement.
Je suis contente que vous ayez enfin le chandail – heureusement que les authoritées [sic] douanières ne sont pas trop diligentes, j’avais déjà annoncé à mon marchand le retour du coli [sic].
J’espère aussi que le froid d’ici vient d’Europe et qu’il vous a quitté. Nous sommes tellement bien chauffés, nous ne souffrons point du froid dans les maisons et de la fenêtre c’est ravissant à regarder. Hier soir j’ai vu un homme descendre à skis mon avenue – il marchait bien, parfaitement à l’aise, dans la route.
Connaissez-vous une revue américaine – newyorkaise [sic] – “Hudson Review” ? éditée par Frederick Morgan[1], un ami de Princeton. Il y a un article de Stanley Edgar Hyman[2], “Identities of Isaac Babel[3]” – Vous rappelez-vous notre déjeuner à Ville d’Avray : Gallimard (je crois), Beucler, Malraux et vous et Babel[4], c’était en 1936, si je ne me trompe – la grève sur le tas.
Je le trouvais sympathic [sic] Isaac Babel, il était content de Ville d’Avray, de bien manger, de bien boire et il me tranquillisait quand Beucler[5] et Malraux voyaient déjà des mitrailleuses à tous les coins de Paris, il disait (Babel) : “Nous avons tout ceci derrière nous, venez à Moscou”
Knopf a publié en 1927 “Cavalerie rouge”, les nouvelles ont été publié [sic] en Russie jusqu’en 1938, on croit que Babel est mort en 1939 ou 40 dans un camp pénal.
[page 3, fin du texte sur la partie de gauche ; une fleur sur la partie de droite avec la mention manuscrite] Bonnes Pâques à tous deux Barbara
Maintenant “Criterion Books” ont édité “The Collected Stories of Isaac Babel” traduit par Walter Morison. On loue le livre, le traducteur – j’ai lu l’article, j’ai commandé le livre. En savez-vous quelque chose ? Il y a beaucoup de gens en France qui connaissent bien le russe.
Je bavarde comme toujours – Harry aimait écouter, Wallace Stevens disait que je bavarde bien – j’espère que vous êtes patient.
C’est vous qui m’avez appris la mort de Jean Royère[6] – c’était un bon ami de Harry – il répondait une fois à quelqu’un qui reprochait à Harry son silence “mais, moi, j’aime les gens qui écoutent”.
Et les 90 ans de Maria van Rysselberghe[7] m’ont enchantée – mes compliments, mes félicitations si elle en veut.
Bien, bien affectueusement
à tous deux
Barbara
[1] George Frederick Morgan (1922-2004), poète, éditeur américain, fondateur en 1948 de The Hudson Review.
[2] Critique littéraire américain (1919-1970), qui a travaillé principalement pour The New Yorker.
[3] The Hudson Review, January 1956.
[4] Écrivain russe (1894-1940) ; Cavalerie rouge est traduit en français en 1928.
[5] 1898-1985.
[6] Poète français, 1871-1956. Il a été directeur de la collection La Phalange 1924-1942 (qui édita en 1926 les Images de la Grèce d’Albert Thibaudet). Voir http://petitesrevues.blogspot.fr/p/bibliographie-de-la-collection-la.html
Etes vous faché [sic ?] avec Dhotel[1] ? Il m’a envoyé son dernier livre avec une dédicace. Je regrette de ne pas avoir vu Ungaretti[2] – j’avais envie de le voir.
Moi aussi je suis contente de vous avoir vu, d’être à Ville d’Avray, à Paris.
On s’est un peu négligé, il me semble – Mes torts : Trop de visiteurs d’Amérique, de Munich, un refroidissement que je n’ai d’habitude qu’aux changements de climats, de saison – nous n’avons plus à Ville d’Avray ni l’un, ni l’autre, ni climat, ni saison, seuls les changements violents persistent.
Je vais mieux, on vient me voir – maintenant je pars à Munich, à Genève pour un mois, je serai de retour fin Aout [sic], j’espère qu’on se verra. Laure qui est pessimiste me reproche mon optimisme.
Comment allez-vous ? Je pense à vous, j’aimerai [sic] des nouvelles plus concrets [sic], que mes imaginations, que les échos des visiteurs.
Je pars mercredi 25 Juillet pour Munich – 3 semaines, Genève une semaine, je serai de retour fin Aout [sic] – on se verra, n’est-ce pas alors ? En ce moment Yvonne Moreau-Lalande et naturellement Laure Lévèque [?] sont avec moi ; nous bavardons à batons [sic] rompus, nous sommes en accord, en désaccords [sic],
[Marge gauche]
en attendant Aout [?] (l’été) – Mon grand plaisir était de recevoir des lettres sur la fête, des lettres gentilles, gentilles pour moi – Je crois toujours aux compliments, du moins sur le moment.
Mais vous ne me donniez pas votre adresse, et je n’ai pas pu vous répondre en Allemagne ! (merci de cette belle carte. Comme la vie en Bavière semble bouillonnante et constructive ! )
Je suis venu passer deux jours à Brinville (que vous connaissez) chez Marcel Arland. Je ne puis, bien sûr, quitter Germaine plus longtemps. Votre lettre lui avait fait grand plaisir.
J'ai beaucoup songé à Henry, tous ces jours-ci. C'est que je reprends le « projet d’enchantement » que j’avais jadis écrit pour lui : les lettres à M. de Hohenau. Je le revois au bout de chaque phrase, et que de choses seront sorties de ses silences. (Il y a là-dessus un mot de Tchouang-Tzeu : si tu ne parles pas, tout se dira.)
Où êtes-vous à présent, Barbara ? Je voudrais bien que cet été incertain, trop froid, ne vous déçoive pas trop.
Il a paru dans le Chasseur français, entre deux cents annonces de mariages, celle-ci :
Parents professeurs haute moralité marieraient fille 28 ans, brune, instruite, dotée à jeune homme bonne situation, culture genre N.R.F sentiments élevés. Bureau du Journal, 68f8.
Voilà qui donne du courage ; mais je voudrais bien lire les lettres des candidats.
Connaissez-vous bien l’oeuvre de Germaine Richier ? Je voudrais vous mener quelque jour chez elle : c’est un sculpteur plus grand que Bourdelle et que Rodin. Sa dernière grande statue, la Montagne est faite d’un côté d’une sorte de caverne ou d’oeuf, de l’autre d’une pente de rochers. De ceci à cela, des pins abattus. Le tout, infiniment simple et pourtant mystérieux et qui fait songer, on ne sait trop pourquoi, à l’oeuf d’où est sorti (dans les Traditions) le monde entier.
Pourquoi Henry n’est-il plus là pour la voir ? Ah, j’avais plus d’une raison de songer à lui ces jours-ci.
Mes enfants sont à Port-Cros. Je travaille. Est-il vrai que vous songiez à abandonner Ville d’Avray ? On en serait bien triste. A bientôt, Barbara. Germaine et moi vous embrassons fort.
Etonnant que je n’ai pas [sic] donné l’adresse sur une carte, j’ai tellement besoin de lettres, tellement envie de reponses [sic].
La vôtre du 19 m’a émue, merci. Les lettres à Mr de Hohenhau[1], le “projet d’enchantement”, les silences de Harry, ces silences qui me manquent, - Je pense – souvent, combien elles étaient éloquentes [sic] – quand un jour il m’a repondu [sic]., je lui faisais des reproches (légers) sur son mutisme dès qu’on était plus de deux – mais je pense des belles pensées - Une autre fois, le soir, nous n’étions que deux (le matin il était bavard) je voulais donner la chiquenaude au barrage – il était tranquil [sic]. – trop tranquil à mon gout [sic] – disais : ’‘ Harry, maintenant nous allons changer de sujet”, il riait, il riait, nous riions, jamais ou presque jamais il n’a autant parlé, traduisant ses belles pensées en belles paroles, en trois langues, en s’amusant comme les [sic] Rois, si jamais les rois s’amusaient.
Moi aussi, je lirai maintenant les annonces de marriage [sic]. – je croirai volontiers que les candidats citeront la N.R.F.[2] toute une page probablement JP, s’ils sont serieux [sic] et vantards et decourageront [sic] les parents professeurs et surtout la fille de 28 ans – ils ne comprendront plus leur [sic] pretentions [sic], seront obligés de mettre une autre annonce ou d’autres termes plus concrets.
Oui, je connais l’œuvre de germaine Richier – j’en ai vu aux expositions à Paris. J. J. Sweeney[3] en a acheté une pour le musée de Guggenheim à New York, l’a placé [sic] en une place très en vue – oui c’est un grand sculpteur –
Je veux bien que vous me meniez un jour de Septembre chez elle. Et je crois – elle est, elle ne sera pas étonnée de mes frivolitées [sic] – qui tout comme les silences de Harry, ne sont pas toujours frivoles. Elle est une grande artiste, simplement, naturellement – oui Harry aurait du [sic] la connaitre [sic] – il aimait des gens exubérants, exubérants de vie, d’idées
Et qui vous a donné cette idée que je songe à abandonner Ville d’Avray – vous pourrez [ ?] dire, repondre [sic] que je n’y songe pas, jamais je ne voudrais vous rendre triste.
Evidemment V. d’A. me coute [sic] cher, mais quand je suis à Ville d’Avray, dans notre maison, dans notre maison [sic], ma nostalgie s’apaise – par moment – je retrouve une paix qui ne ressemble à aucune autre.
Je bavarde, il faut m’arreter [sic] – j’ai un rendez-vous avec un banquier de Genève important – à Midi je verrai Auguste Bouvier, le fils de Bernard Bouvier[4].
Bien affectueusement à tous deux
Barbara
J’écris devant la fenêtre grande ouverte sur le lac – il pleut – Harry aussi aimait Genève – son climat, sa douceur, même son ordre et son ennui.
[1] « Lettres à Monsieur de Hohenhau sur l’usage et le rendement d’un nouvel appareil à décrypter ou : un projet de ravissement de l’esprit humain » (1935), in Jean Paulhan, Traité du Ravissement, prés. Yvon Belaval, Périple, 1983.
[2] Voir Le Chasseur français, n° 714, août 1956, p. 30 (colonne de droite).
[3] James Johnson Sweeney (1900-1986), critique d’art, conservateur du musée Guggenheim de 1952 à 1960.
[4] Auguste-Adolphe Bouvier, directeur de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève de 1953 à 1959, fils de Bernard Bouvier et père de l’écrivain Nicolas Bouvier.
Barbara Church à Jean Paulhan (21 septembre 1956) §
Enfin l’été – ce matin en ouvrant mes volets (j’adore faire ça) très tôt, 7 h, c’était mon beau jardin, le beau ciel, le chaud soleil du temps ou [sic] je découvrais chaque jour à nouveau Ville-d’Avray. Toute la maison dort encore, je ne partage avec personne ma joie – C’est bien cela – on m’aime un peu trop, surtout ma famille américaine, deux visites la semaine dernière, aujourd’hui arrivent mes cousins Minton [ ?] que vous connaissez. Ils arrivent d’Italie en auto. Helen m’a téléphoné hier soir de Beaune, débordante d’enthousiasme. Mais ces visites, agréables en somme, m’empêchent de voir les Parisiens autant que je voudrais.
Pouvez-vous déjeuner avec moi chez Prunier avenue Victor Hugo Lundi à Midi ½ Lundi 24 septembre. Avec Mlle Auclair[1], si elle peut, si elle veut ?
Et voici les livres, merci de me les avoir portés – j’ai lu Lettres de Capri[2] - tout le monde à la maison, me semble-t-il, les a lu [sic], je m’excuse que cela se voit [sic], j’ai lu Taxis de la Marne[3] – des belles pages d’éloquence evidemment [sic], on lit, on approuve, on est épouvanté, irrité parfois ; il aime au fond les dictateurs, si ce n’est que pour s’opposer, il est gai, de façon tumultueuse, hero [sic] en graine que personne ne fait pousser. Sympathique à cause de son indignation – l’est-il vraiment ? Tout prêt [ ?]
[Ligne au-dessus : sympathique et indigné]
J’ai vu Germaine – vos courages sont incommensurables –
Je vous admire tous deux et je vous aime. [« Pâté » rayé] C’est pour cacher une faute d’orthographe.
Barbara
Dites à Jean qui vous porte la lettre et les livres, si c’est oui – j’espère, je l’espère.
[1] Marcelle Auclair (1899-1983) ou sa fille, Françoise Prévost ?
[2] Mario Soldati, Les Lettres de Capri (1954), traduit de l’italien en français en 1956, Plon.
[3] Jean Dutourd (1920-2011), Les Taxis de la Marne (Gallimard, 1956).
Barbara Church à Jean Paulhan (1er octobre 1956) §
Carte représentant “A Hooked Rug design from an original pattern by Eward Sands Frost. An inventive peddler of the late 1800’s, he devised the first stencils for hooked rug designs. The Frost patterns are still preferred by many for their symmetry and beauty.”
[Sur la marge droite de la carte]
Les fêtes ont été magnifiques – on m’a gâté [sic], j’ai gâté les autres – je pense – on vivait le présent ou songeait au passé, doux, tendre regret.
January 10, 1956 [sic]
Cher Jean,
Voici une [ ?] trois lettres traditionelles [sic] de Noël, écrit le 24 décembre à 4 h de l’après-midi, au moment ou [sic] j’avais fini mes préparations pour la fête du soir, fatiguée de tout le travail physie [sic], la recherche pour amuser , pour faire plaisir – j’étais convaincue, comme tous les ans, que cette fois je n’avais pas d’idée, pas la force. Le papier blanc, une plume qui marchait à souhait, le poeme [sic] de Mr Edmond [sic] WilsonXXXI ‘ ‘Christmas Delirium” qui me trottait dans la tête depuis quelques jours, qui m’avait frappé – alors me voici, pas sérieuse du tout, peutêtre [sic] vous amuserais-jé [sic] – sinon toutes mes excuses.
Le petit vêtement est à New York, me dit SulkaXXXII, le marchand.
On me l’enverra et je vous le porterai en Mai – oui c’est léger et chaud, vous le porterez quand même. Je suis contente que vous êtes [sic] arrivé à faire plaisir à Germaine. Je crois que moi aussi j’ai le petit jouet qui tourne, qui donne un léger tintement de clochettes – c’est une invention bavaroise, je crois, du 18e pour une
Bien affectueusement – bonne, bonne année
Barbara.
[Sur la marge gauche de la carte]
princesse qui s’ennuyait.
12-24-55
Weihnachts-HeimwehXXXIII Mal du pays/Nostalgie de Noël
Lieber Heinrich Heine Cher Heinrich Heine
Komm herauf, herauf Monte, monte
Wie Erda wie Bezlebub Comme Erda, comme Beelzebub
Hilf mir mit Worten Aide-moi avec des mots
Mit scharfem Satz Avec une phrase aiguë
Zu einem hellen/netten Bild pour (créer) une image claire
Von unserem Seelenwirren De notre âme confuse
Nun (nur) diese zeit Ce temps maintenant
Weihnachtslieder des chansons de Noël,
Kerzen Tannen des chandelles, des sapins,
Geschenke des cadeaux,
Herzen die wieder/wilder freuen/pochen des cœurs qui se réjouissent de nouveau et se laissent emporter par leur joie
Wie einst – wie jedes Jahr comme autrefois, comme chaque année
Freude helle Freude klopft la joie, la joie claire qui frappe
An Thür und Fenster aux portes et fenêtres
Die frohe Botschaft le message joyeux
Ist auf allen Lippen est sur toutes les lèvres
Und nun glaubt Darum, c’est pourquoi vous devez y croire
Sie ist dieselbe Elle est toujours la même
Die Neugeburt cette renaissance
Des Anfangs du début
Sind funkelndes neues nouvelle, brillante
Wir sind wieder Kinder Nous sommes de nouveau des enfants
Ein Unterschied: Une différence :
Der Alltag, der unerbittliche le jour ordinaire/le quotidien inexorable
Ist unser strenges Erbniss est notre héritage austère
Heute ist heute, heute nun Pourquoi y penser aujourd’hui ?
