Correspondances écrites et reçues par Jean Paulhan (1925-1936 et 1950-1958), éditées en collaboration avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC, Caen) et la Société des lecteurs de Jean Paulhan (SLJP).

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Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :

  • 1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
  • 1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…

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Jean Paulhan

André Rolland de Renéville

1927/1956

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville, correspondance (1927–1956)

2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Source : IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739
Source : IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256
Ont participé à cette édition électronique : Camille Koskas (Responsable éditorial), Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Bernard Fournier (Transcription), Simon Battistella (Transcription), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale), Anne-Laure Huet (Édition TEI) et Nolwenn Chevalier (Édition TEI).

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1927) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1927.

Cher André, un mot de réponse à votre lettre du 19 septembre :

I. « je considérerais comme hors de critique la position dualiste.. »

Ah non, je ne la considère pas comme étant hors critique ! Je la prends simplement comme donnée , comme un simple fait. Nous parlons – (et nous jugeons du langage -), nous réfléchissons (et nous jugeons de la pensée) comme si les mots étaient différents des idées. C’est ce qu’expriment les métaphysiciens (et les occultistes) en disant que l’idée s’oppose au mot, et la chair à l’esprit, dans le domaine de la Manifestation . Il est d’autres domaines : je suppose seulement qu’on n’y accède à coup sûr qu’à partir de ce domaine-ci. (mens hebes ad verum per manifestionem surgit.)

II/ « je ferais bon marché de ce que les sociologues appellent la mentalité primitive ».

Oui. Je tâche d’expliquer dans ma critique de Benda et de Lévy-Bruhl (cf. nrf. 1927) pourquoi j’en fais bon marché. J’y reviendrai.

A vous

Jean

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1929) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1929.
Cher ami,

Je vous rends la lettre de Wahl. Merci.

Stupéfait de son opinion sur Montherlant. Est-ce que vraiment M. c’est quelque chose ? (il me donne toujours l’impression d’un décor, d’un panorama, d’une exposition coloniale – baraque des Lettres Pompeuses.)

Si vous me donniez quelque jour une chronique sur la Littérature et l’occultisme de Saurat ? (Je doute que Saurat comprenne très bien ce beau livre.)

Viendrez-vous vendredi ? Oui, n’est-ce pas ? A vendredi donc

J.P.

Il serait bien intéressant, et nécessaire peut-être, de nous réunir une fois – pendant un, deux jours, (avec Daumal, s’il le voulait) – de nous faire des lectures, de discuter, de tenter de confronter tout ce que nous savons .

 

Je suis très ennuyé que vous renonciez au Léger . (Croyez-vous que Bruguière… ?)

Vous me donnez deux pages sur Audiberti, n’est-ce pas. J’y compte absolument. Seulement, je voudrais bien les avoir avant le 13.

Votre ami

J.P.

Je vais mieux, mais je ne crois pas que je puisse sortir avant deux ou trois jours.

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 février 1929) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 février 1929.

mais, mon cher André, il ne s’agit pas de Métamorphoses . Que vous donniez un livre à la collection, je ne puis qu’en être content et fier. Cela dit : si vous désirez joindre à l’Automne un nouveau poème, donnez-le moi le plus vite possible.

Non, il ne vous faut pas retirer cette chanson . Parce qu’elle est très belle (j’aime extrêmement cette « jambe de fille », et ce qui suit). Et parce qu’il n’y aura jamais assez de « chansons » dans votre livre. (auquel elles me semblent apporter je ne sais quel allègement, quelle démarche plus flexible, quel air plus libre.)

Simplement j’aimerais bien que vous corrigiez sur épreuves ces deux premiers vers*.

(Et peut-être vous en dénoncerai-je, si vous me le permettez, deux ou trois autres.)

Le Rimbaud : oui, c’est très épatant. Mais ne peut-on obtenir le ms pendant l’absence de M.D. ? Voulez-vous que j’aille la voir ?

On vous embrasse tous deux

Jean P.

A quel point le portrait me manque, je ne puis vous le dire.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (mai 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – mai 1931.
Mon cher ami

Vous serait-il possible de passer à la nrf demain ou après-demain, vers 6 heures ? J’aurai ce soir votre Rimbaud .

J’ai pour vous les Disciples à Saïs .

Amicalement

J.P.

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (11 mai 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 11 mai 1931.
Cher Monsieur,

Ne me donneriez-vous pas une note sur les derniers Rimbaud : ceux de Jacques Rivière et de R. Clauzel, lettres publiées par Gilbert Lecomte et J. Carré, etc. Je le voudrais.

S’il vous est possible de passer à la nrf un soir de la semaine prochaine, vous y trouveriez un Anabase (ce que j’aurais déjà dû vous remettre).

à vous, bien cordialement

Jean Paulhan

(Laissez-moi vous prier de ne pas dépasser deux pages.)

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 mai 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 14 mai 1931.

Paris 50 rue Jacob 6° 

Cher monsieur, 

Je vous remercie de votre lettre que René Daumal vient de me transmettre.

Je serai très heureux d’écrire la note que vous voulez bien me demander sur les derniers ouvrages consacrés à Rimbaud, et je passerai vous voir très prochainement pour échanger quelques mots avec vous à ce sujet.

Je suis également très touché de la si charmante attention que vous avez eu de me faire rechercher un exemplaire de l’Anabase… Je suis ravi à la pensée de posséder ce livre que je désirais beaucoup !

Croyez je vous prie Cher Monsieur à ma reconnaissante amitié

A. Roland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (23 juin 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 23 juin 1931.
Cher ami,

Que pensez-vous des Disciples ?

Je suis un peu gêné, malgré tout, par votre apologie de l’ésotérisme. Ne rencontrez-vous par là exactement la même contradiction que vous reprochez d’autre part aux surréalistes? Ecrire pour montrer qu’il vaut mieux ne pas écrire; s’expliquer pour bien établir que la noblesse est de ne pas s’expliquer...

amicalement

J.P.

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (octobre 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – octobre 1931.
Mon cher ami,

Je crains bien de n’être pas libre mercredi avant 7h., peut-être même 7h.1/4. Je viendrai tout de même. (Mais ne m’attendez pas, si l’heure vous dérange tant soit peu).

Votre Wirtz me plaît infiniment.

Je vous serre les mains

J.P.

J’ai découvert une thèse sur Rimbaud, extraordinaire, que je vous apporterai.

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (12 décembre 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 12 décembre 1931.
Mon cher ami 

J’aurais bien des fois éprouvé le besoin d’avoir avec vous une conversation un peu longue, dans un lieu impersonnel (café, rue, maison) de façon que notre entente, faite d’intuition et de tâtonnements, devienne plus consciente, et que notre amitié soit plus qu’un lien sentimental, une nécessité spirituelle. Malheureusement la vie à Paris, vos occupation, la maladresse que je me reconnais dans les rapports humains, ont reculé jusqu’à maintenant cet entretien que je souhaitais. J’ai même été très déçu l’autre jour, quand je vous ai rencontré vers 2h, sur le Bd Saint-Germain, que vous ne puissiez accepter d’entrer dans un café avec moi… Votre lettre vient suppléer en quelque sorte à ces heures de conversation libre que vous et moi, je le comprends, n’avons jamais cessé de sentir nécessaires, depuis que nous nous connaissons. Vous ne sauriez croire combien je suis touché que vous ayez pris l’initiative d’exiger la confrontation de nos points de vue. De mon côté j’ai voulu attendre d’avoir une journée calme pour vous répondre, et je la trouve ici, dans la solitude provinciale à laquelle je suis habitué, malgré tout.

Vous m’exposez le point de vue moniste qui est le vôtre (le nôtre)  et les conséquences que vous avez pu tirer au cours de vos recherches, et que vous avez transcrites dans les Fleurs de Tarbes. Vous m’interrogez sur la voie qui m’a amené à ce point de vue, et les conclusions que, de mon côté, j’ai cru pouvoir en déduire. Vous pensez, très justement, que la valeur de notre collaboration en sera précisé, et que si nous jugeons qu’elle doit se continuer, elle gagnera, de mon côté (et celui de Daumal) en liberté.

Lorsque je remonte dans mes souvenirs d’enfance, j’y retrouve deux faits (les seuls vraiment qu méritent d’être retenus !) qui me paraissent à la base de ma vie morale, de mes convictions actuelles. 1° Tout enfant, je croyais fermement que tous les hommes font tous le même geste au même moment, et que l’un d’entre eux ne saurait penser ou agir sans influencer les autres. 2° J’ai mis longtemps à me défaire de cette conviction terrifiante : je n’existe pas vraiment, je suis mort, j’habite un souterrain, un lieu d’ombre comme tous les morts, et tout ce que je crois voir (lumière, êtres, chaleur) n’est qu’un prestige que par bonté, pour me faire croire à ma vie, mes parents (que je situais sur un autre plan, en dehors de l’humanité) suscitent, et qu’ils devront un jour cesser de créer, pour retourner à leur origine (sorte de vide que je n’imaginais pas). Je serais impardonnable de vous avoir conté ces deux pensées puériles, si je ne croyais retrouver en elles les points de vue auxquels je tiens le plus, sous une forme moins naïve, ce que je me suis efforcé de retrouver dans les conclusions des quelques hommes (peintres, mathématiques, poètes) qui m’inspirent vraiment du respect. Ces 2 points de vue sont ceux de l’Unité, et du Non Etre (je veux dire de la non-existence de ce qu’on nomme communément la réalité.) Je m’en expliquerai.

Adolescent, je ne m’arrêtais guère devant le matérialisme primaire, déjà démodé à l’époque, et d’ailleurs impensable, auquel certains me conviaient. Les philosophies spiritualistes, plus séduisantes sentimentalement, exigeaient lâchement la foi, éludaient la moitié du problème, engendraient une morale infecte. Elles sautaient par-dessus ces obstacles insurmontables  (lieu d’interaction entre l’esprit et la chair ?) et taxaient d’orgueil démoniaque ceux qui prétendaient s’élever au-dessus de l’idiotie pure et simple.

Enfin j’arrivais à la pensée de l’Orient. Ce ne fut pas la subite illumination. Je comprenais mal. Profondément individualiste, comme tous les occidentaux, je me révoltais contre cette loi cosmique dans laquelle on prétendais [sic] que, quoi que je fasse, j’étais entraîné. Réaction stupide, et dont le seul rappel doit suffire à me rendre humble, à me situer exactement au niveau de ceux que je pourrais avoir tendance à mépriser, alors que simplement ils cherchent ; mais peu à peu cet enseignement se décantait, j’en expérimentais certaines assertions, je découvrais le domaine des analogies ; j’en saisissais le sens universel. Avec stupeur, je découvrais que je possédais les clefs de la pensée d’un Dante, d’un Vinci, d’un Baudelaire, d’un Rimbaud, d’un Mallarmé. Les religions (note : « plus exactement l’enseignement religieux), en apparence ennemies, se réunissaient à cette lueur. Les grands philosophes de l’Occident étaient exacts au rendez-vous : ils n’étaient grands qu’en tant qu’ils se trouvaient là, devant cette vérité à laquelle ils auraient accédé en apparence de leur propre force, et souvent, en fait, aidés par un enseignement secret. Enfin les sciences contemporaines, lentement en marche, avançaient vers cette lumière (théorie molléculaire [sic], dégradation de l’énergie, la matière et l’esprit, le temps et l’espace se confondent…) Je ne saurais vous dire de quelle exaltation, entre 20 et 23 ans, je fus soulevé. J’étais tout à fait seul, dans une petite ville de province, mais je n’avais pas le temps de m’en apercevoir . Je voulais écrire immédiatement ce que je voyais. Je me fixais la tâche de révéler le message que je sentais chez tous le poètes. Je m’attaquais à Rimbaud d’abord, car il me semblait que c’était le plus pressé. Vous savez quel petit livre j’ai ainsi écrit. Je m’étonnais que les surréalistes (dont je connaissais tous les livres) soient restés à la fois si près et si loin de ce qui me semblait la vérité. (A ce point de vue hélas ! ils n’ont pas progressé.) Enfin à la suite de certaines circonstances, je rencontrais Daumal, et Lecomte. Nous fondâmes le Gd Jeu, malgré certaines divergences morales, sans doute dues à nos tempéraments.

À partir de ce moment, j’ai dû préciser certains points de mes pensées, les confronter avec les idées de mes amis. Je n’ai plus osé écrire avec cette belle assurance. Mon enthousiasme a fait place à une certaine fatigue, une grande paresse (mot qui ne fait que signifier plusieurs choses, mais pas de valeur en soi) Il me reste des convictions, et la volonté d’aller jusqu’au bout de ma tâche qui est de les tirer complètement au jour, si je le puis.

Ces convictions s’énoncent à peu près ainsi : il n’y a ni esprit ni matière, mais un esprit-matière, une énergie qui évolue vers une fin inconcevable, à travers des périodes d’action et de repos. La pensée et le langage, l’envers et l’endroit, le rêve et l’action, sot des aspects de cette réalité unique à laquelle nous participons.( Il n’est pas un de ces termes qui ne prête à équivoque, excusez-moi). Vous comprenez en quoi je puis rattacher cette première conviction à ma première pensée d’enfance… Mais je passe au second point de vue, qui est la valeur véritable de cette Réalité unique en qui je crois :

Le criterium d’existence me semble inséparable de celui de permanence. Je crois pouvoir écrire que ce qui me semble être à la seconde présente, mais n’étais pas encore il y a un instant, et ne sera plus dans une seconde, n’est pas ou n’est qu’une illusion, un fait de conscience sans support, puisqu’il n’y a pas possession de la conscience.

Et sans doute en est-il ainsi de moi-même, des autres hommes, du reste du monde. Je ne puis être troublé du fait que mon voisin croit voir ce que je crois voir, et me répond quand je lui parle : lorsque je dors, et que je rêve que je me promène dans une ville, je vois la ville, je rencontre des gens qui me voient, me parlent, et on les mêmes perceptions que moi. Cependant au réveil, je sais que j’ai été le jouet d’illusions : j’ai le ferme espoir de me réveiller ainsi de la vie consciente ; je crois que je n’existe que d’une façon relative, et que l’existence absolue ne peut-être située qu’en dehors de l’Etre et du Non Etre. Vous voyez en quoi je puis rattacher ma seconde idée d’enfance à cette conviction de l’irréalité de mon existence actuelle.

Je dois pour finir m’expliquer sur le point de vue moral ; et la tâche des intellectuels (je veux dire de ceux qui commencent à se réveiller.)

Je crois à l’existence relative du Bien et du Mal. Je ne crois pas à leur existence  du point de vue de l’absolu. J’appelle Bien tout ce qui peut accélérer le moment d’éveil de l’humanité, l’évolution du cosmos, élargir les limites personnelles de l’individu. J’appelle Mal ce qui s’exerce en sens inverse de la courbe, une limite, préjudice aux autres c’est-à-dire à moi-même, puisque les individualités ne sont que les aspects transitoires de la même Réalité relative, qui évolue vers la connaissance de sa relativité. Je crois que deux attitudes sont permises à l’homme qui commence à s’éveiller, à l’intellectuel : ou bien s’abstraire momentanément de la pensée, et de la vie collectives, pour accélérer son progrès personnel, approcher de l’état absolu, et ensuite aider les autres. C’est ce que tentant de faire les ascètes dans leurs cavernes, les saints, ce qu’ont fait le Bouddha, le Christ. Ou bien (si l’on ne se sent pas cette force) tenter de découvrir aux autres des parcelles de vérité (ce qu’on fait Einstein, Baudelaire) ou de les diriger à travers les expériences sociales qu’ils doivent subir (Robespierre, Lénine, tous les chefs de mouvements nouveaux)

Excusez la maladresse, la lourdeur, le vague de ces lignes au courant de la plume. Et maintenant, mon cher ami, je désire prendre vos questions l’une après l’autre, et tenter d’y répondre :

a) toute réflexion actuelle (en Occident du moins) suppose la différence irréductible de la pensée et du langage, de la matière et de l’esprit (j’ajouterai du sujet et de l’objet). Je crois que cette différenciation est le fait que nous subissons le joug du dogme catholique. Elle a peut-être été nécessaire pour permettre à une partie de l’humanité de développer sa conscience logique. Il semble que cette nécessité est de plus en plus mal supportée. Les grands penseurs n’ont peut-être été tels qu’en tant qu’ils y ont renoncé.

b) Pour établir la suprématie de cette nouvelle dimension de l’esprit qui consisterait à former l’idée de la pensée-langage, il faudrait en effet renoncer à toute forme de pensée usitée aujourd’hui (du moins usitée communément, car encore une fois, les exceptions sont à citer, et à garder. Ce langage-esprit doit être aussi éloigné de ce que nous appelons esprit que de ce que nous appelons matière (mis ici les valeurs morales ne peuvent cependant être négligées, puisqu’elles existent relativement aux hommes qui prétendent redécouvrir ce langage-esprit, c.-à-d. redevenir Dieu…) [Note : être capable de prononcer l’Esprit-Mot, ne serait-ce pas pouvoir créer à nouveau le Monde, être Dieu ?]

c) La solution ne peut en effet être trouvée que dans un état que nous nommerons l’extase mystique, puisque cet état seul paraît opérer la fusion du sujet et de l’objet (cette extase sera brièvement obtenue par les toxiques, certaines passions qui sont toutes des formes de l’Amour, y compris la passion religieuse.) Mais comme nous ne pouvons pas nous satisfaire de valeur impermanentes, ni de celles qui n’appartient que des solutions individuelles, nous ne pourront [sic] nous arrêter à cette extase comme à la solution absolue. Cette solution ne peut nous être apportée que par la période de dégradation de l’énergie cosmique. Nous avons le moyen d’accélérer cette dégradation puisque nous sommes animés par cette énergie.

d) Toute activité sociale et politique sera momentanément incompatible l’activité de celui qui recherche l’extase mystique comme voie, mais il devra naturellement y revenir ensuite, enrichi de ses expériences. L’abandon complet et définitif de la réflexion sociale équivaudrait à reconnaître au dernier moment une différence entre la matière et l’esprit, le dehors et le dedans, l’individu et l’humanité. C’est pourquoi le Christ, le Bouddha par exemples, ont accepté de créer des mouvements sociaux, but final de leur activité.

e) Les Lettres ne me paraissent pas le seul lieu où se soient poursuivies dans l’histoire de la pensée occidentale les recherches et les inquiétudes, touchent au seul point qui nous importe : la nouvelle dimension de l’esprit : la philosophie, la peinture, parfois la musique, la science, les théories sociales, me semblent également les formes qu’ont prises cette inquiétude. Toutefois il me semble en effet que les Lettres ont le lieu où cette inquiétude s’est exercée avec le plus de liberté, parce qu’elles sont l’activité humaine dont on se méfie le moins. Ce qui est inouï.

f) Les doctrines littéraires attachées à la seule forme et au langage sont dérisoires. Elles ne prennent une valeur que lorsqu’elles deviennent un moyen d’ascèse pour la pensée (Mallarmé, Valéry). Les doctrines littéraires attachées à l’originalité, au pittoresque, s’apparentent aux conceptions des fabriquants [sic] de jouets. (Et le fait est que contempler un étalage de jouets équivaut à lire bien des livres, et est moins fatiguant.) Seule une doctrine littéraire à but métaphysique me paraît supportable. Ce but métaphysique doit être la révélation de l’unité, et des voies de la Délivrance. 

Je crois bien, mon cher ami, que nous sommes d’accord sur tous les points, sauf sur l’importance de la réflexion sociale. Ce désaccord pose le problème de l’acceptation ou le refus du salut personnel. Cette notion de salut personnel, même si elle apparaît philosophiquement pensable me paraît empreinte de dualisme (moi et les autres) et un produit de l’occident. Il faudrait que nous en reparlions. De même je crois que nous avons absolument besoin les uns et les autres. Et la preuve  c’est que nous tenons à nous expliquer, à nous aimer, à nous entraîner dans le même élan vers les régions de la « pure existence », là où nous cesserons d’être tels que nos sommes, pour être enfin !…

Je vous serre les mains.

A. Rolland de Rénéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (21 décembre 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 21 décembre 1931.
21. XII.

Mon cher ami, non, ce n’est pas aujourd’hui que je répondrai à votre grande lettre. Mais je veux vous dire tout de suite combien elle m’est précieuse. Il me faudra, à mon tour, vous parler longuement.

ce projet de numéro qui réunirait votre Surréalisme aux Clavicules (et, je l’espère, à la mise en scène d’Artaud) est donc arrêté pour Février. J’en suis content. Avez vous bien voulu le dire à René Daumal?

Je vous serre les mains.

Jean Paulhan

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 décembre 1931) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 27 décembre 1931.

A. Rolland de Renéville

Mon cher ami,

Peut-être le silence du soir de Noël a-t-il une qualité particulière. Ou bien si c’est ce que je vais vous écrire qui me jette déjà dans cet isolement de tout ce qui peut ressembler à un bruit, où je vous imagine, dans Tours, jeté comme moi. Je ne parlerai plus de l’amitié, ni même de la curiosité que nous pouvons éprouver l’in à l’égard de l’autre. Je viens tout de suite à l’important. (Il est assez facile, ce soir, d’imaginer que nous ne sommes pas tout à fait différents ) mais je veux dire aussi que je vous parlerai sans aucun de ces ménagements que l’on observe à l’égard d’un autre .)

Au fond toutes les questions que je voudrais vous poser se ramènent à une seule (mais qui peut s’exprimer de bien des façons. Par exemple:

Quel est le commencement de votre pensée? Je veux dire : où entrez-vous, et pourquoi entrez-vous dans ce qu’il faut bien appeler le domaine métaphysique? Vous me dites : « j’ai eu le sentiment, enfant, que je n’existais pas vraiment… c’est ce point de vue que plus tard je me suis efforcé de retrouver… » Soit, mais enfin pourquoi est-ce justement ce point de vue auquel vous avez attaché tant de valeur, et comment vous êtes-vous un jour trouvé assuré de sa vérité? Un psychiâtre [sic] vous répondra « il s’agit d’un phénomène psychasthénique fort commun, dont nous savons les causes et l’évolution. » Et n’importe qui : « Moi, j’ai eu toujours le sentiment profond que j’étais vivant, en tant que moi, avec mes qualités particulières. Je devrai donc croire, moi aussi… » Vous ajoutez : « … dans les conclusions des quelques hommes - Dante, Vinci, Rimbaud… - pour qui j’éprouvais du respect. » Sans doute. Mais si ce n’était pas vrai ? Si la permanence d’une impression enfantine vous faisait admirer Rimbaud ? Et n’avez-vous jamais commencé par vous défier - par dessus tout - de votre respect ? Car enfin nous ne sommes d’humeur, ni vous ni moi, à attacher la moindre valeur à cet « accord, des meilleurs? de presque tous » qui porte aujourd’hui Baudelaire et Rimbaud à la première place (comme avant hier Catulle Mendès et Alfred de Musset). J’y reviens : quelle est la nécessité de votre pensée? Vous me dites qu’elle éclaire les religions les plus opposées. Mais le mieux que l’on ait à faire des religions opposées est peut-être de les mépriser également. Le matérialisme - s’appelât-il historique - me paraît aussi stupide qu’à vous. Avouez qu’il a une précision admirable, que l’on sait où et comment l’on entre dans son domaine, que l’existence d’un puits de pétrole, d’un traitement, d’un contrat de travail a quelque chose d’incontestable (dont je ne vois point du tout pourquoi nous laisserions au matérialisme l’avantage). Mais que possédez-vous d’incontestable? Le moins que l’on puisse dire de cette unité de l’esprit-matière ou du langage-pensée est qu’elle nous est incompréhensible. Et ne faudrait-il pas, pour nous la faire admettre, des faits encore plus incontestables, plus frappants, plus redoutables , que ceux sur lesquels se bâtit le matérialisme ?

Ce que je vous écris ainsi n’est pas tout à fait une « objection ». Mais je voudrais plutôt vous faire - de cette façon un peu désagréable - confidence de tous les efforts que j’ai pu faire pour me retenir d’adhérer à cela , vers quoi me portaient tant de sentiments, ou de pressentiments (que je convenais de tenir pour nuls; j’ai passé, moi aussi, par ce sentiment que je n’existais pas : peut-être ai-je eu tort de le combattre au point que je ne puis aujourd’hui le situer ou l’identifier que par des accidents extérieurs, une sorte de frayeur qui m’en est restée, etc.)

Laissez-moi vous poser le problème de cette façon (la plus grossière) : si vous deviez écrire un tract de dix pages, qui s’adresserait, par dessus les intellectuels, les écrivains, les « habiles », au premier homme venu, comment le commenceriez-vous ? Que diriez-vous d’abord ? Qu’établiriez-vous pour débuter ?

Mais je reviens à quelques unes de nos questions.

C. je comprends mal votre « solution absolue ». La notion d ‘« énergie cosmique » - aussi bien que celle de « dégradation » de cette énergie - me paraît assez étroitement située dans le temps et dans l’espace, relevant de telle ou telle doctrine scientifique de la matière, etc. Enfin, bien plus conditionnée, de notre point de vue, que conditionnante (en particulier, par une certaine idée de la matière). Mais je vous entends peut-être mal, s’il me semble que vous pourriez aussi logiquement, aussi justement que de la dégradation, attendre la solution de l’exaltation ou de la permanence de l’énergie cosmique.

D. Il me semble que vous introduisez ici brusquement une notion qui nous était jusque-là étrangère. Vous dites que l’abandon de la réflexion sociale « équivaudrait à reconnaître une différence entre la matière et l’esprit, le dehors et le dedans, l’individu et l’Humanité ». Et je comprends mal ce que font ici l’individu et l’humanité. Car l’esprit et la matière se peuvent définir par des caractères différents, et même opposés. Ainsi du dehors et du dedans (en tant qu’ils sont essentiellement dehors et dedans , et dans le sens où les mathématiciens disent que la découverte par un prisonnier de la quatrième dimension lui permettrait à l’instant même d’être hors de sa prison). Mais je ne vois pas d’autre moyen de définir l’individu que de le tenir pour une part de l’humanité, l’humanité que d’y voir une collection d’individus. En sorte que toutes vos conclusions précédentes, établies pour des caractères qui s’opposent, se trouvent ici sans vertu; établies pour des relations de contraire à contraire, se trouvent inefficaces dès qu’il s’agit d’une relation de tout à partie.

E. Certes, non. Les lettres ne sont pas le seul lieu de la recherche qui nous importe. Mais peut-être ont-elles l’avantage d’être le seul lieu où cette recherche puisse être exprimée.

J’arrive ici au point qui, je crois, nous sépare. Mais je voudrais attendre, pour l’examiner, une réponse de vous à la question que je vous posais tout à l’heure

Je suis votre ami

Jean Paulhan

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 janvier 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 02 janvier 1932.
Mon cher ami, 

J’aurais voulu vous répondre plus tôt, mais en province, les traditions de visites, de repas excessifs, de correspondance vide et courtoise à l’occasion d’une date que l’on veut importante parce que sans doute elle marque une impression de victoire de l’individu sur la durée, m’ont détruit justement le temps que je me réjouissais d’avoir devant moi pour songer à votre lettre et y répondre.

Cette fois-ci, et c’était inévitable, vous m’acculez au problème qui doit précéder toute réflexion philosophique, et que l’on résout en général que par un compromis, parfois même par une sorte de jeu de mots comme Descartes, vous me demandez où commence ma pensée, c’est-à-dire à partir de quel moment je me sens moi-même suffisamment valable pour attacher de la valeur à mes perceptions, et exercer un choix entre elles.

Il est bien évident que je vous ai fourni des armes contre moi en vous racontant mes impressions d’enfance. Je sens que je n’ai plus même le droit de vous dire qu’elles ne me sont revenues à la mémoire que récemment, et que j’en ai été frappé simplement parce qu’elles m’ont paru concorder de façon curieuse avec les conclusions auxquelles je suis tellement parvenu : vous pourriez facilement me répondre que si j’avais oublié ces impressions d’enfance, elles, du moins, ne m’avaient point oublié ! Et c’est avec raison que vous suggérez qu’un individu plein de vitalité sera porté à construire une philosophie de la permanence du moi, de la réalité du monde extérieure [sic], et trouver pour corroborer ses opinions un palmarès de grands noms au moins aussi importants que celui que j’ai adopté pour soutenir mon goût du vide.

Je n’ai pas été sans me formuler autrefois ces objections. J’ai fini, à une certaine époque, par rencontrer une théorie capable de les réduire, ou du moins qui y prétend. Je veux parler de la distinction que l’école du philosophe thibétain Nagarjoune établir entre la vérité relative et la vérité absolue. Sans doute le connaissez-vous ? pour cette école philosophique la vérité absolue est la vacuité (non pas le vide, car il est aussi absurde de postuler le non-être que l’être). Cette vérité absolue nous est inconcevable. Tout ce que nous pouvons saisir n’est en effet qu’un aspect d’une vérité relative à notre conscience. Il ne s’agit pourtant pas tout à fait d’un gnosticisme Kantien : le fait même de concevoir la relativité du monde extérieur et de notre propre existence, sous entendu par renversement une certaine intuition de l’absolu, et comporte une série de réflexions intellectuelles et morales qui peu à peu nous donnent accès dans un domaine que nous approuvons appeler métaphysique, bien que ce mot sous-entendu un dualisme en contradiction avec nos idées. Le souci cartésien de déterminer si j’existe ou non devient donc tout à fait vain ; selon que je raisonne vis à vis de la vérité relative ou de la vérité absolue je puis admettre que j’existe ou que je n’existe pas. Ceci accepté, je suis très libre, vous le voyez, pour étudier la relativité de la vérité accessible à l’homme. La notion même de cette relativité me sera un fil conducteur infiniment précieux et que je ne devrais pas perdre de vue, car son existence entretiendra en moi une méfiance très utile vis à vis des systèmes qui prétendent conserver l’individu et le mode extérieur en face de l’absolu, et les y faire participer. Je serai conduit à rechercher le point de départ de ces systèmes, et y trouverai en général des postulats plus ou moins indéfendables. (Leurs adeptes iront jusqu’à avancer que l’absurdité du système est la marque de son origine divine.) Je remarquerai par ailleurs que ces systèmes engendrent une philosophie conventionnelle, une psychologie puérile, une civilisation en contradiction avec les tendances physiques et morales de l’homme, et finalement l’acculent au désespoir.

Bien au contraire, je constaterai que les recherches qui rentrent d’elles-mêmes dans cet axiome des deux vérités, aboutissent seules à des progrès réels et à des découvertes qui se complètent les unes les autres, au lieu de se nier.  Par exemple la psychologie occidentale n’a vraiment progressé qu’en découvrant l’inconscient et ses lois, c’est-à-dire une notion qui menace la croyance à une permanence et une omnipotence du moi. La physique a fait avec Einstein un bon énorme lorsqu’il a énoncé et vérifié les lois de la relativité. De même la poésie ne me touche que lorsqu’elle est dirigée dans le sens d’une nostalgie de l’absolu c-à-d contre la sécurité de l’homme en tant qu’individu.

Voici mon cher ami la pâle lumière que je puis aujourd’hui jeter sur les brument qui président à l’apparition de ma pensée ! (Je ne sais trop comment je pourrais les exprimer dans un tract, mais ce ne serait sans doute qu’une question de forme à trouver.)

J’en reviens avec vous à deux de nos questions. Malheureusement ne j’ai pas votre première lettre sous les yeux, et ne me rappelle plus les termes de ma réponse.

C. La notion d’énergie cosmique dont je vous parlais est en effet située dans le temps et l’espace, puisqu’il s’agit avec elle de l’apparition de l’univers. Lorsque j’y fais allusion, je raisonne bien évidemment de point de vue de la vérité relative. Je ne puis parler de la permanence de l’énergie cosmique, puis que l’impermanence est la loi des phénomènes. Son exaltation ne saurait non plus atteindre une qualité absolue, puisque cette énergie n’a aucune existence relative. D’ailleurs l’exaltation suppose forcément la dégradation (loi du rythme, passage du contraire cf. Hegel), et je ne puis attendre la libération absolue ni de l’un ni de l’autre de ces deux états qui sont les deux temps d’un rythme, les aspects d’un même cycle éternel.

À la vérité il me faut sortir de ce rythme pour être libéré définitivement. Il semble hélas ! que l’on puisse représenter par une spirale le chemin qui mène l’homme vers la vérité absolue ; il s’en approche sans cesse sans jamais l’atteindre (songez à la spirale mallarméenne dont il est tant question dans Igitur) et l’accession à cette vérité absolue exige que le chercheur renonce à sa qualité d’homme,  son existence, ( souvenez-vous encore d’Igitur buvant ‘la goutte de néant qui manque à la mer’.

Je crois que dans ma dernière lettre je me suis exprimé d’une façon maladroite et très équivoque au sujet de tout cela.

