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Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Benjamin Crémieux
Jean Paulhan
1925/1936
Benjamin Crémieux & Jean Paulhan
Correspondance (1925–1936)
2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Votre lettre, quelle peine ! Vous avez douté de moi et vous ne l’avez pas dit tout de
suite. J'aurais pu dissiper d’un mot vos inquiétudes et maintenant je ne sais pas combien
de pages il va falloir.
Vous commettez avant tout une erreur fondamentale en me prêtant les pensées que vous me
prêtez. Cette erreur, c’est de croire que j’ai souhaité la direction de la N.R.F., que je
l’ai souhaitée « en mon cœur », ou même freudiennement, inconsciemment. (Car vous savez,
– et si vous n’en êtes pas sûr, je vous l’affirme – que ni directement, ni indirectement
je n’ai fait savoir, ni laissé deviner à Gallimard que je pouvais désirer cette
succession). Le vrai, c’est que j’ai redouté qu’on me l’offre, que j’ai eu peur, si on me
l’offrait, de mal savoir me défendre par sentiment de « patriotisme N.R.F. » précisément,
et j’avais décidé si Gallimard me faisait un jour les ouvertures à ce sujet d’essayer de
détourner de moi ce calice en réclamant des appointements très élevés et en demandant que
vous soyez co-directeur.
Et lorsque des amis délicats ou indélicats m’ont questionné, j’ai toujours répondu : « Je
ne sais pas si Gallimard pense à moi ; je souhaite pour ma tranquillité qu’il n’y pense
pas. En tout cas même s’il y pensait, il serait très difficile de nous entendre, car je
lui demanderais de me donner autant que je gagne avec « mon » ministère et mes diverses
collaborations et n’accepterais pas une responsabilité entière. Je voudrais la partager
avec Paulhan à rang égal, donc à traitement égal, ce qui ferait de très gros frais pour
Gallimard. » Pour les amis comme Larbaud, j’ajouterais : « Je ne me sens pas le courage de
succéder à Rivière. S'il fallait, pour que l’oeuvre ne pérît pas, ne passât pas en de
mauvaises mains, m’occuper de la revue, je ne pourrais y faire besogne utile que complété
par Paulhan. »
Je veux vous donner plus de détails encore. La mort de Rivière m’avait tellement accablé
que je n’ai pas pensé qu’il allait falloir lui trouver un successeur. Cette question ne
s’est pas posée pour moi. Cela a l’air impossible, mais c’est la stricte vérité. C'est
trois ou quatre jours après son enterrement, exactement le soir de la répétition générale
d’Henri IV, que Lucien Fabre (serait-ce lui l’ami qui avait posé ma
candidature ? Je n’en sais rien et c’est vous qui m’apprenez aujourd’hui et cette chose et
l’affreuse légende de ma candidature posée par moi 3 jours avant la mort de Rivière) dit à
ma femme qui me le répéta à la sortie : « Il paraît que Crémieux va devenir directeur de
la N.R.F. Tout le monde approuve ce choix. Valéry en est très content. » À quoi ma femme
répondait que j’ignorais tout de cela et que cette question de la succession ne m’avait
pas effleuré.
Quelques jours plus tard, j’avais déjeuné chez Foyot avec la princesse de Bassiano et
Larbaud. Resté seul avec Larbaud, nous en vînmes je ne sais comment à parler de
Castagnon : « Qui Figurez-vous, me dit-il, qu’il m’a demandé de poser
ma sa candidature à la direction de la N.R.F. J'en ai dit un mot à Gallimard
qui m’a répondu n’a pas pris cette demande au sérieux bien entendu. » J'ai
naturellement demandé qui Gallimard comptait choisir. Larbaud a eu l’air étonné : « Il ne
vous en a pas parlé ? » Et c’est alors que j’ai appris que l’idée était venue à
Gallimard, d’ajourner une solution, tout en envisageant une collaboration de
vous et de moi.
Tout cela, c’est de l’anecdote. Mais j’en viens à mes sentiments profonds. L'amitié que
j’avais pour Rivière, celle que j’ai pour vous me poussent à cette espèce de profession de
foi, mais je ne m’étale pas volontiers comme je vais le faire.
Sachez-le, il n’y a qu’une chose qui m’importe dans la vie, c’est d’être pur. Pur devant
moi-même. Paraître pur m’importe moins. Une pensée basse, une pensée d’envie, une pensée
de vanité, si elles me viennes, je les chasse. Et par bonheur, il ne m’en vient presque
jamais. Je ne veux arriver à rien, faire ce qu’on appelle une carrière ne m’intéresse pas.
C'est, avec ma pureté, la seule ma liberté seule qui m’intéresse.
Voilà pourquoi j’écarte soigneusement de moi toutes les responsabilités (j’ai quitté
l’Université, alors que j’aurais pu diriger l’Institut de Florence, refusé deux maîtrises
de conférence, alors que je n’étais pas sûr de savoir un peu écrire et de trouver où
m’exprimer). Au quai d’Orsay, je n’ai aucune responsabilité, je ne voudrais pour rien au
monde diriger le bureau où je travaille. Comment aurait-il pu entrer dans mon plan de vie
de sacrifier cette liberté à … (à quoi?) la vanité, l’honneur, le le profit de
diriger la N.R.F. ? Je ne pouvais envisager, quand les autres m’ont forcé à l’envisager,
cette éventualité que comme un devoir.
Et j’étais à peu près sûr de ne pas remplir ce devoir comme il faut. Le manque d’esprit
de suite, je ne crois pas au profond sérieux des choses, même d’une entreprise comme la
N.R.F. Et si j’avais pu envisager l’éventualité de la diriger, ç'aurait été uniquement par
humilité, et doute de moi-même, en me disant : « si je ne suis pas capable de mettre
debout une œuvre personnelle valable, du moins me serai-je rendu utile socialement en
travaillant à continuer la revue. »
Il y a chez moi un mysticisme social qui a souvent guidé mes résolutions. Si je me suis
voulu agrégé, (à dix-huit ans) c’était pour me rendre utile au cas où je ne pourrais pas
être un grand poète. Si je me suis voulu (après la guerre) critique, c’était pour me
rendre utile au cas où je pourrais pas être un grand créateur.
Je n’ai pas changé depuis mes quinze ans où j’établissais la hiérarchie de mes
ambitions : saint, poète, dramaturge, romancier, critique, publiciste social et politique,
professeur. Qui sait cela tient la clé de toutes mes décisions : j’ai été agrégé, puis
j’ai écrit dans la Dépêche de Toulouse et l’Europe
nouvelle (publiciste), puis j’ai été je me suis élevé d’un degré
(critique), d’un autre (romancier), d’un autre (dramaturge).
Je souris moi-même de cette vue puérile de la vie que continue à me plaire, mais vous
voyez qu’il n’y a là place que pour des satisfactions d’ordre personnel, non pas d’ordre
social. Il n’y a là aucune place pour le désir d’être de l’Académie, ou de
diriger une revue. Ces choses-là peuvent venir de surcroît. Mais rien de ce qui est succès
social ne m’intéresse profondément.
Quant à souhaiter diriger la N.R.F. pour y maintenir un esprit, y faire triompher un
programme, il faudrait croire à cet esprit (et je n’y crois que quand un Rivière ou
vous-même en êtes les mainteneurs), il faudrait avoir un programme (et je n’en ai pas),
croire profondément à la littérature (et je n’y crois pas).
Dans l’ordre matériel, mon idéal serait de quitter le ministère et de partager mon année
entre la campagne, des voyages et Paris, et cet idéal, je compte l’atteindre dans peu
d’années. Le genre de vie de Romains, de Duhamel (avec moins d’obligations de chef
d’école), voilà ce à quoi j’aspire et non pas encore une fois à une carrière. Ajoutez que
je m’imagine très bien n’écrivant plus, devenant homme de politique,
agriculteur ou homme d’affaires. Lae notion goût d’écrire
n’a pas du tout tué en moi le goût de vivre.
Tout Cela étant, je suis tout éberlué quand je lis dans votre lettre : « Je
vous ai vu (et tout le monde vous a vu) si déçu, si découragé que je me suis trouvé assez
gêné pour vous parler. »
J'étais très pris par Pirandello qui m’a accaparé tout le printemps, par la préparation
du congrès des Pen Clubs, déjà hanté de théâtre, et c’est pourquoi j’ai paru peut-être me
désintéresser de la N.R.F., mais je n’étais ni déçu, ni découragé (je me posais bien aussi
des questions sur l’art du critique et sur l’art dramatique, mais c’était un tourment
intellectuel, non moral).
– Venons à vous à présent. Votre direction de la N.R.F. me paraît excellente et j’ai été
profondément heureux quand vous l’avez prise. Mille témoignages pourraient vous le
confirmer. Vous seul pouviez continuer Rivière sans le copier. Je ne cesse d’en chanter la
louange : exactitude dans la publication des numéros, netteté du et promptitude
dans les décisions. J'ai approuvé votre désir d’avoir Bella et
j l’ai appuyé du mieux que j’ai pu auprès de Giraudoux. Je n’ai rien à
reprendre aux numéros que vous avez composé. Madame Pascal m’a dix fois demandé ce que je
pensais de la revue. Neuf fois, j’ai dit que je n’en pensais que du bien comme
cela c’était la vérité. La dixième, j’ai cherché à faire une
critique et j’ai dit : « un peu trop de Claudel et peut-être le loisir de faire défiler
les noms plutôt que de choisir sur pièces. » Critique très superficielle, presque
inexistantes dans ma pensée et que je n’aurais pas dû faire, d’abord parce qu’il est
excellent que vous fassiez défiler au plus tôt tous ceux que vous désirez comme
collaborateurs, de façon à ce que les lecteurs voient ceux que vous éliminez (si vous en
éliminez), ceux que vous conservez, ceux dont vous vous accroissez.
Ne craignez pas mes amis, mon parti. Je ne m’en connais pas je ne vois personne et je
vous demanderai à votre retour de me préciser avec la même franchise que je mets à
m’expliquer certaines allusions. Si on vous a répété les propos soi-disant tenus par moi,
on a menti ou on a tellement déformé d’innocents propos qu’ils en sont devenus
criminels.
Je croyais dur à l’amitié (à la loyauté) de Rivière. Je crois dur à la vôtre, mais croyez
à la mienne.
Croyez d’abord que je n’ai aucun effort à faire pour aimer un numéro composé par vous,
pour la raison bien simple que je n’ai jamais imaginé comment j’en composerais un.
D'ailleurs cette critique, chère à tous les « anciens » de la N.R.F., numéro par numéro,
m’a toujours paru oiseuse. Je me rappelle ma stupeur un jour de 1921 où Rivière me montra
une lettre de Gide qui épluchait le dernier numéro, article par article, note par note. On
juge une revue sur le contenu d’une année au moins.
Je vous écris au soir d’une journée fatigante. Il est bientôt minuit. Je ne sais si
demain je vous enverrai cette lettre, ni si elle est ce qu’elle devrait être pour exprimer
ce que je sens.
Je suis prêt à collaborer de mon mieux avec vous. Il suffira de nous voir davantage et
mieux. Il n’y avait aucune gêne chez moi, comme vous avez pu le croire ; il y avait chez
vous le sentiment que j’étais gêné.
Surtout ne croyez pas que le temps que je donne aux choses de théâtre m’y écarte de vous.
C'est une crise que je traverse ; j’en ai traversé bien d’autres. C'est la suite naturelle
du hasard qui m’a fait traduire Pirandello. Le théâtre est plus fort que la cocaïne et du
même ordre. Je suis vérolé de théâtre. Tenez m’en compte un peu.
Bien affectueusement,
B. Crémieux
Donnez-moi vite de vos nouvelles. J'ai vu Madame Pascale ce soir tourmentée
par un télégramme où vous l’appeliez près de vous. Peut-être descendrai-je à Cavalaire le
1er jour de novembre. Peut-être.
Le Grand Chancelier (oui) m’a enfin écrit. Il faut que je te demande une chose :
voudrais-tu consentir à faire abandon de tes droits de parrain à mon père – à qui tout de
même je la dois aussi, un peu ; à qui je pense que ces droits donneraient un plaisir plus
sérieux qu’il ne serait de toi à moi. Oui, n’est-ce-pas ?
Si nous partions avec vous en Mai pour la Corse. Voulez-vous ?
– Si ça t’ennuie de faire passer ma note sur Duhamel, rends-la moi. Je l’intégrerai dans
l’étude d’ensemble Duhamel sur lui qui doit figurer dans la deuxième série de
XXe siècle. Mais depuis la suppression de la
dernière phrase cette note nue semble très élogieuse et de nature à faire plaisir à D.
Est-ce que je me trompe ?
Tu m’avais dit que son nouveau roman n’était pas bon, mais je ne l’ai répété à personne.
Tu me raconteras le détail de l’incident.
– Tu as peut-être raison pour le tracassin.
– J'aurais dû te remercier depuis longtemps des feuillets que tu m’as communiqués (et que
je te rendrai si tu en as besoin). Je crois que tu t’es attaqué à une des matières les
plus difficiles que soient. Et Faire le le portrait du langage en langage,
c’est à peu près vouloir faire en chair la statue d’un être en chair charnel
avec un instrument en chair. Mais c’est passionnant. Le plus passionnant, c’est la façon
dont la réalité brute se glisse sous le symbole. Mon père avait dans son personnel deux
ouvrières qui s’appelaient toutes deux Marie et toute mon enfance, j’ai entendu
app nommer l’une Marie Delarbre et l’autre Marie Alaux. Mais ce que
j’entendais, c’était Marie « de l’arbre » et Marie « à l’eau ». Comme il n’y avait pas
d’arbre devant la maison de la première, ni d’eau devant celle de la seconde, je pensais
qu’elles avaient déménagé. Quand il y eut une troisième Marie, Marie Campagne, je sus tout
de suite que Marie Campagne était un nom propre, mais l’idée ne me vient pas
qu’il pût en être de même pour Delarbre et Alaux. C'est l’an passé (1925) en feuilletant
un Premier de la Classe que j’allais donner à quelqu’un que l’idée me
vint que je, en repensant à Narbonne, que de l’arbre était Delarbre, à l’eau
Alaux. Mais aujourd’hui encore je n’en suis pas convaincu.