Am Weihnachtsabend. Mieux vaut être tout entier à l’instant présent.
Ma première lettre d’Amérique est trop banale, je crains. J’avais envie de bavarder avec vous, mon excuse.
Bien des choses à Germaine.
Je vous embrasse
Barbara
[Marge gauche]
Marianne Moore vient de publier “Like a bulwark”[1]. Poems [sic] nouveaux – elle m’a donné une belle dédicace, le livre, 11 poèmes, bien imprimés, un beau volume. Je le lirai ce soir – plus tard.
[Filigrane : 875 Park Avenue
New York 21, N.Y.]
Cher Jean
Nous ne nous sommes pas vus avant mon départ pour l’Amerique [sic], j’en ai du chagrin. Vôtre [sic] mot m’est arrivé ici. J’espère que vos courtes vacances ont été bonnes pour vous, bonnes et reposantes. L’Amerique [sic], New York, la côte Est sont merveilleux, l’automne americain [sic] dans toute sa splendeur, jamais je crois bien, je n’ai vu des couleurs aussi rutilantes, aussi douces, aussi grisantes. Et il fait beau temps, chaud comme en été, si j’étais capable d’écrire des sonnets, je ferai [sic] comme Shakespeare ?
Harry aussi subissait l’influence de cette saison bienfaisante. Il se detendait [sic] , il pardonnait tout à tout le monde, même à l’Amerique [sic], il devenait optimiste.
Je fais le tour de la famille – on reste tard à la campagne naturellement – j’étais à Greenwood, à New Hyde Park, à Mill Creek, tout cela à Long Island, hier je suis allée à Princeton pour la journée – une sorte de festival americaine [sic] , annuelle, plus réussie encore cette année, “Things and people at Their Best”, sans programme, sans programme [sic], spectacle permanent, sans tickets. Evidemment [sic] nous sommes en periode [sic] d’élection, j’ai pris (Suzanne aussi) ma carte d’électrice (une inscription seulement) et j’écoute les gens et la Radio me dit comment, pour qui voter. C’était passionant [sic] pour moi en 1940, nous habitions Princeton à cette époque et j’ai saisi avec attention, application tous les discours – avec ahurissement aussi, Harry s’en [sic] amusait beaucoup de mon apprentissage – les discours, il fallait que je les raconte chaque fois. C’est bien moins passionnant pour moi en 1956 – à moins que la dernière semaine ne nous apporte la grande tension, necessaire, parait-il [sic], à toute élection presidentielle [sic][2].
Laure Lévèque est venue avec moi sur “Liberté”, elle est heureuse d’être avec sa fille, nous nous voyons souvent, elle parait [sic] plus française que jamais, elle s’en defend [sic] – un peu – mais sans beaucoup de succes [sic], mes amis, ma famille, sont ravis d’elle, on l’écoute, on admire son français, son incapacité de parler anglais ou americain [sic] , elle a moins d’inhibition.
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sans sa fille, sans moi – au fond, je pense qu’elle apprecie [sic] l’Amerique [sic], elle se sent attirée malgré elle, on lui en sait gré, elle est essentiellement conservatrice, elle croit à l’hérédité, aux traditions, l’Amerique [sic] lui fait un peu peur.
Nous sommes très differentes [sic] et c’est cela qui nous rapproche, je m’impatiente quelques fois [sic] de son indulgence envers moi, je comprend [sic], nous en rions.
Je vais vois Marianne Moore cet après-midi, elle revient de Californie ou [sic] elle a fait des conferences [sic], très bien payées, dans les universitées [sic], elle m’a fait un long recit [sic] au télefone [sic] sur son séjour (2 semaines) dans ce pays aux quatre printemps, mais dit-elle, rien ne vaut New York et son automne. Nous sommes d’accord sur bien de choses [sic], nous nous admirons mutuellement et nous le disons, elle, la puritaine, moi la catholique !!, en tous cas nos rencontres, longues ou courtes, sont agréables, satisfaisantes.
Wallace Stevens me manque bien, nous nous voyions peu, Hartford dans le Connectitut est tout de même un peu loin, il était Directeur d’une grande Compagnie d’Assurances [sic], occupation sérieuse, ses séjours à New York étaient courts et d’heure en heure d’avance préparés. Mais ses lettres etaient [sic] nombreuses, me faisaient plaisir, étaient stimulantes.
Je reviens de la ville, nous avions rendez-vous à l’hôtel Plaza, M. Moore et moi, il faisait très chaud ; on a bu une limonade glacée ; un café glacé, nous avons bavardé, elle m’a parlé d’un auteur français sur lequel elle écrit 30 pages pour une revue, - elle admire son érudition, le travail qu’elle impose – je n’ai pas compris son nom, je saurais [sic] plus tard. Au moment c’était difficile de l’interrompre, elle parle beaucoup, bien, j’aime l’écouter.
Puis après nous avons été du public qui compose un vernissage, une exposition d’un jeune peintre americain, la nouvelle tendance “ la photographie en couleur faite à la main” (qui m’a donné cette definition [sic] ? Déjà en 1955 je crois). J’en suis sortie, éprouvée à l’extreme [sic] par la chaleur, un peu aussi par le choix des models [sic] – genre Dali, plus jeune. Sans aucun “penses tu ?”, nous nous sentions un peu hors de cadre [sic] parmi tous les beaux éphèbes qui évidemment étaient en extase, ou pretendaient l’être. Cependant ce n’était pas mal quand même. Nous étions heureuses d’être a [sic] nouveau dans la 54e rue (la rue de la Boétie d’ici), nous avons marché.
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[sur le côté à gauche]
un peu, puis M. Moore allait à une conference [sic] – quelqu’un allait lire ses poèmes à la Y.M.H.A. (Young Men’s Hebrew Association), Wallace Stevens les appelait “Les Abyssiniens ». Une grande belle salle de conferences [sic], des pièces de théatre [sic], des concerts – toujours de choix. Maintenant après un bref souper je suis bien contente à la maison, j’ai un passionant [sic] roman policier, et un concert de Mozart à la Radio.
[1] Marianne Moore (1887-1972), Like a Bulwark, 1956.
[2] Le républicain Dwight Eisenhower est réélu le 6 novembre 1956.
Barbara Church à Jean Paulhan (12 décembre 1956) §
From Barbara Church [imprimé en lettres gothiques de fantaisie] [sic]
Cher Jean
[sous le Merry Christmas]
pas sure [sic]. M. T.[1] est contente du résultat, beaucoup de monde est venu, elle a vendu, elle m’a envoyé l’affiche qui est jolie – j’aime bien sa nouvelle manière “les Graffitis
Bien à vous
Barbara
[au verso de la carte]
Aigle américain [United States of America 1956]
Embrassez Germaine pour moi, je lui enverre [sic] un message à elle, une carte que je trouve drôle - peutêtre [sic] elle la fera rire un peu.
New York est de nouveau sous le signe de Christmas – evidemment. Hongrie, l’Egypte sont encore des “news”[2] – mais Noël [sic], les decorations [sic] des rues, des boutiques, les cadeaux semblent absorber l’activité, les pensées d’abord, pour le moment. On est pressé ici, on veut que les choses s’arrangent promptement et le Moyen Orient est devenue, redevenue [sic] de ces insolubles [sic]. Je me defend [sic] tous les ans contre cet envahissement joyeux, mais je succombe rapidement. Même Harry qui n’aimait pas l’optimisme à date fixe se rendait. Il y a un poème de T.S. Eliot sur la cultivation [sic] du Christmas Tree[3] : “ la fête qu’il faut accepter comme un evenement [sic] et pas du tout comme un pretext [sic] , que la reverence [sic], la gaieté ne soient pas oubliées dans les expériences qui reviennent, que les mémoires accumulées d’émotions annuelles soient concentrées dans une grande joie, dans une grande peur” etc. Un court poeme [sic] dans une jolie édition de Farrar, Strauss and Cudahi que beaucoup achètent pour envoyer aux amis comme Cartes de Noël [sic] . C’est dédié aux enfants qui croient, qui ont peur, fraichement [ ?], joyeusement et parce que le commencement doit nous rappeler la fin, la première arrivée la seconde”. Facile, optimiste, bien sure [sic] - mais quand même.
Comment allez-vous ? J’espère bien, du moins physiquement, autour de moi beaucoup sont malades et on vient vers moi pour se raconter, parce que , croit-on, j’écoute avec sympathie en quoi on se trompe souvent [sic], je suis fourbue, vaincue, après une séance de plaintes, même courte, et j’ai de la rancune.
Moi-même, je sais bien, l’hiver est venu, le froid, même un peu de neige, nos appartements sont bien chauffés et j’aime le froid dehors sous un ciel bleu. Les promenades en campagne sont ravissantes. Même Laure Lévèque qui souffre du froid (son grand reproche contre le climat d’ici) en convient, m’accompagne souvent. Elle repartira le 4 Janvier vers Paris - c’est sa destinée d’être partagée entre Paris et New York moi aussi d’ailleurs et je n’ai pas le grand prétexte d’enfants.
Nous fêterons Noël ensemble traditionelle [sic] fête annuelle.
Il me semble que nous nous devons des lettres.
J’ai beaucoup aimé la vôtre à un jeune Partisan(vous pouvez m’enroler [sic] du bon coté [sic], du vôtre). Marrianne [sic] Moore aussi m’en a parlé avec enthousiasme – elle trouvait que la N.R.F. est devenue étincellante [sic]. Elle m’écrit souvent de son lit en ce moment, elle est souvent refroidie elle aime travailler couchée. Et elle travaille beaucoup, elle a publié un petit recueil de nouveaux poêmes [sic] “Like a bulwark”(que je lis, relis), elle fait des conférences, elle est toujours prete [sic] à se laisser consulter par les jeunes, elle aime son frère, qui le lui rend, elle écrit beaucoup de lettres, bien jolies – nous sommes de grandes amies, j’en suis heureuse.
J’ai envoyé des messages de Noël [sic] à beaucoup de monde, entre autre [sic] à Michaux, à Edith Boissonas [sic], à Ungaretti. M. Moore m’a envoyé une revue française, on parlait d’Ungaretti, de son prix de poésie international[4], on publiait plusieurs poèmes en retrospective [sic], elle aime Ungaretti, son lyrisme.
Avez-vous vu l’exposition de Marthe Ternand ? Bien sure [sic], aussi celle de Germaine Richier ? Encore
[Dessin de Fabrès [ ?]]
Les trois Rois Mages arrivent à Noël [sic] à New York. Les chameaux sont dignes, l’agent plein de zèle, les rois avec leurs robes et couronnes apportent les cadeaux, le dernier doit être Nasser avec la caisse et une fausse barbe pour tromper la police – excusez-moi, ma chère Germaine- de blaguer, j’aimerai [sic] tant vous faire rire un peu.
J’ai bien ri quand j’ai vu cette ridicule carte pour la première fois.
Il fait hiver [sic ?], je vais bien, je suis trop occupée, mais c’est bien pour moi.
Laure Lévèque est à New York avec sa ville et les 2 garçons, qui sont grands et gentils, elle est heureuse d’être avec eux, mais rentrera à Paris le 4 Janvier après un séjour de 3 mois. Laure fait des courses avec moi – nous faisons des découvertes pour les amis, pour les cousins, on déploie une phantaisie [sic] inouïe dans ce pays pour les fêtes de Noël [sic] et tout le monde joue. La ville est decoree [sic] , des arbres de Noël [sic] partout, les boutiques étincellent, c’est du toc, du beau toc, bien finit [sic].
Je pense à vous, beaucoup, souvent, je vous aime et je dis comme la carte que toutes les joies de cette saison vous apparaissent possibles à tous.
Je vous embrasse, gardez moi votre amitié
Barbara
Nous irons à l’Opéra ce soir, Laure et moi – elle viendra dîner et nous entendrons Maria Meneghini Callas[5], une nouvelle Chanteuse, belle, une voix remarquable, une actrice aussi une vraie, avec un tempérament à souhait – elle rend le public fou chaque fois– ce soir elle chantera Lucia di Lammermoore [sic] – la scène de la folle Lucia qui est un de ses plus beaux rôles [sic] et elle stimule tous les autres. Et nous mettrons nos belles robes. L’opéra et les theatres [sic] sont brillants et bon en 1956/5 nous serons bientôt en 1956.
[Carte]
[Imprimé en caractères rouges]
May all the joys
Of the Christmas Season be ours
[à la main]
Joyeux Noël
Bonne année
Barbara Church
[1] Marthe Ternand, 1888- ?
[2] Soulèvement de Budapest, 23 octobre 1956 ; fin de l’intervention franco-britannique à Suez, 6 novembre 1956.
[3] The Cultivation of Christmas Trees, 1956.
[4] Fondé en 1930, le Journal des poètes (Société des auteurs belges) a choisi Ungaretti en 1956 comme premier récipiendaire de son Grand prix des biennales internationales de poésie.
[5] Elle triomphe au Metropolitan Opera de New York en 1956.
Jean Paulhan à Barbara Church (21 décembre 1956) §
Grand merci de ces belles cartes. Qu'il est bon de vous lire, de songer à vous, de vous parler !
Et bien, j’ai eu un petit accident aux yeux. Imaginez qu’il m’arrivait, durant des quarts d’heure entier de voir des objets en vagues, tout à fait comme un poisson. Ce n’était pas du tout désagréable en soi, c’était plutôt amusant même, ou ça l’aurait été si l’on avait pu s’empêcher de réfléchir là-dessus. Mais j’ai pris un mois de repos, et ces fantaisies ont disparu.
J'étais chez Jean Dubuffet, dans la maison qu’il s’est fait construire à Vence. Maison plus sûre, le terrain acheté étant vertical (comme les jardins de ses tableaux) De sorte que les ateliers à peine achevés il a fallu les étayer par un mur de soutènement, et le mur lui-même par de gros piliers, et les piliers (le jardin offrant de profondes failles) par un nouveau mur de soutènement. Pour l’instant,tout paraît tenir. Mais qu’arrivera-t-il l’an prochain ?
J'avais devant ma fenêtre, de l’autre côté du ravin, la chapelle de Matisse. Elle est laide, et un peu ridicule.
Vous ai-je dit que Fred s’était engagé pour l’Algérie ? On a mis six mois à accepter sa demande. Mais le voici, depuis quelques jours, en Grande-Kabylie. Tout le courage de Jacqueline n’empêche pas qu’elle soit inquiète, et malheureuse. Les enfants grandissent bien, et la jeune Claire a eu hier un an.
Evidemment, Fred (qui par ailleurs a commandé en 1944 une compagnie d’Algériens, qu’il aime beaucoup) a pensé que son devoir était de s’engager. Peut-être que l’horreur du travail de ministère a aussi joué son rôle dans sa décision.
