Correspondances écrites et reçues par Jean Paulhan (1925-1936 et 1950-1958), éditées en collaboration avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC, Caen) et la Société des lecteurs de Jean Paulhan (SLJP).

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Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :

  • 1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
  • 1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…

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Claude Elsen

Jean Paulhan

1950/1958

Claude Elsen à Jean Paulhan

Correspondance (1950-1958)

Sorbonne Université, Labex OBVIL, license cc.
Source : IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739
Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial), Nikolas Behaghel (Transcription) et Anne-Laure Huet (Édition TEI).

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Nos lettres se sont croisées.

Il y a eu, ce jourd’hui, échange de coups de téléphone entre P.P. [Paul Pilotaz] (à Gilly), sa femme (à Paris) et moi. P. [Paul], qui a reçu son livre, est affolé parce qu’il y a découvert une coquille… Cette innocence est bien touchante. Je l’ai rassuré, lui faisant dire que les coquilles 1°/ passent 9 fois sur 10 inaperçues des lecteurs 2°/ font, ensuite, la valeur des « originales »…
Il va demain à Lausanne, pour une séance de signatures. (Il en a une autre samedi, 17h., rue Mazarine.) Tout cela l’agite beaucoup, le cher garçon.

Il vient me prendre samedi matin chez moi. Sauf avis de vous , nous passerons vous prendre aux Arènes vers midi, pour nous rendre ensemble au « Cochon de lait », rue Corneille, entre 12h30 et 13h, où nous retrouverons les dames. (Je l’aurai mis au fait de tout ce qui me concerne.)

J’ai terminé ma traduction pour Plon. Je vais à présent achever l’Homo Eroticus .

C’est curieux : je suis jaloux de R. [Robert] Mallet, moins en raison de l’affaire Gallimard que parce que j’ai lu l’annonce des « Entretiens avec Jean Paulhan » qu’il prépare pour la radio.

Le reportage du Prix de la Guilde dans le « Bulletin » de celle-ci m’a fait plaisir. Ne riez pas : c’est un peu la sorte de plaisir que doit éprouver un père dont le fils est sorti premier au baccalauréat…

Votre ami
Claude Elsen

[verticalement, à gauche] livré à Julius

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Je vous ai répondu un peu hâtivement, hier soir. (Répondre aussitôt à une lettre est chez moi une espèce de réflexe…)
J’aurais dû mieux vous remercier du souci que vous avez pris de relancer G.G. [Gaston Gallimard] à mon sujet. Je comprends fort bien qu’il ne tienne pas à se créer de nouvelles charges, s’il peut l’éviter.
Je vais, évidemment, étudier avec G. Gallet la question « V-Magazine », où, d’ailleurs, il n’est pas certain du tout qu’il y ait place pour moi. (Mon ami Gallet, beaucoup moins méticuleux et scrupuleux que vous, est un peu l’homme des propos et des suggestions en l’air…) Si, d’aventure, je pouvais trouver par là un modeste gagne-pain, en échange de quatre ou cinq heures de travail quotidien, oui. Mais s’il me fallait retomber dans une autre espèce de bagne Lang, non. Je constate, bien humblement, que je n’en aurais, que je n’en ai plus le courage. Quatre années ont épuisé mes ressources de patience, de résignation et d’attente de jours meilleurs. S’il me fallait, dans l’avenir, retrouver tout cela, je préférerais perdre le peu que j’ai reconquis. Je vous remercierais bien sincèrement de m’avoir aidé à en (re)connaître le goût,- et, ma foi, je pense que je prendrais sans cris inutiles le chemin… d’où je me suis échappé il y a cinq ans.
Que voulez-vous, c’est bien fatigant de lutter pour rien.
Je suis, je vous assure, sans amertume. Simplement las. En général, je fais en sorte que cela ne se voie pas trop : à quoi bon ennuyer ses semblables avec tout cela, surtout s’ils ne peuvent pas tout savoir, tout comprendre ? Vous le pouvez : pardonnez-moi si c’est à vous que je me confie.
Il est donc bien possible que, d’ici deux, trois mois, si rien ne s’arrange, si je n’ai pas trouvé un moyen de vivre décemment et pas trop bêtement, je tire ma révérence.
En attendant, je vous promets de ne plus vous ennuyer avec ces épanchements désabusés…
Voilà. C’est fini.

Je ne sais toujours pas quand viendra Pilotaz – qui part le 25 pour Conakry. Je souhaite que ce ne soit pas le week-end prochain (11-12), car il y aurait un peu « embouteillage » : comme je vous l’ai dit, je pense avoir la visite de ma femme et de ma fille. Je les verrai sans doute samedi matin (le 11) chez Spitz. D’où peut-être je vous téléphonerais pour vous demander si, où et quand nous pourrons vous rencontrer un moment.
(Ma femme aussi m’écrit que tout est bien long et bien difficile, et que seuls la présence de notre fille et l’espoir d’une solution… pas trop lointaine l’aident à « tenir le coup ». Mais j’ai peur que tout cela soit sans issue. C’est pourtant leur pensée qui m’empêche d’envisager tout à fait sereinement les solutions de découragement… Ah, tout cela n’est pas simple.)

Évidemment, je reconnais que sans Pilotaz (c’est-à-dire, en fait, sans vous) j’en serais déjà au point où il n’y a plus d’autres solutions.
La générosité de P.P. [Paul Pilotaz] me donne du moins un ou deux mois de répit.
Sait-on jamais ? Cela pourrait permettre à certaines choses de s’arranger.
(Parce que je refuse aussi de désespérer a priori …)

Votre ennuyeux ami
Claude Elsen

Mardi matin 11h1 /2 , comme convenu, puisque vous avez la gentillesse de ne pas me trouver trop ennuyeux...

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Gide est bien évidemment l’un de ces assez rares écrivains qui deviennent « classiques » de leur vivant, c.à.d. [c’est-à-dire] dont l’œuvre cesse d’offrir prise à la critique que j’appellerai « active », tout en ne l’offrant pas encore à la « re-découverte » (comme, par exemple, et pour prendre un cas qui nous est familier, celle d’un Laclos). Il me semble que c’est ce qui ressort de votre introduction aux Caves . Gide n’est déjà plus un auteur « vivant », un contemporain, et n’est pas encore entré dans ce qu’on pourrait appeler l’actualité éternelle. Position ambiguë, un peu décourageante pour le commentateur.
(Ceci n’a rien à faire avec l’article que je vous ai promis, bien sûr, et dans lequel il ne sera pas question de porter jugement sur son œuvre, de quoi je serais bien empêché.)

Je n’ai pas osé vous dire le plaisir que j’aurais, assurément, à avoir chez moi un Fautrier.

Vous avez – nous étions trois à le penser, hier soir – admirablement réussi à ne pas répondre à la question « Qui êtes-vous, Jean Paulhan ? », rappelant avec une discrète opportunité que c’est le type même de la question à ne pas poser à quelqu’un devant un micro, c.à.d. [c’est-à-dire] devant quelques millions de personnes.
Auditeurs familiers de la radio et – malgré nous – de cette sorte d’émissions (qui sont généralement la vanité même*, quand elles ne sont pas indécentes), nous avons goûté le malaise de vos questionneurs, et le plaisant embarras dans lequel les plongeaient vos réponses.
Yvette me demandant naguère : « Que répondrais-tu, si l’on te demandait : qui êtes-vous, Claude Elsen ? », je répondrais : « Cela ne vous regarde pas. » Il me semble que c’est ce que vous avez fait, avec beaucoup d’humour…
(Et si c’était cela, l’humour : préserver, de soi, ce qui n’a pas à être livré au premier venu,- en lui donnant de fausses clefs?)


À mercredi.
Je vous serre la main
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

En fait, le livre que vous m’avez demandé (« Histoires extraordinaires d’animaux ») est épuisé. Mais dès achèvement de sa réimpression, vous le recevrez.

Ne connaîtriez-vous pas quelqu’un capable de lire un livre suédois , de le juger – et éventuellement de le traduire ? (C’est chez Hachette que l’on me demande cet oiseau rare.)

Je reçois votre mot.
Pour le maquis : moi, la place me tenterait assez, en tant que savoyard honoraire. Mais je serais fichu de déserter si je m’ennuyais, comme je l’ai fait, en 40, que la Défense Passive. (Ce que c’est que de ne croire à rien de ces choses…)

Plaisanterie à part, Lily Pilotaz m’écrit qu’ils sont assez soucieux à cause de leurs enfants, restés ici. Je lui réponds en lui demandant ce que je pourrais faire pour eux si quelque chose arrivait : comme, à ce moment-là, mon propre sort perdrait beaucoup de son intérêt, j’aimerais assez me rendre utile à quelque chose. (Je commence à me faire à l’idée de mourir à 38 ans).

Oui, dimanche , 11h1 /2 .
Reçu un mot de Coroli. Vous en parlerai.

Je vous serre la main
[signature]

[horizontalement en haut, extraits d’un journal] « Ultimatum »-
de Big Ben , Barry Jones et Hugh Cross interprètent sobrement ce drame moderne diamétralement opposé aux louables tentatives désarmantes de Garry Davis : mon voisin très bavard le faisait remarquer, et d’autre part trouvait au premier nommé des ces acteurs une surprenante ressemblance avec Jean Paulhan, lequel heureusement, homme de lettres s’il en fut, n’a jamais, révérence garder, poussé aussi loin la plaisanterie…
Henry Magnan.
(« Le Monde »)

[en-dessous, en rouge] Mardi

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

En outre, on me parle, chez Plon, de prendre en mains le service d’ « épouillage » des manuscrits, savoir : y passer un ou deux après-midi par semaine à examiner sommairement les ms [manuscrits] reçus, écarter ceux qui à première vue ne présentent aucun intérêt et donner les autres en lecture. Je dois en parler au début de janvier avec Orengo. Ce ne serait pas grand-chose sans doute, mais ne me déplairait pas, je crois.

Oui, les jours de « fête » sont assez assommants. Mais j’y aime un certain isolement : cette « distraction » que vous dites fait, en effet, que l’on sent les gens se désintéresser de ce qui n’est pas eux-mêmes. C’est assez reposant.

Pour K. [Kerchove], Nadine et leur appartement, je « sens » comme vous. Je ne déteste pas la richesse des autres, qui, à moi-même, ne m’a jamais manqué.

Je viens – tardivement – de « découvrir » Épictète (le Manuel , éd. [éditions] Falaize, préfacé par Jouhandeau).

Votre ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

L’adresse de Roger Coroli : 108, boulevard Jourdan (XIV) .

Il paraît que l’on songe à me proposer d’entrer au comité de rédaction de la Table .

Cette école d’Orientation littéraire me semble répondre assez à votre projet. Savez-vous qui s’en occupe, si c’est sérieux ou – comme souvent – une escroquerie ?

On me dit que la radio annonce une émission « Qui êtes-vous, Jean Paulhan » ? Quand passera-t-elle ?

J’ai passé, cet après-midi, deux heures fort agréables chez Kerchove et Nadine Lalys. C’est curieux de se « reconnaître » et d’avoir tant de souvenirs communs, tout en s’étant, en somme, à peine connu…
Non seulement K. [Kerchove] ne me garde aucune rancune néo-manichéenne, mais il me semble que nous sympathisons assez (il est vrai que je dois avoir assez changé), et il m’a confié un manuscrit. Je suis, finalement, ravi de cette rencontre. (Est-ce vous qui donnez ainsi aux choses une couleur plus séduisante, bénéfique?)

Merci, pour Lambrichs. En fait, nous n’avons jamais beaucoup sympathisé, même avant . Je crois vaguement me souvenir qu’il avait assez mal pris, en 37-38, la sympathie que me portait une dame sur laquelle il avait des vues et, 40-41, le refus d’un texte de lui par « Cassandre » (ce dont il devrait pourtant me savoir gré, vu la suite…)
Quant aux choses « dangereuses » que j’ai pu écrire (et que je regrette bien de ne pouvoir vous montrer), si je les publiais aujourd’hui j’imagine qu’on les jugerait marquées au coin du plus solide et du plus opportuniste bon sens. L’opportunisme n’a malheureusement jamais été mon fort. Pas plus que ces antipathies durables, qui me surprennent toujours un peu. (J’ai dû parler de et à L. [Lambrichs] pour la dernière fois en 1940…)
Je sais bien que nous étions vaincus, que nous étions occupés, etc. : mais ne vous ai-je pas dit que je suis, naturellement et en dehors de tout raisonnement, insensible à ces choses ? Je suis tout prêt à en avoir honte, mais je suis ainsi fait que rien ne me paraît plus stupide que la guerre ni plus étrange que les sentiments qu’elle fait naître, que je préfère n’importe quelle paix à n’importe quelle guerre, que je me sens plus proche d’un Européen (même s’il m’ « occupe ») que d’un Américain ou d’un Russe (même s’ils affirment vouloir me « libérer »),- et qu’enfin je ne voyais aucun avantage à ce que Russes et Américains saccagent l’Europe pour, ensuite, recommencer à s’y « expliquer » entre eux, ainsi qu’ils vont le faire.
Mais à quoi bon revenir sur tout cela, n’est-ce pas ? Je serais, néanmoins, heureux d’en reparler librement avec vous.

J’espère vous voir un moment (un matin?) la semaine prochaine, et vous souhaite, en attendant, un Noël paisible (Yvette aussi, qui vous aime beaucoup).

Votre ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Vous ai-je dit qu’il y a à mon sens beaucoup de choses remarquables dans le Tombeau de Vincent du Bosso , de Kerchove – dont je vais parler dans la Table ? Sur le besoin d’écrire et l’ « engagement », sur la quête de Dieu, sur l’amour physique (ces dernières m’ont permis de reprendre avec lui le débat que j’avais ébauché il y a huit ou neuf ans : je ne sais lequel de nous deux a changé, mais il me semble que nous nous sommes rapprochés…)
Dommage que ce livre n’ait pas trouvé place dans une collection comme Métamorphoses  : il risque un peu de passer inaperçu.

Queneau me dit être satisfait de l’ « échantillon » que je lui ai soumis des remaniements à apporter au manuscrit Hauteclaire. Il va en parler à l’auteur.

J’ai une nouvelle machine à écrire, fort séduisante, et qui me donne envie de travailler. Je pense à Gide et l’engagement, dont je voudrais pousser assez loin le procès (celui de l’engagement).

Mme Bour m’a gentiment mais fermement refusé l’album de photos d’Ylla. Je n’ai même pas songé à lui demander le Vinci du musée de la Pléiade… Mais je voudrais beaucoup avoir, lorsqu’elle sortira, l’édition en un volume, remaniée, de la Psychologie de l’Art de Malraux. Peut-être vous demanderai-je alors de m’y aider…

Votre ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Je viens de voir M. Pilotaz, qui est un homme tout à fait sympathique. Votre idée a l’air de le séduire beaucoup. Il m’a demandé de reprendre son manuscrit et de le transformer à ma guise. (Il est, je crois, entre vos mains?). Les conditions de ce travail n’ont pour lui, me dit-il, aucune importance,- ce qui m’a mis un peu mal à l’aise pour les lui fixer : nous sommes convenus de nous en remettre à votre appréciation.
Qui plus est, il m’a proposé d’aller, en août, passer une quinzaine de jours chez lui, en Savoie. Voilà qui est, aussi, assez tentant – et fort aimable.
Merci encore de cette conjonction, qui est votre fait.
Dites-moi quel jour prochain je puis, sans vous ennuyer, passer rue des Arènes pour prendre le manuscrit (il n’y a évidemment pas extrême urgence).

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950

Je lirai volontiers ces deux manuscrits. Peut-être pourrai-je vous remettre samedi déjà le plus court (Schmidt) avec celui de Saint-Elme (« Don Quichotte de Billancourt ») que j’ai en mains – et des notes sur l’un et l’autre, bien entendu.
(C’est fort séduisant, ce cahier à feuilles mobiles inventé par le Schmidt en question… Mais vous savez l’attrait presque « fétichiste » qu’exerce sur moi ce genre de choses…)

Je voudrais être l’un des premiers lecteurs du livre sur la peinture que vous préparez.

Je continue de recevoir lettre sur lettre de Mme Françoise d’Eaubonne, qui, sans s’en douter, alimente le chapitre de l’Homo eroticus consacré au « Point de de vue de l’Objet »…

Bien amicalement
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Je me sens assez ridicule. Mais je voudrais que vous compreniez. Ni « exigeant », certes, ni « soupçonneux »,- mais inquiet, et soucieux, énormément, de ne pas vous ennuyer (ce qui me fait atteindre le résultat que je voulais éviter…). Comme, en général, l’indifférence d’autrui me laisse fort serein, je suis tout embarrassé moi-même du sens et de l’importance que j’attache à votre amitié. D’où ces interrogations. Excusez-moi. N’y pensez plus.

Merci pour les Carnets de Braque. Je vous les rapporterai samedi.

Laudenbach (que j’aime bien malgré les petits travers que nous disions) aimerait, un jour, m’accompagner rue des Arènes. Je crains seulement que cela nous empêche de bavarder librement. (Il ne sait, évidemment, rien de moi.)

Pilotaz (dont je remanie le manuscrit sans aucun ennui) m’a envoyé 25.000 fr. [francs] avec beaucoup de célérité et de simplicité.
Je n’envisage pas d’aller en Savoie avant la mi-août (en juillet, il y a la Bretagne). Y amener qui vous savez ne me paraît pas possible : il m’avait invité avec mon amie (qui ne peut quitter Paris à ce moment là, sauf peut-être pour un week-end) ; mais de là à me présenter avec une femme et une fille, belges de surcroît…
(Ne m’en écrivez pas, n’est-ce pas?)

Je travaille à mon Homo eroticus . Quant à Fouquières, cette (sotte) affaire tourne à la consternation générale : Horay (Ed. [Éditions] de Flore) paie avec des retards inquiétants, le manuscrit prend des proportions de fleuve, dans lequel se noie l’auteur lui-même, et je suis, pour moi, affolé d’avoir à canaliser cette incontinence sénile.

Non, pas de Mauvais Œil dans la dernière Gazette . Mais il y en aura un, en plus du papier sur la peinture, dans la prochaine, où je croise le fer avec quelques championnes du « féminisme de choc » (« Argus et les Amazones »)
Pas non plus de Palais-Royal (il a fait trop chaud).
Ni de photos, par suite de la défaillance d’un(e) de mes modèles, prise soudain de pudeur.
(La-relative-sagesse à quoi je suis contraint, pour de multiples raisons, ces années-ci, me donne un curieux sentiment de vieillissement, de détachement – pas tellement agréable…)

Je suis bien content d’avoir reçu vos deux billets
Mais encore une fois, ne vous obligez surtout pas à répondre aux miens. L’important est qu’il ne vous agace pas de les recevoir.

À samedi. Votre ami
Claude Elsen

Au fait, je crois vous avoir naguère fait part d’une question que je me posais, savoir : que peuvent être les rêves d’un aveugle de naissance (qui n’a, donc, aucun « matériau » visuel,– images, formes, couleurs – pour les composer) ?
Je viens de pouvoir en interroger un(e) là-dessus. Elles me dit que ses rêves se composent d’images qui sont la transposition, la transcription « visuelle » (si je puis dire) de perceptions et de sensations tactiles . Le psychisme serait donc en mesure de créer des images sans se référer à la vision de la réalité.
Oui, mais quid d’un aveugle qui serait aussi paralytique ? Jusqu’où va ce pouvoir créateur de l’imagination ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Voici les deux manuscrits que vous m’avez confiés, et une note sur le Margerit (décevant).
Quant à l’ « Index de la Cruauté », il est, n’est-ce pas, franchement mauvais ? G.G. [Gaston Gallimard] l’ayant refusé, je ne pense pas qu’il soit utile que je fasse une note dessus ? C’est abominablement écrit, et, sous des allures révolutionnaires (ou se voulant telles), un tissu de banalités.

Bien entendu, dans l’intervalle de nos rencontres, n’hésitez pas à me faire [tenir?] tout manuscrit dont il vous arrangerait de me confier la lecture.

Une lesbienne de mes amis me demande de lui renseigner – s’ils existent – des ouvrages, techniques, romancés, clandestins ou non, sur le sujet. Mais les érotiques « classiques » ne lui paraissent acceptables, à elle et à ses consœurs, que dans la mesure où n’intervient aucun élément masculin : les « spécialistes » ont de ces exigences (ou préjugés…)
À première vue, je ne vois que « Les deux gougnottes » de Monnier,- et encore y est-il fait précisément allusion au mâle.
Cet exclusivisme est bien ennuyeux (à tous égards).

Considérant des nus photographiques, retouchés pour complaire aux [moroses?] policiers, je me disais que cette épilation atteint le but opposé à celui qu’elle se prétend. Chacun sait qu’en matière d’érotisme visuel, l’attrait n’est pas dans la chose vue , mais dans la chose dissimulée . En sorte que par un curieux mécanisme, le poil effacé devient plus obsédant qu’il ne le serait, visible.
Transposez la chose sur le plan de l’expression littéraire – cela ouvre de curieux horizons…
(Je ne sais pas pourquoi je vous dis cela.)

Je n’ose plus, même pour vous dire ma gratitude, vous parler de tout cela : carte, Lourmarin, traductions, Reader’s, etc. Il finit par me gêner de ne jamais trouver votre amitié en défaut…
À bientôt, n’est-ce pas ?

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Savez-vous qui gravite autour des Éditions Pierre Seghers ? La Table , leur ayant écrit pour demander qu’on envoie certain livre à mon adresse, en a reçu un coup de téléphone dont l’auteur désirait savoir s’il y avait quelque chose de commun entre M. Claude Elsen et M. Gérard Delsenne. (Avec un louable souci de discrétion, on a répondu que non, le téléphoneur, paraît-il, étant peu amène.) Je me demande qui Gérard Delsenne peut connaître dans cette maison, et pourquoi cette curiosité. Mais c’est sans doute sans importance, et mon (léger) souci injustifié.

À tout hasard (n’y voyez aucune insistance déplacée), je crois bon de vous signaler – à propos de Lourmarin – qu’il se confirme que nous irons sans doute en Bretagne du 8 au 30 juillet environ. Voilà pour les vacances.
Mais Lourmarin est, aussi, bien tentant. Il me semble que ce doit être le site idéal pour se déprendre de l’agitation, de la dispersion parisiennes, et travailler plus sereinement. Si, grâce à vous, j’avais l’occasion d’y aller en août, ne fût-ce qu’une ou deux semaines, je serais bien content. Et, toujours si c’était dans la règle, mon amie essayerait de m’y rejoindre pendant quelques jours (elle pourrait sans doute avoir une petite semaine de congé supplémentaire, et comme elle voyage gratuitement…)
J’insiste , bien entendu, pour que cela ne vous prenne ni temps, ni démarche importune.

Sans doute verrai-je la semaine prochaine M. Orengo (de Plon) pour mettre au point la question de l’ouvrage qu’il est question que je traduise pour lui, et celle de l’essai auquel je m’attaquerais après les vacances. J’espère que cela se réglera favorablement, et me permettra de décharger quelque peu votre amitié du souci de m’aider sans cesse. Je vous dirai.
(Savez-vous à quel point il peut être embarrassant d’être ainsi l’objet d’une constante bienveillance, sans pouvoir y répondre autrement que par de l’amitié ? Non, vous ne devez pas savoir. Et c’est en même temps un sentiment ambigu, car la gêne s’y mélange d’une certain chaleur assez rassurante…)

Discuté avec Dumay vos réponses à mes questions (l’ « entretien » est paru ce matin, vous l’avez sans doute). Il semblait enclin à vous faire grief de vous être uni, dans la résistance, aux communistes, de n’avoir pas, en ce temps-là, envisagé ce que serait leur comportement ensuite, et le parti qu’ils essayeraient de tirer de votre collaboration (si j’ose dire ; ce mot est devenu d’un emploi délicat…). J’ai essayé d’expliquer ce que je croyais avoir été votre position. Débat pour le moins paradoxal, si l’on sait quelle était alors la mienne. Les rôles étaient, en quelque sorte, inversés…
Mais je ne méprise pas l’enseignement de ce genre de discussion : il me fait sentir (même tardivement) la relativité de la vérité, la fragilité de la raison et des raisonnements en matière de politique – où je crois bien être désormais incapable d’avoir rien qui ressemble à une « opinion ».
S’il est vrai qu’il n’est, selon Saint-Just (cité par vous), que des patriotes et des agents de l’étranger, moi qui n’ai jamais été, ou eu conscience d’être, ni l’un ni l’autre, et moins que jamais ne suis l’un ou l’autre – pas plus qu’un « partisan » - comment voulez-vous que je prenne parti, ou suive ceux qui le font ?
Il y a quelque quinze ans, il est vrai, au cours d’un débat public sur l’Écrivain et la Politique – j’avais vingt-deux ans… - Charles Plisnier, alors d’extrême-gauche, me qualifiait déjà de « négateur pur et d’anarchiste bourgeois ». Est-un « parti », cela ?

Excusez, encore une fois, ce long bavardage.
Et à mercredi, 11h30, sauf avis de vous.

Votre ami
Claude Elsen

(J’aurai demain, sauf imprévu, l’ampoule électrique dont nous parlions.)

Votre mot. Je reverrai les épreuves, s’il n’est pas trop tard. Je croyais avoir rendu notre « grammairien » aussi humain et séduisant que possible,- mais sans doute ai-je de l’humanité et de la séduction une idée assez particulière… (Il faut toujours me dire tout ce que vous pensez de ce que je vous donne à lire. Votre avis compte beaucoup pour moi.)

CE.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Gardez-vous bien : j’ai rêvé la nuit dernière que je recevais de vous un mot par lequel vous m’annonciez que l’on venait de vous amputer des deux jambes…

Vous ne m’avez pas dit si le Marot « allait ».
Le double m’en retombant sous les yeux, s’y relève un affreux lapsus calami (ou machinae). À la 11e ligne du premier feuillet, j’ai cité : « donner un sens plus pur aux mots de la cité  » (pour tribu ). Mais vous avez peut-être rectifié vous-même ?
Merci, en tout cas.

Pilotaz m’écrit pour me proposer, avec une très élégante simplicité, de m’envoyer 50.000 fr. [francs] destinés à payer mon travail et mes frais de voyage, en Savoie, en août.
(Bien entendu, je proteste contre cette hâte et cette générosité).

À lundi, comme convenu

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir à changer à votre « Préface à toute critique ». J’en aime beaucoup (entre autres) la partie III. Je me suis permis de corriger quelques fautes de frappe, pages 9, 11 et 12 (à moins que vous ne teniez personnellement à « parti-pris » ; chacun a ses petites idées là-dessus, et j’écris toujours « bon-sens », dont le trait d’union n’est pas non plus admis par les docteurs…)

Voici le Marot . Ce n’était évidemment pas un sujet extraordinairement « inspirant » (pour moi). Faites-moi, bien entendu, réserves et critiques.

Voici enfin ces Lettres en vers , où vous trouverez peut-être des choses amusantes.

Avez-vous vu l’enquête ouverte par Char dans Empédocle (sur les « incompatibilités » ) ? Il y aurait des choses intéressantes à répondre (par exemple, sur l’incompatibilité existant entre la « vérité » politique et la vérité intellectuelle ou morale).

Si vous communiquez avec Chatté, rappelez à son bon souvenir mon ami Thuélin, libraire, 20 rue des Écoles, qui aimerait beaucoup qu’il se mette en rapports avec lui.

Peut-être pourriez-vous suggérer aussi à Fautrier-Aeply de se mettre en rapports (de ma part) avec Guy Rocca, 110 bis rue de Crimée, XIXe . C’est lui qui a mis au point ce vernis blanc dont je vous parlais et dont les résultats me paraissent remarquables. (Je vous signale à tout hasard que Rocca quitte Paris vers le 12 ou le 13 juin pour quelque temps.)

Excusez ma prudente défaillance en ce qui concerne le déjeuner projeté (avec [Bremier?]).
Et à bientôt, n’est-ce pas ?

Votre ami
Claude Elsen

(Il faudrait que vous me fassiez tenir avant mercredi vos deux textes pour la Table – à moins que vous ne les envoyiez vous-même à Le Marchand au plus tard vers la fin de la semaine.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Entendu : je ne viendrai pas lundi, mais samedi (sauf avis de vous).

Rassurez-vous pour la Table  : Le Marchand fera certainement le nécessaire, et je m’en assurerai de surcroît. Mais l’ordre de composition des textes est assez fantaisiste, et vous pourriez aussi bien ne recevoir l’épreuve de votre Rousseaux que dans 8 ou 10 jours. (Je n’ai pas encore celle de ma chronique, remise une semaine au moins avant vos articles.)

Ne pensez plus à ce que je vous demandais touchant Braque : le papier qui m’est demandé doit être remis mercredi ou jeudi, je le fais donc d’après ma seule inspiration.

Chatté a vu Thuélin. Merci de le lui avoir rappelé.

C’est bien gênant, ce sentiment qui m’est venu de vous importuner en vous écrivant sans cesse… Il n’est pas nécessaire du tout que vous répondiez à ces billets – mais du moins voudrai-je savoir s’il ne vous agace vraiment pas d’avoir à les lire.
Vous êtes – je vous le dis très simplement – la dernière personne que je souhaiterais ennuyer ou indisposer. (Je dis : la dernière, parce que, en général, la sympathie ou l’antipathie que j’inspire me sont assez indifférentes…)

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Marot : oui, volontiers (de préférence aux autres) et dans le délai fixé.
Vous me donnerez plus de précisions lundi. Je m’emploie à (re)mettre la main sur ses œuvres complètes, ce qui n’a pas l’air tellement facile : il y a le Marot des « Classiques Garnier », mais le tome I est épuisé. Peut-être pourriez-vous m’aider ?

Ci-joint notes sur Pilotaz et Weingarten (je vous remettrai les ms. [manuscrits] lundi).
À celle sur P. [Pilotaz] j’ai ajouté quelques suggestions sur les remaniements qui me paraissent souhaitables.
(Ces notes son [sont] peut-être trop laconiques?)

Bonnes et encourageantes nouvelles, en effet, pour Comœdia !
Il me paraît tout à fait inutile de vous dire que vous pouvez recourir à moi à tout moment, de toutes les manières et autant qu’il vous plaira.

Puisque nous parlons « affaires » : j’ai passé accord hier avec M. Orengo (directeur littéraire chez Plon) pour la traduction de Lead, Kindly Light, de Vincent Sheean, sorte de Pèlerinage aux sources d’un Américain qui a vécu avec Gandhi (ce n’est pas sans intérêt).
Je touche 35.000 d’acompte le 1er juin et la même chose à la livraison du ms. [manuscrit], le 15 octobre.
En gros, mon « minimum vital » semble donc à peu près assuré jusqu’après les vacances d’été. Je n’en demandais pas plus.

Tout cela représente pas mal de travail. Je songe vaguement, pour m’y consacrer, à passer, soit en juin, soit plutôt en août, quelques semaines hors Paris, dans quelque coin tranquille, économique et peu éloigné (vallée de Chevreuse, par exemple). Peut-être connaîtriez-vous un endroit de ce genre, à prix doux ?
(Bien entendu, je sais d’avance qu’en juillet, en Bretagne, je ne ferai rien pendant 2-3 semaines : la mer exerce sur moi une espèce de fascination qui m’ôte jusqu’à l’envie de lire…)

Après beaucoup d’hésitation, je me suis décidé à manger le gâteau de pistaches. C’est aussi délicieux que séduisant à l’œil, en sorte qu’en le croquant, on a le sentiment ambigu de se frustrer d’un plaisir durable (visuel) pour en connaître un non moins vif, mais fuyant. Comme dirait Benda : je [livre?] ceci à la réflexion des moralistes…
(Le mécanisme érotique n’est pas tellement différent, au fait.)
(Et j’ai aussi l’impression que ceci est fort banal.)

(suite)
Voilà pour les « affaires courantes ». Il n’est pas indispensable que vous fatiguiez vos yeux à lire le reste.

Je crois que tout homme a un point de moindre résistance, dont le contrôle lui échappe. Ainsi de mes sentiments pour ma fille. C’est en pensant à elle beaucoup plus qu’à moi-même, dont le sort ne m’intéressait plus guère, 1° qu’en 1945 j’ai « choisi la liberté », 2° qu’ensuite j’ai essayé de tenir le coup. Avec d’ailleurs, dans les très mauvais moments, une espèce de révolte contre son existence dont la pensée m’empêchait de disposer librement de la mienne. Mais l’idée de ne pas la revoir (avant de mourir par exemple) m’était intolérable,- ou l’idée qu’elle pût avoir un père en prison et ne pas comprendre pourquoi. En 45, en Allemagne, le jour de mon arrestation, le hasard a fait que je sois « interrogé » dans une pièce du C.I.C. [Counter Intelligence Corps] américain dont la fenêtre donnait à peu près sur la chambre (de l’autre côté de la rue) où étaient ma femme et ma fille. On ne voyait rien, mais on entendait. Et j’ai entendu ma fille éclater en sanglots (elle avait cinq ans). Eh bien, cela m’a glacé beaucoup plus que ma propre situation et l’interrogatoire assez… vif que me faisait subir une sorte de gorille.
(À ce propos, et à propos d’ « illusions de langage » : ledit gorille avait trouvé dans mes papiers une ébauche de manuscrit intitulé Le grand jeu. Connaissant très mal le français, il avait lu cela : Le grand « jew », c’est-à-dire « juif », et soutenait qu’il devait s’agir d’un pamphlet antisémite. Juif lui-même, il le prenait fort mal, et entendait me le faire comprendre avec beaucoup de vigueur. Le curieux, en pareil cas – enfin pour moi – c’est que si… mal à l’aise qu’on soit, il y a une part de soi qui reste, ou devient, « spectatrice » de la chose, avec une espèce de détachement lucide, froid, presque ironique. Mais il ne faudrait sans doute pas que les choses aillent trop loin, j’imagine.)
Encore aujourd’hui, j’essaie de ne pas penser trop précisément à ma fille : cela me fait un mal bizarre, me donne comme le sentiment (physiquement pénible) d’un manque, d’une frustration. Ce qui ne veut pas dire nécessairement que je sois un bon père, bien entendu (en ce qui concerne le refus du suicide, par exemple, il s’agissait peut-être, simplement, d’un alibi que se donnait mon instinct de conservation).

Oui, je sais, j’ai pris mon parti d’avoir l’air « prétentieux » ou « dédaigneux ». On me l’a dit si souvent que cela doit être vrai (mais on me le dit généralement lorsque cette première impression – fausse – s’est dissipée, ce qui est plutôt réconfortant). J’ai d’ailleurs parfois été amusé par l’idée que j’avais pu intimider des gens qui m’intimidaient bien davantage…
Quant à ce que vous appelez « cruauté », et mon amie « sécheresse » (elle me dit : « Tu es un cerveau et un sexe ; entre les deux il n’y a rien »…), c’est peut-être aussi le masque (inconscient) que s’est donné une certaine faiblesse de caractère que mon esprit sent avec déplaisir et contre quoi il s’irrite depuis vingt ans, au point que je finis par être seul à en avoir conscience.
Pardonnez cette complaisance introspective : c’est qu’il est toujours curieux d’essayer de se voir avec les yeux des autres, comme si l’on était soi-même un autre. Je reviens ici au « spectateur » dont il était question plus haut,- et peut-être en effet que lui est « sec » et « cruel », après tout…

À vous
C.E.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Quelle longue et bonne lettre… Merci. Mais c’est de la provocation (à vous répondre aussi longuement…)
1°/ Dumay (la Gazette ) semble enchanté de l’ « entretien ».
2°/ Votre proposition de travailler dans votre bibliothèque est trop gentille. Je ne l’oublierai pas. Pour l’instant, il me semble que je vous ennuie déjà suffisamment sans cela.
3°/ Il faut me confier tout manuscrit que vous n’êtes pas absolument tenu de lire vous-même, en me précisant seulement si vous souhaitez une simple appréciation ou un « rapport » circonstancié. J’y compte, n’est-ce pas ?
4°/ Lourmarin  : oui, je serais bien content d’y aller. Ce serait seul (mais mon amie – qui, si elle ne dispose pas de nombreux jours de liberté, du moins voyage gratis – y passerait peut-être un week-end?). Nous espérons aller en Bretagne, en juillet, durant une quinzaine. Avant (juin) ou, mieux, après (août ou septembre), il me semble que je pourrais y faire de bon travail.
5°/ Traduction(s)  : oui, bien sûr, si l’occasion s’en présente ! C’est un travail qui n’engage guère l’esprit, et un excellent « exercice ». En outre, il faut bien vivre…
6°/ Carte  : ci-joint modèle de celle qu’on trouve toujours dans le commerce. Ce n’est évidemment pas le modèle « officiel » , fourni par le Préfecture,- mais il ne faut peut-être pas être trop ambitieux, et il me semble que ce serait déjà mieux que rien. À tout hasard, j’y ai joint les indications d’état-civil. Mais peut-être peut-on la remplir après coup, pour éviter les indiscrétions possibles ? Je vous laisse juge. De cela, merci comme de tout le reste (et plus encore).
7°/ Samedi, 11h30, avec joie.

Votre ami
Claude Elsen

jeudi matin.
Je reçois votre mot. Ce que vous me dites de Comœdia est fort ennuyeux. Cela ne va-t-il pas m’obliger à rentrer chez Lang en juillet-août si c’est encore possible – ce dont, par surcroît, je doute fort...

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Votre silence (épistolaire) depuis deux semaines me donne des scrupules : je crains que mon goût pour ce mode d’expression et d’échanges ne finisse par vous excéder un peu.
Il faudrait, bien entendu, me le dire.

Je serais heureux pourtant si vous pouviez me dire comment acquérir les reproductions « Aeply » (pour l’amie canadienne dont je vous ai parlé).

Un propos d’ « Argus » (dans la « Gazette des Lettres ») sur le féminisme littéraire m’a valu plusieurs lettres [vitriolesques?] de dames-écrivains, dont une (de 12 pages) de Mme Françoise d’Eaubonne, romancière, adressée à Madame Claude Elsen (suite, sans doute, à certain écho des « Lettres françaises » que vous savez) et m’accusant proprement de trahir mon sexe (le « deuxième »)…
(Cela fait une curieuse impression de s’entendre appeler « Madame et chère consœur »…)
De tout cela, je tire la matière d’une chronique – mise au point, qui paraîtra dans 15 jours, et vous amusera peut-être.

Je vous reparlerai sans doute lundi de Braque. Je crois en effet avoir à faire, pour le même numéro de la « Gazette », un papier sur les rapports de l’écrivain avec la peinture. Dans lequel j’aimerais parler de Braque. Pourriez-vous éventuellement me confier pendant quelques jours ses « Carnets » ?
À lundi, en tout cas.

Votre ami
Claude Elsen

Que pensez-vous du temps qu’il fait ? Je suis, pour ma part, absolument « groggy » (le sang nordique s’accommode beaucoup mieux de quelques degrés sous zéro...)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Voici l’Anamorphose et (ci-joint) ce que j’en pense. Vous me trouverez sans doute un peu sévère.
D’ici 2-3 jours, je vous enverrai copie de ma chronique pour la Table , sur les Causes , etc. Là aussi, il faudra me dire si quoi que ce soit vous choque.

Je suis un peu déçu : dans un de vos billets, vous me disiez : « J’aurai, je le crains, plus d’un service à vous demander ». Moi, je ne le craignais pas, je le souhaitais même : il me semblait que cela rétablirait un peu la balance entre nous. Et vous ne me demandez rien. Mieux : vous voulez encore me faire plaisir (je pense à ce que vous disiez à propos de Lourmarin). Tant mieux, il est vrai, si cela signifie que vous allez mieux…
À propos de Lourmarin : j’aurai, bien sûr, 37 ans en juin, mais pas officiellement . Officiellement, Gérard Delsenne n’aura que 35 ans en août. (Parfois je nous confonds…) Ce serait évidemment merveilleux de pouvoir passer là quelques jours, par exemple en juin, ou en août-septembre mieux encore.

Nous n’avons guère pu bavarder ce matin. (Mais Belaval est fort sympathique, et m’a proposé de nous revoir : nous habitons à 50m. l’un de l’autre. Il me semble vous aimer beaucoup.)
Je voulais vous dire ceci :
1°) Je suis assez vexé que Kerchove me dise « prétentieux », ce qui est absolument faux : je serais plutôt timide.
2°) C’est amusant qu’il ne m’ait pas reconnu, dans votre bureau. Je l’ai pourtant rencontré deux ou trois fois à Bruxelles. Son propos me confirme ce qui m’est rapporté depuis plus de deux ans : tout le monde, là-bas, sait que je suis ici. Mais je ne suis sans doute pas assez « intéressant » pour qu’on s’en préoccupe fort, officiellement. Car enfin je suis persuadé que si, depuis 46, on eût voulu me retrouver, ç’aurait été assez simple. Je n’en demeure pas moins prudent. (Au fait : en cas de réunion plénière des collaborateurs de Comœdia , je ne pense pas, n’est-ce pas, qu’il puisse y avoir de quiproquo, de rencontre fâcheuse ? Je ne crois connaître – ou avoir connu, avant – aucun de ceux que vous m’avez nommés. Mais je m’en remets à vous.)
3°) Pour Lang, oui, j’essaie de ne pas couper les ponts. Mais cela me semble difficile, maintenant. C’est surtout du point de vue matériel que j’aurais voulu y garder une porte de rentrée, parce que je ne sais pas toujours très bien où je vais, où j’irai après juillet. Tout de même, il ne faut pas m’en vouloir si j’ai cédé à la tentation de la liberté : ces 4 ans ont été (moralement) très pénibles, je vous assure. Et si c’était à refaire, je ne sais pas si je pourrais. Si je n’avais pas eu une fille, je ne sais pas si j’aurais pu (à vous je peux bien dire que c’est sa pensée qui m’a retenu de me tuer, en 46, par lassitude, et par dégoût – et ajouter, par contre, que si j’ai repris un goût actif à ma propre existence, depuis un an, c’est pour beaucoup à vous que je le dois : quand je vous parle des services que vous m’avez rendus, c’est d’abord à celui-là que je pense, voyez-vous…)

Vous absentez-vous à Pâques, ou si je puis espérer vous voir un des ces jours-là ?

Je suis votre ami
Claude Elsen

M.J. [Maurice-Jean?] Lefèbve : L’ANAMORPHOSE
On pense un peu trop à un pastiche de Jean Paulhan. Je n’ai rien en principe contre le pastiche, mais la forme de celui-ci apparaît à la fois trop appliquée et trop lâche, et sa substance un peu mince. C’est souvent du J.P. [Jean Paulhan] sans contenu. (Les réflexions sur la maladie sont trop directement inspirées par la Lettre au médecin et par certaines des Causes, par exemple, ou celles sur la goutte de vin – p.24 – par la fin du Voyage en Suisse.)
Quelques maladresses gênantes. P.10 : « On pourrait se demander si n’importe quelle région épilée prête à pareil raidissement de l’être ».
Il faut ajouter que la seconde partie (après la p.30) corrige parfois l’impression d’inconsistance laissée par la première.

- C.E.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Nous parlions des Ed. [Éditions] de Minuit. Coïncidence : les hasards de la rue m’ont fait, ce tantôt, croiser Georges Lambrichs, qui les dirige, je crois. Nous nous sommes assez bien connus en Belgique, et je crois que ses sentiments pour moi, de 40 à 44, n’étaient pas extrêmement chaleureux. Il m’a, bien entendu, reconnu.
Je me demande dès lors s’il ne serait pas préférable que je ne rencontre pas trop Brenner, qui travaille avec lui,- pour éviter recoupements(1) , bavardages, etc.
Votre avis ?
Mais je suis ridicule de vous envoyer ce billet, puisque je vous verrai demain.

