Il semble que ce soit votre première visite de notre site (cookie non trouvé). Nous vous invitons à lire la description du projet, afin de comprendre les négociations délicates et fragiles qui ont permis de donner accès à ces documents. Un bouton vous est proposé au bas de cette page pour exprimer votre acceptation des conditions d’utilisation, avant de poursuivre votre navigation.
Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).
Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :
1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…
L’OBVIL, dont l’accès et la consultation en ligne sont libres, constitue cependant une base de données protégée, au sens des articles L341-1 et suivants, du code de la propriété intellectuelle française. Il est donc convenu que :
La diffusion sur le site de l’OBVIL des lettres, quoiqu’ayant été autorisée par les ayants-droit des auteurs concernés, demeure soumise aux règlementations en vigueur sur les droits d’auteur.
Pour toute citation d’une lettre ou diffusion d’une image, dans le cadre d’une utilisation privée, universitaire ou éducative, il doit être fait mention de la source [« Labex OBVIL »]
Pour toute citation ou diffusion dans le cadre d’une utilisation commerciale, il faut obtenir l'autorisation préalable des ayants-droit concernés.
L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur.
*
Pour obtenir l’autorisation de reproduction d'un document du site HyperPaulhan, contactez la représentante des ayants-droit de Jean Paulhan, soit Claire Paulhan.
Pour obtenir des informations biographiques sur Jean Paulhan, ou se renseigner sur les activités de la Société des Lecteurs de Jean Paulhan, consultez le site de la SLJP.
Pour consulter les archives-papier originales de Jean Paulhan à l'abbaye d'Ardenne, inscrivez-vous à l’IMEC.
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville
1927/1956
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville, correspondance (1927–1956)
2017
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2017, license cc.
Ont participé à cette édition électronique : Camille Koskas (Responsable éditorial), Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial), Bernard Fournier (Transcription), Simon Battistella (Transcription), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale), Anne-Laure Huet (Édition TEI) et Nolwenn Chevalier (Édition TEI).
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1927) §
Cher André, un mot de réponse à votre lettre du 19 septembre :
I. « je considérerais comme hors de critique la position dualiste.. »
Ah non, je ne la considère pas comme étant hors critique ! Je la prends
simplement comme donnée , comme un simple fait. Nous parlons – (et nous
jugeons du langage -), nous réfléchissons (et nous jugeons de la pensée) comme
si les mots étaient différents des idées. C’est ce qu’expriment les métaphysiciens (et
les occultistes) en disant que l’idée s’oppose au mot, et la chair à l’esprit, dans le domaine de la Manifestation . Il est d’autres domaines : je suppose seulement
qu’on n’y accède à coup sûr qu’à partir de ce domaine-ci. (mens hebes ad
verum per manifestionem surgit.)
II/ « je ferais bon marché de ce que les sociologues appellent la mentalité
primitive ».
Oui. Je tâche d’expliquer dans ma critique de Benda et de Lévy-Bruhl (cf.
nrf. 1927) pourquoi j’en fais bon marché. J’y reviendrai.
A vous
Jean
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1929) §
Stupéfait de son opinion sur Montherlant. Est-ce que vraiment M. c’est
quelque chose ? (il me donne toujours l’impression d’un décor, d’un panorama, d’une exposition
coloniale – baraque des Lettres Pompeuses.)
Si vous me donniez quelque jour une chronique sur la Littérature
et l’occultisme de Saurat ? (Je doute que Saurat comprenne très bien ce beau livre.)
Viendrez-vous vendredi ? Oui, n’est-ce pas ? A vendredi donc
J.P.
Il serait bien intéressant, et nécessaire peut-être, de nous réunir une fois
– pendant un, deux jours, (avec Daumal, s’il le voulait) – de nous faire des lectures, de
discuter, de tenter de confronter tout ce que nous savons .
Lundi.
Je suis très ennuyé que vous renonciez au Léger .
(Croyez-vous que Bruguière… ?)
Vous me donnez deux pages sur Audiberti, n’est-ce pas. J’y compte absolument.
Seulement, je voudrais bien les avoir avant le 13.
Votre ami
J.P.
Je vais mieux, mais je ne crois pas que je puisse sortir avant deux ou trois
jours.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 février 1929) §
mais, mon cher André, il ne s’agit pas de Métamorphoses .
Que vous donniez un livre à la collection, je ne puis qu’en être content et fier. Cela dit : si
vous désirez joindre à l’Automne un nouveau poème, donnez-le moi le plus vite
possible.
Non, il ne vous faut pas retirer cette chanson . Parce
qu’elle est très belle (j’aime extrêmement cette « jambe de fille », et ce qui suit). Et parce
qu’il n’y aura jamais assez de « chansons » dans votre livre. (auquel elles me semblent
apporter je ne sais quel allègement, quelle démarche plus flexible, quel air plus libre.)
Simplement j’aimerais bien que vous corrigiez sur épreuves ces deux premiers
vers*.
(Et peut-être vous en dénoncerai-je, si vous me le permettez, deux ou trois
autres.)
Le Rimbaud : oui, c’est très épatant. Mais ne peut-on obtenir le ms pendant l’absence de M.D. ? Voulez-vous que j’aille la voir ?
On vous embrasse tous deux
Jean P.
A quel point le portrait me manque, je ne puis vous le dire.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (mai 1931) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – mai 1931.
mercredi.[mai 1931]
Mon cher ami
Vous serait-il possible de passer à la nrf demain ou après-demain, vers 6
heures ? J’aurai ce soir votre Rimbaud .
J’ai pour vous les Disciples à Saïs .
Amicalement
J.P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (11 mai 1931) §
Ne me donneriez-vous pas une note sur les derniers Rimbaud
: ceux de Jacques Rivière et de R. Clauzel, lettres publiées par Gilbert
Lecomte et J. Carré, etc. Je le voudrais.
S’il vous est possible de passer à la nrf un soir de la semaine prochaine,
vous y trouveriez un Anabase (ce que j’aurais déjà dû vous remettre).
à vous, bien cordialement
Jean Paulhan
(Laissez-moi vous prier de ne pas dépasser deux pages.)
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 mai
1931) §
Je vous remercie de votre lettre que René Daumal vient de me transmettre.
Je serai très heureux d’écrire la note que vous voulez bien me demander sur les derniers
ouvrages consacrés à Rimbaud, et je passerai vous voir très prochainement pour échanger
quelques mots avec vous à ce sujet.
Je suis également très touché de la si charmante attention que vous avez eu de me faire
rechercher un exemplaire de l’Anabase… Je suis ravi à la pensée de posséder ce livre que je
désirais beaucoup !
Croyez je vous prie Cher Monsieur à ma reconnaissante amitié
A. Roland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (23 juin 1931) §
Je suis un peu gêné, malgré tout, par votre apologie de l’ésotérisme. Ne
rencontrez-vous par là exactement la même contradiction que vous reprochez d’autre part aux
surréalistes? Ecrire pour montrer qu’il vaut mieux ne pas écrire; s’expliquer
pour bien établir que la noblesse est de ne pas s’expliquer...
amicalement
J.P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (octobre 1931) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – octobre 1931.
lundi.[octobre 1931?]
Mon cher ami,
Je crains bien de n’être pas libre mercredi avant 7h., peut-être même 7h.1/4.
Je viendrai tout de même. (Mais ne m’attendez pas, si l’heure vous dérange tant soit peu).
Votre Wirtz me plaît infiniment.
Je vous serre les mains
J.P.
J’ai découvert une thèse sur Rimbaud, extraordinaire, que je vous
apporterai.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (12 décembre
1931) §
J’aurais bien des fois éprouvé le besoin d’avoir avec vous une conversation un peu longue,
dans un lieu impersonnel (café, rue, maison) de façon que notre entente, faite d’intuition et
de tâtonnements, devienne plus consciente, et que notre amitié soit plus qu’un lien
sentimental, une nécessité spirituelle. Malheureusement la vie à Paris, vos occupation, la
maladresse que je me reconnais dans les rapports humains, ont reculé jusqu’à maintenant cet
entretien que je souhaitais. J’ai même été très déçu l’autre jour, quand je vous ai rencontré
vers 2h, sur le Bd Saint-Germain, que vous ne puissiez accepter d’entrer dans un café avec moi…
Votre lettre vient suppléer en quelque sorte à ces heures de conversation libre que vous et
moi, je le comprends, n’avons jamais cessé de sentir nécessaires, depuis que nous nous
connaissons. Vous ne sauriez croire combien je suis touché que vous ayez pris l’initiative
d’exiger la confrontation de nos points de vue. De mon côté j’ai voulu attendre d’avoir une
journée calme pour vous répondre, et je la trouve ici, dans la solitude provinciale à laquelle
je suis habitué, malgré tout.
Vous m’exposez le point de vue moniste qui est le vôtre (le nôtre) et les conséquences que
vous avez pu tirer au cours de vos recherches, et que vous avez transcrites dans les Fleurs de
Tarbes. Vous m’interrogez sur la voie qui m’a amené à ce point de vue, et les conclusions que,
de mon côté, j’ai cru pouvoir en déduire. Vous pensez, très justement, que la valeur de notre
collaboration en sera précisé, et que si nous jugeons qu’elle doit se continuer, elle gagnera,
de mon côté (et celui de Daumal) en liberté.
Lorsque je remonte dans mes souvenirs d’enfance, j’y retrouve deux faits (les seuls vraiment
qu méritent d’être retenus !) qui me paraissent à la base de ma vie morale, de mes convictions
actuelles. 1° Tout enfant, je croyais fermement que tous les hommes font tous le même geste au
même moment, et que l’un d’entre eux ne saurait penser ou agir sans influencer les autres. 2°
J’ai mis longtemps à me défaire de cette conviction terrifiante : je n’existe pas vraiment, je
suis mort, j’habite un souterrain, un lieu d’ombre comme tous les morts, et tout ce que je
crois voir (lumière, êtres, chaleur) n’est qu’un prestige que par bonté, pour me faire croire à
ma vie, mes parents (que je situais sur un autre plan, en dehors de l’humanité) suscitent, et
qu’ils devront un jour cesser de créer, pour retourner à leur origine (sorte de vide que je
n’imaginais pas). Je serais impardonnable de vous avoir conté ces deux pensées puériles, si je
ne croyais retrouver en elles les points de vue auxquels je tiens le plus, sous une forme moins
naïve, ce que je me suis efforcé de retrouver dans les conclusions des quelques hommes
(peintres, mathématiques, poètes) qui m’inspirent vraiment du respect. Ces 2 points de vue sont
ceux de l’Unité, et du Non Etre (je veux dire de la
non-existence de ce qu’on nomme communément la réalité.) Je m’en expliquerai.
Adolescent, je ne m’arrêtais guère devant le matérialisme primaire, déjà démodé à l’époque,
et d’ailleurs impensable, auquel certains me conviaient. Les philosophies spiritualistes, plus
séduisantes sentimentalement, exigeaient lâchement la foi, éludaient la moitié du problème,
engendraient une morale infecte. Elles sautaient par-dessus ces obstacles insurmontables (lieu
d’interaction entre l’esprit et la chair ?) et taxaient d’orgueil démoniaque ceux qui
prétendaient s’élever au-dessus de l’idiotie pure et simple.
Enfin j’arrivais à la pensée de l’Orient. Ce ne fut pas la subite illumination. Je comprenais
mal. Profondément individualiste, comme tous les occidentaux, je me révoltais contre cette loi
cosmique dans laquelle on prétendais [sic] que, quoi que je fasse, j’étais entraîné. Réaction
stupide, et dont le seul rappel doit suffire à me rendre humble, à me situer exactement au
niveau de ceux que je pourrais avoir tendance à mépriser, alors que simplement ils cherchent ;
mais peu à peu cet enseignement se décantait, j’en expérimentais certaines assertions, je
découvrais le domaine des analogies ; j’en saisissais le sens universel. Avec stupeur, je
découvrais que je possédais les clefs de la pensée d’un Dante, d’un Vinci, d’un Baudelaire,
d’un Rimbaud, d’un Mallarmé. Les religions (note : « plus exactement l’enseignement religieux),
en apparence ennemies, se réunissaient à cette lueur. Les grands philosophes de l’Occident
étaient exacts au rendez-vous : ils n’étaient grands qu’en tant qu’ils se trouvaient là, devant
cette vérité à laquelle ils auraient accédé en apparence de leur propre force, et souvent, en
fait, aidés par un enseignement secret. Enfin les sciences contemporaines, lentement en marche,
avançaient vers cette lumière (théorie molléculaire [sic], dégradation de l’énergie, la matière
et l’esprit, le temps et l’espace se confondent…) Je ne saurais vous dire de quelle exaltation,
entre 20 et 23 ans, je fus soulevé. J’étais tout à fait seul, dans une petite ville de
province, mais je n’avais pas le temps de m’en apercevoir . Je voulais écrire immédiatement ce
que je voyais. Je me fixais la tâche de révéler le message que je sentais chez tous le poètes.
Je m’attaquais à Rimbaud d’abord, car il me semblait que c’était le plus pressé. Vous savez
quel petit livre j’ai ainsi écrit. Je m’étonnais que les surréalistes (dont je connaissais tous
les livres) soient restés à la fois si près et si loin de ce qui me semblait la vérité. (A ce
point de vue hélas ! ils n’ont pas progressé.) Enfin à la suite de certaines circonstances, je
rencontrais Daumal, et Lecomte. Nous fondâmes le Gd Jeu, malgré certaines divergences morales,
sans doute dues à nos tempéraments.
À partir de ce moment, j’ai dû préciser certains points de mes pensées, les confronter avec
les idées de mes amis. Je n’ai plus osé écrire avec cette belle assurance. Mon enthousiasme a
fait place à une certaine fatigue, une grande paresse (mot qui ne fait que signifier plusieurs
choses, mais pas de valeur en soi) Il me reste des convictions, et la volonté d’aller jusqu’au
bout de ma tâche qui est de les tirer complètement au jour, si je le puis.
Ces convictions s’énoncent à peu près ainsi : il n’y a ni esprit ni matière, mais un
esprit-matière, une énergie qui évolue vers une fin inconcevable, à travers des périodes
d’action et de repos. La pensée et le langage, l’envers et l’endroit, le rêve et l’action, sot
des aspects de cette réalité unique à laquelle nous participons.( Il n’est pas un de ces termes
qui ne prête à équivoque, excusez-moi). Vous comprenez en quoi je puis rattacher cette première
conviction à ma première pensée d’enfance… Mais je passe au second point de vue, qui est la
valeur véritable de cette Réalité unique en qui je crois :
Le criterium d’existence me semble inséparable de celui de permanence. Je crois pouvoir écrire que ce qui me semble être à la seconde présente,
mais n’étais pas encore il y a un instant, et ne sera plus dans une seconde, n’est pas ou n’est
qu’une illusion, un fait de conscience sans support, puisqu’il n’y a pas possession de la
conscience.
Et sans doute en est-il ainsi de moi-même, des autres hommes, du reste du monde. Je ne puis
être troublé du fait que mon voisin croit voir ce que je crois voir, et me répond quand je lui
parle : lorsque je dors, et que je rêve que je me promène dans une ville, je vois la ville, je
rencontre des gens qui me voient, me parlent, et on les mêmes perceptions que moi. Cependant au
réveil, je sais que j’ai été le jouet d’illusions : j’ai le ferme espoir de me
réveiller ainsi de la vie consciente ; je crois que je n’existe que d’une façon relative,
et que l’existence absolue ne peut-être située qu’en dehors de l’Etre et du Non Etre. Vous
voyez en quoi je puis rattacher ma seconde idée d’enfance à cette conviction de l’irréalité de
mon existence actuelle.
Je dois pour finir m’expliquer sur le point de vue moral ; et la tâche des intellectuels (je
veux dire de ceux qui commencent à se réveiller.)
Je crois à l’existence relative du Bien et du Mal. Je ne crois pas à leur
existence du point de vue de l’absolu. J’appelle Bien tout ce qui peut accélérer le moment
d’éveil de l’humanité, l’évolution du cosmos, élargir les limites personnelles de l’individu.
J’appelle Mal ce qui s’exerce en sens inverse de la courbe, une limite, préjudice aux autres
c’est-à-dire à moi-même, puisque les individualités ne sont que les aspects transitoires de la
même Réalité relative, qui évolue vers la connaissance de sa relativité. Je crois que deux
attitudes sont permises à l’homme qui commence à s’éveiller, à l’intellectuel : ou bien
s’abstraire momentanément de la pensée, et de la vie collectives, pour accélérer son progrès
personnel, approcher de l’état absolu, et ensuite aider les autres. C’est ce que tentant de
faire les ascètes dans leurs cavernes, les saints, ce qu’ont fait le Bouddha, le Christ. Ou
bien (si l’on ne se sent pas cette force) tenter de découvrir aux autres des parcelles de
vérité (ce qu’on fait Einstein, Baudelaire) ou de les diriger à travers les expériences
sociales qu’ils doivent subir (Robespierre, Lénine, tous les chefs de mouvements nouveaux)
Excusez la maladresse, la lourdeur, le vague de ces lignes au courant de la plume. Et
maintenant, mon cher ami, je désire prendre vos questions l’une après l’autre, et tenter d’y
répondre :
a) toute réflexion actuelle (en Occident du moins) suppose la différence irréductible de la
pensée et du langage, de la matière et de l’esprit (j’ajouterai du sujet et de l’objet). Je
crois que cette différenciation est le fait que nous subissons le joug du dogme catholique.
Elle a peut-être été nécessaire pour permettre à une partie de l’humanité de développer sa
conscience logique. Il semble que cette nécessité est de plus en plus mal supportée. Les grands
penseurs n’ont peut-être été tels qu’en tant qu’ils y ont renoncé.
b) Pour établir la suprématie de cette nouvelle dimension de l’esprit qui consisterait à
former l’idée de la pensée-langage, il faudrait en effet renoncer à toute forme de pensée
usitée aujourd’hui (du moins usitée communément, car encore une fois, les exceptions sont à
citer, et à garder. Ce langage-esprit doit être aussi éloigné de ce que nous appelons esprit
que de ce que nous appelons matière (mis ici les valeurs morales ne peuvent cependant être
négligées, puisqu’elles existent relativement aux hommes qui prétendent redécouvrir ce
langage-esprit, c.-à-d. redevenir Dieu…) [Note : être capable de prononcer l’Esprit-Mot, ne
serait-ce pas pouvoir créer à nouveau le Monde, être Dieu ?]
c) La solution ne peut en effet être trouvée que dans un état que nous nommerons l’extase
mystique, puisque cet état seul paraît opérer la fusion du sujet et de l’objet (cette extase
sera brièvement obtenue par les toxiques, certaines passions qui sont toutes des formes de
l’Amour, y compris la passion religieuse.) Mais comme nous ne pouvons pas nous satisfaire de
valeur impermanentes, ni de celles qui n’appartient que des solutions individuelles, nous ne
pourront [sic] nous arrêter à cette extase comme à la solution absolue. Cette solution ne peut
nous être apportée que par la période de dégradation de l’énergie cosmique. Nous avons le moyen
d’accélérer cette dégradation puisque nous sommes animés par cette énergie.
d) Toute activité sociale et politique sera momentanément incompatible l’activité de celui
qui recherche l’extase mystique comme voie, mais il devra naturellement y revenir ensuite,
enrichi de ses expériences. L’abandon complet et définitif de la réflexion sociale équivaudrait
à reconnaître au dernier moment une différence entre la matière et l’esprit, le dehors et le
dedans, l’individu et l’humanité. C’est pourquoi le Christ, le Bouddha par exemples, ont
accepté de créer des mouvements sociaux, but final de leur activité.
e) Les Lettres ne me paraissent pas le seul lieu où se soient poursuivies dans l’histoire de
la pensée occidentale les recherches et les inquiétudes, touchent au seul point qui nous
importe : la nouvelle dimension de l’esprit : la philosophie, la peinture, parfois la musique,
la science, les théories sociales, me semblent également les formes qu’ont prises cette
inquiétude. Toutefois il me semble en effet que les Lettres ont le lieu où cette inquiétude
s’est exercée avec le plus de liberté, parce qu’elles sont l’activité humaine dont on se méfie
le moins. Ce qui est inouï.
f) Les doctrines littéraires attachées à la seule forme et au langage sont dérisoires. Elles
ne prennent une valeur que lorsqu’elles deviennent un moyen d’ascèse pour la pensée (Mallarmé,
Valéry). Les doctrines littéraires attachées à l’originalité, au pittoresque, s’apparentent aux
conceptions des fabriquants [sic] de jouets. (Et le fait est que contempler un étalage de
jouets équivaut à lire bien des livres, et est moins fatiguant.) Seule une doctrine littéraire
à but métaphysique me paraît supportable. Ce but métaphysique doit être la révélation de
l’unité, et des voies de la Délivrance.
Je crois bien, mon cher ami, que nous sommes d’accord sur tous les points, sauf sur
l’importance de la réflexion sociale. Ce désaccord pose le problème de l’acceptation ou le
refus du salut personnel. Cette notion de salut personnel, même si elle apparaît
philosophiquement pensable me paraît empreinte de dualisme (moi et les autres) et un produit de
l’occident. Il faudrait que nous en reparlions. De même je crois que nous avons absolument
besoin les uns et les autres. Et la preuve c’est que nous tenons à nous expliquer, à nous
aimer, à nous entraîner dans le même élan vers les régions de la « pure existence », là où nous
cesserons d’être tels que nos sommes, pour être enfin !…
Je vous serre les mains.
A. Rolland de Rénéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (21 décembre 1931) §
Mon cher ami, non, ce n’est pas aujourd’hui que je répondrai à votre grande
lettre. Mais je veux vous dire tout de suite combien elle m’est précieuse. Il me faudra, à mon
tour, vous parler longuement.
ce projet de numéro qui réunirait votre Surréalisme aux Clavicules (et, je l’espère, à la mise en scène d’Artaud) est
donc arrêté pour Février. J’en suis content. Avez vous bien voulu le dire à René Daumal?
Je vous serre les mains.
Jean Paulhan
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 décembre
1931) §
Peut-être le silence du soir de Noël a-t-il une qualité particulière. Ou bien si c’est ce que
je vais vous écrire qui me jette déjà dans cet isolement de tout ce qui peut ressembler à un
bruit, où je vous imagine, dans Tours, jeté comme moi. Je ne parlerai plus de l’amitié, ni même
de la curiosité que nous pouvons éprouver l’in à l’égard de l’autre. Je viens tout de suite à
l’important. (Il est assez facile, ce soir, d’imaginer que nous ne sommes pas tout
à fait différents ) mais je veux dire aussi que je vous parlerai sans aucun de ces
ménagements que l’on observe à l’égard d’un autre .)
Au fond toutes les questions que je voudrais vous poser se ramènent à une seule (mais qui
peut s’exprimer de bien des façons. Par exemple:
Quel est le commencement de votre pensée? Je veux dire : où entrez-vous, et
pourquoi entrez-vous dans ce qu’il faut bien appeler le domaine métaphysique? Vous me dites :
« j’ai eu le sentiment, enfant, que je n’existais pas vraiment… c’est ce point de vue que plus
tard je me suis efforcé de retrouver… » Soit, mais enfin pourquoi est-ce justement ce point de vue auquel vous avez attaché tant de valeur, et comment vous
êtes-vous un jour trouvé assuré de sa vérité? Un psychiâtre [sic] vous répondra « il s’agit
d’un phénomène psychasthénique fort commun, dont nous savons les causes et l’évolution. » Et
n’importe qui : « Moi, j’ai eu toujours le sentiment profond que j’étais vivant, en tant que
moi, avec mes qualités particulières. Je devrai donc croire, moi aussi… » Vous ajoutez : « …
dans les conclusions des quelques hommes - Dante, Vinci, Rimbaud… - pour qui j’éprouvais du
respect. » Sans doute. Mais si ce n’était pas vrai ? Si la permanence d’une
impression enfantine vous faisait admirer Rimbaud ? Et n’avez-vous jamais commencé par vous
défier - par dessus tout - de votre respect ? Car enfin nous ne sommes d’humeur, ni vous ni
moi, à attacher la moindre valeur à cet « accord, des meilleurs? de presque tous » qui porte
aujourd’hui Baudelaire et Rimbaud à la première place (comme avant hier Catulle Mendès et
Alfred de Musset). J’y reviens : quelle est la nécessité de votre pensée?
Vous me dites qu’elle éclaire les religions les plus opposées. Mais le mieux que l’on ait à
faire des religions opposées est peut-être de les mépriser également. Le matérialisme -
s’appelât-il historique - me paraît aussi stupide qu’à vous. Avouez qu’il a une précision
admirable, que l’on sait où et comment l’on entre dans son domaine, que l’existence d’un puits
de pétrole, d’un traitement, d’un contrat de travail a quelque chose d’incontestable (dont je
ne vois point du tout pourquoi nous laisserions au matérialisme l’avantage). Mais que
possédez-vous d’incontestable? Le moins que l’on puisse dire de cette unité de l’esprit-matière
ou du langage-pensée est qu’elle nous est incompréhensible. Et ne faudrait-il pas, pour nous la
faire admettre, des faits encore plus incontestables, plus frappants, plus redoutables , que ceux sur lesquels se bâtit le matérialisme ?
