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Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
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Adrienne Monnier
1926/1936
Adrienne Monnier à Jean Paulhan, correspondance (1926–1936)
2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Ont participé à cette édition électronique : Camille Koskas (Responsable éditorial), Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Simon Battistella (Transcription) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (18 octobre 1926) §
Je suis tout à fait contente que La Servante en colère vous plaise ; je
n’ai pas besoin de vous dire, n’est-ce pas, que Sollier serait très flatté de voir son
texte imprimé dans la Nouvelle Revue Française, après avoir joué
l’esprit fort quelque temps, il s’est décidé à m’avouer ce sentiment.
Pensez-vous pouvoir passer rue de l’Odéon bientôt ? Je voudrais arranger un ou deux
rendez-vous entre vous et Bécat pour votre portrait. Je prépare une exposition de tous ses
portraits dessinés et gravés pour novembre. Schlumberger est-il à Paris ? Nous voulons
aussi ajouter son portrait à la collection.
À bientôt, j’espère
Bien amicalement à vous
Adrienne Monnier
Ou si vous voulez, téléphonez-moi. Je n’ose jamais vous téléphoner à la N.R.F. parce que
j’ai peur de ne pas vous trouver ou de vous déranger.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (23 octobre 1926) §
Vous m’écriviez mardi : « On donne encore pour 3 jours La Tour de Nesle
... ». Nous décidons d’y aller jeudi, et voyez plutôt par la feuille ci-jointe
l’étendue de votre crime !
Mon beau-frère est toujours libre l’après-midi de mercredi et jeudi … Voulez-vous venir
pour mercredi et jeudi prochain (27 et 28) à 2h1/2 ; il aura sûrement
terminé votre portrait en deux séances. Sans mot de vous, on vous attend.
Bien amicalement à vous,
Adrienne Monnier
Connaissez-vous une petite revue intitulée « Le Cahier de l’Ami », Je
viens de recevoir un n° qui est le 4ème (je n’ai pas vu les précédents), sous mon [fin de
la lettre manquante]
[Au verso, de la main de Jean Paulhan]
Mauriac
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (07 décembre 1926) §
J'ai reçu le pneu de Germaine Pascal. Je suis enrhumé du cerveau et Sylvia tousse. Je ne
sais pas si nous pourrons aller à Robinson le 15 qui est le 1er jour de
l’Exposition de Paul-Émile (il y a un vernissage privé le 14). Il vaudra peut-être mieux
retarder encore d’une semaine cette journée que nous voulons envoyer comme une vraie fête.
En attendant, voulez-vous venir dîner tous les deux le Dimanche ; nous
inviterons Joyce et Hemingway.
Ci-joint la note sur Paule-Émile. C'est venu plus sérieux que je ne
pensais et c’est mieux comme ça, je crois ; l’anecdote a surtout de l’intérêt appliqué à
quelqu’un de très connu, ce qui n’est pas encore le cas de Paul-Émile.
À bientôt, à ce dimanche, nous espérons.
Bonne santé et bien amicalement à vous deux
Adrienne Monnier
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (14 février 1927) §
J'ai peur qu’hier, je ne me sois pas bien clairement exprimé au sujet de la Littérature
dans ses rapports avec la Musique et la Peinture. Je n’ai jamais pensé que la Littérature
devait sortir de ses moyens propres pour essayer de s’approprier ceux des autres arts,
mais que l’état d’humilité et de contemplation lui était bon. De même qu’on n’apprend pas
à se connaître en ne regardant que soi, mais en se comparant avec les autres et en les
aimant. Voyez, mon Bâilleur, je l’ai fait par amour
pour Breughel, et justement à cause de cela, je n’ai pas essayé de peindre, je ne suis pas
tombé dans l’erreur de décrire. Imaginez ce que certains auraient fait :
« Il baille. Sa bouche s’ouvre comme une grotte ; le monstre gluant de sa langue se
soulève sur son arrière-train et darde sa tête pour défendre les portes basses de sa gorge
… etc ... »
Tenez, je vous envoie aussi un dessin qui me préoccupe beaucoup en ce moment et que
j’aurais bien du plaisir à mettre en paroles.
Est-ce que vous avez dit à Germaine que Lascelles Abercrombie dansait brillamment le
Charleston ?
A
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (18 février 1927) §
Il n’y a qu’un âââ qu’on peut supprimer, c’est à « tout ça ... », au bout de la
dissertation politique. Et, en effet, ce serait mieux ainsi. Ailleurs, c’est automatique,
chaque fois que l’idée de l’effort se présente. Pour l’histoire un peu plus longue, il me
semble qu’elle existe à la fin du morceau, justement, avant de sombrer dans le plus grand
bâillement et dans le sommeil.
Ce Bâilleur est, d’ailleurs, aussi fabriqué qu’un sonnet ou qu’un
rondeau. À la réflexion, je vois qu’il se rattache au genre dit « monologue comique », je
l’imagine très bien dit par feu Coquelin Cadet ou par Polin, mais il faut bien aboutir à
la fabrication, c’est là l’effet de cette intelligence qui, ainsi que le dit Bergson, n’a
rien en elle qui puisse comprendre la vie.
À propos de comprendre, je ne sais pas si c’est un effet de bêtise ou d’intelligence,
mais je n’ai rien compris à votre carte d’hier. Vous avez une sorte de génie pour partir
d’une idée simple et pour l’amener jusqu’au point où elle est égarée, perdue ; ça fait tout Pôle Nord. Je crois que je ne discuterai plus jamais avec
vous, vous avez toujours déraison, comme d’autres ont raison.
Ne prenez pas ça pour une critique, c’est votre genre de beauté, c’est comme ça qu’on
vous aime.
A
Les [aumônes?] sont magnifiques. J'ai envie d’en mettre une pour moi, comme ce serait
agréable d’être aimé par quelqu’un à qui je ne pourrais, en aucun cas, montrer le
Bâilleur, et qui m’apprécierait comme je suis, « forte » et capable de sentiments
délicats.