Affectueusement
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Mais je n’aurais pas manqué de venir, vous pensez bien, si nous en avions convenu ! Il ne me souvenait pas que nous l’ayons fait.
Samedi, volontiers. (Je prendrai le manuscrit Pilotaz du même coup.)

À défaut de dactylo, vous pouvez fort bien me confier vos textes manuscrits : je les « taperai » moi-même, avec plaisir.

La visite de la reine de Hollande a donné lieu çà et là à des contrôles policiers (dans certains hôtels aussi), qui m’ont rappelé l’utilité qu’aurait la carte que vous savez…

Je travaille beaucoup (un peu affolé par les échéances qui se rapprochent).
Ne prenez pas la peine de répondre au mot que vous devez avoir reçu ce matin, ni à celui-ci. Je voudrais d’ailleurs vous écrire un peu plus longuement ce soir ou demain.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Oui, Pilotaz est un homme fort sympathique, aussi peu « homme de lettres » que possible.

Je ne suis pas sûr que Brenner le soit autant,- mais ma prévention contre le groupe des Ed. [Éditions] de Minuit est sans doute assez arbitraire.-
Bien entendu, c’est avec joie que je le reverrais avec vous (et Bisiaux). Le jour qui vous conviendrait.

Vous savez sans doute que Le Marchand a réussi à m’avoir Littérature engagée (de Gide), sortant de presse. Inutile donc de vous mettre en peine à ce sujet.

Le problème ce n’est pas tant de travailler beaucoup, mais de faire plusieurs choses à la fois : il faut, à chaque instant, passer d’un plan à un autre, renouer des fils.
Si j’ai accepté ces multiples travaux (Fouquières, traduction, etc.), vous comprenez, n’est-ce pas, que c’est parce qu’il me fallait assurer mon existence au moins jusqu’à l’automne ? Dans les conditions, un peu spéciales, où je vis, je ne puis me permettre d’aller trop à l’aventure. (D’où le retard subi par mon livre. J’espère que Gallimard ne me fera pas grief de ne lui en donner le manuscrit terminé qu’en août-septembre, au lieu de juillet ? Mais vous m’avez conseillé, je crois, de ne même pas poser la question?)

Ces deux ou trois dernières semaines ont aussi été, moralement, un peu difficiles. Je vous ai dit que de revoir ma femme et ma fille m’avait assez troublé. Il paraît que cela est sensible – même pour qui n’en connaît pas l’exacte raison. On l’impute alors à je ne sais quel détachement, quel durcissement, quelle « absence » (et, de fait…). Cela ne va pas toujours sans quelques complications. Il est vrai – ce n’est pas neuf – qu’on vous reproche toujours assez volontiers l’amour… qu’on a pour vous. Ce qui est plus curieux c’est que, infiniment moins « roué », moins calculateur que je passe pour l’être (aux yeux féminins), ce soit précisément ce qu’on m’accuse d’être – et que, finalement, une absence de calcul presque coupable me vaille d’être paré de tous les douteux prestiges du plus froid « suborneur »…
Bref, il est bien malaisé, et parfois douloureux, d’avoir à vous défendre contre qui vous aime, si l’on n’a pas le courage (ou la cruauté) de le décourager tout à fait.
Je ne sais pas si tout cela est bien clair, ni bien intéressant. Tant pis. J’avais besoin d’en parler. Je ne cherche plus à savoir pourquoi c’est à vous. Votre patience, peut-être, et le sentiment que vous entendez  ? (J’espère que ce besoin permanent de vous prendre pour confident ne vous ennuie pas trop.)

Je vous verrai samedi, onze heures 1 /2 .

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Voici. Pensez-vous que cela aille ?
Et voulez-vous – à votre guise – le transmettre à Claude Mauriac ou me le retourner ?
(Mais si le dialogue est impossible avec les communistes, je voudrais qu’il soit possible entre nous – peut-être dans un prochain numéro de Liberté de l’Esprit . Nous en avons parlé, n’est-ce pas?)

J’oubliais de vous dire que la Gazette des Lettres m’a confié le soin de parler de la Chronique de la peinture moderne d’Arland – que j’aime assez. Je n’en suis pas fâché. Cela me permettra de revenir sur le sujet effleuré dans le papier que vous aviez lu, et sur le thème : les écrivains et la peinture.

À vous
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

(Excusez-moi, d’abord, de vous harceler ainsi, et ne retenez de tout cela que ce qui vous semble en valoir la peine.)
Il y aurait peut-être matière à un « exercice de grammaire des idées » dans le manifeste Sartre-Merleau Ponty [Merleau-Ponty] du n° [numéro] de janvier des Temps modernes . Cela me paraît riche de confusions extrêmement subtiles (comme d’ailleurs la conclusion du papier de Villefosse sur Makronissos). Il ne serait pas question de faire de « politique » ni de traiter la question même des camps, mais de montrer ce que la dialectique que tout cela inspire est fort spécieuse. Qu’en pensez-vous ? (Je songe à quelque chose pour un prochain Lib. [Liberté] de l’Esprit )

Mon ami Gallet, rédac. [rédacteur] chef de « V », m’a convoqué d’urgence. Voilà reparaît, mensuellement, formule de certaines grandes publications américaines, genre Match mais en plus ambitieux, avec moins de reportages, d’actualité et de photos et plus de textes. Ils me demandent des papiers très « opinionés » comme ils disent (c’est ravissant, ce jargon américanisé). Par exemple une défense « percutante » (je cite, toujours) de l’art abstrait, ou d’un Dubuffet. Il n’est pas impossible qu’ils vous « contactent » également. Vous voilà prévenu.
Ils m’ont montré – par exemple – une série de fort curieux dessins « freudiens » dont l’auteur restera innommé, étant, paraît-il, un « collaborateur » notoire, emprisonné depuis 44. Ces dessins seront sans doute présentés et commentés par Cocteau. Ils me proposaient de le faire, mais, bien que flatté, j’ai décliné (vous comprenez pourquoi).

Je suis un peu affolé, un peu débordé par tout cela.

Mais comment vont vos yeux ?
J’aimerais beaucoup vous voir un moment, quelque matin prochain.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Ah, merci. Je suis bien content. Vous savez, je n’ai jamais cessé d’étouffer, chez Lang, même si je n’en parlais pas (on a de ces pudeurs).
Alors, voici : oui, une collaboration fixe et régulière, comme cette chronique radiophonique (ou autre) qui m’assurerait le minimum vital, ce serait le mieux (sans compter que cela ne m’empêcherait pas d’écrire aussi ce livre). Si vous pensez que cela pût se faire, j’attendrais. Quitte, si cela ne se fait pas, ou est remis à plus tard, à adopter la solution du congé de longue durée, d’ici quelques semaines. En somme, il me reste une fois de plus à m’en remettre à vos conseils. Ce que je fais.

Je termine le papier pour Liberté de l’Esprit . Il y est question de vous, aussi. J’espère en avoir fini samedi ou dimanche, au plus tard. Je vous le ferai lire, avant de le donner.

M. Baudy (d’Évidences ) m’a demandé
1° d’autres articles (je pourrais peut-être lui proposer quelque chose sur les dessins et les peintures de Michaux ; mais il faudrait l’illustrer) ;
2° d’insister auprès de vous pour que vous lui donniez quelque chose ;
3° et pour que vous l’aidiez à trouver poèmes inédits ou bonnes pages, susceptibles d’éclairer sa revue.

Quant à Madame Roubé-Jansky, elle voudrait qu’à partir du mois prochain je consacre quelques heures par jour à l’aider dans ses travaux pour Samedi-Soir, France-Dimanche et autres digestes. J’ai laissé la question en suspens jusqu’à nouvel ordre. (Ce serait un pis-aller.)

Avez-vous vu l’information ci-joint ?

Je suis votre ami
Claude Elsen

(Le plus important : pour les yeux, s’il ne s’agit pas de troubles visuels mais de fatigue ou d’irritation, l’un des meilleurs oculistes de Paris m’a conseillé l’usage régulier de bains oculaires d’OPTRAEX . C’est un produit simple, sans contre-indication et très efficace. Je l’emploie depuis longtemps et m’en trouve fort bien.
Bien entendu, si je pouvais vous décharger de quelques travaux urgents et fatigants – lecture, copie, correction de texte, que sais-je – il faudrait me le dire.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Voici le ms [manuscrit] Legrand.
Voici aussi le texte de cette causerie. Six pages (maximum ), et s’adressant à l’auditeur « moyen » de la radio, cela ne permet guère d’aller bien loin ni bien profond.
Je serais très heureux si vous vouliez bien me remettre ce texte demain mercredi , à 6h, à la nrf [Nouvelle Revue Française], où je passerai vous voir. Ce qui me permettrait soit de le retoucher le soir-même, soit de le remettre tel quel jeudi à Lutigneaux, qui l’attend. (J’en profiterai pour lui reparler du reste).
À demain (mercredi), donc.

Votre ami
Claude Elsen

Surtout n’hésitez pas à corriger ce qui vous semblerait faux. (Mais laissez-y ce qui vous semblerait – je vous connais – trop flatteur : c’est, après tout, mon affaire, cette fois !..)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

J’ai revu R. [Roger] Lutigneaux.
Pour la causerie-lecture, tout va bien : j’enregistre mon texte mardi ; Jean Denynx [Deninx?] (de la Comédie Française, je crois…) lira deux extraits des Fleurs , et un dialogue de l’Entretien (il se peut que je lui donne la réplique…). Le tout passera le jeudi 26 à 8h30 (du matin).
Vous trouverez ci-joint
1°/ un mot de moi pour G.G. [Gaston Gallimard] où je lui présente l’affaire de l’édition des conférences (lisez-le, bien entendu)
2°/ une note de Lutigneaux
3°/ quelques documents sur les émissions en question.
Puis-je vous demander de transmettre tout ceci à G.G. [Gaston Gallimard] ?
Merci.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

J’ai vu M. Lutigneaux. Tout va bien de ce côté. Je parlerai donc des Fleurs de Tarbes le jeudi 26, à 8h45* (comme cette causerie sera préalablement enregistrée, je pourrai m’écouter moi-même…)
Ce sera sans doute Pierre Bertin qui lira des textes de vous. Extraits des Fleurs et peut-être de l’Entretien sur des faits-divers [faits divers]. Ou tout autre que je suggérerais. Au fait, vous devriez me dire s’il vous plairait ou vous paraîtrait souhaitable que j’en propose l’un ou l’autre en particulier.
Je pense vous soumettre le texte de cette causerie d’ici une huitaine, avant de l’envoyer à M. Lutigneaux, qui aimerait l’avoir dans quelque dix jours.

Le Marchand se propose de publier votre note sur Sartre en tête du numéro du 1er novembre. Il aimerait l’avoir également d’ici une huitaine. Longueur à votre discrétion.

Il me reste à me mettre au travail. (Je viens aussi de recevoir plusieurs « commandes » pour « V-Magazine », qui est un inavouable torchon, mais paie fort généreusement. Je ne puis, en ce moment me permettre de rien refuser. Mais je suis un peu débordé…)

J’attends – si vous en avez à me donner – des nouvelles du côté de chez Gallimard. Voilà qui me permettrait peut-être de ne pas tomber dans les pièges de la polygraphie alimentaire…

Votre ami
Claude Elsen

(Cette référence mystérieuse était portée sur la fiche que vous m’avez remise avec le n°[numéro] de téléphone de M. Lutigneaux. Je vous la retourne à toutes fins utiles : [traces de déchirures sur le papier]

Je reçois votre mot. Fort bien. Je verrai GG [Gaston Gallimard?] lundi, 11h – et passerai vous voir aux Arènes à 18h.
(Je reçois en même temps que votre mot un coup de tél. [téléphone] de Laudenbach, qui me demande 1°/ d’interviewer Gonz. [Gonzague] de Reynold pour « Réforme » ; 2°/ de condenser les énormes romans de Troyat pour Paris-Presse… Je suis l’homme-orchestre en personne.)

CE

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

M. Robin m’envoie les formulaires à remplir pour l’obtention de la carte de journaliste.
Le postulant est tenu de produire un extrait de casier judiciaire ayant moins de trois mois , à demander au Tribunal civil du lieu de naissance.
La question est donc réglée – négativement, hélas – en ce qui me concerne.
Merci, néanmoins, de l’appui que vous m’aviez gentiment offert.

J’ai votre n°[numéro] « occultiste » de la Table.
Le Marchand est très désireux d’avoir une note de vous sur Sartre, comme je le pensais.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Ceci vous amusera peut-être : c’est le début de ma prochaine critique pour la Table . Je vous fais grâce de la suite, qui traitera de quelques livres d’un intérêt relatif.

Au cas où la co-traductrice à qui j’ai fait appel me ferait défaut, ne connaîtriez-vous pas quelqu’un qui accepterait, sans trop en faire une question d’argent, de traduire pour moi quelque 200 ou 250 pages du livre dont je vous ai parlé ? À titre documentaire, à la personne en question j’ai offert 100 fr. [francs] la page (25.000 pour 250 pages, à traduire en 3 semaines environ). Ce n’est pas énorme (je ne puis malheureusement pas faire mieux : vous connaissez ma situation) – mais en revanche je promets à l’intéressé(e) du travail, au tarif normal cette fois, dans la collection de romans « fantastiques » traduits de l’américain que va sortir Hachette, et dont je suis « conseiller littéraire ».
Ne me répondez pas avant 2-3 jours : j’attends d’ici là une réponse de Mme Jacqueline Sellers.

Je passe chaque jour par de désagréables alternatives d’espoir et de pessimisme au sujet de l’avenir immédiat (matériellement parlant).
N’est-il pas curieux que les conditions où je vis depuis cinq ans (cinq ans, très précisément, ces jours-ci) ne m’aient pas encore enseigné à vivre au jour le jour ? Je n’étais décidément pas fait pour l’aventure…

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Évidemment. Je connais vaguement Jacques Ch. (pour l’avoir, notamment, vu faire « Opéra », chez Lang). Impossible.
Il resterait à R.D. à faire un autre journal.

Je vous verrai lundi, comme prévu (18h.)
Si ce que me proposera éventuellement G.G. [Gaston Gallimard] ne constituait pas une « base » matérielle suffisante, je me tournerais peut-être, en dernier ressort (et sans enthousiasme), vers « V-Magazine », où l’on me semble accueillant et bien disposé.
Après tout, on ne meurt pas de faire le trottoir… (cela y ressemble un peu.)

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Merci encore de votre appui auprès de G.G. [Gaston Gallimard]. Même si la chose n’aboutit pas,- mais j’ai eu le sentiment qu’elle pourrait aboutir, et, bien sûr, je le souhaite vivement. Ce serait magnifique si, par exemple, à partir du 1er novembre, G.G. [Gaston Gallimard] pouvait me confier ne fût-ce qu’une partie des travaux dont se chargeait Lefèvre, ne fût-ce que quelques heures par jour, ne fût-ce que pour un traitement modeste,- mais qui serait régulier, et me permettrait de ne pas trop me disperser. (Je n’ai pas besoin de vous dire que des travaux du genre Fouquières, Troyat, « V-Magazine », etc., sont à la fois bien absorbants et bien déprimants…)
Vous savez, d’ailleurs, tout cela aussi bien que moi.
Vous me direz si ou quand il convient que je relance G.G. [Gaston Gallimard]

Vous me direz aussi s’il convient que je voie de plus près, avec Lutigneaux, la question de la publication de ses conférences.
La chose paraît l’intéresser – et il m’a laissé entendre qu’elle intéressait aussi certains éditeurs (il m’a parlé de Plon et de Fayard).

Je pense souvent, ces jours-ci, que tout ce qui, depuis deux ans, m’a rendu un peu le goût de l’existence est venu du petit mot de cinq lignes que vous m’avez envoyé, sans me connaître, après certain article de la « Table Ronde »…
Je pense à quoi j’ai échappé, grâce à vous. Le pire n’était peut-être pas ce que je craignais le plus (que je puis toujours craindre, mais à quoi je n’ai plus beaucoup le temps ni le goût de penser), mais cet enlisement dans un ennui, un isolement, un étouffement sans limites. De toute manière, cela aurait mal fini.
Il y a cinq ans aujourd’hui que je suis à Paris. (Il n’y a guère qu’un an que je suis redevenu moi-même.)
Il fallait tout de même que je vous dédie cet « anniversaire »…

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Il m’ennuie un peu de vous parler de mes soucis, alors que les vôtres sont grands (je pense à votre santé). Mais enfin, voici :
Comme je vous l’ai dit, j’ai en théorie, chez Lang, un mois de congé qui prendra fin à la fin de ce mois. Le prolonger sous prétexte de maladie serait difficile – et ne saurait en tout cas me donner, au maximum, qu’un autre mois de sursis (fin avril). À ce moment là au plus tard il faudra soit que j’y rentre, soit que je donne mon congé définitif.
Or j’ai besoin de plus de temps, au moins jusqu’à juin-juillet, pour remplir mes engagements vis-à-vis de Gallimard et des éditions de Flore (mémoires de Fouquières). Et si ces travaux assurent à peu près mon existence jusqu’à juillet, ensuite, c’est l’inconnu .
Le problème est, vous le voyez, assez complexe, et je n’arrive pas à le résoudre. Bien sûr, il y a les perspectives Plon(1) (une traduction cet été, un autre essai ensuite), mais ce n’est pas tout à fait réglé, et ne suffirait pas en tout cas à me garantir un « minimum vital » pour les six derniers mois de l’année (sans parler de 1951, mais à chaque an suffit sa peine…)
Quelque certitude , du genre Comœdia , simplifierait tout. Pensez-vous que je puisse tabler dessus ? Ne craignez pas de me dire. Si je vous prends ainsi pour confident et pour conseiller – sur un plan où je n’aime pas avoir à vous importuner – c’est que, connaissant ma situation exacte, vous pouvez comprendre le sens et l’importance qu’ont pour moi ces problèmes.
Nous en bavarderons un moment dimanche, si vous voulez – entre autres choses.

Votre ami
Claude Elsen

Peut-être pourriez-vous m’avoir (ou me prêter) le nouveau Journal de Gide ? J’aimerais bien le lire – et, sans doute, en parler.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

D’accord avec Le Marchand, je parlerai de la Métromanie et des Causes célèbres dans le n°[numéro] du 1er mai de la « Table ». (Vous serez gentil de me faire envoyer les Causes .)
Le Marchand serait très désireux d’avoir un texte de vous pour la revue. Cela nous ferait plaisir à tous les deux (sans parler des lecteurs). Il vous relancera sans doute à ce sujet dans quelques jours.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Je suis bien content de vous avoir revu.

Voici les premières chroniques d’Argus, où vous glanerez peut-être des détails qui vous amuseront.

Ah, je voudrais bien que Comœdia se fasse. Si vous croyez que la Guerre Mondiale n°III pourrait y paraître en feuilleton (ou en extraits), dites-le moi : je demanderai à Spitz de vous en faire tenir le manuscrit, à tout hasard.

Pensez à moi
1°/ pour les Causes célèbres et la Métromanie (j’aurai certainement l’occasion d’en parler)
2°/ à l’occasion, pour la carte que vous savez (vous me direz s’il vous faut d’autres précisions « biographiques » et, sans doute, une photo?). Je serais évidemment plus à l’aise avec ce document en poche. (Dominique Aury vous a-t-elle dit que nous en avons déjà parlé?)
Merci, en tout cas, d’y avoir pensé. (C’est incroyable tout ce que je vous dois déjà, depuis un an. Je voudrais que vous sachiez combien il m’est particulièrement agréable de ne pas être gêné , devant vous, par le fait de me sentir votre obligé…)

Je voudrais que votre santé se rétablisse rapidement et tout à fait.

Votre ami
Claude Elsen

P.S. Mais je n’aime pas ces prédictions de P. [Paul] Morand, qui rencontrent trop bien mes propres appréhensions. Je suis tellement las, si vous saviez, de jouer les… Cassandre (sans jeu de mots) et d’avoir toujours raison. Tellement las de vivre des temps « historiques »...

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 31 juillet 1950
Cher J.P.,

Me voici rentré, réinstallé – et (déjà) assez inquiet des nouvelles de Belgique. Les grèves et les troubles font évidemment que je ne sais pas si tout va bien pour les miens. Je n’ai bien entendu rien de particulier à craindre pour eux, mais je me méfie toujours des désordres de la rue.
(Voilà aussi qui risque de compromettre le projet de rencontre envisagée pour les alentours du 15 août.)
Ce pays est décidément incurablement stupide. Je me sens de plus en plus apatride…

Je vais me remettre au travail. Il ne manque fichtre pas. J’ai déjà plusieurs papiers à faire – et à poursuivre Homo eroticus , la traduction de Vincent Sheean et les mémoires de Fouquières.
La [Nef?] prépare un n°[numéro] spécial sur l’amour, au sommaire duquel pourrait bien figurer un extrait de mon livre. Je ne pense pas qu’il y ait à cela un inconvénient quelconque ?
Je vais par ailleurs inaugurer ma chronique « romanesque » de la Table .
Empédocle a publié ma réponse (remaniée) à l’enquête sur les incompatibilités, parmi d’autres qui me paraissent bien confuses.
Lisez-vous durant vos vacances champêtres ?

Que faire pour convaincre Noël et [Merinoud?] de ne pas s’effrayer a priori de la « sévérité » de mes papiers ? Leur en envoyer d’autres ?

Je pense à ce « cours par correspondance » dont nous parlions. Comment verriez-vous cela pratiquement  ?

C’est assez curieux, cet état d’atonie où je suis depuis un mois ou deux. Je l’attribuais d’abord à la fatigue physique,- mais il semble que ce soit plus profond : la mer n’y a rien fait. Une espèce d’asthénie, d’indifférence « essentielle ».
Curieux, mais pas tellement agréable.

Votre ami
Claude Elsen

Pensez-vous qu’il y ait bientôt de nouveau du côté de Comœdia  ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (8 août 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 8 août 1950

Reçu de Jean Grenier un mot aimable (et flatteur) à propos de ma dernière chronique de la Table (où je le citais).

Carrefour a posé à une 50aine [cinquantaine] de « personnalités » la question : « Croyez-vous à la guerre ? » Certaines des réponses sont ahurissantes de candeur. Dans le genre : « Non, je n’y crois pas, parce que ce serait trop affreux si j’y croyais... »
La réponse la plus brève et la plus nette est celle de von Choltitz : « La guerre éclatera entre octobre et février ». La plus drôle (involontairement), celle du couturier Jacques Fath : « Je ne peux pas me permettre d’y penser : j’ai trop de responsabilités à assumer… Mais les événements actuels m’ont, en tout cas, inspiré une collection plus sobre que les années précédentes. » Marcel Rochas n’y croit pas non plus, parce qu’il se sent « inspiré », alors qu’il ne l’était pas en 39…

Pour moi, j’essayais d’expliquer que ma hantise présente n’est pas provoquée par la peur mais par l’incertitude. C’est assez différent.
Chaque fois (et cela m’est arrivé quelques fois) que j’ai été dans le cas d’avoir réellement peur, je me suis aperçu (avec étonnement, car je me croyais plutôt lâche) que je me comportais très convenablement, et non sans calme.
Mais j’abomine les perspectives troubles, les situations aux données imprévisibles : avant qu’elles se réalisent complètement, le doute où l’on est, la tentation que l’on a d’imaginer plusieurs solutions possibles et d’envisager toutes les attitudes à adopter, cela est détestable. Surtout, je crois, dans ma présente situation, qui d’une part me donne à imaginer un tas de dangers et de complications supplémentaires, et d’autre part m’interdit de décider librement du comportement à adopter.
Comprenez-vous cela ?

Mais à quoi bon…

Revenons à nos propos sur l’art. Dans l’apologue de la perdrix, je vois ceci : il s’agit « non d’un signe de perdrix, mais de la perdrix elle-même », parce que l’un et l’autre ne font qu’un, objectivement. Mais c’est parce que le « signe » existe aussi dans votre esprit à vous, chasseur, que vous tirez dessus (si c’était un corbeau ou un pigeon, vous ne tireriez pas).
Dans l’œuvre d’art valable, il me semble que la fusion ou l’adéquation du signe et de la chose signifiée sont du même ordre : si l’œuvre est valable, je ne doute pas que la perdrix soit perdrix. Si non, je puis voir en elle un corbeau – ou le contraire. Je n’ai pas ce doute ou cette hésitation avec Braque. Je l’ai parfois avec Vlaminck, par exemple.
En musique, c’est pour moi plus net encore : Mozart ou Bach ne laissent pour moi aucune place au doute (ni Vivaldi, que je viens de « découvrir » avec ravissement). Mais chez Beethoven parfois (et beaucoup d’autres encore plus sûrement) je sens ce hiatus entre le signe (la forme, dirons-nous pour simplifier) et la chose signifiée, qui me paraît soit peu importante, soit franchement inexistante,- comme si la perdrix n’étais plus qu’un corbeau couvert de plumes de perdrix…

Je vous trouve sévère pour Malraux. Oui, sans doute, l’art devenu son propre objet, pour lui, c’est cela que vous dites. Mais je ne crois pas que « cela veut dire : je renonce à chercher ce qu’il signifie ». Simplement, il me semble que cette recherche n’entrait pas dans le cadre de sa Psychologie de l’art : ce serait plutôt l’objet d’une métaphysique ou d’une philosophie de l’art moderne – dont Jean Paulhan a esquissé une ébauche notamment dans certaines pages sur « L’espace sensible au cœur » ou sur Braque, que j’ai lues…
Et ne me dites pas qu’il y a contradiction dans le fait que je parle de métaphysique alors que pour Malraux voit dans « l’art devenu son propre objet » un art qui soit « vidé de la passion métaphysique » : la signification métaphysique de l’œuvre d’art n’est pas nécessairement voulue ou exprimée consciemment par l’artiste. Est-ce parce que Mozart n’a pas sciemment mis dans son Don Juan tout ce qu’on a pu y découvrir par la suite que par exemple l’interprétation qu’en donne Pierre-Jean Jouve (dans un livre de premier plan, à mon sens) est gratuite ou fantaisiste ?
Encore qu’il soit difficile de tenir le monde pour une œuvre d’art, il existe comme une œuvre d’art – et nous savons que plusieurs interprétations de sa signification sont possibles : celle des chrétiens et celle des athées absurdistes ou non-finalistes, pour prendre les plus sommaires. Une seule de ces interprétations a pourtant un sens et une valeur réels, et c’est pour celui qui la fait que le signe et la chose signifiée se confondent effectivement.
Mais j’ai peur que tout ceci soit passablement confus. À vouloir trop simplifier, schématiser…

J’en suis au chapitre d’Homo eroticus sur « Le point de vue de l’Objet ». Au fait, vous en ai-je dit le plan définitif ? À titre documentaire, je le joins à cette (déjà longue) lettre. Les chapitres « cochés » en rouge sont écrits. Les autres sont entamés ou en voie d’achèvement.
J’ai imaginé l’Appendice 3 (Le « dossier » Don Juan) d’abord pour éviter de trop nombreuses ou trop longues citations ou références dans le corps du texte, ensuite pour étoffer le livre, que je craignais un peu court.
(Vous ne m’avez pas dit s’il était souhaitable que je m’excuse de mon retard auprès de G.G. [Gaston Gallimard] et lui demande quelque délai.)

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Si vous êtes rentré, si tout va bien, me ferez-vous signe un de ces jours ? J’aimerais beaucoup vous voir. Il me semble que j’ai mille choses à vous dire.
Quitté Lang depuis huit jours. J’en suis encore au stade de la « réadaptation » : vous aviez raison (je ne l’aurais pas cru), ce n’est pas tellement simple.
J’en reste là, dans l’attente de vos nouvelles. J’aurais trop de petite choses à vous conter. Ce sera de vive voix, quand vous voudrez. (Un matin, rue des Arènes?)
J’espère que votre santé est tout à fait remise ?

Votre ami
Claude Elsen

La dernière nouvelle : son Journal d’un condamné à mort vaut à Robert Poulet un an de prison (en plus de la perpétuité : Ubu n’aurait pas trouvé cela) et cent mille francs d’amende, et, à sa femme, trois mois et cent mille francs également. Humour noir. Mais il est peut-être heureux que l’affaire W. Orlando ne se soit pas faite : cela aurait risqué de compliquer encore les choses.

[horizontalement, en rouge en haut de page] Mardi

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Un premier et rapide regard sur le ms. [manuscrit] Coroli me le remet tout à fait en mémoire. Vous me l’avez donné à lire en mai ou juin dernier, je vous avais, à l’époque, remis à son sujet une note à la fois favorable et réticente. Réticente en ce qui concernait sa longueur et, parfois, son écriture. L’auteur a déjà élagué. Il y aurait encore à retrancher et à légèrement remanier,- et cela pourrait donner, je crois, un livre assez fort .
Qu’attendez-vous au juste de moi ?

Au procès D. [David] Rousset - « Lettres françaises », M. Jean Laffitte (communiste), à qui Me Bernard demandait : « Si par hasard des camps existaient en URSS, les condamneriez-vous ? », a répondu : « Vous me demandez : si votre mère était un assassin, la condamneriez-vous ? Je réponds : Ma mère est ma mère, et elle ne peut être un assassin. » Il me semble que cela va assez loin. En somme, cela rejoint le « Right or wrong, my country » des nationalistes anglais… et autres (cf « La France seule » des maurrassiens).
Ceux-ci objecteront que « my country » c’est ma patrie, tandis que M. Laffitte entend choisir sa mère (patrie). J’avoue que je comprends mieux le second point de vue – même si je ne le partage pas plus que le premier. Car, je vous l’ai dit, je n’ai jamais eu (et beaucoup de choses sont venues de là) le « sens » patriotique ou nationaliste. Et je me suis toujours demandé au nom de quoi on pouvait reprocher à quelqu’un ce manque, plus que le manque de foi religieuse, par exemple. Comment pourrait-on trahir une chose, une cause ou une idée à laquelle on ne croit pas ?
Pouvoir dire cela tout haut (1)

Nous étions bien contents, samedi soir, Yvette fût-elle un peu intimidée (me dit-elle), et moi malgré tout un peu déprimé par les circonstances. Comment échapper à cette fascination morose, dites-moi ? Comment cesser de penser que si le pire n’est pas toujours sûr – comme dit Claudel – il est à tout le moins possible, voire probable, et n’en pas être un peu paralysé ?

Votre ami
Gérard

P.S. Pour l’incident Lambrichs-Brenner, ce que je voulais vous demander se ramène à ceci : 1°/ savoir si l’un des deux, ou les deux, ont fait la « conjonction » Elsen – G.D. [Gérard Delsenne], 2°/ si oui, s’assurer qu’ils n’en ébruiteront rien. Si le 2° en tout cas vous paraît probable, tout va bien.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Entendu et merci : je vous verrai demain, entre 6 et 7, à la nrf [Nouvelle Revue Française] (où j’aurai vu Queneau un peu plus tôt). Nous avions envie de voir les Caves , et je songeais vaguement à vous en parler. Merci d’avoir pensé à des places « invisibles » - car j’imagine que, mercredi, il y aura foule de gens connus…

Nous réglerons, demain, la question de samedi.
Vous me direz aussi si et comment, selon vous, je pourrais voire Kerchove. (Peut-être me donnerez-vous son livre.)

Les réactions alla Mistler (concernant Mme de Merteuil) ont le don de m’exaspérer,- un peu comme celles des maris jaloux. Chacun sait, au demeurant, que ces derniers sont beaucoup plus souvent cocus que les autres.

Croyez-vous vraiment à la valeur de « mythe » du Silence de la Mer  ? Il me semble que ce sont les circonstances et le hasard qui font les mythes, et je crois que publié en 40, en 44 ou depuis, le Silence serait passé inaperçu (exactement comme, si le Roman de Tristan avait été écrit un siècle ou deux plus tard, il aurait perdu tout signification « mythique »).

C’est-à-dire que si la France avait organisé sa défense en 1938 (après Munich) il n’y aurait, en effet, peut-être pas eu de guerre en 39. Mais les Russes laisseront-ils aux « Occidentaux » le loisir de se préparer ? Et ceux-ci le feront-ils assez vite ? Et les Américains auront-ils une parcelle de cette lucidité politique qu’on leur cherche en vain depuis dix ans ? (Je viens encore de relire quelques unes des prophéties de Drieu : c’est assez saisissant).
Cette façon d’envisager Munich comme une pause, qu’il fallait mettre à profit pour se préparer, était celle de Robert P. [Poulet?] (et, je crois bien, des maurrassiens). Je vous avoue tout de suite que, pour moi, pacifiste absolu et anti-nationaliste, j’y voyais plutôt une occasion de faire la paix (et l’Europe) avec l’Allemagne. Mais je doute que la chose soit possible aujourd’hui – à supposer qu’il y ait un « Munich » coréen. Entre l’URSS et les USA, l’incompatibilité est totale. Ce sera l’une ou les autres – et vraisemblablement l’une, hélas (bien que les autres ne soient pas tellement plus sympathiques, après tout).

Avez-vous lu l’annonce de la mort de Shri [Sri] Aurobindo, l’un des trois ou quatre grands Indiens ? Avez-vous vu que, sans être embaumé, son corps reste intact ?

Je vous serre la main.
À demain
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Oui, bien sûr, je suis d’accord pour remanier tous les ms. [manuscrits] que l’on voudra ! Merci d’avoir pensé à moi.
J’attends donc des nouvelles de vous, de Queneau, de [Wermand?].

Vercors : on ne songe pas à lui reprocher de poser la question (tout de même, il n’est pas le premier…), mais de lui proposer des réponses à la fois simplistes et néfastes par leurs prolongements actuels . Je suis chaque jour un peu plus convaincu que l’intégration (cœur et esprit) au « social » est la pire des duperies, la plus dangereuse des démissions. Toutes les positions que l’on peut adopter, sur ce plan-là, sont à la fois stériles et vaines, toutes aboutissent à quelque trahison (de soi-même).
Je reproche aussi à Vercors de se prendre au sérieux avec une naïveté assez ridicule. A-t-on idée d’intituler son discours « Postulat apodictique » ? De se vouloir « un écrivain responsable devant les hommes » ?
Je n’ai pas parlé – par pudeur – du Silence de la mer . Mais entre nous soit dit, je trouve ce livre (et plus encore la pièce et le film qu’on en a tirés) passablement ridicule(s).

Pour ce qui est de la question, telle que vous la posez : « Comment se sentir chez soi dans le monde et pourtant n’avoir de cesse qu’on ne l’ait changé ; comment en être à la fois dégoûté et ravi ? », ne croyez-vous pas
1° que ce n’est pas du tout sous cet angle que V. [Vercors] voit les choses ;
2° que n’importe lequel des écrivains ou des peintres que nous aimons la pose de manière beaucoup plus aiguë (même si c’est implicitement) par le seul fait qu’il écrit ou qu’il peint.

Que pensez-vous du tour que prennent les affaires internationales ? Il me semble que l’on en est arrivé à une impasse qui n’a plus d’autre issue que la guerre, et que la date de celle-ci dépendra uniquement du désir soviétique : ce peut être aussi bien demain que dans 3 mois ou un an. Il m’étonnerait que les Russes attendent que les « atlantiques » aient tant soit peu organisé leur défense.

Votre ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Si j’étais critique dramatique je serais fort embarrassé. Car il me faudrait, j’en ai peur, faire un grand effort pour ne pas dire que les Caves sont fort ennuyeuses, si leurs décors sont charmants. C’était assez, nous a-t-il paru, le sentiment des spectateurs.
Le premier acte est plaisant, le deuxième point du tout, le troisième assez interminable. Les « monologues intérieurs » s’inspirent d’une formule dont le cinéma n’a que trop usé. Et l’épilogue a consterné la vieille tendresse que nous gardons tous à Lafcadio : nous croyions écouter du Bernstein (l’interprète de Lafcadio n’arrangeait d’ailleurs rien).
Je suis sûr que ma franchise ne vous causera pas de peine.

Nous avons essayé de vous faire signe, de nos hauteurs, sans y réussir.
J’ai évité de trop manifester ma présence, étant déjà, à l’entrée, littéralement tombé dans les bras de G. [Georges] Lambrichs,- qui m’a d’ailleurs fort aimablement dit bonjour. Il était placé non loin de nous, avec Bremer, ce qui me donne à penser que l’incognito de Claude Elsen se trouve à nouveau passablement compromis. Il m’ennuierait d’avoir encore une fois à vous demander de « neutraliser » la chose, si besoin était. Nous en dirons un mot samedi.
Nous vous attendrons, comme convenu, vers 7 heures, rue des Écoles.

Affectueusement,
Gérard

Vous seriez gentil de nous donner à lire votre présentation du spectacle. Peut-être y trouverons-nous des raisons d’être moins sévères ?
Merci, en tout cas, pour cette gentille invitation, qui nous a quand même fait passer une agréable soirée : il y avait quelques séduisants décolletés (et les décors de Malclès).

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Merci, pour Kerchove. Mais cela étant, il me semble que rien ne s’opposerait à ce que je « renoue » un peu avec lui (il m’est fort sympathique). Vous me donnerez son livre ; si en même temps vous me donniez son adresse, je pourrais peut-être lui faire signe ?

Sauf empêchement grave, je vous donnerai le Gide le 15 – ou le 16. Si, ce 16, vous ne pouviez rester avec nous au moins de 71 /2 à 91 /2 , par exemple, nous changerions nos plans, bien sûr. Nous nous réglerons cela de vive voix, d’ici là.

Je m’enquiers de savoir pourquoi vous n’avez pas reçu la Table .
Et voici le papier demandé. C’est vrai qu’il est joli – mais de mauvaise qualité.

Si nos 5 étages ne vous effraient pas, voulez-vous monter nous dire bonsoir samedi vers 6-7 heures ? Inutile de me prévenir. Si non, dites-moi quel matin, à quelle heure habituelle, je pourrais passer chez vous.

J’ai à tout hasard pris un n° [numéro] de la Table pour vous (pour le cas où le vôtre se serait perdu en route).

Reçu un mot des Pilotaz, arrivés à Coyah sans encombre.

Je vous serre la main
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Je vous ai écrit un peu hâtivement, hier. En oubliant de vous dire que, si je n’étais pas venu vendredi à la nrf [Nouvelle Revue Française], c’était pour ne pas revoir Kerchove sans avoir, d’abord, votre avis. Voilà qui est fait.

Je serais heureux que vous me disiez
1°/ si vous ne trouvez pas trop sévères les notes de « Liberté de l’Esprit » de décembre où je parle de Vercors ;
2°/ votre avis sur ma chronique de décembre dans la Table (en janvier, je parle de Pilotaz, Navel et Calet).

Vous ai-je dit que si, le 16, je préférais que nous nous retrouvions pour dîner (plutôt qu’à midi), c’est pur égoïsme : ma condition physique est, le soir, de 75 % meilleure que le matin…
Bien sûr, si cela vous ennuie, il faudra me le dire…

Vous ne m’avez pas indiqué pour quelle date vous souhaiteriez avoir le texte sur Gide.

Yvette a, je crois, envie de bavarder avec vous. Je crains que ce ne soit à mon propos. Je crains que vous ne sachiez déjà ce qu’elle voudrait vous dire : il s’agit de tout ce que je vous dois, et de la reconnaissance qu’à travers moi elle vous en a. Il faudra que, ce 16, vous soyez indulgent à cette indiscrète démonstration d’une affection dont vous devez bien savoir, déjà, que nous sommes deux ou trois à vous la porter…
Savez-vous que, sans le savoir, je vous ai proposé cette date qui est un curieux anniversaire ? Il y a cinq ans, le samedi précédant Noël, seul dans cette même chambre, je me suis sciemment saoulé pour échapper à la tentation de me jeter par la fenêtre… Jean, je suis revenu de très loin, vraiment. Ce fut, pour une grande part, grâce à vous. (Quand je vous ai connu, le pire était passé, peut-être, mais j’étais loin encore d’avoir retrouvé mon « centre de gravité » : vous devez comprendre qu’il y ait encore des moments où je « flotte » un peu…)
(Si je n’ai pas trop de scrupules à vous écrire ainsi, c’est que les lettres, mes lettres en tout cas, n’appellent ni réponse ni commentaires.)

Et puis, c’est curieux comme on écrit plus aisément qu’on ne parle. Au point qu’on a moins de pudeur à se répéter, vous voyez bien…

Votre plus fidèle ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Je me trompe peut-être, mais il m’a semblé vous trouver mieux allant.
C’est très gentil à vous, en tout cas, de me donner une heure, ainsi, de temps en temps. (Il paraît que mon humeur s’en ressent heureusement…) J’espère que cela ne vous ennuie pas du tout ?

L’ennui que j’ai à parler de ces choses m’a fait oublier de recourir à vos conseils ou suggestions touchant à ma situation vis-à-vis de Lang. L’avenir (matériel) me préoccupe un peu, je vous le disais. (La vérité est que je n’étais pas fait du tout pour la vie « aventureuse » et le jour-le-jour…)

Je suis sûr que Georges Navel exerce un vif attrait sur les femmes ? J’ai toujours envié ces hommes qui joignent une évidente finesse d’esprit à cet équilibre et cette plénitude physiques.

Merci, oui, si vous avez l’occasion de convaincre Hirsch qu’il pourrait m’envoyer quelques livres. (De presque tous j’aurai l’occasion de parler, dans la Gazette des Lettres , la Table, Réforme et Rivarol , qui semble devoir paraître sous peu.)

Si je vous ai reparlé de la carte, c’est qu’une certaine activité de la police dans les hôtels m’a mis, ces dernières semaines, la puce à l’oreille. (Peut-être que, le cas échéant, un passeport ferait aussi bien l’affaire ? À vrai dire je suis peu averti en ces matières.)
À dimanche prochain, n’est-ce pas ?

Votre ami
Claude Elsen

(Je n’ai pas songé non plus à vous redire que si je pouvais de quelque manière que ce fût vous aider à ménager vos yeux – lectures, corrections, copies, que sais-je – il faudrait, évidemment, me le dire.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Je suis fort ennuyé de ces soucis que vous donnent vos yeux. Si votre ophtalmologiste n’y trouve pas remède, vous devriez essayer le Dr Laignez, rue du Cherche-Midi. Je le crois clairvoyant (c’est le cas de le dire). Il y a deux ans, en me scrutant le fond de l’œil (au moyen d’appareils fort curieux) il m’a donné sur mon état général des lumières bien instructives et de précieux conseils (que bien entendu je n’ai pas suivis).

Je crois bien que mon amitié pour Spitz et le goût que j’ai pour les Dames et le Voyage muet me rendent un peu partial, en effet. (On me l’a déjà dit.)
Je lui dirai simplement que Comœdia a déjà un feuilleton. Vous me rendrez le manuscrit à la prochaine occasion.

Il me tarde que Com. [Comœdia ] paraisse : j’écoute déjà la radio avec l’oreille du chroniqueur sagace et vétilleux…

Je fais l’article sur les Causes et la Métromanie pour la fin du moi (à paraître le 1er mai). Vous le lirez, bien entendu.