A part ça je me suis remis à ma « Peinture moderne », et aussi à un petit récit, que Chagall m’a demandé d’illustrer. Ce n’est pas facile. J'ai imaginé là-dessus un vers :
Aux petits des oiseaux Dieu donne la pâture
mais sa bonté s’arrête à la littérature.
Mais peu importe. J'ai de bonnes nouvelles d’Ungaretti, qui songe à un voyage en Chine. Lisez, je vous prie les livres de Dunne sur le temps et les rêves : il démontre que nous sommes tous immortels, d’une façon qui me semble irréfutable. Moi j’aurais préféré pas (tant il est agréable de vieillir) mais il faut céder à la vérité. Edith Boissonnas a passé un mauvais été, allant de maison de santé en maison de santé : mais je l’ai revue, l’autre jour, guérie. Henri Michaux s’adonne à la mescaline comme s’il l’avait attendue toute sa vie (vous verrez le résultat dans la nrf de février. Ah n’oubliez pas de lire les souvenirs de Jean Grenier, qui sont merveilleux. Bonne année, Barbara ! Maine et moi vous embrassons fort.
Jean.
Vives amitiés et souhaits à Laure Lévèque. La situation du monde ne me semble pas très rassurante. On disait l’an dernier « Tout, plutôt que la guerre. » On dira l’an prochain « Presque tout plutôt que la guerre ». Que dira-t-on en 1960 ? N'y songeons pas trop.
Grands signes d’admiration, d’amitié à Marianne Moore.
Irez-vous à l’Exposition de Fautrier, chez Sidney Janis ? C'est un grand succès, toutes les toiles ont été achetées d’avance.
A bientôt, n’est-ce-pas, Barbara. Pourquoi songe-t-on davantage à Henry, dans ces journées de regrets et de fêtes.
J
Barbara Church à Jean Paulhan (1er janvier 1957) §
C’est à vous, ma première lettre de 1957 – j’ai une plume qui marche toute seule, le papier lisse, acceuillant [sic], vôtre [sic], lettre si gentille, si affectueuse, j’espère d’être à la hauteur, moi aussi.
Noêl [sic] a été merveilleux, cette année encore, l’arbre plus grand, plus beau- Monique disait : “ C’est comme du temps de Ville d’Avray, un de vos Noëls fabuleux.”
J’aime bien le poête [sic], endormi du XI siècle, je vous envoie des fleurs, des canards, un étang aussi, de cinq siècles plus tard- Il font des choses jolies, les orientaux toutes en nuances d’où nos difficultées [sic], avec eux, peutêtre [sic]..Nous serrons [sic ?] les problèmes de plus et nous ne savons pas ou plus que le propre des problèmes est qu’ils sont problèmes – les définitions n’y changent rien.
Hier soir nous avons attendu Minuit, nous avons salué 1957 en buvant du Champagne, en nous souhaitant bonne année, la Radio faisait une description amusante de la joie du [sic] Times Square à Minuit et nous l’entendimes [sic], un immense cri de toute une foule – un cri bien beau, qui nous secouait, qui nous faisait croire que vraiment l’événements était important, que tout allait changer – ce pays qu’on accuse d’être trop pratique, trop materialiste [sic] croit dure [sic] comme fer aux illusions, aux fictions – cela fait plaisir quand même.
J’ai toujours pensé que l’église, la chapelle de Matisse (j’en ai vu une copie exacte au Musée de l’Art moderne à New York) etait [sic] une gageure et pas [illisible] . Harry a eu raison de ne pas acheter Matisse quand on pouvait le faire- mais je l’ia regretté un peu. Nous n’avons que la toile blonde dans mon salon vert à Ville d’Avray. Ici j’ai un magnifique dessin, un nu, fait avec des traits fins, beaucoup d’air, grand, éloquent, simple.
J’aime beaucoup votre vers imaginé pour Chagall [sic] – les oiseaux, Dieu et la littérature. Vous êtes poète – vous avez de la fantaisie, la capacité de la mettre en mots, vous êtes clairvoyant, juste assez et quand même belle composition. Ce que vous dites sur le vieillir m’a plu, naturellement, moi j’essaie de penser le moins possible, juste assez pour être honnete [sic] par moment avec moi-même, sans autre souci, je constate aussi parfois les avantages.
Fred est parti en guerre en Kabylie – Monique me dit que c’est encore un des endroits le plus tranquil [sic] – peutêtre [sic] Jacqueline se sentirait moins inquiète si vous lui répétez cela. Evidemment elle restera inquiète quand même. Dites lui aussi ma grande sympathie.
J’ai envoyé une carte de Noël à Ungaretti – je pense souvent à lui, à notre visite à Rome chez eux, avec eux, bien agréable – Harry etait [sic] content.
Je suis contente des bonnes nouvelles sur Edith Boissonas [sic]. Henri Michaux s’adonne à la mescaline, cela me fait rèver [sic] sans autre inquiétude – il est heureux en explorateur. Je me rappelle quand il m’a dit à Ville d’Avray qu’il se nourrissait d’aspirine, qu’il avait des moments agréables.
Je suis heureuse de savoir que vous vous êtes reposé un mois à Vence – vous en avez besoin de ces changements – Harry aimait les changements, il m’y entrainait [sic] et je continue. Merci pour les conseils ou les tuyaux sur la litterature [sic], j’aime qu’on m’en donne – j’essayerai de lire [illisible?] et surement [sic] les memoires [sic] de Jean Grenier dans le n° Février de la N.R.F.[1] Je transmetterai [sic] vos messages à Marianne –elle vous admire aussi, trouve qu’une de vos vertues [sic] est votre amitié – en ce moment elle ne sort guère de son Brooklyn – il fait trop froid – mais nous nous écrivons souvent – au moins une fois par semaine – elle est gentille, attentive. Ces [sic]
[Marge gauche]
Lettres sont amusantes toujours. Vous ai-je dit que mon départ pour la France est décidé pour le 25 Mai. J’espère que la gazoline ne sera plus rationnée à la fin Mai. Je pense toujours à vous, à Germaine, de tout cœur. Avec toute ma sympathie, avec reconnaissance, avec amitié. Je vous embrasse tous deux bien fort et je répète “Bonne année, bonne année, bon espoir”.
Barbara
[Marge droite]
J’ai écrit 3 lettres de Noël – très personelles [sic], sentimentales un peu. Je ne vous les enverrez [sic] pas ; à moi, elles m’ont donné un allegement, une detente [sic].
[1] Ce n° contient le texte de Jean Grenier « Visite à la ferme ».
Pour avoir un mot de vous, une lettre, je vous envoie “Valentine” – naturellement vous connaissez la charmante coutume – j’aime beaucoup me promener parmi les monceaux [sic], les grandes [sic] étalages et j’en achete [sic] – Altman, un grand magasin a eu une sorte d’exposition retrospective de 1820 à aujourd’hui de ces cartes et images, ils [sic] viennent d’ici, d’Europe, il y a des gens qui collectionnent, moi je les envoie, j’essaie de trouver à qui le plus approprié – la lyre pour vous – peutêtre vous trouverez que je suis ridicule – je m’amuse et j’espère vous amuser – un peu. Tout devient business, on se donne un mal fou pour attirer les acheteurs, on accourt, on achete [sic] . Je crois vous vous disentirez [sic] comme moi, vous aimez les gadgets comme moi.
Vous ai-je dit que j’irai le 27 Fevrier [sic] au Panama, puis en Californie avec des cousins (les Minton’s [ ?]) en avion, pour à peu près 3 semaines. Il fera chaud, il fera beau, je verrai du pays, je n’ai jamais été plus au Sud que le “Mexico”. J’aime bien être avec les Minton’s, lui le type du business-man [sic], elle une femme charmante, intelligente. Et ils m’aiment bien.
Et naturellement je serai à Ville d’Avray fin mai – j’y resterai beaucoup cette année je pense, j’en ai envie. Je pense à mes arbres, à Paris, à ma vie là-bas avec nostalgie. Je viens avec ma voiture, j’espère qu’on me vendra de l’essence, Jean de Ville d’Avray m’écrit qu’il a déjà fait des provisions – vous ne me dites rien sur les difficultées, mais j’aime les optimistes.
Je regarde les pronostics d’ici, d’Europe, je suis contente quand je lis qu’il fait chaud à Paris, je voudrai [sic] un beau mois de Juin, je voudrai une belle “Gardenparty”.
[Marge gauche]
Edith Boissonas [sic] m’a écrit. Ungaretti aussi (il a promis de venir à Paris, quand je serai à Ville d’Avray. Marianne Moore était enchantée de vos messages, elle travaille beaucoup, sort peu, m’écrit beaucoup
[ En haut]
elle sait que je n’aime guère le telefone [sic] – elle peut faire des grandes visites à travers cet instrument
[page 2]
Nous avons Louis Barrault [sic] et Madeleine Renaud à New York – c’est un succes [sic] hier j’ai vu Volpone[1], j’ai déjà vu Christophe Colomb – je verrai le Misanthrope, l’Intermezzo [sic], enfin tout le programme – c’est bien joué par une bonne troupe la mise en scene de bon gout [sic] on vend tous les livres chez les libraires – en français – du programme, on les lit, on a l’air de comprendre, le theatre [sic] est plein, une bonne propagande.
A l’avant première – j’y suis allée avec Monique – un gala – l’ambassadeur français de Washington, tous les dignitaires français et leurs femmes parés [sic], habillées, de leurs décorations, de leurs plus belles robes, tout le monde parlait français, c’était bien, très bien – et Christophe Colomb, Claudel, Barrault, Renaud, une troupe nombreuse, Darius Milhaud faisaient de leur mieux – la grande voile qu’on roulait, déroulait, gonflait (c’était le décor) s’alliait bien au langage biblico-peuple court [sic] royal –marin (peu marin) – Barrault était Christophe, M. Renaud Isabelle, j’ai passé une soirée à mon gout [sic]. Barrault ne jouait pas Volpone (c’était Pierre Bertin) mais Corbaccio, il s’était fait une tête étonnante.
Je continue ma vie newyorkaise, bien soutenue par les amis, la famille, ma Suzanne, tout mon entourage. J’en suis contente, mais en ce moment la perspective de m’en échapper pour 3 semaines m’enchante, j’ai toujours aimé les changements, Harry aussi - et s’il continue de me manquer - autour de moi on le desire [ ?], c’est pourquoi je pense qu’on est si gentil.
Cher Jean, écrivez-moi, parlez moi de vous, de littérature [sic], de Paris. Je lis en ce moment “Lélia[2]”. Antoine Polgas (16 ans) le fils de monique me l’a donné pour Noël, disant que je dois l’aimer, qu’il a pensé à moi tout le temps en le lisant – je le lis en essayant de découvrir pourquoi – enfin je le lis, je languis seulement quand elle se mele [sic] de politique – et puis je lis un tas d’(autres choses, Shakespeare surtout – je me suis acheté une T.V., c’est amusant parfois, on écoute bien
[Marge gauche]
mieux les nouvelles, quand on voit le speaker. Mon affection, mon amitié à tous deux
Barbara
[Page 3]
Juin 1924
Souvenirs précis, précieux (ma lettre française de Noël 1956)
Je pense à Ville d’Avray
(a gnawing sorrow
A sense of nevermore)
Mais optimiste quand meme –
Elle est belle
Ma demeure
Mon jardin celui
Du paradis
Et lui m’a tout donné
“Voici ton chateaux[sic]
Petit, nous le ferons grand
Et plein de choses
Qui ressembleront à nous
A nôtre [sic] vie –
Tu es belle – Ton
Château [sic] sera magnific [sic]”
Avec mon sourire, beau, tendre
Encore un mot
“Montres [sic] moi tes yeux
Ah, ils sont bleus, bleu saphir,
Merci, merci.”
J’étais heureux
Sans autre, sous le coup
Le choc du bonheur.
Puis assaillie de projets
Quoi faire
Commencer par où ?
Pour être en paix avec lui
Sous nos arbres
Dans notre maison.
Un bel été
Tranquil [sic] – le ciel aussi
Souriait
Le bonheur une réalité
Il ne fallait troubler
Rien
Un temps d’arrêt
Un long temps
Rempli de nous
De nos promesses
De nos éspoirs [sic]
Nous nous taisions
Nous pensions à l’unisson
Sur nous, à nous
Le soleil, le grand jour,
Les étoiles, la nuit d’été
Sous le ciel de France
Quoi de plus ?
Quoi quoi de plus !
[côté gauche]
Sentimental, personnel
Trop personnel –
Comme toujours – Je
Suis sentimentale, je
suis personnelle
[illisible], oui, mais
Point ambitieuse.
[1] Le Winter Garden Theater à Broadway présenta la pièce le 4 février en version française avec la troupe de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Christophe Colomb fut présenté du 30 janvier au 2 février 1957. La tournée était soutenue par les autorités françaises.
[2] Roman de George Sand (1833). Drame de l’amour malheureux et du choix impossible entre une spiritualité exigeante et les plaisirs terrestres.
Bien chère Barbara, voici donc un petit brouillon. Vous me direz (en me le renvoyant) quelles corrections lui apporter, et je le ferai aussitôt composer. Il vient d’arriver une chose assez affreuse : Germaine Richier, à peine son exposition finie au Musée d’Art moderne, a été prise d’un cancer, dont les progrès ont été très rapides. Des plus, elle et Solier ont brusquement manqué d’argent : il a fallu faire une petite exposition-vente dans son atelier, alerter les amis, réunir l’argent possible. Mais rien ne semble très bien s’arranger. Aimez-vous ses statues ? Il me semble que tout ce qu’elle fait est d’une extrême grandeur. Edith Boissonnas a été prise, elle aussi, d’une étrange maladie : c’est la lymphe du sang qui se sépare, fait bande à part. Enfin vous voyez : dès que vous n’êtes pas là, bien des choses vont mal. Il est temps, il est grand temps que vous nous reveniez. Il n’y a guère de changement dans l’état de Germaine. Mais nous avons deux petits animaux, qui l’amusent et la distraient : un jeune chat siamois, et un minuscule Yorkshire, qui a l’allure d’un lion de poche, et, malgré les cheveux qui lui courent les yeux, beaucoup de finesse et de vivacité. Moi, je travaille. Je me suis même mis à me lever à 6h. du matin, pour avoir une plus grande matinée. Mais jusqu’ici les résultats au dehors ne sont pas très évidents. Que pensez-vous des poèmes d’Ezra Pound – et de lui même ? Le connaissez-vous ? Il y a eu dans la presse américaine toute une polémique à son propos – le Directeur de l’Asile d’Aliénés où ses amis l’ont fait enfermer (pour qu’il échappât aux poursuites judiciaires) ayant déclaré qu’il était certes responsable de ses pensionnaires, mais certes pas des disciples de ses pensionnaires – ceux de Pound ayant provoqué dans le Sud un mouvement de ségrégation raciale. A-t-il du génie ? C'est en tout cas quelqu’un de vivant et de curieux. Merci de la petite brochure : le dessin des premiers établissement Church au bord de l’eau est très émouvant. Ah, les ancêtres Church ont aussi de belles figures strictes. Merci aussi des cartes de l’étonnantes vue de Los Angeles. On dirait l’intérieur d’un brasier. Bien sûr je préparerai la liste de vos invités et si vous le désirez j’enverrai les cartes d’invitation. On doit trouver à New-York des tableaux qui changent à mesure qu’on les tourne et les retourne. Cela s’appelle des « tables … (?) » Tâchez de nous en rapportez une. Je vous donnerai en échange un grand oniroscope. Ce sont aussi des tableaux abstraits, mouvants, faits de sable fin, (qui font un peu songer aux jardins mystiques – zen – de la Chine et du Japon.) C'est une amie à nous qui les fait. Au revoir, Barbara, nous songeons à vous et nous vous embrassons fort.
