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Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).
Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Camille Koskas (Responsable éditorial) et Simon Battistella (Transcription).
Votre lettre m’arrive à l’instant, j’y trouve naturellement bien des raisons pour être heureux. L'en-tête : Gallimard – frappe le malade, elle lui dit que rien n’est encore perdu, qu’il peut se croire, et que ce soleil reprendra ses droits. J'exagère. Pour cette enflure aux yeux, je vous souhaite prompte guérison. (et il y a cet : afin que vous veniez promptement me voir).
Puisque vous me le proposez, je serai en effet très heureux de recevoir quelques livres. Lesquels ? Je vous en laisse le choix. (ici, je lis la Nouvelle Héloïse).
Il s’agit aussi de « ma » maladie. Celle-ci, semble-t-il, sera de longue durée. Peut-être un an à rester dans le plâtre. Il s’agit seulement d’une jambe, de la droite, et sans en souffrir, je n’en puis faire usage.
Dans l’attente de vous voir, je vous envoie mes amitiés – (et) suis très vôtre
Pierre Minet
P.S. Pour les livres, afin de faciliter votre choix : des livres sérieux. Genre : qui font du bien au moral- !.
Votre lettre m’a causé un grand plaisir, mon cher Paulhan. L'annonce de votre visite m’a rendu heureux, et je vous attends. Merci beaucoup de vos 2 N.R.F., celle d’avril et celle de mai. Pour les livres, ceux que vous m’apporterez me plairont certainement.
Je ne sais trop comment nous allons nous trouver, mais je sais que votre présence me causera beaucoup de joie. Je suis d’ailleurs un [mot barré] sot de mettre du romantisme dans nos rapports. Vous êtes pour moi un grand ami, et voilà tout.
Je crois vous avoir écrit au sujet d’une pièce que j’ai écrite ces mois derniers. Je vous en reparlerai.
En vous attendant, mon cher Paulhan, je vous envoie l’amitié et suis le vôtre
Ainsi, mais vous êtes le premier à qui j’écrive. Deux mois que nous nous sommes vus. Et depuis cela de ma part que de tentatives pour me retrouver d’aplomb. Je suis « dans une mauvaise passe morale » comme dirait mon docteur. Et, naturellement, ai goûté encore à l’hôpital : j’en sors, il y a 2 jours. Une angine extrêmement aiguë, avec évanouissement, etc... On aurait dit que j’étais mort. La bonne de l’hôtel l’a même dit.
Tout est bien embêtant. Je ne vous le cache pas : embêtant aussi de ne rien trouver sur mon compte dans la N.R.F. Le pauvre Eugène passe très inaperçu, mais j’espère que vous n’allez pas l’oublier. Vraiment non, j’ai peu travaillé. Il y a une grave affaire : L'Amour. Avec ça tous ces trains, ces changements : Niort – La Rochelle – etc … Quand on voit la Dame, elle échappe encore. Ai vu max Jacob à tréboul.
Exactement je ne sais où vous êtes. J'envoie à la N.R.F avec : faire suivre. Vous savez comme j’aimerais recevoir un mot de vous.
Pardonnez-moi tous ces manques. Et faites toute mon amitié à madame Pascal.
Voici des nouvelles. Suis en famille depuis 10 jours. Au départ, c’était merveilleux : quitter Paris, où règne mal une dame occasionnant chez moi maux de tête et bien plus, pour aller reprendre vie, refleurir dans le sein des miens. Riche idée ! … Maintenant j’en doute. La dame devenue invisible avait pris place dans le wagon, à Reims elle m’a aisément retrouvé. Je souffre de ne point voir son visage, et d’être encore sous son joug. Ni l’un ni l’autre ne nous sommes écrit. Il n’empêche que je l’aime .. mais elle ? Etc ….
Mon cher Paulhan, vous savez que souvent j’agis et vois maladroitement. Mes dernières visites à vous m’ont fait croire que peut-être il y avait froid (un certain froid). Sans doute il n’en est rien, et vous me trouvez ridicule. J'ai toujours regretté beaucoup n’être qu’un visiteur-ami, ça gêne l’expression. C'est l’histoire : à l’amitié il faut une alcôve, etc...