D. De même j’ai commis évidemment une grossière faute de raisonnement en assimilant les notions d’homme et d’humanité à celles d’envers et d’endroit. Excusez-moi, j’ai écrit cette lettre très vite, et sans réflexion suffisante. D’ailleurs cette confusion est sans doute ici l’effet d’une mauvaise foi inconsciente : il y a 1 an je pensais comme vous que le point de vue social est sans intérêt, et je ne suis entré au Grand Jeu il y a 3 ans qu’à la condition que les soucis politiques en seraient absents. Depuis j’ai évolué, mais peut-être d’une façon extérieure à ma pensée. En tous cas, je crois pouvoir dire que mes soucis sociaux s’apparente à mes soucis philosophies : je suis contre tel système social parce qu’il est l’effet de telle philosophie dont je suis l’ennemi. Le système social s’impose à moi, entrave ma liberté de penser ou d’agir, exige de moi des services, et même des sacrifices qui peuvent aller jusqu’à celui d’une vie qui, pour le peu qu’elle m’importe, me semble ne rien lui devoir. Enfin je suis amené à conclure que si tel système philosophique est valable il ne doit pas l’être simplement pour moi. Je suis « partie d’un tout » dont l’évolution, à ce titre, m’importe autant que ma propre, évolution. L’amour qui porte un Bouddha, un Christ, à revenir vers les hommes n’est-il pas cette reconnaissance de la loi de l’Unité que je pressens ? Et si je n’attache qu’une importance relative à mon existence individuelle, puis-je me satisfaire de la libération de mon individualité à défaut de celle de la masse dans laquelle je suis inclus ? Je me pose ces questions au moins autant que je vous les pose. Elles sont graves. Je ne crois pas qu’elle puissent être résolues par la négative, mais je manque de force pour les soutenir clairement dans le sens positif. J’avoue m’être laissé emporter par ce problème au lieu de l’attaquer directement et c’est une question de mise au point que je me promets de tenter. Votre concours à cet égard me sera précieux.

Je ne connais pas Vaughan. Pourriez-vous me donner la référence des citations si frappantes que vous me rapportez ?

En ce qui concerne les deux Nos de la revue le Surréalisme au service de la révolution, ils ne sont pas à proprement parler récents, car il sont paru il y a plus d’un an. Leur contenu est assez pauvre, et je serai assez embarrassé d’en parler, et surtout peu désireux de les prendre comme prétexte à ma chronique.  Peut-être mon impression est-elle fausse, et y avez-vous découvert un intérêt qui ne m’est point apparu au premier abord ? Dans ce cas je pourrais y glisser une allusion dans le corps de mon article, mais si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’éviterai de modifier mon entrée ne matière à laquelle je tiens assez.

Je serai à Paris la semaine prochaine, et passerai Vendredi à la revue pour tenter de vous revoir. Mon cher ami veuillez je vous prie transmettre mes respectueux hommages à Madame Paulhan, et me croire vôtre, très cordialement.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (11 janvier 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 11 janvier 1932.
Mon cher ami, 

Je crois bien vous avoir dit, il y a quelques mois, en vous remettant le manuscrit des Clavicules de Daumal : « Une parie doit en paraître dans Commerce (ce qui n’a pas eu lieu) et une autre dans l’Anthologie des Philosophes (ce qui vient d’avoir lieu) » ? Je suis très ennuyé moi aussi que nous nous soyons laissés devancer, et vous avez raison de m’accuser de ne pas avoir rappelé ce danger qui nous menaçait. Je vous confesse humblement que l’Anthologie des Philosophes m’était sortie de la mémoire, d’autant que les livres annoncés chez Kra paraissent généralement au moment où l’on a cessé d’y croire. Que faire ? Peut-être pourrez vous trouver un passage encore inédit, et découpable. Daumal, que vous verrez ces jours-ci, pourra nous donner un avis utile à ce sujet.

Il faut en effet parler des 2 Nos de la revue surréaliste qui viennent de paraître. Ils manifestent la conversion totale du groupe surréaliste au matérialisme, si bien que le mot « surréaliste » devient vide de sens, inutile et gênant. En d’autres termes, la doctrine surréaliste me paraît avoir vécu. Je ne vois plus en quoi les « surréalistes » se distinguent de n’importe quel adepte marxiste, ou du moins il me semble qu’ils ont l’ambition de ne plus s’en distinguer. Dans ces conditions, il m’est très difficile de placer en tête de mon article de considérations sur cette évolution, puisque mon article traite de problèmes que les surréalistes se posaient en somme avant d’avoir pris parti aussi nettement. Vous sentez combien mon article deviendrait peu logique, peu construit, si j’agissais de cette manière. D’autant qu’au cours de l’entée en matière, je préviens le lecteur que je sépare la question des « recherches philosophiques et poétiques » de la question « action sociale, adhésion à une doctrine de l’action « encore très vague à ce moment dans le groupe surréaliste. Je crois qu’il y aurait un parti excellent à  prendre, et que je me permette de vous suggérer : prévenir par une note (placée en renvoi) que mon article a été écrit antérieurement à la parution des 2 Nos en question, spécifier que ces 2 Nos marquent officiellement un abandon de certains points de la doctrine surréaliste par ceux qui persistent à se dire surréalistes » au profit de idées de Marx-Engels, et que cet abandon mérite une étude particulière que la N . R. F. se propose de donner dans un des prochains Nos (les termes de cette note seraient à arrêter entre nous, naturellement). Ensuite vous pourriez demander à René Daumal de vous écrire la chronique ne question (passage de l’idéalisme au matérialisme, et évolution de la doctrine surréaliste), à la place des Clavicules déflorées par Kra ! Une étude de ce genre ma paraît s’imposer, car personne (et surtout aucun surréaliste) n’a eu le courage de l’entreprendre, du moins à ma connaissance.

Je ferai tout mon possible pour vous voir Mardi, mon cher ami. Je vous serre les mains.

A. Roland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (13 janvier 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 13 janvier 1932.

Ministère de la Justice

Bureau des Grâces 

Mon cher ami, 

Voici mes épreuves sur « le surréalisme ». j’ai ajouté une note concernant les 2 Nos du s.a.d.l.r. à la fin de la chronique. Je crois qu’elle vous plaira.

Je viens d’avoir un long entretien avec Daumal : je m’étais trompé sur son évolution personnelle, et nous sommes toujours d’accord sur tous les points de notre pensée. J’en suis infiniment heureux. – Daumal compte passer vous voir à la N.  R. F. jeudi prochain à 6h, avec moi ! Il s’entendra avec vous au sujet des Clavicules et de la Musique Hindoue. Il m’a affirmé que son refus de vous donner un Goethe reposait uniquement sur son ignorance de cet auteur. Il s’en excuse et le regrette très sincèrement.

Daumal trouve les 2 Nos surréalistes plein de confusion et de stupidités.Tzara et Dali le navrent particulièrement. Je crois que nous sommes d’accord avec lui.

Avez-vous trouvez une lettre recommandée à la Poste ? Ne tenez pas compte de la dernière page : je l’ai écrite à un moment où j’ignorais la parution des 2 Nos surréalistes. J’aimerais avoir votre avis quant au contenu philosophique de ma réponse.

Mon cher ami je vous serre les mains, 

A.Rolland de Renéville

Reçu une carte charmante de Michaux, datée de Bénarès.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1932.
Mon cher ami, 

Vous n’avez pas répondu à la question : « comment avez-vous commencé à croire que… » mais à la question : « comment (devant les apparences contraires) n’avez-vous pas cessé de croire que… »

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1932.
Mon cher ami, 

« Et si c’est là le mythe, me direz-vous, quelle est donc la vérité? - ce devait être l’objet de ma cinquième lettre. Je crois que je ne vous l’enverrai pas encore.

D’abord parce que je n’ai que trop abusé de votre patience. Ensuite parce que tout ce que je vous y dirai ne vaut, il me semble, que si nous sommes parfaitement d’accord sur tous les points dont je vous ai entretenu jusqu’ici. En un mot, si cous êtes prêt vous-même à vous l’écrire.

J’attendrai donc un mot de vous. Dois-je ajouter que je puis l’attendre pendant aussi bien cinq ans que cinq jours?

Je vous serre affectueusement les mains.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 février 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 04 février 1932.

Ministère de la justice

Bureau des grâces 

Mon cher ami,

Je partage entièrement votre manière de voir vis-à-vis de l’affaire Aragon. Les termes de la protestation surréalistes me choquent. Ils font preuve d’un sens de l’opportunisme en désaccord avec la doctrine au contact de la politique la grandeur très particulière qui nous les faisait aimer.

Excusez- moi de ne pas répondre aujourd’hui de votre lettre concernant ma position spirituelle et humaine. J’aurais besoin d’ailleurs de vous demander certaines précisions des termes, car je vous ai répondu, je le sens, à côté de vos questions, en janvier dernier.

Je viens de recevoir une assez belle lettre d’André Breton qui réfute avec courtoisie et durant 6 grandes pages ma chronique sur le surréalisme. Évidemment nous nous devons de soumettre cette lettre aux lecteurs de la Nrf. Voudriez-vous me dire si je dois vous la communiquer d’urgence pour le prochain n°, où, si j’ai le temps de la faire taper à la machine (car j’aimerais conserver l’original) ?

Permettez-moi de ne vous donner Goethe que lundi. J’éprouve de grandes difficultés à écrire un article de q. q. pages sur Faust, mais je suis en train de m’y efforcer.

Croyez-moi mon cher ami tout à fait vôtre.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 mars 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 31 mars 1932.

172 Bd Saint-Germain

Paris

Tel. Littré 55-26

Mon cher ami 

J’ai bien tardé à vous répondre. J’ai traversé une crise de dépression pendant laquelle je ne pouvais plus rien faire, pas même écrire une lettre. Je demande à votre amitié de bien vouloir me passer ces moments où je cesse d’exister un peu plus que d’habitude.

Je reprends votre lettre !

1er Je suis étonné que vous attachiez une importance fondamentale à mon jeu de mots sur le terme « connaissance ». Il n’y avait pas là une détermination de ma pensée, mais une sorte d’image-calembour à laquelle je n’avais jamais eu jusqu’ici recours, et qui par conséquent ne saurait en rien déterminer une pensée qui existait avant ce jeu de mots. Je prétends que lorsqu’un homme se pose une question, le spectacle qu’il donne, devient aux yeux du philosophe un drame où 3 termes s’affrontent : un sujet, un objet, et la relation qui existe entre eux.

2° La préférence pour l’absolu (et non pas un certain absolu, bien entendu, puisqu’il est impossible d’en concevoir plusieurs) est incluse dans l’interrogation que se pose le sujet en face de l’objet. Si la vérité ne consistait pas dans l’intégration du sujet et de l’objet, le sujet ne pourrait se poser de question par rapport à l’objet.  Et d’ailleurs ce qu’on nomme l’absolu étant une notion de plénitude, en dehors de laquelle rien ne se peut  concevoir, la question ne peut se poser de savoir si l’absolu ne consisterait pas dans le multiple, c’est-à-dire dans l’opposée de sa propre notion.

Votre observation tend à poser la valeur de la raison humaine, et à nous faire retomber dans l’agnosticisme kantien que j’avais tenté d’écarter en admettant que l’homme faisant partie d’une certaine réalité, et déterminé sans le sens de cette réalité : les catégories de sa raison s’adaptent sans doute à celle de l’objet, puisqu’il existe entre cette raison et cet objet un rapport de nature. (Impossibilité de concevoir une raison qui aurait prise sur un objet totalement différent d’elle – Argument platonicien).

Le Scholie de Benda me paraît faux dans ses prétentions historiques, et misérable dans ses ambitions. Je vous en reparlerai. Je n’ai pas la Revue sous la main.

Je pense passer vous voir ce soir à la N.R.F., mon cher ami, croyez moi vôtre.

Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 mars 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 08 mars 1932.

8 mars 1932  Paris

Mon cher ami

Je vous suis très reconnaissant de votre aimable invitation que j’accepte avec un très grand plaisir. Je me réjouis des instants que nous passerons ensemble le 20 mars, et serai très heureux de connaître Chagall.

J’espère vous rencontrer avant cette date à la N. R. F. et aurai besoin que vous m’indiquiez les moyens de communication entre Paris et Chatenay.

Je crois que vous me concédez, au sujet de la personne de Gautama l’Illuminé, que s’il est, en effet, impossible de lui attribuer historiquement un texte quelconque, une parole, même un geste, si ce n’est un enseignement oral qui nous a été conservé par ses disciples (et la même obstination vaut pour Socrate et pour le Christ) il devient difficile d’attribuer ou de nier à cette personnalité une action sociale. Toutefois si nous n’avons pas le droit d’engager la personnalité du Bouddha dans nos hypothèses, nous ne pouvons guère dénier à ses enseignements la considérable portée sociale qu’ils ont eue. L’enseignement boudhique ruina, ou tendit à ruiner, les castes brahmaniques ; Socrate fut considéré à juste titre comme dangereux pour la chose publique ; et je n’ai pas à insister sur la portée révolutionnaire des enseignements christiques. Admettre entre la pensée et l’action une barrière infranchissable, ne serait-ce pas d’adopter une position dualiste ?

Je sais que vous pourrez me dire que j’envisage ici les conséquences d’une pensée, et non pas l’attitude de son auteur. Il n’en n’est [sic] pas moins vrai que le pouvoir de cette pensée dépasse l’ambition morale de celui qui la suscite. Le sage qui se retire pour méditer, sera doublement sage s’il prévoit toutes les conséquences de sa méditation. Mais s’il ne les prévoit pas, ces conséquences n’en n’existeront [sic] pas moins. C’est pour cela sans doute que le bouddhisme établit une distinction entre l’état de Bouddha (L’Illuminé qui poursuit son salut personnel) et l’état de Bodhisatva (L’Illuminé qui refuse momentanément l’extinction totale de sa personnalité pour pouvoir aider l’Humanité demeure en arrière). Et s’il est émouvant de constater que la tradition attache plus de prix au sacrifice consent du Bodhigattva qu’à la libération de Bouddha.

J’ajoute que je suis tout prêt à faire une concession à votre opinion, car je crois bien que nous avons raison l’un et l’autre, et voici comment : l’esprit et la matière n’étant plus que les deux facettes de la réalité accessible en révélant un mouvement que les dialecticiens ont cru pouvoir décomposer, il semble que les deux faces de cette Réalité ne peuvent évoluer qu’ensemble, ou du moins sur un rythme similaire. Je suis bien loin de prétendre que la pensée dépend des faits économiques et sociaux. Mais je crois pouvoir observer que leurs évolutions se rejoignent, et il apparaît probable qu’elles réagissent l’une sur l’autre, dans des proportions que j’ignore. Je crois d’ailleurs pouvoir noter que la pensée est « en avant » selon la parole de Rimbaud. Et c’est pourquoi sans doute les poètes sont à la fois des métaphysiciens et des prophètes. Le poète le plus éloigné de l’action sociale se trouvera généralement, qu’il avait prévenu ou non, en accord avec les révolutionnaires de l’avenir.

Choisissons, si vous le voulez bien, le poète le plus étranger à toute préoccupation sociale, et qui s’est abstrait avec effort du monde sensible : Mallarmé. Sa poésie est toute dominée par le point de vue hégélien qu’elle retrouve et recrée par ses démarches personnelles. L’évolution sociale ne suit-elle pas le rythme même de cette pensée ?

Or, je ne prétends pas le moins du monde que ceci conditionne cela. Je pense même que l’application volontaire et artificielle aux œuvres de l’esprit, d’un postulat d’interdépendance entre les faits et l’intelligence, ne peut que produire les résultats odieux et grotesques dont les dernières manifestations surréalistes nous fournissent des exemples. Mais je pense que nous aurions tort, vous d’affirmer que l’esprit suit des voies étrangères à la dialectique sociale, moi d’affirmer qu’il ne peut poursuivre ses démarches sans prendre l’action sociale comme objet de ses recherches. À la vérité, l’esprit et les faits évoluent selon un mouvement identique, pour cette raison probable qu’ils ne sont que les aspects du même Mouvement.

Ce que je crois, c’est que l’esprit a la possibilité de devancer les faits à une vitesse incroyable (1) et de parvenir à réaliser cet état de synthèse qu’est l’extase mystique, sans avoir à attendre que les contradictions des faits soient résolues.

Il faut reconnaître que les grands poètes ont eu tendance à se plier à des exigences intérieures (correspondant à celles de la tradition hindoue) qui leur ordonnent de ne pas se satisfaire de cette extase, mais de continuer à vivre. Rimbaud se disait « tendu au sol » avec « la réalité rugueuse à étreindre ». Goethe parlait de moins en moins de métaphysique, et agissait dans le monde.

Je vous remercie de ce que vous voulez bien me dire au sujet de mon article sur Goethe. Mais vous me reprochez d’être parfait dès le point de départ : n’ai-je pas montré Faust partant d’une catastrophe intellectuelle et n’atteignant l’absolu qu’à travers le relatif ? Je pense comme vous que l’Infini peut difficilement faire le sujet d’un article… voire même d’un livre !

Vous ne me donnez pas de nouvelles de la lettre de Baudelaire ? Puisque vous en possédez une copie, ne pouvez-vous me le transmettre vous-même ?

Si vous recevez pour compte rendu le livre d’inédits de Baudelaire qui vient de paraître au Mercure, pourriez-vous me le réserver ? Je vous demanderai peut-être, si je ne vous ennuie pas, l’ouvrage sur Charles Henry qui vient de paraître chez Gallimard, et le nouveau Bergson.  Je vous les rendrai rapidement. Je ne puis songer à les acquérir.

Merci de m’avoir fait adresser un Luxe du n° de Goethe. Cet envoi m’est précieux. Mon cher ami, veuillez ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, et croyez moi je vous prie bien vôtre.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (20 mars 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 20 mars 1932.
Chers amis, 

Je viens vous exprimer toute ma reconnaissance pour l’excellente journée que j’ai passée parmi vous, à Chatenay. J’en conserverai le plus charmant souvenir.

Chagall et Supervielle m’ont, chacun dans leur genre, beaucoup attendri, et je vous remercie de m’avoir réuni avec eux.

Je reste également charmé de notre visite à la Vallée aux loups, qui, malgré son Livre d’or, conserve beaucoup de grandeur. Il ne me déplaît pas que la démence y succède à la poésie.

En vous remerciant encore, mes chers amis, je vous prie de croire à ma bien vive amitié.

A. Rolland de Renéville

Je vous retourne ici-même la lettre de M. Le Dantec

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 mars 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 31 mars 1932.

Anzon

Noizay. Indre-et-Loire

Mon cher ami, 

J’espère que vous profitez à Port-Cros d’un temps plus favorable que celui que je subis en Touraine depuis quelques jours : pluie et vent, avec de rares éclaircies.

Saisi d’un beau courage, j’écris ma « réponse à Breton » qui vous amusera peut-être. Je profite de l’occasion pour lui signaler qu’en croyant adhérer au matérialisme dialectique, il adhère en fait au matérialisme primaire, dont il s’était pourtant déclaré l’ennemi. Je n’ai guère de peine à le lui prouver, à l’aide de citations prises dans sa revue Le Surréalisme a.s.l.r. n°os 3 et 4.

J’ai lu avec attention le texte de Zimmer sur le Bouddhisme que vous avez bien voulu m’adresser. Il présente un curieux mélange de formules heureux et de surprenantes maladresses d’expression. D’autre part, je lui reprocherais de ne faire en somme qu’énoncer les 4 vérités (qui constituent l’A.B.C. du Bouddhisme) et de s’en tenir là. Comme vous  me le disiez si justement, il s’arrête à partir du moment où nous aurions aimé qu’il commence. Malgré ces réserves, je pense qu’il serait sans doute souhaitable que ce texte passe dans la revue (après q.q. retouches d’expressions) car l’on ne saurait jamais trop solliciter, au profit des questions mystiques, l’attention des penseurs. J’ajoute enfin que ce texte, si imparfait qu’il soit, me paraît par sa teneur et son sujet, bien au dessus de la plupart des choses que l’on vous propose couramment.

Je serai de retour samedi prochain. À partir du 2 avril, veuillez donc m’écrire, comme d’habitude, 1 rue Casimir Delavigne. Paris.

Je n’ai pas trouvé si mal le poème de Michaux paru dans Commerce !

J’ai aimé aussi les textes chinois recueillis par Grothuysen.

En attendant le plaisir de vous revoir, mon cher ami, je vous prie de bien vouloir transmettre mes respectueux hommages à Madame Paulhan, et de me croire cordialement vôtre. 

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 avril 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 21 avril 1932.
Mon cher ami, 

L’humour qui enveloppe vos deux questions n’a pas réussi à entamer suffisamment ma naïveté pour que je m’en tienne aux entretiens que nous avons eus, à leu sujet :

1° Je ne crois absolument pas que la méthode qu’emploie Nerval soit assimilable à celle de Jouve. Elle se rapproche sans doute de celle de Breton. Tandis qu’il y a chez Nerval et même chez Breton, un effort pour sortir de la littérature et aller vers le Réel. J’aperçois en sens inverse chez M. P. J. Jouve une volonté de réduire le Réel à la littérature, c’est-à-dire de le fausser et de l’asservir à des fins innommables.

2° Quand Banville écrit « si la rime est faible, c’est que l’écrivain n’a pas assez réfléchi » il faut une observation de professeur qui désire que son élève s’applique bien. Je crois que ce serait être charitable à mauvais escient que de donner à cette phrase le sens profond que vous voulez bien lui supposer. Le reste du Traité de Versification me paraît d’une nullité que ne rachète pas l’œuvre poétique de son auteur. Et rien, me semble-t-il, ne vous permet de prêter à Banville un éclair de lucidité que tout vient démentir.

Croyez-moi mon cher ami bien vôtre

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (24 mai 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 24 mai 1932.
Mon cher ami 

Entendu donc pour le mardi 31 mai, et merci de m’avoir prévenu.

Peut-être ne vous reverrai-je pas avant ce jour, car je vais passer la fin de la semaine en Touraine. Si vous aviez à m’écrire avant le 30 mai, veuillez adresser votre lettre : 11 rue Emile Zola- Tours.

Je serai revenu ici le lundi 30.

Sauf contre ordre, je vous attendrai donc le 31 vers 12h. 30 devant l’Hôtel Nollet.

Artaud m’écrit qu’il revient la semaine prochaine à Paris.

Je suis allé voir la Tour de Nesle. Une manière de chef d’œuvre en effet. Le sang et la nuit sont irrésistibles. « Ce sont de grandes dames… » m’a frappé.

Partager je vous prie avec Madame Paulhan ma bien sincère amitié.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 juin 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 02 juin 1932.
Mon cher ami

Je passerai demain vous remettre le Procès de Kafka que je trouve tout à fait beau. Je suis heureux de connaître cette œuvre, et compte la relire avec attention, lorsqu’elle passera dans la Revue. Actuellement je dispose malheureusement de peu de temps pour une lecture attentive.

J’aimerais que vous pensiez que je n’avais fait qu’écrire à Artaud, parmi d’autres choses, que la parution de ma lettre à Breton était retardée pour ses motifs matériels. Je suis fâché qu’il ait pris sur lui de vous écrire à ce sujet. Sans doute a-t-il agi dans une amicale intention, mais j’éprouverais une vraie peine si vous deviez, à la suite de cette maladresse, vous inquiéter, même légèrement, de la confiance que vous avez su m’inspirer. Ce sont là des nuances dont je souffre à l’extrême.

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur votre définition du meilleur poème. Les innovations de forme n’ont d’intérêt qu’autant qu’elles conduisent à des réalités spirituelles insoupçonnées Et je ne crois pas qu’il puisse y avoir non plus une pensée vraiment haute sans une belle écriture.

J’avais oublié de vous dire que Daumal serait disposé à écrire une étude d’ensemble sur l’œuvre de R. Guénon. Il demanderait simplement qu’on lui prête les livres de cet auteur, et lui accorde un délai de 2 mois. Il connaît beaucoup mieux que moi la pensée de R. Guénon.

Le garçon américain que je vous ai présenté m’a confié deux livres de vous pour que vous lui mettiez une dédicace. Ce garçon me paraît assez plein de mérite, car il n’est parvenu à la pensée de Mallarmé qu’après avoir travaillé 10 ans comme ouvrier d’usine, soit comme marchand de bonbons dans les cinémas. Le soir il poursuivait des études qui lui ont permis d’occuper ensuite une place de professeur à l’Université de New-York.

Je suis prêt à écouter avec plus d’attention ses opinions sociales que celles de Monsieur Crevel. Mais elles sont justement beaucoup moins sûres d’elles mêmes.

Mon cher ami je vous serre les mains.

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (juin 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – juin 1932.
Mon cher ami 

Vous me direz Mardi ce que vous pensez de ces pages. (Je ne puis pas dire que j’en sois très fou. Mais Br., abandonné avec sa fille par sa femme-aux-paupières-vertes, devient terriblement père.)

A vous

J.P.

lundi

Nous serons demain au Rond-Poins pour déjeuner à 1h au plus tard.

Je suis passé chez vous tout à l’heure mais Casilda était envolée : c’est signe qu’elle est guérie et je m’en réjouis. Amitiés à vous deux.

Cher ami

Ce billet, à tout hasard. (J'irai sûrement).

Songez à notre journée de discussion. (à Châtenay?) On attendra Artaud.

Je découvre que nous ne sommes pas libres Jeudi. Nous fixerons un autre jour.

Votre ami

JP.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (17 juillet 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 17 juillet 1932.

Château d’Anzon

Noizay. Indre et Loire 

(adresse jusqu’au 16 septembre)

Mon cher ami, 

J’éprouve un vif regret d’avoir dû quitter Paris, sans pouvoir passer, mercredi soir vous serrer les mains à la N.R.F. J’ai dû effectuer d’innombrables courses, et entretemps tenir compagnie à une amie souffrante. Tous mes instants furent pris, et j’ai simplement pu déposer à votre nom ma note sur Fargue, et celle sur Aragon.

La première est trop littéraire pour mon goût, mais D’Après Paris ne se prête guère qu’à la constatation d’un charme. Il n’y aurait eu un intérêt véritable à parler de la poésie de Fargue qu’à la condition de la considérer dans son ensemble, et en prenant Vulturne comme centre de réflexion. Fargue est un poète que l’on admire et attaque pour de mauvaises raisons.

J’attache plus d’intérêt à ce que j’ai tenté de dire à propos de Persécuteur persécuté. Il n’y a là sans doute qu’une approximation, et je ne me reconnais que le mérite d’avoir posé un problème. Si j’ai cru pouvoir indiquer le sens d’une solution, cette recherche mérite d’être approfondie. (J’attends avec curiosité votre avis, et ceux des q. q. rares esprits dont les paroles portent pour moi une signification.)

J’aimerais aussi que vous m’écriviez vos réflexions sur la réponse que j’ai faite à votre dernière lettre écrite à propos de nos entretiens de Châtenay. Si vous admettez que mon jeu de mot sur le terme « connaissance » n’était qu’une illustration, et non une source de pensée, veuillez me dire en quelle estime ou mésestime vous tenez cette pensée.

Vous sentez d’autre part que Daumal et moi ne pouvons admettre le ton de Benda, puisqu’il s’agit du ton amateur contre lequel nous nous élevons à priori. La quiétude des orientaux qui ont opté pour une métaphysique inhumaine, et l’inquiétude des occidentaux qui ont adhéré à une métaphysique de consolation, démentent d’ailleurs ses postulats. Enfin ses conclusions nous font retourner à la psychologie, et constituent en somme une défense involontaire et indirecte du « roman » !

Je n’ai pas reçu les livres de poèmes de Breton, Eluard, Tzara qui viennent de paraître aux Cahiers libres, soit qu’ils aient été envoyés chez Sima, soit que leurs auteurs me boudent… Que valent ces poèmes ? S’il vous était possible de me les faire adresser ici pour un éventuel compte rendu, je serais assez heureux de les connaître.

Je serai de retour à Paris du 16 août au 1er sept. Je repartirai ensuite pour une dizaine de jours. Peut-être me verrez-vous à Port-Cros malgré les cerfs volants, mais je n’en suis pas certain car mes projets sont vagues ; j’hésite entre le Midi, la Bretagne, l’Espagne… D’ici là, je travaille pour moi, devant une campagne assez pure mais chargée d’orages. Depuis mon arrivée, la pluie tombe.

Avant mon départ j’ai rencontré Artaud dont les angoisses particulièrement aiguës m’ont ému, et Jean Wahl dont l’éclectisme m’a déçu. (Le matérialisme le séduit parce qu’il accumule les problèmes, et que seuls les problèmes lui paraissent exaltants, etc.)

Veuillez ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, mon cher ami, et me croire tout à vous. 

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 août 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 30 août 1932.

 

j’aurais dû vous écrire depuis longtemps, mon cher ami. Pardonnez-moi. A vrai dire, je me suis trouvé mécontent de la longue lettre que j’avais commencé à vous écrire.

(Que vous disais-je? Que l’on pouvait, par abréviation, parler d’un « certain absolu ». En ce sens que nous ne pouvons guère parvenir à imaginer (ou à supposer) l’absolu qu’à partir d’un certain terme relatif, que nous transcendons - ad infinitum, per finita - et que le « certain absolu » qui vous a déplu dans ma lettre signifiait, évidement: « l’absolu obtenu ⎨à partir d’un

                    ⎨ par l’oubli d’un certain relatif »

Et encore? Qu’il me paraissait imprudent, si longtemps après Parménide et les autres, de prouver a priori que l’être est un… (mais j’aurais besoin ici de lire tout le détail de votre thèse) Nous en reparlerons.

Pour moi, je voudrais établir principalement qu’il est . Que l’absolu est objet d’expérience et de connaissance - cela à partir de la méthode scientifique la plus simple, semblable à celle de la physique ou de la chimie… Je crois que j’y parviendrai. Mais de cela aussi nous reparlerons.

Vous m’aviez fait, lors de notre réunion, une objection qu’à la réflexion vous ne maintiendriez pas, je crois. Dire que tel sens du mot image est juste, tel autre non, ne revient-il pas à affirmer que l’Allemand a raison de dire Pferd et le Français tort de dire cheval (ou toute différence de langage analogue.)

*

J’ai reçu hier la « mystique de Baudelaire » où un M. Pommier déchiquète le plus émouvant des sujets. Breton, naturellement, ne m’a pas écrit. (Je mets bien plus bas que son mélange d’obséquiosité et d’insolence, la bassesse qui le fait tenir des propos qu’il est bien libre de démentir ensuite, mais refuser de les écrire.)

*

Artaud m’écrit que son théâtre s’appellera « Th. de la cruauté ». J’aurais préféré quelque Th. métaphysique (pourquoi pas - il y ait eu dans ce titre une fierté que n’a pas le « Th. de la cruauté ») ou même Th. de l’absolu, Th. alchimique, que sais-je. Mais ses projets sont très intéressants.

Où êtes-vous? Ne me laissez pas sans nouvelles. Je vous répondrai aussitôt cette dois. A vous, très amicalement

Jean Paulhan

Il me tarde de lire vos études sur l’expérience poétique . Et les images, que vous m’aviez promises. Je travaille beaucoup à mes Fleurs de T. Le reste du temps, vie d’homme des bois: défrichement, pièges (plus de rats que de lapins). Ne viendrez-vous pas à Port-Cros?

Ne me donnerez-vous pas des notes pour la prochaine nrf ? Je le voudrais. Aragon paraît aujourd’hui.

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 septembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 02 septembre 1932.
Mon cher ami

Votre lettre reçue ce matin m’a fait plaisir. Votre silence me faisait craindre que mes précédentes lettres ne vous soient pas parvenues, et c’est pourquoi j’ai fait recommander hier la lettre que je vous ai écrite au sujet de mon article sur Aragon. J’ai eu un moment d’humeur assez vif en constatant les fautes d’impression qui le défigurent, car j’avais particulièrement soigné cet article. Si ce mouvement est passé avec trop de violence dans ma lettre, ne m’en tenez pas rigueur, et comprenez-moi.

Je vois assez souvent notre ami Henri Michaux que j’aime infiniment. La fréquentation de l’homme éclaire l’œuvre. Il a apporté de son voyage une merveilleuse allure spirituelle.

Je suis heureux de savoir que vous travaillez. J’attends avec beaucoup d’impatience la parution de votre travail, et le peu que j’en connaisse déjà me paraît soulever les plus graves questions.

Je ne saisis pas comment vous pouvez  établir que l’absolu est notre objet d’expérience, et cela à partir de la méthode scientifique. Il me semble que la critique de Kant reprend toute sa valeur à partir du moment où l’on tente d’appréhender l’absolu en conservant au sujet sa qualité relative. Mais sans doute avez-vous votre idée, que je voudrais bien entendu.

Je me rencontre tout à fait avec vous au sujet du titre que notre ami Artaud choisit pour son théâtre. Depuis plusieurs jours déjà je lutte pour qu’il renonce à ce titre Théâtre de la cruauté, qui me paraît très limité, et susceptible des équivoques les plus faciles. Je crois qu’il se laisse séduire par la sonorité du mot, et sa puissance, cependant un peu frêle, d’étonnement et de scandale. J’aurais préféré Théâtre du devenir, ou Théâtre de l’Idéalisme Magique, ou Théâtre Alchimique.

Ne pensez-vous pas que les vers de François Alibert sont indéfendables à tous égards ? Nullité totale de la pensée, et maladresse incroyable de la forme (accumulation d’adjectifs, de mots creux et pitoyables, petit ron-ron plein de ratés).

Les poèmes de Breton me paraissent eux aussi, bien mauvais, dans le genre opposé, et il faut que Cassou ne puisse plus trouver d’autres terme pour écrire que celui de « chef d’œuvre » pour oser encore une fois l’employer ici !

Vous ne me verrez pas à Ports-Cros cette fois-ci, mais il est à peu près certain que l’an prochain j’affronterai avec courage les cerfs-volants, les couleuvres, et les lézards transparents.

Tenez-moi votre promesse de me donner bientôt de vos nouvelles, et croyez moi, mon cher ami, bien vôtre.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 septembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 08 septembre 1932.
Mon cher ami 

Vous avez bien fait de vous moquer un peu de moi. Je reconnais que je suis à l’égard des fautes typographiques dans l’état de certains malades mentaux qui se conduisent normalement dans la vie, mais devant lesquels on ne peut prononcer par exemple le mot fusil sans qu’ils prennent leur interlocuteur à la gorge. Une coquille me donne l’estomac un cou d’autant plus violent qu’elle parait dans un texte dont je me suis efforcé de chasser les hésitations de langage ou de pensée. Pour en finir avec cette mesquine querelle dont je suis le promoteur.