Jean
Les nouvelles de Fred sont bonnes : il a fait un prisonnier. On plutôt, se promenant seul il a trouvé un fellagha, dont il a été très embarrassé (et réciproquement) jusqu’au moment où le premier groupe d’hommes en armes – français – les a fixés. J'espère qu’on va le nommer capitaine (Fred.)
Bien chère Barbara, c’est ennuyeux que les nouvelles qu’on s’envoie soient en général de mauvaises nouvelles. Moi je préfèrerais vous apprendre que X a un foie tout neuf, ou qu’il pousse à Y un troisième bras. Mais non, il faut se résigner.
Tout de même il semble que le traitement au cobalt fasse du bien à Germaine Richier. Ah, grand merci de la promesse de 200.000 frs. Cela lui rendra en ce moment un très grand service.
Il est affreux de voir cette femme si joyeuse et si puissante à ce point frappée. (et même sans appétit. Elle, qui dévorait ! Qui avait besoin, je pense, de dévorer pour ses statues.)
La fille de Marcel Arland ayant déchiré à coup d’ongles la figure d’un honnête citoyen de Brinville est rentrée rue St Romain d’où elle a chassé ses parents. Elle s’y barricade, et que faire ? Les psychanalystes disent : l’enfermer, ce serait transformer sa névrose en démence. Moi il me semble que la démence y est déjà. Mais comment contrarier un psychanalyste. Merci encore pour Richier, Barbara. Je vous embrasse.
Vous ai-je déjà envoyé le pont sur lequel passait Cicéron, quand il allait soigner ses rhumatismes à Chaudesaigues. Le voici, qu’un barrage récent vient d’envoyer à vingt mètres sous l’eau.
Je vais répondre à ce M. Blanchy Menocal qui a un si beau nom. Quant à la note du Figaro (mais vous a-t-elle ennuyée) je sais à présent d’où elle vient : d’une conversation de Lambrichs, devant Jean Mazars, du Figaro.
Etes-vous pour longtemps encore à Ville d’Avray, y fait-il un peu frais ? A Paris, non. Mais je vous embrasse.
Jean P.
J'ai trouvé Henri Pourrat extrêmement las, vieilli de quinze ans. Mais le médecin affirme qu’il va se remettre, qu’on lui a simplement donné trop d’anti-biotiques. Marie et lui vous envoient leur affection.
Leur fils Claude va se marier (avec une gentille Alsacienne). Il part dans quelques jours pour le Danemark. Il sera agronome (comme Henri voulait le devenir quand il est tombé malade -phtisie- à vingt ans.)
J’étais prise d’un grand regret après vôtre [sic] départ. Pourquoi ne vous-ai-je pas demandé de choisir parmi les pots, parmi les plantes ceux que vous auriez voulu [sic] pour Germaine ?
Pas de raison valable – j’ai toujours – sans raison aussi - scrupule de prendre quelque chose dans sa serre sans Henry – je coupe rarement les fleurs même celles destinées à la maison – je n’y pensais pas. Et Dieu sait que je pense à Germaine, tout le temps.
Mais Jean apportera demain après-midi ce que j’aurais du mettre dans la voiture hier, vôtre [sic] choix.
J’étais contente de vous avoir à la maison pour un moment, je suis ravie du petit tableau, je le secoue, je le tourne en tout sens – c’est chinois, abstrait, cela me fait rire[1]. Laurence aussi joue avec.
Et le livre est très beau comme édition – j’aime beaucoup Valéry Larbaud[2], Harry comprenait bien ses nostalgies, ses déceptions. Je l’ai lu hier soir et ce matin très tôt. Merci de toutes vos attentions. A. O. Barnabooth, c’est Harry – dit Laure.
Ce matin, comme souvent, je me suis réveillée tôt – il faisait très beau sur ma terrasse, le ciel un peu menaçant bien sure [sic]. J’aime beaucoup ma chambre, mes arbres, ma solitude à l’aube – les dérangeants dorment, sont supposés de dormir, je suis dispose, je prends ma plume (préférée), plus rien ne m’arrête.
Excusez-moi de vous avoir raconté toutes les choses tristes qui me sont arrivées, je n’aurais pas du [sic].
Aujourd’hui, nous aurons un dimanche tranquil [sic], sans vigiles, sans promenades. Jean se promenera [sic] – a [sic] pied – avec Tignot [ ?].
J’ai un grand tas de lettres en anglais, en allemand devant moi – j’ai l’intention de repondre [sic] – souvent mes intentions aboutissent à d’autres lettres qu’à des reponses [sic].
Sincerly [sic] yours (c’est Wallace Stevens qui mettait invariablement ces deux mots à la fin de ses letters [sic])
Barbara
[1] Sans doute un tableau de Yolande Fièvre (1907-1983), un oniroscope ? Voir https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/c5e97qd/rdq5jpG
[2] V. Larbaud est mort en février 1957. Cette année voit plusieurs publications importantes, dont celle de ses œuvres complètes en Pléiade, ainsi qu’un numéro d’hommage de La NRF.
Chère Barbara, merci. Quel beau jardin a maintenant Germaine ! Elle en est ravie, on dirait que tout l’air de la chambre a été transformé.
Oui, je n’ai jamais lu, ou relu Barnabooth sans songer aussi à Henry.
Je ne sais trop de quel oiseau vient la plume ci-jointe (je l’ai trouvée dans le parc des Arènes).
Et bien, qu’il donne à ma lettre la même légèreté qu’à la vôtre le poème. Nous vous embrassons.
Jean.
Léon Bopp vous envoie son Paris, et Henri Pourrat son dernier livre.
Henri me préoccupe : je ne le crois pas si gravement atteint que semble le penser Marie. Mais je me demande s’il a envie de vivre. (Puis-je lui donner votre recette, la lettre de chaque matin ?)
Barbara Church à Jean Paulhan (3 septembre 1957) §
Carte postale envoyée de Munich le 3 septembre 1957]
Mr Jean Paulhan
5 rue des Arènes
Paris
Frankreich
Munich, le 3 Sept. 1957
Hotel [sic] Continental
Cher Jean
Munich peut se vanter de ses musées, de son Festival, de ses splendeurs en batiment [sic], pas du climat – Harry disait Munich n’a pas de climat, du temps seulement, du mauvais.
Je suis très occupée par la famille, par ma vie de touriste, cela me plait [sic], me fatigue aussi.
Merci de ces belles cartes. Ah, justement j’étais très curieux de Hans V .Marées (si inconnu en France). Et bien, il me semble qu’il a sa place, entre Böcklin et ce disciple de Böcklin, Chirico.
Je n’ose pas trop vous répondre à Munich, que sans doute vous allez quitter. Mais bien sûr, je serai avenue Victor-Hugo le lundi 16, à midi et demie.
Merci, et bon courage (voilà ce qu’il est bien inutile de vous souhaiter). Vous trouverez à Ville d’Avray un soleil de printemps : il s’est déjà livré par ici à quelques essais, qui se sont trouvés satisfaisants.
J'ai failli acheter pour vous un merveilleux petit pavillon gothique, d’un étage , en pierre sculptée. C'est M. Larcade (père) qui veut le vendre. A vrai dire, il le vend pour rien : c’est sur un terrain, près de Paris, qu’il vient de vendre. Mais je me suis renseigné : bien que les pierres soient déjà numérotées et pas plus lourdes que des pierres normales, la démolition, le transport et la reconstruction coûteraient dans les quatre millions. Le Louvre lui-même recule. Ce n’est pas gai.
A bientôt. Nous vous embrassons fort, Barbara.
Jean.
Barbara Church à Jean Paulhan (12 septembre 1957) §
Carte postale représentant les saints Erasme et Maurice par Matthias Grünewald/ Mathis Gothart Nithart (1475/80-1528), Pinacothèque de Munich[1]]
Mr Jean Paulhan
5 rue des Arènes
Paris
Frankreich
Le 12 Sept. 1957 Munich
Votre lettre vient d’arriver, ravie de vous voir lundi la [sic]16 chez Prunier.
Je partirai demain à 7h du matin, nous irons jusqu’à Verdun pour la nuit, puis le lendemain Samedi je serais [sic] à Ville d’Avray, bien contente surement [sic] d’être dans mon Ville d’Avray - votre Pavillon doit être quelque chose de phantastic [sic] – mais Ville d’Avray est bien trop grand déjà pour moi seule.
Je viens d’un Cinema ou on montre des eaux, des fon
[sur le côté gauche de la carte]
taines lumineuses, quelque chose de
[sur le côté droit de la carte]
jamais vu – je crois. Cela me donne des idées pour [sic] le garden party. – A bientôt, à tous deux
Mon dernier dimanche pour 1957 dans mon Ville d’Avray – le prochain je serai sur l’Atlantic. Pouvez vous me donner Jeudi 10 Oct. vôtre [sic] temps du déjeuner ?
Je vous enverrai Jean à 11h 45 – nous déjeunerons ici et Jean vous reconduira à vôtre [sic] bureau, à vos soucis après.
J’aimerais bien vous voir ici avant mon départ. Telefonez [sic] à Paulette, j’espère que ce sera oui. Nous bavarderons.
Jétais [sic] hier avec Yvonne Moreau-Lalande à Saint Leu, il y a une maison, assez banale quand elle l’a acheté [sic] il y a cinq ans (je crois), elle devient ravissante, en plain [sic] banlieue, mais aussi en pleine forêt, grande, confortable, avec un grand souci de confort, de beauté, oui de beauté, elle, Yvonne, rayonne, rajeunit, faisant le tour du proprietaire [sic] à travers de planches, de plâtres, des demolitions [sic] – cétait [sic] charmant – elle le fait pour elle, pour Hyacinthe, le mari, les deux petites filles, elle le fait bien.
Cétait [sic] charmant, agréable. Je suis contente quand je rencontre un signe d’enthousiasme sincere, total. Elle est bonne en affaires, elle s’est convertie à l’art moderne, pour plaire à ses enfants, je soupçonne, mais là à St Leu, elle se plait à elle, c’est bien.
Dans la forêt se trouve une sorte de stèle, monument sous la garde de l’Etat parait-il [sic] – avec des vers gentiment pompiers de Napoleon III [sic] dit-on[1].
Bien affectueusement à tous deux – venez Jeudi
Barbara
Aujourd’hui Marthe Ternand viendra, j’ai acheté des gouaches amusantes faites cet été à [illisible] – je les apporterai en U.S.A. [sic], pour en faire des cadeaux à des cousins, à des amis, qui aiment – un peu – l’abstrait.
[1] Saint-Leu est devenue la résidence de Louis Bonaparte, frère de l’Empereur, au début du XIXe siècle et l’église abrite les tombeaux de sa famille. La petite ville fut appelée Napoléon-Saint-Leu sous le Second Empire, mais nous ignorons où se situait la stèle à laquelle il est fait allusion.
Un petit mot du bateau, j’aurai [sic] voulu qu’il fusse [sic] drole [sic] – ou interessant [sic], il ne le sera pas. La traversée est comme sont les traversées, reposante deux jours, ennuyeuse le troisième, puis viennent les préoccupations de l’arrivée, malles, paquets, papiers, on redeviendra normal ou a peu près dans l’installation, la nouvelle, la bien connue.
Pas de celebritées [sic] à bord, sur la liste des noms cocasses, Mlle Malcuit, Mr et Mme Escalier, Mr and Mrs Borius - il y a cependant à la table à coté [sic] de nous Kirk Douglas[1], bel acteur du Cinema [sic], qui ne fait pas de chichis, avec sa jeune femme, jolie, Belge[2] qui m’agace légerement [sic] de sa voix pointue. Lui est beau, semble plutôt timide, je le regarde avec plaisir de temps en temps.
On va au Cinema [sic] tous les jours, c’est sans grand interêt [sic], le choix – est fait par un sadiste [sic] , je crois qui veut nous donner des tourments – mais il y a des beaux documentaires.
Je lis : la Nouvelle Revue Française, La Litterature [sic] et le Mal, Chroniques d’Auvergne, je regarde mon album de photos de cet été – Laure les a arrangé [sic] et collé [sic], très bien, jécris [sic] un peu, je dors beaucoup. Il y a des bals, des jeux, nous regardons le bal, nous jouons aux jeux – Sans gagner cette fois-ci – mais nous avons encore 2 jours – alors peutêtre [sic] aurons nous une chance.
Mon été a été bon malgré les mauvaises nouvelles – il a passé vite, trop vite me semble-t-il. Je suis reposée, pleine d’energie [sic].
On m’attend à New York, je reçois des telegrammes [sic] (cable [sic]) des invitations, des billets de theatre [sic] sont sur ma table – on les prend trois mois, ou plus d’avance – Ma première sortie sera le Dimanche à Greenwood[3] avec Suzanne. Nous porterons des fleurs à Harry, je lui raconterai mon voyage, mes aventures.
Puis j’aurai la reception [sic] de rentrée, mes amis, ma famille
Page 2 [même papier à en-tête]
moins nombreux qu’a Ville d’Avray, l’appartement n’est pas grand – 50 personnes, guère plus, c’est toujours gai et grace a Suzanne très bon.
Et à nouveau je dois raconter, expliquer la France, sa littérature, sa politique, jécoute [sic] surtout, je parle littérature [sic] – un peu – très peu – et je charge Monique d’expliquer la politique. J’aimerais tant qu’une fois vous aussi vous serez [sic] là, je crois vous nous divertirez – vous aurez un succes [sic] fou, presque tous mes amis newyorkais parlent français, conaissent [sic] naturellement la revue, même quelques-uns vos livres – vous aussi vous aurez à expliquer – les Americains [sic] aiment, demandent des explications, souvent les écoutent. Nous sommes un peuple jeune, nous autres, nous voulons apprendre.
Je bavarde comme toujours, le papier de la Transat est beau, ma plume, en or que Harry m’a donné [sic], marche bien – mais le steward frappe, il apporte le jus d’orange, le café du matin avec des croissants frais et français – le petit déjeuner est important pour moi – pour tout le monde, je suis sure [sic].
Nous avons eu un jour de tanguage [sic] mauvais, avant-hier – hier ça roulait, aujourd’hui parait [sic]-il la mer sera calme, il fera beau ; Suzanne a été un peu malade, je ne le suis jamais, mais je reste couchée. Nous avons vu des bateaux au loin, 3 ou 4 – c’est du mystère, toujours, plein d’attrait, surtout les cargos qui disparaissent et continuent.
Ecrivez-moi – bavardez vous aussi – vous me ferez grand plaisir, vous le savez.
Embrassez Germaine, je l’aime beaucoup et toujours.
Je pense à vous souvent, je vois l’appartement rue de Varenne [sic], vôtre [sic] table, les livres, je peux en un clin d’œil évoquer son atmosphère sympathique, attachante.
Je vous embrasse
Barbara.
[1] C’est l’année pour Kirk Douglas, entre autres, des Sentiers de la gloire (Paths of Glory) de S. Kubrick.
Nous sommes en plein hiver, il a neigé toute la journée d’hier, ce matin il fait – 6° - les rues sont grises, sales, les toits tout blancs.