À la réflexion, on peut peut-être aussi enlever le âââ du Replat.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (16 novembre 1927) §
Je ne pense du tout que vous ayez eu tort dans l’affaire Breton. Vous avez montré un
grand courage, un courage qui, je crois, ne sera pas inutile, mais qui vous expose,
peut-être, à des représailles. C'est par affection pour vous que je m’inquiète quelque
peu, et c’est dans l’esprit d’une mère qui dit à son fils* « ne va pas jouer avec ces
sales gamins », que je vous ai dit : « Il est fou, il vaut mieux le laisser
tranquille. »
Tout cette histoire Dada-Surréaliste est vraiment bien difficile à expliquer et à
juger.
Vous avez raison, il faut démêler leurs œuvres (quand elles sont bonnes, elle sont fort
peu conformes à leurs idées) de leur politique. Mais ils ne tolèrent point qu’on fasse de
restrictions ni de séparations. Peut-être, alors, est-il préférable de garder le silence à
leur sujet. Comme ils font tout pour faire parler d’eux et que l’ambition, quoiqu’ils en
disent, est leur passion dominante, rien ne peut autant les amener à la raison, sauf
Breton, naturellement, qui n’en a pas et qui, de ce fait, est irréductible, mais s’il
était seul son rocher, il n’irait pas loin, si j’ose dire.
De toute façon, vous avez bien fait d’élever la voix. Il est bon de voir ce qu’ils vont
faire. Au fond, je ne suis pas tellement inquiète, je ne crois qu’ils puissent vous faire
du mal, et vous avez déjà l’avantage, définitivement acquis, d’avoir prouvé publiquement
la lâcheté personnelle de Breton.
Cher Ami, j’espère vous voir ce soir. J'aimerais tant que Germaine et vous prissiez
l’habitude de venir à ces mercredis. Il faudrait qu’ils fussent vôtres autant que miens.
Je ne sais pas s’ils peuvent donner quelque chose de bon, mais ce ne pourrait être qu’avec
votre aide.
Bien amicalement à vous deux
Adrienne
J'ai pris des mesures contre la fumée de tabac, et j’ai arrangé aussi pour qu’on se
tienne dans la grande pièce de la Librairie. Il faut amener, si ça ne l’ennuie pas, l’amie
de Groethuysen, je ne la connais pas et je voudrais bien la connaître.
Nous voici rentrés à Paris, après un joli tour dans le Jura et en Alsace. Nous n’avions
jamais vu Colmar ni Strasbourg.
Êtes-vous toujours en vacances ?
J'ai une petite requête à vous adresser : Stuart Gilbert (autour de la note sur Protée et traducteur avec A. Morel) m’écrit pour me demander un numéro sur
bon papier de la N.R.F. d’Août. N'y a-t-il pas moyen de lui faire avoir ce numéro comme
rétribution du collaborateur ?
Je n’ai pas encore recueilli d’opinions sur Protée, mais je ne suis
rentrée que depuis hier et je ne vois pas un chat. Mais Sylvia a eu ce matin la visite
d’un libraire : le directeur du Commerce des Idées, que l’enthousiasme
avait mis tout en ébullition ; il savait déjà des passages par cœur ; il a acheté un ex.
d’Ulysse, et il ne sait pas l’anglais.
À bientôt, j’espère, de vos bonnes nouvelles. Et d’affectueuses pensées pour vous
deux.
Je ne me doutais guère que vous me feriez visite. Je suis triste de vous avoir
manqué.
Vous m’avez fait un immense plaisir en me donnant un hors-commerce de votre Étude. Je
venais justement de la lire et j’avais envie de vous écrire. Vos réflexions m’ont
enchantée et m’ont parue vraies en tout point. Qu'il y a à dire sur la Pensée critique et
ses défauts. Les pages que vous venez de publier sont comme l’apéritif Fernet-Branca ;
elles sont très amères et donnent une faim à tout dévorer. Quand aurons-nous « Les Fleurs de Tarbes » en entier ?
D'ailleurs, ce n° de Commerce m’a beaucoup plus : le Fargue est délicieux, le Larbaud est
excellent, le Pouchkine est superbe. Quant à Jean Giono, il faut me dire qui c’est. « Colline » est une « révélation ». Que vous [mot illisible]-vous de Sollier
après ça ! - Ce pauvre Sollier, inspiré quelque peu par les figures de la Cathédrale de
Strasbourg, - a fait une « Vierge sage » que je vous envoie. Ça va vous
sembler bien pâle.
Cher ami, je vous avais déjà expliqué pour Joyce. Vraiment ce qu’il écrit, tout ce qu’il
a écrit depuis Ulysse est intraduisible. Le livre
auquel il travaille : Work in progress (et il ne travaille à rien en
dehors de ça, sous quelque prétexte que ce soit. Si vous saviez à quel point la cécité le
menace et combien il se dépêche de faire ce qu’il croit avoir à faire.) Donc, ce Work in progress paraît au fur et à mesure dans « Transition ». Je ne sais pas pourquoi Rodker l’avait intitulé « Protée ». C'est sans doute, parce qu’il avait vu ce titre annoncé dans la N.R.F.,
et qu’il avait cru que c’était là l’ouvrage qui devait suivre Ulysse. La
carte que vous m’avez envoyé est assez curieuse ; la N.R.F est une revue française qui
n’est pas tenue de publier des inédits en anglais. Si jamais vous trouvez quelqu’un qui,
ayant lu les chapitres qui paraissent dans « Transition », les juge
traduisibles, il faut lui dire de se mettre à l’oeuvre, Morel a essayé sans aucun
résultat. Larbaud ne s’y est jamais risqué.
Nous aimerions bien aller vous rejoindre à Port-Cros, mais c’est tout à fait impossible.