Ce que je vous écris ainsi n’est pas tout à fait une « objection ». Mais je voudrais plutôt
vous faire - de cette façon un peu désagréable - confidence de tous les efforts que j’ai pu
faire pour me retenir d’adhérer à cela , vers quoi me
portaient tant de sentiments, ou de pressentiments (que je convenais de tenir pour nuls; j’ai
passé, moi aussi, par ce sentiment que je n’existais pas : peut-être ai-je eu tort de le
combattre au point que je ne puis aujourd’hui le situer ou l’identifier que par des accidents
extérieurs, une sorte de frayeur qui m’en est restée, etc.)
Laissez-moi vous poser le problème de cette façon (la plus grossière) : si vous deviez écrire
un tract de dix pages, qui s’adresserait, par dessus les intellectuels, les
écrivains, les « habiles », au premier homme venu, comment le commenceriez-vous ? Que
diriez-vous d’abord ? Qu’établiriez-vous pour débuter ?
Mais je reviens à quelques unes de nos questions.
C. je comprends mal votre « solution absolue ». La notion d ‘« énergie
cosmique » - aussi bien que celle de « dégradation » de cette énergie - me paraît assez
étroitement située dans le temps et dans l’espace, relevant de telle ou telle doctrine
scientifique de la matière, etc. Enfin, bien plus conditionnée, de notre point de vue, que
conditionnante (en particulier, par une certaine idée de la matière). Mais je vous entends
peut-être mal, s’il me semble que vous pourriez aussi logiquement, aussi justement que de la dégradation, attendre la solution de l’exaltation ou de la
permanence de l’énergie cosmique.
D. Il me semble que vous introduisez ici brusquement une notion qui nous
était jusque-là étrangère. Vous dites que l’abandon de la réflexion sociale « équivaudrait à
reconnaître une différence entre la matière et l’esprit, le dehors et le dedans, l’individu et
l’Humanité ». Et je comprends mal ce que font ici l’individu et l’humanité. Car l’esprit et la
matière se peuvent définir par des caractères différents, et même opposés. Ainsi du dehors et
du dedans (en tant qu’ils sont essentiellement dehors et dedans , et dans le sens où les mathématiciens disent que la découverte par un
prisonnier de la quatrième dimension lui permettrait à l’instant même d’être hors de sa
prison). Mais je ne vois pas d’autre moyen de définir l’individu que de le tenir pour une part de l’humanité, l’humanité que d’y voir une collection d’individus. En sorte
que toutes vos conclusions précédentes, établies pour des caractères qui s’opposent, se
trouvent ici sans vertu; établies pour des relations de contraire à contraire, se trouvent
inefficaces dès qu’il s’agit d’une relation de tout à partie.
E. Certes, non. Les lettres ne sont pas le seul lieu de la recherche qui
nous importe. Mais peut-être ont-elles l’avantage d’être le seul lieu où cette recherche puisse
être exprimée.
J’arrive ici au point qui, je crois, nous sépare. Mais je voudrais attendre, pour l’examiner,
une réponse de vous à la question que je vous posais tout à l’heure
Je suis votre ami
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 janvier
1932) §
J’aurais voulu vous répondre plus tôt, mais en province, les traditions de visites, de repas
excessifs, de correspondance vide et courtoise à l’occasion d’une date que l’on veut importante
parce que sans doute elle marque une impression de victoire de l’individu sur la durée, m’ont
détruit justement le temps que je me réjouissais d’avoir devant moi pour songer à votre lettre
et y répondre.
Cette fois-ci, et c’était inévitable, vous m’acculez au problème qui doit précéder toute
réflexion philosophique, et que l’on résout en général que par un compromis, parfois même par
une sorte de jeu de mots comme Descartes, vous me demandez où commence ma pensée, c’est-à-dire
à partir de quel moment je me sens moi-même suffisamment valable pour attacher de la valeur à
mes perceptions, et exercer un choix entre elles.
Il est bien évident que je vous ai fourni des armes contre moi en vous racontant mes
impressions d’enfance. Je sens que je n’ai plus même le droit de vous dire qu’elles ne me sont
revenues à la mémoire que récemment, et que j’en ai été frappé simplement parce qu’elles m’ont
paru concorder de façon curieuse avec les conclusions auxquelles je suis tellement parvenu :
vous pourriez facilement me répondre que si j’avais oublié ces impressions d’enfance, elles, du
moins, ne m’avaient point oublié ! Et c’est avec raison que vous suggérez qu’un individu plein
de vitalité sera porté à construire une philosophie de la permanence du moi, de la réalité du
monde extérieure [sic], et trouver pour corroborer ses opinions un palmarès de grands noms au
moins aussi importants que celui que j’ai adopté pour soutenir mon goût du vide.
Je n’ai pas été sans me formuler autrefois ces objections. J’ai fini, à une certaine époque,
par rencontrer une théorie capable de les réduire, ou du moins qui y prétend. Je veux parler de
la distinction que l’école du philosophe thibétain Nagarjoune établir entre la vérité relative et la vérité absolue. Sans doute le connaissez-vous ?
pour cette école philosophique la vérité absolue est la vacuité (non pas le vide, car il est
aussi absurde de postuler le non-être que l’être). Cette vérité absolue nous est inconcevable.
Tout ce que nous pouvons saisir n’est en effet qu’un aspect d’une vérité relative à notre
conscience. Il ne s’agit pourtant pas tout à fait d’un gnosticisme Kantien : le fait même de
concevoir la relativité du monde extérieur et de notre propre existence, sous entendu par
renversement une certaine intuition de l’absolu, et comporte une série de réflexions
intellectuelles et morales qui peu à peu nous donnent accès dans un domaine que nous approuvons
appeler métaphysique, bien que ce mot sous-entendu un dualisme en contradiction avec nos idées.
Le souci cartésien de déterminer si j’existe ou non devient donc tout à fait vain ; selon que
je raisonne vis à vis de la vérité relative ou de la vérité absolue je puis admettre que
j’existe ou que je n’existe pas. Ceci accepté, je suis très libre, vous le voyez, pour étudier
la relativité de la vérité accessible à l’homme. La notion même de cette relativité me sera un
fil conducteur infiniment précieux et que je ne devrais pas perdre de vue, car son existence
entretiendra en moi une méfiance très utile vis à vis des systèmes qui prétendent conserver
l’individu et le mode extérieur en face de l’absolu, et les y faire participer. Je serai
conduit à rechercher le point de départ de ces systèmes, et y trouverai en général des
postulats plus ou moins indéfendables. (Leurs adeptes iront jusqu’à avancer que l’absurdité du
système est la marque de son origine divine.) Je remarquerai par ailleurs que ces systèmes
engendrent une philosophie conventionnelle, une psychologie puérile, une civilisation en
contradiction avec les tendances physiques et morales de l’homme, et finalement l’acculent au
désespoir.
Bien au contraire, je constaterai que les recherches qui rentrent d’elles-mêmes dans cet
axiome des deux vérités, aboutissent seules à des progrès réels et à des découvertes qui se
complètent les unes les autres, au lieu de se nier. Par exemple la psychologie occidentale n’a
vraiment progressé qu’en découvrant l’inconscient et ses lois, c’est-à-dire une notion qui
menace la croyance à une permanence et une omnipotence du moi. La physique a fait avec Einstein
un bon énorme lorsqu’il a énoncé et vérifié les lois de la relativité. De même la poésie ne me
touche que lorsqu’elle est dirigée dans le sens d’une nostalgie de l’absolu c-à-d contre la
sécurité de l’homme en tant qu’individu.
Voici mon cher ami la pâle lumière que je puis aujourd’hui jeter sur les brument qui
président à l’apparition de ma pensée ! (Je ne sais trop comment je pourrais les exprimer dans
un tract, mais ce ne serait sans doute qu’une question de forme à trouver.)
J’en reviens avec vous à deux de nos questions. Malheureusement ne j’ai pas votre première
lettre sous les yeux, et ne me rappelle plus les termes de ma réponse.
C. La notion d’énergie cosmique dont je vous parlais est en effet située dans le temps et
l’espace, puisqu’il s’agit avec elle de l’apparition de l’univers. Lorsque j’y fais allusion,
je raisonne bien évidemment de point de vue de la vérité relative. Je ne puis
parler de la permanence de l’énergie cosmique, puis que l’impermanence est la
loi des phénomènes. Son exaltation ne saurait non plus atteindre une qualité absolue, puisque
cette énergie n’a aucune existence relative. D’ailleurs l’exaltation suppose forcément la
dégradation (loi du rythme, passage du contraire cf. Hegel), et je ne puis attendre la
libération absolue ni de l’un ni de l’autre de ces deux états qui sont les deux temps d’un
rythme, les aspects d’un même cycle éternel.
À la vérité il me faut sortir de ce rythme pour être libéré définitivement. Il semble hélas !
que l’on puisse représenter par une spirale le chemin qui mène l’homme vers la vérité absolue ;
il s’en approche sans cesse sans jamais l’atteindre (songez à la spirale mallarméenne dont il
est tant question dans Igitur) et l’accession à cette vérité absolue exige
que le chercheur renonce à sa qualité d’homme, son existence, ( souvenez-vous encore d’Igitur buvant ‘la goutte de néant qui manque à la mer’.
Je crois que dans ma dernière lettre je me suis exprimé d’une façon maladroite et très
équivoque au sujet de tout cela.
D. De même j’ai commis évidemment une grossière faute de raisonnement en assimilant les
notions d’homme et d’humanité à celles d’envers et d’endroit. Excusez-moi, j’ai écrit cette
lettre très vite, et sans réflexion suffisante. D’ailleurs cette confusion est sans doute ici
l’effet d’une mauvaise foi inconsciente : il y a 1 an je pensais comme vous que le point de vue
social est sans intérêt, et je ne suis entré au Grand Jeu il y a 3 ans qu’à la condition que
les soucis politiques en seraient absents. Depuis j’ai évolué, mais peut-être d’une façon
extérieure à ma pensée. En tous cas, je crois pouvoir dire que mes soucis sociaux s’apparente à
mes soucis philosophies : je suis contre tel système social parce qu’il est l’effet de telle
philosophie dont je suis l’ennemi. Le système social s’impose à moi, entrave ma liberté de
penser ou d’agir, exige de moi des services, et même des sacrifices qui peuvent aller jusqu’à
celui d’une vie qui, pour le peu qu’elle m’importe, me semble ne rien lui devoir. Enfin je suis
amené à conclure que si tel système philosophique est valable il ne doit pas l’être simplement
pour moi. Je suis « partie d’un tout » dont l’évolution, à ce titre, m’importe autant que ma
propre, évolution. L’amour qui porte un Bouddha, un Christ, à revenir vers les hommes n’est-il
pas cette reconnaissance de la loi de l’Unité que je pressens ? Et si je n’attache qu’une
importance relative à mon existence individuelle, puis-je me satisfaire de la libération de mon
individualité à défaut de celle de la masse dans laquelle je suis inclus ? Je me pose ces
questions au moins autant que je vous les pose. Elles sont graves. Je ne crois pas qu’elle
puissent être résolues par la négative, mais je manque de force pour les soutenir clairement
dans le sens positif. J’avoue m’être laissé emporter par ce problème au lieu de l’attaquer
directement et c’est une question de mise au point que je me promets de tenter. Votre concours
à cet égard me sera précieux.
Je ne connais pas Vaughan. Pourriez-vous me donner la référence des citations si frappantes
que vous me rapportez ?
En ce qui concerne les deux Nos de la revue le Surréalisme au service de la
révolution, ils ne sont pas à proprement parler récents, car il sont paru il y a plus
d’un an. Leur contenu est assez pauvre, et je serai assez embarrassé d’en parler, et surtout
peu désireux de les prendre comme prétexte à ma chronique. Peut-être mon impression est-elle
fausse, et y avez-vous découvert un intérêt qui ne m’est point apparu au premier abord ? Dans
ce cas je pourrais y glisser une allusion dans le corps de mon article, mais si vous n’y voyez
pas d’inconvénient, j’éviterai de modifier mon entrée ne matière à laquelle je tiens assez.
Je serai à Paris la semaine prochaine, et passerai Vendredi à la revue pour tenter de vous
revoir. Mon cher ami veuillez je vous prie transmettre mes respectueux hommages à Madame
Paulhan, et me croire vôtre, très cordialement.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (11 janvier
1932) §
Je crois bien vous avoir dit, il y a quelques mois, en vous remettant le manuscrit des Clavicules de Daumal : « Une parie doit en paraître dans Commerce (ce qui n’a pas eu lieu) et une autre dans l’Anthologie des
Philosophes (ce qui vient d’avoir lieu) » ? Je suis très ennuyé moi aussi que nous nous
soyons laissés devancer, et vous avez raison de m’accuser de ne pas avoir rappelé ce danger qui
nous menaçait. Je vous confesse humblement que l’Anthologie des Philosophes
m’était sortie de la mémoire, d’autant que les livres annoncés chez Kra paraissent généralement
au moment où l’on a cessé d’y croire. Que faire ? Peut-être pourrez vous trouver un passage
encore inédit, et découpable. Daumal, que vous verrez ces jours-ci, pourra nous donner un avis
utile à ce sujet.
Il faut en effet parler des 2 Nos de la revue surréaliste qui viennent de paraître. Ils
manifestent la conversion totale du groupe surréaliste au matérialisme, si bien que le mot
« surréaliste » devient vide de sens, inutile et gênant. En d’autres termes, la doctrine
surréaliste me paraît avoir vécu. Je ne vois plus en quoi les « surréalistes » se distinguent
de n’importe quel adepte marxiste, ou du moins il me semble qu’ils ont l’ambition de ne plus
s’en distinguer. Dans ces conditions, il m’est très difficile de placer en tête de mon article
de considérations sur cette évolution, puisque mon article traite de problèmes que les
surréalistes se posaient en somme avant d’avoir pris parti aussi nettement. Vous sentez combien
mon article deviendrait peu logique, peu construit, si j’agissais de cette manière. D’autant
qu’au cours de l’entée en matière, je préviens le lecteur que je sépare la question des
« recherches philosophiques et poétiques » de la question « action sociale, adhésion à une
doctrine de l’action « encore très vague à ce moment dans le groupe surréaliste. Je crois qu’il
y aurait un parti excellent à prendre, et que je me permette de vous suggérer : prévenir par
une note (placée en renvoi) que mon article a été écrit antérieurement à la parution des 2 Nos
en question, spécifier que ces 2 Nos marquent officiellement un abandon de certains points de
la doctrine surréaliste par ceux qui persistent à se dire surréalistes » au profit de idées de
Marx-Engels, et que cet abandon mérite une étude particulière que la N . R. F. se propose de
donner dans un des prochains Nos (les termes de cette note seraient à arrêter entre nous,
naturellement). Ensuite vous pourriez demander à René Daumal de vous écrire la chronique ne
question (passage de l’idéalisme au matérialisme, et évolution de la doctrine surréaliste), à
la place des Clavicules déflorées par Kra ! Une étude de ce genre ma paraît
s’imposer, car personne (et surtout aucun surréaliste) n’a eu le courage de l’entreprendre, du
moins à ma connaissance.
Je ferai tout mon possible pour vous voir Mardi, mon cher ami. Je vous serre les mains.
A. Roland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (13 janvier
1932) §
Voici mes épreuves sur « le surréalisme ». j’ai ajouté une note concernant les 2 Nos du
s.a.d.l.r. à la fin de la chronique. Je crois qu’elle vous plaira.
Je viens d’avoir un long entretien avec Daumal : je m’étais trompé sur son évolution
personnelle, et nous sommes toujours d’accord sur tous les points de notre pensée. J’en suis
infiniment heureux. – Daumal compte passer vous voir à la N. R. F. jeudi
prochain à 6h, avec moi ! Il s’entendra avec vous au sujet des Clavicules et
de la Musique Hindoue. Il m’a affirmé que son refus de vous donner un Goethe reposait
uniquement sur son ignorance de cet auteur. Il s’en excuse et le regrette très sincèrement.
Daumal trouve les 2 Nos surréalistes plein de confusion et de stupidités.Tzara et Dali le
navrent particulièrement. Je crois que nous sommes d’accord avec lui.
Avez-vous trouvez une lettre recommandée à la Poste ? Ne tenez pas compte de la dernière
page : je l’ai écrite à un moment où j’ignorais la parution des 2 Nos surréalistes. J’aimerais
avoir votre avis quant au contenu philosophique de ma réponse.
Mon cher ami je vous serre les mains,
A.Rolland de Renéville
Reçu une carte charmante de Michaux, datée de Bénarès.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1932) §
Vous n’avez pas répondu à la question : « comment avez-vous commencé à croire que… » mais à
la question : « comment (devant les apparences contraires) n’avez-vous pas cessé de croire
que… »
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1932) §
« Et si c’est là le mythe, me direz-vous, quelle est donc la vérité? - ce devait être l’objet
de ma cinquième lettre. Je crois que je ne vous l’enverrai pas encore.
D’abord parce que je n’ai que trop abusé de votre patience. Ensuite parce que tout ce que je
vous y dirai ne vaut, il me semble, que si nous sommes parfaitement d’accord sur tous les
points dont je vous ai entretenu jusqu’ici. En un mot, si cous êtes prêt vous-même à vous
l’écrire.
J’attendrai donc un mot de vous. Dois-je ajouter que je puis l’attendre pendant aussi bien
cinq ans que cinq jours?
Je vous serre affectueusement les mains.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 février
1932) §
Je partage entièrement votre manière de voir vis-à-vis de l’affaire Aragon. Les termes de la
protestation surréalistes me choquent. Ils font preuve d’un sens de l’opportunisme en désaccord
avec la doctrine au contact de la politique la grandeur très particulière qui nous les faisait
aimer.
Excusez- moi de ne pas répondre aujourd’hui de votre lettre concernant ma position
spirituelle et humaine. J’aurais besoin d’ailleurs de vous demander certaines précisions des
termes, car je vous ai répondu, je le sens, à côté de vos questions, en janvier dernier.
Je viens de recevoir une assez belle lettre d’André Breton qui réfute avec courtoisie et
durant 6 grandes pages ma chronique sur le surréalisme. Évidemment nous nous devons de
soumettre cette lettre aux lecteurs de la Nrf. Voudriez-vous me dire si je
dois vous la communiquer d’urgence pour le prochain n°, où, si j’ai le temps de la faire taper
à la machine (car j’aimerais conserver l’original) ?
Permettez-moi de ne vous donner Goethe que lundi. J’éprouve de grandes difficultés à écrire
un article de q. q. pages sur Faust, mais je suis en train de m’y efforcer.
Croyez-moi mon cher ami tout à fait vôtre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 mars
1932) §
J’ai bien tardé à vous répondre. J’ai traversé une crise de dépression pendant laquelle je ne
pouvais plus rien faire, pas même écrire une lettre. Je demande à votre amitié de bien vouloir
me passer ces moments où je cesse d’exister un peu plus que d’habitude.
Je reprends votre lettre !
1er Je suis étonné que vous attachiez une importance fondamentale à mon
jeu de mots sur le terme « connaissance ». Il n’y avait pas là une détermination de ma pensée,
mais une sorte d’image-calembour à laquelle je n’avais jamais eu jusqu’ici recours, et qui par
conséquent ne saurait en rien déterminer une pensée qui existait avant ce jeu de mots. Je
prétends que lorsqu’un homme se pose une question, le spectacle qu’il donne, devient aux yeux
du philosophe un drame où 3 termes s’affrontent : un sujet, un objet, et la relation qui existe
entre eux.
2° La préférence pour l’absolu (et non pas un certain absolu, bien entendu,
puisqu’il est impossible d’en concevoir plusieurs) est incluse dans l’interrogation que se pose
le sujet en face de l’objet. Si la vérité ne consistait pas dans l’intégration du sujet et de
l’objet, le sujet ne pourrait se poser de question par rapport à l’objet. Et
d’ailleurs ce qu’on nomme l’absolu étant une notion de plénitude, en dehors de laquelle rien ne
se peut concevoir, la question ne peut se poser de savoir si l’absolu ne consisterait pas dans
le multiple, c’est-à-dire dans l’opposée de sa propre notion.
Votre observation tend à poser la valeur de la raison humaine, et à nous faire retomber dans
l’agnosticisme kantien que j’avais tenté d’écarter en admettant que l’homme faisant partie d’une certaine réalité, et déterminé sans le sens de cette réalité : les
catégories de sa raison s’adaptent sans doute à celle de l’objet, puisqu’il existe entre cette
raison et cet objet un rapport de nature. (Impossibilité de concevoir une raison qui aurait
prise sur un objet totalement différent d’elle – Argument platonicien).
Le Scholie de Benda me paraît faux dans ses prétentions historiques, et misérable dans ses
ambitions. Je vous en reparlerai. Je n’ai pas la Revue sous la main.
Je pense passer vous voir ce soir à la N.R.F., mon cher ami, croyez moi vôtre.
Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 mars
1932) §
Je vous suis très reconnaissant de votre aimable invitation que j’accepte avec un très grand
plaisir. Je me réjouis des instants que nous passerons ensemble le 20 mars, et serai très
heureux de connaître Chagall.
J’espère vous rencontrer avant cette date à la N. R. F. et aurai besoin que vous m’indiquiez
les moyens de communication entre Paris et Chatenay.
Je crois que vous me concédez, au sujet de la personne de Gautama l’Illuminé, que s’il est,
en effet, impossible de lui attribuer historiquement un texte quelconque, une parole, même un
geste, si ce n’est un enseignement oral qui nous a été conservé par ses disciples (et la même
obstination vaut pour Socrate et pour le Christ) il devient difficile d’attribuer ou de nier à
cette personnalité une action sociale. Toutefois si nous n’avons pas le droit d’engager la
personnalité du Bouddha dans nos hypothèses, nous ne pouvons guère dénier à ses enseignements
la considérable portée sociale qu’ils ont eue. L’enseignement boudhique ruina, ou tendit à
ruiner, les castes brahmaniques ; Socrate fut considéré à juste titre comme dangereux pour la
chose publique ; et je n’ai pas à insister sur la portée révolutionnaire des enseignements
christiques. Admettre entre la pensée et l’action une barrière infranchissable, ne serait-ce
pas d’adopter une position dualiste ?
Je sais que vous pourrez me dire que j’envisage ici les conséquences d’une pensée, et non pas
l’attitude de son auteur. Il n’en n’est [sic] pas moins vrai que le pouvoir de cette pensée
dépasse l’ambition morale de celui qui la suscite. Le sage qui se retire pour méditer, sera
doublement sage s’il prévoit toutes les conséquences de sa méditation. Mais s’il ne les prévoit
pas, ces conséquences n’en n’existeront [sic] pas moins. C’est pour cela sans doute que le
bouddhisme établit une distinction entre l’état de Bouddha (L’Illuminé qui poursuit son salut
personnel) et l’état de Bodhisatva (L’Illuminé qui refuse momentanément l’extinction totale de
sa personnalité pour pouvoir aider l’Humanité demeure en arrière). Et s’il est émouvant de
constater que la tradition attache plus de prix au sacrifice consent du Bodhigattva qu’à la
libération de Bouddha.
J’ajoute que je suis tout prêt à faire une concession à votre opinion, car je crois bien que
nous avons raison l’un et l’autre, et voici comment : l’esprit et la matière n’étant plus que
les deux facettes de la réalité accessible en révélant un mouvement que les dialecticiens ont
cru pouvoir décomposer, il semble que les deux faces de cette Réalité ne peuvent évoluer
qu’ensemble, ou du moins sur un rythme similaire. Je suis bien loin de prétendre que la pensée
dépend des faits économiques et sociaux. Mais je crois pouvoir observer que leurs évolutions se
rejoignent, et il apparaît probable qu’elles réagissent l’une sur l’autre, dans des proportions
que j’ignore. Je crois d’ailleurs pouvoir noter que la pensée est « en avant » selon la parole
de Rimbaud. Et c’est pourquoi sans doute les poètes sont à la fois des métaphysiciens et des
prophètes. Le poète le plus éloigné de l’action sociale se trouvera généralement, qu’il avait
prévenu ou non, en accord avec les révolutionnaires de l’avenir.
Choisissons, si vous le voulez bien, le poète le plus étranger à toute préoccupation sociale,
et qui s’est abstrait avec effort du monde sensible : Mallarmé. Sa poésie est toute dominée par
le point de vue hégélien qu’elle retrouve et recrée par ses démarches personnelles. L’évolution
sociale ne suit-elle pas le rythme même de cette pensée ?
