Correspondances écrites et reçues par Jean Paulhan (1925-1936 et 1950-1958), éditées en collaboration avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC, Caen) et la Société des lecteurs de Jean Paulhan (SLJP).

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Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :

  • 1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
  • 1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…

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Panaït Istrati

1929/1935

Panaït Istrati & Jean Paulhan

Correspondance (1929–1935)

2016
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596
Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial) et Simon Battistella (Transcription).

Panaït Istrati à Jean Paulhan (4 août 1929) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 4 août 1929.

96 av. des Termes

Mon cher Paulhan,

Vous êtes un diable d’homme quand vous acceptez tout ce qui vient de moi et quand aussitôt vous laissez planer un doute sur ce qui peut venir de mes collaborateurs. Là, vous m’imposez une honnêteté qui me plaît. Mais, en ce cas, - c’est à dire en vous confessant toute la vérité, - il n’y aura comme suite [mots barrés illisibles] que cet échange de lettres et c’est tout.

La collaboration, je vous l’ai dit, est bien distincte. Si distincte que chacun des trois livres n’est écrit que par un seul homme.

Le premier c’est un cri, d’un [mot barré illisible] bout à l’autre, un cri qui vomit les entrailles de l’homme qui le lâche à la face de l’univers. Mais il ne documente que psychologiquement, moralement, intellectuellement. Il n’est qu’ affirmation. Il réclame exige la pleine confiance dans l’homme qui pousse ce cri.

Le second est le livre d’un opposant gouvernemental, critique et objectif, nourri, complet, sur les Soviets 1929. C'est celui qui peut faire l’affaire de tout le monde et que je veux vous donner. Il n’est pas moins alerte.

Le troisième (il n’est pas encore écrit), c’est un regard froid, compétent, féroce, sur la Révolution Russe, le bien et le mal, du début à la fin.

Je les souscris des deux mains, tous les trois, je le dis dans ma courte introduction.

Que voulez-vous de plus, commercialement ?

C'est tout ce que je puis vous confesser, pour le moment. Et c’est mon dernier mot.

Par ce même courrier je vous expédie le volume qui vous intéresse et qui seul est prêt.

Je sais ce que vous voulez, vous qui me connaissez trop bien : ce n’est pas possible, mon ami, ce serait un énorme scandale dans la revue. Camille Aymard, sans connaître le texte, m’en a offert une petite fortune, et je l’ai refusé. Non. Même pour la NRF, qui est tout autre chose que la Liberté.

Votre amicalement

Panaït Istrati

Panaït Istrati à Jean Paulhan (10 août 1929) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 10 août 1929.

Écrivez-moi à l’avenir : 24 rue du Colisée

96 ave. des Termes

Mon cher Paulhan,

Vous êtes un garçon terrible et affreusement logique. Je garde un excellent souvenir de vous. Je vous crois honnête et travailleur, - mais je vous prie de me dire à quoi tout cela sert, dans un monde mesquin où les cris que vous me demandez, retentissent comme dans le désert ?

Toutefois, je me décide de faire m’écarter un peu de l’isolement que je me suis imposé devant un si épouvantable acte que celui que je commets, en frappant [mots barrés illisibles] sauvagement. Je le fais, pas pour monsieur Gallimard, dites-le lui bien, car il n’a su faire aucun effort pour moi, mais dans l’espoir que vous, Paulhan, vous ferez plus qu’enregistrer un cri dans la NRF : j’entends que vous sachiez réunir des forces honnêtes, propres, autour de l’effroyable que je démasque, et que vous preniez en mains des causes et des sorts qui sont perdus sans un puissant soulèvement de consciences.

Je vous ai prévenu télégraphiquement de cette décision, que j’ai prise seul et que je dois vais soumettre au jugement de Robertfrance, certes, par pure confraternité, car je ne demande à personne ce que je dois faire ou ne pas faire, dussé-je en pâtir comme un animal. Je vous ai dit que je vous donne un chapitre. C'est le document mon cri massue, dont Rolland s’est épouvanté rien qu’au simple récit des faits : L'Affaire Roussakov ou l’U.R.S.S. D'aujourd’hui. Une cinquantaine de (petites) pages, un quart du livre et son cœur, comme le titre l’indique.