– Je viens de lire Bernanos. J'ai d’abord été pris par son tempérament d’écrivain, mais
je me demande à présent s’il n’a pas simplement beaucoup lu Bloy, Veuillot, Barbey,
Villiers. Mais ma plus forte impression est la stupeur devant les possibilités de la
bêtise humaine. On reviendrait au moyen-âge comme rien. D'ailleurs la lecture du deuxième
numéro des Chroniques du Roseau d’Or a par moments quelque chsoe de
terrifiant, l’article sur Jeanne d’Arc notamment. De péril aussi : la publication dans une
revue catholique de Daisy en France justifiée « parce que Jésus a dit :
Laissez venir à moi les petits enfants. »
J'ai relu les Faux-Monnayeurs aussitôt après une lecture de Possédés dans la traduction Chuzeville. Les F.M. sont un
écho, personnage par personnage, thème par thème, des Possédés (le
suicide à terme, le bâtard, etc...) Mais c’est tout de même un sacré livre que celui de
Gide. Une somme de tous les problèmes d’aujourd’hui. Il a romancé ce que je voulais
exposer presque didactiquement dans ce livre dont je t’ai parlé.
J'ai écrit un acte et demi d’une nouvelle pièce où je. Je suis accroché à la
grande scène du deux sans pouvoir m’en sortir ; Je voudrais achever d’apprendre le métier
pour m’en affranchir après.
– Ma femme va bien maintenant. Francis aussi. Moi, je ne me sens pas délivré de ma
pesanteur au foie.
Bien affectueusement à tous deux de nous deux
B.C.
Je serai à Paris le 1er sept. Je te donnerai une chronique dramatique
pour octobre.
je ne sais pas ce que tu as fait à l’abbé Trochu, mais tu ne figurais pas dans la
promotion de l’I.P. publiée par l’Ouest. Eclair. Je n’ai appris ta croix
qu’hier par les compléments que te faisait dans le Journal Georges le
Cardonnel.
Mais nous en réjouissons, ma femme et moi, de tout coeur.
Bien affectueusement à vous deux,
B.C.
Nous serons à Paris le 3 septembre
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (03 septembre 1926) §
je relis ta lettre. La légèreté avec laquelle on inexprime Proust est impardonnable. Je
t’assure que j’ai relevé, rien que dans la dernière tranche, une douzaine de fautes de
lecture ou de distraction de la dactylo.
Pas encore eu le n° du 1er sept. Tout à l’heure sans doute au
courrier de midi.
– Tu me diras (n’est-ce pas ?) pourquoi tu n’es pas de mon avis sur Drieu. C'est un de
ces cas (très différent de ma note sur Flaubert) où il me semble que je
ne fais qu’exprimer des vérités éclatantes et absolues.
Est-ce que tu n’as aucune confiance en Drieu ? Ou bien le trouveras-tu bon romancier ? Ou
bien encore penseur juste et universel (comme Benda par ex. malgré ses petitesses et ses
oeillères) ?
– Geiger m’a envoyé la coupure de l’A.F. spontanément. J'aime cette
lâcheté, cette mauvaise foi : « un jeune Youpinot du nom de... » refusé par le célèbre
Raymond [Jpanne?] des Cahiers [mot illis.].
– Je m’aperçois que je n’ai pas écrit à Cassou. Mais tu as dû lui dire que c’était
entendu.
– Je suis curieux des réactions Gide, etc. sur le comité. Elles n’ont pas dû être
absolument négatives, puisque tu maintiens l’annonce de la prochaine réunion, avec
Schlumberger. Je suis content de la présence de Schlumberger, bien que je le connaisse
peu. J'ai grande sympathie pour lui.
– Non, pas de Souday pour l’instant. Plus tard peut-être.
Mais le Temps retrouvé, toujours entendu.
– Oui, tu m’avais annoncé en post-scriptum la mort de Chenevière que Les
Nouvelles littéraires ont bien mal « enterré ». S'il y a souscription ou quoi que
ce soit pour sa famille, j’en suis bien volontiers. J'imagine qu’il y a (ou y aura) une
petite notice sur lui dans la N.R.F.
– Bien pour Commerce. Je m’y attendais d’ailleurs. J'ai donné aux Annales pour le 15 septembre une réfutation du Stendhal
de Valéry. Je ne suis pas sûr que tu me donnes raison quant aux questions de
« littérature », mais j’espère que tu seras avec moi du point de vue « humain ».
– Je ne sais plus au juste ce que j’ai mis dans ma chron. Dramatique, mais si cela te
paraît pouvoir aller, tant mieux. J'ai écrit le Drieu et la chronique dans une sorte
d’accès de [mot illisible ?] ; le Drieu entre 2 heures et 5 heures de l’après-midi et la
Chronique de 9 heures à 11 heures le même soir.
– J'irai volontiers à Lyon (mais pas ni en octobre ni en novembre) si les
conditions matérielles sont acceptables. Mais n’est-ce pas, cette Tribune, une succursale du Faubourg, avec discussion après la conférence ? En tout
cas on peut toujours m’écrire à Paris.
– Nous quittons d’ici le 10 et rentrerons directement à Paris. La fin de notre séjour est
de nouveau empoisonnée par des difficultés. Dans la mise en ordre de nos affaires. Je ne
suis plus sûr de rapporter tout à fait terminé le manuscrit du Panorama,
mais 8 jours de Paris suffiront pour l’achever (je ne rentrerai au ministère que le 16).
Je crois que j’ai fait quelque chose d’hybride, mais de très intéressant. C'est dommage
que ce soit sur un sujet qui l’est en somme médiocrement. Il me semble que je fais un
grand pas vers une méthode critique. Et je t’abandonne bien volontiers mes conférences de
Vieux-Colombier[s]. Il faudra pourtant que nous en parlions.
– Ce que je disais d’Alain (trop tard de (cinq ans) correspondait à cette idée générale
que je me fais de la N.R.F. qu’elle ne doit pas « consacrer » les célébrités qu’elle n’a
pas faites ; comme la Revue des 2 mondes, si elle publiait des vers de
Valéry parce qu’académicienne. Un article d’Alain, c’eût été parfait, mais vouloir
s’attacher publier chaque mois un atome d’Alain, ça a l’air d’être pour que
le nom d’Alain figure sur la couverture. Etc… etc... mais c’est très bien quand même.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (09 septembre 1926) §
– J'ai bien reçu le n° de septembre. Je trouve le Chamson très remarquable, d’une
maîtrise étonnante. Mais dans un genre artificiel, ou, si tu préfères, volontaire. On
admire la réussite, mais on se sent pas l’inspiration, comme on la sent dans Proust par
exemple. D'ailleurs je me demande si cette réserve que je fais n’est pas pour toi le
meilleur des Hommes de la route.
Je n’avais pas bien lu le 1er Benda. Le 2ème,
c’est du Souday infiniment supérieur. Je suis de tout coeur avec Benda et pourtant j’ai
une sourde gêne que je n’arrive pas à m’expliquer clairement. Il me semble qu’il y a là le
même défaut que souvent chez moi : trop clarifier, trop simplifier les choses. Et encore :
c’est trop mené tambour battant.
On commence à avoir plein le dos des « Enfants qui s’occupent. »
Tardieu, oui, évidemment. Il faut que je relise. A première vue, mon enthousiasme est
modéré.
Le Proust est bien émouvant. Est-ce que tu ne trouves pas aussi ?
Le Thibaudet n’est pas de derrière les fagots, mais c’est du bon ordinaire. Je n’aime pas
beaucoup : le Journal d’Albert. Pas encore lu son Gide dans la Revue de Paris.
Arland. La notation sur le printemps est fine, mais est-elle exacte ? Ne pourrait-on pas
en discuter ? Moi, la folie du printemps, je la constate chaque année. Alors ? L'anecdote
sur M… n’apporte rien de neuf. Je sympathise avec ce parti-pris de sincérité et de
simplicité, mais je voudrais moins être à l’unisson, qu’il me soit révélé des choses.
Je trouve que dans l’ensemble les notes manquent cette fois de solidité et d’épaisseur,
sauf Pourrat et Artaud.
– Oui, on pourra faire parler Jean Guérin des événements. Mais ma crainte est qu’on ait
oublié les événements quand il en parlera.
Exemple : « M. Rakowski, ambassadeur de l’U.R.S.S à Paris, a fait un voyage en Russie. On
l’y a [mot illisible barré] accusé de trahison. [plusieurs mots illisibles barrés] Et même
de s’être vendu au gouvernement bourgeois de la France. Pour pouvoir, à son retour,
reprendre librement les négociations avec la France, M. Rakowski [mot illisible barré] a
fait montre à Moscou du plus [mot illisible barré] communisme. Il a même signé un
manifeste de la IIIe Internationale.
La presse parisienne, organe des petits bourgeois porteurs de fonds tsaristes, saisit
l’occasion pour demander le rappel de M. Rakowski, autrement dit pour faire échouer
complètement les pourparlers franco-soviétiques menés par M. Rakowski dans l’esprit le
moins défavorable à ces petits bourgeois. »
Je ne dis pas qu’il faille ainsi rédiger. C'est à voir. Mais tu vois un « thème ». Mais
qui y pensera encore en octobre ? Je pense qu’il faudrait travailler sur les articles de
journaux ; en montrer la sottise ou l’hypocrisie. Faire un travail d’intelligence et de
critique, non de construction, ni d’opinion.
Merci ; je n’aurais pas dû vous déranger pour ce [mots barrés illisibles]
lâche
Jean Paulhan.
N'avoir pas pensé que cette canaillecet individu ce monsieur était aussi un lâche
je regrette que la lâcheté de cet individu m’empêche
Merci. Je ne vs ai pas dérangé pr rien. On sait à présent quelle lâcheté que
recouvrent la violence ordurière et l’ordure de cet individu
Évidemment j’aurais dû connaître assez la bassesse de ce monsieur pour vous épargner un
vrai dérangement
[M. Arland]
[De la main de Paulhan, en rouge]
à classer
[affaire Breton 1927]
Je m’excuse de publier les deux lettres qui suivent. Elles n’ont pas trait à une querelle
personnelle : il s’agit de savoir si l’on tentera avec succès contre la N.R.F. un
chantage, qui pourrait paraître invraisemblable si l’on ne savait qu’il a déjà réussi
ailleurs.
Pour anodine qu’elle fût, la dernière notule de Jean Guérin nous a valu, de la part des
surréaliste [sic] plusieurs lettres d’injures et de menaces : la première, était d’André
Breton.
J.P.
À M. Jean Paulhan
Paris, le 10 Octobre 1927
Cher ami,
Vous avez bien voulu nous charger de réclamer des explications à M. André Breton au sujet
d’une mettre privée de lui, jugée par vous offensante.
Nous nous sommes présentés ce matin chez M. André Breton qui nous a déclaré qu’il
refusait de constituer des témoins et de se battre.
Nous considérons dans ces conditions notre mission comme terminée, et vous prions de
trouver ici nos sentiments les plus amicaux.
Benjamin Crémieux Marcel Arland
à M. Brenjamin Crémieux
à M.Marcel Arland
Chers amis,
Merci. Je ne vous ai pas dérangés en vain ; l’on sait maintenant quelle lâcheté
recouvrent la violence et l’ordure de ce personnage.
Il faut que vous nous pardonniez ; mais nous nous sommes tout à fait embrouillés,
Germaine et moi : l’un comprenant que nous dinions avec vous jeudi au P.Cl, l’autre que
nous dinions chez vous mercredi. Tout s’est découvert quand il s’est agi d’avertir des
cousins (à qui nous avions fermement promis soit le mercredi, soit le jeudi). Alors
dis-nous le plus tôt possible lequel tu choisis pour nous, de l’un et de
l’autre jour : nous ne pouvons pas, à notre regret, nous dégager pour les deux : nous en
sommes bien ennuyés.
J'oublie toujours de te donner tes biblioph. du Temps retrouvé, qui
t’attendent à la revue. (à la place de ceux qu’on aurait dû te donner pour Albertine)
ton Jean
Je lis Vasco, qui me semble terriblement médiocre. Tu n’en diras pas
trop de bien ? Je t’en prie, n’arrête Prévost que si tu peux me donner sûrement, pour le n° de janvier (c’est-à-dire, à cause des fêtes, avant le 9 déc)
au moins le Proust, Montclar et Vasco. Il est déjà
très ennuyé que nous parlions du Temps retrouvé après tout le monde. En
février, ce serait ridicule. Quant à Montlcar, dis tout ce que tu
voudras, mais dis-le.
Je suis très content d’Herriot. Et je te donne l’accolade.
–
J'aurais un plein sac d’argument à vider, mais devant quel juge ? Gallimard est juge et
partie. (Ploutocratie!)
Rien ne tient de ce que me rapporte ta lettre.
1°) Il y a toujours eu une critique dramatique à la N.R.F.
2°) Nous sommes d’accord, G. et moi, sur presque tous les points en matière de théâtre.
(Qu'il me dise ce qui l’a choqué – éloge de Pitoeff à part – dans mes chroniques.)
3°) Il n’est pas exact que G. s’inquiète d’accorder à ses goûts la critique dramatique de
la Revue. Il a fait faire des articles dithyrambiques sur Félix et Orphée qu’il n’aimait pas.
4°) Il est inexact que je n’ai pas autant de flair pour les pièces que pour les romans.
J'ai entre trente pièces de Pirandello choisi d’abord Six
personnages et Chacun sa vérité qui ont fait le tour du monde par
la suite. J'ai prédit à Dullin le succès de la Comédie du bonheur,
prédit que le 3e acte des Zouaves ferait tomber la
pièce. Je pourrais citer dix autres exemples.
Etc…
Mais je crois qu’il faut poser la question en termes un peu différents.