1° Je ne crois pas qu’il soit correct d’écrire « de grands récits, des histoires d’amour, des revendications morales lui furent confiés ». Il me semble qu’il faut confiées puisque nous nous trouvons en présence d’un sujet masculin et de deux féminins. N’êtes-vous pas de mon avis ?

2° Enfin pour la fameuse addition qui m’a tant révulsé (non à cause du sens qui restait inchangé, mais à cause de la platitude et de la rupture rythmique que cette addition apportait à la phrase), j’aimerais que vous fassiez passer ans l’erratum : « La dernière page de ce livre fermée (et non fermé) je me suis pris à songer que » (et non à méditer, songeant que…) Je reconnais toute la justesse de votre réflexion touchant l’incorrection probable de l’expression : « méditer que… ». je ne saurais trop vous dire à quel point je suis d’accord avec vous pour honnir les fautes de français. J’en fais souvent dans mes lettres écrites au courant de la plume, et même quelquefois dans les articles. Ce n’est jamais exprès, croyez le, et vous avez bien raison de vous insurger contre elles. Elles signifient parfois l’ignorance et très souvent la distraction, c’est-à-dire toute la dignité de l’homme !

Je ferai bien volontiers la note sur les derniers livres de Michaux. Je viens d’en parler avec lui. Je vais m’y mettre dès maintenant.

Vous avez dû recevoir le Manifeste d’Artaud. Il me l’a fait lire, et j’ai été vivement frappé de la réussite qu’il constitue. Le style et les idées sont admirables. Enfin la teneur du texte m’aide à accepter le titre th. de la Cruauté dont elle étend le sens. Si Artaud parvient à réaliser une tentative théâtrale dans cette direction, ce sera bien passionnant !

J’ai été ému par votre phrase sur l’amitié, car j’attache à ce sentiment une importance extrême. Je voudrais que mes précédentes lettres aient surtout servi à vous éclairer sur mon mauvais caractère, et par conséquent à connaître mieux l’un de vos amis. Mais que vous ne m’en conserviez aucun ressentiment.

Veuillez mon cher mai ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, et me croire bien vôtre. 

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 septembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 14 septembre 1932.

14 septembre 1932

Château d’Anzan

Noizay

Indre et Loire 

Mon cher ami

Je suis à Noizay pour quinze jours encore (jusqu’au 25 sept.). Je n’ai pu retrouver qu’ici les 3 livres de Michaux que j’avais laissés dans une résidence tourangelle. Je crains de ne pouvoir vous donner ma note que pour le n° de novembre. Nous sommes déjà le 14, et je ne l’aurai terminé que dans cinq ou six jours. Est-ce très grave ? Michaux m’a affirmé qu’il lui était indifférent que la note ne passe qu’en novembre. S’il pouvait en être de même pour vous, j’en serais heureux ?

La phrase que vous me citez de Mademoiselle Camille m’a littéralement renversé ! Je me demande qui de nous deux est le plus naïf : elle, d’agir ainsi, ou moi de n’avoir pas prévu qu’elle pourrait agir de cette sorte.

1° Je n’ai cité Kant , que parce que vous m’avez écrit : « Pour moi je voudrais établir principalement que l’absolu est cet objet d’expérience et de connaissance  – cela à partir de la méthode scientifique, la plus simple, à celle de la physique ou de la chimie. » (Excusez moi de vous querellez sur ces mots, mais l’absolu ne peut être un objet. Ce terme suppose un sujet qui lui est opposé et le limite. On ne peut donc connaître l’absolu, mais y participer. Le silence mystique est le signe au profit de l’absolu.) –  A toutes vos acquisitions logiques, et expérimentales, l’objection kantienne de la relativité me parait valoir irréfutablement. Vos instruments de recherches sont vus par votre raison humaine, et leurs résultats appréciés par elle. Vous n’obtenez donc que des révélations relatives.

2° Il me semble que la distinction faite par la philosophie orientale de deux vérités doit être conservée : la Vérité relative (celle que nous pouvons tenir en face, dont nous pouvons parler) et la Vérité absolue (celle dans laquelle nous pouvons perdre, c’est-à-dire que nous ne pouvons prendre comme objet, puisque sa qualité d’absolu ne supporte aucune division) et par conséquent aucune réalité en dehors de la sienne propre.

Ceci posé, je suis assez à l’aise pour m’accorder de l’objection kantienne. La Vérité de l’Homme m’est accessible. Et moi, Homme, noyé dans l’océan du monde manifesté, particule de cette manifestation, je puis connaître ce monde, car me connaître c’est le connaître. (C’est ici que le « connais-toi, toi-même » antique prend toute sa valeur). Il y a analogie entre le sujet et l’objet. (Je m’étais amusé à illustrer cette analogie par le jeu de mot co-naissance, mais nous pouvons fort bien nous en passer !) La loi d’Analogie nous permet de concevoir les multiples correspondances qui lient entre elles les réalité les plus lointaines. Sans doute ne puis-je ainsi ramener au jour que des vérités relatives à la structure mentale de l’homme, mais si je recherche le dépassement de l’homme, je dois d’abord en connaître le complet développement.

La Vérité absolue m’échappera toujours, tant que je conserverai ma qualité de sujet personnel. À peine pourrais-je le supposer par une opération de Renversement (Le Contraire de ce que je puis savoir) ou de Négation (son nom et non) ou l’approximer par la décantation de la parole – ce qui est le rôle de la Poésie. Je m’en réfère encore au silence mystique, ou – ce qui est la même chose – à l’expression des « upanischads : « Tu es Cela. »

 

Je ne sais ce que pourrait donner une réunion à huit, telle que vous m’en suggérez l’idée. Du point de vue « amitié humaine » ce sera très souhaitable. Je ne sais si d’autre part nous n’obtiendrons pas avant tout de violentes oppositions. La poésie de Supervielle, par exemple, est trop peu maudite pour être supportée par Artaud, Daumal, et Renéville. Les livres de Jouhandeau emploient les décors et les personnages mystérieux dans un but de pur pittoresque. Rougemont a beaucoup de subtilité en surface. Ne craignez vous pas que 2 camps s’organisent aussitôt ? Dans l’un d’eux je verrai Artaud, Daumal, Michaux, Paulhan et Renéville et dans l’autre Rougemont, Jouhandeau et Supervielle. Vos tableaux et vos livres pourraient servir utilement de projectiles. – Mais je fais de l’a-priorisme. Je me trompe peut-être. Essayons.

Je pensais que la parution du poème d’Alibert était explicable par une question d’amitié par exemple, mais je suis stupéfait de penser que Gide admire cet écrivain. N’est-ce pas déconcertant ? Le goût du mauvais goût peut devenir encombrant.

Vous ne vous étonnez pas que je n’aime guère le Chetov. C’est de l’Anatole France rénové. Tout se réduit à quelques petits syllogismes assez minces. Mais enfin cela a de l’allure, et de l’esprit.

Artaud a vraiment de merveilleuses intuitions. Son texte est une vraie réussite. Je voudrais tant qu’il puisse réaliser ses idées, et monter un théâtre !

Quand revenez-vous à Paris ?

Voudriez-vous me faire savoir si je puis vous donner le Michaux que pour novembre ?

Mon cher ami je vous serre cordialement les mains, en vous priant de bien vouloir transmettre mon respectueux souvenir à Madame Paulhan.

A. Roland de Renéville

Chateau d’Anzon

Noizay – Indre et Loire  

Adresse jusqu’au 25 sept. Ensuite 1 rue C. Delavigne Paris.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (septembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – septembre 1932.

J’ai tout à fait oublié hier de vous transmettre une demande de René Daumal : il vous aurait une vive reconnaissance d’obtenir que la Revue lui verse immédiatement le prix de son article sur la musique hindoue. Il est en effet réduit actuellement à la pauvreté la plus extrême, et menacé de saisie (ceci entre nous). Bien que minime, la somme qui lui est due, l’aiderait énormément m’a-t-il dit, en lui permettant de faire patienter l’un de ses créanciers.

Je devais vous faire cette commission hier, et Daumal va se présenter à vous aujourd’hui même vers 5h. Veuillez, je vous en prie, ne pas lui dire que j’ai oublié hier de vous en parler, et que je vous ai écrit seulement aujourd’hui, car il serait en droit de trouver cet oubli peu amical de ma part… Je suis moi-même ennuyé de cette marque d’égoïsme que je me suis donnée en ne laissant hier affleurer à ma conscience que les pensées agréables que je formais au milieu de tous, c’est-à-dire en ne pensant qu’à moi… La seule excuse que je me reconnaisse est le très grand charme de cette réunion que je vous remercie d’avoir organisée. Max est « désarmant » et je ne conçois pas qu’il puisse avoir autre chose que des amis. Supervielle est délicieux tout à fait. Il m’a montré de très beaux poèmes qu’il écrit actuellement, et qu’il venait de vous soumette m’a-t-il dit. Enfin sa femme et ses deux filles ne sont pas d’une beauté moins parfaite que les images de son esprit !

Je vous dis à bientôt mon cher ami et je vous serre les mains.

Renéville

Supervielle m’a dit un mot de la lettre d’Artaud. Je crois qu’il faut, en raison de sa maladie, beaucoup lui pardonner, être prêt à de grands sacrifices si l’on estime que ses instants de lucidité valent la peine de le connaître. Mais vous avez hélas ! beaucoup plus de raisons que moi de savoir tout cela. Je n’ai fait jusqu’à présent que l’observer en spectateur.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 septembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 21 septembre 1932.
Mon cher ami 

C’est avec beaucoup de raison que vous remarquez : une vérité relative n’est pas une vérité. Et poussant dans ces conséquences cet axiome, nous ajouterons : la création que nous percevons et à laquelle nous participons, se révélant limitée, et n’existant que relativement à sa propre notion, mais nullement par rapport à un absolu que nous savons seul réel, cette création n’existe pas, elle n’est qu’une illusion passagère que l’on peut comparer, lorsqu’on la confronte avec l’Absolu, à la vision d’un rêveur – la vie est un rêve dans un rêve. Telle est du moins la conclusion à laquelle aboutit la pensée orientale, et que certains de nos poètes ont pressenti (un poème de Poe se termine par cette expression : la vie est un rêve dans un rêve).

Si nous admettons comme hypothèse de travail que nous apporte la logique, cette distinction entre une Réalité Relative, et une Réalité Absolue, l’objection kantienne ne gênera pas, me semble-t-il, très profondément, notre prétention de connaître ce qui est en apparence en dehors de l’homme, tout en appartenant cependant au domaine de la réalité relative, ‑ c’est-à-dire le monde. En effet l’homme n’est qu’une parcelle de cette réalité relative, et sa structure physique et mentale est fatalement en rapport intime et analogique ave la structure de cette réalité. Peu m’importe que Kant vienne me dire par conséquent que je pose sur le monde sensible les catégories de mon esprit. Cet esprit n’étant détaché que de façon illusoire de ce monde en réalité unique, ne peut posséder d‘autres catégories que celles du monde même qu’il observe, sans cesser de lui appartenir.

Vous ne pouvez donc me dire très fermement : « C’est de l’homme seul que vous êtes condamné à parler, et la loi d’analogie n’est qu’une aimable fantaisie de votre esprit ».

En vérité c’est tout à la fois l’homme, le monde, et la loi d’analogie qui sont des fantaisies (ou mieux une fantaisie) de l’Absolu.

Je ne prends même pas la peine de réfuter la théorie de Kant, si vous voulez. Je m’en accommode, et la réduit presque à une vérité que va sans dire : « mon esprit appartenant au monde relatif en a évidemment la structure, et peut donc prétendre le connaître ». je ne suis pas du tout condamné à parler de l’homme seul, et la loi d’analogie a une valeur de même ordre que celle du principe d’identité.

Mais si je me tourne vers l’Absolu, il en est autrement. Je ne puis le connaître, car la connaissance, je le répète, suppose une distinction entre sujet et objet. D’autre part la structure de mon intelligence ne me permet pas de l’appréhender. Toutefois, si je renonce à ma conscience, à l’illusion de ma personnalité et de mon existence, je puis m’abîmer en lui, ou du moins l’approcher (Extases mystiques). 

Je vous aurais cité Kant en réponse à une phrase où vous m’assuriez que l’absolu peut devenir un objet de connaissance scientifique. Vous alliez jusqu’à me citer la physique et la chimie. J’aurais été de votre côté si vous aviez remplacé le mot absolu par le mot monde

X

Je vous accorde tout à fait les 3 points de votre lettre. Ils rendent possible l’étude des mystiques (je ne dis pas de ce que les mystiques ont déçu…) Nous pourrons peut-être, comme vous le dites, arriver ainsi à définir ce qui s’est passé. (J’ajoute : en eux).

Pour ce qui est des hommes de science (Einstein) ils parviendront à connaître la réalité du monde relatif, mais s’arrêteront fatalement au seuil de l’autre.

X

Je n’aurais pas du tout compris que notre réunion à huit concernant la N.R.F. Dans ce cas, il en est tout autrement en effet ! Je crois qu’il y a dans ce sens  un effort d’ailleurs minime, mais qui serait plein de riches conséquences, à effectuer pour que la Revue soit parfaite dans chacun de ses n°. Mais G. vous laissera-t-il entièrement libre d’écarter de sa revue toute littérature ?

Je n’ai pas là M. Godeau intime, et suis dès maintenant persuadé que j’ai parlé à la légère de Jouhandeau que j’admire, vous le savez. 

Artaud serait sur le bon chemin pour trouver les soutiens nécessaires à son projet. Il m’a écrit une lettre pleine d’espoir, et même de joie, car son projet a dès maintenant pris corps ainsi qu’il a dû vous l’écrire. S’il réussit, ce sera bien passionnant.

Je rentre le 26 sept. A Paris (1 rue C. Delavigne). À bientôt donc mon cher ami, je vous serre les mains, et vous prie de bien vouloir transmettre mes hommages à Madame Paulhan. 

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (27 septembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 27 septembre 1932.

1 rue Casimir Delavigne (6e)

Mon cher ami

Je pense que vous avez reçu ma précédente lettre où je tentais d’expliquer ma position vis-à-vis de Kant. Je réponds à votre petit mot qui s’est croisé avec ma lettre :

Je pense tout à fait que le principe de contradiction vaut nécessairement pour l’esprit ou mieux l’intelligence dans le domaine qui lui est seul accessible, celui du monde manifesté auquel cet esprit appartient.

L'intuition du principe de l’identité des contraires, est une intuition d’une vérité absolue que l’esprit admet sans le constater ni le concevoir le moins du monde, à la manière dont il admet la possibilité d’une monde à N dimensions par exemple.

Le fonctionnement de l’esprit (tous les mystiques le déclarent) s’arrête au seuil de l’absolu. St Jean de la Croix insiste sur cette nuit de l’esprit qu’est la condition de la Révélation indicible au sens même du mot. Et cela, notre raison le conçoit, puisque l’absolu, par définition ne souffre pas d’être observé par une entité qui se tient en dehors de lui.

Je crois que pour parvenir à une intuition sensible de l’identité des contraires, il faut remonter jusqu’aux notions les plus abstraites, celles des chiffres 1 et 0, derniers voiles sensibles auxquels notre entendement peut encore s’accrocher :

1 représente tout ce qui est – et par conséquent n’est pas un nombre, puisque le nombre suppose un rapport entre ce qui est et ce qui pourrait être. Par exemple 12 hommes parmi tous les autres hommes.

0 exprime également l’absence de nombre. Ce n’est qu’une manière d’envisager le 1.

Je crois qu’au delà notre raison vacille. Sa force est d’admettre qu’elle est limitée au monde dont elle est partie intégrante, et dont la structure est par conséquent adaptée à ses catégories.

Ce qui – d’accord avec vous – ne signifie pas que l’Absolu nous soit inaccessible.

Je suis à Paris, et me réjouis de vous revoir bientôt.

Votre
Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (24 novembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 24 novembre 1932.
Mon cher ami

J’ai réfléchi à votre désir de donner dans la Revue un compte-rendu du discours du Dr Allendy au congrès homéopathique de 1932. J’ai pensé que mon ami le Dr Lancelot, homéopathe éminent et lettré remarquable, serait beaucoup plus qualifié que moi pour vous donner ce compte rendu – d’autant qu’il a pris lui-même une part active à ce congrès. J’ai eu l’occasion de voir le Dr Lancelot hier soir, et de le pressentir très éventuellement à ce sujet. Il m’a dit qu’il était à votre disposition. Si donc vous désirez avoir ce compte rendu vous pourriez lui écrire de ma part : Dr Lancelot – 57 rue de Rome – (téléphone : Laborde 28-39).

Gilbert Lecomte et moi-même ne pourrons malheureusement dîner avec vous mercredi prochain, et vous serions reconnaissants de reporter ce dîner au mercredi suivant 7 décembre, si vous êtes libre ce jour-là ; Nous en reparlerons d’ailleurs de vive voix. J’espère pouvoir passer demain à la Revue.

J’ai obtenu de Léautaud les Vers de collège de Rimbaud, mais aucun commentaires de sa part sur quoi que ce soi. Il paraissait très absorbé par le silence et le désert de son cabinet.

Il me serait extrêmement précieux, pour une raison que je vous expliquerai de vive voix, d’avoir le plus tôt possible, et en tous cas avant mardi  prochain, la lettre du Directeur de la Pravda approuvant la Teneur des notes que je donne à la N.R.F. Croyez bien que je ne me soucie en aucune manière de plaire à qui que ce soit – même aux révolutionnaires. Mais j’éprouverai de la satisfaction à ennuyer au moyen de cette lettre des gens qui cherchent à m’ennuyer. C’est une satisfaction enfantine que vous ne me refuserez pas. Confiez-moi donc cette lettre, je vous en prie.

Je n’ai pas compris que vous puissiez l’autre soir, en arriver à me dire, au sujet de mes appréciations sur les poèmes que nous me montrez quelquefois : « Mais quels sont les poèmes que vous ne rejetez pas ! » Mais ceux d’Eluard, de Fargue, de Valéry, de Daumal, de Michaux, parfois de Max Jacob, quelques-uns de Gilbert Lecomte, les textes d’Artaud. Mais vous ne me ferez jamais trouver la moindre valeur à Follain, Alibert, Francis Ponge et autres fabrications.

Croyez moi mon cher ami bien votre

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 novembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 28 novembre 1932.

 

N'est-il pas temps que nous tenions une nouvelle réunion ? Souvent, j’ai regretté que nous ne puissions nous concerter, par exemple, sur la réponse commune (ne fût-elle qu’un refus, demeurât-elle inexprimée) qu’il conviendrait de faire tel ou tel problème contemporain (comme on dit).

Mais il est deux ou trois points encore sur lesquels je voudrais revenir.

*

J'avais fait la réflexion que l’on pouvait aujourd’hui parler de littérature ou de poésie suivant deux langages, exactement hétérogènes, dont l’un (pour tout simplifier) pouvait être appelé le langage Baudelaire-Breton, l’autre le langage Sainte-Beuve-Prévost. Là-dessus A.R. m’a répondu que c’était « Breton qui avait raison ».

A la prendre telle quelle, la réponse serait naturellement absurde. Elle revient à soutenir que les Allemands ont raison de dire Pferd , et les Français tort de dire cheval (ou l’inverse). Je crains que la position générale de A.R. ne soit pas moins absurde, (ou du moins dangereusement étroite) quand il décide par avance de ne prendre en considération qu’une certaine littérature (celle qui va de Baudelaire à Mallarmé), tenant l’autre pour moins que rien. Si profond que le mène par la suite sa recherche, il ne trouvera jamais dans la poésie que ce qu’il a commencé par y mettre et qui est terriblement particulier puisqu’il commence par refuser les 3/4 de ce que l’on tient couramment pour littérature. Et sa découverte métaphysique est à l’origine, non pas à la fin de son enquête. (je crains que cette enquête même ne soit qu’une illusion d’enquête).

Mais je me sens pour moi aussi insatisfait devant Baudelaire que devant Valéry et devant Breton que devant Prévost. Et de la même insatisfaction, hors de laquelle, il n’est, je crois bien, que parti-pris d’école. Mais peu importe : sommes-nous ou non d’accord tous trois pour partir de cette table rase ?

*

Il me faut avouer que je ne comprends pas du tout l’importance que René Daumal semble attacher à ses recherches étymologiques. Et sans doute, puisqu’il n’attribue aucune valeur de preuve au jeu de mots : connaissanceco-naissance je serais sot d’insister. (Sans quoi j’aurais répondu que religionce qui lie et intelligenceintus legere sont tenus par les linguistes, et par Meillet en particulier, pour le type même de « l’illusion étymologique ». Qu'au surplus, (suivant Meillet encore) il est peu d’étymologies « apparentes » qui ne soient fausses. L'on sait que fesser ne vient pas de fesse que legs n’a aucun rapport avec léguer , etc.

Mais dès lors, que peut attendre R.D. des étymologies qu’il recherche dans des langues primitives ?

a) Il n’aura aucune preuve de l’exactitude de ces étymologies (les documents étant bien moins nombreux que pour la langue française, où cependant peu d’étymologies demeurent certaines).

b) A plus forte raison n’aura-t-il aucune preuve de l’antériorité de l’un des deux sens qu’il découvrira.

Reste simplement que R.D. choisira les étymologies qui viendront flatter ses convictions métaphysiques. Je préfèrerais, pour moi, qu’il se bornât à ces convictions, sans cette fausse apparence de preuve.

Ou bien qu’il acceptât ouvertement de raisonner par calembour.

*

Mais j’en viens au point le plus grave, au lieu des étincelles. Benda, me dit R.D. pose un problème qui ressemble à la question comme une rognure à Jupiter. Soit. Mais l’existence de Benda, sinon le problème qu’il pense présenter, pose une question :

Si léger, si « philosophe » qu’il puisse être, Benda est l’un des rares hommes d’aujourd’hui qui ait écrit un traité de l’infini, et qui ait donc, sinon éprouvé, du moins approché, cerné, pressenti cet infini. Or dans le scholie que je vous signalai, il renie sa découverte et s’enfuit dans la psychologie. C'était cette palinodie que je vous demandais de juger – non qu’il importe de savoir pourquoi ni en quoi la pensée de Benda est fautive. Mais il importe infiniment de savoir si nous-mêmes sommes protégés (et par quelles pensées?) contre une palinodie pareille à la sienne. Or je puis en douter d’autant plus que R.D. - renonçant à sa première justification : c’est qu’il suffit de poser le problème de l’infini pour préférer l’infini – semble à présent se rallier au sentiment que A.R. tout en l’adoptant jugeait au cours de notre réunion, insuffisant : c’est à savoir qu’un sentiment de dégoût, de répulsion ou de honte à l’égard du monde donné est une raison insuffisante et nécessaire de préférer l’infini.

(C'est ainsi du moins qu’il me faut comprendre : « Je ne prendrai jamais d’autre centre de discussion que le centre même de l’absurde, de l’évident malheur de chacun de nous »). Or, un sentiment, fût-il de dégoût, me semble être la chose la plus fragile qui soit, la plus personnelle (et par là la plus méprisable) et celle enfin que nous sommes le moins assurés de voir durer . À bien plus forte raison les idées qui se fondent sur ce sentiment. Et n’éprouvez-vous pas comme moi qu’il est peu de pensées plus menacées de déchéance que celle que nous tentons de protéger et d’affermir. Dans quelle salade marxo-hégélienne s’achève la rêverie d’absolu qu’avait commencée Breton ? Aragon qui tenait la révolution russe il y a cinq ans pour un événement de l’ordre d’un « changement de ministère » au regard de l’infini qu’il connaissait, soumet aujourd’hui tout infini à cette révolution. Benda s’enfuit dans la psychologie et prétend que son infini n’était qu’une idée d’infini.

Je ne vois de toutes parts chez ceux qui ont mené notre expérience que lâcheté et que reniement.

Je vous demande encore, quel que soit le Sans-Nom, le Réel, le Véritable dont nous exigeons d’être près au point que chaque instant de notre vie – fût-il peur, paresse, humiliation, joie, faiblesse – s’en trouverait transfiguré : notre approche et la sorte de ravissement qui s’en suit peut-elle être précipitée par des idées – qu’il dépendrait de nous d’évoquer et de fortifier, par des actes et par une ascèse qu’il dépendrait de notre volonté de nous imposer – ou bien est-elle entièrement livrée au hasard ?

Je ne vous demande ici qu’une par de votre expérience et de votre réflexion.

J.P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (03 décembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 03 décembre 1932.
Mon cher ami 

Rien ne m’est plus pénible que de ne pas tenir parole, et pourtant je crois bien que c’est ce qui m’attend vis-à-vis de vous en ce qui concerne mon étude sur Jarry ! J’ai commencé à étudier l’Amour absolu, Les Minutes de Sable, César antéchrist, œuvres que je n’aurais jamais pu réussir à me procurer. Je reste stupéfait devant la profondeur et la complexité de la pensée d’Alfred Jarry. Certes j’aurais pu en 8 jours (et je n’ai qu’une heure ou deux par jour pour écrire et lire) vous donner une note sur un livre assez simple, ou sur un auteur que j’aurais au préalable entièrement pénétré. Il n’en est pas de même pour Jarry. Je voudrais vous donner sur lui une note complète et sérieuse, et non pas un compte-rendu superficiel auquel je ne veux même pas songer ; je voudrais aussi parler du livre de Paul Chauveau sur Jarry, que vous venez de me faire parvenir ce dont je vous remercie infiniment. – Il faut absolument que je relise Ubu-roi que je n’ai pas, et que vous pourriez peut-être me prêter ? Bref je viens vous demander de ne pas m’en vouloir si je vous apporte une étude sur Jarry pour le N° de Février, au lieu de vous la donner pour celui de janvier. Croyez bien que si je ne tiens pas parole, c’est parce que je me trouve matériellement empêché de la tenir à cet égard. – Je passerai mardi vers 5h à la Revue. Si vous pouviez m’apporter Ubu-roi ce jour-là, mon travail s’en trouverait avancé.

Je viens de recevoir les Vases communicants de Breton. Je pense que vous-même, et Roger Lecomte les avez reçus aussi ? Je me réjouis de lire la note de Lecomte sur ce livre. J’espère qu’il n’épargnera pas les ridicules que je vous avais signalés de vive voix. Il est d’ailleurs absolument d’accord avec moi sur ces points de détails.

Votre dernière lettre contenait une phase que je voudrais entièrement saisir. Je vous avoue ne pas comprendre ce que vous entendez lorsque posant que je ne dois « d’après (mon ) principe aimer qu’un poème que soit aussi bien exprimable que le plan du langage que sur celui de la pensée » vous concluez que je m’écarte de ma méthode en n’aimant pas la poésie de F. Ponge. La pensée de Ponge existe-t-elle ? quant à son langage, je ne vois qu’une préciosité verbale dont le but me paraît non de suggérer, mais de cacher. Cacher l’absence de pensée.

J’aimerais que nous parlions ou discutions par lettre sur votre phrase (le cas F. Ponge ne servant que d’exemple) car je sens qu’il y a là quelque chose que je n’arrive pas à saisir.

La réunion des membres du Grand Jeu à propos de mon article sur Aragon a eu lieu. Audard, Delons, Maurice Henry, et Harfaux me reprochent avec violence de dire la vérité, lorsque cette vérité est susceptible de causer un préjudice à la révolution communiste. Mon devoir serait alors de prendre fermement parti pour l’erreur dans un but pragmatique. J’aurais dû faire l’éloge des poèmes d’Aragon.

Quelle tristesse de trouver une telle attitude chez ceux qui veulent nous délivrer de toute veulerie !

Veillez je vous prie transmettre ma respectueuse amitié à Madame Paulhan, et me croire mon cher ami bien cordialement votre.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 décembre 1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 08 décembre 1932.

Ministère de le Justice/ Direction 

Mon cher ami

Je comptais passer vous voir ce soir, en sortant du Ministère. Mais depuis ce matin je suis saisi par un brusque accès de grippe qui devient d’heure en heure pus fort. En sortant je vais me faire reconduire chez moi, en taxi, et ne pourrai vous voir. De toutes façons je pars en Touraine du 1er au 9 janvier. Peut-être vais-je avancer mon départ, en raison de cette grippe.

En principe Michaux devait visiter la Touraine avec moi, à la fin de la semaine prochaine ; j’espère être guéri d’ici là. – Ne songez-vous pas vous-même à venir dans ces paisibles régions ?

En attendant le plaisir de vous revoir, mon cher ami, je vous prie de bien vouloir présenter à madame Paulhan mes hommages amicaux, et de me croire cordialement vôtre. 

A. Rolland de Renéville

Jusqu’au 30 décembre :

1 rue Casimir Delavigne – Paris 

du 30 décembre au 7 janvier :

11 rue Emile Zola. Tours

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (1932) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 1932.
Mon cher ami

Voici les épreuves du Jarry. Pour que ma petite allusion à Thérive conserve son actualité, j’aimerais beaucoup que vous ne renonciez pas à la publier dans ce N° ci.

Merci infiniment de renseignements sur St John Perse, et du N° 1 de la N.R.F. Tout cela me fait le plus vif plaisir.

J’ai vu avec grand intérêt les marionnettes de Salzbourg, et je vous suis reconnaissant de m’avoir procuré l’occasion de les connaître.

J’espère pouvoir passer la fin de l’après-midi, vous serrez les mains.

Mon cher ami croyez moi vôtre 

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (11 janvier 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 11 janvier 1933.
Mon cher ami 

Je vous communique la lettre que Daumal m’adresse aujourd’hui, en vous demandant de bien vouloir la conserver pour me la restituer. Il est à New York, dans une situation qui paraît tragique.

Je vous aurai une bien profonde reconnaissance de ce que vous pourrez faire pour lui.

Je viens de passer à la Revue où j’ai eu le plaisir de rencontrer madame Paulhan. J’ai été fâché d’apprendre la grippe qui ne vous a pas épargné. J’espère vous revoir bientôt ?

Michaux m’ayant obligé à lire le Voyage au bout de la Nuit, je découvre avec stupeur que c’est une œuvre splendide . Combien ma méfiance à-priori était injuste ! L’avez-vous lu ?

Les Vases communicants contiennent en effet d’adorables choses. Je regrette que la partie idéologique constitue presque partout une liquidation du Surréalisme, au profit d‘un matérialisme primaire auquel Breton se voue délibérément contre ce qu’il aime et malgré tout ce qu’il croit.

Je vous serre bien amicalement les mains

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1933.

Vendredi [janvier/février 1933]

Mon cher ami, 

l’on me fait remarquer qu’il suffit, pour donner à Daumal le droit absolu d’être payé, qu’il existe un numéro du Phare où figure son poème. (mais obtiendrons-nous celui de R.D.?)

votre ami

J P

PS Je pense d’ailleurs qu’il suffirait d’écrire en ce sens à Mme Deharme.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (12 janvier 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 12 janvier 1933.
Mon cher ami, 

il me faudrait avoir votre Jarry demain au plus tard. J'y compte.

Je vais faire tout le possible pour Daumal. Le cable [sic] partira aujourd’hui.

Mais je vous ai répété au moins six fois qu’il vous fallait lire le Voyage au bout de la Nuit , que c’était bien supérieur à ce que vous imaginiez etc ! (Il y a quelque cinq mois de cela.)

J'aurais voulu vous voir hier. Ce sera pour la semaine prochaine, n’est-ce pas ? À vous, très amicalement

Jean Paulhan

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 février 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 08 février 1933.
Mon cher ami 

Voici les q. q. pages sur l’image dont je vous ai parlé parfois. Je ne sais ce que vous en penserez. Les réflexions que j’élabore n’ont pas, logiquement, à prendre forme littéraire ; je m’y applique pour mon  développement personnel, et j’ai toujours le sentiment d’accomplir un acte que bien peu de raisons peuvent excuser lorsque j’écris. Jusqu’à présent la meilleure de ces raisons est pour moi la suivante ; j’écris pour me débarrasser d’une idée dont je ne  plus rien tirer. L’écrire c’est la murer. Vous voyez comme je suis peu excusable de montrer ensuite cette écriture aux autres ! Ceci à la fois pour m’excuser de vous avoir fait attendre ce texte, et de vous le donner.

Merci de ce que vous me dites au sujet de Daumal. Mais ne risquerions-nous pas de susciter entre nous et le Phare de Neuilly des conflits longs et compliqués que ne justifieraient pas les 40 frcs que nous pourrions obtenir de cette sorte à notre ami ?

Le Dr Saltas vous a-t-il répondu à propos d’Ubu-Roi ? Tenez-moi au courant.

Vous ne m’aviez pas mis de référencer sur l’article de Thérive. Le voici.

Madame Paulhan est-elle remise ? Je le souhaite. À bientôt mon cher ami,

Croyez-moi vôtre.

Renéville 

Les dernières lignes de « Parisiens de Belleville » ne sont-elles pas bien naïves ? La révolution ne laissera-t-elle pas aux poètes d’autres positions que la candeur (comme ici) ou la mauvaise foi (comme dans les vases communicants). Je veux pouvoir penser qu’il existe aussi l’indifférence et l’esprit de sacrifice.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (12 février 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 12 février 1933.
Cher ami, 

Ci-joint les renseignements que vous désiriez.

L'avant-premier numéro de la N.R.F. vous attend à la revue.

Le docteur Saltas me répond que la phrase en question n’a jamais figuré dans Ubu-Roi mais dans la conférence que Jarry a prononcée à l’occasion d’Ubu-Roi .