Je travaille à ce livre depuis un mois, jour et nuit, au point de sentir mon squelette fondre. L'Affaire Roussakov en est le dernier chapitre et je suis en ce moment sur ses 4 ou 5 dernières pages.

C'est moche comme style et affreux comme français mais je n’ai qu’une passion : hurler la vérité et espérer de sauver ce qu’il est encore possible.

Robertfrance corrige à mesure et il est très content de ce que mes entrailles vomissent.

Et puisque je casse la vaisselle par la NRF, je crois ben que je livrerai ce chapitre à la presse mondiale, pour que la casse soit complète, mais j’en conditionnerai l’apparition : cela doit paraître le 1er oct., 15 jours avant mon livre, et partout en même temps.

Veuillez m’écrire. Amitié affectueuse,

Votre Panaït Istrati

Panaït Istrati à Jean Paulhan (19 août 1929) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 19 août 1929.
Mon cher Paulhan,

(Ne vous effrayez pas de ce papier de cocotte : je ne suis pas pédéraste ; je ne suis qu’un consommateur dans un café qui n’a pas d’autre papier.)

Alors : m’avez-vous répondu, chez Joneses, ce que vous avez décidé de l’Affaire Roussakov ? Si oui, la votre lettre le suivra ; si non, vous trouverez plus bas mon adresse permanente en Roumanie.

Et sachez que j’ai grand besoin d’argent. Les voyages me coûtent les yeux de la tête, quoique faits dans les conditions les plus modestes.

Aussi, dites-moi si la NRF veut bien me payer 3000 fr. pour cette partie principale de mon livre. (Europe m’a payé 960 fr. pour le Pêcheur d’Éponges, qui est loin d’être, par la qualité et le volume, ce qui est l’Affaire Roussakov.)

Veuillez donc ne pas me faire des difficultés, s’il y a accord pour la publication. Vous en trouverez largement votre compte.

Puis, il me faut cet argent tout de suite. Pour que je puisse le toucher le plus vite, vous n’avez qu’à le virer à la Société de banque suisse, Corraterie 10, Genève, au crédit de mon compte. - Puis-je en espérer une suite heureuse et prompte ?

Par conséquent, s’il y a accord complet, avertissez-moi de la date à laquelle le virement a déjà été exécuté, en m’écrivant, recommandé : Monsieur Romulus Cioflec, pour P.J., strada Martinul, Popescǔ 6, Timisoara III, Roumanie.(Tâchez que ce soit écrit correctement.)

Quant au texte de l’Affaire, je vous ai dit que je ne l’ai guère revu, et il y a aura à faire certaines améliorations, ou certains changements que j’ai indiqués à Robertfrance. Mais celui-ci ne sera de retour à Paris que le 5 septembre, et pour le cas où vous serez pressé, je vous autorise de corriger vous-même comme vous l’entendez, surtout les expressions trop violentes ou crues.

Je suis impatient de vous lire.

Affectueusement votre

Panaït Istrati

Panaït Istrati à Jean Paulhan (1er septembre 1929) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 1er septembre 1929.

Adresse : Mr. J. Constantinescu

Piaţa St. Arhangheli 21

Braïla

Mon cher Paulhan,

Je vous ai écrit avant hier, vous répondant à une lettre et à un télégramme qu’on m’a fait suivre de Paris. Aujourd’hui je reçois (directement) votre lettre du 23 août, avec la mise au point définitive, qui liquide les questions secondaires, mais qui demande un supplément d’informations [mot barré illisible] documentaire.

Je vous réponds dans l’ordre, vous priant de compléter les textes respectifs et de les modifier comme je l’aurais fait moi-même, car, ne pensant pas publier l’Affaire Roussakov comme un tout indépendant, j’ai écrit sans tenir compte des vides qui se rapportent aux développements précédents.

