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Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial) et Amaury Nauroy (Transcription).
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (15 octobre 1925) §
Ce n’est pas le lieu de parler de la N.R.F. Mais je note en passant que jamais les numéros ne m’ont paru plus pleins et plus savoureux que ces derniers !
15 oct. 25
[Roger Martin du Gard]
Bien cher ami. Je crois bien que je ne vous ai jamais répondu ! Vous me demandiez de lire la Gonfle en manuscrit. Mais oui, naturellement ; (si vous persistez dans ce désir, et si jamais vous trouvez le temps d’y consacrer une soirée... ) Je vous apporterai cela à Paris un jour. Mais la lecture est fort éprouvante, à cause du patois et de l’écriture phonétique que j’ai employée pour fixer la prononciation spéciale. Ne feriez-vous pas mieux d’attendre ? On ne sait jamais. Peut-être qu’un jour je me déciderai à me « dégonfler. »
Bien affectueusement vôtre,
RMDG
[Carte postale légendée]
Le Tertre, Bellême (Orne) où les amis qui ont envie de se reposer sont toujours les bienvenus, pourvu qu’ils n’emploient pas toute la liberté qu’on leur laisse à entraver celle de leurs hôtes !
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (1er février 1926) §
Cher ami. Je viens de passer une bien curieuse soirée avec vous ! Vous êtes un peu comme un prestidigitateur, et vos subtilités se tirent à perte de vue les unes des autres comme d’une boîte à multiples fonds. Et on ne peut s’empêcher, tout le temps qu’on vous lit, de guetter votre figure honnête, votre regard posé, sincère, votre voix sérieuse, pour voir s’il ne vous échappera jamais un machiavélique sourire de mystificateur... Mais tant pis si je suis dupe. Je vous ai suivi minutieusement, sans trop d’inquiétudes, et j’ai descendu avec vous les interminables spirales de cette dissertation, où l’inattendu mène toujours vers un plus inattendu encore. La brochure fermée, j’ai conscience d’avoir fait un voyage étrange et captivant, que jamais je n’eusse pu faire seul, ni avec aucun autre. Vous avez poussé le « ni chair ni poisson ([voyez?] proverbe...) vraiment aussi loin qu’il est possible ; et je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui, à ce point, s’obstine, dans toutes ses manifestations, à ne ressembler à personne. S'obstine est d’ailleurs très impropre : je veux dire que personne ne m’a jamais semblé se conformer avec une si totale réussite au « ne cultiver en soi que l’irremplaçable, ne dire jamais ce qu’un autre aussi saurait dire »...
Je vous admire énormément. Mais ne souriez-vous jamais de votre adresse, quand le tour est réussi ? Ne fut-ce que par élégance ?
Vôtre, bien affectueusement, R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (19 mars 1926) §
Cher ami. Si je vous avais rencontré cet après-midi, je vous aurais sans doute dit : - « Avez-vous remarqué un article signé Denis de Rougemont, dans la Revue de Genève de mars ? « Ecrite, la question prend peut-être bien trop d’importance. Mais mon éloignement de Paris m’oblige à choisir entre un silence constant ou les risques de quelques lettres inutiles. Tout de même, ce Denis de Rougemont, dont je n’avais, je crois, rien lu, m’a vivement frappé, et si je dirigeais une revue, je regarderais de ce côté-là...
Et puisque ce n’est pas une lettre, mais une simple « rencontre dans la rue », - une bonne poignée de mains de votre
R Martin duGard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (27 juin 1926) §
J'ai eu en mains ce court poème d’un jeune homme de vingt ans à peine. Je suis un profane avéré en matière de poésie pure...Mais j’avoue qu’à la troisième ou quatrième lecture j’ai été proprement sensible à cet effort pour fixer l’instant de la volupté. Et plus je les manie, mieux j’aime ces vers.
Voilà. Je vous les communique. On ne me l’a pas demandé. Je vous tais le nom de jeune homme. Ne les jetez pas trop vite au panier, je crois qu’ils méritent qu’on se familiarise à leur rude écocre volontaire. L'auteur, pourtant, n’est
[Lettre incomplète]
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (11 août 1926) §
Je me suis occupé des poèmes de l’auteur du Couple en marche. C'est évidemment le meilleur, et ce jeune poète est « à un tournant de son histoire ». Je crois préférable qu’il ne vous soumette rien d’autre pour le moment. Si, par les hasards de la mise en page, vous disposez un jour d’une page blanche ou son « Couple » puisse entrer en action, vous le rendriez délirant de joie. Mais ce n’est pas une requête. Je sais bien que vous évitez de publier des poèmes isolés. Il s’appelle Jean Tardieu. Je l’ai rencontré à Pontigny. Je le trouve plus attachant que la plupart des jeunes gens à lunettes qui fréquentent la charmille et des jardins. C'est un enfant encore ; vibrant, et d’une simplicité transparente, qui a du charme. Il est authentiquement poète, je veux dire que sa [lettre incomplète]
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (31 mars 1927) §
Mon cher Paulhan. Vous ne me croiriez pas si je vous affirmais que je regrette vivement de manquer le banquet officiel du 6 avril... Mais je voudrais du moins vous persuader que je regrette cette occasion de vous témoigner mon affectueuse sympathie. Je soupçonne ce qu’est votre double vie de travail, la fiévreuse besogne qui fait que la N.R.F. ne cesse de croître entre vos mains, puis le travail recueilli, secret, continu, et lent comme la secrétion de résine des pins, qui nous vaut ces oeuvres étranges et troublantes dont chacune éclaire, arrache aux ténèbres, un fragment jusqu’alors inexploré de la vie psychologique. J'éprouve un sentiment de véritable réconfort à voir peu à peu la consécration de ce long effort silencieux, ou presque, qui vous vaut, depuis longtemps, l’estime des meilleurs. Ne m’en veuillez pas de me dérober aux libations confraternelles, et ne doutez pas, mon cher ami, de l’attachement très réel que j’ai pour vous.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (5 août 1927) §
Cher ami. Jean Tardieu habite à Paris : 3 rue Chaptal. IX -
Mais il part dimanche en auto pour quinze jours et sera absent de Paris. Je lui écris pour lui annoncer la nouvelle, qui va le faire délirer de joie ; et je lui dis de vous donner des adresses sûres pour que vos lettres puissent le joindre sans perte de temps.
Je suis pour ma part enchanté de votre décision. C'est un vrai poète (Il en est quelquefois agaçant !) Nous l’appelons « Ombre folle ». Un coeur exquis, une naïveté incroyablement vraie, une touchante modestie, un tas de qualités charmantes et personnelles. Vous n’imaginez pas le coup de baguette magique que votre estime va lui donner ! Merci.
Et bien affectueusement vôtre
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (3 juillet 1927) §
Cher ami, je suis de ceux qui lisent chaque mois la N.R.F, jusqu’à et y compris la signature de l’ »Union industrielle française »... Laissez-moi vous signaler deux trois réactions désagréables que j’ai eues en achevant le n° de juillet :
1°. p. 126. Loi militaire. La N.R.F, son directeur et son personnel ont le droit de penser ce qu’ils veulent de la loi militaire. Ils ont même le droit de n’en rien penser. Mais je trouve qu’ils n’ont pas le droit d’aborder de cette façon désinvolte et médiocrement spirituelle une question qui a tant remué, à tort ou à raison, la gent intellectuelle depuis deux ou trois mois. Mieux eût valu n’en rien dire. Au reste, il n’y a pas là matière à plaisanterie...
2° p. 127 Sottisiers
André Rouveyre est le contraire d'un sot. Il écrit bien souvent comme un cochon, mais, outre qu’écrire n’est pas son métier, ce qu’il écrit est toujours plein d’intentions nobles et généreuses. Le moins qu’on puisse dire de lui est qu’on lui doit de l’estime. C'est de plus un malade, presque un moribond, et je sais que tout dernièrement encore il a été près de mourir et s’est vu perdu. J'ajoute que c’est un très fidèle et très combatif ami d’André Gide. Voilà plus de raisons qu’il n’en faut pour marquer l’inutile cruauté de ce coup de cravache à un véritable ami de la maison.
3° Sur les poètes p. 127
La N.R.F. s’est élevée, triomphante, sur les ruines du Mercure. Tout le monde le sait. La seule chose à peu près défendable du Mercure, c’est encore sa prodigieuses bibliographie. Pourquoi ce coup de pied de l’âne au vieux lion déchu ? Pas très joli. Indigne de la tenue de la N.R.F. Disons, pour tout dire en un mot, que jamais Rivière n’eût toléré cela.
(Vous écrire cela, risque de dénaturer le caractère plus qu’amical de ces remarques. Mais imaginez que je vous aie rencontré rue de Grenelle et que je vous aie dit, avec un sourire affectueux : « Voyons, cher ami, quelle fâcheuse idée de...etc... J'espère que ce correctif suffira à écarter toute méprise. Au reste, mon hyper-sensibilité de lecteur vous prouve à quel point je vous suis ami et combien je suis susceptible dès qu’il s’agit de la bonne tenue, de la dignité d’attitude de notre maison ! J'ajouterais si cela n’avait pas l’air d’un repentir, que les derniers n°S notamment m’ont paru de tout premier ordre, chargés de substances, et que jamais la N.R.F ne m’a semblé mieux mériter sa place et notre attachement ; je vous serre les mains, très affectueusement,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (12 août 1927) §
Vous me demandez « La Gonfle », cher ami ? Peut-être seriez-vous considérablement embêté si je vous prenais au mot ! Mais non , rassurez-vous, je plaisante. Comme vous, sans doute. Je n’ai pas totalement renoncé à ce que cette farce soit représentée, et je continue à penser que si je la publiais avant, je la priverais de son meilleur élément, l’inattendu.
Mais je ris tout seul en pensant à la tête de vos abonnés, s’ils trouvaient un jour « La Gonfle » dans « la Gonfle » dans la N.R.F. Il faut d’abord que je devienne assez célèbre pour qu’on fasse mouture de toutes mes paperasses. Laissez-moi le temps...
Bien affectueusement votre, et grand merci tout de même, pour l’intention.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (7 juillet 1927) §
Bien cher ami. J'aime beaucoup vos réactions, décidément – et chaque fois que nous avons l’occasion de nous « disputer » un peu, je me sens davantage attiré vers vous et j’en rapporte toujours plus grande sympathie.Ce serait donc un peu profitable pour moi, s’il ne vous faisait tant perdre de temps. Et je suis confus de voir la peine que vous prenez à me répondre si complètement. Sachez au moins que cet effort m’a convaincu. Vos raisons sont bonnes. (J'aimerais encore mieux que, tout en ayant le droit de lancer des pointes au Mercure et à Rouveyre, la N.R.F., planant en des cieux sereins, ne l’eût pas fait. Mais je vis loin de l’action, et peut-être ces petites ruades sont-elles nécessaires. En tous cas, j’en admets la légitimité).
Pour ce qui est du cas Maury, je suis comme vous, j’ai trouvé son article ridiculement abstrait et pour moi en partie incompréhensible. Je vous avoue franchement qu’à votre place je le lui aurais rendu pour être transcrit en langage clair. Il a de grandes qualités de pensée et une langue concise ; mais ces avantages naturels l’ont entraîné, cette fois, à barboter dans les ténèbres. Je n’ai pas pu me retenir de lui écrire que ces pages sibyllines m’avaient complètement déçu et fâché.
(Je persiste pourtant à croire que, ces qualités mêmes, si rares parmi les « écrivains politiques », jointes à son expérience de l’Europe, feraient de lui, par intermittences, un précieux collaborateur politique de la N.R.F. - Et juste dans la mesure où il faudrait, de temps à autre, un note politique dans la N.R.F. - Mais je reconnais que cet essai n’a pas été encourageant. Et je suis très marri d’y avoir été pour quelque chose)
Vous voyez combien nous sommes d’accord !
Je me persuade pour ma tranquillité de conscience, que vous ne gardez aucun sentiment de contrariété pour mon intervention intempestive et insuffisamment renseignée. Je tiens beaucoup et de plus en plus à votre amitié. La mienne se consolide à chaque occasion de rencontre, ou même de heurt... Ne m’en veuillez pas d’avoir le sursaut un peu facile, souriez-en sans amertume, et ne doutez pas de ma confiance. Très affectueusement
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (1er septembre 1927) §
Cher ami. Il y a eu à Pontigny une petite « collecte » pour venir en aide momentanément à la famille de Chennevière. Mais Jean Schlum. m’a dit que, de votre côté, vous vous occupiez de réunir quelques cotisations – je n’en suis pas surpris, je commence à vous connaître... Voulez-vous y joindre ce billet. Je vous envoie le chèque non barré et tout près de la N.R.F., pour que vous ayez le moins d’ennui possible. Merci. Et bien sympathiquement vôtre, je vous assure.
Roger Martin du Gard
Je connaissais Chennevières pour l’avoir entrevu chez Copeau, mais surtout comme poète ) et pas assez pour écrire à Madame Chennevières, bien que j’aie été très douloureusement surpris par sa mort.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (18 juillet 1927) §
A propos de Maury, lisez-donc, si vous avez un instant, ces deux lettres que j’ai reçues de lui. Je ne voudrais pas que vous restiez sur la fâcheuse impression des pages sibyllines qu’il vous a données.
Merci pour votre petit mot qui m’a rendu l’accord. Et bien fidèlement vôtre, cher ami, malgré mes intempestives bourrades. On ne se refait pas...
RMG
Bien entendu, ne me répondez pas, renvoyez-moi seulement les lettres de Maury sous cette enveloppe – J'ai grand respect de votre temps, (sans en avoir toujours l’air...)
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (6 novembre 1927) §
On sait ce que me vaut une approbation de vous, mon cher Paulhan. Je m’avoue très flatté de vos éloges. Quelle que soit maintenant l’attitude des lecteurs ou des spectateurs éventuels, je n’oublierai pas que j’ai eu votre « satisfecit » ; - et cela me donne du cran pour affronter les gens.
Aussi je commencerai pas vous. Non pas par l’ami Jean Paulhan, mais par Paulhan, le rédacteur en chef de la N.R.F., - lequel, pour aujourd’hui, je vais distinguer un instant de l’autre.
Si vous pensez qu’une pièce comme La Gonfle puisse être publiée dans une revue et puisse intéresser vos abonnés, je suis prêt à vous la donner ; et je serais même très content qu’elle paraisse à la N.R.F. - Mais attendez ; voici où commence le langage nouveau : (Peut-être me forcé-je un peu pour l’employer ? Toutefois j’ai bien réfléchi, je ne cède pas à un accès de bile ni à un mouvement inconsidéré) : La Gonfle a une valeur, comme ils disent « marchande » ; et donc
je veux la vendre
Ecoutez-moi jusqu’au bout.
En l’année 1924, qui a été la « glorieuse » année de ma carrière, mon gain professionnel (tout compris : le père Leleu – Devenir – J Barois – Les 4 vol. des Thibault) a été, tant à la Société des auteurs dramatiques qu’à la N.R.F., de …. de 19.100 francs.
En 1925 = 15.137 fr.
En 1926 = 11.950 frs. (Pas tout à fait le billet de mille par mois.)
Je ne travaille évidemment pas pour gagner. Mais, tout de même, il me semble inadmissible qu’après vingt ans de travail, un auteur bien vu ou public ne puisse toucher, pour toute son oeuvre, qu’un salaire aussi dérisoire. J'en veux beaucoup à la N.R.F. Gaston le sait bien, et qu’il n’en a pas fini avec moi. Si j’avais au Mercure, ou chez Grasset, ou n’importe où, cinq volumes, de vente aussi continue que J. Barois et que les 4 Thibault, je gagnerais du 20% là où la N.R.F. ne me fait même pas du 10 net. Eh bien, je m’insurge. Accepter que mon travail me rapporte si peu, ce n’est plus du désintéressement : c’est consentir à une chose qui ne devrait pas être ; c’est sanctionner ce qu’en tout autre domaine on considérerait comme immoral.
J'ai donc décidé d’agir tout autrement. Je cherche quelqu’un à qui confier la gérance de mon oeuvre et la discussion de mes intérêts avec l’éditeur. En attendant, je vais essayer de me défendre moi-même. De débattre les tarifs, de vendre au mieux mes produits. Je regrette que ce soit pas vous que commence mon apprentissage de mouton enragé ; mais il faut dire que je me lance. Les amitiés ne m’ont que trop longtemps retenu. - Je vous écris donc :
« M. le Rédacteur en chef,
« La Gonfle est à vendre. Non pas à la page, mais à forfait. Seriez-vous preneur ? Quel est votre prix ?
« Dans l’attente de vous lire, je vous prie de croire, M. le Redacteur en chef, etc.... »
Et, pour l’ami Jean Paulhan, qui reste en dehors de ce débat, une très affectueuse poignée de mains,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 juillet 1927) §
Cher ami. Laissez d’abord que je me réjouisse avec la N.R.F. de cette merveilleuse aubaine, et que je vous félicite d’en avoir été, si je puis dire, le canal !
Vous avez raison de penser que je suis maintenant trop fixé dans l’Orne pour pouvoir songer à profiter jamais de votre merveilleux asile. Je vous remercie néanmoins de m’avoir prévenu et de m’avoir ainsi prouvé que vous ne me teniez pas pour indésirable dans votre combinaison ; c’est une preuve d’amitié dont je sens tout le prix. Il reste cependant que, sans être personnellement intéressé à la réussite de votre entreprise, je ne refusais pas, pour la voir réussir et faire le bonheur des amis, à apporter une petite contribution pécuniaire, au cas où vous auriez de la peine à parfaire la somme prévue et à trouver le nombre nécessaire de participants.
Je m’en voudrais de confisquer le plan tentateur et suggestif ; je vous le renvoie, avec mille compliments. Ce fort de la Vigie est un lieu unique au monde. Il me plaît que votre N.R.F y fasse flotter son drapeau !
Tout vôtre
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (7 novembre 1927) §
Mon cher Paulhan – ma lettre était à peine partie que je la regrettais amèrement – Je veux dire que je regrettais de vous l’avoir écrite, - (car ce que j’y dis, je le pense, après tout...) Mais, j’y ai encore réfléchi, ce serait une insigne maladresse que de laisser paraître La Gonfle, en revue, et surtout avant les nouveaux volumes des « Thibault » - Ceci est une opinion très ferme, que j’ai toujours eue, depuis des années (La Gonfle est de 1924). C'est une façon de voir qui se peut discuter, mais qui est bien mienne, et ressemblante. J'ai deux ou trois jours de défaillance. Dont j’ai regret. Et j’ai surtout regret de vous avoir sottement mêlé à tout ça.
Oublions, oublions. Renvoyez-moi mon manuscrit, bien recommandé. Ne me prenez pas pour un farceur : en général, je sais bien ce que je veux, et les faux-pas de ce genre sont exceptionnels dans la marche de ma vie -
Ne me marchandez pas non plus votre affectueuse confiance, qui m’est chère – Et croyez-moi bien fidèlement vôtre,
Roger Martin du Gard
Je fais l’impossible – 3 kil à pied – pour que cette lettre-ci rejoigne le courrier de l’autre !
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 décembre 1927) §
Mais, cher ami, vous m’embarrassez beaucoup ! Je veux bien vous confier « La Gonfle »; Seulement je n’ai pas du tout envie qu’elle soit jouée ! J'ai même jusqu’ici, envie qu’elle ne le soit pas ! (Et d’ailleurs, que dirait Jouvet, enragé à monter cette pièce, et qui, malgré moi, l’annonce chaque année à son programme avec l’espoir de me faire céder ? ) Vous voyez qu’il vaut mieux renoncer tout de suite à votre amical projet ! Mais merci quand même !
Vos êtes bien gentil de me dire que vous n’avez pas mauvais souvenir de notre café-crème de l’autre soir. Mon souvenir, à moi, n’est pas sans ombre. D'abord j’étais fatigué, abruti par Paris, vaseux. Et puis, j’avais si sottement compris que vous aviez fermé boutique et n’aviez plus qu’à rentrer dîner que je vous ai tenu là, indéfiniment, pour rien du tout ! Je m’en excuse encore. On se dédommagera une autre fois.