C'est la N.R.F. qui m’a offert de faire la critique dramatique (Rivière après le départ
de Boissart, que j’ai refusé – toi ensuite). Je n’ai pas demandé que cela s’appelât Chronique dramatique. Ecrire des notes me suffisait. C'est après la
publication Lacretelle que tu as, après que je t’en avais parlé assez en l’air, transformé
mes notes en chroniques.
Ces chroniques ont fait du bruit dans les provinces, à l’étranger. On commence à poser le
problème selon mon énoncé. J'ai besoin de le poser tout à fait. Il y a pour un critique
deux ou trois occasions pas plus dans sa carrière où il peut agir sur la production en
débrouillant un chaos. J'attribue de l’importance à ma critique dramatique parce que j’ai
l’impression qu’elle peut être efficace : en distinguant les deux théâtres, en appelant au
théâtre les vrais écrivains (j’ai convaincu Giraudoux d’écrire une pièce, demi-convaincu
Montherlant, etc.).
La question est de savoir si l’intérêt de la revue a été compromis par mes chroniques,
s’il y a dans le Conseil d’administration de la Revue unanimité ou majorité contre moi, ou
si je dois simplement subit le fait du prince.
Je demande si, simplement parce que je n’ai pas de contrat signé, ou peut me congédier du
jour au lendemain et si ce que j’ai fait et fais pour la revue et les éditions ne me
méritent pas des égards. Etc…
[Plusieurs mots illisibles barrés]
En résumé, ma chronique m’intéresse, tout le monde sait que j’y tiens. Voici ma
proposition de conciliation :
Je garde ma chronique en mars, avril, juin, juillet. Je m’engage à ne pas écrire chaque
mois plus de quatre pages. Au besoin j’accepte qu’en juin par exemple, ma chronique saute
à condition qu’une note indique : « L'abondance des matières nous a obligés à ajourner la
chronique —. »
(Quatre ou cinq numéros, l’espace d’un roman qu’on déteste)
Après juillet, j’abandonnerai ma chronique, mais à la condition que pendant un an au
moins elle ne soit confiée à personne d’autre.
J'aimerais avoir une réponse demain mercredi avant la réunion. J'ajoute (mais non, je
n’ajoute rien ; je serai temps de te dire mes intentions si ma proposition était
refusée).
Montre cette lettre à G. ou extrais-en ce que tu voudras pour le lui transmettre. Vous
avez ici mon dernier mot.
Cette lettre tardive te trouvera, j’imagine, encore à Paris, mais près de le quitter. Je
vous souhaite le beau temps frais que nous avons depuis l’Assomption. Mais vous n’imaginez
pas dans quelle fournaise nous avons vécu la première quinzaine d’août. Elle était encore
gâtée par mille soucis matériels à peu près surmontés à présent. Nous quitterons d’ici
apr ayant restauré un patrimoine peu considérable sans doute, mais qui
méritait d’être sauvé pourtant ce qu’il représente de souvenirs pour Mariane et d’honnête
travail accumulé depuis trois siècles.
J'ai tenu journal, soir après soir, de mes impressions de campagnard naissant. Personne
n’a encore noté, je crois, cette haine première du citadin-né, tel que je le suis, pour la
campagne ; cette rage à se sentir dépendant de la terre. Je crois que les hommes n’ont
construit les villes que pour masquer cette dépendance et se donner l’illusion de vivre
[mots illisibles] sous des lois humaines ou divines, ce qu’est la même chose, Dieu étant à
l’image de l’humour.
La Familiarité avec les végétaux considérés dans leur individualité (tel amandier, tel
figuier) est corrige un peu ce sentiment premier d’humiliation.
Premier.
– Je travaille beaucoup, mais exclusivement au Panorama que je
rapporterai achevé. As-tu pensé à demander à la princesse si la vue
d’ensemble pourrait passer à Commerce ? Comme elle dira non,
j’aime mieux ne pas le demander moi-même. J'ai ici une copie dactylographiée que je
pourrais envoyer au 1er appel. Mais il faudrait paraître
que je paraisse avant janvier. Si tu pouvais me donner vite une
réponse, cela m’arrangerait. Si Commerce le récuse, je publierai
ailleurs. Je suis très content des chapitres que j’ai écrits (tu verras ce qu’est devenu
le chapitre sur le vérisme ; complètement transformé, c’est le meilleur). C'est malheureux
qu’il s’agisse d’un genre aussi hybride que ce Panorama, où il
faille faut sans cesse contaminer de didactisme sa critique.
Je t’enverrai soit à Paris avant le 30, soit à Port-Cros tout à fait début septembre
notules et Drieu la Rochelle. Ecris-moi tout de suite si tu crois indispensable (surtout
après avoir retardé Prévost d’un mois) que je donne une conclusion à mes chroniques. Si tu
ne le crois pas indispensable, je m’en dispenserai pour consacrer tout mon temps au
Panorama. Si tu crois mieux que je fasse un effort, je le ferai. Je t’écris par l’avion
d’Antibes. Le bon bateau pour Ajaccio poart le lundi de Marseille. J'ai le mardi une
lettre mise à Paris le dimanche avant midi. De Port-Cros par avion nous devons pouvoir
correspondre en vingt-quatre heures.
Bien affectueusement à vous deux de nous trois,
B.C.
Nous quittons Cargèse le 10 sept.
Important : Veux-tu prévenir Gallimard (et ses ailes) qu’il aura peut-être la visite
d’Herman Ould secrétaire du Pen Club de Londres qui viendra s’entretenir avec lui de
l’Office international de traductions des Pen Club dont la création avec l’argent
américain a été décidée à Bruxelles.
ma dernière lettre n’est pas partie par avion, faute d’avion. Mon télégramme te sera,
j’imagine, arrivé avant. Cette copie-ci partira, j’espère, par la voie des airs et tu
l’auras avant ton départ.
Vois s’il faut supprimer le calembour à la fin du Drieu.
J'ai reçu une lettre de Cassou me demandant de lui céder la note sur Martin du Gard qui
devait être une notule. Moi, je la lui cède bien volontiers si tu n’y vois pas
d’inconvénient. Je lui écris que je m’en remets à ta décision. Si tu tiens absolument à
éviter sa note, dis-lui non en prétextant que la ma note est déjà imprimée (je
ne dis pas à Cassou ni qu’elle est faite, ni qu’elle n’est pas faite). Mais
entre nous j’aime mieux m’en débarrasser sur Cassou ; demande-lui seulement qu’elle en
soit pas sans restrictions.
– Tu serais gentil si possible de me faire envoyer les épreuves des Temps
modernes (le dernier morceau paru dans la revue m’a semblé particulièrement
fautif). Je ferai des corrections « d’auteur », si je puis dire et je serai content de
pouvoir ruminer déjà mon étude sur le Temps retrouvé qui devrait couronner les Etudes Proustiennes où je rassemblerai tout ce que j’ai donné sur Proust
en dehors de XXe siècle. Il y a la matière d’un
petit volume plus long que celui de Souday. Dis-moi si tu aimeras publier cette étude.
– Je relis en éprouves mon article sur les Faux Monnayeurs et l’art du roman. Il n’est pas tout à fait au point, ni complet, mais il
est, je crois, assez intéressant.
– Est-ce que l’Action française n’a pas réagi à mon attaque contre
Daudet dans les Annales ?
– Je suis quatre jours en retard sur mon horaire pour mon Panorama,
mais ça continue à bien sortir.
– As-tu pris mes conférences sur la critique à la maison ? J'ai peur que tu n’aies pu y
glaner beaucoup.
Bien affectueusement à vous deux et bonnes vacances,
B.C.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (10 octobre 1927) §
vous aviez bien voulu nous charger de [mot illisible barré] réclamer des explications à
M. André Breton au sujet d’une lettre privée de lui, jugée par vous offensante.
Nous nous sommes présentés ce matin chez M. André Breton qui nous a déclaré qu’il
refusait de constituer des témoins et de se battre.
Nous considérons dans ces conditions notre mission comme terminée et vous prions de
trouver ici nos sentiments les plus amicaux,
Benjamin Crémieux
Marcel Arland
Chers amis,
Merci ; évidemment, je n’aurais pas dû vous déranger je regrette de vous avoir
dérangés pour ce [plusieurs mots illisibles barrés] lâche.
Jean Paulhan.
n’avoir pas pensé que cet imbécile ce Monsieur cette canaille était
aussi un lâche.
Je regrette que la lâcheté de cet indiv. m’empêche
Merci. Je ne vs ai pas dérangés pour rien. On sait à présent quelle lâcheté que
recouvrent la violence ordurière et l’ordure de cet individu.
évidemment1, j’aurais dû connaître assez la bassesse de ce monsieur pour vous
épargner un vain dérangement.
[M. Arland]
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (23 octobre
1927) §
je remets le dîner de Pen Club au 4 ou 5 novembre. Alors si tu préfères qu’on se voie
cette semaine, je peux très bien. Et aussi le jour de la Toussaint ou le 2. Le
3 Je te dirai au plus tôt si le dîner sera le 4 ou le 5. En principe je ne suis
pas disponible la veille et le jour du dîner.
Est-ce que je ne t’ennuie pas trop avec mes constantes variations ? Les autres mois, je
serai le plus docile [mot illisible] des [comitards?], non, des comitadjis (les
étrangleurs des faux-génies).
– Que Germaine dise à Gallimard que les théâtres ne me font aucun service en tant que
critique de la N.R.F. Les quelques services réguliers que j’ai ou bien me sont personnels,
ou bien sont adressés à la Gazette de France.
– Pense à me dire si je pourrai ou non conserver la carte rouge de la N.R.F. Si c’est
non, il faudra que je m’occupe sans retard de m’en procurer une autre.
Ne voudrais-tu pas me donner quelques lignes de plus sur Boîte de
singe ? Girard nous soupçonne déjà des desseins les plus noirs; il sera malheureux,
et furieux contre toi.
Par contre je voudrais bien que tu me laisses enlever trois ou quatre lignes à ton
Norpois, qui est épatant, mais fait, je crois, un peu long.
Remarque que je ne suis pas du tout surpris d’une défense ou d’une révolte, que
j’attendais depuis quelques années. Mais défie-toi de deux choses : évite de
transformer
1. Ta « libération » (et la façon dont elle t’apparaît) en doctrine critique. Je ne pense
pas que tu puisses honnêtement tirer un parti critique de la « vitalité ».
2. Ta reconnaissance pour Girard, en admiration pour Girard, ou seulement en confiance.
Tu le sais au fond comme moi : il est [la fin de la lettre est manquante]
non, ce n’est pas la grande lettre promise… J'ai commencé à faire ma (j’ai
recommencé à faire) mon examen de conscience de critique, en repensant à ta lettre. Tu es
le seul au fond qui t’intéresse vraiment à ce que je fais, qui sois aussi exigeant pour
moi que je le suis moi-même.
L'arrivée de Commerce, la lecture de ton étude m’ont dérangé de mon
travail de révision, lancé sur d’autres pistes. Je veux débrouiller tout à fait tout cela
avant de t’en reparler.
(Maurice Bougaud des Nouvelles Littéraires semble n’avoir pas compris
la portée de ton reproche, ni sa direction.)
Hier j’ai eu le tirage à part, mes chroniques dramatiques, le Camarade
Infidèle. Merci. Mais la lecture d’ensemble des Yeux de dix-huit
ans m’a un peu déçu.
Je voulais faire un grand article enthousiaste sur Schlumberger ; j’attendrai une autre
occasion.
– J'ai lu beaucoup de jeunes. Je commence à en parler dans mon feuilleton des Annales (à
paraître le 1er septembre) et je continuerai dans le suivant où je
consacrerai de la une grande place à Nadja.
– T'ai-je dit que nous comptions finir nos vacances en Toscane ? Alors impossible de
passer par Port-Cros, mais nous pensons à ceci : vous vous embarquez, Germaine et toi,
soit le vendredi 24 à 12 heures à Nice pour Ajaccio
soit le lundi 27 à 17 heures à Marseille pour Ajaccio.
Vous passez chez nous à Cargèse 8 ou 6 jours selon le cas. Puis nous prenons une auto qui
nous promène en Corse jusqu’à Bastia où nous nous embarquons le mardi 4 sept. pour
Livourne. Vous, ou bien vous circulez encore un peu ou bien vous rentrez par
Bastia-Marseille ou Calvi-Toulon.
Tout est ici prêt pour vous recevoir. Il n’y a jamais eu autant de perdrix dans le
maquis, ni de langoustes dans le Golfe. Un télégramme et on vous cueille à l’arrivée de
l’auto-car.
Affectueusement,
Benjamin
Nous avons à l’aller bien regardé du côté de Port-Cros.
Tu devrais suggérer qu’on me réservât un petit bureau dans les nouveaux locaux (au besoin
à partager avec Fernandez). Cela me permettrait de lire les mss en partie à la revue même
et de [les] recevoir.
nous partons dimanche pour embarquer lundi 30 à Marseille. Nous serons mardi matin à
Cargèse.
J'ai ta lettre à l’instant ; j’y réponds sans tarder.
J'espère que tu n’as pas attribué une minute mon silence en réponse à ta première lettre
comme une marque de mauvaise humeur. Mes mauvaises humeurs « littéraires » ne durent
jamais plus de quarante-huit heures, et plus souvent seulement vingt-quatre. Je ne dis pas
que j’oublie. J'ai assez bonne mémoire. Mais je ne suis plus « troublé ». Dès qu’une nuit
a passé sur l’ingestion du crapaud.
J'ai pourtant (je ne veux rien te cacher) fait part à Fernandez, rencontré à la revue, de
la surprise irritée que j’avais eue en lisant le début de la chronique Prévost. Mais j’ai
regretté aussitôt mon accès de confiance. Fernandez m’a répondu très gentiment, mais je
sentais que cela lui était indifférent. Il trouvait aussi qu’il eût mieux valu ne pas
laisser passer la phrase sur Béraud (car il est bien entendu que c’est la seule
incriminée).