Or, je ne prétends pas le moins du monde que ceci conditionne cela. Je pense même que
l’application volontaire et artificielle aux œuvres de l’esprit, d’un postulat
d’interdépendance entre les faits et l’intelligence, ne peut que produire les résultats odieux
et grotesques dont les dernières manifestations surréalistes nous fournissent des exemples.
Mais je pense que nous aurions tort, vous d’affirmer que l’esprit suit des voies étrangères à
la dialectique sociale, moi d’affirmer qu’il ne peut poursuivre ses démarches sans prendre
l’action sociale comme objet de ses recherches. À la vérité, l’esprit et les faits évoluent
selon un mouvement identique, pour cette raison probable qu’ils ne sont que les aspects du même
Mouvement.
Ce que je crois, c’est que l’esprit a la possibilité de devancer les faits à une vitesse
incroyable (1) et de parvenir à réaliser cet état de synthèse qu’est l’extase mystique, sans
avoir à attendre que les contradictions des faits soient résolues.
Il faut reconnaître que les grands poètes ont eu tendance à se plier à des exigences
intérieures (correspondant à celles de la tradition hindoue) qui leur ordonnent de ne pas se
satisfaire de cette extase, mais de continuer à vivre. Rimbaud se disait « tendu au sol » avec
« la réalité rugueuse à étreindre ». Goethe parlait de moins en moins de métaphysique, et
agissait dans le monde.
Je vous remercie de ce que vous voulez bien me dire au sujet de mon article sur Goethe. Mais
vous me reprochez d’être parfait dès le point de départ : n’ai-je pas montré Faust partant
d’une catastrophe intellectuelle et n’atteignant l’absolu qu’à travers le relatif ? Je pense
comme vous que l’Infini peut difficilement faire le sujet d’un article… voire même d’un
livre !
Vous ne me donnez pas de nouvelles de la lettre de Baudelaire ? Puisque vous en possédez une
copie, ne pouvez-vous me le transmettre vous-même ?
Si vous recevez pour compte rendu le livre d’inédits de Baudelaire qui vient de paraître au
Mercure, pourriez-vous me le réserver ? Je vous demanderai peut-être, si je ne vous ennuie pas,
l’ouvrage sur Charles Henry qui vient de paraître chez Gallimard, et le nouveau Bergson. Je
vous les rendrai rapidement. Je ne puis songer à les acquérir.
Merci de m’avoir fait adresser un Luxe du n° de Goethe. Cet envoi m’est précieux. Mon cher
ami, veuillez ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, et croyez moi je vous prie bien
vôtre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (20 mars
1932) §
Je viens vous exprimer toute ma reconnaissance pour l’excellente journée que j’ai passée
parmi vous, à Chatenay. J’en conserverai le plus charmant souvenir.
Chagall et Supervielle m’ont, chacun dans leur genre, beaucoup attendri, et je vous remercie
de m’avoir réuni avec eux.
Je reste également charmé de notre visite à la Vallée aux loups, qui, malgré son Livre d’or,
conserve beaucoup de grandeur. Il ne me déplaît pas que la démence y succède à la poésie.
En vous remerciant encore, mes chers amis, je vous prie de croire à ma bien vive amitié.
A. Rolland de Renéville
Je vous retourne ici-même la lettre de M. Le Dantec
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 mars
1932) §
J’espère que vous profitez à Port-Cros d’un temps plus favorable que celui que je subis en
Touraine depuis quelques jours : pluie et vent, avec de rares éclaircies.
Saisi d’un beau courage, j’écris ma « réponse à Breton » qui vous amusera peut-être. Je
profite de l’occasion pour lui signaler qu’en croyant adhérer au matérialisme dialectique, il
adhère en fait au matérialisme primaire, dont il s’était pourtant déclaré l’ennemi. Je n’ai
guère de peine à le lui prouver, à l’aide de citations prises dans sa revue Le
Surréalisme a.s.l.r. n°os 3 et 4.
J’ai lu avec attention le texte de Zimmer sur le Bouddhisme que vous avez bien voulu
m’adresser. Il présente un curieux mélange de formules heureux et de surprenantes maladresses
d’expression. D’autre part, je lui reprocherais de ne faire en somme qu’énoncer les 4 vérités
(qui constituent l’A.B.C. du Bouddhisme) et de s’en tenir là. Comme vous me le disiez si
justement, il s’arrête à partir du moment où nous aurions aimé qu’il commence. Malgré ces
réserves, je pense qu’il serait sans doute souhaitable que ce texte passe dans la revue (après
q.q. retouches d’expressions) car l’on ne saurait jamais trop solliciter, au profit des
questions mystiques, l’attention des penseurs. J’ajoute enfin que ce texte, si imparfait qu’il
soit, me paraît par sa teneur et son sujet, bien au dessus de la plupart des choses que l’on
vous propose couramment.
Je serai de retour samedi prochain. À partir du 2 avril, veuillez donc m’écrire, comme
d’habitude, 1 rue Casimir Delavigne. Paris.
Je n’ai pas trouvé si mal le poème de Michaux paru dans Commerce !
J’ai aimé aussi les textes chinois recueillis par Grothuysen.
En attendant le plaisir de vous revoir, mon cher ami, je vous prie de bien vouloir
transmettre mes respectueux hommages à Madame Paulhan, et de me croire cordialement vôtre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 avril
1932) §
L’humour qui enveloppe vos deux questions n’a pas réussi à entamer suffisamment ma naïveté
pour que je m’en tienne aux entretiens que nous avons eus, à leu sujet :
1° Je ne crois absolument pas que la méthode qu’emploie Nerval soit assimilable à celle de
Jouve. Elle se rapproche sans doute de celle de Breton. Tandis qu’il y a chez Nerval et même
chez Breton, un effort pour sortir de la littérature et aller vers le Réel. J’aperçois en sens
inverse chez M. P. J. Jouve une volonté de réduire le Réel à la littérature, c’est-à-dire de le
fausser et de l’asservir à des fins innommables.
2° Quand Banville écrit « si la rime est faible, c’est que l’écrivain n’a pas
assez réfléchi » il faut une observation de professeur qui désire que son élève
s’applique bien. Je crois que ce serait être charitable à mauvais escient que de donner à cette
phrase le sens profond que vous voulez bien lui supposer. Le reste du Traité de Versification
me paraît d’une nullité que ne rachète pas l’œuvre poétique de son auteur. Et rien, me
semble-t-il, ne vous permet de prêter à Banville un éclair de lucidité que tout vient
démentir.
Croyez-moi mon cher ami bien vôtre
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (24 mai
1932) §
Entendu donc pour le mardi 31 mai, et merci de m’avoir prévenu.
Peut-être ne vous reverrai-je pas avant ce jour, car je vais passer la fin de la semaine en
Touraine. Si vous aviez à m’écrire avant le 30 mai, veuillez adresser votre lettre : 11 rue
Emile Zola- Tours.
Je serai revenu ici le lundi 30.
Sauf contre ordre, je vous attendrai donc le 31 vers 12h. 30 devant l’Hôtel Nollet.
Artaud m’écrit qu’il revient la semaine prochaine à Paris.
Je suis allé voir la Tour de Nesle. Une manière de chef d’œuvre en effet. Le sang et la nuit
sont irrésistibles. « Ce sont de grandes dames… » m’a frappé.
Partager je vous prie avec Madame Paulhan ma bien sincère amitié.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 juin
1932) §
Je passerai demain vous remettre le Procès de Kafka que je trouve tout à
fait beau. Je suis heureux de connaître cette œuvre, et compte la relire avec attention,
lorsqu’elle passera dans la Revue. Actuellement je dispose malheureusement de peu de temps pour
une lecture attentive.
J’aimerais que vous pensiez que je n’avais fait qu’écrire à Artaud, parmi d’autres choses,
que la parution de ma lettre à Breton était retardée pour ses motifs matériels. Je suis fâché
qu’il ait pris sur lui de vous écrire à ce sujet. Sans doute a-t-il agi dans une amicale
intention, mais j’éprouverais une vraie peine si vous deviez, à la suite de cette maladresse,
vous inquiéter, même légèrement, de la confiance que vous avez su m’inspirer. Ce sont là des
nuances dont je souffre à l’extrême.
Je suis tout à fait d’accord avec vous sur votre définition du meilleur
poème. Les innovations de forme n’ont d’intérêt qu’autant qu’elles conduisent à des
réalités spirituelles insoupçonnées Et je ne crois pas qu’il puisse y avoir non plus une pensée
vraiment haute sans une belle écriture.
J’avais oublié de vous dire que Daumal serait disposé à écrire une étude d’ensemble sur
l’œuvre de R. Guénon. Il demanderait simplement qu’on lui prête les livres de cet auteur, et
lui accorde un délai de 2 mois. Il connaît beaucoup mieux que moi la pensée de R. Guénon.
Le garçon américain que je vous ai présenté m’a confié deux livres de vous pour que vous lui
mettiez une dédicace. Ce garçon me paraît assez plein de mérite, car il n’est parvenu à la
pensée de Mallarmé qu’après avoir travaillé 10 ans comme ouvrier d’usine, soit comme marchand
de bonbons dans les cinémas. Le soir il poursuivait des études qui lui ont permis d’occuper
ensuite une place de professeur à l’Université de New-York.
Je suis prêt à écouter avec plus d’attention ses opinions sociales que celles de Monsieur
Crevel. Mais elles sont justement beaucoup moins sûres d’elles mêmes.
Mon cher ami je vous serre les mains.
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (juin 1932) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – juin 1932.
Samedi. [juin 1932]
Mon cher ami
Vous me direz Mardi ce que vous pensez de ces pages. (Je ne puis pas dire que j’en sois très
fou. Mais Br., abandonné avec sa fille par sa femme-aux-paupières-vertes, devient terriblement
père.)
A vous
J.P.
lundi
Nous serons demain au Rond-Poins pour déjeuner à 1h au plus tard.
Je suis passé chez vous tout à l’heure mais Casilda était envolée : c’est signe qu’elle est
guérie et je m’en réjouis. Amitiés à vous deux.
Cher ami
Ce billet, à tout hasard. (J'irai sûrement).
Songez à notre journée de discussion. (à Châtenay?) On attendra Artaud.
Je découvre que nous ne sommes pas libres Jeudi. Nous fixerons un autre jour.
Votre ami
JP.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (17 juillet
1932) §
J’éprouve un vif regret d’avoir dû quitter Paris, sans pouvoir passer, mercredi soir vous
serrer les mains à la N.R.F. J’ai dû effectuer d’innombrables courses, et entretemps tenir
compagnie à une amie souffrante. Tous mes instants furent pris, et j’ai simplement pu déposer à
votre nom ma note sur Fargue, et celle sur Aragon.
La première est trop littéraire pour mon goût, mais D’Après Paris ne se
prête guère qu’à la constatation d’un charme. Il n’y aurait eu un intérêt véritable à parler de
la poésie de Fargue qu’à la condition de la considérer dans son ensemble, et en prenant Vulturne comme centre de réflexion. Fargue est un poète que l’on admire et
attaque pour de mauvaises raisons.
J’attache plus d’intérêt à ce que j’ai tenté de dire à propos de Persécuteur
persécuté. Il n’y a là sans doute qu’une approximation, et je ne me reconnais que le
mérite d’avoir posé un problème. Si j’ai cru pouvoir indiquer le sens d’une solution, cette
recherche mérite d’être approfondie. (J’attends avec curiosité votre avis, et ceux des q. q.
rares esprits dont les paroles portent pour moi une signification.)
J’aimerais aussi que vous m’écriviez vos réflexions sur la réponse que j’ai faite à votre
dernière lettre écrite à propos de nos entretiens de Châtenay. Si vous admettez que mon jeu de
mot sur le terme « connaissance » n’était qu’une illustration, et non une
source de pensée, veuillez me dire en quelle estime ou mésestime vous tenez cette
pensée.
Vous sentez d’autre part que Daumal et moi ne pouvons admettre le ton de Benda, puisqu’il
s’agit du ton amateur contre lequel nous nous élevons à priori. La quiétude des orientaux qui
ont opté pour une métaphysique inhumaine, et l’inquiétude des occidentaux qui ont adhéré à une
métaphysique de consolation, démentent d’ailleurs ses postulats. Enfin ses conclusions nous
font retourner à la psychologie, et constituent en somme une défense involontaire et indirecte
du « roman » !
Je n’ai pas reçu les livres de poèmes de Breton, Eluard, Tzara qui viennent de paraître aux
Cahiers libres, soit qu’ils aient été envoyés chez Sima, soit que leurs
auteurs me boudent… Que valent ces poèmes ? S’il vous était possible de me les faire adresser
ici pour un éventuel compte rendu, je serais assez heureux de les connaître.
Je serai de retour à Paris du 16 août au 1er sept. Je repartirai ensuite
pour une dizaine de jours. Peut-être me verrez-vous à Port-Cros malgré les cerfs volants, mais
je n’en suis pas certain car mes projets sont vagues ; j’hésite entre le Midi, la Bretagne,
l’Espagne… D’ici là, je travaille pour moi, devant une campagne assez pure mais chargée
d’orages. Depuis mon arrivée, la pluie tombe.
Avant mon départ j’ai rencontré Artaud dont les angoisses particulièrement aiguës m’ont ému,
et Jean Wahl dont l’éclectisme m’a déçu. (Le matérialisme le séduit parce qu’il accumule les
problèmes, et que seuls les problèmes lui paraissent exaltants, etc.)
Veuillez ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, mon cher ami, et me croire tout à
vous.
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 août 1932) §
j’aurais dû vous écrire depuis longtemps, mon cher ami. Pardonnez-moi. A vrai
dire, je me suis trouvé mécontent de la longue lettre que j’avais commencé à vous écrire.
(Que vous disais-je? Que l’on pouvait, par abréviation, parler d’un « certain
absolu ». En ce sens que nous ne pouvons guère parvenir à imaginer (ou à supposer) l’absolu
qu’à partir d’un certain terme relatif, que nous transcendons - ad infinitum, per finita - et
que le « certain absolu » qui vous a déplu dans ma lettre signifiait, évidement: « l’absolu
obtenu ⎨à partir d’un
⎨ par l’oubli d’un certain relatif »
Et encore? Qu’il me paraissait imprudent, si longtemps après Parménide et les
autres, de prouver a priori que l’être est un… (mais j’aurais besoin ici de
lire tout le détail de votre thèse) Nous en reparlerons.
Pour moi, je voudrais établir principalement qu’il est .
Que l’absolu est objet d’expérience et de connaissance -
cela à partir de la méthode scientifique la plus simple, semblable à celle de la physique ou de
la chimie… Je crois que j’y parviendrai. Mais de cela aussi nous reparlerons.
Vous m’aviez fait, lors de notre réunion, une objection qu’à la réflexion
vous ne maintiendriez pas, je crois. Dire que tel sens du mot image est
juste, tel autre non, ne revient-il pas à affirmer que l’Allemand a raison de dire Pferd et le Français tort de dire cheval (ou toute différence de
langage analogue.)
*
J’ai reçu hier la « mystique de Baudelaire » où un M. Pommier déchiquète le
plus émouvant des sujets. Breton, naturellement, ne m’a pas écrit. (Je mets bien plus bas que
son mélange d’obséquiosité et d’insolence, la bassesse qui le fait tenir des propos qu’il est
bien libre de démentir ensuite, mais refuser de les écrire.)
*
Artaud m’écrit que son théâtre s’appellera « Th. de la cruauté ». J’aurais
préféré quelque Th. métaphysique (pourquoi pas - il y ait eu dans ce titre une fierté que n’a
pas le « Th. de la cruauté ») ou même Th. de l’absolu, Th. alchimique, que sais-je. Mais ses
projets sont très intéressants.
Où êtes-vous? Ne me laissez pas sans nouvelles. Je vous répondrai aussitôt
cette dois. A vous, très amicalement
Jean Paulhan
Il me tarde de lire vos études sur l’expérience poétique .
Et les images, que vous m’aviez promises. Je travaille beaucoup à mes Fleurs
de T. Le reste du temps, vie d’homme des bois: défrichement, pièges (plus de rats que de
lapins). Ne viendrez-vous pas à Port-Cros?
Ne me donnerez-vous pas des notes pour la prochaine nrf ?
Je le voudrais. Aragon paraît aujourd’hui.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 septembre
1932) §
Votre lettre reçue ce matin m’a fait plaisir. Votre silence me faisait craindre que mes
précédentes lettres ne vous soient pas parvenues, et c’est pourquoi j’ai fait recommander hier
la lettre que je vous ai écrite au sujet de mon article sur Aragon. J’ai eu un moment d’humeur
assez vif en constatant les fautes d’impression qui le défigurent, car j’avais particulièrement
soigné cet article. Si ce mouvement est passé avec trop de violence dans ma lettre, ne m’en
tenez pas rigueur, et comprenez-moi.
Je vois assez souvent notre ami Henri Michaux que j’aime infiniment. La fréquentation de
l’homme éclaire l’œuvre. Il a apporté de son voyage une merveilleuse allure spirituelle.
Je suis heureux de savoir que vous travaillez. J’attends avec beaucoup d’impatience la
parution de votre travail, et le peu que j’en connaisse déjà me paraît soulever les plus graves
questions.
Je ne saisis pas comment vous pouvez établir que l’absolu est notre objet d’expérience, et
cela à partir de la méthode scientifique. Il me semble que la critique de Kant reprend toute sa
valeur à partir du moment où l’on tente d’appréhender l’absolu en conservant au sujet sa
qualité relative. Mais sans doute avez-vous votre idée, que je voudrais bien entendu.
Je me rencontre tout à fait avec vous au sujet du titre que notre ami Artaud choisit pour son
théâtre. Depuis plusieurs jours déjà je lutte pour qu’il renonce à ce titre Théâtre de la cruauté, qui me paraît très limité, et susceptible des équivoques les plus
faciles. Je crois qu’il se laisse séduire par la sonorité du mot, et sa puissance, cependant un
peu frêle, d’étonnement et de scandale. J’aurais préféré Théâtre du devenir,
ou Théâtre de l’Idéalisme Magique, ou Théâtre
Alchimique.
Ne pensez-vous pas que les vers de François Alibert sont indéfendables à tous égards ?
Nullité totale de la pensée, et maladresse incroyable de la forme (accumulation d’adjectifs, de
mots creux et pitoyables, petit ron-ron plein de ratés).
Les poèmes de Breton me paraissent eux aussi, bien mauvais, dans le genre opposé, et il faut
que Cassou ne puisse plus trouver d’autres terme pour écrire que celui de « chef d’œuvre » pour
oser encore une fois l’employer ici !
Vous ne me verrez pas à Ports-Cros cette fois-ci, mais il est à peu près certain que l’an
prochain j’affronterai avec courage les cerfs-volants, les couleuvres, et les lézards
transparents.
Tenez-moi votre promesse de me donner bientôt de vos nouvelles, et croyez moi, mon cher ami,
bien vôtre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 septembre
1932) §
Vous avez bien fait de vous moquer un peu de moi. Je reconnais que je suis à l’égard des
fautes typographiques dans l’état de certains malades mentaux qui se conduisent normalement
dans la vie, mais devant lesquels on ne peut prononcer par exemple le mot fusil sans qu’ils
prennent leur interlocuteur à la gorge. Une coquille me donne l’estomac un cou d’autant plus
violent qu’elle parait dans un texte dont je me suis efforcé de chasser les hésitations de
langage ou de pensée. Pour en finir avec cette mesquine querelle dont je suis le promoteur.
1° Je ne crois pas qu’il soit correct d’écrire « de grands récits, des histoires d’amour, des
revendications morales lui furent confiés ». Il me semble qu’il faut confiées puisque nous nous trouvons en présence d’un sujet masculin et de deux
féminins. N’êtes-vous pas de mon avis ?
2° Enfin pour la fameuse addition qui m’a tant révulsé (non à cause du sens
qui restait inchangé, mais à cause de la platitude et de la rupture rythmique que cette
addition apportait à la phrase), j’aimerais que vous fassiez passer ans l’erratum : « La
dernière page de ce livre fermée (et non fermé) je me suis pris à songer que » (et non à méditer, songeant que…) Je reconnais toute la justesse de votre
réflexion touchant l’incorrection probable de l’expression : « méditer que… ». je ne saurais
trop vous dire à quel point je suis d’accord avec vous pour honnir les fautes de français. J’en
fais souvent dans mes lettres écrites au courant de la plume, et même quelquefois dans les
articles. Ce n’est jamais exprès, croyez le, et vous avez bien raison de vous insurger contre
elles. Elles signifient parfois l’ignorance et très souvent la distraction, c’est-à-dire toute
la dignité de l’homme !
Je ferai bien volontiers la note sur les derniers livres de Michaux. Je viens d’en parler
avec lui. Je vais m’y mettre dès maintenant.
Vous avez dû recevoir le Manifeste d’Artaud. Il me l’a fait lire, et j’ai
été vivement frappé de la réussite qu’il constitue. Le style et les idées sont admirables.
Enfin la teneur du texte m’aide à accepter le titre th. de la Cruauté dont
elle étend le sens. Si Artaud parvient à réaliser une tentative théâtrale dans cette direction,
ce sera bien passionnant !
J’ai été ému par votre phrase sur l’amitié, car j’attache à ce sentiment une importance
extrême. Je voudrais que mes précédentes lettres aient surtout servi à vous éclairer sur mon
mauvais caractère, et par conséquent à connaître mieux l’un de vos amis. Mais que vous ne m’en
conserviez aucun ressentiment.
Veuillez mon cher mai ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, et me croire bien
vôtre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 septembre
1932) §
Je suis à Noizay pour quinze jours encore (jusqu’au 25 sept.). Je n’ai pu retrouver qu’ici
les 3 livres de Michaux que j’avais laissés dans une résidence tourangelle. Je crains de ne
pouvoir vous donner ma note que pour le n° de novembre. Nous sommes déjà le 14, et je ne
l’aurai terminé que dans cinq ou six jours. Est-ce très grave ? Michaux m’a affirmé qu’il lui
était indifférent que la note ne passe qu’en novembre. S’il pouvait en être de même pour vous,
j’en serais heureux ?
La phrase que vous me citez de Mademoiselle Camille m’a littéralement renversé ! Je me
demande qui de nous deux est le plus naïf : elle, d’agir ainsi, ou moi de n’avoir pas prévu
qu’elle pourrait agir de cette sorte.
1° Je n’ai cité Kant , que parce que vous m’avez écrit : « Pour moi je
voudrais établir principalement que l’absolu est cet objet d’expérience et de connaissance –
cela à partir de la méthode scientifique, la plus simple, à celle de la physique ou de la
chimie. » (Excusez moi de vous querellez sur ces mots, mais l’absolu ne peut être un objet. Ce
terme suppose un sujet qui lui est opposé et le limite. On ne peut donc connaître l’absolu,
mais y participer. Le silence mystique est le signe au profit de l’absolu.)
– A toutes vos acquisitions logiques, et expérimentales, l’objection kantienne de la
relativité me parait valoir irréfutablement. Vos instruments de recherches sont vus par votre
raison humaine, et leurs résultats appréciés par elle. Vous n’obtenez donc que des révélations
relatives.
2° Il me semble que la distinction faite par la philosophie orientale de deux vérités doit
être conservée : la Vérité relative (celle que nous pouvons tenir en face,
dont nous pouvons parler) et la Vérité absolue (celle dans laquelle nous
pouvons perdre, c’est-à-dire que nous ne pouvons prendre comme objet, puisque sa qualité
d’absolu ne supporte aucune division) et par conséquent aucune réalité en dehors de la sienne
propre.
Ceci posé, je suis assez à l’aise pour m’accorder de l’objection kantienne. La Vérité de
l’Homme m’est accessible. Et moi, Homme, noyé dans l’océan du monde manifesté, particule de
cette manifestation, je puis connaître ce monde, car me connaître c’est le connaître. (C’est ici que le « connais-toi, toi-même » antique prend toute sa
valeur). Il y a analogie entre le sujet et l’objet. (Je m’étais amusé à
illustrer cette analogie par le jeu de mot co-naissance, mais nous pouvons fort bien nous en
passer !) La loi d’Analogie nous permet de concevoir les multiples correspondances qui lient
entre elles les réalité les plus lointaines. Sans doute ne puis-je ainsi ramener au jour que
des vérités relatives à la structure mentale de l’homme, mais si je recherche le dépassement de
l’homme, je dois d’abord en connaître le complet développement.
