Il semble que ce soit votre première visite de notre site (cookie non trouvé). Nous vous invitons à lire la description du projet, afin de comprendre les négociations délicates et fragiles qui ont permis de donner accès à ces documents. Un bouton vous est proposé au bas de cette page pour exprimer votre acceptation des conditions d’utilisation, avant de poursuivre votre navigation.
Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).
Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
L’OBVIL, dont l’accès et la consultation en ligne sont libres, constitue cependant une base de données protégée, au sens des articles L341-1 et suivants, du code de la propriété intellectuelle française. Il est donc convenu que :
La diffusion sur le site de l’OBVIL des lettres, quoiqu’ayant été autorisée par les ayants-droit des auteurs concernés, demeure soumise aux règlementations en vigueur sur les droits d’auteur.
Pour toute citation d’une lettre ou diffusion d’une image, dans le cadre d’une utilisation privée, universitaire ou éducative, il doit être fait mention de la source [« Labex OBVIL »]
Pour toute citation ou diffusion dans le cadre d’une utilisation commerciale, il faut obtenir l'autorisation préalable des ayants-droit concernés.
L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur.
*
Pour obtenir l’autorisation de reproduction d'un document du site HyperPaulhan, contactez la représentante des ayants-droit de Jean Paulhan, soit Claire Paulhan.
Pour obtenir des informations biographiques sur Jean Paulhan, ou se renseigner sur les activités de la Société des Lecteurs de Jean Paulhan, consultez le site de la SLJP.
Pour consulter les archives-papier originales de Jean Paulhan à l'abbaye d'Ardenne, inscrivez-vous à l’IMEC.
Lucien Rebatet
Véronique Rebatet
1951/1957
Lucien Rebatet & Véronique Rebatet à Jean Paulhan
Correspondance (1951–1957)
2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Permettez-moi de vous appeler ainsi, bien que je n’y aie aucun titre, sauf d’avoir
beaucoup pensé à vous, depuis quatre ans, avec une constante gratitude, une grande
sympathie intellectuelle.
Je veux d’abord vous dire toute ma reconnaissance pour l’accueil que vous avez bien voulu
faire à ma chère et si courageuse femme. Vous l’avez ravie, enthousiasmée, et depuis
tantôt deux mois elle vous cite en exemple des vertus qu’en effet que je n’ai
guère pratiquées, dans mon existence batailleuse, rageuse. C'est elle qui a pris la
décision de vous consulter. [rature illisible] J'ai aussitôt approuvé, très heureux et
flatté que ma femme eût pris cette décision. Je vous avouerai que, libre d’agir, j’aurais
sans doute hésité un bon moment avant de vous proposer une aussi volumineuse lecture. Je
vous avouerai encore que j’ai attendu votre verdict avec l’angoisse du premier bachot
(bien plus vive que celle de la Cour de Justice!). Je ne me ferai pas plus modeste que je
ne suis. J'ai pu juger mon livre assez correctement, je crois, en le relisant avec
plusieurs années de recul, je sais qu’il n’est pas sans mérites. Mais je me demandais,
avec une extrême perplexité, si ces mérites seraient de votre goût, et si votre grande
autorité, votre immense expérience de toute littérature ne s’exerceraient pas d’avantage
sur tant de défauts, de gaucheries que je ne dissimule pas. Ai-je besoin de vous dire que
ma joie en a été d’autant plus vive, lorsque ma femme m’a transmis votre jugement?
Vous devinez sans peine quelle effroyable punition je subis entre mes murs, n’ayant même
pas la possibilité de m’entretenir une heure avec vous. C'est pour calmer un peu cette
terrible démangeaison que je me décide à vous infliger encore, après mes 1500 pages, cette
lettre dont, par surcroît, je suis obligé de serrer les lignes.
Ma femme m’a dit que vous seriez curieux de connaître mes méthodes de travail. Elles sont
bien empiriques. Je me suis aperçu en me mettant à l’ouvrage, au printemps 1943, que,
malgré mes lectures, j’ignorais tout du métier de romancier. Je l’ai appris, tant bien que
mal, au fil de ma tâche. J'ai buté plus d’une fois sur des problèmes élémentaires de
fabrication (transitions, départs de chapitres, etc), j’ai découvert avec effroi [rature
illisible] les difficultés du dialogue, dont je n’avais aucune habitude. J'ai un peu abusé
de l’escamotage dans le premier tiers, mais je ne m’en suis pas trop préoccupé, parce que
ces escamotages ont été plus instinctifs que prémédités. J'aurais aimé apporter moi aussi
quelques nouveautés dans la technique de la narration. Je me suis résigné à un récit
linéaire, en me disant, pour me consoler, que ma matière était déjà suffisamment délicate,
insolite, qu’il était inutile d’en compliquer encore l’aspect.
J'ai su dès le début ce que je voulais faire : pousser aussi loin que possible l’analyse,
mais tout en racontant une histoire. En d’autres termes : un roman
d’aventures intérieures. Mon idéal eût été évidemment, au lieu d’avoir un seul personnage
se réfléchissant, d’entrer dans mes tiers personnages, de les faire connaître tous trois
par l’intérieur. Moins novice, je m’y serais essayé. Mais je savais qu’un pareil dessein
serait au-dessus de mes moyens. Ce sont les chapitres V et VI (Michel solitaire à Paris),
composés au printemps 1943, qui ont déterminé le ton général du bouquin, de ses
dimensions : J'ai compris qu’après avoir décrit aussi méticuleusement les réactions de mon
bonhomme, je ne pouvais plus rien omettre ou ressasser, et que je n’en serais pas quitte à
moins de 1000 pages.
J'avais aussi dès le départ les grandes lignes de mon plan dans la tête : double
mouvement de conversion puis de déconversion chez Michel ; déchristianisation de la jeune
fille, invasion victorienne puis défaite d’Eros, Régis formant un pivot fixe avec sa foi.
J'ai souhaité que mon livre fût composé, quelle que fût la place qu’y prenait
l’investigation psychologique ; qu’on y trouvât le maximum de justifications aux
mouvements de mes trois gosses (qu’ils eussent ou non conscience de ces justifications),
le maximum de relations entre les causes et les effets. Quelquefois, je ne me suis aperçu
de ces relations qu’après coup, à mon vif plaisir : j’y ai vu la preuve que mon histoire
tenait organiquement debout. Tout cela pour vous dire combien j’ai été sensible à votre
éloge de ma composition, à votre refus d’envisager des coupures. Votre mot, « solidement
tressé » m’a enchanté. J'ai réellement fabriqué mon bouquin comme un panier, et toute
coupure m’aurait consterné : on ne peut couper sans casser un brin et faire un trou.
Je crois que, malgré toutes ces préméditations, il subsiste dans le bouquin une assez
vaste marge d’inexprimé, comme dans la vie. Bien entendu, c’est souvent à mon insu que je
l’ai laissée.