Vous me renseignerez sur cela et en rirez, dans votre lettre. J'y vois mal, car je suis un peu démoli, c’est sûr. « On » a fait de moi un monsieur tragique, à tort. Mais enfin je le suis réellement devenu et pour ne plus l’être, que d’efforts ! Tout ça, tout ça …..
Il y a des avantages à être ici. Une sœur Simonne institutrice et bien, en somme, m’apprend la grammaire. Pas à dire, je fais des progrès. Je lis beaucoup, Sophocle, de l’histoire, des Romans Balzac, etc... Pour mon propre travail …..... enfin ! Commencé une pièce de théâtre, ça débute très bien, mais que sera la suite ? : je n’en sais à peu près rien. Des doutes m’assaillent, en grand nombre, même ; ça n’a rien d’extraordinaire, tout le monde en est là, etc...
Soyez assez aimable pour m’envoyer la NRF de février ici, voulez-vous ? Je serai très heureux de recevoir votre lettre, mais moi ai tout le temps, au contraire de vous. Mon père est devenu tolérant, nous avons eu une seule petite discussion : il ne croit guère à la vénalité de la presse française, il est à peu près impossible qu’un français se tienne mal, etc... Vous voyez !
Mon cher Paulhan je vous envoie toute mon amitié ainsi qu’à madame Pascal, et je suis toujours le votre.
Voici votre lettre, qui naturellement m’a fait beaucoup penser. Qui m’a peiné, aussi. C'est qu’en somme, mon cher Paulhan, je souffre de votre incompréhension. Non pas que vous ne puissiez me comprendre. Simplement votre amitié pour moi n’a jamais dépassé les « cadres » ordinaires, alors que la mienne pour vous m’a fait croire à l’existence d’un véritable sentiment nous liant fort. Je suis donc l’auteur de ma peine, par la joie irraisonnable que nos rapports me causait, et par mon manque d’observation en l’occurence.
Je ne puis ajouter foi à la raison que vous me donnez, à savoir que peut-être vous m’en avez voulu de ma conduite envers Gaston Gallimard. Quoi ?! : malade, dans une situation matérielle affreuse, menacé de tous côtés, j’aurais dû, par amitié pour vous, échapper au salut qui m’était offert ? Croyez-vous donc que je n’ai souffert d’avoir à quitter une maison dans laquelle votre grande bonté m’avait fait entrer ? Mais il me semblait que votre amitié allait comprendre le désir que j’avais de vivre encore (ne pensez pas que j’exagère). Je n’ai jamais cessé de souffrir de ce départ. Mais il fut inévitable. Mon cher Paulhan, si je croyais à votre raison, vous me sembleriez être [mot barré] tout à fait dépourvu de « sens humain ». Ce qui n’est pas. Je vous dis : il y a une toute autre raison à votre éloignement. Et, selon moi, la voici.
Vous attendiez beaucoup plus de moi. Vous m’attendiez plus « aimable », plus « nourrissant » oserai-je dire … Je vous ai déçu. Mais sachez que vous n’êtes pas le seul … Ici, je vous ferai un tout petit reproche : Il m’a toujours été très difficile de vous atteindre, parce que jamais vous n’avez manifesté le désir de me voir ailleurs que dans votre bureau. Il y a une manière de donner son amitié ; pour moi, qui ne suis et ne peux être brillant, je ne me révèlerai jamais en présence de telle ou telle personne étrangère à moi, je n’ai du reste pas les moyens de faire assaut d’intelligence... Dans votre bureau, je fais un peu figure (à moi-même) du parvenu, un parvenu assistant aux remarquables et nobles prouesses orales de quelques uns des meilleurs gentilshommes de la Cour du Roi Un Tel. Devant cela, forcément je reste bouche bée, en pleine admiration... Mais comment suis-je donc, pris dans l’intimité ? .. Mon Dieu ! C'est inexplicable...
Quant à ce que vous me dites du peu de solidité de mon amitié, selon vous, eh ! Bien, non, je ne vous répondrai pas. Croyez que vous m’avez fait souffrir involontairement. Ce qui m’étonne, c’est que vous ayez conservé un si vague souvenir de certaines de mes lettres à vous, dans lesquelles je croyais m’être mis tout entier et que peut-être j’avais écrites un peu dans l’espoir de forcer le développement de notre amitié.