On est bien dans les maisons chauffées. Ce soir ça sera un gala à l’Opera [sic] “Tosca” avec les Minton, on dinera avant chez Sherry[1] qui a un bon et bel restaurant au foyer du Metropolitan Opera house.
Ce sera bien, les femmes en robes du soir et Diamants [sic]
[écrit dans la partie supérieure de la lettre, à l’envers]
Pierre Lévèque m’a écrit sur l’article dans le Figaro sur la traduction de L’Homme sans caractère [sic][2], il a écrit à l’auteur qu’en 1935 Mesure publiait 2 chapitres signés Barbara Church – on nous défend – c’est bien.
[Deux volets d’une carte de Noël signée Collins]
Partie gauche
les hommes en noir, smoking ou habit – j’aime assez tout cela et les voix - Milanova[3], l’orchestre sous Métropolus[4], très, très bien.
Nous sommes aussi en plein “Christmas Delirium” comme Edmond [sic] Wilson[5] l’a appelé à ma joie, je me sentais toujours un peu ridicule avant, maintenant je suis comme tout le monde atteinte de la même maladie.
Je suis allée voir l’exposition de Germaine Richier chez Martha Jackson[6], très bien – j’aime le cheval a 6 tetes [sic], l’homme chauve-souris, les mantes, les araignées, dommage que le local soit un peu petit pour la sculpture en general [sic] pour celle de G.R. en particulier.
Comment va-t-elle ?
Un beau jeune homme chez Marthe Jackson a beaucoup insisté pour savoir de moi quelque chose,
[Imprimé sur le côté droit : the manhattan studio new york, u.s.a.]
[4e partie de la carte. Imprimé : Merry Christmas and a Happy New Year Barbara Church]
Sur le côté gauche
qui ne savait rien. Les Americains [sic], une partie, sont encore vexés – le Sputnick[7] – d’autres disent c’est bien, c’est une leçon. Moi je n’arrive pas à me sentir humiliée, je suis antiguerre et apolitique – et cette chose qui tourne, tourne, éperdument en rond – pourquoi ?
Enfin, je suis innocente, j’aime les poètes, la poésie, la verité [sic]. J’ai lu “en retard ‘’[8] d’Edith Boissonas [sic] – elle devient plus personnelle, je peux dire qu’on la sent près de ses vers – qu’en pensez-vous ? Ils me plaisent – je lui écrirai – va-t-elle mieux ?
Tous mes vœux cher Jean
Barbara
[Partie droite (illustration sur la fuite en Égypte)]
En voyage – Marie resignée [sic], l’enfant sans opinion, l’âne se met en deux, Joseph solonel [sic], important, les pyramides, oh les Pyramides – le palmier faisant des signes – triste –
Moi aussi je voyage – j’ai dejà [sic] pris ma cabine 67 sur Liberte [sic] N° 67 pour le 21 Mai 1958 [sur le côté droit] pour la France. Il me semble que vous ne m’avez pas écrit depuis un long moment – j’espère que vous allez bien -
[1] Excellent restaurant de luxe, fort réputé depuis 1890.
[2] Robert Musil, « L’Homme sans caractères », Mesures. n°1, 15 janvier 1935 (trad. Barbara Church). Philippe Jaccottet. A publié une traduction de L’Homme sans qualités en quatre volumes, Seuil, 1957.
[3]Zinka Milanov, remplaçait ce soir-là Renata Tebaldi, voir http://archives.metoperafamily.org/archives/scripts/cgiip.exe/WService=BibSpeed/fullcit.w?xCID=176360&limit=500&xBranch=ALL&xsdate=&xedate=&theterm=&x=0&xhomepath=&xhome=
[5] Edmund Wilson (1895-1972), influent écrivain, essayiste et critique littéraire américain, à l’origine entre autres de la Library of America, inspirée de la Pléiade. Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Edmund_Wilson
[6] L’exposition eut lieu à la galerie Martha Jackson (ouverte en 1956) du 27 novembre au 27 décembre 1957.
[7] Le lancement du Sputnik (spoutnik) par les Soviétiques en octobre 1957 provoqua une grande inquiétude chez les Américains, qui craignaient de se voir distancer scientifiquement, techniquement, militairement, et réagirent par des investissements considérables à ce rebondissement de la « guerre froide ».
[8]La Nouvelle Nouvelle Revue Française, n° 59, novembre 1957.
Il y a longtemps que je n’ai pas écrit, me semble-t-il – je vois sur mon petit livre que ma dernière lettre date du 5 Janvier.
J’avais gardé pour vous une carte “Valentine”, une sorte d’institution ici et “a big business”, une carte que je trouvais bien pour vous amuser – maintenant c’est trop tard – ST. Valentine - (et c’est un saint) est le 14 Fevrier, vous aurez ceci le 25 ou le 26.
Nous avons eu un hiver avec toutes les chicanes [ ?], une grande tempête de neige – et
j’étais dehors – c’était magnifique, un froid de record, bien au dessous de zero [sic]
pendant 11 jours, aujourd’hui il fait plus chaud, quelques degrés au dessus
[Carte]
[A gauche, une vue de [mention manuscrite] ] Washington Square New York
[A droite]
les rues sont sales, on porte caoutchouc et fourrures – les voitures sont pitoyables avec une couche grise de sel et de je ne sais quelle autre chimie pour faire fondre la neige - qui est encore en tas impressionants [sic] au bord des trottoirs. J’aime le froid, j’aime la neige, la boue, les flaques d’eau sale m’incommodent.
Mais je reste peu à la maison – je suis allée comme toujours aux diners [sic], au theatre [sic], à l’Opera [sic], et chaque Jeudi j’ai un petit diner 6-8 chez moi, c’est cela le plus amusant pour moi.
J’ai vu une pièce australienne, jouée et parlée par les Australiens, genre William Tennessee[1], moins sombre, encore/plus brutale peutêtre [sic], bien jouée, dans une langue au premier abord etrange [sic] – une soirée satisfaisante, je suis allée avec un ami, bon public !
c) remarquablement jouée, documentaire, on peut pleurer, si on peut, si on sent, je ne sais rien de la valeur “Art”. Suzanne, ma Suzanne la trouve sentimentale, Marianne Moore a son petit rire et hausse les épaules, pense que je n’aurais pas du [sic] la voir.
A l’Opera [sic] je suis allée à un Gala – Mme Butterfly, avec une mise en scène japonaise par le Kabouki [sic] metteurs [sic] en scène , des costumes de Tokio [sic], des danseuses aussi et Stella[3], grand soprano italien, fut une belle Cio-Cio-San[4].
On applaudissait à tout rompre – nous étions 7 à nous fatiguer après un bon diner [sic] au Champagne au foyer de l’Opera [sic], ça aussi c’est quelque chose à voir, tout le monde habillé en gala – tout le monde de bonne humeur, anticipant une bonne soirée, sans problèmes.
Hier c’était Vanessa – tout americain [sic], le compositeur Barber[5], l’auteur du libretto Menotti[6], tous les deux en vogue, il paraît que Menotti aurait aimé écrire aussi la musique – il se contentait du libretto, de la mise en scene [sic] – 1860 – j’étais un peu déroutée au début, le naturel à l’opera me semble déplacé, l’opera le comble de l’artificiel et nous le voulons ainsi, mais au 2eme 3eme 4eme acte je marchais et a [sic] fond et de plus en plus convaincue.
Mais moi aussi je suis bon public. La musique est vigoureuse, claire, tendre, parfois donne plein champ [sic] aux belles voix, le libretto est bien genre romain [ ?] dans le style Menotti, interessant [sic] en somme, la collaboration de l’Americain né [sic] , et de l’Italo-americain.
Vendredi prochain j’irai avec le Minton’s diner [sic] et entendre à l’Opera “Tosca” avec la mal – et bien celèbre Maria [illisible] Callas – je l’ai deja.
(J'aime son nom)
g/ entendu [sic] deux fois, une sensation, une vraie chaque fois - elle est belle, d’un tempérament fou – sa voix aussi fait passer un vent d’excitation sur la salle – qui trépigne, qui crie, qui la fait revenir et revenir.
Même ses scandales, ses colères, ses manquements qui exasperent [sic] ceux qui sont obligés de jouer avec elle, ses directeurs - tout cela ne semble qu’augmenter son succes [sic].
J’espère que tout ce bavardage arrive à un moment ou [sic] vous avez de la patience et du temps à perdre.
Ici j’ai interrompu ma lettre – Henry, le fils de Monique, 16 ans, est venu. Nous devions aller dans un grand magasin ensemble – Tout était fermé à cause de l’anniversaire de Washington. Nous avons décidé d’aller au zoo a cote [sic] de chez moi, au Central Park.
C’était très amusant, c’est petit, mais
?/
[Carte, à droite vue de (mention manuscrite)]
2/
Columbus Circle ressemble à la Place Vendome – sur la collone [sic] est Christophe Colombe [sic]
A gauche
très bien tenu, la famille Hippo, père mère et fille était astiquée, brillait de proprete |sic], de satisfaction – les lions, les leopards [sic], une panthère noire, des singes, des oiseaux multicolores, tous dans des grandes salles bien chauffées – dehors en plein air des Llamas [sic], des Bisons, des Cerfs, des Yaks, des Zebres [sic], des Ours, blancs et bruns – j’adore le zoo, j’aime m’y promener. Et il faisait doux – un tas d’enfants qui criaient, parlaient aux animaux, qui eux, repondaient [sic].
Une heure bien agréable, Henry est un garçon beau, intelligent, musicien – son frère Antoine 17 ans, écrit en anglais pas mal du tout, des vers, des essais – Marianne Moore les a lu [sic], elle l’encourage, et elle est sevère {sic] et honnête.
Mes plans pour l’été sont à peu près fixés, du moins pour moi, ce qui depend [sic] de moi.
Je pars le 21 Mai sur Liberté, j’aurais mon gardenparty fin Juin,
a) [ ?]
puis j’irai à Bruxelles, à l’exposition – il parait qu’il y aura de la peinture en quantité, envoyée par l’U.R.S.S. J. J. Sweeney[7] y va pour l’ouverture, j’y resterai quelques jours chez une amie.
Puis naturellement Munich et Genève (peutêtre [sic] aussi en Juillet). le ([sic] mois d’Aout et Septembre à Ville d’Avray jusqu’au 12 Octobre date de retour sur Liberté aussi.
Je ferai des excursions en France en voiture – je déciderai sur place – j’ai bien envie de voir des coins que je n’ai pas encore vu [sic]. Et vous ? – Avez vous [sic] pensé à l’été, à un moment de repos, de détente, à un changement ?
Mon banquier, un ami aussi, me dit, qu’il ne croit, lui qu’aux
b) [ ?]
changements – je ne sais pas trop, ce qu’il voulait dire, a [sic] quoi ça s’applique – je n’ai pas demandé plus loin, ; mais je trouvais son affirmation valable et bien pour moi aussi – je traduis : il faut savoir s’adapter, je crois bien c’est ce qu’on enseigne aux diplomates – aux banquiers aussi peutêtre [sic]. Il est bien d’ailleurs – il peint pour se delasser [sic] des chiffres, des calculs, pour Noël il m’a fait une carte géante = mon balcon devant ma chambre de Ville d’Avray, et nous trois, lui, sa femme et moi, prenant le petit dejeuner, le park derrière, nous trois en rouge, jaune et bleu – j’ai ri de plaisir en le recevant. C’est amateur, nous le sommes tous heureusement.
Helen Minton m’a envoyé pour ST. Valentine un mobil à la Alexandre Calder, je l’ai pendu entre deux portes, cela bouge et danse en multicolore et Helen n’aime pas l’abstrait, admet difficilement le moderne (je n’aime pas dire = le moderne = mais quoi d’autre ?).
[Marque au crayon] 21/2/58 3/3
C [ ?]
[Texte à gauche]
R. Judrin m’a envoyé “Secrètes”[8] avec une jolie dédicace “A Barbara Church patronne des
Poètes – je suis en train de lire et j’y répondrai evidemment [sic] – c’est bien gentil de me dire de
ces choses.
Et j’etais [sic] contente aussi de votre note dans N.R.F. sur Musil[9] et – L’homme sans caractère – Pierre Lévèque m’a envoyé le [sic] 2 vol pour Noël. Il est, Pierre, en Amerique [sic] du Sud en ce moment, pour affaires France Presse, malheureusement il n’a pas assez de temps pour venir à N.Y., j’aurais bien aimé lui montrer mon N.Y. à moi, Monique et les garçons aussi regrettent de ne pas pouvoir promener leur frère, leur oncle, dans la grande ville tentaculaire.
Miss ST. John arrive pour dejeuner [sic] – nous irons au concert après – le Philarmonic de New York au Carnegie Hall, j’y suis abonnée, c’est toujours très bien.
[Carte à droite sur le côté représentant : [mention manuscrite] Hotel Plaza, ou nous avons vecu [sic], Harry et moi de 1943 – 1946 dans l’appartement du coin, marqué * - et encore en 1947.]
Je vous embrasse tous deux
Barbara
P.S. Mes excuses – j’écris trop vite – cela manque de soins, je regrette.
[1] Tennessee Williams (1911-1983) écrivain américain dont de nombreuses œuvres ont tété adaptées pour le cinéma, Un Tramway nommé Désir, La Chatte sur un toit brûlant, Soudain l’été dernier dans les années cinquante. Summer of the Seventeenth Doll, de Ray Lawler, après un triomphe en Australie, où la pièce fut considérée comme un événement majeur dans l’histoire du théâtre national et la constitution d’une identité australienne, est présenté à partir de janvier 1958 à New York, où la pièce tient l’affiche cinq semaines.
[2]Sunrise at Campobello, de Dore Schary, évoque la lute du president Roosevelt contre la poliomyélite qui l’a affecté.
[3] Antonietta Stella, voir pour l’air de « Un bel dì, vedremo » dans Mme Butterfly https://www.youtube.com/watch?v=brWfzkmpFrY
[4] Ces représentations de l’opéra de Puccini au Metropolitan Opera de New York ont laissé un souvenir très fort. Décors de Motohiro Nagasaka et mise en scène de Yoshio Aoyama, appartenant à la tradition du théâtre Kabuki. Voir http://www.nytimes.com/1981/09/30/arts/met-opera-vintage-58-butterfly.html
[5] Samuel Barber (1910-1981), compositeur américain, dont l’opéra Vanessa est joué en 1958.
[6] Gian Carlo Menotti (1911-2007), compositeur et librettiste italien, naturalisé américain, très proche de Samuel Barber.
[7] James Johnson Sweeney (1900–1986) conservateur et critique d’art américain. Il dirige à cette époque le musée Guggenheim.
[8] Roger Judrin, Secrètes. En cinq figures, Gallimard, janvier 1958.
[9] Une chronique de 10 pages consacrée à Musil par Maurice Blanchot, La NRF, n° 62, février 1958.
J'aurai dû vous écrire depuis longtemps déjà. Pardonnez-moi : c’est que je me suis attaqué à l’étude vers laquelle cheminaient, il me semble, toutes les pages que j’ai pu écrire. C'est très passionnant : mais c’est préoccupant et cela me rend imbécile pour tout le reste.
J'aime bien les petites vues de New-York que vous m’avez envoyées. J'imaginais un New-York moins gracieux, plus inflexible, moins tendre. J'avais surement tort.
Je dois aller dans quelques jours choisir la petite statue de Germaine Richier pour vous. (Mais peut-être préférerez-vous la choisir vous-même.)