Je demanderai à ma femme de vous raconter l’histoire du manuscrit, infiniment plus
romanesque que le roman lui-même, et qui vous fera mieux comprendre le mal que j’ai pu
avoir à reprendre ma trame, après des mois, des années d’interruption, sur une table
d’exilé ou sur une paillasse de prison. Pour le détail de l’exécution, je suis affligé
d’un tic que Gide condamne, vous le savez, formellement : j’agence une à une mes phrases
et quelquefois mes membres de phrases dans ma tête avant de les mettre sur le papier. Tout
le bouquin a été construit ainsi, caillou par caillou, et je ne rature presque rien avant
la dactylographie. Pour arriver à maintenir le mouvement, malgré un aussi fâcheux procédé,
il faut s’imposer beaucoup de fatigue, et posséder une certaine persévérance. Ma mise en
train est toujours très longue ; les pages qui, personnellement, me plaisent le plus, ont
presque toutes été écrites à la fin d’une séance de six ou sept heures. Heureusement, je
suis d’un naturel assez laborieux, peu enclin à me décourager ; et mon sujet me tenait au
ventre, je l’ai véritablement vécu.
J'attends les critiques avec un certain scepticisme. Ce n’est pas vous qui en serez
surpris (quel plaisir j’ai eu à lire vos derniers articles sur ce sujet!). Je suis
d’avance blindé contre les commentaires saugrenus ou aberrants qui ne manqueront pas. Je
souhaite seulement qu’on reconnaisse que j’ai écrit un vrai roman,
comportant une histoire, des personnages évoluant dans le temps avec qui l’on vit. Il y a
dans ce roman une certaine part d’autobiographie. J'aurais pu la réduire sans
grand’peine : chaque fois que j’ai inventé de toutes pièces, je me suis beaucoup amusé.
Mais cela m’amusait aussi de raconter quelques souvenirs sur lesquels j’étais toujours
resté muet. Et puis, le passé m’a fourni quelques décors, quelques circonstances
irremplaçables. Mais ces éléments autobiographiques ont été fondus et refondus. J'ai subi,
avec joie, cette fameuse contrainte des personnages dont on a tant parlé, et qui était
demeurée jusque là pour moi une abstraction. Je savais, avant d’avoir commencé, où je
mènerais mes petits bonshommes, mais ils y sont allés par des détours absolument
imprévisibles. J'ai fait des observations assez curieuses sur cette substitution d’un
personnage qui se crée au personnage que donnait le souvenir.
Il est inutile que je vous parle des nombreuses influences littéraires dont je relève, et
que vous avez certainement reconnues au passage. Je veux seulement vous signaler le livre
qui m’a le plus servi, parce que je ne l’ai lu qu’en 1943 (une de ces grotesques lacunes
dont le journalisme est responsable) : c’est Lucien Leuwen, qui m’a fort
encouragé dans mes minuties. Je crois, à vrai dire, que c’est le cinéma qui m’a le plus
marqué et le plus aidé, ce qui n’est pas surprenant du reste, puisque je l’ai bien plus
pratiqué et décortiqué que la littérature romanesque. Je doute qu’on s’en aperçoive
communément : on n’a guère étudié jusqu’ici que les rapports superficiels du cinéma et de
la littérature (je ne fais pas d’exception pour Mme Claude-Edmonde Magny, malgré son
bagoût [bagout]...). Je sais que j’ai établi mes scènes les plus développées – y compris
la théologie à coups de canne ! - comme un découpage de film, plan par plan. Chaque jour,
en reprenant mon histoire, j’étais atone, vide. Mais après un temps plus ou moins long,
toujours inquiétant, de chauffe et de concentration, mes gamins réapparaissaient, je les
entendais, surtout la petite. Et le plus grand travail devenait alors d’être très attentif
à leurs physionomies, leurs gestes, de les photographier, en somme, sous le meilleur
angle, tout en les laissant plus ou moins libres d’improviser leurs dialogues. C'est un
sport assez excitant, quand on est enfermé, à une heure du matin, en plein hiver, dans une
« cage à poules » de prison. J'étais fort effrayé d’avoir à remettre en [rature illisible]
scène ma pucelle dans de telles conditions, n’ayant pas vu de jeune fille depuis cinq ans.
Ma foi ! La petite Anne-Marie ne m’a pas trahi, elle m’a rejoint fidèlement.
Deux mots, si vous le voulez bien, sur les correspondances entre la « vérité » et les
personnages. C'est Régis qui demeure le plus proche de cette vérité, il vient d’un seul
modèle. Michel est déjà beaucoup plus fictif, malgré ses ressemblances avec moi. Pour
Anne-Marie, elle est née de six ou sept modèles, véridiques... ou idéaux. Je puis dire
qu’elle est presque entièrement imaginée. Je l’ai très tendrement aimée... J'ai tellement
trituré mon trio que je serais bien en peine de distinguer, dans la plupart des scènes, la
fiction de la non-fiction. J'ai connu jadis deux amoureux, d’un médiocre intérêt, qui sont
allés a Brévilly, mais la vieille anecdote est tout à fait morte pour moi. Ce qui vit, ce
qui me parle et m’a fait, je le confesse, souvent battre le cœur, c’est ce que j’ai
écrit.
Le livre commencé dans l’hiver 42.43 était achevé à la fin de 1946. Je l’ai terminé
chaînes aux pieds, une dizaine de jours après ma condamnation. Il comptait à cette époque
300 pages de plus qu’aujourd’hui.
Je craignais qu’il n’existât une équivoque sur l’avenir de la petite et je m’étais
embarqué dans un « cinq ans après » outrageusement [rature illisible] feuilletonesque. Les
lectures massives de Sartre et des Américains que je venais de faire avaient contribué à
me dévoyer, l’imminence de mon procès, la perspective d’être fusillé avant d’avoir fini
mon livre achevaient de m’énerver. Trois ans plus tard, à la révision générale, j’ai sabré
tout ça. J'ai peut être trop sacrifié à l’unité du sujet, puisque vous avez pu objecter :
« que devient la jeune fille ? ». J'espère que quelques adjectifs, quelques soulignages
pourront répondre à cette objection. Mon désir serait que l’on crût Michel quand il dit
que la petite est perdue. J'ai rédigé plusieurs autres épilogues, entre autres un double
suicide à grand spectacle, très « chef d’œuvre cinématographique ». Mais c’est le dernier
dialogue des garçons qui m’a semblé, tout réfléchi, le plus chargé de sens, le plus lourd
d’amertume humaine. J'y vois différents symboles, j’en ai eu la tentation. Mais je me suis
senti guetté par la démonstration, la propagande, la thèse. J'ai préféré le risque d’une
certaine imprécision, plus conforme à la vie.
J'ai beaucoup allégé les chap. [chapitres] 34.35 et 36 (côte d’azur etc). Ils
fourmillaient de détails qui m’ont, à la relecture, écœuré. Peut être par tempérament,
suis-je plus intéressé par « les montées que par les descentes » ; peut être aussi la
désagrégation d’un couple est-elle un sujet trop rebattu pour que j’aie le goût de m’y
appliquer. Il m’a semblé surtout que mes personnages n’avaient plus rien à dire qui
n’allât de soi. On les connaît tellement qu’il suffit d’indiquer quelques-uns de leurs
gestes, de leurs mots. Je ne pense pas que, sous cette forme, il subsiste la moindre la
moindre obscurité. Ces chapitres ont été presque entièrement récrits. J'ai dû récrire
aussi toute la déchristianisation d’Anne-Marie (200 pages), qui était dans la première
version beaucoup [rature illisible] trop rapide, et grevée de topos d’un pédantisme
inadmissible. Sans doute, par comparaison avec cette première version, je ne suis pas trop
mécontent des nouveaux chapitres. Ils constituent cependant à mon avis, pour l’ensemble du
public, le plus gros obstacle du livre.