Voici, mon cher Paulhan. Allez-vous me répondre ? Je vous téléphonerai bientôt. Que de direz-vous ? Enfin, je suis votre ami.
Merci pour l’envoi du coiffeur et de son journal. Je suis heureux de ne pouvoir pas vous donner mon opinion sur lui, n’en étant qu’à la quarantième page..... Pour l’auteur, je ne le connais pas et ne sais pas où il « va ». Mais il ne me semble pas impossible qu’un de ces jours il réinvente la pantalonnade mystique (interprétez cela dans le sens que vous voudrez). Et je vous prie de ne pas trouver à redire à ce que je vous sorte des sottises.
Je pense que vous allez bien. La N.R.F de juin m’a paru très intéressante, y compris l’article de René Daumal. J.R. Bloch a bien de la chance de publier chez vous. En voilà un qui ne devra pas oublier le grand honneur que vous lui faites.
Vous connaissez certainement « le roman de l’énergie nationale » de Barrès. Je viens de le terminer. À tous point de vue [sic] je trouve ça très fort. J'aime sa passion de l’intensité, et souvent son nationalisme. Il s’éprend également de ses personnages, il les sert également, et cela avec une grande honnêteté. Je ne connaissais de Barrès que ses Cahiers. Ce que je viens de lire me donne une envie furieuse de le connaître davantage. Quand vous viendrez (…) je vous monterai des notes relatives à ce roman (qui – j’ai eu grand plaisir à le reconnaître – est construit de même manière que le roman que je travaille à présent. Par ex : même « impartialité passionnée », même façon un peu stendhalienne de considérer – tout en les écrivant – des jeunes gens dans leur croissance). Je vous monterai aussi des notes suggérées par la dernière N.R.F.
Ma santé ? J'attends toujours l’opération. La patience ! Enfin, rien à faire, j’y suis obligé. Pas moyen d’opérer tant que mon abcès interne n’aura pas totalement disparu.
À Lilian Fisk (je tiens tout à faire à la dédicace)
[1933]
Trouvez-vous mauvaise la disposition du poème ? Non, n’est-ce-pas ?
Mort, je m’égrènerai en Toi...
Et non pas seulement mon corps
Mais aussi mes bonnes mes mauvaises
Pensées
Tous les chemins que j’emprunterai
Revivront en Toi.
Je veillerai dans ta chair, pour
L'émouvoir.
Ton esprit recevra le mien comme
Un vent
Tu ne cesseras de m’écouter
Enseveli en Toi, pour que Tu
Me chantes …
___
Ici repose un corps aux molles immobilités. L'âme qu’il contient mime la mort.
Mais demain, demain n’est-ce-pas, le renouveau donnera son sang aux affolés ? Car il faut être soleil, il faut la vie rayonnante...
Nous ne nous serons donc pas vus. Je pars pour l’hôpital de Berck après-demain matin mercredi. Je resterai là-bas probablement un an complet.
J'ai réellement souffert de votre « attitude » à mon égard, j’en souffre encore mais sans commettre la faute de vous garder quelque rancune. Car enfin je suis un ami médiocre, et je n’oublie pas les déceptions que je vous ai causées. J'aime votre esprit, votre caractère, et je souffre précisément de n’avoir pas su me les attacher. Voilà tout.
Je vous écrirai bientôt pour vous donner ma nouvelle adresse afin que vous puissiez me faire parvenir la N.R. Peut-être aussi m’écrirez-vous ? Trouvez donc encore quelques cartes postales à m’envoyer ; par leur volume elles composent une lettre et dispensent des mots ! … Vous me pardonnez, n’est-ce-pas, cette ironie de « chien battu » ? Il faut toujours qu’avec vous je « gaffe » !
Je suis toujours couché, naturellement. Mais dans un mois ou deux je commencerai à marcher. Véritable expérience, pour moi … et qui comportera plusieurs risques.
Peut-être voudrez-vous savoir que je travaille et qu’à Berck forcément je travaille davantage. Je trouverai là-bas un horizon. De retrouver l’espace me fera beaucoup, beaucoup de bien.
Voilà, mon cher Paulhan. Je suis, amicalement, toujours le votre
Pierre Minet.