Merci pour l’Image . Je le lis.

À bientôt. Je vous serre les mains.

Jean Paulhan

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 mars 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 04 mars 1933.
Mon cher ami

Voudriez-vous penser à rapporter à la N.R.F. mon essai sur les Images pour mardi prochain ? Je passerai le chercher, car je dois le remettre à Supervielle qui veut bien s’occuper de le faire passer dans une revue Sud-américaine. Cela va me rendre service car mes affaires sont peu brillantes (comme celles de tout le monde en ce moment).

J'aurais aimé parler avec vous de la thèse que je soutiens dans ces pages, et qui est l’idée centrale de mon livre (les images par rapport à l’esprit, comme le monde relatif par rapport à l’absolu, procèdent par vagues. Ce mouvement contient en lui-même sa négation. Il va de l’être au non -être en courbes sinusoïdales. Je crois que toute réalité peut être interprétée d’après ce devenir dans les cadres de l’espace et du Temps)

J'ai oublié de vous demander hier si dans le N° de Mai je dois présenter seulement le poème de Mallarmé dont je possède les épreuves, ou d’autres poèmes de Mallarmé que je ne connais pas encore ?

J'ai été frappé du décalage qui existe dans les Moments d’une Psychanalyse, entre la beauté étrange du rêve des Tzars, et la faiblesse pénible de l’interprétation psychanalytique de ce rêve. Il me semble que cette interprétation laisse de côté bien des problèmes, et réduit la rêverie à des éléments suffisamment pauvres pour qu’une explication à priori puisse en apparence s’y appliquer1.

A mardi cher ami. Ne m’oubliez pas auprès de Madame Paulhan, et croyez vôtre.

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (04 mars 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 04 mars 1933.
Mon cher ami, 

Voudriez-vous être assez gentil pour me renvoyer les épreuves des poèmes de Mallarmé. J'aurais tout à fait besoin de les avoir mardi.

Très amicalement

J P

(Je vous les renverrai mercredi. Je dois les montrer mardi soir à H. Charpentier.)

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 mars 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 27 mars 1933.
Mon cher ami, 

Il serait nécessaire, il me semble, que nous parlions dans la N.R.F. du 1er Mai des deux Ulysses qui viennent de paraître : celui de Fondane, et celui de Voronca-Vailland. Voulez-vous vous en charger ? Je le voudrais, pour moi.

Ne pourriez-vous me communiquer les « documents dentaires » (expériences sur les chiens) dont vous m’aviez parlé ? Il me semble qu’il faudrait les signaler.

Finalement, j’ai pu donner vos deux notes. J'en suis bien content.

À vous très cordialement.

Votre ami

Jean Paulhan

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (03 avril 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 03 avril 1933.
Cher ami, 

Vous ai-je dit que j’aurais besoin d’avoir très tôt vos deux notules ?

Je suis très affectueusement à vous.

Jean P.

un poète m’écrit : « je voudrais que mon livre fût soumis au jugement objectif et transcendant de M. R. de R.... ».

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (mai 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – mai 1933.
Mon cher ami, 

j’ai deux places pour le concert de ce soir. Pouvez-vous passez à la nrf avant 7 heures ?

Il me faudrait la note sur Padma avant Lundi.

À vous

J. P.

Comment va Cassilda. Nous espérons bien qu’elle est tout à fait rétablie.

Il y a longtemps qu’on ne s’est pas vu.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (10 juin 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 10 juin 1933.

adresse : 33 rue Delambre  Paris

Mon cher ami

Voici un petit papier que j’aimerais que vous passiez, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, dans la rubrique « Revue des revues » de la N.R.F. J’y rends compte d’un n° sur le cinéma composé par des amis tels qu’Artaud, Lecomte, Dessaignes etc. Je sais que cela aiderait à la diffusion de ce n° que vous avez dû recevoir, et qui n’est pas sans intérêt. Vous me direz s’il vous paraît possible de donner à ce sujet les q. q. lignes ci-jointes.

Je n’oublie pas la « notule » sur Mme Aubray. Si je ne vous la donne pas à temps pour ce n°, ce sera pour le prochain.

À bientôt mon cher ami. Ne m’oublie pas auprès de Madame Paulhan, et croyez moi cordialement vôtre.

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 1933.
Mon cher ami

Voici les inédits de Mallarmé. Si M. Charpentier s’oppose à leur publication, promettez-moi de me les rendre pour ma collection personnelle, car vous savez quelle importance a pour moi Mallarmé.

Je vous adresse en même temps ma brève note sur la Dernière mode, à faire passer après le Jarry. Ces deux pages de mon écriture n’en feront guère plus d’une de la Revue, me semble-t-il.

Je passerai mardi soir pour vous voir, et vous demander les Images. J’ai pensé qu’il valait mieux vous envoyer cette lettre pour ne pas risquer que la visite de M. Charpentier ne précède la mienne, et qu’il ne puisse lire les inédits de son « séquestré ».

Votre ami
A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (15 juin 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 15 juin 1933.
Mon cher ami, 

il nous arrive un ennui qui va, je le crains, nous obliger à quitter Châtenay samedi matin.

Voudriez-vous accepter de venir tous deux dîner avec nous, plutôt que déjeuner ?

Votre ami

J. P.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (juin 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – juin 1933.
Mon cher ami

je ne pourrai pas venir ce soir. Pardonnez-moi. Il m’arrive des tas d’ennuis et de difficultés imprévues, qui me tiendront jusque vers huit ou neuf heures.

Autre ennui : j’avais parlé à Thibaudet, il y a plus d’un an, des poèmes de Mallarmé – que je lui avais montrés. Il m’avait dit : « Voulez-vous que je les commente dans la nrf  ? - sans doute. » Depuis lors, plus rien et j’avais tout lieu de croire, il y a quelque temps, lorsque je vous en ai parlé, l’affaire close. Mais Thibaudet m’apporte aujourd’hui un plan de commentaire, à ma grande surprise…

Voulez-vous donc bien m’excuser et réserver pour une note ultérieure ce que vous projetiez d’écrire à l’occasion de ces deux poèmes ? - mais vraiment je n’avais aucune raison d’imaginer même que Thibaudet eût gardé le souvenir de notre entretien.

À dimanche. Je suis bien amicalement à vous

Jean Paulhan

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (17 juillet 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 17 juillet 1933.
Mon cher ami,

Avez-vous lu Commune  ? La conduite d’Aragon et de l’A.E.A.E. à l’égard de Breton est si répugnante que je regrette de n’avoir pas donné dans la nrf les Vases communicants . Pouvez-vous le dire à Breton ? Et lui demander autre chose (par exemple, pour le numéro où paraîtrait votre chronique surréaliste) ?

Votre ami

J. P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 août 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 04 août 1933.
Mon cher ami

Je n’ai pu vous adresser comme je le croyais un « programme » idéologique pour la revue que je projette : en effet j’ai passé plusieurs jours à discuter séparément avec Daumal, Lecomte et Michaux. Dans ces discussions résulte ceci :

Daumal et moi prendrions la direction d’une revue dont le but serait l’étude des conditions d’apparition de la Poésie, sa définition, le but vers laquelle la Poésie nous entraîne. La Poésie serait étudiée sous toutes ses formes et dans tous ses rapports. Nous ne désirons pas constituer un groupe, mais faire appel à des collaborateurs. Nous prévoyons une partie documentaire où nous publierions des textes poétiques peu connus, des traductions de textes orientaux.

Nous pensons que nous devons abandonner le titre du Grand Jeu. Nous projetons en effet q. q. chose de bien différent de ce que nous avions fait avec le Gd Jeu (1).

Je pense qu’il reste actuellement à 1° établir le sommaire du 1er n° que nous pourrions consacrer à l’étude de l’Inspiration par exemple, ou de tout autre problème selon les suggestions que vous voudrez bien me fournir. 2° Trouver une subvention pour l’impression de 2 numéros au moins. Je pense que chaque n° coûtera 5 000 frcs.

Si vous voulez bien m’apporter votre appui, tout en me donnant un article et des conseils, qu’en m’aidant à trouver une subvention comme vous avez bien voulu me le proposer je vous serai infiniment reconnaissant. Comme vous pouvez le penser cette question de subvention est à la base de tout, hélas ! Il nous la faudrait le plus tôt possible afin de lancer la revue à la rentrée. Nous pourrions échanger de la publicité avec la N.R.F. comme l’a fait la revue Hermès.

Je regrette fort de ne pas vous voir avant votre départ.  Voulez-vous me tenir au courant par lettre de ce qu’auront donné vos démarches auprès de ce Mr. X qui pourrait, m’avez-vous dit, nous aider à payer le 1er n° ? Merci beaucoup à l’avance.

Je vous souhaite d’excellentes vacances mon cher ami, ainsi qu’à Madame Paulhan.

A.Rolland de Renéville

33 rue Delambre ; Paris (14°) 

et moi aussi, désolé de ne pouvoir descendre à Port-Cros (qui devient une île mythique pour moi, avec ses iguane en verre souple et ses lianes) je vous souhaite, et à Madame Paulhan, ce que vous désirez. 

René Daumal

P. S.

Si vraiment il vous faut les 6 pages de chronique sur le Surréalisme pour e n° de septembre,veuillez me le dire par retour du courrier, cela m’ennuierait de l’écrire pour rien. 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (06 août 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 06 août 1933.
Mon cher ami,

excusez ce mot à la hâte. Je pars dans un instant.

Ci-joint un mot pour Paillart (Imprimerie Paillart. Abbeille. Somme)

Votre ami

J. P.

surtout, votre chronique avant le 9, n’est-ce pas !

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (17 août 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 17 août 1933.
Mon cher ami

J’ai adressé le 9 août à l’imprimerie Paillart une chronique sur le Surréalisme, en y joignant le petit mot que vous m’aviez adressé à cet effet. Je n’ai pas encore reçu d’épreuves, bien que nous soyions le 17. Si cette chronique passe dans le prochain n° comme vous l’aurez dit, je voudrais en revoir les épreuves, car je désire modifier q. q. lignes du passage de mon texte sur les Vases communicants. Voudriez-vous me faire savoir si je puis compter recevoir les épreuves à temps. Dans l’affirmative, devrai-je vous les renvoyer avec les corrections, ou les retourner directement à Paillart ?

J’ai par hasard rencontré avant hier soir Breton à la terrasse de la Coupole. Nous avons échangé quelques mots. Il s’est dit désemparé au point de friser « l’internement pour confusion mentale ». Sa position serait intenable. On ne le tolère pas à gauche. On le déteste à droite. Je lui ai répondu que tout cela me paraissait naturel et prévisible. Je n’ai pu d’autre part le décider à revenir vers le N.R.F. Il semble éprouver vis-à-vis de vous une grande gêne. J’aurais aimé mener à bien la démarche dont vous m’aviez chargé, mais j’en prévoyais trop l’inutilité ! Et d’ailleurs je ne suis pas certain que nous ayions à la regretter outre mesure : que pouvons-nous attendre de neuf du surréalisme ?

Cassilda et moi somme presque seuls à Paris. Tous nos amis sont absents. Cassilda a pu mener à bien une toile, et j’en suis heureux. De mon côté je travaille un peu – moins que je ne le voudrais sans doute – mais à peu près régulièrement.

J’espère que vous passez d’agréables moment de repos à Port-Cros, et que les insectes ne vous rappellent pas fâcheusement  les littérateurs, ni les coups de bec des oiseaux sur les arbres les touches des machines Rémington.

Veuillez transmettre l’expression de ma respectueuse amitié à Madame Paulhan et me croire mon cher ami bien cordialement vôtre

Rolland de Renéville

33 rue Delambre

Paris

(14°)

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (24 août 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 24 août 1933.
Mon cher ami,

Au dernier moment, il m’a fallu renvoyer le Tableau de la P. Impossible décidément de faire aller ensemble les poèmes-témoignages, et les poèmes-poèmes. Cela doit faire 2 tableaux distincts (le premier : poètes inconnus, poètes du Dimanche, etc. - le second, où il nous faudra avoir Claudel, Valéry, Éluard etc. et auquel je vous demanderai de collaborer.) Mais j’ai dû en même temps renvoyer votre chronique à Octobre. Pardonnez-moi de vous avoir ainsi pressé.

*

Jouhandeau est ici, depuis quelques jours. Un véritable mur de brume nous a séparés des côtes, de la mer et de l’été. Quand il s’est dissipé, l’on a aperçu d’abord de grands incendies de forêts, vers Hyères. Les cendres viennent jusqu’ici, et l’odeur de pin.

Peu d’insectes.

*

Je presse Paillart de vous envoyer les épreuves.

Amitiés de nous deux à Cassilda et à vous

Jean Paulhan

La Vigie. Port-Cros (Var)

je travaille, moins que je ne voudrais. (Et ce bouleversement du numéro a tout compliqué terriblement.)

Pour Breton : merci. Je n’attendais rien d’autre ; mais il me semble qu’il fallait faire la démarche. Merci encore.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 septembre 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 30 septembre 1933.
Mon cher ami,

Il était trop tard, quand j’ai reçu votre lettre, pour retirer votre chronique du numéro : impossible aussi de lui donner une page de plus. J'ai pris le parti (que vous auriez pris vous-même, je pense) de reporter la correction – Breton et de maintenir le premier texte – Tzara.

*

Je crois que nous arriverons à Pairs Jeudi prochain. Y êtes-vous déjà ? Que faites-vous ? Cassilda a-t-elle achevé des toiles. Ici, peu de cerf-volants, mais depuis quelques jours, de grandes quantités de hérons et de grives. À bientôt. Recevez tous deux nos amitiés.

Jean Paulhan

Il est question de Mme Drogoul dans la nrf d’Octobre. (où vous trouverez le 1er Tableau de la Poésie, qui me semble assez extraordinaire). Jean Wahl m’écrit que les poèmes (ou plutôt le poème) de R. Schwab lui semble au-dessous de tout, décidément.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (09 octobre 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 09 octobre 1933.

22 rue de l’abbé Grégoire (6°)

Mon cher ami 

Je suis contraint de vous demander s’il vous est possible de me faire régler dès maintenant par la N.R.F. le montant de mon article sur le Surréalisme qui vient de paraître, et aussi celui de mon poème, bien qu’il n’ait pas encore paru… Voici ce qui m’oblige à vous demander si vous pouvez obtenir cela pour moi : je dois payer 400 frcs d’impôts, et n’arrive pas à prélever sur mon minime budget cette somme car je suis très peu large depuis que je dois vivre en même temps que Cassilda avec mon traitement. Je comptais sur le montant de mon article donné à Sur pour m’acquitter envers le Percepteur, mais cet argent n’arrive pas, et je suis très en retard vis-à-vis des contributions. Excusez, je vous en prie, ces confidences sans intérêt et qui n’ont pas même le mérite de « la grandeur dans la désolation ».

Je passerai à la N.R.F. prendre votre réponse. Si vous ne pouvez sans difficulté me faire avoir satisfaction, n’hésite pas à me le dire sans la moindre gêne. 

*

Il est bien entendu que je vous réserverai mon « document » judiciaire pour la N.R.F. et vous suis bien reconnaissant des conditions que vous tenterez d’obtenir à cet égard auprès de M. Gallimard. Je tiendrai à ne pas signer la présentation de ce texte, et à ce que personne ne sache que vous l’avez tenu de moi. En effet mes fonctions me rendent difficile toute publication intéressant la Justice, même lorsque j’ai entre les mains un document communiqué par un avocat, ainsi que cela est ici le cas. Le secret que je vous demande est très important pour moi.

Le document en question est assez passionnant : il s’agit de la correspondance échangée entre un enfant enfermé dans une colonie pénitentiaire et son avocat. Nous devrons changer les noms, et peut-être faire des coupures, choisir des lettres, etc. Je vous l’apporterai bientôt. 

*

J’ai éprouvé à vous retrouver tous deux une vraie joie que je me sens maladroit à vous dire. Je me sens en « communication » avec très peu d’êtres. Vous, Michaux, Daumal… pour tous les autres, même ceux que j’aime, il s’agit d’une « accommodation ».

Mon cher ami je vous serre les mais.

Cassilda vous envoie à tous deux ses amitiés.

A.Rolland de Renéville

La note de Schwob sur Jouve est vraiment bien méchante. Le Thibaudet sur Brémond, le Benda assez ignoble (je préfère presque Barrès) le Tableau de la Poésie  une merveille

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 décembre 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 décembre 1933.
Mon cher ami,

impossible de venir demain. J'en suis très fâché.

C'est que nous nous marions justement à midi 1/2. Ceci est entre nous.

Votre ami

J. P.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (décembre 1933) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – décembre 1933.
Mon cher ami,

Je compte donner votre poème le 1er Mars, en même temps que le Spinoza de Daumal et une nouvelle (que j’aime bien) de Jacques Decour.

- Février étant réservé à Gobineau (à moins qu’au dernier moment il ne faille renvoyer Gobineau à Mars, et vous donner le 1er février. Mais je ne crois pas).

*

ne travaillez pas trop. Amitiés et vœux à tous deux

Jean Paulhan

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (01 janvier 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 01 janvier 1934.
Mon cher ami

Je vous remercie de votre lettre. Je serai heureux de voir paraître mon poème dans la N.R.F. et me réjouis du voisinage avec Daumal que vous m’annoncez. (Ne manquez pas de me donner les épreuves en temps utile, car je dois modifier un vers).

Je travaille en prévision de mon concours qui a lieu lundi prochain… Cassilda et moi en attendons l’issue avec quelque angoisse.

Merci de vos vœux. Nous vous adressons les nôtres, bien affectueux, en vous disant à bientôt. 

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (janvier 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – janvier 1934.
Cher ami,

merci de votre mot, et de l’étude sur Padma (qui me semble parfaite).

Je suis heureux que Cassilda soit guérie.

À vous, affectueusement

J. Paulhan

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (06 janvier 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 06 janvier 1934.
Mon cher ami 

J’ai été bien heureux de vous revoir hier. Je voudrais que vous acheviez de vous remettre par quelques semaines de repos à la campagne. Je ne vous ai pas écrit durant votre maladie, mais je n’ai pas cessé de penser à vous à toute heure.

Je travaille aux notes que vous avez bien voulu me demander. D’autre part je viens de terminer ce soir mon second article pour l’encyclopédie. J’espère qu’on ne me le fera pas modifier encore. Mais, certainement de nombreuses recherches bibliographiques m’attendent.

Voulez-vous dire à Germaine que je regrette et m’excuse de l’avoir froissée l’autre jour à la N.R.F.  Je ne me suis pas rendu compte de l’excessive vivacité de mes paroles qui ne visaient que M. Crépet, vous le pensez bien. J’étais ému de voir attribuer entièrement à Baudelaire un petit ouvrage de chantage qui me l’eut diminué s’il en eut été l’auteur. Plus j’y songe, et plus je pense que Baudelaire, occupé à des travaux de librairie, a dû être chargé de « remettre en français » ce texte dont il n’a pu écrire qu’un ou deux passages. Ne le croyez-vous pas ?

Je reçois une lettre de Madame Savistky-Bloch, la belle mère de Jacques Chautemps, concernant un manuscrit de M. Edgar Fori sur la question juive. Pourriez-vous m’envoyer les éléments d’une réponse à lui faire ?

J’aime beaucoup le texte de Daumal sur Basile. Il a réussi une sorte de conte moralisateur pour grandes personnes vraiment original, et d’une assez grande portée. J’aurais aimé qu’il indique, dans le courant du texte, la référence du fragment d’Oupanishad qu’il cite, en lui donnant un titre sans doute inventé ( ?)

Ne trouvez-vous pas le poème de Péret sur Violette Nozières très beau ?

« Elle était belle comme un nénuphar sur un tas de charbon »

et encore

« tous les pères vêtus de rouges pour condamner

« ou de noir pour faire croire qu’ils défendent 

Cassilda se joint à moi pour vous envoyer à tous deux notre affectueux souvenir. 

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 mars 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 mars 1934.
Mon cher ami,

Je suis absolument de votre avis quant à la sottise des convertis. Pourquoi pas un air du mois là-dessus, ou une note ? Songez-y. (une « déclaration », ne serait-ce pas trop?)

Surtout, tenez-nous au courant, pour votre concours.

J'aurais voulu votre étude sur la treizième… un peu plus longue, plus probante. Elle est très belle, telle quelle et très saisissante.

Votre ami

J. P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (06 avril 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 06 avril 1934.

Paris – 22 rue de l’Abbé Grégoire. 6° 

Mon cher ami 

J’ai reçu votre carte avec plaisir. Nous ne nous somme absentés de Paris cette fois-ci. J’ai dû préparer mon « concours » éternel (mais cette fois il s’agit de son dernier aspect) qui a lieu les 9 et 10 avril.

Ici rien de neuf. J’ai vu quelquefois Michaux et Daumal chez Orestias

J’ai été très heureux de voir un poème dans la N.R.F. et je vous remercie encore de l’avoir fait paraître. J’ai reçu plusieurs n° de la Revue, mais non les tirages à part. L’article sur la conversion de Gide m’a intéressé. Quelle bonne volonté chez les marxistes quand ils ont décidé de reconnaître l’un des leurs là où il n’y a personne !

Ramon Fernandez est très touchant.

Croyez vous que le véritable héroïsme pour un « intellectuel » soit de s’arrêter de penser ? Il est évident que là est le nœud du drame en ce moment. Peut-être un sacrifice de cet ordre est-il indispensable pour les hommes de notre génération ? Nous devions un jour nous réunir pour nous poser cette question pressante, car l’abêtissement est essentiel à toute conversion, nous le savons. Et si nous ne nous convertissons pas, les pires cataclysmes nous guettent. J’aimerais avoir votre avis sur ce point.

Nous serons ravis de vous revoir le 20, si vous nous confirmez cette date. Cassilda et moi vous envoyons à tous nos affectueuses pensées. 

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (mai 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – mai 1934.
Mon cher ami,

C'est entendu pour Mercredi à déjeuner. J'écris à Supervielle.

J'espère que tout va bien se passer Lundi.

Votre ami

J. P.

(Vous recevrez 100 frs. pour les notes.)

J'attendrai la note sur le « livre des morts ». Où a-t-il paru ?

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 août 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 05 août 1934.
Mon cher ami 

Je vous envoie l’article promis sur le dernier livre de Supervielle. J’ai tenté d’en parler avec le plus grand « détachement » possible, c’est-à-dire en ne tenant compte ni du fait que Supervielle est mon ami, ni que sa poésie ne s’accord pas avec mes préoccupations personnelles. Je pense en avoir parlé avec honnêteté. Du moins vous voudrez bien me faire connaître votre sentiment à cet égard.

Avant de quitter Paris, j’ai eu une entrevue avec Pierre Abraham. Il devait chercher un chef de rubrique pour la littérature française, dans son Encyclopédie. Il m’a expliqué qu’en principe l’article sur la Poésie me serait confié, sous réserve de l’avis du chef de rubrique éventuel (x) qui, peut-être, voudrait se réserver pour lui la rédaction de cet article. Pierre Abraham devait me fixer définitivement par lettre à ce sujet. Je n’ai pas encore reçu sa réponse.

J’espère que tout ira bien, et surtout que je réussirai à établir les éditions de « Rimbaud et Mallarmé pour la Pléiade !

C’est à vous mon cher ami que je dois l’espoir d’accomplir tous ces travaux. Croyez que je en ai une bien profonde reconnaissance.

Cassilda est un peu fatiguée par l’air de la mer, trop rude pour elle. Aussi partirons-nous probablement demain. Peut-être resterons-nous q.q. jours dans un coin quelconque de la campagne bretonne. Rien n’est encore fixé ; de toutes façons veuillez m’ écrire désormais à mon adresse habituelle : 22 rue de l’abbé Grégoire. Pris (6°).

Que faites-vous ? Avez-vous beau temps ?  En attendant le plaisir de recevoir de vos nouvelles, Cassilda et moi vous envoyons à tous deux notre affectueux souvenir.

A. Rolland de Renéville

(x) Il pensait fortement à Thibaudet

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (08 août 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 08 août 1934.
Mon cher ami,

Il paraîtra, si tout va bien, dès Janvier, une revue de l’ordre de Commerce , trimestrielle, qui :

1. donnera 100 frs de la page.

2. aime tout ce que nous aimons ; recherchera des textes mystiques, des poésies obscures.

3. n’a pas encore de titre (l’on songe à Lettres, Métamorphose, Mesure , et….. - mais donnez-moi un nom.)

Songez-y un peu. Songez qu’elle aura besoin de vous.

(mais tout à fait secret encore).

 

2 Que faudrait-il donner : 1/ comme textes orientaux ?

        2/ comme textes de Saint-Martin ?

 

*

Il s’est mis enfin à faire beau temps. Mais nous allons rentrer. Le chapeau de Germaine fait merveille. Affections à tous deux

Jean Paulhan

T.S.V.P.

Vous avez trouvé vos notes dans la nrf . J'aime beaucoup celle sur Supervielle.

Abraham m’écrit que Th. se réserve la poésie. (Pour s’entraîner, il parle de Lautréamont dans la dernière R. de Paris .)

Le « Théâtre et la Peste » revu, et refait, est tout à fait beau. (Je ne le dis pas légèrement).

Avez-vous travaillé ?

Y a-t-il de nouveaux tatous ?

Connaissez-vous les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun ?

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (18 août 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 18 août 1934.

18 août 1934 

Paris  22 rue de l’abbé Grégoire (6°) 

Mon cher ami

Nous sommes à Paris depuis dimanche dernier. La ville est chaude et vide. Je regrette la mer.

Merci pour votre carte que j’ai trouvée ici. De Concarneau je vous ai envoyé l’article que je vous avais promis sur Supervielle. J’aimerais beaucoup savoir s’il vous est parvenu (je n’en n’ai [sic] pas conservé le double) et ce que vous en pensez ?

Le Figaro a publié mon interview, ainsi que celui de Marc Bernard (gentils et assez insignifiants bien entendu, surtout le mien qui frise l’idiotie par ma faute).

Dans Le Figaro d’aujourd’hui Thérive vous cite. Je vous envoie la coupure. J’y joins un passage d’un article assez amusant sur Malraux et ses découvertes archéologiques.

J’ai infiniment aimé Déchiré de Fargue, dans la Revue. Vraiment de l’excellent Fargue. Rien d’autre ne m’a retenu dans ce n°, à part le très bel article de Cingria sur Stravinski. La réponse de ce pauvre Scholzer est pitoyable. On souhaiterait après cela (et le reste) que Cingria soit désormais chargé des chroniques musicales de la N.R.F.

Le mariage de l’Infante aurait été charmant dans la Semaine de Suzette. Je l’ai aimé.

Mais vraiment le texte de Fargue fait de ce n° un n° exceptionnel.

Je ne sais pas encore si nous allons pouvoir en septembre passer q. q. jours à la campagne, si nous allons pouvoir nous installer dans un petit appartement. Cela dépendra du résultat de mes recherches, commencées aujourd’hui même. En quittant la mer et la campagne j’éprouve un vif accablement à retrouver la vie étroite, artificielle et mercantile de Paris. Ce sont surtout des amitiés qui m’y retiennent. Je me sens d’autant plus vivement que nous nous y retrouvons seuls en ce moment.

Le directeur d’Hermès voudrait que je constitue à Paris un groupe « Les Amis d’Hermès » capable d’apporter des collaborateurs intéressants à la revue qui en a bien besoin. Pensez-vous que nous puissions réaliser q. q. chose dans ce sens ?

J’ai fait quelque progrès aux échecs, mais n’ai pas eu l’occasion de prendre conscience du ping-pong qui me reste aussi mystérieux qu’à Groethuysen. A Vannes j’ai assisté à un tournoi régional de boules très passionnant où certainement vous auriez pu tenir une place importante, malgré la valeur de certains adversaires.

Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer dans les rues de Paris aucun nouveau Tatou. Le sens de la beauté se perd de plus en plus dans les Oiselleries comme ailleurs.

Je suis heureux d’avoir de vos nouvelles. Cassilda est moi vous adressons à tous deux notre plus affectueux souvenir.

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (octobre 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – octobre 1934.
Mon cher ami,

voici deux fauteuils pour le Casino. Si par hasard vous ne pouviez y aller ce soir, seriez-vous assez gentil pour me les retourner à temps.

Votre lettre est très passionnante. Merci. Que dire encore d’H. sinon que vous et lui avancez sur deux plans absolument étrangers l’un à l’autre (au point que rien de ce qui se passe sur l’un des plans de peut arrêter, ou seulement transformer ce qui se passe sur l’autre – tous deux au demeurant également vraisemblables. Il reste, bien entendu, que le sien est inférieur, et le vôtre supérieur.)

A bientôt.

J. P.

Artaud me dit que le « Comme il vous plaira » de Supervielle va être retiré de l’affiche.

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (16 octobre 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 16 octobre 1934.

Ministère de la Justice

11 rue de Sèvres  Paris

Mardi soir 16 oct. 34 

Mon cher ami,

À propos de notre discussion touchant l’interprétation du Sonnet des Voyelles un argument me vient qui renforce la répugnance que je ressens à admettre la thèse du collaborateur à la N.R.F. Le voici : en admettant pour un instant que Rimbaud se soit inspiré d’un alphabet illustré pour élaborer son poème, quel mobile a pu dans ce cas le pousser à ne choisir que les voyelles, au lieu de suivre l’ordre alphabétique des lettres ABC etc. dans son poème ? Ne me répondez pas qu’une énumération limitée était de mise dans un sonnet, car rien n’obligeait alors Rimbaud à n’écrire qu’un sonnet et non un long poème d’autre autre forme, ou même une succession de sonnets.

Que si l’on admet ma théorie qui est de ne pas séparer ce sonnet des autres recherches, et de l’œuvre totale du poète, ce choix, précis des Voyelles s’éclaire, et par contre coup illumine l’œuvre entière ;

Quiconque s’est penché le moins du monde sur les recherches des Kabbalistes à propos de la Parole, sait que les Voyelles comptent seules. Les Hébreux n’avaient tout d’abord pas le droit de les écrire, à cause de leur portée magique et incalculable. Plus tard, elles furent marquées en hébreu par de simples points. Relisez à cet égard St Martin ou Fabre d’Olivet. La portée magique et créatrice des voyelles sur quoi le système incantatoire de la magie (et particulièrement de la magie kabbalistiques) est fondée, ne pouvait manquer de retenir l’attention du poète occupé à composer une Alchimie du Verbe, à la suite de Baudelaire dont les fameuses correspondances, empruntées elles–mêmes à Swedenborg, nous font pénétrer dans le domaine des sciences secrètes.

Je crois sincèrement que le mouvement qui se dessine à l’heure actuelle en faveur d’une désintellectualisation » de Rimbaud n’est qu’un de traits de la tendance au moindre effort selon laquelle il est plus séduisant de penser que Rimbaud n’a rien voulu dire s’est content d’exprimer avec talent ses sentiments, comme tous les écrivains, plutôt que de laisser son œuvre nous poser une interrogation à laquelle ne peut guère répondre que notre angoisse.

A vous affectueusement 

André

N’oubliez pas de demander le Bardo, à A. Suarès.  Je voudrais écrire un article sur les états du Bardo comparés à ceux du Mangeur d’opium. Il y a là de curieuses analogies. 

Je n’oublie pas que je vos dois une réponse à la grande lettre que vous m’avez envoyée avant les vacances.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 octobre 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 octobre 1934.
Mon cher ami,

il existe un « Dictionnaire d’anecdotes » (chez Dorbon) qui vous serait utile, je crois. Il y a aussi les papotages médicaux de Cabanès. Peut-être quelque Dictionnaire de la conversation, et la grande encyclopédie (Mais je connais fort mal l’histoire. J'interrogerai Benda.)

*

Peut-être est-il d’autant plus difficile (et méritoire) au critique de dépasser la littérature qu’il l’a d’abord acceptée dans sa singularité. Mais je trouve, pour moi, vos notes excellentes.

*

Je connais bien ces textes de Mallarmé : ils ont un ton assez touchant, mais enfin la grandeur de M. est ailleurs – et je crois qu’il n’avait ni assez de patience, ni à un assez haut degré le sens de l’évidence nécessaire (ou, si vous aimez mieux, de la vérité) pour les pousser très loin – je veux dire jusqu’au point où libres du souci d’un poème à écrire, ils auraient valu pour eux-mêmes.

*

si vous veniez quelque jour perdre une heure perdre une heure à Châtenay, j’aimerais vous faire lire les quatre études (l’une inédite, les autres publiées par Commerce et la nrf ) où je tente (et j’y parviens, je pense) d’établir l’incohérence centrale de toute doctrine qui se fonde sur la distinction de la pensée et du langage ; par trois exemples : Lévy-Bruhl (et la sociologie), Valéry, Bergson.

J'ai assez bien travaillé, à la faveur de mes angines. Je pense pouvoir vous prêter bientôt les « xx Lettres à Monsieur H. sur l’usage d’un nouvel appareil à décrypter ». C'est, bien entendu, à la littérature que s’applique le décryptement.

(Savez-vous, à ce propos, que les seuls cryptogrammes absolument indéchiffrables , sont aujourd’hui ceux que fournissent les appareils. L'homme n’y parvient plus. Il n’y est, à vrai dire, jamais tout à fait parvenu.)

Quant à l’image….

*

Voulez-vous m’accorder :

1/ que, quelle que soit précisément la « vision » de l’écrivain, il est peut-être possible de la définir – et même de se la représenter par un progrès de définitions successives – mais certainement pas de se la représenter directement, naïvement.