Maintenant que je regarde les choses sans passion, il est certain que tu aurais
dû pu refuser la phrase sur Béraud parce qu’elle énonçait un fait erroné, qui
n’avait rien à voir avec l’affaire Siegfried et qui était de nature à me « diminuer »
moralement aux yeux des lecteurs. Et cela d’autant mieux que j’avais fait l’article sur
Siegfried à ta demande et non pour empiéter sur P. En outre, P., dans
son article, répète en grande partie ce que j’avais dit ([mot illisible]-Giraudoux) ; ce
qui te donnait plus d’autorité pour discuter les attaques d’ordre
général à moi adressées.
Mais c’est assez là-dessus. Ma décision est un jour où je rencontrerai P. en présence de
quelques personnes de lui dire ce que je pense de lui, de lui rappeler l’article Lefèvre,
etc.
Seulement si tu voulais être vraiment dur, tu m’enverrais le premier texte « impossible »
de P. ou tout au moins le reconstituerais. J'ai absolument besoin de savoir
ce que peut dire contre moi quelqu’un qui est en colère et qui n’est pas un
imbécile. J'ai beau me critiquer, je ne puis imaginer comment les autres me voient
quand ils me regardent avec malveillance.
Tu me demandes un article sur le théâtre. Si, comme je l’espère à moitié, je mets en
ordre pendant ces vacances mon Essai sur le théâtre, il y aura peut-être
quelque chose à y prendre. Nous verrons.
Tu m’as souvent demandé si je ne prendrais pas une rubrique. Je voudrais que tu me gardes
(mais je ne l’occuperai pas tout de suite, peut-être dans six mois ou un an) la rubrique
Revue des Revues en lui donnant un peu plus d’extension, afin que
j’aie la liberté de parler de tout à propos d’articles, nouvelles, roman politique, etc.
paraissant en revue. En somme faire un peu ce que fait Souday le jeudi et le dimanche en
première page. Mais je n’aurai pas le temps à la rentrée de m’y consacrer. Je ne veux m’y
mettre que si j’ai le loisir de bien tenir cette rubrique.
Si mes chroniques des Annales te déçoivent un peu, c’est précisément
que je n’ai pas toujours le temps de les méditer, d’en « faire une affaire », comme je
faisais de mon feuilleton des Nouvelles littéraires au début. Je les
improvise presque toujours, surtout depuis mon quelques mois avec mes voyages.
Pourtant il faut que tu me rendes le service de faire l’effort
nécessaire pour préciser la nature et l’étendre de ta déception. Je vois bien l’ironie
amicale que tu mets dans ta constatation que je deviens le 1er des Annales, comme je dans celle que je m’acheminais à devenir le
1er de la N.R.F., mais je ne comprends pas au juste ce que tu veux
dire.
Veux-tu dire que je m’acclimate trop au ton de la maison, ce qui serait terrible,
s’agissant des Annales ? Ou bien est-ce ton vieux, ton éternel reproche
que tu reprends contre moi, contre cette façon d’être « glorieuse » (vaniteuse) qui me
fait mener une note critique, une étude, un roman comme une « action d’éclat », qui me
pose sans humilité devant l’objet à peindre ou à critiquer, qui fait que j’ai la sensation
(ou l’illusion) de le dominer, que tout me paraît simple et que je me laisse aller à
présenter trop simplement, d’un air trop satisfait les choses à mon lecteur.
Car c’est au fond là ton grand reproche : je manque du sens du mystère des choses, je
m’en approche sans assez de pudeur, de précaution, je les viole ou je les réduis à leur
plus simple expression ; je traduis le vivant en le pre l’analysant comme un
mécanisme.
Est-ce cela que tu veux me dire en m’appelant « le 1er des Annales », ou bien est-ce autre chose ? Tu le sais. Une des choses que
j’apprécie le plus dans ton amitié, ce sont ces brusques attaques, ces soudaines
intransigeances.
Je réfléchis depuis longtemps à tes reproches, à ma [mot illisible barré] manière
« active d’éclat ». C'est encore elle qu’on retrouve dans mon Panorama,
qu’on retrouvera dans mon petit livre sur la Belgique.
C'est une manière qui correspond à quelque chose de spontané, de profond. De « juif »
(peut-être) en moi. Mais j’en suis tellement maître, de cette manière, que travaillant
vite comme je travaille, je ne puis changer.
J'aspire à dépasser mes diagnostics immédiats, à pousser mon analyse plus loin, plus
vrai, à me rien schématiser, mais pour cela il me faudrait du temps ; il me faudrait me
résoudre à ne plus m’éparpiller. Dans les notules que je te donne, dans les bouts de
critiques qui forment le dernier tiers de mes articles des Annales, j’ai
l’impression de me gaspiller, de me galvauder, comprends-tu ?
(Je ne sais pas si je pourrai te donner t’expédier des notes avant dimanche.
Je tâcherai de t’en faire de Cargèse. Ne rattache pas ce que je te dis au paragraphe
précédent. Non, il faut que je liquide mes lectures de mss pour les éditions d’ici
vendredi, que je fasse samedi mon article des Annales et deux papiers pour la Gazette de France. J'ai achevé hier mon rapport pour le ministère. Je suis
débordé. J'ai rédigé en 10 jours ma Belgiojoso, mais ça m’a exténué.)
– J'en reviens aux Annales. Je serais content que tu me dises comment
tu aimerais que fût mon feuilleton, comment tu le concevrais si tu avais à le rédiger
(choix des auteurs, groupement, directions).
Je reprends mes derniers feuilletons : le dernier sur Benjamin Constant, fait à la
diable, sans voix, superficiel (je te l’abandonne), mais je suis content de la note de la
fin sur Vallès (attitude à la Souday) ; l’avant-dernier (1er juillet)
écrit à la va-vite le 14 juin avant de prendre le train pour Oslo : le début sur Moore
démarqué d’un vieil article de l’Europe Nouvelle, mais je tiens assez au
passage sur Lacretelle qui m’a d’ailleurs écrit une longue lettre à son propos (je
t’abandonne pourtant cette croix ce feuilleton parce que mal composé). En
revanche je trouve très bien (je veux dire : correspondant à un programme) mon feuilleton
sur les Thibault-Dorgelès. Mme [Campan?] (15 juin). Bien aussi le
précédent (1er juin) sur Durtain, etc.… Passable le précédent (15 mai)
sur Benoît. Alors je te demande si ton impression ne vient pas de mes deux derniers
feuilletons très négligés, si elle vient de plus [mot illisible barré] loin.
J'espère que tu n’éluderas aucune de mes requêtes, aucune de mes questions. Je prie
Germaine de te surveiller pour que tu n’oublies rien, mais si je compte beaucoup sur
Germaine, je compte plus encore sur ton amitié.
Voici les vacances ; faisons notre examen de conscience.
Nos amitiés aux Supervielle
Bien affectueusement à vous deux
Benjamin
Marianne nous envoie ses grandes amitiés et Francis vous embrasse.
– Je t’adresse les poèmes d’une femme qui n’ont été remis par un collègue du ministère,
Naggiar (sous directeur d’Asie). Dis-moi s’ils te plaisent. Si tu pouvais en publier
qques-unes, bien. Sinon fais-en publier aux Cahiers du Sud.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (02 septembre 1928) §
Tiens, vieux, voilà déjà une note (ou notule) sur ce Répertoire Proust. Si tu ne voulais
pas la publier par égard pour Gallimard ou Fernandez, rends-la moi.
Je voudrais que tu me réserv(asse) la note sur Manhattan Transfer sauf
si Fernandez veut la faire.
Est-ce que tu voudras me laisser lire avant de la donner la note de Gargiulo sur
moi ?
J'ai lu de très près Messages de Fernandez. Ç'a été une grosse
déception. Je les lisais surtout au point de vue de la définition de la littérature (ça
faisait partie de mes réflexions à la suite de ta lettre). Je ne méconnais pas la valeur
de certains essais. Je dis que la critique philosophique telle qu’il la définit n’est rien
de neuf. Et je dis que Fernandez a le grave défaut de tout vouloir ramener à une idée
qu’il a de la littérature qu’il voudrait faire. Sa critique est de la critique à
oeillères, une critique de créateur en somme qui justifie ce qu’il a écrit (lui justifie
ce qu’il voudrait écrire).
J'ai rédigé les notes sur la littérature, la critique. Je te montrerai tout ça.
J'ai écrit le 3e acte de la comédie que je fais avec Girard. Je crois
qu’avec de la chance nous pourrions avoir un gros succès. Mais, je t’en prie, n’en parle à
personne. Je voudrais qu’on arrive au soir de la générale comme au soir de Siegfried, qu’on s’attende à l’oeuvre de deux littérateurs qui ne connaissent rien
au théâtre.
Je ne sais pas ce que tu en penseras « littérairement », mais la vie et le
rire comique qui y sont contenus te frapperont, je crois. (Mais je me trompe
peut-être. Pourtant j’ai un sentiment d’[aise?] devant cette comédie que
je n’ai eu devant aucune de nos trois autres pièces précédentes)
Nous partons mardi pour Livourne.
Affectueusement de nous trois à vous deux.
Benjamin
J'ai écrit une longue lettre à Supervielle. J'espère qu’il l’a reçu. Faites-leur nos
amitiés
Reçu la revue. Pas encore bien lue. La note d’Estève sur Aragon n’est pas bonne. Celle de
Chamson est mauvaise sur J. Schl.[Schlumberger] Très bien les Gide. Je comprends mal
Bounoure sur Vitrac. Les notes de Oupeyron me plaisent. Je n’ai pas abordé les gros
morceaux.
– Mon feuilleton du 1er des Annales sur « les [devins?] » je voudrais
qu’il te plût un peu mieux. Celui du 15 lui fera suite. Il finit par Nadja de Breton que je mets assez haut3.
Nous vous attendons. Prenez le bateau pour Port-Cros aux Salins
d’Hyères, d’où il part tous les matins à 9H30(1) (Il faut changer de train à
Toulon). Et écrivez-nous le jour de votre arrivée.
Ce sera une grande joie pour nous. Et tu pourrais travailler comme mille nègres. À
bientôt, ton
Jean
Bien des amitiés à Marianne.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (20 février
1929) §
Voici ce que je voulais dire. (Je viens de relire ton Carnet et je ne
vois plus les choses aussi clairement qu’après une première lecture, mais enfin
voici).
L'illusion de l’exercice devait être dénoncée. Oui, là où les mots paraissent au lecteur
les plus déconcertants, les plus particuliers, ils sont le plus souvent
pour l’auteur les « choses » même, sa pensée même (« Des mots, dit Goethe, tu ne vois pas
qu’il n’en reste plus un seul. »)
C'est ce que j’ai un jour exprimé dans cette maxime : « Tout le malentendu en littérature
vient de ce qu’une phrase est pour l’auteur un point d’arrivée, un point de départ pour le
lecteur. » (Arrivée de la « chose » pour l’auteur, départ en mots pour le lecteur.)
Si je tente à présent d’étendre appliquer cette loi de l’expression à l’étude
critique d’un auteur, je trouve ceci : la critique doit consister à découvrir la « chose »
sous les mots particuliers. S'il découvre la « chose », il le
critique doit-il pour juger louer l’auteur, sans autre forme de
procès, doit-il juger la valeur de la chose découverte sous les mots (s’il applique cette
seconde méthode, il ne fait plus de la critique d’ordre esthétique, il fait de la critique
de contenu, sur le critère du vrai.).
Autre hypothèse : s’il ne réussit pas à découvrir la « chose » sous les mots (à trouver
la clé de vocabulaire de l’auteur pour pénétrer dans sa pensée), le critique doit-il
rendre les armes, faire crédit à l’auteur et avouer qu’il n’a pas compris ou bien doit-il
condamner l’auteur ? Il me semble qu’en détruisant l’illusion de l’exercice, tu encourages
l’ une illusion de la chose exprimée ; d’un acte vital. Tu poses en somme
qu’il n’y a pas d’artifices (même quand on se croit artificiel), que Et d’un
tout mot recouvre une chose
[Mots illisibles barrés]. Tout ce que tu dis s’applique à merveille à tout écrivain qui
poursuit sa pensée (à tout écrivain de sincérité, de vérité), mais n’y a-t-il pas
certaines formes d’art (classique parfois, parnassien) qui travaillent uniquement et
consciemment sur des mots, choisis et assemblés de façon à se reconstituer en choses
dans l’esprit du lecteur, en vue de la beauté.
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes. Ici la loi
de l’expression Racine ne pourrait pas dire comme Goethe : il n’y a plus de mots.
Les mots ici ne sont plus identifiés à la pensée, ils sont une matière
où couler inscrire une pensée. Une matière verbale qui existe en tant que telle
pour l’auteur et qu’il distingue de sa pensée. Ici il y a exercice.
Stendhal note : « Quand je me mets à écrire, je suis assiégé par des idées. Villemain par
des formes de phrases, Racine par des formes de vers. »
Penses-tu Stendhal dupe envers Racine de la même illusion de l’exercice
dont est dupe Valéry vis-à-vis de lui.
Valéry se trompe sur Stendhal, La Fontaine, Verlaine et, tu le montres, sur lui-même. Mas
se trompe-t-il sur Mallarmé : « Il a substitué au désir naïf une conception
artificielle. »
N'y a-t-il pas des écrivains pour qui écrire est un exercice ? Je veux dire qui, à partir
d’une pensée, arrangent des mots pour obéir au plaisir de leur oreille, du rythme et non
pas pour ressembler à quoi que ce soit, pour approcher une pensée, une « chose » ?
Jean Paulhan à Benjamin Crémieux (septembre 1929) §
IMEC, fonds PLH, boîte 124, dossier 020873 – septembre 1929.
Jeudi.
Cher Benjamin,
J'ai bien peur qu’on t’ennuie horriblement. Mais si tu n’étais pas là, il nous faudrait
renoncer aux îles Baléares. Voici, pour les passeports, nos deux cartes d’identité. (Bien
entendu, le passeport de Germaine doit être établi à son nom : Dauptain). Tu recevras
d’autre part, en même temps que cette lettre, nos nouvelles photographies. Ne regarde donc
pas celles-ci.