P.S. Vous ferez mes amitiés à madame Pascal, voulez-vous ?
Vous devenez inexplicable. J'ai reçu la N.R.F., mais point les livres demandés, si facilement « expédiables », n’est-ce-pas ?. J'attendais de vous quelques lignes, qui eussent été un signe de compréhension... Il me semblait aussi que votre sensibilité dût naturellement tenter de me désaltérer un peu. Mais rien. J'imagine à quel point je vous irrite, mais imaginez donc à quelle je puis souffrir parfois d’une solitude, outrée, grâce à quoi d’ailleurs je résiste à l’opprimante médiocrité d’ici. Cet hôpital est un enfer … Vous savez que j’occupe un lit dans une vaste salle où 26 compagnons ont tous les hurlements et toutes les musiques.
Faites comme il vous plaira mais votre silence en se prolongeant m’accablerait.. Donnez-moi congé, si c’est votre intention... Renseignez-moi, je vous en prie.
Votre
Votre lettre m’a fait le plus grand plaisir. Elle est bienveillante et vraiment amicale. Mais vais-je savoir y répondre ?
Savez-vous que je marche ? Depuis un mois. Après un an d’immobilité absolue avec la moitié du corps prise dans un plâtre imaginez ce que furent les premiers pas. Quelque d’atroce et de grisant. D'abord par deux infirmières je m’appuyais ensuite sur des béquilles. Mes pieds avaient enflé, les talons étaient douloureusement ahuris d’avoir à soutenir ce corps déséquilibré et qui ne parvenait pas à concevoir sa renaissance. J'étais prodigieusement las. Depuis dix jours cela va mieux. Je marche à l’aide d’une seule canne. J'ai toujours un plâtre mais qui va seulement de la poitrine au genou et ne pèse pas très lourd... Mais à mesure que je progresse la marche m’accapare davantage. Ainsi : ¼ d’heure de marche – 10 minutes de repos, allongé sur mon lit, la jambe malade légèrement surélevée afin de permettre au genou de se désankyloser peu à peu (il est presque tout à fait raide). ¼ d’heure de marche, 10 minutes de repos ; ¼ d’heure de marche, etc...etc.... Cela de 8h du matin à 4 heures ½ du soir … Vous voyez cela ? Je ne pense pas, je suis tout entier dans mes jambes.
Ou si je pense, c’est promptement et pour un instant seulement … À votre question : « depuis quand êtes-vous poète, etc ? », ceci m’est venu tout de suite à l’esprit : « La poésie qui est comme le sang de l’âme révoltée est aussi le miroir de l’âme paisible. Mais cette paix que j’entends est probablement l’état de révolte le plus beau, le plus harmonieux, le plus riche. La poésie est le vrai refuge de l’âme. C'est son habit des jours de fête ». Après cela rien à faire, la « flamme » n’était plus. Mais que pensez-vous de cette « définition » ?
Oui, n’est-ce-pas, je vous écris d’une manière guindée ?.. Pardonnez mes hésitations. Peut-être qu’à force de ne vouloir pas vous décevoir je perds mon naturel et cherche mes voies alors que je devrais me laisser conduire par elles … Mais heureusement vous dites bien voir ma salle, ma galerie, mon espace. Ainsi comprenez-vous la difficulté que j’éprouve souvent à trouver à ma pensée une expression suffisante … Pour penser je dois me livrer à un véritable travail ; et cela transparaît ici.
J'ai reçu vos deux livres ; vous ne m’avez pas demandé de faire une note pour celui de Dabit. Mais j’en ferai une pour « les lances rouges » certainement et une autre aussi si vous le désirez pour « faubourgs de Paris ». Mais comptez-vous sérieusement sur ces notes ? Si oui, écrivez-le moi, et je me presserai …
J'écris peu, parce que la marche m’accapare et que les cris de mes camarades et leurs musiques sont des obstacles presque insurmontables mais quand bien même serais-je dans une chambre, [mot barré] la nécessité de marcher (et de cette manière cadencée et fréquente) rendrait le travail impossible … De courtes notes, oui ; du genre de celle que je vous ai transcrite. Bientôt - quand je marcherai aisément – je tenterai d’obtenir une chambre particulière … J'ai le vif désir de reprendre le livre en cours.