La Vérité absolue m’échappera toujours, tant que je conserverai ma qualité de sujet personnel. À peine pourrais-je le supposer par une opération de Renversement (Le
Contraire de ce que je puis savoir) ou de Négation (son nom et non) ou l’approximer par la
décantation de la parole – ce qui est le rôle de la Poésie. Je m’en réfère encore au silence
mystique, ou – ce qui est la même chose – à l’expression des « upanischads : « Tu es
Cela. »
Je ne sais ce que pourrait donner une réunion à huit, telle que vous m’en suggérez l’idée. Du
point de vue « amitié humaine » ce sera très souhaitable. Je ne sais si d’autre part nous
n’obtiendrons pas avant tout de violentes oppositions. La poésie de Supervielle, par exemple,
est trop peu maudite pour être supportée par Artaud, Daumal, et Renéville. Les livres de
Jouhandeau emploient les décors et les personnages mystérieux dans un but de pur pittoresque. Rougemont a beaucoup de subtilité en surface. Ne craignez
vous pas que 2 camps s’organisent aussitôt ? Dans l’un d’eux je verrai Artaud, Daumal, Michaux,
Paulhan et Renéville et dans l’autre Rougemont, Jouhandeau et Supervielle. Vos tableaux et vos
livres pourraient servir utilement de projectiles. – Mais je fais de l’a-priorisme. Je me
trompe peut-être. Essayons.
Je pensais que la parution du poème d’Alibert était explicable par une question d’amitié par
exemple, mais je suis stupéfait de penser que Gide admire cet écrivain. N’est-ce pas
déconcertant ? Le goût du mauvais goût peut devenir encombrant.
Vous ne vous étonnez pas que je n’aime guère le Chetov. C’est de l’Anatole France rénové.
Tout se réduit à quelques petits syllogismes assez minces. Mais enfin cela a de l’allure, et de
l’esprit.
Artaud a vraiment de merveilleuses intuitions. Son texte est une vraie réussite. Je voudrais
tant qu’il puisse réaliser ses idées, et monter un théâtre !
Quand revenez-vous à Paris ?
Voudriez-vous me faire savoir si je puis vous donner le Michaux que pour
novembre ?
Mon cher ami je vous serre cordialement les mains, en vous priant de bien vouloir transmettre
mon respectueux souvenir à Madame Paulhan.
A. Roland de Renéville
Chateau d’Anzon
Noizay – Indre et Loire
Adresse jusqu’au 25 sept. Ensuite 1 rue C. Delavigne Paris.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (septembre
1932) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 096256 – septembre
1932.
Mercredi [septembre 1932]
J’ai tout à fait oublié hier de vous transmettre une demande de René Daumal : il vous aurait
une vive reconnaissance d’obtenir que la Revue lui verse immédiatement le prix de son article
sur la musique hindoue. Il est en effet réduit actuellement à la pauvreté la plus extrême, et
menacé de saisie (ceci entre nous). Bien que minime, la somme qui lui est due, l’aiderait
énormément m’a-t-il dit, en lui permettant de faire patienter l’un de ses créanciers.
Je devais vous faire cette commission hier, et Daumal va se présenter à vous aujourd’hui même
vers 5h. Veuillez, je vous en prie, ne pas lui dire que j’ai oublié hier de vous en parler, et
que je vous ai écrit seulement aujourd’hui, car il serait en droit de trouver cet oubli peu
amical de ma part… Je suis moi-même ennuyé de cette marque d’égoïsme que je me suis donnée en
ne laissant hier affleurer à ma conscience que les pensées agréables que je formais au milieu
de tous, c’est-à-dire en ne pensant qu’à moi… La seule excuse que je me reconnaisse est le très
grand charme de cette réunion que je vous remercie d’avoir organisée. Max est « désarmant » et
je ne conçois pas qu’il puisse avoir autre chose que des amis. Supervielle est délicieux tout à
fait. Il m’a montré de très beaux poèmes qu’il écrit actuellement, et qu’il venait de vous
soumette m’a-t-il dit. Enfin sa femme et ses deux filles ne sont pas d’une beauté moins
parfaite que les images de son esprit !
Je vous dis à bientôt mon cher ami et je vous serre les mains.
Renéville
Supervielle m’a dit un mot de la lettre d’Artaud. Je crois qu’il faut, en raison de sa
maladie, beaucoup lui pardonner, être prêt à de grands sacrifices si l’on estime que ses
instants de lucidité valent la peine de le connaître. Mais vous avez hélas ! beaucoup plus de
raisons que moi de savoir tout cela. Je n’ai fait jusqu’à présent que l’observer en
spectateur.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 septembre
1932) §
C’est avec beaucoup de raison que vous remarquez : une vérité relative
n’est pas une vérité. Et poussant dans ces conséquences cet axiome, nous ajouterons : la
création que nous percevons et à laquelle nous participons, se révélant limitée, et n’existant
que relativement à sa propre notion, mais nullement par rapport à un absolu que nous savons
seul réel, cette création n’existe pas, elle n’est qu’une illusion passagère
que l’on peut comparer, lorsqu’on la confronte avec l’Absolu, à la vision d’un rêveur – la vie
est un rêve dans un rêve. Telle est du moins la conclusion à laquelle aboutit la pensée
orientale, et que certains de nos poètes ont pressenti (un poème de Poe se termine par cette
expression : la vie est un rêve dans un rêve).
Si nous admettons comme hypothèse de travail que nous apporte la logique, cette distinction
entre une Réalité Relative, et une Réalité Absolue, l’objection kantienne ne gênera pas, me
semble-t-il, très profondément, notre prétention de connaître ce qui est en apparence en dehors
de l’homme, tout en appartenant cependant au domaine de la réalité relative, ‑ c’est-à-dire le
monde. En effet l’homme n’est qu’une parcelle de cette réalité relative, et sa structure
physique et mentale est fatalement en rapport intime et analogique ave la structure de cette
réalité. Peu m’importe que Kant vienne me dire par conséquent que je pose sur le monde sensible
les catégories de mon esprit. Cet esprit n’étant détaché que de façon illusoire de ce monde en
réalité unique, ne peut posséder d‘autres catégories que celles du monde même
qu’il observe, sans cesser de lui appartenir.
Vous ne pouvez donc me dire très fermement : « C’est de l’homme seul que vous êtes condamné à
parler, et la loi d’analogie n’est qu’une aimable fantaisie de votre esprit ».
En vérité c’est tout à la fois l’homme, le monde, et la loi d’analogie qui sont des
fantaisies (ou mieux une fantaisie) de l’Absolu.
Je ne prends même pas la peine de réfuter la théorie de Kant, si vous voulez. Je m’en
accommode, et la réduit presque à une vérité que va sans dire : « mon esprit appartenant au
monde relatif en a évidemment la structure, et peut donc prétendre le connaître ». je ne suis
pas du tout condamné à parler de l’homme seul, et la loi d’analogie a une valeur de même ordre
que celle du principe d’identité.
Mais si je me tourne vers l’Absolu, il en est autrement. Je ne puis le connaître, car la
connaissance, je le répète, suppose une distinction entre sujet et objet. D’autre part la
structure de mon intelligence ne me permet pas de l’appréhender. Toutefois, si je renonce à ma
conscience, à l’illusion de ma personnalité et de mon existence, je puis m’abîmer en lui, ou du
moins l’approcher (Extases mystiques).
X
Je vous aurais cité Kant en réponse à une phrase où vous m’assuriez que l’absolu peut devenir un objet de connaissance scientifique. Vous alliez jusqu’à me
citer la physique et la chimie. J’aurais été de votre côté si vous aviez remplacé le mot absolu par le mot monde.
X
Je vous accorde tout à fait les 3 points de votre lettre. Ils rendent possible l’étude des
mystiques (je ne dis pas de ce que les mystiques ont déçu…) Nous pourrons peut-être, comme vous
le dites, arriver ainsi à définir ce qui s’est passé. (J’ajoute : en
eux).
Pour ce qui est des hommes de science (Einstein) ils parviendront à connaître la réalité du
monde relatif, mais s’arrêteront fatalement au seuil de l’autre.
X
Je n’aurais pas du tout compris que notre réunion à huit concernant la N.R.F. Dans ce cas, il
en est tout autrement en effet ! Je crois qu’il y a dans ce sens un effort d’ailleurs minime,
mais qui serait plein de riches conséquences, à effectuer pour que la Revue soit parfaite dans
chacun de ses n°. Mais G. vous laissera-t-il entièrement libre d’écarter de sa revue toute
littérature ?
Je n’ai pas là M. Godeau intime, et suis dès maintenant persuadé que j’ai parlé à la légère
de Jouhandeau que j’admire, vous le savez.
X
Artaud serait sur le bon chemin pour trouver les soutiens nécessaires à son projet. Il m’a
écrit une lettre pleine d’espoir, et même de joie, car son projet a dès maintenant pris corps
ainsi qu’il a dû vous l’écrire. S’il réussit, ce sera bien passionnant.
Je rentre le 26 sept. A Paris (1 rue C. Delavigne). À bientôt donc mon cher ami, je vous
serre les mains, et vous prie de bien vouloir transmettre mes hommages à Madame Paulhan.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (27 septembre
1932) §
Je pense que vous avez reçu ma précédente lettre où je tentais d’expliquer ma position
vis-à-vis de Kant. Je réponds à votre petit mot qui s’est croisé avec ma lettre :
Je pense tout à fait que le principe de contradiction vaut nécessairement pour l’esprit ou
mieux l’intelligence dans le domaine qui lui est seul accessible, celui du monde manifesté
auquel cet esprit appartient.
L'intuition du principe de l’identité des contraires, est une intuition d’une vérité absolue que l’esprit admet sans le constater ni le concevoir le
moins du monde, à la manière dont il admet la possibilité d’une monde à N dimensions par
exemple.
Le fonctionnement de l’esprit (tous les mystiques le déclarent) s’arrête au seuil de
l’absolu. St Jean de la Croix insiste sur cette nuit de l’esprit qu’est la
condition de la Révélation indicible au sens même du mot. Et cela, notre raison le conçoit,
puisque l’absolu, par définition ne souffre pas d’être observé par une entité qui se tient en
dehors de lui.
Je crois que pour parvenir à une intuition sensible de l’identité des contraires, il faut
remonter jusqu’aux notions les plus abstraites, celles des chiffres 1 et 0, derniers voiles
sensibles auxquels notre entendement peut encore s’accrocher :
1 représente tout ce qui est – et par conséquent n’est pas un nombre,
puisque le nombre suppose un rapport entre ce qui est et ce qui pourrait être. Par exemple 12
hommes parmi tous les autres hommes.
0 exprime également l’absence de nombre. Ce n’est qu’une manière d’envisager le 1.
Je crois qu’au delà notre raison vacille. Sa force est d’admettre qu’elle est limitée au
monde dont elle est partie intégrante, et dont la structure est par conséquent adaptée à ses
catégories.
Ce qui – d’accord avec vous – ne signifie pas que l’Absolu nous soit inaccessible.
Je suis à Paris, et me réjouis de vous revoir bientôt.
Votre
Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (24 novembre
1932) §
J’ai réfléchi à votre désir de donner dans la Revue un compte-rendu du discours du Dr Allendy
au congrès homéopathique de 1932. J’ai pensé que mon ami le Dr Lancelot, homéopathe éminent et
lettré remarquable, serait beaucoup plus qualifié que moi pour vous donner ce compte rendu –
d’autant qu’il a pris lui-même une part active à ce congrès. J’ai eu l’occasion de voir le Dr
Lancelot hier soir, et de le pressentir très éventuellement à ce sujet. Il m’a dit qu’il était
à votre disposition. Si donc vous désirez avoir ce compte rendu vous pourriez lui écrire de ma
part : Dr Lancelot – 57 rue de Rome – (téléphone : Laborde 28-39).
Gilbert Lecomte et moi-même ne pourrons malheureusement dîner avec vous mercredi prochain, et
vous serions reconnaissants de reporter ce dîner au mercredi suivant 7 décembre, si vous êtes
libre ce jour-là ; Nous en reparlerons d’ailleurs de vive voix. J’espère pouvoir passer demain
à la Revue.
J’ai obtenu de Léautaud les Vers de collège de Rimbaud, mais aucun commentaires de sa part
sur quoi que ce soi. Il paraissait très absorbé par le silence et le désert de son cabinet.
Il me serait extrêmement précieux, pour une raison que je vous expliquerai de vive voix,
d’avoir le plus tôt possible, et en tous cas avant mardi prochain, la lettre
du Directeur de la Pravda approuvant la Teneur des notes que je donne à la N.R.F. Croyez bien
que je ne me soucie en aucune manière de plaire à qui que ce soit – même aux révolutionnaires.
Mais j’éprouverai de la satisfaction à ennuyer au moyen de cette lettre des gens qui cherchent
à m’ennuyer. C’est une satisfaction enfantine que vous ne me refuserez pas. Confiez-moi donc
cette lettre, je vous en prie.
Je n’ai pas compris que vous puissiez l’autre soir, en arriver à me dire, au sujet de mes
appréciations sur les poèmes que nous me montrez quelquefois : « Mais quels sont les poèmes que
vous ne rejetez pas ! » Mais ceux d’Eluard, de Fargue, de Valéry, de Daumal, de Michaux,
parfois de Max Jacob, quelques-uns de Gilbert Lecomte, les textes d’Artaud. Mais vous ne me
ferez jamais trouver la moindre valeur à Follain, Alibert, Francis Ponge et autres
fabrications.
Croyez moi mon cher ami bien votre
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 novembre 1932) §
N'est-il pas temps que nous tenions une nouvelle réunion ? Souvent, j’ai regretté que nous ne
puissions nous concerter, par exemple, sur la réponse commune (ne fût-elle qu’un refus,
demeurât-elle inexprimée) qu’il conviendrait de faire tel ou tel problème contemporain (comme
on dit).
Mais il est deux ou trois points encore sur lesquels je voudrais revenir.
*
J'avais fait la réflexion que l’on pouvait aujourd’hui parler de littérature ou de poésie
suivant deux langages, exactement hétérogènes, dont l’un (pour tout simplifier) pouvait être
appelé le langage Baudelaire-Breton, l’autre le langage Sainte-Beuve-Prévost. Là-dessus A.R.
m’a répondu que c’était « Breton qui avait raison ».
A la prendre telle quelle, la réponse serait naturellement absurde. Elle revient à soutenir
que les Allemands ont raison de dire Pferd , et les Français tort de dire cheval (ou l’inverse). Je crains que la position générale de A.R. ne soit pas
moins absurde, (ou du moins dangereusement étroite) quand il décide par avance de ne prendre en
considération qu’une certaine littérature (celle qui va de Baudelaire à Mallarmé), tenant
l’autre pour moins que rien. Si profond que le mène par la suite sa recherche, il ne trouvera
jamais dans la poésie que ce qu’il a commencé par y mettre et qui est terriblement particulier
puisqu’il commence par refuser les 3/4 de ce que l’on tient couramment pour littérature. Et sa
découverte métaphysique est à l’origine, non pas à la fin de son enquête. (je crains que cette
enquête même ne soit qu’une illusion d’enquête).
Mais je me sens pour moi aussi insatisfait devant Baudelaire que devant Valéry et devant
Breton que devant Prévost. Et de la même insatisfaction, hors de laquelle, il n’est, je crois
bien, que parti-pris d’école. Mais peu importe : sommes-nous ou non d’accord tous trois pour
partir de cette table rase ?
*
Il me faut avouer que je ne comprends pas du tout l’importance que René Daumal semble
attacher à ses recherches étymologiques. Et sans doute, puisqu’il n’attribue aucune valeur de
preuve au jeu de mots : connaissance – co-naissance je
serais sot d’insister. (Sans quoi j’aurais répondu que religion – ce qui lie et intelligence – intus legere
sont tenus par les linguistes, et par Meillet en particulier, pour le type même de « l’illusion
étymologique ». Qu'au surplus, (suivant Meillet encore) il est peu d’étymologies « apparentes »
qui ne soient fausses. L'on sait que fesser ne vient pas de fesse que legs n’a aucun rapport avec léguer ,
etc.
Mais dès lors, que peut attendre R.D. des étymologies qu’il recherche dans des langues
primitives ?
a) Il n’aura aucune preuve de l’exactitude de ces étymologies (les documents étant bien moins
nombreux que pour la langue française, où cependant peu d’étymologies demeurent certaines).
b) A plus forte raison n’aura-t-il aucune preuve de l’antériorité de l’un
des deux sens qu’il découvrira.
Reste simplement que R.D. choisira les étymologies qui viendront flatter ses convictions
métaphysiques. Je préfèrerais, pour moi, qu’il se bornât à ces convictions, sans cette fausse
apparence de preuve.
Ou bien qu’il acceptât ouvertement de raisonner par calembour.
*
Mais j’en viens au point le plus grave, au lieu des étincelles. Benda, me dit R.D. pose un
problème qui ressemble à la question comme une rognure à Jupiter. Soit. Mais l’existence de
Benda, sinon le problème qu’il pense présenter, pose une question :
Si léger, si « philosophe » qu’il puisse être, Benda est l’un des rares
hommes d’aujourd’hui qui ait écrit un traité de l’infini, et qui ait donc, sinon éprouvé, du
moins approché, cerné, pressenti cet infini. Or dans le scholie que je vous signalai, il renie
sa découverte et s’enfuit dans la psychologie. C'était cette palinodie que je vous demandais de
juger – non qu’il importe de savoir pourquoi ni en quoi la pensée de Benda est fautive. Mais il
importe infiniment de savoir si nous-mêmes sommes protégés (et par quelles pensées?) contre une
palinodie pareille à la sienne. Or je puis en douter d’autant plus que R.D. - renonçant à sa
première justification : c’est qu’il suffit de poser le problème de l’infini pour préférer
l’infini – semble à présent se rallier au sentiment que A.R. tout en l’adoptant jugeait au
cours de notre réunion, insuffisant : c’est à savoir qu’un sentiment de dégoût, de répulsion ou
de honte à l’égard du monde donné est une raison insuffisante et nécessaire de préférer
l’infini.
(C'est ainsi du moins qu’il me faut comprendre : « Je ne prendrai jamais d’autre centre de
discussion que le centre même de l’absurde, de l’évident malheur de chacun de nous »). Or, un
sentiment, fût-il de dégoût, me semble être la chose la plus fragile qui soit, la plus
personnelle (et par là la plus méprisable) et celle enfin que nous sommes le moins assurés de
voir durer . À bien plus forte raison les idées qui se fondent sur ce
sentiment. Et n’éprouvez-vous pas comme moi qu’il est peu de pensées plus menacées de déchéance
que celle que nous tentons de protéger et d’affermir. Dans quelle salade marxo-hégélienne
s’achève la rêverie d’absolu qu’avait commencée Breton ? Aragon qui tenait la révolution russe
il y a cinq ans pour un événement de l’ordre d’un « changement de ministère » au regard de
l’infini qu’il connaissait, soumet aujourd’hui tout infini à cette révolution. Benda s’enfuit
dans la psychologie et prétend que son infini n’était qu’une idée d’infini.
Je ne vois de toutes parts chez ceux qui ont mené notre expérience que lâcheté et que
reniement.
Je vous demande encore, quel que soit le Sans-Nom, le Réel, le Véritable dont nous exigeons
d’être près au point que chaque instant de notre vie – fût-il peur, paresse, humiliation, joie,
faiblesse – s’en trouverait transfiguré : notre approche et la sorte de ravissement qui s’en
suit peut-elle être précipitée par des idées – qu’il dépendrait de nous d’évoquer et de
fortifier, par des actes et par une ascèse qu’il dépendrait de notre volonté de nous imposer –
ou bien est-elle entièrement livrée au hasard ?
Je ne vous demande ici qu’une par de votre expérience et de votre réflexion.
J.P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (03 décembre
1932) §
Rien ne m’est plus pénible que de ne pas tenir parole, et pourtant je crois bien que c’est ce
qui m’attend vis-à-vis de vous en ce qui concerne mon étude sur Jarry ! J’ai commencé à étudier
l’Amour absolu, Les Minutes de Sable, César antéchrist, œuvres que je
n’aurais jamais pu réussir à me procurer. Je reste stupéfait devant la profondeur et la
complexité de la pensée d’Alfred Jarry. Certes j’aurais pu en 8 jours (et je n’ai qu’une heure
ou deux par jour pour écrire et lire) vous donner une note sur un livre assez simple, ou sur un
auteur que j’aurais au préalable entièrement pénétré. Il n’en est pas de même pour Jarry. Je
voudrais vous donner sur lui une note complète et sérieuse, et non pas un compte-rendu
superficiel auquel je ne veux même pas songer ; je voudrais aussi parler du livre de Paul
Chauveau sur Jarry, que vous venez de me faire parvenir ce dont je vous remercie infiniment.
– Il faut absolument que je relise Ubu-roi que je n’ai pas, et que vous
pourriez peut-être me prêter ? Bref je viens vous demander de ne pas m’en vouloir si je vous
apporte une étude sur Jarry pour le N° de Février, au lieu de vous la donner pour celui de
janvier. Croyez bien que si je ne tiens pas parole, c’est parce que je me trouve matériellement
empêché de la tenir à cet égard. – Je passerai mardi vers 5h à la Revue. Si vous pouviez
m’apporter Ubu-roi ce jour-là, mon travail s’en trouverait avancé.
Je viens de recevoir les Vases communicants de Breton. Je pense que
vous-même, et Roger Lecomte les avez reçus aussi ? Je me réjouis de lire la note de Lecomte sur
ce livre. J’espère qu’il n’épargnera pas les ridicules que je vous avais signalés de vive voix.
Il est d’ailleurs absolument d’accord avec moi sur ces points de détails.
Votre dernière lettre contenait une phase que je voudrais entièrement saisir. Je vous avoue
ne pas comprendre ce que vous entendez lorsque posant que je ne dois
« d’après (mon ) principe aimer qu’un poème que soit aussi bien exprimable que le plan du
langage que sur celui de la pensée » vous concluez que je m’écarte de ma méthode en n’aimant
pas la poésie de F. Ponge. La pensée de Ponge existe-t-elle ? quant à son langage, je ne vois
qu’une préciosité verbale dont le but me paraît non de suggérer, mais de cacher. Cacher l’absence de pensée.
J’aimerais que nous parlions ou discutions par lettre sur votre phrase (le cas F. Ponge ne
servant que d’exemple) car je sens qu’il y a là quelque chose que je n’arrive pas à saisir.
La réunion des membres du Grand Jeu à propos de mon article sur Aragon a eu lieu. Audard,
Delons, Maurice Henry, et Harfaux me reprochent avec violence de dire la vérité, lorsque cette
vérité est susceptible de causer un préjudice à la révolution communiste. Mon devoir serait
alors de prendre fermement parti pour l’erreur dans un but pragmatique. J’aurais dû faire
l’éloge des poèmes d’Aragon.
Quelle tristesse de trouver une telle attitude chez ceux qui veulent nous délivrer de toute
veulerie !
Veillez je vous prie transmettre ma respectueuse amitié à Madame Paulhan, et me croire mon
cher ami bien cordialement votre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 décembre
1932) §
Je comptais passer vous voir ce soir, en sortant du Ministère. Mais depuis ce matin je suis
saisi par un brusque accès de grippe qui devient d’heure en heure pus fort. En sortant je vais
me faire reconduire chez moi, en taxi, et ne pourrai vous voir. De toutes façons je pars en
Touraine du 1er au 9 janvier. Peut-être vais-je avancer mon départ, en
raison de cette grippe.
En principe Michaux devait visiter la Touraine avec moi, à la fin de la semaine prochaine ;
j’espère être guéri d’ici là. – Ne songez-vous pas vous-même à venir dans ces paisibles
régions ?
En attendant le plaisir de vous revoir, mon cher ami, je vous prie de bien vouloir présenter
à madame Paulhan mes hommages amicaux, et de me croire cordialement vôtre.
A. Rolland de Renéville
Jusqu’au 30 décembre :
1 rue Casimir Delavigne – Paris
du 30 décembre au 7 janvier :
11 rue Emile Zola. Tours
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (1932) §
Voici les épreuves du Jarry. Pour que ma petite allusion à Thérive conserve
son actualité, j’aimerais beaucoup que vous ne renonciez pas à la publier dans ce N° ci.
Merci infiniment de renseignements sur St John Perse, et du N° 1 de la N.R.F. Tout cela me
fait le plus vif plaisir.
J’ai vu avec grand intérêt les marionnettes de Salzbourg, et je vous suis reconnaissant de
m’avoir procuré l’occasion de les connaître.
J’espère pouvoir passer la fin de l’après-midi, vous serrez les mains.
Mon cher ami croyez moi vôtre
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (11 janvier
1933) §
Je vous communique la lettre que Daumal m’adresse aujourd’hui, en vous demandant de bien
vouloir la conserver pour me la restituer. Il est à New York, dans une situation qui paraît
tragique.
Je vous aurai une bien profonde reconnaissance de ce que vous pourrez faire pour lui.
Je viens de passer à la Revue où j’ai eu le plaisir de rencontrer madame Paulhan. J’ai été
fâché d’apprendre la grippe qui ne vous a pas épargné. J’espère vous revoir bientôt ?
Michaux m’ayant obligé à lire le Voyage au bout de la Nuit, je découvre
avec stupeur que c’est une œuvre splendide . Combien ma méfiance à-priori était injuste !
L’avez-vous lu ?