1) Svirtsiéva ou Sviertsieva ? } Svïertsieva

2) Kolganov ou Kalganov ? }Kalganov (en russe on l’écrit avec o, mais on prononce a)

3) L'affaire de la spéculation sur les chambres demeure obscure. Roussakov loue les chambres aux deux Komsomolki ? Est-ce que louer une de ses chambres est, en URSS, spéculer ? } Roussakov est le locataire soviétique qu’on peut appeler chef de l’appartement. Il ne loue pas aux membres du Jakt (Coopérative du Logement). Et les deux Komsomolki sont des membres du Jakt. Aussi, il ne fait que porter aux Jakt l’argent d’un loyer que le Jakt seul fixe à ses membres. Il n’est qu’un intermédiaire. Mais Roussakov a le droit de louer la ou les pièces que le Jakt met à sa disposition pour augmenter son gagne-pain, à condition qu’il meuble la pièce qu’il loue à un particulier. En ce cas, la [mots barrés illisibles] loi lui permet de doubler le prix fixé par le Jakt pour cette pièce. Plus que doubler, c’est spéculer. Or, Roussakov sur les 10 roubles que lui coûtaient la seule pièce qu’il louait, n’avait ajouté que 5 roubles. Par simple humanité.

4) Vous dites que Roussakov est révolutionnaire, mais non communiste. Qu'est-il donc ? S'il est trotskiste, pourquoi ne pas le dire ? } Il y a des milliers et des milliers de Roussakov révolutionnaires non-communistes. On leur doit le plus beau côté de la réussite de la Révolution et la plus propre. Les mains rouges qui, en 1920 (ou 21) ont crié à Cronstadt que les Soviets n’existent plus et qui ont été massacrés, pour avoir vu clair dès cette année-là, ont été presque tous des jeunes Roussakov. Pour eux, le trotskisme ne vaut pas plus que le stalinisme.

5) Les allusions au « communisme qui pille et viole la ville de Smolensk », celui des « Kabouki » à la mayonnaise répandue sur les fesses, celui des Komsomols qui s’amusent à la Smolensk, etc. }Je le dis dans mon livre, presque tout aussi brièvement qu’ici : entre mille scandales publiques, celui de Smolensk battit tous les records. Le voici : depuis 2 ans, les plus hautes autorité de cette ville, - magistrature, milice, Guépéou, les maîtres de la presse locale, président du soviet, etc, - pillaient, violaient, mangeaient la grenouille, se saoulaient, en dépit des plaintes envoyées de partout. Un jour, une femme mariée qu’ils avaient violée, se tue. Le mari ne trouve nulle part justice. Le scandale perce les murailles du Kremlin et, enfin, on reconnaît publiquement que ça pue. Procès exemplaire, quelques fusillés, quelques emprisonnés, des révocations. Cela, vers la fin de 1928.

Même année, les Kabouki. Ce nom, qu’il ne faut pas confondre avec celui d’un théâtre japonais, est composé des initiales des noms des membres du comité du syndicat du bâtiment de Moscou. Ils avaient fait une « ligne de la joie » : orgies, débauches, sur le compte de la caisse. Une nuit, affolé par la vodka, ils font irruption dans la rue, hommes et femmes, hurlant et se barbouillant réciproquement avec la mayonnaise du [mot barré illisible] banquet nocturne. 1928. Le milicien les arrête ; et au poste, on constate qu’il s’agit du Comité du syndicat du bâtiment.

Les Komsomols. Tout le Comité des Komsomols de Léningrad est convaincu de dilapidations, vols, viols et même de crime de droit commun. 1928. Procès. Condamnations.

6) page 203 qui était mis pour espionner V. Serge } Roïtman.

7) « Coin de Lénine » } Depuis la mort de Lénine, on a monté, dans toute l’Union et dans toutes les institutions, un « coin » de salle de réunion où Lénine est si bien déifié qu’il ne manque plus que les cierges et la veilleuse. C'est très connu. Pas besoin de note.

8) Victimes du communisme mussolinien ; je cite seul Ghezzi. } Il me serait impossible de les citer tous. Leurs noms n’est pas connu en Europe. Mais Ghezzi est un modèle, dont le cas est populaire, surtout en France et en Allemagne.

Voilà, mon ami.