Nous espérons vous voir dès votre retour.
Pour Germaine et pour vous, notre vraie amitié.
Adrienne
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (27 décembre 1928) §
Je suis désolée de vous savoir malade. J'espère que vous allez être vite guéri. Je sors à
peine d’une grippe.
Que j’ai été contente de voir ma vierge si bien imprimée, c’est plus qu’elle ne
méritait ! Je vous retourne les épreuves corrigées.
Je n’ai pas encore un jeu complet de secondes épreuves d’Ullysse, mais
je pourrais vous envoyer ce que j’ai : tout, sauf le dernier chapitre, c’est à dire le
mon. int. de la « hideuse femelle sans accents », comme dit Gide. Voulez-vous que je fasse
porter ça à la N.R.F. ?
À bientôt, j’espère. Sylvia et moi envoyons à Germaine et à vous de très grandes amitiés
et nos meilleurs vœux de santé, de richesse et, en général, de bonheur.
A
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (29 janvier 1929) §
Vous êtes trop gentil pour la vierge sage. Mais pourquoi avoir demandé à Marcelle Auclair
de le traduire quand elle a déjà tant de travaux de tous genres. Je suis désolée d’être la
cause d’un surcroît de besogne pour elle.
Je suis tout à fait guérie, à ce qu’il me semble. Je suis toujours plongée dans les
épreuves. J'ai maintenant un jeu complet pour vous, si vous le voulez.
Sylvia et moi vous envoyons à tous deux de biens affectueuses pensées
A
Dans Sintesis, ce sera bien signé J.M. Sollier, n’est-ce pas ? J'y
tiens.
Les exemplaires d’Auteur d’Ulysse que j’ai envoyés à Charles du Bos et à Léon Treich me sont revenus, voudriez-vous
avoir la gentillesse de me donner leurs adresses. Je vous avais demandé celle de Rosny Aîné vous seriez vraiment tout à fait gentil de me la donner
aussi.
Comment avez-vous trouvé l’Étude de Stuart Gilbert ?
Je reçois votre mot ici où je suis depuis mardi. Je n’étais pas très bien fichue. On me
purge, on me met au lait, au bouillon de légumes, etc … Je rentrerai sans doute à Paris
lundi. Je n’ai pas de chance avec vos visites.
Dès mon retour, je vous téléphonerai et nous arrangerons quelque chose.
Je n’ai pas répondu à vos lettres parce que j’attendais votre visite que vous m’aviez dit
très prochaine. Tous les Novalis sont descendus. Faut-il vous les faire porter ?
J'ai beaucoup aimé votre lettre sur Ulysse, je crois que mes premières
impressions ressemblaient assez aux vôtres. Je n’ai pas compris votre lettre sur Fargue ;
Fargue ne m’avait rien dit, ni à moi ni à Rinette?, il est de très bonne humeur, je ne
crois pas qu’il soit fâché, de quoi que ce soit.
À bientôt, j’espère.
Bien affectueusement à vous deux.
A
Rinette vient de faire une belle gravure : il y en a un ex. pour vous.
Je regrette beaucoup de ne pas vous avoir vu. Je suis encore très enrhumée, mais comme ce
ne semble être qu’un sale rhume de cerveau, j’espère être guérie la semaine prochaine.
Voulez-vous me fixer un rendez-vous pour un jour et une heure précis, ce sera plus sûr,
car en ce moment, je me donne le plus d’air possible.
Merci du chèque Sollier. Comment voulez-vous que je le touche ? - Je vous le renvoie,
comme vous êtes en correspondance avec la revue argentine en question, dites-leur de vous
établir un nouveau chèque au nom de la Nouvelle Revue française, et donnez les 200 fr à
qui vous semblera bon ; naturellement, retournez-leur celui qui était au nom de
« Sollier ».
Vous savez que j’ai décidé de garder Ulysse. Donc, inutile que Gaston
Gallimard me fasse une offre et inutile que je lui fasse une demande. Joyce est ravi de ma
décision, Sylvia plus encore.
Sollier est très content de votre lettre, oui, qu’il est content que vous ayez aimé ses
Vierges folles ; il n’était pas sans inquiétude.
Il est tout à fait de votre avis au sujet du discours de Jeanne ; il faut nettement
enlever la partie du « postal » ; il avait eu lui-même envie de la supprimer et avait
demandé l’avis de Sylvia et de Rinette qui s’étaient déclarées pour le maintien, du fait
que c’est un des détails les plus directement observés de toute l’histoire. Par ailleurs,
il ne déplaisait pas à Sollier que ce long épisode (long par rapport au reste) fit oublier
les garçons, et surtout Albert auquel il avait été amené à donner plus d’importance qu’il
n’aurait voulu. Dans sa pensée, on devait surtout voir les filles ;
Albert est là comme le Tentateur, qu’il n’a pu s’empêcher de justifier, d’expliquer.
Et naturellement, cette idiote de Jeanne n’a la parole qu’en qualité de témoin
d’Auguste ; elle en profite, elle s’étale. Elle aura les « Crêpes », et c’est tout !
Au sujet de « ravaudant les éternités », Sollier ne trouve pas ça trop beau, mais
peut-être pas encore assez beau pour Auguste. C'est une métaphore comme il en fourmille
dans les argots. Le bond de langage n’est pas impossible, une partie de l’expression étant
donnée : éternités. L'expression courante aurait été ; « Encore son truc
à la manque qui dire des éternités ». Par ailleurs, l’éternité s’associe facilement, dans
l’esprit du peuple comme dans celui des poètes, avec l’amour. « On vit quelquefois en un
jour, toute une éternité d’amour ». Le plus souvent, c’est l’acte d’amour même qui semble
une bienheureuse éternité.