2/ que dès lors aucune « figure » (image, style, etc.) ne peut valoir que par allusion à cette vision – et allusion grossière, plus ou moins éloignée. Dès lors cette « correction d’erreur » qu’est l’image ne serait-elle pas façon de donner à entendre (ce que chacun de nous sait profondément) que de la vie et de la vérité apparentes aussi l’écrivain sait passer à la vision…

Mais nous en reparlerons.

Votre ami
Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 octobre 1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 21 octobre 1934.

 Ministère de la justice

Mon cher ami

 Merci pour les places du Casino. Nous en avons profité, et je vous apporterai ces jours-ci une note pour l’Air du mois. (La Revue n’est pas bien merveilleuse, mais nous a divertis passablement). En attendant je vous envoie ma note sur Breton. Elle est assez dure, et j’ai hésité depuis des mois à écrire cela, mais je crois qu’il le faut.  Vous en jugerez, et vous me direz votre avis.

Nous sommes absolument ravis par le Musée des Sorciers que Madame Paulhan a bien voulu apporter pour Cassilda. Mais comment vous remercier de toutes vos bontés ?

À bientôt. Cassilda et moi adressons à tous deux nos affectueuses et reconnaissantes pensées.

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1934) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1934.
Mon cher ami,

Ce que vous dites est tout à fait intéressant, et, je pense, juste. (où Saint-Martin parle-t-il des voyelles?) Mais cela ne va point du tout contre la thèse d’Héraut : tout au contraire Rimbaud devait-il assez aisément admettre que l’alchimie du verbe, si elle avait chance d’être quelque part, sinon atteinte, approchée, ce devait être dans des albums d’enfants. Et nous pouvons tomber d’accord, je pense, sur ce point qu’il ne s’agit chez H. que d’une anecdote qui est sans aucune espèce de rapport avec le problème de l’ « intellecton  » de Rimbaud. Mais je continue à ne pas comprendre votre mauvaise humeur contre cette anecdote.

Affectueusement

Jean P.

J'aimerais bien pouvoir donner bientôt un article de vous dans la nrf . Songez-y.

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 janvier 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 janvier 1935.

 

j’ai été vraiment content aussi de vous revoir.

Il n’y avait, il me semble, que Baudelaire pour imaginer de glisser un Viennet et un Ponsard dans des Mystères galans.

Je vais me renseigner, pour Forti.

Les 3 vers de Péret me paraissent plats et faciles (ce qu’il y a d’assez fort dans les 2 derniers n’est pas du tout « sorti ».)

votre ami

Jean P.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (11 mars 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 11 mars 1935.
Mon cher ami,

Voudrez-vous être assez gentil pour faire envoyer un exemplaire de votre Rimbaud à André Suarès3 (11, rue de la Cerisaie Paris IVe) qui écrit en ce moment, lui aussi, un Rimbaud et voudrait connaître le vôtre.

Je tiendrais d’autant plus à ce qu’il pût le recevoir assez vite que c’est André Suarès qui va se prononcer sur les manuscrits soumis à la Bibliothèque Doucet….. (ceci entre nous.)

Votre ami

Jean P.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (02 avril 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 02 avril 1935.
Mon cher ami,

Je suis content de recevoir les Aphorismes de Candiani. Je vais les lire.

Vous savez que je compte ce mois-ci sur deux notes de vous : Tzara et Le Louët.

(Avez-vous appris la nouvelle scission surréaliste, et que Tzara, Char et Caillois se séparent de Breton ? On cherche une revue où publier le nouveau manifeste).

Affectueusement à vous

Jean P.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (17 avril 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 17 avril 1935.
Mon cher ami,

Je vous fais envoyer le Mallarmé de Mauclair : il y a tout au moins quelques belles lettres de Mallarmé.

Le récit de la liaison de Mallarmé avec Méry est assez parfaitement ignoble, le reste aussi. Je crois qu’une notule suffira.

Votre ami

Jean P.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (08 mai 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 08 mai 1935.

si, nous viendrons Vendredi.

À 1h. n’est-ce pas, comme toujours.

Votre ami

Jean P.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (04 juin 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 04 juin 1935.
Mon cher ami,

Dites-moi donc ce que vous entendez par vertu révolutionnaire de la pensée. Ou je me trompe fort, ou vous ne pourrez m’en donner aucune définition qui n’implique, au même titre qu’une révolution sociale, une révolution psychologique, physiologique, physique, enfin poussée aussi loin qu’il existe une synthèse phénoménale. Et puis, refus serait ici plus exact que révolution. Et anarchie , plus fidèle à votre pensée que communisme.

Votre ami

J. P.

Merci pour Aragon.

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (06 juin 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 06 juin 1936.
Mon cher ami 

Il me semble bien que les Fleurs de Tarbes attaquent le problème littéraire dans son centre, ce qui n’avait jamais été fait. C’est dans cette absence de détour que réside notre stupeur mêlée de malaise. Tant il est vrai que nous nous cachons à nous-même très soigneusement les seuls problèmes : on ne se lasse jamais de ne pas comprendre.

J’en viens à me demander si la pérennité des œuvres nommées classiques (elles ne vieillissent pas, a-t-on coutume de dire) ne s’explique pas en effet par le fait qu’elles ne comportent pas de fleurs. Racine refaisait une tirade au cours de laquelle un vers saillait, trop coloré, trop sublime. (Ce vers pour lequel les romantiques eussent donné le poème entier.)

La flétrissure qui atteint le plupart des œuvres romantiques, symbolistes, et contemporaines s’explique à l’inverse par le foisonnement de fleurs qui s’y contraste. Ces fleurs aussitôt que posées sous nos regards deviennent des lieux communs, c’est-à-dire des machines-à-penser-à-notre-place. C’est parce que l’on ne pense plus le lieu commun qu’il en est un. Sinon quelle plus jolie image que celle du tromblon qui je presse contre votre habit du grand siècle, lorsque je vous parle « à brûle pourpoint » ?

Ainsi donc mon cher ami, vous apportez dans une langue infiniment pure (Valéry s’il eut été subtil, secret, à triple fonds, eût peut-être écrit de cette sorte) une réponse éclatante à un problème qu’on osait [sic] pas se poser, celui de l’absolu dans l’art littéraire.

A bientôt

Cassilda et moi pensons affectueusement à vous deux

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (01 juillet 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 01 juillet 1935.
Cher ami,

voici ce que m’écrit H. Pourrat.

À bientôt

J. P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 août 1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 août 1935.

Où êtes-vous, mon cher ami ? Cassilda nous a vivement inquiétés, cette nuit, en venant en rêve nous apporter un hérisson avec de grands signes d’inquiétude, et même de frayeur. Mais elle n’en a pas dit plus long, et nous ne savons que penser.

Vittel n’est pas horrible, comme on le dit. Tout au plus, une rose et un palace de plus qu’il ne le faudrait. Mais les parcs sont pleins de prés, et s’achèvent dans des forêts de sapins. Que voulez-vous de plus que la nature.

Nous serons Lundi à Port-Cros. Je crois que j’ai assez bien travaillé ! Et vous ? Recevez tous deux notre amitié

Jean P.

Port-Cros, par les Salins d’Hyères (Var)

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1935) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1935.
Mon cher ami

J'ai d’excellentes nouvelles de Supervielle (pris dans la tempête à Mirmande) qui a écrit de très beaux poèmes, et de Michaux qui semble tolérer, à peu près, Verviers.

En effet, démenti terrible au marxisme. On offre à Mussolini tous les avantages économiques qu’il peut désirer (tout le monde sait ce que peuvent être des « conseillers techniques » auprès du négus) Pas du tout. Cet homme veut la guerre. Parce que c’est la guerre. Marx a bien raison de dire que les besoins de l’homme priment tout. Il devrait ajouter que le premier besoin de l’homme est d’être autre chose que marxiste. Quant à la « société anglo-américaine », la voilà déjà disloquée.

À bientôt. Et très affectueusement

Jean P.

ci-joint votre Nemrod. Je vous en pris : 1. Renvoyez-le.

            2. Rendez-le un peu actuel (pour qu’il ne semble pas ridicule de le donner à présent. Par exemple : les derniers fragments publiés de Nemrod permettent d’apercevoir l’idée d’ensemble etc.

            3. Renvoyez-le moi d’urgence. Merci.

Heureux de ce que vous me dites de R.D. et de vous.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (20 juin 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 20 juin 1936.
Mon cher ami 

La rigueur de votre analyse, sa méthode absolument scientifique en effet, puisqu’elle part d’un phénomène pour en préciser la nature, les modes d’apparition, et en proposer les lois, me ravissent. La parfaite adéquation du style et du sujet, je veux dire cette façon de tenir compte en cours de route des obligations, des « rameaux de pensée » qui à tout moment surgissent de l’analyse, constituera une extraordinaire réussite.

Je ne vous cacherai pas que les conclusions que je sens sourdre de votre œuvre désemparent. Sans doute est-ce là d’ailleurs le but qu’elles se fixent. Retourner la pensée fortifie.

Si je saisis bien la structure même de votre analyse, vous posez 3 termes 1° Le lieu commun (vous admettez que nulle distinction essentielle se s’impose entre lui et les fleurs de réthorique [sic]) 2° L’écrivain qui en useLe lecteur qui s’y heurte.

Vous constatez que le lieu commun est un assemblage de mots qui cesse de signifier ce que chacun de ses éléments veulent [sic] dire, et ce que leur ensemble désignait à l’origine. Vous admettez encore que la pensée de l’auteur traverse le lieu commun comme n’importe quel autre mot, sans paraître en souffrir, et en concluez que nous assistons peut-être (sûrement même) à la naissance d’un nouveau langage, chaque fois qu’un auteur use de lieux communs dans un sens particulier ; le lecteur qui voit le lieu commun là où, en fait, existe un mot nouveau, reste le seul responsable de la platitude dont il gémit.

Mais ne pourrait-on avancer, sans plus d’invraisemblance, que lorsque, par l’usage, un lieu commun prend corps là où se trouvait à l’origine une image, c’est, non pas à la naissance d’un mot nouveau que nous assistons, mais à la mort d’une expression que ses vertus ont quittée ? L’auteur qui aligne les lieux communs ne nous convie-t-il pas à passer en revue des cadavres, bien plutôt que des nouveaux nés ? Et si l’esprit de l’auteur habite un instant tel cadavre, sommes nous coupables s’il est seul à s’en apercevoir ? (Faut-il cesser de rire des spirites qui aperçoivent Jeanne d’Arc dans les vapeurs qui hantent une salle trop bien fermée ?)

Il se peut que l’on choisisse de donner tort à mes interrogations. Dans ce cas je devrai insister et vous demander pourquoi l’abondance des lieux communs dans une œuvre ne se trouve pas être jusqu’ici le critérium auquel vous vous tenez lorsque, très judicieusement, vous choisissez un texte, parmi d’autres, et pourquoi le point de vue de la Terreur vous rallie dans la pratique, alors que dans la théorie vos efforts tendent à le ruiner.

J’aimerais le 1er juillet lire un passage de l’Expérience poétique, et n’avoir pas, au moment de le lire, la parole le dernier. Je pourrai, si vous l’estimez nécessaire, dire encore à la fin quelques mots de conclusion, s’il en est une possible, je veux dire s’il en est une commune, pour (les) rallier les points de vue très séparés qui seront soutenus.

A vos deux affectueusement 

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (17 août 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 17 août 1936.
Chers amis

Je me sentais grandi en honneurs (comme dit André) par cette grande bibliothèque tournante avec encyclopédies à côté de moi. Mais tout se paie : il faut corriger quelque 1000 pages de Thibaudet, chercher en quelle année ont paru les Natchez, et qui était Œcolampade (ne cherchez rien, c’était un disciple de Luther). La pire humiliation, c’est qu’il m’arrive d’ouvrir l’Encyclopédie Quillet pour rien, pour voir ce qui s’y passe. Somme toute, le nombre de choses « qu’il faut savoir » est petit. Mais je résiste à la tentation. « Il n’y a pas de fin, dit l’Ecclésiaste, à faire tant d’étude, ce n’est que du travail que l’on se donne ».

Il y a aussi la T.S.F. qui vient justement de dire : « Vichy nous restitue, à quelques heures de Paris, à la fois Salzbourg et Bayreuth ». A part ça, je travaille assez bien.

*

Merci pour les notes. Très bien, mais pourquoi signer l’une et l’autre pas ?

Lisez-vous Yggdrasil  ? C'est une sorte d’Hermès français qu’inspire Schwab (mais bien inférieur, il me semble)..

Les nouvelles que je reçois d’Espagne sont effrayantes. Toujours se battre à mille, avec des pierres (et jusqu’à des cloches de moutons, dit Malraux) contre des mitrailleuses.

*

Cassilda, comment allez-vous ? Nous vous espérons bien guérie déjà.

Le Luxembourg, sympathique et assez placide. Si l’on se décide un jour à concentrer quelque part tous les gens qui veulent se battre, ceux qui croisadent du droit et de la liberté, ceux qui trouvent qu’il faut se rattraper de 1914, ceux qui dialectiquent matériellement etc. Luxembourg s’impose : c’est une montagne, tout entière en sapes, contre-sapes, galeries, anti-galeries, grottes, et la ville perchée là-dessus, sur une mince croute. De quoi se battre un an.

Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites de Bounoure. C'est assez ennuyeux ? Merci des coupures sur Gide, prodigieuses.

Je suis content que les Fleurs vous intéressent toujours. (Et que la déchéance des chapitres V-VI, enfin ce passage de la science (du point de vue de la connaissance- au pratique, à la cuisine, au jardinage ne vous ait pas horrifié. Mais il le fallait ; et puis il s’agit de cela que l’on ne peut vraiment connaître qu’après avoir été un peu roulé, bousculé, déchu par lui. Mais c’est pour plus tard.) A la vérité, j’ai besoin qu’elles vous intéressent.

Nos grandes amitiés pour vous deux

Jean Paulhan

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (12 août 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 12 août 1936.

11 rue Madame (6°)

Chers amis 

Nous sommes encore à Paris. Nous avons dû retarder notre départ car Cassilda est malade depuis 2 jours. Elle est d’après le médecin atteinte de cystite collibacillaire [sic], mal très douloureux, mais qui je l’espère ne s’installera pas , et ne va durer que q.q. jours. Du moins le médecin me l’assure.

Nous pensons, lorsque ce mauvais moment sera passé, partir à Digne, ou dans un village de cette région.

Je vous adresse la Revue des Revues que Jean m’avait commandée avant votre départ. Je ne sais si elle vous parviendra à temps pour le prochain n°. Je préfère ne pas signer le papier sur Hermès, ou alors il faudra en faire sauter mon nom. Le seul beau texte du Minotaure est celui de Breton, et il est assez beau pour qu’on le cite. Est-ce votre avis ?

Que faites vous, et où êtes-vous ? Très loin dans l’espace, ou dans la volonté d’absence.

J’ai aimé la façon dont Jean rend les armes à la Terreur après lui avoir arraché non seulement le couteau qu’elle portait entre les dents, mais encore toutes les dents qu’elle nous montrait… Il est heureux, il est important que de la rigueur soit introduite dans un domaine constitué depuis deux siècles par un enchaînement de malentendus, de lâcheté, et de confusions. J’attends la suite des Fleurs avec impatience.

De vos nouvelles nous feraient plaisir. Nous pensons à vous deux affectueusement.

A. Rolland de Renéville

11 rue Madame. Paris.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (02 septembre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 02 septembre 1936.
Mon cher ami,

je reçois votre lettre du 31 Août. Je suis ennuyé que vous ayez une telle déception. Qu'elle serve du moins à préciser entre nous deux ou trois points.

Il est exact que j’ai mis environ un mois à répondre à votre carte d’Anzay. est-ce là une négligence tellement grave ? Je la regrette – mais vous avez dû recevoir, il y a quelques jours déjà, ma réponse. Quant aux épreuves, je vous ai demandé plus d’une fois de me les rendre corrigées le plus vite possible.

J'en viens aux « multiples et ridicules fautes d’impression » qui vous ont désolé. Vous m’en citez quatre.

La première n’est pas une faute d’impression. Il est parfaitement correct d’écrire : « De grands récits… des histoires d’amour lui furent confiés  ».

La quatrième n’est pas non plus une faute d’impression. C'est moi, épouvanté par : « je me suis pris à méditer que le vrai poète... » qui ai ajouté un « songeant  » (qui est peut-être un peu plat mais qui du moins est correcte et clair).

Il me semble donc inutile de faire un erratum pour substituer à une expression correcte et claire une autre expression incorrecte (ou simplement tolérée).

Il est exact que j’aurais dû vous faire part de mes corrections. Votre éloignement l’empêchait, et je n’ai dû revoir votre note qu’au moment de donner le bon à tirer du numéro. J'ajoute que j’aurais de toute manière exigé de vous la correction. Il ne m’est encore jamais arrivé de modifier quoi que ce soit qui touchât au sens d’un article. Si insignifiante que soit une faute de français (et justement parce qu’elle est chose insignifiante) je désire qu’il n’y en ait pas dans la nrf . Quand vous écrivez, par exemple, « … elle s’est permise de faire... » je me tiens pour autorisé à changer permise en permis . Il me déplairait fort que nous eussions une discussion là-dessus : ce serait donner à la chose une importance qu’elle ne mérite pas. Si d’ailleurs cette suppression d’un e vous paraissait une atteinte intolérable à votre liberté, je m’assure que votre rupture avec la nrf ne changerait rien à notre amitié – qui a, en moi du moins, des bases plus profondes.

La seconde correction de l’erratum est tout à fait juste : instructif au lieu de instinctif est en effet détestable. La phrase d’autre part, offrait un sens suffisamment clair, et acceptable, pour que la faute pût m’échapper. Je ne vous demanderai jamais avec assez d’énergie de me renvoyer vos épreuves sitôt corrigées.

La troisième correction, tout à fait juste aussi. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. avez-vous encore en main les épreuves, et quel en était le premier texte ? La faute y était-elle déjà ?

De toute manière les « multiples et ridicules fautes d’impression » me semblent se réduire à une . Les « mots surajoutés d’une façon inopportune », à un également. Je vous accorde que c’est trop et qu’un erratum est, sur ces deux points, tout indiqué. Accordez-moi de votre côté, que votre désespoir est peut-être un peu exagéré.

Je vous serre amicalement les mains

Jean Paulhan

Voulez-vous accepter d’écrire une note sur les derniers livres de Michaux (dont la nrf n’a pas encore parlé) ?

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 septembre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 septembre 1936.
Mon cher ami,

Une note dont j’ai tout à fait besoin pour ce numéro-ci, c’est celle sur Sifflets dans le Temple . Envoyez-la moi le plus vite possible, je vous prie.

Affectueusement à tous deux

Jean P.

Chers amis,

Nous sommes, comme vous le voyez, toujours à Châtenay, ligotés par le travail et sans un brin de soleil pour nous réconforter. Mais nous allons partir pour le Jura où nous retrouvons la mère de Jean et ensuite, enfin, pour Port-Cros. Paris ne nous reverra pas avant le 10 Octobre. Quel été !

Passez de bonnes vacances et que Cassilda se remette tout à fait de ses fatigues ; et recevez tous deux mes plus affectueuses pensées.

Germaine

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (23 septembre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 23 septembre 1936.
Mon cher ami,

Merci. Mais pourquoi ne m’avez-vous pas renvoyé la note Schwab ? Je comptais bien la donner dans ce numéro.

Il va de soi que vous avez tout à fait raison. J'aime beaucoup le ton de votre note.

Ce que l’on offrait à Mussolini avant les négociations était plus que l’Angleterre n’a eu, pour commencer, au Transvaal, ni la France à Madagascar. Je ne pense pas que Mussolini ait, à ce moment, refusé par sadisme – mais, vraisemblablement à cause du prestige en soi d’une guerre, des souvenirs d’Adoua, (complexe d’infériorité italien, depuis Baratieri), etc. Pour le reste, ce que vous dites de l’économique est trop évident mais il y a aussi l’autre facteur.

À bientôt. Nous rentrons dans six jours. Amitiés à tous deux.

Jean Paulhan

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (07 octobre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 07 octobre 1936.

Ministère  la Justice

Mon cher Ami

J’ai bien reçu la fin des Fleurs que j’étais si impatient de lire, et vraiment je vois que j’avais bien raison d’être impatient ! C’est avec émotion que j’ai lu votre pensée aboutir à un lieu moral vers lequel obscurément je m’efforce d’atteindre à propos d’objets différents, ou plutôt en partant d’objets moins précis. D’un renversement de la pensée à l’autre, à travers les pages de votre livre, je ne m’étais à vrai dire jamais senti désemparé. Toujours l’impression d’être guidé avec certitude vers un but obscur comme le soleil me rassurait, tandis que vous obligiez mon esprit à suivre les grandes oscillations spirituelles qui caractérisent l’examen des contradictoires. En fait j’ai toujours pressenti ce grand schème de la dialectique rigoureuse, si subtilement voilé, mais implacablement suivi, dans les démarches que vous m’imposiez.  Tout de même ce pressentiment ne s’est pas mué en certitude sans emporter en moi la surprise d’une si éclatante réussite.

Ce qui particulièrement me paraît faire des Fleurs un grand livre c’est parmi beaucoup d’autres traits, que vous réinventiez la dialectique, vous nous la faite sentir nécessaire, grâce à un contrôle scientifique de chacune de vos assertions. Le hasard est à chaque mot chassé de vos acquisitions. Ce sont les oppositions, les résistances, que par moment l’on est tenté de vous offrir, qui vous deviennent des occasions de triomphe, et des arguments nécessaires à la conduite de vos recherches.  Vous partez d’un problème en apparence insignifiant « le lieu commun », celui auquel justement notre pensée ne songe guère à s’arrêter, pour reconstruire tout le drame des Lettres, et finalement celui de l’esprit humain. Cette méthode, qui consiste à retrouver le Tout dans l’infime, a fait à travers les âges toute la grandeur de ceux qui surent exploiter les ressources de la pensée.

Enfin il me semble que pour la première fois la rigueur scientifique fut vraiment appliquée dans un domaine que le sens commun livre à la fantaisie la plus lâche. Je ne vois chez Valéry que l’ambition qu’une telle application, et quelques tentatives.

Cette synthèse de trois démarches de l’esprit : la dialectique, l’analogie, l’induction et la déduction, constitue une éclatante nouveauté dont l’honneur vous revient, et qui devrait avoir, semble-t-il une longue répercussion dans le domaine de l’expression.

J’aimerais beaucoup, mon cher ami, écrire une étude sur les Fleurs lorsqu’elle paraîtront en librairie, si toutefois vous estimez que les réflexions qu’elles me suggèrent ne trahissent pas votre pensée.

Avez-vous pu croire sérieusement que je doutais de vous un instant ? De cela seul je pourrais vous en vouloir un peu.

Cassilda lutte corps à corps avec notre appartement. Elle n’a fini qu’aujourd’hui de peindre la n ème pièce. Je pense que dans un mois nous vivrons normalement dans la maison.

À bientôt mon cher ami

 Je vous serre les mains. 

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (septembre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – septembre 1936.
Bien cher ami,

Nous partons tout à l’heure.

Sur Kahn, ou à propos de lui, n’écririez-vous pas une page ? Je le voudrais bien.

(Cela pourrait s’appeler : « l’inventeur du vers libre meurt oublié dans un galetas du Quartier Latin ». Après tout, peut-être G.K. habitait-il aux Champs-Elysées.)

Que de gens profitent des vacances pour s’en aller, Kahn, Meillet, Marsan, etc. Toujours les mots que l’on prend trop au sérieux.

Affectueusement à vous deux

Jean P.
Port-Cros par les Salins d’Hyères (Var).

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (novembre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – novembre 1936.
Mon cher ami,

Votre lettre m’a été assez désagréable.

1. je n’ai pas l’habitude de vous mentir. Ce que je vous ai dit du Sens de la Nuit est exactement ce que j’en pense.

2. je n’ai pas l’habitude de vous faire attendre. Vos notes paraissent en général dans la nrf quinze jours après que vous me les avez remises. Votre article a paru dans Mesures un mois après que vous me l’aviez donné.

3. votre question est absurde. Je ne puis donner deux articles de critique générale dans un même numéro. Vous le savez comme moi. Or il ne m’a été possible de donner des Flerus de T. que onze pages le 1er Sept. Elles finissent le 1er Octobre.

4. je ne me traite pas mieux que vous, ni qu’aucun collaborateur de la nrf. Il y a huit ans que les Fleurs de T. ont été annoncées. J'aurais pu facilement les donner il y a quatre ans (je veux dire qu’elles me satisfaisaient à ce moment-là.)

5. cela dit, je suis aussi pressé que vous de voir paraître le Sens de la Nuit .

C'est tout, mais je désir que nous ne revenions pas sur ces questions.

*

Nous sommes toujours à Châtenay, tout de même avec l’espoir de partir dans quelques jours. Il y a dans l’ « Histoire littéraire » de Thibaudet un excellent Balzac , et un Baudelaire très correct. (parallèle entre les Fleurs du Mal , ou plutôt les Limbes et la Divine Comédie .)

Merci pour la note sur HM. qui me semble très juste.

Amitiés à tous deux

Jean P.

Pour moi j’ajoute :

1. Que Jean a l’intention de donner votre article le 1er Novembre (mais d’abord il peut arriver une chose imprévisible qui l’en empêche et il ne veut pas faire de promesse ferme ; puis votre insistance l’ayant un peu fâché il vous en ferait d’autant moins la promesse… mais c’est chose presque assurée (sauf mort d’un de nos collaborateurs ; sauf que nous soyons tous morts…) ;

2. On pourrait vous faire régler votre article d’avance, dans le courant d’Octobre.

Nous sommes bien fatigués et il nous tarde de partir.

Recevez nos pensées très affectueuses tous les deux ; et reposez-vous bien

Germaine

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.
Mon cher ami

Quel est le titre exact du poème de René Daumal : Contre Dieu, contre ciel  ? Dites-le moi le plus vite possible, je vous prie.

Votre Ami

 

J. P.

(je voudrais le citer dans notre memento des revues.)

Votre image est passionnante – mais comment la comprendre tout à fait, isolée du livre dont elle n’est qu’un chapitre. Quand me prêterez-vous le reste ?

affectueusement

J.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.
Mon cher ami

Où êtes-vous ? Je voudrais bien savoir si votre concours s’est bien passé. Écrivez. Nous pourrions fixer notre réunion au Dimanche 20 Avril ? Mais je vous écrirai d’ici là plus longuement.

Amitiés à tous deux

Jean Paulhan

Hôtel du Jura.

Mont.s. Vaudrey (Jura)

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (06 octobre 1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 06 octobre 1936.
Mon cher ami

Viendrez-vous Vendredi ? Je pourrai vous montrer un texte, qui vous intéressera. C'est une lettre de J.R. datée de 1923 et disant à la fois 1) qu’il laisse son Rimbaud inachevé 2) et que la thèse de Rimbaud mystique lui semble à présent inacceptable. Je pense la donner dans la nrf de Novembre.

Artaud a beaucoup d’admiration pour le « Musée Wiertz  », et son auteur.

Votre ami
J. P

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.

 

Chers amis

le grand agrément du paysage (ci-joint) est que la mer en descendant porte de deux à quinze le nombre des îles visibles. Mais nous avons épuisé ces voluptés ; et je me trouve d’ailleurs remis, ou peu s’en faut. Nous rentrons à Paris dans trois ou quatre jours. Vous nous donnerez des nouvelles : Daladier, entendu par hasard à la TSF était en train de dire que l’armée française était invincible, ce qui nous a fort alarmés. J'ai beaucoup songé à votre poème ; et assez avancé la seconde partie des Fleurs . Recevez toutes nos amitiés.

J. P.
Germaine

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.

J'écris à M. Festy (secrétaire de R. Gallimard) de vous remettre 800 frs pour le Sens de la Nuit .4

Mon cher ami

Nous sommes tout de même contents d’être enfin en vacances. Il ne fait pas trop de vent, et il s’arrange en général pour pleuvoir la nuit. Nous ne bougeons pas beaucoup.

Pourquoi Hermès ne ferait-il pas un n° sur la dialectique ? (avec les textes, introuvables en français). Ce serait aussi un grand succès.

J'aurais bien voulu vous envoyer la fin des Fleurs , mais je n’ai pu me retenir de la recommencer sur épreuves. Alors il était trop tard. (Mais je n’ai jamais eu plus besoin que vous la lisiez.)

A bientôt, il nous tarde de vous revoir. Vous ne m’en voulez pas, n’est-ce pas ? J'avais été assez malheureux à la pensée que vous doutiez de moi. Je vous serre les mains.

Jean Paulhan
Port-Cros (Var)
Amitiés à vous deux
Germaine

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.
Mon cher ami,

Merci. Je vais lire avec une grande joie le sens de la nuit (pour l’instant, il est à la dactylo).

Hier, discussion sur les dernières notes de la nrf . L'on vous reproche assez unanimement l’importance que vous donnez à des considérations métaphysiques – au prix desquelles le particulier , la différence de chaque poète s’effacent. L'on ajoute que – quelle que soit la valeur en soit de vos réflexions – leur place est plutôt dans un article que dans une note.

Nous sommes heureux des meilleures nouvelles de Cassilda.

Nous parlerons de « l’expression ». Mais si vous me posiez d’abord la question, par lettre.

Ami

J. P.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.
Chers amis,

Merci des notes (tout m’y semble parfait, et le poème de HM est bien beau – mais êtes-vous certain que le livre livre paraîtra avant le 1er Mai?). Je vais tâcher de donner Hermès le 1er Mai.

Il souffle ici un vent si amer et si égal que le « dehors » prend un sens très précis. (A Paris l’on se sent dans une pièce, le toit oublié.)

Ne m’en veuillez pas pour le « sens de la nuit ». 1) si la nrf l’avait déjà donné, Mesures , tant Ch. est jaloux, aurait refusé P. et M.  ; 2) j’ai pu, injustement d’ailleurs, faire passer P. et M. immédiatement, alors qu’il aurait dû attendre, pour passer après Bounoure ; 3) enfin le roman de Montherlant, que la nrf donne à présent, a des tranches trop longues pour que je puisse donner tout de suite le Sens de la Nuit (qui est relativement long).

Mais soyez sûr que je suis aussi impatient que vous de le voir paraître.

Mais nous rentrons. À un de ces jours.

Votre ami

Jean Paulhan

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1936.
Mon cher ami

ne pourriez-vous pas venir à la nrf demain vendredi vers 6h1/2 ? (Je voudrais vous présenter M. Macchia, qui écrit une thèse sur Baudelaire.)

Amitiés à tous deux

J. P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (17 mars 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 17 mars 1950.
Mon cher ami 

Je n’ai pu mercredi vous expliquer de façon suffisamment précise les raisons qui m’ont retenu d’apposer ma signature au bas de l’adresse collective parue dans Combat, à propos de l’attitude de la famille Artaud, envers les inédits et la correspondance d’Antonin.

Je ne crois pas que ma signature ait une importance suffisante pour qu’il soit nécessaire que j’explique mon attitude au public (qui ne s’apercevra pas de son absence) mais je tiens à ce qu’aucune équivoque ne puisse exister dans l’interprétation que, personnellement, vous pourriez être amené à vous en donner vous-même. L’adresse collective de Combat portait à la fois sur le droit des héritiers Artaud, et sur la qualité de leur attitude au point de vue moral. En ce qui concerne le droit, les rédacteurs de cette adresse se sont complètement trompés. Du fait de la mort d’Artaud, tout ce qui lui appartenait (livres publiés, livres inédits, textes de ses lettres) appartiennent désormais à sa mère qui est de droit son héritière directe, en l’absence de testament. Madame Artaud a le droit de faire ce qu’elle en veut par exemple d’empêcher la publication des inédits, et mieux encore de la correspondance. (Ceux qui ont reçu des lettres d’Artaud ne sont propriétaires que du papier et de l’écriture du poète, mais non du… contenu intellectuel de ses lettres).

On me dit : « Il y a un testament ». je ne l’ai pas lu (1). Les fragments qu’en donne Combat ne font aucune allusion à la correspondance… Le Code Civil est sans doute beau et absurde comme toutes les créations humaines (Camus dirait comme tout ce qui existe). Je n’ai pas à l’apprécier, car je ne suis pas législateur. Par contre j’ai accepté de consacrer la plus grande partie de mon existence à l’appliquer. Et dans les circonstances mes collègues, sinon moi-même, ( car s’il devait s’agir de moi, je me récuserai en raison de mes relations avec Antonin) vont probablement avoir à l’appliquer, tant donné le procès que la famille Artaud s’apprête à intenter… Je ne pouvais, vous le comprenez, signer, et par conséquent approuver, une adresse collective qui porte sur une grossière erreur de droit.

Pour ce qui est du point de vue moral, c’est bien autre chose. A cet égard je suis pleinement d’accord avec la pétition dont nous parlons. Si ce n’est que nous risquons de voir élever le débat : « Vous souhaitez donc, nous dira-t-on peut-être, que les œuvres d’un écrivain décédé soient arrachées aux familles stupides et alusives [sic], et soient considérées comme un patrimoine commun à l’humanité. Vous avez bien raison. Nous allons faire voter une loi qui donnera à l’Etat la propreté des œuvres littéraires, inédites ou non ». Dois-je insister pour vous montrer que cela nous mènera à une catastrophe bien plus grave encore ? Hitler et Staline sont là pour nous montrer que le fanatisme politique laisse bien loin derrière lui celui que les familles des petits bourgeois peuvent nourrir, et opposer un temps à la publication d’œuvres qui les épouvantent en même temps quelles les flattent à leur insu. Aragon laisserait-il paraître des inédits de Rimbaud ? Mais je crois qu’il les brûlerait. (Lire sa préface aux Poèmes politiques d’Eluard). Vous voyez que notre Code est un moindre mal… Nous lisons avec délices votre dernier livre. Je suis très frappé par ce qu’il y a de « créateur » dans votre style.

