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Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).
Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial) et Amaury Nauroy (Transcription).
Puisque que vous n’utilisez pas le manuscrit que je vous ai remis, je vous serai bien obligé de le faire déposer chez moi 21 rue du Vieux Colombier. Je n’ai rien d’autre à vous donner pour la moment – sinon ma comédie le Conte des Trois Jeunes Filles à Marier, mais comme elle ressortit au même genre que les Enfants du Roi, la N.R.F. ne saurait manquer de la juger mince et frivole.
je vous suis bien reconnaissant de votre empressement à me satisfaire et j’accepte très volontiers votre proposition de transformer cette lettre en chronique. Appelez là si vous voulez : Lettre à Jean Paulhan sur le cas Mozart. Dans ce cas il n’y aura lieu de supprimer (outre les deux ou trois phrases que je retire par égards pour Gide) que le paragraphe final où je fais valoir mes droits... (cinquante lignés, hélas ! Excusez-moi!) : c’est du reste à vous d’en juger. J'ajoute un petit post-scriptum qui tient compte de la réponse de Gide ) s’in ne préfère pas publier celle-ci ) Si vous préférez disparaître, intitulez l’article « Sur le cas Mozart », et commencez à la sixième ligne : « Dans ses dernières Pages du Journal... etc
Ce que vous déciderez sera bien, il suffi que la lettre paraisse au numéro d’Octorbe.
Un jour je « n’aime pas la vérité » ; un autre j’ « annexe » Shakespeare ; aujourd’hui, c’est Mozart. J'en passe – et je pourrais laisser passer. Mais cette fois mon « honnêteté » est en cause. J'ai le devoir de la défendre, même et surtout contre un très cher ami.
Dans ses dernières Pages de Journal (N.R.F. du 1er Août) après quelques aménités sur la revue Vigile qui l’ennuie, André Gide écrivait :
« Je lis pourtant avec attention et presque avec plaisir le Mozart de G. (c’est moi-même. Si C. (Charles du Bos, je crois) prend connaissance de ces pages, lui qui présente à Mozart une fin de non-recevoir, il ne pourra se retenir de penser qu’il n’est pas un des arguments de G. qui ne se puisse retourner contre sa thèse. Car, enfin, ce parfait danseur, à la Niezsche, s’il « joue » toujours, et divinement, artiste accompli, comment ne point penser qu’il a « joué », le sentiment religieux de ses Messes, et jusqu’à cette gravité soudaine, point très différente de celle d’autres parties de son oeuvre très délibérément olympienne ? (ou de l’initiation franc-maçonne dans la Flûte Enchantée.) On lui demandait des Messes : il en fournir. Personne de réclamait de lui Jupiter. »
« C. se montre ici, me semble-t-il, bien plus perspicace et plus... honnête que H.G. Mais H.G., ne pouvant renoncer à Mozart, l’annexe, comme C. tente d’annexer Keats, auquel il ne peut tout de même pas renoncer. »
Gide est bien bon de souffler à Charles du Bos les objections qu’il pourrait me faire. En attendant, c’est lui qui parle et je n’ai affaire qu’à lui.
Le morceau paru dans Vigile set l’introduction d’un ouvrage de six cents pages dont je corrige les épreuves actuellement ; il m’a coûté trois ans d’efforts. Avant de s’en prendre à ma thèse (??) il eût peut-être été prudent de patienter.
Si j’ai laissé entendre dans mon préambule que la notion de jeu était pour moi la clé unique de l’art mozartien je consens à battre ma coulpe. L'importance même que j’y attache m’aura entrainé à simplifier et à forcer une pensée que le livre nuancera.
Du moins, croyais-je avoir suffisamment précisé, distingué les deux sens du mot jeu appliqué à Mozart. Gide en les confondant n’a pas de peine à me confondre. Je mettrai les points sur les i.
Il y a le jeu-danse. Il y a le jeu-comédie. Le premier expansion de l’être, sincérité et spontanéité ; il ne manque pas. Le second au contraire a pour fonction essentielle de feindre.
Le premier est lyrisme et le second est drame. Mozart, poète et dramaturge a pratiqué les deux avec la même perfection. Il a joué comme personne les sentiments qu’il n’avait pas : il a joué aussi – discrètement, à sa manière – avec ceux qu’il avait : je dis avec. Toute la question est de savoir (comment en être sûr ?) si dans ses oeuvres de musique sacrée il a joué la foi ou avec sa foi.