Edith Boissonnas a été opérée (d’une petite grosseur qu’elle avait tout contre la glande thyroïde). Il semble que l’opération ait très bien réussi.
Nous vous embrassons tout deux. Qu'il était bon (en janvier) de lire de nouveaux poèmes de vous.
J’écoute en ce moment à la Radio le service de la Cathédrale du Tabernacle à Salt Lake City – State of U[le U a été corrigé, renforcé]tah (Utah) – les Mormons qui ont un chœur de toute perfection – 2000 voix – tous les dimanches à 11h ½ je prends l’écoute – et je vous écris aujourd’hui en même temps. Votre lettre du 3 Mars m’a fait plaisir – comme c’est bien à chercher le chemin de vos écrits, vous-mêmes [sic] ; peut-être étonnerez vous [sic] encore plus le monde avec une solution ou l’absence de solution.
Et ne dites pas que quelque chose peut vous rendre imbecile [sic] pour tout le reste – nous protestons fortement.
Oui, les petites rues de N. Y., moi aussi je les trouvais amusantes, c’est son coté romantic [sic], touchant, son coté Passé – quand – même – de la grande ville.
Cette fois ci je vous envoie une carte pour la ST. Patrick (17 Mars) – depuis 1820 presque 5.000.000 Irlandais ont immigrés [sic] aux U.S.A. ; sont devenus Americains [sic] sans jamais perdre leurs charmantes manières, façons de parler, irlandaises.
Et à ST. Patrick tous les Irlandais – tous les Americano-Irlandais [sic] portent du vert, la feuille de trèfle (Shamrock), paradent en procession avec bannières, avec musique pendant 3h dans la Cinquième Avenue – les autos ne circulent plus – generalement [sic] le soleil est de la fête, c’est très gai.
[sur le côté gauche]
après ma gardenparty [sic] pour quelques jours chez une amie belge – en auto –
[carte portant un trèfle vert, ST. Patrick’s Day Greetings]
Le printemps va bien à New York.
Je me promène en voiture presque tous les après-midi dans le Park (Central Park) ou dans les environs, le long du Hudson ou de la côte – c’est très varié, j’aime beaucoup cela, la façon la plus agréable de se reposer tout en étant active (un peu) pour moi.
Nous le faisions beaucoup, Harry et moi, lui aussi aimait circuler, avec lui au volant.
Je finis ma letter [sic] le 10 Mars le matin à 730 encore couchée avec le petit déjeuner devant moi – il fait beau – j’irai avec tout mon monde, ST. John, Suzanne, Ernest le chauffeur à l’exposition des fleurs le matin, toujours très belle, très bien faite.
Ecrivez moi – je pense à vous
[sur le côté droit]
souvent.
Et je vous embrasse tous deux
Barbara
[Message imprimé]
It’s sure nice to be
Knowing
The likes o’ you !
C’est sure c’est gentil d’être connaissant quelqu’un comme vous.
J’ai essayé de traduire de l’Irlandais par du mot à mot C’est difficile, ne prend pas.
[Page 3]
Choisissez pour moi la petite statuette de Germaine Richier – j’aime mieux – ce sera elle évidemment, vous aussi, un peu, sans vous peutêtre [sic] je ne l’aurais pas – faute d’y penser seulement.[sic] avec une excursion au
Dites à Edith Boissonas toute ma sympathie, j’espère que cet été elle sera tout a [sic] fait remise.
Je serai à Ville d’Avray le 27 Mai, j’aurai mon gardenparty [sic] le 22 Juin le Dimanche. Nous en parlerons à Ville d’Avray ou à Paris, nous aurons le temps de tout preparer [sic] ensemble.
Le 27 Mars, je ferai un tour à la Californie [sic] et en Arizona, peutêtre [sic] avec une excursion au Mexique (c’est tout près) pendant une quinzaine, avec les Minton.
Nous aimons voyager ensemble. Mais je vous l’ai déjà raconté, je crois.
Cet après-midi, j’irai au Concert Philarmonique de New York, puis souper chez Monique Lévèque – Polgas et un bridge.
Le printemps encore froid, mais clair avec dejà [sic] de toutes petites feuilles vertes et des fleurs de saison, est dans la ville, on a envie de marcher, de rire.
[sur le côté gauche de la page]
J. J. Sweeney m’a envoyé, très bien imprimé sur du beau papier, un beau discours qu’il a fait à l’occasion d’une fête du livre (la presentation [sic]) ou [sic] il a parlé de vous et de Wallace Stevens, il J.J.S. sait parler, manier les mots, en disant des choses.
[sur le côté droit de la page]
Simplement, j’etais [sic] ravie. Il sera à Bruxelles pour l’ouverture de l’Exposition – aussi à Paris avant, lui et Laura circuleront en helicopter [ ?] Moi j’irai à Bruxelles
Carte postale représentant The Empire State Buiding
[verso]
Adresse
Mr Jean Paulhan
5 rue des Arènes
Paris
France
Le 19 Mars 1958 – Mardi
Cher Jean
Merci de la charmante lettre – la petite statuette me plaira, j’en suis sure [sic]. Contente aussi de recevoir des nouvelles de Port-Cros – mes souvenirs de l’Isle [sic] heureuse sont vivaces, bonnes, tristes un peu, naturellement. On n’aime pas trop les changements – surtout – les manquants manquent, manquent de plus en plus – comme m’a écrit W. Stevens un jour en 1947 – il nous faut soigner maintenant ses souvenirs intensement [sic] et je les soigne.
Le printemps est à New York, lui aussi – tendre, delicieux [sic], la ville a un “Festival of Spring”. Des fleurs partout dans la 5e Avenue, dans Park W. l’air est nouveau, on respire à fond, on aime son prochain – Tant pis pour les soucis, la politique.
Avez-vous [sic] vu Germaine Richier ? Et comment va-t-elle ? –
Il y aura des « noms » - mais comme je n’ai plus qu’une maison, le total me semble assez grand. En 1957 nous étions trop nombreux et pour les locaux et pour le buffet. Si cependant vous avez quelques noms à ajouter envoyez nous noms et adresses. Toutes les invitations sont parties – nous attendons les réponses – et le soleil – pour le 22.
Bien affectueusement.
Barbara
Vous aviez raison, nous avons de GaulleLXXV et tout le monde semble content.
Il me semble que la liste est parfaite. Deux ou trois notes seulement (pour l’an prochain) :
Alena Bykova et Caillois se sont mariés.
A. Robbe-Grillet est à présent marié (il a épousé une femme minuscule.)
Nourrissier s’écrit avec un seule r, et Solier avec une seule l.
La carte est très gentille, très joyeuse. Avec, tout de même, deux ou trois anglo-américanismes :
ligne 2 : il faut à
5 : il faut dîner au lieu de souper (le souper se passe entre minuit et deux heures du matin.)
7 : il faut Av. au lieu d’Ave.
8 : il faut S. & O, au lieu de S.O. Mais tout cela est insignifiant (sauf que les invités réclament, vers onze heures, leur souper.)
Bien sûr, Germaine serait heureuse si vous passiez aux Arènes. Bien sûr aussi que le soleil sera là. Tous deux nous vous embrassons.
Jean.
Les Solier ont toujours de grands embarras. Si vous connaissiez quelque amateur de Germaine.
Ah, ne voudriez-vous pas inviter aussi : Mme Laure Rièse. 4 r. de Chevreuse (6) (professeur au Canada, où elle a fait connaître Mesures ; était là l’an dernier.)
M. Pierre Oster. 36 r. Guillemont (14) (c’est le poète – un grand poète. Il est soldat en Algérie, et en permission pour trois semaines.)
M.Mme Claude Gallimard, 17 r. de l’Université. (VIII)
Et aussi : ne pourriez-vous, faire demander les cartes à l’entrée ? (C'est ce que fait toujours Gaston Gallimard.) Il s’était glissé l’an dernier des visiteurs inconnus, ou trop connus.
(Une Bachelière de 20 ans, intelligente qui aime les lettres affirme qu’il faut écrire : une r, un lLXXVI)
ligne 2 - évidemment [sic] ’ manque, c’est de ma faute
5 - à chaque gardenparty [sic] j’ai parle [sic] de “souper” – Diner pour moi, c’est une table avec toutes les cérémonies/
7 [Ave?] est américain, j’écris beaucoup en américain
8- SO est encore ma faute, j’avais mal écrit le &
Vous dites que tout cela est insignifiant –bien sûr j’en ai ri d’abord, je suis mécontente quand même.
Je viendrai voir Germaine quand je serai plus tranquille et je donnerai demain ou un autre jour des œufs au couvent des Clarisses à Versailles qui en échange s’occupera du soleil, du ciel bleu et blanc pour le 22.
Malheureusement je ne connais – pour le moment – personne qui s’intéressera aux sculptures quand il s’agira d’acheter.
Mais j’y penserai.
Nous avons envoyé les invitations indiquées. Quant à demander les cartes à l’entrée,c’est compliqué pour nous et Laure Lévèque dit qu’il n’y ait point eu des visiteurs inconnus – peut-être non invités seulement.
Jean a commandé les feux d’artifice – très cher cette année – peut-être les supprimerais-je l’année prochaine, s’il y a une autre fête – le champagne est dans la cave –
Suzanne et Germaine font des flancs pour le buffet – Laure et moi nous comptons les noms, les personnes.
Hier une journée belle et satisfaisante à Compiègne, Le Francport, Malassise – la forêt majestueuse – éblouissante.
Un [ ?] livre de Henri Pourrat avec des belles photos – je ne savais pas avant ce livre que le RoquefortLXXVII est un fromage de Brebis [sic].
Une magnifique lettre de Ruth [illisible] Vitty [ ?] de Cachemire, d’un lac où elle a passé 3 semaines avec sa fille, mariée à un Franco-Américain en poste au Cambodge pour 3 ans. Elle me donne envie d’y aller.
ah, je suis bien malheureux pour la surpression (possible) des feux d’artifices. Si l’on privait plutôt les gens de champagne et de gâteaux, et même de diners ? Ce ne sont pas des choses très nécessaires, mais les feux d’artifice !
Il faut avouer que la carte est bien plus belle que celle de l’an passé, plus frappante.
Je suis sûr d’avoir vu des gens (connus) qui n’avaient pas été invités. Mais il y a surtout là de ma faute. J'ai beaucoup trop parlé de cette garden-party. Je me demande si je ne suis pas bavard (malgré l’apparence) : c’était donner à trop de gens l’envie d’y aller.
Alphabet : les dictionnaires (et M. Brunot) disent que le genre de f,h,l,m,n,r,s n’est pas fixé. L'Académie les donne pour féminins. Littré aussi. Mais [fin manquante].
Merci pour les 2 cartes – “Le Fond et la Forme” – j’aimerai bien avoir de ces cartes pour les envoyer en Amérique. J’aime l’éléphant [sic] qui bat des oreilles – l’escargot aussi – est-ce que vous pourriez m’avoir toute la collection ?
Quand j’écris sur un papier qui m’amuse la tâche est bien allégée.
Nous avons eu une idée qui nous plaît à tous pour la fête :
Le bar, le buffet seront dans le grand garage - décoré par Henry, arrangé par Jean et Suzanne, et toute la maison, nous avons aussi trouvé, j’espère un arrangement pour empêcher les curieux de monter sur la terrasse du pavillon, - la ruine de guerre de plus en plus branlante,
Tous les ans je suis nerveuse quand je vois monter un, puis deux, puis trois, j’ai peur, je crie, je me mets en colère.
Avec toutes nos précautions peut-être n’aurais-je [sic] que du plaisir – sans pluie,bien entendu.
Mais je suis déjà [sic] dans l’enthousiasme – toute la maison m’y pousse – ils sont charmants, mes gens.
Ce soir, j’irai voir le défile des Champs Elysées du toit du 104 Champs-Elysées – Yvonne Moreau Lalande y habite. Ce midi je déjeunerai avec les grands enfants =les petits enfants de Laure = à la Maison Danoise et nous verrons “mon oncleLXXVIII” après – moi pour la seconde fois – cette loufoquerie m’amuse – m’ennuie aussi – j’avais envie de revoir.
J’irai aussi voir le 1r prix à côté [sic], le soviétiqueLXXIX [sic], une autre fois.
J’ai peu de temps à lire malheureusement et on m’envoie des livres, je voudrais répondre – je ne le peux qu’après avoir lu. Est-ce un défaut, ou une vertue. [vertu]
[Photo de la maison de Barbara Church centrée, légende : Ville d’Avray]
Le 2 Juillet 1958
“La sainte Inquiétude qui me ronge ” (Harry)
Qui m’obsède
Pour faire place d’un coup
A l’espoir, au repos.
On se balance
Perpétuellement
Entre ciel et enfer.
Et je n’aime pas trop le ciel
L’enfer m’attire
Peut-être la chaleur
Qu’on suppose y trouver
En cet été maussade,
Peut-être la pensée
Vivante, changeante
Des habitants.
Au ciel, le repos, la quiétude
M’affolent d’avance
Et bien plus –
On ne pense pas
C’est inutile, la voie est faite
Rien ne change,
Tout est vieux, encore plus vieux
Des ange de cire, sans âge, sans sexe
Les ailes [ ?], les halos sans monde [ ?]
On ne baille même plus.
L’enfer donne des soucis, le malheur existe
Satan Lucifer aux yeux brillants
Nargue, participe, attise
Il est beau, alerte
Et il aime les pêcheurs [sic]
Il sait que le péché
Est la vertu des braves
Qui vont, qui viennent
Qui vivent
Qui sont prudents à l’occasion
Qui s’évadent [sic], se perdent
Se retrouvent.
C’est bien ça – l’enfer – la beauté –
---
Je voulais écrire à Marc Bernard pour le remercier des “Vacances”LXXX – il m’a mis une jolie dédicace – je n’ai pas pu trouver le livre, je suis une femme absurdement ordonnée, d’ou [sic] le grand désordre – comme mes “schreibfingerLXXXI” me chatouillaient – j’ai écrit sur le ciel et l’enfer
Merci de votre mot, bien gentil
A tous deux affectueusement
Barbara
[sur le côté droit du feuillet]
J’ai (e. a. d. Paulette) [ ?] retrouvé le livre, naturellement.
Ma première lettre, lettre à peine, est devant moi, on la mettra à la poste quand même –
Votre carte arrive à l’instant, je suis inquiète avec vous, désolée – notre chère GermaineLXXXII, j’espère qu’elle ne gémit pas de douleur.
La cruauté de vivre est incommensurable.
Je vous aime beaucoup, vous n’êtes jamais loin de mes pensées, de mes préoccupations et dans toutes vos [ ?] lettres, je chérissais la fin = nous vous embrassons =
Bien chère Barbara, aujourd’hui tout semble réparé. Maine a rouvert les yeux, est bien restée éveillée cinq minutes, a un peu mangé, m’a parlé, et rien ne semble indiquer qu’elle se trouve si peu que ce soit diminuée. Puis elle s’est rendormie. Tous deux nous vous embrassons.
Jean.
Merci du poème. Qu'il est charmant, qu’il est allègre, qu’il est désespéré !
Moi, je trouve que de Gaulle et Malraux devraient donner un nouveau blason à la France. On en a assez de ces lys (qui d’ailleurs étaient en réalité des iris : c’est Louis le Gros qui s’est trompé.) Je verrais très bien une charrue avec tout ce qu’elle signifie, et ce beau geste des bras :
Jean Starobinski, l’auteur de J.J Rousseau, la transparence et l’obstacle, qui a été notre premier abonné à Genève, vient d’être nommé professeur à la Faculté.