Cher ami. Je ne vous ai pas répondu et je m’en excuse. Vous savez que j’ai eu dimanche une bonne visite de Gaston. Et je l’ai chargé de vous parler de La Gonfle. L'a-t-il fait ?
Je ferai volontiers figure à votre sommaire. Mais je continue à penser qu’une publication intégrale, en deux ou trois fois, est une faute, pour la revue, pour la pièce, et la publication en volume. Je penche pour un fragment « bien tassé », que nous choisirions ensemble, et que vous donneriez le 1er juin.
Je viens de lire avec grand plaisir, malgré ses fautes de goût nombreuses, un livre de Fred Berence, au titre malsonnant : Les Inassouvis, chez Rieder. Mais que ce soit un romancier, un créateur chaleureux, aucun doute. S'il se laissait un peu laminer par la discipline de la N.R.F. aux Longues Figures, je crois que cela pourrait devenir excellent. La matière est riche, et la la source profonde, et c’est un livre qui a du « cours ». J'aime tant ça !
Cher ami. Votre lettre me touche bien, mais me surprend. Comment donc Gaston s’est-il acquitté de ma commission ? Nous étions tous deux absolument d’accord sur l’inopportunité de publier toute la pièce. Avez-vous déjà tant d’empire sur votre éminent directeur, que votre simple contact bouleverse ses opinions de la veille ??-
Je ne m’oppose pas à la publication en revue. Je la désapprouve, et je la redoute. Je continue à penser que la solution d’un fragment bien choisi, dans le n° de juin, eût été le plus sage. Réfléchissez, réfléchissez.
En tous cas, pas eu 3 numéros ! Si vous persistez, envers et contre toute raison, de à vouloir donner ma pièce entière, que ce soit : les 2 premiers actes en mai ; et le troisième en juin. (D'autant que je n’aimerais pas donner, en mai avril, un acte de La Gonfle, alors que le 1er des nouveaux Thibault ne soit paraître qu’en fin mai.)
Tous ces débats sont ridicules. Vous me faîtes jouer le rôle d’une coquette qui ne veut pas se laisser violer. Je vous en veux beaucoup. Mais je vous aime bien.
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (26 février 1928) §
Je comprends bien ce qui s’est passé. Gaston vous a dit son sentiment, qui est le mien. Mais vous avez une tête de [buis?], comme dirait Andoche, et vous savez ce que voulez !
J'avoue que la partie n’est pas égale. Vous tenez beaucoup plus à publier La Gonfle que je ne tiens, moi, à ce qu’elle ne paraisse pas en revue. Vous me posez la question : « Cette publication vous déplaît-elle, vous est-elle pénible ? » Mais non ! Je la crois inopportune, voilà tout. Mais je puis me tromper. Devant une volonté comme la vôtre, une si nette opinion, comment ne pas être ébranlé ?
Je cède. Et je voudrais que, du moins, cela fût de la meilleure grâce du monde. Avec le sourire. Faîtes donc. Et merci !
Seulement, il reste ce que je vous ai dit dans ma lettre d’hier. Je voudrais bien que rien ne paraîsse en avril, si longtemps avant les Thibault. Cela, je l’avoue, j’y tiens beaucoup. Faîtes l’impossible, je vous en prie, pour céder, à votre tour, sur ce chapitre là.
En mai :Ier acte seul
Ou bien Ier et IIe acte.
En juin : IIe et IIIe,
Ou bien IIIe acte seul.
à votre choix
Ce qui n’empêche pas qu’il faut faire composer dare-dare, car ce sera long, difficile, et sans doute ferai-je 2 ou 3 corrections d’épreuves avant d’avoir un texte à point.
Voilà donc la question résolue. N'y revenons plus, et marchez !
Recevez, à l’occasion de ces accordailles, une chaleureuse accolade de votre,
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (18 mars 1928) §
J'achève de corriger ces épreuves. Quel turbin… Ce qu’on doit me bénir à la N.R.F.
EvideIVmment, il m’a fallu faire encore bien des corrections. Et pourtant j’admire que ces premiers placards aient été si exacts. Félicitations à l’imprimerie Poullart. Et encore un peu de courage…
Je vous demande comme une grâce de faire faire, immédiatement, en même temps que l’acte I de mai, les actes II et III de juin. J'ai à cela plusieurs bonnes raisons. D'abord, pour moi, le travail de correction est si particulier que j’ai besoin de faire tout l’ensemble à la fois, pour rester d’un bout à l’autre logique dans ma typographie. Et puis, nous avons besoin, Gaston et moi, au plus tôt, des secondes épreuves au complet, car c’est sur elles qu’on composera le volume qui doit paraître en juin, et qui sera long à bien mettre au point.
Dites-moi ce que vous pensez de : « Farce paysanne, fort facétieuse, etc... » Si vous avez envie de le supprimer pour la publication en revue, allez-y sans hésitation.
J'attends donc dès que possible les deuxièmes épreuves, c’est à dire l’Acte I mis en page pour faire un article séparé, et les Actes II et III, mis en page pour passer ensemble au numéro de juin.
Et vous serre affectueusement la main,
Roger Martin du Gard
Il faut prévoir encore bien de petites retouches sur les 2e épreuves, tant c’est minutieux à mettre au point.
Je me suis ré-amusé, malgré moi, à cette lecture. Pourvu que vos lecteurs aient le sourire aussi complaisant.. !
Mon cher ami. Je suis un peu confus de vous renvoyer des épreuves avec autant de corrections. Je corrige toujours très mal, et ceci est particulièrement difficile. Beaucoup de fautes m’avaient échappé à la 1ère lecture. Comme les corrections de l’imprimeur sont faites avec un soin très évident – loué soit-il – je pense que les dernières (les 3èmes épreuves) seront presque sans corrections.
Voulez-vous noter qu’on demande et qu’on m’envoie au moins 2 jeux des prochaines épreuves. Car c’est sur l’un de ces jeux que j’établirai le texte définitif de l’édition. Service personnel. Merci.VI
Et bonne poignée de mains.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (19 avril 1928) §
Abbeville m’envoie ce matin 2 jeux du 1er acte, en page. Et, par erreur, des épreuves du Lindbergh. Ma fille, qui rentre demain à Paris, vous déposera ce paquet plus rapidement que les P.T.T.
J'ai gardé pour moi le 2e jeu du 1er acte, sauf la dernière page, liée au texte de Lindbergh. Si vous n’avez pas besoin de cette page, ou si vous en aviez un double inemployé, je la recevrais avec plaisir, car c’est sur ce texte là que j’établis l’édition en volume.
Vous m’aviez laissé espérer que je recevrais aussi, très bientôt, les actes II et III, sans attendre l’établissement de votre n° de juin. Ce c’est pas caprice de ma part. C'est toujours pour cette édition en volume, que je suis pressé de mettre en train, car ce sera long à parachever.VII
Je ne sais quelle impression vous donnent ces pages, moi, je ne sais plus.
Bien affectueusement vôtre,
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (28 avril 1928) §
Cher ami. Je vous sais gré de me dire si gentiment les choses. Je trouve, moi aussi, fort outrecuidant de prendre si grande place dans le numéro de juin. J'accepte donc le surcroît de morcellement, et vous donne toute licence pour reporter le 3e acte en juillet. Aussi bien, morcellement pour morcellement, peu importe. Mais cette expérience me confirme dans cette idée que les revues ne sont pas faites pour les « à suivre » et que c’est un non-sens que de donner à des lecteurs de revue autre chose que des nouvelles ou des fragments isolés. Vouloir détirer les liens qui font l’ajustage d’une œuvre à un ou plusieurs mois d’intervalle, c’est pure barbarie ! Cela prouve que les auteurs n’ont, pas plus que les lecteurs, l’épiderme sensible. Je dis tout ceci, et peut-être ne résisterais-je pas, demain, à donner un vol. des Thibault à ces revues qui harcèlent l’écrivain… Mais ce que je pense être bien, est une chose… Et ce que je fais ou ferai, en est une autre… Ainsi va de nous, dit Andoche.
Respirez donc, cher ami. Votre numéro de juin ne portera que le petit acte II. Et l’acte III ne passera qu’après la publication en volume, dans le numéro de juillet.
(J'espère que la N.R.F. ne sera pas assez « ficelle » pour me traîner en longueur, afin de et ne pouvoir, – « à son grand respect » – achever le volume en juin…)
Et très affectueusement vôtre,
RMG.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (5 mai 1928) §
Ce samedi soir, dernier courrier de l’après-midi, je n’ai toujours pas les actes II et III. Et pourtant !
Merci de votre mot. Quand vous aurez envie de me coucher le poil, vous me direz que « La Gongle » est d’une inspiration trop française – pour ce mâtiné de B.C. !
Bien vôtre – en hâte –
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (9 juin 1928) §
Comprends pas du tout, cher ami ! Et si c’est à cause de moi, de mon attitude, de mes réticences avant la publication, que « la Gonfle » doit vous laisser un mauvais souvenir, ce ne peut être qu’à cause d’un insondable malentendu !
Si la N.R.F. n’est pas « la revue où je désire d’abord publier ce que j’écris », – pour reprendre vos propres expressions – c’est parce qu’il n’y a aucune revue où je désire publier fragmentairement les œuvres toujours longues et massives que je ponds.
Si j’ai donné à de Traz un morceau de La Sorellina, c’est : 1°/ un peu par inadvertance – 2°/ parce que l’épisode se passe à Lausanne – 3°/ parce que cela m’était relativement égal que les lecteurs de la Rev. De Genève me jugent mal d’après un tronçon de livre qui ne vit pas par lui-même. 4°/ enfin, parce que je m’étais persuadé que c’était une bonne façon d’étendre mon public, en atteignant des lecteurs étrangers lisant le français.
Mais ne vous ai-je pas déjà écrit tout cela ?
Pour « La Gonfle », la vérité est que je n’ai eu ni plaisir ni irritation à voir la pièce paraître en deux morceaux. (J'ai pour tout cela, au fond, une sorte d’indifférence naturelle. Je me fais beaucoup de bile avant, pendant la création ; et je me détache étrangement de l’oeuvre, dès qu’elle vit seule, dès que le cordon est coupé. Les éloges me chatouillent assez agréablement ; les critiques m’intéressent beaucoup quand elles en valent la peine, quand elles trouvent résonance en moi : mais, à la vérité, tout cela se passe surtout en surface, et l’on m’ennuie assez vite en me parlant des œuvres parues ; mon esprit est ailleurs. Il y a peut-être beaucoup d’orgueil dans cette indifférence…) – Il y a, en tous cas, passablement d’outrecuidance à vous parler si longuement de moi ! Mais votre mot m’a peiné, et surpris, et laissé perplexe. Comprends pas…
Bien affectueusement vôtre.
R.M.G.
P.S. Je m’aperçois que je n’ai même pas pensé à protester de mon attachement à la N.R.F. et à ce qu’elle représente, et à ce qu’elle est devenue, et à ceux qui l’animent – Vous n’allez tout de même pas m’obliger à rabâcher de pareilles évidences ?? Est-ce que je passe mon temps à me féliciter d’avoir une main droite ? J'ai le sentiment si fort d’être une partie de la N.R.F., d’être « de la famille » qu’il ne me vient même pas à l’idée de la considérer en dehors de moi et de dire que je lui suis attaché !..
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (4 octobre 1928) §
Il m’est impossible de comprendre votre répugnance à dire honnêtement d’un fragment qu’il est un fragment et à en donner la référence ! Mettez-vous à la place de l’auteur. Il est très important que le lecteur qui lit et juge les pages extraites d’un livre, sache que c’est un extrait et ne demande pas à ces pages les qualités, la composition d’une nouvelle, formant un tout par elle-même.
D'autre part, pour ce qui est de moi, une des raisons qui me poussent à donner à la N.R.F. ce fragment en novembre, c’est justement de trouver là une occasion de rappeler que La Mort du Père va paraître incessamment, et de répondre ainsi aux lettres que je reçois de divers côtés, et où l’on me dit : « Votre éditeur est un misérable, votre livre devait paraître en août, vous êtes sans doute victime d’une mauvaise volonté inqualifiable, etc... »
Ceci dit, (dans l’espoir de sauver ma note : « Fragment de la 6e partie des Thibault.. etc... ») je suis prêt à chercher à vous donner satisfaction par une phrase d’introduction, qui serait placée au début, en italiques. Je l’avais fait pour ce que j’ai donné à la Rev. De Genève cet automne au printemps. Si je ne l’ai pas fait pour ces pages-ci, c’est que je n’en voyais guère l’utilité. Car, évidemment, il serait fort maladroit de « présenter » le père Thibault, (même en deux lignes), puisque tout l’intérêt de ces « papiers » est justement dans la découverte qu’on fait peu à peu d’un caractère. Il resterait donc à dire, d’une part, que M. Thibault est mort, et d’autre part que l’on fouille dans son bureau. Or cela me semblait très explicitement indiqué par le mot « posthumes ». Mais je n’ergote pas. Vous me proposez de vous servir vous-même. L'idée est bonne. Cela m’aidera à comprendre ce que vous désirez. Soyez donc assez gentil pour faire vous-même un projet de note, au courant de la plume et cela me servira de point de départ, sans risque de malentendus. J'aimerais bien connaître les réactions de l’ami Gaston ?
Bien affectueusement vôtre, cher ami.
RMG
J'ai dit à Gide, qui ne connaît pas ces pages de vous les emprunter s’il en avait l’envie.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (17 octobre 1928) §
Voilà, cher ami, votre premier « Carnet du spectateur » (Notez, en passant que j’ai été de 1909 à 1914, non seulement un abonné du « Spectateur », de Martin-Guelliot – qu’est-il donc devenu ? - mais un fidèle et patient lecteur. Je suis donc enchanté de voir un germe inattendu sortir de cette bizarre, (attachante quoique décevante) petite revue blanche, que l’on n’ouvrait jamais sans surprise – comme un message lunaire- , et qu’on gardait sur ses genoux, en rêvant entre chaque article...-
Comme on se sent aisément intelligent, auprès de vous ! C'est délicieux. (Je le sens mieux encore, maintenant que je vous ai quitté, et qu’il s’agit de vous écrire...) On ne sait trop où vous allez ni même si vous voulez aller quelque part. Mais comment ne pas applaudir à l’inauguration de cette rubrique d’ « attente », et de «patiente observation » !
J'aime surtout votre premier article. (Car il y en a deux, malgré qu’ils se tiennent par de subtils liens.) Mais cela ne veut pas dire que je n’aie pas aimé le second. Le sujet en est passionnant ; et on se laisse emmener par vous avec une sécurité totale. C'est vous que Gide aurait dû convier à le suivre en Afrique ! Vous lui aviez souvent ouvert les yeux. Votre sagacité de jugement est d’une qualité si rare ! Oui, il semble que vous soyez l’être le mieux fait pour parler de l'illusion : vous en parlez du dehors, en spectateur. Nous autres, sur ce sujet-là, on est toujours juge et partie!
Ce qui m’a plu dans votre premier article c’est l’enchevêtrement si savoureux des citations et du dialogue. Un dosage vraiment nouveau. (Je me suis même dit, par moments, que ce serait encore plus épatant si, outre tous les plaisirs que procure déjà votre texte, il s’y ajoutait celui de vous voir mieux différenciés les deux interlocuteurs. Est-ce le romancier qui parle ? On a parfois trop l’impression du dialogue-procédé littéraire : on devine parfois que c’est simplement pour alléger la présentation de l’idée que vous nous la servez en deux tronçons, sur deux plats différents (même reproche s’adressant jadis à Gourmont ))
Mais ce n’est pas ce qui importe. Votre pénétration d’analyse est inégalable. Vous déployez un zèle...proustien à dépister le banal conventionnel – comme dit Gide – pour dévoiler le banal profond, réel.
On a bien, quelquefois (comme on avait avec M. Guelliot si souvent), l’impression que vous pourriez exercer votre acuité de vision sur des sujets d’un autre ordre, un peu moins particuliers, circonscrits, un peu plus foisonnants. Mais si l’on accepte votre choix – et comment ne pas l’accepter – il n’y a qu’à reconnaître que vous allez, dans le sens choisi, aussi avant semble-t-il, qu’on puisse peut aller.
(Dites-donc, Psammeticus... Si Montaigne, au lieu d’écrire « un de ses domestiques » avait écrit « un de ses familiers » ? … Ne pensez-vous pas que le bon roi Henri III eut pu, en pareille occasion, agir exactement comme son confrère d’Egypte ?)
J'aime beaucoup la masse liquide et la masse gazeuze. Comment n’y avait-on pas pensé encore ,
Par exemple, je n’ai pas accepté : « Les moments les plus nobles » - D'après quel code ?
Mais je vous écris à bâtons rompus. C'est que je n’avais rien à vous dire. Ce genre d’analyse me ravit... et me dépasse. Mais je vous suivrai avec joie jusqu’au bout du monde, ou du moins jusqu’au bout de vos investigations imprévues !
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (17 octobre 1928) §
Epreuves reçues ce matin. Je vous les renvoie, ce même jour.
Vous m’aviez demandé une petite note préliminaire : « A la mort de M. Thibault (ici ses titres) on trouva dans son tiroir, etc... » Hum!...
Ce que vous voulez, si je comprends bien, c’est que le public soit nettement prévenu de la mort de ce vieux père Thibault. Alors, le mieux ne serait-il pas de publier son billet de faire-part ?
Voici ce que je vous propose :
Ayant remarqué que je pouvais, sans trop vous donner d’ennui, sans augmenter en rien le nombre de pages que vous m’avez attribué, (simplement en profitant du blanc laissé à la dernière page), récupérer environ 16 lignes de texte supplémentaire, je vous propose de commencer l’article par une quinzaine de lignes nouvelles, que je vous envoie ci-joint.
Elles sont plus ou moins tirées, elles aussi, du livre. Elles situent socialement le père Thibault. Elles insistent bien nettement sur le fait qu’il est mort : « … la main du défunt. » Elles ont l’avantage de présenter ce supplément d’information sous une forme plus pittoresque qu’une simple notice. Enfin, il me semble qu’elles devraient vous donner à tous deux satisfaction.
Au cas où j’aurais mal calculé les lignes et les lettres et où il serait impossible de tricher, je vous propose de sacrifier les 7 dernières lignes de l’article (la carte postale du forçat) et d’arrêter l’article aux mots : ... » n’était pas dans la pochette ».
Mais si l’on pouvait ne rien supprimer, cela vaudrait mieux, car je ne déteste pas cette fin du fragment.
Bien affectueusement vôtre
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (18 novembre 1928) §
Mon cher Gaston. J'ai très bien compris ce que me téléphonais M. Parain, et si j’ai pu lui paraître en effet assez indigné, ce n’était pas de ce qu’i me disait mais de l’absurdité des bibliophiles. Car, outre les plaquettes de la Rev. Hebdom. et les plaquettes belges d’un même texte, je n’arrive pas à comprendre qu’il y ait une différence. Mais nous sommes l’un et l’autre déjà bien convaincus de la stupidité de ces distinctions bibliophiliques. Passons. Et merci de ton chèque de 2.000 frs, - bien que, si j’avais très fort eu besoin de cette avance, je te l’aurais avoué nettement.
Pour ce qui est de cette sacrée publication en revue, je suis d’avance d’accord avec toi. Je n’aurai pas à défendre un mode de publication que j’ai toujours combattu. Mais peut-être cela n’a-t-il pas tant de fâcheuse importance que tu crois. Cela m’a valu quantités de lettres, notamment de lecteurs inconnus, qui se réjouisses de voir ainsi que l’oeuvre continue, et que je vis toujours. C'est tout ce que je désirais prouver pas ces trois publications.
Je sais ce que je ferai à l’avenir. Quand je pense – avec stupeur ) qu’on m’offre 15.000 frs, payables aujourd’hui, si je consens à donner l’Appareillage en revue (nous voilà loin des 20 francs par page qu’octroie notre brave petite N.R.F...!) avant de publier le volume, je me demande si l’inconvénient indéniable de ces publications en revue n’est pas malgré tout compensé par le gain qu’elles procurent. C'est une question de poids et mesures.
Si le Cahier gris et le Pénitencier avaient paru en revue et m’avaient rapporté 30.000 francs d’emblée, en plus, qui s’en souviendrait aujourd’hui ? Et quel beau voyage on peut faire avec 30.000 balles... (Demande à Christiane ce qu’elle en pense!)