Vous avez certainement deviné que je suis tout à fait dégagé, depuis de très longues
années, de toute inquiétude métaphysique, et même éthique. Je puis l’affirmer avec
d’autant plus d’assurance que j’ai passé 141 jours aux chaînes, et que, par la faute de
mon avocat, j’ai eu la conviction d’être fusillé à l’aube, durant toute la nuit du
vendredi-saint au samedi-saint 47. Je suis un agnostique, qui se trouve très bien de son
agnosticisme, mais qui pense, contre Sartre, que dieu est un bon sujet de roman ; et vous
paraissez m’avoir donné raison. Je suis très curieux, mais en zoologue, de ce singulier
phénomène que l’on appelle la foi ; j’ai acquis quelques aptitudes à l’analyse de ce
phénomène, surtout lorsqu’il s’agit de l’homme tenté par la foi. Je suis même arrivé à me
dédoubler suffisamment pour ressentir [rature illisible] ledit
phénomène, mais sans cesser de le juger, de le contrôler. Vous avez été trop bienveillant
avec moi pour que je ne vous livre pas ces petits secrets, tout à fait confidentiels. Mais
je n’ai pas besoin d’insister sur l’extrême sincérité de mon anticléricalisme, de mon
mépris pour les dogmes. Vous avez avez demandé à ma femme ce que les curés avaient bien pu
me faire. Pas grand-chose, au fond. Ils sont. Cela suffit. Le catholicisme est [rature
illisible] pour moi, dans l’ordre intellectuel, un scandale, et d’autant plus choquant
qu’il s’habille de formes plus intelligentes (par ex [exemple] : chez un Blondel).
Que de choses j’aurais encore à vous dire, qui pourraient vous égayer au cours d’un
déjeuner, mais qui risquent tellement, sur le papier, de lasser votre patience... Je note
quelques points, sans ordre. J'aurais dû, sans doute, travailler davantage le style de mon
livre. J'ai constamment recherché l’exactitude, au détriment de l’effet littéraire. J'ai
accepté que le dialogue dévorât peu à peu presque tout le texte. Je crois que, dans les
derniers chapitres, c’est la littérature elle-même qui est dévorée, anéantie. Je me
demande ce qu’il reste d’écriture, au sens littéraire du mot, dans le
récit de Guitte, la lettre d’Anne-Marie, par exemple. Est-ce progrès ? Est-ce régression ?
Je n’en sais rien. En tout cas, il me semble bien que c’est devenu chez moi, comme chez
tant d’autres, un penchant irrésistible.
J'ai voulu, et cela très consciemment, réagir contre la littérature de « chiens crevés »,
que prolongent, tout compte fait, Sartre et ses copains. Je n’émets sur elle aucun
jugement moral [rature illisible] (si je le faisais, ce serait pour regretter que Sartre
soit tellement moraliste!), mais je constate qu’une littérature où il n’y a pas de conflit
tourne en rond, s’embourbe. J'ai voulu que mes gamins fassent eux-mêmes leur destin ;
aient au moins l’illusion de le faire. Il n’y a aucune intervention de l’extérieur dans
leur histoire, j’en avais imaginé quelques-unes, je les ai écartées instinctivement. Je ne
m’insère, évidemment pas, comme on dit, dans la littérature sociale de ces dernières
années.
J'ai voulu conserver un ton relativement soutenu aux principaux dialogues. Convention
pour convention, je puis avancer que la mienne correspond à une certaine coquetterie de
langage, du moins entre fille et garçon. Il ne me déplaît pas que mes gosses aient une
apparence plus civilisée que leurs contemporains et que leur « père » qui baragouine le
plus affreux jargon. Ils parlent abondamment de leurs idées, de leurs prédilections
artistiques. Pourquoi pas, puisque cela est dans leur naturel ? Leurs sentiments sont
portés au rouge de la passion. Mais la passion a-t-elle cessé d’exister ? Ne peut-on pas
essayer de réconcilier passion et psychologie.
Je ne me suis pas caché que je courais le risque d’avoir l’air affreusement démodé. Mais
si je suis parvenu à rendre l’ensemble vivant, n’ai-je pas gagné ? Cher Paulhan,
voyez-vous, je suis un réactionnaire, et c’est du reste pourquoi je suis en prison. Mais
l’état présent de tout un secteur de notre littérature n’appelle-t-il pas une réaction ?
Celle que j’ai tentée n’est-elle qu’un regret stérile du passé ? Rouvrira-t-elle au
contraire certaines fenêtres, portera-t-elle des fruits ? Je l’ignore. J'ai fait ce qui
était dans mes cordes, aussi consciencieusement que possible.
Pour revenir encore sur quelques détails, il me semble que mes deux étudiants, malgré
leurs crânes bourrés, gardent leur âge, grâce à leurs nombreuses naïvetés. Je pense que
vous êtes de mon avis puisque je n’ai entendu aucune réserve de vous sur ce point. En tout
cas, ç'a été un de mes soins constants de ne pas transformer mes gosses en porte-paroles
de l’écrivain quadragénaire. A propos de naïvetés, l’épisode d’Yvonne va loin, du moins
pour ce qui concerne Régis. Mais ce genre de Jocrisseries sentimentales et idéalistes est
typique du catholicisme, les biographies des plus illustres saints en fourmillent. J'ai vu
du reste, après coup, que mon bouquin contenait un documentaire assez varié sur le
catholicisme, ce qui n’est pas pour me déplaire. Et il sera difficile de m’accuser
d’inexactitude. Je sais de quoi je parle, toutes mes précautions sont prises, et je suis
assez calé en matière d’orthodoxie dogmatique. Les catholiques qui ne reconnaîtront pas
que Régis est leur, des pieds à la tête, seront de bien mauvaise foi.
Le titre vous déplaît-il toujours ? Pour ma part, ma femme a dû vous le dire, je le
défends, avec énergie. Il est dans la pure tradition Jésuitique, et sa consonance m’agrée.
Qu'il égare un peu les premiers lecteurs, cela est plutôt fait pour m’égayer. Au bout d’un
mois, tout le monde saura que ce titre se réfère à la méditation archi-célèbre de St
Ignace. Je ne serai pas mécontent non plus d’affliger les âmes pieuses en traînant dans de
mauvais lieux un aussi vénérable symbole. Ceux qui supposeront que l’étendard de Satan
existe peut-être pour l’auteur se foutront joliment le doigt dans l’œil. J'ai beaucoup
cherché, je n’ai trouvé aucun titre qui me satisfasse davantage. J'examinerai volontiers
les suggestions qui pourraient m’être faites, mais je serai très difficile ! En tout cas,
je repousse catégoriquement « Mi Dieu, Mi Diable », beaucoup trop
brutal, et surtout beaucoup trop parlant. Je ne veux pas d’un titre qui dise tout
d’avance.