Mon cher ami nous pensons à vous deux bien affectueusement.

André

Je vous reparlerai plus longuement de vos admirables textes. 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 mars 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 mars 1950.
Mon cher André,

Vous avez absolument raison. Mais, si absurde en soi que soit la protestation, elle peut avoir un effet de masse , impressionner la famille, l’opinion, que sais-je. Enfin, c’est dans cet espoir que j’ai signé. (Pour vous, magistrat, la question était tout autre.) Affectueusement à tous deux, je suis bien content que ces causes vous plaisent.

Jean P.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 juin 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 28 juin 1950.
Mon cher ami,

Me permettez-vous de donner pour titre à votre étude : « D'une chronique miraculeuse » ?

Je vous en pris. Il nous faut éviter tant de « Note sur S.J.P. » - « Hommage à S.J.P. » etc..

A vous très amicalement

(à vous deux)
Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 juin 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 30 juin 1950.
Mon cher Ami

Mais oui « D’une chronique miraculeuse » est un très beau titre que je vous remercie de m’offrir. Evitons les « Hommages à… »

Si vous avez de la patience de lire les 3 pages jointes, vous y verrez que celui qui fait passer des extraits de presse dans le Bulletin N.R.F. est un petit traître, peut-être bien sans le vouloir tout à fait, mais enfin un traître : détaché du contexte, ma phrase sur Claude Roy est en effet ahurissante. Lorsqu’on lit le contexte, je crois que l’on voit très bien que ma chronique était bâtie sur l’équivoque exprimée par Claude Roy lui-même à propos de son titre : Le Poète mineur, c’est-à-dire celui qui travaille en profondeur, dans les « sentiments » mais qui reste un poète de second plan. Tout mon papier reprend cette opposition et en approuve les termes. En détacher 3 mots, c’est évidemment me faire passer pour un couillon, (mot noble devenu péjoratif).

Merci infiniment pour l’article sur l’écriture de Rimbaud. Je suis stupéfait de voir que cet autre graphologue dénie que l’écriture de Germain Nouveau apparaisse dans le Ms des Illuminations !

Affectueusement à vous deux

André R de R

Extrait d’une chronique

---

Claude Roy publie un recueil de poèmes en vers réguliers sous le titre le Poète Mineur. Il a souci de placer en exergue de son ouvrage la définition que le dictionnaire nous donne du mot mineur pris dans ses différentes acceptions, ce qui lui permet de jouer sur plusieurs sens et d’entretenir une équivoque dans l’esprit du lecteur : le mot mineur désigne n effet l’homme qui travaille dans les profondeurs, tandis que l’expression poète mineur a trait à un poète de second ordre. Claude Roy nous laisse entendre de la sorte que ses poèmes sont l’effet d’une méditation sur ses problèmes intérieurs, en même temps qu’il nous les présente avec modestie. Toutefois dans une note jointe à son volume, il nous révèle de façon explicite que le premier sens de son titre a toutes ses préférences : « Les sources du dedans d’où ces poèmes tirent leur eau (peut-être leur fraîcheur) écrit-il, ne sont pourtant pas à mes yeux, mineurs au sens restrictif du mot. Mais bien plutôt au sens où les mines sont profondes. »

Ainsi que l’a pressenti l’auteur, l’on trouve en effet beaucoup de grâce et de fraîcheur dans les Nocturnes, les Bestiaires et les poèmes d’amour du Poète Mineur. Ses alexandrins sont harmonieux, et souvent soulevés par un rythme de chanson que brode un jeu très fin d’images toutes colorées de fleurs et de flammes, tandis que les cris les et les pas d’une faune familière y retentissent. Toutefois l’admiration que Claude Roy professe pour Aragon et pour Supervielle le privent [sic] de se composer une langue et une mythologie qui nous eussent permis d’oublier celles auxquelles lui-même n’a cessé de songer. C'est là sans doute la réserve que Claude Roy fut le premier à faire sur ses poèmes en choisissant leur titre. Toutefois, il serait injuste de ne pas, à sa suite, apercevoir la profondeur et la sincérité des sentiments très purs qui s’y expriment. La reine des passions a pour effet de permettre à l’auteur de prendre de la distance à l’égard de ses maîtres : ses poèmes d’amour révèlent un véritable lyrique, en possession d’un chant personnel. C'est à partir des chants dédiés à Claire que Claude Roy nous apparaît comme un poète émouvant et profond.

---

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (06 juillet 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 06 juillet 1950.

 

Mon cher André

Je suis resté pas mal préoccupé des toiles de Cassilda.

*

C'est décidément de 26 à 28 pp. Que j’ai besoin. (Je vous ferai aussitôt envoyer un nouveau chèque de 10.000.)

Vous me les organisez bien en un petit article, n’est-ce pas ? Avec une introduction (à propos de Bouillane, sur la gravité de la question soulevée), et une conclusion. Quel titre ? Verlaine témoin de Rimbaud (?) ou…

J'en suis impatient.

*

à tous deux, affectueusement

Jean P.

chez M. Arland. Brinville. Par Ponthierry. SaM.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 juillet 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 14 juillet 1950.

Paris 11 rue Madame

Mon cher Jean

Je vous adresse par même courrier (en recommandé) l’extrait de mon livre que j’ai arrangé de façon à ce qu’il forme un ensemble. Sa longueur est un peu  plus de 32 pages, et je ne vois pas le moyen d’en retrancher quoi que ce soit sans le rendre incompréhensible. J’espère qu’il vous parviendra à temps. Je n’ai pas pu vous l’adresser sans délai, tant en raison des remaniements à y apporter, que du fait que j’ai traversé et traverse encore beaucoup d’ennuis à la suite de la mise en vente de notre appartement. Si nous ne l’achetons pas, nous risquons d’en être expulsés un jour  ou, l’autre, et serons contraints de nous défendre dans de nombreux procès. D’autre part pour pouvoir prétendre à l’acheter j’ai dû chercher des prêteurs, et à part un ami, j’en ai trouvé qui m’ont avancé la plus grande partie de la somme mais à un très gros taux d’intérêts. J’aurai donc le souci de les payer et de chercher à rembourser le capital…

C’est vous dire que plus mon « Verlaine, témoin de Rimbaud » vous paraîtra valoir cher, et plus vous me rendrez service.

Le livre entier aura sans doute pour titre « Pour dater les Illuminations », si toutefois vous l’approuvez. Je pense et espère vous le remettre à la rentrée pour M. Gallimard, et, si vous le jugez opportun, vous remettre aussi le manuscrit de mon livre d’études dont je vous ai parlé l’an dernier. J’espère que M. Gallimard pourra donner sur ces deux livres une avance qui me permettra de commencer à rembourser mes dettes. (Il faut un commencement à tout !)

Nous souhaitons que vous et Germaine ayez beau temps pendant votre séjour, et profitiez bien de ce repos si agréable en compagnie des Arland. Nous espérons que Germaine a bien supporté les fatigues de ce déplacement, et que l’air de la campagne lui fait du bien.  Transmettez lui bien toutes nos affections, et dites lui que nous pensons à elle, et parlons d’elle et de vous bien souvent. Nous regrettons de n’avoir pu la voir avant son départ.

Cassilda vous reste bien reconnaissante des magnifiques orchidées (les unes après les autres, les boutons se sont épanoui, parfois en 5, parfois en six pétales. Il y a certainement de la Kabbale là-dedans, comme on disait au XVIII° s.)

Veuillez dire toutes nos amitiés bien vives aux chers Arland. Nous vous adressons à tous deux nos fidèles pensées.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 juillet 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 juillet 1950.

 

Cher André

Merci. Votre étude me paraît parfaitement juste, et rigoureuse.

Je suis content que vous n’ayez plus d’inquiétudes du côté de l’appartement. Mais il est vexant de chercher de l’argent, encore que l’on espère, avec la baisse, rendre moins qu’on n’a emprunté*. (J'ai dû me livrer à cet exercice récemment, notre maison ayant eu besoin d’un nouveau toit. Ah, je vous souhaite bien de bonheurs, jeune propriétaire**.)

Nous sommes seuls ici, les Arland en Auvergne.

Avec toute notre affection pour tous les deux

Jean P.

Connaîtrez-vous un connaisseur de Pernety et Grabianca ?

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 juillet 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 27 juillet 1950.
Mon cher André

Voici de nouveaux commentaires de Maurice Delamain, qui me paraissent assez sérieux.

Mais êtes-vous encore à Paris ?

à tous deux, affectueusement

Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 juillet 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 31 juillet 1950.

Paris 11 rue Madame (6°) 

Mon cher Jean 

Merci de m’avoir communiqué la lettre (que je vous retourne) de Delamain si amusante et intéressante. Je vois que Delamain reproche à Bouillane d’avoir déclaré « éclatant » l’e des verbes allemands, qui est en réalité celui « d’un expéditionnaire ou d’un sergent-major ». Je vais être obligé de prendre à cet égard la défense de Bouillane : pour ce dernier il ne peut y avoir de type plus éclatant que le sergent-major et l’expéditionnaire, car sa propre écriture révèle qu’il réalise en lui l’harmonieuse synthèse de l’un et de l’autre. En faisant indirectement son propre éloge, il n’a donc jamais été si loin du contre sens…

Je ne connais pas de spécialiste de Pernety. Peut-être pourriez-vous écrire à M. Rouillé directeur de la librairie Véga Bd St Germain : il connaît la plupart des occultistes, et paraît d’ailleurs, en retirer une certaine tristesse.

Nous sommes encore à Paris, mais en partons jeudi 3 août pour Vendôme où nous comptons passer 15 jours auprès de mon oncle paternel. Nous descendrons à l’hôtel, car il est vieux et ruiné  ne peut nous recevoir, mais vous pouvez m’écrire chez lui jusqu’au 17 août environ : A.R.R. chez M. Jean Rolland 16 Place Saint-Martin, Vendôme (Loir et Cher).

Je suis bien content que mon texte ait votre assentiment car tout l’essai est dans le même sens et devrait donc vous plaire. Tout ce que je peux dire c’est que je crois avoir rendu relativement amusant un sujet ennuyeux pour ceux que la question ne fanatise pas.

Votre théorie monétaire me parait malheureusement juste. L’emprunt consiste évidemment une sorte d’escroquerie. Empruntez donc, et comportons-nous en chef d’Etat.  Ce qui tempère mes remords c’est que si je dois gagner sur l’argent que l’on m’a prêté, je vais perdre sur le chèque que vous ne m’avez pas envoyé. Plaisanterie à part, il me suffira que vous le remettiez à la rentrée, si cette remise ne doit pas risquer de se confondre avec l’avance que Gallimard me fera éventuellement, s’il accepte d’éditer le livre. Je pense qu’il ne pourra y avoir de confusion à cet égard ?

Je vois que pour Delamain, il faut être quelque peu « cinglé » pour avoir chance d’écrire des vers originaux. Mais alors que de poètes !… C’est là un préjugé tenace. Beaucoup de jeunes gens ont attendu pour admirer Artaud qu’il écrive MERDE à toutes les lignes. (C’est d’ailleurs un signe en faveur de leur excellente éducation, puisqu’ils n’en reviennent pas d’une telle audace.)

Ce qu’il y a de vrai dans leur conception c’est probablement que l’homme normal doit oublier, ou mieux méconnaître, l’existence possible d’une activité de luxe. Vous écrivez le Bateau ivre ? Il vous faudrait un gardien. Vous vous livrez  à la contrebande d’armes ? Vous devenez un personnage officiel.

Mais cette ignorance de toute activité de luxe est-elle bien le fait de l’homme normal ? Il ne faut pas moins que toute l’armature policière de l’U.R.S.S. pour empêcher les Russes d’écrire des poèmes d’amour.

Vous pouvez dire à Delamain qu’à la page 172 de sa thèse Bouillane indique qu’il a obtenu de Mme Lucien Graux « l’autorisation demandée » de reproduire l’Illumination dans laquelle il a reconnu l’écriture de Germain Nouveau. Curieux que maintenant il fasse état de réserve si particulière de Mme Graux, d’autant qu’elle lui a laissé  reproduire par ailleurs tout ce qu’il a voulu. L’âme des sergents majors a des recoins.

A vous deux bien affectueusement

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 août 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 08 août 1950.

Vendôme (Loir et Cher)

16 Place St Martin

Mon cher ami

Je reçois à l’instant votre mot me réclamant mes épreuves. Je pense que vous devez avoir en main ces dernières que je vous ai mises à la poste ici samedi 5 août par pli recommandé. Pas mal de corrections tout de même. Toutefois je n’aperçois pas de correction à faire aux vers de Verlaine (je n’ai que mon texte sous les yeux, il est vrai.) Je vous signale que Crimen amoris est écrit en vers de 11 pieds et non en alexandrins. Peut-être en lisant rapidement un des vers, l‘avez-vous cru faux parce qu’il n’avait que 11 pieds ? quant à Don Juan pipé, il est écrit en vers de 10 pieds. Je ne vois nulle part l’expression d’entre à introduire dans l’un de ces poèmes… (Ennuyeux d’être éloignés l’un de l’autre, et de n’avoir aucun livre sous la main ici !)

Je suis vraiment bien ravi que mon texte paraisse précis et convaincant, et qu’une seconde lecture ait accru votre bonne impression.

Nous pensons affectueusement à vous deux

André

Au cas où ma version du vers que vous avez pensée devoir corriger serait la bonne, j’espère que vous aurez le temps d’écrire à l’imprimeur pour la faire rétablir ?

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (09 août 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 09 août 1950.
Cher André

Il s’agissait du vers :

Or le plus beau d’entre tous ces mauvais anges

(Vous aviez oublié d’ajouter entre , et le vers était faux).

De plus, dans Don Juan pipé  :

Sans qu’un instant hésitât son audace

(et non hésita ).

A part ça, j’ai rajouté quelques ^ (vous ne les aimez pas : c’est, je pense pour n’avoir pas l’air magistrat.) Par exemple :

p. 19. il est vraisemblable qu’il eût fait subir à Crimen amoris… etc.

Nous pensons bien souvent à vous deux

 

Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (13 août 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 13 août 1950.

Vendôme 16 place St Martin 

Mon cher Jean

En effet, vous avez mille fois raison : j’ai corrigé rapidement ces épreuves, et je n’avais pas les textes sous les yeux. J’ai passé trop vite notamment sur les citations de Verlaine, et suis stupéfait qu’en particulier le d’entre m’ait échappé !

J’avoue que mes accents circonflexes, et même tous mes accents sont trop souvent absents… Je n’irai pas jusqu’à invoquer hypocritement l’influence du latin pour m’en excuser. Quant à vouloir faire magistrat… Je crois que vous prêtez trop à la profession.

Nous avons ici beaucoup plus de bruit encore qu’à Paris, car notre chambre donne sur un garage que les touristes et passagers emploient toute la nuit Dans quelques jours nous tenterons de trouver une auberge à la campagne. Bien que Michaux m’ait prévenu qu’il allait à la campagne pour « entendre le bruit »…

Je pense qu’en septembre nous regagnerons Paris afin de pouvoir travailler un peu. J’espère que de votre côté vous êtes bien installés, et que vous pouvez travailler au 2° volume des Fleurs ? Nous souhaitons que Germaine se trouve bien de son séjour à la campagne, et nous vous adressons à tous deux nos fidèles pensées.

André

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (24 octobre 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 24 octobre 1950.

11 rue Madame

Mon cher Ami 

J’ai pensé à votre jeune ami Rivière qui cherche une situation, et en ai parlé à Madame Rosafy dont le mari est propriétaire de la fabrique de meubles « Oscar ». Elle m’a dit que M. Rosafy cherchait actuellement 1° un vendeur qui serait chargé de tenir un stand dans les foires et expositions tant de Paris que de province 2° un directeur commercial pour le siège de Paris. M. Rosafy aimerait d’ailleurs former lui-même ce directeur commercial (avant de lui conférer ce titre et ces fonctions), il accepterait d’engager un jeune homme pourvu qu’il soit intelligent, actif, et débrouillard. Si votre protégé se sent ces 3 qualités, et ne répugne pas à prendre une situation commerciale qui de vendeur le conduirait peut-être à devenir directeur commercial, il peut s’adresser de ma  part à M. Rosafy, Meubles Oscar, 11 rue Tronchet, en téléphonant d’abord à Anjou 05-02 pour prendre rendez-vous avec lui.

Je me permets d’autre part de vous adresser le projet de pétition dont je vus ai parlé, et qui serait de nature à faciliter la naturalisation de Jean de Boschère5… Si vous mêmes et les membres de votre Comité, ainsi d’ailleurs que tous autres écrivains, pouviez signer sans trop de retard cette pétition (dont vous pouvez bien entendu changer les termes, pourvu que le mot estime n’y soit pas changé en exécration !) je pourrais à mon tour la joindre au dossier avant la décision finale.

Cassilda très fatiguée par le changement de saison s’excuse de ne pouvoir actuellement aller voir Germaine à laquelle elle pense beaucoup et adresse ses affections.

Tous nos amitiés pour vous deux 

André R de R

Ne manquez pas je vous prie de me réserver un exemplaire du faux n° de vos Cahiers qui contient le texte de Briand, pour ma collection, et bien entendu en toute discrétion.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (13 novembre 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 13 novembre 1950.

 

Viendrez-vous ? Cela me semble assez passionnant ?

amitié

Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 décembre 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 05 décembre 1950.

Paris 11 rue Madame  

Mon cher ami 

Jean Catesson me prie de vous soumettre une chronique qu’il vient d’écrire sur le Proust de Briand, et dans laquelle il a exposé un point de vue médical, en même temps que littéraire. Il aimerait la voir paraître dans les Cahiers de la Pléiade. Au cas où elle vous paraîtrait ne pas convenir à vos Cahiers, je vous serais reconnaissant de bien vouloir écrire vous-même à Catesson pour lui dire ce que vous pensez de son texte (adresse : Dr Jean Catesson, Sanatorium des cheminots. Champrosay par Draveil- Seine-et-Oise).

Dans cette dernière hypothèse vous pourriez peut-être proposer sa chronique à une autre revue, telle que 84, ou autre ? Et agir en conséquence. Merci en tout cas de ce que vous pourrez faire pour ce vieil et excellent ami d’enfance.

Cassilda se joint à moi pour vous adresser à tous eux nos affections

A. Rolland de Renéville

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (19 décembre 1950) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 19 décembre 1950.

persName : Rolland de Renéville, Cassilda

persName : Paulhan, Germaine

persName : Jaujard, Monsieur

persName : Boschère, Jean de (1878-1953)

placeName : 11 rue Madame, 75006, Paris

19 dec. 1950

11 rue Madame 

Mon cher ami 

Le Service des Naturalisations (17 rue Scribe) attend pour naturaliser Jean de Boschère d’avoir reçu l’avis du Ministère de l’Education Nationale, récemment consulté à ce sujet. En effet le Service des Naturalisations (fort bien impressionné par notre pétition) désire se faire « couvrir » par un avis favorable officiel de l’organisme compétent, puisqu il s’agit d’un écrivain. Le fait que Bosschère soit sans postérité, et ait attendu d’être âgé de 72 ans pour présenter sa demande implique en sa faveur une mesure absolument exceptionnelle qui ne peut lui être accordée que si le Ministère de l’Education Nationale admet qu’il a rendu service à nos Lettres, et par conséquent à la propagande française. Il paraît que c’est en fait M. Jaujard qui doit donner son avis, et répondre au Service des Naturalisations. Puis-je vous demander d’écrire, dès réception de ma lettre, un mot à Jaujard pour provoquer de sa part un avis favorable, et en même temps rapide ?

Entre nous le pauvre Boschère est dans une situation atroce : misère absolument complète, alité à la suite d’une hémorragie intestinale, et attendant fébrilement sa naturalisation pour obtenir ensuite… la retraite de vieux. Bien entendu ne soufflez pas mot de ce que je vous confie car ce serait de nature à empêcher sa naturalisation, étant donné que cette dernière n’aura d’autre effet que de faire tomber Boschère à la charge de l’Etat français. J’ai déjà pu obtenir la promesse que la naturalisation lui sera accordée sans droits de Sceau. Mais tout dépend maintenant de l’avis de Jaujard. Je vous remercie à l’avance de ce que vous pourrez faire de ce côté là.

À bientôt mon cher ami.

Cassilda se joint à moi pour vous adresser ainsi qu’à Germaine notre plus affectueux souvenir

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (16 mars 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 16 mars 1951.
Cher André

Voici le passage :

« … nous autres physiciens avons coutume de nommer causes célèbres celles des causes que nous décelons, dont l’effet est paradoxal ou du tout attendu... »

(R.P. Paulian S.J., Manuel de Physique à l’usage des gens du monde )

*

Je suis vraiment content que vous aimiez les Gardiens . A tous deux affectueusement

Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (20 mars 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 20 mars 1951.

persName : Rolland de Renéville, Cassilda

persName : Paulhan, Jean (1884-1968)

persName : Mallarmé, Stéphane (1842-1898)

persName : Diderot, Denis (1713-1784)

persName : Paulian, R.P

persName : Bousquet, Joë (1897-1950)

persName : Bettencourt, Pierre (1917-2006)

refTitle : Les Gardiens, Jean Paulhan, Paris, Mercure de France, 1951

20 mars 1951 

Mon cher ami

Je vous remercie de m’avoir adressé le passage du R. P. Paulian (un de vos parents ?) concernant les « causes célèbres ». Je vous demanderai demain mercredi, de bien vouloir me donner de vivre voix la date de l’ouvrage, et le nom du libraire-éditeur de l’époque. Comme je pense citer tout cela dans un « papier » que je médite d’écrire pour le Service culturel des A. E. J’espère, ( je crois) qu’il ne s’agit pas cette fois-ci d’un ouvrage imprimé par Bettencourt… dont le nom, il est vrai, sent bien son XVIII° siècle).

Oui, les Gardiens m’ont ébloui (et aussi Cassilda). Trouver une nouvelle forme de conte, un mode inédit d’exposition, n’est pas une petite chose ! J’ai suivi avec une très grande admiration votre démarche parmi tous ces pièges que vous évitez avec une aisance et une grâce qui les désignent implicitement, et les abolissent.

Un roman de 200 pages écrit par vous serait un extraordinaire chef-d’œuvre. N’y avez vous jamais pensé ?

Diderot, Mallarmé, Paulhan, constituent une trinité qui devrait donner mauvaise conscience à beaucoup de nos contemporains, les empêcher de dormir.

Qu’elles sont belles, aussi, ces images, à la fin de votre hommage à Joe Bousquet !

A vous deux affectueusement

André R. R.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (24 mars 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 24 mars 1951.
Cher André

Si vous passiez mercredi prochain à la nrf, vous trouveriez le portrait de Rimbaud

et, je pense, Enid Starkie de passage à Paris.

Affectueusement à tous deux

 

Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 mars 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 29 mars 1951.

Paris 11 rue Madame (6°) 

Mon cher ami

Voici la copie (que vous pouvez garder) de la chronique que j’ai tenté d’écrire sur les causes célèbres. Je ne me dissimule pas tout ce qu’elle a de simpliste et de limité par rapport à un art et à une pensée aussi subtils, aussi divers que les vôtres. Je ne suis même pas certain d’avoir mis le doigts sur l’un des ressorts de votre livre, et je ne voudrais pas vous avoir trahi en vous comprenant mal, ou en isolant abusivement l’un des aspects de votre démarche. Aussi je n’enverrai pas cette chronique au service culturel des Affaires Etrangères (auquel je le destine) que si vous me dites, en toute simplicité, que je peux le faire.

Relu votre texte des Cahiers de la Pléiade. Eh ! oui, c’est vous qui avez raison, et moi que ne raisonnais (de travers) que sur une première lecture trop rapide. Ce que dit Mallarmé dans La Musique et les Lettres ne s’oppose nullement à vos remarques. Pouvons-nous convenir, vous et moi, avec lui, que le poète tend à réinventer à son propre usage un langage (dans la langue), et que tel nouveau mot qu’il trouve est constitué par « un vers entier » (probablement d’origine onomatopéique) ? Voici l’une des assertions de Mallarmé : « Le tour de telle phrase ou le lac d’un distique, cités sur notre conformation, aident l’éclosion, en nous, d’aperçus et de correspondances.

Dire que nous assistons chez le vrai poète à un effort de création d’un langage est sans doute hasardé, mais comporte une part de vérité. Le poète est l’un des rares « primitifs » que nous ayions encore l’occasion d’ observer.

Merveilleux, comme toujours mais de plus en plus, votre style dans ces pages !

A vous deux bien affectueusement.

André

Dans Combat de jeudi un article par trop ignoble et bête de Saillet sur Rimbaud expliqué par l’exemple de Genet !…

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (03 avril 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 03 avril 1951.

 

Cher André

J'ai bien eu tort de me laisser entraîner un instant sur le terrain que j’étais le mieux décidé à éviter. Tout ce que j’ai dit dans ce petit essai, c’est que certains des arguments, dont usent vos amis, ne font guère qu’illustrer une surprenante (mais précieuse) illusion de langage. Quant à la question même que vous soulevez, eh bien votre solution me semble fort sage, et j’espère qu’elle trouvera un jour les preuves qui jusqu’ici semblent lui manquer. Mais il s’agissait pour moi de toute autre chose Me direz-vous qu’en critiquant les preuves que se veut telle ou telle doctrine, c’est à la doctrine elle-même qu’on paraît s’attaquer ? Mais non ! Et c’est un service à rendre à une opinion que de la débarrasser des faux arguments qui risquent de l’entraîner un jour dans leur ruine.

*

Rhétorique : voici ce que je voulais dire : Ce que l’on reproche (le plus justement du monde) depuis 150 ans aux rhétoriqueurs et néo-classiques, c’est qu’ils sont :

1. faux

2. abstraits

3. banals.

Remarquez que les Rhétoriqueurs modernes se sont en quelques façons partagé la besogne : Valéry assumant la défense du faux (« l’écrivain est toujours un faussaire »), Benda l’apologie de l’abstrait (cd. Discours cohérent ), Alain celle du banal (par le biais de l’étymologie : le plus banal étant, si l’on relève ses origines, le plus surprenant.)

De sorte que me voilà bien forcé de m’attaquer à chacun d’eux, successivement.

Affectueusement à tous deux

Jean P.

P.S. - De m’attaquer… Enfin, je veux dire d’analyser, de décortiquer leur raisonnement. Bien sûr cela aboutit à trouver à la base des illusions (une illusion différente pour chacun d’eux). Mais enfin, des illusions – comme il arrivait pour la Terreur – aussitôt corrigées (ou plutôt compensées). Et quel est le raisonnement, après tout, qui ne se fonde sur une illusion rectifiée ? (D'où je me vois conduit, – mais vous le soupçonnez déjà – à former certaine logique critique...)

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (10 avril 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 10 avril 1951.

11 rue Madame (6°) 

Mon cher ami

Si vous pouvez écrire à Lucien Descaves en sa qualité de membre de la Commission Paritaire du Travail, pour lui demander d’accueillir la demande de retraite que Jean de Boschère a formée devant cet organisme (à titre de vieil homme de Lettres) vous pouvez maintenant le faire utilement. En effet vous pourrez indiquer en même temps à M. Descaves que Boschère, belge d’origine, vient d’être naturalisé par décret du 16 mars 1951, publié au Journal Officiel du 25 mars 1951.

Pour tout renseignement complémentaire M. Descaves peut faire écrire à Jean de Boschère 184 rue Nationale – La Châtre (Indre).

Merci de votre belle note en forme de lettre. Votre ouvrage sera passionnant et magnifique. Il faut le terminer le plus vite possible.

« Mes amis… » ? mais ce sont tous les poètes de l’antiquité, et ensuite tous ceux du romantisme et du symbolisme. De nos jours je crois bien que je suis presque le seul essayiste (et en tous cas le premier) à avoir tenté d’esquisser en corps de doctrine l’ensemble de leurs affirmations. Il est vrai que depuis Whal, Béguin et quelques autres, ont pris ma thèse à leur compte, ou tout au moins ses principaux éléments.

« Des illusions… » Oui, bien sûr, l’univers est peut-être lui-même un rêve Dieu. Notre conviction d’exister, nos désirs, nos pensées, nos convictions sont des illusions. Le Bouddhisme prend l’illusion universelle comme point de départ de sa doctrine. Et dans les Lettres à Cazalis, Mallarmé se réfère au Bouddhisme.

Il est vrai que je fais glisser là votre conception de l’illusion par rapport à la raison, à une conception métaphysique de l’illusion. Mais la démarche philosophique est une chaîne sans fin. L’on ne peut s’arrêter à l’un de ses chaînons.

Sans doute avez-vous dû ressentir, chemin faisant, la tentation de noter que l’illusion des rhétoriqueurs est moins favorable à la création artistique que celle de leurs ennemis. Et cela paraît si vrai que l’on en vient à ausculter avec délices et stupeur les créations des êtres que la raison a quittés, ou n’a pas encore gagnés. (Art brut)

J’avoue que c’est là une vue pragmatique, et non pas tout à fait une justification. Mais elle doit rendre malaisée l’élaboration d’une logique critique qui se tiendrait à égale distance des deux partis ruinerait leurs justifications respectives. Sans doute est-ce d’ailleurs ce que vous pensez en écrivant : « Et quel est le raisonnement, après tout, qui ne se fonde sur une illusion rectifiée ? »

Nos plus affectueuses pensées à tous deux

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1951.
Cher André6

J'ai bien eu tort de me laisser entraîner un instant sur le terrain que j’étais le mieux décidé à éviter. Tout ce que j’ai dit dans ce petit essai, c’est que certains des arguments, dont usent vos amis, ne font guère qu’illustrer une surprenante (mais précieuse) illusion de langage. Quant à la question même que vous soulevez, eh bien votre solution me semble fort sage, et j’espère qu’elle trouvera un jour les preuves qui jq [jusqu’]ici semblent lui manquer. Mais il s’agissait pour moi de tt autre chose. Me direz-vous qu’en critiquant les preuves que se veut telle ou telle doctrine, c’est à la doctrine elle-même qu’on paraît s’attaquer ? Mais non ! Et c’est un service à rendre à une opinion que de la débarrasser des faux arguments qui risquent de l’entraîner un jour ds leur ruine.

*

Rhétorique : voici ce que je voulais dire : ce que l’on reproche (le plus justement du monde- depuis 150 ans aux Rhétorrs et néo-classiques, c’est qu’ils sont :

faux

abstraits

banals.

Remarquez que les Rhétor. Modernes se sont en qq. façon partagé la besogne : Valéry assumant la défense du faux (« l’écrivain est touj. un faussaire »), Benda l’apologie de l’abstrait (cf. Discours cohérent ), Alain celle du banal (par le biais de l’étymologie   : le plus banal étant, si l’on relève ses origines, le plus surprenant.)

De sorte que me voilà bien forcé de m’attaquer à chacun d’eux, successivement.

Affectt à tous deux

P.S. De m’attaquer … Enfin, je veux dire d’analyser, de décortiquer leur raisonnement. Bien sûr cela aboutit à trouver à la base des illusions (une illusion différente pour chacun d’eux). Mais enfin, des illusions – comme il arrivait pour la Terreur – aussitôt corrigées (ou plutôt compensées). Et quel est le raisonnement, après tout, qui ne se fonde sur une illusion rectifiée ? (D'où je me vois conduit, mais vous le soupçonnez déjà, à former certaine logique critique...)

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 avril 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 30 avril 1951.

Paris 11 rue Madame (6°)

Mon cher ami 

Je vous adresse quelques poèmes de Marc Eideldinger –qui s’occupe des Éditions de la Baconnière à Neuchâtel et y a publié un hommage à A. Breton auquel vous avez collaboré. Marc Eideldinger me prie de vous transmettre ces poèmes dans l’espoir que vous lui donnerez votre avis à leur propos, et au cas où ils vous plairaient que vous envisagiez de les retenir (ou q. q. uns d’entre eux) pour les Cahiers de la Pléiade. Il s’agit de pièces extraites d’une plaquette qu’il aimerait d’autre part voir paraître aux éditions de la N.R.F.… si votre avis et favorable.

Il me semble que ces poèmes –s’ils acceptent franchement leurs influences – sont  harmonieux et transparents, et nous délassent de ceux qui traînent après eux le fatras surréaliste… les petits vers de la fin me paraissent les meilleurs.

A vous deux bien affectueusement

André

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 mai 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 21 mai 1951.
Mon cher ami

Voici la copie dactylographiée qui me reste de ma chronique sur Les Causes célèbres. J’ai reporté sur l’exemplaire, les corrections que vous avez bien voulu m’indiquer. (Elles ne figurent pas sur la présente copie qui ne reproduit que mon texte primitif.)

Je me permets de vous soumettre d’autre part quelques sonnets sur lesquels votre avis me sera, vous le savez, très précieux. (Vous connaissez d’ailleurs le dernier). Si j’ai hésité quelque temps à vous les montrer, c’est que je ne me dissimule pas le mélange d’audace et de naïveté que comporte mon ambition d’instituer une vision par rapport à laquelle le sens philosophique doit tenir seulement la place d’une ombre – mais la tenir en sûreté. Quant au langage, je recherche une pauvreté que je voudrais dressées contre les ruses contemporaines… Tout cela ne va pas évidemment sans quelque « solennité étranglée »… Enfin vous verrez…

Nous vous adressons à tous deux nos affectueuses pensées 

André

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 mai 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 29 mai 1951.
Mon cher ami

Je m’aperçois que la version que je vous ai envoyée d’un de mes sonnets « La Vision de Cassandre » contient une incorrection grammaticale : il faut lire à la place du dernier tercet : 

Et mon regard plongé dans le futur perçoit,

Quand sera retombé l’éclatement solaire,

Le tour noir qui tiendra la place de la terre.