Je crois qu’il faudrait éviter les notes, autant que possible. Introduisez plutôt dans mon texte une ou deux phrases qui éclairerait un peu plus le passage.

Et il me semble que c’est tout ce que j’ai à vous dire pour le moment.

Je pars demain dans une longue randonnée, à travers monts et vaux, en une série d’enquêtes fort risquantes, car j’ai affaire à un pays où le crime policier est déclaré « héroïsme » et la brute décoré. Certes, il y a des hommes qui m’estiment, mais les gouvernants me détestent et donneraient beaucoup pour me voir mort. (Si je péris, sachez que je fus un homme honnête et un révolté : c’est tout.)

Écrivez-moi à l’adresse que vous voyez en tête de cette lettre. Toujours recommandé.

Oh, si les hommes de cœur d’Occident savaient ce qui se passe sur la terre. Ils ne dormiraient plus.

Votre amicalement

Panaït Istrati

Jean Paulhan à Panaït Istrati (1930) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 1930.
Cher Panaït Istrati,

J'aime ces signes d’amitié, que me fait, de temps à autre, un livre de vous. Merci pour cette Tsatsa Minnka, trop belle, et qui me rend confus. Je l’aimais depuis longtemps déjà, pour l’avoir lue dans Europe. Quel étrange récit, où les héros même renoncent presque à leur vie, se confondent dans quelque chose qui tient de l’âme, de l’esprit, d’un pays, d’un ciel.

Je voudrais vous revoir. Ne viendrez-vous, ce mois-ci, du côté de Port-Cros, où nous allons passer un mois dans un vieux fort ? J'en serais heureux.

Ou bien dînons ensemble quelque soir, vers la fin de septembre.

À vous, avec amitié.

Jean Paulhan

Jean Paulhan à Panaït Istrati (1930) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 1930.
Cher Panaït Istrati,

Pardonnez-moi, si je ne puis vous rapporter moi-même ces pages : je suis très surmené aujourd’hui.

Méditerranée est bien beau. Merci de me l’avoir fait lire. Jamais peut-être vos paroles n’ont été aussi coulantes, aussi chantantes, aussi légères.

Je voudrais donner dans la N.R.F. les pages qui se rapportent à Mousse et à sa fille (sous le titre de Moussa, n’est-ce pas?). Il me semble que tout autre choix donnerait l’impression d’un fragment découpé arbitrairement. Mais qu’en pensez-vous ?

(Ce serait un récit de vingt à trente pages qui prendrait fin sur la présentation d’Avramesco, cet autre Titel.)

Je suis vôtre, avec mes amitiés et mes souhaits.

Jean Paulhan

Voudrez-vous me donner votre adresse de Hollande ?

Je vous demanderai d’accepter, pour Moussa, mille francs.

Jean Paulhan à Panaït Istrati (16 juin 1930) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 16 juin 1930.
Mon cher ami,

Nous songeons à organiser un déjeuner, qui réunirait chaque mois, en principe, les amis et collaborateurs de la N.R.F. Et nous serions contents si vous étiez des nôtres le mardi 24 courant au restaurant de la Rotonde du Palais-Royal. (Le prix du déjeuner sera de 33 F).

Si vous devez venir fixez-moi, je vous prie, avant le 21.

Très amicalement.

Jean Paulhan

Panaït Istrati à Jean Paulhan (24 janvier 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 24 janvier 1933.

11, rue du Congrès

Mon cher Paulhan,

Les Rieder viennent de me répondre au sujet de la publication dans la NRF de Méditerranée.

Et bien, malgré la promesse faite à Lefèvre, ils me rappellent qu’ils ont la « gestion littéraire » de mon œuvre, qu’ils se réservent donc le droit de traiter avec vous et de toucher des mes droits d’auteur.

Cela me donne le coup de grâce. Ces gens sont incapables de placer quelque chose de moi dans une revue, mais ils se réservent le droit de toucher l’ mon argent, dès que je trouve, moi, une revue qui veuille publier une manuscrit de moi de mes œuvres inédites.

Il ne nous reste donc qu’à reparler après le 1er juillet, quand mon contrat avec eux expire. Dommage.