Nous reparlerons de tout cela. Je viendrai à Paris avant la fin décembre pour y passer trois mois. Et j’apporterai enfin La Mort du Père qui est un livre...illisible, de 280 pages.
Bien affectueusement merci pour ton offre des futures mensualités !
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (17 février 1929) §
Ne reviendriez-vous pas – mais cette fois en petit comité choisi – prendre une tasse de thé avec nous le dimanche prochain 24 fev. vers 4h 1/2?
Je demande aux Beucler aux Chamson de venir aussi. Et à Schiffrin. Ca vous va-t-il ?
Je n’ai pas l’adresse de Madame Sasca, et je m’excuse grandement de cette invitation indirecte . Mais voulez-vous lui dire que ma femme et moi serions très heureux si elle voulait bien venir aussi, tout simplement ? Et lui présenter mes sympathiques hommages ?
Merci, cher ami, de m’avoir fait lire l’article de Crémieux. J'ai été surpris de n’ point trouver une antipathie pour Les Thibault, que je croyais instinctive en Benjamin Crémieux, et dont je souhaitais la mise au grand jour, pour y trouver matière à méditation et profit personne. C'est pourquoi j’avais un peu « provoqué » cet article par la dédicace de mon dernier livre. Je n’y trouve pas trace d’antipathie, et beaucoup de clairvoyance. J'accepte, à très peu près, tout ce qu’il dit, comme foncièrement exact. Et j’ai plaisir à être examiné, avec ce sérieux, par un oeil exercé. Je lui écris, d’ailleurs. Et je lui demande seulement de supprimer les M. Martin du Gard, et de m’appeler Roger... Vous savez que je suis un peu chatouilleux sur la perpétuelle confusion avec Maurice...
Je vous renvoie l’article en vitesse pour qu’il vous trouve encore à Paris. Bon midi, bons bains, bon travail – Et bien vôtre, en hâte
Je désire que vous appreniez autrement que par la rumeur, le prochain mariage de ma fille avec Marcel de Coppet, gouverneur du Tchad. C'est mon ami depuis vingt-cinq ans, et je suis à peu près sûr que ma fille sera heureuse. Mais le Tchad est loin !
Bien vôtre, en hâte.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (26 janvier 1930) §
Je suis reparti de Paris sans avoir pu mettre à exécution le projet d’aller vous voir – projet auquel je tenais encore davantage après notre inattendu et brutal télescopage sur le trottoir du [Vaucau?]. Ce sera pour le prochain voyage. Je vous aurais dit tout le bien que je pense de la N.R.F. d’automne. Je l’ai dit à Gaston, un soir, entre poire et fromage, mais il ne vous l’a sans doute pas communiqué.
Ceci est d’ailleurs, un peu, comme disent les médecins, pour vaseliner l’orifice... j’a i en effet une requête à introduire :
Je voudrais bien que vous fassiez lire à l’un de vos « noteurs » le dernier livre de Madeleine Gautier. « Crise » (Charpentier, nov. 29) Oh, ce n’est pas un chef d’oeuvre. Et si la revue ne parlais que de chefs d’oeuvre, je ne demanderais rien. Mais il me semble que votre critique, depuis les notices « Revue des Livres » élargit passablement son secteur. On attire ainsi l’attention sur bien des livres inférieurs à celui que je vous signale aujourd’hui. Voilà plusieurs années que je soutiens que Madeleine Gautier a des dons, et qu’une intelligente critique la corrigerait de ses défauts. (Elle a, selon moi, des qualités solides, rares, secrètes, et des défauts voyants, mais superficiels.) Il est peu juste de la laisser dans l’ombre, comme on fait, parce qu’elle est malade et fière, vit à Marseille, et ne demande rien.
Comprenez-moi. Je n’insiste nullement pour que la N.R.F. juge ce livre. Mais, si l’occasion s’en présentait, ce serait bien.
A propos des « notices », vous n’avez guère fait de place à L'Ame obscure de Rops ! Cela m’a paru injuste,- et maladroit... Faîtes-vous si grande différence de valeur entre l’Ame obscure et l’Ordre ?? L'Ame obscure est le type de roman de début, un pot-pourri de réminiscences, de confessions et d’épisode inutiles. Mais je crois voir, dessous, d’assez fortes promesses. (C'est vrai que je n’ai aucun sens critique!)
J'aimerais mieux diriger la Conférence Navale que la N.R.F. C'est vous dire si je vous admire ! Mais on est toujours plus poussé aux reproches qu’aux éloges...
Autre reproche que j’oubliais : Pourquoi Alain vous donne-t-il toujours le moins bon de ses Propos du mois ? Est-ce une gageure ?
Mille bonnes amitiés fidèles
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 février 1930) §
Je n’entends pas l’anglais, je n’ai pas la moindre affinité avec les Anglo-Saxons, et j’ai fort peu de goût pour les monuments aux morts (1) – Mais il était si beau, l’animal, si radieusement beau, que je veux tout de même faire quelque chose; Voici cent petits francs, cher ami, - obole à la beauté ) et n’en parlons plus....
Bien amicalement vôtre,
R.M.G
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (8 février 1930) §
Rien, dans mon expérience, dans mes rapports de correspondance avec Rops, ne correspond à ce que vous m’écrivez. Voilà ce que je veux avoir dit. Mais je sais que je suis très jobard, – et tout cela est possible quand même…
(Vous n’imaginez pas comme c’est agréable de ne voir les hommes que de loin ; du haut de la forêt de Bellême…)
Bien fidèlement vôtre,
RMG
Est-ce une ironie, alors que je vous donne si périodiquement la preuve des faiblesses de mon sens critique, de choisir justement un de ces moments-là, pour me demander des « notes » ??
Sachez, entre parenthèse, que mon « œuvre critique » existe ! Il est rare que je lise un livre qui m’émeut, sans que j’écrive à l’auteur, et que lui fasse l’honneur d’être sincère – dussé-je ensuite regretter mes indulgences… Si je gardais copie des lettres ainsi jaillies de moi depuis vingt ans, cela ferait plusieurs volumes ! (Il est regrettable peut-être que je n’en aie pas gardé trace : car, en les relisant, le rouge me viendrait au front et je deviendrais sans doute plus circonspect !)
Je me crois pourtant incorrigible !
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (29 avril 1930) §
Vous déciderez-vous pas à venir cette année à Pontigny, avec Gide, Mme [Ures?], Jean, etc... pour parler de l’enfant, ou primitif et de l’anormal à la décade n°1, (9 août) ??
BELLÊME
TEL. 28 ORNE
29 avril 30
Cher ami,
Je vous écris de mon lit, condamné à l’horizontale par l’Ange Vigilant des Ténèbres... J'ai dans la patte gauche un caillot de goûts nomades et qui ne demande qu’à venir, plus tôt que je ne voulais, mettre fin aux Thibault – (Si j’étais superstitieux n’y aurait-il pas de quoi s’alarmer ? Je viens de m’apercevoir que j’avais oublié (?), justement, à mon dernier volume, le « à suivre » traditionnel !)
Mais je voulais seulement vous remercier du « Guerrier appliqué ». Lecture qui m’a, d’un bout à l’autre, ravi. Jamais je n’ai été si sensible au charme de ce génie... biscornu, qui tire à lui toutes choses ordinaires par des pans que nous ne leur connaissions pas... Votre guerre, elle ressemble évidemment à la guerre, et d’une façon aigüe. Mais exactement comme la vignette de la couverture, avec son poilu filiforme et unique dans un chaos subtilement choisi, peut ressembler à ce que nous avons tous si souvent vu : un soldat dans une tranchée de village... Ce n’est pas un prodige de transposition, mais de choix. Vous entassez silencieusement en marge de votre vie publique, avec une sureté de malin, ces petits chefs d’oeuvre incorruptibles qui seront là, quand tant d’oeuvres d’apparence plus charnue seront liquéfiées... Vous jouez sur le bon tableau. Mais combien le pourraient ?
Mes plus sympathiques hommages, je vous prie, pour Madame Paulhan, et toute mon amitié fidèle
Roger Martin du Gard
P.S-
Vous pensez si je regrette amèrement de vous avoir signalé le livre de M. Gautier : Crise - ! Je ne demandais pas l’aumône. Quel est ce J.G. ? Je suis honteux pour la NRF de cette muflerie gratuite- Mais croyez bien que je ne vous en rends nullement responsable, vous, Paulhan.
Cependant, puisque l’occasion s’offre, puis-je dire que, si le corps de la revue se maintient très riche, la partie notes, Critique de livre et surtout de romans (spécialement depuis cette innovation dangereuse de notules bâclées) s’affaiblit, me semble-t-il, de numéro en numéro – Et c’est fâcheux. La NRF renoncerait là, selon moi, à l’une de ses plus importantes missions et à l’une de ses plus estimables traditions ! Je ne crois pas être seul à l’avoir remarqué.
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (17 mai 1930) §
Lettre de solliciteur. Je voudrais que vous receviez le jeune Bernard Maupoil qui n’est pas n’importe qui, vous le verrez tout de suite. Un jeune, et un gauche. Très sympathique.
Il a traité avec Mr E. Marsh pour traduire en français la Vie de R. Brooke.
Il allait porter ça à Emile Paul; Je crois que cela doit, pour mille raisons, et notamment le retentissement en Angleterre, paraître à la N.R.F. C'est court ; mais ça demande à être bien présenté. (Une fois ne serait pas coutume...)
Le rôle que vous avez joué dans la collecte pour le monument Brooke m’ont paru vous désigner pour accueillir au moins...la visite de ce jeune homme.
Soyez donc assez gentil pour ne pas lui faire trop longtemps antichambre et voir avec lui comment il peut tirer parti de cette traduction.
Je voudrais même que vous poussiez la gentillesse jusqu’à mener Maupoil chez Gaston, - que, sans votre aide, il n’arrivera jamais à atteindre ni à gagner. Gaston refusera peut-être, mais je voudrais qu’il ait entendu Maupoil.
Ne m’envoyez pas à tous les diables. Je demande rarement... Et pour cette petite fois, je vous offre d’avance une reconnaissance presque disproportionnée...
Bien affectueusement,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (17 juillet 1930) §
Vous vous vengez cruellement en me mettant ainsi dans la situation d’un qui s’offre aux enchères...
Vous ne connaissez pas cette nouvelle. On n’achète pas les chats en sac !
Je l’ai envoyé à Gaston. Il vous la passera. Quand vous l’aurez lue, si vous la désirez pour la revue, vous me ferez votre offre. Mais, d’ici là, je ne veux pas faire marché avec vous... Prenez d’abord l’article en mains !
Vous regretteriez peut-être beaucoup votre imprudence d’aujourd’hui. Mais je n’y vois qu’une preuve flatteuse d’amitié, et je ne retiens pas le chiffre. Vous ferez votre prix en connaissance de cause.
Bien amicalement vôtre
RmG
Allo ! En tout cas, je ne puis la publier en revue avant janvier prochain, à cause du Sans Pareil qui en fait d’abord une plaquette prime, non mise en vente, pour quelques collectionneurs abonnés aux Plaisirs de Bibliophile et à qui j’ai imposé ce délai : fin décembre.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 septembre 1930) §
Je voudrais ravoir mon manuscrit de « Confidence africaine ». Puisque cela ne peut paraître qu’en janvier à la N.R.F., vous n’en avez pas besoin avant décembre. Et je n’en ai plus un seul exemplaire à ma disposition. Je voudrais le ravoir d’ici-là. Avec-vous à la NRF quelqu’un qui puisse le retrouver et me le renvoyer provisoirement ?
Excusez ce griffonnage. Un fâcheux lumbago me tient encore une fois au lit.
Bon soleil, bon repos, bon travail. Merci d’avance, et bien affectueusement à vous. Mon très sympathique hommage à Madame Paulhan.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (9 octobre 1930) §
J'ai bien reçu votre envoi. Merci pour mon manuscrit. Et merci aussi de m’avoir permis de lire celui de l’inconnu. J'y ai pris un plaisir extrême et n’ai rien fait d’autre à partir du moment où j’ai commencé cette lecture : mon après-midi y a passé. C'est une oeuvre prenante et fraîche, souriante comme ruisselet au soleil, juste acide comme il faut, et qui me laisse un souvenir étrangement précis. Je la renvoie, anonymement,à Henri Pourrat, comme m’y invitait votre étiquette.
Je n’ai encore mis le nez dans le Vallès. Mais j’en attends tout ce que vous supposez. Vallès a été pour moi une importante découverte, vers la 20eme annéeX.
« Malaisie » m’a beaucoup frappé. Contrairement à mes habitudes, je l’ai lu morcelé depuis le n° de juillet, parce que je l’avais commencé et que je m’y étais laissé prendre très fortement. Félicitations ; voilà une excellente découverte.
J'ai pris grand intérêt aussi à l’article de Fernandez sur la Révolution. Il a su se mettre hors et au-dessus d’un sujet brûlant d’actualité ; ce qui est si difficile, si rare.
Moins emballé par Luguè Poè... J'ai bien aimé les souvenirs de Lacretelle sur France. Il y a en Lacretelle un souci du mesuré et de l’équitable, qui toujours me touche.
J'ai horreur de vos notules ! Horreur !! Ce clan des parents pauvres est injurieux au possible ; et le devoir d’une revue vis-à-vis des jeunes est, à mon sens, tout autre. Cette innovation vous fait commettre cent injustices ; et ça décale toute votre influence en critique car vous consacrez de grandes notes à des livres d’amis, quelquefois insignifiants, souvent de bien moins grand mérite que ceux qu’on exécute dédaigneusement en notules. Grief personnel : on y a très injustement saboté le livre de Chauveau. Mieux valait n’en pas parler du tout ! Ceci dit, pour vous montrer que je reste l’ami bourru que vous savez, je vous redis tous mes sentiments fidèles et affectueux et vous prie d’offrir mes hommages à Mme Paulhan. Vous me réservez toujours une place dans le n° de février, n’est-ce pas ?...
R.M.G
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (7 novembre 1930) §
Je ne cesse de penser à l’article de Jean. J'ai essayé de le joindre par téléphone ; en vain. J'aurais aimé être bien certain qu’il se rend compte de toute l’importance de son geste. En ce moment, après les polémiques de l’Oeuvre, les enquêtes et réponses franco-allemandes des Nouv. Littéraires (Bauer – Remarque – Thomas et Heinrich Mann) un article sur les relations franco-allemandes et sur la révision des traités – car enfin, c’est bien de cela qu’il s’agit – va avoir en Allemagne un retentissement considérable, venant de la N.R.F. Retentissement qui dépassera sans doute les milieux intellectuels. Jean sera considéré comme le porte-parole du groupe de la N.R.F. et davantage encore : comme représentant des intellectuels français. Il va jouer là-bas le rôle que jouent pour nous, français, les frères Mann.
Notez que j’en suis ravi. Ravi que quelqu’un d’entre nous prenne courageusement la parole. Mais cette chronique, qui risque de faire là-bas figure de manifeste intellectuel français, doit être impeccable, pesée en tous ses termes, purgée de toute possibilité de malentendus. On ne saurait trop la passer au crible. J'aimerais que Jean consente à la faire lire aux uns et aux autres et profite des suggestions qui pourraient lui être faites. Encore une fois, elle nous engage tous. C'est un geste très heureux, mais assez gros de conséquences, me semble-t-il. Je voudrais être sûr que notre modeste Jean s’en rende compte : et qu’il porte en notre nom à tous, un coup magistral. (Je suppose que vous le verrez à la réunion de la NRF et que vous pourrez éveiller son attention.) Bien vôtre.
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 novembre 1930) §
Je suis bien confus de la peine que vous prenez pour me convaincre. Hé, bien sûr, - le principe de la notule étant admis – celles que vous me communiquez sont parfaites. Mais je persiste à croire que le principe est une constante occasion de malentendus, de vexations, et, tout compte fait, une assez importante erreur. (Sans quoi je n’aurais pas l’impudeur de vous opposer tant d’entêtement....) Dire que tout ça n’est qu’une question de typographie et que, si vous adoptiez pour notes et notules un même caractère typographique, d’un oeil plus petit que celui des notes et plus gros que celui des notules, sans faire de distinction désobligeante entre ces deux formes de critique, en confondant dans la même portion critique les longues et les courtes « notes », - vous auriez paré à tout, et éviteriez tant de froissements inutiles ! (Je ne parle naturellement que des froissements involontaires.) Et des froissements inutiles, j’en connais déjà un grand nombre...
Puisque nous causons, jetez donc un oeil sur un article de Dalsème, dans Notre Temps (du 26 octobre) sur la traduction de Sarn par Lacretelle. Il y a là une amorce d’une discussion passionnante sur cette question si confuse de la traduction. Ce problème m’intéresse de longue date. Je ne sais aucune langue qui me permette de lire un auteur dans son texte. Or je remarque que toute la question est là. Ceux qui savent l’anglais et peuvent lire Sarn dans le texte, seront tous avec Dalsème ; ce qu’ils demandent à une traduction, c’est de leur donner ce plaisir de dépaysement qu’ils ont la paresse de se procurer tout seuls en lisant le livre en anglais – Ceux qui ne savent pas l’anglais, ont, devant une traduction très littérale et considérée comme « savoureuse » par les précédents, l’impression d’un désagréable et inutile charabia ; et ils seront tous avec Lacretelle. Comme moi-même. J'en suis arrivé à cette certitude que, pour faire une bonne traduction (selon mon goût) il faut obligatoirement être deux : l’un qui sache la langue étrangère et fabrique un charabia littéralement correct ; l’autre qui sache manier notre langue et qui donne un forme très française et heureuse au charabia de son collaborateur. Car j’incline à croire qu’une traduction s’adresse à ceux qui ne savent pas la langue étrangère, avant de s’adresser à ceux qui pourraient lire l’original... Une discussion sur ce sujet dans la N.R.F. déclencherait immédiatement une intervention de Gide, qui a, sur ce sujet, des richesses de méditation non encore explorées...
Merci pour Wolfenstein. J'attends donc qu’il ait choisi. Je vous aime bien,
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (11 décembre 1930) §
Je vous signale l’annonce suivante que nous recevons pour le prochain numéro de la N.R.F du SANS PAREIL :
Un inédit de Roger Martin du Gard
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CONFIDENCE AFRICAINE
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C'est un volume in- 16 raisin imprimé par Couloume d’Argenteuil, avec le nouveau caractère Europe en corps I2 demi-gras Tirage en deux couleurs sur vergé chamois, limité aux souscripteurs, qui doivent être abonnés à PLAISIR DE BIBLIOPHILE, Gazette trimestrielle des Amateurs de Livres modernes, paraissant en fascicules de 64 pages illustrés, et dont l’année constitue un volume de 256 pages, véritable tableau de la vie du Livre de notre temps.
Le, 11 décembre 1930
L.D.HIRSCH
que ça ne paraisse pas là avant d’être sorti de la revueXI
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (14 décembre 1930) §
Vous retrouverez sans doute à la N.R.F. (entre le 5/26 juillet) mes lettres relatives à cette maudite [« Confed-afrie. »?] -
Je ne vous ai rien caché.
Je n’ai même fait, moi, aucune proposition ni démarche.
C'est Gaston, qui, lorsque je l’ai prévenu, incidemment et par courtoisie, que 'javais donné une nouvelle au « Sans Pareil », à Martin Chauffier pour sa collection hors-commerce, et que ce dernier me proposait de faire ensuite une édition de luxe, - c’est Gaston qui m’a aussitôt écrit pour me demander instamment de réserver l’édition de luxe à la N.R.F. Puis, c’est vous, qui m’avez écrit pour me demander la nouvelle pour la revue – (Lettres du 10, 13, 22 juillet).
Dans ma réponse à votre lettre du 13, je spécifiais très clairement la priorité du « Sans Pareil », et vous disais que je ne pouvais rien faire paraître dans votre revue avant janvier puisque Hils nous avait demandé comme délai, fin Décembre.