Les Vases communicants contiennent en effet d’adorables choses. Je regrette
que la partie idéologique constitue presque partout une liquidation du Surréalisme, au profit
d‘un matérialisme primaire auquel Breton se voue délibérément contre ce qu’il aime et malgré
tout ce qu’il croit.
Je vous serre bien amicalement les mains
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1933) §
l’on me fait remarquer qu’il suffit, pour donner à Daumal le droit absolu d’être payé, qu’il
existe un numéro du Phare où figure son poème. (mais
obtiendrons-nous celui de R.D.?)
votre ami
J P
PS Je pense d’ailleurs qu’il suffirait d’écrire en ce sens à Mme Deharme.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (12 janvier 1933) §
il me faudrait avoir votre Jarry demain au plus tard. J'y compte.
Je vais faire tout le possible pour Daumal. Le cable [sic] partira aujourd’hui.
Mais je vous ai répété au moins six fois qu’il vous fallait lire le Voyage au
bout de la Nuit , que c’était bien supérieur à ce que vous imaginiez etc ! (Il y a
quelque cinq mois de cela.)
J'aurais voulu vous voir hier. Ce sera pour la semaine prochaine, n’est-ce pas ? À vous, très
amicalement
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 février
1933) §
Voici les q. q. pages sur l’image dont je vous ai parlé parfois. Je ne sais
ce que vous en penserez. Les réflexions que j’élabore n’ont pas, logiquement, à prendre forme
littéraire ; je m’y applique pour mon développement personnel, et j’ai toujours le sentiment
d’accomplir un acte que bien peu de raisons peuvent excuser lorsque j’écris. Jusqu’à présent la
meilleure de ces raisons est pour moi la suivante ; j’écris pour me débarrasser d’une idée dont
je ne plus rien tirer. L’écrire c’est la murer. Vous voyez comme je suis peu excusable de
montrer ensuite cette écriture aux autres ! Ceci à la fois pour m’excuser de vous avoir fait
attendre ce texte, et de vous le donner.
Merci de ce que vous me dites au sujet de Daumal. Mais ne risquerions-nous pas de susciter
entre nous et le Phare de Neuilly des conflits longs et compliqués que ne justifieraient pas
les 40 frcs que nous pourrions obtenir de cette sorte à notre ami ?
Le Dr Saltas vous a-t-il répondu à propos d’Ubu-Roi ? Tenez-moi au
courant.
Vous ne m’aviez pas mis de référencer sur l’article de Thérive. Le voici.
Madame Paulhan est-elle remise ? Je le souhaite. À bientôt mon cher ami,
Croyez-moi vôtre.
Renéville
Les dernières lignes de « Parisiens de Belleville » ne sont-elles pas bien naïves ? La
révolution ne laissera-t-elle pas aux poètes d’autres positions que la candeur (comme ici) ou
la mauvaise foi (comme dans les vases communicants). Je veux pouvoir penser
qu’il existe aussi l’indifférence et l’esprit de sacrifice.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (12 février
1933) §
L'avant-premier numéro de la N.R.F. vous attend à la revue.
Le docteur Saltas me répond que la phrase en question n’a jamais figuré dans Ubu-Roi mais dans la conférence que Jarry a prononcée à l’occasion d’Ubu-Roi .
Merci pour l’Image . Je le lis.
À bientôt. Je vous serre les mains.
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 mars
1933) §
Voudriez-vous penser à rapporter à la N.R.F. mon essai sur les Images pour mardi prochain ? Je passerai le chercher, car je dois le remettre à Supervielle qui veut
bien s’occuper de le faire passer dans une revue Sud-américaine. Cela va me rendre service car
mes affaires sont peu brillantes (comme celles de tout le monde en ce moment).
J'aurais aimé parler avec vous de la thèse que je soutiens dans ces pages, et qui est l’idée
centrale de mon livre (les images par rapport à l’esprit, comme le monde relatif par rapport à
l’absolu, procèdent par vagues. Ce mouvement contient en lui-même sa négation. Il va de l’être
au non -être en courbes sinusoïdales. Je crois que toute réalité peut être interprétée d’après
ce devenir dans les cadres de l’espace et du Temps)
J'ai oublié de vous demander hier si dans le N° de Mai je dois présenter seulement le poème
de Mallarmé dont je possède les épreuves, ou d’autres poèmes de Mallarmé que je ne connais pas
encore ?
J'ai été frappé du décalage qui existe dans les Moments d’une Psychanalyse, entre la beauté
étrange du rêve des Tzars, et la faiblesse pénible de l’interprétation psychanalytique de ce
rêve. Il me semble que cette interprétation laisse de côté bien des problèmes, et réduit la
rêverie à des éléments suffisamment pauvres pour qu’une explication à priori puisse en
apparence s’y appliquer1.
A mardi cher ami. Ne m’oubliez pas auprès de Madame Paulhan, et croyez vôtre.
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (04 mars 1933) §
Il serait nécessaire, il me semble, que nous parlions dans la N.R.F. du
1er Mai des deux Ulysses qui viennent de paraître :
celui de Fondane, et celui de Voronca-Vailland. Voulez-vous vous en charger ? Je le voudrais,
pour moi.
Ne pourriez-vous me communiquer les « documents dentaires » (expériences sur les chiens) dont
vous m’aviez parlé ? Il me semble qu’il faudrait les signaler.
Finalement, j’ai pu donner vos deux notes. J'en suis bien content.
À vous très cordialement.
Votre ami
Jean Paulhan
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (03 avril
1933) §
Voici un petit papier que j’aimerais que vous passiez, si vous n’y voyez pas d’inconvénients,
dans la rubrique « Revue des revues » de la N.R.F. J’y rends compte d’un n° sur le cinéma
composé par des amis tels qu’Artaud, Lecomte, Dessaignes etc. Je sais que cela aiderait à la
diffusion de ce n° que vous avez dû recevoir, et qui n’est pas sans intérêt. Vous me direz s’il
vous paraît possible de donner à ce sujet les q. q. lignes ci-jointes.
Je n’oublie pas la « notule » sur Mme Aubray. Si je ne vous la donne pas à temps pour ce n°,
ce sera pour le prochain.
À bientôt mon cher ami. Ne m’oublie pas auprès de Madame Paulhan, et croyez moi cordialement
vôtre.
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (1933) §
Voici les inédits de Mallarmé. Si M. Charpentier s’oppose à leur publication, promettez-moi
de me les rendre pour ma collection personnelle, car vous savez quelle importance a pour moi
Mallarmé.
Je vous adresse en même temps ma brève note sur la Dernière mode, à faire passer après le
Jarry. Ces deux pages de mon écriture n’en feront guère plus d’une de la Revue, me
semble-t-il.
Je passerai mardi soir pour vous voir, et vous demander les Images. J’ai
pensé qu’il valait mieux vous envoyer cette lettre pour ne pas risquer que la visite de M.
Charpentier ne précède la mienne, et qu’il ne puisse lire les inédits de son « séquestré ».
Votre ami
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (15 juin 1933) §
il nous arrive un ennui qui va, je le crains, nous obliger à quitter Châtenay samedi
matin.
Voudriez-vous accepter de venir tous deux dîner avec nous, plutôt que déjeuner ?
Votre ami
J. P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (juin 1933) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – juin 1933.
Vendredi. [juin 1933 ou janvier 1928 ?]
Mon cher ami
je ne pourrai pas venir ce soir. Pardonnez-moi. Il m’arrive des tas d’ennuis et de
difficultés imprévues, qui me tiendront jusque vers huit ou neuf heures.
Autre ennui : j’avais parlé à Thibaudet, il y a plus d’un an, des poèmes de Mallarmé – que je
lui avais montrés. Il m’avait dit : « Voulez-vous que je les commente dans la nrf ? - sans doute. » Depuis lors, plus rien et j’avais tout lieu de croire, il y a
quelque temps, lorsque je vous en ai parlé, l’affaire close. Mais Thibaudet m’apporte
aujourd’hui un plan de commentaire, à ma grande surprise…
Voulez-vous donc bien m’excuser et réserver pour une note ultérieure ce que vous projetiez
d’écrire à l’occasion de ces deux poèmes ? - mais vraiment je n’avais aucune raison d’imaginer
même que Thibaudet eût gardé le souvenir de notre entretien.
À dimanche. Je suis bien amicalement à vous
Jean Paulhan
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (17 juillet 1933) §
Avez-vous lu Commune ? La conduite d’Aragon et de l’A.E.A.E. à l’égard de
Breton est si répugnante que je regrette de n’avoir pas donné dans la nrf les
Vases communicants . Pouvez-vous le dire à Breton ? Et lui demander autre
chose (par exemple, pour le numéro où paraîtrait votre chronique surréaliste) ?
Votre ami
J. P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 août
1933) §
Je n’ai pu vous adresser comme je le croyais un « programme » idéologique pour la revue que
je projette : en effet j’ai passé plusieurs jours à discuter séparément avec Daumal, Lecomte et
Michaux. Dans ces discussions résulte ceci :
Daumal et moi prendrions la direction d’une revue dont le but serait l’étude des conditions
d’apparition de la Poésie, sa définition, le but vers laquelle la Poésie nous entraîne. La
Poésie serait étudiée sous toutes ses formes et dans tous ses rapports. Nous ne désirons pas
constituer un groupe, mais faire appel à des collaborateurs. Nous prévoyons une partie documentaire où nous publierions des textes poétiques peu connus, des
traductions de textes orientaux.
Nous pensons que nous devons abandonner le titre du Grand Jeu. Nous projetons en effet q. q.
chose de bien différent de ce que nous avions fait avec le Gd Jeu (1).
Je pense qu’il reste actuellement à 1° établir le sommaire du 1er n° que
nous pourrions consacrer à l’étude de l’Inspiration par exemple, ou de tout autre problème
selon les suggestions que vous voudrez bien me fournir. 2° Trouver une subvention pour
l’impression de 2 numéros au moins. Je pense que chaque n° coûtera 5 000 frcs.
Si vous voulez bien m’apporter votre appui, tout en me donnant un article et des conseils,
qu’en m’aidant à trouver une subvention comme vous avez bien voulu me le proposer je vous serai
infiniment reconnaissant. Comme vous pouvez le penser cette question de subvention est à la
base de tout, hélas ! Il nous la faudrait le plus tôt possible afin de lancer la revue à la
rentrée. Nous pourrions échanger de la publicité avec la N.R.F. comme l’a fait la revue
Hermès.
Je regrette fort de ne pas vous voir avant votre départ. Voulez-vous me tenir au courant par
lettre de ce qu’auront donné vos démarches auprès de ce Mr. X qui pourrait, m’avez-vous dit,
nous aider à payer le 1er n° ? Merci beaucoup à l’avance.
Je vous souhaite d’excellentes vacances mon cher ami, ainsi qu’à Madame Paulhan.
A.Rolland de Renéville
33 rue Delambre ; Paris (14°)
et moi aussi, désolé de ne pouvoir descendre à Port-Cros (qui devient une île mythique pour
moi, avec ses iguane en verre souple et ses lianes) je vous souhaite, et à Madame Paulhan, ce
que vous désirez.
René Daumal
P. S.
Si vraiment il vous faut les 6 pages de chronique sur le Surréalisme pour e n° de
septembre,veuillez me le dire par retour du courrier, cela m’ennuierait de l’écrire pour
rien.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (06 août 1933) §
J’ai adressé le 9 août à l’imprimerie Paillart une chronique sur le Surréalisme, en y
joignant le petit mot que vous m’aviez adressé à cet effet. Je n’ai pas encore reçu d’épreuves,
bien que nous soyions le 17. Si cette chronique passe dans le prochain n° comme vous l’aurez
dit, je voudrais en revoir les épreuves, car je désire modifier q. q. lignes du passage de mon
texte sur les Vases communicants. Voudriez-vous me faire savoir si je puis
compter recevoir les épreuves à temps. Dans l’affirmative, devrai-je vous les
renvoyer avec les corrections, ou les retourner directement à Paillart ?
J’ai par hasard rencontré avant hier soir Breton à la terrasse de la Coupole. Nous avons
échangé quelques mots. Il s’est dit désemparé au point de friser « l’internement pour confusion
mentale ». Sa position serait intenable. On ne le tolère pas à gauche. On le déteste à droite.
Je lui ai répondu que tout cela me paraissait naturel et prévisible. Je n’ai pu d’autre part le
décider à revenir vers le N.R.F. Il semble éprouver vis-à-vis de vous une grande gêne. J’aurais
aimé mener à bien la démarche dont vous m’aviez chargé, mais j’en prévoyais trop l’inutilité !
Et d’ailleurs je ne suis pas certain que nous ayions à la regretter outre mesure : que
pouvons-nous attendre de neuf du surréalisme ?
Cassilda et moi somme presque seuls à Paris. Tous nos amis sont absents. Cassilda a pu mener
à bien une toile, et j’en suis heureux. De mon côté je travaille un peu – moins que je ne le
voudrais sans doute – mais à peu près régulièrement.
J’espère que vous passez d’agréables moment de repos à Port-Cros, et que les insectes ne vous
rappellent pas fâcheusement les littérateurs, ni les coups de bec des oiseaux sur les arbres
les touches des machines Rémington.
Veuillez transmettre l’expression de ma respectueuse amitié à Madame Paulhan et me croire mon
cher ami bien cordialement vôtre
Rolland de Renéville
33 rue Delambre
Paris
(14°)
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (24 août 1933) §
Au dernier moment, il m’a fallu renvoyer le Tableau de la P. Impossible
décidément de faire aller ensemble les poèmes-témoignages, et les poèmes-poèmes. Cela doit
faire 2 tableaux distincts (le premier : poètes inconnus, poètes du Dimanche, etc. - le second,
où il nous faudra avoir Claudel, Valéry, Éluard etc. et auquel je vous demanderai de
collaborer.) Mais j’ai dû en même temps renvoyer votre chronique à Octobre. Pardonnez-moi de
vous avoir ainsi pressé.
*
Jouhandeau est ici, depuis quelques jours. Un véritable mur de brume nous a séparés des
côtes, de la mer et de l’été. Quand il s’est dissipé, l’on a aperçu d’abord de grands incendies
de forêts, vers Hyères. Les cendres viennent jusqu’ici, et l’odeur de pin.
Peu d’insectes.
*
Je presse Paillart de vous envoyer les épreuves.
Amitiés de nous deux à Cassilda et à vous
Jean Paulhan
La Vigie. Port-Cros (Var)
je travaille, moins que je ne voudrais. (Et ce bouleversement du numéro a tout compliqué
terriblement.)
Pour Breton : merci. Je n’attendais rien d’autre ; mais il me semble qu’il fallait faire la
démarche. Merci encore.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 septembre 1933) §
Il était trop tard, quand j’ai reçu votre lettre, pour retirer votre chronique du numéro :
impossible aussi de lui donner une page de plus. J'ai pris le parti (que vous auriez pris
vous-même, je pense) de reporter la correction – Breton et de maintenir le premier texte –
Tzara.
*
Je crois que nous arriverons à Pairs Jeudi prochain. Y êtes-vous déjà ? Que faites-vous ?
Cassilda a-t-elle achevé des toiles. Ici, peu de cerf-volants, mais depuis quelques jours, de
grandes quantités de hérons et de grives. À bientôt. Recevez tous deux nos amitiés.
Jean Paulhan
Il est question de Mme Drogoul dans la nrf d’Octobre. (où vous trouverez le 1er Tableau de la Poésie, qui me semble assez extraordinaire). Jean Wahl m’écrit que les
poèmes (ou plutôt le poème) de R. Schwab lui semble au-dessous de tout, décidément.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (09 octobre
1933) §
Je suis contraint de vous demander s’il vous est possible de me faire régler dès maintenant
par la N.R.F. le montant de mon article sur le Surréalisme qui vient de paraître, et aussi
celui de mon poème, bien qu’il n’ait pas encore paru… Voici ce qui m’oblige à vous demander si
vous pouvez obtenir cela pour moi : je dois payer 400 frcs d’impôts, et n’arrive pas à prélever
sur mon minime budget cette somme car je suis très peu large depuis que je dois vivre en même
temps que Cassilda avec mon traitement. Je comptais sur le montant de mon article donné à Sur pour m’acquitter envers le Percepteur, mais cet argent n’arrive pas, et je
suis très en retard vis-à-vis des contributions. Excusez, je vous en prie, ces confidences sans
intérêt et qui n’ont pas même le mérite de « la grandeur dans la désolation ».
Je passerai à la N.R.F. prendre votre réponse. Si vous ne pouvez sans difficulté me faire
avoir satisfaction, n’hésite pas à me le dire sans la moindre gêne.
*
Il est bien entendu que je vous réserverai mon « document » judiciaire pour la N.R.F. et vous
suis bien reconnaissant des conditions que vous tenterez d’obtenir à cet égard auprès de M.
Gallimard. Je tiendrai à ne pas signer la présentation de ce texte, et à ce que personne ne
sache que vous l’avez tenu de moi. En effet mes fonctions me rendent difficile toute
publication intéressant la Justice, même lorsque j’ai entre les mains un document communiqué
par un avocat, ainsi que cela est ici le cas. Le secret que je vous demande est très important pour moi.
Le document en question est assez passionnant : il s’agit de la correspondance échangée entre
un enfant enfermé dans une colonie pénitentiaire et son avocat. Nous devrons changer les noms,
et peut-être faire des coupures, choisir des lettres, etc. Je vous l’apporterai bientôt.
*
J’ai éprouvé à vous retrouver tous deux une vraie joie que je me sens maladroit à vous dire.
Je me sens en « communication » avec très peu d’êtres. Vous, Michaux, Daumal… pour tous les
autres, même ceux que j’aime, il s’agit d’une « accommodation ».
Mon cher ami je vous serre les mais.
Cassilda vous envoie à tous deux ses amitiés.
A.Rolland de Renéville
La note de Schwob sur Jouve est vraiment bien méchante. Le Thibaudet sur Brémond, le Benda
assez ignoble (je préfère presque Barrès) le Tableau de la Poésie une merveille
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 décembre 1933) §
C'est que nous nous marions justement à midi 1/2. Ceci est entre nous.
Votre ami
J. P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (décembre 1933) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – décembre 1933.
Dimanche. [Fin décembre 33]
Mon cher ami,
Je compte donner votre poème le 1er Mars, en même temps que le Spinoza de
Daumal et une nouvelle (que j’aime bien) de Jacques Decour.
- Février étant réservé à Gobineau (à moins qu’au dernier moment il ne faille renvoyer
Gobineau à Mars, et vous donner le 1er février. Mais je ne crois pas).
*
ne travaillez pas trop. Amitiés et vœux à tous deux
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (01 janvier
1934) §
Je vous remercie de votre lettre. Je serai heureux de voir paraître mon poème dans la N.R.F.
et me réjouis du voisinage avec Daumal que vous m’annoncez. (Ne manquez pas de me donner les
épreuves en temps utile, car je dois modifier un vers).
Je travaille en prévision de mon concours qui a lieu lundi prochain… Cassilda et moi en
attendons l’issue avec quelque angoisse.
Merci de vos vœux. Nous vous adressons les nôtres, bien affectueux, en vous disant à
bientôt.
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (janvier 1934) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – janvier 1934.
Lundi [janvier 1934]
Cher ami,
merci de votre mot, et de l’étude sur Padma (qui me semble parfaite).
Je suis heureux que Cassilda soit guérie.
À vous, affectueusement
J. Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (06 janvier
1934) §
J’ai été bien heureux de vous revoir hier. Je voudrais que vous acheviez de vous remettre par
quelques semaines de repos à la campagne. Je ne vous ai pas écrit durant votre maladie, mais je
n’ai pas cessé de penser à vous à toute heure.
Je travaille aux notes que vous avez bien voulu me demander. D’autre part je viens de
terminer ce soir mon second article pour l’encyclopédie. J’espère qu’on ne me le fera pas
modifier encore. Mais, certainement de nombreuses recherches bibliographiques m’attendent.
Voulez-vous dire à Germaine que je regrette et m’excuse de l’avoir froissée l’autre jour à la
N.R.F. Je ne me suis pas rendu compte de l’excessive vivacité de mes paroles qui ne visaient
que M. Crépet, vous le pensez bien. J’étais ému de voir attribuer entièrement à Baudelaire un
petit ouvrage de chantage qui me l’eut diminué s’il en eut été l’auteur. Plus j’y songe, et
plus je pense que Baudelaire, occupé à des travaux de librairie, a dû être chargé de « remettre
en français » ce texte dont il n’a pu écrire qu’un ou deux passages. Ne le croyez-vous
pas ?
Je reçois une lettre de Madame Savistky-Bloch, la belle mère de Jacques Chautemps, concernant
un manuscrit de M. Edgar Fori sur la question juive. Pourriez-vous m’envoyer les éléments d’une
réponse à lui faire ?
J’aime beaucoup le texte de Daumal sur Basile. Il a réussi une sorte de conte moralisateur
pour grandes personnes vraiment original, et d’une assez grande portée. J’aurais aimé qu’il
indique, dans le courant du texte, la référence du fragment d’Oupanishad qu’il cite, en lui
donnant un titre sans doute inventé ( ?)
Ne trouvez-vous pas le poème de Péret sur Violette Nozières très beau ?
« Elle était belle comme un nénuphar sur un tas de charbon »
et encore
« tous les pères vêtus de rouges pour condamner
« ou de noir pour faire croire qu’ils défendent
Cassilda se joint à moi pour vous envoyer à tous deux notre affectueux souvenir.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 mars 1934) §
Je suis absolument de votre avis quant à la sottise des convertis. Pourquoi pas un air du
mois là-dessus, ou une note ? Songez-y. (une « déclaration », ne serait-ce pas trop?)
Surtout, tenez-nous au courant, pour votre concours.
J'aurais voulu votre étude sur la treizième… un peu plus longue, plus
probante. Elle est très belle, telle quelle et très saisissante.
Votre ami
J. P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (06 avril
1934) §
J’ai reçu votre carte avec plaisir. Nous ne nous somme absentés de Paris cette fois-ci. J’ai
dû préparer mon « concours » éternel (mais cette fois il s’agit de son dernier aspect) qui a
lieu les 9 et 10 avril.
Ici rien de neuf. J’ai vu quelquefois Michaux et Daumal chez Orestias
J’ai été très heureux de voir un poème dans la N.R.F. et je vous remercie encore de l’avoir
fait paraître. J’ai reçu plusieurs n° de la Revue, mais non les tirages à part. L’article sur
la conversion de Gide m’a intéressé. Quelle bonne volonté chez les marxistes quand ils ont
décidé de reconnaître l’un des leurs là où il n’y a personne !
Ramon Fernandez est très touchant.
Croyez vous que le véritable héroïsme pour un « intellectuel » soit de s’arrêter de penser ?
Il est évident que là est le nœud du drame en ce moment. Peut-être un sacrifice de cet ordre
est-il indispensable pour les hommes de notre génération ? Nous devions un jour nous réunir
pour nous poser cette question pressante, car l’abêtissement est essentiel à toute conversion,
nous le savons. Et si nous ne nous convertissons pas, les pires cataclysmes nous guettent.
J’aimerais avoir votre avis sur ce point.
Nous serons ravis de vous revoir le 20, si vous nous confirmez cette date. Cassilda et moi
vous envoyons à tous nos affectueuses pensées.
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (mai 1934) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – mai 1934.
Vendredi. [5. 34]
Mon cher ami,
C'est entendu pour Mercredi à déjeuner. J'écris à Supervielle.
J'espère que tout va bien se passer Lundi.
Votre ami
J. P.
(Vous recevrez 100 frs. pour les notes.)
J'attendrai la note sur le « livre des morts ». Où a-t-il paru ?
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 août
1934) §
Je vous envoie l’article promis sur le dernier livre de Supervielle. J’ai tenté d’en parler
avec le plus grand « détachement » possible, c’est-à-dire en ne tenant compte ni du fait que
Supervielle est mon ami, ni que sa poésie ne s’accord pas avec mes préoccupations personnelles.
Je pense en avoir parlé avec honnêteté. Du moins vous voudrez bien me faire connaître votre
sentiment à cet égard.
Avant de quitter Paris, j’ai eu une entrevue avec Pierre Abraham. Il devait chercher un chef
de rubrique pour la littérature française, dans son Encyclopédie. Il m’a expliqué qu’en
principe l’article sur la Poésie me serait confié, sous réserve de l’avis du chef de rubrique
éventuel (x) qui, peut-être, voudrait se réserver pour lui la rédaction de cet article. Pierre
Abraham devait me fixer définitivement par lettre à ce sujet. Je n’ai pas encore reçu sa
réponse.
J’espère que tout ira bien, et surtout que je réussirai à établir les éditions de « Rimbaud
et Mallarmé pour la Pléiade !
C’est à vous mon cher ami que je dois l’espoir d’accomplir tous ces travaux. Croyez que je en
ai une bien profonde reconnaissance.