Nous devons embarquer à Marseille le 27. Il faudrait donc que nous puissions trouver les
deux passeports le 26 au soir. Voudras-tu les envoyer à : M. Jules
Supervielle, Poste Restante, Marseille. (Puisque nous n’aurons pas nos cartes
d’identité). Et pardon de te donner tout ce mal.
*
Merci de vos lettres. Nous gardons un grand et bon souvenir de ces quelques jours, où la
vigie contenait Benjamin et Francis. Peut-être reviendront-ils, cette fois avec
Marianne.
Il fait un vent d’Est, assez violent, et l’on remet de jour en jour la course projetée à
l’île du Levant. Arland semble heureux : il travaille, ou monte tout au haut du sémaphore,
et y reste indéfiniment. Schlumberger écrit, lit, jardine et montre de la mauvaise humeur
quand il faut descendre au village. Mais l’on n’y va guère.
À bientôt. Nous vous envoyons à tous trois notre vive affection.
IMEC, fonds PLH, boîte 124, dossier 020873 – janvier 1930.
Monaco. Mardi 6.
On vous envoie beaucoup d’amitiés et de souhaits. Ma conférence n’a pas trop mal marché ;
j’ai ait [sic] que Benjamin en ferait une bien meilleure (à la vérité, j’ai dû parler trop
bas). Monaco va lui écrire.
Benjamin, as-tu songé aux pièces de ce mois-ci, à Carine (que
j’aurais voulu voir), à Patchouli ?
Aujourd’hui, Monaco est couvert de soleil. Bonne année
Jean.
Songe aussi aux livres, de [Zavle ?] et de Membré (que j’ai rencontré ici : il paraît
consolé.)
Je crois que Rose Colonna aurait facilement le prix George Sand, qui se
donne dans deux mois, et vaut 10 000 frs. Mais peut-être souhaitez-vous mieux. De toute
manière, dis-moi ce que tu en penses, le plus tôt que tu pourras. Je
dois en parler à Aurore Sand.
Sur Desmeth, mais si, il a la majorité, je n’y puis rien changer.
B.Cr. non Marianne non (?)
Fern. oui Germaine oui
Arland oui Janine A. x
J.P. oui
sur Bataille, je crains que nous n’ayons été injustes. Bien sûr, je suivrai votre avis,
mais je voudrais un nouvel examen, complet.
Lis les 3 nuits de Michaux, et tu me diras si tes braves gens
équilibrés tiennent le coup à côté de ça.
Je ne sais pas, mais j’ai en ce moment l’impression que tu m’en veux de quelque chose,
que tu ne me dis pas. Tu as tort. (de ne pas le dire)
J'ai réservé ¾ de page à ton Lasserre. Mais il me faut le texte demain
vers 2 heures au plus tard. Veux-tu le laisser chez ton concierge ? Je viendrai le prendre
à 2h.
Nous voici rentrés, malgré quelques déraillements.
Il nous tarde de vous revoir.
Quand me donnez-tu tes notes ? Je voudrais bien quelques notules (le Stendhal de Blum, le Fils de deux mères …) Surtout, il il faut
que tu parles de St Augustin et de Gog (ou de Gog seul.)
Sur le Jour, pourrais-tu ne pas dépasser une page et demie ?
À demain. Affectueusement, ton
Jean P.
Je voudrais aussi beaucoup un mot, ou une page sur Votre tour viendra.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (04 avril
1930) §
quand tu auras l’impression que je « t’en veux », consulte aussitôt les derniers nos de la revue et si j’y ai moins fourni de copie que d’habitude,
demande-toi si l’homme Jean P. n’est pas influencé par le léger mécontement de rédacteur
en chef de la N.R.F. ;
D'autre part, demande-toi si j’ai sujet d’être tout à fait content de moi, si je ne me
suis pas trop dispersé depuis quelque temps, si je ne souffre pas moi-même de ce
mécontement qui vient de ce qu’on ne gouverne plus les heures.
Ensuite demande-toi si, parmi les nombreux éléments dont se composent mes journées, [mots
illisibles barrés] il n’y en a pas un qui ait pris le dessus pour un bout de temps. Je
t’en donne la liste : a) Quai d’Orsay ; b) N.R.F. revue ; c) N.R.F. éditions et maintenant
collection peuples illustres ; d) Pirandello ; e) Pen Club ; f) conférences ; g)
Associations diverses (caisse de secours ; association Blumenthal) h) Collaborations
régulières : Annales, Candide, Nacion ; i à z) travail personnel et vie personnelle.
Tu m’as vu moins souvent peut-être à la revue parce que j’ai eu Pirandello sur le dos,
puis l’affaire la semaine Ludwig, puis le voyage à Londres, maintenant
Monte-Carlo. Et qu’aussi je pense beaucoup à Rose Colonna. Voilà dix ans
que Marianne s’occupe de ce que je fais, c’est bien mon tour de penser à elle.
Cela dit, je réponds avec la plus grande précision à ta question : je n’ai rien à te reprocher, je ne t’en veux de rien. J'ai en toi (et en
Germaine) la plus grande confiance et le fondement solide, indispensable de tous mes
sentiments, c’est la confiance. J'approuve absolument la façon dont tu conduis la revue.
Si je n’aime pas tout ce que tu aimes (et la réciproque n’est pas moins vraie), je ne
crois pas qu’il s’agisse de divergence de principes, mais de différences de tempérament.
Je suis naïf ou sévère devant certaines choses et toi, devant certaines autres.
L'essentiel à mes yeux est que tu maintiennes « la mystique N.R.F. » et tu la
maintiens.
– Pour Desmeth, Germaine était avec moi de la minorité. Mais pourquoi ne pas publier ?
C'est très honorable. Bataille en revanche me paraît bien prétentieux. D'ailleurs je ne
sais pas juger sur lecture rapide et collective à haute voix ; il me faut le tête à tête
avec moi-même et le texte.
– Cest journées de Londres m’ont un peu fatigué, mais remis d’aplomb. Le soleil de
Monte-Carlo complétera la cure et : je voudrais en avril et mai travailler un
bon coup.
Demain, Rio après une traversée heureuse, ni trop agitée, ni trop chaude. Un mélange
curieux, mais en définitive familial, de passagers : Pierre Lasserre, assez malade,
Carcopino, Viñes (compagnon délicieux), le Père Lhande (confesseur de Foch, très déluré),
le beau-frère de Supervielle, la belle Mme Menier de Chocolat, la veuve de Gomez Carillo
et des essaims d’oiseaux des îles, brésiliennes à guitare et à accroche-coeurs. Pierre de
Trévières de Cri de Paris. Des docteurs : Sergent de l’académie de
médecine, etc... Je suis reposé et en forme. Je compte rentrer le 25 sept. par le Lutétia. J'ai eu le premier prix au bal travesti. Bien affectueusement à
vous deux
Benja
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (09 septembre 1930) §
Tu parles d’une veine ! La révolution sous mes fenêtres. Tout vu, tout entendu. Et cela
pour couronner un mois délicieux. Un public exquis qui comblait la salle. Mais surtout la
révolution. Je vous raconterai.
J'ai été à Montevideo. On comprend Lautréamont et Supervielle en voyant l’Uruguay.
Je m’arrêterai sans doute au Brésil si je suis invité par l’Académie brésilienne.
Je serai à Paris fin septembre ou le 4 octobre suivant que j’arriverai par le Lutétia ou le Florida.
Affectueusement à des deux
Benja
Cette place de congrès, proche de mon hôtel, est celle où on s’est battus à coups de
mitrailleuse et de canon. J'ai contemplé ça de mon balcon.
Songe qu’il me faut à fait tes notes, où je ne puis pas faire mon numéro. Je t’en prie,
envoie-moi au moins Après et le Scandale, assez tôt
pour que je les aie vendredi avant 5 heures.
Merci. À toi
Jean
et, s’il est possible, la Charrette de Pommes.
Jean Paulhan à Benjamin Crémieux (06 septembre 1931) §
Où es-tu, que deviens-tu ? Tu devrais donner de temps en temps de tes nouvelles.
La vigie n’a pas beaucoup changé. Gide et Groeth sont venus. Benda, demain sans doute.
Arland est là. Il fait soleil, et grand vent par instant. En revenant de Porquerolles,
nous avons failli nous noyer. Je ne travaille pas trop mal. Ce sont les nouvelles. Nous
rentrons à Paris le 20.
J'ai reçu Vol de nuit, trop tard pour ce numéro. Ce sera pour le 1er
octobre. (j’attends aussi la note de R.F sur Marie-Anne Comnène).
Mais je tiendrais beaucoup à ce que tu me donnes quelques notules pour
le prochain numéro. Tu as lu la R. des Livres de sept. ? Je l’aime bien
(tout au moins pour les dimensions, le ton, etc. Tu as dû t’apercevoir d’ailleurs qu’elle
contenait deux ou trois notules de toi?) Je crois qu’il faut absolument tenir le coup et
donner chaque mois de 20 à 30 notules très nettes, très « jugeantes » (que nous pourrions
d’ailleurs revoir ensemble, vers le 14 de chaque mois). Envoie m’en six ou sept, sur les
livres que tu voudras.
Je demande à Saurat une étude sur Inquiétude et …
Recevez beaucoup d’amitié et d’affections de nous deux
Je puis compter, n’est-ce pas, sur deux notes de toi – Jeanne et Christine ? (ne serait-il pas possible que tu en parles dans la nrf avant d’en parler ailleurs?)
Chardonne m’assure que Christine est une très belle chose.
Tâchez de venir samedi. Bien des amitiés de nous deux, pour vous deux.
Jean P
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (26 janvier
1932) §
l’injustice, c’est de n’avoir pas publié de note sur Rose
Colonna, ni sur Violette Marinier. Injustice, et ce qui est pire
à mes yeux, lèse-amitié. Moi, à ta place, plutôt que ce silence, j’aurais écrit une note
moi-même. Mais le comble, c’est maintenant de vouloir me prouver (et te prouver) que j’en
suis responsable. J'attendais (patiemment, tu le reconnaîtras) une lettre ou une
conversation qui me paraissaient ne pouvoir être que d’excuses, de regrets et
d’explications. Et je reçois un réquisitoire. Après des mois d’un surprenant mutisme,
alors qu’il eût été tellement plus simple et plus cordial de me tenir au courant au fur et
à mesure. Voilà ce que tu trouves à m’écrire ! Et par dessus le marché, tu éprouves le
besoin de mêler ce qui concerne R.C. et V.M. à
quelques remarques que je t’ai faites, sans aucune arrière-pensée, sur les mots, comme
c’est mon rôle de membre du comité de direction.
Tu as manqué de simplicité et de franchise avec moi, tu as manqué d’amitié envers
Marie-Anne et de justice envers ses livres. Voilà le vrai. A présent tu voudrais me faire
croire, et te faire croire, que j’ai exigé pour R.C. et V.M. des dithyrambes sans réserves. Tu sais fort bien que c’est faux. Tu as refusé
la note de Rivel sur R.C. T'en ai-je voulu? La note de Marcel (dont
l’importance était grande puisqu’elle aurait été la première sur ce premier livre et
aurait donné le ton) était hâtive et ne rendait pas compte de l’essentiel du roman ; il a
admis lui-même qu’on ne la publiât pas et jugé qu’on devait en publier une autre. Tu étais
libre de publier ce que tu voulais sans me consulter : tu n’as rien publié.
Pour V.M., tu n’as rien demandé d’urgence puisque la note de Pourrat
aurait paru trois mois après le livre. Cette note de Pourrat a été refusée d’un commun
accord par nous deux, non pas à cause des réserves qu’elle contenait (elle n’en contenait
pas), mais parce qu’elle avait l’air d’une note de complaisance (exactement le contraire
de ce que tu insinues). Il a été convenu de demander une note de Fernandez et que tu la
publies sans me la montrer. Tu as commis une petite trahison en faisant savoir à Fernandez
qu’il y avait eu une note de Pourrat refusée et en lui laissant croire que c’était à cause
des réserves qu’elle contenait. Fernandez était et reste encore libre de faire toutes les
réserves qu’il veut…
Le résultat de tout cela, c’est que non seulement tu n’as pas signalé aux lecteurs de la
N.R.F. les livres de Marie-Anne, mais encore que tu as tout l’air de vouloir, aux yeux de
Fernandez, d’Arland, de qui encore ?, créer une légende autour de Marie-Anne et de
moi-même : « incontentables, pires que les autres, etc... » Et ta lettre y ajoute ceci en
ce qui me concerne que je tiens pour offensant : « intransigeant quand il s’agit des
autres, aveugle et ultra-exigeant quand il s’agit de Marie-Année ». Tu sais fort bien que
c’est faux et que je n’ai souhaité pour ces livres qu’une étude attentive et non pas les
éloges. Etait-ce trop attendre d’un ami et d’une revue où on écrit depuis plus de dix
ans ?
** *
– Pour ce qui est de mes observations de l’autre jour, elles étaient simplement celles
que j’aurais formulées au Comité de Direction si j’y avais assisté le 17 janvier. Tu
t’abrites constamment derrière le Comité, tu lui fais partager tes responsabilités aux
yeux des étrangers. En réalité le Comité n’exerce aucun contrôle affectif, et les
directives qu’il donne ne sont pas suivies. Alors à quoi bon ?
Laissons Deval, je n’attache à Deval aucune importance. Tu parles de Simone : ce n’est
pas moi qui ai accepté de publier l’apologie sans réserves de Désordre.
Pour Poulaille, la chose peut se discuter et je n’accuse pas Marc Bernard de le prôner.