(Entre parenthèses, si vous aviez fait paraître cette nouvelle dans votre numéro de janvier (comme vous en aviez le droit vis-à)vis de moi, et moi vis-à-vis d’Hilsum), vous eussiez vraisemblablement été bon premier. Car je n’ai encore corrigé que les 2/3 des épreuves du « Sans Pareil » ; et je doute fort qu’ Hilsum puisse réellement avoir publié sa plaquette ce mois-ci. Dans ce cas, Hilsum n’eût rien eu à dire, puisque c’est lui qui eût manqué à son contrat.)
Mais, cher ami, la question n’est pas là, et si cette publication ne vous semble plus désirable pour la revue, i est simple d’y renoncer. Je ne ferai pas état de l’engagement pris par vous le 22 juillet, et ne vous poursuivrai pas devant la justice de notre pays...
Bien affectueusement vôtre,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (20 décembre 1930) §
Enchanté, cher ami, et même très soulagé, que les choses s’arrangent à votre satisfaction.
Ma dernière lettre était au carbone. Un moyen que j’ai de garder copie de ce que j’écris. Ma mémoire est plus que défectueuse. Si vous gardiez copie de vos lettres, cher ami, vous ne paraîtriez pas surpris, cher ami, de certaines éventualités et obligations, cher ami, dont vous aviez été très explicitement averti quelques mois plus tôt, et au sujet desquelles, cher ami, vous aviez très explicitement aussi, répondu...
Ne soyez pas par trop injuste pour Europe. L'article de Thomas Mann, celui de Guéhenno, celui de [Surtain?], celui de Vildrac, contenaient de bonnes choses, utiles à répéter. Chacun sa manière. J'ajouterai, pour être juste, que l’article de Jean, imprimé en tête du numéro, et relu attentivement, m’a fait la meilleure impression, et je suis sûr qu’il a porté. J'ai beaucoup aimé le Supervielle, et le début du Muselli ; beaucoup aussi le Proust d’Abraham ; et pris grand intérêt au Thibaudet, non moins qu’au Drieu, bien qu’il aille un peu fort...
Happy Christmas ! Je farcis tous les interlignes de voeux affectueux, pour vous, pour la N.R.F, pour tout ce qui vous est cher.
Vôtre. A bientôt,
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (6 janvier 1931) §
Roger MARTIN du Gard s’excuse de ne pas vous répondre. -
A la suite d’un accident d’auto, qui aurait pu être grave mais ne laissera vraisemblablement aucune trace, il est immobilisé pour six semaines dans une clinique chirurgicale du MANSXIII.
17 janvier 31
Merci, cher, pour tant d’affectueuse sollicitude. Ma femme a eu hier une mauvaise journée, depression nerveuse, le cœur a faibli, piqûre d’huile camphré. Aujourd’hui, un grand mieux. Aurons-nous encore de ces alertes ? On nous affirme que nous sommes en bonne voie. Et ce doit être vrai.
Mais les nerfs encore bien ébranlés, même après 15 jours, c’est incroyable. Je n’ai jamais tant pleuré depuis ma petite enfance ! Delicieux apaisement des larmes. On devrait se garder cette soupape et s’en servir davantage…
De tout cœur, a vous
R.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (22 janvier 1931) §
Merci à tous, cher ami, merci à Benjamin Crémieux, et merci à vous. (Je crois avoir trouvé « Micaele »… dans le Gd Larousse, aux prénoms italiens) a pour Michele. Comment hesiter entre Larousse et Crémieux ?
Grand mieux dans l’état de ma femme, depuis quelques jours.
Pour moi, je savoure le confort des momies, dans leurs bandelettes. Au point de redouter le moment où l’on voudra faire faire de sauvages exercices à mon genou, gros et vert comme un melon d’Espagne…
Soignez-vous avec vigilance, et ne semez pas trop de virus autour de vous. J'aimerai savoir que vous êtes remis et hors d’état de nuire.
Mes hommages à madame Paulhan, cher ami, et toutes mes pensées fidèles
R.MG.
Tirages à part, non pas aux frais de la NRF, en voilà une idee. Aux miens. J'y tiens essentiellement. Et grand merci.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (5 février 1931) §
Je commence par vous annoncer qu’après ces 30 jours de plâtre, une phlebite intempestive me condamne à 25 ou 30 autres jours d’immobilité. Plaignez-moi !
J'ai reçu de vagues offres « miroitantes » pour publication en revues allemandes et anglaises de notre « Confidence ». Sans y ajouter plus de crédit qu’il ne faut, je voudrais tout de même que la N.R.F. me rende le service d’adresser 3 numéros
à l’Agence Littéraire Internationale
4 place du Panthéon.
Cela n’engage à rien.
Bien entendu, numeros et envoi aux frais du compte m. du Gard.
Un peu fatigué pour quelques jours de fièvre, je vous quitte, bien affectueusement.
R M G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (16 février 1931) §
Cher ami, merci de votre mot affectueux. Je suis obligé de m’interdire les visites. Cet alitement interminable a fait de moi une espèce de papier tournesol… Pour peu que ma belle-sœur (qui est à qqs. kilomètres du Mans) s’attarde plus de quelques minutes dans ma chambre, ou que, le dimanche, de quinzaine en quinzaine, mon frère vienne me voir, aussitôt le thermomètre franchit le 38, et la pauvre jambe enfle dans sa gouttière, et le médecin me menace d’une nouvelle prolongation d’immobilité ! Alors…
Bravo pour les sages déterminations relatives aux maudites « notules » ! Je vous serre les mains, bien affectueusement.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (10 mars 1931) §
Paillart m’a envoyé les 25 tirages à part que je lui avais commandés par votre entremise. Ils sont présentés le mieux du monde, et j’ai enfin, de cette petite chose, une édition nette et sans prétention, qui me satisfait tout autrement que les semi-luxe qui la montent en épingle. Merci. Point de facture dans le paquet. Je pense que Paillart se fera payer à la N.R.F., sur mon compte, comme il a été convenu. Si maintenant votre caisse, épargnée par Oustrie, pouvait m’envoyer un peu d’argent, je serais tout à fait heureux… (Voici deux mois et demi que nous vivons, deux, dans cette clinique, et vous pouvez deviner qu’avec les soins médicaux, c’est un trimestre… catastrophique!)
Mais enfin je sais qu’il y en hélas de plus intéressants que nous. Et si ce n’est pas possible pour le moment, je m’arrangerai.
Encore un bon numéro, celui de mars. J'ai sauté le Maurois, pour le lire dans sa totalité, plus tard. Mais il y a dans le Jouhandeau, à plusieurs endroits, ce que je préfère dans ses qualités. J'avoue que j’ai beaucoup de goût pour le « Cyclone à la Jamaïque » ; la première partie, notamment, était frappante. Le Fernandez m’a fait réfléchir profitablement, comme toujours quand il parle concret ; je pense tellement, comme lui, qu’il doit y avoir, dans tout bon roman, un « appeal » particulier, un « tirage », un fort courant d’air qui aspire l’intérêt et tienne le lecteur en haleine ; toutes les autres qualités doivent se greffer ensuite sur ce ton primordial : il n’y a que de relire les grands chefs de file, Tolstoï, Eliot, Hardy, Dostoïevski, pour en être convaincu.
J'ai pris aussi beaucoup de plaisir à la note de Gab. Marcel sur le [Barnig?], (quoique je ne l’aie pas encore lu). Et à la mode de Schloeger.
Et j’ai fini par découvrir, en caractères lilliputiens, au bas d’une page, quatre lignes et quart du plus pur Paulhan, une cinquantaine de mots choisis et tous pesés à la plus exacte balance, où les initiés perspicaces peuvent apercevoir une importante promesse de réforme et toute une révolution de palais… Mais il est bien impossible d’empêcher les gens d’esprit d’en faire au dépens d’autrui ; témoin la pointe, excellent d’ailleurs, et méritée sans doute qui termine si plaisamment la note sur St Augustin !
Le bulletin de santé du Mans est, malgré tout, meilleur. Dès que je vais être transportable, je vais filer dans le Sud. (J'avais même, un moment, songé à demander hospitalité à Port-Cros… Mais mon frère met à ma disposition un minuscule petit mas qu’il a en Languedoc, trois pièces à l’extrémité d’un village de 15 masures, sur une crête inaccessible battue de mistral, un véritable refuge d’isolement, de silence, de soleil. Et rien ne peut être meilleur pour nos nerfs, encore assez éprouvés. Sans compter qu’on a, des trois fenêtres, vue sur le plus paisible des panoramas que domine le Ventoux.)
Voilà, cher ami, les dernières nouvelles. Je vous serre les mains, bien affectueusement, et vous prie d’offrir mes hommages à Madame Paulhan.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (19 mars 1931) §
J'apprends votre deuil avec une emotion qui me fait mieux encore sentir que je vous suis très attaché. Je sais combien cruelles, ces séparations ! Quelque chose d’intime, de nécessaire, se décroche, quand on perd ses parents. N'être plus « le petit » de quelqu’un… Le rideau tombe sur un passé mort.
Les mots sont de pauvres messagers. Mais si ma sympathie vous était de quelque douceur dans votre peine, mon cher ami, dîtes-vous bien qu’elle est profonde, qu’elle vient du cœur et cherche le vôtre, avec une grande compassion !
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (4 septembre 1931) §
Simple souvenir de « cure ». Parce que je viens de terminer la revue de septembre. Je ne suis pas prêt d’oublier les belles leçons que donne votre père. Je m’en suis copié quelques unes, pour mon breviaire. Quelle allure, quelle dignité dans l’indulgence, quel juste équilibre, et combien français, dans le scepticisme, la sagacité, la conscience des valeurs vraies ; et quel beau sourire devait illuminer ce grand mépris tolérant !
Tout le numéro d’ailleurs est excellent. La fin de Jean est pleine de beautés mûries. Le Mirsky est très étonnant ; je revois son visage de mongol concupiscent… L'article sur Valery, tapé ! Prenez en paix de bonnes vacances, assoupissez-vous sur le mol oreiller d’une conscience fière de soi !
Mes hommages à votre femme et bien votre ami.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (29 octobre 1931) §
Je ne vous ai vu ni avant-hier ni hier. Mais ce n’est pas etonnant, j’ai vécu très caché ces deux soirées troublantes. Le succès de la générale a été assez marqué, n’est-ce pas ? Un de ceux qui m’ont le plus intelligemment parlé de mon ours, c’est – cela ne vous surprendra pas – l’etonnant et toujours inattendu Fernandez. C'est à lui que vous devriez confier la critique pour la revue, s’il accepte…
En hâte, fidèlement et à très bientôt.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (31 octobre 1931) §
Cher ami. Je vous demande pardon d’insister. Il me serait très désagréable que l’article fût de beau. Je m’en expliquerai avec lui et suis sûr de ne pas le blesser le moins du monde. Pour cent raisons que vous comprendrez, c’est une gaffe à éviter. Plutôt pas d’article que cela.
Faîtes telephoner à Jean, je vous en prie, qu’il ne se mette pas à la tâche. Je vais lui écrire pour lui dire que c’est moi qui le… récuse.
D'ailleurs, est-ce nécessaire qu’il y ait un article ?
N'importe qui, mais pas Jean – ni Gide. Voilà. Comment n’y avez-vous pas pensé, cher ami subtil et perspicace ?!
En hâte, vôtre, et à bientôt, puisque je ne vous verrai pas demain.
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (5 novembre 1931) §
Vous êtes gentil. Merci. Jean semblait d’ailleurs, au telephone, me donner raison sans aucune arrière-pensée.
J'ai quelques amis dimanche prochain. Les Sartiaux. Les Maury. Les Romains, ont accepté. Si vous veniez vous joindre à eux tous deux, vous nous feriez plaisir, grand plaisir. Mais je n’insiste pas : j’ai toujours horreur qu’on insiste..
Vôtre.
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (1er décembre 1931) §
Jean Tardieu, dont vous avez jadis publié deux poèmes, m’apporte cette petite note qu’il a écrite à propos du livre de Marchon, « Les démons de l’aube ». Je vous avoue, d’emblée, que je n’ai pas encore lu ce livre ; mais je le lirai, car j’ai de l’estime pour l’œuvre et pour l’homme. D'ailleurs le sujet des « Démons de l’aube » m’attire tout naturellement.
Je n’ai pas vu de notes dans la NRF sur ce bouquin. Qui l’« exécutera », en trois lignes spirituelles et acides, dans vos chères Notules ? Si le verdict n’est pas encore prononcé ni l’exécution prévue, jetez un œil de bonne volonté sur la note de Tardieu, à tout hasard… Je n’insiste pas. Mais cela ferait plaisir à Marchon, je pense ; à Tardieu, j’en suis sûr ; et, par ricochet, à M. du G…
J'ai vu quelques nouveaux poèmes de Tardieu. Bien que fort jobard en ces matières, il me semble que certaines de ces pages ont mieux que du talent. Mais le type est affecté d’une morbide modestie, qui le destine, en ces temps impitoyables aux faibles, à n’être jamais qu’une épave. Je l’aime très fort, et m’en désole.
Bien affectueust
Roger Martin du Gard
J'ai fait reserver 2 places pour mercredi à Mme Rueff-Marchesseau. Mais, au théâtre, on me fait la grimace !
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 décembre 1931) §
S'il me prenait l’idée d’offrir le Taciturne à la Revue de Paris, et… si elle le prenait, - m’en voudriez-vous ?
L'avantage, pour moi, de la R. de P. c’est qu’elle est bi. hebdomadaire mensuelle. Cela ne laisse pas tout un mois d’entracte. Si la pièce commençait à paraître le 15 janvier, elle serait parue en entier le 1er mars et pourrait être mise en librairie dans trois mois.
Et puis vraiment, j’ai le sentiment que vos abonnés connaissent tous la pièce, que ce sont eux, les Parisiens tout au moins, qui garnissent es salles depuis un mois…
R.S.V.P. Et bien affectueusement vôtre
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (12 février 1932) §
Je vous envoie trois pages écrites par Mme Yourcenar dans la Revue bleue de novembre. Méditation autour de Michel Ange.
Je suis avec attention l’oeuvre de cette dame inconnue, depuis son livre Alexis, paru au Sans pareil, et que je considère comme très remarquable. Même dans sa Nouvelle Eurydice il n’y avait rien de médiocre, quoique le livre ne fût pas réussi. (Je crois qu’elle a manqué le but pour avoir visé haut, ce qui n’est pas pour déplaire.)
Cette méditation autour de la Sixtine me paraît d’une richesse d’émotion et de pensée très personnelle. Il me semble bien regrettable que des pages de cette qualité-là n’aient trouvé place que dans cette nécropole de Revue bleue. Si j’étais directeur de revue, je ferais un geste pour attirer vers moi l’auteur de ce poème. Suggestion...
Je ne connais Mme Yourcenar que pour avoir échangé avec elle deux ou trois courtes lettres. Mais chacune des siennes contenait quelque chose de rare et de pur, sous une forme brève, réticente, et d’une extrême réserve. Tout ça est fort sympathique. Avis.
Je vous serre les mains, très affectueusement,
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (18 février 1932) §
C'est une habitude des écrivains assez émouvante que de signer au petit bonheur toutes les pétitions qu’on leur présent. Leur signature a si peu de poids qu’ils auraient tort d’hésiter. (Il est possible d’ailleurs qu’elle ait peu de poids justement à cause de cette facilité, mais peu importe.) J'ai donc fort bien compris _ et je dirais presque approuvé_ que l’on signât la pétition pour Aragon. Elle offrait pourtant quelques inconvénients.
Elle suivait un manifeste contradictoire et lâche. Si la poésie, comme les surréalistes l’ont toujours prétendu, est un danger redoutable pour la société, l’on est mal venu, le jour où la société esquisse un geste (timide) de défense, à se retrancher derrière l’art pour l’art, et à prétendre que « c’est de la rafale, ce n’est pas sérieux ». L'on est plus mal venu encore à s’adresser pour la défense de cette thèse (et d’Aragon du même coup) à Clément Vautel, à la Fouchardière (qui n’ont pas manqué de répondre à l’appel) et au reste des écrivains bourgeois.
Enfin, si, pour moi, je n’ai pas signé, c’est par un reste d’estime pour Aragon.
Mais me direz-vous, il ne s’agissait que de rire et d’amener ces écrivains bourgeois à se rendre un peu ridicules. _ Eh, je sais bien que telle était l’intention des surréalistes, au surplus ne s’en cachent-ils guère mais, à vrai dire, l’intention la meilleure (si tant est que ce soit le cas) me paraît ici gâtée par l’incohérence de l’appel. Il est trop facile de rendre autrui ridicule si l’on commence par accepter d’être soi-même grotesque. Les surréalistes l’étaient doublement. Tout le monde sait à Paris que le simulacre de poursuite n’était qu’un prétexte à la saisie de Littérature de la Révolution Mondiale et qu’Aragon ne sera pas véritablement poursuivi ; que s’il est poursuivi, il ne sera pas condamné ; que s’il est condamné, il ne sera pas arrêté et qu’enfin l’appel à l’opinion n’a d’autre but que de le réhabiliter auprès des Soviets. Ce manifeste contradictoire n’était guère qu’une petite manoeuvre opportuniste _ Mais c’était la pétition que l’on signait, non le manifeste. _ C'est très vrai et je ne vois pas qu’il n’y ait, je vous l’ai dit, aucune forte raison pour un écrivain de ne pas signer la pétition (étant donné par ailleurs qu’un écrivain signe n’importe quoi, sans que sa responsabilité y soit jamais engagée). Je demandais à Jouhandeau pourquoi il avait donné son nom. Il m’a répondu : « Je ne peux pas voir fesser un enfant qui pleure. » J'aurais pu lui dire que personne ne fessait Aragon.Il aurait eu bien raison de me répliquer qu’il n’était pas maître de ses sentiments, fondés ou non.
Il n’y avait eu en tout cela, il me semble, qu’un seul parti purement absurde à prendre : c’était de rédiger un autre manifeste _ de reprendre à notre compte la contradiction et le ridicule de la pétition surréaliste _ enfin d’aider, par des raisons à nous, à la réussite de la petite manoeuvre dont il s’agit. Je crois que c’est le parti que Gide, hier, se disposait à prendre. J'ai tâché de l’en détourner. Il me dit_et me charge de vous dire _ que j’y suis presque parvenu; Mais c’est votre sentiment que je voudrais connaître.
Je suis à vous très affectueusement.
Si un écrivain peut être inquiété pour ses écrits, c’est une toute autre question que j’aimerais réserver pour une occasion plus sérieuse. (Bien entendu, la réponse variera suivant qu’il s’agit d’Anquetil, d’Oscar Méténier, d’Edouard Dujardin ou de Baudelaire). Puis-je vous dire tout mon sentiment ? Je signerais volontiers une pétition qui réclamerais pour l’écrivain toutes les responsabilités et tous les droits _ jusqu’à celui d’aller en prison. (C'est ainsi que l’entendait Vallès, Zola et quelques autres).
J.P.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 février 1932) §
Hé, parbleu, cher ami, vos arguments, vos objections, sont irrésistibles. Il est tellement évident que vous avez raison d’un bout à l’autre ! Et que je suis un jobard impénitent !
N'en parlons plus. J'ai recalotté mon stylo, et les surréalistes se heurteront à ma continence hermétique !
–
Je vous expliquerai un jour quel est mon cas. Le pauvre, le lamentable cas, d’un brave type qui voudrait que tout ne marche pas si mal dans le monde… Qui se reproche périodiquement, à grand feu de refoulements et de remords, sa tour d’ivoire, son égoïste abstention de montreur de marionnettes… Et qui, chaque fois qu’on lui tend une occasion de calculer par quelque geste agissant des scrupules, saute dessus avec des yeux ronds, comme la grenouille sur le chiffon rouge…
C'est aussi bête que ça.