En voyant l’intérêt que vous portez à mon livre, je [rature illisible] me sens déjà payé
de bien de mes peines. J'aurai eu tout de suite l’approbation qui pouvait m’être la plus
précieuse, je vous l’affirme sans aucun souci de flatterie, je n’ai jamais été très
gendelettres, et je suis devenu un vieux bagnard mal embouché, de cuir fort racorni.
D'après ce que ma femme m’écrit, vous prévoyez, ainsi que Gallimard, un gros succès
public. Vous êtes l’un et l’autre infiniment plus qualifiés que moi, et je fais pleine
confiance à vos pronostics. Mes [rature illisible] espoirs étaient moins vastes, au moins
pour l’immédiat. Quelques expériences en circuit clos m’ont prouvé qu’il existait, en
effet, plusieurs publics pour ce bouquin, l’un y prenant ceci, l’autre cela. J'en ai été
assez étonné. Je vous assure qu’au départ je ne pensais qu’au « happy few », et je n’ai
fait de concessions à personne. Si, au bout du compte, le succès vient, c’est épatant, et
je ne suis pas du tout indifférent à son aspect monétaire ; je songe d’abord à ma femme,
qui connaît tant de privations, depuis six années.
Ce qui m’ennuie assez fortement, c’est d’apprendre que Gallimard me réserve pour la
sortie d’automne, le « salon du roman », en somme. J'en ai même éprouvé sur le moment une
vive déception, et je demeure inquiet. J'escomptais une sortie [rature illisible] plus
rapide, en fin de printemps, qui aurait permis au bouquin de faire son premier trou, à la
discussion de se développer avant le hourvari de fin d’année. Sans parler du temps qu’il
faut, rien que pour ingurgiter le monstre !
Croyez-vous vraiment que mon livre soit bâti pour ce genre de compétition, et qu’il n’y
risque aucun préjudice ? Je suis singulièrement partagé ! Je suis alléché par les chèques
de sept chiffres que doit représenter la couronne. Mais cette couronne est allée à [rature
illisible] de tels navets que je [rature illisible] me sens un peu humilié d’y être
candidat, que mon livre m’en apparaît diminué. Encore une fois, je n’oublie pas les
défauts de [rature illisible] ce livre. Mais on ne peut contester, je crois, qu’il se
situe à un autre niveau littéraire que les lauréats de ces quinze dernières années.
D'autre part, ce [rature illisible] succès serait une revanche publique assez délectable,
presque cinq ans, jour pour jour, après ma condamnation à mort. Ce n’est pas en deux, mais
en trois morceaux que je suis partagé ! Je vous dis toutes ces choses avec une complète
franchise. Il me manque sans doute beaucoup d’éléments d’appréciation. Éclairez moi. Ma
femme, je l’espère, pourra me transmettre bientôt votre réponse.
Autre question : mes préférences, vous le savez, iraient à une édition en deux volumes,
moins décourageante, pour l’ensemble des lecteurs que l’énorme pavé de 800 ou 900 pages,
qui me paraît convenir surtout pour des livres d’action. Ce point de vue me semble
valable. Cependant je ne suis pas suffisamment informé des conditions actuelles de
fabrication, de vente, pour faire de mes préférences une question de principe. Et si
Gallimard a des objections importantes – commerciales ou autres – contre les deux volumes,
je me rangerai à son avis.
Je me permets d’adresser par ce courrier à Mme Dominique Aury, qui possède, je crois, la
dactylographie en ce moment, quelques corrections de détail, en la priant de bien vouloir
les faire reporter sur le texte avant [rature illisible] la composition. Je trouverai peut
être un moyen, puisque nous avons sans doute plusieurs mois devant nous, pour voir
rapidement au moins une partie des épreuves (soyez sans crainte, je ne suis pas un
maniaque des corrections d’auteurs). Mais si je n’y arrive pas, j’oserai vous demander de
veiller à ce qu’une révision sérieuse de ces épreuves soit faite par un correcteur
qualifié, qui voudra bien se charger de remédier aux assonances et aux répétitions trop
voyantes – il doit en rester un certain nombre – ainsi qu’aux incorrections grammaticales,
quand elles sont indubitables (qu’il ne m’enlève pas, toutefois, les « davantage que »,
puisqu’on les trouve dans tout le XVIIe siècle). Je n’ai eu d’autre outil, durant la
moitié de ma rédaction, que de petits Larousse pitoyables.
J'allais oublier de vous dire que je suis un des plus anciens amis de Roland Cailleux.
Nous nous connaissons depuis 25 ans. Si ma femme ne vous en a pas parlé, c’est qu’ils sont
au plus mal ensemble, tous les torts étant d’ailleurs du coté de Roland. Mais c’est lui
qui m’a redonné goût à mon livre, obligé à le reprendre, dans l’automne 45, quand je
venais d’arriver à Fresnes et que je ne songeais plus qu’à me laisser glisser
tranquillement jusqu’au poteau. Ce sont de ces services dont on garde mémoire. J'ai
regretté de ne pas aimer davantage Une Lecture. Toutes ces
considérations morales à propos du merveilleux, de l’immortel Proust ! Roland doit
travailler de la foi.
J'ai relu quelques morceaux des Décombres (je ne l’avais pas fait
depuis 5 ans). Mon antisémitisme de 1942 est indéfendable, d’une grossièreté ridicule. Je
m’en aperçois trop tard ; [rature illisible] ma réaction est pourtant sincère. Mais je
contresigne presque tout le reste. J'ai été tellement justifié ! En revanche, le style,
qu’on loua beaucoup à l’époque, m’apparaît trop empâté, et je voudrais couper deux
adjectifs sur trois.
J'arrive enfin au bout de cette interminable lettre. Je ne vous ai rien dit de la prison.
Elle offre si peu d’intérêt ! Matériellement, depuis un an, je n’ai pas à me plaindre.
L'incarcération ne m’a pas toujours été inutile, elle m’a aidé à me concentrer, à mûrir
bien des choses. Mais j’ai épuisé ces avantages. Je roule de gros projets, je sais que je
suis en forme ; mais je sais aussi que je ne pourrai plus rien entreprendre de ces côté
des murs. Je suis coupé de la vie depuis trop longtemps, je n’ai pour ainsi dire plus de
sensations ! C'est un état très affligeant. Si l’on veut que je refasse de la littérature
(et je n’ai pas d’autre désir), il faudra évidemment me tirer du trou ! Je n’ai en tête
pour le moment que la sortie des Deux Étendards. Je suis convaincu que
mon livre aidera beaucoup à ma libération. En attendant, je m’ennuie effroyablement.
Cette affaire du contrat avec la maison Denoël me tracasse un peu. J'espère bien
cependant que l’on va régler ça.
Je possède un assez grand nombre de notes sur la technique littéraire, prises à
l’occasion des Deux Étendards. Si vous jugez un jour qu’elles méritent
d’être publiées, je vous demanderai de bien vouloir accepter qu’elles vous soient
dédiées.