Oui, certainement je collaborerai avec plaisir à votre « Tableau de la poésie en France ».
Je crois bien que la N.R.F m’est décisivement fermée, n’est-ce-pas ? Cependant à tout hasard je joins deux poèmes écrits il y a quelques moi, à St Louis. Je les crois bons. Dites-moi si vous consentiriez à les publier. Et, plus simplement, donnez-moi votre avis sur eux...
Puisque je marche ¼ d’heure et me repose 10 minutes, etc... je quitte cette lettre y reviens. D'où mon impuissance à vous répondre vraiment...
Vous me posez d’ailleurs des questions for graves. Peut-être est-ce que je ne « puis pas » différencier mon « oeuvre » de moi-même, et que je crois son évolution vassale de l’évolution de ma « conscience » ; et j’entends l’évolution de mon style aussi... Je vous dis cela très mal. Je ne veux pas maintenant vous décrire les nombreuses découvertes faites durant cette dernière année ni me peindre à vous tel qu’à peu près je crois être. Parce que pour cela je devrais me recueillir et que c’est impossible. Mais certainement je me suis enrichi. L'enthousiasme est perdu, et la joie même. À leur place s’affirment les « harmonies de la souffrance ». Mais non ! Mon cher Paulhan, je ne parviendrai pas à vous dire cela aujourd’hui.....
Je ne crois pas au « progrès de l’oeuvre ». Mais il y a ceci : à présent j’écris correctement le français, j’ai plus de vocabulaire, et n’est-ce pas que je ne fais plus de fautes d’orthographe ?! (vous souvenez-vous ? : certaines de mes fautes vous étaient inexplicables. Elles avaient ma naïveté et mon « allure ». J'étais harmonieusement inachevé. Je n’ai plus ces charmes ; peut-être pour cela vous est-il souvent difficile de me reconnaître ? - Je tiens énormément à votre amitié que je crois fragile et qui pour cela me paralyse un peu. Cependant mon amitié pour vous ne m’a jamais permis de vous atteindre vraiment… Elle n’a pas « vécu » assez ni assez souffert... Je voudrais qu’elle fût d’une intensité plus simple peut-être, plus vivante... Mes lettres à vous reflétèrent toutes ce besoin d’atteindre l’homme en même temps que l’écrivain. Par exemple : vous savez, je crois, que depuis plus de six ans ma vie appartient à un amour qui est seul à me donner une raison d’être (je m’exprime excessivement mal – mais passez là-dessus). Maintenant je n’ai pas une pensée qui ne s’en inspire... Eh bien ! Je ne saurais rien vous en dire ; et il me paraît impossible que vous me compreniez, que vous ayez une juste notion de moi sans cela... (pardonnez-moi : il me paraît impossible que vous me compreniez, puisque je ne vous ai rien pu dire, etc..) - Bon ! - mais passons ! Je renonce à poursuivre cette lettre.... Mais écrivez-moi, voulez-vous ? Et certainement un moment se présentera où je serai à même de vous écrire mieux … Prochainement … Ou bien ne vous écrire que quelques mots chaque jour, et lorsque cela fera deux, trois pages, vous les envoyer … mais je vais attendre votre lettre.
Je vous envoie mon amitié
et suis toujours le vôtre
Pierre Minet
P.S. Faites mes amitiés à madame Pascal.
P.S. Je vais recevoir la N.R.F de mars ; mais je ne savais rien des Fleurs de Tarbes.. Sera-ce tout un livre ?
Oui, je suis à Berck, mon cher Paulhan. Et toujours plâtré et couché. Vous savez qu’en juin je fus réopéré. Ma santé va, cette opération semble avoir porté ses fruits, mais je ne remarcherai pas avant décembre.
Après tout, ces deux ans de maladie et d’hôpital m’ont donné beaucoup, m’ont grandi je crois, et de les avoir vécu immobile ne m’a pas empêché de connaître des émotions très actives. À présent même je leur suis redevable d’une expérience qui m’émerveille et que certainement ils ont directement provoquée. Il s’agit naturellement d’un amour, du nouvel essor d’un amour qui dire depuis sept ans. Enfin ils m’ont fait travailler.