« Ravaudant », qui vous paraît très recherché, s’impose moins par l’idée qu’il représente
que par son corps verbal ; il contient en raccourci quelques uns des éléments importants
de la phrase qui succède : « Sa bouche édentée qui tire le sein, râlant, noyée dans sa Gare ». - Même l’idée me semble
possible ; j’entends très bien une femme dire d’un impuissant ou presque : « ce qu’il
ravaude ! » - Il faut penser aussi qu’Auguste est saoule et que les mots prennent aisément
du champ dans son esprit.
Enfin, si ces raisons ne vous ont pas convaincu, dites-vous que ce n’est pas Auguste qui
parle, mais Sollier qui, après tout, ne s’est pas identifié avec ses personnages et a
gardé quelques droits.
Avec les vifs sentiments de respect et de gratitude de Sollier, je vous envoie, à
Germaine et à vous, mes pensées bien affectueuses.
Adrienne
Je vous enverrai d’ici peu une autre copie corrigée.
Mais si, il faut laisser le lecteur penser qu’Albert ravaude les éternités. L'éternité,
ou les éternités, sont pour Auguste aussi ravaudables qu’autre chose. Elle ne sait pas
exactement ce qu’est l’éternité, nous ne le savons, d’ailleurs, pas mieux qu’elle.
Pourquoi n’userait-elle pas de ce mot avec autant de liberté que nous usons de
« l’infini » ? Pour elle, l’éternité, c’est tantôt un temps très long, tantôt un moment
pas ordinaire, qui semble en dehors de l’écoulement des jours, un moment essentiellement
présent, sans passé ni futur, le moment même de l’acte d’amour.
Albert, dans son effort pour trouver la volupté, lui paraît quelqu’un qui met bout à
bout, qui raccommode, des parcelles d’éternité – amour, chacune de ces parcelles étant une
minuscule et insaisissable éternité-amour, quelque chose comme les atomes, quoi.
L'expression est bien : « ravaudant les éternités ». Le participe présent est nécessaire
parce que, dans une région de l’esprit d’Auguste, on pointe qu’Albert est sans dents. Je vous ai, d’ailleurs, déjà exposé les raisons d’anatomie
verbale.
C'est par raccourcissement et adaptation étrangère que l’on dirait ravauder, sans
plus.
Cher Ami, Sollier espère que vous arriverez, tout de même, à prendre votre parti de cette
stalagmite.
Bien affectueusement à vous deux,
Adrienne
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (15 octobre 1930) §
Je ne sais que depuis avant-hier, par Decour, que Germaine a été très souffrante et qu’on
vient de l’opérer. Votre lettre vient au devant de la mienne. J'allais vous écrire ce
matin même, n’ayant pu le faire hier tant j’ai été occupée. À quelle clinique est-elle ?
Sylvia et moi aimerions aller la voir, si elle peut recevoir des visites. Nous pensons à
vous et nous formons de grands vœux pour son complet rétablissement. Nous espérons vous
voir bientôt tous les deux et vous envoyons nos bien affectueuses pensées.
Adrienne
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (06 novembre 1930) §
J'ai vu le Dr. Wolfenstein qui est bien gentil. Je l’ai mis en rapport avec Fargue et
avec Joyce. Il semblait moins vouloir du Sollier que du Monnier ; je vais tâcher de lui
fabriquer « Une petite boutique grise », article d’exportation.
Je vous envoie le dernier Sollier. Où pourrions-nous le fourrer, ce mendiant ? Montrez-le
donc à la Princesse de Bassiano, voulez-vous ? Si elle acceptait de le publier dans Commerce, Sollier serait ravi.
J'espère vous voir très bientôt, Germaine et vous. Je me suis mise à faire de la
Pâtisserie depuis septembre dernier (je n’en avais jamais fait auparavant) et je puis dire
que cet art a singulièrement embelli ma vie. Je sais faire les tartes, savarins, galettes,
petits pâtés, gâteaux aux amandes, madeleines, gâteaux au chocolat, biscuits de Savoie,
etc … Il n’y a que le glaçage des éclairs qui me résiste. Quand viendrez-vous juger de mes
talents ? Est-ce que Germaine, en attendant, aimerait 12 petites madeleines façon
Commercy ? - Oui, n’est-ce pas ?
Bien affectueusement à vous deux.
Adrienne
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (24 février 1931) §
Pourquoi être navré ? Si la N.R.F. n’achète pas Ulysse et me le laisse,
ce sera pour le mieux, tout au moins en ce qui me concerne. C'est toujours ce qui arrive
qui est le mieux. Puisque vous me le demandez, je laisse encore jusqu’à samedi 28 [mot
illisible] à Gaston Gallimard pour réfléchir. Sans réponse de lui, à cette date, je
conclurai qu’il renonce.
Je suis très excitée à la pensée que vous allez écrire quelque chose sur Ulysse. Mon étude me donne bien du chiendent. Je vous ai dit, n’est-ce pas, que la
séance était fixée au 26 mars. Est-ce que Schlumberger vous a répondu ; nous pourrions
placer sa séance fin avril ou début de mai
Que Sollier a été content de voir les épreuves de ses Vierges folles,
les voilà déjà corrigées.
Mon Joyce avance, mais ce ne sera pas quelque chose d’extraordinaire,
je vous assure. Ce sera, peut-être une assez bonne causerie, mais pas du
tout une belle et large étude. Le temps me manque pour édifier un texte à la hauteur du
sujet. Je ne crois pas qu’il y aura intérêt à le publier. Les conclusions, peut-être, si
elles sont réussies, mais le seront-elles ?
Le texte d’Anna Livia Plurabelle est encore l’objet de quelques légères
retouches ; vous l’aurez tout de suite après la Séance, peut-être même avant.