Ma femme vous transmettra sans doute avant peu les suppliques que je lui adresse en
faveur de la bibliothèque dont je suis chargé ici. Tout ce que vous pourrez faire nous
sera infiniment précieux.
Je ne puis, hélas ! solliciter de vous une réponse. Le règlement auquel je suis soumis me
contraint à vous [rature illisible] expédier cette lettre par une voie
extra-administrative, ultra secrète, aussi sûre que possible, mais à sens unique. Nous
pourrions sans doute obtenir une autorisation de correspondance, mais sous couvert de
censure, ce qui ne serait guère tolérable, pour le moment du moins.
En attendant le jour où je pourrai vous l’exprimer directement, je vous prie de croire,
cher Paulhan, à toute mon admiration pour vous, toute ma reconnaissance, et de me
permettre de me dire votre bien fidèle et dévoué
Lucien Rebatet
Véronique Rebatet à Jean Paulhan (16 février 1951) §
Votre lettre est venue m’apporter un très grand réconfort, beaucoup d’espoir et je vous
en remercie.
J’aurais voulu répondre immédiatement d’une façon définitive aux questions que vous me
posez, mais la situation juridique de mon mari ainsi que les démarches qui sont en cours
ne me permettent pas de le faire aujourd’hui.
Voulez-vous être assez aimable pour patienter quelques jours encore ? (il s’agit tout au
plus d’une semaine.)
À ce moment-là, il me sera possible de vous donner toutes les explications nécessaires y
compris l’avis de mon mari que je verrai dimanche à Clairvaux.
Veuillez croire, cher Monsieur, à l’expression de mes meilleurs sentiments, et à ma
profonde gratitude.
J’aurais dû vous écrire beaucoup plus tôt pour vous dire toute la joie que j’ai eue à
faire votre connaissance, à vous trouver si ressemblant à vos livres, au portrait que
Véronique m’avait fait avec tant d’enthousiasme. J’aurais voulu m’excuser aussi d’avoir si
mal profité de ces quelques heures tant attendues, d’avoir bavardé à tort et à travers, au
lieu de vous dire d’abord, moins imparfaitement, notre profonde gratitude, de nous autres,
les tôlards. Mais j’ai été obligé de quitter Paris 48 heures après notre rencontre. Et
depuis que je suis arrivé à mon lieu de résidence, les embêtements se succèdent. Il paraît
que je souille le sol glorieux de la Dordogne. C’est en tout cas ce que la presse
communiste proclame avec un bel ensemble. Le ministère de l’Intérieur m’a fait signifier
que j’avais à choisir un autre lieu de résidence. En même temps, il m’interdit la Seine et
la Seine et Oise. Je ne sais donc pas où nous allons atterrir, Véronique et moi. Voilà de
belles conditions pour retrouver mon équilibre, reprendre [rature illisible] avec ce monde
les contacts nécessaires, me remettre surtout au travail. Depuis près de trois semaines
que je suis dehors, je n’ai encore rien pu faire d’intelligent ou d’utile.
Nous vous tiendrons au courant de nos tribulations. Je vous avoue que pour l’instant je
suis dans un état d’esprit plutôt fulminant, je m’étrangle de colères rentrées ; je ne
pense qu’à Paris ; j’espère que j’arriverai tout de même à y faire une apparition de
quelques jours dans le courant de septembre, à passer rue Sébastien Bottin, où il est
indispensable que j’aie avec Gaston un entretien très sérieux.
J’ai été heureux d’apprendre la résurrection de la N.R.F. J’espère
qu’elle est imminente. Votre offre de collaboration m’a fait le plus grand plaisir.
J’aurais tant de choses à dire, sans parler de tous les cartons bourrés que j’ai amenés de
Clairvaux ! Mais je crains que ce qui me tiendrait le plus à cœur ne soit positivement
impubliable. Vous seul pourrez m’éclairer. Je ne commencerai à revivre et à entrevoir
quelques buts nouveaux que lorsque j’en aurai fini avec cet exil dans des cambrousses sans
nom.
Dans l’incertitude où je suis sur mon prochain refuge, je ne puis vous donner d’autre
adresse que celle de Montmorency, que vous possédez.
Cher Paulhan, Véronique et moi, nous vous adressons notre très amical souvenir.
Vous m’avez écrit une lettre mémorable. Je suis confus d’être l’unique bénéficiaire de
cette allégorie si ingénieuse et si pertinente, dont la publication serait si utile dans
ces temps de sartreries, camuseries et autres jaspinages.
J’avais l’intention de vous répondre aujourd’hui, pour défendre ce qui fut mon point de vue (pour le présent, c’est une autre affaire). Mais je vous
avoue que je dois attendre d’avoir l’esprit un peu plus libre. En fait de « liberté »,
cela va aussi mal que possible. Je n’aurais pas voulu vous importuner avec le récit de ces
mesquineries ; si je le fais, c’est sur le conseil très pressant de Véronique.2
À peine arrivé dans cette Dordogne – je crois vous l’avoir déjà dit – j’ai été avisé
officiellement que ma présence y était indésirable (suite immédiate de la campagne des
journaux communistes). J’ai alors demandé l’autorisation de séjourner en Seine et Oise, ce
qui est bien mon lieu d’hébergement naturel, puisque ma femme y a son domicile. (D’autre
part, qu’on le veuille ou non, je suis écrivain français, et ce n’est pas un métier qu’on
exerce dans des communes rurales.). Le ministère de l’Intérieur m’a fait savoir la semaine
dernière que cette autorisation m’était refusée « pour des raisons d’ordre public », et
m’a enjoint de choisir au plus vite une nouvelle résidence dans l’un des six départements
suivants : Vendée, Maine et Loire, Haute Marne, Landes, Orne, Mayenne. Mais je n’ai trouvé
dans ces départements personne qui consent à m’héberger, et les autorités ne me
permettraient pas de loger à l’hôtel, ce qui, de toute manière, serait trop onéreux pour
moi.
Du seul fait de mon interdiction de séjour et de la fébrilité des « pouvoirs », je suis
donc à l’heure actuelle littéralement sans feu ni lieu, et harcelé par la police, qui me
réclame une réponse positive pour jeudi prochain, réponse que je suis fort en peine de lui
donner.
Voyez-vous, de votre côté, ou peut-être avec l’aide de la famille Gallimard, un moyen de
me tirer de cette situation qui, d’enrageante, selon votre propre mot, est en train de
devenir intenable ? Si je me permets cette requête, c’est parce que je sais que Véronique
a toujours trouvé auprès de vous aide efficace et conseils précieux. Tout ce que je
demande pour l’instant au Ministère de l’Intérieur, c’est qu’il m’autorise à habiter chez
ma femme, en Seine et Oise, à mes risques et périls (et je sais que le péril n’est pas
bien grand!).
Malgré ma répugnance pour des démarches de cet ordre – je n’en ai fait aucune en sept
années de prison – j’ai eu l’intention d’écrire moi même [moi-même] à M. Brune pour lui
exposer l’état plus que fâcheux auquel me [rature illisible] réduisent ses ordres. Mais je
serais heureux, auparavant, d’avoir votre avis.
Croyez, cher Paulhan, au très fidèle et très amical souvenir de Véronique et de
moi-même.