Je t’accuse d’avoir choisi Marc Bernard pour parler de lui (ou d’avoir accepté qu’il en
parlât). Devant le populisme et le prolétarisme, la N.R.F. doit avoir une doctrine et
c’est un des rédacteurs habituels qui doit traiter la question ou un collaborateur dont
les idées concordent avec celles du comité. Il y a des livres sur lesquels on peut
accepter indifféremment une note dans un sens ou dans un autre à condition que la note
soit bonne. Mais il en est d’autres (tous ceux qui se rattachent à un courant discuté ou
qui sont d’une personnalité tranchée) à propos desquels le Comité doit décider si on en
dira du bien ou du mal et à propos desquels la revue doit avoir une ligne cohérente. A toi
de choisir ensuite l’exécutant.
Laisse-moi sourire quand je t’entends dire qu’on fait à la N.R.F. « confiance aux
collaborateurs ». En réalité quand tu veux avoir (ce n’était pas le cas pour Poulaille)
une note élogieuse sur quelqu’un tu sais fort bien t’y prendre. Tu as très bien du
dénicher M. Pierre de Massot pour faire l’apologie de Rôdeur d’Herbart :
c’était pour faire plaisir à Gide. Tu as très bien su pour faire oublier à Berl ma note
aller chercher Drieu pour écrire sur le Bourgeois et l’Amour. Tu as très
bien su pour faire oublier à Giono ma note sur Regain aller chercher M.
Maurice Fombeure pour parler de Grand troupeau qui est un livre
bancroche, et que tous les admirateurs de Giono, y compris Marcel, ont laissé tomber. Tu
as très bien su faire louer Cassou par D. de Rougemont et Gibon par Groethuysen. Cela rien
que dans les deniers nos selon toi si purs…
Mais trouver quelqu’un pour faire une note équitable, disons même sympathique, sur Violette Marinier, ça, c’était impossible. Si je souhaitais une note
d’Arland ou de Fernandez, c’était parce que [je] ne voulais pas de note de complaisance et
que je souhaitais voir établir la part du bien et du moins bien. Mais les notes
d’enthousiasme sur R.C. ou V.M., si tu m’avais, au
lieu de te taire, consulté, j’aurais pu t’indiquer bien des gens qui auraient été heureux
d’en écrire et qui les ont écrites ailleurs, spontanément. Car enfin ces deux livres, que
tu as l’air de traiter comme des parias qui dégoûtent tout le monde, ont eu des
admirateurs et de qualité. Rose Colonna était un manuscrit anonyme quand le jury de la Revue hebdomadaire a voulu le
couronner.
Quant au fait de refuser une note, je ne croyais pas qu’il n’eût eu lieu qu’à l’occasion
de R.C. ou de V.M. Je t’en vois refuser constamment au
profit d’autres meilleures ou autrement orientées.
Je m’arrête. Je crois t’en avoir dit assez pour mettre au clair les choses et dissiper
les nuages accumulés par trop de silence. Il n’y a peut-être eu de ta part qu’une faute :
c’est d’avoir méjugé Marie-Anne et de m’avoir méjugé, et d’avoir agi envers nous comme
envers un quelconque Pourtalès.
Bien affectueusement,
Benja
P.S. – Comment dois-je interpréter ceci qui me revient ? Germaine me montre en épreuves
une note d’Arland avec une phrase très gentille sur R.C. Le n° paraît,
la phrase a sauté. Je ne puis croire que c’est toi qui l’as fait supprimer. Mais si c’est
Arland, l’amitié ne commandait-elle de le prier de la maintenir ?
l’injustice, c’est de n’avoir publié de note ni sur Rose Colonna, ni
sur Violette Marinier. Injustice et, ce qui est pire à mes yeux,
lèse-amitié. Moi, à ta place, plutôt que ce silence, j’aurais écrit une note moi-même.
Mais le comble, c’est maintenant de vouloir me prouver (et te prouver) que j’en suis
responsable : j’attendais, – patiemment, tu le reconnaîtras –, une lettre ou une
conversation qui [mot illisible barré] me paraissait ne pouvoir être que d’excuses,
ou de regrets et d’explication. Et je reçois un réquisitoire. Après des mois
d’un surprenant mutisme, alors qu’il eût été si simple de me dire les choses de
me tenir au courant au fur et à mesure, voilà ce que tu trouves à m’écrire ! Et par dessus
le marché, tu éprouves le besoin de mêler ce qui concerne R.C. et V.M. à des remarques que je t’ai faites sur des notes, [plusieurs mots
illisibles barrés] comme c’est mon devoir rôle de membre du comité de
direction.
Tu as manqué de simplicité et de franchise avec moi, tu as manqué d’amitié envers
Marie-Anne et de justice envers ses livres. Voilà le vrai. A présent tu voudrais me faire
croire, [petit mot illisible] te faire croire que j’ai exigé pour R.C.
et V.M. des dithyrambes sans réserves. Tu sais fort bien que c’est faux.
Tu as refusé la note de Rivel sur R.C. T'en ai-je voulu? La note de
Marcel [mots illisibles barrés] (qui eût été la première sur le livre) [mot illisible
barré] faussait complètement le sens ; il a admis lui-même qu’on ne la publiât pas et jugé
qu’on devait en publier une autre. Tu étais libre de publier ce que tu voulais sans me
consulter : tu n’as rien publié.
Pour V.M., tu n’as rien demandé d’urgence puisque la note de Pourrat
aurait paru trois mois après le livre. La note de Pourrat a été refusée d’un commun accord
par nous deux, non pas à cause des réserves qu’elle contenait, mais
parce qu’elle avait l’air d’une note de complaisance, ce qui est
exactement le contraire de ce que tu insinues. [Mot illisible barré] Il a été convenu de
demander une note à Fernandez et que tu la publies sans me la montrer. Tu as commis une
petite trahison en faisant savoir à Fernandez qu’il y avait eu une note de Pourrat refusée
et en lui laissant croire que c’était à cause des réserves qu’elle contenait. Fernandez
pourrait était et reste encore libre de faire toutes les réserves qu’il
voulait veut… [Plusieurs mots illisibles barrés]
Le résultat de tout cela, c’est que, non seulement tu n’as pas signalé aux lecteurs de la
N.R.F., les livres de Marie-Anne, mais encore que tu m’as tout l’air de vouloir créer une
légende autour de Marie-Anne et de moi-même : « incontestables, pires que les autres,
etc... » Et ta lettre y ajoute ceci en ce qui me concerne, qui [sic] : « intransigeant
quand il s’agit des autres, aveugle et ultra-exigeant quand il s’agit de Marie-Année ». Tu
sais fort bien que c’est faux et que je ne souhaite pour ces livres qu’une étude attentive
et non pas les éloges. Est Etait-ce trop [mot illisible] attendre d’un ami et
d’une revue où on écrit depuis plus de dix ans ?
** *
– Pour ce qui est de mes observations de l’autre jour, elles étaient simplement celles
que j’aurais formulées au Comité de Direction si j’y avais assisté. Tu t’abrites
constamment derrière le Comité, tu lui fais partager tes responsabilités aux yeux des
étrangers. En réalité le Comité [mots illisibles barrés] n’exerce aucun contrôle effectif,
et les directives qu’il donne ne sont pas suivies. Alors à quoi bon ? Laissons Deval, je
n’attache à Deval aucune importance. Tu parles de Simone : ce n’est pas moi qui ai écrit,
ni publié son apologie.
Pour Poulaille, la chose peut se discuter, mais et je n’accuse pas Marc
Bernard de le prôner. Je t’accuse d’avoir choisi Marc Bernard pour parler de lui (ou
d’avoir accepté qu’il en parlât). Devant le populisme, la N.R.F. doit avoir une doctrine
et c’est un des rédacteurs habituels qui doit traiter la question ou un collaborateur
avec dont les idées concordent avec celles du Comité. Il y a des livres sur
lesquels on peut accepter indifféremment une note dans un sens ou dans un autre à
condition que la note soit bonne. Mais il en est d’autres (tous ceux qui se rattachent à
un courant discuté ou qui sont d’une personnalité forte tranchée) à propos
desquels le Comité doit décider si on en dira du bien ou du mal et à propos desquels la
revue doit avoir une ligne cohérente. A toi de choisir ensuite l’exécutant.
Si ce n’était toi qui m’écrivais, je dirais qu’il y a quelque tartuferie à soutenir [mots
illisibles barrés] qu’on fait à la N.R.F. « confiance aux collaborateurs ». En réalité,
quand tu veux avoir (ce n’était pas le cas pour Poulaille) une note élogieuse sur
quelqu’un, tu sais fort bien t’y prendre. Tu as très bien su dénicher M. Pierre de Massot
pour faire l’apologie de Rôdeur d’Herbart : c’était pour faire plaisir à
Gide. Tu as très bien su pour faire oublier à Berl ma note aller chercher Drieu pour
écrire sur le Bourgeois et l’Amour. Tu as très bien su pour faire
oublier à Giono ma note sur Regain aller chercher M. Maurice Fombeure
pour parler de Grand troupeau qui est un livre bancroche et que tous les
admirateurs de Giono, y compris Marcel, ont laissé tomber. Tu as très bien su faire louer
Cassou par Denis de Rougemont et Chenevière par Henri Pourrat et Gibon par Groethuysen.
Cela rien que dans les deniers nos selon toi si purs. Mais trouver
quelqu’un pour faire une note équitable sur Violette Marinier, ça,
c’était trop difficile. Si je souhaitais une note d’Arland ou de Fernandez, c’était
précisément parce que [je] ne voulais pas de note de complaisance. Mais les notes
d’enthousiasme sur R.C. ou V.M., si tu m’avais, au
lieu de te taire, consulté, j’aurais pu t’indiquer bien des gens qui auraient été heureux
d’en écrire et qui les ont écrites ailleurs.
Quant au fait de refuser une note, je ne croyais pas qu’il n’eût eu lieu qu’à l’occasion
de R.C. ou de V.M. Il me semble me rappeler qu’un
simple veto d’Ungaretti m’a privé d’une note sur mon Panorama.
Je m’arrête.
Jean Paulhan à Benjamin Crémieux (27 septembre 1932) §
Ta lettre est bien surprenante ; et ce n’est pas le mot affectueusement, qui la termine, qui m’a le moins surpris. Je pense que tu l’a
écrite dans un moment de colère, et qu’elle te semble à présent aussi injuste qu’à moi. Je
veux le penser du moins. Mais je te réponds.
La note d’Arland, où il est question de R.C. a paru dans la revue telle
exactement que tu l’avais lue en épreuves. Tu la trouveras dans la NRF du Ier février 31, page 280.
Tu me reproches de « m’abriter derrière le Comité ». Or c’est toi qui m’as conseillé, à
propos d’une nouvelle que j’avais refusée à Girard, de ne pas refuser en mon nom (ce qui
avait fait dire à Girard : « mais enfin, qu’est-ce que c’est que ce Paulhan, d’où
sort-il ? Etc. » Je te répète ce que je tiens de toi) mais au nom du Comité. Ce que j’ai
fait, en effet, dans la suite, assez souvent. Sur ton seul conseil – qui venait
d’ailleurs, il me semble, d’une gentille intention.
Tu me dis d’autre part que les « directives » du Comité ne sont pas suivies. Lesquelles ?
Précise. Je ne vois trace de directives dans tes autres critiques. Et il n’a jamais été
question entre nous d’une attitude immuable à prendre en face du populisme et du
prolétarisme. Nous avons parlé de tel livre (populiste), de tel roman (prolétarien) ; nous
avons jusqu’à présent ignoré le populisme. Cela ne me paraît pas si sot, ni si injuste.
Mais enfin la question peut se discuter. Parlons en au prochain Comité, si tu veux.
Jusque-là il me semble que tu te contredis.
J'en viens aux notes que tu cites :
Ce n’est pas moi qui ai « déniché » Massot : c’est Gide qui me l’a proposé. J'ajoute
qu’il m’a paru juste que l’opinion de Gide sur Herbert (opinion que je suis très loin de
partager) fût exprimée dans la revue.
Ce n’est pas moi qui suis « allé chercher » Drieu ; c’est lui qui s’est proposé. J'ai eu
plusieurs raisons pour l’accepter : 1- je venais de refuser une nouvelle à Drieu et
j’étais content de pouvoir lui marquer, sur un autre point, notre estime ; 2- le livre
est, je crois (et je continue à le penser après la Politique et les
Partis) le meilleur que Berl ait écrit ; 3- enfin c’est de Drieu beaucoup plus que
de Berl (comme il était déjà arrivé pour Huxley et pour Malraux) qu’il s’agissait dans la
chronique.
C'est également Fombeure qui m’a proposé de parler de Giono (et ne vois-tu pas
l’enfantillage du machiavélisme que tu me prêtes. Je serais aller chercher Drieu pour te
« faire oublier », Fombeure pour te « faire oublier ». Me diras-tu que tu plaisantes ?
Mais alors tu as tort de mêler des plaisanteries à des reproches, qui pourraient être
graves). Et je t’avouerai que la note de Fombeure m’a paru sévère pour le
Grand Troupeau. Mais peu importe.
Le reste est plus léger encore, s’il se peut. Pourquoi diable veux-tu que j’aie tenu à
« faire louer » Cassou ? Rougemont tenait à parler de Sarah ; sa note
m’a semblé intéressante – et je crois qu’il est bon de laisser la plus entière liberté à
un nouveau critique, que l’on met, en quelque sorte, à l’essai (la note suivante de R. sur
Ramuz, m’a paru remarquable). Et Gidon que je ne connais pas ? C'était son premier livre ;
et un livre intelligent, assez charmant (relevant d’ailleurs d’une sorte de littérature
gnostique, dont le secret est perdu – et par là supérieure à Boylesve, qu’il évoquait
parfois). Groethuysen désirait en parler. C'étaient autant de bonnes raisons.
Je ne parviens à rien voir, dans tout cela qui soit le moins du monde impur, bien au
contraire. Et tu n’y parviens, toi, qu’en me prêtant, d’une part, cette intention
machiavélique de te « faire oublier » - qui est tout de même un peu invraisemblable - ; en
imaginant d’autre part que c’est moi qui ai appelé, provoqué, formé de toutes pièces de
telles notes. Ce qui se trouve être faux.