On peut jouer avec sa foi. David a dansé devant l’arche. En fait-on argument contre elle ? La danse de David ressortissait au « culte de louange », celui que l’on nous dit « le plus agréable à Dieu », car la douleur qui est un manque, le doute qui est une faiblesse, l’inquiétude qui est une imperfection ne portent sur lui aucune ombre. Voilà un parfait danseur, à la Nietzsche que « celui-ci, aveuglé par son athéisme, était incapable de concevoir.
On ergote depuis des siècles sur les divers aspects du christianisme de Rome, sur ses antinomies, sur ses inconséquences, tantôt joyeuse et tantôt sombre, tantôt soucieux, tantôt [enivré?]. Il est docile à toutes nos humeurs ; il assume le tout de l’homme (même le péché – qu’il efface) des Pensées de Pascal au Cantique des Créatures ; de la foi triste de Charles Du Bos (au dire d’André Gide) à la mienne... qui ne l’est pas ; de la foi de l’intellectuel théologien ou philosph, à la foi de l’enfant ou du charbonnier. C'est celle de Mozart. Mais par quelque chemin que Rome nous conduise, le dernier mot est à la joie, au jeu des Anges, à la danse des Bienheureux. Or, c’est de quoi à ses moments les plus subtils, dans ses merveilles les plus dépouillées, le seul Mozart a réussi, avec parfois l’Angelico, à me donner, de loin, l’idée et état surhumain, peu m’importe au fond qu’il le feigne s’il l’évoque. Mais le feint-il ?
Ce qui rend plutôt, à mon sens, Charles du Bos hostile, imperméable à l’art mozartien, c’est, dans la pensée qui nourrit cet art, l’absence totale de problèmes. Mozart est le contraire d’un critique ; c’est un créateur. Mozart est le contraire d’un penseur ; c’est un [vivant?]. Telle qu’il l’a reçue il a pris la vie : au complet la terre et les ciel, les hommes, la nature et Dieu ; et la mort, « cette amie de l’homme » (comme il en écrit à son père) qui n’ouvre sur le néant. Le refrain de ses lettres, quinze ans durant, sera l’abandon à la Providence, et l’enseignement franc-maçon, alors imbu d’idées chrétiennes, ne fera plus tard qu’exalter en lui cette disposition naturelle et surnaturelle [mots illisibles] par l’éducation. Son art ne nous paraît ni libre, ni gratuit que parce que son âme est parfaitement assurée contre les coups du sort et les risques de la pensée ; il n’a rien à craindre du lendemain. Aux antipodes même de Goethe, c’est par la naïveté, la simplicité, l’ignorance – on entend ce que je veux dire – que Mozart atteint comme lui au suprême détachement. Délivré de tous les problèmes, il peut ne penser qu’à son art.
J'ai tourné, retourné tous les documents authentiques dont il nous soit déjà permis de faire état, en me méfiant des « on-dit ». Je n’ai pu échapper à cette évidence. On les lira tout au long dans mon livre, si l’on ne recule pas, comme Gide, devant l’ennui. On verra alors si je triche, si je sollicite les textes, si je glisse sur les erreurs, les défaillances, les obscurités, sur l’esprit mondain... ou païen, si je ne fais pas à l’indifférence la part qui lui revient chez ce chrétien inconséquent. On verra comment je l’annexe.
On dirait vraiment que la foi enferme le croyant (sur le plan esthétique) dans ce dilemme stupide et sommaire renoncer ou annexer. Le croyant est heureux de trouver chez ceux q'il admire l’écho de sa foi, voilà tout. Renoncerai-je à Raphaël, à La Tour ou à la Fontaine sous prétexte que dans leurs oeuvres je ne trouve pas l’ombre d’un sentiment religieux ? L'art qui, selon Gide, est du diable, est, selon moi, dans ses parties positives, de Dieu ; il est donc annexé tout entier une fois pour toutes et je n’ai à me mettre en peine d’aucun racolage particulier. Juger un ouvrage nocif, l’estimer faux n’empêche pas de l’admirer, si la réussite en est belle. J'admire les Liaisons Dangereuses qui sont bien de tous les chefs d’oeuvre le plus diaboliquement pernicieux.
Un point reste à régler
« On lui demandant des Messes, écrit Gide, il en fournit. » C'est juste « Personne ne réclamait de lui Jupiter. »
Non Jupiter spécialement, tout au moins une symphonie (1) ; il est inadmissible qu’en ce temps de misère, Mozart se soit payé le luxe de faire ce qui lui plaisait. Presque jamais il n’en eût les moyens.
Toutes ses oeuvres, il faut y insister, à très peu près, une vingtaine exceptées sur six cents, messes, opéras, symphonies, musique de chambre, sérénades, furent dictées par la commande. Il ne regimbait pas, ça lui était égal, il n’avait aucun esprit propre. On le verra chômer, vers la fin de sa vie, faute de clients à servir.