L. Rebatet
Je suis sûr de vous avoir dit que vous étiez « le dernier libéral ». Je le maintiens du
reste, et dans ma pensée, c’est un éloge sincère. Mais je vous reparlerai de ça.
À la demande de la préfecture et de la police, je suis ici sous un nom d’emprunt. Mon
adresse actuelle est donc : M. Vinneuil, à la Robertie, par Dussac (Dordogne).
Lucien Rebatet à Jean Paulhan (30 septembre 1952) §
J’ai été heureux d’avoir de vos bonnes nouvelles par Véronique, qui m’a dit tout ce que
vous venez encore de faire pour moi. Elle a dû vous faire part de mon refus formel
d’accepter ce chèque qu’ « on » vous a demandé de me transmettre. Nous sommes du reste
tous deux d’accord, elle et moi, à ce sujet. Je n’ai jamais été « subventionné » par qui
que ce soit, je ne vais pas commencer maintenant. Certes, notre situation matérielle est
extrêmement moche. Mais je ne veux pas d’aumône, surtout du monsieur qui est responsable,
par sa trouille, de tous nos ennuis présents. Je n’ai pas besoin de ça. J’ai besoin qu’on
me laisse le moyen de me refaire un peu une vie, de retravailler, de m’occuper du livre
que j’ai écrit, de ceux que j’ai à écrire, bref, qu’on ne m’interdise plus Paris. Je n’ai
pas besoin de secours officiels ; mais simplement je demande que les officiels me foutent
la paix ; alors, j’en suis presque sûr, j’arriverai à me débrouiller. Ce sont ces stupides
interdits qui me contraignent en ce moment à une vie de demi-clochard, qui me causent à
tous points de vue un préjudice énorme. Ce n’est pas une obole de 30.000 frs [francs] qui
peut réparer ça. Serait-elle d’ailleurs de 3 millions que je la refuserais aussi net.
Je vous laisse juge, cher Paulhan, d’examiner avec Véronique le mode le plus convenable
de restitution, mais ce qui m’importe, c’est que cette restitution ait lieu le plus vite
possible. Si vous estimez bon que Véronique y joigne un mot, elle le fera. Si ce doit être
moi, je m’exécuterai correctement. Mais [rature illisible] ce ne sera pas sans mal, et il
faudra que j’aille chercher mes formules de politesse très loin dans mon encrier…
Cher ami, que j’aurais envie de vous voir ! Je n’arrive pas à comprendre comment je me
résigne à une existence aussi stupide et lugubre que celle de ces semaines de Normandie.
Je ne me reconnais plus. Naguère, je n’aurais pas toléré ça 24 heures, quand bien même
toutes les polices de France auraient été sur pied. Il faut croire que la prison m’a bien
éteint.
Je relis Joyce, Ulysse. Il y avait bien longtemps que je n’y
avais remis le nez dedans. j’aime toujours ça, vous ne devez pas en être très surpris.
C’est inégal, tous les gros livres le sont… Mais je trouve ça bien meilleur que tout ce
qui en a procédé depuis. C’est peut-être le signe que je vieillis. Comme je vous envie
votre magnifique jeunesse, votre appétit toujours aussi vif devant les nouvelles choses,
les nouvelles tentatives !
Je pense aussi, mélancoliquement, à mes Étendards. Vont-ils vraiment
disparaître de la circulation, sombrer dans l’oubli et le silence comme le premier navet
venu ? Ils ne méritent tout de même pas ça. Ce serait vraiment à vous dégouter [dégoûter],
sinon de continuer, en tout cas de publier.
Je m’interromps, c’est l’heure de la poste normande. Il pleut et vente sans arrêt depuis
4 jours. Si du moins j’étais au bord de la Manche, je verrais les tempêtes ! Mais les
éléments déchaînés sur les pommiers et les herbages, ça n’es ne donne rien
d’épique.
Croyez, cher Paulhan, encore une fois, à ma sincère gratitude, et à mon très amical
souvenir.
L. Rebatet
Lucien Rebatet à Jean Paulhan (27 novembre 1952) §
Je regrette d’apprendre par Carrefour que vous êtes souffrant. Mais
avec quel plaisir je lis ce que vous avez dit à Elsen sur Éluard ! Tout y est, et tout est
la vérité même. Après tout ce qui vient d’être imprimé ou diffusé sur ce sujet, c’est
délectable. C’est la voix juste, honnête, pertinente et libre qui s’élève après celle de
tous les faux jetons, tous les domestiques et tous les bafouilleurs.
J’espère bien que dans votre prochaine N.R.F., vous nous donnerez une
longue série de ces admirables mises au point. Il est vraiment dommage que vous livriez à
des feuilles volantes des vérités si utiles et si savoureuses.
J’écris sans arrêt, et Véronique, qui craignait que je ne sois devenu paresseux, commence
à s’inquiéter d’une activité aussi dévorante.
Cher Paulhan, nous vous adressons tous deux notre très amical souvenir.
L. Rebatet
Véronique Rebatet à Jean Paulhan (04 janvier 1952) §
Quelle joie en recevant ici vos bonnes lignes adressées à Montmorency et comment vous
remercier ?…
J’ai écrit par retour du courrier à mon avocat, Me B. de Sariac, en
le priant de se mettre d’urgence avec en rapport avec vous (son tél.
[téléphone] Dan 6234). Avez-vous eu d’autres nouvelles depuis ?
Je me trouve dans les Vosges jusqu’au 10 janvier et j’attends avec fièvre et impatience
la confirmation de cette heureuse décision, car j’aimerais aller moi-même chercher mon
mari à Clairvaux.
Pardonnez-moi de vous importuner encore, mais il n’y a aucun moyen de savoir 24h d’avance
si le président V. Auriol a signé aussi ?
En vous remerciant de tout mon cœur, croyez, cher Monsieur, à mes sentiments très
reconnaissants.
Véronique Rebatet
P.S.
Peut-être G. Gallimard pourrait-il savoir, lui qui a si facilement les entrées à
l’Élysée...
ignorant votre retour vous dépose aujourd’hui seulement cet exemplaire des Deux Étendards
et vous prie d’agréer l’expression de sa vive admiration pour la si courageuse Lettre aux
Directeurs de la Résistance.5
Nous vous adressons, Véronique et moi, nos vœux les plus amicaux pour 1953.
Votre Braque me donne envie de revoir attentivement des tableaux de ce peintre. Il y a
dans ce petit livre bien des pages (53, 54 par ex. [exemple]) que l’on devrait proposer à
la méditation de tous les critiques littéraires aussi bien qu’artistiques, que musicaux,
car elles sont profondément valables pour toute sorte de création. Je ne saurais vous dire
à quel point j’estime que vous mettez le doigt, selon votre habitude, sur l’essentiel.
J’ai lu dans la presse vos souhaits pour la nouvelle année. Plus de partis politiques.
Bravo. Mais alors ? Le Parti Unique ? Vous allez vous faire traiter par Martin-Chauffier
de fasciste abominable.
Croyez, cher Paulhan, à toute notre amitié.
L. R.
Je devrais aussi former des vœux pour la « Nouvelle Nouvelle... » [NNRF]. Ce serait
magnanime. Mais sincère ? Je me le demande...