Je me sens très fatigué et ne voudrais pourtant pas trop m’écarter de Paris. Est-ce que vous voudriez bien, par exemple dans huit à dix jours, me prêter pour une semaine une chambre de la maison Le Corbusier ? Je ne suis pas très dérangeant. Je prendrais mes repas dans un petit restaurant de Ville d’Avray...
Je suis ravie, contente que Germaine vous donne moins de souci – je comprends bien votre fatigue. Eh bien – je vous donne mon programme : le 14 Juillet jusqu’à la fin du mois j’aurai la maison Le Corbusier pleine, un neveu de Munich avec sa famille et une nièce –
6 en tout qui viennent en vacances, nous ferons les touristes, puis je partirai [ligne conduisant au côté droit de la feuille]
- mais que vous vouliez venir à Ville d’Avray me flatte, me plait. Vous dites dans 8-10 jours –
pourriez-vous remettre cette date au premier aout [sic] ou au 30 Juillet ? Si c’est trop long d’attendre pour vous – venez quand vous voudrez – je vous donnerai la chambre de Harry dans la grande maison. Naturellement vous n’irez pas au petit restaurant de V. d’A. – Décidez [sic] vous-même et venez –
Toute la maison sera contente.
[sur le côté gauche de la feuille]
Excusez le désordre – il fait beau – il faut sortir dans le jardin Henry [ ?] a besoin de mon avis.
[sur le côté droit de la feuille, renvoi après « je partirai »]
le 8 août à Munich pour 3 semaines, comme chaque été –
On vous soignera, on vous dolottera [dorlottera], on vous laissera tranquil [tranquille].
Et vous serez près de Paris, le téléphone marche bien ou à peu près.
- Mon poème vous a plu - vous le trouvez charmant, allègre désespéré - je l’ai relu sur le champ pour y trouver tout cela, pour l’y chercher.
Je l’avais griffonné le matin du 2 Juillet en me réveillant, j’avais lu Harry avant de m’endormir.
“ La sainte Inquiétude”m’a toujours étonnée, charmée, les contrastes se présentent à moi spontanément comme par réflexe [sic] – Harry disait :“ C’est ton rythme à toi, ton équilibre. ”Dans désespoir il y a espoir [sic].
André BeuclerLXXXIII est venu hier soir diner [sic] – il part à Cannes et parle bien de ses amibes, de ses remèdes, de ses 60 ans.
Aujourd’hui Edith BoissonasLXXXIV [sic] viendra déjeuner [sic], j’irai la chercher rue Jacob.
Bien affectueusement - répondez vite j’aime beaucoup penser aux plaisirs à venir d’avance – votre visite sera un grand plaisir –
Barbara
Embrassez Germaine pour moi - Dites lui mon amitié.
Germaine va mieux, et je crois que cette petite crise est tout à fait passée. Elle reste seulement un peu somnolente. Le docteur semble rassuré.
Mais j’ai de très mauvaises nouvelles de Bertha Rhodes, qui me demande de venir près d’elle, et semble croire qu’elle est mourante. (Mais elle l’a déjà cru plusieurs fois). Je prendrai donc l’avion pour Manchester mercredi prochain. C'est dans une clinique de Grange-over-Sands qu’est soignée Bertha. J'ai horreur de voyager dans des pays où l’on parle une langue si étrange. Enfin je tâcherai de me débrouiller.
A bientôt quand même, et je vous embrasse, Barbara. C'est un grand plaisir de penser que vous étiez prête à m’accueillir à Ville d’Avray.
Ravie, contente, heureuse que vous pouvez vous absenter sans trop d’inquiétude - Germaine va mieux, un peu somnolente, elle s’apercevra moins de votre absence vous verrez Bertha RhodesLXXXV, vous la consolerez elle se remettra – dites-lui mes amitiés – peut-être se souviendrait-elle de moi – je la vois très bien – à Port-Cros – partant avec son équipement de peintre à la recherche d’un beau motif, elle était alors grande, tranquille, sûre d’elle, bien sympathique. Vous vous débrouillerez comme vous
dites en Angleterre et sa langue étrange. Moi, j’ai parlé Munichois, d’abord un peu hésitante, avec mes 6 visiteurs – c’était gai, amusant, nous riions, les boules ont eu grand succès et le ping-pong et autres jeux – j’étais dragman [?], traducteur, truchement tour à tour. Le jeune Bernhard 13 ans ½ - grand, beau, avec des yeux intelligents me dit que je suis quelqu’un qu’il s’efforcera d’imiter ; deux jeunes filles – 21-23, jolies elles aussi regardent, mes robes, mes chapeaux
[sur le côté gauche]
Autrement je lis peu, manque de temps, trop de journaux, de politique = choses ennuyeuses. Je vous embrasse, écrivez-moi de Grange-over Sands.]
[sur le côté droit de la lettre
Barbara
A bientôt
J’insiste encore
Je vous souhaite beau voyage, beau temps.
j’ai fait le touriste, métier fatigant – satisfaisant aussi - enfin 2 semaines pleines de choses prévues [sic], de surprises aussi. Laure Lévèque était pleine d’énergie, de bonne volonté, Henry a appris, lui aussi des mots, des phrases nouveaux, il prononce admirablement. Beaucoup d’aussis’, de répétitions – mes 6 repartirons [sic] ce soir, je mettrai de l’ordre dans mes esprits, en français, en anglais, j’attends des Américains, plus tard, et Antoine, le père de Henry viendra le 31 Juillet pour travailler à Condorcet – 6 semaines – il a raté son Bachau Bac au Lycée français à New York et recommencera en Septembre.
Je regrette que vous ne serez pas à Ville d’Avray pour le moment, peut-être pourriez vous me donner un weekend en Septembre - après mon retour de Munich et de Genève, ce serait un grand plaisir pour moi, pour la maison.
Promettez le moi.
Je déjeunerai avec Edith Boissonas [sic] lundi à la Bucherie – j’ai eu une lettre ravissante de Marianne Moore de BostonLXXXVI, elle y était pour un Festival de Poésie [sic], elle y a reçu d’autres honneurs, d’autres prix, d’autres diplômes (elle les a tous maintenant) - elle en parle avec humour, avec modestie, m’envoie des belles photos.
Je viens d’acheter un livre de Ezra PoundLXXXVII un recueil de 1957, assez étonnant – Henry me demande un tas d’explications que je donne avec précaution.
IMEC, fonds PLH, boîte 120, dossier 375231 – août 1958.
Samedi
[août 58]
Chère Barbara
Me voici rentré d’un pays, plus exotique que la Guinée ou le Sahara : attachant tout de même ; où j’ai vu cinq messieurs en habit de soirée jouer gravement, toute une veillée, au billard comme on le comprenait il y a cent vingt et une billes. Où l’homme de la rue, si vous lui demandez le chemin vous accompagne gentiment vingt minutes, mais s’il découvre que vous ne savez pas l’anglais vous regarde comme un fou.
Grange over Sands est à la rencontre de la mer et du lac de Windermere : prés salés (et moutons à tête noire ), longues grèves, et cuir merveilleusement pur.
J'ai passé cinq jours près de Bertha, d’une Bertha affaiblie, mais vive et joyeuse de vivre. De quoi souffre-t-elle ? Eh bien (je crois) de ceci : sitôt qu’elle est seule, il lui semble que les gens sont ligués contre elle : ne peuvent qu’à la voler ; à l’empoisonner ; à lui jouer de mauvais tours. Que faire à cela ? Peut-être la décider à vivre en France. Du bien lui trouver une dame de compagnie. Je cherche.
Chère Barbara, je vous envoie un petit tirage à part, avec la vague crainte qu’il vous ennuie un peu, et je vous embrasse. Jean.
Les cartes, votre mot sont arrivés hier – merci - autre journée bonne, merveilleuse, cela devient monotone quand de partout on m’écrit qu’il pleut – peut-être ne vois-je que le bon côté - peut-être je deviens insensible aux temps mauvais – le beau temps seul est important.
[en marge, entouré d’un cercle]
Quand je lis le journal je commence par le temps qu’il fait, qu’il a fait, qu’il fera, je suis plus légère bien plus, - plus énergique , quand il fait soleil – et nous l’avons eu souvent. Harry pouvait m’écrire de longues pages sur la température, sur le mauvais temps, même en Italie, il se mettait en colère – quand il faisait beau il ne commentait pas.
Hier soir j’ai vu RosenkavalierLXXXVIII (Richard Strauss), je suis encore sous l’envoûtement , c’était gai, parfaitement joué, j’y ai retrouvé mon impression d’il y a longtemps, la première fois.
J’étais avec une jeune nièce, Annemarie, 20 ans, elle ressemble à un Lucas CranachLXXXIX, très blonde, un teint éblouissant, une timidité [agressive ?] – elle devient rouge, d’un rouge très joli quand elle s’emballe – et cependant elle est d’allure décidée, d’opinion ferme.
Ce matin je dois faire mes paquets, je dois faire mes visites d’adieux, on m’en fera, demain encore un opéra (“ Figaro ”XC) dans le théâtre Rococo, avec Maria, ma nièce préférée – je crois même que vous la connaissez – elle est très jolie,très bonne, elle a 4 beaux enfants et un mari que j’aime beaucoup. Nous partirons le 30 Août en même temps, elle à Vienne pour des vacances, moi à Genève pour affaires.
Je serai à Ville d’Avray le 3 septembre – je serai heureuse de vous voir chez moi le 6, un samedi, pour déjeuner et vous resterez le weekend, un long weekend j’espère - Jean vous cherchera le 6 à 11 h 45 chez vous. – Téléfonez [Téléphonez]] à Paulette. Vous nous raconterez WindermereXCI – nous bavarderons -.
Ou voulez [ ?] vous faire jouer “Magie”XCII ? Peut-être est-ce quelque chose qui donnera le change à nos inquiétudes de guerre, d’atomes, d’attentats, c’est gentil, juste assez effrayant pour nous déshabituer doucement de la peur habituelle.
Laure Lévèque ma chère pessimiste sera avec moi – mais elle m’a écrit des lettres gaies, elle est contente d’être avec ses petit-fils, Antoine et Henry, qui travaillent avec acharnement pour être prêts à des répétitions d’examens en Septembre à New York.
J’aurai des visites Américaines mi-Septembre, les Minton’s qui viendront d’un voyage en U. R. R. S. en avion – leur dernière etappe [étape] sera Helsinki – Bruxelles – Ville d’Avray.
Peut-être irai-je les rejoindre à BruxellesXCIII pour deux jours - je dinerai [sic] dans l’Atomium, je verrai des tableaux, que je n’ai pas vu [sic] en Juin, j’irai au Cirque russeXCIV dont tout le monde parle ici.
Et j’aime les cirques. Il y a parait-il [sic] un étonnant hippopotame, qui parle, chante, fait des choses surprenantes.
Mes cousins Américains, les Minton’s partiront en Amérique le 27 Sept. En avion, moi le 10 Oct. sur Liberté.
Je serai tellement contente qu’Edith Boissonas [sic] redevienne bien portante. Comme avant – avec tous ses efforts – d’être soucieuse seulement de poésie, de son succès, elle ne peut s’empêcher d’être angoissée – c’est peut-être un atout dans la recherche, dans l’inspiration, mais son inquiétude est manifeste et se communique.
Je suis contente que vous aimez [sic] les cartes, Wallace Stevens en raffolait.
J'ai enfin vu Faccheltin (17 r. de Lille) à son retour d’Italie. Voici : il ne parle plus tout à fait d’un million, mais de huit cent mille. Si vous acceptez, vous seriez gentille de me l’écrire tout de suite (ou de me le faire téléphoner.) avec toute l’affection de Jean P.
Barbara Church à Jean Paulhan (13 septembre 1958) §
Merci de vos billets – ils m’ont fait grand plaisir – et naturellement nous nous verrons [ ?] dès mon retour de Bruxelles – peut-être auriez vous envie de voir ou de revoir mes cousins d’Amérique – ceux que je vois le plus – elle est bonne – amusante souvent, une cousine germaine de Harry – elle s’appelait Church avant son mariage avec Harry Minton – elle a quatre enfants, très réussis – lui, le Président de Church & Dwight CºXCVI – intelligent, vivant autoritaire – très Wallstreet [sic], sans prétention – nous nous plaisons mutuellement. Il seront à Vi d’A. du 22 au 27, s’envoleront d’ici aux U.S.A. ils viennent de l’U.R.R.S. [sic] Elle parle français
Pour le tableau je suis d’accord – j’aimerais que ce soit au comptant – vous en prendrez la moitié – cela aussi me fait plaisir de penser que peut-être [sic] je pourrais contribuer ainsi un peu au confort de Germaine.
En ce moment nous sommes 4 à la maison, Laure, Yvonne Moreau Lalande, Marthe TernandXCVII – le centre – la droite – la gauche et moi au dehors – on discute – elles sont intelligentes, parfois je m’amuse. Marthe et Yvonne retournerons ce soir à paris - Laure et moi irons à Versailles ce soir avec toute la maisonnée au cinéma, demain les empaquetages. Lundi à 8 h du matin à Bruxelles pour retrouver mes cousins, je serai de retour le Jeudi.
J’ai toujours reproché à ma famille munichoise l’esprit, de [illisible ?] qu’ils ont tous, j’ai découvert depuis quelques [sic] temps que, bien sûr, c’est moi qui l’a [sic] – cet esprit.
Vous avez compris mon hésitation de mettre qui que ce soit dans la chambre de Harry où il travaillait, où il avait ses affaires ou il rêvait – que vous ayez rêvé de musique, m’enchante. Je suis heureuse de penser que la chambre, le séjour vous ont plu.
Bien affectueusement à tous deux
Barbara
Nous jouons aussi aux Chinese – CheckersXCVIII et au “ Cœur sur la main ”XCIX Yvonne fait de “ la sol ” [sic] avec application – même réussit à la faire. On ne joue pas aux boules. Il fait très beau.
Jean Paulhan à Barbara Church (30 septembre 1958) §
Jeanne Ungaretti, qui depuis longtemps était souffrante, est morte brusquement à la suite d’une opération. J'ai peur que ce ne soit, pour Unga, un malheur très grave. De la mort de son jeune fils, il ne s’était jamais consolé.
C'était une petite Auvergnate très courageuse et très fine.
Ville d’Avray doit être très beau, dans ces premier jours d’automne. Avant-hier encore l’air était plein d’une poussière d’argent, qui aujourd’hui se dore un peu.
Voici le chèque. Germaine vous remercie avec moi, et tous deux nous vous embrassons.
Jean P.
Barbara Church à Jean Paulhan (30 septembre 1958) §
Je viens d’écrire à Giuseppe Ungaretti – c’est difficile pour moi d’écrire ces lettres, je déborde de sympathie, j’ai peur d’être ridicule ou de blesser par gaucherie - j’ai fait de mon mieux – brièvement.
Et j’ai encaissé le chèque – je suis contente de mon idée, j’y avais pensé dès mon arrivée en France – je voulais un geste léger, élégant - ai-je réussi ?
Embrassez Germaine – nous étions bonnes amies quand on se voyait beaucoup – elle aussi avait l’air de me comprendre – la vie est magnifique et difficile –
Vous déjeunez à Ville d’Avray Jeudi le 2 Octobre, je viendrai vous prendre chez vous à Midi – je dois aller à Paris le matin. Mon départ approche, j’espère que vous serez libre.