Mais ne le dîtes pas…
Je vous serre les mains
RMG
Je pourrais faire encore mille fois plus de gaffes que j’en fais. Heureusement ce qu’un reste de bon sens me pousse en général, au dernier moment, à consulter ceux que mon flair me désignent être comme je voudrais être moi-même : à la fois généreux et clairvoyants. Ils m’ont bien souvent déjà repéché…
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (10 mars 1932) §
Merci. Rien ne peut m’être plus utile que de m’entendre dire ces choses-là, en ce moment, et par des hommes comme vous. Je sais, pardieu, bien que c’est un rare privilège de pouvoir penser « librement ». Mais il y a des jours, des saisons, où l’esprit, embouteillé, s’abîme dans tout cet inextricable ; et où l’on souhaite lâchement d’être canalisé dans sa marche ; de trouver quelque part le poteau « sens unique », qui supprimerait la douloureuse, l’angoissante hésitation…
Bravo pour l’admirable numéro consacré à Goethe. Un monument, comme ils disent. Et c’est, ma foi, vrai. Je me disais, en le lisant, que c’est là le rôle, la véritable position intellectuelle en ces temps si troubles : exalter Goethe, c’est notre plus efficace contribution au rapprochement que les politiques nous sabotent honteusement.
Je vous serre les mains, très affectueusement, et… en confiance !
Roger Martin du Gard
(le silence de la N.R.F. sur le livre de Maurice Martin du Gard : « Courrier d’Afrique », est si obstiné, si inattendu, qu’il doit bien avoir une signification de petit manifeste. Mais laquelle ? Je me perds, une fois de plus, en conjectures...)
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (29 mai 1932) §
Je ne puis rien dire de « querelles de Famille », qui m’est dédié. « A cheval donné... » Je n’ai lu ce livre qu’imprimé, et avec sa dédicace ; je n’ai donc eu qu’à dire merci. Duhamel est un ami très cher, et son attention m’a fait plaisir. Parmi mes amis qui écrivent, il y a ceux dont je préfère l’œuvre à l’homme (y en a-t-il réellement?) et ceux dont je préfère l’homme à l’œuvre. (Gide aussi est de ceux-là.) Quant aux « dix ans de malveillance », et même de malveillance un peu dissimulée sinon « sournoise », pourquoi nier ? J'ai toujours entendu attaquer Duhamel à la N.R.F. même du temps très lointain de Copeau et de J. Rivière.
Incompatibilités profondes, et que je conçois assez bien, de part et d’autre, puisque mes amitiés m’ont placé entre deux.
Ceci n’est pas sans rapport* avec l’échange des lettres Paulhan-Guéhenno. Je n’ai pas aimé la forme que Guéhenno a donné à sa lettre ouverte au Comité des Lettres et des Arts. (J'ai même eu l’imprudence de le lui écrire désobligeamment) mais l’attitude d’un Guéhenno me plaît. C'est un homme qui s’engage ; qui s’engage à fond, avec armes et bagages, dans tout ce qu’il écrit. Même quand il se trompe (je ne sais pas cela pour la protestation d’Europe ; c’est la forme donnée à cette protestation que j’ai critiquée, non l’esprit) j’aime l’émotion et la sincérité qui le poussent. Je préfère sa « lettre à Paulhan » à votre réponse. Il s’y engage une fois de plus, il se découvre généreusement ; le fond du débat lui importe plus que ce qu’on pourra penser de son attitude, ou ce qu’on pourra critiquer dans le détail. Votre réponse est d’un fine plume, mais habile à se réserver. La partie est inégale. Vous aurez pour vous les rieurs, l’« élite » (!) mais l’accent de Guéhenno touche au cœur. Et il se peut que les temps ne soient plus à éborgner les mouches, et qu’il y ait plus urgent à faire. Même à la N.R.F. un article comme celui d’Antonin Artaud sur Les Tricheurs, je ne n’ai plus goût à m’en délecter. Cette N.R.F.-là, date, selon moi. Le ton d’un Fernandez me semble illustrer précisément ce que je voudrais savoir dire. Rien n’est plus loin du ton d’« Europe » ; mais rien n’est plus loin aussi des subtilités intelligentes de la pure littérature. L'influence de Fernandez est, pour moi, exactement ce qui est souhaitable aujourd’hui pour vivifier la N.R.F., sans altérer sa personnalité véritable, sans rien lui faire perdre de la place à part qu’elle occupe depuis vingt ans.
A ce propos, je ne saurais assez louer les derniers numéros (je savoure Binche Ana !) et spécialement celui de mai, pour sa partie critique. Les fenêtres sont ouvertes, l’air du temps est entré et circule.
Je vous écris à bâtons rompus, sans peser mes termes. Lisez-moi vite et sans y attacher d’importance.
Qui vous a dit que je travaillais « beaucoup » ? J'ai un tas d’embêtements, de tous ordres ; et, quant au travail, je me suis engagé à la légère dans un petit sujet de nouvelle, sans voir le piège tendu, et me voici empêtré dans tout un truc dont je ne sais comment sortir.
Je prends bonne note des loisirs de Mme Rueff. Mais pour le moment je ne tape.. que ma tête contre les murs !..
Encore une fois, lisez-moi de la pointe d’un œil, et ne me cherchez pas de querelle… Je suis d’avance d’accord avec toutes vos objections !
Bien affectueusement vôtre,
Roger Martin du Gard
29 mai 32
P.S
Quelle est cette phrase absurde de moi que vous citez dans le MEMENTO de mai ? Il fallait la garder pour quelque sottisier !
Ai-je jamais écrit cela ? Et à qui ? Je n’en ai aucun souvenir, et j’aimerais tout de même bien savoir.
Qu'est-ce que c’est ce que « DEMAIN » ??
RMG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (6 juin 1932) §
Vos lettres me font grand plaisir ! Merci de me les écrire.
Demain est une toute jeune revue américaine, revue de tout jeunes étudiants, et certes digne qu’on l’encourage. Et votre lettre répondait à une question que l’on me pose plus de dix fois par mois. Donc il était indiqué d’en détacher cette ligne.
Nous avons connu avant la guerre beaucoup de gens qui s’engageaient avec grand courage : il y a eu Gustave Hervé, Remy de Gourmont, et bien d’autres. Quand ils se sont désengagés pour se réengager ailleurs avec la même violence, nous les avons trouvés sympathiques peut-être (ce qu’un écrivain n’a pas du tout besoin d’être) mais un peu niais. Reconnaissez, je vous en prie, que l’engagement importe moins que le choix des idées suivant lesquelles on s’engage. Il y a erreur évidente, une erreur grossière dans le choix de Guehenno, c’est qu’il se prépare (comme on a reproché à certains généraux de le faire) avec ardeur à la guerre de 1914. Si la prochaine guerre n’est pas dès l’origine civile plus que nationale, elle le deviendra dans les deux mois. Songez à l’armée rouge, aux colonies, à Hitler, à Mussolini, à la Chine, au communisme. En refusant de se prononcer sur la guerre civile, Guehenno refuse de se prononcer sur la prochaine guerre.
(Que dis-je, sur tout guerre. Il ne manque pas d’esprits avertis pour être sûrs que la guerre de 1914 était une guerre civile. Julien Benda l’a dit plus de cent fois. Et quand les collaborateurs d’Europe (de la future Europe) Jean-Richard Bloch en tête, sont partis pour le front, n’était-ce pas pour faire une guerre civile ? La distinction de l’offensif et du défensif est d’une clarté lumineuse au prix de celle du civil et du national).
J'ai une grande amitié pour Guehenno, et nous sommes, je crois, tombés d’accord, à peu près, sur tout cela.
Je crains un peu que vous n’apparteniez à la race dangereuse des gens qui pour se faire pardonner leur détachement ou leur inertie de jadis, se précipitent de tous les côtés, préfèrent s’engager à savoir précisément sur quoi ils s’engagent et montrent une bonne volonté capable de tout embrouiller. Quand le jeune Claude Gallimard était boy-scout, on l’a vu un soir se lever de table tout pâle et inquiet. Il avait oublié sa « bonne action » de la journée (c’est un principe boy-scout). Il s’est donc jeté dans la direction de la cuisine d’où l’on a entendu s’élever quelques instants plus tard un grand fracas : il avait voulu aider la bonne à porter une pile d’assiettes. Le rêve de Guehenno est d’aider toutes les bonnes, évidemment, à porter toutes les piles d’assiettes. Je suis pour les assiettes. Et quand vous dites que les temps ne sont plus à éborgner les mouches, et qu’il y a plus urgent à faire, vous me jetez dans l’horreur. Les temps ne sont à rien du temps, et il n’y a rien de plus urgent aujourd’hui comme hier et comme il y a mille ans que de ne pas se laisser bourrer le crâne, d’observer que les pacifiques nous content aujourd’hui les mêmes sornettes que le général Cherfile en 1914, et de tâcher d’y voir clair.
Sur Duhamel peut-être avez-vous raison. Pourtant les notes de Jean Schlumberger et de Dérieux étaient élogieuses, sans restriction. Jean Prévost m’avait promis un article qui eût été élogieux, sans restriction aussi. Il renonce à l’écrire devant les derniers Duhamel. Je ne puis rien y faire. Mais je me suis toujours senti à l’égard de Duhamel, une bienveillance discrète (et même sournoise).
Je suis votre ami bien affectueux.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (8 juin 1932) §
Autrement dit, cher ami, vous m’écrivez que je suis un gros couillon… Et c’est, ma foi, vrai ! Une longue inertie de tour d’ivoire me chatouille les jambes, comme des fourmis. Me travaille sottement, avec des allures de remords… – Vous avez raison : ne pas se laisser bourrer le crâne. C'était le principe même de mon inertie. (Car, à bien regarder, il n’y a, jamais, que des bourreurs de crâne ! Valéry, ou Goethe, non exceptés!)
L'embêtant, c’est que ce scepticisme critique se trouve être, en même temps que la plus raisonnable attitude, la plus confortable : le plus mal oreiller… D'où, pour ne pas avoir l’air d’un fainéant, cette velléité de se joindre aux énergumènes… Ah, qu’il faudrait peu insister, pour que je me recouche !..
N'insistez pas trop. Je vous serre les mains.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (31 juillet 1932) §
Tout bien examiné, il faut renoncer à couper pour la revue cet épisode dont je vous avais, un peu vite, un peu légèrement, parlé. Je crois que cela n’aurait pas fait un trou dans l’ensemble que va publier Marianne ; mais, isolé dans la revue, cet épisode serait trop mince : il ne prend guère un peu de valeur que dans l’ensemble. Et puis j’aurais vraiment l’air de dérober un morceau à cet ensemble que Marianne m’a demandé. Même en expliquant la chose à Berl, même en diminuant le prix convenu, de ce que j’aurais touché à la N.R.F., le geste est inélégant de revenir sur un « marché » conclu… Donc, n’y pensons plus, et excusez-moi.
Je vous signale une étude sur moi, en deux articles, de A. Rousseaux dans Figaro ; c’est vraiment la première fois qu’on s’occupe de moi « pour le fond », et avec une clairvoyance… déroutante pour le patient. Si vous n’avez pas de préventions contre ce Rousseaux – que je ne connais d’ailleurs nullement – il y a dans ces articles tant d’impartialité (et si peu d’éloges) qu’il serait gentil de le signaler dans votre revue de presse. Gentil pour lui, naturellement. Je n’attirerais pas votre attention sur une étude complaisamment flatteuse ; mais celle-ci est tout-à-fait remarquable, et la seconde partie pose la question sur un plan qui, si je ne m’abuse, offre un intérêt assez général.
(Figaro. 23 et 30 juillet – dans la rubrique « Figures contemporaines ») Pour une fois, savez-vous, je me surprends à être extrêmement sensible à un article de critique me concernant ! D'où, cette démarche. (Bien entendu, si cela vous paraît inutile, et que vous n’y donniez pas suite, je trouverai cela tout naturel.)
31 juillet 32
.2.
J'ai trouvé votre carte en arrivant ici. Eh oui, je vous accorde qu’une guerre civile européenne serait effroyable ; et c’est bien pour cela que je signe un manifeste « contre la guerre, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne ». Je n’imagine pas que sous une formule aussi globale, puisse se glisser, même dans l’esprit du plus hypocrite signataire, une réserve relative à une guerre « civile ». Ou bien alors les mots n’ont plus aucun sens. Ce qui m’a déterminé, c’est, en partie, l’explosion inconcevable de joie qui a suivi, dans les discours officiels, la conclusion dérisoire de la Conf. de Lausanne. Je n’avais pas attendu ça pour m’apercevoir que les gouvernements capitalistes sont aveuglés par la complication – très réelle, d’ailleurs – des problèmes immédiats et nationaux ; et incapables de s’entendre sur un plan général, volontairement simpliste, qui provoquerait enfin un rapide et complet changement de direction.
Mais, tout de même, jamais ne m’avait parue aussi évidente leur déficience. Et je me disais que seul un immense mouvement d’opinion pourrait les obliger à donner le coup de barre nécessaire. Là-dessus me parvient le manifeste de R. Rolland, qui, justement, fait appel à tous, sans distinction de parti ni de confession, pour essayer de provoquer parmi les peuples, enjeu passif de la partie, ce sursaut d’effroi et de bon-sens qui pourrait encore, je crois, sauver la paix. Alors, je signe. Et voilà. C'est un S.O.S. désespéré, qu’on lance à travers le monde civilisé. Si ça ne fait pas le bien qu’on en attend, ça ne peut ni aggraver les tensions, ni hâter le glissement vers l’abîme.
Vous n’êtes pas encore parvenue à me faire regretter mon geste. Mais je connais vos diableries, et je ne dis nullement que vous n’y parviendrez pas…
Très affectueusement vôtre, cher ami « Peut-être »…
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (12 novembre 1932) §
Bien cher ami, De Berlin, ce bref signe d’amitié ! Message porté par une gentille cavalière, ne trouvez-vous pas ? Berlin, passionnant ; un monde. Un monde, où l’on se heurte à de telles contradictions qu’il est impossible d’y exercer sa pensée sur le mode français habituel. Berlin, qu’on arrive assez vite à sentir ; mais qu’il faut renoncer longtemps à comprendre.
Je n’ai pas eu la NRF de nov. mais je sais que vous y avez inséré des fragments de l’article d’A. Rousseaux. Merci.
Fidèles amitiés de
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (12 décembre 1932) §
Pour le moment, cette sacrée Marianne m’oblige à vivre au Studio de Billancourt pour illustrations photographiques de ce livre de moi qu’elle va publier.
Mais dès que libre, j’irai vous voir. Il y a déjà sur mon agenda un nombre respectable de « Paulhan » qui témoigne des intentions répétés que j’ai eues d’aller vous voir.
Mais je n’ai rien, rien à vous offrir pour la N.R.F. Pas même un titre ! Si, comme je le voudrais, je me mets enfin à finir les Thibault il se peut que je vous propose un fragment inédit. Mais quand ?
En hâte, et bien vôtre
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (22 novembre 1933) §
Cher ami. Je ne puis refuser à René Béhaine la démarche qu’il me demande, d’une façon émouvante, de faire auprès de la N.R.F., pour que son œuvre, et spécialement son plus récent volume (« La Solitude et le Silence », qui vient de paraître chez Grasset), soient critiqués dans votre revue. On peut penser ce qu’on voudra de l’œuvre. Il est indiscutable que Béhaine donne, depuis quinze ans, un admirable exemple d’une existence d’artiste sincère, enfermé dans son travail, avec un souci de probité, une abnégation, qui forcent le respect. Et cela seul mériterait d’être dit. Son « Histoire d’une Société » comprend aujourd’hui neuf volumes. Il n’a jamais consenti à rien pour attirer sur lui l’attention. Orgueil un peu hautain, mais noble conception de son art. Vous avez parmi vos collaborateurs des esprits équitables, comme Fernandez, par exemple, qui sauraient dire tout cela en termes mesurés, et qui, par surcroît, pourraient faire à Béhaine des critiques utiles dont cet homme consciencieux tirerait sûrement profit.
Si j’insiste un peu ; avec mille réserves bien entendu – c’est parce que j’ai appris que Béhaine, qui vivait simplement sans gagner sa vie, se trouve brusquement, depuis ces derniers mois, dans une situation très difficile et qui rend son avenir matériel très sombre. Un bon mouvement !
Affectueuses amitiés, cher ami,
Roger Martin du Gard
Soutine
mardi en 8
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 décembre 1933) §
Mais, bien cher ami, je n’ai que sympathie et curiosité pour l’innovation de l’Air du mois ! C'est une ingénieuse boite aux lettres où tous vos amis parisiens vont pouvoir jeter au jour le jour un feuillet de leur carnet de poche. (Ils sont sans doute comme Gide : ils ne « croyent » pas aux posthumes!) C'est une façon commode de se débarrasser des graines de la saison, sans s’en encombrer, sans attendre qu’elles germent ; et c’est tout profit, car sur cent graines qu’on garde en poche, combien en germe-t-il ? Je ne pense même pas que votre accaparement des graines, empêche cette centième (précieuse), de germer : ne fût-ce que dans l’esprit du voisin ; peu importe… Tout va vite aujourd’hui ; on pense vite, on note vite, on publie vite. Demain est si peu sûr, qu’il vaut mieux ne pas attendre pour tirer parti de tout.
Comme directeur de revue, c’est une très heureuse trouvaille. Peu vous importe, après tout, d’assécher plus ou moins vite les sécrétions de la jeunesse littéraire. Incontestablement, la revue, elle, y gagne en amusement, en vie. Tout lecteur fera comme moi, qui vais commencer ma lecture, chaque fois, par l’air du mois. On court d’abord à ce qui scintille. (D'ailleurs, j’ai cette mauvaise et très enracinée habitude, de toujours lire les revues à l’envers, en commençant par les dernières pages. Ça doit correspondre à quelque chose… Pensez-y. Est-ce que la vie d’une revue, et son savoureux venenum, se condensent in cauda?) J'imagine que votre entourage se réjouit et que les feuilles de carnet vont affluer dans la boite. Cela vous permettra un tri sévère, et d’éviter le moins bon. Ne le jetez pas. Descendez-le à Marianne pour son Monde comme il va. Avec ces hebdomadaires, plus de déchets, tout peut servir.
Ne venez-vous plus à Port-Cros ? Je vous arrêterais en chemin. Cassis est un petit coin plein de charmes. J'y gèle, pour l’instant, mais j’y reste néanmoins incrusté. Je voudrais tant finir les Thibault avant que le ciel ne nous tombe sur la tête ! Et quelque chose me dit qu’il faut me hâter.
Merci, cher ami, pour la gentillesse avec laquelle vous accueillez mes sollicitations. J'ai vu que Béhaine avait eu une voix au Goncourt. C'est un prix de vertu qu’il faudrait lui décerner. Bien affectueusement à vous
Zut, je donne ma langue au chat, hermétique et sibyllin ami ! Est-ce la claustration à Cassis qui me rend obtus ? Je demande là-dessus un arbitrage. Mieux vaut que je sache toute la vérité…
R.M.G.
2
Cher ami, ne vous souvient-il pas d’une dispute (ce fut votre dernière collaboration à la nrf) où vous opposiez l’un à l’autre, pour mieux écraser le premier, l’habitant des villages et l’habitant des villes ? L'origine de la dispute était un livre appelé vieille France, qui ne mérite pas d’être oublié, fût-ce par vous. Bien des affections J.P.
le 14.
Cher ami, ne faut-il pas reconnaître (sans aucun esprit de dispute) que le seul multi-millionnaire qui jusqu’ici se soit montré généreux, spirituel et pas ridicule est le meunier, le paysan ? Beaucoup de souvenirs affectueux de
J.P.
3
Comprends toujours pas. D'abord c’est le paysan et l’ouvrier que j’avais « opposés » ; le petit village perdu, et le faubourg populaire des grandes villes. Et puis, je n’y tiens guère à mon « opposition ». Là, comme ailleurs, mon incompétence en tout m’apparaît chaque jour plus accablante ! Mais que vient faire la multi-millionnarité ? Le seul « meunier » que je trouve « spirituel », c’est celui de La Fontaine. J'en connais un tas d’autres, dans les campagnes, qui sont d’odieux forbans.
Mais tout de même. Si obscure que soit pour moi votre pensée, c’était une pensée vers moi : et j’en suis très vraiment touché. Affectueuse accolade !