Votre ami
Claude Elsen

(J’ai souvent envie de vous écrire,- mais je pense à vos yeux.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950

Je ne saurais vous dire à quel point j’ai été sensible à ces quelques mots que vous m’écrivez (« J’ai beaucoup songé à vous, hier »). Auriez-vous donc senti que ces trois jours seraient pour moi – et pour « elles » – une grande chose ?
Il va falloir, maintenant, s’accommoder à nouveau de l’attente. Mais je sais mieux ce qui la justifie et lui donne un sens. Je sais aussi dans quelle mesure votre amitié me la rend plus facile.

Je vous conjure de ne plus me dire que je vous suis, parfois, un petit peu utile. Si c’est vrai, je vous en veux presque de ne pas me demander davantage.

Oui, Braque est un homme rayonnant . Et j’étais assez ému d’approcher l’un de ceux qui m’ont « révélé » la peinture.
Ah, j’aimerais beaucoup lire ses Carnets , et Braque le Patron . Ne pourriez-vous me les prêter ?

Cette lettre est absurde, puisqu’elle me précédera de peu, lundi matin (11h30, n’est-ce pas?).
Je vous l’envoie quand même.

Votre ami
Claude Elsen

Croyez-vous (et pardonnez-moi de vous relancer à ce propos) que le projet Lourmarin se réalisera ?
Croyez-vous aussi que le projet Hirsch ait des suites ?
(C’est qu’il faut tout doucement que je commence à organiser mon existence matérielle durant les mois qui viennent…)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Je n’aime décidément pas ce R. [Robert] Mallet, qui non seulement me « grille » chez G.G. [Gaston Gallimard], mais encore s’empare (sans le savoir, d’ailleurs) d’idées que j’aurais aimé réaliser,- comme celle d’entretiens avec J.P. [Jean Paulhan] à la radio…

Maintenant que je puis un peu souffler ; j’avais envie de reprendre un projet dont nous avions déjà parlé : celui d’un petit livre exotique – dont l’édition eût peut-être intéressé Robert Ch. [Chatté] ? Ce ne serait pas nécessairement de la « fabrication » de basse qualité – enfin, je crois.

Et à propos de Ch. [Chatté], oui, j’aimerais que nous puissions ou que vous puissiez lui parler, un de ces jours, de cette question « carte » ou « extrait ». (Pour l’extrait, ce serait sans doute assez malaisé puisque, théoriquement, il devrait émaner de Londres.)
Je ne pense pas seulement aux suggestion de Belaval touchant l’Unesco – mais j’aimerais tant finir un jour par être débarrassé de ce souci constant, et des ennuis possibles pouvant toujours en résulter.

Et à propos de projets, aussi, n’avions-nous pas vaguement parlé, pendant les vacances, d’une manière de service de « conseils littéraires » aux candidats-écrivains ? Ne me disiez-vous même que vous aviez des idées précises là-dessus ?
Si je pouvais de temps à autre faire obtenir un prix littéraire à quelqu’un, ou seulement un éditeur, cela pourrait devenir assez rémunérateur…

Je termine actuellement deux gros boulots, bien assommants, encore en cours : la « condensation » du monstre de Troyat, et la traduction du livre de Vincent Sheean.
Ensuite, j’achève Homo eroticus . Cela fait – dans quelque 3 semaines – si rien de sérieux et de stable ne se présente, et si vraiment l’affaire « V-Magazine » se présente trop mal (ou ne se présente pas du tout, car cela n’a rien de sûr), il me faudra bien aviser.

Ah, je déteste vous ennuyer avec ces litanies… Que serait-ce si j’étais déjà et vraiment acculé ? (Mais j’ai souvent le sentiment que si cela se produisait – d’ici 2, 3, 4 mois – je serais terriblement tenté de renoncer à poursuivre l’aventure commencée il y a cinq ans et un mois, exactement.)

Pour parler de choses plus drôles : je propose à Claude Mauriac, pour « Liberté de l’Esprit », un article sur le livre de Vercors, Plus ou moins homme , qui m’a bien diverti (sans que l’auteur, bien sûr, l’ait souhaité) et que je recommande au J.P. [Jean Paulhan] de la Paille et le Grain…

Verrons-nous bientôt Marcel Arland ? J’aimerais bien.
Et à ce propos, j’avais envie de revoir Montherlant, avec qui, avant , j’étais en rapports assez cordiaux. Croyez-vous qu’il y aurait un inconvénient quelconque ? (Mais vous n’aimez peut-être pas Montherlant ? J’avoue qu’il est, avec Malraux, un de mes amours de jeunesse, et reste une de mes « faiblesses »…)

Je bavarde. J’ai, une fois de plus, besoin de et plaisir à bavarder avec vous.

Je vous serre la main
Claude Elsen

C’est – en principe – le 11 et le 12 que ma femme et ma fille seront là. Je serais heureux que nous puissions vous voir un moment ensemble. Ne m’en écrivez pas (vous savez pourquoi) : je vous verrai certainement d’ici là.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

On me dit, à la Table , que 3 exemplaires de la revue viennent de vous être envoyés chez vous. S’ils se perdent en route, vous me le direz (ou bien téléphonez, dans l’après-midi, à Laudenbach ou Le Marchand, {DAN 07-29 DAN 04-50).

La vanille et la manille est un texte étrange et beau (savez-vous que – sur un autre plan – il m’a fait penser à votre Lettre au Médecin ?)
Je me demande si la « manille » ne serait pas la masturbation. La « flèche » deviendrait une image du sperme,- et le contexte (p.p. 12, 13 ,17 et surtout 18-19) pourrait donner à penser que Sade souffrait d’un rétrécissement (conséquence fréquente de la blennoragie [blennorragie]).
Que pensez-vous de cette prosaïque interprétation ?

J’écris à P.P. [Paul Pilotaz] que nous pourrions déjeuner tous ensemble le samedi 18 ou le lundi 20. Je vous dirai en temps voulu.

Votre petit mot de samedi, appuyé par les commentaires de mon amie dans le même sens, m’a un peu « remis en selle ». Merci. J’essaie de me convaincre que j’ai un peu plus de raisons que je ne croyais de ne pas « capituler » trop vite.

À propos, la semaine prochaine, avant que nous vous retrouvions, je me propose de mettre P.P. [Paul Pilotaz] au courant. Cela simplifiera les choses.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

C’était fort sympathique, samedi, n’est-ce pas ? Enfin, pour moi : de voir ainsi réunis autour de moi les gens que j’aime le mieux .
Le soir aussi. (J’ai un peu joué à cache-cache avec les photographes de presse, étant, comme vous savez, d’un naturel modeste…)

J’ai été fort touché de la manière dont P.P. [Paul Pilotaz], la veille, avait écouté mes petites histoires. Sur ce plan-là aussi – comme vous le pressentiez il y a plusieurs mois déjà – je crois qu’il me sera « bénéfique ». Savez-vous qu’il projette déjà de m’emmener l’an prochain en Italie – en faisant, d’abord, le nécessaire pour que ce soit possible .

Je transmettrai mercredi à Le Marchand La révolte de Mme de Merteuil . Je suis transporté par ce fragment, et un autre que j’ai lu sur épreuves (la préface à l’édition guildienne des Liaisons ). Il faudra que nous en reparlions.

Recevez-vous la Revue de la Pensée Juive , que dirige Robert Aron ? J’ai publié dans le dernier n° [numéro] un article, qu’il m’avait demandé, sur l’incroyance et la foi. Si cela vous intéresse, je vous le passerai.

Jean, quand aurez-vous, quand aurons-nous quelque nouveau projet, d’article, de livre, que sais-je (vous voyez ce que je veux dire) ? Je crois que je suis en train – après une période un peu « dépressive » – de retrouver mon appétit .
Encore quelques travaux assommants à terminer (genre Troyat), et je termine Homo eroticus (auquel la re-lecture des Liaisons et la lecture des fragments que vous savez m’ont suggéré certaines ajoutes). Et puis… oui, il y a encore tant à faire, à découvrir, à creuser.
Merci d’avoir fait que j’y croie encore…

Votre ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Voici le « double » de ma chronique. Si quelque chose vous y déplaît – ou vous semble faux – il faut me le dire, éventuellement corriger mon texte, et me le remettre (je puis fort bien à mon tour corriger sur épreuves).
Moi, ce qui me déplairait un peu là-dedans, c’est de devoir rester sommaire et, forcément, incomplet, ou superficiel. Mais les pages de la Table me sont mesurées, et les citations prennent beaucoup de place, qui tantôt sont nécessaires mais appelleraient des commentaires, et tantôt m’épargnent des commentaires qui seraient plus longs qu’elles…

Votre ami
Claude Elsen

(Je suis allé chez Lang, pour essayer de trouver un « gentlemen’s agreement ». Je dois y retourner jeudi, n’ayant pu voir le chef du personnel, absent. Vous dirai quoi.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Merci de votre mot rassurant. À force de lire, d’écrire… et de vivre des romans « noirs », je finis par avoir des peurs absolument déraisonnables. (Il y a aussi ce « pessimisme béat » que vous savez être un de mes traits.)

Par contre, vous êtes moins rassurant en ce qui concerne Comœdia , et si l’existence matérielle ne me paraît pas poser de bien graves problèmes d’ici juillet-août, je suis un peu perplexe en ce qui concerne la suite.
Mais ce serait un comble de vous ennuyer avec mes soucis post-estivaux…

J’ai acquis une tortue d’eau, naine, au lieu de la couleur aquatique qui me faisait envie, mais qui, me dit-on, eût risqué de jeter la panique dans mon hôtel.
(Il y a de fort jolies bêtes de ce genre, rue Linné, à trente mètres de chez vous.)
La tortue d’eau (naine) semble fort fascinée par la couleur blanche, et, notamment, s’absorbe des heures durant dans la contemplation des Malraux (dans l’édition Skira, à couverture blanche) qui avoisinent son aquarium, de préférence aux multicolores Cahiers de la Pléiade qui se trouvent de l’autre côté.
(Je ne pense pas qu’il faille en déduire quoi que ce soit en ce qui concerne la valeur respective des ouvrages.)

Pardonnez-moi de vous écrire sans plus de raison. C’est une manière de tromper mon désir un peu maniaque de vous écrire plus « gravement »…
(Surtout ne perdez pas de temps à me répondre.)

Votre ami
Claude Elsen

Mais faites-moi signe, si vous avez des manuscrits à me confier. Je passerais les prendre quand il vous plairait. (Dimanche matin, par exemple,- ou avant, bien entendu, si c’est plus urgent.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950

Oui, la nouvelle de N. [Noël?] Devaulx est belle, et mérite les Cahiers . (En la lisant, je l’imaginais inspirant – ou inspirée par – un tableau du surréaliste belge Paul Delvaux, que j’aime assez et que vous connaissez évidemment, sans penser à la curieuse assonance des deux noms).
Quant au manuscrit Urmuz – dont je vous reparlerai – il demanderait en tout cas à être sérieusement retravaillé (surtout la partie Ionesco), grouillant de fautes, impropriétés, etc. Ceci sans préjuger de son intérêt, surtout documentaire, me semble-t-il.

J’ai passé la journée avec ma femme et ma fille, que je revois demain (elles partent jeudi matin). Assez ému par ce revoir, je l’avoue, et autrement que je l’eusse imaginé : je croyais que ce dût être la rencontre de ma fille – c’est, en fait, celle de ma femme, dont le charme et le fidèle attachement m’ont beaucoup touché. Serais-je plus « sentimental » (et différemment) qu’on le dit ? Ou si c’est qu’un enfant grandissant nous devient plus lointain, plus étranger qu’on ne l’imagine ?
(Ne m’en écrivez pas, n’est-ce pas…)
Si j’en crois ma femme, il est, là-bas, notoire que je suis ici, mais il semble qu’on se désintéresse de mon sort (c’est tant mieux). Les miens, en tout cas, ne sont plus du tout inquiétés à mon sujet, depuis longtemps. Plusieurs opinions ont cours à mon sujet : je suis protégé par le parti communiste français (!), par Jean-Paul Sartre (!!), je fais la noce (!!!), ou – c’est le plus beau – je suis ouvrier gazier… (Cet ouvrier gazier me plonge dans le ravissement.)
Je vous dirai, de vive voix, d’autres traits assez drôles.

À samedi, 11h., rue du Douanier – sauf avis de vous.

Votre ami
Claude Elsen

(Ma femme est très émue – et reconnaissante – par l’amitié que vous m’avez donnée.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Nos lettres, une fois encore, se sont croisées.
Je suis tout à fait désolé : la vôtre m’est arrivée trop tard pour que je puisse me libérer d’occupations tardives, hier soir, qui m’ont empêché d’être ce matin au rendez-vous que vous me proposiez. J’espère que vous ne m’avez pas attendu ?

L’idée d’écrire un livret de ballet est bien alléchante.
(Vous m’avez rappelé que je m’y étais employé, il y a quelque quinze ou seize ans, après avoir vu les ballets Kurt Joos [Jooss]. La chose devait s’intituler « La Mort dans l’Âme » ; c’était évidemment détestable, « littéraire » en diable et plein de réminiscences surréalistes et freudiennes…)
Mais il faudra en reparler. Je vous assure que c’est tentant,- si cela ne suppose pas des connaissances techniques que, bien entendu, je n’ai pas.

Ah, je serais bien content si, en lisant ces quelques manuscrits, je vous aidais vraiment un peu. Confiez m’en autant qu’il vous plaira, et dites-moi si mes notes ne sont pas trop sommaires.

À onze heures 1 /2 , le jour qui vous plaira. Je préfère que vous me le fixiez vous-même (y compris le dimanche) pour être sûr de ne pas vous déranger.
(Pourquoi ne vous dirais-je pas simplement que nos entretiens sont pour moi les moments les plus agréables de la semaine?)

Votre ami
Claude Elsen

(Si vraiment cette idée de livret était réalisable, serait-il possible d’en lire un ou deux modèles existants,- pour me faire une idée de la forme à donner à la chose?)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Lundi, 11h30, avec joie.
Je vous rapporterai les manuscrits lus, et les notes.

Je voudrais bien que M. Hirsch ne propose pas de le voir mardi  : j’attends, ce jour-là, femme et fille (à 11h., chez Spitz, et jusqu’à 17h.). Peut-être seront-elles encore là mercredi, mais je pourrais m’arranger.
(Soyez gentil de ne pas m’en parler par lettre , je vous expliquerai.)

Ceci dit, je serai bien content de le voir, M. Hirsch. L’idée « ballet » fait son petit chemin, et je n’attends que des précisions « techniques » pour mettre sur papier un Barbe-Bleue qu’il me semble « voir » assez bien.

Je demande qu’on vous envoie deux Gazettes .

Le foie me tracasse un peu, et me rend mélancolique (comme l’indique l’étymologie du mot).
Me fait, notamment, faire du souci au sujet de mon Homo eroticus, un peu en retard sur l’horaire que je m’étais fixé. La chose est due à la nécessité où je suis de penser aussi aux mois suivant juillet – la dernière mensualité G.G. [Gaston Gallimard] échéant le 15 juin – et de garder ou d’essayer d’établir des contacts rémunérateurs.
Peut-être faudra-t-il, d’ici quelques semaines, me cloîtrer et ne plus m’occuper d’autre chose, pour mener ce livre à son terme dans les délais prévus (juillet). Le cas échéant , pensez-vous que G.G. [Gaston Gallimard] me consentirait un délai d’un mois supplémentaire ?

À lundi. Votre ami
Claude Elsen

(Si vous avez d’autres manuscrits, je les prendrai lundi.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Merci de cet impromptu chorégraphique.
Voilà que vous m’avez donné envie d’écrire ce livret, si vraiment la chose est faisable. J’imagine un Barbe-Bleue … (Mais il me semble qu’il serait beaucoup plus sensé d’utiliser la musique de Mozart, que ces sonores incohérences contemporaines. Il est vrai que ceci ne concerne sans doute pas le « scénariste »…)
Vous ne m’avez pas dit – je n’ai pas osé vous le demander – quand nous pourrons bavarder un moment.
Je vais m’occuper aussi de mes manuscrits. Vous me direz dans quel délai il vous les faut en retour.

Votre ami
Claude Elsen

J’oubliais : mon hôtel, c’est ODÉ 62-14 (je m’en veux vivement de mon étourderie, qui vous a imposé ce dérangement sous la pluie). J’y suis souvent l’après-midi, et presque toujours après 19h. (Si j’évite de donner ce n° [numéro] de téléphone, c’est que le temps qu’on met à m’appeler et que je mets à descendre mes 5 étages risque de lasser la patience de qui m’appelle.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950

Croyez bien que j’essaie de ne pas rompre avec Lang, pour les raisons que vous dites et aussi en prévision de mécomptes pécuniaires. Mais c’est difficile : il me faut au moins jusqu’à juillet (inclus) pour faire face aux engagements que j’ai pris (Gallimard, etc.). Et faire durer aussi longtemps une maladie imaginaire, ce n’est pas tellement commode. Je vais, en dernier ressort, essayer d’obtenir un congé pur et simple de 3-4 mois, bien que cela soit tout à fait contraire aux règles de la maison.
J’ai pensé, vous vous en doutez, aux avantages (autres que pécuniaires) qu’il peut y avoir pour mois [moi], dans certaines éventualités, à faire figure de correcteur plutôt que de littérateur,- notamment en cas d’événements politiques. Au demeurant, même si je ne pouvais faire autrement que de rompre avec Lang, je ferais en sorte de demeurer au Syndicat (carte C.G.T. [Confédération Générale du Travail], etc.)
Et c’est en pensant aussi à des éventualités de ce genre que je vous ai reparlé de la carte que vous savez, qui, je crois, simplifierait bien des choses.
Merci en tout cas de prendre ce souci de mes affaires, qui ne sont pas bien amusantes

À dimanche, votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Voici l’ « entretien » pour la Gazette des Lettres . Les limites (de longueur) imposées m’ont amené à réduire au minimum les commentaires : j’attache, pour beaucoup de raisons, plus d’importance à vos propos – et j’aurai, pour ma part, l’occasion de m’étendre davantage dans la Table Ronde .
Vous serez gentil de me dire dimanche si vous souhaitez quelque modification de ce texte, que je ne remettrai que lundi.

Votre ami
Claude Elsen

(Vous serez en tout cas gentil de me rendre ce « double ».)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Voici une note sur le manuscrit de Giffard (je crois inutile de résumer le « scénario » de son roman, n’est-ce pas?). Vous me rendrez service en le lui faisant retourner avec quelques mots pas trop sévères. Merci d’avance.

En vous quittant, j’ai déjeuné avec une camarade canadienne qui – coïncidence – voudrait acquérir une reproduction « Aeply ». Pourriez-vous me dire où elle doit s’adresser, et si elle peut se recommander de vous ?

De même, si vous avez l’occasion d’envoyer Chatté chez Thuélin, celui-ci en serait ravi.

J’espère que tout cela ne vous ennuie pas trop ?

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Ci-joint : - note sur L.P. [Louis-Paul] Guigues, et son manuscrit ;
- le « Supplice »;
- un écho des « Lettres françaises », où il est question de vous (surtout) et de moi (par raccroc). Me voici devenu « Madame » Claude Elsen. Quels avatars connaîtrai-je encore, grands dieux ?

Bien entendu, je ne leur réponds pas,- même pour préciser mon sexe. Mais il est amusant qu’ils avouent ainsi que J.P. [Jean Paulhan] les gêne (en soulignant qu’il n’est « malheureusement » pas un mythe).

Je reçois une lettre de l’imprimerie Lang, me mettant en demeure soit d’y rentrer immédiatement, soit d’envoyer « par retour du courrier » un certificat d’arrêt du travail dans les règles (qui m’imposerait , sans se borner à la recommander , un arrêt de travail d’une durée précise : c’est plus que ne le veut faire mon médecin, homme scrupuleux).
Cette situation ne pouvant se prolonger indéfiniment (ce qu’elle risquerait de faire), ne pouvant moi-même demander périodiquement à un médecin des certificats de complaisance pure, je remets donc ma démission. Étant tacitement entendu qu’en cas d’embauche ou de besoin, dans quelques mois, ils referont appel à moi.
Je reste bien entendu au Syndicat des correcteurs : c’est une précaution matérielle et une « couverture » morale, en cas de besoin.
Il me reste à espérer que je ne mourrai pas de faim après l’été,- mais pour l’instant, rentrer chez Lang est au-dessus de mes forces…

Votre ami
Claude Elsen

Vendredi
merci de votre mot,
comme vous voyez, j’avais relevé l’écho hebdomadaire que vous consacrent les Lettres…

CE

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Mais oui, avec plaisir, mercredi prochain. Je crois même que je réussirais à faire vendre quelques livres à Ch. [Chatté?] L’amie dont je vous parlais est, bien entendu, entourée de « coreligionnaires » friandes de ce genre de choses. (Leur quartier général est un petit restaurant de la rue des Écoles, « Chez Mimi », où je mange assez régulièrement.)

Je crois que, d’ici là, j’aurai pu vous avoir une de ces ampoules « lumière-du-jour » dont je vous parlais.
(Excusez-moi de m’occuper de choses qui ne me regardent pas : vos médecins se sont-ils assurés que vos troubles oculaires n’étaient pas d’origine diabétique ? On m’a cité un cas similaire, me semble-t-il. Ce sont des choses avec lesquelles il vaut mieux ne pas plaisanter.)

Nous essayons, M. Braspart (Laudenbach) et moi, de prendre en mains la page littéraire de Réforme pour en faire quelque chose de convenable.

Le tour qu’ont pris, ces derniers mois, 1° mes propres affaires, 2° les affaires de Belgique, m’a donné le sentiment très net que je ne retournerai jamais là-bas et que – si le sort lui est favorable – Claude Elsen se substituera définitivement à G.D. [Gérard Delsenne] Jusqu’ici j’avais tout de même le sentiment que tout cela avait quelque chose de provisoire, que ce n’était qu’un (long) entracte. Si les choses ne tournent pas mal, je finirai pas avoir celui d’avoir littéralement vécu deux existences distinctes et successives,- et même trois, si je compte les années 45-50, où j’ai très consciencieusement, mais non sans peine, essayé d’être, simplement, Gérard Delsenne. Tout cela est assez curieux, vu avec un certain recul. Je n’aurais jamais cru à cette faculté d’adaptation et de recommencement, chez un être aussi peu doué que moi pour l’aventure. (D’ailleurs ma volonté y a été pour beaucoup moins que le hasard.)

À mercredi, 11 heures, donc.

Votre ami
Claude Elsen

La Gazette (où paraît demain notre « entretien ») vous retournera (ou à moi) la photo.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Oui, je vous apporterai dimanche matin manuscrit Pilotaz, note sur le dit, Table Ronde .

Nos lettres se sont croisées : la mienne vous disait ce qui, malheureusement, m’empêche de demander la carte de journaliste.

C’est bien la rentrée :
Flore une demande, pour l’ « Almanach des Lettres », 10-12 pages sur les essais parus en 1950 ;
Robert Aron, pour la « Revue de la Pensée juive », un papier sur l’incroyance et la foi ;
Tout cela est fort bien (encore que malaisé à concilier avec les choses qu’il me faut achever). Mais je serais bien heureux de trouver plutôt une occupation ou une collaboration régulière . C’est pourquoi l’éventuel remplacement Lefèvre me souriait beaucoup.
Je vous laisse le soin de voir si cela est possible – à tous égards. Si, par exemple, cela n’implique pas trop de contacts avec trop de gens. Je ne suis pas seulement prudent, mais, puisque ceci nous mettrait directement en cause, soucieux de ne pas vous mettre dans des situations difficiles.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Oui, dimanche matin, 11h1 /4 , bien volontiers.
(Pourtant, si vous ne me voyez pas, ne m’en tenez pas rigueur : j’ai, depuis deux jours, une grippe assez virulente. Je ne pense pas pourtant qu’elle m’empêche de vous voir.)

Je doute fort que j’ai droit à la carte de journaliste, n’étant attaché à aucun journal. Elle ferait pourtant bien mon affaire, cette carte – à divers points de vue. Vous pourrez peut-être m’indiquer comment la demander et si, pour l’obtenir, il ne faut pas trop se « découvrir »…

L’idée de vous revoir me réjouit beaucoup.

Claude Elsen

Pilotaz et sa femme, qui viennent de passer trois jours à Paris, sont repartis [rature] hier soir (non sans qu’il ait tenu à m’acheter la machine à écrire dont je vous parlais…) Ils reviendront en octobre. À ce moment, j’espère que nous pourrons nous réunir (avec vous).

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Reçu un mot de Pilotaz. Il serait très heureux, dit-il, de pouvoir courir sa chance à la Guilde. J’aurai son ms. [manuscrit] complet dans quelques jours. Que dois-je en faire ? Le déposer chez vous ?

Nous avons eu peu de temps pour parler, hier. Vous me direz quand je puis passer vous voir aux Arènes (dimanche, ou plus tôt?).
C’est bien tentant, d’entrer chez Gallimard. J’espère que ce ne serait pas trop « voyant » ? Mais j’imagine que je ne dois pas m’emballer.

Ce qui m’inquiète plus que les impôts, c’est qu’il est question d’un augmentation sensible du prix des chambres dans mon hôtel. Il manquait encore cela (nous payons déjà 7.000 pour chaque chambre).
Ces problèmes financiers sont bien obsédants…

Il me tarde de voir les Cahiers .
J’aurai mercredi un n° [numéro] « occulte » de la Table pour vous (à moins qu’on ne vous l’envoie). Et il va sans dire qu’une note de vous sur Sartre sera fort bien accueillie.
À bientôt

Votre ami
Claude Elsen

Votre visite m’a beaucoup touché. Il me semble que la grippe s’éloigne (à regrets). J’ai aussitôt écrit à M. Robin. Je vous tiendrai au courant. Merci encore.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Je serais bien heureux (P. [Pilotaz?] aussi) que vous soyez ici. Le décor est admirable, et le lieu tellement hors du monde.
J’ai retrouvé chez P. un certain B. Bernson, psychanalyste autrichien, d’un commerce fort agréable, et une de ses patientes – qui peint de bien curieuses aquarelles.
Je sens que ces quinze jours me seront très salutaires. Je n’oublie pas que c’est, en somme, à vous que je les dois (comme à peu près tout, depuis un an).

Occupation russe ? Je ne sais pas si ce sera précisément ainsi que les choses se passeront – aussi simplement.
Au demeurant, il me semble que je redeviens fataliste.
Du moins en cette matière : pour l’heure, mon souci est surtout de savoir comment (et de quoi) je vivrai après octobre…

Ah, j’aimerais beaucoup rencontrer Arland. Il me semble même qu’il n’y aurait pas trop d’inconvénient à ce qu’il sache qui je suis. Il me souvient – entre autres – d’avoir lu avec beaucoup d’intérêt et parlé longuement, pendant la guerre, de sa préface aux Entretiens dans un jardin . Et, depuis (dans la Gazette ), de sa Chronique de la peinture moderne .

Rousseaux est un cuistre. En doutiez-vous ?

Suis en train de me faire un grand ami d’Ansoumani Bangoura, dit Mani, boy noir de P. [Pilotaz?]

Lequel P. vous adresse son meilleure souvenir.
Je vais achever de revoir – avec lui – son manuscrit. M. Bernson – de qui lui est venu l’idée d’écrire – se réjouit de cette collaboration.

Nous nous verrons, n’est-ce pas, la semaine du 4 au 10 septbre [septembre] ? Mais d’ici là, j’espère avoir encore un mot de vous - [&?] y répondre.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Oui, il vous arrivait bien de m’appeler Claude (ou Gérard), et cela me faisait plaisir. Mais moi, je n’osais pas, sans votre permission.

Le roman de Pilotaz pour la Guilde, hélas, impossible avant 15 jours  : le manuscrit, sur lequel nous avons travaillé, est illisible, et entre les mains d’une dactylo.
(Quant au mien… D’abord il y manque une cinquantaine de pages, disparues et irrécupérables. Ensuite il est impubliable, pour des raisons politiques et psychologiques que vous comprendrez en lisant.)

J’attends aujourd’hui ou demain la venue de Pilotaz à Paris, où il a une conférence bananière. Il compte aussi profiter de son passage pour m’acheter une machine à écrire. C’est une idée à lui, aussi généreuse qu’un peu embarrassante.

Bien sûr, avec son manuscrit, dans 15 jours, je vous donnerai une note détaillée. Il faudra que vous me disiez s’il convient d’y parler de ce livre comme d’un ms [manuscrit] jamais lu, ou comme de la nouvelle version d’un ouvrage retravaillé (n’avait-il pas été refusé par G.G. [Gaston Gallimard] sous sa première forme?).

Évidemment, je suis au moins aussi ennuyé que vous de ce qui arrive au « cartographe ». Mais enfin – égoïstement dit – mieux vaut encore que ce soit une autre affaire qui lui ait valu ces désagréments… (J’espère que la nôtre n’aura attiré l’attention de personne?)

Je viens de passer, depuis mon retour, quelques jours bien remplis :
1°/ j’ai écrit, pour un n° [numéro] spécial de La Nef (sur l’Amour), un essai sur La femme qui se vend ,- qui s’intégrera tout naturellement à l’Homo eroticus  ;
2°/ j’ai entièrement retraduit, pour la Table Ronde , une nouvelle de 50 pages de Henry James (ils me l’avaient donné à lire il y a deux mois pour savoir si elle méritait publication ; sur mon avis favorable, ils l’avaient donnée à traduire à une Mme Hélène Claireau ; celle-ci leur a fourni un texte impubliable ; je n’ai eu qu’à recommencer…)

En cas d’infection dentaire, quelle qu’en soit la nature, il est recommandé de prendre toujours des vitamines C (sous la forme, par exemple, de « Vitascorbol »). Même si cela ne suffit pas, cela simplifie l’évolution du mal. En Savoie, j’ai fait « couper » P.P. [Paul Pilotaz] à une nouvelle crise de ce genre en lui faisant prescrire par le médecin local des vitamines C et B (sous forme, celles-ci, de piqûres de « Bévitine »). Vous devriez en parler avec votre médecin – avec quelques précautions oratoires, car les médecins, en général, accueillent très mal les suggestions de leurs patients (ne voulant pas admettre qu’ils auraient dû y penser tout seuls).

Tant mieux, si les projets Delange sont en bonne voie. (Vous ai-je dit que le percepteur me réclame 25.000 fr. [francs] sous deux mois ?…)
Voici où j’en suis :
1°/ j’achève Homo eroticus  ;
2°/ j’ai promis, d’ici la fin du mois, de terminer la mise au point du ms. [manuscrit] Fouquières ;
3°/ je suis censé – et c’est le plus inquiétant – livrer en octobre la traduction du livre de V. [Vincent] Sheean (qque [quelque] 300 pages) sur laquelle j’ai encore 35.000 à toucher.
Tout cela m’interdit de me mettre en quête de nouveaux travaux pour l’instant, et si le pain quotidien est à peu près assuré pendant un mois encore, ensuite c’est l’inconnu. (Je crois qu’en aucun cas je ne trouverais le courage de retourner chez Lang – où il n’est d’ailleurs pas sûr qu’il y aurait encore la place pour moi. (Il me semble que je préférerais la prison – qui y ressemble beaucoup, soucis en moins…)

Votre indisposition retardera-t-elle votre retour à Paris ?
P.P. [Paul Pilotaz] aurait aimé vous voir, et que, par exemple, nous déjeunions ensemble. Mais il reviendra en octobre.

Affectueusement à vous
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Merci de votre mot.
J’ai peur, hélas, que les événements (internationaux) n’aillent, à présent, plus vite que nous…
Pour le Dr. de la S.N. que vous dire ? Sinon que je m’en remets entièrement à vous pour le cas où vous entreverriez une possibilité ou une occasion quelconque , en ce qui me concerne. J’ai en votre amitié et en votre sagesse une confiance absolue. Merci d’avance.
Ceci augmente mon impatience de vous voir, vendredi.

Je suis votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Oui, vendredi, 11h30, volontiers.
Mais je viendrai seul : j’ai plusieurs choses un peu confidentielles à vous dire,- et notamment touchant l’odyssée de deux de mes ex-compatriotes et amis, dont je viens d’apprendre l’arrestation, l’un à Paris, l’autre à Rouen. Je n’ai malheureusement pas beaucoup de détails – mais certaines indications curieuses sur les suites de la chose. On m’écrit : « Du côté français on leur a assuré qu’ils seront bientôt libres, et ici la demande d’extradition est assez molle. » Je demande qu’on me donne plus de détails et qu’on me tienne au courant de la suite.
(À ce propos il faudra que je vous raconte un phénomène prémonitoire absolument extraordinaire.)

Par ailleurs, je voudrais vous demander conseil et, éventuellement, « tuyau » au sujet de la venue ici, autour du 15 août, pour 2-3 jours, de ma femme et de ma fille, pour qui je devrai sans doute m’employer à trouver un gîte.
J’espère que tout cela ne vous ennuie pas trop – mais vous-même m’avez encouragé à me confier à vous n’est-ce pas ?

J’ai demandé qu’on vous envoie la dernière « Gazette ». Si vous ne l’avez pas reçue, je l’aurai avec moi vendredi.
À peu près achevé la « revision » Pilotaz. Il me reste à lui proposer un début et une fin de mon cru.

L’affaire coréenne – pas du tout rassurante par ailleurs – me plonge dans le ravissement lorsque je lis la presse communiste (manchette de « Ce Soir » d’aujourd’hui : « Séoul LIBÉRÉE  »…).
Ces gens ont vraiment découvert un nouvel usage des mots !

À vendredi donc
Votre ami
Claude Elsen

(Je suis extraordinairement las de l’incertitude de ma situation. Il y a des jours où je souhaiterais presque un dénouement fâcheux, qui y mettrait un terme. Mais je sais que ce sont là des mauvaises pensées...)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

M’ennuyer ? J’ai souvent eu envie de passer vous voir rue Sébastien-Bottin. Mais outre que je n’avais aucune raison valable d’aller vous y importuner, je craignais (je crains) toujours un peu les rencontres fâcheuses… La première fois que je suis venu, il y avait Kerchove : ce n’était pas bien grave, d’autant qu’il ne m’a pas reconnu (c’est étonnant le nombre de gens qui ne vous reconnaissent pas lorsqu’ils vous rencontrent là où ils n’imaginent pas que vous puissiez être…) Mais je pense à des Lambrichs, à des Hellens. Il est vrai que ce ne serait peut-être pas non plus bien grave, et que vous-même pourriez sans doute « neutraliser » la chose. (Je me méfie moins d’une hostilité, dont je ne crois pas être l’objet, que d’innocents bavardages pouvant me faire une publicité dont je me passe fort bien)
Bref, je ne demande pas mieux que de passer à la nrf [Nouvelle Revue Française] – où je viendrai demain vendredi, comme vous me le suggérez.

Pour G.G. [Gaston Gallimard], l’important, me semble-t-il, est qu’il se souvienne de moi lorsqu’il décidera vraiment de remplacer Lefèvre. Si c’était en novembre, ce serait parfait encore, puisque, d’ici là, j’ai de quoi m’occuper… et de quoi manger.

Oui, je verrai volontiers le ms [manuscrit] Legrand. Je pourrais même – si cela vous semble utile – le garder quelques jours et vous le remettre avec un « rapport ».

Je viens d’écrire à Lutigneaux. Je le verrai la semaine prochaine. À la suite de quoi je pourrais préparer pour G.G. [Gaston Gallimard] une note un peu plus précise sur l’édition éventuelle des conférences.
Je me mets ces nuits-ci à la mienne, sur les Fleurs . Dès à présent, je propose à L. [Lutigneaux], pour la « lecture » qui la suivra :
- dans les Fleurs  : p.84 à 87 et p.92 à 95
- dans l’Entretien (suggéré par lui en vue d’une lecture dialoguée) : p.53 à 56 et p. 103 à 108.
Si cela vous agrée, bien entendu.

Votre ami
Claude Elsen

(Vous pensez au Sartre, pour la Table , n’est-ce pas?)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Vous savez déjà pourquoi je ne vous ai pas répondu plus rapidement : ces quatre jours n’ont pas été tout à fait ordinaires. Je les ai passés tout entiers en compagnie de celles que vous savez. Ç’a été très doux et un peu déchirant. Mais c’est le seul sujet qui ne m’inspire aucun commentaire… Je crois que vous me comprenez.
Elles reviendront sans doute et sans imprévu en novembre. J’aimerais énormément, alors, pouvoir vous les faire connaître, et vous entendre me dire si c’est à mes yeux seulement qu’elles ont un charme extraordinaire. Je ne crois pas. On me dit que non. Et c’est bien là le plus déchirant : de savoir que je ne m’illusionne même pas…
(Je crois que tout s’est bien passé, pour l’hôtel et le reste. Yvette était absente de Paris,- ce qui, à elle aussi, a évité de l’ennui, de la peine. C’est évidemment en pensant à elle que je vous demande de ne pas parler de cela , en général, dans vos lettres, qu’elle est toujours heureuse de lire. J’essaie de faire aussi peu de mal que possible…)
(Mais je pense qu’à celle-ci vous me répondrez en Savoie, où je pars – seul – lundi. À propos, l’adresse est : G.D., chez M. Paul Pilotaz, Gilly-sur-Isère, Savoie. Jusqu’au 2 septembre, je pense.)

En Belgique, rien ne se tasse. L’affaire royale, plutôt que d’en distraire les esprits (si l’on peut ainsi s’exprimer), aurait réveillé toutes les haines. Ce pays est absurde. Je ne l’aime décidément pas. Il me le rend bien. Nous n’avons plus rien à faire ensemble. Si seulement, ici…

Évidemment aussi, ces quelques jours ont fait passer à l’arrière-plan mes préoccupations « internationales ».

Mais je me sens, à nouveau, assez terriblement seul,- ces deux présences étant redevenues d’obsédantes absences…

Je suis, fidèlement, votre ami
Claude Elsen

(Oui, je préférerais que vous m’écriviez, dans quelques jours, chez P. [Pilotaz])
(J’oubliais : Spitz étant absent jusqu’en septembre, je me suis autorisé à dire à ma femme au cas – fort improbable – où elle aurait d’ici là quelque chose d’important ou d’urgent à me communiquer, de vous l’écrire, rue des Arènes.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Je crois me souvenir que le fait d’avoir le prix de la Guilde et d’être édité par la Guilde n’empêche pas un livre d’être également édité à Paris. S’il en est ainsi, le Pilotaz n’intéresserait-il pas G.G. [Gaston Gallimard], même s’il l’a refusé sous sa forme et son titre premiers ?

Le Marchand s’excuse de ne vous avoir envoyé qu’une épreuve de votre article. Si vous en souhaitiez une autre (corrigée), il vous suffirait de le dire (à lui ou à moi).

Que vous disais-je, au sujet de la faculté de « reconnaissance » des gens ? Je pense à Kerchove. Si j’ai bien compris, il m’a reconnu bd [boulevard] Saint-Germain, alors qu’il n’aurait pas reconnu « Claude Elsen », quelques semaines plus tôt, dans votre bureau ? Et – toujours si j’ai bien compris – il n’aurait fait aucun lien entre les deux ? Je le souhaite.
J’ai invité Claudine Chonez à observer ses propos à mon sujet en public . Elle croyait, naïvement, que tout le monde « savait ».
(Pour Kerchove, s’il avait vu plus loin que nous le pensons, j’imagine qu’il ne vous serait pas trop difficile de le savoir, et d’obtenir sa discrétion?)

Excusez-moi d’avoir insisté pour vous voir chez vous. Votre bureau rue S.-Bottin [Sébastien-Bottin] est bien sympathique, mais j’y ai peu l’occasion de bavarder avec vous librement.

À lundi matin, donc
Votre ami
Claude Elsen

- Mon ami le libraire me dit que, samedi, vous avez pris la peine de passer chez lui pour me joindre. Je suis ennuyé de tout ce dérangement que vous vous êtes imposé. J’aurais dû vous dire que lorsque je ne suis pas chambre 21, je suis souvent chambre 22 – où nous aurions été bien heureux de vous voir.
- Jouhandeau a révisé son opinion sur mon Genet lorsque je lui ai dit qu’il était écrit depuis deux ans. Sartre me fait beaucoup de tort…

[horizontalement à gauche, en haut de la première page en rouge] Mardi

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Fait sans précédent : ce matin mon réveil – que j’avais mis à 10h., pour aller vous voir, n’a pas sonné. Je me suis éveillé à midi. Je descendais pour vous téléphoner et vous demander de m’excuser, lorsque j’ai trouvé votre mot.
La coïncidence est plaisante.
Je viendrai donc samedi.

J’ai reçu la visite de M. Bussurel qui m’a confié – en se recommandant de vous – un petit essai politique. Je le transmets à la Table Ronde.

J’ai écrit un mot à D.A. [Dominique Aury] pour la remercier de son action lausannoise. Il paraît, me dit Pilotaz, qu’on lui a demandé de modifier légèrement la fin de mon livre : où il apparaissait que l’un des deux personnages principaux n’existait pas, n’était qu’un « double », une « projection mentale » de l’autre. Je trouvais pourtant cette idée excellente. Il paraît qu’elle aurait désorienté le lecteur. Est-ce sûr ? Et est-ce tellement grave ?

Trois ou quatre personnes, qui écoutent la radio, m’ont déjà demandé pourquoi je n’y ferais pas une série d’Entretiens avec Jean Paulhan (après Gide, Colette, Claudel, Cendrars, Léautaud, etc.). Moi, je trouverais l’idée excellente, et je suis sûr que nous nous amuserions.

Mon ami Gallet, de « V-Magazine », me laisse entendre que nous pourrions éventuellement examiner la question de mon entrée à « V » comme secrétaire de rédaction. Mais ce serait de 9 à midi, de 2 à 6, et m’obligerait, pratiquement, à renoncer à tout le reste. Cela m’effraie un peu. N’a-t-on vraiment le choix qu’entre deux ou trois prisons ? Et si oui, pourquoi choisir celle-ci plutôt que celle-là ?

Si vraiment les projets Lutigneaux n’intéressent pas G.G. [Gaston Gallimard], pourrait-il avoir la gentillesse de m’écrire un mot, ou à L. [Lutigneaux] lui-même, pour que celui-ci voie que je me suis occupé de la chose et puisse, éventuellement, s’adresser ailleurs ?

L’émission passe jeudi matin, 8h30 , sur la chaîne nationale (347 m. depuis le 15 octobre).

À samedi. Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Il y a dans le n° [numéro] d’octobre d’Esprit un article de Gabriel Venaissin qui, je crois, vous intéresserait (« Rhétorique, Algèbre et Signification »). Si vous ne l’avez pas sous la main, je vous le donnerai à lire.

J’ai alerté Sigaux au sujet d’Edith Thomas, en lui suggérant de se mettre en rapports avec elle, ou, à défaut, avec vous.

Je suis à nouveau mal fichu,- rechute grippale, nerfs ou foie, je ne sais pas trop ; et j’ai une vive horreur de ces malaises indéfinissables.