Cassilda est un peu fatiguée par l’air de la mer, trop rude pour elle. Aussi partirons-nous
probablement demain. Peut-être resterons-nous q.q. jours dans un coin quelconque de la campagne
bretonne. Rien n’est encore fixé ; de toutes façons veuillez m’ écrire désormais à mon adresse
habituelle : 22 rue de l’abbé Grégoire. Pris (6°).
Que faites-vous ? Avez-vous beau temps ? En attendant le plaisir de recevoir de vos
nouvelles, Cassilda et moi vous envoyons à tous deux notre affectueux souvenir.
A. Rolland de Renéville
(x) Il pensait fortement à Thibaudet
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (08 août 1934) §
Nous sommes à Paris depuis dimanche dernier. La ville est chaude et vide. Je regrette la
mer.
Merci pour votre carte que j’ai trouvée ici. De Concarneau je vous ai envoyé l’article que je
vous avais promis sur Supervielle. J’aimerais beaucoup savoir s’il vous est parvenu (je n’en
n’ai [sic] pas conservé le double) et ce que vous en pensez ?
Le Figaro a publié mon interview, ainsi que celui de Marc Bernard (gentils
et assez insignifiants bien entendu, surtout le mien qui frise l’idiotie par ma faute).
Dans Le Figaro d’aujourd’hui Thérive vous cite. Je vous envoie la coupure.
J’y joins un passage d’un article assez amusant sur Malraux et ses découvertes
archéologiques.
J’ai infiniment aimé Déchiré de Fargue, dans la Revue. Vraiment de
l’excellent Fargue. Rien d’autre ne m’a retenu dans ce n°, à part le très bel article de
Cingria sur Stravinski. La réponse de ce pauvre Scholzer est pitoyable. On souhaiterait après
cela (et le reste) que Cingria soit désormais chargé des chroniques musicales de la N.R.F.
Le mariage de l’Infante aurait été charmant dans la Semaine de Suzette. Je l’ai aimé.
Mais vraiment le texte de Fargue fait de ce n° un n° exceptionnel.
Je ne sais pas encore si nous allons pouvoir en septembre passer q. q. jours à la campagne,
si nous allons pouvoir nous installer dans un petit appartement. Cela dépendra du résultat de
mes recherches, commencées aujourd’hui même. En quittant la mer et la campagne j’éprouve un vif
accablement à retrouver la vie étroite, artificielle et mercantile de Paris. Ce sont surtout
des amitiés qui m’y retiennent. Je me sens d’autant plus vivement que nous nous y retrouvons
seuls en ce moment.
Le directeur d’Hermès voudrait que je constitue à Paris un groupe « Les Amis d’Hermès »
capable d’apporter des collaborateurs intéressants à la revue qui en a bien besoin. Pensez-vous
que nous puissions réaliser q. q. chose dans ce sens ?
J’ai fait quelque progrès aux échecs, mais n’ai pas eu l’occasion de prendre conscience du
ping-pong qui me reste aussi mystérieux qu’à Groethuysen. A Vannes j’ai assisté à un tournoi
régional de boules très passionnant où certainement vous auriez pu tenir une place importante,
malgré la valeur de certains adversaires.
Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer dans les rues de Paris aucun nouveau Tatou. Le sens
de la beauté se perd de plus en plus dans les Oiselleries comme ailleurs.
Je suis heureux d’avoir de vos nouvelles. Cassilda est moi vous adressons à tous deux notre
plus affectueux souvenir.
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (octobre 1934) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – octobre 1934.
Vendredi. [Octobre 1934 ?]
Mon cher ami,
voici deux fauteuils pour le Casino. Si par hasard vous ne pouviez y aller ce soir,
seriez-vous assez gentil pour me les retourner à temps.
Votre lettre est très passionnante. Merci. Que dire encore d’H. sinon que vous et lui avancez
sur deux plans absolument étrangers l’un à l’autre (au point que rien de ce qui se passe sur
l’un des plans de peut arrêter, ou seulement transformer ce qui se passe sur l’autre – tous
deux au demeurant également vraisemblables. Il reste, bien entendu, que le sien est inférieur,
et le vôtre supérieur.)
A bientôt.
J. P.
Artaud me dit que le « Comme il vous plaira » de Supervielle va être retiré de l’affiche.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (16 octobre
1934) §
À propos de notre discussion touchant l’interprétation du Sonnet des Voyelles un argument me
vient qui renforce la répugnance que je ressens à admettre la thèse du collaborateur à la
N.R.F. Le voici : en admettant pour un instant que Rimbaud se soit inspiré d’un alphabet
illustré pour élaborer son poème, quel mobile a pu dans ce cas le pousser à ne choisir que les
voyelles, au lieu de suivre l’ordre alphabétique des lettres ABC etc. dans son poème ? Ne me
répondez pas qu’une énumération limitée était de mise dans un sonnet, car rien n’obligeait
alors Rimbaud à n’écrire qu’un sonnet et non un long poème d’autre autre forme, ou même une
succession de sonnets.
Que si l’on admet ma théorie qui est de ne pas séparer ce sonnet des autres recherches, et de
l’œuvre totale du poète, ce choix, précis des Voyelles s’éclaire, et par contre coup illumine
l’œuvre entière ;
Quiconque s’est penché le moins du monde sur les recherches des Kabbalistes à propos de la
Parole, sait que les Voyelles comptent seules. Les Hébreux n’avaient tout
d’abord pas le droit de les écrire, à cause de leur portée magique et incalculable. Plus tard,
elles furent marquées en hébreu par de simples points. Relisez à cet égard St Martin ou Fabre
d’Olivet. La portée magique et créatrice des voyelles sur quoi le système incantatoire de la
magie (et particulièrement de la magie kabbalistiques) est fondée, ne pouvait manquer de
retenir l’attention du poète occupé à composer une Alchimie du Verbe, à la suite de Baudelaire
dont les fameuses correspondances, empruntées elles–mêmes à Swedenborg, nous font pénétrer dans
le domaine des sciences secrètes.
Je crois sincèrement que le mouvement qui se dessine à l’heure actuelle en faveur d’une
désintellectualisation » de Rimbaud n’est qu’un de traits de la tendance au moindre effort
selon laquelle il est plus séduisant de penser que Rimbaud n’a rien voulu dire s’est content
d’exprimer avec talent ses sentiments, comme tous les écrivains, plutôt que de laisser son
œuvre nous poser une interrogation à laquelle ne peut guère répondre que notre angoisse.
A vous affectueusement
André
N’oubliez pas de demander le Bardo, à A. Suarès. Je voudrais écrire un article sur les états
du Bardo comparés à ceux du Mangeur d’opium. Il y a là de curieuses analogies.
Je n’oublie pas que je vos dois une réponse à la grande lettre que vous m’avez envoyée avant
les vacances.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 octobre 1934) §
il existe un « Dictionnaire d’anecdotes » (chez Dorbon) qui vous serait utile, je crois. Il y
a aussi les papotages médicaux de Cabanès. Peut-être quelque Dictionnaire de la conversation,
et la grande encyclopédie (Mais je connais fort mal l’histoire. J'interrogerai Benda.)
*
Peut-être est-il d’autant plus difficile (et méritoire) au critique de dépasser la
littérature qu’il l’a d’abord acceptée dans sa singularité. Mais je trouve, pour moi, vos notes
excellentes.
*
Je connais bien ces textes de Mallarmé : ils ont un ton assez touchant, mais enfin la
grandeur de M. est ailleurs – et je crois qu’il n’avait ni assez de patience, ni à un assez
haut degré le sens de l’évidence nécessaire (ou, si vous aimez mieux, de la vérité) pour les
pousser très loin – je veux dire jusqu’au point où libres du souci d’un poème à écrire, ils
auraient valu pour eux-mêmes.
*
si vous veniez quelque jour perdre une heure perdre une heure à Châtenay, j’aimerais vous
faire lire les quatre études (l’une inédite, les autres publiées par Commerce et la nrf ) où je tente (et j’y parviens, je pense) d’établir l’incohérence centrale
de toute doctrine qui se fonde sur la distinction de la pensée et du langage ; par trois
exemples : Lévy-Bruhl (et la sociologie), Valéry, Bergson.
J'ai assez bien travaillé, à la faveur de mes angines. Je pense pouvoir vous prêter bientôt
les « xx Lettres à Monsieur H. sur l’usage d’un nouvel appareil à décrypter ». C'est, bien
entendu, à la littérature que s’applique le décryptement.
(Savez-vous, à ce propos, que les seuls cryptogrammes absolument indéchiffrables , sont aujourd’hui ceux que fournissent les appareils. L'homme n’y
parvient plus. Il n’y est, à vrai dire, jamais tout à fait parvenu.)
Quant à l’image….
*
Voulez-vous m’accorder :
1/ que, quelle que soit précisément la « vision » de l’écrivain, il est peut-être possible de
la définir – et même de se la représenter par un progrès de définitions successives – mais
certainement pas de se la représenter directement, naïvement.
2/ que dès lors aucune « figure » (image, style, etc.) ne peut valoir que par allusion à cette vision – et allusion grossière, plus ou moins éloignée. Dès lors cette
« correction d’erreur » qu’est l’image ne serait-elle pas façon de donner à entendre (ce que
chacun de nous sait profondément) que de la vie et de la vérité apparentes aussi l’écrivain
sait passer à la vision…
Mais nous en reparlerons.
Votre ami
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 octobre
1934) §
Merci pour les places du Casino. Nous en avons profité, et je vous apporterai ces jours-ci
une note pour l’Air du mois. (La Revue n’est pas bien merveilleuse, mais nous a divertis
passablement). En attendant je vous envoie ma note sur Breton. Elle est assez dure, et j’ai
hésité depuis des mois à écrire cela, mais je crois qu’il le faut. Vous en jugerez, et vous me
direz votre avis.
Nous sommes absolument ravis par le Musée des Sorciers que Madame Paulhan a bien voulu
apporter pour Cassilda. Mais comment vous remercier de toutes vos bontés ?
À bientôt. Cassilda et moi adressons à tous deux nos affectueuses et reconnaissantes
pensées.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1934) §
Ce que vous dites est tout à fait intéressant, et, je pense, juste. (où Saint-Martin
parle-t-il des voyelles?) Mais cela ne va point du tout contre la thèse d’Héraut : tout au
contraire Rimbaud devait-il assez aisément admettre que l’alchimie du verbe, si elle avait
chance d’être quelque part, sinon atteinte, approchée, ce devait être dans des albums
d’enfants. Et nous pouvons tomber d’accord, je pense, sur ce point qu’il ne s’agit chez H. que
d’une anecdote qui est sans aucune espèce de rapport avec le problème de l’
« intellecton » de Rimbaud. Mais je continue à ne pas comprendre votre
mauvaise humeur contre cette anecdote.
Affectueusement
Jean P.
J'aimerais bien pouvoir donner bientôt un article de vous dans la nrf .
Songez-y.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 janvier 1935) §
Voudrez-vous être assez gentil pour faire envoyer un exemplaire de votre Rimbaud à André Suarès3 (11, rue de la Cerisaie Paris IVe) qui écrit en ce moment, lui aussi, un
Rimbaud et voudrait connaître le vôtre.
Je tiendrais d’autant plus à ce qu’il pût le recevoir assez vite que c’est André Suarès qui
va se prononcer sur les manuscrits soumis à la Bibliothèque Doucet….. (ceci entre nous.)
Votre ami
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (02 avril
1935) §
Je suis content de recevoir les Aphorismes de Candiani. Je vais les
lire.
Vous savez que je compte ce mois-ci sur deux notes de vous : Tzara et Le Louët.
(Avez-vous appris la nouvelle scission surréaliste, et que Tzara, Char et Caillois se
séparent de Breton ? On cherche une revue où publier le nouveau manifeste).
Affectueusement à vous
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (17 avril
1935) §
Dites-moi donc ce que vous entendez par vertu révolutionnaire de la pensée. Ou je me trompe
fort, ou vous ne pourrez m’en donner aucune définition qui n’implique, au même titre qu’une
révolution sociale, une révolution psychologique, physiologique, physique, enfin poussée aussi
loin qu’il existe une synthèse phénoménale. Et puis, refus serait ici plus
exact que révolution. Et anarchie , plus fidèle à votre pensée que
communisme.
Votre ami
J. P.
Merci pour Aragon.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (06 juin
1936) §
Il me semble bien que les Fleurs de Tarbes attaquent le problème littéraire
dans son centre, ce qui n’avait jamais été fait. C’est dans cette absence de
détour que réside notre stupeur mêlée de malaise. Tant il est vrai que nous nous cachons à
nous-même très soigneusement les seuls problèmes : on ne se lasse jamais de ne pas
comprendre.
J’en viens à me demander si la pérennité des œuvres nommées classiques (elles ne vieillissent
pas, a-t-on coutume de dire) ne s’explique pas en effet par le fait qu’elles ne comportent pas
de fleurs. Racine refaisait une tirade au cours de laquelle un vers saillait, trop coloré, trop
sublime. (Ce vers pour lequel les romantiques eussent donné le poème entier.)
La flétrissure qui atteint le plupart des œuvres romantiques, symbolistes, et contemporaines
s’explique à l’inverse par le foisonnement de fleurs qui s’y contraste. Ces fleurs aussitôt que
posées sous nos regards deviennent des lieux communs, c’est-à-dire des
machines-à-penser-à-notre-place. C’est parce que l’on ne pense plus le lieu commun qu’il en est
un. Sinon quelle plus jolie image que celle du tromblon qui je presse contre votre habit du
grand siècle, lorsque je vous parle « à brûle pourpoint » ?
Ainsi donc mon cher ami, vous apportez dans une langue infiniment pure (Valéry s’il eut été
subtil, secret, à triple fonds, eût peut-être écrit de cette sorte) une réponse éclatante à un
problème qu’on osait [sic] pas se poser, celui de l’absolu dans l’art littéraire.
A bientôt
Cassilda et moi pensons affectueusement à vous deux
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (01 juillet 1935) §
Où êtes-vous, mon cher ami ? Cassilda nous a vivement inquiétés, cette nuit, en venant en
rêve nous apporter un hérisson avec de grands signes d’inquiétude, et même de frayeur. Mais
elle n’en a pas dit plus long, et nous ne savons que penser.
Vittel n’est pas horrible, comme on le dit. Tout au plus, une rose et un palace de plus qu’il
ne le faudrait. Mais les parcs sont pleins de prés, et s’achèvent dans des forêts de sapins.
Que voulez-vous de plus que la nature.
Nous serons Lundi à Port-Cros. Je crois que j’ai assez bien travaillé ! Et vous ? Recevez
tous deux notre amitié
Jean P.
Port-Cros, par les Salins d’Hyères (Var)
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1935) §
J'ai d’excellentes nouvelles de Supervielle (pris dans la tempête à Mirmande) qui a écrit de
très beaux poèmes, et de Michaux qui semble tolérer, à peu près,
Verviers.
En effet, démenti terrible au marxisme. On offre à Mussolini tous les
avantages économiques qu’il peut désirer (tout le monde sait ce que peuvent être des
« conseillers techniques » auprès du négus) Pas du tout. Cet homme veut la guerre. Parce que
c’est la guerre. Marx a bien raison de dire que les besoins de l’homme priment tout. Il devrait
ajouter que le premier besoin de l’homme est d’être autre chose que marxiste. Quant à la
« société anglo-américaine », la voilà déjà disloquée.
À bientôt. Et très affectueusement
Jean P.
ci-joint votre Nemrod. Je vous en pris : 1. Renvoyez-le.
2. Rendez-le un peu actuel (pour qu’il ne semble
pas ridicule de le donner à présent. Par exemple : les derniers fragments publiés de Nemrod permettent d’apercevoir l’idée d’ensemble etc.
3. Renvoyez-le moi d’urgence. Merci.
Heureux de ce que vous me dites de R.D. et de vous.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (20 juin
1936) §
La rigueur de votre analyse, sa méthode absolument scientifique en effet, puisqu’elle part
d’un phénomène pour en préciser la nature, les modes d’apparition, et en proposer les lois, me
ravissent. La parfaite adéquation du style et du sujet, je veux dire cette façon de tenir
compte en cours de route des obligations, des « rameaux de pensée » qui à tout moment
surgissent de l’analyse, constituera une extraordinaire réussite.
Je ne vous cacherai pas que les conclusions que je sens sourdre de votre œuvre désemparent.
Sans doute est-ce là d’ailleurs le but qu’elles se fixent. Retourner la pensée fortifie.
Si je saisis bien la structure même de votre analyse, vous posez 3 termes 1° Le
lieu commun (vous admettez que nulle distinction essentielle se s’impose entre lui et les
fleurs de réthorique [sic]) 2° L’écrivain qui en use 3° Le
lecteur qui s’y heurte.
Vous constatez que le lieu commun est un assemblage de mots qui cesse de signifier ce que
chacun de ses éléments veulent [sic] dire, et ce que leur ensemble désignait à l’origine. Vous
admettez encore que la pensée de l’auteur traverse le lieu commun comme
n’importe quel autre mot, sans paraître en souffrir, et en concluez que nous assistons
peut-être (sûrement même) à la naissance d’un nouveau langage, chaque fois qu’un auteur use de
lieux communs dans un sens particulier ; le lecteur qui voit le lieu commun là où,
en fait, existe un mot nouveau, reste le seul responsable de la platitude dont il
gémit.
Mais ne pourrait-on avancer, sans plus d’invraisemblance, que lorsque, par l’usage, un lieu
commun prend corps là où se trouvait à l’origine une image, c’est, non pas à la naissance d’un
mot nouveau que nous assistons, mais à la mort d’une expression que ses
vertus ont quittée ? L’auteur qui aligne les lieux communs ne nous convie-t-il pas à passer en
revue des cadavres, bien plutôt que des nouveaux nés ? Et si l’esprit de l’auteur habite un
instant tel cadavre, sommes nous coupables s’il est seul à s’en apercevoir ? (Faut-il cesser de
rire des spirites qui aperçoivent Jeanne d’Arc dans les vapeurs qui hantent une salle trop bien
fermée ?)
Il se peut que l’on choisisse de donner tort à mes interrogations. Dans ce cas je devrai
insister et vous demander pourquoi l’abondance des lieux communs dans une œuvre ne se trouve
pas être jusqu’ici le critérium auquel vous vous tenez lorsque, très judicieusement, vous
choisissez un texte, parmi d’autres, et pourquoi le point de vue de la Terreur vous rallie dans
la pratique, alors que dans la théorie vos efforts tendent à le ruiner.
J’aimerais le 1er juillet lire un passage de l’Expérience poétique, et
n’avoir pas, au moment de le lire, la parole le dernier. Je pourrai, si vous l’estimez
nécessaire, dire encore à la fin quelques mots de conclusion, s’il en est une possible, je veux
dire s’il en est une commune, pour (les) rallier les points de vue très séparés qui seront
soutenus.
A vos deux affectueusement
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (17 août 1936) §
Je me sentais grandi en honneurs (comme dit André) par cette grande bibliothèque tournante
avec encyclopédies à côté de moi. Mais tout se paie : il faut corriger quelque 1000 pages de
Thibaudet, chercher en quelle année ont paru les Natchez, et qui était Œcolampade (ne cherchez
rien, c’était un disciple de Luther). La pire humiliation, c’est qu’il m’arrive d’ouvrir
l’Encyclopédie Quillet pour rien, pour voir ce qui s’y passe. Somme toute, le nombre de choses
« qu’il faut savoir » est petit. Mais je résiste à la tentation. « Il n’y a pas de fin, dit
l’Ecclésiaste, à faire tant d’étude, ce n’est que du travail que l’on se donne ».
Il y a aussi la T.S.F. qui vient justement de dire : « Vichy nous restitue, à quelques heures
de Paris, à la fois Salzbourg et Bayreuth ». A part ça, je travaille assez bien.
*
Merci pour les notes. Très bien, mais pourquoi signer l’une et l’autre pas ?
Lisez-vous Yggdrasil ? C'est une sorte d’Hermès français
qu’inspire Schwab (mais bien inférieur, il me semble)..
Les nouvelles que je reçois d’Espagne sont effrayantes. Toujours se battre à mille, avec des
pierres (et jusqu’à des cloches de moutons, dit Malraux) contre des mitrailleuses.
*
Cassilda, comment allez-vous ? Nous vous espérons bien guérie déjà.
Le Luxembourg, sympathique et assez placide. Si l’on se décide un jour à concentrer quelque
part tous les gens qui veulent se battre, ceux qui croisadent du droit et de la liberté, ceux
qui trouvent qu’il faut se rattraper de 1914, ceux qui dialectiquent matériellement etc.
Luxembourg s’impose : c’est une montagne, tout entière en sapes, contre-sapes, galeries,
anti-galeries, grottes, et la ville perchée là-dessus, sur une mince croute. De quoi se battre
un an.
Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites de Bounoure. C'est assez ennuyeux ? Merci des
coupures sur Gide, prodigieuses.
Je suis content que les Fleurs vous intéressent toujours. (Et que la
déchéance des chapitres V-VI, enfin ce passage de la science (du point de vue de la
connaissance- au pratique, à la cuisine, au jardinage ne vous ait pas horrifié. Mais il le
fallait ; et puis il s’agit de cela que l’on ne peut vraiment connaître
qu’après avoir été un peu roulé, bousculé, déchu par lui. Mais c’est pour plus tard.) A la
vérité, j’ai besoin qu’elles vous intéressent.
Nos grandes amitiés pour vous deux
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (12 août
1936) §
Nous sommes encore à Paris. Nous avons dû retarder notre départ car Cassilda est malade
depuis 2 jours. Elle est d’après le médecin atteinte de cystite collibacillaire [sic], mal très
douloureux, mais qui je l’espère ne s’installera pas , et ne va durer que q.q. jours. Du moins
le médecin me l’assure.
Nous pensons, lorsque ce mauvais moment sera passé, partir à Digne, ou dans un village de
cette région.
Je vous adresse la Revue des Revues que Jean m’avait commandée avant votre départ. Je ne sais
si elle vous parviendra à temps pour le prochain n°. Je préfère ne pas signer le papier sur
Hermès, ou alors il faudra en faire sauter mon nom. Le seul beau texte du Minotaure est celui de Breton, et il est assez beau pour qu’on le cite. Est-ce votre
avis ?
Que faites vous, et où êtes-vous ? Très loin dans l’espace, ou dans la volonté d’absence.
J’ai aimé la façon dont Jean rend les armes à la Terreur après lui avoir arraché non
seulement le couteau qu’elle portait entre les dents, mais encore toutes les dents qu’elle nous
montrait… Il est heureux, il est important que de la rigueur soit introduite dans un domaine
constitué depuis deux siècles par un enchaînement de malentendus, de lâcheté, et de confusions.
J’attends la suite des Fleurs avec impatience.
De vos nouvelles nous feraient plaisir. Nous pensons à vous deux affectueusement.
A. Rolland de Renéville
11 rue Madame. Paris.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (02 septembre 1936) §
je reçois votre lettre du 31 Août. Je suis ennuyé que vous ayez une telle déception. Qu'elle
serve du moins à préciser entre nous deux ou trois points.
Il est exact que j’ai mis environ un mois à répondre à votre carte d’Anzay. est-ce là une
négligence tellement grave ? Je la regrette – mais vous avez dû recevoir, il y a quelques jours
déjà, ma réponse. Quant aux épreuves, je vous ai demandé plus d’une fois de
me les rendre corrigées le plus vite possible.
J'en viens aux « multiples et ridicules fautes d’impression » qui vous ont désolé. Vous m’en
citez quatre.
La première n’est pas une faute d’impression. Il est parfaitement correct
d’écrire : « De grands récits… des histoires d’amour lui furent confiés
».
La quatrième n’est pas non plus une faute d’impression. C'est moi, épouvanté par : « je me
suis pris à méditer que le vrai poète... » qui ai ajouté un « songeant » (qui est peut-être un peu plat mais qui du moins est correcte et clair).
Il me semble donc inutile de faire un erratum pour substituer à une
expression correcte et claire une autre expression incorrecte (ou simplement tolérée).
Il est exact que j’aurais dû vous faire part de mes corrections. Votre éloignement
l’empêchait, et je n’ai dû revoir votre note qu’au moment de donner le bon à tirer du numéro.
J'ajoute que j’aurais de toute manière exigé de vous la correction. Il ne m’est encore jamais
arrivé de modifier quoi que ce soit qui touchât au sens d’un article. Si
insignifiante que soit une faute de français (et justement parce qu’elle est chose
insignifiante) je désire qu’il n’y en ait pas dans la nrf . Quand vous
écrivez, par exemple, « … elle s’est permise de faire... » je me tiens pour
autorisé à changer permise en permis . Il me déplairait
fort que nous eussions une discussion là-dessus : ce serait donner à la chose une importance
qu’elle ne mérite pas. Si d’ailleurs cette suppression d’un e vous paraissait
une atteinte intolérable à votre liberté, je m’assure que votre rupture avec la nrf ne changerait rien à notre amitié – qui a, en moi du moins, des bases plus
profondes.