Très amicalement vôtre,

Panaït Istrati

Panaït Istrati à Jean Paulhan (20 janvier 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 20 janvier 1934.

11, rue du Congrès

Mon cher Paulhan,

Je suis à Nice depuis le 7 octobre, mais ce n’est pas maintenant que je peux vous écrire, pour vous donner la certitude que Méditerranée sera enfin terminé. (J'ai vu que vous en annoncez partout la publication. Jamais Rieder n’a fait tant de publicité à un manuscrit promis.)

Maintenant, il est important pour moi de savoir si vous pouvez commencer la publication dès le 1er mars, car il est possible que Rieder veuille ou qu’il fasse semblant de vouloir le faire paraître en volume le 1er juillet (du côté de Rieder je nage toujours dans la plus affreuse incertitude).

Je dois également vous faire savoir que Méditerranée aura, à peu de chose près, les proportions de Sybille, de J.-R. Bloch, mais je n’en ferai pas un seul volume, c’est trop lourd lourd à lire, j’en ferai deux petits, (24 lignes de texte, gros caractères), s’intitulant : Méditerranée (Lever du soleil) et Méditerranée (Coucher du soleil).

Il se peut bien que cet ouvrage soit l’un des meilleurs que j’ai faits. Les deux parties sont presque indépendantes, mais, aussi que cela s’est passé avec les Haïdoucs, les personnages principaux du premier vol. vivent aussi dans le second.

Le manuscrit du premier tome (Lever du soleil), revu, complété et proprement retapé, vous l’aurez au début de février. Celui du second (Coucher du soleil), ne sera prêt que dans la première quinzaine de mars.

Je travaille très peu. Pensez donc, mon cher ami, je ressuscite, je sors de ma tombe ! On devra me pardonner ces retards.

Veuillez parler avec Mr Gallimard et décider. Je vous prie de m’accorder, exceptionnellement, des droits d’auteur égaux, au moins, à ceux que m’accorde la Revue de Paris, (6000 fr., mais pour un seul vol., tel Les chardons du Baragan, ou La Maison Thüringer, un peu plus gros). Méditerranée est double, comme volume dimensions. Quant à la qualité, vous en jugerez vous-mêmes.

Sachez encore que Rieder avait promis l’été dernier à Frédéric Lefèvre de me laisser l’entière liberté de traiter avec vous pour NRF et d’en toucher la totalité des droits. Lefèvre pourra vous le confirmer. Il y a dix jours, j’ai demandé cette confirmation à Rieder. Aucune réponse. Depuis la mort de Robertfrance, ils sont bien diplomates. Amicalement vôtre

Panaït Istrati

Panaït Istrati

La vie aventureuse et révoltée de Panaït Istrati vient de s’achever ainsi qu’il l’avait prévu et annoncé il y a peu de temps. Il quitte, à cinquante et un ans, notre monde « apocalyptique » avant d’avoir pu achever de dire le plus précieux et le plus « honnête » de ce qu’il avait à dire. Il meurt amer, déçu, non résigné, loin de là, mais ne croyant plus à rien hors l’amour, la passion, la joie, la fraternité. L'homme qui n’adhérait à rien, et ne voulait plus enseigner à ses frères « qu’à refuser de crever pour qui que ce soit » a été emporté par la mort qui n’est pas égale pour tous. Le « brasier de destin» qu’il était ne pouvait pas être dispersé. La vie était trop forte et trop profonde chez cet homme au tempérament exceptionnel, pour qu’on puisse un instant songer qu’il l’ait quittée en ne l’aimant plus. Les péripéties de cette vie sont d’autant mieux connues du public qu’il en a fait l’objet même de ses ouvrages. Le Gorki balkanique, devenu à force de patience, de génie, de foi en l’amitié d’un grand maître Romain Rolland, un écrivain de langue française, n’avait plus cessé, depuis douze ans, de raconter son aventure. De volume en volume, nous avions suivi avec passion les étapes d’une vie des plus pénibles, et qu’il tenta au moins cent fois de s’ôter lui-même en se tailladant la gorge. Mais c’était un suicide de passion, et non un suicide de renoncement. Encore une fois, Istrati était un rare exemple d’un homme attaché à la vie par vocation. La vie étant plus sa vocation que l’art, il doit le dire quelque part. Les derniers écrits, articles publiés dans des journaux, en témoignaient sans que cela implique que la cure l’ait épouvanté. Le courage, l’amour et la générosité semblent l’avoir dotés des grandes vertus d’homme. Comme écrivain, c’était un conteur de premier ordre, un peintre et un poète de grand talent. Nous n’avons pas à faire état ici de ses idées politiques, et de ses dissensions avec les soviets. Ce qui est arrivé à ce propos pouvait se prévoir. Istrati était un individualiste et avec lui disparaît en même temps qu’un homme exceptionnellement doué pour la vie et pour l’art, l’un des derniers représentants du romantisme révolutionnaire.