Un peu partout on me parle des difficultés de l’édition, de restrictions, etc. Cela m’inquiète un peu. Je me demande si G.G. [Gaston Gallimard] pourra, finalement, quelque chose pour moi. Si non, après l’ « avortement » de Comœdia , cela me laissera, en novembre, fort embarrassé. (Je me mettrais bien à écrire des romans policiers (c’est un vieux violon d’Ingres), mais encore y faudrait-il un peu de temps, pour que ce soit « rentable »…)
Pardonnez-moi de vous ennuyer aussi avec ces médiocres soucis,- mais vous êtes pratiquement le seul à qui je puisse librement demander conseils et, éventuellement, « tuyaux ».
(Il y a évidemment la possibilité « V-Magazine ». Mais outre que rien n’est moins sûr, et que je n’ose rien tenter de ce côté avant d’être assuré que rien d’autre n’est possible, il faut avouer que ce n’est pas bien excitant, ni reluisant…)

J’en viens à penser que l’amour de la littérature est un vice. C’est vraiment le dernier des métiers. Pourquoi est-ce le seul qui ne me dégoûte pas ? Après tout, un employé, ou un correcteur d’imprimerie, c’est bien tranquille, et à eu près assuré du pain quotidien ! Pourquoi sais-je qu’à cette condition, que j’ai connue quatre ans, je préférerais à présent n’importe quoi  ? Et quand je dis : n’importe quoi, vous savez ce que je veux dire…)

Votre ami
Claude Elsen

(Vous-ai je remercié du « supplément » de 3.000 fr [francs] qui m’a été envoyé pour les Cahiers de la Pléiade  ? C’est tout à fait gentil d’y avoir pensé.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950

Je reçois un mot de Sigaux. « Flore » ne semble pas alléché par l’affaire Edith Thomas. À qui vous pourriez éventuellement suggérer d’en parler à Plon ou à la Table Ronde, par le truchement Laudenbach. Elle pourrait le voir de ma part et de la vôtre. Elle pourrait même y passer mercredi vers 3h½ – 4h : j’y serai.

Sauf imprévu, je compte passer rue Sébastien-Bottin mercredi 6h.

CE.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 5 septembre 1950
Cher J.P.,

J’étais assez disposé à tout dire à P.P. [Paul Pilotaz], dont je crois bien m’être fait un ami. (Sa femme – qui est non moins charmante – me disait que nos rapports l’influençaient curieusement et heureusement, le libérant d’une forte tendance au repliement sur soi-même.)
Mais les circonstances ne s’y prêtaient pas tout à fait (encore) : durant la deuxième semaine de mon séjour à la Pommeraie, nous avons été très peu seuls, et certains de ses hôtes soit, avaient pris la résistance très au sérieux, soit, étant juifs, avaient souffert de l’occupation. Cela ne m’empêchait pas de sympathiser avec eux – mais m’obligeait tout de même à une certaine réserve.
P. [Pilotaz] viendra prochainement à Paris, où je pourrai lui parler plus librement. (Cela me soulagerait assez : je déteste assumer à mes propres yeux le rôle d’imposteur.)

Je rapporte le manuscrit de La part de ciel (titre définitif du roman de P.P. [Paul Pilotaz]. Je suis chargé de le faire dactylographier, et de vous le transmettre ensuite, pour G.G. [Gaston Gallimard] Il me semble à présent digne d’être imprimé. Mais je suis évidemment devenu juge et partie…

Vous me parliez de G. [Graham] Greene. Le papier que j’avais fait sur lui pour la Guilde aurait-il paru ? Je n’ai plus reçu ni vu le « Bulletin ».

À la fin du Voyage au pays de la peur , film d’Orson Welles, le héros, qui durant toute l’aventure s’est présenté comme un brave type un peu peureux, que traquent diverses polices secrètes, se révèle, soudain décidé, voire un brin téméraire. On l’en félicite. Il s’explique : « C’est simplement que j’étais fatigué de fuir et d’avoir peur... »
Voilà peut-être pourquoi (pour l’instant) j’écarte de mes pensées tout ce qui a trait à la guerre et à ma situation. J’en suis, depuis dix ans, à mon troisième ou quatrième « exode ». Vous ne pouvez imaginer à quel point c’est fatigant.

Je voudrais vous écrire plus longuement, mais je « nage » un peu : rentrée, courrier en retard, travail, gens à voir. Ce sera pour un de ces tout prochains jours.
Quand rentrez-vous à Paris ? Je l’ai, pour ma part, retrouvé sans aucun plaisir… (Avec d’autant moins de plaisir que m’y attendait ma feuille d’impôts : 25.000 fr. [francs] à trouver d’ici le 15 novembre… je me demande bien où.)
Pas de nouvelles de Comœdia  ? (Vous devez trouver que je me répète,- mais c’est que le fond de l’escarcelle commence à affleurer,- et je ne me sens aucun enthousiasme pour chercher une nouvelle place de correcteur…)

Fidèlement à vous
Claude Elsen

(Nous avons d’un commun accord, avec P.P. [Paul Pilotaz] et sa femme, renoncé au « monsieur » et au « madame » pour le « Paul », le « Lily » et le « Gérard ». Il y a longtemps que je n’ose pas vous demander la même permission…)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Un mot d’ici encore, puisque le précédent a croisé votre lettre.
Nous rentrons demain, sans grand regret, le temps s’étant sérieusement gâté ces derniers jours.
Savoie : du 20-21 août au 1er septembre, je pense.
Il faudra dès lors attendre sans doute le début septembre pour vous voir ? C’est bien long.

Noël et Mermoud ont sans doute raison quand à la « sévérité » de mes papiers. Mais il faut dire :
1° quant à Mermoud, que les sujets (Malraux, Greene) ne (se) prêtaient guère à la plaisanterie ;
2° quant à Noël, qu’il ne me donne guère l’occasion de me manifester chez lui et sur le ton « maison ».

Je vais vous surprendre : je ne pense plus à la guerre. Ce n’est pas que j’aie cessé d’y croire ; c’est même tout le contraire. L’affaire me paraît réglée. Qu’est-ce que la date officielle y fait ?
Et puis, pour tout dire, tout cela commence à m’être sincèrement indifférent (n’était l’existence de ma femme et de ma fille, là-bas). Je vous ai dit que j’étais très fatigué.
Je vous écrirai plus longuement lundi ou mardi.

Fidèlement à vous
Claude Elsen

(Excusez cette enveloppe funèbre, la seule que j’aie pu trouver ici.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Ces vacances bretonnes, sous un ciel brouillé, touchent à leur fin. Je serai samedi à Paris. Quand vous y verrai-je ?
J’irai (sauf imprévu) vers le 20 chez Pilotaz, pour huit ou dix jours. Pas plus : trop de travaux à mener à bonne fin d’ici octobre – pour pouvoir, ensuite, me remettre à la poursuite du pain quotidien.

Renseignements pris, Le (ou La) Carquois est une francisation de « Ker-Coat », qui veut dire « Le joli bois ». (Ce pourquoi il arrive de le voir écrit « Carcouat ».)

Il y a, ici, un nombre incroyable de Belges. Je n’en ai reconnu aucun. Mais je me sens extraordinairement étranger à eux.

Écrivez-moi, voulez-vous, rue des Écoles.
Et dites-moi, bien entendu, si je puis vous être utile en quoi que ce soit à Paris.
À bientôt, j’espère.
Vous me manquez.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Vous avez « senti » juste : P.P. [Paul Pilotaz] est un homme infiniment sympathique, avec quelque chose de frais, de pur, de net qui me touche beaucoup. Sa femme – que je connais depuis hier – est charmante. Et j’ai la plus vive amitié pour Ansoumany, le boy noir, personnage mi-animal mi-enfantin, avec le meilleur des deux (P.P. [Paul Pilotaz] n’y est pas pour rien.
J’ai fait samedi des débuts très remarqués dans l’alpinisme, en grimpant avec P.P. [Paul Pilotaz] au Roc du Vent (2.350m.) Il paraît que les amateurs non aguerris reculent en général devant les 50 derniers mètres. (rochers à pic). Il est vrai que P.P. [Paul Pilotaz] ne me l’a dit qu’après : la témérité est évidemment surtout affaire d’inconscience…
Hier dimanche, sommes allés à la croix du Vercors, qui est un haut-lieu, d’une émouvante beauté. En route, avons eu un entretien attachant avec un Dominicain plein d’intérêt.

Je crois avoir compris que jusqu’il y a dix ans, P.P. [Paul Pilotaz] souffrait d’un inhibition psychique (c’est au fond un timide par pudeur) dont B. Bernson l’a délivré en lui suggérant d’écrire. Ledit Bernson est un personnage curieux, un peu tourmenté lui-même, un peu confus, très hébraïque (il est d’origine polono-ukrainienne) Mais sa femme est une exquise vieille dame alsacienne, qui me joue du Mozart et me parle du Dr Schweitzer, qu’elle a connu.

J’ai aussi lié amitié avec un ravissant petit veau, le dernier né de l’étable, qui passait pour farouche, mais m’a tout de suite pris en affection. (Il me le prouve en me passant sur les mains et les jambes la râpe à fromage qui lui tient lieu de langue.)
C’est très curieux,- me dit-on,- ce « pouvoir » que j’ai sur les bêtes.

Vous rentrerez le 15 ? J’attends avec impatience de vous revoir. Avec impatience aussi de connaître Marcel Arland.
Je cherche à interpréter – sans y réussir – votre rêve (touchant ma femme). Je sens pourtant en quoi il lui ressemble.

(Oui, Hellens est un peu triste…)

Votre fidèle ami
Claude Elsen

Je suis ici jusqu’à lundi (le 4). Ne m’y écrivez encore que si vous postez votre lettre avant jeudi : la transmission me semble peu rapide.

Le manuscrit P.P. [Paul Pilotaz] est au point. Titre définitif : « La part de ciel ».

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Trois jours d’air marin m’ont déjà retapé physiquement. Quant au moral… ce n’est évidemment pas si simple. (Et les événements ne sont pas très encourageants.)

Cette idée d’un bureau de conseils littéraires est amusante. Croyez-vous que les auteurs auraient assez de modestie pour s’en remettre à lui ? Tous n’ont pas la simplicité d’un Pilotaz. Cela devrait en tout cas se faire très discrètement, pour leur permettre de sauver les apparences… Et, conseils mis à part, l’on pourrait se charger de « retaper » leurs travaux.
Nous en reparlerons.

Il m’a semblé parfois aussi qu’à certains égards nous nous ressemblions.
Je sais surtout que vous êtes l’un des trois hommes dont l’amitié m’a le plus marqué (les deux autres étant Robert Poulet et Paul Colin).
Et que cela m’est bon.

Pour le n° [numéro] sur l’occultisme de la « Table », je vous comprends fort bien. Ces numéros spéciaux ressemblent beaucoup aux enquêtes menées par les journaux ou revues, où chacun répond en cinquante lignes à des questions qui mériteraient un volume. Finalement cela n’apporte rien à personne.

J’ai eu de plaisants échos de votre notre sur A. [André] Rousseaux, qui a ravi bien des gens (même s’ils ne partageaient pas votre – notre – estime pour Jouhandeau).

J’essaie de me laisser vivre jusqu’en septembre-octobre. Ensuite se poseront sans doute de nouveaux problèmes (matériels). Mais peut-être Comœdia m’aidera-t-il à les résoudre ?

Pensez-vous toujours rentrer à Paris au début d’août ?
Moi, ce sera le samedi 29 juillet (sauf imprévu).

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

J’ai donc déposé rue des Arènes le gros (et méchant) manuscrit de M.A. [Michel-Aimé] Baudouy : « Les Chemins de l’Aube »,- avec une note, bien entendu.

Le Marchand serait bien content si vous pouviez lui envoyer quand même quelques lignes pour son n° [numéro] sur l’occultisme (8, rue Garancière). Un souvenir, une anecdote, le (bref) récit d’un rêve curieux ou significatif…
Je lui promets de vous en parler.
Voilà qui est fait.

Je pars, comme prévu, dimanche matin, pour la Bretagne. Où je serai, sauf imprévu, jusqu’à la fin du mois.
Il était temps : je me sens très las, énervé, excédé, incapable d’une activité cohérente…
J’espère vous voir à mon (ou à votre) retour.
Je vous écrirai de là-bas, bien sûr, où mon adresse sera, du 9 au 29 :
G. Delsenne
chez Mme F. Marie
LA CARQUOIS-PLÉHÉREL
(Côtes du Nord)

Peut-être aurez-vous, vous-même, le loisir – et la gentillesse – de m’y adresser un mot ? (Vous me direz, n’est-ce pas, à quel moment vous serez à nouveau parisien?)

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

J’ai peut-être, en parlant d’identification du signe et de la chose signifiée, arbitrairement étendu à la peinture une notion propre à la musique. Dans sa (remarquable) Introduction à J.S. Bach , Schloezer dit que « l’œuvre musicale n’est pas le signe de quelque chose, mais se signifie elle-même : ce qu’elle me dit, elle l’est, son sens lui étant immanent ». Il me semblait possible de considérer la peinture de la même manière – et que c’est à quoi tendait Malraux en parlant d’art « devenu son propre objet ».
Pour ce qui est de la métaphysique : il en est une formellement incluse (et souvent explicitement formulée) chez un Goya, ou un Greco, ou un Grünenwald, alors qu’elle est beaucoup plus implicite chez Braque (vous dites vous-même : « voyez ses écrits  », qui, en effet, disent ce à quoi seulement se réfèrent ces tableaux). Il me semble que Gauguin marquerait assez bien le passage d’une attitude à l’autre.

Oui, je vous avoue que je n’ai pas reconnu la Belgique que je connaissais, à travers les récents événements. J’ai n’ai jamais si bien senti la cassure qu’a marqué 1944-45 dans le cours des choses.

Pour Homo Eroticus  : il me reste 2-3 chapitres à écrire. Il y suffirait de 8 ou 15 jours pendant lesquels je n’aurais rien d’autre à penser. Si G.G. [Gaston Gallimard] vous en parle, vous ennuyerait-il de lui dire que ce retard est dû 1° aux vacances que j’ai prises en juillet (et aux quelque dix jours que je vais passer chez Pilotaz à partir du 20), 2° à la nécessité de mener à bien, simultanément, d’autres travaux « alimentaires ». Si cela vous ennuie, dites-le moi : je pourrais – si vous le jugiez utile – écrire moi-même à G.G. [Gaston Gallimard], que je ne voudrais pas indisposer. Je compte bien en finir en septembre. Ce retard, est-ce grave ?
(J’ai sans doute accepté trop de travaux dans un délai trop limité. Mais il fallait bien assurer mon pain quotidien durant les mois « creux » de l’été.)

Je suis impatient de parler avec vous de cette idée de « cours par correspondance »…

Pour le reste, j’essaie de secouer mon atonie…

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher J.P.,

Malheureusement, ma femme et ma fille ne pourront loger – de samedi à mardi – chez la mère de J. [Jacques?] Spitz. Je vais donc être obligé de les laisser prendre une chambre d’hôtel. Pensez-vous que ce soit ennuyeux ou imprudent ?
Mais je ne vois pas d’autre moyen. (J’ai envie de dire à ma femme de s’inscrire sous son nom de jeune fille.)

Un mot de vous à ce sujet me ferait plaisir. Il est vrai que celui-ci le croisera peut-être.

À part cela, c’est toujours le lundi 21 que je compte retrouver Pilotaz, pour une dizaine de jours.
J’en ai fini avec son manuscrit auquel j’ai fait subir – en dehors de quelques corrections d’écriture – les modifications suivantes :
a) originalement, son récit comptait trois narrateurs : le narrateur impersonnel pour la première partie, le narrateur « présent » pour la deuxième, le héros pour la troisième. Comme tous trois parlaient le même langage, il en résultait pour le lecteur une impression gênante : il confondait les trois, et ne savait pas toujours qui parlait. J’ai imputé à un seul narrateur impersonnel toute l’histoire.
b) Il y avait une introduction et une postface commentant le récit du point de vue « moral », de manière un peu lyrique et un peu naïve. Vers le milieu du livre, aussi, le narrateur à son tour faisait des commentaires du même ordre. J’ai supprimé tout cela, le réduisant à une note de deux pages, à la fin du récit.
c) Je compte reprendre avec P. [Pilotaz] lui-même l’épilogue proprement dit du récit.
d) À son titre, que je trouve mauvais (« Noirs, mes frères »), je lui propose d’en substituer un autre : « Le Cinglé », ou « Le chemin des hommes ».

Que vous dire encore ?
Il me semble que les choses vont, incessamment, prendre un vilain tour à Formose. Et alors…
(Je me demande bien ce qui se passerait pour moi si l’on prenait des mesures de mobilisation.)

Votre (soucieux) ami
Claude Elsen

(Je poursuis néanmoins, activement, mon Homo eroticus )

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950

Votre sentiment (optimiste) des événements est bien réconfortant – mais peu partagé. Je ne vois que des gens consternés et envisageant le pire. Spitz, que je quitte, met au point des projets de départ fort précis, et n’est pas seul à le faire.
Pour moi, j’ai bien peur d’être paralysé par ma situation équivoque.
Si seulement, nous avions pu avoir la carte que vous savez (je n’ose plus trop y croire) ou quelque passeport…
(Personnellement, dans la mesure où les Russes mènent le jeu – je crois que nous avons encore un certain délai, disons d’un an. Mais il se pourrait aussi que les Américains perdent patience.)

Il se confirme – les choses s’étant calmées là-bas – que ma femme viendra passer ici le week-end du 15 août.
Mais je suis un peu ennuyé : les amis chez qui elle pensait trouver asile sont eux-mêmes absents, et j’hésite à la laisser passer ces 2-3 jours à l’hôtel (par prudence). Peut-être pourrai-je arranger quelque chose avec Spitz, chez sa mère. Si cela ne pouvait se faire (je le saurai lundi), je vous demanderai conseil.

Connaissez-vous ces deux « mots » assez plaisants que l’on me répétait aujourd’hui :
- Un homme âgé meurt avec, à son chevet, son pire ennemi : « Je te souhaite, dit-il, de vivre une époque intéressante... »
- Un homme se présente à l’ambassade américaine et demande à contracter un engagement pour la Corée : « Vous êtes fou ? » lui demande l’ambassadeur. Et l’homme : « Pourquoi ? C’est indispensable  ? »

Toujours à vous
C.E.

Claude Elsen à Jean Paulhan (19 août 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 19 août 1950
Cher J.P.,

Encore un mot avant d’aller retrouver Pilotaz.

Les nouvelles mesures de contingentement du papier-journal ne vont-elles pas contrarier les projets « Comœdia » ?

Pour reproduire, en appendice à mon livre, les quelques textes que je vous ai dits, ne convient-il pas d’en demander l’autorisation aux auteurs ou aux éditeurs ? Il s’agit de :
- Don Juan le satisfait , de Montherlant (extrait de Sur les femmes , Éd. [Éditions] Palimugre)
- Le dernier visage de D.J. [Don Juan] , de Fabre-Luce (extr. [extrait] d’Intermèdes , Éd. [Éditions] Gallimard)
- D.J. [Don Juan] et Sade , de Rougemont (3 pages de l’Amour et l’Occident , Éd. [Éditions] Plon)
- quelques pages du Mythe de Sisyphe de Camus
- quelques pages du Casanova de Zweig (Éd. [Éditions] Attinger, réédité par Stock)
- un article de Th. Maulnier sur le D.J. [Don Juan ] de Molière, paru dans le Figaro littéraire .

J’aime assez le livre de Lionello Venturi : Pour comprendre la peinture (de Giotto à Chagall). Son parallèle entre Picasso et Braque me semble pertinent.

La « Gazette des Lettres » - pour faire comme tout le monde – va sans doute prendre, en octobre, la forme d’un « digeste » mensuel.

À notre retour, je sais deux personnes qui aimeraient (séparément) vous voir avec moi : Laudenbach – et un jeune Américain de ma connaissance, charmant garçon, fidèle lecteur de Jean Paulhan… et de Claude Elsen. Il se nomme Robert J. Donohue. J’aime beaucoup sa curiosité, son sérieux, et sa naïveté.

Mais je sais que vous me manquez encore bien davantage.

J’ai eu des éclaircissements sur les deux arrestations dont je vous avais parlé (et qui m’avaient été « annoncées » par le curieux être prémonitoire dont vous vous souvenez peut-être).
Aucun lien entre elles. Le premier des deux garçons en cause a été banalement dénoncé. Il est toujours emprisonné (à Rouen) mais ne semble pas devoir être extradé. Le second a été victime d’un étrange hasard : au cours d’un séjour à Paris (il venait – clandestinement – d’Espagne), il a été pris pour un gangster que la police recherchait et dont il était, paraît-il, le sosie. Il a été relâché et renvoyé en Espagne.

Ces quelques beaux jours du 15 août m’ont laissé un goût délicieux, même s’il est un peu mélancolique. Ils n’avaient pas le caractère hâtif et assez agité de la précédente rencontre. J’ai aimé chez ma femme – et il doit m’en être resté quelque chose – cette sérénité, cette confiance en nous , ce courage tranquille. Et je garde un souvenir enchanté de la longue matinée que j’ai passée, seul, avec ma fille, au Jardin des Plantes : ce reflet de moi-même (nous avons, paraît-il, et me semble-t-il en effet, d’étranges et profondes ressemblances), comme épuré de tout ce qu’il peut y avoir en moi d’impur, de pesant, de marqué…

Ma femme m’a apporté le manuscrit d’un roman que j’achevais en 44. Il s’intitule Le Regard de Méduse . Il m’amuserait que vous le lisiez : c’est moi, avant . (Mais on change, au fond, si peu.)

Il paraît que j’ai gardé, là-bas, de bons amis. Marcel Lecomte, notamment.

Écrivez-moi en Savoie, n’est-ce pas ?

Votre ami
C.E.

G. Delsenne
chez M. P. Pilotaz
GILLY-SUR-ISÈRE
(Savoie)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

J’ai, comme on dit, « mauvaise conscience ». J’ai l’impression de vous importuner un peu à abuser comme je le fais de votre intérêt, de votre amitié et de votre bienveillance, (de votre temps aussi). Et cela me tracasse dans la mesure où ils me sont précieux. Il faudrait me le dire.
J’ai reçu les Cahiers . Merci.
Je viendrai mercredi, 6 heures, rue Sébastien-Bottin. (Pas de « mauvaises rencontres » à craindre dans votre bureau?)
Bien entendu, ne m’écrivez pas.
Mais si vous partez pour quelque temps, vous serez gentil de me dire où et comment je pourrais, en cas de nécessité, vous écrire, moi.

Fidèlement vôtre
Claude Elsen

(J’ai beaucoup aimé – entre autres choses – le papier de Dominique Aury sur Colette.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Votre lettre me fait bien plaisir. D’abord, bien sûr, parce qu’elle me dit que vous allez mieux. Mais aussi parce qu’elle m’assure de votre inlassable intérêt. Merci !

Donc, j’ai signé le contrat de G.G. [Gaston Gallimard] Il m’a demandé de m’engager pour dix ouvrages futurs – mais, à ma demande, m’a immédiatement délié de cette obligation pour un livre que la Table Ronde me demande après Homo eroticus . (Il s’agit d’un essai sur l’incroyance.) Tout cela me ravit et me promet une année bien remplie.
Je n’ai pas encore retrouvé le goût ni l’habitude de la liberté : par prudence, je reste chez Lang jusqu’au 15 ou 20 février (le contrat G.G. [Gaston Gallimard] prend effet le 15). En attendant, je classe notes, documents, etc.
Tout le monde ici regrette votre absence. Et notamment Claude Mauriac, avec qui j’ai établi des contacts très cordiaux. Il souhaiterait vivement (dit-il) que nous nous livrions, vous et moi, à quelque dialogue dans Liberté de l’Esprit . J’y pense : il m’a dit son désir de vous soumettre une réponse à vous adressée par Denis de Rougemont. Enfin il m’a chargé de vous dire – si j’en avais l’occasion – que le retard apporté à vous fournir certains « tirés à part » de Lib. [Liberté] de l’Esprit tenait au fait qu’il avait une dette pendante auprès de l’imprimeur intéressé. Voilà qui est fait.
J’aurais encore diverses petites choses à vous raconter – mais je pense à vos yeux.
Je serai bien content de vous revoir. Faites-moi signe à votre retour, n’est-ce pas ?

Votre plus fidèle ami
Claude Elsen

(Pas de nouvelles de M. Delange.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

Nous nous sommes, une fois de plus, croisés. Mais voici votre texte, j’en ai pris copie.

C’est curieux que vous me disiez être « content de notre matinée de dimanche », car moi aussi… Dieu sait pourtant que nous n’avons résolu (ni posé) aucune question importante. Mais il faut croire aux impondérables…

Ai demandé à Dumay de me garder une bonne place dans la « Gazette » de vendredi en quinze : je tiens pour importantes vos réponses à mes petites questions.

À vous
Claude Elsen

(Avez-vous vu, dans « Carrefour », le papier de Denis Marion sur Méral?)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

L’Horloge de Saint-Sauveur, du R.P. Bruckberger : Les deux premières « journées » sont belles et émouvantes. Ensuite, cela fléchit, perd en acuité, tourne un peu au prêche évangélique et non sans longueur(s). Le début me faisait espérer une manière de réplique chrétienne au « Journal d’un condamné à mort ». La suite m’a fort déçu à cet égard.
D’autant plus que – se souvenant de « Nous n’irons plus au bois »- l’on est tenté, durant les 40 premières pages, de prêter au condamné les traits de Darnand, ce qui « circonstancie » ce témoignage. Mais on devine ensuite qu’il s’agit d’un homme condamné par les Allemands, et il y a là de quoi égarer un peu le lecteur, je le crains.
Éditeur, je crois que je ne publierais pas un livre dont l’intérêt tombe ainsi et se dissout en son milieu.
(Au fait, vous auriez dû me dire si vous attendiez de moi un avis aussi sommaire et personnel – ou un vrai « rapport de lecture » analytique et détaillé.)

Merci de votre souci de répondre aussi pertinemment à mes questions. J’espère tirer de là – grâce à votre concours – un bon papier pour la Gazette. Il doit paraître de vendredi en quinze. Je pense donc avoir le temps de vous le soumettre avant de le donner, dans 8 ou 10 jours. (Tout de même que ma chronique pour la Table.)

Je crois que je vais être amené (devant prendre une décision assez rapidement) à donner mon congé définitif à M. Lang. Les perspectives Comœdia me paraissent bonnes. Et je vous avoue que ces quatre années de servitude salariée m’ont amené bien près du point de saturation… (Il y avait des moments où j’éprouvais une dangereuse tentation d’abattre mes cartes, rien que pour changer…)

Votre ami
Claude Elsen

(Oui, j’avoue, ayant fait l’expérience des deux, qu’entre la prison et l’usine, la différence me semble assez peu sensible – et pas toujours à l’avantage de l’usine, dont la seule supériorité est qu’on garde l’illusion de pouvoir en sortir. Mais ce n’est pas toujours plus qu’une illusion.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Cher Jean Paulhan,

À l’occasion de la sortie des Causes et de la Métromanie , la « Gazette des Lettres » me propose de faire une manière de portrait-présentation-interview-rencontre avec Jean Paulhan. Vous voulez bien ?
Comme vous n’avez sans doute pas plus que moi le goût des « interviews », j’ai envie de vous proposer trois ou quatre questions auxquelles vous pourriez peut-être répondre rapidement par écrit . J’incorporerais cela à une « présentation ».
À tout hasard, je joins ces quelques questions. Ce serait bien si vous pouviez y penser d’ici dimanche et peut-être me remettre la chose. En modifiant ces suggestions à votre entière guise , bien entendu.

Votre ami
Claude Elsen

(Il va de soi que pour « jouer le jeu » - et en pensant aux lecteurs peu avertis – l’intervioueur [intervieweur] doit faire mine d’un minimum de naïveté…)

Je reçois votre mot. Les perspectives Comœdia me font plaisir. Mais oui, vous tiendrez le coup : on vous y aidera de toutes les manières. Pour moi, demandez-moi n’importe quoi. (Vous savez que techniquement parlant aussi, la confection d’un hebdo ne m’est pas tellement étrangère…)

C.E.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Je serais curieux de savoir si vous avez vu Kerchove, et eu l’occasion d’éclaircir cette histoire ambiguë. Comprenez ce que je crains : que (sans mauvais dessein) il bavarde sur les rapports existant entre « feu » G.D. [Gérard Delsenne] et Claude Elsen, et que la chose finisse par arriver aux oreilles qu’il ne faudrait pas (que nous trouvions par exemple, quelque jour, dans un journal d’ici ou de là-bas un écho ± [plus ou moins] perfide, du genre : « Est-il exact que sous le pseudonyme de Claude Elsen, etc... »).
Voilà à quoi je souhaiterais parer, simplement en faisant appel à la discrétion de K. [Kerchove] Si, tout en étant assuré qu’il a compris, vous jugiez préférable que je lui en parle, peut-être me diriez-vous comment le joindre ?
Pardonnez-moi de vous importuner avec cette histoire.

J’ai demandé, chez Hachette, qu’on vous envoie les « Histoires extraordinaires d’animaux ».

Vous avez raison : Antonini n’est pas du tout sympathique. Je n’aime pas beaucoup ses ronds de jambe. Et ce qu’il écrit (dans la Table ) est bien dénué d’intérêt.

Votre ami
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Je ne vois pas comment on pourrait remanier le manuscrit de K. Varasteh,- du moins comme j’ai fait pour P.P. [Paul Pilotaz] Ce livre est d’une lecture plaisante, d’une écriture agréable et aisée, même s’il est – pour mon goût – assez « mince ». (Avec P.P. [Paul Pilotaz], c’était, somme toute, tout le contraire : son roman était, à l’origine, plus substantiel que bien construit.
Ceci dit, et me plaçant du point de vue « éditeur », je doute un peu que ce livre soit appelé à une carrière bien brillante. Il n’est pas beaucoup plus que « joli » et sonne – me semble-t-il – un peu creux. Les titres proposés par l’auteur, d’ailleurs, laissent entendre qu’il s’en rend compte. Peut-être qu’une édition hors-série, « jolie » elle aussi…

De savoir que vous songiez aux Cahiers m’a fait penser avec une attention particulière au « Gide » dont vous me parliez. Et je crois que je « tiens » une idée, un fil conducteur, qui me donnent grande envie de m’y mettre. Cela pourrait s’intituler Gide et l’engagement ou, plus justement, De l’engagement considéré comme une démission (À propos de Gide, etc.),- et, bien sûr, cela déborderait un peu le « cas » particulier de Gide, tout en s’appuyant nommément sur lui.
Si vous voulez bien, je vais écrire cela (et nous pourrions ensuite reparler de Léon Bopp.)

Sauf imprévu d’ici-là, donc, gardez-nous votre soirée du samedi 16/12, n’est-ce pas ?

Je vous ferai sans doute le bonjour, mercredi soir, rue Sébastien-Bottin.

Affectueusement
Gérard

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Voici le livre de Dumay (j’ai reçu mon exemplaire) et l’ampoule.
Je vous avais apporté la seconde rue Sébastien-Bottin, où je vous ai attendu (en vain) en bavardant avec Antonini… et Arnold de Kerchove .
À propos de ce dernier : j’imagine que, cette fois, il a dû faire le rapprochement entre G.D. [Gérard Delsenne] et Claude Elsen ? Il n’en a rien laissé voir,- mais nous n’étions pas seuls. Il ne m’a d’ailleurs manifesté aucune hostilité, et m’a même promis le livre qu’il vient de publier.
J’aimerais pourtant savoir,- car il me serait désagréable que l’on sache un peu partout (et particulièrement là-bas ) qui est Claude Elsen.
Peut-être pourriez-vous vous en assurer, et, éventuellement, faire appel à l’amicale discrétion de K. [Kerchove] ? (Il ne vous la refuserait certainement pas.) Ou me dire s’il convient que je m’adresse directement à lui. (J’ignore même son adresse.)
Il passera vous voir à la nrf [Nouvelle Revue Française] vendredi soir, et y apportera son livre à mon intention. Si vous le jugiez souhaitable, je viendrais. Si non, je vous suggérerais de prendre ce livre (vous me le donnerez à l’occasion) et d’en profiter, si vous le jugez utile, pour mettre les choses au point.
Qu’en pensez-vous ?

Le Marchand vient de retourner son article à Bosschère, avec une lettre fort aimable (mais tout de même de refus).

La situation internationale prend à nouveau une tournure rien moins que rassurante, n’est-ce pas ?

Votre ami
Gérard

(Je saurai dans huit jours qui sont Jacques Pleyber et Saint-Germain,- par Le Marchand)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Vous serez certainement heureux de savoir que P.P. [Paul Pilotaz] (qui part aujourd’hui pour la Guinée) m’a envoyé hier la carte promise. Voici encore un pas de fait. Il me promet, à son retour, au printemps, de faire mieux encore.
Je vous en parlerai lundi (avec l’accent savoyard qui, désormais, s’impose).

Que « reprochez »-vous à Delange ?

Contemporains, oui, pourquoi pas ? Mais c’est une de ces revues qui, à première vue, ne semblent pas vouées à une très longue existence. Je peux me tromper.

Je demande à Robert Aron de vous envoyer le n° [numéro] de Revue de la Pensée juive (où, tout de même, je vous avoue que je me sens un peu dépaysé).
S’il ne le faisait pas, je vous passerais mon exemplaire.

Connaissez-vous M. Gaït, qui, sous le nom de Fabricius Dupont, a publié il y a un an ou deux un curieux « Manifeste des Inégaux ». C’est lui qui dirige la Fronde. Il me demande l’un ou l’autre papier, et, connaissant – tout se sait – nos contacts, me demande si vous-même… Textuellement : « Jean Paulhan ne ferait-il pas pour nous un peu de ce qu’il a fait pour les Lettres françaises ? Cela ne manquerait pas de piquant. Mais peut-on y penser ? En tout cas, veuillez considérer, J.P. [Jean Paulhan] et vous-même, que la roulotte de la Fronde, à l’attelage encore bien incertain, vous est ouverte et autant qu’il vous plaira. »
Que lui répondre ? (Je l’ai connu par Le Marchand). Ne m’aviez-vous pas parlé de quelque chose touchant l’amnistie ? À tout hasard, voici son adresse :
M. Gaït, Hôtel du Croisic, 131 rue du Cherche-Midi (XVe)

Le Marchand a en mains La révolte de Mme de Merteuil, qu’il va proposer au prochain conseil de la Table, de lundi en huit. Il suggérerait que cela parût en même temps qu’un Valmont de Claude Elsen, dont nous avons parlé. Le parallèle pourrait être amusant.

Cette étude sur Gide, dont vous me parlez, serait-elle pour une revue, un journal ? Et de quelle importance ? Au premier abord, je verrais quelque chose de 5-6 pages sur « Gide et l’engagement », à propos, notamment, de son Journal 1942-1949. Cela conviendrait-il ?

Je ne sais pas si j’aurai jamais un palais à moi (je n’en demande pas tant).
Mais en attendant, et pour marquer d’une pierre blanche la fin de cette année qui m’a tout de même beaucoup apporté (grâce à vous), nous serions bien contents si vous acceptiez de retourner avec nous, dans le courant de décembre, au sympathique « Cochon de lait ». Ce serait par exemple un samedi midi, dont nous conviendrions. Nous comptons sur vous.

À lundi, 11h½, mon cher Jean.

Votre ami
Gérard

(Je me donne beaucoup de mal, en ce moment, pour m’assurer une réputation de misanthrope, réfractaire aux réunions littéraires – que j’évite pour de tout autres raisons. Aujourd’hui encore, trois personnes m’ont demandé pourquoi je n’étais pas au dernier « cocktail » Gallimard.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1950
Mon cher Jean,

Nous n’avons décidément pas de chance (vous non plus, d’un autre point de vue). Nous avons été désolés de ne pas vous voir, samedi.
Ces vingt quatre heures se sont passées très bien et très vite.
Il paraît que, là-bas, mes anciens amis rentrent tous, peu à peu, dans la vie normale. On espère même que Robert P. [Poulet?], bientôt… (Il envisagerait, à ce moment, de venir ici.) Quant à l’ami dont je vous avais parlé, et qui avait eu des ennuis à Rouen il y a quelques mois, tout s’est arrangé au mieux.
Ma femme aspire avec courage mais impatiemment au jour où elle pourrait venir me rejoindre. Mais vous imaginez le nombre de problèmes que cela pose, et leur complexité (ici aussi, et pour moi…). Je vous raconterai tout cela. (Ne m’en parlez pas, si vous m’écrivez.)

J’espère vraiment que vous serez rétabli samedi prochain, pour notre petite réunion « guildienne ».
Si je n’ai pas de vos nouvelles d’ici là, je téléphonerai chez vous vendredi, par exemple.

J’aimerais lire l’article de vous qu’a publié « L’Âge nouveau ». Vous pourrez sans doute me le passer. Cette revue est-elle donc fréquentable ? J’avais toujours tenu M. Marcello Fabri pour un doux illuminé. Mais il est vrai qu’il est mort.

Dommergue (le bouquiniste) craint que les Saint-Martin ne soient très malaisés à trouver. Il essayera. Peut-être (selon lui) auriez-vous plus de chances chez Dobron (bd [boulevard] St-Germain).

Un ami de Spitz, de passage à Paris et repartant pour je ne sais quelles Philippines, désire acquérir quelques « curiosa ». Je lui ai suggéré de s’adresser à Chatté, de notre part.

Je crois bien que c’est tout.
Soignez-vous bien. Je vous aime bien (et un peu mieux que « bien »…)

Votre ami
Claude Elsen

(Pour l’angine simple – vous savez que je suis un peu médecin à mes heures – il y a de très honnêtes dérivés de sulfamides, comme le Collusulfamyd, ou les dragées de Solutricine. Ou le bon vieux « bleu de méthylène »).

Jean Paulhan à Claude Elsen (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 25 avril 1951
Mon cher ami,

Jugez vous-même : M. Orengo ne répond pas à ma lettre, et se dit absent quand je le demande au téléphone. Cependant, il laisse d’autre part entendre à Claude Elsen que c’est par ma faute qu’il a dû lui retirer une chronique dont Elsen a besoin pour vivre…
Ce sont là des façons bien étranges, et je ne puis croire que vous les approuviez, vous directeur d’Opéra . Je suis vôtre, cordialement

Jean Paulhan

[note : lettre de Jean Paulhan, qui ne semble pas adressée à Claude Elsen]

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 3 avril 1951
Mon cher Jean,

Ceci n’a rien à voir avec notre affaire…
Le Marchand est désespéré de ne pas trouver, pour la Table, un bon roman français, d’auteur connu ou non . Je lui promets de vous en parler. Je serais heureux si vous pouviez lui faire une suggestion quelconque,- et si c’était par mon entremise. C’est assez urgent, paraît-il. (Le cas échéant vous pourriez lui téléphoner à la Table – [DI7N?] 07-29 – où il est de 3 à 6 environ, chaque jour).
Pardonnez-moi de vous accabler ainsi de soucis.

Votre ami
CE

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1er septembre 1951
Mon cher Jean,

Voici l’ébauche que j’ai faite et vous propose pour notre entretien. Si ces questions vous conviennent, voudriez-vous y répondre par écrit ? Sous forme de brouillon, bien entendu, et en modifiant tout ce que vous voulez dans mon texte et mes questions, soit pour ménager des « enchaînements », soit pour justifier vos réponses. Le tout devrait représenter qque [quelque] 5-6 pages dactylographiées – que je me charge, bien sûr, de dactylographier.
L’entretien était fixé au 19, il me semble que ce serait bien si vous pouviez me donner cela dans une huitaine (le 10 par ex. [exemple]). Nous pourrions alors prendre date pour l’enregistrement de la chose.
À mercredi matin, sauf contre-ordre.

Votre ami
Claude

(Vous ai-je dit que je verrai mon avocat mardi matin ? Cette fois, je crois qu’il faut me décider à « marcher », pour en finir.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

Il n’y a rien de nouveau. Il n’y aura sans doute rien de nouveau d’ici vendredi (et même samedi, mais vous ne serez plus là). Je vous le dirais. Voulez-vous que nous convenions de ne rien faire avant votre retour, et que les choses soient un peu claires ?
Nimier me dit qu’il vous a écrit. Je vous avoue – puisque vous m’en parlez – que je suis moi aussi (depuis le début de cette histoire) un peu gêné par le manque de netteté de son attitude. Il se retranche résolument derrière Orengo.
Mais a priori je veux faire crédit encore à leur bonne foi et à leur amitié. Ce n’est que si je me sentais vraiment « lâché » par eux que je vous reparlerais, par exemple, du Figaro littéraire . (J’avais songé aussi à Rivarol , où je crois que l’on m’accueillerait très volontiers, mais qui est un peu bien marqué… et marquant.)
Je voudrais que tout ceci ne vous tracasse pas trop. Merci de la gentillesse avec laquelle vous vous solidarisez avec moi. (Ce qui embarrasse fort les gens de Plon et d’Opéra …)
Il me reste à vous souhaiter bon voyage. Il me semble que les choses ont quelque peine à « tourner rond », quand vous êtes absent de Paris…

Votre ami
CE

P.S. Dernière heure : Le Marchand sera très heureux de vous voir vendredi 11, rue des Arènes. (S’il y avait contre-ordre de votre part, voulez-vous lui donner un coup de téléphone soit à la Table demain jeudi vers 4-5h – DAN 07-29 – soit chez lui vendredi matin – LIT 68-94.
Je lui ai parlé discrètement de l’incident. Il ne semble pas du tout persuadé de la bonne foi de nos amis.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

Vous avez décidément le génie de l’amitié… Oui, j’étais assez mal en point mardi (et toute cette semaine), physiquement et moralement. Cela s’accompagne chez moi, d’instinct, d’un bizarre souci de n’en rien laisser voir, qui me rend un peu « grinçant ». Mais devant des amis comme vous, ou Paul et Lily P. [Pilotaz], toutes ces défenses (involontaires) tombent. (Elles tiennent, je crois, à ce que je déteste ennuyer  : connaissez-vous l’histoire, contée je ne sais où par Montherlant – excusez-moi – de l’homme qui, se sentant pris de malaise en public, et proprement en train de mourir, s’en excuse auprès des gens qui s’affairent autour de lui, et dit avoir honte du dérangement qu’il leur cause?)
Je suis un peu accablé par la confusion des affaires auxquelles je suis mêlé, l’ « embouteillage » qu’elle provoque, et l’incertitude matérielle qui en résulte sans que j’en voie la fin. Ajoutez que, depuis 10 ou 15 jours, je suis physiquement assez mal en point (les nerfs, ces sacrés nerfs!). Ajoutez enfin que je prévois de désagréables complications sentimentales, dont je n’avais vraiment pas besoin. (J’ai horreur des « drames », quand je n’en suis pas le seul acteur…)

En fait, René D. n’a rien demandé à Orengo. Mais assurément il ressortait de son exposé (d’ailleurs plein de sens) qu’il ne se voyait à Opéra que nanti de plusieurs pouvoirs et d’un titre correspondant. Et j’ai peur qu’étant donnée l’euphorie qui y règne encore, une telle suggestion ne soit un peu hâtive. Je me demande s’il ne faudrait pas les laisser piétiner un peu, d’abord. Ils s’y emploient très consciencieusement. D’ici 2 ou 3 mois, ils pourraient bien ouvrir les yeux. (Mais ne sera-t-il pas trop tard pour « rattraper » ce qui aura été gâché ?
Je crois que la politique de D. devrait être de « garder le contact » sans trop demander . C’est ce que je m’applique moi-même à faire. Vous pourriez nous y aider discrètement. (On tient grand compte de vos avis.)

Tout de même, je pense beaucoup à la nrf [Nouvelle Revue Française]… (Dans la mesure même où le journalisme , aujourd’hui, me semble dépassé, et un peu « pourri ».)

Bien sûr, je viendrai vous dire bonjour mardi matin, 11h30.