La seconde correction de l’erratum est tout à fait juste : instructif au lieu de instinctif est en effet détestable. La phrase
d’autre part, offrait un sens suffisamment clair, et acceptable, pour que la faute pût
m’échapper. Je ne vous demanderai jamais avec assez d’énergie de me renvoyer vos épreuves sitôt
corrigées.
La troisième correction, tout à fait juste aussi. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer.
avez-vous encore en main les épreuves, et quel en était le premier texte ? La faute y
était-elle déjà ?
De toute manière les « multiples et ridicules fautes d’impression » me semblent se réduire à
une . Les « mots surajoutés d’une façon inopportune », à un également. Je vous accorde que c’est trop et qu’un erratum est, sur
ces deux points, tout indiqué. Accordez-moi de votre côté, que votre désespoir est peut-être un
peu exagéré.
Je vous serre amicalement les mains
Jean Paulhan
Voulez-vous accepter d’écrire une note sur les derniers livres de Michaux (dont la nrf n’a pas encore parlé) ?
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 septembre
1936) §
Une note dont j’ai tout à fait besoin pour ce numéro-ci, c’est celle sur Sifflets dans le Temple . Envoyez-la moi le plus vite possible, je vous prie.
Affectueusement à tous deux
Jean P.
Chers amis,
Nous sommes, comme vous le voyez, toujours à Châtenay, ligotés par le travail et sans un brin
de soleil pour nous réconforter. Mais nous allons partir pour le Jura où nous retrouvons la
mère de Jean et ensuite, enfin, pour Port-Cros. Paris ne nous reverra pas avant le 10 Octobre.
Quel été !
Passez de bonnes vacances et que Cassilda se remette tout à fait de ses fatigues ; et recevez
tous deux mes plus affectueuses pensées.
Germaine
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (23 septembre 1936) §
Merci. Mais pourquoi ne m’avez-vous pas renvoyé la note Schwab ? Je comptais bien la donner
dans ce numéro.
Il va de soi que vous avez tout à fait raison. J'aime beaucoup le ton de
votre note.
Ce que l’on offrait à Mussolini avant les négociations était plus que
l’Angleterre n’a eu, pour commencer, au Transvaal, ni la France à Madagascar. Je ne pense pas
que Mussolini ait, à ce moment, refusé par sadisme – mais, vraisemblablement à cause du
prestige en soi d’une guerre, des souvenirs d’Adoua, (complexe d’infériorité italien, depuis
Baratieri), etc. Pour le reste, ce que vous dites de l’économique est trop évident mais il y a
aussi l’autre facteur.
À bientôt. Nous rentrons dans six jours. Amitiés à tous deux.
Jean Paulhan
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (07 octobre
1936) §
J’ai bien reçu la fin des Fleurs que j’étais si impatient de lire, et
vraiment je vois que j’avais bien raison d’être impatient ! C’est avec émotion que j’ai lu
votre pensée aboutir à un lieu moral vers lequel obscurément je m’efforce d’atteindre à propos
d’objets différents, ou plutôt en partant d’objets moins précis. D’un renversement de la pensée
à l’autre, à travers les pages de votre livre, je ne m’étais à vrai dire jamais senti
désemparé. Toujours l’impression d’être guidé avec certitude vers un but obscur comme le soleil
me rassurait, tandis que vous obligiez mon esprit à suivre les grandes oscillations
spirituelles qui caractérisent l’examen des contradictoires. En fait j’ai toujours pressenti ce
grand schème de la dialectique rigoureuse, si subtilement voilé, mais implacablement suivi,
dans les démarches que vous m’imposiez. Tout de même ce pressentiment ne s’est pas mué en
certitude sans emporter en moi la surprise d’une si éclatante réussite.
Ce qui particulièrement me paraît faire des Fleurs un grand livre c’est
parmi beaucoup d’autres traits, que vous réinventiez la dialectique, vous nous la faite sentir
nécessaire, grâce à un contrôle scientifique de chacune de vos assertions. Le hasard est à
chaque mot chassé de vos acquisitions. Ce sont les oppositions, les résistances, que par moment
l’on est tenté de vous offrir, qui vous deviennent des occasions de triomphe, et des arguments
nécessaires à la conduite de vos recherches. Vous partez d’un problème en apparence
insignifiant « le lieu commun », celui auquel justement notre pensée ne songe guère à
s’arrêter, pour reconstruire tout le drame des Lettres, et finalement celui de l’esprit humain.
Cette méthode, qui consiste à retrouver le Tout dans l’infime, a fait à travers les âges toute
la grandeur de ceux qui surent exploiter les ressources de la pensée.
Enfin il me semble que pour la première fois la rigueur scientifique fut vraiment appliquée
dans un domaine que le sens commun livre à la fantaisie la plus lâche. Je ne vois chez Valéry
que l’ambition qu’une telle application, et quelques tentatives.
Cette synthèse de trois démarches de l’esprit : la dialectique, l’analogie, l’induction et la
déduction, constitue une éclatante nouveauté dont l’honneur vous revient, et qui devrait avoir,
semble-t-il une longue répercussion dans le domaine de l’expression.
J’aimerais beaucoup, mon cher ami, écrire une étude sur les Fleurs
lorsqu’elle paraîtront en librairie, si toutefois vous estimez que les réflexions qu’elles me
suggèrent ne trahissent pas votre pensée.
Avez-vous pu croire sérieusement que je doutais de vous un instant ? De cela seul je pourrais
vous en vouloir un peu.
Cassilda lutte corps à corps avec notre appartement. Elle n’a fini qu’aujourd’hui de peindre
la n ème pièce. Je pense que dans un mois nous vivrons normalement dans la maison.
À bientôt mon cher ami
Je vous serre les mains.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (septembre 1936) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – septembre 1936.
Jeudi. [juin septembre 1936 ?]
Bien cher ami,
Nous partons tout à l’heure.
Sur Kahn, ou à propos de lui, n’écririez-vous pas une page ? Je le voudrais bien.
(Cela pourrait s’appeler : « l’inventeur du vers libre meurt oublié dans un galetas du
Quartier Latin ». Après tout, peut-être G.K. habitait-il aux Champs-Elysées.)
Que de gens profitent des vacances pour s’en aller, Kahn, Meillet, Marsan, etc. Toujours les
mots que l’on prend trop au sérieux.
Affectueusement à vous deux
Jean P.
Port-Cros par les Salins d’Hyères (Var).
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (novembre 1936) §
IMEC, fonds PLH, boîte 193, dossier 146739 – novembre 1936.
Le 11. [Novembre 1936 ?]
Mon cher ami,
Votre lettre m’a été assez désagréable.
1. je n’ai pas l’habitude de vous mentir. Ce que je vous ai dit du Sens de la
Nuit est exactement ce que j’en pense.
2. je n’ai pas l’habitude de vous faire attendre. Vos notes paraissent en général dans la nrf quinze jours après que vous me les avez remises. Votre article a paru dans
Mesures un mois après que vous me l’aviez donné.
3. votre question est absurde. Je ne puis donner deux articles de critique générale dans un
même numéro. Vous le savez comme moi. Or il ne m’a été possible de donner des Flerus de T. que onze pages le 1er Sept. Elles finissent le 1er Octobre.
4. je ne me traite pas mieux que vous, ni qu’aucun collaborateur de la nrf. Il y a huit ans
que les Fleurs de T. ont été annoncées. J'aurais pu facilement les donner il
y a quatre ans (je veux dire qu’elles me satisfaisaient à ce moment-là.)
5. cela dit, je suis aussi pressé que vous de voir paraître le Sens de la Nuit .
C'est tout, mais je désir que nous ne revenions pas sur ces questions.
*
Nous sommes toujours à Châtenay, tout de même avec l’espoir de partir dans quelques jours. Il
y a dans l’ « Histoire littéraire » de Thibaudet un excellent Balzac , et un
Baudelaire très correct. (parallèle entre les Fleurs du
Mal , ou plutôt les Limbes et la Divine Comédie
.)
Merci pour la note sur HM. qui me semble très juste.
Amitiés à tous deux
Jean P.
Pour moi j’ajoute :
1. Que Jean a l’intention de donner votre article le 1er
Novembre (mais d’abord il peut arriver une chose imprévisible qui l’en empêche et il ne
veut pas faire de promesse ferme ; puis votre insistance l’ayant un peu fâché il vous en ferait
d’autant moins la promesse… mais c’est chose presque assurée (sauf mort d’un de nos
collaborateurs ; sauf que nous soyons tous morts…) ;
2. On pourrait vous faire régler votre article d’avance, dans le courant d’Octobre.
Nous sommes bien fatigués et il nous tarde de partir.
Recevez nos pensées très affectueuses tous les deux ; et reposez-vous bien
Germaine
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
Quel est le titre exact du poème de René Daumal : Contre Dieu, contre ciel
? Dites-le moi le plus vite possible, je vous prie.
Votre Ami
J. P.
(je voudrais le citer dans notre memento des revues.)
Votre image est passionnante – mais comment la comprendre tout à fait, isolée du
livre dont elle n’est qu’un chapitre. Quand me prêterez-vous le reste ?
affectueusement
J.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
Où êtes-vous ? Je voudrais bien savoir si votre concours s’est bien passé.
Écrivez. Nous pourrions fixer notre réunion au Dimanche 20 Avril ? Mais je vous écrirai d’ici
là plus longuement.
Amitiés à tous deux
Jean Paulhan
Hôtel du Jura.
Mont.s. Vaudrey (Jura)
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (06 octobre 1936) §
Viendrez-vous Vendredi ? Je pourrai vous montrer un texte, qui vous
intéressera. C'est une lettre de J.R. datée de 1923 et disant à la fois 1) qu’il laisse son Rimbaud inachevé 2) et que la thèse de Rimbaud mystique lui semble à présent
inacceptable. Je pense la donner dans la nrf de Novembre.
Artaud a beaucoup d’admiration pour le « Musée Wiertz »,
et son auteur.
Votre ami
J. P
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
le grand agrément du paysage (ci-joint) est que la mer en descendant porte de
deux à quinze le nombre des îles visibles. Mais nous avons épuisé ces voluptés ; et je me
trouve d’ailleurs remis, ou peu s’en faut. Nous rentrons à Paris dans trois ou quatre jours.
Vous nous donnerez des nouvelles : Daladier, entendu par hasard à la TSF était en train de dire
que l’armée française était invincible, ce qui nous a fort alarmés. J'ai beaucoup songé à votre
poème ; et assez avancé la seconde partie des Fleurs . Recevez toutes nos
amitiés.
J. P.
Germaine
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
J'écris à M. Festy (secrétaire de R. Gallimard) de vous remettre 800 frs pour le Sens de la Nuit .4
Mon cher ami
Nous sommes tout de même contents d’être enfin en vacances. Il ne fait pas
trop de vent, et il s’arrange en général pour pleuvoir la nuit. Nous ne bougeons pas
beaucoup.
Pourquoi Hermès ne ferait-il pas un n° sur la dialectique ?
(avec les textes, introuvables en français). Ce serait aussi un grand succès.
J'aurais bien voulu vous envoyer la fin des Fleurs , mais
je n’ai pu me retenir de la recommencer sur épreuves. Alors il était trop tard. (Mais je n’ai
jamais eu plus besoin que vous la lisiez.)
A bientôt, il nous tarde de vous revoir. Vous ne m’en voulez pas, n’est-ce
pas ? J'avais été assez malheureux à la pensée que vous doutiez de moi. Je vous serre les
mains.
Jean Paulhan
Port-Cros (Var)
Amitiés à vous deux
Germaine
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
Merci. Je vais lire avec une grande joie le sens de la nuit
(pour l’instant, il est à la dactylo).
Hier, discussion sur les dernières notes de la nrf . L'on
vous reproche assez unanimement l’importance que vous donnez à des considérations métaphysiques
– au prix desquelles le particulier , la différence de
chaque poète s’effacent. L'on ajoute que – quelle que soit la valeur en soit de vos réflexions
– leur place est plutôt dans un article que dans une note.
Nous sommes heureux des meilleures nouvelles de Cassilda.
Nous parlerons de « l’expression ». Mais si vous me posiez d’abord la
question, par lettre.
Ami
J. P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
Merci des notes (tout m’y semble parfait, et le poème de HM est bien beau –
mais êtes-vous certain que le livre livre paraîtra avant le 1er Mai?). Je vais tâcher de donner Hermès le 1er
Mai.
Il souffle ici un vent si amer et si égal que le « dehors » prend un sens
très précis. (A Paris l’on se sent dans une pièce, le toit oublié.)
Ne m’en veuillez pas pour le « sens de la nuit ». 1) si la nrf l’avait déjà donné, Mesures , tant Ch. est jaloux, aurait refusé
P. et M. ; 2) j’ai pu, injustement d’ailleurs, faire passer P.
et M. immédiatement, alors qu’il aurait dû attendre, pour passer après Bounoure ; 3)
enfin le roman de Montherlant, que la nrf donne à présent, a des tranches trop longues pour que
je puisse donner tout de suite le Sens de la Nuit (qui est relativement
long).
Mais soyez sûr que je suis aussi impatient que vous de le
voir paraître.
Mais nous rentrons. À un de ces jours.
Votre ami
Jean Paulhan
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1936) §
Je n’ai pu mercredi vous expliquer de façon suffisamment précise les raisons qui m’ont retenu
d’apposer ma signature au bas de l’adresse collective parue dans Combat, à
propos de l’attitude de la famille Artaud, envers les inédits et la correspondance
d’Antonin.
Je ne crois pas que ma signature ait une importance suffisante pour qu’il soit nécessaire que
j’explique mon attitude au public (qui ne s’apercevra pas de son absence) mais je tiens à ce
qu’aucune équivoque ne puisse exister dans l’interprétation que, personnellement, vous pourriez
être amené à vous en donner vous-même. L’adresse collective de Combat portait
à la fois sur le droit des héritiers Artaud, et sur la qualité de leur
attitude au point de vue moral. En ce qui concerne le droit, les rédacteurs
de cette adresse se sont complètement trompés. Du fait de la mort d’Artaud, tout ce qui lui
appartenait (livres publiés, livres inédits, textes de ses lettres) appartiennent désormais à
sa mère qui est de droit son héritière directe, en l’absence de testament. Madame Artaud a le
droit de faire ce qu’elle en veut par exemple d’empêcher la publication des inédits, et mieux
encore de la correspondance. (Ceux qui ont reçu des lettres d’Artaud ne sont propriétaires que
du papier et de l’écriture du poète, mais non du… contenu intellectuel de ses lettres).
On me dit : « Il y a un testament ». je ne l’ai pas lu (1). Les fragments qu’en donne Combat ne font aucune allusion à la correspondance… Le Code Civil est sans doute
beau et absurde comme toutes les créations humaines (Camus dirait comme tout ce qui existe). Je
n’ai pas à l’apprécier, car je ne suis pas législateur. Par contre j’ai accepté de consacrer la
plus grande partie de mon existence à l’appliquer. Et dans les circonstances mes collègues,
sinon moi-même, ( car s’il devait s’agir de moi, je me récuserai en raison de mes relations
avec Antonin) vont probablement avoir à l’appliquer, tant donné le procès que la famille Artaud
s’apprête à intenter… Je ne pouvais, vous le comprenez, signer, et par conséquent approuver, une adresse collective qui porte sur une grossière erreur de
droit.
Pour ce qui est du point de vue moral, c’est bien autre chose. A cet égard je suis pleinement
d’accord avec la pétition dont nous parlons. Si ce n’est que nous risquons de voir élever le
débat : « Vous souhaitez donc, nous dira-t-on peut-être, que les œuvres d’un écrivain décédé
soient arrachées aux familles stupides et alusives [sic], et soient considérées comme un
patrimoine commun à l’humanité. Vous avez bien raison. Nous allons faire voter une loi qui
donnera à l’Etat la propreté des œuvres littéraires, inédites ou non ». Dois-je insister pour
vous montrer que cela nous mènera à une catastrophe bien plus grave encore ? Hitler et Staline
sont là pour nous montrer que le fanatisme politique laisse bien loin derrière lui celui que
les familles des petits bourgeois peuvent nourrir, et opposer un temps à la publication
d’œuvres qui les épouvantent en même temps quelles les flattent à leur insu. Aragon
laisserait-il paraître des inédits de Rimbaud ? Mais je crois qu’il les brûlerait. (Lire sa
préface aux Poèmes politiques d’Eluard). Vous voyez que notre Code est un
moindre mal… Nous lisons avec délices votre dernier livre. Je suis très frappé par ce qu’il y a
de « créateur » dans votre style.
Mon cher ami nous pensons à vous deux bien affectueusement.
André
Je vous reparlerai plus longuement de vos admirables textes.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 mars 1950) §
Vous avez absolument raison. Mais, si absurde en soi que soit la
protestation, elle peut avoir un effet de masse , impressionner la famille,
l’opinion, que sais-je. Enfin, c’est dans cet espoir que j’ai signé. (Pour vous, magistrat, la
question était tout autre.) Affectueusement à tous deux, je suis bien content que ces causes vous plaisent.
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 juin
1950) §
Mais oui « D’une chronique miraculeuse » est un très beau titre que je vous remercie de
m’offrir. Evitons les « Hommages à… »
Si vous avez de la patience de lire les 3 pages jointes, vous y verrez que celui qui fait
passer des extraits de presse dans le Bulletin N.R.F. est un petit traître,
peut-être bien sans le vouloir tout à fait, mais enfin un traître : détaché du contexte, ma
phrase sur Claude Roy est en effet ahurissante. Lorsqu’on lit le contexte, je crois que l’on
voit très bien que ma chronique était bâtie sur l’équivoque exprimée par Claude Roy lui-même à
propos de son titre : Le Poète mineur, c’est-à-dire celui qui travaille en
profondeur, dans les « sentiments » mais qui reste un poète de second plan. Tout mon papier
reprend cette opposition et en approuve les termes. En détacher 3 mots, c’est évidemment me
faire passer pour un couillon, (mot noble devenu péjoratif).
Merci infiniment pour l’article sur l’écriture de Rimbaud. Je suis stupéfait de voir que cet
autre graphologue dénie que l’écriture de Germain Nouveau apparaisse dans le Ms des Illuminations !
Affectueusement à vous deux
André R de R
Extrait d’une chronique
---
Claude Roy publie un recueil de poèmes en vers réguliers sous le titre le Poète
Mineur. Il a souci de placer en exergue de son ouvrage la définition que le dictionnaire
nous donne du mot mineur pris dans ses différentes acceptions, ce qui lui permet de jouer sur
plusieurs sens et d’entretenir une équivoque dans l’esprit du lecteur : le mot mineur désigne n
effet l’homme qui travaille dans les profondeurs, tandis que l’expression poète mineur a trait
à un poète de second ordre. Claude Roy nous laisse entendre de la sorte que ses poèmes sont
l’effet d’une méditation sur ses problèmes intérieurs, en même temps qu’il nous les présente
avec modestie. Toutefois dans une note jointe à son volume, il nous révèle de façon explicite
que le premier sens de son titre a toutes ses préférences : « Les sources du dedans d’où ces
poèmes tirent leur eau (peut-être leur fraîcheur) écrit-il, ne sont pourtant pas à mes yeux,
mineurs au sens restrictif du mot. Mais bien plutôt au sens où les mines sont profondes. »
Ainsi que l’a pressenti l’auteur, l’on trouve en effet beaucoup de grâce et de fraîcheur dans
les Nocturnes, les Bestiaires et les poèmes d’amour du Poète Mineur. Ses alexandrins sont harmonieux, et souvent soulevés par un rythme
de chanson que brode un jeu très fin d’images toutes colorées de fleurs et de flammes, tandis
que les cris les et les pas d’une faune familière y retentissent. Toutefois l’admiration que
Claude Roy professe pour Aragon et pour Supervielle le privent [sic] de se composer une langue
et une mythologie qui nous eussent permis d’oublier celles auxquelles lui-même n’a cessé de
songer. C'est là sans doute la réserve que Claude Roy fut le premier à faire sur ses poèmes en
choisissant leur titre. Toutefois, il serait injuste de ne pas, à sa suite, apercevoir la
profondeur et la sincérité des sentiments très purs qui s’y expriment. La reine des passions a
pour effet de permettre à l’auteur de prendre de la distance à l’égard de ses maîtres : ses
poèmes d’amour révèlent un véritable lyrique, en possession d’un chant personnel. C'est à
partir des chants dédiés à Claire que Claude Roy nous apparaît comme un poète émouvant et
profond.
---
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (06 juillet 1950) §
Je suis resté pas mal préoccupé des toiles de Cassilda.
*
C'est décidément de 26 à 28 pp. Que j’ai besoin. (Je vous ferai aussitôt
envoyer un nouveau chèque de 10.000.)
Vous me les organisez bien en un petit article, n’est-ce pas ? Avec une
introduction (à propos de Bouillane, sur la gravité de la question soulevée), et une
conclusion. Quel titre ? Verlaine témoin de Rimbaud (?) ou…
J'en suis impatient.
*
à tous deux, affectueusement
Jean P.
chez M. Arland. Brinville. Par Ponthierry. SaM.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 juillet
1950) §
Je vous adresse par même courrier (en recommandé) l’extrait de mon livre que j’ai arrangé de
façon à ce qu’il forme un ensemble. Sa longueur est un peu plus de 32 pages, et je ne vois pas
le moyen d’en retrancher quoi que ce soit sans le rendre incompréhensible. J’espère qu’il vous
parviendra à temps. Je n’ai pas pu vous l’adresser sans délai, tant en raison des remaniements
à y apporter, que du fait que j’ai traversé et traverse encore beaucoup d’ennuis à la suite de
la mise en vente de notre appartement. Si nous ne l’achetons pas, nous risquons d’en être
expulsés un jour ou, l’autre, et serons contraints de nous défendre dans de nombreux procès.
D’autre part pour pouvoir prétendre à l’acheter j’ai dû chercher des prêteurs, et à part un
ami, j’en ai trouvé qui m’ont avancé la plus grande partie de la somme mais à un très gros taux
d’intérêts. J’aurai donc le souci de les payer et de chercher à rembourser le capital…
C’est vous dire que plus mon « Verlaine, témoin de Rimbaud » vous paraîtra valoir cher, et
plus vous me rendrez service.
Le livre entier aura sans doute pour titre « Pour dater les Illuminations », si toutefois
vous l’approuvez. Je pense et espère vous le remettre à la rentrée pour M. Gallimard, et, si
vous le jugez opportun, vous remettre aussi le manuscrit de mon livre d’études dont je vous ai
parlé l’an dernier. J’espère que M. Gallimard pourra donner sur ces deux livres une avance qui
me permettra de commencer à rembourser mes dettes. (Il faut un commencement à tout !)
Nous souhaitons que vous et Germaine ayez beau temps pendant votre séjour, et profitiez bien
de ce repos si agréable en compagnie des Arland. Nous espérons que Germaine a bien supporté les
fatigues de ce déplacement, et que l’air de la campagne lui fait du bien. Transmettez lui bien
toutes nos affections, et dites lui que nous pensons à elle, et parlons d’elle et de vous bien
souvent. Nous regrettons de n’avoir pu la voir avant son départ.
Cassilda vous reste bien reconnaissante des magnifiques orchidées (les unes après les autres,
les boutons se sont épanoui, parfois en 5, parfois en six pétales. Il y a certainement de la
Kabbale là-dedans, comme on disait au XVIII° s.)
Veuillez dire toutes nos amitiés bien vives aux chers Arland. Nous vous adressons à tous deux
nos fidèles pensées.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 juillet 1950) §
Merci. Votre étude me paraît parfaitement juste, et rigoureuse.
Je suis content que vous n’ayez plus d’inquiétudes du côté de l’appartement.
Mais il est vexant de chercher de l’argent, encore que l’on espère, avec la baisse, rendre
moins qu’on n’a emprunté*. (J'ai dû me livrer à cet exercice récemment, notre maison ayant eu
besoin d’un nouveau toit. Ah, je vous souhaite bien de bonheurs, jeune propriétaire**.)
Nous sommes seuls ici, les Arland en Auvergne.
Avec toute notre affection pour tous les deux
Jean P.
Connaîtrez-vous un connaisseur de Pernety et Grabianca ?
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 juillet
1950) §
Merci de m’avoir communiqué la lettre (que je vous retourne) de Delamain si amusante et
intéressante. Je vois que Delamain reproche à Bouillane d’avoir déclaré « éclatant » l’e des verbes allemands, qui est en réalité celui « d’un expéditionnaire ou d’un
sergent-major ». Je vais être obligé de prendre à cet égard la défense de Bouillane : pour ce
dernier il ne peut y avoir de type plus éclatant que le sergent-major et l’expéditionnaire, car
sa propre écriture révèle qu’il réalise en lui l’harmonieuse synthèse de l’un et de l’autre. En
faisant indirectement son propre éloge, il n’a donc jamais été si loin du contre sens…
Je ne connais pas de spécialiste de Pernety. Peut-être pourriez-vous écrire à M. Rouillé
directeur de la librairie Véga Bd St Germain : il connaît la plupart des occultistes, et paraît
d’ailleurs, en retirer une certaine tristesse.