RMG.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (4 janvier 1934) §
Ça m’ennuie de ranger le n° de janvier sans vous avoir dit combien je l’ai trouvé succulent et bien farci ! Le délicat, le délicieux Délice d’Eleuthère, dont je me suis régalé deux fois, tout ébranlé de résonances. Et le Valery, qui m’a enchanté. « Achever un ouvrage ». Oui, il n’a que trop raison, personne ne sait plus travailler, effacer par le travail l’empreinte du travail. Et le Fantôme de Fargue ; et la lettre de Rilke ; excellents tous deux. Et le Giraudoux. Et le Fernandez, plein de choses qu’on aimerait discuter… Par exemple, je vous laisse l’aride P.C., pour vos gargarismes solitaires… Mais surveillez l’Air du mois, bon dieu, je le disais bien, ça va glisser sur la pente savonnée de la littérature d’hebdomadaire ! N'empêche, l’ensemble est rare.
Affectueuse accolade, et bravo,
R.M.G.
C'est toujours ridicule de décerner des palmes. Mais le silence me gênait davantage…
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 février 1934) §
Une des tristesses de ce temps est qu’il semble nous contraindre à ne penser jamais que politiquement. Les signataires de cet appel, préoccupée de n’intervenir en aucun sens dans la politique d’un pays qu’ils estiment, l’Autriche, se font cependant un devoir de dire l’émotion qu’ils ont ressentie devant les batailles de Vienne et la répression qui les a suivies. Ils ne veulent que rappeler les droits d’une pensée plus large et plus humaine que ne peut l’être la pensée politique engagée dans l’action. Des adversaires, quand ils sont gens de coeur, méritent toujours le respect. La probité de la pensée et le courage ne méritèrent jamais ni la prison ni la mort.
25 février 1934
Ma foi, non, cher ami. Je n’ai pas envie d’engager une fois de plus ma signature. Je suis las de ces protestations platoniques et inefficaces. Bien sûr, l’appel est très mesuré, je pense tout cela, je n’ai aucune raison (de conscience) de refuser cette signature. Mais, en nous demandant ainsi, à tous propos, notre adhésion vous faîtes de nous d’inoffensifs professionnels de la protestation collective, et vous enlevez vous-mêmes à ces protestations toute valeur active. La lutte ne fait que commencer : pourquoi émousser à plaisir nos armes, déjà si faibles ? Dans l’intérêt même des causes qu’il importera peut-être de pouvoir défendre sérieusement, je crois qu’il est grand temps de se montrer plus circonspect et de se réserver davantage.
Et puis, quoi ? Nous entrons dans le domaine de la guerre (civile). Choc de forces qui s’opposent. Choc d’ennemis, armés. Les partis se canardent. Il y a des morts, des deux côtés. C'est l’absurde loi de la violence. Au nom de quoi protester contre la victoire sanglante de celui qui actuellement est le plus fort ? C'est contre toute violence qu’il faudrait s’élever. La vérité, l’humanité, sont violées, à droite comme à gauche. Mon instinct profond, c’est de renvoyer, dos à dos, ces fanatiques qui s’entretuent.
Je trouve votre position à peu près indéfendable. Il y a confusion de plans.
Mais combien je partage votre indignation, combien nos angoisses sont fraternelles, combien nous sommes d’accord sur le fond, vous le savez bien. Répétez-le à Malraux, à Guehenno. Et excusez-moi de ne pas signer.
Affectueusement à vous
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 février 1934) §
Cher ami, je m’en veux de ne jamais vous écrire que pour des raisons utiles, mais c’est ainsi. Ce doit correspondre à de secrètes lois…
Voici. Connaissez-vous Henri Rohrer ? Je me duis beaucoup lié avec lui à Cassis, où nous avons vécu côte à côte plusieurs mois. Peut-être l’avez rencontré chez Gide ?
Difficile de vous le présenter en trois lignes. Origine suisse ; naturalisé français. Esprit critique, (et dont la direction est, je crois, littéraire.) Mais, depuis plusieurs années, s’est consacré à l’étude des relations Chine et Japon, sur quoi il prépare « l’ouvrage » décisif. Peut-être avez-vous lu dans Esprit (le n° où Viollis publiait son Judo-Chine) un long article de Rohrer sur la Mandchourie et la façon dont l’opinion européenne est trompée ? Un article qui a été très commenté.
Enfin, faîtes moi confiance. Rohrer est un type d’esprit particulier, et remarquable. Très scrupuleux, trop scrupuleux dans ses jugements. Va toujours au fond de la question. (Son défaut est d’écrire un peu confusément, par trop d’intentions et de subtilité. Mais il le sait, et travaille à se corriger.)
Bref, ledit Rohrer me charge de vous proposer une note un peu longue (ou, si vous voulez, un court article) sur un livre capital qui vient de paraître à la « Renaissance du livre » : Grasset : La pensée chinoise
Je crois – informez-vous – que Rohrer est on ne peut plus qualifié pour traiter ce sujet avec son expérience des problèmes chinois ; et qu’il fera quelque chose de bon.
Tâchez de dire oui, ça me ferait plaisir.
Il faudrait alors faire parvenir le livre à Rohrer (rue Pasteur, Cassis, B. du Rh) et lui fixer une date (Ceci, entre nous, car je le connais ; il est tellement consciencieux que si vous ne lui donnez pas un délai, il travaillera la question pendant six mois avant de lâcher son article…)
Bien affectueusement vôtre cher ami, et d’avance merci, même si c’est non…
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 juin 1934) §
1°. Votre appel rédigé avec une si Paulhanesque discrétion qu’on ne sait trop ce que vous souhaitez… qu’on vous trouve des mécènes ? Ou qu’on envoie quelques subsides à la caisse ? Pour les mécènes, des amis de vingt ans comme moi n’en ont guère de disponibles ; tous ceux qu’on pouvait orienter vers la N.R.F. le sont depuis longtemps et je ne vois personne à vous indiquer. Pour les subsides, nous pouvons tous faire un petit effort, – même ceux qui, comme moi, et Gaston vous l’a dit peut-être, vivent intégralement de l’avance mensuelle consentie par ledit Gaston. Deux, trois cents francs ne sont pas grand-chose pour votre « trésorerie » sans doute ? Mais si vous acceptiez ce geste pour ce qu’il exprime de fidèle attachement à la N.R.F., je le ferais volontiers. R.S.V.P.
2°. Pour l’Illustration.
J'y ai un vieux camarade, Robert de Beauplan. Informez-vous. Si son appui peut-être utile (il est depuis avant la guerre dans la boite) je peux très bien lui écrire. Mais il faudrait que vous me donniez des précisions sur ce que vous désirez obtenir, et que la démarche ne soit pas vague. On n’obtient quelque chose de cette sorte de gens qu’en disant nettement, et du premier coup, tout ce qu’on souhaite d’eux.
Nous avons trouvé à Nice un rythme de vie parfait. Je n’y vois personne, c’est délicieux. Le travail marche assez bien. Nous avons un « petit meublé », l’épouse fait la popote, je n’ai pas à bouger, je ne sors que le soir, à la fraîche ; le climat est exquis, le spectacle de la rue pittoresque et sans cesse changeant. Que la révolution ou la guerre nous délogent le plus tard possible ! Amen.
Bien affectueusement vôtre,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 octobre 1934) §
Cher ami. J'ai failli répondre « oui » rien que pour satisfaire la curiosité –, qui depuis votre mot, me tient éveillée jour et nuit, – de savoir qui peut-être cet « on » mystérieux.
Mais ce ne serait pas très loyal. Car nous n’en sommes pas encore à cette terrible résolution, à ce renoncement si grave. Si vous connaissiez notre « Tertre », vous comprendriez. C'est une demeure incomparable ; à la lettre, je n’en connais pas l’équivalent.
Soyez gentil, donnez-moi des détails sur cet « on ». D'où cela vient-il ? Quelqu’un qui connaît le Tertre ? Je vous en prie, ne me laissez pas sur le gril !
« A vous lire », comme on dit, et bien affectueusement vôtre,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 novembre 1934) §
De plus en plus étrange… Le compagnon du Dr Le Savoureux (venu au Tertre en mon absence et dont j’ai trouvé la carte) était – je vous le donne en cent, en mille – …. M. le chanoine Mugnier, notre abbé de cour, la fine baptiste des confesseurs !
Je me perds en conjectures…
+
Vous feignez d’ignorer que j’écris la fin des Thibault, les 4 derniers volumes, que je voudrais donner en bloc, du moins en deux échéances, très rapprochées. (Je n’ose plus employer le « à suivre ». J'ai peur des pommes cuites.) Si je vous prenais au mot, et si je considérais que vous êtes engagé à publier ces 800 pages dans la N.R.F., à raison de 40 pages par numéro, pendant vingt mois ???
Ce qui est toujours possible, c’est de détacher, pour la N.R.F. un fragment d’épisode. Sans m’y engager, car je sais d’expérience combien les Thibault se prêtent mal à ces exhibitions fragmentaires, on peut toujours caresser ensemble ce projet ; et, si bon vous semble, rien ne vous empêche d’annoncer, dans votre programme, quelques évasifs : « Fragments des derniers volumes des Thibault. » (Je ne serais même pas fâché de cette occasion très discrète d’annoncer aux amis des Thibault que je travaille pour eux…)
Réfléchissez-y donc, et décidez, cher ami. Je vous envoie toutes mes pensées fidèlement affectueuses
A l’occasion du soixantième anniversaire de Thomas Mann, actuellement en exil à Zurich, les représentants de la littérature française dont les noms suivent sont heureux de pouvoir saluer en lui le glorieux représentant d’une Allemagne que nous n’avons cessé d’aimer.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (8 janvier 1935) §
Je ne me fais aucune illusion sur le sort que le comité Mesures fera aux poèmes de mon amie belge. Mais aucune raison de ne pas tenter la chance. Merci donc !
Je n’entends rien au langage poétique. Je sais par cœur quelques passages de Baudelaire et de Ronsard, avec lesquels, jeune homme, je me suis longtemps masturbé. J'en suis resté là. Quand je lis une revue, je ne saute pas systématiquement les pages de poèmes ; au contraire, je m’y frotte gentiment, mais avec une attention au repos, comme on joue quelques minutes avec un gosse qu’on croise dans l’escalier. Je ne discuterai donc pas des mérites et des démérites de ceux que je vous ai transmis. Non sum dignus.
Non, je n’ai pas su que Prévost versait dans l’horoscopie. Je redoute ces jeux. Je suis ainsi fabriqué que je doute totalement des prophéties favorables, mais que je m’inquiète malgré moi des pronostics inquiétants. Mon pessimisme naturel me suffit pour craindre l’avenir. Je révère et fuis les astrologues…
Puissent vos conjonctions astrales vous apporter un 1936 mouvementé, et joyeux ! Nous nous envoyons à tous deux notre fidèle souvenir, et nos souhaits !
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (20 janvier 1935) §
Hélas, cher ami, je voudrais pouvoir être de vos premiers abonnés à Mesures. Mais, rien à faire, ce sont des luxes interdits…
Votre annonce de « la fin » des Thibault m’a découplé aux trousses une meute de tous lecteurs. S'ils se doutaient du plat qui mijote… Vous avez eu du culot, d’ailleurs, d’annoncer froidement que vous publieriez cette « fin » dans la Revue. Il s’agit de trois ou quatre volumes ; de quoi occuper le tiers de la revue pendant dix huit mois. Je vois votre tête, si vous trouvez un jour le manuscrit sur votre table. Je vous engage discrètement, dans les annonces futures, à remplacer le mot « fin » par celui de « fragments », – que ma lettre vous avait d’ailleurs soufflé – ouo bien « fragments de la fin ». Mais qu’importe !
Je travaille. Le tas monte peu à peu. Je purge ma peine, consciencieusement.
J'ai fort aimé la N.R.F. de décembre. Eleuthère me met en jubilation. J'ai goûté le Fargue. J'ai tiqué sur le Schlum. J'ai fulminé contre le Suarès.
Le n° de janvier est moins congestionné. Le Baudelaire de bibliophile me laisse froid. Quant au Valery, je préfère celui qui « regarde » sur le monde… Mais la partie Chroniques et notes est bien vivante.
Est-il encore temps de solliciter les dieux pour que 1935 vous comble d’heurs, vous, votre femme, et votre revue ?
De grand coeur ! Et fidèlement vôtre
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (17 février 1935) §
Cher ami, j’ai chaque mois une petite sueur en voyant que vous annoncez si obstinément des fragments de Thibault… Je cherche toujours, en vain, dans cet ensemble qui s’édifie peu à peu, un « morceau » détachable pour la N.R.F.. Et je me « persuade » – comme dit Gide – que, si cela vaut quelque chose, c’est par la masse ; et qu’il ne serait, ni dans l’intérêt des Thibault, ni dans celui de la revue…. Je sais bien qu’on peut annoncer, et que cela n’engage personne. Mais je voudrais bien que vous, directeur, n’y comptiez pas trop !
Bons numéros, cet été, cher ami. J'ai savouré tant de bonne pages que je répugne à faire un palmarès. Je m’imagine ce qu’une si constante réussite représente d’efforts surhumains, et je vous tire mon chapeau, avec déférence, – et gratitude !
J'ai été bien content de voir que vous annexiez mon amie Noulet. Je la connais bien, et ses multiples ressources, et sa droiture de pensée, et sa pénétration critique. Il y a longtemps qu’elle devrait être des vôtres, ou je me trompe fort, ou ce sera une précieuse acquisition pour la revue.
Bonne fin de vacances. J'espère que ces odeurs de poudre ne vous asphyxient pas trop.. ? Gardez nous Porquerolles : on s’y réfugiera quand il n’y aura plus que des exaltés dans le monde, et que les lettrées inguérissables ne sauront plus où se cacher...
Hommages fidèles et mille vraies amitiés
R. Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (12 avril 1935) §
Voilà la réponse de Robert de Beauplan. Si vous vous décidez, adressez-vous directement à lui, en lui rappelant sa lettre ; ou bien… prévenez-moi pour que je serve d’intermédiaire. Mais le mieux serait de vous entendre avec lui, sans le détour de Nice.
Je pense bien plus souvent à vous que je ne le laisse voir ! Les nos de février et de mars de la N.R.F. étaient farcis de choses succulentes. On goûte mieux ces copieux repas quand ils vous sont servis en exil, loin de tout. Je fais décidément mes délices de ceux d’Eleuthère. Sa collaboration à la revue, qui apparaît sans cesse sous la trame et les choix, est toujours excellente. Le 1er n° de Mesures est imposant. Je vous admire : quelle tâche d’assurer le recrutement de textes dignes de si belles marges… Commerce et Vigiles sont morts à cette tâche-là ! Mais j’ai bonne confiance en votre souriante ténacité.
Bonne chance avec l’Illustration ! Bonne chance pour tout ! Unissons nos prières pour que le lustre européen, si mal accroché, si branlant, ne nous tombe pas sur la tête. Hommages et amitiés également fidèles.
Et bien vôtre,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (9 mai 1935) §
Gardez la lettre de l’Illustration dans vos archives, pour le cas où vous vous décideriez un jour. Ou bien déchirez la.
Je regrette de ne pas être électeur dans votre petite patrie. J'irais voter pour vous. Mais que diable allez-vous faire dans cette galère !..
Je sais que la N.R.F. prépare un hommage à Thomas Mann. Si les termes en sont mesurés, comme j’ai tout lieu de le croire, je joindrais volontiers ma signature.
Mais, naturellement, on ne peut pas « aimer les révolutions », ni surtout « aimer les révolutionnaires ». Seulement, il est évident que la société évolue vers le communisme. Et il ne serait pas mauvais que les intellectuels aient leur mot à dire dans cette fatale refonte des valeurs. Bertaux a écrit cela, excellement, dans le dernier numéro de la N.R.F.
Que je lis de la première à la dernière ligne, chaque mois, cher ami. (Sauf l’Alouette. Ça non, impossible…)
Affectueuse accolade, et mes hommages fidèles à votre femme,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (3 juin 1935) §
Signaler à Paulhan que, très souvent, la dernière page de publicité NRF est encollée à la marge de la première page de la revue, et qu’on ne peut guère les séparer qu’en déchirant l’une ou l’autre.
On devrait pouvoir remédier à cet inconvénient ? qui échappe sans doute aux abonnés de luxe...
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 octobre 1935) §
Cher ami, votre téléphone me rend confus de n’avoir pas encore répondu à votre lettre du 18. Mais vous ne savez pas – pourquoi, d’ailleurs, ne le sauriez-vous pas, vous aussi ? – combien il est pénible, pour peu qu’on ait « bonne nature », d’avoir toujours à répondre : non…
Il y a, à ce retard, deux autres raisons, et qui se contredisent un peu. La première est que je n’ai pas pris votre offre très rigoureusement au sérieux. L'idée de remplir pendant six mois la N.R.F. de ma prose, pouvait bien m’être offerte « cum grano, par ce pince-sans-rire de Paulhan… La seconde, c’est que, malgré tout, j’examinais de nouveau l’hypothèse d’une publication partielle, ou plutôt fragmentaire, en revue. Je connais cette perplexité. Je l’ai subie à chaque volume nouveau. J'ai parfois cédé à la tentation. Mais, – sauf la publication des « Papiers posthumes » du père Thibault dans votre N.R.F. (qui, par extraordinaire, formaient un quelque chose à peu près détachable de l’ensemble) – je l’ai toujours amèrement regretté. C'est un truc qui ne « colle » pas avec les Thibault. Il faut en prendre son parti. Ce que valent ces livres ne se laisse pas voir par l’entrebaillement de la porte. Leur nature doit être… panoramique !
Cette fois, plus que jamais, mona tout est : la masse. Ces trois bouquins constituent un compact amalgame de roman, d’histoire contemporaine et d’idéologie politique ; éléments disparates, imbriqués les uns dans les autres, et dont un fragment ne peut donner aucune idée juste ; dont un fragment ne peut que trahir l’ensemble. Vous verrez. Je suis sûr d’avoir raison. Mon premier de la série, l’Alarme, n’est rien, s’il n’est pas intégré dans l’ensemble. Il est lui-même un fragment. Et ce fragment, la revue le fragmenterait encore en tranches de 50 pages, avec des entractes d’un mois. Ce serait du sabotage, cher ami. Si flatteuse que soit votre offre, elle n’est même pas à envisager sérieusement.
Je ne la regrette pas, pour le plaisir très grand qu’elle m’a causé. Je vis très seul, très oublié, et des gestes comme le vôtre me vont au coeur. Merci. Ce que je regrette, c’est de vous avoir, sans m’en douter, laissé dans l’incertitude, et gêné peut-être dans la composition de vos prochains fascicules. Excusez-moi, et croyez, cher ami « Peut-être », à ma bien fidèle et reconnaissante affection.
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (1er novembre 1935) §
Mais où commence le « tas de sable » ? Où commence la « masse Thibault » ? Pour moi, un volume comme « La mort du Père » n’est pas trop un « fragment »… Ou du moins l’inconvénient de la fragmentation y est réduit à un minimum.
Ne me croyez pas modeste. Pas assez ! Si j’étais modeste, je ne me serais pas enlisé quinze ans dans ces sacrés Thibault. Mais je le deviendrai. Je jure de ne plus écrire que des sonnets.
Bien vôtre, cher et spécieux ami !
R.M.G.
En attendant que je vous envoie des sonnets, liriez-vous des poèmes d’une amie belge, pour en choisir éventuellement à publier dans la N.R.F. ?
Je m’entends mieux aux êtres qu’aux poèmes. L'amie est poète, incontestablement.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (30 décembre 1935) §
Voici quelques poèmes de la poétesse belge dont je vous ai parlé – et qui a eu, il y a quelques années, le prix Verhaeren pour un recueil tiré à peu d’exemplaires et publié à Bruxelles.
Qu'en pensez-vous ?
Puisqu’on va changer de millésime, je joins à ce mot une gerbe de vœux, pour vous, votre femme, la revue, la France, l’Europe…
Bien affectueuses pensées de votre fidèle
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (9 janvier 1936) §
Je me trouve connaître Raoul Busquet autour d’un roman récemment paru chez Ferenczi : La misère enchantée. C'est un documentaire, petit-bourgeois, avec des qualités (de tenue littéraire, de sobriété...) La N.R.F rendu souvent compte de livres qui ne valent pas celui-là, après tout. SI un coup de pouce directorial pouvait glisser ce volume dans la serviette d’un des mystérieux serviteurs de la « Revue des Livres », vous rétabliriez un peu de justice en ce monde... Je n’insiste pas...