Je vous serre la main
CE

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

Entretien d’une heure, hier, avec Delange et Orengo. Je ne sais pas ce qui en sortira, ni s’il en sortira quelque chose. Delange, en tout cas, a dit exactement ce qu’il y avait à dire.
Mais je crains un peu qu’Opéra soit et reste prisonnier d’un mauvais départ, pris dans le désordre et l’improvisation. Il fallait Delange où il y a Orengo (qui est un homme très bien , mais absolument débordé), et Jean Paulhan où il y a Nimier (tout à fait charmant, mais par trop dilettante, sans « conviction » et sans expérience du « métier »). Bref, il fallait Comœdia… Hélas.

Mais ce qui serait merveilleux, ce serait de refaire la nrf [Nouvelle Revue Française] – quoi que vous en disiez !

Ces semaines m’ont (nerveusement) « claqué ». Je suis un peu épuisé, un peu hors de moi – et très mal à l’aise, physiquement et moralement. Yvette s’en désole, ne sait qu’en penser. Je l’impute à Opéra – qui y est, bien sûr, pour une grande part. Mais je ne puis pas lui dire, tout de même, que j’ai aussi à compter avec le sort absurde que m’a jeté une petite fille toute claire, toute droite, dont l’entrée en scène a ébranlé jusqu’aux fondations le bel édifice bâti en quelques années, tout de même, par l’homo eroticus … Est-ce assez extravagant ? Et quels ennuis, quels soucis cela nous promet-il encore ! Comme si tout, déjà, n’était pas suffisamment compliqué comme ça…
(Bien entendu, ne m’en écrivez pas.)

Faut-il déjà vous souhaiter bon voyage ?
Vous seriez gentil de me dire quand vous partez, et pour combien de temps.

Votre ami
Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

Il me semble que ce dont vous me parlez à propos de Braque, ou de Malraux, serait parfait pour « Opéra ».
Je serais moins sûr pour la Lettre aux directeurs de la Résistance , car la haute direction du journal entend qu’on n’y touche à la politique en aucun cas. (Par contre, je serais bien content, moi, de la lire, cette lettre - & qu’elle parût!)

[Lettre coupée]

[mot illisible] soirée chez les Kerchove. Nous aimerions beaucoup nous retrouver avec vous, une autre fois.
Vous les verrez, je crois, jeudi. Je serai en pensée avec vous,- certaines présences m’interdisant d’y aller.

Si je puis, je passerai mercredi soir à la nrf [Nouvelle Revue Française]. Si non, ne pourrais-je aller vous dire bonjour, rue des Arènes, dimanche ou lundi matin ?

Je vous serre la main
[Lettre coupée]

[Horizontalement en haut de page, sous la date] [soirée] Kerchove

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

J’ai été bien heureux de vous revoir. J’étais un peu tracassé par toutes ces histoires d’Opéra , me demandant – « scrupuleux » comme vous me savez – si je n’avais pas tort de m’y dérober à un engagement total . En fin de compte, je ne crois pas. Pour un enjeu matériel et moral relativement maigre, c’était risquer beaucoup – matériellement et moralement aussi. Il m’a paru que vous partagiez ce point de vue. Cela m’a été bon.

Delange m’a téléphoné. Je pense que nous verrons Orengo ensemble, jeudi.
(Il me revient de divers côtés que l’expérience Opéra est hasardeuse, et pourrait rapidement se heurter à des difficultés réelles.)

Si vous dites à F. [Francis] Ponge d’envoyer quelque chose (on le souhaite), dites-lui de me l’envoyer à moi , c’est plus sûr. (Vous savez qu’il est devenu inutile d’indiquer, aux gens à qui vous pouvez dire de m’écrire, que mon nom est G. [Gérard] Delsenne : celui de Claude Elsen est devenu au moins aussi familier à mes hôteliers…)

Oui, ma femme écrit,- avec un certain désabusement. Elle me dit sentir que cette trop longue séparation a creusé entre nous des fossés bien difficiles à combler. Et les circonstances ne laissant, d’autre part, pas plus que devant, prévoir un règlement de fait de ma situation, elle se prend à douter qu’il y ait beaucoup à attendre pour elle.
Je ne sais pas trop moi-même que penser, ni que dire. Claude Elsen est devenu un personnage bien réel, à la vie, aux pensées, aux sentiments de qui je me suis laissé prendre, n’étant plus aussi sûr que tout en soit provisoire… Le passé est bien loin. L’avenir, je n’y pense et n’y crois guère. Le présent est déjà bien assez confus.
Peut-être manqué-je, oui, de cette « inflexibilité » que vous disiez, et que j’ai sans doute plus grande vis-à-vis de moi-même que des autres : j’ai toujours répugné à décevoir les sentiments qu’on me porte… C’est bien gênant. Mais assez parlé de moi.

Purnal m’inquiète un peu. J’ai peur qu’il ne sache pas se plier aux contraintes, accepter les attentes, les tentatives vaines, à quoi l’on est bien forcé dans son cas – qui fut le mien. Il me semble qu’il pourrait, qu’il devrait essayer bien plus de choses qu’il ne fait, même s’il n’est pas assuré du résultat.
Il y a des moments où il faut bien accepter d’être correcteur d’imprimerie, ou de collaborer à des « V-Magazine ».(1) Ce n’est pas aussi « compromettant » qu’on le dit. Il arrive même qu’on ne le regrette pas.

Votre ami
Claude

Je serais bien curieux de lire ce que vous préparez sur Malraux. Ne puis-je en parler à Opéra , ou d’un texte sur Braque ?

À la radio, conclusion aux Entretiens avec Léautaud : une très belle intervention de Jouhandeau, dont j’ai aimé l’emportement contre « le siècle ».

CE

Dernière heure : R. [Robert] Lutigneaux me demande de faire à la radio, à partir du 22 mai, 4 conférences sur : « La morale chez quelques écrivains d’aujourd’hui », à propos, notamment, de Sartre, Camus, Malraux & J. Paulhan. Voilà qui me plaît. (D’ailleurs l’idée était de moi, bien sûr…) J’espère que vous m’autorisez à parler de J. Paulhan « moraliste » ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

C’est un peu hâtivement que j’ai voulu vous épargner l’ennui de recommander Delange à Orengo. À la réflexion, et considérant le prix qu’on attache, rue Garancière & rue Richelieu, à votre opinion, il me semble que cela pourrait être d’un poids réel. De toute manière, D. [Delange] a rendez-vous mardi, 3h., avec O. [Orengo] J’aimerais y assister (je serai chez Plon, si vous voyez Delange, dites-lui de me demander avant de voir O.) Ce serait tout de même bien si nous arrivions à superviser un peu « Opéra » (qui en aurait besoin).

La Table Ronde cherche (avec angoisse) un bon roman français, inédit, à paraître ou non, d’un auteur qui ne fût pas un inconnu. On m’en parle. On me demande si, par votre entremise, je ne pourrais rien « décrocher » chez Gallimard, qui se prêtât à une avant-publication de cette sorte dans la revue.
Qu’en pensez-vous ?

Plus j’y pense, plus le voyage en Italie me paraît difficilement réalisable pour moi. Deux difficultés majeures : la question « papiers », l’inconvénient qu’il y aurait à m’absenter 2-3 semaines avant la période des vacances. Et une difficulté psychologique : selon les plans de P.P. [Paul Pilotaz], Yvette n’en serait pas (faute de place). Ce qui me gêne un peu, et la peinerait beaucoup.
De toute manière, nous irons à Gilly cet été. Et il est projeté, je crois, que nous nous y retrouvions ensemble.(*) Ce qui m’enchanterait.

Ne manquez pas de me dire si et quand vous vous absenterez de Paris. Ne me donnerez-vous rien, avant, pour « Opéra » ?

Je ne sais plus très bien où j’en suis, comment je vis, Jean. Cette année s’annonce bien agitée, sur tous les plans (y compris le plan sentimental, où je croyais bien pourtant que l’ordre était à peu près définitivement établi…)

Votre ami
Claude

Delange m’a parlé d’un projet de film, me demandant si j’en pouvais faire un projet de scénario, dont l’action se passerait à l’Opéra. Y a-t-il quelque chose de sérieux, là-dedans ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Cher Jean Paulhan,

Une ou deux suggestions, pour Comœdia  :
1) Il faudrait qu’il y ait, chaque semaine, en première page, un « billet » de 50 lignes que vous feriez et qui serait, dans l’esprit de la Paille , une réflexion sur l’actualité, mais considérée dans l’éclairage de la « grammaire des idées ».
2) Dans la page littéraire, pourquoi ne pas faire une place à l’inactualité sous la forme d’un petit papier consacré à un livre oublié, méconnu ou déjà ancien (sous le titre de « Relectures », « L’inactualité littéraire », ou quelque chose comme ça) ?
3) Et lorsque paraît un livre qui vous semble intéressant et menacé de passer inaperçu, pourquoi ne pas demander à l’auteur de le présenter lui-même ?
4) Ce principe d’inactualité aurait sont intérêt aussi en matière de cinéma, en ce sens que beaucoup de gens ne voient pas les films à leur sortie, mais plusieurs semaines ou mois après. Il faudrait que le titulaire de la chronique, ou un autre, fît chaque semaine cinq ou six notes de 5 lignes sur les films intéressants, même anciens, passant dans les salles de « reprise » ou de quartier. (Je le faisais jadis, et c’était fort apprécié de mes lecteurs).

Un ami américain m’a prêté un livre de Bierce que je ne connaissais pas et qui est bien curieux : The Devil’s Dictionnary (Le Dictionnaire du Diable). C’est un véritable dictionnaire dressé par lui et dont les définitions sont souvent d’un curieux humour (assez subversif). Je ne pense pas qu’il ait jamais été traduit ? Comœdia pourrait aussi en donner des extraits.

Je pense encore à une rubrique, qui pourrait s’intituler Le Violon d’Ingres , et où vous donneriez des textes écrits par des non-spécialistes du genre auquel ils appartiendraient. Par exemple une nouvelle d’un essayiste (ou d’un peintre), un poème d’un critique (ou d’un philosophe), un essai critique d’un romancier, etc.

Pour la radio, je vois trois choses :
a) un billet d’ordre général (sur la composition des programmes, telle émission particulière, la psychologie de l’auditeur, etc.) ;
b) des notes d’écoute sur les programmes de la semaine écoulée ;
c) un choix d’écoute pour la semaine suivante.

À vous
Claude Elsen

(Mon médecin prolonge de deux mois mon congé « maladie »).

[Horizontalement en haut de la première page, encadré en rouge] R.D.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1951
Mon cher Jean,

J’ai eu l’imprudence de dire devant Nimier que je vous avais accompagné au lit de mort de Gide, que Léautaud y était, etc. : il n’en faut pas davantage pour qu’on me demande un petit papier là-dessus. J’espère que cela ne vous ennuie pas.
(Yvette m’assure que Gide nous a plus marqués que je ne le dis, nous qui tournons autour de la quarantaine. Et ma foi, c’est peut-être bien possible. Certains propos d’Amrouche, à la radio, pourraient me le donner à penser. Il faudrait, quelque jour, faire une enquête là-dessus).

À « Opéra », tout me paraît se présenter assez bien. Ma collaboration m’assurera, semble-t-il, quelque 25 ou 30.000 par mois. (5.000 par chronique radio + articles et notes diverses)
J’attends d’être encore un peu mieux « incorporé » à la nouvelle équipe (on me dit le désirer) pour parler de Delange.
(Confidentiellement : il y aura, chaque semaine, une page consacrée à un écrivain. Nimier songe à une prochaine « page » Jean Paulhan. Et souhaite que je collabore à sa préparation.)

Jean, je voudrais savoir ce que vous pensez (entre nous) de l’ « affaire » Étienne Gilson. Avez-vous lu sa lettre, dans le Monde de ce soir (mercredi) ? Moi, je trouve sa position tout à fait défendable, et me fais régulièrement eng… [engueuler?] parce que je le dis. Suis-je vraiment inconscient ?

J’en ai fini – pour l’instant – avec les divers travaux de correction, remaniements de ms. [manuscrits], etc., que j’avais acceptés. Il me reste une traduction à achever, puis – en dehors d’ « Opéra » - je ne veux plus penser qu’à terminer Homo eroticus .

Indiquez-moi, s’il-vous-plaît, un jour de la semaine prochaine où je puisse venir vous dire bonjour vers 11h½ : nous n’avons guère eu le loisir de bavarder, mardi. (Sauf imprévu – dont je vous avertirais – tous les jours me sont bons, sauf mercredi.)

Votre ami
Gérard

« Opéra » songe à me doter d’un poste de télévision ! En plus de dix autres raisons, celle-là contribuera à me compliquer la vie à l’hôtel . Vous ai-je déjà demandé de penser à nous si vous entendiez, d’aventure, parler d’un petit appartement libre ?…

Sur tout cela, une ombre tout de même. (Cela ne vous ennuie pas que je vous fasse ces confidences?) Ma femme, trouvant le temps bien long, et croyant les choses beaucoup plus simples qu’elles ne sont à bien des égards, s’impatiente. Elle voudrait me rejoindre (ce qui est évidemment impossible encore). À défaut, venir plus fréquemment ici (ce qui présente des difficultés de diverses sortes, que je ne puis pas toutes lui expliquer, me semble-t-il). Et s’insurge contre ma prudence (qu’elle juge excessive) et mes réticences (qu’elle attribue à de l’indifférence). Et me boude (me laissant sans nouvelles depuis plusieurs semaines). Jean, ce n’est pas facile de tout concilier et, par surcroît, de ne pas faire mal à ceux qu’on aime. Dieu sait pourtant que j’essaie. Mais c’est là que je me sens très seul.
J’ai peur aussi, parfois, que le temps et l’espace aient mis entre elle et moi plus de distance que nous pensions l’un et l’autre. Comment savoir ? Et, sachant, comment faire en sorte que tout reste clair, net, sans cette misère qui s’attache trop souvent aux « drames du cœur » ? Y a-t-il en ces choses des compromis possibles ? J’aime ma femme et ma fille, j’aime Yvette. Je les aime sincèrement, profondément, et, je crois, honnêtement. Est-ce ma faute ? Et faudra-t-il nécessairement que cela tourne au drame pour l’un de nous, peut-être pour tous les quatre ?
Mais excusez ces inutiles épanchements…

G.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1er mars 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1er mars 1955
Mon cher Jean,

Voilà bien longtemps (quinze jours au moins) que nous ne nous sommes pas fait signe…
Rhumes et vaccins sont oubliés. On attend le printemps. Moucky va, la semaine prochaine, voir en compagnie de sa mère s’il s’annonce dans les Ardennes. Moi, vous me savez sédentaire…
Je me suis (tout de même) remis à travailler un peu, vaille que vaille, entre deux manuscrits Amiot-Dumont, et en ayant fini avec le livre sur le Japon que j’ai riraïté [rewrité ?] pour les Éditions de Paris. La Troisième dimension prend figure de « commentaire vécu », si j’ose dire, d’Homo eroticus . Les Cinq lettres , que j’y annonçais aussi (dans Homo ), en constitueront la seconde partie. Comme je ne me vois pas parti pour écrire énormément de livres (faute de rentes), je voudrais au moins mener à bien celui-là.
J’ai engagé avec Jean-Luc de Carbuccia la conversation au sujet de la « Série blonde », lui ai soumis un projet, un synopsis de roman « léger » (et pseudonyme). On verra bien.
À Dimanche-Matin , c’est toujours la croix et la bannière pour se faire payer, bien que le journal ne me semble pas en si mauvaise posture. (Qu’il soit bien fait, c’est autre chose…)
Quid de Lovecraft ? Si aucune des nouvelles du petit volume américain que j’ai confié à D.A. [Dominique Aury?] ne convenait pour la nrf [Nouvelle Revue Française ], elle serait gentille de le retourner à Georges-H. Gallet (3 square du Thimerais, XVIIe). Merci d’avance.
Donnez-nous de vos nouvelles, mon cher Jean.

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (9 septembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 9 septembre 1955
Mon cher Jean,

Vous êtes gentil. Je sais qu’il n’y a guère d’espoir de « raccrocher » les choses du côté Amiot-Dumont. Mais si Dominique ou (et) vous-même aviez l’occasion de parler à Roditi, ce que je vous serais reconnaissant de lui dire c’est
1° que je suis extrêmement étonné de la manière dont on m’a « remercié » (comme on dit) : j’en ai été avisé de vive-voix, le 29 août ; on m’a informé que la mesure prenait effet immédiatement, sans préavis ni dédommagement d’aucune sorte (alors que j’avais été engagé, par écrit, dans les règles, en février 54) ; j’ai écrit à Jean Dumont pour lui demander de me faire savoir la chose « officiellement », par écrit, en m’indiquant les délais et les conditions de ce renvoi – et n’ai reçu, à ce jour, aucune réponse à ma lettre. Tout cela est, tout de même, un peu cavalier…
2° que ledit Roditi pourrait peut-être me faire avoir, sinon un travail régulier, du moins des travaux occasionnels, et en particulier des traductions. Je connais sa gentillesse et son élégance, et je suis sûr qu’il le ferait.
À part cela, je ne suis nulle part et ne sais pas où je vais. Impossible de se faire payer à Dimanche-Matin . Les possibilités semblent de plus en plus minces dans l’édition. Bref, les choses ne se présentent pas très bien…

Désolé de savoir que vous êtes, vous aussi, aux prises avec des difficultés du même genre. Il n’y a donc pas moyen d’être un peu tranquille ?…

Très étonné, enfin, de n’avoir aucune nouvelle des Pilotaz depuis mai ou juin, bien que je leur aie, entre temps et il y a huit jours encore, écrit plusieurs fois. Que se passe-t-il ?

Que puis-je dire à Julien Segnaire, qui me demande quand paraîtra dans la nrf [Nouvelle Revue Française ] la note sur ses Dieux du sang  ?

Moucky me dit de vous suggérer de venir nous dire bonjour, un de ces après-midi vers 6 heures, avec Dominique (en voiture, ce n’est pas le diable) – en nous prévenant, si possible, pour être sûr que nous sommes là. Nous y sommes souvent, sauf le mardi. Nous vous montrerons nos peintures buzancéennes…

Bien affectueusement
Claude

PS – Je viens de lire Du Pur Amour, de Jouhandeau
Je suis consterné…

[Au verso, réponse de Jean Paulhan]

M. Claude Elsen
1 av.[avenue] de Camoëns (16)
Cher Claude
Je dirai tt [tout] cela à Roditi. Oui, ce sont de drôles de manières. Mais Genêt va les voir et ces imbéciles lui donnent 300.000 d’avance sur un ms [manuscrit] qu’ils n’auront jamais.
n [nous] sommes ss [sans] nouv. [nouvelles] des Pilotaz, ns[nous] aussi.

Claude Elsen à Jean Paulhan (16 octobre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 16 octobre 1955
Mon cher Jean,

Je suppose que vous trouverez ce mot (peu « urgent ») à votre retour.
Nous partons demain pour Gilly. Moucky en reviendra le 24, moi le 26 ou le 27. J’ai grand besoin de me reposer : après avoir eu des ennuis avec mes nerfs et ma tension artérielle, je me suis offert une superbe grippe, qui a achevé de me mettre à plat. Tout cela étant plus ou moins la conséquence des ennuis que vous savez.
Rien de neuf de ce côté. J’ai obtenu à grand peine d’Amiot-Dumont – grâce à Roditi – une indemnité d’un mois (40.000). Mais Dimanche-Matin est toujours au bord de la faillite, et personne n’y est payé depuis deux mois et demi.
Les diverses démarches et tentatives que j’ai faites ça et là n’ont rien donné. J’ai même écrit à Gaston Gallimard (notamment pour lui offrir mes services comme traducteur). Il m’a répondu quatre lignes poliment évasives. Tout cela est assez décourageant. En attendant (quoi?) Moucky fait de petits travaux de dactylographie et songe à donner des leçons particulières à des enfants. Si rien ne se dessine en novembre, je songe pour ma part à me mettre à la littérature « alimentaire » (« série blonde », roman policier, que sais-je?) Mais cela risque de créer des complications du côté de G.G. [Gaston Gallimard], qui est féroce en ce qui concerne l’observation des clauses du contrat qui lie les auteurs de la maison et leur interdit de publier ailleurs, même sous un pseudonyme.
Bref, je ne vois pas trop bien comment nous nous en sortirons, d’ici un mois ou deux.

J’ai reçu – avec surprise – un mot de Marcel Arland me demandant si je m’étais mis d’accord avec vous sur les livres dont je parlerais dans les prochains n° [numéros] de la nrf [Nouvelle Revue Française] (!?). Je lui ai annoncé une note sur Pierre Boulle. Serait-il, soudain, mieux disposé à mon endroit ?

Un mot de vous me (nous) ferait plaisir à Gilly, la semaine prochaine ou au début de la suivante (je compte rentrer le mercredi 26 ou le jeudi 27).
Et puis il faudra se voir.

Quand je pense à tout , je suis assez accablé. Ce qui est grave, c’est que ces déboires successifs (Plon, Amiot-D. [Dumont], Dimanche-Matin) me rendent un peu neurasthénique, m’enlèvent le goût et le courage de travailler. Les mois et les années passent, sans m’apporter le minimum du paix et de sécurité matérielles qui sont tout de même la condition d’une existence un peu harmonieuse. Ces dix ans m’ont usé les nerfs et, j’en ai peur, un peu aigri. Cette vie besogneuse et sans cesse aux abois est déprimante au possible, entraîne une terrible dispersion intérieure. J’en reviens insensiblement (et quand je dis « insensiblement »…) au nihilisme de mes vingt ans, quand je pensais avec complaisance au suicide tant me semblait vaine et stérile l’agitation à quoi contraint la « lutte pour la vie ».
Tout cela se sentira fort, je le crains, dans les propos de mon « Dernier quart d’heure » que me demande de tenir au micro de la radio Pierre Lhoste – avec un sens involontaire de l’humour noir…

Je suis las aussi, il faut bien le dire, d’importuner mes amis avec mes ennuis, de leur demander conseils, suggestions ou appui… Vous, c’est différent. Je sais que vous m’écoutez avec une affectueuse indulgence…

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (30 octobre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 30 octobre 1955
Mon cher Jean,

Je trouve votre mot au retour de Gilly, où j’ai prolongé mon séjour jusqu’à hier, rien de particulier – hélas ! – n’exigeant ma présence ici.
L’automne savoyard est toujours admirable. Paul va beaucoup mieux. L’y aide une récolte de fruits sans précédent. Lily, toujours charmante, tourmentée, un peu écrasée par ses enfants-vampires. Ils allaient, tous, passer ce dimanche à Lausanne.
Ces deux semaines m’ont, physiquement, un peu « retapé ». J’en avais grand besoin. Il va falloir, à présent, reprendre la course au travail. Denoël m’a demandé une autre traduction de roman « fantastique ». Je suis une légende , dont je vous ai parlé, vient de paraître. Je vous le recommande : il me semble que ce roman (de Richard Matheson) apporte quelque chose de nouveau dans le genre.
Je vous enverrai dans quelques jours la note sur Pierre Boulle.
Et je dois faire, pour la radio, mon « dernier quart d’heure ».
Pour l’instant, c’est tout. Mais je ne suis pas fâché de mieux me porter.

Bien affectueusement
Claude

Je vous ai dit, je crois, qu’Amiot-Dumont a finalement consenti à me verser 1 mois d’indemnité, grâce à Roditi ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (13 novembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 13 novembre 1955
Mon cher Jean,

Qui diable a poussé G.G. [Gaston Gallimard] à publier La mauvaise conscience , de Mme Suzanne Allen? Il s’agit là, je crois bien, du plus mauvais livre qu’on ait lu depuis longtemps… Marcel Arland ou vous-même avez fait montre d’un génie quasi diabolique en réussissant à en extraire, pour la nrf [Nouvelle Revue Française ], vingt pages lisibles !
Ledit M.A. [Marcel Arland] vous a peut-être dit que Plaisir de France lui consacre – avec mon concours – quelques pages de son numéro de janvier. Je suis toujours en quête de modèles pour des « portraits » de ce genre. Cela ne vous dit-il rien ? Ils doivent malheureusement être assortis de pages inédites dudit « modèle », ressortissant pour bien faire à la littérature de fiction (roman, nouvelle). Mais nous pourrions peut-être faire cela sous forme d’entretien, si par exemple votre Traité de la peinture moderne « sortait » prochainement. J’ai aussi mes entrées au Bulletin de Paris .

La vie continue. Rien de bien neuf. Je traduis un roman de science-fiction pour Denoël – et je bricole. Dimanche-Matin sera, d’ici huit jours, vendu ou en faillite. Il doit toujours trois mois de piges, bientôt quatre, à ses collaborateurs. C’est vous dire que je fais un peu de la corde raide, pécuniairement parlant. Cela durera ce que cela durera…

J’ai enregistré, pour la radio, mon « dernier quart d’heure » (l’émission de Pierre Lhoste). Lhoste serait bien content de vous avoir. Je lui ai promis de vous en dire un mot. Voilà qui est fait. Il vous relancera sans doute.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (10 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 10 décembre 1955
Mon cher Jean,

On me dit que vous êtes souffrant. Est-ce exact ? J’espère que non – ou du moins que ce n’est rien de sérieux.
J.J. [Jean-Jacques] Pauvert m’envoie son livre sur Leonor Fini. Avez-vous déjà confié à quelqu’un le soin d’en parler dans la nrf [Nouvelle Revue Française] ? Je le ferais volontiers.
Il ne se passe pas grand-chose. Je suis toujours en quête de travail (en particulier de traductions). J’en ai écrit un mot à G.G. [Gaston Gallimard], qui m’a répondu assez évasivement. Et Roditi, au souvenir de qui je me suis rappelé, ne m’a plus donné signe de vie.
Mais plutôt que de vous ennuyer avec tout cela, j’aimerais avoir de vos nouvelles…

Nous vous embrassons
Claude

Où en est l’affaire d’Histoire d’O.  ?

[Réponse de Jean Paulhan, au niveau de la signature] Elsen
1 av. [avenue] de Camoëns (16)
[puis horizontalement en bas de page] Ch. [Cher] Claude
il n’y a rien de nouv. [nouveau] pour O . Je sais seul[t?] [seulement] que l’aff. [affaire] se poursuit.
On ns [nous] a déjà promis une note sur la Fini de Brion.

[horizontalement en haut de page, encadré en rouge] MA

Claude Elsen à Jean Paulhan (21 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 21 décembre 1955
Mon cher Jean,

J’ai toujours trouvé un peu bête le rite des vœux de fin d’année. Mais croyez que si je vous adresse (et rien qu’à vous, d’ailleurs…) les miens, les nôtres, ce n’est pas pour sacrifier à une vaine tradition.
Les circonstances ont fait que nous ne nous sommes plus vus depuis bien longtemps. Je le regrette. Je voudrais que très bientôt vous veniez passer un après-midi ou une soirée avec nous. De toute manière, nous pensons souvent à vous, et avec beaucoup d’affection.
La vie (plutôt recluse) suit son cours, au jour le jour. Nous nous en accommoderions assez bien, n’était une insécurité matérielle dont je n’arrive pas à sortir depuis quatre mois. J’imagine qu’on se fait à tout…

Nous vous embrassons
Claude

Il faudra que je vous raconte mes deux visites récentes à… l’ambassade de Belgique, à laquelle mon ex-femme avait demandé de me « faire des ennuis » et où, au contraire, j’ai noué des rapports on ne peut plus courtois avec l’attaché juridique, manifestement amusé et un peu embarrassé à la fois d’avoir affaire à un ex-compatriote qui devrait normalement se trouver depuis dix ans dans la fosse commune, avec douze balles dans la peau...

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Je crois que nous avons l’un et l’autre la même antipathie pour le téléphone – et que cela se sent, si j’en crois Moucky…
Je vous remercie d’avoir pensé à,moi pour ce travail sur Lamennais, mais vous comprendrez mes scrupules : le sujet m’est aussi étranger que la culture des bananes (à propos, avez-vous enfin des nouvelles de P. [Paul] Pilotaz ? Moi, non)
Il l’est moins, je crois, à Robert Poulet. Ce pourquoi j’ai pensé à lui : j’ai lu récemment un article de lui sur le livre que Michel Mourre a consacré à Lamennais (chez Amiot-Dumont), qui me paraissait (l’article) attester une solide connaissance du sujet.
J’ai eu, enfin, des nouvelles de Roditi, à qui j’ai dit tout ce que je vous ai dit déjà touchant mon « licenciement » assez cavalier. Il m’a promis d’en parler – mais sans me laisser grand espoir d’obtenir la moindre indemnité de renvoi.
Arnold de Kerchove, avec qui j’ai échangé quelques billets ces temps-ci (il est à l’Île de Ré, où Nadine peint à tour de bras, si j’ose dire), me suggère de proposer à Plaisir de France un texte de lui, intitulé Jalousie , qui est, me dit-il, entre vos mains et qu’il désespère de voir paraître dans la nrf [Nouvelle Revue Française ]. Pourquoi pas ? À l’occasion, voulez-vous m’envoyer ce texte ?
À part cela, il me dit être très optimiste quant au règlement de ses ennuis. Il est bien le seul…
Ne manquez pas de nous faire signe et de venir nous dire bonjour une de ces fins d’après-midi, avec D.A. [Dominique Aury], dès que vous pourrez. Nous ne bougeons guère, passablement dégoûtés de l’existence…

Bien affectueusement à vous
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Voici.
J’avais, je vous l’avoue, perdu de vue le calendrier…
La traduction que je fais pour Denoël m’occupera (et me fera vivre…) jusqu’au début de décembre. Ensuite, c’est l’inconnu.
Je vous signale que ma traduction de Je suis une légende , de Richard Matheson, est parue (chez Denoël également). Mais vous l’avez sûrement reçue. Il me semble que c’est un très bon (et très curieux) roman « fantastique ».

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Désolé de ce sot empêchement, qui nous a privés du plaisir de vous voir… J’aurais pu, à la rigueur, me traîner jusqu’à la Reine Blanche , mais en assez piètre forme et – comme dit très justement Moucky – nous ne vous voyons pas si souvent qu’il faille laisser la grippe en diminuer l’agrément. J’espère bien que vous nous fixerez un autre jour, par exemple mercredi prochain  ?
Je me suis alité le 31 au soir, ce qui a résolu le problème toujours un peu fastidieux du réveillon et des visites du jour de l’An. J’y ai passé quatre jours (au lit) dans un curieux état « brumeux ». Avec, pour m’occuper, outre des romans policiers, un mal léger et bizarre : imaginez, entre le cou et l’épaule, une brûlure, une gerçure invisibles, comme un pincement des nerfs, juste sous la peau ; pendant 24 heures, s’est mis à apparaître une manière de coup de soleil, sensible au toucher, qui s’est effacé comme il était venu, laissant subsister – jusqu’à présent – cette gerçure, ce pincement. Cela permet(tait) toutes sortes d’hypothèses attachantes, depuis le prosaïque zona jusqu’aux premières séquelles européennes des expériences atomiques. Mais me voilà à nouveau sur pieds, et aux prises avec de plus modestes préoccupations…
À ce propos, Jacques Robichon – par qui, à la demande de Chardonne, j’ai été introduit chez Amiot-Dumont – me dit que l’on pourrait y renoncer à mes services : on y a moins besoin de spécialistes de la chose littéraire que de spécialistes de la typographie, et je serais plutôt des premiers que des seconds… Bref, je vois poindre à l’horizon une nouvelle période de chômage au moins partiel. Il n’y a donc pas moyen d’être tranquille ?
J’attends, nous attendons de vos nouvelles.

Votre ami
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Mon ami Gallet me dit :
1°) qu’il y a, dans les œuvres complètes de Lovecraft (qu’il possède en anglais) plusieurs nouvelles assez courtes d’un intérêt au moins égal à celles qu’a traduites J. [Jacques] Papy pour Denoël. Il va voir cela de plus près, en pensant à nous (et à la nrf [Nouvelle Revue Française ]). Pour le cas où vous souhaiteriez lui rappeler ou lui préciser vos souhaits : Georges-H. Gallet, 3 square du Thimerais, XVIIe ;
2°) qu’il possède également sur Lovecraft une documentation inédite et assez passionnante (notamment des lettres de Lovecraft, des détails biographiques, etc.) dont, ensemble, nous pourrions sans nul doute tirer quelque chose.
Qu’en pensez-vous ?
J’espère, d’ici une quinzaine de jours (lorsque j’en aurai fini avec le rewriting du bouquin sur le Japon dont je vous ai parlé), avoir un peu de temps libre, pour m’occuper de cela.

Toujours sauf avis de vous, nous vous retrouverons mercredi prochain, 13h, à la Reine Blanche , n’est-ce pas ?

Nous vous embrassons
Claude

Rien de nouveau du côté Amiot-Dumont – pour qui je mets au point, ces jours-ci, les souvenirs d’un chasseur de baleines (!)

Lily nous écrit 1°) que Paul, à Coyah, a les plus gros ennuis avec un champignon insolite qui s’en prend aux bananiers, 2°) que ledit Paul a beaucoup goûté le spectacle de striptease auquel nous les avons entraînés, mais elle (Lily), non. Cela dit, elle nous semble à nouveau « cafardeuse ». Elle n’est décidément pas faite pour Gilly. Comment est-ce possible ?

C.

[en haut de page, souligné et en rouge] MA.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Oui, ces vacances furent parfaites – mais la « tuile » du retour ne permet guère d’en savourer le souvenir…
Depuis que je vous ai écrit, j’ai eu des précisions sur la « crise » Amiot-Dumont. En effet, cela semble aller assez mal.
Ce que je voudrais au moins obtenir (peut-être avec l’appui de Roditi) c’est un préavis ou une indemnité quelconque, de quoi il n’est pas question, sous prétexte que je ne touchais pas un salaire mais des honoraires fixes. (Toujours à cause de ma nationalité et du fait que je n’ai pas de carte de travail…) Puis, éventuellement, que ledit Roditi me confie par exemple l’une ou l’autre traduction. R. [Roditi] rentre de vacances lundi, sauf erreur.
Inutile de vous dire que je vous serais très reconnaissant si vous pouviez me donner l’un ou l’autre « tuyau » (du côté Gallimard, Pauvert, que sais-je…). Car me voilà avec un revenu mensuel (et précaire, lui aussi) de 30.000 fr [francs] – sur lesquels je suis tenu d’en envoyer 14.000 chaque mois à mon ex-femme et ma fille, sous peine d’ennuis judiciaires…
Pardonnez-moi de vous importuner ainsi – mais la situation est assez critique…

Bien amicalement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Évidemment, Lambrichs a bénéficié du fait qu’il devait être appointé – auquel cas l’indemnité de licenciement est automatique. N’ayant pas de carte de travailleur étranger, on me versait ma rémunération au titre d’honoraires , ce qui non seulement fait payer plus d’impôts, mais ne permet pas d’exiger une indemnité. Si j’allais en pareil cas en justice, c’est moi qui serais poursuivi pour avoir touché une rémunération mensuelle fixe sans permis de travail…
Tout ce que je puis faire, c’est donc en appeler à un certain fair-play. Je l’ai fait, sans plus de résultat chez Amiot-Dumont qu’il y a deux ans chez Plon. Mon seul espoir serait que Roditi intervînt avec conviction en ma faveur… Le fera-t-il ?
(Bien entendu, je ne fais ni ne ferai pas allusion au « précédent » Lambrichs.)

Nous ne soupçonnions pas plus que vous les ennuis de Paul Pilotaz. Qui expliquent évidemment ce long silence.

Les miens (d’ennuis) influent malheureusement sur ma santé : voilà que je me mets à avoir une tension abusive, moi qui ai toujours été hypo-tendu [hypotendu]. Cela n’arrange rien (migraines, fatigue, nervosité, etc.) Il paraît que je devrais me reposer, me détendre, au propre comme au figuré – alors que, justement, je suis contraint à m’agiter pour chercher du travail, que d’ailleurs je ne trouve pas. C’est un cercle vicieux…

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Les ennuis arrivent toujours de manière imprévue, mais ils arrivent (avec beaucoup de constance).
Rentrant des Ardennes, j’ai appris hier que, contraint(s) à des compressions budgétaires, Amiot-Dumont renonce, à partir de ce jour, à plusieurs de ses collaborateurs « extérieurs » - dont je suis. Voilà qui non seulement gâte fort ce retour de vacances, mais me met dans une situation très critique, (d’autant que la vie de Dimanche-Matin est toujours des plus précaires). Cette collaboration représentait plus de la moitié de mes (modestes) revenus mensuels.
Je ne sais pas si cette décision (qui a été prise pendant ce mois d’août et ne vise pas que moi, semble-t-il) est déjà connue de Roditi. Je ne sais même pas s’il est à Paris. Mais il me souvient que, voilà quelques mois, alors que le bruit en avait déjà couru, vous aviez eu la gentillesse de me proposer de lui en toucher mot. Cette fois il ne s’agit plus seulement d’un bruit, puisque la chose m’a été signifiée « officiellement » hier. Y a-t-il encore quelque chose à tenter pour arranger les choses peu ou prou ? Je n’en sais rien. Mais peut-être me feriez-vous l’amitié d’écrire un mot audit Roditi pour lui dire l’ennui dans lequel cela me met et lui demander s’il est possible qu’il intervienne en ma faveur ?
Je vous en serais très reconnaissant – même si c’est sans espoir – et vous en remercie d’avance.

Votre ami
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Cher Jean Paulhan,

Je crois bien que vous avez raison,- quelle que soit la tentation d’échapper à la servitude du « second métier » (à l’énorme perte de temps et à la fatigue physique qui en sont la rançon). Ce qui d’ailleurs, jusqu’ici, me retient d’adopter cette méthode et me fait accepter des travaux sans (grand) intérêt, c’est seulement la nécessité d’arrondir un peu mon salaire de correcteur.

Nous parlions de Graham Greene. La Gazette des Lettres d’aujourd’hui, Réforme de jeudi prochain passent deux papiers de moi, sur lui, qui vous diront la nature de mon intérêt pour lui. Si vous ne voyez pas ces journaux, si la chose vous intéresse, je vous les enverrai.

La dialectique communiste, me semble-t-il, montre assez bien par l’absurde ce que pourrait être une « grammaire des idées ». Mais vous l’avez parfaitement indiqué dans La Paille . C’est un peu dans le même sens (sans bien entendu s’en tenir aux thèmes de ladite dialectique) que je songe à quelque chose pour Liberté de l’Esprit , et que notre dialogue – ah, j’en serais bien heureux, et flatté – pourrait se concrétiser. Il me semble qu’il y aurait tant à dire, par exemple, sur ces idées de patrie, de guerre, de paix, de trahison, de parti, de justice, etc., devenues mortellement ambiguës. Et de même sur le plan des idées « privées » : en ce qui concerne l’amour par exemple. Je sais que vous avez été sensible à ma tentative de mise au point, en ce sens, dans cet Homo eroticus de la « Table Ronde » qui fut à l’origine de notre rencontre,- et l’un des objets du livre que je voudrais écrire sur ce thème serait, justement, de débrouiller quelques unes des confusions de la grammaire des idées (et des sentiments) sur ce plan-là.
Il faudra que nous en reparlions.

Merci de votre gentille insistance auprès de M. Hirsch. (J’espère qu’il m’enverra, en tout cas, la Pléiade de Picon.)

Votre ami
Claude Elsen

(J’ai reçu un chèque de 3.000 fr. [francs] d’Évidences . Cela me paraît fort honnête – et rapide. M. Baudy me demande de lui téléphoner, sans doute pour d’autres papiers. Pourquoi pas?)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Cher Jean Paulhan,

Il y a, dans le petit Monnier que vous m’avez donné, un trait qui va plus loin que l’amusette, peut-être : c’est l’observation de l’actif pouvoir érotique des images mentales et des mots, des « vilains mots » que l’une des « Deux Gougnottes » invite l’autre et l’amène à prononcer.
L’idée d’un théâtre érotique serait d’ailleurs curieuse à creuser, plus encore qu’un cinéma. Bien entendu, je le verrais moins sommaire dans son esprit que les piécettes de Monnier… Tout de même que le caractère enfantin (si j’ose dire) des films de cette sorte les rendait tout à fait inefficaces, et plutôt bouffons.
Mais je vais essayer de m’occuper du petit « traité » que vous savez.

Je pense aussi à ce « Point de vue de l’Objet » dont nous avons parlé pour un futur cahier de la Pléiade (Simone de Beauvoir m’y incite).

Le papier au cheval filigrané est si séduisant que je n’ose pas l’utiliser…

Je me suis informé : le Figaro paie ses collaborateurs le 15 du mois suivant. Je m’étonnais donc à tort.

J’aurai sans doute à voir Raymond Dumay (qui aurait des choses à me demander) mercredi prochain, entre 17 et 18h , rue de l’Université. Je pourrais en profiter pour passer, avant ou après, rue Sébastien-Bottin – au sujet des livres que vous savez (Sartre, Bloch-Michel, Cioran, Beauvoir). Qui dois-je demander ? Vous-même ? Dominique Aury ? Ou qui ?

Nous avons vaguement parlé d’un Michaux pour le Figaro littéraire . Si ce projet vous séduisait toujours, moi je ne demande pas mieux.