Presque jamais il n’a fait ce qu’il a voulu, voulu ce qu’il a a fait... Mais je dis presque. Car voici une exception. La plus mémorable peut-être, eu égard à la qualité, à l’importance de l’ouvrage qui devait en sortir. Mais Gide, ici, joue de malheur, c’est une messe, la plus puissante, la pllus pure, la plus savante, la plus pathétique, l’égale des Quintettes, de Jupiter, de Don Juan,
Note : On sent du reste que le titre n’est pas de lui. On pourrait dire aussi bien Dieu le Père ; celui-ci est puissance, majesté et sérénité – et la grande fugue du finale pourrait s’interpréter comme un acte de foi. Passons.
de la Messe en si de Bach – et qui n’a plus profond dans le recueillement de l’allégresse.
A vingt-six ans, épris de Constance Weber (c’était au temps de l’Enlèvement du Sérail) Mozart « se promit dans son coeur » s’il la conduisait à Salzbourg, en qualité d’épouse auprès de son père (celui-ci s’opposant à leur union) d’y faire exécuter une messe inédite – une messe d’ »action de grâces » dirions-nous. Surmené, débordé, il l’entreprit pourtant ; s’il ne l’acheva pas, ce fut faute de temps ; ou parce qu’il y avait mis tout ce qu’il souhaitait d’y mettre : ou parce qu’il en avaiat assez, il est coutumier du fait ; il n’y manque, à vrai dire, que la fin du Credo et l’Agnus Dei. Telle qu’elle un énorme bloc, un grand chef d’oeuvre. Personne ne la réclamait, encore moins que Jupiter. N'en attendant de gloire, ni de gain, il tira de son amour, de sa foi, de son espérance.
L'image étroite – perfection, tendresse ) que la postérité se forme de Mozart, masque le chef-d’oeuvre de plus de cent ans. Offusquée par l’éclat profane des Noces, de Don Juan et, si l’on veut, des Symphonies, la Messe en ut mineur, dut attendre 1901 pour reparaître au jour – et Paris 1932 pour l’entendre. Ce fut cet hiver, au conservatoire, grâce à la Société d’Etudes Mozartiennes, qui s’'applique depuis deux ans à restituer la figure complète du maître, méconnue encore en partie de mozartiens qualifiés : on ne découvre qu’aujourd’hui l’universalité de son génie. La révélation bouleversa les auditeurs, on leur entr'ouvrait de nouveaux mystères. L'immensité de Mozart apparut, ombre, pénombre et lumière, sous la grande lumière de Dieu.
Pour une fois, une des rares fois, où il a parlé en son nom, de par sa volonté délibérée, a-t-il menti ?
Je pose la question. J'attends sans crainte la réponse. Si je me suis trompé, la Messe inachevée m’excusera. Je plaide uniquement à l’honnêteté de ma pensée. - Voici un humble exemple de cette Vérité partielle, « la seule, écrivait Gide, que nous puissions « saisir » (N.R.F. 1er juin 32) une humble vérité de fait, saisie dans le monde tangible. Mais quoi ? Le scepticisme n’en a-t-il plus le monopole ? Celui qui s’y attache avec un soi si pointilleux est un homme qui croit naïvement, insolemment, à la Vérité Supérieure.
Je dois donc à André Gide, je n’ai garde de l’oublier, mon initiation à Mozart – et du reste bien d’autres choses. Aux dernières pages de mon livre j’en témoigne comme il convient. Après plusieurs années d’étude, de recherches, c’est à mon tour de l’éclairer. Qu'il reçoive ou non mes [clartés?] je ne vois pas de plus digne façon de lui manifester mon amicale gratitude.
Je m’excuse, mon cher Paulhan, et vous demande, n’usant que de mon droit, de vouloir bien insérer cette lettre à la même place et dans le même « corps » que les Pages de Journal auxquelles elle répond. Pour ne pas perdre de temps et surtout par égards pour lui, j’envoie copie de ma réponse à Gide.
A vous mon souvenir bien cordial et mes remerciements anticipés.
Je n’insiste pas pour vous demander d’insérer ma lettre ailleurs qu’à la « Correspondance » Gide dont je reçois de Berlin une lettre exquise, ne semblant qu’à demi favorable, pourtant, au jeu des « réponses ». Mais ce sera une cotte mal taillée dont je m’accommode par amitié. La question est pour moi beaucoup plus importante qu’il n’imagine... J'attends donc ici les épreuves (1). Merci de votre bon accueil.