Non. Puisque mon papier ne plaît pas et qu’il ne passe pas ce mois-ci, n’en parlons plus.
Une réponse paraissant deux mois après coup ne m’intéresse pas et n’intéresserait plus
personne. Et je veux encore moins exiger cette réponse. L’article
d’Etiemble n’appelle pas des formes aussi comminatoires. Je ne suis pas encore mort. Je
finirai bien par arriver à dire ce que j’ai à dire. Tout me porte à croire que ce ne sera
pas à la N.R.F… Je le regretterai mais qu’y puis-je ? D’autre part, je
n’ai pas l’habitude des refus, et je ne tiens pas à la prendre.
Voulez-vous être assez gentil pour me renvoyer mon papier, dont je n’ai aucune copie, et
la lettre de Gaston qui vous a été communiquée par Véronique ?
Croyez bien en tout cas, cher Paulhan, que cette déception, venant après tant d’autres,
n’altère en rien notre très sincère amitié pour vous, amitié qui est, permettez-moi de
vous le dire, fort teintée d’affection.
Nous vous envoyons notre meilleur souvenir et tous nos vœux de santé.
L. Rebatet
Lucien Rebatet à Jean Paulhan (16 septembre 1953) §
J’aurais déjà du [dû] vous dire mon émerveillement devant la persévérance de votre
amicale sollicitude à mon endroit. Toutes ces corvées que vous avez accomplies ! Et vos
propos devant ce journaliste de Combat… Je savais que vous étiez
épatant. Mais à ce point-là !
Je suis persuadé que vos démarches ont fait réfléchir les « responsables », ce qui est
l’essentiel, et que mon sort ne tardera pas à s’améliorer.
Nous avons quitté Argentan, vraiment trop sinistre et trop onéreux, la semaine dernière,
pour une petite bourgade voisine et tout de même un peu moins désolante. Nous avons loué
une chambre chez une vieille dame pieuse, avec possibilité de faire un peu de cuisine.
L’inconfort est inimaginable. Véronique vous décrira ça beaucoup mieux que moi. Le plus
effrayant, c’est que la proximité d’une vieille dame d’œuvres lui inspire (à Véronique)
une verdeur et une sonorité de langage qui me mettent le rouge au front. En compensation,
j’ai jugé nécéssaire [nécessaire] que nous assistions dimanche à la messe de onze
heures…
Il est certain que j’imaginais sous d’autres aspects ma vie de libéré. Certain aussi que
je perds mon temps, au milieu de ces déménagements, dans ces logis impossibles, dans ces
provinces. Je suis pourtant capable de travailler dans les pires conditions matérielles,
je l’ai prouvé à Fresnes et à Clairvaux. Mais la prison, ce n’est pas la province. Il
faudrait que je m’occupe de mon futur opuscule. Depuis deux mois, je n’ai rien fait qui
vaille, et je commence à traîner des remords. Mais je sens que je ne pourrai redémarrer
qu’à Paris, après avoir retrouvé un peu la vraie vie. Ici, nous sommes en 1820.
J’ai reçu une excellente lettre de Claude Elsen, qui me dit son intention d’organiser une
très prochaine rencontre entre vous, lui, Robert Poulet et moi. Voilà qui me changerait de
la Normandie ! Mais combien de temps vais-je encore rester Normand ?
J’ai été ravi d’apprendre par l’article de Combat que vous aviez autant
de choses en chantier, et si diverses. Je les attends avec une égale impatience. Bien
entendu, si je n’étais pas en train de purger une peine d’ « éloignement », je serais allé
vous interroger moi-même une heure sur la résistance, dont nous n’avons pas encore parlé
ensemble. Je sais bien, certes, ce que vous en pensez, mais j’aurais quelques questions à
vous poser, et qui font suite, justement, à tout ce que j’ai lu de vous.
En réponse à un de vos derniers mots, je puis vous assurer que je ne fais pas du tout la
petite bouche devant les œuvres « où la majesté de la littérature est resserrée ». Vous
devez même vous douter que, fabriqué comme je le suis, j’ai beaucoup à leur envier. Je
suis heureux de vous voir citer Jules Renard, pour qui j’ai une grande tendresse, malgré
certains de ses goûts (Hugo, Rostand), et dont on parle si peu, sans doute parce qu’on l’a
énormément pillé. Je vous remercie de m’avoir fait connaître Cingria, dont l’écriture est
pleine d’intérêt. Pour ce qui concerne Larbaud, j’ai toujours aimé les poésies,
l’ « Harmonika Zug » ; quant au reste, je vous avoue que ça m’apparaît un peu court, ce
qui n’a rien à voir, n’est-ce pas ?, avec le resserrement. En revanche, Le
Diable au corps de Radiguet, que j’ai relu ce printemps-ci, m’a paru bien meilleur
que jadis. Il y a par exemple, au début, l’épisode de la petite bonne qui se jette d’un
toit, un soir de 14 juillet. Cela, je le place sans hésiter dans la littérature.
En revanche aussi, [rature illisible] dans l’autre lignée, je ne suis pas tellement féru
de Tolstoï. Sans doute, La Guerre et la Paix… Mais c’est bien
panoramique. Je suis peut-être injuste pour Tolstoï à cause de mon admiration, qui n’a
cessé de croître, pour Dostoïewski. C’est classique, je crois : on ne peut pas aimer
également ces deux Russes.
Vous voyez qu’en littérature du moins, je puis être assez libéral. Mais je redeviens
sauvagement tranchant lorsqu’il s’agit de Camus. Je suis ravi de la querelle que lui fait
Sartre. Ce qui m’étonne, c’est que l’on ait attendu sept ans pour découvrir que Camus est
un moraliste aussi conventionnel qu’ennuyeux. Pour ma part, j’étais fixé dès La Peste. Et l’on n’a encore rien dit de l’essentiel : que Camus n’a pas
réellement de talent, qu’il est incapable de donner la vie, que c’est un
pseudo-classique. Nous en reparlerons…
Nous voudrions bien savoir vers quelle date Gaston Gallimard rentrera à Paris.
Pourriez-vous nous renseigner à ce sujet ? Envoyez-nous donc, si vous le voulez bien, un
mot à l’adresse de Montmorency, c’est le plus simple, on fait suivre aussitôt. Puis-je
vous demander également de me dire si vous comptez quitter Paris pendant le mois
d’octobre ? J’aimerais être sûr de vous y rencontrer, si je fais une petite fugue d’un
jour ou deux.
Véronique et moi, nous vous prions de croire, cher Paulhan, à notre très fidèle
amitié.
L. Rebatet
Lucien Rebatet à Jean Paulhan (02 septembre 1954) §
Lu avec beaucoup de curiosité la somptueuse et glorieuse Histoire d’O.
que je vous rapporterai à mon prochain passage rue Sébastien Bottin. Tout à fait d’accord
avec votre préface.
Nous avons emménagé samedi. Voici donc notre nouvelle adresse :
Rebatet, 33 rue Le Marois Paris XVI.
Tel. [Téléphone] Auteuil 97.41.