Je vous serre la main
Claude Elsen

P.S. Si vous y pensez, signalez à D. [Dominique] Aury que je parle, dans la prochaine Table , du livre de Gusdorf (La Découverte de Soi ) : nous avions convenu que je la déchargerais de ce soin.
P.S.2 – Je fais lire autour de moi le petit Monnier. « Les Deux Gougnottes » ont beaucoup de succès. C’est, je crois, que l’élément érotique y est amené et non point brutalement plaqué. Le mécanisme est un peu celui des « burlesques », où une conclusion connue d’avance prend son efficacité du fait qu’elle est savamment retardée. (Et je m’aperçois que le trait que je vous disais – les « vilains mots » provoqués – ne laisse pas indifférent.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Je relis votre mot de samedi. Faut-il en déduire que les « mal intentionnés » sont revenus à la charge ? Sur quelles bases ? Avec quels textes ou arguments à l’appui ?
Si tout ce qu’ « on » m’impute ou me reproche est de l’importance et de la gravité de l’écho sur Denis Marion que vous m’avez montré (et qui n’était même pas de moi…), « on » a vraiment bonne mine – et du temps à perdre.
Chaque fois qu’on vous parlera, éventuellement, de textes de ce genre, demandez à les voir, montrez-les moi, je vous en prie, et je vous jure que je vous dirai ce qui en est. Encore une fois, je sais que je n’ai absolument rien à me reprocher dans l’ordre de la « dénonciation » (que je considère comme l’acte le plus vil qui soit, que ce soit sous l’occupation… ou depuis). Et, toujours à vous seul (car j’ai autant horreur de me prévaloir de ce genre de choses que d’assumer la responsabilité de saloperies que je n’ai jamais commises), je puis bien dire 1°) qu’en 41 j’ai été arrêté… 12 heures par la Feldgeheimpolizei pour n’avoir pas voulu dévoiler l’identité d’un rédacteur occasionnel et anonyme de Cassandre qui avait parlé insolemment de la Wehrmacht, 2°) qu’en 41 également je me suis dangereusement « mouillé » pour épargner la déportation à un ex-combattant des Brigades Internationales (je n’ai d’ailleurs pas réussi, je l’avoue humblement), 3°) qu’en 42 j’ai encouru de sérieux embêtements pour avoir « éreinté » des films allemands dans le Nouveau Journal , 4°) que pendant toute la guerre j’ai été en rapports personnels ou épistolaires avec de vrais résistants qui, bien qu’autrement « compromis » que des de Beer, de Beucken, Braun et autres Denis Marion, ne semblaient pas du tout craindre que je les « dénonçasse »…
J’ai été, mon cher Jean, un fasciste et un « collaborateur » convaincus . Je ne vous l’ai jamais caché. Je ne le renie pas. Mais je prétends qu’il était fort possible d’être cela sans commettre aucune bassesse ou vilenie.
J’avais, à Cassandre , le titre de rédacteur-en-chef. Je l’étais à peu près autant, en réalité, que Le Marchand peut l’être à la Table Ronde . En fait, j’assumais très exactement les fonctions de secrétaire de rédaction + celles de critique littéraire. Tout Belge tant soit peu informé (questionnez par exemple Robert Poulet) savait et sait que Paul Colin rédigeait lui-même la majeure partie du journal, et notamment toutes les rubriques non signées, échos, notes, etc. Je n’aime pas mettre ainsi un mort (assassiné) en cause, mais enfin la vérité est la vérité.
Lorsque Paul Colin a été tué, en 43, lui a succédé à la rédaction de Cassandre son secrétaire et ami intime Paul Herten (fusillé en 44). J’étais très mal avec lui. En des temps plus normaux, j’aurais quitté le journal ou, au moins, renoncé au titre… purement et de plus en plus honorifique de rédacteur-en-chef. Mais la chose fût apparue 1°) comme un « dégonflage » à un moment où la défaite allemande apparaissait inévitable, 2°) comme un reniement de la mémoire de Paul Colin. Cela me dégoûtait davantage encore que d’assumer, aux yeux de certains « mal intentionnés », la responsabilité de ce journal. Nous avons tous nos côtés donquichottesques, n’est-ce pas ?
(Il m’est revenu tout récemment que Jean Cassou, notamment, « nous » en veut d’avoir été arrêté, battu par les policiers allemands, et d’avoir frôlé la mort. En veux-je aux résistants et aux épurateurs d’avoir été arrêté et emprisonné en 45, battu par les policiers américains, et d’avoir dû au seul hasard de ne pas être fusillé ? Va-t-on pendant 112 ans se haïr pour ces choses ? J’ai eu, moi aussi, des amis torturés, tués, traqués, après 44, qui étaient des garçons magnifiques et parfaitement purs . Je n’en tiens pas rigueur à M. Cassou.)
Je pense, j’espère que tout ceci vous satisfait. Votre jugement seul m’importe, dans tout cela. Je ne voudrais pas vous mettre dans des positions délicates. Si ma collaboration à la nrf [Nouvelle Revue Française ] risquait de le faire, dites-le moi – je céderais volontiers la place aux « irréductibles », par souci de votre tranquillité et parce qu’il m’importe surtout d’être et de rester

votre ami
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Lovecraft  : il y a des années que j’ai lu ses livres en anglais et n’ai plus un souvenir très précis de ceux que Papy n’a pas (encore) traduits pour Denoël. Au reste j’ai peur que tous soient bien longs pour être publiés en une fois dans la nrf [Nouvelle Revue Française]. Enfin, Denoël (et Papy) n’ont-ils pas des vues (et des droits) sur les inédits en France ? Vous pourriez peut-être en toucher mot à Nourissier, à Kanters ou à Papy lui-même.
Il va sans dire que je vous traduirais volontiers tout texte qu’il vous conviendrait de me confier – qu’il soit de Lovecraft ou d’un autre.
(J’ai eu entre les mains jadis, chez Plon, un volume de nouvelles plus ou moins fantastiques de Henry James, encore inédites en français je crois. Est-ce que l’une d’elles ne vous intéresserait pas ? Mais comment avoir le volume original, dont j’ai oublié l’éditeur?)

À défaut d’Amiot-Dumont, les Éditions de Paris s’intéresseraient peut-être à cet ouvrage sur les colonies, dont vous me parlez. Je suis en rapports avec cette maison, pour laque [laquelle] je riraïte [rewrite ] un livre sur le Japon – à la demande de son (jeune) directeur, Jean-Luc de Carbuccia. Vous pourriez donc me confier cet ouvrage.

Ce riraïting [rewriting ] japonais est un gros travail, qui m’est tombé dessus à l’improviste, venant s’ajouter à mes autres besognes « alimentaires ». C’est vous dire qu’une nouvelle fois j’ai dû renoncer à tout travail personnel, ne pouvant m’offrir le luxe de refuser les travaux « payants » qu’on me propose.
C’est la deuxième ou la troisième fois que les choses se passent ainsi depuis six mois. Chaque fois, je me rends compte qu’il est absurde, dans ma situation (matérielle), de faire des projets, de vouloir faire œuvre personnelle – puisque, chaque fois, mes velléités sont tuées dans l’œuf. Je dois, me semble-t-il, avoir la sagesse de ne plus penser à tout cela – fût-ce avec un peu d’amertume…

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Le mercredi 19, bien volontiers. Si entre temps, vous aviez un empêchement ou préfériez un autre jour, nous sommes, en principe, toujours libres (à cela près que le lundi et le mardi, c’est un peu difficile).

Oui, il se peut que j’aie frôle le zona, s’il est vrai que les soucis, la dépression, etc. le favorisent : j’ai passé 2 ou 3 semaines assez mauvaises (asthénie, neurasthénie). Mais ça a l’air de s’arranger : un peu comme le monsieur qui, tombant à l’eau, se laisse couler à pic mais, au dernier moment, donne un coup de talon au fond. Ça m’arrive de temps à autre, ces années-ci.

Pour Amiot-Dumont, j’en suis toujours au S.O.S. amical et confidentiel de J. [Jacques] Robichon. Si la menace se précisait, j’avais déjà pensé à en parler à Roditi. Je le ferais peut-être, dans ce cas, en vous demandant un coup de main. Nous attendons.
Amiot-Dumont, c’est un peu une usine, une administration. On s’y préoccupe moins de la spécialité ou des compétences de chaque rouage que du rendement de l’ensemble. Et, bien entendu, le point de vue littéraire y compte très peu. Ainsi, il y a en tout 2 ou 3 lecteurs (dont R. [Robert] Poulet), auxquels on donne à lire tout et n’importe quoi, en vrac, sans se soucier le moins du monde des goûts ou des qualifications de chacun. De même, pour la correction et la mise au point des ms. [manuscrits], on confie n’importe quoi à n’importe qui, sans suivre aucune espèce de plan.
J’avais, au début (il y a un an) suggéré à Roditi que je pourrais faire mieux et plus utile que préparer typographiquement des ms. [manuscrits] du genre mémoires de coureurs cyclistes ou manuels de tennis. Il était bien de cet avis. Mais je ne « dépends » pas directement du lui, mais du service « fabrication », et ne veux pas l’importuner. Sans compter que je ne sais pas trop quels sont au juste ses pouvoirs et son influence sur J. Dumont, qui a l’air de tout régenter sans grand souci des nuances.
Si besoin est, je vous reparlerai de tout ça. Vous êtes gentil.

Et nous vous embrassons
Claude

[horizontalement, en bas de page] [7h jeudi?]
r. [rue] Ste Anne
Marcel J [Jouhandeau?]

Claude Elsen à Jean Paulhan (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1955
Mon cher Jean,

Lettre de Lily Pilotaz :
Elle nous propose d’aller passer quelques jours à Gilly dans le courant de ce mois et nous dit de vous en parler : elle serait heureuse que nous y allions ensemble. Qu’en pensez-vous ?

Je suis chargé par le « Forschungsinstitut für Europäische Gegenwartskunde » de Vienne, de rédiger 4 articles d’une Encyclopédie de la littérature contemporaine (genre Dictionnaire des œuvres), concernant Brasillach, Drieu, Montherlant et Jean Paulhan. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient ?
Vous seriez gentil de m’indiquer 1°) votre date de naissance (je m’excuse de cette indiscrétion…), 2°) les points sur lesquels il vous plairait de voir mis l’accent (dans une note qui ne doit pas excéder 40 lignes…)

Bien affectueusement
Claude

(Excusez cette écriture un peu tremblante : je n’ai pas les nerfs en très bon état.)

Claude Elsen à Jean Paulhan (23 janvier 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 23 janvier 1956
Mon cher Jean,

Comment vont vos yeux ? (J’imagine qu’ils devaient vous tracasser, puisque, voilà 15 jours, vous m’interrogiez au sujet des ampoules « lumière du jour »).
Depuis Noël, ma propre santé n’est pas excellente. Je déteste ces malaises mal définis dont l’ « épicentre » change tous les huit jours et qui sont, par le fait, bien malaisés à traiter…
Nous partons samedi pour la Haute-Savoie, où nous allons passer huit jours, dans le chalet familial, avec Julien Segnaire et sa femme. Deux jours de voyage en 2 CV Citroën, et autant pour le retour. Je trouve cela un peu extravagant, mais il paraît que j’ai tort.

Toujours en chômage. J’ai relancé. Roditi (qui est aux Presses de la Cité) mais sans effet (ni réponse). Dimanche-Matin a pu régler ses collaborateurs la moitié des « arriérés » dus (3 mois sur 6). De quoi nous vivons pour l’instant, tout en voyant venir avec crainte les prochains mois. Et les feuilles d’impôt s’accumulent…
Tout cela n’est pas brillant.

Vous devriez morigéner Defez à propos de l’exécrable traduction qu’il vient de publier d’un très curieux Lovecraft (Démons et merveilles ). Cela « tue » un livre.
Sauf erreur, la responsabilité en incombe moins à Defez lui-même qu’à ses « directeurs de collection » : Louis Pauwels et cet incroyable fumiste qui se fait appeler Jacques Bergier.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (7 février 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 7 février 1956
Mon cher Jean,

Un peu inquiets de votre long silence. Comment allez-vous?
Nous rentrons de Cordon (Hte-Savoie [Haute-Savoie]) : une semaine dans la neige. Le thermomètre, durant la nuit de mercredi à jeudi, est descendu à -30°. Mon vieil amour du froid a pu s’assouvir : à partir de -10°, je suis un homme heureux.
G. [Georges] Roditi me confie une assez importante traduction (importante par le volume, sinon par l’intérêt), et me laisse espérer qu’elle sera suivie d’autres. Je sais que je vous le dois un peu. Merci. Me voici occupé pour deux mois.
Donnez-nous de vos nouvelles, n’est-ce pas ?

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (18 février 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 18 février 1956

[horizontalement, en rouge] à taper à 3 ex. [exemplaires] à partir de [flèche indiquant la description de l’ « essai-préface »]

Mon cher Jean,

Heureux de vous savoir bien allant… R. [Robert] Poulet m’avait dit que vous étiez grippé. Cela m’inquiétait.

Je vous enverrai un papier sur Simenon, à propos du dernier paru, Les complices , qui est très curieux.

Cette traduction Mailer représente un gros travail, qui va, pendant un mois ou deux, me laisser peu de loisirs. Je ne m’en plains pas, bien sûr,
Mais j’ai peur que cela ne me laisse guère celui (de loisir) de penser beaucoup à l’érotique dont je vous parlais. Et dont je m’aperçois qu’il m’est assez malaisé de vous parler : ces choses se « résument » mal.
Grosso-modo je voyais [mot corrigé en rouge] verrais cela ainsi : une espèce de très court essai-préface posant la question : « Peut-on (et comment) concevoir entre deux êtres des liens, un rapport purement érotiques – je ne dis même pas sensuels – en dehors de tout attachement affectif et sans qu’il soit question d’ « amour » ? ». Là-dessus, à titre d’illustration, le récit de deux soirées passées par des « partenaires » de ce genre, ne s’ « aimant » pas au sens habituel du terme, mais cherchant ensemble à connaître le maximum de plaisir, je veux dire d’ « intensité » érotiques. Le premier de ces duos serait relaté par la femme, à la première personne. Le second serait plus exactement un trio, mes deux complices (c’est lui , cette fois, qui parlerait, à la fois acteur et spectateur) s’étant adjoint une tierce partenaire. Ou le contraire (je veux dire : le premier récit fait par lui , le second par elle ).
S’agissant de montrer – ce que je crois, ce que je sais qu’une telle « complicité » érotique est possible et réalisable sans que s’y mêlent aucune espèce d’ « amour », aucune passion (jalousie, etc.), rien d’autre qu’une connivence des corps et de l’imagination, et même si l’un ou l’autre des partenaires, ou les deux, aime(nt) ailleurs d’un amour réel. Cette dissociation* des sentiments et de l’érotisme m’a toujours semblé être un thème mal exploité – non seulement en littéraire, bien entendu, mais dans la réalité . Je m’en veux de l’avoir insuffisamment traité dans Homo eroticus (il est vrai – d’un point de vue tout subjectif – que je venais de découvrir ce que j’ai appelé « l’autre amour »…)
Bien sûr, présenté de cette manière, ça a l’air un peu bien « théorique ». Ce pourquoi je voudrais l’illustrer sur le plan narratif, en montrant dans quel « climat », de quelle(s) façon(s) cet exercice de l’érotisme à l’état pur est possible – et attachant. Bien sûr aussi, cela se prêterait très mal à une publication « officielle », vu la précision du récit…
Épigraphe possible : « Il posa sur moi le regard froid du vrai libertin » (Sade).
N.B. - Moucky n’ignore pas ce projet et n’en prend nul ombrage…

Bien affectueusement à vous
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (14 mars 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 14 mars 1956
Mon cher Jean,

Nous voilà rassurés : votre silence si long nous inquiétait un peu.
Dites-nous lorsque tous ces soucis vous laisseront un peu en paix : il faudra se voir.
J’ai reçu la nrf [Nouvelle Revue Française ] de mars. On me dit que le n° [numéro] d’avril sera consacré à Claudel. Celui de la Table Ronde aussi. Tout ces « hommages » sont bien un peu ennuyeux – mais, je crois, inévitables.

Je dois mener, pour « Belles-Lettres », un petit débat (radiophonique) dont j’ai suggéré le thème : « On publie trop  » (de livres). Vous savez que c’est mon sentiment. Je m’avise qu’il est bien difficile de trouver un contradicteur. Si d’aventure vous voyiez quelqu’un qui penserait le contraire et qui pourrait défendre au micro le point de vue qu’il est bon qu’on publie tant, vous seriez gentil de me le signaler ou de suggérer à l’intéressé(e) de me faire signe* (par ex. [exemple] en me téléphonant, TRO 31-37). Ce serait assez urgent : on enregistrera cet entretien le mercredi 30 à 11h.

Bien amicalement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (4 avril 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 4 avril 1956
Mon cher Jean,

Je viens de lire votre article de la nrf [Nouvelle Revue Française ] sur Nuptial . Il eût été difficile, me semble-t-il, de parler de ce livre plus adroitement. J’ai été moi-même un peu embarrassé d’avoir à le faire dans la Table Ronde , il y a un mois ou deux, à la demande de R.P. [Robert Poulet] lui-même, pour qui vous connaissez mon amitié, qui ne me facilitait pas les choses. Car, à la relecture, ce livre que j’avais lu en ms. [manuscrit] en 49, m’est apparu d’une assez grande naïveté, par cela même qu’il se voulait audacieux, et d’un lyrisme frôlant parfois, avouons-le, le ridicule. Voilà ce que je ne pouvais pas dire. J’envie la subtilité avec laquelle vous avez su souligner la « vertu » et le « sérieux » (un peu sermonneur) de l’auteur.
Où je vous suis moins (et, bien sûr, où je suis moins encore R.P. [Robert Poulet]), c’est lorsque vous voulez inséparables, indissociables l’une de l’autre les faces de l’amour. « Et pourtant – dites-vous – il est difficile de les accepter toutes deux, de n’y reconnaître qu’un seul événement. Faut-il dire que c’est impossible ? » D’abord, je lui en vois non pas deux, mais trois faces, si j’ose dire : la passion, l’érotisme, et ce que j’appelle « l’autre amour » faute d’un mot qui serait à inventer pour définir ce mélange d’amitié et de tendresse qui fait un amour partagé, sans passion, où le plaisir et l’érotisme ont leur place mais une place somme toute secondaire, contingente, je dirais presque accessoire (au même titre que d’autres goûts ou appétits communs).
Mais j’entends bien que les « deux faces » que vous voulez indissociables sont l’amour-passion et l’érotisme, et c’est ici que je m’insurge. Car s’il est probable que l’amour-passion se nourrit de désir (de désir plus que de plaisir, et même de désir insatisfait ou inassouvi, essentiellement) et ne saurait s’en passer, le contraire n’est pas vrai. Et l’objet du petit livre auquel je vous ai dit que je songeais serait même, dans mon esprit, de montrer justement que l’érotisme peut fort bien se passer de toute illusion « sentimentale », de tout levain « amoureux », sans pour autant devenir une chose mécanique et pauvre. Malraux a déjà avancé une idée du même genre dans sa préface à Lady Chatterley – malheureusement l’exemple était mal choisi car Lady Chatterley est un assez méchant livre, où il s’agit beaucoup moins d’érotisme que de sensualité, de sexualité, et d’une sexualité tout de même assez fruste.
Pour en revenir à Nuptial , il me semble que R.P. [Robert Poulet], s’il lui arrive de parler d’une manière assez émouvante de l’amour, lui veut justement des liens trop étroits avec l’érotisme. La valeur d’exemple du couple qu’il met en scène est tout de même suspecte, ne serait-ce que par le fait que ces époux viennent de se retrouver après une longue séparation. C’est ne pas tenir compte, me semble-t-il, du rôle de la durée (donc de l’habitude, de l’accoutumance et, partant, forcément d’une certaine usure du désir) dans les rapports physiques entre deux êtres qui s’aiment. R.P. [Robert Poulet] condamne sans appel tout recours à, toute intervention de l’érotisme à l’état pur dans ces rapports. Voilà où sa « vertu » me gêne, et son côté « moralisateur ». Je crois, pour ma part, que même dans un amour de cette sorte (la plus belle, la plus vraie ) l’érotisme peut être accepté, accueilli, voire cherché comme un « piment » remplaçant celui de la passion – ou celui du lyrisme poétique, chez R.P. [Robert Poulet]
Il me souvient à ce sujet d’une conversation que nous avons eue naguère, Moucky et moi, avec Robert et Germaine Poulet. Il y était question d’un couple de nos amis, où l’épouse a des « amies » au su de son mari, sans que celui en prenne ombrage. La chose scandalisait R.P. [Robert Poulet], et non moins le fait que je ne la trouvasse pas du tout horrifiante pour ma part. Germaine P. [Poulet] et Moucky, de leur côté, me parurent beaucoup mieux comprendre que, si je n’admettais pas l’idée que celle que j’aime me « trompât » avec un homme (en raison des implications affectives de la chose), ne m’effrayait pas du tout l’idée qu’elle pût me « tromper » avec une femme. Probablement parce que, sur le plan de l’érotisme à l’état pur (ce plan où, à mes yeux, l’affectivité n’intervient guère), je ne crois pas beaucoup à ces notions de « fidélité » et d’ « infidélité », indissociables aux yeux de R.P. [Robert Poulet] de toutes les formes de l’amour physique.
Mais je n’en finirais pas, et j’ai peur d’être un peu confus (il est très tard et j’ai pas mal travaillé…).
La note sur Simenon vous convient-elle ?

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (9 avril 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 9 avril 1956
Mon cher Jean,

Le Ciel me préserve aussi de juger en ces matières (amour, érotisme, etc.) du point de vue moral ! Et c’est bien de laisser sans cesse entendre qu’il le fait – et de le faire – que je tiens un peu rigueur à R.P. [Robert Poulet]
De même, ou plus exactement à rebours, ce qui m’ennuie chez Sade, et par exemple chez « Pierre Angélique » dans Madame Edwarda , c’est ce côté « moraliste ». J’avoue être tout à fait imperméable aux vertus (si j’ose dire) du sacrilège.

Que diriez-vous d’une note sur Ambrose Bierce, dont Grasset vient de publier une vingtaine de contes ?
(J’avais, en 44, traduit In the midst of life et obtenu de la censure qu’elle me laissât publier cette traduction. Mais les circonstances…)

Êtes-vous parfois (ou toujours) rue Sébastien-Bottin le lundi vers 5h  ? Il m’arrive de passer ce jour-là aux éd. [éditions] de la Table Ronde, qui sont à présent 40 rue du Bac. Je viendrais vous serrer la main.

Bien affectueusement
Claude

[réponse de Jean Paulhan, au niveau de la signature] M [Claude] Elsen
1 av. [avenue] de Camoëns [E.V.?] (16)

[puis horizontalement, en haut de page] Ch. [Cher] Claude
je crois que n [nous] allons partir pour la Savoie, jeudi proch. [prochain] ss [sans] doute. Ns av. gd [Nous avons grand] besoin de repos (ou + exactt [plus exactement] de travail)

c’est entendu pour Bierce. Merci d’y avoir songé.

Claude Elsen à Jean Paulhan (21 juin 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 21 juin 1956
Mon cher Jean,

Merci de votre mot. Je vous proposerai au retour (dans huit jours) d’autres notes. Je n’ai lu, ces jours-ci, que le Cioran, dont je suis assez enthousiaste. (C’est l’un des rares livres, publiés ces années-ci, que j’eusse aimé signer.)
J’ai peur que vous soyez peu d’accord avec l’article sur le procès Labbé-Algarron que j’ai fait pour la Parisienne (à la demande de Nourissier, qui me dit qu’il ne paraîtra que le 1er août). Il s’intitule L’amour bête . Je m’y prends vivement à certains défenseurs de Denise Labbé – telle Béatrix Beck, tel Louis Pauwels – et donc, indirectement, à vous… Vous savez que nos vues ont toujours été assez différentes sur la passion (amoureuse), dont je conteste le caractère « enrichissant ».
Nous connaissons, depuis samedi, tous les climats, depuis le froid pluvieux et venteux jusqu’au soleil éclatant. Cela ne manque pas de charme.
J’ai entrepris de charmer (justement) de curieux oiseaux qui fréquentent le jardin de notre bicoque normande. Ils ressemblent à de vulgaires moineaux, mais avec des plumes rouges sur la tête et jaunes sur les ailes, et sont friands de « rice crispies » (un de mes aliments favoris). J’ai également fait la conquête d’un pigeon solitaire, qui nous rend visite dans la maison.
J’ai moins de succès avec les crabes.

Bien affectueusement
Claude

Êtes-vous à Lausanne en même temps que les Chardonne et les Pilotaz ? Les premiers nous disent grand bien des seconds.

PS – Il y a huit jours – toujours à propos de l’affaire de Blois – Jacques Spitz me demandait ma définition de la passion. J’ai proposé : le sentiment aberrant que l’on porte à un fantôme à travers un être réel qui ne le justifie pas.

jusqu’au 29 : chez Mme Feer
« Le Courtil »
Franceville-Plage
(Calvados)

Claude Elsen à Jean Paulhan (5 novembre 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 5 novembre 1956
Mon cher Jean,

Agréable séjour à Gilly, malgré le très mauvais temps : froid, pluie, neige même…
Nous avons beaucoup parlé de vous.
Paul et Lily sont fermement résolus à acheter un appartement à Paris dans les mois qui viennent. C’est une drôle d’idée. Quant à nous, nous commençons activement à chercher un pavillon en banlieue. Il ne semble pas que ce soit une mince entreprise.
J’attends avec impatience le n° [numéro] de novembre de la nrf [Nouvelle Revue Française ], que j’ai entrevu à Gilly. Je vous écrirai au sujet de votre « lettre », dont j’ai lu le fragment paru dans Arts .
Les vacances étant finies, et aussi ma traduction d’Angus Wilson, je vais me mettre au livre que j’ai promis à Moucky. Mais je préfère ne pas en parler pour l’instant.
Comment vont vos yeux ?
Nous vous embrassons affectueusement

Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (26 décembre 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 26 décembre 1956
Mon cher Jean,

Je suis un peu vexé : j’allais prendre la plume pour vous envoyer nos vœux, lorsque les vôtres nous arrivent. Nous sommes bien contents de savoir que vos yeux vont mieux. Et puisque vous avez pris les devants, je réponds à vos questions :
- pour la maison, il nous faut attendre mars : c’est dans trois mois seulement que ma belle-mère pourra nous assurer le soutien financier indispensable. Comme vous savez sans doute, il n’est pas question d’engager une négociation en ce domaine sans être en mesure de signer immédiatement un chèque assez considérable…
- pour la même raison, je ne me suis pas encore accordé le répit auquel je songeais dans mon activité « alimentaire » : je traduis en ce moment mon cinquième bouquin depuis 18 mois (un assez méchant roman « fantastique » pour Denoël). Rien à retenir de tout cela, sauf celui d’Angus Wilson (Anglo-Saxon Attitudes ), qui paraîtra en mars chez Stock, et qu’André Bay, après m’avoir demandé de le traduire, m’a demandé de préfacer. C’est fait. Hors quoi, Dimanche-Matin , toujours (qui, vous l’avez peut-être lu, a eu maille à partir avec la justice, ou plutôt la police, M. Pineau nourrissant une haine corse contre Roger Capgras ; mais cela n’est pas allé bien loin), et diverses autres petites choses sans intérêt.
- ce qui ne signifie pas que j’ai abandonné l’idée d’écrire le livre dont vous me parlez. Il n’a rien de « mystérieux[»,?] c’est le petit pamphlet annoncé depuis Homo eroticus sous le titre de Cinq lettres . À mesure que j’en remets la rédaction et à force d’y penser, je le vois de plus en plus acerbe. j’espère pouvoir m’y mettre enfin vers la mi-janvier, une fois terminée la traduction en cours. Dans mon esprit, je crois vous l’avoir dit, il doit effectivement être constitué de cinq lettres (pour excuser le méchant jeu de mots du titre), adressées à un ami imaginaire, et traitant de la vie littéraire ces années-ci, de la politique (vue de [Sirins?]), de la vie en société, etc. Le tout, j’en ai peur, de manière assez nihiliste.
Nous ne savions pas que Françoise P. [Pilotaz] devait renoncer à la danse. Pourquoi ? Paul et Lily ne nous en ont rien dit, il y a quinze jours. Peut-être l’ignoraient-ils encore? Ils étaient très occupés à chercher l’appartement que vous savez – avec l’aide de Moucky. Nous est avis que Lily a besoin de Paris pour se bien porter, physiquement et surtout moralement. Ce qui nous confond d’ailleurs un peu…
Ils nous ont appris l’engagement de votre fils. Le jeune frère de Moucky est en Algérie depuis le printemps. Il a eu une vie assez dure, jusqu’en novembre, dans la région de Palestro – sur quoi un léger accident (chute en montagne) l’a retiré de ce secteur, et le voici quelque chose comme infirmier à Tizi-Ouzou, si j’ai bien compris.
Comment avez-vous réagi aux événements de novembre ? À ma grande surprise, ils ne m’ont pas fait impression. Nous n’avons pas stocké un seul kilo de sucre (ni de sel). En fait, je n’ai guère cru que les choses puissent aller jusqu’au bout . Et je dois avouer que cette perspective même m’impressionnerait beaucoup moins qu’il y a quelques années. Peut-être mon instinct de conservation est-il moins vif ? Ou si le spectacle de la peur d’autrui pique au vif mon esprit de contradiction ? (Je n’ai pas oublié tout à fait les années 36-39, où c’était le sot optimisme des autres qui m’inclinait à voir les choses sous le jour le plus sombre – non sans quelque raison (et de même en 45-50). Enfin, depuis vingt ans, j’ai eu le temps de m’accoutumer à l’idée que tout finira très mal : plus question de surprise, en aucun cas…
Finissez bien l’année. Je suis bien de votre avis : ces « fêtes » ont (toujours) quelque chose d’un peu assommant, même si (comme c’est notre cas) on se garde soigneusement d’y participer. Voulez-vous partager nos vœux avec Dominique ? Il faudra passer une soirée ensemble en janvier.

Nous vous embrassons
Claude
et Moucky

Au traditionnel (hélas!) « goûter de Noël », nous nous sommes découverts une dizaine de neveux et nièces de 6 mois à 8 ans. Il y a belle lurette que nous sommes fermement résolus à ne point participer à ce mouvement d’accroissement démographique.
Ma fille belge (16 ans) fait, à Bruxelles, ses débuts au théâtre. Nous sommes devenus de très bons amis, tous les trois (je parle de Moucky).

Claude Elsen à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1956
Mon cher Jean,

Le libelle de Frank était moins méchant que bête. (Voyez par exemple les p.46, ou 79 – où il est question de nous deux…) Je comptais ne pas en parler du tout, n’ayant rien à en dire. Mais il paraît que ledit Frank se vantait de m’avoir « cloué le bec ».
Je n’ai pas trouvé que le portrait de vous par R.P. [Robert Poulet] fût désobligeant. Sa seule erreur est sans doute d’avoir abordé, avec une ironie un peu « supérieure », le problème de la peinture, auquel et à laquelle, de son propre aveu, il n’a jamais rien entendu.
Hélas, nous n’avons pas pu ramener de poulet. Mais ces cinq semaines campagnardes nous ont complètement dégoûtés de la vie parisienne. Comme nous sommes censés déménager dans deux ans, nous commençons à nous occuper sérieusement de trouver quelque chose dans une banlieue plus ou moins proche. Si jamais vous entendiez parler d’une petite maison ou d’un pavillon, à vendre ou à louer ?…
Mener de pair la traduction d’un (gros) livre et la rédaction d’un autre est quasi impossible. Depuis le 1er août, je suis plongé dans la traduction du roman d’Angus Wilson – que je trouve, Dieu merci, excellent. Elle me tiendra jusqu’au début de novembre. Si, entre temps ou à ce moment-là, je n’ai pas une autre « commande », je m’accorderai un mois ou deux deux de chômage volontaire pour travailler en paix. C’est, je crois, le seul moyen.
Je serai curieux d’avoir votre avis sur l’article que j’ai donné à LA PARISIENNE pour son numéro d’octobre, qui est consacré à « la Droite ». Il s’intitule Les « Ci-devant » et précise ma position – celle aussi, je crois, de pas mal d’autres « épurés » – en face de la politique, du conflit gauche-droite, etc. Je regrettais de n’avoir encore lu, sous la plume d’aucun de mes « compagnons de route » de jadis, une nette déclaration de démission (qui ne fût pas, bien entendu, une tentative de dédouanement), une affirmation précise de « désengagement », de scepticisme absolu à l’égard de la politique, « avec les motifs ».
C’est très joli, Veyrier-du-Lac. Si vous y allez, donnez-nous votre adresse.

Bien affectueusement
Claude

Et merci d’avance pour la note sur Fort.

[réponse de Jean Paulhan, horizontalement en haut de page] Cher Claude
je viens de recevoir Angus Wilson. Merci. Et j’att. [j’attends] avec impatience votre « Droite ». Avec une impat. [impatience] d’aut. [d’autant] plus grande que je traite ds [dans] la nrf [Nouvelle Revue Française] de Nov. [Novembre] du probl. [problème] des partis et ds [dans] le n° [numéro] suivant de « la gauche et la droite ».
[puis horizontalement en bas de page] nous venons de rentrer, après 10 jours passés en Hte Savoie [Haute-Savoie], au dessus du lac d’Annecy. Il y faisait doux, soleilleux, un véritable été.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1956
Mon cher Jean,

J’en ai enfin fini avec la traduction du long roman de Norman Mailer (448 pages dactylographiées). J’en aurai sans doute une autre à faire, pour Stock, qui m’occupera cet été. Dimanche-Matin est à nouveau en grande difficulté (on n’y a pas été payé depuis deux mois, alors qu’en janvier-février la situation semblait s’améliorer). Bref, la vie continue…
Projets pour les mois qui viennent : nous irons en Normandie (sauf imprévu) du 15 au 30 juin, et nous passerons le mois d’août dans notre « ermitage » des Ardennes.
J’essaie – et j’essayerai – d’avoir raison de l’espèce de non-vouloir qui, depuis pas mal de temps déjà, me retient d’écrire (autre chose que quelques articles). Je voudrais, durant les mois qui viennent, poursuivre et achever ces Cinq lettres auxquelles je pense depuis trois ans et pour lesquelles j’ai déjà accumulé pas mal de notes et de brouillons. Ne serait-ce que pour faire plaisir à Moucky – et pour lutter contre la tentation du non-agir, le sentiment (vraisemblablement justifié, mais peu importe) de la vanité de toute action (en particulier de celle d’écrire, d’exprimer sa pensée).
J’ai lu avec une espèce d’enchantement, tant le diagnostic me semble juste, Sur une civilisation essoufflée de Ciroan, dans la dernière nrf [Nouvelle Revue Française ].
Il faudrait se voir, d’ici le 15 juin. Vous serait-il possible de venir passer une soirée à la maison ?

Nous vous embrassons
Claude

J’ai corrigé (et renvoyé) les épreuves de mes notes sur Simenon et Bierce. Que penseriez-vous d’une note de 2 pages sur le Livre des Damnés , de Charles Fort ? Vous seriez gentil de me le dire assez rapidement, car j’ai l’intention de faire de toute manière un papier sur ce très curieux livre – et voudrais éviter les « doublons ». (Mais où diable Defez va-t-il chercher les traducteurs des livres qu’il publie?)

[horizontalement, en bas de page, en rouge] MA

Claude Elsen à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1956
Mon cher Jean,

Voici la notule demandée.
Voici également l’épreuve de ma note s/ [sur] Charles Fort, dont j’avais demandé copie à D.A. [Dominique Aury] Peut-être en avez-vous besoin. (C’est une épreuve non corrigée.)
La grippe m’a empêché de prendre tout le plaisir que je me promettais de notre petite soirée (j’ai passé au lit la journée de samedi et dimanche) – mais nous avons été bien contents de vous revoir.
Nous partons samedi en huit pour 5 semaines. Notre adresse sera :
chez Mme L. Kientz
BUZANCY (Ardennes)
Si vous y pensez, vous seriez gentil de m’y faire envoyer la nrf [Nouvelle Revue Française] du 1er août.

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1956
Mon cher Jean,

Roland Laudenbach, qui m’a parlé avec enthousiasme de votre article du Temps , meurt d’envie de vous voir donner aux éd. [éditions] de la Table Ronde le pamphlet dont vous me parlez. Je lui ai promis de vous le dire.

Je n’ai jamais ouï parler de ce livre de Jouvenel, je vous l’avoue.
Avez-vous lu le dernier Bardèche : Les Temps modernes (Éd. [Éditions] des Sept couleurs) ? Vous le devriez. Il vous inspirerait certainement des commentaires.

Bien sûr, il est fort improbable qu’on vous oppose mon objection. Ce ne pourrait être qu’un ex-fasciste passé au scepticisme, au nihilisme intégraux. Et ceux-là, en général, se taisent. Je crois dès lors que vous avez raison de poser et de traiter ces problèmes de la manière efficace que vous avez choisie.

Nous vous attendons tous deux dimanche soir, n’est-ce pas ?

Bien affectueusement
Claude

[au verso, écriture de Jean Paulhan] Claude Elsen

Claude Elsen à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1956
Mon cher Jean,

Moi aussi, j’attends la Parisienne avec curiosité. Je n’y parle pas, à vrai dire, de la « droite » (ni de la « gauche ») - mais des « Ci-devant » et de leur refus, ou plutôt du refus de certains d’entre eux, de jouer encore à ces jeux futiles. Je m’avise justement que mon papier va assez dans le sens de l’avant-propos du nouveau Koestler (L’Ombre du Dinosaure ). Dans le même n° [numéro], Segnaire parle de la droite belge, et je crois que Nourissier, sur mes conseils, y publie un extrait de l’Adieu au fascisme , inédit de R. [Robert] Poulet. Sur le problème gauche-droite, je vous signale l’article dudit R.P. [Robert Poulet] dans Rivarol de cette semaine (à propos de B. [Bernard?] Frank)
On vous envie d’avoir passé ces dix jours à Veyrier. Ou plutôt, on ne vous envie plus, puisque vous êtes rentré – et que nous projetons nous-mêmes d’aller passer une dizaine de jours à Gilly, vers la fin du mois.
La « rentrée d’octobre » est toujours un peu accablante. Je travaille beaucoup – et suis assez fatigué. (Il me semble que c’est « chronique », chez moi, à pareille époque, chaque année. Cela s’accompagne d’insomnie réfractaire à tous les somnifères, hélas.)
Oui, la ligne de Sceaux-Robinson, etc., c’est bien tentant. Mais, paraît-il, très recherché et par conséquent très coûteux. Nous allons nous mettre en campagne. Dieu merci, ma belle-mère est disposée à financer (en partie) l’opération. Nous disposerons d’environ un million « cash ». Je vous dis cela pour le cas où vous entendriez parler de quelque chose de précis.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1956
Mon cher Jean,

C’est toujours ainsi : d’octobre à janvier, je n’ai eu pratiquement rien à faire ; et depuis trois semaines je suis assailli de « commandes » et débordé de travail… Cela durera ce que cela durera. Mais l’abondance et l’urgence de ces travaux (alimentaires) font qu’il me serait difficile de vous envoyer ces jours-ci la note sur Simenon. Je voudrais ne vous la donner qu’à la fin du mois , si vous voulez bien.
Vous serez gentil de dire à D.A. [Dominique Aury] que c’est également fin mars ou dans les tout premiers jours d’avril que je lui donnerai l’article convenu sur les Matinales de Chardonne (pour le Bulletin de la Guilde).
(En outre, et entre nous soit dit, il m’arrive une chose à la fois ridicule et désagréable : il me faut me débarrasser d’un ver solitaire – ce qui est moins facile qu’on ne pourrait croire…)

Bien affectueusement à vous
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (16 janvier 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 16 janvier 1957
Mon cher Jean,

L’auteur du petit manuscrit ci-joint est le père d’un de mes amis. Industriel distingué, il ne s’appelle évidemment pas « Robert de Montaigu », mais désire garder le plus strict incognito. Il serait heureux et flatté si quelques pages de ce petit recueil pouvaient trouver place dans la nrf [Nouvelle Revue Française]. Je vous laisse juge…
Nous partons lundi pour Gilly ; pour 10-15 jours. Motif : je suis, nerveusement, très à plat, en raison du vacarme permanent dans lequel nous vivons avenue de Camoëns, du fait 1°) de voisins odieux (il ne s’agit évidemment pas de ma belle-mère, mais des voisins du dessous, qui sont bulgares et, de surcroît, attachés au Readers’ Digest…) 2°) des abominables jésuites de l’institut d’à-côté qui font effectuer dans leur immeuble d’interminables travaux – en sorte que je dors, quand tout va bien, 5 ou 6 heures par nuit.
Comment faire entendre raison et réduire au silence des Bulgares ? J’y renonce, et choisis la fuite. C’est vous dire combien nous aspirons à trouver le pavillon de banlieue que je vous ai dit. Rien encore de ce côté, hélas…
Vous serez gentil de me répondre au sujet de ce ms [manuscrit] – et éventuellement de me le renvoyer – au début de février. Merci d’avance.
On espère que vous allez bien.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (13 février 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 13 février 1957
Mon cher Jean,

Merci de votre lettre. Nous nous inquiétons un peu de votre long silence. Rien de grave, j’espère ?

J’ai corrigé et renvoyé à D.A. [Dominique Aury] les épreuves de la note sur Lo Duca. Oui, ce livre est assez décevant. J’ai essayé de le dire avec ménagement.

J’ai un peu lu Larbaud, il y a vingt ans, trop peu sans doute, ou trop tôt : en fait, cela ne m’a pas fait très grande impression. Mais Moucky m’assure que j’ai tort, qu’elle lui garde un profond attachement, un peu comme (et pour les mêmes raisons que) Nimier.

L’avenue de Camoëns me pèse toujours. Nous cherchons activement une bicoque banlieusarde. Ce n’est pas facile : ce qu’on trouve est ou trop cher, ou trop loin, ou inhabitable. Mais nous ne désespérons pas. Si, dans les 2 ou 3 mois qui viennent, nous n’avons rien trouvé (3 pièces, de 25 à 50km de Paris, à proximité d’un train, et qui ne dépasse pas 2½ à 3 millions, payables moitié comptant, moitié à terme : il paraît que cela existe), nous nous résoudrons à faire bâtir, fût-ce assez sommairement. Ce qui aura l’inconvénient de nous obliger à passer encore 1 an ou 1 an ½ ici.
(Si je vous donne ces détails techniques, c’est pour le cas – improbable – où vous entendriez parler de quelque chose. Ce million et demi, c’est le produit de la vente par Moucky à sa mère des actions qu’elle possédait dans l’usine familiale (1 million) + 500.000 fr [francs] que ladite mère consent à nous prêter (à 4 %…) Nous pourrions encore réunir 500 autres mille francs, en cas de besoin, dans l’immédiat, et produire les garanties nécessaires pour les règlements ultérieurs.)

Où a paru Fort Frederick , de Françoise des Ligneris ? Chez Gallimard (qui ne m’envoie autant dire aucun livre) ? Comment le lire ?

Oui, j’ai pensé à mon livre à Gilly, et j’y pense toujours. Mais comment trouver le loisir de l’écrire ? Il faut sans cesse chercher, trouver, accepter des besognes « alimentaires » – d’autant que si Dimanche-Matin n’est pas (encore) mort, les payements y sont aléatoires (et depuis ce mois-ci réduits de 25%) et que le Bulletin de Paris change de formule et ne publiera plus désormais de comptes-rendus de livres (je m’y « faisais » de 10 à 15.000 fr [francs] par mois). Il faut donc boucher ces trous…
Pourtant, j’aimerais bien l’écrire, ce livre. Vous ai-je dit le titre auquel je m’étais finalement arrêté : Je refuse de jouer .

Nous vous embrassons
Claude

(Lily P. [Pilotaz] vient à Paris, le 21, pour le remariage de [Zouzou?].)

Claude Elsen à Jean Paulhan (3 mars 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 3 mars 1957
Mon cher Jean,

Les choses semblent se préciser et se précipiter, dans le bon et le mauvais sens.
Dans le bon : nous avons trouvé la petite maison que nous cherchions. Elle se trouve à Janville-sur-Juine, à côté de Lardy, à 40km de Paris, à 10km au sud d’Arpajon. Gare à quelque minutes, nombreux trains (c’est la ligne d’Étampes) qui mènent en 50 minutes à Austerlitz, St-Michel [Saint-Michel] ou Orsay. La maison comporte 3 grandes pièces + une grande cuisine (où l’on peut « vivre ») + une minuscule salle de bain + un grand jardin bordé par un aimable ruisseau et entouré de pittoresques cressonnières. Il y a à faire quelques travaux d’aménagement – ce qui ne nous permettra sans doute pas d’emménager avant la fin de l’été (c’est bien dommage : le coin est charmant).
Dans le mauvais : la situation de Dimanche-Matin est désespérée. Pas un sou en caisse. On n’est pas payé depuis trois mois. C’est miracle que le n° [numéro] d’hier ait paru. Il y a 9 chances sur 10 pour que ce soit le dernier. Joint à la disparition du Bulletin de Paris , cela me laisse pratiquement sans revenu fixe . Je vais, bien sûr, essayer de trouver de nouvelles traductions, mais cela est toujours assez aléatoire (et pas tellement bien payé, considérant le travail que cela exige). Je suis donc (à nouveau) assez inquiet de l’avenir – d’autant que l’édition et la presse me semblent être entrées dans une période difficile.
N’auriez-vous pas un conseil à me donner, une suggestion à me faire ?
(Il y a un an et demi, dans des circonstances assez semblables, je m’en étais ouvert à G.G. [Gaston Gallimard], en lui demandant notamment s’il ne pourrait utiliser mes services en matière de traductions. Il m’a dit qu’il en parlerait à Queneau – et les choses en sont restées là. Depuis, j’ai traduit quatre ou cinq livres – mais aucun pour les éditions Gallimard, qui ne semblent pas s’intéresser énormément au sort – et aux difficultés – de leurs auteurs…)
Donnez-moi, en tout cas, de vos nouvelles[.?] D.A. [Dominique Aury] a dit l’autre jour à Moucky qu’il vous était difficile de dîner dehors (nous espérions vous avoir un soir à la maison). Cela ne devrait pas nous empêcher de nous voir : il y a trop longtemps...(1)

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (21 mars 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 21 mars 1957
Mon cher Jean,

Un mot, en hâte, pour vous informer, à titre documentaire, que Dimanche-Matin reparaît, et reparaît sans moi.
J’estime en effet ne pas pouvoir poursuivre ma collaboration à un journal qui ne me donne aucune garantie morale sur ses moyens de financement, au moment où son directeur, après avoir été pendant trois mois dans l’impossibilité de payer ses rédacteurs, et avoir pratiquement disparu, annonce son retour du Caire et y a été officiellement en contacts personnels avec M. Nasser.
Je pense que vous comprendrez ces scrupules, quelle que soit la difficulté de la situation matérielle où ils me mettent.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (5 avril 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 5 avril 1957
Mon cher Jean,

Ne pourriez-vous pas m’envoyer ou demander qu’on m’envoie le n° [numéro] des Cahiers des Saisons qui vous est consacré ? J’en serais bien heureux (comme j’eusse été heureux d’y collaborer…) – et j’en parlerai, dans Rivarol ou ailleurs.