Non, je t’assure que ta lettre ne m’a pas fâché. Je ne t’ai pas répondu tout de suite.
J'ai tâché de me trouver des torts. Si j’en ai, ils ne sont pas là. Mais j’en viens à ton
reproche principal – à ton seul reproche.
Il y a quelques mots grossiers, qui sont de trop dans ta lettre. Je n’ai jamais pensé, ni
dit, ni écrit, - je ne téai [sic] même pas écrit à toi- que les romans de Marie-Anne
étaient « des parias qui dégoûtaient tout le monde » (je t’ai toujours parlé et j’ai parlé
à Marie-Anne franchement, de ses deux romans) – ni que tu étais « un quelconque
Pourtalès », ni que vous étiez incontentables, pires que les autres », etc. Laissons tout
cela.
Il est vrai cependant que l’application, la violence, l’âpreté avec laquelle tu as
travaillé au succès de Rose Colonna m’a surpris – venant de toi, qui
d’une part, es si délicat quand il s’agit de tes livres, et d’autre part sais si bien que
les articles et les notes comptent, au fond, assez peu dans le succès véritable d’un
livre. Il me semble que Marie-Anne, si elle t’avait vu, en aurait été plus surprise et
plus gênée. Il me semble que toi-même si tu avais pu te voir …
Laissons encore cela. Nous avons eu, sur Rose Colonna, avant que le
livre ne parut, cinq ou six entretiens. Nous espérions d’abord, tu le sais, obtenir une
note de Malraux. Quand il a été certain que Malraux ne nous la donnerait pas, j’ai
télégraphié à Marcel, d’accord avec toi. La note de Marcel t’a déçu, nous avons demandé à
Marcel de la reprendre (la note de Rival que tu m’as montrée à ce moment était, tu dois
bien le reconnaître, impubliable. Il n’a jamais paru dans la NRF une
note sur ce ton – sur ce ton de dithyrambe continu, avec tant d’allusions personnelles ;
elle nous aurait rendue ridicules. Relis-là, et tu serais de mon avis.). Dans les mois
suivants, tu le sais, j’ai demandé la note à nos amis sans pouvoir l’obtenir. Tu me dis
qu’en ce cas j’aurais dû l’écrire moi-même. Quelle idée te fais-tu d’une note et de la
façon dont on l’écrit ? Non, cela ne me paraît ressembler d’aucune
manière ni à un service que l’on rend, ni à un devoir que l’on remplit.
Sur Violette Marinier, bien avant que le livre ne sortît, j’avais
demandé une étude à l’un de nos collaborateurs – qui s’était d’ailleurs montré désireux de
l’écrire. Il ne me l’a pas envoyée, mais à sa place une lettre embarrassée – où il me
demandait, entre autres choses, de ne pas te parler de lui. Là-dessus, je me suis adressé
à Pourrat.
Il est certain que la note de Pourrat pouvait donner le sentiment d’une note de
complaisance, par le contraste d’une sorte de réserve continuelle (qui se marquait
pourtant nettement sur un ou deux points) et de nombreux éloges. À vrai dire, c’est là le
ton habituel des notes de P. Je crois que la complaisance n’y était pas du tout.(J'en suis
même sûr, après ce que m’a dit Pourrat). Mais peu importe. La note t’a déplu, nous avons
décidé de rendre à Pourrat son papier, et de demander une étude à Ramon Fernandez.
C'est cette étude que j’ai attendue pendant plusieurs mois. Fernandez a d’abord pensé
qu’il l’écrirait probablement (à la fois sur R.C. et V.M.), m’a demandé quelques semaines de réflexion, m’a dit enfin qu’il n’était pas
satisfait de ce qu’il avait écrit et qu’il préférait ne rien nous donner – que d’ailleurs
sa note contiendrait, ou semblerait contenir, plus de réserves que celle de Pourrat. Tu me
dis que c’était une « petite trahison » que de montrer à Fernandez la note de Pourrat.
Pourquoi ? Je ne le comprends pas du tout. À vrai dire, je ne me suis soucié ni de la lui
montrer, ni de la lui cacher et R.F. connaissait, pour vous en avoir entendu parler au
comité, l’existence de la note de Pourrat.
Après Fernandez, je me suis adressé à un autre de nos amis. Mais peu importe. Et tu sais
que si j’avais pu obtenir une étude de Schlumberger ou d’Arland (d’ailleurs navrés, comme
moi – et nous en avons plus d’une fois parlé ensemble – que la NRF n’ait
rien dit des livres de Marie-Anne) je l’aurais donnée avec joie. Quand je t’écris,
là-dessus, que non seulement j’ai fait tous mes efforts pour obtenir une note, mais que
ces efforts encore dépassaient incontestablement (je n’en marquait [sic] aucun regret) les
limites de la justice, tu te mets en colère et tu m’accuses d’avoir manqué à l’amitié, de
n’avoir ni simplicité ni franchise, d’avoir méjugé Marie-Anne... En quoi ? Où ? Pourquoi ?
Tout cela est simplement fou.
À toi, tout de même.
JP
Un mot encore. Mon sentiment est que ce n’est point du tout (comme tu me le fais dire) un
défaut du livre de Marie-Anne qui a embarrassé nos amis mais bien sûr l’article que tu
avais écrit, toi le premier, sur Rose Colonna, dans les Annales.
naturellement, j’étais en colère quand je t’ai écrit. Colère provoquée par ta lettre.
Jusque là je n’étais pas irrité contre toi. Je pensais que tu avais rencontré des
difficultés, que tu espérais peut-être encore les vaincre, que tu préférais te taire, un
peu par timidité, un peu pour ne pas avoir à parler d’une chose ennuyeuse. Je n’aurais pas
admis silence d’un autre, mais, toi, je te faisais crédit. La seule chose qui m’avait un
peu éberlué, c’était dans la note d’Arland sur Geneviève Savigné, la transformation du
texte de l’épreuve que m’avait montré Germaine et qui était : « … ni pour prendre livre de
débat dont on a beaucoup parlé, Rose Colonna » en « un livre de débat,
Rose Colonna. »
Là-dessus arrive ta lettre qui se résumait en ceci : « Tu es bien intransigeant pour les
autres et tu [mot illisible barré] m’a obligé à commettre une injustice en faveur de
Marie-Anne. » Une injustice ? Quelle injustice, puisque tu n’as pas publié de note ? Et en
quoi aurait pu consister cette injustice sinon à exiger pour Rosa
Colonna des éloges non mérités ?
Ainsi tu n’avais pas publié de note ni sur R.C ni sur V.M. et tu m’accusais de t’avoir fait commettre une injustice ? Tu
m’accusais de favoriser l’injustice et tu te posais en champion de la justice. Comment ne
me serais-je pas mis en colère ? Comment n’aurais-je pas souligné l’opportunisme constant qui s’impose à toi comme à tout directeur de revue. (Et il
est entendu que tu sacrifies le moins que tu peux, et s’il en était autrement je ne
collaborerais pas à la N.R.F. pour 45 francs 50 par mois)
Mais enfin cet opportunisme existe. Tu l’avoues dans ta réponse (écrite aussi avec une
grande colère, et s’il y avait quelques coups directs fournis dans la tienne, que je ne
chercherai pas à définir, puisqu’ils étaient donnés dans l’emportement de la querelle).
Cet opportunisme joue parfois injustement ; je demande pourquoi il n’aurait pas joué selon
la justice pour R.C. et V.M.
__
Voilà ce que je m’apprêtais à te dire pour mettre au point les choses, quand ta seconde
lettre m’est arrivée, me proposant une « clef du malentendu » et, par bien des côtés,
assez proche de ce que je viens d’écrire. Tu as compris, et c’est là l’essentiel, que ta
lettre avait tout déclenché et m’a amené à examiner ce que tu avais fait d’une façon moins
systématiquement confiante que je ne l’avais examinée jusque là.
Pourtant, il reste un point sur lequel je ne puis te donner raison. Tu me reproches ma
politique, mon âpreté. (Même si tu avais raison, pourquoi punir Marie-Anne d’une faute qui
ne serait que mienne en la privant d’une de notes dans la revue ?)
Mais, au vrai, qu’ai-je donc fait ? Pour la première fois, depuis 1918, j’ai traité
quelqu’un en ami. Et ce quelqu’un, c’est toi. Je ne crois guère à l’amitié. Je n’espère,
ne veux rien des autres. Je ne demande rien à personne. Je n’aime pas qu’on me donne. Je
n’aime plus que donner.
L'amitié virile, pour moi, c’est un devoir et un privilège. Le Devoir, c’est de ne jamais
se dérober à une demande de l’ami (que ce soit une invitation à dîner, de l’argent, un
service)
Le privilège, c’est de pouvoir être sincère, sans crainte d’être ridiculisé, ni
trahi.
Je sais que pareille conception de l’amitié est difficile à mettre en pratique. C'est
pourquoi je n’essaie pas. Tu es le seul avec qui j’ai essayé, après dix ans, de bon
compagnonnage et de gentillesses de ta part. J'ai eu le sentiment que j’ai échoué et j’en
ai eu autant de chagrin que de colère.
Ce que tu appelles mon âpreté, ma politique n’a été que la confiance et la simplicité de
l’amitié. Je t’ai dit en toute simplicité que j’aimerais une note immédiate sur R.C. qui attirât l’attention des autres critiques sur ce livre et le mît
tout de suite en circulation. C'est Marie-Anne qui, ayant lu la note de Malraux sur
Vialatte avait pensé que peut-être il ferait volontiers une note sur R.C. Il n’a pas cru devoir la faire. J'ai refusé avec violence la note de Marcel,
parce que tu semblais la trouver tout à fait suffisante. Tu me dis : « ah ! si tu avais pu
te voir !.. » Je te réponds la même chose. Tu paraissais trembler qu’on ne dît trop de
bien du livre.
Tu m’as demandé d’écrire la note sur R.C. [deux mots barrés illisibles]
J’ai refusé. Et c’est parce que la N.R.F. ne donnait pas de note [mot illisible] sur le
livre que j’ai donné mon article dans les Annales. Cet article, je ne le
désavoue pas. Mais je ne l’aurais pas écrit si tu m’avais mieux aidé à signaler R.C. aux critiques.
A partir du refus de la note de Gabriel Marcel, je n’ai plus fait allusion à rien avec
toi. Je t’ai laissé libre. Quand Violette Marinier a paru, je ne t’ai
rien dit, rien demandé. Tu aurais pu passer la note de Pourrat sans me la montrer. Tu me
l’as montrée. Et une fois de plus, tu as eu l’air de me dire qu’elle était bien assez
bonne pour le livre. D’ailleurs, m’aurais-tu, je l’ai lue distraitement. En me l’envoyant,
tu voulais donc que je lui donne mon aval. Eh bien, je le lui ai refusé, comme j’ai tant
de fois refusé d’approuver les notes que tu me montrais.
Car enfin si j’ai refusé la note de Marcel et celle de Pourrat, ce n’est pas parce
qu’elles n’étaient pas élogieuses, c’est parce qu’elles n’étaient pas bonnes.
Et ici, j’en reviens à mon idée de l’ami. Si je te paraissais exagérément âpre et
« politique », il fallait me le dire franchement. C’était ton privilège d’ami.
Mais te dérober, ne pas trouver moyen, n’importe quel moyen de faire ce que je t’avais
demandé, c’était faillir à l’amitié (et c’est ce que voulait dire : « moi, à ta place,
j’aurais écrit la note moi-même »)
Veux-tu d’autre part admettre que tu ne m’as tenu au courant de rien de ce qu’il s’est
passé après le refus de la note de Marcel ? Que tu ne m’as tenu au courant de rien après
la décision de demander à Fernandez la note sur V.M. (Tu sais que celle
de Pourrat a paru à l’Européen.) ? Que le plus simple aurait été de me
dire : « je ne trouve pas de note, si tu peux en trouver une bien,
montre-la moi, je verrai si je peux la donner. » Qu’en tout cas, cela valait des
conversations directes et non pas une allusion à la fin d’une lettre de reproches. (Je
trouve la note de Marc Bernard sur Poulaille assez bien. Il fait les réserves qu’il
faut.)
Je ne Il n’a jamais été question de la note de Pourrat au Comité en ma
présence et je continue à penser que Fernandez n’avait pas à savoir qu’elle existait.
Voilà, je crois, les choses à peu près mises au net. Et je crois qu’accuser ma
« politique » (demande à Hirsch ce qu’il a pensé de mes divers refus d’intervention) et
rejeter sur elle la non-reproduction d’une note sur les livres de Marie-Anne, c’est au
moins de l’exagération polémique.
J’ai eu trop confiance en toi, tu n’en as plus eu assez en moi.
Que cela ne te paraisse pas trop dur, à la fin de cette lettre de mise au point. Et
comprends que je puis en terminant, comme je le pouvais l’autre jour, t’assurer de mon
affection. J’aime en toi ce qui tant de choses, j’ai tant de plaisir chaque
fois à te retrouver, j’aime à te voir mener la revue, bref j’aime que tu sois ce que tu
es, j’aime te défendre quand on t’attaque. C’est dire que je souhaite refermer cette
parenthèse, mais ce n’est tout de même pas moi qui l’ai ouverte.
Tranquillise-toi : c’était mon intention et j’en avais fait part à Gaston
G.[Gallimard]
Quant à m’expliquer avec toi, est-ce qu’on s’explique avec une girouette ? Tu as adopté
tant de points de vue successifs dans cette affaire qu’on ne sait plus sur quoi discuter.
Si seulement j’étais sûr que tu détestes les romans de M.-A, mais je ne suis sûr que de ta
colère.
Il y a en tout cas un point qui est certain : c’est que, sauf une fois à Arland, je n’ai
parlé à personne de cette histoire, ne me suis plaint à personne, ai continué à te
défendre quand on t’attaquait.
Et pendant ce temps, toi, tu parlais à « nos amis ». Tu me prêtais l’attitude d’un
imbécile.