Voici le programme du 26 [(mars 1931)] :
Séance consacrée à James Joyce
Joyce et le Public français
causerie par Adrienne Monnier
Fragment de « Anna Livia Plurabelle »
lu en anglais par James Joyce
(lecture enregistrée)
Présentation par Philippe Soupault de la traduction française inédite d’un fragment de
« Anna Livia Plurabelle »
Lecture, par Adrienne Monnier, de ce fragment traduit par : Samuel Beckett, Aldred
Perron, Paul L. Léon, Ivan Goll, Eugène Jolas, A. Monnier et Philippe Soupault.
Sept traducteurs, comme vous voyez, soit le 1/10 des Septante.
Je viens seulement d’apprendre la mort de votre Père.
Je vous prie de me croire de tout cœur avec vous. J'aime trop mes parents pour ne pas
réaliser ce que peut être une telle épreuve, et votre père était un homme de si grande
valeur, il semblait si bon aussi.
Sylvia et moi sommes profondément attristés. Nous pensons bien à vous, je vous
assure.
Sylvia m’apporte votre lettre ici, où je suis partie tout de suite après la
Séance. Je ne serai pas de retour à Paris avant mardi 6 avril, si vous avez quelque chose
à me dire, écrivez-moi.
Je suis bien émue par ce que vous m’annoncez. J'avais eu l’impression que ma
conférence vous avait déçu ; et la critique que vous m’aviez adressé, le soir même,
n’était que trop juste.
Certes, cette conférence manquait de logique, elle laissait en suspens plusieurs
points des plus importants. Tout ce que je peux dire pour me défendre c’est que je n’ai eu
que trois semaines de travail ; sur les cinq semaines qui semblaient m’être accordées,
deux ont été prises par des malaises très douloureux, d’abord un panaris à l’index de la
main droite, puis un coryza de forme particulièrement violente. Ajoutez à cela les
préparatifs de la Séance, les choses de la librairie auxquelles il fallait tout de même
avoir un peu l’oeil, etc. … Enfin c’est fait ! Peut-être, un jour, essaierai-je de
compléter ce travail si sommaire.
Dites-moi à combien de pages vous voulez que je réduise mon texte. Évidemment,
il faut le laisser en conférences, il n’y a que la forme conférence qui justifie son
allure et son imperfection critique.
Mais vous, cher Paulhan, chez Germaine, que vous avez été bons tous les deux !
Il n’y avait que vous, l’autre soir, dont j’attendais un vrai jugement. Puisqu’en fin de
compte, vous voulez bien trouver mon travail un peu digne d’être publié, je suis
suffisamment heureuse et consolée ! Si vous saviez combien je vous mes défauts et combien
j’en souffre.
Très chers Amis, je vous aime beaucoup. Je vous embrasse.
Eh bien, j’ai réfléchi, non, il ne faut pas publier un fragment de ma conférence.
D'abord, ce ne serait pas juste de le présenter comme un « Hommage à
Joyce ». Ni Soupault, ni moi n’avons écrit dans cette intention. Je crois qu’il
sera suffisant de détacher de la Présentation de Soupault les détails techniques et
quelques considérations.
Je préfère, pour moi, faire une plaquette. Pour combler les « précipices », il suffira de
spécifier que j’ai lu Ulysse au moins quatre fois en entier, chaque fois
avec un plaisir plus vif. Comme pour les grands narrateurs, Joyce dépayse et même déplaît
à première lecture. Il n’est que de s’y habituer.
Pourquoi dites-vous que j’avais promis « d’examiner fidèlement la
transformation et le progrès de mes premières opinions ». Je n’avais fait aucune promesse.
J'avais dit : »Je vais essayer d’exprimer, etc ... »
Bon, ne pensons plus à tout cela. Repos pour vous et pour moi. Ma grippe va mieux ; vous
devez avoir si grand besoin de vacances ?
Bien affectueusement à Germaine et à vous.
AM
M. Sollier attend avec la impatience la N.R.F. d’avril qui contient Les
Vierges folles. Cette vilaine Sylvia ne l’a pas encore envoyée.
Joyce est d’avis qu’il faut supprimer les tirages à part d’Anna Livia
Plurabelle. Il m’a renvoyé les 5 ex. que vous lui aviez envoyés ;
j’ai donc, avec le mien, 6 ex. Quel rite allons-nous adopter pour la
destruction de l’ensemble* ? De toute façon, ça ne pouvait pas aller ; il n’aurait pas
fallu mettre sur la couverture ; « Anna Livia Plurabelle », mais Fragments d’Anna …
Étant chargé par M. JOYCE de le représenter en tout ce qui concerne la publication des
traductions françaises de ses œuvres, je vous fais savoir, par la présente, qu’il
désapprouve le tirage-à-part qui a été fait, sans son consentement, des Fragments de ANNA
LIVIE PLURABELLE publiés dans le n° de LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE du 1er Mai 1931. - Il
désire que ces tirages-à-part soient tous détruits.
M. JEAN PAULHAN m’a dit qu’il avait été fait dix (10) tirages-à-part. De ces dix
exemplaires, je possède actuellement :
- les 5 ex. remis à M. Joyce – 5
- l’ex. remis à M. Jean Paulhan – 1
- l’ex. remis à M. Philippe Soupault – 1
- l’ex. remis à moi – 1
Soit, au total, huit exemplaires.
Vous seriez tout à fait aimable de me remettre, dans le plus bref délai possible, les
deux ex. restants. Dès que je serai en possession d’une personne chargée de vous
représenter.
Je vous demanderai aussi, en plus de la remise des deux exemplaires restants, de me
délivrer une attestation signée par vous qu’il ne substitue aucun exemplaire du
tirage-à-part en question.
Veuillez recevoir, Cher Monsieur, l’assurance de mes sentiments bien distingués.
J'avais bien pensé que les deux tirages-à-part étaient partis avant l’arrivée de ma
lettre à G.G. - De même, j’avais écrit à G.G. avant de recevoir la lettre de Germaine.
[mot illisible], avez-vous du m’envoyez votre carte d’hier avant d’être en possession des
dix Anna Plura expédiés à Germaine. Tout ça se tient.