Ma note sur Marceau vous convient-elle ?
Mais qu’est devenue celle sur L’érotisme au cinéma  ?

Les Pilotaz viendront à Paris après Pâques, vous le savez peut-être ?

Je traduis.

Affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (11 avril 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 11 avril 1957
Mon cher Jean,

Je demander à Brenner les Cahiers en question.
(Je donne désormais à Rivarol les échos que je donnais à Dimanche-Matin – décidément infréquentable – et aux Écrits de Paris un billet mensuel qui sera un peu, en plus long, l’équivalent de mes « Marginales », dont je garde d’ailleurs le titre et la formule.)

Vous connaissez sans doute les livres (en général très heureusement présentés) que publie le Livre-Club du Libraire , pour lequel je rédige divers textes, circulaires, notes-préfaces, etc.
J’ai eu l’idée de leur proposer un ouvrage entrant à la fois dans l’ordre de leurs publications et dans celui de mes goûts personnels. Il s’intitulerait : Deux Don Juan et réunirait le Don Juan de de Tirso de Molina et celui de Molière, avec une préface de quelque 20-25 pages de votre serviteur. L’idée a plu à la direction du Club – mais je n’arrive pas à lui faire prendre une décision « ferme » : on voudrait associer cette publication à la sortie ou à la représentation du Don Juan de Montherlant, dont la date est encore inconnue. Voilà qui ne fait pas mon affaire. Ne voyez-vous pas un autre « club » que cette idée pourrait intéresser ?

Merci d’avance pour la publication des notes sur L’érotisme au cinéma et sur Marceau.

Nous vous embrassons
Claude

PS – Vous ai-je déjà demandé si Nourissier avait renoncé à la critique du cinéma de la nrf [Nouvelle Revue Française ]? Et, dans l’affirmative, ne pourrais-je poser ma candidature ?
PS 2 – Ce qui me gêne (et me gênait) le plus, à Dimanche-Matin , c’était moins la politique capgrassienne (extravagante, incohérente, et aux « dessous » assez suspects au demeurant) que la tenue générale de cette feuille, ou plus exactement son manque de tenue.

[horizontalement en haut de page, en rouge] GG [Gaston Gallimard?]

Claude Elsen à Jean Paulhan (19 avril 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 19 avril 1957
Mon cher Jean,

J’espère que je ne vous importune pas ?
Je voudrais vous proposer deux notes :
1°) l’une sur Les écrivains de Michel de Saint-Pierre, dont il me semble qu’il faudrait dire tout le mal qu’il mérite ;
2°) l’autre sur deux livres « fantastiques » : Morts violentes d’Ambrose Bierce et L’aventurier de l’Espace de Catherine L. Moore (C. L. [Catherine Lucille] Moore est une sorte de faux Lovecraft, si j’ose dire).
Dites-moi.

Je suis bien ennuyé. Ma rupture avec Dimanche-Matin (que je ne regrette absolument pas du point de vue « moral »), me gêne beaucoup sur le plan pécuniaire. J’avais, un instant, nourri quelque espoir du côté d’Artalian , mais il se trouve que ce journal est fait, pratiquement, par la même équipe que D.M. [Dimanche-Matin ], laquelle me bat froid depuis notre séparation. Et les traductions suffisent mal à assurer notre subsistance…
Vers qui, vers quoi se tourner ?

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (23 avril 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 23 avril 1957
Mon cher Jean,

Entendu pour ma [la?] note sur M. de Saint-Pierre (bien d’accord avec vous sur la « qualité » de ce livre ; je crois qu’il n’est pas mauvais de le dire : depuis les Aristocrates on tient – Dieu seul sait pourquoi ! – M. de St-P. [Saint-Pierre] pour un grand romancier) et la notule sur Catherine L. Moore.
Je suis mauvais juge en ce qui concerne la traduction de Bierce. Vous ai-je jamais raconté qu’en 1944 j’avais obtenu non sans mal de la censure allemande l’autorisation de traduire et de publier In the Midst of Life – et que j’en corrigeais les épreuves lorsque… vous savez la suite ?
Oui, je compte bien relancer Michel Mohrt d’ici quelque temps (pour l’instant je termine une traduction pour La Palatine et vais en commencer une autre pour Stock) – et merci de votre appui éventuel. Mais peut-être savez-vous comme moi que la traduction seule nourrit mal son homme (la traduction d’un livre « normal », qui demande approximativement trois mois de travail, est rarement payée plus de 150.000 fr – et encore… À moins que Gallimard ne fasse à ses traducteurs des conditions particulièrement honorables?)
Ce serait donc plutôt des « à-côté » que je souhaiterais trouver. Je sais que c’est très difficile.

Nous vous embrassons
Claude

PS – J’ai reçu les Cahiers des Saisons .

Claude Elsen à Jean Paulhan (4 mai 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 4 mai 1957
Mon cher Jean,

Tout bien pesé, il me semble que Les écrivains , eux non plus, ne méritent guère mieux qu’une notule. N’est-ce pas votre avis ? Vous en ferez ce que vous voudrez.

Les Pilotaz devaient venir le 15 mai, ne viendront sans doute qu’en juin. Lily est à Saint-Tropez. Paul, à Gilly, pleure ses poires gelées, nous dit Hélène.
Lily nous dit que vous irez sans doute à Gilly en juillet. Nous serons, à cette époque, à Cordon (Haute-Savoie) avec les Poulet. Vous viendrez nous y voir tous ensemble (c’est à une heure de Gilly, en voiture).

J’essaie toujours (en vain) de remplacer Dimanche-Matin. Rivarol et les Écrits de Paris n’y suffisent pas. Comme on ne peut guère traduire qu’un livre à la fois (et j’en traduis un, pour Stock), je n’ai pas encore relancé Mohrt.
Que fait au juste Nimier, rue Sébastien-Bottin ? Quelles collections dirige-t-il ? N’y aurait-il rien à tenter, pour moi, de ce côté ? (J’ai toujours eu d’excellents rapports avec lui.)

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (3 juin 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 3 juin 1957
Mon cher Jean,

Merci. Ce sera bien volontiers (le 23 juin), si j’en ai fini avec mon Américain (que je vois un jour sur deux, dont le dimanche).
Mais qui est Barbara Church ? (Je suis un sauvage…)

J’allais vous écrire, pour vous demander si une note sur Les amants de Margerit et (ou) une autre sur Le livre de Quelques-uns de Robert Poulet vous agréerai(en)t.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (27 juin 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 27 juin 1957
Mon cher Jean,

Nous n’avons pu, in extremis, aller à Ville-d’Avray dimanche dernier, Moucky étant un peu souffrante (c’est passé). Nous l’avons regretté.
J’espère que vous avez reçu les deux notes (sur Poulet et Margerit) que je vous ai envoyées il y a une dizaine de jours. J’espère aussi qu’elles vous agréent.
Moucky a téléphoné il y a deux ou trois jours à Dominique pour lui proposer que vous veniez dîner un soir prochain à la maison. Si j’ai bien compris, vous comptez vous absenter pour quelques jours. Ne manquez pas de nous faire signe à votre retour, dès que vous serez libre(s) et que cela vous conviendra. Nous ne quitterons pas Paris (pour Gilly) avant le 8 août.

Bien affectueusement à vous
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (28 juillet 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 28 juillet 1957
Mon cher Jean,

Ce qui m’incite à vous écrire, c’est une espèce de nostalgie… Ce soir, cherchant quelque chose, je me suis mis à fouiller mes tiroirs, des dossiers. J’ai ouvert celui où j’ai rangé toutes les lettres et tous les billets que vous m’avez écrits depuis 48. (Je ne conserve presque jamais les lettres que je reçois. Les vôtres, oui – et celles de Chardonne, et quelques-unes de Poulet, c’est tout.) Et j’ai pensé avec un peu d’attendrissement aux premiers temps de notre amitié, aux premières visites que je vous ai faites rue des Arènes, surtout à l’inlassable gentillesse, à l’inlassable dévouement que vous m’avez témoignés à cette époque – assez pénible – de mon existence. Aussi à tout ce qui a suivi et dont il faut bien dire que vous fûtes à l’origine – y compris mon mariage avec Moucky, qui est la grande chose de ma vie. Mais si ! Réfléchissez-y un instant : c’est par vous que j’ai connu G.G. [Gaston Gallimard], que j’ai obtenu de lui cette « avance » sur mon Homo eroticus qui m’a permis de quitter l’imprimerie Lang, donc de « décrocher » d’autres travaux – qui m’ont finalement fait entrer chez Plon, etc.
Vous me demanderez ce qui, dans tout cela, justifie la « nostalgie » dont je parlais ? C’est qu’à l’époque (1948-1950) je me voyais peu à peu rentrant dans la vie « normale », retrouvant une activité régulière de journaliste, de critique, d’écrivain, que sais-je ? Et qu’aujourd’hui je me sens terriblement « en dehors » d’un temps et d’un monde qui ne me plaisent pas beaucoup, vivant (assez mal et de manière peur sûre) des besognes sans grand intérêt, un peu las d’une constant insécurité matérielle, qui périodiquement (pour ne pas dire toujours) m’empêche de travailler vraiment .
… Nostalgie , aussi, pourquoi ne pas le dire, du temps où nous avions des contacts beaucoup plus étroits, beaucoup plus suivis, un peu parce que nous étions « voisins », un peu parce que vous n’étiez pas encore absorbé par la revue et moi par la nécessité de trouver et d’accomplir les besognes que je disais plus haut.

Ces semaines-ci, je profite des demi-loisirs (forcés) que me vaut la « morte saison » pour travailler au livre dont je vous parle depuis longtemps (Je refuse de jouer ) – depuis si longtemps que je m’avise qu’à force d’y penser, je n’ai guère qu’à le « recopier » – mais quelques semaines y suffiront-elles ?
Nous partons le 11 pour Gilly, jusqu’aux premiers jours de septembre. Fin septembre ou début octobre, nous emménagerons à Janville-sur-Juine. Les travaux y vont leur train (qui est lent). La maison sera, je crois, très accueillante. Elle le sera ou voudrait l’être en tout cas pour vous : il y aura une chambre d’ami, où l’on aimerait bien vous voir venir passer de temps à autre un week-end, ou quelques jours. Le jardin est grand, d’un dessin assez singulier, entouré d’un ruisseau, percé de deux sources. Il y aura des animaux, vous vous en doutez. Un seul point me laisse perplexe : gagner ma vie, là-bas, sera encore moins aisé, même en venant à Paris un ou deux jours par semaine (50km, 1h. de train)… Absent de Paris – même de 50km – on est bien vite oublié ! Le fait en soi ne me gêne guère, mais il y a toujours cette lancinante obsession du pain à gagner…

Vous voyez, mon cher Jean, que je n’avais rien de bien urgent ni de bien précis à vous dire…
Ne vous verra-t-on pas d’ici le 11 ? (Moucky a essayé de téléphoner à Dominique – qui était absente – pour arranger quelque chose, un soir, avenue de Camoëns. Nous espérons qu’elle nous rappellera.)
Donnez-nous, en tout cas, de vos nouvelles.

Nous vous embrassons
Claude

(Je me propose, en septembre, de voir Nimier ou (et) Mohrt. Je serais heureux, ne fût-ce qu’occasionnellement, de travailler pour les éditions Gallimard. Dans une lettre de vous non datée, qui doit remonter à un an ou deux, vous me disiez qu’il y aurait peut-être quelque chose à faire pour moi du côté d’un certain Club du Livre, vous me parliez d’un certain Gregory. Si cela vous dit encore quelque chose, voulez-vous me donner quelques précisions?)

PS – Vous ne m’avez pas dit ce qui (sans doute) n’allait pas dans la note que je vous ai donnée sur le Livre de quelques-uns de R. [Robert] Poulet – ni ce qui est advenu de celle (dont j’ai corrigé l’épreuve il y a au moins 3 mois) sur L’érotisme au cinéma de Lo Duca. N’y mettez aucun scrupule – et éventuellement renvoyez-moi la première, voulez-vous ?
PS 2 – Croyez-vous qu’on puisse encore, avec un « érotique », 1° trouver un éditeur (Pauvert?), 2° ne pas avoir d’ennuis, 3° « faire » quelque argent ? J’ai aussi, dans cet ordre d’idées, depuis deux ou trois mois, un vague projet dont je vous ai peut-être parlé, et quelques notes. Mais je ne peux pas me permettre de perdre mon temps…

Claude Elsen à Jean Paulhan (10 août 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 10 août 1957
Mon cher Jean,

Votre petite visite impromptue nous a fait bien plaisir. Il m’a semblé, quant à moi, qu’elle renouait ce lien dont je vous disais avoir la nostalgie.
Nous attendons septembre avec impatience, pour vous avoir toute une soirée à la maison – ou (et) pour passer un après-midi à Janville.
(Je me demande encore où vous aviez pris que Moucky « ne vous aimait pas beaucoup ». C’était tout à fait absurde.)

L’influence – je dirais mieux : la « fascination » – d’Histoire d’O. sur ladite Moucky est assez étonnante. Comme sur Germaine Poulet (mais non sur Robert, vous le savez). Les réactions à sa lecture, surtout celles des femmes, me passionnent – et m’instruisent souvent plus que n’importe quelle confidence. Je vous en écrirai, de Gilly.

Mais il faut que je prépare ma valise…

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (31 août 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 31 août 1957
Mon cher Jean,

Oui, le soleil nous gâte, depuis quelques jours. Histoire, sans doute, de nous faire regretter notre départ proche (dans huit jours).

Mais non, j’ignorais que ce vers fût de Leconte de Lisle. Je ne sais pas s’il est beau, mais je sais que je le signerais volontiers ; que la question qu’il pose est de celles qui, depuis un quart de siècle, m’abîment beaucoup de choses. (C’est même, entre Moucky et moi, un fréquent sujet de controverse.)

Très bonne idée que celle de ce dictionnaire (de lieux-communs, citations, etc.) Il faudra que nous en parlions. J’y travaillerais volontiers. Mais serait-ce possible, habitant à 45km de Paris ? J’ai peur qu’une entreprise de ce genre impose la fréquentation assidue des bibliothèques.

Nous sommes tous bien contents de savoir que Dominique s’est tirée sans (trop de) dommage de cet accident.

Excusez-moi : je me sens l’esprit parfaitement vide. (C’est peut-être cela, les vraies vacances?) Je vous écrirai mieux de Paris. Et il faut nous voir, avant notre départ pour Janville, n’est-ce pas ?

Nous vous embrassons
Claude
et Moucky

Claude Elsen à Jean Paulhan (13 septembre 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 13 septembre 1957
Mon cher Jean,

Moucky a essayé à trois reprises cette semaine, en vain, d’avoir Dominique au téléphone. Nous aimerions bien vous avoir à dîner un soir prochain. Voulez-vous me dire celui qui vous conviendrait ? Vers la fin de la semaine prochaine, par exemple…

Ce mois à Gilly fut parfait. Si parfait que nous en sommes revenus avec un gros cafard.
Mais il faut que je me remette en quête de travaux « alimentaires ». Je compte passer lundi ou mardi rue Sébastien-Bottin pour voir Nimier, ou Mohrt, ou les deux.

Vous seriez gentil de me renvoyer ma note sur le Livre de quelques-uns . (Et de me dire peut-être quelle(s) autre(s) note(s) je pourrais vous donner).

J’attends de vos nouvelles.
Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (27 décembre 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 27 décembre 1957
Mon cher Jean,

Vous devez me trouver bien silencieux ? C’est que, contre toute attente, les journées à la campagne sont beaucoup plus remplies qu’à la ville… Elles le sont très agréablement, d’ailleurs : après quelques semaines d’inévitable « acclimatation », je suis tout à fait installé dans ma nouvelle existence. C’est sans aucun enthousiasme que je vais à Paris chaque semaine, pour y chercher ou y rapporter du travail.
Pendant quelque 25 ans, j’ai assuré que j’étais fait pour vivre à la campagne. Pendant quelque 25 ans, on l’a contesté. J’étais, me disait-on, le citadin-type. Je sais à présent que ce n’était pas vrai, que j’avais raison. Il m’a fallu deux mois pour m’en convaincre. C’est fait.

Comment faire pour avoir un chien ? Ne connaissez-vous personne qui puisse m’en donner (ou m’en vendre) un jeune  ? J’aimerais l’élever moi-même. (J’ai renoncé au chimpanzé, Moucky étant décidément contre…)

On espère vous avoir bientôt ici, un jour entier, avec Dominique On espère surtout qu’au printemps vous viendrez passer un (ou des) week-end(s), une fois la chambre d’amis installée.

Je n’ai pas encore (re)commencé à travailler sérieusement, les besognes « alimentaires » prenant tout le temps que me laissent mes tâches de « propriétaire ». Il faut hélas penser surtout à ces besognes, car nous sommes criblés de dettes…
Mais j’ai deux ou trois projets précis.

Je vous écris aussi ce mot, mon cher Jean, pour vous adresser des vœux qui, pour être traditionnels, n’en sont pas moins sincères.

Nous vous embrassons
Claude

- Est-il exact que (comme l’annonce l’Express ) Gallimard a racheté les éditions Pauvert et les éd. [éditions] de la Table Ronde ?
- Croyez-vous qu’il soit possible d’avoir en S.P. [Service de Presse] le Paul Valéry de la Pléiade ? J’en parlerais dans les Écrits de Paris .
- Je n’ose pas vous proposer une note sur L’érotisme de Bataille : ne m’avez-vous pas dit que le sujet était un peu tabou dans la nrf [Nouvelle Revue Française ] ? (Mais sur tout autre livre qui vous agréerait, bien volontiers, toujours)

Claude Elsen à Jean Paulhan (31 décembre 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 31 décembre 1957
Mon cher Jean,

Sur l’Art du contrepet et les Palindromes, ce serait bien volontiers – mais je n’ai pas le premier.
Merci d’avance, si vous pouvez me faire avoir le Valéry de la Pléiade (que je n’ose pas demander à Mme Bour). Si vous voulez, je pourrais en parler dans la nrf [Nouvelle Revue Française]. En tout cas dans les Écrits .
C’est curieux, plusieurs de mes amis nourrissaient comme vous des doutes sur mon adaptation à la campagne. Je me souvenais, pour ma part, que dès 1937 j’avais songé à acheter une petite maison à Deurle-sur-Lys, dans les Flandres – et seules la nécessité de gagner ma vie (à Bruxelles) et la perspective de la guerre m’en avaient retenu. En réalité, je ne suis pas certain qu’entre vingt et trente ans je me fusse fait à cette existence érémitique : l’homo eroticus s’en fût peut-être mal accommodé… Mais depuis six ou sept ans, j’ai constaté que même vivant à Paris, je me « détachais » de plus en plus. Dès lors, mon siège était fait. Les meilleurs moments que j’aie passés au cours de ces années, ce fut à Gilly ou à Buzancy. J’en ai retrouvé le charme à Janville, passées les premières semaines, un peu « éprouvantes » en raison des nécessités d’installation et du changement de mes habitudes. Mes passages hebdomadaires à Paris me font un peu l’impression d’un cauchemar. C’est que je n’aime plus du tout le bruit, la foule, le commerce de mes semblables, mis à part quelques amis, que j’avais d’ailleurs peu d’occasions de rencontrer, qui viennent nous voir ici ou dont j’espère qu’ils le feront.
Ce serait bien, mon cher Jean, si, au printemps par exemple, vous nous faisiez le plaisir de venir passer quelques jours avec nous.

Encore tous nos vœux. Nous vous embrassons.
Claude

[horizontalement, à gauche en rouge] à lui envoyer

Claude Elsen à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1957
Mon cher Jean,

Je vous ai dit, je crois, que nous partions pour Gilly, jusqu’au samedi 2/2 ? Cette évasion est bienvenue.
Il paraît que, dimanche, paraît le dernier numéro de Dimanche-Matin . Me voici donc – une fois de plus – à demi chômeur… (et les 2 derniers mois n’ont pas été payés).
Il y a longtemps que je ne vous ai pas donné de note pour la nrf [Nouvelle Revue Française]. Si vous voyez un livre dont je pourrais parler… (par exemple L’érotisme au cinéma , éd. [éditions] Pauvert, ou Toutes les femmes sont fatales , de Claude Mauriac, ou les très belles Réflexions sur la vieillesse et la mort de Jouhandeau?)
Vous me ferez plaisir en m’écrivant un mot à Gilly (où je serai lundi).

Bien affectueusement
Claude

PS – Il faut se voir en février.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1957
Mon cher Jean,

Il paraît que, lorsqu’on me voit pour la première fois, on me trouve l’air « hautain » - ou plus précisément « prétentieux ». Chaque fois qu’on me l’a dit (après coup, en reconnaissant que c’était une illusion d’optique), je suis tombé des nues. Il paraît de même, et votre mot le confirme, que Moucky donne aisément l’impression d’être « distante » – ou plus précisément « désinvolte ». C’est aussi faux et peut-être même davantage, et nous surprend autant. Mais n’avons-nous pas tous, ainsi, ou presque tous une apparence qui trompe ?
Bref, il serait un peu bête de vous dire la manière dont Moucky parle de vous, et qu’elle vous porte une affection au moins égale à la mienne. Il faut pourtant que vous sachiez que votre mot lui a fait de la peine… Ce qui se traduit, dans le langage dont nous usons entre nous, par : « Tu diras à Jean qu’il est bête, et que je lui en veux... »
Voilà qui est fait.

Dommage que Lily P. [Pilotaz] n’ait pu donner suite à son projet de nous recevoir ensemble à Gilly, cet été. Ç’aurait été, je crois, bien agréable. Mais en juillet et ce début d’août, la maison était envahie par la famille, les Bernson, Mme Naamé, etc. – et pendant notre séjour (de dimanche prochain au 4 ou 5 septembre) Lily elle-même ne sera là que fugitivement, entre deux séjours à St-Tropez [Saint-Tropez].
Nous nous verrons donc, vous et nous, en septembre, avenue de Camoëns – et nous vous attendrons à partir d’octobre à Janville (il y a à peine une heure de voiture ou de train).
Nous voudrions savoir, entre temps, que vous allez bien.

Pour le Livre des qques-uns [Livre des quelques-uns ], vous avez sans doute raison. On est souvent mauvais juge, s’agissant des livres de ses amis – et surtout, je crois, lorsqu’ils vont trop dans le sens de ce qu’on pense soi-même (c’est le cas).
Le mien (de livre) avance assez bien. Ses thèmes ne sont pas tellement éloignés de ceux du Livre des qques-uns [Livre des quelques-uns ] ou de la très belle Lettre à un ami lointain de Cioran, que je viens de lire dans la nrf [Nouvelle Revue Française ] – mais traités sur un mode plus subjectif, plus familier, moins « oraculaire » si j’ose dire. Cela tient à la fois du journal intime et, pour reprendre une formule de Cioran qui me plaît assez, du « pamphlet sans objet ». J’espère l’achever à Gilly et en septembre, avant de me remettre en quête de besognes alimentaires. Vous serez son premier lecteur, en tout cas.

À bientôt. Nous vous embrassons affectueusement et (pour Moucky) sans rancune…

Claude

Puis-je vous signaler qu’on a indiqué (à tort) dans la nrf [Nouvelle Revue Française ] qu’Attitudes anglo-saxonnes d’Angus Wilson a paru chez Gallimard (alors que c’est chez Stock) ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1957
Mon cher Jean,

On a été heureux de vous revoir – encore que trop brièvement pour mon goût. Il me semble que j’avais un tas de choses à vous dire, que je n’ai pas pu vous dire. Il m’arrive souvent de regretter le temps où – nous étions « voisins » – j’allais vous faire visite rue des Arènes, sur le coup de midi… Comme le temps passe !
J’ai oublié, en particulier, de vous demander s’il vous conviendrait que je vous donne une note (1 page, 1 page ½ de la nrf [Nouvelle Revue Française]) sur L’œuf et Chair et cuir de Marceau. C’est ce qu’il a fait de mieux. Vous savez que le premier (la pièce) est tiré du second (le roman). Ce pourrait être l’occasion de regretter (amicalement) qu’il se soit écarté de ce chemin…
Il y a aussi Ce qui est écrit en nous de Fabre-Luce et E=mc² de Pierre Boulle…
Dites-moi. Vous savez que la mort de Dimanche-Matin et l’ennui dans lequel a sombré la Table Ronde me contraignent à un silence quasi total (bien que la Revue de Paris et les Écrits de Paris m’ouvrent leurs portes ; mais est-ce tellement tentant – entre nous?)
Un mot de vous me ferait plaisir.

Nous vous embrassons
Claude

- Nourissier a-t-il renoncé à parler des films dans la nrf [Nouvelle Revue Française] – ou la nrf [Nouvelle Revue Française] à lui demander de le faire ? Vous savez que c’est une de mes anciennes amours (pas Nourissier : le cinéma)
- Vous seriez gentil de me faire renvoyer les Notes sans portée de « Robert de Montaigu », qu’on me réclame. Merci.

[horizontalement, en bas de page en rouge] à renvoyer
[plus bas, au crayon rouge] je ne ls [les] ai pas
21 mars 57
DA [Dominique Aury?]

Claude Elsen à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1957
Mon cher Jean,

Me voici soudain et de manière tout à fait imprévue très occupé (jusqu’à fin juin, date de notre départ pour la Haute-Savoie). On m’a mis en rapports avec un curieux personnage hungaro-américain, qui veut publier un petit ouvrage sur la politique américaine (il est pour), en est empêché par sa méconnaissance du français (qu’il parle mal et n’écrit pas), et m’a « engagé » pour le faire. Je passe avec lui 2 ou 3 après-midis par semaine, et ma tâche consiste à tirer de nos entretiens la matière dudit ouvrage. C’est honnêtement payé.
Nous espérons toujours vous voir avec les Pilotaz à Cordon (Haute-Savoie) en juillet. Nous y passons le mois avec les Poulet, dans le chalet familial. Vous allez toujours à Gilly ?
Nous passerons le mois d’août à Paris (ce n’est pas du tout désagréable) et nous espérons pouvoir, en septembre, emménager dans notre maisonnette de Janville-sur-Juine, où il nous tarde de vous accueillir.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1957
Mon cher Jean,

Voici la note sur Marceau.
Nos dernières lettres se sont croisées. Je pense que la rumeur publique vous aura dit ce qu’il advenait de DIMANCHE-MATIN. Nous sommes déjà trois ou quatre à nous en être allés. D’autres semblent devoir nous imiter cette semaine-ci. Il n’est plus guère possible de collaborer à ce journal, dont l’activité et les convictions (?) politiques de son directeur passent les limites du raisonnable, et dont les moyens de financement ne laissent pas d’être assez obscurs.
J’ai donné à la REVUE DE PARIS, pour son prochain numéro, une note sur les Réflexions de Jouhandeau.
À part cela, je me remets à de nouvelles traductions.
Demandez-moi bien entendu ce que vous voulez pour la nrf [Nouvelle Revue Française].

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (26 janvier 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 26 janvier 1958
Mon cher Jean,

Ce mot pour vous apprendre que notre famille s’est accrue depuis hier d’un jeune boxer de 7 semaines, qui porte (s’il n’y répond pas encore) le nom de Golo. Il y avait près de vingt ans que je rêvais d’avoir un chien à moi, et que j’aurais élevé. Voilà qui est fait.
Nous attendons, je vous le rappelle, que Dominique et vous veniez déjeuner ici, quand vous voudrez, pour que nous puissions bavarder tranquillement. Prévenez-nous d’un mot quelques jours à l’avance ou dites à D.A. [Dominique Aury] de nous téléphoner (114 à Lardy).

Nous vous embrassons
Claude

Je viens de recevoir L’art du contrepet . Je vais vous faire le papier dont nous avons parlé.

Claude Elsen à Jean Paulhan (26 mars 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 26 mars 1958
Mon cher Jean,

Je m’avise soudain que, quelque peu noyé par des besognes diverses, ces derniers mois, je n’ai pas fait la note dont nous étions convenus, sur L’art du contrepet et les Palindromes . Pardonnez-moi – mais est-il encore temps, ou y renoncé-je ?

Nous allons bien (Golo compris, qui va allègrement sur ses 4 mois et ses 12 kilos). Le printemps s’annonce. Il faudra bientôt revenir nous voir.
Je termine mes Deux Don Juan (Molina et Molière) qui doivent paraître cet automne, et dont je vous soumettrai la préface. Bien entendu, ni celui de Molina ni celui de Molière ne sont des œuvres très accomplies, mais il est assez passionnant d’y surprendre le mythe « à l’état naissant ».
Le même « Livre-Club » me de mande de préparer une Correspondance amoureuse de Benjamin Constant.
Et je traduis toujours des choses pour Stock.

François Nourissier passe les vacances de Pâques à Megève avec Hélène, Jean-Paul et Françoise, que Lily lui a confiés.

J’ai enfin réussi à mettre la main sur un des rares exemplaires des Chiens de paille de Drieu, que je trouve très étonnants dans la mesure même où le Drieu de 43 s’est livré tout entier dans ce livre manqué, absurde, un peu délirant, mais par là saisissant. Pourquoi n’en parlerait-on pas, même s’il ne doit pas être rendu public ?

Donnez-nous de vos nouvelles.

Nous vous embrassons
Claude

[horizontalement à droite, sous la date] rue de la Pompe
Janville s. Juine [Janville-sur-Juine]
[SaO?]

Claude Elsen à Jean Paulhan (17 mars 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 17 mars 1958

[horizontalement à droite, sous la date] 7 Pass. [Passage] de la Pompe
Janville s Juine [Janville-sur-Juine]
SaO

Mon cher Jean,

Une amie qui rentre de Bruxelles m’apprend que dans certains cercles de là-bas, je passe pour être… votre secrétaire. (Inutile de vous dire que j’en suis extrêmement flatté.) C’est pour cette raison que j’aurais réussi à « régulariser » ma situation en France…

Pour les oreilles de Golo, tout s’est fort bien passé. Nous avons trouvé un excellent vétérinaire arpajonnais qui est venu chercher le patient en voiture et nous l’a ramené le lendemain, opéré – en sorte qu’il ne nous en a tenu aucune rigueur. Il n’empêche que, pendant 24 heures et pour la première fois de ma vie, j’ai éprouvé un sentiment bizarre : le remords. À titre de compensation, nous avons fait clôturer pour ledit Golo une cinquantaine de mètres du jardin afin qu’il puisse s’y ébattre en toute quiétude. Il a trois mois depuis huit jours et pèse 10 kilos. Sa présence nous enchante.

J’essaie de me « réformer ». À force de m’entendre dire (par Poulet, Cioran, etc. etc.) que si je continue à travailler la nuit et à prendre des somnifères je deviendrai fou ou mourrai avant l’âge (mais quel est cet âge, après tout?), j’ai décidé de faire effort. Je me couche et me lève plus tôt (2h du matin au lieu de 3, 10h½ au lieu de 11h½). Le seul résultat appréciable, pour l’instant, c’est que je travaille une heure de moins.
Connaissez-vous quelques cas de personnes que le travail nocturne et l’usage des somnifères ont fait vivre vieux en se portant bien ? J’aimerais pouvoir les glisser dans la conversation.
C’est que les nuits, ici, sont si merveilleusement tranquilles qu’il paraît absurde de les passer à dormir (1)...

Quand reviendrez-vous ?

Nous vous embrassons
Claude

P.S. J’avais écrit – après un an de silence – à Arnold de Kerchove et Nadine, pour leur demander de leurs nouvelles et les inviter à venir nous voir. Nadine me répond qu’ils sont « séparés de corps », tout en restant excellents amis… Que s’est-il passé ? Le savez-vous ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (14 avril 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 14 avril 1958
Mon cher Jean,

J’allais justement vous écrire, Dominique (à qui, inquiet de votre silence, j’avais demandé de vos nouvelles) m’ayant dit que vous étiez à Port-Cros.
Je demande à Pauvert son anthologie du non-sense . Je vous enverrai donc une note sur ce livre (s’il me l’envoie) en même temps que celle sur le Contrepet et les palindromes. Mais vous me parlez de deux notes (non compris le non-sense ). Sur quoi, la seconde ? S’agirait-il des Chiens de paille , dont je vous avais suggéré que parlât la nrf [Nouvelle Revue Française ] ? Défense de l’occident vient de publier un n° [numéro] spécial sur Drieu, qui ne manque pas d’intérêt – surtout à cause des inédits de Drieu. Mais je suis en discussion avec Robert Poulet touchant son interprétation du suicide de Drieu, dont il conteste la « nécessité », alors qu’à mes yeux D. [Drieu] ne pouvait pas ne pas se suicider un jour ou l’autre, les circonstances de 44-45 n’en ayant été que l’occasion.

Vous ne reconnaîtriez (vous ne reconnaîtrez) pas Golo, qui va allègrement sur les 13 ou 14 kilos. Il a doublé de taille et de poids depuis que vous l’avez vu. Il nous enchante toujours autant.
On vient de me parler du cas d’un monsieur de 58 ans qui souffrait depuis deux ans d’une dépression nerveuse que les médecins avaient renoncé à guérir. Il y a quelques mois, un de ses amis eut l’idée de lui offrir un jeune boxer. Il est guéri.

Oui, les Deux Don Juan sont achevés. Je termine la préface (que vous lirez).
Je viens de lire le Nouvel art d’aimer de Toesca, dont je partage la plupart des vues, mais dont l’assurance satisfaite ma paraît un peu agaçante – et assez superficiels les commentaires à Ovide, La Bruyère, Chardonne et… Dutourd (pourquoi Dutourd, grand Dieu?)
En revanche, les Grèves de Jean Grenier m’ont enchanté.

Nous avons eu des nouvelles d’Arnold et de Nadine (séparément). Tous deux nous disent s’être séparés mais rester les meilleurs amis du monde. Nous espérons avoir leur visite (séparément, aussi, semble-t-il). Curieuse histoire.

Après des Pâques sibériennes, le printemps vient de faire son apparition à Janville. Nous y sommes toujours satisfaits de la vie campagnarde. Dès que vous aurez un moment de liberté, il faudra revenir. Je vous signale à toutes fins utiles que la chambre d’ami sera habitable dans quelques jours.

À bientôt, mon cher Jean. Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (6 mars 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 6 mars 1958
Mon cher Jean,

Les Éd. [Éditions] de la Table Ronde, pour favoriser le lancement des Guimbardes de Bordeaux , de Stephen Hecquet, impriment une manière de dépliant réunissant diverses appréciations sur ce livre (Anouilh, Nimier, Dutourd, Rebatet, etc.)
On m’y demande (aux Éd. de la T.R. [Éditions de la Table Ronde]) de solliciter de vous quelques lignes, ou une phrase, ou trois mots. Je vous laisse juge. Mais si cela ne vous ennuie ou ne vous déplaît pas, vous seriez bien gentil d’envoyer ces quelques mots (ou lignes), très vite, à Mlle Catherine du Vivier, Éd. [Éditions] de la Table Ronde, 40 rue du Bac.

Bien affectueusement
Claude

(Que pensez-vous de la lettre de Nourissier à l’Express ? J’ai peur qu’elle – ou plutôt les commentaires que j’ai adressés à F.N. [François Nourissier?] – nous ai(ent) brouillés…)

[réponse de Jean Paulhan, au niveau de la signature] M Elsen
7 passage de la Pompe
Janville s. Juine [Janville-sur-Juine]
[S.aO?]
[puis horizontalement en bas de page] Cher Claude, mais qu’est-ce que c’est que ces Guimbardes  ? Je n’ai aucune idée là-dessus. Comment pourrais-je écrire ?
affect. [affectueusement]

Claude Elsen à Jean Paulhan (22 mai 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 22 mai 1958
Mon cher Jean,

Oui, François a de toute évidence un charme auquel il est difficile de résister. Comme dit Moucky « il finit toujours par vous « avoir »… Même inconsciemment, je ne crois pas qu’il y ait chez lui d’ « arrivisme », mais un curieux besoin de séduire, d’être aimé, à la fois féminin et enfantin. Sa versatilité m’a parfois dérouté. Cela finit toujours par s’arranger…
Pour les citations, je crois que vous avez raison. Le goût que j’ai pour elles, Moucky (plus sévère que vous) l’impute à la paresse et à une sotte humilité plutôt qu’à la modestie – mais surtout à la paresse(1) ...
Je me mets à transcrire, à votre intention, quelques pages de « journal » – celles qui (me semble-t-il) présentent une certaine unité d’inspiration.

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (25 juin 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 25 juin 1958
Mon cher Jean,

Vous seriez très gentil de me dire quid des pages donjuanesques que vous savez. Le livre « sort » le 15 septembre. Si la nrf [Nouvelle Revue Française ] ne publiait pas ce texte, puis-je vous demander de me le retourner ? J’essayerais de le « placer » ailleurs. Il vaudrait mieux que je m’y prenne à temps…
Vous me direz aussi ce que vous pensez des pages de journal que je vous ai soumises, n’est-ce pas ? Et n’hésitez pas, non plus, à me les renvoyer, si vous jugez qu’elles ne conviennent pas à la revue.
Je ne crois pas que nous quitterons Janville de l’été, à cause 1°) de Golo (trop turbulent encore pour que nous imposions sa présence aux Pilotaz…), 2°) de mon travail.
Quand nous y reverrons-nous (à Janville) ? Entre deux averses, il y fait délicieux.

Bien affectueusement
Claude

[horizontalement à gauche, en rouge] MA.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1er juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1er juillet 1958
Mon cher Jean,

Vous avez raison : je me demande encore quelle idée m’a pris de vous soumettre (pour la nrf [Nouvelle Revue Française ] ces notes nullement destinées à la publication, qui ne sont pas (ne vous y trompez pas!) des pages d’un livre futur, mais, extraits d’un carnet qui disparaîtra avec moi si je ne le détruis pas avant, des repères, des références à un contexte non écrit et qui ne le sera pas. Cette idée (assez sotte) revenant (assez paradoxalement) à vouloir publier (sans les énoncer complètement ) les raisons que j’ai de ne pas publier – à défendre en quelque sorte le silence… en parlant.
Vous avez bien vu que ces pages « semblent faites pour empêcher tout le reste » (s’il s’était agi d’un livre). Elles marquent pour moi les étapes d’une route qui aboutit au silence absolu, auquel je tends, auquel j’aurais sans doute déjà atteint, n’était la nécessité de gagner ma vie, donc (c’est là qu’est le paradoxe) d’écrire et de publier, dans la mesure où les besognes alimentaires et anonymes auxquelles je me livre ne suffisent pas à assurer tout à fait ma subsistance.
Pour exposer et développer (fortement) les raisons de cette attitude, de cette morale personnelle si vous voulez, il faudrait effectivement un livre. Mais écrire un livre pour dire les raisons qu’on a de ne pas l’écrire, voilà qui me paraîtrait assez extravagant !
Laissons cela.

Ce qui m’ennuie, c’est que je n’ai pas d’autre copie du Don Juan que je vous ai donnée et qu’a, me dites-vous, Arland. L’original est à l’imprimerie. Le volume paraît le 15 septbre [septembre]. Il me faut donc souhaiter soit que la nrf [Nouvelle Revue Française ] publie ce texte en août ou en septembre – soit que M.A. [Marcel Arland] me le fasse tenir avant août. Sinon, tant pis.

Je vous ai dit, je crois, que nous ne quitterions pas Janville cet été. Si vous ne vous déplacez pas (trop) vous-mêmes, nous espérons beaucoup vous y voir. Avez-vous des projets de vacances ? Si non, que Dominique téléphone à Moucky un de ces jours : elles arrangeront quelque chose. On aimerait bien passer une journée avec vous.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (10 juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 10 juillet 1958
Mon cher Jean,

Pour Don Juan, merci… Serait-il possible que vous indiquiez quelque part (en P.S. ou en note, à la fin de la rubrique « Le mois », comme vous faites parfois) que ce texte constitue la préface d’une édition conjointe du Trompeur de Séville de Tirso de Molina et du Dom Juan de Molière qui paraîtra en septembre au « Livre-Club du Libraire » ?

À vrai dire, Golo n’est pas seul à nous empêcher d’aller à Gilly. Il y a aussi mon travail (deux livres à traduire d’ici la fin de l’année). Il y a encore – tout à fait entre nous – que nous aurions partagé ce séjour avec François Nourissier, ce qui ne me souriait qu’à demi. Mes relations avec lui sont un peu incertaines depuis deux ou trois mois. Je me fais décidément assez mal à ses perpétuels caprices et virevoltes. Je ne suis pas certain non plus de goûter énormément la « danse de séduction » à laquelle il se livre auprès de Paul et Lily.

Ce que vous appelez mon « pessimisme », mon cher Jean, mieux que personne vous devez en deviner la nature. Il tient en partie à la mienne (de nature). Il tient aussi aux conditions de mon existence depuis dix ou douze ans. Il m’a fallu choisir entre gagner (modestement) ma vie ou écrire ce que j’eusse aimé écrire. Les deux étant inconciliables, le choix n’allait malheureusement que trop de soi. « Composer » n’a jamais été mon fort. De plus en plus, depuis 44, j’ai eu le sentiment d’être déplacé , d’être de trop dans cette après-guerre. De là à se replier sur soi-même, à choisir le silence, le non-agir, à se retirer d’un jeu dont, pour le jouer convenablement, il faudrait pouvoir feindre d’accepter les règles…
De 1944 à 195…, et malgré l’insécurité de ma situation, le fait d’avoir échappé à la mort, à une mort stupide m’a procuré une espèce d’euphorie. Ensuite, j’ai pris peu à peu conscience du fait que ce sursis n’avait peut-être pas beaucoup de sens, que tout se passait un peu comme si j’étais quand même mort en 1944 – puisqu’il me fallait repartir de zéro et qu’en même temps on ne m’autorisait pas tout à fait à repartir de zéro : j’avais quand même « un passé », j’avais quand même quarante ans, j’étais quand même « marqué » et tenu dans une certaine suspicion, je n’étais quand même pas tout à fait libre de dire (ou d’écrire) ce que je pensais, il me fallait quand même demander ma subsistance à des besognes obscures et fastidieuses. Dans ce cas, ne valait-il pas mieux se résigner à « être encore dans le monde mais à n’être plus du monde » (comme dit Ruttenbeck) ?
C’est ce que j’ai fait. Depuis trois, quatre, cinq, six ans, je vis de plus en plus comme on scie du bois : machinalement, sans trop y croire, sans attendre grand-chose.
Je ne suis pas seul dans ce cas. Il m’arrive de revoir trois ou quatre amis de jadis chez qui j’observe la même évolution, la même résignation. Tout le monde n’est pas soutenu par l’orgueil qui immunise un Robert Poulet contre la tentation du refus, du détachement, du silence du non-agir… (l’orgueil et le « tonus » vital).