Est-ce que tu sauras seulement te taire à présent ?
B.C.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (01 juillet
1932) §
inutile en effet de prolonger la discussion. Je prends acte que tu ne témoignes aucun
regret d’avoir fait passer une note d’un ton inadmissible et que rien,
quoique tu prétends, ne t’obligeait à publier.
Reprendre ma place au Comité de Direction tel qu’il fonctionne actuellement me paraît
impossible. Comment contribuer à la direction d’une revue alors que son rédacteur en chef
se déclare impuissant à orienter ou à contrôler les notes que publie la revue, par respect
pour la « liberté » des collaborateurs.
D'autre part tout ce que tu m’as révélé de l’attitude des autres membres du Comité dans
cette affaire ne me donne aucune envie de siéger auprès d’eux et de leur parler en
confiance.
Veux-tu bien prendre note que je ne sais pas du tout si j’écrirai une étude sur
Lawrence ?
– Pourquoi me parles-tu des Annales où tu as été d’avis que j’accepte
d’entrer en 1927 ? Tu sais bien qu’il est depuis un an décidé que je les abandonne et que,
sur la demande de Brisson, j’attends le moment où elles redeviendront hebdomadaires. Quant
à l’article auquel tu fais allusion, il est composé de queues d’articles
restées sur le marbre. Et j’étais si peu en train de travailler après le 1er juin après lecture de la N.R.F. que j’ai prié qu’on les publiât en
bloc au lieu de faire un article nouveau. Celui qui a paru dans le n° d’hier est mutilé
d’une moitié, d’où son apparente incohérence.
Pour ce qui est de mes articles de Candide, je ne suis pas de ton avis.
Mais si la N.R.F. m’avait offert des tarifs identiques, j’aurais pu [mot illisible barré]
me priver de consacrer aux publications Fayard une partie de mon activité.
Il est vrai que j’ai donné beaucoup de mon meilleur à la N.R.F., mais je m’y suis
éparpillé.
Le silence est ce qui convient le mieux après ce qui s’est passé. Et ensuite, que
n’oublie-t-on pas ? Ton Pour l’instant je suis à vif. Une des rares choses en
quoi je croyais : ton amitié, m’a fait défaut.
Ton
B.C.
Benjamin Crémieux à Jean Paulhan (05 septembre
1932) §
tu reviens encore sur cette histoire. Moi, je l’avais classée et je n’aime pas beaucoup
que tu m’obliges à y repenser.
Tu persistes à traiter cette affaire en rédacteur en chef, à invoquer des principes que
tu reconnais n’avoir pas mis en pratique (notes sur Messages, sur Où le coeur se partage), à parler de « l’impossibilité » de refuser une
deuxième, une troisième note sur mon livre (c’est d’ailleurs de trois livres qu’il s’agit
et une seule note pour le livre chacun des deux premiers a été refusée par moi,
la note de Dérieux était la première sur le Bonheur).
Je me fous des principes et des méthodes parce que je les sais inapplicables, en matière
de direction d’une de revue, je sais que les notes de Marcel et de Pourrat ne
valaient rien, que le ton de la note de Dérieux était inacceptable, concernant
et que, tout de même, étant donné ma place à la N.R.F. et surtout notre
amitié, étant donné que je ne te demandais que le silence sur les livres de
Marie-Anne, rien n’excuse la publication de la note de Dérieux sans, au moins,
consultation préalable d’Arland et de Fernandez et, j’ajoute, de moi-même.
Tu pourras mettre en revue toutes les ressources de ta dialectique, tu ne sortiras pas de
là, d’un point de vue humain. Et j’ajoute : du point de vue de la justice.
Tu as encore l’air de sous-entendre que j’aurais voulu des dithyrambes. Non, j’aurais
voulu l’équivalent de ce qui a paru partout ailleurs et de la part même de gens tels que
Brasillach et Jaloux que je n’ai pas épargnés et qui n’ont aucune raison de me faire la
cour.
Tu vas dire que je répète toujours la même chose, mais s’il n’y a qu’une chose à
dire…
Tu me reproches de t’avoir dénoncé à Gallimard. Non, j’ai voulu rompre
sans avoir à discuter avec toi.
* **
Pour ce qui est de la conduite qu’il eût fallu tenir, je vais encore répéter des choses
que je t’ai déjà dites, je crois bien. Après mon refus de la note de Marcel, ton refus de
la note [Bival?], il fallait ou bien te changer ou bien me charger de trouver une note qui
nous satisfît tous les deux, ou encore décider de n’en pas publier.
A défaut de cette entente, il fallait après mon refus de la note Pourrat me dire : « Je
désespère de trouver une note qui te satisfasse. Trouves-en une toi-même, mais je te
préviens que j’exercerai mon droit de veto aussi strictement que toi. »
J'aurais ri et je t’aurais apporté une note équilibrée. Et tout cela se serait passé au
plein jour, sans gêne pour Aland ni Fernandez, sans concours d’X ou d’Y…
* **
Je t’ai dit que les principes m’importaient peu. Ce n’est pas que je n’approuve ceux que
tu m’exposes et qui m’ont été appliqués avec mon entier consentement tacite pour le Panorama, la Belgique, la Grenouille
et même pour Inquiétude qui a donné l’élan à une chronique de Pourrat,
mais dont il n’a pas été rendu compte.
Mais si ce silence est juste pour nous qui avons fait notre carrière à la N.R.F., il ne
saurait être applicable à la débutante qui était Marie-Anne et qui devait être traitée en
débutante, avec l’accent sur l’apport positif, les prouesses, etc. et,
* **
Laisse-moi te dire encore ceci. Ni Arland, ni Fernandez, ni Schlumberger ne m’ont fait la
moindre allusion à la note Dérieux.
Comment veux-tu que je me sente à l’aise devant tant de silence et de réticence de leur
part ?
Un comité de direction implique avant tout entre ses membres une confiance entière. Il
implique aussi de leur part (comme tu l’indiques) un désintéressement positif.
D'autre part un comité de direction doit avoir un droit de contrôle et aussi d’initiative
sous peine de n’être qu’un paravent.
* **
Nous comptons être à Paris le 12 septembre.
Ton
B.C.
Cette lettre-ci ne répond qu’à une partie de ta lettre. Elle est destinée à clore pour ma
part « l’affaire Dérieux ». Je tâcherai de t’en écrire une autre sur « l’affaire
N.R.F. ».
Ne conviendrait-il pas de donner, en tête de « l’Air du Mois », une rubrique des
évènements notables du mois écoulé ?
Ci-dessous quelques tentatives en ce sens. Dis-moi ce que tu en penses. Mais surtout
donne-nous en d’autres.
Ton
Jean
Faute d’impression. Le télégramme de Hindenbourg à Hitler « Longue prospérité ! »
devient, dans la Kölnische Volkszeitung : « Longue prospérité ? »
Le typo est en prison, et le journal interdit
20 Mai
Amour de l’ordre. Un député se voit accueilli par les cris cent mille fois répété de
« Discipline ! Discipline ! » C'est Doriot au meeting communiste de Vincennes.
21 Mai
Plus de trente mineurs ayant trouvé la mort dans l’explosion de Lambrechien, la Direction
des mines renvoie au 5 juin la réduction des salaires, qui devait avoir lieu le 20
Mai.
22 Mai
Deux cents kilos d’archives ont été volés, et quelques Français molestés, dans la Sarre.
La S.D.N. a pour elle le bon droit, peu de police et pas d’armée.
26 Mai
Matériel humain. Le commissaire à la guerre Vorochilov, au 17ème Congrès communiste,
évalue à 7.74 HP le coefficient de force mécanique d’un soldat rouge.
27 Mai
La science [mot barré illisible] ayant établi qu’une femme demeure déterminée par son
premier amant, le théoricien national-socialiste, Gorsleben, propose de rétablir, en
faveur d’Aryens de choix, le droit de cuissage.
je suis ici depuis une quinzaine. Je souhaite que vous ayez eu à Port-Cros la même brise
contante qu’ici. C'est d’ailleurs bien probable. J'ai paressé quelques jours, puis me suis
attaqué à la mise au point de mes trois actes laissés en panne. C'est fait. Il ne reste
plus qu’à les faire jouer. Je ne sais pas si tu aimeras beaucoup ça, en revanche je serais
étonné que Germaine ne marchât pas. Mais je puis me tromper. Moi, j’ai pour la première
fois, le sentiment que doit avoir Arland quand il a terminé, – d’avoir fignolé mon travail
jusqu’à la plus petite virgule. Avec, en outre, l’impression de n’avoir pas trahi mon élan
initial.
Je t’envoie un Air du mois sur les décrets-lois soviétiques d’Henri
Membré. Il me semble qu’il pourrait passer, peut-être avec quelques corrections de forme
que tu y ferais aisément et que Membré accepterait volontiers.
J'espère que personne n’a fait la note sur Au hasard des soirées de
Brisson. Je la sais par coeur – ma note – je n’ai qu’à la coucher sur le papier. Un mot de
toi et je te l’envoie, ou à Paillard, par retour du courrier.
J'ai commencé à relire Duhamel (pour une critique à la loupe. Je suis un peu effrayé de
mes réactions.
– Francis est d’un [bronze?] magnifique. Marie-Anne se repose.
Nous vous envoyons nos grandes amitiés
B.C.
Jean Paulhan à Benjamin Crémieux (septembre
1935) §
IMEC, fonds PLH, boîte 124, dossier 020873 – septembre
1935.
Samedi 1935
Mon cher Benjamin,
Merci. Ton Barbusse est épatant. (Je suis un peu navré que tu attaches
tant d’importance à Brisson. Ou plutôt (car on ne garde pas l’impression justement que tu
lui donnes de l’importance) que tu parles de lui si longuement.)
x
Germaine est guérie.
À bientôt, et bien affectueusement
Jean P.
J'ai bien travaillé. Je crois que ça y est enfin.
Nous sommes en pleine tempête. Tu pourrais au moins me dire le titre de ta pièce.
G.G. « Avouez que le théâtre actuel ne justifie pas l’existence dans la nrf, qui
manque de place pour parler des romans, l’existence d’une chronique dramatique.
J.P. - Je me demande si les romans ne sont pas aujourd’hui trop nombreux et trop
confus pour que l’on puisse en parler utilement, et comme la nrf doit en parler : en les
jugeant.
G.G. - Les pièces sont bien plus confuses encore.
J.P – Mais les chroniques de Cr. me semblent avoir une valeur générale, et ne
pas concerner seulement le théâtre. Elles sont méthode, plus encore que chronique. (Il est
possible que Lhote se trompe parfois, mais je trouve à ses notes cet avantage sur celles
d’Allard qu’elles posent des questions générales, elles sont pleines de doctrine, enfin
elles sont nrf).
G.G. - La doctrine n’est rien, s’il n’y a pas à la base un jugement juste et
sensible. Or il n’y a aucun jugement chez Lhote, aucune sorte de jugement. Cr. même, qui
voit et qui sent très justement les romans, me semble se tromper, dès qu’il s’agit d’une
pièce. Du moins est-il d’un avis exactement opposé au mien. Vous savez si je vous parle
rarement de la revue. Mais quand elle soutient au théâtre les idées exactement opposées
aux miennes (et certes le théâtre est peut-être la seule chose à laquelle je me sois
toujours intéressé et quoi j’ai quelques idées) que voulez-vous que je devienne ? Non,
demandons de temps en temps à Cr. des notes sur quelques pièces, mais non pas une
chronique.
J.P.- Le jugement de Cr. me paraît juste mais je ne déteste pas que le jugement
puisse être retiré de ses chroniques, sans que la chronique tombe. Prenez le
théâtre-représentation...
etc.
Ne voudrais-tu pas songer à des conciliations possibles ? Par exemple : nous en
reviendrions au système des notes, mais dans quelque temps tu me donnerais tes conclusions
dans un article. Ou bien d’autres. Je puis bien te dire en tout cas qu’il me serait très
désagréable et plus probablement impossible de m’intéresser encore à une nrf où tu ne
serais pas, au centre de laquelle tu ne serais pas. Mais il me semble que ta première
réaction était beaucoup trop violente.
J'en ai fait part qu’à demi à G.G. dont la réaction aurait eu, évidemment, le même
caractère exactement que la tienne. Non, je te prie d’y songer encore.
– J'ai reçu en même temps que nos épreuves, la fin de la revue. J'y ai lu les deux notes
de Maurice Savin sur Angelica et Napoléon. Je les
trouve toutes les deux sans grande valeur, mais surtout je trouve elle sur Napoléon d’un ton inadmissible et qui n’a jamais à ma connaissance été
employé dans la revue. (L'équivalent du ton gratuitement offençant qu’emploie Mauclair
contre Thibaudet.) Y a-t-il au surplus intérêt à mentir : il n’est pas
vrai matériellement qu’ondorme baille au premier acte, encore qu’on dorme au deuxième.
Et écrire sans preuves que « la sottise, la puérilité, l’imprudence et l’emphase »
déconcertent, alors que la pièce (dans son contenu est une interprétation
historique d’une intelligence extrême, un portrait de Napoléon où se combinent et se
complètent l’interprétation Stendhal et l’interprétation Bainville, me paraît déconsidérer
ma critique, montrer son ignorance. Parler de caricature de tragédie
quand la pièce est de toute évidence une comédie volontairement anti-plutarquienne, que
Napoléon y parle comme dans le Mémorial !!
Que Joséphine traite Napoléon de maquereau, c’est dans l’ordre : il l’avait épousée,
sachant sa liaison avec Barras et il savait que Barras l’avait fait nommé
général de l’armée d’Italie, en guise de cadeau de séparation à Joséphine.
J'accepte une note hostile à Raynal, si tu y tiens. Mais je voudrais beaucoup qu’elle
valût quelque chose. Celle de [Savik?] ne mérite que la corbeille à papiers. Tu peux
montrer ma lettre à ce monsieur. J'espère que tu pourras délivrer le n° de cette
cacade.