Jean Paulhan à Panaït Istrati (23 janvier 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 23 janvier 1934.
Cher Panaït Istrati,

Je suis tout heureux de vous savoir guéri. Merci de votre carte.

C'est un grand plaisir de vous voir ainsi solide, et d’attaque. Je suis content aussi de savoir que Méditerranée va être achevé.

*

Mais voici la difficulté : j’ai depuis longtemps déjà accepté le roman de Fernandez, les Danaïdes qui doit faire suite aux Combats avec l’ange de Giraudoux.

Combats... va tenir la N.R.F de Janvier à Mai. Je ne vois donc pas la possibilité de commencer Méditerranée avant Octobre ou Novembre.

J'en suis ennuyé. Je serais navré de renoncer à Méditerranée après que la N.R.F. l’a annoncé, (et sur ce que vous m’en dites). D'autre part je ne veux pas vous empêcher de le publier à une date qui vous convient.

Peut-être serait-il possible de n’en donner dans la N.R.F. qu’un fragment (mais que nous choisirions de manière à en faire un tout, avec un commencement et une fin.) Dites-moi ce que vous pensez de tout cela.

*

La Revue de Paris est plus riche que la N.R.F.. Je veux dire qu’elle accepte, pour certains intérêts que tout le monde connaît, de perdre de l’argent. Non, nous qui sommes indépendants, nous ne pourrons pas faire autant qu’elle. Du moins ferons-nous tout le possible. Mais nous en reparlerons quand le reste aura été décidé. (Seulement, comment le décider tant que le roman n’est pas achevé?)

*

De Nice, vous devriez aller passer quelques jours aux îles d’Hyères et en particulier à Port-Cros. (L'on y va par Toulon et d’Hyères : départ du bateau des Salins d’Hyères, tous les matins à 9 h 1/3). C'est la seule île sauvage de la Méditerranée (sans un mur, sans une barrière) couverte de forêts où il fait doux comme en Algérie. Il y a un petit hôtel (où vous diriez que vous venez de ma part) et quelques maisons de pêcheurs. C'est tout.

Au revoir.

Votre ami

Jean Paulhan.

P.S. : Je reçois aujourd’hui une lettre de Rieder m’informant que c’est eux qui ont la « gestion littéraire » de vos œuvres, et que je devrai traiter avec eux. Que répondre ?

Jean Paulhan à Panaït Istrati (12 février 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 149, dossier 082596 – 12 février 1935.

Monsieur Panaït Istrati

C/o Monsieur Ionescu

24, rue du Colisée

Paris

Cher Panaït Istrati,

J'ai donné le Lac Salé. Il m’a fallu faire quelques coupures, pour mieux l’isoler. Ce n’ont été que des corrections insignifiantes.

De tous côtés, on m’en parle avec beaucoup d’amitié, ou d’enthousiasme.

(Dites-moi où je dois vous faire envoyer les mille francs que vous doit la N.R.F.)

Quand vous reverra-t-on ?

Je vous serre bien amicalement les mains.

Jean Paulhan

Je serai bien heureux d’apprendre que vous avez enfin éclairci la situation Rieder. Méditerranée m’est restée sur le cœur.

Comment allez-vous ? Je voudrais bien recevoir une lettre qui me l’apprenne.