Bien vôtre,
Roger Martin du Gard
Le susnommé [va] vous envoyer son livre, ou va le faire.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 septembre 1936) §
Gentil Paulhan ! Je suis bien touché par votre délicate attention. J'avais pour Dabit une affection très particulière, et qu’il me rendait tout à fait bien. Nous nous sommes revus ici, en mai. Je garde de cette journée de parfait accord, un souvenir très doux. Je suis obsédé, moi aussi, par cette crainte, que vous analysez si bien, de la détresse qui a du le saisir, dans cet hôpital étranger (il avait l’horreur populaire de l’hôpital), si loin de la place des Lilas, de sa petite patrie, de sa mère dont il était resté le gosse, comme à seize ans... Et pourtant, chaque fois que je vois disparaître un être cher, je ne peux m’empêcher d’être content, content pour lui, content qu’il en ait fini avec l’agonie, qu’il n’ait plus à faire cette chose terrible : mourir... Je vous ai rencontré, un jour, devant la maison de Rivière. Il venait de mourir. Je me souviens souvent de cette rencontre, quand je pense à vous. Je crois bien que le meilleur de mon amitié pour vous, date de là.
J'ai vu notre « Petite Dame », ces jours-ci. Les oreilles ne vous ont-elles pas tinté ? Il a été question des Fleurs de Tarbes, si tellement de vous qu’on n’ose pas plus parler d’elles, que de vous-même, subtil, étrange, indéchiffrable ami ! Je sors de cette lecture comme d’une visite chez vous, étonné, séduit... enrichi et perplexe ! J'ai vu, dans un bar du Vieux port, un anamite jouer aux jonchets avec un matelot américain ; ils se servaient du même outil, mais le jaune semblait avoir un aimant au bout des doigts, les pièces venaient à lui, il les sortait sans effort de l’enchevêtrement le plus inextricable, et il ne les regardait même pas quand il les avait tirées du tas ; ce qui l’amusait, c’était seulement de les séparer des autres, de les amenez à lui, une à une, par des glissements inattendus, en jouant avec les difficultés, en commençant toujours par celle qui était sous toutes les autres, celle qu’un joueur ordinaire n’aurait même pas vue. Vous devez être très fort aux jonchets...
Je suis fatigué. Il est temps que j’arrive au bout de ces sacrés bouquins. Le tome 1 paraîtra dans Marianne. Oui... La « petite dame » vous expliquera à quelles pressions j’ai cédé. Hommages et fidèles amitiés.
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (6 septembre 1936) §
Cher ami, votre accueil me cause bien plus d’effroi que de plaisir !...
Je ne sais plus du tout que faire, ni quoi penser.
Incapable de juger si ce long morceau a quelque sens pour qui le lit ainsi mutilé. Songez que c’est un fragment du tome 3, une lecture à laquelle mon lecteur arrivera – si Dieu lui prête vie – après avoir déjà lu un millier de pages environ...
Nous ferions peut-être une grosse sottise, vous comme directeur, et moi comme auteur, en persévérant dans ce projet diabolique – Mais, moi, je ne sais plus, je n’y vois plus rien, et je ne peux rien décider. A vous, oeil frais, de juger.
Je compte, après un minutieux calcul des lignes, et en tenant compte des blancs, que ces pages dactylographiées contiennent 68.600 lettres et signes. Quel pavé au milieu de la revue...
J'ai fait déjà de larges coupures. On peut supprimer encore les pages 40-41-42-43- soit 3.000 lettres environ ?
Ah, cher ami, si vous lisiez dans le fond de
[lettre incomplète]
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (26 septembre 1936) §
Je saute à pieds joints sur la difficulté que j’aurais à vous expliquer pourquoi j’ai dû renoncer à mon point de vue, qui était de ne rien donner comme fragments inédits de « l’Eté 1914 ». Le fait est que j’ai dû y renoncer. Et, ceci étant, je laisse Marianne publier le tome 1, en octobre et novembre. (Je voudrais que mes 3 bouquins sortent dans le milieu de novembre, au moment où Marianne aura terminé sa publication.) Mais, puisque j’ai
[lettre incomplète]
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (30 octobre 1936) §
Ah oui, cher ami, je suis consterné. Et bien plus que vous n’imaginez.
Je l’étais déjà avant d’avoir reçu votre lettre. Car, en corrigeant les épreuves e ce passage pour l’édition, j’avais tiqué sur un tas de choses très fâcheuses, et j’avais fait d’assez sérieux remaniements. Désespéré, j’étais, de ne pouvoir en faire bénéficier le texte livré à la Revue.
Et voilà que j’apprends que c’est pire encore ; qu’on n’a même pas tenu compte de mes corrections !
Curieux ; tout de même, que ces histoires-là n’arrivent jamais qu’avec cette chère N.R.F. ! J'ai des fragments dans Europe, dans la Revue de Paris,
[lettre incomplète]
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (28 janvier 1950) §
Cher ami, on me dit – mais Nice est un peu fiable poste d’informations – que vous souffrez des yeux ? Qu'on vous interdit la lecture ? Je ne vous demande pas de me répondre, bien entendu : mais que la nouvelle soit vraie, exagérée ou fausse, ce m’est une occasion de vous dire que je pense à vous, et que rien de ce qui vous touche m’est indifférent à mon amitié...
R.M.G
28 janv. 50
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (12 février 1950) §
Pas trouvé notre ami si bien que cela... Fatigué, très essouflé [essoufflé], mauvais teint gris. L'esprit alerte, oui, mais enfermé dans des horizons. Pour tout dire, vieillir d’un cran, en ces trois derniers mois.
Content de vous avoir revu ainsi en liberté ! Moins intimidant qu’en NRF.
Votre
R.M.G
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 mars 1950) §
Notre auteur, cher ami, est un subtil cryptographe, d’autant plus difficile à traduire que son vocabulaire est plus courant, sa syntaxe plus facile, son style plus simple et ses pièges moins apparents. Je suis inconsolable de n’avoir pu commencer cette étude des Causes célèbres qu’après votre départ. Vous ne m’auriez pas, j’en suis sûr, refusé votre aide pour ce travail ; et nous aurions fait ensemble quelques séances d’exégèse, d’herméneutique et d’explication littéraire, irremplaçablement révélatrices pour moi. Faute de quoi – dans cet isolement où je suis à Nice – je m’épuise à essayer diverses grilles, sans être jamais sûr d’avoir trouvé la bonne... Les scoliastes sont assez rares sur la Côte et je n’en ai pas sous la main – Mais c’est un savoureux exercice auquel je me livre avec un constant amusement. C'est vous dire combien je vous suis reconnaissant de m’avoir invité à ce jeu, et de m’avoir donné cette occasion de vous redire toute mon affectueuse amitié !
R.M.G
Voulez-vous dire à votre femme que je pense toujours à elle et à sa longue patience, avec infiniment de sympathie et de respect.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (15 janvier 1951) §
Ma première pensée, cher ami, a été pour votre femme. Dans ma vie d’épreuves comme la sienne, la joie doit avoir un rayonnement d’une intensité sans pareille et d’un effet plus salutaire que tous les traitements et régimes... Je me réjouis donc pour elle, d’abord ; et c’est ainsi que je me réjouis le mieux pour vous.
De ce village perdu, où je suis en travail avec Pierre Herbart, et où les nouvelles parviennent assourdies et tardives, je vous donne, de tout coeur, la plus affectueuse des accolades !
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 mars 1951) §
Mon intention - très sincère- est de vous proposer quelques pages pour l’ « Hommage à Gide « . Je pars demain pour Bellème, et je regarderai dans mes notes si je trouve quelques éléments utilisables à vous soumettre. J'ai très réellement grand désir de participer à cet « Hommage ». Croyez-moi.
J'ai remis à Gaston une liste de collaborateurs éventuels. C'est à vous que j’aurais dû l’adresser ; mais je n’avais pas compris que vous étiez le grand architecte en ce monument funéraire, ce dont je suis enchanté ! Je vous verrai dès mon retour. Je pense, comme vous, qu’il faudrait que cet « Hommage » diffère profondément des articles de critique déjà parus, ou à paraître. Pour cela, je crois qu’il conviendrait d’orienter les participants vers une analyse de l’homme plutôt que vers une étude de l’oeuvre.
Bien affectueusement vôtre, et à bientôt,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (23 avril 1951) §
que ceci vous soit une leçon : très imprudent de demander « quelques pages » à un spécialiste du roman-fleuve...
Encore ai-je supprimé 8 pages sur 45, depuis que Gaston et d’autres m’ont converti à l’idée de verser une grande partie de mon « dossier Gide », en une plaquette (à tirage limité). Dont le présent manuscrit occupera la moitié, ou les deux tiers.
J'ai appris que vous deviez faire apparition au Vaneau mercredi 18h45. J'y viendrai pour vous voir, et savoir si ces souvenirs ont trouvé grâce à vos yeux et pourront figurer dans la rubrique « Commérages mortuaires »... (Suis d’avance un peu horrifié à l’idée de ce monument d’indiscrétions ! Mais après tout, notre cher Gide, si peu discret, ne l’a pas volé...)
Bien affectueusement, toujours
R Martin du Gard
Je vous demande de ne pas trop laisser traîner les feuillets sur votre bureau ; je me méfie de la curiosité potinière des messieurs de la maison et de tous les passants qui défilent dans cette « salle des pas perdus de la Littérature contemporaine » qu’est devenue notre N.R.F...
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (26 avril 1951) §
Je vous envoie quelques pages à lire, pour que vous me donniez vos impressions, qui m’aideront à réviser ou à confirmer les miennes.
Pourquoi à vous ? Pas seulement parce que j’ai, comme tant d’autres, confiance en votre jugement. Mais parce que je sais que vous avez une douloureuse, une très proche, expérience de la maladie ; et que vous ne pourrez pas être insensible à cette bouleversante méditation d’un malade sur son expérience de la maladie.
Je vous demande le secret. L'auteur ne se doute pas que je commets cette indiscrétion. Il ne l’aurait pas autorisé... Malgré tout, je passe outre.
Je connais Jean Morand depuis plus de quinze ans. Je l’ai connu jeune, bien portant, modeste employé de préfecture, cherchant sa voie, désirant écrire. Je 'lai un peu aidé. J'ai vu, tout à coup, le mal fondre sur lui. En quelques jours, il lui a fallu renoncer à tout, rompre toutes les amarres, se laisser transporter dans un sana, sans grand espoir de guérir. Huit ou dix ans de martyre, envoyé de sana en sana, Dreux, St Hilaire, Leysin, etc.. Vingt fois condamné. Subissant tous les traitements et inventions possibles, dans d’atroces souffrances physiques, surtout morales. Sans ressources, par surcroît, et trop fier pour le dire, pour se laisser secourir. Traité partout en malade pauvre et coûteux, dont la fin tardait au-delà de toutes prévisions. Jusqu’au jour où on l’a renvoyé dans la vie du siècle, en lui assurant qu’il était assez « guéri » pour se défendre seul contre les récidives. Peut-être pour se débarrasser de lui, car la maladie l’avait jeté dans le communisme, et ses opinions le rendaient suspect au corps médical suisse... (L'explication qu’il donne de l’évolution vers le communisme par la maladie, n’est pas la moins curieuse partie du livre qu’il écrit.)
Le plus étrange c’est qu’il vit à Paris depuis deux ans, dans des conditions plus ou moins précaires, et qu’il n’a pas eu de récidive, et que le mal paraît momentanément conjuré !... Il a un emploi de bureaucrate dans une société industrielle, qui lui assure de quoi vivre. Le jour, entre deux coups de téléphone, le soir, dans sa petite pension, il griffonne quelques paragraphes de son livre. Il m’envoie, de temps à autre un ou deux chapitres à lire. Il y parle de ce qu’ils sait : c’est une lente, patiente, obsédante méditation sur la maladie. Chargée d’expérience, car il a toujours vécu replié sur une vie intérieure intense, lucide; Si l’amitié ne m’aveugle pas, je crois qu’il y a dans ces pages un accent personnel – et pathétique - qui ne peut pas laisser indifférent. J'ai lu, comme tout le monde, des livres sur les tuberculeux, des journaux intimes de malades ; il me semble que jamais l’analyse n’a été si loin, ni si aigu le désir de sincérité, le besoin de comprendre le mystère ou phénomène – maladie. Mais je peux me tromper. J'ai peu de compétence en ces matières, j’ai toujours eu bonne santé, je suis peut-être victime de la surprise d’un homme qui se trouve transporté sur une autre planète : tout me surprend, tout me semble inattendu, inédit...
Dites-moi s’il vous semble qu’il y ait là une expérience humaine dont il vaille la peine qu’elle soit aussi minutieusement consignée. Ou bien si un tel document ne peut intéresser que d’autres malades. (C'est ce que paraît penser l’auteur, qui est le contraire d’un présomptueux.)
Et ne m’en veuillez pas trop de vous voler ainsi une heure de votre temps...
Affectueusement vôtre;
R Martin du Gard.
Commencez par le second chapitre, le n°VI, qui est plus au point, je crois, que le n° V.
IMEC, fonds PLH, boîte 167, dossier 095525 – juin 1951.
10, RUE DU DRAGON
PARIS (VIEME)
[Juin-juillet-1951]
Cher ami, à la veille de repartir pour Bellème, je voudrais bien récupérer les pages de Jean Morand, auquel je n’ai, pour certaines raisons, pas encore avoué (le ferai-je?..) que je vous les ai fait lire, et qui s’étonne de mon retard.
Inutile de répondre, vous avez beaucoup mieux à faire, mais vous seriez gentil de mettre ces 2 chapitres sous enveloppe. Je quitte Paris mercredi soir.
Et merci d’avoir pris le temps de les lire. J'espère vous mettre en rapport avec J. Morand, mais cela demande des précautions. (Il fréquente des milieux partisans, où l’on n’est pas sans préventions contre la NRF...)
*
Toujours pas d’épreuves de ma participation à l’Hommage Gide ? Ne me faites pas la blague d’escamoter la correction par l’auteur ! J'en ai quelques petites à faire, depuis que j’ai revu ces textes pour les « notes sur A.G » que je voudrais publier en octobre. La liste est prête, je ne vous retarderai en rien, j’en ai pour qqs. minutes d’attention.
Faut-il déjà vous dire « bonnes vacances » ?
Affectueusement à vous, et mes sympathiques pensées pour votre femme, je vous prie,
Roger Martin du Gard
A tout hasard : je dine Lundi chez Claude Gallimard ; si vous lui remettiez les pages de Morand, ce serait peut-être une simplification pour vous ??
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (13 juin 1951) §
Cher ami, simplement pour vous dire que je vote aux urnes, - celles de Nice, hélas – et que je serai absent de Paris jusqu’au 22. Si donc vous aviez, d’ici là, à me faire corriger les épreuves des feuillets de l’Hommage, faites les envoyer à Nice, 2 boulev. de Cimiez -
Affectueusement vôtre,
R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (19 juillet 1951) §
Bon Dieu, cher ami, tâcher de me retrouver ces deux chapitres de Jean Morand ! Pour une fois que je me permets une indiscrétion de ce genre, me voilà dans de beaux draps...
Ces deux chapitres sont extraits d’un manuscrit dactylographié à un exemplaire, tapé par lui-même, avec des corrections qui n’ont pas été reportées sur le brouillon.
« Tu te rends compte »?
J'espère encore. Affectt à vous,
Roger Martin du Gard
P.S Je ne ferai rien pour empêcher que cet extrait du livre posthume de Gide soit joint à l’Hommage NRF ; mais je regrette cette décision de Lambert et de Schlum. D'abord, parce que je ne trouve pas ces pages « très belles ». Ensuite, parce que, dans l’ensemble du livre posthume, elles sont dans le ton général ; mais, séparées du reste, montées en épingle, présentées comme un « inédit de Gide, leur médiocre intérêt saute aux yeux, et ne peut que desservir Gide.
Un « hommage à ... » est un recueil de « textes sur... » et ne comporte pas forcément des « textes de... » En offrant aux lecteurs de l’Hommage quelques lettres de Gide à Drouin, inédites, ou leur fait déjà une aimable surprise. J'aurais, quant à moi, préféré qu’on s’en tînt là.
Mais je me range à l’avis de mes comparses, n’étant, ni combattif [combatif] de nature, ni très certain d’avoir raison. Amen.
-
Et que ce P.S ne vous fasse pas oublier le début et le but de ce petit mot !
Votre
RmG
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (24 juillet 1951) §
Quoique j’aie lu les premiers « Propos » d’Alain « environ » - comme dit Duhamel ) les années 1905 et 1906 dans le Journal de Rouen, et que j’aie tous les Propos « Libres Propos » « Nouveaux Propos » dans ma bibliothèque, et que je doive à ce curieux esprit une salubre gymnastique intellectuelle je me sens des moins qualifiés pour apporter ma couronne à ce catafalque...
Dieu merci, ses « disciples » (moi, je ne l’ai jamais rencontré) sont assez nombreux et divers pour s’acquitter de cette tâche pieuse !
Je me permets toutefois d’insister pour que, dans votre quête, vous n’oubliez pas l’un de ses intimes, M. SAVIN, prestigieux prof. de philo à Louis-le Grand, qui, s’il le veut, vous donnerait sur son maître et ami des pages remarquables.
*
Pas tellement « perfide », à tout prendre, cet « Envers du Journal »... Perspicace, souvent. Mais ce qui sera « perfide », à coups sûr, c’est l’usage que certains vont en faire ! (1)
*
Mettez-vous à quatre pattes, cher ami, regardez sous le bureau, sous le lit, mais, pour l’amour du ciel, retrouvez-moi les pages de Jean Morand !
Bien vôtre,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 août 1951) §
Les « cinq jours » sont quatre fois passés, cher ami, allez-vous me brouiller avec un ami de quinze ans en m’obligeant à lui avouer cet abus de confiance ? Y a-t-il tant de désordre dans votre bureau de la NRF. ou des Arènes, que vous ne puissiez y retrouver un manuscrit que vous n’avez certainement pas mis au panier ? Je n’en crois rien. Je vous soupçonne plutôt de ne le rechercher pas, et de ne penser à ces chapitres égarés que les jours où vous m’écrivez et me conjurez de « patienter » cinq jours encore... A quatre pattes, cher ami, à quatre pattes ! Pas pendant cinq jours, pendant cinq minutes ; le temps de remettre la main sur ces quarante feuillets !
Votre,
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (3 septembre 1951) §
n’était l’ennui et le temps qu’elle vous a coûtés, je me réjouirais de l’existence de cette longue et amusante lettre de vous. Ce n’est pas, en tout cas, de la « copie » jetée aux sansonnets... Car je la garde précieusement,- pour qu’elle tombe, après moi, entre les mains pieuses d’un de vos hagiographes, et lui apporte une source - sans doute unique – de renseignements sur l’organisation compliquée et suprêmement méthodique de votre bureau, et sur l’inventaire de votre surabondant mobilier de travail ! Document non négligeable pour l’un des nombreux « J.Paulhan intime », inattendus et contradictoirement révélateurs, que l’on ne manquera pas d’écrire, avant et après la pose de la plaque commémorative sur la maison de la rue des Arènes... Mais n’anticipons pas !
Quant à l’ »objet » de cette minutieuse et humoristique relation, que voulez-vous ? Rangeons-le parmi les Enigmes de l’univers, comme un irrécusable témoignage, hélas, des Limites ou connaissable ; et passons outre ! Il ne me reste plus qu’à pondre, à destination Jean Morand, la lettre explicative et penaude que je lui dois depuis trois mois ; et je crains qu’il me pardonne difficilement d’avoir disposé ainsi d’un texte qu’il m’avait très confidentiellement laissé lire... C'est un « écorché vif »... Dieu sait pourtant que mes intentions... !
(« On » retrouvera, d’ailleurs ; ces deux chapitres. Je le sais, maintenant : vous avez trop d’ordre pour les avoir jetés. Il est évident qu’ils se sont glissés en parasites dans quelque autre dossier ou manuscrit... « On » les retrouvera ! Mais, comme ils ne portent aucune indication de noms, de provenance, ni de doute, si ce n’est pas vous qui les retrouvez, comment nous reviendraient-ils ?)