Les bibliophiles ne sont pas si sots ; ils ont raison de vouloir du lait non écrémé.
Il paraît que rien n’est plus facile que de voir le repas des serpents ; Rinette connaît
la question à fond. Ne vous inquiétez plus de cela. Vous avez déjà tant à faire. Et moi
aussi, d’ailleurs. Tenez, je n’ai même pas le temps de taper le Mendiant
dont je n’ai plus de copie ; est-ce que cela vous dérangerait de me rendre la copie que je
vous avais envoyée ?
Merci d’avance et bien affectueusement à vous deux
Je n’ai pas lu les ms. [manuscrits] de Berthier, mais c’est comme si je les avais lus ! -
Le 6, je n’avais pas eu besoin de vous l’envoyer, il s’était bien envoyé tout seul.
L'air du mois me plaît, tout à fait. L'idée était excellente ; le titre est
ravissant. Je ne demande pas mieux que de vous donner une page, mais sur quoi ? Je suis
tellement absorbée par ma boutique que je ne sais plus écrire que les lettres de
réclamations aux [Mess. H.?]. Il faudrait que je m’y remette. Il faudrait surtout qu’on se
voie.
Je vais quitter Paris quelques jours (de mercredi à dimanche prochain), mais
voudriez-vous nous faire le grand plaisir de venir déjeuner avec nous lundi ou mardi 12 ou
13 ?
Voici l’épreuve corrigée. Je crois qu’il faut changer la fin ; elle est plus logique
ainsi, n’est-ce pas ? Inutile de me renvoyer une épreuve, mais vous seriez bien gentille
de voir vous-même si la correction est bien faite.
Mais oui, il y a un « fond » de la main de Gide. Et combien justifié ! Comment ai-je pu
transcrire « jusqu’au bout ». Je devais penser à la guerre, à la dernière, et à la
prochaine à laquelle j’essaie de ne pas croire.
Nous retournons ce soir voir Shankar. Nous y sommes déjà retourné Salle Pleyel, c’est
vous dire notre enthousiasme !
Nous serions bien contentes de vous voir. Faut-il que je fasse une note pour le numéro
d’août, et sur quoi ? La droite et la gauche m’épouvantent. Avez-vous vu Walter
Benjamin ?
Bien affectueusement à vous deux
Adrienne
[De la main de Paulhan, à gauche de la lettre]
J'aimerais bien des petites notes s.[sur] la vie littéraire, ses relations, les gens
qu’elle voit etc. (enfin ce qu’elle sait le mieux).
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (04 juillet 1934) §
Voici ma note. Je n’ai pas fait la Droite et la Gauche, dont je serais
difficilement sortie, mais seulement la Swastika. J'ai tâché de prendre
un ton plus familier, plus « gazette », est-ce que ça peut aller ?
J'étais bien contente, l’autre jour, de causer avec vous. Nous disions le soir avec
Sylvia que vous étiez vraiment une femme tout à fait épatante, tout à fait gentille. On
devrait vous voir plus.
Bien affectueusement à vous deux.
Adrienne.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (04 septembre 1934) §
Je rentre de vacances et trouve vos deux lettres. Cette idée de revue me surprend
beaucoup. Il me faudrait des précisions. En principe, je ne dis pas non. Quand
rentrez-vous à Paris ?
Vous avez été malade. Quel ennui ! Êtes-vous bien rétabli ?
Sylvia et moi avons passé un mois en Savoie, dans nos chers Déserts. Le temps n’étais pas
très beau, mais il aurait pu être pire.
Vous me dites que vous avez travaillé, achevé « La Littérature considérée
comme un langage chiffré ». Ça, c’est une bonne nouvelle. Je suis bien
contente.
Moi, je n’ai rien fait, même pas lu. Je n’avais rien promis pour L'Air du
mois ; nous avions parlé très vaguement, Germaine et moi.
Je vous remercie de tout cœur de votre lettre. Bonne santé.
Sylvia et moi vous embrassons tous deux.
AM.
Ah ! Si vous faites une revue, ne donnez pas le 1er n° en décembre 1934, mais plutôt en
janvier 1935. - 34 n’est pas bon (vous me croyez aisément, n’est-ce pas?) et 35 est plus
favorable.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (03 octobre 1934) §
Je vais tâcher de faire une note sur le poème de Terrace et de vous l’envoyer avant le
10. Je suis bien contente que vous me le demandiez.
Quelle journée agréable nous avons eu chez vous ! C'était remarquablement agréable. Les
Church sont si gentils, si fins, ils ont tous deux une personnalité vraiment profonde et
attachante. Et nous avons beaucoup aimé, aussi, la femme de Groethuysen. Quant à votre
Germaine, c’est un trésor, oui, un trésor.
On vous envoie de grandes amitiés,
AM.
Je n’ai pas encore retrouvé la page de Dorothy Richardson sur la Ponctuation dont nous
avons parlé ; Sylvia se souvient qu’elle a prêté le n° de revue où elle figurait ; elle va
tâcher de se le faire rendre.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (07 novembre 1934) §
[Au crayon à papier, de la main de la Jean Paulhan]
Adrienne Monnier
7 novembre 1934
Chère Germaine,
Voici la lettre que Sylvia a reçu du neveu de Gerard Manley Hopkins ; vous serez
gentille de nous la rendre après en avoir pris connaissance. Les épreuves des Lettres ne
sont pas encore arrivées ; nous vous les enverrons dès que nous les aurons.
Nous n’avons pas encore pu rentrer en possession du n° de The Adelphi qui
contient l’essai de Dorothy Richardson sur la Ponctuation. Sylvia a écrit à Londres à ce
sujet.
Je ne vous envoie pas ma note sur Alice puisque vous avez suggéré qu’il serait
mieux d’attendre la publication dans la N.R.F. des Lettres de Lewis Carroll traduites en
français. D'ailleurs, la note sur Le Soldat n’a pas encore paru !