Voulez-vous être assez gentil pour la communiquer à Dominique, à qui nous envoyons notre
meilleur souvenir ?
J’ai versé hier dans la morale de concierge, à propos des enfants. Je m’en suis aperçu un
peu plus tard, en pensant que le meurtre d’un nourrisson de six mois m’aurait laissé tout
à fait indifférent. La suppression du vieux notaire était non moins condamnable : vous
avez parfaitement raison. Disons que dans le cas dont nous parlions hier, il est
particulièrement grave que la mère ait déjà cherché deux fois à noyer sa petite fille de
deux ans et demi, avant de la tuer dans une lessiveuse.
Mais vous feriez un bien meilleur juré que Dominique ou que moi !
J’ajoute que si j’aime de plus en plus les gosses, le débordement de sensiblerie dont ils
sont maintenant l’objet m’agace beaucoup.
Les Cocteau sont inqualifiables. L’exhibition de ces [mièvres?] horreurs est
déshonorante. À la lettre, c’est au-dessous de tout. J’avoue que j’ai eu un certain
plaisir de vengeance, puisque Cocteau a éprouvé le besoin de me tirer dans les pattes,
d’empêcher ma collaboration à La Parisienne, de prétendre que je
réclamais sa tête pendant la guerre ! (tout ça parce que j’avais écrit que Jean Marais
n’est pas bon!).
Nous avons passé une bonne soirée au Port-Royal. La langue est superbe,
et reste cependant vivante. Et puis, tout ce qui touche le jansénisme anime bien chez moi
une corde secrète… Mon seul regret de ne pas croire dans leur Christ, c’est que cela me
prive des voluptés de l’hérésie ! Mais, comme La Reine Morte, comme Malatesta, le Port-Royal me semble une chronique
dialoguée plutôt qu’une pièce.
Je vais aller voir Fautrier très attentivement demain, avec votre préface pour guide.
Véronique me reproche de vous avoir « houspillé » hier. Mais vous le savez bien : je veux
uniquement exprimer l’amicale impatience où nous sommes, moi et beaucoup d’autres, de vous
lire plus souvent.
J’espère beaucoup que les nouveaux manuscrits de mon vieil et cher ami Cailleux vous
intéresseront.
À propos des Cocteau : un de nos camarades, antiquaire rue Bonaparte, tout à côté, nous a
dit que la galerie ne désemplissait pas, qu’on avait déjà vendu pour deux millions de ces
produits (200 à 250.000 frs [francs] les « portraits », 500.000 les grands panneaux.)
Merci encore de nous avoir ménagé hier tous les plaisirs de ce très agréable
déjeuner.
Nous vous redisons tous deux toute notre affection. Et à bientôt.
Cijoint le billet de concert dont je vous remercie, et le petit papier musical destiné
surtout à soutenir un peu Boulez. J’avais bien envie de signer Krakauer ou Block-Breton.
Ce serait sans doute pousser trop loin la plaisanterie. Si je trouve mieux, comme
pseudonyme judéo-chrétien, je vous le communiquerai.
J’ai été charmé par l’intelligence musicale de votre jeune belle-fille. Il y a encore de
l’espoir ! Et si ces jeunes gens ont des lacunes dans leur mélomanie, ce n’est absolument
pas leur faute.
J’ai reçu votre lettre, en date d’hier, Ier mars. Je regrette qu’elle
diverge aussi complètement des entretiens que vous avez eus, depuis le début de l’année,
soit avec ma femme, soit avec moi : entretiens où il apparaissait décidé que vous me
maintiendriez votre mensualité de 100.000frs [francs] pour cette année-ci, au cas où vous
éditeriez « MARGOT L’ENRAGÉE ».
Je suis fâché d’être obligé de vous dire que je n’accepterai pas de publier « MARGOT
L’ENRAGÉE » aux nouvelles conditions que vous me proposez, vraiment trop éloignées de la
« valeur commerciale » que me paraît avoir ce livre.
Notre contrat présent vous donne une option pour deux livres de moi.
Je ne m’engagerai pas, actuellement, pour d’autres livres, alors que j’en ai déjà deux
chez vous (sans parler des « DÉCOMBRES ») dont l’un constituant à ce jour mon plus gros
effort littéraire, et qui semblent définitivement enterrés.
Vous ne croyez pas, en somme, aux possibilités de succès de « MARGOT L’ENRAGÉE ».
Puisqu’il en est ainsi, ne vaut-il pas mieux que vous me rendiez ma liberté pour publier
MARGOT chez un autre éditeur, comme nous l’avions décidé lorsque vous m’avez remis mon
manuscrit ? C’est, à mon sens, la solution la plus logique.
Croyez, Cher Monsieur, à l’assurance de mes sentiments bien dévoués.
Depuis 3 semaines en vacances dans un coin épatant des Cévennes méridionales, nous avons
attendu d’être à Nîmes en promenade pour vous envoyer notre affectueux souvenir. À
bientôt
Je suis saisi de remords en recevant vos excellents vœux. Nous n’avons pas envoyé un mot,
pas une carte. Nous vivons confinés dans ce quartier du Point du Jour, qui ne gagne pas à
être connu. L’argent est rare, ce qui assombrit l’humeur de Véronique, surtout maintenant
que la question de l’essence s’y ajoute.
Nous voulions aller vous dire bonjour mercredi ainsi qu’à Dominique. Mais il m’est tombé
des corvées – qui ne rapportent d’ailleurs rien – sur le dos.
Mes récits, cher Jean, ne peuvent paraître, comme je vous l’ai déjà dit, que lorsque
j’aurai publié quelque chose d’important. J’ai repris un manuscrit abandonné l’été dernier
à la 250e page. Il me semble que ça marche, mais pour devenir aussitôt
kilométrique. J’ai l’impression de ne plus être le maître de la mécanique. Faut-il s’y
abandonner ? J’aurais voulu m’évader de cette forme romanesque dont j’ai pris l’habitude.
Mais c’est sans doute hors de mes moyens, ou encore trop tôt… Je voudrais travailler cinq
ou six ans à un livre, qui aurait cinq cents lecteurs, voilà la vérité. D’autre part, j’ai
des choses à dire qui ne peuvent pas attendre aussi longtemps !
Bref, je pense que vous aurez un manuscrit de moi dans le courant de cette année.
J’espère que nous aurons lu auparavant votre livre sur la peinture. J’y compte d’autant
plus qu’il est assez souvent question de peinture dans mes écritures présentes (un des
personnages est un grand collectionneur).
Si j’arrivais à trouver une besogne qui m’assurât notre matérielle, je crois que cela
serait profitable au roman. J’y travaillerais avec plus de liberté d’esprit.
Vous vous demandez si 1957 ne va pas être encore plus inquiétant que 1956.Tout porte en
effet à le penser. Mais je vous avouerai que je n’arrive même plus à m’inquiéter. Ce qui
domine tout pour moi, c’est que [rature illisible] cette atmosphère cléricalo-démocratique
me devient absolument irrespirable. La démocratie toute seule, ce serait encore
supportable. Mais avec les curés, non !
À bientôt, cher ami. Merci de vos bons vœux. Nous vous envoyons tous les nôtres,
Véronique et moi.