D’ailleurs ne vous sentez nullement gêné pour me parler de ces tentatives peut [sic] convaincantes dont la maladresse ne m’échappe nullement ! 

Je voudrais seulement que vous ne conserviez pas cette version fautive que je vous ai envoyée, et dont j’éprouve de la honte.

Affectueusement à vous 

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (11 juin 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 11 juin 1951.
Mon cher André

Quel jour puis-je venir vous voir ? Voulez-vous Jeudi prochain, vers 6h1/2. (Je viendrai, sauf contre-ordre.)

Bien impatient de voir le portrait.

*

Je rentre de Venise. Saint-Marc serait de l’opéra s’il n’y avait pas les palais, tout de même rongés par l’eau, et cet extraordinaire espace humain des rues (sans une seule auto, bicyclette ou autre mécanique.)

*

Vos poèmes me préoccupent, me touchent, m’émeuvent (pour la même raison). On est un peu inquiet devant tant de splendeur. Pourtant, les escaliers rongés aussi sont là.

A jeudi, et affectueusement

Jean P

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 août 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 28 août 1951.
Cher André

Je reçois une lettre mystérieuse de Boschère. Il paraît (et il en serait tout le premier surpris) qu’il serait question de lui pour la distinction la plus éminente… (Est-ce du prix Nobel qu’il s’agit ? Dites-le moi, je ne sais trop que lui répondre.)

J'ai reçu Plaintes contre inconnue . N'est-ce pas bien décevant ? (- et tout de même, de loin en loin, saisissant). J'en reste tout embarrassé.

Nos vacances n’ont pas été bonnes. Sceaux était encore trop loin pour Germaine qui ne s’est remise – mais nous voici à quelques jours du retour – ni du voyage, ni de l’installation.

Mais vous ?

Affectueusement à tous deux

Jean P.

Nous sommes en pleine tempête. Les arbres tourbillonnent, et le Pavillon de l’Aurore perd ses ardoises

3 av. de Fontenelle – Sceaux – (Seine)

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 août 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 31 août 1951.

Paris 11 rue Madame  (6°) 

Mon cher ami 

Nous sommes rentrés hier soir après avoir passé le mois d’août à Vernon (Eure). Et en rentrant je trouve votre amicale carte et aussi votre « Petite préface à toute critique ». L’une et l’autre nous font le plus grand plaisir. Mais notre joie est hélas ! très gâtée par ce que vous me dites de la fatigue ressentie par Germaine à la suite de son déplacement ! Nous espérons que le fait de se retrouver dans son cadre familier et de retrouver le rythme habituel de sa vie la remonteront vite. En tous cas nous prenons la plus vive pat à vos épreuves à tous deux, et nous n’avons à cela guère de mérite, car s’il est inhabituel à l’être humain de se mettre à la place de son prochain, la vie nous a apporté toutes les occasions d’être compréhensifs.

A Vernon, Cassilda a reçu de sa sœur une lettre qui lui a causé le plus grand chagrin, car il résulte de termes prudents et ambigus qui y sont employés par le beau-frère de Cassilda – seul soutien des autres membres de la famille – a été arrêté et déporté vers une destination inconnue, sans aucun autre motif que sa qualité d’ancien employeur. (Mais gardez cela pour vous je vous en prie, sinon ses autres parents seraient arrêtés !) Je ne sais rien du tout au sujet de Jean de Boschère. Mais je suis surpris que le Prix Nobel puisse le surprendre : il faut qu’il ait une longue habitude de l’injustice.

J’ai fait avec votre livre, ce que l’on ne doit jamais faire : je n’ai pu résister hier soir, à le commencer par le milieu, c’est-à-dire le chapitre sur Rousseaux (André). Merveilleux !… S’il avait un peu de sens (mais alors il ne serait pas A.B.) il vous répondrait peut-être que c’est parce qu’il est incapable d’être un écrivain qu’il a opté pour la critique. Et que s’il devait en être autrement, il n’y aurait pas du tout de critique sur terre, ce dont les écrivains seraient bien navrés. Il pourrait même tenter de tirer à lui l’exemple de cet excellent expert en navigation qui n’avait jamais vu la mer. Mais là, il aurait tort, car il ne sait pas non plus comment on écrit.

Je vous parlerai de votre livre lorsque je l’aurai lu vraiment, c’est-à-dire après l’avoir pris par la première page. En attendant je voudrais que vous me disiez (si vous en avez le temps) ce qu’il faut penser de l’emploi de ne dans une phrase affirmative, et s’il faut s’abstenir absolument d’un tel emploi ou non. Je n’ai jamais été très fixé à cet égard, mais mon oreille aime le ne. Vous écrivez p. 61 : « … il était à craindre qu’un nouveau coup de mer les projetât dans les drosses du gouvernail. » Etait-il possible ou non d’écrire « ne les projetât » ? Vous avez fait exprès de ne pas le faire. Pourquoi ? Je m’excuse de vous demander ce petit conseil de style, mais il y a là une question qui m’a souvent inquiétée, lorsqu’il m’arrive d’écrire.

A Vernon j’ai pu travailler et beaucoup avancer mon livre sur Rimbaud et ses témoins.

Mon cher ami nos vous adressons à tous deux nos affection bien vives. 

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (01 septembre 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 01 septembre 1951.
Cher André

Les deux sont en général admis par les grammairiens (qui marquent cependant une préférence pour le ...ne )

Il me semble que « … les projetât » (sans ne ) est plus effrayant. On les voit projetés. (sans ce ne , si intellectuel, si restrictif.)

Mais peut-être ne faut-il pas effrayer son lecteur.

*

Je suis peiné de ce que vous me dites du beau-frère de Cassilda.

À bientôt, et affectueusement

Jean P.

Ne pourrions-nous pas décider quelque romancier ou poète (de préférence célèbre) à déclarer publiquement : « J'étais si incapable d’être un critique que je me suis résigné à devenir romancier. » (On le paierait, au besoin.)

Très content des bonnes nouvelles de votre travail.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (19 septembre 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 19 septembre 1951.

Paris 11 rue Madame 

Mon cher Ami

Je vous remercie de votre dernière lettre, et de que vous m’avez dit à propos de l’emploi de ne dans la phrase affirmative.

Je vous envoie une citation extraite d’un livre de H.-G. Wells L’Île du Dr Moreau, dans lequel l’auteur s’efforce de mettre en scène un chirurgien qui s’efforce de transformer des animaux en êtres humains, mais n’y parvient qu’imparfaitement. Assez toutefois pour créer un poète tel que, me semble-t-il, vous l’entendez, ou craignez d’avoir à l’entendre dans la plupart des cas. Mais si la littérature repose sur une erreur, cette erreur est peut-être sacrée… un peu comme celle que Dieu a commise en créant le monde. En tous cas sans cette « erreur » nous serions privés de tout ce que nous aimons.

J’ai lu avec beaucoup de  joie et d’intérêt votre Préface. La joie pour le style merveilleux, l’intérêt pour les idées. Je ne peux encore me rendre compte de ce que sera la conclusion générale que vous serez amené à déduire de toutes vos découvertes, lorsque vous aurez achevé Les Fleurs de Tarbes II. Appliquer la méthode scientifique à l’analyse d’un phénomène qui prétend inventer à tout moment ses lois, me paraît une entreprise passionnante, héroïque, mais qui risque d’aboutir à l’anéantissement de son objet. Après tout pourquoi pas ?

Une seule remarque au passage : en assurant que si l’enfant invente une image pour désigner une chose, c’est qu’il ignore le mot qui lui est réservé, il me semble que vous faites bon marché de ce qu’on nomme la « mentalité primitive ».

Peut-être pourrait-on également vous taquiner en vous faisant remarquer que vous considérez comme hors de la critique la position dualiste au regard de laquelle la chair et l’esprit, le mot et la pensée sont des entités tout à fait séparées, bien que devenues inséparables. Évidemment Rimbaud paraît avoir opté pour une position inverse lorsqu’il écrit : « Toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra » (je cite de mémoire).

Mais moi je ne vous taquinerai pas à ce propos, parce que je ne sais plus du tout qui a raison.

Nous partons tout à l’heure pour Vendôme (Loir et cher) Hôtel du Lion d’or, où nous resterons sans doute jusqu’au 30 septembre. Je viens de terminer au Palais de Justice les 15 jours de vacation qui m’étaient dévolus, et je dois maintenant aller rendre visite à mon oncle paternel dans cette petite ville balzacienne.

Pendant notre séjour à Paris nous avons reçu la visite de Michaux qui a voulu voir les toiles de Cassilda. Il m’a paru vraiment sincère en les admirant beaucoup, et en insistant sur leur originalité, ne pouvant les rattacher à une source quelconque. (Cassilda ignore elle-même d’ailleurs sa source, mais assure seulement qu’il s’agit de peinture dirigée.)

Nous serions heureux de savoir que Germaine est remise de la fatigue due à ses déplacements. Nous pensons bien à vous deux, et vous adressons notre affectueux souvenir.

André

Cassilda est bien heureuse car elle a appris que son beau-frère avait été relâché, ce qui est un véritable miracle. Mais tout arrive !

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (16 octobre 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 16 octobre 1951.
Mon cher André

La Bque Doucet voudrait d’urgence une petite préface de vous pour l’exposition Germain Nouveau qu’elle prépare. Aussi courte que vous voudrez. Mais vous acceptez, n’est-ce pas ? Ils vous en prient.

Ils, c’est Marie Dormoy

6 r. Paul-Appell (14)

Gob. 14.40

Je suis grippé, et couché.

Je vous serre tout de même les mains à tous deux

Jean P

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (31 octobre 1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 31 octobre 1951.
Mon cher ami

je me remets à Marguerite de Bassiano, pour Botteghe Oscure  :

Armide

Pénélope

St. Germain des Prés

et je garde pour les Cahiers  :

Tête

Contrée

Cassandre

(je crois bien que ce sont les trois que je préfère.)

si vous y consentez. Affectueusement à tous deux

Jean.

Je vais mieux et je crois que je recommencerai d’ici deux jours à sortir comme tout le monde.

Les tableaux de Cassilda : si l’on en faisait une exposition à l’(ancien Art Brut), qui pourrait coïncider avec un « Jeudi G.G. » ? Il me tarde de voir les nouveaux.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1951) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1951.
Mon cher André

je vous remettrai Sucre jaune , quand vous viendrez à la revue. (Mercredi?)

et la galerie Nina, Dausset (où a exposé Dubuffet) ? Elle est petite, mais très sympathique. Si vous voulez bien, nous y passerons un de ces soirs.

Amitiés pour tous deux

J.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (17 janvier 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 17 janvier 1952.

Paris 11 rue Madame

Mon cher Jean

Je n’ai pas pu vous écrire hier, et c’est pourquoi je vous envoie ce pneu. Votre Lettre aux Directeurs de la Résistance est non seulement d’un très grand écrivain, mais encore et ce qui est mieux, d’un Juste. C’est dire que par rapport à notre époque, elle ne peut que surprendre. Pour moi ce texte a encore accru (ce que je ne croyais pas possible) mon admiration et mon affection pour vous.

Votre ami

A. Rolland de Renéville

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 mars 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 mars 1952.

 

Cher André

il m’est décidément impossible de venir demain, pardonnez-moi. (Les enfants sont obligés de sortir, et je ne puis laisser Germaine seule.) Mais si vous voulez bien, à la place, Lundi ou Mardi ?

affectueusement

Jean P.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 04 avril 1952.
Mon cher ami 

Voici l’article (que vous pouvez conserver) sur la langue de la Cour de Cassation.

J’y joins ceux de la polémique Breton – Camus que j’avais oublié de vous restituer (ce dont je m’excuse) !)

Vu hier le justificatif du Mont Analogue de René Daumal. Très bien, mais : 1° sur la couverture on a imprimé : Récit véridique après la mention : Préface de Rolland de Renéville… au lieu de faire figurer cette mention après le titre de l’ouvrage et 2° on a ajouté (horreur !) un point après le mot ultime de la phrase inachevée sur laquelle le livre devait rester, tragiquement, en suspens. De sorte qu’il ne s’agit plus d’une phrase inachevée mais d’une phrase incompréhensible.

Merci pour la photo superbe ! Cassilda est ravie, et moi aussi. Très Diderot – Laclos – Grimm »

Nos affections à vous deux

André

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 05 avril 1952.
Mon cher ami

J’ignorais que vous aviez la sciatique !… J’en ai eu une moi-même autrefois, et seul l’homéopathie m’en a délivrée. C’est pourquoi je vous communique l’adresse du médecin qui obtint ce résultat : Docteur Boulin

37 rue Washington Paris

Elysées 06-28

(L’allopathie n’a guère de remède, à part l’introuvable cortisone. Mais si vous en trouvez, n’hésitez pas bien entendu…)

Rien à faire pour faire sauter le point malencontreux à la fin du Mont Analogue, m’a dit Ferry, qui en rejette la responsabilité sur Véro, et assure qu’il ne peut songer à un « erratum » désormais.

Il n’est pas absolument nécessaire d’avoir la foi pour être guéri par l’homéopathie : moi je n’y crois pas du tout ; mais ne me soigne qu’en l’utilisant, et chaque fois elle me guérit.

Affectueusement 

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (08 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 08 avril 1952.

 

Cher André7

Merci. C'est un texte bien précieux pour moi. Sur Stéphane, laissez-moi compléter ma réponse.

*

I. St. dit que l’illégalité du gouvt Pétain « n’est niée par personne. » Je réponds en lui citant un communiste (Hervé), un conservateur chrétien (Mauriac), un radical (Herriot) qui tous trois tiennent Pétain, de 40 à 44, pour légal. Que veut-il de plus ?

*

II. Mais les juristes, me dira-t-il, le tiennent illégal. Non. Ils se divisent en quatre groupes, dont les uns (Bonnard) le tiennent pour légal et légitime, les autres (Waline) pour légal et illégitime, les troisièmes pour illégal et légitime (Laferrière), les derniers (Cassin Vedel) pour illégal et illégitime. Tous, sur d’excellents arguments.¹

*

III. Je prends même l’argument de Vedel, dans son Manuel de droit . Il s’appuie sur deux faits : 1. Pétain, chargé par l’Assemblée Nationale de promulguer une nouvelle Constitution s’est borné à promulguer des actes constitutionnels. 2. Pétain, invité par l’Assemblée Nationale à faire ratifier sa Constitution, n’a jamais réuni les Chambres qui seules étaient à même de lui donner cette ratification.

Il m’est difficile de prendre au sérieux ces deux arguments :

1. Comment réunir les Chambres, comment faire des élections avec la moitié de la France occupée, avec l’absence de deux millions de prisonniers ? Pétain ne pouvait guère qu’attendre.

2. La décision de l’A.N. invitait Pétain à promulguer, « par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution ». Eh bien, il a pris précisément ces actes, attendant – étant bien forcé d’attendre – pour promulguer et faire approuver sa Constitution complète, la fin de la guerre. Aucune date, au surplus, ne lui était fixée .

¹.Tous d’ailleurs, sont professeurs de Droit, et auteurs de Manuels de Droit Constitutionnel qui font autorité.

 

Ceci vous paraît-il léger ? Mais non. Où les spécialistes (en fait, les juristes) divaguent en tous sens, c’est au premier venu, à « l’honnête homme », de prononcer8 .

 

*

IV. Mais je veux même admettre que l’argument de Vedel est décisif, et que le gouvernement Pétain est devenu, à compter du 11 Juillet, illégitime : simple gouvernement de fait . Il est de tradition constante dans le Droit français qu’un tel Gouvernement, s’il n’a pas le droit de faire des actes de disposition garde le droit et le devoir de faire des lois et des règlements d’administration lesquels deviennent obligatoire dès leur publication dans le Journal Officiel (décret du 5 Nov. 1870). Donc (et c’était toute la question) dans le cas même où l’on tiendrait Pétain pour illégal, les officiers, les magistrats, les fonctionnaires et les agents de Vichy continuaient, du strict point de vue légal, à lui devoir obéissance : tout au moins jusqu’au 26 Août 1944, date à laquelle le J.O. passe aux mains de Gaulle.

Voilà. Il me semble que je n’ai rien oublié.

Affectueusement à tous deux

Jean

Mais vous semblerait-il absurde de dire : il arrive sans doute que les juristes soient en complet désaccord (cf. §II). C'est un désaccord grammatical, qui porte sur le sens d’un terme, sur la portée d’une loi, sur la pérennité d’une interprétation. Ainsi les grammairiens disputent, à perte de vue, s’il est ou non correct (légal) d’employer, par exemple, l’expression : malgré que [je me sois efforcé de…] ou : défense de faire appel à quiconque  : mais, sitôt que Chateaubriand, ou Buffon, ou Valéry a employé cette expression, eh bien, on admet qu’elle est correcte : qu’elle est entrée dans l’usage. Ainsi, je voudrais proposer d’admettre que l’interprétation de la loi, donnée par un grand Ministre, peut faire, dans un cas douteux , autorité, et qu’en fait, dans ce cas-ci, il suffit pour donner à Pétain qualité de gouvernement, de ce mot d’Herriot, écrit le 16 Août 1944 : « M. Laval, chef du gouvernement. »

(Je vois bien qu’ici je voudrais innover. Mais comment faire autrement, quand les spécialistes – en fait, les juristes – sont en désaccord?)

J'aurais évidemment dû exposer tout cela plus patiemment, plus longuement. À vous

J.

Je songe beaucoup aux toiles de Cassilda. Vraiment, plus préoccupé chaque jour par ce qu’elles ont d’unique .

Merci pour l’indication homéopathique. Mais :

1. je suis condamné à la chambre pour 21 jours.

2. ma sciatique tient à un affaissement (par décalcification) de la colonne vertébrale, compliqué de becs de perroquet. (Ce que montre très nettement la radio). J'ai bien peur qu’en de tels cas l’homéopathie ne soit guère plus efficace que n’a été l’acuponcture. Affectueusement

Jean P.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1952.

 

Cher André

Merci. C'est un texte bien précieux pour moi. Sur Stéphane, laissez-moi compléter ma réponse.

I. St. dit que l’illégalité du Gouvernement Pétain « n’est niée par personne. » Je réponds en lui citant un communiste (Hervé), un conservateur chrétien (Mauriac), un radical (Herriot) qui tous trois tiennent Pétain, de 40 à 44, pour légal. Que veut-il de plus ?

II. Mais les juristes, me dira-t-il, le tiennent illégal. Non. Ils se divisent en quatre groupes, dont les uns (Bonnard) le tiennent pour légal et légitime, les autres (Waline) pour légal et illégitime, les troisièmes pour illégal et légitime (Laferrière), les derniers (Vedel) pour illégal et illégitime. Tous, sur d’excellents arguments (I).

III. Je prends même l’argument de Vedel, dans son Manuel de droit . Il s’appuie sur deux faits : I. Pétain, chargé par l’Assemblée Nationale de promulguer une nouvelle Constitution s’est borné à promulguer des actes constitutionnels. 2. Pétain, invité par l’Assemblée Nationale à faire ratifier sa Constitution, n’a jamais réuni les Chambres qui seules étaient à même de lui donner cette ratification.

Il m’est difficile de prendre au sérieux ces deux arguments.

1. Comment réunir les Chambres, comment faire des élections avec la moitié de la France occupée, avec l’absence de deux millions de prisonniers ? Pétain ne pouvait guère qu’attendre.

2. La décision de l’A.N. invitait Pétain à promulguer, « par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution ». Eh bien, il a pris précisément ces actes, attendant – étant bien forcé d’attendre – pour promulguer et faire approuver sa Constitution complète, la fin de la guerre. Aucune date, au surplus, ne lui était fixée .

IV. Mais je veux même admettre que l’argument de Vedel est décisif, et que le Gouvernement Pétain est devenu, à compter du 11 Juillet, illégitime : simple gouvernement de fait . Il est de tradition constante dans le Droit français qu’un tel Gouvernement, s’il n’a pas le droit de faire des actes de disposition , garde le droit et le devoir de faire des lois et des règlements d’administration lesquels deviennent obligatoire dès leur publication dans le Journal Officiel (décret du 5 Nov. 1870). Donc (et c’était toute la question) dans le cas même où l’on tiendrait Pétain pour illégal, les officiers, les magistrats, les fonctionnaires et les agents de Vichy continuaient, du strict point de vue légal, à lui devoir obéissance : tout au moins jusqu’au 26 Août 1944, date à laquelle le J.O. passe aux mains de Gaulle.

 

(I) Tous d’ailleurs, sont professeurs de Droit, et auteurs de Manuels de Droit Constitutionnel qui font autorité.

 

Voilà. Il me semble que je n’ai rien oublié. Affectueusement à tous deux

Jean.

Mais vous semblerait-il absurde de dire : il arrive sans doute que les juristes soient en complet désaccord (cf. II). C'est un désaccord grammatical, qui porte sur le sens d’un terme, sur la portée d’une loi, sur la pérennité d’une interprétation. Ainsi les grammairiens disputent, à perte de vue, s’il est ou non correct (légal) d’employer, par exemple, l’expression : malgré que [je me sois efforcé de…] ou : défense de faire appel à quiconque  : mais, sitôt que Chateaubriand, ou Buffon, ou Valéry a employé cette expression, eh bien, on admet qu’elle est correcte : qu’elle est entrée dans l’usage. Ainsi, je voudrais proposer d’admettre que l’interprétation de la loi, donnée par un grand Ministre, peut faire, dans un cas douteux , autorité ; et qu’en fait, dans ce cas-ci, il suffit pour donner à Pétain qualité de gouvernement, de ce mot d’Herriot, écrit le 16 Août 1944 : « M. Laval, chef du Gouvernement. »

(Je vois bien qu’ici je voudrais innover. Mais comment faire autrement, quand les spécialistes – en fait, les juristes – sont en désaccord?)

J'aurais évidemment dû exposer tout cela plus patiemment, plus longuement. À vous

J.

Je songe beaucoup aux toiles de Cassilda. Vraiment, plus préoccupé chaque jour par ce qu’elles ont d’unique .

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (22 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 22 avril 1952.

Paris 11 rue Madame

Mon cher ami

Le photographe d’Arts est venu hier accomplir fidèlement sa mission, et a photographié 6 toiles ! les portraits de Mondor, de « M. Godeau marié », de Supervielle, de Cassilda et moi (le plus récent), le Nu (Muse) et les paysage : chemin de fer et Faubourg. Comme vous avez déjà la photo de votre portrait et de celui de Germaine, il n’a pas cru devoir en  refaire une autre. Le tout sera prêt pour samedi.

Notre ami Lambrichs se déclare très enthousiasmé par la peinture de Cassilda… Et le photographe d’Arts aussi.

Bien content que Mme Jouhandeau ait renoncé à crever le portait de Mme Godeau !

Je vous envoie par la poste un paquet d’invitations. (Vous pourrez ne conserver que celles que vous ne distribuerez pas).

Je vous redis toute la gratitude de Cassilda et la mienne.

Nous sommes navrés de savoir que vous souffrez toujours. Votre médecin vous donne-t-il les vitamines recalcifiantes dont on dit grand bien ? J’ai pensé aussi aux grains de blé germé. Enfin je regrette que vous n’essayiez pas de mon célèbre homéopathe Dr Boulin 27 rue Washington (Elysées 06-28), qui use aussi d’ailleurs des derniers progrès allopathiques. Il est vraiment très épatant.

Nous pensons à vous deux très affectueusement 

André

Si vous ne retenez pas (ce qui est probable) l’essai sur Zumthor sur l’origine supposée des lettres, mettez-le moi de côté ; je vous prie.

T.S.V.P.

Je suis chargé par lui de le placer.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 mai 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 02 mai 1952.
Mon cher ami 

Nous sommes navrés de vous savoir plus souffrant à la suite d’imprudentes tentatives de sortie. Cassilda espère que sa peinture n’en n’est [sic] pas responsable, et que vous aviez d’autres motifs de déplacement que celui de revoir des toiles que vous connaissiez. Du moins c’est ce qu’elle se dit pour se rassurer, et ne pas ajouter le remords au chagrin de vous savoir en proie à une nouvelle crise.

Pour ce qui et de la note que vous pensiez faire, n’en parlons plus.

S’il est vrai que quelques lignes de vous eussent eu pur Cassilda une grande importance, il va de soi qu’il est beaucoup plus important pour elle de ne pas vous ennuyer.

Puisque vous ne ferez pas la note en question, Cassilda, qui admire les peintures et les écrits de Dubuffet (lequel se trouve actuellement à Paris) me prie de vous demander si vous pourriez user de votre amitié avec lui pour lui demander de la faire ?

En vous souhaitant un prompt rétablissement mon cher ami, nous vous adressons, ainsi qu’à Germaine, notre affectueux souvenir.

André

Cassilda a eu raison de « raser » le portrait de vous (que vous aviez vu) : il prend bien meilleure allure.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (24 mai 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 24 mai 1952.

 

Mon cher André

voici le papier dont je vous parlais hier. D'ailleurs fort décevant.

Affectueusement à tous deux

Jean

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (12 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 12 avril 1952.
Mon cher André

Oui, je serais content que vous veniez un de ces matins, vers 11h.1/2. Est-ce que lundi ou mardi par exemple ? (Si oui, ne me répondez pas.)

*

Tout ce que je voulais dire revenait à peu près à ceci : où les spécialistes (soit juristes ou grammairiens) divaguent en tous sens , le premier venu a le droit de se prononcer (et même le devoir) Que s’il est bon écrivain (dans le cas des grammairiens) ou grand homme d’état (dans le cas des juristes), il y a préjugé favorable pour la solution qu’il apporte.

*

Les yeux de Supervielle sont bleus. (Si vous veniez lundi ou mardi, je vous remettrais le tableau.)

Affectueusement à Cassilda et à vous

Jean P.

(Le décret du 5 nov. 70 n’a trait, bien entendu - j’ai dû mal m’exprimer - qu’à l’autorité du Journal Officiel .)

Très passionnante, votre lettre. Je vous en parlerai encore.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (20 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 20 avril 1952.
Cher André

C’est entendu: Arts va vous écrire, et vous enverra le photographe. Je tâcherai de leur remettre ma note vers la fin de la semaine.

affectueusement

Jean

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 avril 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 30 avril 1952.
Mon cher ami

Deux tentatives de sorties hier et avant’hier, ont assez mal tourné. A peine arrivé à la nef mes douleurs sont revenues avec une telle vivacité que je n’ai même pas pu aller jusqu’aux toiles de Cassilda. Aujourd’hui, me voici allongé de nouveau, et bien incapable d’écrire cette note, à laquelle je tenais pourtant.

Que faire ? Ne serait-il pas plus sage de la demander à Breton ? Affectueusement à tous deux

Jean P.

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (16 mai 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 16 mai 1952.
Chère Cassilda,

j’avais beau les connaître, hier j’ai reçu un choc. (Les paysages étaient admirablement placés. Seule, la Muse me laisse encore un peu froid.)

je suis fâché contre ma sciatique. Mais donnez-moi deux ou trois mois. Je me sens impatient d’écrire cette note, trop content si elle ne vous déplaît pas. Je vous embrasse tous deux.

Jean P.

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (25 novembre 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 25 novembre 1952.
Cher André,

que devenez-vous ? J’espère bien que vous n’êtes pas souffrant, mais voici un bon mois que le Code vous attend dans mon tiroir, dont vous étiez si pressé. Puis, la nef se reforme et nous avons besoin de vous. Si vous passiez demain vers 6 heures ?

Affectueusement à tous deux

Jean P.

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (25 novembre 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 25 novembre 1952.
Chers amis

rentrez-vous bientôt ? Il vient d’arriver d’extraordinaires tapais d’Amérique : c’est un lézard plat comme un papier à cigarettes, mais de tous côté hérissé et crêté. Et quelques crotales qui font sitôt qu’on les regarde trop longtemps leur chant de castagnettes. Aussi (chez le marchand de la rue de Jussieu) de splendides cacatoès à 50.000 frs pièce. Le pire est qu’ils le savent : d’une suffisance presque insoutenable. (C’est trop cher pour moi.)

Somme toute, l’été à Paris était délicieux : à peine, depuis hier, légèrement trop frais. (Les journaux annoncent que tous les caméléons de Paris sont morts.)

A bientôt, il m’en tarde, et affectueusement à tous deux

Jean P.

Il est toujours question que la nef reparaisse - quand ? Décembre ou Janvier peut-être…

Violente bagarre Sartre-Camus dans les T.M. où le bon sens (à la Sarcey) est, il faut l’avouer, du côté de J.P.S. Mais l’orgueil déréglé, du côté de Camus.

J

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (01 décembre 1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 01 décembre 1952.
Mon cher ami

Je suis de plus en plus accablé par mon travail judiciaire, du fait qu’en ma qualité de juge unique, président à moi seul une chambre civile, je dois faire le travail qui devait être celui de trois magistrats !…

Je suis cependant allé à la NRF dans l’espoir de vous rencontrer il y a une quinzaine de jours, mais vous étiez alors souffrant m’a-t-on dit. Madame Aury, que j’ai eu le plaisir de rencontrer, m’a remis le Code que vous aviez bien voulu préparer pour moi, ainsi que l’article de Zumthor.

Je ferai mon possible pour passer vous voir cette semaine. Cassilda se joint à moi pour vous adresser nos affections.

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1952) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1952.
Cher ami

Ne m’en veuillez pas si je coupe tout le début de votre Daumal  : ce ton solennel vous rendrait ridicule. Bien sûr, vous serez dans l’histoire. Mais profitez des derniers jours où vous n’y êtes pas encore.

Bonne année à tous deux, et bien affectueusement

de nous deux

Germaine

J. P.

Je tiens beaucoup à votre note sur les Yeux fertiles . Il nous faut sauver Eluard, et nous le pouvons. Vous le pouvez. Et soyez aussi rigoureux que possible. Il faut pardonner (et encore) une faute de poésie, non une faute d’intelligence.

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 janvier 1953) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 05 janvier 1953.

11 rue Madame (6°)

Mon cher ami

Voici la note sur Etiemble. J’ai pu réduire mon projet initial, de sorte qu’elle ne représente qu’à peine trois pages de la revue, me semble-t-il. Il me paraît qu’il n’est guère possible d’en retirer désormais quelque chose sans rompre son équilibre, et modifier son accent (que je ne voudrais pas voir devenir trop violent !)

Je suis bien content que vous ayiez vu Boului, car il me paraît le plus lucide et plus équilibré de tous les médecins. Le seul en tous cas qui donne le sentiment de prendre le temps d’examiner ses clients, de méditer sur son cas. Son honnêteté intellectuelle, et aussi son tempérament, l’entraînent il est vrai, à se montrer réservé, non débordant d’optimisme. Il préfère s’attacher à guérir que de prophétiser, et c’est pourquoi vous ne devez nullement à mon sens interpréter sa réserve comme un signe décourageant.

À bientôt. Nous vous adressons nos pensée et nos vœux le plus affectueux.

André

Et merci encor pour le Braque si subtil et si beau !

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (26 mai 1953) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 26 mai 1953.
Mon cher ami

Nous vous remercions bien vivement de nous avoir adressé La Preuve par l’étymologie qui m’a d’autant plus passionné qu’elle touche à l’un des centres moteurs d’une certaine attitude que vous avez relevée chez les poètes – voire certains philosophes. D’autre part votre ouvrage touche au problème si grave (si l’on admet qu’il existe) de la formation du langage et de l’écriture… Vous soutenez un point de vue.  Je ne vous apprendrai rien en vous disant que mes tendances vont vers un autre moins raisonnable (à première vue) mais qui peut prendre lui aussi les apparences de la raison. Tant il est vrai que nous sommes ici encore au cœur d’un domaine fuyant. J’avais même commencé par vous écrire une lettre très longue, dans laquelle je m’amusais à vous soumettre quelques objections. Plus j’ai pensé qu’il y avait là de ma part bien de la présomption, et qu’après tout je ne ferai peut-être que vous importuner, sans aucune nécessité, puisque vous savez très bien que nous ne pouvons ici remuer qu’un monde d’apparences et de probabilités. Là où la science déclare forfait, nous ne pouvons nous fier qu’à notre tempérament. C’est que vous faites, et que j’aurais fait si je vous avais expédié ma lettre de six grandes pages ! Je n’en retiens donc que la très profonde admiration que j’éprouve pour la forme dans laquelle vous vous exprimez et qui me reste, vous le savez, un délice.

Cassilda et moi vous adressons à tous deux nos affections

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (13 septembre 1953) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 13 septembre 1953.
Cher ami

ci-joint un peu de fleur pour Cassilda.

Paris est brusquement redevenu pas mal agité (étonnantes vespas) mais demeure assez frais, même un peu aigre.

Peut-être les journaux vous ont-ils appris que la nef était saisie. (C’est à cause du Récit secret  : Jean Drieu qui me laissait il y a trois ans libre de le publier, a dû s’aviser brusquement que les temps avaient changé.

(saisi aussi, le recueil de poèmes.)

Je suis un peu malheureux que vous ayez brusquement renoncé aux notes : comme si vous vous éloigniez tout d’un coup de nous, quand vous nous êtes nécessaires. (Sur l’Alleau tout au moins, ne voulez-vous pas y songer encore.)