J'ai bien réfléchi à la Gazette. En définitive, non.
Il m’est venu aussi bien des scrupules au sujet de mes fonctions
d’administrateur de Lettres. Suis-je vraiment qualifiée ? Il serait encore temps de
trouver quelqu’un d’autre.
Affectueusement à vous deux,
Adrienne
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (12 septembre 1935) §
Oui, nous voilà rentrés, avec beaucoup de travail, mais pas trop, heureusement.
Que nous sommes navrées d’apprendre que vous vous êtes blessée au pied ! Immobilisée ! Il
faut espérer que vous serez bientôt tout à fait guéri.
Le sommaire du n°IV de Mesures me paraît très intéressant. N'y
aura-t-il pas aussi une nouvelle de Church ? J'en ai reçu les épreuves en placard ; je
l’ai lue avec beaucoup d’intérêt ; il y a une idée profonde à la base ; je regrette qu’il
l’ait développée, ou plutôt non, il ne l’a pas développée, il l’a exposée au cours d’une
action dramatique et fantastique ; j’aurais préféré que l’essai philosophique prit mieux
le dessus. C'était très bien cette idée du primitif dont le classique n’est qu’un affaiblissement. J'ai beaucoup réfléchi moi-même au primitif. J'ai été vraiment intéressée.
Chère Germaine, je n’ai rien fait pour L'Air du mois. Et je ne ferai
rien, naturellement, car maintenant, il est trop tard. Ce sera pour le mois prochain. Vous
me direz ce qu’il faut faire, j’aime mieux être dirigée.
Et nous n’avons pas traduit de nouvelle de K.A. Porter. On a bien essayé, mais ça rendait
peu en français. À vrai dire, j’ai horreur de faire des traductions.
Par contre, j’ai fait un Sollier auquel je pensais depuis longtemps : Chien. Je vous le montrerai quand vous serez de retour.
Je vais écrire à l’Agence Franklin, mais [fin de la lettre manquante]
La libraire de la Maison des Amis du Livre est la dépositaire et la gérante de Mesures ; se préoccupant ici de la diffusion de la revue à l’étranger,
elle remarque : « Mesures ne va pas mal du tout par ce temps de crise.
Nous avons actuellement 268 abonnés. […] Je crois, qu’au sommaire du
n°IV, il faudrait, en tête, une grande vedette, pour amorcer les réabonnements. »
je ne crois pas que nous obtenions de ce côté un bon résultat. Ils vous ont demandé la
distribution de la Nouvelle Revue Française, à cause de son immense
notoriété, mais ils ne semblent guère compétents. Avez-vous compris la lettre qu’ils vous
ont envoyée ? Nous avons bien ri, Sylvia et moi. En lisant le prospectus, ils ont pensé
que le prix de l’abonnement était de 290fr pour le Japon et 240fr pour la Hollande. Ils
ont du trouver ça inouï de faire des prix spéciaux pour ces deux pays, car ils n’ont pas
compris qu’il s’agissait de papiers. - Et ils demandent le prix pour les
États-Unis. C'est magnifique.
Vous savez que je leur avais envoyé un n°I par poste, en même temps que ma lettre, pour
qu’ils puissent se rendre compte de la publication. Et ce n°, ils l’ont reçu, mais
personne chez eux ne sait lire le français.
Je vous avais dit, n’est-ce pas, que Sylvia avait écrit à une libraire de New York très à
la page. Ils lui ont répondu qu’ils accepteraient « avec plaisir » de vous servir d’agent,
à condition d’avoir une remise de 50%. C'est gentil !
Mesures ne va pas mal du tout par ce temps de crise. Nous avons actuellement 268
abonnés. Les recettes de juillet ont été de : 2.800fr et celles d’août : 968fr.
Je crois, qu’au sommaire du n°IV, il faudrait, en tête, une grande vedette, pour amorcer
les réabonnements. À moins de leur faire un prospectus avec un programme sensationnel pour
1936. Qu'en pensez-vous ?
On vous embrasse bien tous les deux et on forme de grands vœux pour votre complet
rétablissement.
Adrienne
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (02 janvier 1936) §
Pourquoi nous avoir ainsi gâtés ? Ce n’est pas raisonnable.
Nous aussi nous vous envoyons nos vœux les plus affectueux et les plus sincères. Bonne
année, bonne santé et toutes les prospérités possibles.
Je crois que je ne pourrai rien vous donner pour L'Air du mois. Cette
fois-ci je ne peux pas faire mon Noël-Noël parce qu’on ne tourne plus « Ademaï au
Moyen-Âge » ; il faut que j’attende qu’on le passe dans les cinémas de quartier. Je ne
peux pas, non plus, faire mon Bach qui demande une longue préparation, surtout au point de
vue TSF. D'ailleurs je serai bien contente de n’avoir pas ce travail-là ce mois-ci, j’ai
tant, tant d’ouvrage.
Merci, chère Germaine, de toutes vos bontés. Nous aussi, on vous aime bien et on est bien
contentes de travailler avec vous.
Sylvia et moi vous embrassons tous deux de tout notre cœur.
Votre
Adrienne
Il y a, ces derniers temps, 26 réabonnements. 6
personnes ont cessé leur abonnement. Les autres n’ont pas encore répondu.
Borel et [Ardant?] ont renouvelé leur abonnement sur hollande. Mon amie inconnue m’a envoyé des sous. Mais n’a pas encore renouvelé son abonnement.
[à gauche de la lettre]
3 janvier
La N.R.F. était fermée hier ; on n’a pu vous remettre cette lettre. J'ai reçu ce matin le
renouvellement de l’abt [abonnement] sur japon de
Mr. France Bertrand.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (30 janvier 1936) §
J'espère que votre grippe va vite s’en aller et que vous serez des nôtres samedi.