Téléfonez [Téléphonez] à Paulette.
J’ai vu hier matin Yvonne Moreau Lalande pour affaires – elle était gaie, heureuse – elle avait passé la soirée du dimanche dans les Champs Elysées jusqu’à une heure, dans la grande foule, ravie des Français, de leur enthousiasmeC - une femme criait “ bravo mon pays ”, un homme avec ses deux fils, 14 et 12 ans, les prit par les cheveux “ C’est pour vous mes enfants, ce n’est pas seulement pour moi.”, leur disait-il.
Et Jean a vu à la TV le spectacle dont il me parlait avec un sourire et des yeux qui brillaient. Moi j’ai écouté la radio jusqu’au bout, cela ressemblait aux élections présidentielles en [sic] U. S. A., la [sic] on donnait les résultats des 48 états, un à un, ici des villes et des communes, une à une. Toute la France est redevenue Patriote [sic], c’est ça le miracle, elle croit de nouveau – de Gaulle en est le symbole, peut-être même l’instrument – de la victoire [sic]. Je parle comme l’homme de la rue et avec lui – vous voyez bien que je peux être extravagante – exubérante – je suis optimiste, je m’y raccroche.
Laure aussi l’est – presque – elle est une des douairières dont parle Pravda qui garde soigneusement ses doutes.
Nous, Laure et moi irons toute [sic] à l’heure à Paris déjeuner rue de Varenne chez Pierre et Claire Lévèque et leur [sic] 5 enfants – Pierre doit aller en Birmanie dans 15 jours – les affaires de France PresseCI. J’aime bien bavarder avec lui – il me le rend, me coupe la parole, rectifie avec son rire franc, indulgent, quelquefois avec colère, pour prouver son pointCII.
Bien à vous, je vous embrasse tous deux
Barbara
Hier Marthe Ternand est venue déjeuner, nous nous étions promis de ne pas parler politique, inutile précaution, elle était d’une discrétion totale – même gaie – l’après-midi nous avons vu le film de Jean Gabin et de l’opulente Brigitte BardotCIII – sombre, beau - presqu’un chef-d’œuvre, la salle archipleine.
Je n’ai guère bougé de ma chambre (ou plutôt de mon lit) depuis cinq jours. J'attends de partir me reposer, je ne sais encore trop où : à la Vallée aux loups, ou chez les Bénédictines de Limon. J'aurais bien voulu pourtant vous revoir avant mon départ, ou plutôt avant votre départ. Je vous souhaite du moins un très beau voyage, et nous vous embrassons tous deux.
Jean P.
Je rapporterai le Poussin à Jean, sitôt de retour à Paris : vers la fin du mois.
[Initiales B C en italiques rouge foncé sur la gauche]
Le 9 Octobre 1958
11 h du soir
Cher Jean
Tout est emballé, mes [ ?] gens ont défilé pour me dire au revoir – l’année prochaine je leur demanderai de ne pas le faire tous le même jour – j’ai la tête vide, la langue pateuse [pâteuse] d’avoir trop parlé, les oreilles fatiguées et pourtant je les aime bien tous.
Laure m’a soutenue, aidé – Demain à 7 h du matin nous irons, elle et moi et Jean en auto au Hâvre [sic], et moi/ sur “Liberté”CIV, Suzanne est partie ce matin avec la Renault et les grands bagages – elle passera la journée et la nuit dans sa famille
[Feuillet 2]
Nous nous trouverons au Quai du Hâvre [Havre]. Je serai contente d’être sur le bateau, c’est un grand repos pendant 5 jours, je reprendrai ma vie de N. Y. avec energie [énergie].
Vous allez vous reposer, c’est très bien, vous en avez besoin, vous le méritez – écrivez-nous à New York un petit mot. Des Benedictin[e-?]sCV, peut-être.
Ma plume aussi est fatiguée – je devrai faire comme vous, me servir d’une plume et de la bouteille à encre –
Je vous dis au revoir, je regrette de ne pas vous voir revenant avant mon départ. Et dites bien des choses gentilles à Germaine.
Je vous embrasse tous deux
Barbara
Edith Boissonas [Boissenas] est-elle à Paris ? Elle m’avait promis, d’écrire, de me voir, elle ne l’a pas fait. J’espère qu’elle est guérie
[Grand format – Logo de la French Line – encadré Par Avion Air Mail – à bord le]
16 Octobre 1958
Cher Jean
J’espère que vous êtes en ce moment chez les Bénédictines, la Valley [sic] aux LoupsCVI sonne bien aussi, je préfère les Bénédictines [sic]. Surtout je souhaite que vous ne souffrez [sic] plus, que vous passez [sic] des journées paisibles, reposantes et – stimulantes. Je le souhaite si fermement, je suis sure [sûre] que cela est en positif – non en subjonctif, non en conditionnel.
Je pense beaucoup à Ville d’Avray, à votre visite, si courte, si bien remplie – par moments j’avais comme vous l’impression que c’était comme toujours, avec Harry au milieu de nous-peut-être l’était-il [sic] fugitivement, distraitement – sans le déranger en rien. Je ne crois pas aux revenants, je crois à la présence et c’est à nous de nous adapter, nous avec nos perceptions si rudimentaires que nous négligeons gravement [ ?], légèrement.
C’est étonnant comme au milieu d’un tas de distractions subitement je pense à une phrase qui s’est gravée dans ma mémoire [sic], une phrase légère, dite après un silence, elle est la [sic], vivante, pour un moment elle me redonne l’espoir – une des phrases qu’il me disait.
-- Il faut m’écrire à New York Jean, me raconter des choses sur ce que vous faites, sur ce que vous pensez. Et je répondrai, ce n’est pas difficile de vous écrire, plus facile que de vous parler quelques fois [sic], - mais dans la conversation il y a toujours aussi les autres avec “ le meurtre tapi dans leurs yeux ” disait Harry.-
Ma vie sur le bateau – sans histoire exceptionnelle – ce matin le ciel est ravissant, d’un tendre sans pareil, rose, bleu, gris, mauve, le tout fondu en une harmonie tranquille – il est 7h du matin, le soleil se lève, à Paris il est 10h.
Je lis dans la journée sur le Desk [sic], dan notre cabine – qui est comfortable [confortable], qui s’appelle Alger, qui a 2 fenêtres que nous laissons ouvertes un peu, toujours. Nous jouons aux jeux, Pool, Bingo, Petits cheveaux [chevaux], nous ne gagnons pas.
[Feuille 2, même en-tête que la précédente]
Ce soir, il y aura le Gala, un diner, le diner [sic] du grand capitaine, les cuisiniers feront des chef d’œuvres [sic] en présentation, en succulence, puis une représentation des artistes en voyages [sic], une collecte pour les œuvres de mer – ce sera comme toujours réussi – en voyage, sur mer, on est plus vulnérable, plus détaché aussi.
Chaque jour un film, hier c’était “ Gigi”CVII avec Maurice Chevalier, Leslie Caron, un beau jeune acteurCVIII – tout bien joué, avec des vues charmantes “ Technicolor ” de Paris, très peu de Colette, 2 heures de bon divertissement.
Nous remplissons des feuilles pour la douane, pour le débarquement – comme chaque fois ; nous arriverons Jeudi le 16 Octobre à 7h du matin.
Mon chauffeur américain Ernest sera au Quai, Monique, la fille de Laure, Yvette la fille de Suzanne, St. John, les Minton’s, probablement d’autres, je reprendrai ma vie de Newyorkaise, assez contente de le faire.
La liste des passagers est devant moi – il y a Mme Jules Moch, la marraine du bateauCIX, petite dame distinguée, toujours en gris ou noir, il y a un ambassadeur américain, il y a Faustus sic] ClevaCX, le conducteur des Opéras italiens à l’opéra de N. Y., il y a de très jolies femmes de l’Amérique du Sud – un tas d’autres que nous regardons, qui nous regardent.
Je ne me lie pas sur le bateau – il ne faut pas sauf dans les cas exceptionnels – me disait Harry, me disent famille et amis. On me protège, ou essaie de me protéger, je crois que j’aime beaucoup être protégée, que je n’en abuse pas, je suis naturellement prudente, assez sure [sic].
Puis j’ai Suzanne, la meilleure compagne, qui me soigne, qui parle quand moi j’en ai envie – en ce moment elle lit “ le deuxième sexe ” de Simonne [Simone] de BeauvoirCXI, elle dit qu’elle en [boit - ?] aussi – elle me lit des passages.
[sur le côté gauche de la feuille]
Germaine l’a sûrement lu, et vous ?
J’hésite toujours à le lire, je n’aimais pas son livre sur l’AmériqueCXII – et depuis il me reste de la méfiance – Marthe Ternand la trouve étonnante.
[sur le côté gauche, dans toute la largeur du haut de la feuille]
Laure, qui a donné le livre à Suzanne l’apprécie à sa manière avec restrictions.
Je pense à Germaine – dites-lui toute mon affection, embrassez-la pour moi.
Sincerely yours
Barbara.
C’est plus joli, plus bref, moins formel me semble-t-il que “ sincèrement à vous ” – cela dit un peu plus dans sa réserve – sans réserve [sic] – en anglais.
Je bavarde, je résiste difficilement au papier blanc, la Cie transatlantique a du beau papier, la plume court avec allégresse.
[Carte imprimée, typographie ancienne, très élaborée]
Ne va disant ma main a fait cet œuvre, Ou ma vertu ce bel œuvre a parfait
Mais dis ainsi, Dieu par moy l’œuvre a fait, Dieu est l’autheur du peu de bien que j’œuvre
[sous cette typographie, à la main]
Vous rappelez vous “ l’école de modestie ”, c’est vous qui l’avez dit.
(partie 2]
Dimanche 7 Décembre 1958
Cher Jean
Ma dernière lettre date du bateau – de vous je n’ai rien encore, j’espère cependant que tout va bien.
Quant à moi je n’ai guère le temps de penser à autre chose qu’à ne pas mettre 2 personnes ou plus sur la même heure, sur la même date – c’est la vie d’ici – il faut avouer que je l’ai adopté [sic] sans remords, sans répugnance.
Marianne Moore m’écrit très souvent, elle aussi est très occupée et en ce moment couchée, une laryngite ou simplement trop de fatigue – elle sait que je n’aime guère le téléfone [téléphone] - elle, elle en use – alors elle écrit, même un poème qui m’était destiné spécialement sur Santa Claus, Hans Von Marée [sic]CXIII, la magie, plutôt la magicienne – elle invente des [mots - ? -] cocasses, amusants, simples pourtant.
[partie 3]
Rerepond [sic] – Ce sont surtout ses lettres que j’ouvre les premières – négligeant affaires et autre [sic] ; Mon ami poète Tim ClappCXIV a eu une idée amusante, au lieu d’envoyer des cartes il envoie un petit recueil (50 cents) de poésie depuis 100 ans – américain et anglais, il y a des toutes petites photos des auteurs, bon nombre des amis – on écrit beaucoup en U. S. A. – partout d’ailleurs.
La N. R. F. est arrivée hier – j’ai tout de suite regardé sur l’index pour chercher votre nom – il n’y était pas. Je sais que Dominique a eu le prix de CritiqueCXV – elle le mérite, je lis toujours ce qu’elle dit.
Parlez moi un peu des élections – le franc a monté cette fin d’année, de Gaulle a dit qu’il y avait trop de Gaullistes autour de lui – il est quand même militaire et sait gré à l’ennemi – Monique explique toujours aux adolescents dans les écoles ou aux Dames dans leurs clubs le problème de l’AlgérieCXVI , Antoine écrit des vers, pas mal du tout, Henry est le meilleur compagnon surtout un soir d’opéra Il a juste 16 ans, il est intelligent, la musique l’intéresse, il goûte la perfection. St. John est fidèlement , sourdement à mes [côtés - ?].
Nous préparons Noël avec l’arbre,
[partie 4]
Comme le feu d’artifice.
Ecrivez-moi, parlez de vous, de Germaine, de Paris, des poètes, des autres.
Bon Noël – bonne année
Mon amitié – je pense à vous
Barbara
[Imprimé]
Calligraphic Design
Engraving from Panchrestographie ou exemple de toutes les [omission] d’escritures plus utiles et necesser [sic] en France by Jean de BeaugrandCXVII. Paris, 1604.
The Metropolitan Museum of Art
Dick Fund 1926
Barbara Church à Jean Paulhan (22 décembre 1958) §
[Carte portant une illustration chinoise, légendée au verso]
[Feuillet 1]
Le 22 Décembre 1958
10h du soir
Cher Jean
La maison, mon appartement, c’est Noël en plein déjà – un arbre comme je n’en ai jamais eu – Suzanne est une artiste en tout genre – j’aurai un réveillon comme tous les ans – nous serons 11 [ ?] – avec une place réservée pour le voyageur inconnu qui pourrait arriver – Suzanne m’a entendu raconter cette coutume bavaroise, ravie de l’histoire, elle insiste pour continuer à New York, Park Avenue.
Nos arbres de Park Avenue sont tous allumés, il y en a un, le plus beau sous ma fenêtre, éclaire ma chambre jusqu’à [sic] une heure du matin – la ville coupe le courrant [courant] à cette heure, ne lasse que l’étoile de la cime allumée jusqu’à l’aube.
Je suis sentimentale, l’Amérique fait tout autour de Noël pour m’encourager.
[Feuillet 2]
J’espère que la petite Claire va bien maintenant, que son bras guérit, je regrette que vous ne vous sentez [sic] pas bien, finissez vite votre livre, si cela doit vous guérir.
Dites à Germaine toute ma sympathie, toute mon amitié.
Je lirai la N. R. F. encore plus attentivement – je la lis toujours – pour m’indigner [ ?] avec tout le mondeCXVIII.
Je sais que Jean Wahl aime attaquer, ses attaques ne sont pas fines – à New York un jour Harry est entré en grande colère contre lui, il avait dit des choses désagréables et pas vraies sur Ransom, l’éditeur de Kenyon ReviewCXIX, un ami de Henry, un homme fin, charmant.
Il avait comme tous les universitaires aidé J. W. en Amérique.
Quand il en avait besoin. Harry lui avait fit, à J. W., qu’il ne lui parlerai [sic] plus, si dans quelque revue, ses injures paraitrontCXX [sic].
[sur le côté gauche]
J’aime que vous vous plaisez [sic] avec les AllemandsCXXI – ils sont attachants – et insupportables avec leurs complexes – j’aime bien y aller, en Allemagne, surtout en Bavière – pour un court séjour.
[dos de la carte]
Je ne sais si J. W. a renoncé ou non. En tout cas je n’en ai jamais entendu reparler. Je sais qu’il est arrogant, exigeant mechamment [méchamment].
Je n’aimais pas beaucoup qu’il me demande de lui envoyer la voiture pour la gardenparty [sic], quand moi j’avais besoin de Jean. Dailleurs [sic] j’ai refusé et je ne l’ai plus invité.
Il fait [ ?] hiver très beau, un ciel clair – j’aime le froid de N. Y.. Cette après-midi une promenade en auto vers l’Ocean [sic] fut une merveille, les mouettes par milliers, des couleurs ravissantes, un coucher de soleil comme un rêve – la lune se levait de l’autre coté [sic] – or et argent invraisemblable – j’en étais toute emue [émue].
La radio chante des chansons de [Noël] en espagnol, je lis Pasternak. Nous n’avons pas de journeauxCXXII [journaux]. Sauf le Wall Street Journal très bien fait d’ailleurs –