Breton a inventé un nouveau jeu : on choisit d’être, par exemple, vers-luisants. Mais les autres ont décidé que vous seriez haut-de-forme. Il s’agit de faire tenir les deux ensemble. D’où sortent de curieuses « correspondances ».

Affectueusement à tous deux

Jean P.

J’ai fait de grands progrès dans la fabrication des bulles de savon.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (14 avril 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 14 avril 1954.
Cher André,

Je n’ai pas eu de succès dans mes recherches pour pierre Minetr. Hélas les mécènes que j’ai pu connaître sont morts (comme Henry Church) ou se sont démécénisés (comme Florence Gould). Je cherche encore…

Affectueusement à tous deux

Jean P.

Germaine ne va pas bien. Elle a fait hier une chute assez grave, et ne peut quitter le lit.

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (26 avril 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 26 avril 1954.
mon cher ami

Nous avons été navrés de la mauvaise nouvelle que vous nous avez apprise concernant Germaine ! Je ne vous ai pas donné signe de vie depuis pour avoir des nouvelles, parce que j’ai dû partir pour quelques jours en Touraine. Nous espérons que depuis votre lettre, la situation s’est améliorée. Je n’ose pas téléphoner chez vous parce que je sais combien il est pénible d’être dérangé par les sonneries de téléphone lorsque l’on est inquiet et tourmenté. Je passerai si je peux me rendre libre, mercredi soir à la Revue pour vous voir.

Nos affections pour vous deux, et vœux de meilleure santé.

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1954.

Ce qui m’avait blessé, beaucoup plus que cette absurde histoire de vernissage (ne savez-vous pas tous les efforts que j’avais faits pour obtenir que fût faite l’exposition, qui le fut en effet ? Et si vous désiriez m’y voir, n’était-il pas facile de venir jusqu’à mon bureau ?)

C’est que vous aviez tenu, devant un de nos amis communs - certes le plus insoupçonnable de mensonge ou d’inexactitude - des propos touchant Dominique Aury et moi, si grossiers (m’a-t-il dit) qu’il avait dès cet instant renoncé à vous voir.

Autre chose : vous m’aviez dit un jour avoir eu un entretien au palais avec M. qui pour rien au monde (me disiez-vous- ne songerait ) me poursuivre. le temps passe là-dessus. Intervient notre brouille; et dix jours pus tard, une convocation de M. qui m’inculpe d’ « attentat à la pudeur (complicité) »* Avouez que la coïncidence était, pour le moins, surprenante. Elle m’a été pénible.

Laissons cela : la nef prépare un « hommage à Supervielle ». N’en serez-vous pas ? Il le faudrait, il me semble, et surtout après un craint incident, qui vous opposait à Etiemble.

J. P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 août 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 27 août 1954.
Cher André

Mais alors faites comme Roger Caillois : écrivez-nous une lettre - si vous le préférez, un petit article - sur Supervielle. Que nous donnerons où vous le désirerez . Où vous commencerez par indiquer que la citation faite par E. est fausse. etc.

Quant au service, c’est en effet G.G. qui a procédé sans nous avertir à de sombres suppressions. Je lui demande de vous rétablir au plus tôt.

Affectueusement à tous deux

Jean P.

Non, Germaine ne va pas mieux : pourra-t-elle encore marcher ? Ce n’est hélas pas certain.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (29 août 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 29 août 1954.
Cher André

Il n’y a rien d’obscur dans nos raisons : vous nous avez refusé, depuis deux ans, toutes les notes que nous vous avons demandées. Fallait-il provoquer un refus de plus ?

Sur le fond, vous ne répondez pas à Etiemble (je n’avais pas eu l’impression qu’il vous attaquât). Avez-vous vraiment écrit de S. : « ce n’est pas un poète : il s’amuse! » et qu’entendiez-vous dire exactement, c’est la seule question qui se pose.

Quant à vos sentiments pour J.S. ils sont trop connus - et de lecteurs de la nrf en particulier - pour qu’il soit très intéressant, je pense, de les rappeler sous cette forme un peu simpliste. Ne voudriez-vous pas nous écrire une nouvelle lettre (ou note, si vous le préférez) où vous répondriez précisément à Etiemble.

N’avez-vous donc pas pris de vacances ? Affectueusement à tous deux

Jean P.

 

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (01 septembre 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 01 septembre 1954.

Amboise (Indre-et-Loire) Hôtel Saint-Vincent

Cher Jean

Que puis-je faire de mieux pour répondre à Etiemble, que de protester avec énergie contre le fait qu’il m’attribue une appréciation que ne je n’ai jamais écrite sur Supervielle ?

Je n’aurais pas pensé de moi-même à reconnaître un rapport évident entre le fait que vous ne m’ayiez pas parlé, au cours de nos conversations, de l’Hommage que vous prépariez pour notre ami, et la nécessité où je me suis trouvé, faute de temps, et peut-être aussi de goût, de ne pouvoir désormais poursuivre une carrière d’auteur de notes, tant dans la NRF que dans d’autres publications. Je n’aurais pas cru que ce fut tout à fait la même chose. Et ce qui m’eut encore empêché de le penser, avant votre lettre, c’est que le service de la NRF n’ait été supprimé dès juillet de sorte que j’ai failli ne pas connaître le n° d’août. Mais sans doute n’était-ce là qu’une coïncidence ?

En même temps que je vous écrivais, ainsi qu’à Arland, je communiquais à Supervielle copie de ma lettre, puisqu’elle était destinée à être publiée. Et voici ce qu’il m’a répondu le lendemain. « Trouve votre lettre tout à fait justifiée. Stop. Vous pouvez le dire à nos amis de la NRF. Stop. Vous embrasse ainsi que Cassilda. Stop. Supervielle. »

Vous voyez que ma lettre est de nature à dissiper toute équivoque. Je pense que vous pouvez la publier telle qu’elle est.

Nous venons de passer un mois de vacances en Alsace, dans le Haut-Rhin. Le climat de cette région convient bien à Cassilda. J’ai pu travailler. Actuellement nous sommes en Touraine, et rentrerons à Paris à la fin de la semaine. Et vous ? Nous espérons que vous avez pu vous reposer aussi ? Germaine va-t-elle mieux ? Nous le souhaitons de tout cœur.

Nos affections pour vous deux.

André R. R

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 septembre 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 04 septembre 1954.

Paris 11 rue Madame (6°)

Cher Jean

Selon votre demande, je vous adresse une seconde lettre de protestation au cours de laquelle, vous le verrez, je réponds à Etiemble de la façon directe qui vous paraissait souhaitable. J’espère et crois que cette seconde lettre vous conviendra tout à fait, et vous serai vraiment reconnaissant de la donner toute entière dans votre prochain numéro d’octobre. Voulez-vous me le confirmer ?

Merci de ce que vous me dîtes à propos du rétablissement du Service de la revue. Mais je ne veux pas être indiscret à l’égard de G. G. !

Nous sommes profondément attristés de ce que vous m’écrivez à propos de Germaine. Quel concours d’épreuves terribles pour elle d’abord, mais aussi pour vous !

Nos affections pour vous deux.

André R. R

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 septembre 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 septembre 1954.
Cher André

tout est parfait ainsi. J’envoie la lettre à l’imprimeur

Affectueusement

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (04 novembre 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 04 novembre 1954.
Cher André,

Oui, il me semble qu’Etiemble avait tort. D’ailleurs on n’a pas le droit en principe d’utiliser contre un texte écrit des propos de conversation.

Je suis bien curieux de l’article que vous me promettez. Affectueusement

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (05 novembre 1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 05 novembre 1954.
Cher André,

Mais non ! Je suis très ennuyé que ce soit la première de vos lettres qu’ait donné la revue.

Peut-on dire dans la Revue des Revues :

« L’hommage à Rimbaud du Mercure de France contient deux articles pleins de renseignements nouveaux et intéressants, ceux de Guillemin et d’André Tiau. Et deux articles absurdes, de Paul Guiraud et A. de Graaf. »

(mais ne faudrait-il pas ajouter quelques précisions ?)

Affectueusement

Jean.

 

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 1954.
Cher Jean

Merci de m’avoir envoyé le n° du Mercure consacré à Rimbaud. L’article de Guillemin et celui de d’André Tian contiennent des renseignements nouveaux et intéressants. Celui de Paul Guiraud offre un bon exemple des conclusions auxquelles peut aboutir une méthode « scientifique » d’investigation, c’est-à-dire des conclusions plus délirantes encore que celles fournies par les interprètes les moins prudents et les plus gratuits !

Et je n’emploie cet adjectif modéré que pour rester dans la limite de la courtoisie.

J’ai été surpris de lire dans la N. N. R. F. ma première lettre raccourcie (que j’avais supprimée) et non la seconde pour laquelle j’avais donné le bon-à-tirer ? Sans aucun doute avez-vous estimé au dernier moment que cela valait mieux ainsi.

Affectueusement à vous

André

 

Quant à l’article de A. de Graaf il est simplement absurde – du moins à mon avis.

J’ai pu, ces dernières vacances, terminer à peu près mon livre sur Rimbaud. Il ne me reste plus à accomplir qu’une révision et une mise au point de l’ensemble. Puisque vous avez bien voulu me dire à diverses reprises que vous regrettiez mon absence de la revue, je viens vous proposer un morceau de ce livre (une dizaine de pages dactylographiées qui forment un ensemble). Si ce projet vous convient, dites- le moi, et je ferai « taper » ce passage pour vous le soumettre. Je crois que vous m’approuverez de toutes façons, de considérer désormais mes rares moments de répit à l’achèvement de mon livre plutôt qu’à me disperse dans des notes, comme je l’ai fit si longtemps.

La réponse d’E. m’a paru vraiment lamentable

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1954) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1954.
Mon cher André,

Je le vois bien, c’est sur le fond que nous différons. Que vous dire ? Voici en tout cas ce que je pense fortement : c’est que l’amour, s’il est parfaitement intense et pur, n’a rien à craindre des aventures, des difficultés, des variations du sexe. C’est qu’il n’a même pas à se dissimuler ces détails. C’est qu’il n’est rien de réel (la réalité fût-elle de l’ordre du rêve) qu’il ait à redouter. C’est qu’il peut traiter ces variations comme des signes (qu’il emplit d’un nouveau sens), bref comme une algèbre plus ou moins ardue - mais dont les équations n’offrent pas des gênes beaucoup plus graves qu’une géométrie de la quatrième dimension, ou un problème topologique. Ainsi de l’Histoire d’O . C’est là ce que je voulais donner à entendre dans ma petite préface. Peut-être aurais-je dû marquer le problème - et du même coup la solution - d’une manière plus explicite.

Mais j’aurais voulu y jeter mon lecteur plutôt que le lui expliquer. Mais j’aurais voulu l’être plutôt que le dire. Il m’a semblé - il me semble encore - qu’il y suffirait de traiter de façon parfaitement décente un récit parfaitement indécent.

Etait-ce là de la suffisance de ma part ? Etait-ce demander un peu trop d’attention à un lecteur, neuf fois sur dix gâté par la littérature érotique courante - par l’abjecte littérature grivoise ? Je suis navré qu’un lecteur comme vous ait pu s’y tromper.

Très affectueusement

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 janvier 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 18 janvier 1955.
Cher André,

Voici l’ « hommage à Rimbaud » du Mercure. Faut-il en parler ? Vous en déciderez. De toute façon le livre peut vous être utile.

Je suis vraiment fâché de cette affaire Supervielle. J’aurais dû lire de plus près l’article d’E.

Affectueusement à tous deux

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (25 mars 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 25 mars 1955.
Cher André,

Merci de votre mot et de votre promesse. Prenez tout le temps, bien sûr, qu’il vous faudra. Cinq ou si pages seraient les bienvenues. Avant le 30 avril.

Affectueusement à tous deux

Jean

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 avril 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 27 avril 1955.
Cher André,

Merci. Je les aime beaucoup. Mais l’ode à de Gaulle est tout à fait différente de l’Ode à Pétain! (à dire vrai, la première était la meilleure).

Sur Claudel-Segalen, mais oui! Il fallait préciser.

Affectueusement à tous deux

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 1955.
Cher André,

Ne nous donnerez-vous pas quelques pages pour notre « Hommage à Paul Claudel » ? Et sur quel Claudel ?

Dites-le moi vite. Voilà un temps insensé que je ne sais rien de vous deux.

Mais bien affectueusement

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (23 novembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 23 novembre 1955.

Vous rappelez-vous, cher André, l’étrange récit où Cassilda sous les branches, par l’orage, joue à la noyée. Je ne cesse guère de songer à elle, qui savait tant de choses que nous pressentons seulement. A elle, et à vous. A elle que voici à présent sous les feuilles. Je vous embrasse bien tristement.

Jean P.

 

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 novembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 29 novembre 1955.
Mon cher Jean

Merci de votre lettre et de l’affection que vous m’avez témoigné. Vous savez tout ce que je peux désormais ressentir. Je ne veux pas vous parler de moi. Cassilda laisse de très belles toiles : celles que vous connaissez et d’autres que je compte vous montrez. Elle a toujours su et cru que nul autre artiste que vous n’aviez si bien compris et aimé ce qu’elle avait tenté d’être et d’exprimer dans sa peinture. Et elle pensait toujours vous appeler le jour où elle aurait pu composer, malgré sa maladie, un ensemble digne de vous être présenté.

Elle méritait plus qu’il ne lui fut accordé, malgré votre aide, et je n’ai pas réussi à ce que la pauvre enfant ait de son vivant suffisamment de cette joie dont tout artiste a besoin, et qu’elle appelait avec une impatience et une ingénuité qui traduisait le pressentiment d’une vie brève. Mes maladresses en furent en partie la cause, je le sais.

Je voudrais que sa mémoire obtienne ce qui lui est dû. Aidez-moi mon cher Jean. Vous seul le pouvez. Aujourd’hui je ne vous demande que quelques lignes dans le plus proche n° de la N. R. F. où je voudrais que vous annonciez la mort de l’artiste peintre Cassilda Miracovici (son vrai nom sous lequel elle avait finalement décidé d’exposer un jour) décédée à Paris le 2 novembre 1955. Vous pouvez dire qu’elle était ma femme, si vous le jugez nécessaire, rappeler son exposition de 1952 à la N. R. F. et annoncer qu’elle laisse une œuvre inédite qui sera exposée. (Je m’attacherai en effet à ce que le projet voit le jour.) Merci de tout ce que vous pourrez faire.

Je rentre à Paris dans 6 à 8 jours. J’aimerais vous revoir bientôt pour vous raconter tout ce qui est arrivé.

Affectueusement

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 décembre 1955.
Cher André

J’ai été heureux de votre lettre. Oui, et je suis impatient de voir l’ensemble des tableaux.

Marcel A. pense qu’il vaut mieux attendre, pour parler de Cassilda, que les toiles puissent être exposées. Enfin, éviter de donner l’impression d’une note d’amitié, de tristesse. Je le pense aussi.

Mais ne pourrions-nous pas donner dans la revue le récit de l’Orage - avec une note que rappellerait qui fut Cassilda. Me permettez-vous d’en parler à Marcel ?

Je suis à vous deux, que je ne puis séparer.

Jean P.

Savez-vous qui est M. Monsein ? C’est lui qui doit, au Palais, instruire mon endetter : complicité d’outrage à la pudeur (sic), pour ma préface à l’Histoire d’O . J’ai grand peine à croire que ce soit tout à fait sérieux. Mais une amende serait en ce moment pour moi (avec la maladie de Germaine qui n’a fait que s’aggraver et m’oblige à avoir des infirmières de jour et de nuit) une véritable catastrophe.

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 14 décembre 1955.

Paris 11 rue Madame (6°)

Mon cher Jean

Je serai heureux en effet que vous donniez la Revue le récit de l’orage par Cassilda. Vous en avez le manuscrit. Je suis persuadé à l’avance que notre ami Arland approuvera votre idée. La signature devra être de Cassilda Miracovici, son nom complet dont elle avait décidé ces derniers temps de signer ses toiles.

Je vais vous téléphoner bientôt. Après un voyage d’une dizaine de jours avec un ami, je suis revenu. Je ne vous écrirai pas mon état. Ce n’est que la peur d’une punition dans un au-delà auquel je crois, qui me retient ici. En même temps je sens que continuer à vivre est impossible. Que vais-je devenir ?

Je ne connais pas M. mais si vous le désirez je peux faire sa connaissance. Il faut que vous sachiez que depuis plusieurs mois Cassilda me pressait de vous aider dans la mesure de mes moyens. Nous parlerons de tout cela de vive voix. Je ne crois pas à la catastrophe que vous me dites redouter sur le plan matériel, mais sur le plan moral c’est autre chose.

Je suis vraiment navré de ce que vous me dites de Germaine, et comprends trop bien hélas ! votre angoisse.

Je vais bientôt vous demander un rendez-vous

Affectueusement

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (15 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 15 décembre 1955.
Mon cher André

Qu’entendez-vous par ce « plan moral » ? Bien entendu, je n’ai pas écrit cette préface à la légère, et je suis fier de l’avoir écrite. Il me semble à dire vrai qu’elle était faite pour ôter à un livre scandaleux son poison, pour l’expliquer, pour me l’expliquer à moi-même.

- j’avoue qu’avant de lire O je ne me faisais aucune idée plausible, ni de ce qu’a pu être la « prostitution sacrée », ni de certaines formes de la prostitution actuelle : il me semble que mes commentaires sont justes, il me semblent [sic] qu’ils portent contre une absurde et dangereuse idée de la liberté, qui est à la mode aujourd’hui. Là-dessus je peux me tromper. Personne n’ira dire du moins que mes pages soient le moins du monde scandaleuses. Alors, quelle querelle me cherche-t-on ? Si quelqu’un a recommandé l’Histoire d’O ce sont les membres du « Jury des deux Magots » qui lui ont donné leur prix. Ce n’est pas moi, qui me suis borné à marquer l’évidence même, c’est que le livre était très bien écrit et qu’il pouvait être salubre.

C’est ce que j’ai marqué dans mon article du Disque Vert . Qu’il ait été repris par la suite, et publié avec le livre, je n’y suis pour rien : je ne suis pas éditeur. (Si je l’avais été, j’aurais publié une édition de luxe à 4000 fr. dans un coffret fermant à clef.)

Sur le côté « salubre » du livre, Mandiargues, Bataille, Breton et bien d’autres m’ont donné raison sans réserves. Laissez-moi vous signaler en particulier, dans Preuves d’Octobre, l’étude d’Aimé Patri (je puis vous la faire parvenir?) Voilà tout ce que vous pourriez dire à M. Monsein. Ah, je suis heureux que Cassilda ait songé à me défendre.

Je pense tous les jours à elle et à vous, avec toute mon affection et toute ma tristesse, avec tout mon espoir aussi

Jean P

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (15 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 15 décembre 1955.
Mon cher ami

M. n’a pas à vous juger. C’est un technicien chargé d’accomplir un travail selon certaines règles dont il n’est pas l’inventeur. C’est pourquoi vos arguments ne peuvent le concerner, mais doivent avoir le poids par la suite (s’il y a une suite) dans l’esprit de ceux qui auront à les apprécier.

Il paraîtra sans doute évident aux esprits habitués à réduire les faits à une sorte d’algèbre, que la caution d’un nom célèbre donné à un livre est de nature à attirer l’attention sur ce livre, à le rendre aussitôt célèbre. Par conséquent cette caution constitue bien « l’aide et assistance » à la propagation du message qu’il contient. Je vous expose le point de vue de ceux qui vous voulez convaincre (bien que je ne les connaisse pas) afin que vous vous mettiez à leur place.

Que vos pages ne contiennent rien de délictueux n’est pas la question : leur présence a eu pour effet de mettre en valeur d’autres pages qui, elles, sont probablement dangereuses puisque vous auriez souhaité les voir enfermées à clef dans un coffret, me dites-vous.

Enfin je verrai M. et ferai de mon mieux.

Dans quel n° de la N. R. F. publiez-vous les pages de Cassilda ? Merci de penser à elle.

Affectueusement à vous

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 28 décembre 1955.

Que vous dire encore, André ? Nous sommes sur terre pour trouver quelques chose. Et il n’est au monde qu’un crime : c’est de renoncer à la recherche qu’on avait entreprise. Il me semble que les jugements de Cassilda valaient admirablement pour Cassilda; et les opinions de Michaud valent pour Michaud. Mais vous aviez pris une autre voie, celle dont Platon disait qu’ « il est bon de connaître le soleil et la terre et les herbes et les sentiments que nous en avons, mais il est meilleur et plus noble de connaître les idées que nous formons de tout cela. » C’est ce dernier parti que vous aviez pris et je ne sais s’il est en effet le meilleur de tous, mais il est le vôtre . Ne soyez pas inégal à ce que vous avez déjà découvert. Peut-être vous reste-t-il simplement à croire à ce que vous avez pensé. Relisez l’expérience poétique. C’est là votre terre et votre raison. Je vous embrasse

Jean P.

Votre raison.. Je veux dire celle où vous trouverez la raison - la justification de tout le reste.

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 décembre 1955) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 30 décembre 1955.

11 rue Madame Paris (6°)

Mon cher Jean

Merci de tenter de me restituer une raison de vivre. Mais vous savez bien, comme moi, que rien ne peut remplacer la présence d’un être infiniment aimé. Ce ne sont pas des idées, des raisonnements, une recherche ou des découvertes qui peuvent masquer l’abîme d’une disparition. Ou bien alors, c’est que l’on a pas vraiment aimé, et que l’on est demeuré attaché à soi-même, à ses idées fixes, à la foi dans la conviction de l’intérêt supérieur de sa propre personnalité.

Je n’aurai pas écrit L’Expérience poéitque si je n’y avais pas cru. Mais je ne vois pas en quoi la théorie interprétative que j’y ai esquissée devait me consoler, m’empêcher de sombrer dans la détresse qui est mon lot. Non je ne comprends pas du tout ce que vous voulez me dire. Pour moi la vie a perdu ses couleurs, sa justification, et si je vis encore c’est que je crois dans un au-delà dont nous ignorons les lois tout en les pressentant. Je n’ose les braver et risquer ainsi de tout perdre à jamais, en demeurant dans les flammes.

Affectueusement

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (10 janvier 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 10 janvier 1956.
Cher André

Je voudrais avoir de vos nouvelles. Je viens d’être malade, et ne me lève que de ce matin.

Je voudrais tout de même vous répondre. Vous avez bien écrit, je crois, que les objets de notre amour ressemblent à des branchages qui nous cachent le vide de l’absolu où nous engloutir. (N’est-ce pas là même le sens central de l’Expérience poétique .) N’est-il pas temps que vous rendiez ses droit à l’Absolu - à un absolu où vous accédiez si naturellement ? Mais nous, qui de nous ne songerait désormais à Cassilda et à vous ensemble, et comme si vous ne faisiez qu’un. Je vous embrasse

Jean P.

 

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (12 janvier 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 12 janvier 1956.

11 rue Madame (6°)

Je suis désolé de vous savoir malade. J’ai téléphoné chez vous, mais la personne qui m’a répondu m’a fait savoir que vous ne pouviez recevoir les communications. Elle m’a donné toutefois de vos nouvelles. Je forme des vœux pour votre guérison rapide.

Merci de vous préoccuper de moi. Je suis dans l’état où vous m’avez vu, c’est-à-dire à demi mort, mais suffisamment vivant , hélas ! pour ressentir le plus affreux tourment. Je vois avec horreur un avenir possible de cette nature dont le terme m’est inconnu et dont on m’assure que je ne peux l’avancer sans les pires conséquences.

Existe-t-il une contradiction entre le fait que j’ai pu faire allusion à un absolu qui nous échappe, dans certains de mes écrits, et le fait que je ne sois pas en mesure de m’en approcher ? Je ne le pense pas.

En tous cas il n’est pas de mots ou d’idées qui puissent désormais changer quelque chose au fait que je suis comme un animal blessé à mort, et qui ne peut mourir, et dont on exige qu’il tente de penser à autre chose. Que ce ne soit pas noble de ma part, je pense que ce ne peut être là une appréciation faite de « L’expérience ». Lorsque qu’on atteint un point limite de souffrance, toute communication devient impossible. Et c’est pourquoi on meurt seul.

Mais je m’excuse d’être aussi décourageant pour mes amis. J’aimerais bien avoir copie du texte de Cassilda. Je voudrais bien savoir aussi quand vous le publierez. J’ai envoyé un mot à Arland pour le prier de me le laisser copier le jour qui lui plaira.

Dès que vous me direz que c’est possible, je passerai pour vous voir.

Mes affections pour vous deux.

André

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (28 janvier 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 28 janvier 1956.

11 rue Madame (6°) 

Mon cher Jean

J’ai appris avec plaisir que vous étiez rétabli, et j’espère avoir bientôt celui de vous revoir.

Je n’ai pu retrouver chez moi le manuscrit du conte de Cassilda dont vous m’avez parlé et j’en suis bien désolé. J’ai le plus grand désir d’avoir ce texte. Ayant mal  compris ce que vous m’aviez dit  propos de la copie que vous possédiez, j’ai prié Marcel Arland de me permettre de passer chez lui la recopier, mais il me répond que je me trompe, que vous lui en avez seulement parlé, mais que c’est toujours vous qui l’avez en mains.

Je viens donc vous dire combien je vous serai reconnaissant mon cher Jean de me dire quand je peux passer chez vous vous revoir et recopier ces quelques pages. Je crois que la matinée et le moment le plus commode pour nous deux ?

Mes affectueuses pensées pour vous deux

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 janvier 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 30 janvier 1956.
Mon cher André

Pardonnez-moi. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. J’avais joint le ms [manuscrit] de Cassilda aux autres ms que je remettais à Marcel. Or il ne lui est pas parvenu. Nous allons le chercher avec grand soin et bien sûr le retrouver. Mais il faut que vous me donniez quelques jours encore.

Je suis content que vous soyez rentré rue Madame.

A vous, très affectueusement

Jean P.

 

 

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 janvier 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 30 janvier 1956.

11 rue Madame Paris (6°)

Mon cher Jean

Quelle peine supplémentaire j’éprouve en apprenant par votre mot que le manuscrit de Cassilda est égaré ! je vous supplie de faire en sorte de le retrouver pendant que c’est encore possible.

Non, je ne suis pas encore rentré complètement rue Madame, mais j’y passe tous les jours. Rien, hélas! n’est changé et ne peut l’être en moi, autour de moi.

Affectueusement dans l’espoir d’une lettre prochaine plus rassurante.

André

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 février 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 07 février 1956.
Mon cher André

Ne m’en veuillez pas de ces quelques jours de retard. Je remets Corneilles et Corbeaux à Marcel Arland.

(Je viens de le relire avec beaucoup d’émotion)

Ne reviendrez-vous pas quelque jour de la semaine prochaine déjeuner avec nous ?

Très affectueusement

Jean P.

 

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (21 avril 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 21 avril 1956.

Il me faut tout de même vous demander ceci : il court, depuis quinze ans, divers bruits sur ma méchanceté, sur ma perfidie, sur mon goût pour les abattoirs et le reste. Quand je cherche l’origine de ces bruits, c’est vous très régulièrement que je trouve. Puis-je vous demander quelques explication sur ces points. Vous savez - ou vous pouvez savoir aisément - qu’il ne m’est jamais arrivé de mettre les pieds dans un abattoir (!) Mais estimez-vous réellement que je sois méchant ? M’est-il arrivé jamais de l’être à votre égard ? Ou à l’égard de qui ? Répondez-moi sur ces divers points, je vous prie. Et sur les autres.

A vous

 

Jean Paulhan

Chez M. Pilotaz. La Pommeraie. Gilly s. Isère. Savoie.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 avril 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 27 avril 1956.

Paris 11 rue Madame (6è)

Depuis quinze ans ? Dans ce cas le fait que vous choisissiez un tel moment de mon existence pour me mettre brutalement, et de façon exclusive, en accusation sur la foi de ragots, dont vous ne pouvez méconnaître ce qu’ils peuvent emporter d’affabulations, devrait à lui seul vous inquiéter sur certains de vos mouvements intérieurs, et les apparences qu’ils peuvent présenter.

Mais ne sont-ce toujours que des apparences ? Je ne crois pas être le seul, en dépit de ce que vous affirmez, à m’être parfois interrogé avec chagrin à cet égard. En ce qui me concerne je suis tout prêt à vous rappeler franchement au cours d’un entretien que je souhaite proche, les moments où vous m’avez déçu ou blessé. Je pense en effet que nous nous devons après plus de vingt cinq ans d’amitié, de nous expliquer de vive voix sur ce que nous pouvons avoir à nous reprocher l’un à l’autre. (Mais pour ce qui est de l’anecdote des abattoirs ; je tiens à vous dire dès maintenant que je n’y comprends rien! Il me semble d’ailleurs que vous ne m’attribuez pas sérieusement cette invention étonnante ?)

A vous

 

A. Rolland de Renéville

P.S. La mort de mon père survenue au début de cette semaine m’a obligé à passer plusieurs jours en Touraine, et je n’a pu de ce fait vous répondre par retour du courrier, comme j’aurais aimé le faire.

 

 

Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 avril 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – 28 avril 1956.

Nous aurons donc cet entretien dès que vous le voudrez. Puis-je vous dire que s’il m’était arrivé de nourrir à votre égard des « doutes » de cet ordre, c’est à vous aussitôt que j’en aurais fait part. Ce n’est pas à nos amis communs que je les aurais donnés pour autant de certitudes.

Vous me reprochez d’avoir « choisi un tel moment de votre existence pour vous mettre en accusation ». Mais c’est vous-même qu’il faut accuser ici : il n’y a pas deux mois que vous répétiez à l’un de nos amis communs les mêmes calomnies qui cette dois, je dois l’avouer, et peut-être à cause de ce moment, m’ont été particulièrement pénibles.

Mais à bientôt donc. A vous

 

Jean Paulhan

J’y songe : avez-vous pris pour un trait de méchanceté l’incident de l’accordéon ?

J’en ai été embarrassé et peiné tout le premier. Il m’était déjà arrivé une fois, en effet (une fois sur quinze ou vingt) de déjeuner dans ce restaurant au bruit de l’accordéon. Et sitôt que vous m’avez eu fait part de votre répulsion pour cet instrument j’ai songé à vous diriger vers un autre restaurant. Ce qui m’en a empêché, ç’a été :

1. que nos places étaient retenues.

2. j’ai pensé qu’il y avait fort peu de chances pour que l’accordéon revînt ce jour-là.

3. j’ai pensé enfin que si d’aventure il revenait, il serait facile d’obtenir qu’il se taise en lui remettent une somme équivalente à celle que lui aurait rapportée sa quête.

c’est là ce qui s’est passé. Mais je m’aperçois que je vous prête une supposition bien sotte. Excusez-moi. A dire vrai, toute cette histoire me confond.

Ne serait-il pas plus âge (et plus précis) que cous m’écriviez vos griefs, au lieu de me les dire. Mais décidez.

JP

 

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 juin 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 29 juin 1956.

Pour qu’il eût été « à moi d’avertir Cassilda du malentendu au mieux de l’aggraver » selon votre propre expression, il eut fallu que j’eusse conscience qu’il existait entre vous et nous un « malentendu ». Or rien ne m’avait jusqu’alors (ni d’ailleurs maintenant permis d’observer que vous vous absteniez d’aller aux vernissages (par exemple de Fautrier ou de Michaux), ni que vous cessiez brusquement d’apporter votre aide aux peintres sur lesquels vous aviez décidé d’écrire, au moment même d’écrire sur eux.

Ce que je crois, pour l’avoir observé, c’est que vous êtes parfois animé par un goût de décevoir qui peut faire suite à un mouvement généreux, de sorte qu’il peut vous paraître très injuste qu’on vous le reproche, au lieu de s’en tenir à ce premier mouvement, dont il est naturel que vous préfériez vous souvenir.

J’ai eu, je vous l’assure, le sentiment que ce goût de décevoir s’était particulièrement exercé à l’égard de Cassilda et s’était même perpétué après sa mort, dans le fait que vous ayez pris l’initiative de me proposer de publier dans la N. N. R. F. un conte d’elle, pour ensuite n’en rien faire. Mais là, vous n’avez pas fait de la peine qu’à moi, et même j’ai sans doute eu tort de me réjouir de votre proposition, car ma femme, qui n’avait pas d’ambition littéraire, ne m’eut sans doute pas approuvé de l’accepter. Elle n’attachait d’importance qu’à sa peinture.

Je ne vous parle ainsi que parce que vous m’avez toujours prié de tout vous dire. Et il est vrai que l’amitié ne peut véritablement exister qu’à ce prix. Je demeure touché du regret que vous me dites éprouver de tout cela, et il est bien vrai que nous n’y pouvons plus rien.

André

André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 juillet 1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – 04 juillet 1956.

Que vous ayez pu vous sentir « offensé » de ce retrait de demande d’une préface, alors que ma femme vous avait exposé les motifs d’élémentaire charité que la contraignait à consentir,dans la circonstance, à ce qui représentait pour elle un grand sacrifice, me confond.

En effet je n’ai jamais eu, et n’aurai jamais le sentiment, que ce soit un acte de courage que de mettre en péril d’autres êtres que soi-même, à leur insu – dans le seul but d’éprouver une satisfaction d’amour propre !

Quant à l’attitude de Daumal, de Lecomte ou de moi-même, je ne crois pas qu’elle ait eu quelque chose à voir dans une circonstance où il s’agissait de donner un peu de joie, que vous estimiez légitime, à une artiste inconnue, très malade, et qui ne pouvait de ce fait espérer avoir une autre occasion de recueillir le bénéfice moral d’un talent qui s’était exprimé à travers tant de tourments !

A vous 

André