Bientôt, mon cher Paulhan, vous recevrez des textes de Blecher. Des poèmes et quelques pages de prose. Blecher qui est très malade vit actuellement dans un sanatorium des bords de la mer Noire. J'aime ce qu’il écrit, j’admire sa « force morale », c’est vraiment un homme en qui j’ai grande confiance. Ces textes ne vous satisferont peut-être pas, mais ils vous intéresseront assez pour que vous encouragiez Blecher et ne le perdiez pas de vue. Bientôt également je vous enverrai le « petit carnet d’hôpital ». Exactement : une partie de ce carnet, sous ce titre : « fragment d’un carnet berckois ». En effet, à la suite d’évènements cocasses qu’un jour jour je vous conterai tout ce qui a trait à l’hôpital, à la vie des hospitalisés, etc... Vous recevrez donc quelques pages seulement [mots barrés] … Je ne pense pas du tout que vous les publiiez ; aussi je vous demande de bien vouloir me les renvoyer une fois lues, car elles forment le seul exemplaire dactylographié que je possède – à moins que par extraordinaire vous n’en comptiez faire quelque chose.
J'aime beaucoup le « Tableau de la poésie » … La plupart des poèmes sont d’ailleurs remarquables … Je trouve cela extrêmement original.
Cingria à la N.R.F. Que c’est bien ! Sa dernière note est tellement étoffée … N'avez-vous pas l’intention de publier dans la revue ses « Pendeloques alpestres » ? Oui, je connais très bien Cingria. Je l’imagine très bien dans votre bureau, discourant merveilleusement, avec ses gestes, la manière qu’il a d’assommer ses mots, parfois, ses brusques élans, sa tyrannie … Tout un spectacle très beau.
Pourrez-vous m’envoyer quelques livres ? Si oui, joignez-y « Les sorciers du canton » de Pourrat... La surveillante du service où est ma chambre a très peur du diable, elle s’intéresse à la magie et si je lui offre ce livre elle sera sûrement très heureuse.
Je travaille beaucoup, du matin au soir : un nouveau livre (le sixième depuis 3 ans), mais que, celui-ci, je n’abandonnerai pas. Ça marche tout à fait. Un récit, très imaginé, très vivant, me semble-t-il … Ce que j’ai fait de mieux jusqu’à présent, peut-être … Il pourra vous plaire …
Voilà, mon cher Paulhan … Recrivez-moi bientôt, voulez-vous ?
Mais, mon cher Paulhan, cela n’a pas une telle importance.. Simplement, votre défiance à l’égard du texte paru dans Le Disque Vert me peinait. Comme vous dites, il ne peut s’agir que d’un malentendu.
J'aime beaucoup ce numéro du Disque Vert. Et vous ? J'espère qu’un jour Hellens et moi nous nous rencontrerons. C'est un homme qui plaît tout à fait.
Mon roman : Les Bourneuviens est « en route ». Je l’ai bien en mains. Ça pourra être un bon livre, si je le réussis. J'y travaille 5 heures par jour, je suis emballé ! Vous le lirez … Comme ça sera très vivant, et qu’il n’y aura pas des digressions, je pense que vous l’aimerez.
Ici, beau pays mais avec de vilaines religieuses, franchement insupportables. De nombreux petits soucis. Mais ça marche tout de même.
À bientôt un mot de vous, mon cher Paulhan. Croyez à toute mon amitié.
Le votre
Pierre Minet
P.S. Mon souvenir à votre femme. Quand vous verrez Cingria, faites-lui mon amitié. Je ne me souviens plus du n° de sa maison, rue Bonaparte.
Ci-joint la notice - en quatre exemplaires – à remettre aux membres du Comité de la Fondation Mel-Duca, que vous rencontrerez demain.
Bien sûr, cette bourse mirifique résoudrait mes problèmes et me permettrait de redevenir écrivain. Et je vous suis infiniment reconnaissant de bien vouloir, cette fois encore, m’épauler.
Il doit y avoir certaines formalités à remplir : dépôt d’un exemplaire des livres publiés, par exemple, dont je vais m’occuper. Je me permettrai d’ailleurs de venir vous voir vendredi prochain.
En vous remerciant encore, je vous prie de croire, cher Paulhan, à ma vieille et toujours vive amitié.