J'ai été hier à l’A.B.C. Ce n’était pas épatant. Je ne sais pas trop ce que je vais
pouvoir raconter.
Nous avons gardé un souvenir ravissant de notre journée de dimanche. C'était si rigolo de
ne pas se parler avec Fargue.
Portez-vous bien, chère Germaine. On vous embrasse de tout notre cœur.
Votre
Adrienne
J'écris à M. Church pour lui dire que je n’ai pas de [mot illisible] papier du Journal de
Jules Renard. C'est bien de l’édition N.R.F. qu’il s’agit. Je crois qu’on peut encore
trouver l’édition Bernonard, en 5 vol., à 200fr.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (21 février 1936) §
Merci de votre lettre et de celle de Paulhan. Non, ce n’est pas vous la coupable, c’est
Paulhan ; cette idée que j’avais promis une Marie Dubas m’avait beaucoup
contrariée. Il y a peu de choses, à mes yeux, aussi graves que de ne pas tenir ses
promesses.
Maintenant, pour faire plaisir à Paulhan, je veux bien vous dire mes griefs d’auteur.
- 1°. Mon travail de la N.R.F est un peu trop mis en cave. Vous n’avez même pas mentionné
mon nom, dans vos publicités de fin d’année, parmi ceux des chroniqueurs de la revue. Il
me semble qu’après un travail aussi régulier et aussi « soigné » que celui que j’avais
fourni, je devais au moins être mentionné parmi les acteurs de la troupe. Il est vrai que
vous me faites une grande réclame en tant qu’administratrice, mais l’un ne remplace pas
l’autre, loin de là !
- 2°. C'est pas assez payé. Les notes sur les spectacles entraînent pas mal de faux frais
même avec des billets de faveur. La N.R.F. devrait donner au moins 100fr
pour un compte-rendu de spectacle, et quand je dis 100fr, je suis ignoblement modeste.
Chère Germaine, je vous dis tout cela pas pour vous faire de reproches, mais seulement
parce que c’est plus sain de dire son sentiment.
Pardonnez-moi de ne pas vous avoir écrit plus tôt. J'ai travaillé quatre jours sur mon
Ignace ; j’ai cru que je n’en sortirais jamais. Je m’étais embarquée
dans un Sébasto que j’ai laissé en plan ; je pensais, d’abord, faire,
sous le titre Ignace, un petit Sébasto à ma manière, mais il m’aurait
fallu quinze jours.
J'ai été au châtelet. Très bon spectacle. Je vous ferai un Bach pour le mois prochain. À
son sujet, il faudra que je pioche un peu la question disques et T.S.F.
Voici aussi un répertoire des abonnés de Mesures pour Barbara Church.
Je préfère vous l’envoyer à vous d’abord. Comme vous le voyez, nous avons, actuellement,
197 abonnés, dont 32 nouveaux ; nous avions en octobre dernier 282
abonnés, ce qui indique donc 117 désabonnements. Les affaires sont si mauvaises ! Et les
évènements n’arrangent rien.
J'ai téléphoné hier à la N.R.F. et on m’a dit que n’étiez pas là. Je reçois votre mot ce
matin.
J'ai eu la vraie grippe et j’en sors seulement. Oui, on pourrait faire une séance de
« jeune » le 17 ou le 241. Il ne faut la faire un samedi
parce que, maintenant, les gens partent beaucoup pour le week end.
Il faut appeler la séance « Métamorphoses ». J'y tiens beaucoup. Est-ce
que Paulhan a pensé à la « présentation ». Il n’a pas besoin de faire long, mais quelques
mots sont nécessaires2. Je
ne lui poserai pas de question. Les Fleurs de Tarbes répondent très
bien, en effet, à toutes les questions possibles, bien que d’une manière un peu trop hermétique. Je crois qu’il aurait intérêt à faire ressortir plus bonnement
que son jugement se base sur une certaine exigence de génialité, et il
n’y a plus, alors, qu’à définir le génie, ce qui est l’enfance de l’art.
Ni Sollier ni Monnier ne figureront autrement qu’en assistant.
Je crois ça peut faire une séance « étourdissante ».
Paulhan a fait énormément de conquêtes lors de sa lecture. D'une façon générale, on lui a
reconnu un sex-appeal n°1 ; on l’a compris.
Bien affectueusement à vous deux,
Adrienne.
Adrienne Monnier à Jean Paulhan (07 juillet 1936) §
Oui, c’était merveilleux mercredi et tout le monde était ravi, mais on s’est plaint que
vous n’ayez rien lu. Seul [Pelorson?] a été jugé plutôt sévèrement* et encore s’est-il
trouvé une bonne âme (Philippe Fontaine) pour trouver que ce n’était pas si mauvais que
ça. - Même Clot a trouvé amateurs + un admirateur enthousiaste en la personne de M. Coche
de La Ferté ([mot illisible]) qui a déclaré que c’était ce qu’il y avait de mieux.
Les triomphateurs ont été Calet et Supervielle. Supervielle a été adoré. Il faudrait lui
demander une séance à lui seul.
Je suis bien contente que mon [mot illisible] paraisse dans Mesures.
Merci.
Quand partez-vous ? Je peux partir le 20, avant si possible.
J'ai envoyé, il y a une semaine, les étiquettes à Paillart.
J'ai lu les deux récits primés. Ils sont tous deux extrêmement jolis. Le premier a des
vides charmants, comme les tableaux de Marie Laurencin. Je crois bien que Dominique Rolin
est une jeune fille (cette nièce de Judith Cladel qui était venue me faire visite). Comme
on m’attribue Mesures, on va voir là le fruit de mon féminisme
« ardent ».
Je vous embrasse bien tous les deux.
AM.
Je vous envoie une traduction. L'auteur : Mme de Bellefonds est une amie des Valéry.
Peut-être pourrez-vous lui marquer un peu d’égards en lui envoyant un mot. Elle m’a
demandé de la recommander à vous.