N'y pensez plus, cher ami. Ne m’en veuillez pas trop longtemps d’être la cause involontaire de tout cet irritant grabuge...Mes sympathies à votre femme, dont la santé, j’espère, ne souffre pas trop de cette humidité perpétuelle ? Et très affectueusement vôtre
Roger Martin du Gard.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (30 septembre 1951) §
Je désirerais savoir ce qui vous a autorisé à reproduire dans le n° de la NRF un fragment du « Et nunc... » ; et à détacher de cette confidence précisément les deux pages les mieux choisies poru faire scandale.
Parachever ce recueil consacré à la mémoire de Gide par un passage aussi scabreux, aussi pénible à lire ; et faire voisiner l’image du masque mortuaire avec la terrible phrase : « Tu avais l’air ou d’un criminel ou d’un fou. », (qui constitue ainsi la dernière ligne de ce volume d’Hommage), ce n’est pas seulement une inconcevable faute de goût mais une incongruité, dont aujourd’hui les exécuteurs testamentaires paraissent tous être responsables. De tous côtés on m’écrit, on me demande : « Comment avez-vous pu laisser faire cela ? « Or, à ma connaissance, aucun de nous n’a été consulté, ni même prévenu. Je n’ai pas interrogé Arnold Naville ni Pierre Herbart, tous deux absents de Paris ; mais Jean Schlumberger et Jean Lambert disent avoir été aussi surpris, aussi consternés que moi, en recevant le volume ; et ils s’en montrent pareillement indignés.
Cher ami, n’ergotons pas sur la pruderie en général ou en particulier, ni sur l’importance de ces deux pages pour les biographes d’André Gide, ni sur l’inopportunité de cette publication dans ce recueil et à cette place... Ce n’est pas une controverse que je sollicite, mais une explication.
Bien vôtre,
Roger Martin du Gard.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (13 décembre 1951) §
(Ceci est peut-être un double. J'ai dû perdre l’enveloppe à vous destinée, en faisant des courses ; car je ne l’ai plus, et suis sûr de ne pas l’avoir mise à la poste. Mais, comme elle était timbrée, une bonne âme peut-être l’aura recueillie et expédiée? )
-
Je vous remercie de votre réponse. C'est tout ce que je souhaitais savoir. Aucun de nous ne vous a autorisé à publier ce fragment de « Et nunc... » ; et vous n’avez même pas jugé bon de consulter l’un ou l’autre d’entre nous sur l’ « heureux » choix que vous aviez fait, ni sur l’opportunité de mettre précisément ce texte-là, bien en vedette, pour couronner le recueil d’hommages. Vous êtes le seul responsable, par conséquent, de cette choquante bévue... Dont acte. (Mais, si vous ne sentez pas à quel point ces deux pages sont déplacées dans ce volume, inutile de prolonger ce dialogue de sourds.)
Quant au droit de libre reproduction, j’ignore si la loi vous permettait de vous passer du consentement de l’auteur (lequel, dans le cas présent, est représenté par le groupe des exécuteurs testamentaires.) Je sais seulement que, chaque fois qu’un extrait de mes livres a dû figurer dans quelque anthologie, en France ou ailleurs, on m’a demandé de donner, par écrit, mon autorisation ; et personne n’a jamais passé outre à un refus de ma part. Est-ce par crainte de la Justice ? Ou simplement par un sentiment d’élémentaire correction ?
Je reste amicalement vôtre,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (15 janvier 1952) §
Merci, cher ami, pour cette « Lettre aux directeurs de la Résistance », qui ne peut se lire sans émoi. C'est du meilleur Paulhan, personnel, courageux, - et clair comme l’eau de source, celle qui vient des hauteurs. Ah, quand vous voulez être clair, et grave... Le sujet en valait la peine, j’en conviens.
Je vous serre les mains,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (21 mai 1952) §
Arrivé depuis 3 jours (j’étais à Nice) je repars aujourd’hui pour Bellème, profitant de l’auto de ma fille qui « fait le pont » jeudi – dimanche ) Je ne serai pas de retour avant 10 ou 12 jours -
Impossible de recevoir Mlle Cloquet ce matin. D'ailleurs aucun travail d’aucune sorte à lui confier... Rien à taper (et je suis fidèle à Mme Rueff, qui a connaît mes habitudes.)
Je communique votre appel à Jean Lambert. Il se peut qu’il ait qq. chose à faire faire; Vous devriez lui téléphoner pour lui expliquer le cas, et appuyer ma lettre (qu’il aura sans doute ce soir ? )
Je vous rappelle l’adresser
La Mivoie
Lévy St Nom (S. et O)
Tel Régional (11)
Levy St Nom, n°11
A vous, en hâte,
R Martin du Gard
Si un petit « secours-galette » était nécessaire, je vous demanderais de m’écrire un mot à Bellème (Orne) Mais vous semblez surtout chercher l’aide « morale d’un travail intéressant?
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (25 mars 1953) §
Cher ami, vous remuez le fer dans la plaie. Je n’ai vraiment rien à vous offrir, et j’en suis très réellement, très sincèrement peiné !
Quand j’ai farfouillé dans mon Journal des années 1919, 1920, pour composer mes Notes sur Gide, j’ai constaté que le retour de Copeau d’Amérique et la renaissance du Vieux Colombier à l’époque du Conte d’hiver y tenaient une certaine place, et que ces impressions, notées au jour le jour – espoirs délirants, illusions, déceptions, etc.. - pourraient être, dans l’avenir, de quelque intérêt documentaire. C'est cela que j’avais dit à Gaston, - imprudemment. Mais l’utilisation de ces notes nécessiterait tout un travail de mise au point. Elles n’auraient de raison d’être que si elles étaient incorporées dans une Etude sur Copeau et le Vx-Colombier, une étude impartiale, où les grands mérites de Copeau, son rôle de novateur et d’animateur compenseraient les critiques improvisées que m’inspiraient mes agacements quotidiens, mes exigences de néophyte et d’ami, mes sautes d’humeur, mes discussions orageuses avec Copeau, etc... Les publier telles quelles me rendraient ridicule, je vous assure. (Et me donnerait « mauvaise conscience », - ce qui est très inconfortable !..)
Et puis ce râclage de tiroirs me déplaît trop souvent chez les autres, pour que j’en fasse autant.
Comprenez-moi, ne m’accusez pas de me déorber par entêtement ou mauvais vouloir.
Bien amicalement à vous,
R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (1er novembre 1953) §
Cher ami, en rangeant les livres de cet été – tâche d’automne … - je suis bien confus de me souvenir tout à coup que je ne vous ai pas remercié du Sade, ni de l’Etymologie ! (Toujours un peu paralysé devant vous, je remets la « comparution » au lendemain, et le trimestre s’écoule... Tenez-moi compte de la tardive bonne volonté que j’apporte aujourd’hui à [comparoiz?] - furtivement...) Au vrai, pourtant, j’ai passé, avec ces deux livres, quelques soirées bien savoureuses ! (J'ai remarqué que pour goûter un franc plaisir à vous lire, il faut que je me tienne, non sur la défensive, mais en dehors du jeu, dans une attitude de spectateur : moins je me laisse convaincre, et mieux je me divertis à suivre vos raisonnements : plus me ravit votre maîtrise.) Ainsi, le goût que j’ai pour l’étymologie est sorti indemne du débat. Car j’ai du goût, ne vous en déplaise, pour l’étymologie. J'en ai fait beaucoup jadis, aux Chartes, avec le père Longuon, avec Elie Berger, à la Sorbonne avec Brunot. J'ai continué depuis. Avant d’employer un mot, j’aime retourner aux sources, retrouver son origine, son sens premier, savoir d’où il sort. Avant d’introduire quelqu’un chez moi, j’ai la même sorte d’exigence. Vous ne m’avez pas guéri de cette manie – peut-être illusoire ) mais qui me donne, en écrivant, bonne conscience, confort moral. Cela n’empêche pas que je je me sois fort amusé à suivre les délicats méandres de votre controverse, et que j’en aie tiré, pour mon instruction, grand profit. On revient toujours enrichi, d’une rencontre avec vous !
Je lis chaque mois votre N.N.R.F. De A à Z, avec une inaltérable sympathie. Je m’y sens chez mi, j’y respire l’air natal...
Je vous serre bien affectueusement les mains,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (10 décembre 1953) §
Je n’ai pas vu Madame Léopold Chauveau depuis le printemps : mais si elle avait des « troubles mentaux » inquiétant son entourage, je le saurais à coup sûr, par sa soeur, la doctoresse Marthe Lamy, et par son beau-fils, Olivier Chauveau, ex-officier de marine, qui vit à Versailles, et a gardé avec Madame Chauveau (qui l’a élevé) des relations familiales très affectueuses et très régulières. J'ai reçu dernièrement de Marthe Lamy une carte amicale ; si sa soeur Madeleine avait été en mauvais état de santé, elle m’en aurait averti. Pas d’inquiétudes à se faire, non plus – sur la situation matérielle de Madeleine Chauveau ; d’abord parce que son beau-fils, qui a une « belle situation » - comme on dit -, ne la laisserait manquer de rien ; ensuite, parce que la mort de Madame Lamy, (mère de Marthe et de Madeleine) survenue l’an dernier, a laissé une fortune non négligeable, (d’aucuns disent même très importante) aux enfants.
Je vous donne, à tout hasard, les adresses :
Mme Léopold Chauveau. 89 rue Denfert Rocheveau XIVe
Olivier Chauveau – 23 rue Mausart; Versailles. Tel. VER. 27-43
Vous pouvez, en tout cas, rassurez votre charitable correspondante : Madame Chauvea, - depuis son veuvage surtout – est un peu fantasque et bizarre, se fait des idées fausses sur mille choses, et, avec des amis, elle est tantôt serviable, incroyablement dévouée, tantôt hypersensible et même susceptible... Il n’en faut pas plus pour qu’on fasse courir le bruit qu’elle est cinglée.... Rectifiez, rectifiez !
Bien affectueusement,
R.M.G.
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (15 décembre 1953) §
L'attention me touche, cher ami, et je vous remercie d’avoir pensé à moi pour cette « brillante » réunion. (- « Tous, des élites ! Comme dit mon jardinier, en parlant des amis qui vienne me voir ici...) Mais, vous le voyez, je m’attarde dans ma solitude, encouragé par cette douceur printanière ; et, seule, mon amicale pensée sera avec vous le 17 !
Suis curieux de voir ce que vous appelez une « revue de propagande » exceptionnellement « indépendante »...
Affectueusement à vous, et tous mes regrets reconnaissants,
Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (3 mars 1955) §
Ayant eu l’occasion de faire faire cet agrandissement d’un cliché (de Madame Sternheim, je crois) – sur la demande de Mme van Rysselberghe – j’en ai fait tirer une épreuve pour vous – Mais peut-être avez-vous déjà cette photo de l’ami Groeth ?
Affectueuses amitiés
R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (3 septembre 1955) §
J'ai cédé à une crise maligne d’exhibitionisme [exhibitionnisme] tardif... Après m’être abstenu toute ma vie de parler de moi, j’ai lâché soudain la bonde ! .. J'en suis surpris moi-même. Cela n’a été possible que parce que j’ai maintenant l’optique de la mort : ces notes autobiographiques, au seuil d’une édition nécrologique (comme l’indique ce titre d’ « Oeuvres complètes » - ça sonne comme un glas ! -) sont, à vrai dire, des posthumes. Puisqu’il fallait absolument mettre une notice biographique en tête de ces deux volumes, j’ai pensé que mieux valait m’en charger moi-même, non pour romancer flatteusement ma vie d’écrivain, mais pour donner, du moins, des documents exacts et des précisions – intéressantes ou non – que je suis seul à connaître. (Le vieux chartiste sommeille en moi, à côté du fameux animal de Monselet...)
Il va sans dire que ce « je » complaisant serait ridicule et inexcusable partout ailleurs que dans ces « Oeuvres complètes ». Rien ne pourrait en être publié dans la N.R.F. Rien, si ce n’est, peut-être, en effet, ces pages sur Copeau auxquelles vous faites allusion... Je donne, en une trentaine de pages, mes souvenirs très personnels sur le Copeau-1914, que j’ai vu de si près et que j’ai peut-être mieux connu qu’aucun autre. J'y insiste très longuement sur l’influence exceptionnelle que l’amitié et la fréquentation de Copeau, - de Copeau romancier-né, romancier prodigieux a eu sur ma formation de romancier. C'est une dette de reconnaissance qui me pesait depuis longtemps, - depuis quarante ans, - et que je désirais acquitter avant... enfin, avant la décomposition organique ! C'est fait, et j’en suis heureux.
Mais publier ça dans la N.R. Est une autre histoire. Je doute que ces pages vous plaisent, et qu’elles plaisent à Arland... Je me demande aussi quel intérêt elles pourraient avoir pour vos lecteurs d’aujourd’hui ? … Bien entendu, il me plairait de figurer sur votre sommaire, et de donner ainsi témoignage que, malgré mes silences, je suis encore un fidèle de la boîte. Considération accessoire, dont il n’a pas lieu de tenir compte. Lisez mes pages sur Copeau ; j’ai prêté un exemplaire du manuscrit, pour quelques jours, à Gaston, pendant que je travaille au dernier tiers, (une trentaine de pages) qui me reste à finir. Montrez-les à Arland, et donnez-moi franchement vos impressions – sans clauses de style. Aucune susceptibilité d’auteur à ménager !
Santé ? J'ai fourni cet été un travail assidu, pour préparer et écrire ces souvenirs. Mais, malgréune grande fatigue, - je survis !
En hâte, bien affectueusement,
R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (2 mars 1957) §
Cher ami, j’ai peut-être échangé une ou deux lettres avec Valery Larbaud ..? Je crois bien ne l’avoir jamais rencontré... N'oubliez pas que c’est en décembreautomne 1913 que j’ai débarqué dans les eaux de la NRF et du Vieux-Colombier ; et que, dans ce semestre qui a précédé la mobilisation, c’est uniquement Copeau et le Colombier que j’ai fréquenté intimement. Je m’aventurais d’autant moins souvent ans la boutique de la rue Madame que j’ai eu, cette année-là, Gaston au Vx. Colombier, tous les soirs.
Ceci, pour expliquer que je n’ai rien, absolument rien, à dire de Larbaud ! La sympathie qu’il m’inspirait venait, - au moins autant que de ses livres -, des conversations de Gaston, qui en parlait sans cesse très souvent et avec une chaleureuse et tendre curiosité, aimant son oeuvre, aimant plus encore l’homme, l’ami, ses confidences, sa culture, ses souvenirs de voyage, ses pardessus cossus, ses valises en peau de porc, et sa mégère de mère (qui disait à Copeau : - « St Yorre me pisse cinq cent mille francs par an ! » mais qui reprochait à son fils les dépenses de son blanchissage...)
Ne me réservez donc aucune page de votre numéro d’hommage, mon cher Paulhan, je n’aurais rien à vous y mettre.
Je suis bien sensible à votre mot, et que vous ayez pensé à moi (- qui m’éloigne, qui m’enfonce peu à peu dans mon crépuscule...) Je suis bien remis de mon opération, mais le vieillissement général s’accentue, il me semble, surtout depuis ces derniers mois, où je suis atteint de la façon la plus éprouvante, sinon dangereuse : condamné, par une violente crise de rhumatisme dorso-lombaire, à une vie de paralytique. Impossible de sortir du lit avant 5 ou 6 comprimés d’aspirine ; mes journées commencent à midi ! Et se passent dans un fauteuil corseté dans un carcant orthopédique... ! Mon petit-fils m’a amené à Nice, au début de décembre, par avion : je n’ai pas une seule fois pu reprendre l’ascenseur, pour faire ne fût-ce que cinquante mètres, sur la terrasse. Une chance d’habiter un pays où le soleil vient de lui-même à vous, tous les jours, à la fenêtre !
Excusez ces jérémiades, cher ami. C'est entre nous ; - pour répondre à vos questions amicales.
Bien affectueusement vôtre,
R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (15 mars 1957) §
Que vous ayez pris la peine, cher ami, de vous penchez sur mes misères avec une sollicitude aussi appliquée, aussi compréhensive, et un si évident désir d’être efficace, est une preuve d’amitié qui me touche vraiment beaucoup. Le sous-entendu « J'y étais, telle chose m’advint » confère à vos conseils une valeur impressionnante, et je les prends très au sérieux. Mon médecin aussi (le docteur Châtenoud, de Nice, un fidèle abonné de la N.R.F. et un de vos plus anciens lecteurs, habitués à porter attention à tout ce qui vient de vous...) J'ai commencé aussitôt par une offensive en règle contre cette perpétuelle lassitude, - qui n’a rien de douloureux, mais qui est presque pire qu’une souffrance localisée, par son action quotidienne, insidieuse, obstinée, à laquelle le moral résiste bien difficilement. Donc, j’ingurgite, à chaque repas, des doses massives de carottes rapées largement arrosées de jus de citron ; je déteste ça, mais l’espoir que vous avez éveillé me rend résolu, impavide ! Carotte et re-carotte crue ! …
Depuis une quinzaine, je suis un nouveau traitement – après tant d’autres - , et il me semble bien constater une amélioration, (la première depuis le début de décembre !). J'ai pu, sans dommage, réduire de moitié l’absorption de l’aspirine ; et la mise en marche du matin, qui exigeait quatre ou cinq heures de gémissants efforts, s’accomplit maintenant entre 7 et 10H, avec une diminution sensible des douleurs. Ces piqûres, un peu compliquées parce qu’il y a 3 ampoules différentes à amalgamer dans la seringue, sont essentiellement à base d’iode et de soufre, à quoi s’ajoutent quelques subtiles dilutions, d’un usage moins ancien... Est-ce enfin ) carotte aidant ) la lueur au bout du tunnel ?
Mes journées de malade sont courtes ; mes possibilités d’attention très limitées. Je n’ai pas encore lu la revue de mars. (On m’écrit grand bien de « la Présidente ») (Et je suis d’avance bien curieux du Robbe-Grillet.)
Excusez mon égocentrisme si peu camouflé. « Les ans en sont la cause »... Affectueuses et reconnaissantes amitiés,
R Martin du Gard
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (26 mars 1957) §
Combien reconnaissant, cher ami, que vous m’ayez exempté de ces affreuses carottes « râpées » Le malheur, c’est que j’ai essayé du « jus », et que je n’ai pas encore assez conscience de mes péchés pour m’imposer chaque jour une si nauséeuse pénitence ! Par chance j’ai fait cet essai avant de me faire envoyer un Turmix, et je vais éviter cette dépense fastueuse ! (Mon essai a été possible grâce à la complaisance d’un restaurateur voisin, qui affiche, pour allécher le client, que ses menus comprennent, sans augmentation de prix, un verre de carottes pressées. J'ai pu m’en procurer plusieurs jours de suite : pas assez, pour guérit ; mais assez pour avoir atteint les bornes de mon courage...)
Affectueuse accolade, sous le signe de la carotte ! Et merci, bon Samaritain.
R.M.G
Si je vous tenais là, je vous infligerais bon gré maugré, l’audition de quelques pages du dernier Guéhenno ; « La foi difficile » - (Vous êtes bien capable de ne pas y aller voir tout seul...) J'ai peine à croire, pourtant, que vous ne trouveriez pas, comme moi, que c’est un fort beau livre, et que les passages « bouleversants » sont assez nombreux ! Mais oui !
RmG
Ah, ceci encore : j’aimerais tellement que la N.R.F ne laisse pas passer sans un signe d’intérêt le livre plein de ferveur que mon ami Pierre MAROIS, après des années d’intimité avec l’oeuvre et le souvenir de VAN GOGH, vient de faire paraître chez Stock :
« LE SECRET DE VAN GOGH » (Stock) mars 57
Roger Martin du Gard à Jean Paulhan (13 mai 1957) §
[Carte postale : paysage d’hiver peint avec la bouche]
13-5-57-
Cher ami, je pense à vous, chaque jour, et deux fois devant le verre de jus de carotte au citron que me secrète allègrement l’appareil Hauser ! J'y ai pris goût, figurez-vous, et d’autant plus gaillardement que je me sens en bonne voie d’amélioration. Si je ressuscite, je grimperai à quatre pattes l’escalier de la N.R.F. pour aller suspendre un ex-voto au mur de votre bureau ! A vous,