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (11 juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 11 juillet 1958
Mon cher Jean,

En vous répondant, hier, j’ai omis de vous reparler de Golo.
Le « mythe du boxer féroce » me semble en passe de devenir légendaire. Vous êtes la troisième ou quatrième personne, depuis six mois, à me citer le cas (différent) d’un boxer qui passait pour être le plus paisible des chiens et qui un jour, de manière imprévisible, s’est transformé en molosse redoutable. J’ai connu ou je connais d’autre part une bonne demi-douzaine de propriétaires de boxers qui, eux, s’accordent tous à dire que leur chien est un modèle d’innocence et de gentillesse. C’est aussi le sentiment que me donne Golo – mais j’impute la responsabilité du mythe en question au fait que l’apparence du boxer, sa mine patibulaire, sa robustesse, sa turbulence et le « volume sonore » de ses aboyements [aboiements] en imposent à qui ne pratique pas son commerce.
Quant à nous, nous aurions plutôt de la peine à modérer l’affabilité et la sociabilité excessives de Golo. Il ne m’aurait pas déplu qu’il eût une certaine férocité correspondant à son aspect. Je suis bien forcé de constater qu’il n’en est rien. Ce qui n’empêche pas les non-initiés de s’écarter de lui avec prudence, sans se rendre compte que, s’il fait mine de se précipiter sur eux, c’est par un curieux excès d’anthropophilie…

J’ai bien mal répondu, j’en ai peur, à vos questions – à vos reproches – touchant mon « pessimisme » ; ne vous en indiquant que quelques raisons (concrètes, matérielles, sociales). C’est qu’il n’est pas aisé, en quelques lignes, d’exposer un cheminement de plusieurs années et qui, justement, aboutit au silence. Il me semble que je vous dirais mieux tout cela de vive voix. Disons simplement que tout se passe un peu comme si j’étais vraiment mort en 1944 ou 45, mais que j’eusse mis encore une dizaine d’années à m’en rendre compte, à constater mon impuissance à me ré-insérer dans cette après-guerre, à en trouver l’air respirable. Si c’était à refaire, je ne sais pas si je m’accrocherais encore à l’existence comme je l’ai fait en 45. J’ai le sentiment (rétrospectif) d’un grand effort inutile . Je comprends que Drieu s’y soit refusé (Drieu, à qui Robert Poulet reproche son suicide pour les mêmes raisons que vous me reprochez mon « pessimisme », justement…)

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (14 juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 14 juillet 1958
Mon cher Jean,

En rangeant des dossiers, j’ai ouvert celui où, depuis dix ans exactement, je conserve vos lettres.
Pourquoi, moi qui ne garde presque aucune lettre (pas plus de 3 ou 4 par an), ai-je gardé toutes les vôtres ?
C’est d’abord – indépendamment de leur intérêt – que de notre rencontre en 48 date pour moi le début de quelque chose. Il me paraît, quand j’y songe, que ma vie se partage en deux : un « blanc », je dirais mieux : un « noir » de trois ans, ces trois ans où je fus, anonyme, solitaire, clandestin, une espèce de mort-vivant dans ce Paris encore un peu hostile où j’attendais , sans trop savoir quoi.
En 1948, votre amitié si vite chaleureuse, attentive, agissante m’a fait me raccrocher à une existence que j’avais de bonnes raisons de tenir pour fichue. Et c’est cela que vos lettres me rappellent – cela, c’est-à-dire : les visites matinales que je vous faisais avant d’aller chez Lang, les projets que nous faisions ensemble (vous vous rappelez : Comœdia , etc?…) et ceux que vous m’encouragiez à faire, le fait que vous m’ayez présenté à G.G. [Gaston Gallimard] (ce qui me permit, en 50, de quitter Lang, grâce à l’ « avance » sur Homo eroticus ), que sais-je…
Le malheur a voulu que, lorsque je crus tout arrangé (ma situation réglée, mon mariage possible), j’aie à compter avec l’extravagance des gens de Plon, qui me fit me retrouver dans un état d’insécurité matérielle dont, pratiquement, je ne suis plus sorti depuis. Ce que vous appelez mon « pessimisme » est venu de là : voilà quelque chose comme six ans qu’il ne m’est guère possible de penser à autre chose qu’aux moyens d’assurer notre subsistance et aux besognes qui me permettent de le faire (médiocrement).
Il n’en reste pas moins, mon cher Jean, que sans notre rencontre et sans votre amitié, je ne sais pas trop où j’en serais aujourd’hui – ou je ne le sais que trop : les choses seraient en tout cas pires qu’elles ne sont… Il serait injuste et déraisonnable de ma part de ne pas le reconnaître, même s’il me vient un certain accablement de mener cette existence besogneuse, de n’avoir pas su trouver (ou retrouver) une stabilité matérielle m’assurant l’indispensable liberté, l’indispensable paix de l’esprit sans lesquelles il n’est pas dans ma nature de goûter la « volupté d’être »…
Au demeurant, ce certain « pessimisme » que vous me reprochez, il me semble que tout m’y prédisposait. Je relisais, il n’y a guère, un petit livre que j’ai publié à vingt-trois ans – ce Journal d’un fantôme que je vous ai donné à lire il y a huit ou neuf ans, et vous m’écriviez alors : « Ce petit ouvrage est de ceux dont on s’aperçoit plus tard qu’ils expliquent merveilleusement l’œuvre qui les a suivis (mais à les lire d’abord , on les trouve trop secs, et inexplicables) ». Voilà qui me paraît étonnamment juste – à ceci près que « l’œuvre » que ce Journal eût pu expliquer a posteriori est manifestement destinée à ne jamais prendre forme… Mais n’explique-t-il pas, aussi bien, ce silence  ? À mes yeux, en tout cas, lorsque je relis ce petit livre qu’à quelques détails près je signerais encore aujourd’hui.
Tout cela pour vous dire que mon « pessimisme » d’aujourd’hui ne me semble nullement insolite, ni allant à l’encontre de ma « vocation » naturelle, si j’ose dire. Il arriva que j’en sois détourné par une certaine forme d’action (avant et pendant la guerre), par la chaleur de quelque amitiés (dont la vôtre, tout particulièrement), par la découverte (à 37 ans) de l’amour ; mais la démarche de mon esprit devait , je crois, m’y ramener tôt ou tard. C’est Renan, n’est-ce pas, qui disait : « Il se peut que la vérité soit triste » ? Tout se passe comme si j’avais passé ma vie à vérifier cette hypothèse – et à me convaincre de son bien-fondé…
Mais voilà un bien long bavardage…

Moucky compte vous téléphoner (ou à D.A. [Dominique Aury]) un de ces prochains jours. Nous aimerions vous avoir ici bientôt.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (18 juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 18 juillet 1958
Mon cher Jean,

En même temps que nous parvient votre lettre, nous apprenons – avec stupeur – la mort d’Yvonne ex-Demange, sœur de Lily. Que lui est-il arrivé ? C’était l’un des êtres qui donnaient le moins le sentiment de devoir mourir prématurément (et même tardivement).

Il est certain, oui, que j’ai été sensible à la perte de mon « public » (si j’ose dire), que j’ai un peu le sentiment de parler, ou d’écrire, « dans le vide ». Je crois pourtant que je m’y serais fait. Le plus accablant, je vous l’ai dit, c’est cette lancinante obsession de devoir être toujours disposé à faire n’importe quoi – c’est-à-dire, généralement, des choses ennuyeuses, fastidieuses, sans aucun intérêt – pour gagner quatre sous ; de n’avoir aucun moyen d’existence fixe . J’avais sans doute une certaine vocation de fonctionnaire.
Le journalisme, tel que je l’ai pratiqué de 1932 à 1944, donnait l’illusion – assez excitante, même si ce n’était qu’une illusion – d’agir dans quelque mesure sur les êtres, sur les idées, de « collaborer » (sans mauvais jeu de mots) à ce qui arrivait. Bien sûr, j’ai dû renoncer à cela après 45. Je l’aurais fait sans trop de peine si, en contrepartie, il m’avait été accordé de travailler en paix, dans une certain sécurité matérielle. Mais en même temps devoir renoncer à une activité que j’aimais et devoir mener une existence besogneuse, de « tâcheron » de la plume, ç’a été assez pénible et j’ai peur de ne jamais m’y être fait tout à fait.
Cela dit, vous avez (toujours) raison : il y a sans aucun doute, dans mon état d’esprit actuel, depuis quatre ou cinq ans, une part de « réaction » psycho-physiologique. D’abord aux années éprouvantes que j’ai vécues entre 1944 et 1951 ou 2, ensuite à l’euphorie momentanée qui m’est venue de voir, de croire, en 52-53, tout s’arranger ; de constater ensuite qu’en fait rien n’était vraiment arrangé…

Je ne sais rien, à vrai dire, de la manière dont Paul P. [Pilotaz] réagit aux tentatives de « séduction » de F.N. [François Nourissier], ni de ses sentiments envers lui (vous pouvez m’en parler : cela resterait strictement entre nous). Il me, il nous reste une certaine gêne d’avoir été – bien involontairement – à l’origine de tout cela, en amenant ledit F.N. [François Nourissier] à Gilly (à un moment, il est vrai, où nous avions tout lieu de le croire violemment amoureux d’une autre). Notre amitié pour Paul et Lily est très grande, très profonde. Et celle que Moucky porte à F.N. [François Nourissier] ne l’empêche nullement de le juger lucidement. Bref, cette « conjoncture » nous tracasse un peu, car nous doutons qu’il en sorte beaucoup de bien.

Nous vous embrassons
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (25 juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 25 juillet 1958
Mon cher Jean,

Nous n’en savons toujours pas plus long touchant la mort d’Yvonne Bénédict. Je suis, nous sommes, avouons-le, un peu comme vous : nous n’avons jamais éprouvé pour elle une très vive sympathie. Mais cela ne tiendrait-il pas à ce que les êtres de sa sorte, je veux dire aussi sûrs d’eux, aussi assurés , nous en imposent toujours un peu (à vous comme à nous) et, par le fait, nous inspirent toutes sortes de sentiments – admiration, envie, que sais-je – qui n’ont rien de commun, précisément, avec la sympathie , si l’on se réfère à l’étymologie du mor t ? (Il est vrai que vous ne croyez pas aux explications étymologiques…)

Mais, en ce qui concerne Hélène, je suis tout à fait d’accord avec vous : pour ce qui est d’elle-même, je ne trouve pas du tout cette aventure regrettable, bien au contraire. Je pense plutôt au souci que tout cela donne et donnera très certainement à Paul et à Lily, une fois qu’ils ne seront plus « sous le charme » (de F.N. [François Nourissier]).
Ils le sont « comme tout le monde », dites-vous. Oui, bien sûr, au début, tout le monde y passe. Encore ne faut-il pas y aller voir de trop près, ne pas avoir un commerce trop suivi et trop prolongé avec lui. On découvre peu à peu – avec tristesse – ce qu’il a d’instable, de peu « sûr », de versatile, d’un peu « femelle » (au mauvais sens du terme) – et, pourquoi ne pas le dire, d’assez dangereux pour qui s’y laisse prendre, pour qui cesse de se tenir sur la défensive. J’ai peur pour eux que ce soit le cas pour Paul et Lily.

Cette demi-heure quotidienne que vous voudriez me voir consacrer à un travail personnel, je n’y crois pas beaucoup, mon cher Jean. Il est exact que je travaille vite – quand je travaille. Mais cela suppose une assez longue réflexion, une assez longue « mise en train » préalables. Et ce sont elles, justement, qui me sont interdites, faute de vrai loisir.
Un enfant ? Mais c’est fait ! Sans doute oubliez-vous – comme je le fais moi-même – que j’ai une fille (de dix-huit ans). Et je constate deux choses : 1° que cette idée ne me fait ni chaud ni froid, 2° que, durant les cinq années de mon existence (et de la sienne) que j’ai vécues avec elle, cela n’avait aucune influence sur le cours de mes pensées, pas plus (ni pas moins) que l’existence de Golo, par exemple. Aujourd’hui encore, l’idée de me « survivre » dans un autre être me laisse extrêmement indifférent.
Ce n’est pas par « doctrine » que je suis hostile à l’idée d’avoir des enfants, c’est (plus simplement) que je trouve cela extrêmement encombrant. Un chien, déjà, ne l’est pas mal – or j’aime beaucoup les animaux en général, Golo en particulier, ils m’amusent, ils m’émeuvent, ce que ne font pas du tout les enfants, qui m’horripilent.

Je vous dirai maintenant, mon cher Jean, que les fragments de journal que vous avez lus et les lettres que je vous ai écrites à leur propos l’on été, en général, sous le signe de la dépression, d’une espèce d’ubris [hybris] négative, si j’ose dire, à quoi je succombe périodiquement. Je ne veux pas dire que les opinions, les idées et les sentiments que j’y exprimais ne soient pas, quant au fond, toujours miens. Mais ils se colorent de nuances plus ou moins sombres selon les moments.
Il y a de longues années que je crois, que je sens qu’il m’arrivera un jour, assez vraisemblablement, de me tuer, au cours d’une de ces « périodes sombres ». Mais jusqu’ici j’arrive à « composer » avec elles et même, de temps à autre, à remonter le courant, si courant il y a. Ainsi depuis quelques jours, l’été, un certain calme de la vie et des choses aidant – et aussi la nécessité d’aider Moucky à s’accommoder à son tour d’une certaine fatigue nerveuse, due à une année durant laquelle elle n’a guère eu le temps de « souffler », entre la maison, son école, etc.

Golo aussi nous donne quelque souci en ce moment, étant affecté d’une « mycose démodécique », c’est-à-dire d’une espèce de pelade qui lui fait perdre ses poils par plaques assez inesthétiques. C’est sans gravité, il s’en accommode très bien, mais c’est d’un effet assez fâcheux et d’un traitement malaisé.

Nous sommes convenus avec D.A. [Dominique Aury] qu’elle nous téléphonera la semaine prochaine pour nous dire quand vous viendrez nous voir. Je m’en réjouis d’avance,

et vous embrasse bien affectueusement
Claude

[horizontalement, à gauche] curieux « lapsus machinae », en l’occurence...

Claude Elsen à Jean Paulhan (30 juillet 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 30 juillet 1958
Mon cher Jean,

Nos lettres ne se sont-elles pas croisées ?
Pour ce qui est de la paternité, je vous ai dit ce qui en est au juste. Ce n’est point tant question de principes ou de « doctrine », que d’égoïsme. Je n’aime pas les enfants (surtout entre 5 et 25 ans). Ils m’ennuient, ils m’horripilent très vite. Je les trouve encombrants, et sans grand intérêt. Occupant énormément de place – et, ce qui est grave – faisant de ce qui est parfois un couple (c’est notre cas), un père et (surtout) une mère de famille…
D’ailleurs, je suis trop âgé (45 ans) pour me lancer dans cette aventure, quand bien même j’en aurais envie – ce qui n’est pas. Et Moucky ne le souhaite pas (ou plus), trouvant qu’un mari (comme moi) et un chien sont déjà bien assez lourds à porter…

Je me reconnais assez bien dans votre condamné qui, au 49e coup de chicotte… Et, bien sûr, il a tort. Mais c’est que, dans son cas, il n’y avait plus qu’un coup de chicotte à subir. Supposez un instant qu’il n’en connût pas le nombre exact. Qu’il pût se dire qu’il était peut-être appelé à en essuyer encore cinquante autres, ou cent, ou deux cent ? Voilà qui changeait tout.
On ne sait jamais combien de coups il reste à subir. Il arrive qu’on en ait un peu assez…
Le suicide (comme vous dites) est peut-être un homme qui se méfie, qui doute de la fatigue du bourreau, qui se dit que ça pourrait continuer longtemps et que ce petit jeu est bien fatigant pour lui .

« La vie n’est pas un spectacle » ? C’est parfois ce que je me demande, depuis une dizaine d’années. Peut-être est-ce parce que, plus ou moins sciemment, j’en ai fait un spectacle, auquel je ne me sens plus mêlé (en tant qu’acteur) ? Cela tient en partie à ce que nous disions : au fait que j’ai dû renoncer au métier d’ « acteur », à ce que l’on m’a renvoyé dans les coulisses. J’ai protesté timidement. Mais le régisseur est assez inflexible, et les autres acteurs tiennent à occuper le plateau. On peut se faire à la vie en coulisses. Mais sans grande conviction. Voilà : je ne suis plus très convaincu… C’est tout.

Bien affectueusement à vous
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (8 août 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 8 août 1958
Mon cher Jean,

Je ne suis jamais allé en Angleterre, et je crois bien ne connaître qu’un anglais : Angus Wilson – ce qui me défend évidemment de porter un jugement sur la race (si race il y a). A priori, je ne sais pourquoi, je préfère les Américains. Ceux que j’ai connus de près où de loin étaient extrêmement sympathiques (exception faite pour Roosevelt – et les deux policiers militaires qui m’ont quelque peu passé à tabac lors de mon arrestation, en Allemagne ; il est vrai que c’étaient deux juifs allemands naturalisés).
Cela dit, autant que j’en puisse juger, il me semble que le Français-moyen se montre, lui aussi, assez volontiers « incapable de comprendre que vous ne soyez pas français ». Je l’ai souvent senti, bien qu’il n’y ait pas entre lui et moi l’obstacle de la langue.

Comment expliquer ceci ? J’ai une montre-bracelet qui, depuis un mois, marche impeccablement sauf lorsque je la porte. Dès qu’elle est à mon poignet, elle se met à retarder de vingt minutes par heure – et se remet à marcher avec une précision chronométrique dès que je l’enlève. S’agirait-il d’une allergie ? (Pendant dix ans, cette montre avait marché très normalement.)

Avez-vous lu le très curieux livre d’Aimé Michel « Mystérieux objets célestes » (Éd. [Éditions] Arthaud) ? J’ai lu à peu près tout ce que l’on a publié sur les « soucoupes volantes ». C’est la première fois que je suis réellement troublé par un ouvrage de ce genre. L’auteur se garde, au départ, de prendre position pour ou contre l’existence des « soucoupes », pour ou contre leur origine, si elles existent. Il s’est contenté de relever tous les récits et témoignages recueillis en France, à leur sujet, depuis 1952, et publiés dans la presse, au petit bonheur. Eh bien, en portant sur la carte ces témoignages sans aucun lien entre eux , il apparaît que de leur rapprochement naît un ordre géographique et géométrique. C’est extrêmement curieux.
Mais il faut que vous lisiez ce livre.

Je suis, de nouveau, dans une de ces périodes relativement sereines durant lesquelles je prends mon parti de ma condition, des besognes auxquelles je suis obligé et de tout le reste. Je veux dire : durant lesquelles je réussis à ne pas penser à ce que j’aimerais faire, et que je ne puis pas faire – bref, à ne pas trop penser à moi… Cela durera ce que cela durera (généralement 15 jours ou 3 semaines tous les 2 ou 3 mois…)

Il y a beaucoup de bonnes choses, dans la dernière NRF [Nouvelle Revue Française] : notamment l’étude de J.P. [Jean-Paul] Weber sur Poe, la critique de cinéma de F.N. [François Nourissier?] – et, comme toujours, la revue des revues et des journaux, le Mois, etc.
Mais : 1° Blanchot exagère énormément le rôle néfaste d’Elizabeth Forster-Nietzsche (c’est une question que j’ai étudiée d’assez près : cette dame s’est, en réalité, contentée de maquiller une dizaine de lettres de Nietzsche pour servir sa propre « gloire » et d’assembler dans un ordre un peu arbitraire les morceaux de la Volonté de Puissance  ; cela dit, elle n’en a pas déformé le sens ni la lettre, et Nietzsche se proposait bien d’en faire un grand ouvrage cohérent, dont il a laissé plusieurs plans) ;
2° me trompé-je en trouvant tout ce que fait Dutourd d’une lourdeur, d’une épaisseur assez accablantes ?
3° je trouve D.A. [Dominique Aury] bien indulgente pour Bleu comme la nuit . Il me semble que Portrait d’un indifférent était beaucoup plus réussi, disait exactement la même chose en beaucoup moins de pages. « Bleu comme la nuit témoigne que la littérature est pour certains le seul oxygène possible », écrit-elle. Oui, à condition de mettre « littérature » entre guillemets, de prendre le mot dans son sens péjoratif (comme on dit : « Tout ça, c’est de la littérature... »). Ne trouvez-vous pas ? Peu de livres, ces années-ci, m’ont donné un tel sentiment de gratuité, d’inutilité, même si elle est admirablement parée…

Je crains un peu que mes Métamorphoses de Don Juan ne se soient égarées en chemin… Ce n’est pas bien grave. Le livre paraît le 15 septembre (ou le 20). Il se présente assez bien (je veux dire : du point de vue bibliophilique).

Il fait, depuis trois jours, un temps détestable. Se cela s’arrange, nous vous ferons signe aussitôt, pour que vous veniez nous revoir.

Nous vous embrassons
Claude

PS – Pauvert a publié une Technique de l’érotisme de Lo Duca dont je vous aurais bien proposé de parler dans la NRF [Nouvelle Revue Française] – mais je me souviens qu’une note sur L’érotisme au cinéma , du même, dont j’étais l’auteur, ne passa jamais, bien qu’ayant été composée. (Au fait, ne vous serait-il pas possible de m’en retourner le texte ou l’épreuve ? Merci d’avance)

Claude Elsen à Jean Paulhan (17 septembre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 17 septembre 1958
Mon cher Jean,

Merci de vos deux mots.
Pourquoi G.G. n’accepterait-il pas de céder les droits de reproduction de mon Homo eroticus  ? Il me semble que cela devrait « payer » davantage que l’écoulement hypothétique des exemplaires restants ?
Mais dans ce cas (s’il refusait), oui, j’écrirais un autre ouvrage – puisque vous me dites que vous pourriez le faire refuser… (J’avoue que je n’avais pas pensé à cette solution.)
Lo Duca sera ravi que la nrf [Nouvelle Revue Française] publie la note sur son Érotisme au cinéma . Peut-être, pour l’ « actualiser », pourriez-vous indiquer dans le titre qu’elle concerne également sa Technique de l’érotisme  ? Au fond, ce second ouvrage n’est qu’un appendice du premier.
Vous recevrez ces jours-ci mes Deux Don Juan .
À bientôt, n’est-ce pas ?

Nous vous embrassons
Claude

[horizontalement sous la date, en rouge] Mardi

Claude Elsen à Jean Paulhan (30 septembre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 30 septembre 1958
Mon cher Jean,

Comme prévu, G.G. [Gaston Gallimard] (ou plutôt Claude G. [Gallimard?], qui a dicté la lettre) refuse de me laisser publier ailleurs une nouvelle édition de l’Homo eroticus . Je vais donc me mettre à un autre ouvrage sur le(s) même(s) thème(s). Ce n’est peut-être pas plus mal : je me rends compte, en relisant ce livre, 1°) de ce qui lui manque, 2°) de ce qui l’encombre.
Cela fait nous verrons comment, avec votre complicité, le faire refuser par G.G. [Gaston Gallimard].

Vous avez manqué les plus beaux jours de l’année, à Janville : les trois premières semaines de septembre. À présent, nous entrons dans l’automne maussade. J’y entre, pour ma part, sans ennui, tout à fait « assimilé » à mon nouveau pays, dont je bouge à peine. J’y travaille mieux et plus qu’à Paris. Comme disait le comte Molé (je crois) [Royer-Collard] à Vigny : « Je ne lis plus, je relis. » Il me semble que, depuis cinq ou dix ans, on publie de moins en moins de livres dignes d’attention. Me fais-je des idées ? Il me semble aussi que la littérature tend à devenir une manière d’archéologie, que nous assisterons à sa mort (en tant que « langue vivante »).
Je crois que je n’aimerais pas naître en 1958…

Si j’en crois la rumeur publique, Nourissier serait entré chez Grasset ?
La Table Ronde va (une fois de plus) changer de direction. Nouveau rédacteur en chef : J.M. Créach (?). Elle deviendrait une revue d’esprit « journalistique » (??)

J’ai été bien content de ne pas avoir à voter. Je n’aurais pu dire ni « oui » (avec les gaullistes et les « dupés » de mai) ni « non » (avec les communistes et la gauche rêveuse).
Tout de même, ces 80 %, c’est beaucoup. Il me semble que 55 ou 60 % auraient suffi.
Au reste, je n’arriverai jamais, je crois, à voir dans le suffrage universel autre chose qu’une énorme imposture.
On ne se refait pas.

Bien affectueusement
Claude

J’espère que vous avez reçu mes Deux Don Juan . Le Livre-Club du Libraire serait très flatté si la nrf [Nouvelle Revue Française ] pouvait leur consacrer deux lignes.

Claude Elsen à Jean Paulhan (2 octobre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 2 octobre 1958
Mon cher Jean,

Quel plaisir ce serait, ce sera de vous avoir ici ! Mais il faudra que nous attendions un peu : nous sommes à la merci, pour l’instant, du plombier, qui nous a annoncé sa visite prochaine et qui doit mettre pas mal de remue-ménage dans la maison (travaux à effectuer au chauffage central – que nous ne pouvons allumer en attendant – installation d’un nouveau radiateur, etc.) Dès que je saurai sa venue certaine, j’irai très probablement passer moi-même quelques jours ailleurs, à l’hôtel de Lardy ou à Paris.
Autre chose m’ennuie un peu : la chambre d’ami (qui n’a encore été occupée qu’une nuit…) n’a qu’un lit pour tout ameublement. Ni table, ni chaise. C’est vraiment très peu de confort si, comme j’imagine, vous souhaitez pouvoir travailler un peu !

Je ne sais rien du roman d’Yvez [Yves] Régnier.
J’ai reçu le Christiane Rochefort, que je vais lire, puisque vous m’en dites tant de bien.
Mais à part cela ?
Depuis Les deux étendards et Histoire d’O. , pas un livre ne m’a retenu (sauf quelques Simenon – avez-vous lu, par exemple, Les complices ou En cas de malheur – quelques romans policiers – mais c’est tout de même un genre mineur – peut-être un ou deux Pierre Boulle).

Je me sentais assez prêt, à vrai dire, à devenir gaulliste fin mai, début juin (Dieu sait pourtant si l’homme m’est antipathique!). Mais j’ai grand peur qu’il ne soit lui-même prisonnier du Système qu’il a restauré en 44, de cette « légalité républicaine », parlementaire, démocratique, dont je crois que rien ne peut sortir de solide et de durable. Puissé-je me tromper.

J’espère aussi que, d’ici le moment où nous pourrons vous dire de venir, nous serons un peu déchargés de tout ce travail que nous « abattons », tous deux, en ce moment (Moucky a renoncé à son école, sinon à ses élèves particuliers) pour pouvoir s’y consacrer avec moi[ )]. C’est l’affaire de deux ou trois semaines, sans doute.

Bien affectueusement
Claude

[horizontalement, à gauche] Roy. [Royaume?] de [Bénon?]
Jalousie

Claude Elsen à Jean Paulhan (7 octobre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 7 octobre 1958
Mon cher Jean,

Le plombier nous promet de venir effectuer à la fin de la semaine les travaux que nécessite le chauffage (il est temps, car il commence à faire frais). Je passerai une nuit ou deux à l’ « Auberge de la Tour », à Janville même, à cinq minutes de chez nous, ce qui me permettra en même temps de me rendre compte du confort de l’endroit (vu de l’extérieur, ça n’a pas l’air mal). Car l’idée nous est venue que peut-être, si ce confort était réel (plus réel que celui de notre chambre d’ami, tout de même très sommaire), nous pourrions vous y retenir une chambre, ce qui vous permettrait d’être à l’aise (la nuit) tout en passant vos journées avec nous. Je vous dirai, dans quelques jours donc.

J’ai lu Le repos du guerrier de Christiane Rochefort (dont, après vous, Chardonne m’a parlé avec chaleur). Ce n’est certes pas indifférent. Cela m’a fait penser parfois au Mémorial secret de Gaulène, au Feu follet de Drieu, et à ce qu’aurait voulu faire Marie de Vivier.

Pour La bonne soupe , votre formule me semble tout à fait juste (« du théâtre de boulevard porté à une amère perfection ») – entre l’enthousiasme un peu excessif de Chardonne et la consternation un peu exagérée de Poulet. L’amertume plus secrète de L’œuf était plus forte, et plus original le procédé.

La fille de Poulet épouse à Fribourg (Allemagne) un géologue bolivien, et va vivre avec lui dans la Cordillière des Andes.

Nous avons eu, samedi, Lily, Jean-Paul, Hélène et François N. [Nourissier] J’ai peine à croire que cette conjonction soit durable. Il me semble qu’elle sonne un peu faux. Je puis me tromper.

Affectueusement
Claude

Les P. [Pilotaz] (ils vous le diront) ont été assez impressionnés par la vitalité, la sociabilité expansive, la force, le volume de Golo. Pour nous, c’est toujours un « petit » chien. Les autres semblent le considérer plutôt comme un molosse (au demeurant le plus gentil, le plus farfelu qui soit).

Claude Elsen à Jean Paulhan (16 octobre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 16 octobre 1958
Mon cher Jean,

Deux fois déjà, depuis dix jours, ce satané plombier nous a fait faux bond, si bien que le problème du chauffage n’est toujours pas résolu, que je n’ai pu « expérimenter » l’Auberge de la Tour, que nous sommes toujours dans l’attente…

François N. [Nourissier] nous a parlé lui-même des histoires Chardonne. Il paraît que le « petit jeune homme » dont parle celui-ci est Georges Ketman, pédéraste avéré, que F.N. [François Nourissier] voit assez souvent pour des raisons de travail. Il paraît aussi que Lily manque un peu de diplomatie, qu’Hélène souffre de n’avoir pratiquement pas de domicile fixe. Tout cela est d’une grande confusion.
Mon sentiment personnel, partagé par Moucky et basé sur des impressions fugitives, est qu’Hélène est partagée entre son souhait d’échapper à l’atmosphère un peu « dramatique » que crée cette pauvre Lily et une certaine appréhension du mariage – pour lequel, de toute évidence, elle n’est pas « mûre ». Quant à F.N. [François Nourissier], il commence, dirait-on, à manifester quelque nostalgie de la vie mondaine. Tout cela est mal conciliable, et pourrait finir (c’est une façon de parler, car ce ne serait qu’un début d’autre chose ) par un mariage un peu hâtif, à l’avenir duquel je ne crois pas très fort.
Je puis me tromper. Je n’en dis rien (qu’à vous).

Moucky est assez satisfaite de la politique gaulliste. Moi, de moins en moins, pour des raisons bien évidemment inverses de celles de la gauche « expressiste », qui « y vient » peu à peu. Mais vous savez que je suis resté, au fond, un abominable fasciste, anti-démocrate, anti-républicain, anti-parlementaire et anti-partis… Je me dis que de Gaulle a (peut-être) gâché une chose que le 13 mai avait (peut-être) rendue possible.

Bien affectueusement
Claude

PS – Est-ce que des notules du genre de celle que vous trouverez ci-inclus vous agréeraient – s’agissant de livres qui n’en méritent pas plus ?

Claude Elsen à Jean Paulhan (19 octobre 1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 19 octobre 1958
Mon cher Jean,

Votre mot de la Vallée aux Loups a croisé (ou presque) celui que je vous ai écrit aux Arènes, et qui vous suivra sans doute.
Qu’y ajouter ? Nous aurions été heureux que vous veniez vous reposer ici, mais ce n’est que partie remise (cela dépend du plombier). Nous allons essayer de rendre plus confortable la chambre d’ami, qui n’est encore qu’un « dormoir » (un lit, et c’est tout).
Si Châtenay-Malabry était plus près, j’irais vous voir, à mobylette. Mais par temps froid ou pluvieux, c’est un peu téméraire, et j’hésite déjà à pousser jusqu’à Estampes (13km) ou Arpajon (9km). La vie à la campagne rend très sédentaire. Ce n’est pas pour me déplaire.

Je suis sans nouvelles de Lo Duca – qui doit être au Mexique (où il s’occupe aussi de cinéma). Où en sont ses projets avec Pauvert ? Je l’ignore.
Je viens d’achever la traduction d’un ensemble de nouvelles d’Angus Wilson. Une ou deux, à mon sens, conviendraient très bien à la nrf [Nouvelle Revue Française], et j’en ai dit un mot à Dominique, qui aime A.W. [Angus Wilson] Mais 1°) la nrf [Nouvelle Revue Française] ne publie guère d’écrivains étrangers, n’est-ce pas ? 2°) je n’ai guère de chance, avec elle… (pas Dominique, bien sûr, la nrf [Nouvelle Revue Française]).

Ici, la vie est très paisible.
Golo, sous ses apparences de bonne brute joviale, a un instinct, une sensibilité qui me frappent. Deux fois, en quinze jours, il nous a évité de graves ennuis 1°) en attirant mon attention, une nuit, sur un chauffe-bain qui, resté allumé par suite d’une fausse manœuvre, menaçait d’exploser (sans qu’il y eût fuite de gaz ou bruit quelconque) ; 2°) aujourd’hui même, en nous avertissant par des grondements bizarres d’un imminent court-circuit électrique qui eût pu provoquer un incendie (un fil dénudé, sans baguette, commençait à « chauffer » ; Golo avait remarqué cette chaleur insolite, imperceptible, dans un coin où nous ne pouvions nous en aviser).
Hors quoi, il nous donne bien du plaisir. Je ne sais pas si je vous ai dit que chaque jour, à 7h¼, je passe ¼ d’heure à jouer avec lui. Le rituel est toujours le même : je vais m’asseoir en bas, près de la radio, commence à le taquiner avec une vieille pantoufle, et nous finissons par nous battre comme des chiffonniers. Ces derniers soirs, ayant du travail, je laisse passer l’heure. Alors, à 7h¼ précises, il monte dans ma chambre, sa pantoufle dans la gueule, et vient la poser sur mes genoux. Si je ne donne pas suite à ses avances, au bout de cinq minutes il redescend en soupirant et, un peu plus tard, il faut que j’aille lui présenter mes excuses pour qu’il consente à sortir de sa caisse, où il boude.
Les boxers ont la réputation paraît-il, d’être extrêmement « comédiens ». Elle me semble fondée, si j’en juge par la diversité des expressions dont il disposes pour traduire ses sentiments, de l’air faussement contrit qu’il prend pour se faire pardonner quelque sottise (qu’il recommencera dix minutes plus tard) à la manière dont il feint un profond sommeil quand il n’a pas envie qu’on le dérange (tout en vous suivant du coin de l’œil), en passant par certains soupirs excédés, reniflements dédaigneux, etc.
Nous l’adorons, tous les deux. Moucky, à son grand étonnement (elle croyait ne pas aimer les bêtes et avoir peur des chiens…)

Reposez-vous.
Et donnez-nous de vos nouvelles.

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1958
Mon cher Jean,

Je suis certain que vous aimerez ces Guimbardes . Mais ils sont un peu ridicules, à la Table Ronde, de me charger de vous demander un avis sur un livre qu’on ne vous avait même pas envoyé.
Je suis relancé par William François, des « Essais »[,] qui m’annonce la reparution de sa revue et me demande d’y collaborer. Ce sera bien volontiers – d’autant que, me dit-il, nous nous y retrouverons côte à côte, vous et moi. Savez-vous s’il songe à payer ses collaborateurs ? (Je n’en finis pas de payer les factures et les dettes dont nous sommes accablés…)
Je vous envoie donc (ci-inclus) la lettre de F.N. [François Nourissier] à l’Express et – à titre documentaire – le mot que je lui ai envoyé à sa suite et qui, je crois, nous a quelque peu brouillés. Il me semblait pourtant avoir été très modéré dans mes remarques. Vous seriez très gentil de me retourner les deux .

Nous vous embrassons
Claude

PS – Tant que j’y suis, je vous envoie également la préface que j’ai écrite pour les Deux Don Juan (Tirso de Molina et Molière) que publiera le 15 septembre le « Livre-Club du Libraire ». Vous me direz si, éventuellement, elle ne trouverait pas place dans la nrf [Nouvelle Revue Française ]. Il n’est pas du tout nécessaire – me semble-t-il – de la présenter comme une préface : il suffirait sans doute de supprimer le premier alinéa de la deuxième partie (p. 4, sous le sous-titre du « Séducteur au libertin », depuis « Voici donc... » jusqu’à « … la complexité ».
Dans la négative, vous seriez également gentil de me retourner ce texte.
Et je vous soumettrais peut-être, d’ici peu, des pages du journal que je tiens depuis six ou sept mois.

Claude Elsen à Jean Paulhan (1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1958
Mon cher Jean,

Oui, dimanche, Chardonne nous a aussi parlé de la pédérastie de F.N [François Nourissier] et du « petit jeune homme ». Nous avons bien rien. Il faut préciser que Ch. [Chardonne] est 1°) extraordinairement « papoteur », avec un mélange d’innocence et de roublardise, 2°) hostile au divorce et, dans le cas N. [Nourissier], très sensible au grand charme de Marie-Thérèse N. [Nourissier] (ce n’est pas seulement du charme : depuis 4 ou 5 ans, elle fait montre d’une « tenue », d’une dignité assez émouvantes), 3°) peu sensible à celui d’Hélène, à son côté un peu puéril. Il avait fait les mêmes histoires au temps de Florence M.
Il va sans dire que tout ceci est entre nous. Comme ce qui suit : nous non plus , nous ne souhaitons pas que ce mariage se fasse, nous ne croyons pas à son « avenir ». Mais nus pensons que plus on en parlera, plus F. [François] et H. [Hélène] se piqueront au jeu, s’obstineront. Le mieux n’est-il pas de laisser les choses se faire (ou se défaire) toutes seules, sans s’en mêler ? C’est l’attitude que nous avons adoptée.
Je ne crois pas qu’Hélène soit mûre pour le mariage, ni que F.N. [François Nourissier] ait une vocation « conjugale ». Lily n’a-t-elle pas, un peu vite, « officialisé » leur liaison – qui en elle-même (en tant qu’ « aventure ») était très défendable ?

Quant au « petit jeune homme », ne s’agirait-il pas tout simplement de Jean-Paul, avec qui on a dû voir F.N. [François Nourissier] plusieurs fois ?

Bien affectueusement
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1958
Mon cher Jean,

J’aimais bien mes « Marginales » des Écrits de Paris . Mais c’est fini : à partir de septembre, cette revue change d’aspect. Elle comportera désormais une importante partie de chroniques littéraires et autres, dirigée par Robert Poulet – qui m’a demandé d’y faire la chronique du cinéma.
Cela me plaît assez (vous savez que la critique cinématographique a été pendant 11 ans – de 1933 à 1944 environ – ma principale activité). Mais je regrette un peu ces « Marginales ».
Je n’ose pas vous les proposer pour la nrf [Nouvelle Revue Française ] : je pense que cela soulèverait toutes sortes de difficultés. Pourtant, si vous pouviez me charger plus ou moins régulièrement de quelque chose du même genre – ne serait-ce que de notes de lectures – cela me ferait bien plaisir ; ne fût-ce que pour ne pas me séparer tout à fait de la littérature.

Il fait toujours aussi agréable (je parle du temps). Et Golo souffre d’une « gale folliculaire » qui nous donne bien du souci. Plus exactement, il n’en souffre pas du tout : la chose lui étant manifestement indifférente ; mais c’est assez inesthétique (il a deux ou trois plaques « dépilées » d’un assez triste effet).

Bien affectueusement à vous
Claude

[réponse de Jean Paulhan, horizontalement en bas de page] Elsen
7 Pass. [Passage] de la Pompe
Janville s. Juine [Janville-sur-Juine]
S.&O.
Ch. [Cher] Claude
soyez très prudent : un psychiatre pour chien que je connais bien me dit que les chiens qui simulent l’indifférence à l’égard de leurs maladies de peau, tonte manquée, etc. sont en réalité les plus inquiets et menacés par la neurasthénie.
Affecte [Affectueusement]

Claude Elsen à Jean Paulhan (1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1958

Ici arrive votre lettre
Bref, nous avons l’un et l’autre senti qu’il y avait comme une fêlure entre Hélène et F.N. [François Nourissier].
Je me demande si, en ce qui concerne la première, cela ne tient pas pour une bonne part à ce qu’elle redoute de devoir renoncer au confort paresseux de sa vie de jeune fille (et d’enfant Pilotaz). Françoise P. [Pilotaz] dit avec une candeur charmante qu’elle [Françoise] voudrait toujours avoir 13 ans, parce que c’est tellement facile…
Nous avons été frappés de voir Hélène s’inquiéter beaucoup plus de sa chambre rue de Rivoli que de son avenir avec F.N. [François Nourissier]…

Je voudrais bien lire Yves Régnier.

Lily nous disait samedi que Paul envisageait de renoncer aux bananes et à la Guinée pour des raisons douanières (résultant du nouveau statut du pays).

À vous
Claude

Claude Elsen à Jean Paulhan (1958) §

IMEC, fonds PLH, boîte 134, dossier 375739 – 1958
Mon cher Jean,

Je m’explique mieux, lisant votre « dialogue », le mélange d’affection et d’exaspération que j’éprouve pour H. [Hélène?] Il y a chez elle une prodigieuse force d’inertie, dont je doute que quiconque vienne à bout. Paul aurait pu, peut-être – car il sait être plus tenace, plus obstiné que quiconque. Mais il a toujours été freiné par la crainte de bouleverser Lily.
Devant celle-ci, à propos d’Hélène, il y a un an, je disais à peu près (et avec beaucoup de sympathie, je vous assure) : « Il y a parfois dans les êtres quelque chose qui doit être brisé ... » Ce seul mot – vous la connaissez – a mis Lily dans tous ses états, elle l’a trouvé « affreux », comme si j’eusse suggéré de mettre Hélène aux fers ou à la torture.
Bref, je crois que nous voyons tout cela assez de la même manière. Qui s’en lassera le premier, de François ou d’Hélène ? Ce qui me paraît certain, c’est qu’un des deux s’en lassera, avant longtemps.

Je vous enverrai bien volontiers d’autres notules, que vous publierez ou ne publierez pas. (Notamment sur L’autre planète , de R.M. [René Marill] Albérès, trois récits « fantastiques » manqués, sur Don Juan et le donjuanisme de Maranon, sur Le Président de Simenon.)

Je demande à André Blay de vous envoyer une ou deux nouvelles d’Angus Wilson. Le volume ne sortira guère avant le printemps prochain, au plus tôt.

Moucky a téléphoné à Dominique pour lui suggérer qu’elle passe vous prendre à la Vallée des Loups et que vous veniez déjeuner, tous les deux, un jour prochain.

Bien affectueusement
Claude