Nous sommes encore à Paris, mais en partons jeudi 3 août pour Vendôme où nous comptons passer
15 jours auprès de mon oncle paternel. Nous descendrons à l’hôtel, car il est vieux et ruiné
ne peut nous recevoir, mais vous pouvez m’écrire chez lui jusqu’au 17 août environ : A.R.R. chez M. Jean Rolland 16 Place Saint-Martin, Vendôme (Loir et Cher).
Je suis bien content que mon texte ait votre assentiment car tout l’essai est dans le même
sens et devrait donc vous plaire. Tout ce que je peux dire c’est que je crois avoir rendu
relativement amusant un sujet ennuyeux pour ceux que la question ne fanatise pas.
Votre théorie monétaire me parait malheureusement juste. L’emprunt consiste évidemment une
sorte d’escroquerie. Empruntez donc, et comportons-nous en chef d’Etat. Ce qui tempère mes
remords c’est que si je dois gagner sur l’argent que l’on m’a prêté, je vais perdre sur le
chèque que vous ne m’avez pas envoyé. Plaisanterie à part, il me suffira que vous le remettiez
à la rentrée, si cette remise ne doit pas risquer de se confondre avec l’avance que Gallimard
me fera éventuellement, s’il accepte d’éditer le livre. Je pense qu’il ne pourra y avoir de
confusion à cet égard ?
Je vois que pour Delamain, il faut être quelque peu « cinglé » pour avoir chance d’écrire des
vers originaux. Mais alors que de poètes !… C’est là un préjugé tenace. Beaucoup de jeunes gens
ont attendu pour admirer Artaud qu’il écrive MERDE à toutes les lignes. (C’est d’ailleurs un
signe en faveur de leur excellente éducation, puisqu’ils n’en reviennent pas d’une telle
audace.)
Ce qu’il y a de vrai dans leur conception c’est probablement que l’homme normal doit oublier,
ou mieux méconnaître, l’existence possible d’une activité de luxe. Vous
écrivez le Bateau ivre ? Il vous faudrait un gardien. Vous vous livrez à la contrebande
d’armes ? Vous devenez un personnage officiel.
Mais cette ignorance de toute activité de luxe est-elle bien le fait de l’homme normal ? Il
ne faut pas moins que toute l’armature policière de l’U.R.S.S. pour empêcher les Russes
d’écrire des poèmes d’amour.
Vous pouvez dire à Delamain qu’à la page 172 de sa thèse Bouillane indique qu’il a obtenu de
Mme Lucien Graux « l’autorisation demandée » de reproduire l’Illumination dans laquelle il a
reconnu l’écriture de Germain Nouveau. Curieux que maintenant il fasse état de réserve si
particulière de Mme Graux, d’autant qu’elle lui a laissé reproduire par ailleurs tout ce qu’il
a voulu. L’âme des sergents majors a des recoins.
A vous deux bien affectueusement
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (08 août
1950) §
Je reçois à l’instant votre mot me réclamant mes épreuves. Je pense que vous devez avoir en
main ces dernières que je vous ai mises à la poste ici samedi 5 août par pli recommandé. Pas
mal de corrections tout de même. Toutefois je n’aperçois pas de correction à faire aux vers de
Verlaine (je n’ai que mon texte sous les yeux, il est vrai.) Je vous signale que Crimen amoris est écrit en vers de 11 pieds et non en alexandrins. Peut-être en lisant
rapidement un des vers, l‘avez-vous cru faux parce qu’il n’avait que 11 pieds ? quant à Don Juan pipé, il est écrit en vers de 10 pieds. Je ne vois nulle part
l’expression d’entre à introduire dans l’un de ces poèmes… (Ennuyeux d’être
éloignés l’un de l’autre, et de n’avoir aucun livre sous la main ici !)
Je suis vraiment bien ravi que mon texte paraisse précis et convaincant, et qu’une seconde
lecture ait accru votre bonne impression.
Nous pensons affectueusement à vous deux
André
Au cas où ma version du vers que vous avez pensée devoir corriger serait la bonne, j’espère
que vous aurez le temps d’écrire à l’imprimeur pour la faire rétablir ?
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (09 août 1950) §
En effet, vous avez mille fois raison : j’ai corrigé rapidement ces épreuves, et je n’avais
pas les textes sous les yeux. J’ai passé trop vite notamment sur les citations de Verlaine, et
suis stupéfait qu’en particulier le d’entre m’ait échappé !
J’avoue que mes accents circonflexes, et même tous mes accents sont trop souvent absents… Je
n’irai pas jusqu’à invoquer hypocritement l’influence du latin pour m’en excuser. Quant à
vouloir faire magistrat… Je crois que vous prêtez trop à la profession.
Nous avons ici beaucoup plus de bruit encore qu’à Paris, car notre chambre donne sur un
garage que les touristes et passagers emploient toute la nuit Dans quelques jours nous
tenterons de trouver une auberge à la campagne. Bien que Michaux m’ait prévenu qu’il allait à
la campagne pour « entendre le bruit »…
Je pense qu’en septembre nous regagnerons Paris afin de pouvoir travailler un peu. J’espère
que de votre côté vous êtes bien installés, et que vous pouvez travailler au 2° volume des Fleurs ? Nous souhaitons que Germaine se trouve bien de son séjour à la
campagne, et nous vous adressons à tous deux nos fidèles pensées.
André
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (24 octobre
1950) §
J’ai pensé à votre jeune ami Rivière qui cherche une situation, et en ai parlé à Madame
Rosafy dont le mari est propriétaire de la fabrique de meubles « Oscar ». Elle m’a dit que M.
Rosafy cherchait actuellement 1° un vendeur qui serait chargé de tenir un stand dans les foires
et expositions tant de Paris que de province 2° un directeur commercial pour le siège de Paris.
M. Rosafy aimerait d’ailleurs former lui-même ce directeur commercial (avant de lui conférer ce
titre et ces fonctions), il accepterait d’engager un jeune homme pourvu qu’il soit intelligent,
actif, et débrouillard. Si votre protégé se sent ces 3 qualités, et ne répugne pas à prendre
une situation commerciale qui de vendeur le conduirait peut-être à devenir directeur
commercial, il peut s’adresser de ma part à M. Rosafy, Meubles Oscar, 11 rue Tronchet, en
téléphonant d’abord à Anjou 05-02 pour prendre rendez-vous avec lui.
Je me permets d’autre part de vous adresser le projet de pétition dont je vus ai parlé, et
qui serait de nature à faciliter la naturalisation de Jean de Boschère5… Si vous mêmes et les membres de votre Comité, ainsi d’ailleurs que tous
autres écrivains, pouviez signer sans trop de retard cette pétition (dont vous pouvez bien
entendu changer les termes, pourvu que le mot estime n’y soit pas changé en exécration !) je
pourrais à mon tour la joindre au dossier avant la décision finale.
Cassilda très fatiguée par le changement de saison s’excuse de ne pouvoir actuellement aller
voir Germaine à laquelle elle pense beaucoup et adresse ses affections.
Tous nos amitiés pour vous deux
André R de R
Ne manquez pas je vous prie de me réserver un exemplaire du faux n° de vos Cahiers qui
contient le texte de Briand, pour ma collection, et bien entendu en toute
discrétion.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (13 novembre 1950) §
Jean Catesson me prie de vous soumettre une chronique qu’il vient d’écrire sur le Proust de Briand, et dans laquelle il a exposé un point de vue médical, en même
temps que littéraire. Il aimerait la voir paraître dans les Cahiers de la Pléiade. Au cas où
elle vous paraîtrait ne pas convenir à vos Cahiers, je vous serais reconnaissant de bien
vouloir écrire vous-même à Catesson pour lui dire ce que vous pensez de son texte (adresse : Dr
Jean Catesson, Sanatorium des cheminots. Champrosay par Draveil- Seine-et-Oise).
Dans cette dernière hypothèse vous pourriez peut-être proposer sa chronique à une autre
revue, telle que 84, ou autre ? Et agir en conséquence. Merci en tout cas de
ce que vous pourrez faire pour ce vieil et excellent ami d’enfance.
Cassilda se joint à moi pour vous adresser à tous eux nos affections
A. Rolland de Renéville
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (19 décembre
1950) §
Le Service des Naturalisations (17 rue Scribe) attend pour naturaliser Jean de Boschère
d’avoir reçu l’avis du Ministère de l’Education Nationale, récemment consulté à ce sujet. En
effet le Service des Naturalisations (fort bien impressionné par notre pétition) désire se
faire « couvrir » par un avis favorable officiel de l’organisme compétent,
puisqu il s’agit d’un écrivain. Le fait que Bosschère soit sans postérité, et ait attendu
d’être âgé de 72 ans pour présenter sa demande implique en sa faveur une mesure absolument
exceptionnelle qui ne peut lui être accordée que si le Ministère de l’Education Nationale admet
qu’il a rendu service à nos Lettres, et par conséquent à la propagande française. Il paraît que
c’est en fait M. Jaujard qui doit donner son avis, et répondre au Service des Naturalisations.
Puis-je vous demander d’écrire, dès réception de ma lettre, un mot à Jaujard
pour provoquer de sa part un avis favorable, et en même temps rapide ?
Entre nous le pauvre Boschère est dans une situation atroce : misère absolument complète,
alité à la suite d’une hémorragie intestinale, et attendant fébrilement sa naturalisation pour
obtenir ensuite… la retraite de vieux. Bien entendu ne soufflez pas mot de ce que je vous
confie car ce serait de nature à empêcher sa naturalisation, étant donné que cette dernière
n’aura d’autre effet que de faire tomber Boschère à la charge de l’Etat français. J’ai déjà pu
obtenir la promesse que la naturalisation lui sera accordée sans droits de Sceau. Mais tout
dépend maintenant de l’avis de Jaujard. Je vous remercie à l’avance de ce que vous pourrez
faire de ce côté là.
À bientôt mon cher ami.
Cassilda se joint à moi pour vous adresser ainsi qu’à Germaine notre plus affectueux
souvenir
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (16 mars 1951) §
« … nous autres physiciens avons coutume de nommer causes
célèbres celles des causes que nous décelons, dont l’effet est paradoxal ou du tout
attendu... »
(R.P. Paulian S.J., Manuel de Physique à l’usage des gens du
monde )
*
Je suis vraiment content que vous aimiez les Gardiens . A
tous deux affectueusement
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (20 mars
1951) §
refTitle : Les Gardiens, Jean Paulhan, Paris, Mercure de France, 1951
20 mars 1951
Mon cher ami
Je vous remercie de m’avoir adressé le passage du R. P. Paulian (un de vos parents ?)
concernant les « causes célèbres ». Je vous demanderai demain mercredi, de bien vouloir me
donner de vivre voix la date de l’ouvrage, et le nom du libraire-éditeur de l’époque. Comme je
pense citer tout cela dans un « papier » que je médite d’écrire pour le Service culturel des A.
E. J’espère, ( je crois) qu’il ne s’agit pas cette fois-ci d’un ouvrage imprimé par
Bettencourt… dont le nom, il est vrai, sent bien son XVIII° siècle).
Oui, les Gardiens m’ont ébloui (et aussi Cassilda). Trouver une nouvelle
forme de conte, un mode inédit d’exposition, n’est pas une petite chose ! J’ai suivi avec une
très grande admiration votre démarche parmi tous ces pièges que vous évitez avec une aisance et
une grâce qui les désignent implicitement, et les abolissent.
Un roman de 200 pages écrit par vous serait un extraordinaire chef-d’œuvre. N’y avez vous
jamais pensé ?
Diderot, Mallarmé, Paulhan, constituent une trinité qui devrait donner mauvaise conscience à
beaucoup de nos contemporains, les empêcher de dormir.
Qu’elles sont belles, aussi, ces images, à la fin de votre hommage à Joe Bousquet !
A vous deux affectueusement
André R. R.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (24 mars 1951) §
Voici la copie (que vous pouvez garder) de la chronique que j’ai tenté d’écrire sur les
causes célèbres. Je ne me dissimule pas tout ce qu’elle a de simpliste et de limité par rapport
à un art et à une pensée aussi subtils, aussi divers que les vôtres. Je ne suis même pas
certain d’avoir mis le doigts sur l’un des ressorts de votre livre, et je ne voudrais pas vous
avoir trahi en vous comprenant mal, ou en isolant abusivement l’un des aspects de votre
démarche. Aussi je n’enverrai pas cette chronique au service culturel des Affaires Etrangères
(auquel je le destine) que si vous me dites, en toute simplicité, que je peux le faire.
Relu votre texte des Cahiers de la Pléiade. Eh ! oui, c’est vous qui avez
raison, et moi que ne raisonnais (de travers) que sur une première lecture trop rapide. Ce que
dit Mallarmé dans La Musique et les Lettres ne s’oppose nullement à vos
remarques. Pouvons-nous convenir, vous et moi, avec lui, que le poète tend à réinventer à son
propre usage un langage (dans la langue), et que tel nouveau mot qu’il trouve est constitué par
« un vers entier » (probablement d’origine onomatopéique) ? Voici l’une des assertions de
Mallarmé : « Le tour de telle phrase ou le lac d’un distique, cités sur notre conformation,
aident l’éclosion, en nous, d’aperçus et de correspondances.
Dire que nous assistons chez le vrai poète à un effort de création d’un langage est sans
doute hasardé, mais comporte une part de vérité. Le poète est l’un des rares « primitifs » que
nous ayions encore l’occasion d’ observer.
Merveilleux, comme toujours mais de plus en plus, votre style dans ces pages !
A vous deux bien affectueusement.
André
Dans Combat de jeudi un article par trop ignoble et bête de Saillet sur
Rimbaud expliqué par l’exemple de Genet !…
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (03 avril 1951) §
J'ai bien eu tort de me laisser entraîner un instant sur le terrain que
j’étais le mieux décidé à éviter. Tout ce que j’ai dit dans ce petit essai, c’est que certains
des arguments, dont usent vos amis, ne font guère qu’illustrer une surprenante (mais précieuse)
illusion de langage. Quant à la question même que vous soulevez, eh bien votre solution me
semble fort sage, et j’espère qu’elle trouvera un jour les preuves qui jusqu’ici semblent lui
manquer. Mais il s’agissait pour moi de toute autre chose Me direz-vous qu’en critiquant les
preuves que se veut telle ou telle doctrine, c’est à la doctrine elle-même qu’on paraît
s’attaquer ? Mais non ! Et c’est un service à rendre à une opinion que de la débarrasser des
faux arguments qui risquent de l’entraîner un jour dans leur ruine.
*
Rhétorique : voici ce que je voulais dire : Ce que l’on reproche (le plus
justement du monde) depuis 150 ans aux rhétoriqueurs et néo-classiques, c’est qu’ils sont :
1. faux
2. abstraits
3. banals.
Remarquez que les Rhétoriqueurs modernes se sont en quelques façons partagé
la besogne : Valéry assumant la défense du faux (« l’écrivain est toujours un faussaire »),
Benda l’apologie de l’abstrait (cd. Discours cohérent ), Alain celle du banal
(par le biais de l’étymologie : le plus banal étant, si l’on relève ses origines, le plus
surprenant.)
De sorte que me voilà bien forcé de m’attaquer à chacun d’eux,
successivement.
Affectueusement à tous deux
Jean P.
P.S. - De m’attaquer… Enfin, je veux dire d’analyser, de décortiquer leur
raisonnement. Bien sûr cela aboutit à trouver à la base des illusions (une illusion différente
pour chacun d’eux). Mais enfin, des illusions – comme il arrivait pour la Terreur – aussitôt
corrigées (ou plutôt compensées). Et quel est le raisonnement, après tout, qui ne se fonde sur
une illusion rectifiée ? (D'où je me vois conduit, – mais vous le soupçonnez déjà – à former
certaine logique critique...)
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (10 avril
1951) §
Si vous pouvez écrire à Lucien Descaves en sa qualité de membre de la Commission Paritaire du
Travail, pour lui demander d’accueillir la demande de retraite que Jean de Boschère a formée
devant cet organisme (à titre de vieil homme de Lettres) vous pouvez maintenant le faire
utilement. En effet vous pourrez indiquer en même temps à M. Descaves que Boschère, belge
d’origine, vient d’être naturalisé par décret du 16 mars 1951, publié au Journal Officiel du 25
mars 1951.
Pour tout renseignement complémentaire M. Descaves peut faire écrire à Jean de Boschère 184
rue Nationale – La Châtre (Indre).
Merci de votre belle note en forme de lettre. Votre ouvrage sera passionnant et magnifique.
Il faut le terminer le plus vite possible.
« Mes amis… » ? mais ce sont tous les poètes de l’antiquité, et ensuite tous ceux du
romantisme et du symbolisme. De nos jours je crois bien que je suis presque le seul essayiste
(et en tous cas le premier) à avoir tenté d’esquisser en corps de doctrine l’ensemble de leurs
affirmations. Il est vrai que depuis Whal, Béguin et quelques autres, ont pris ma thèse à leur
compte, ou tout au moins ses principaux éléments.
« Des illusions… » Oui, bien sûr, l’univers est peut-être lui-même un rêve Dieu. Notre
conviction d’exister, nos désirs, nos pensées, nos convictions sont des illusions. Le
Bouddhisme prend l’illusion universelle comme point de départ de sa doctrine. Et dans les
Lettres à Cazalis, Mallarmé se réfère au Bouddhisme.
Il est vrai que je fais glisser là votre conception de l’illusion par rapport à la raison, à
une conception métaphysique de l’illusion. Mais la démarche philosophique est une chaîne sans
fin. L’on ne peut s’arrêter à l’un de ses chaînons.
Sans doute avez-vous dû ressentir, chemin faisant, la tentation de noter que l’illusion des
rhétoriqueurs est moins favorable à la création artistique que celle de leurs ennemis. Et cela
paraît si vrai que l’on en vient à ausculter avec délices et stupeur les créations des êtres
que la raison a quittés, ou n’a pas encore gagnés. (Art brut)
J’avoue que c’est là une vue pragmatique, et non pas tout à fait une justification. Mais elle
doit rendre malaisée l’élaboration d’une logique critique qui se tiendrait à égale distance des
deux partis ruinerait leurs justifications respectives. Sans doute est-ce d’ailleurs ce que
vous pensez en écrivant : « Et quel est le raisonnement, après tout, qui ne se fonde sur une
illusion rectifiée ? »
Nos plus affectueuses pensées à tous deux
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1951) §
J'ai bien eu tort de me laisser entraîner un instant sur le terrain que
j’étais le mieux décidé à éviter. Tout ce que j’ai dit dans ce petit essai, c’est que certains
des arguments, dont usent vos amis, ne font guère qu’illustrer une surprenante (mais précieuse)
illusion de langage. Quant à la question même que vous soulevez, eh bien votre solution me
semble fort sage, et j’espère qu’elle trouvera un jour les preuves qui jq [jusqu’]ici semblent
lui manquer. Mais il s’agissait pour moi de tt autre chose. Me direz-vous qu’en critiquant les
preuves que se veut telle ou telle doctrine, c’est à la doctrine elle-même qu’on paraît
s’attaquer ? Mais non ! Et c’est un service à rendre à une opinion que de la débarrasser des
faux arguments qui risquent de l’entraîner un jour ds leur ruine.
*
Rhétorique : voici ce que je voulais dire : ce que l’on reproche (le plus
justement du monde- depuis 150 ans aux Rhétorrs et néo-classiques, c’est qu’ils sont :
faux
abstraits
banals.
Remarquez que les Rhétor. Modernes se sont en qq. façon partagé la besogne :
Valéry assumant la défense du faux (« l’écrivain est touj. un faussaire »), Benda l’apologie de
l’abstrait (cf. Discours cohérent ), Alain celle du banal (par le biais de
l’étymologie : le plus banal étant, si l’on relève ses
origines, le plus surprenant.)
De sorte que me voilà bien forcé de m’attaquer à chacun d’eux,
successivement.
Affectt à tous deux
P.S. De m’attaquer … Enfin, je veux dire d’analyser, de
décortiquer leur raisonnement. Bien sûr cela aboutit à trouver à la base des illusions (une
illusion différente pour chacun d’eux). Mais enfin, des illusions – comme il arrivait pour la
Terreur – aussitôt corrigées (ou plutôt compensées). Et quel est le raisonnement, après tout,
qui ne se fonde sur une illusion rectifiée ? (D'où je me vois conduit, mais vous le soupçonnez
déjà, à former certaine logique critique...)
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 avril
1951) §
Je vous adresse quelques poèmes de Marc Eideldinger –qui s’occupe des Éditions de la
Baconnière à Neuchâtel et y a publié un hommage à A. Breton auquel vous avez collaboré. Marc
Eideldinger me prie de vous transmettre ces poèmes dans l’espoir que vous lui donnerez votre
avis à leur propos, et au cas où ils vous plairaient que vous envisagiez de les retenir (ou
q. q. uns d’entre eux) pour les Cahiers de la Pléiade. Il s’agit de pièces
extraites d’une plaquette qu’il aimerait d’autre part voir paraître aux éditions de la
N.R.F.… si votre avis et favorable.
Il me semble que ces poèmes –s’ils acceptent franchement leurs influences – sont harmonieux
et transparents, et nous délassent de ceux qui traînent après eux le fatras surréaliste… les
petits vers de la fin me paraissent les meilleurs.
A vous deux bien affectueusement
André
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (21 mai
1951) §
Voici la copie dactylographiée qui me reste de ma chronique sur Les Causes
célèbres. J’ai reporté sur l’exemplaire, les corrections que vous avez bien voulu
m’indiquer. (Elles ne figurent pas sur la présente copie qui ne reproduit que mon texte
primitif.)
Je me permets de vous soumettre d’autre part quelques sonnets sur lesquels votre avis me
sera, vous le savez, très précieux. (Vous connaissez d’ailleurs le dernier). Si j’ai hésité
quelque temps à vous les montrer, c’est que je ne me dissimule pas le mélange d’audace et de
naïveté que comporte mon ambition d’instituer une vision par rapport à
laquelle le sens philosophique doit tenir seulement la place d’une ombre – mais la tenir en
sûreté. Quant au langage, je recherche une pauvreté que je voudrais dressées contre les ruses
contemporaines… Tout cela ne va pas évidemment sans quelque « solennité étranglée »… Enfin vous
verrez…
Nous vous adressons à tous deux nos affectueuses pensées
André
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 mai
1951) §
Je m’aperçois que la version que je vous ai envoyée d’un de mes sonnets « La Vision de
Cassandre » contient une incorrection grammaticale : il faut lire à la place du dernier
tercet :
Et mon regard plongé dans le futur perçoit,
Quand sera retombé l’éclatement solaire,
Le tour noir qui tiendra la place de la terre.
D’ailleurs ne vous sentez nullement gêné pour me parler de ces tentatives peut [sic]
convaincantes dont la maladresse ne m’échappe nullement !
Je voudrais seulement que vous ne conserviez pas cette version fautive que je vous ai
envoyée, et dont j’éprouve de la honte.
Affectueusement à vous
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (11 juin 1951) §
Quel jour puis-je venir vous voir ? Voulez-vous Jeudi prochain, vers 6h1/2.
(Je viendrai, sauf contre-ordre.)
Bien impatient de voir le portrait.
*
Je rentre de Venise. Saint-Marc serait de l’opéra s’il n’y avait pas les
palais, tout de même rongés par l’eau, et cet extraordinaire espace humain
des rues (sans une seule auto, bicyclette ou autre mécanique.)
*
Vos poèmes me préoccupent, me touchent, m’émeuvent (pour la même raison). On
est un peu inquiet devant tant de splendeur. Pourtant, les escaliers rongés aussi sont là.
A jeudi, et affectueusement
Jean P
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 août
1951) §
Je reçois une lettre mystérieuse de Boschère. Il paraît (et il en serait tout
le premier surpris) qu’il serait question de lui pour la distinction la plus éminente… (Est-ce
du prix Nobel qu’il s’agit ? Dites-le moi, je ne sais trop que lui répondre.)
J'ai reçu Plaintes contre inconnue . N'est-ce pas bien
décevant ? (- et tout de même, de loin en loin, saisissant). J'en reste tout embarrassé.
Nos vacances n’ont pas été bonnes. Sceaux était encore trop loin pour
Germaine qui ne s’est remise – mais nous voici à quelques jours du retour – ni du voyage, ni de
l’installation.
Mais vous ?
Affectueusement à tous deux
Jean P.
Nous sommes en pleine tempête. Les arbres tourbillonnent, et le Pavillon de l’Aurore perd ses
ardoises
3 av. de Fontenelle – Sceaux – (Seine)
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (31 août
1951) §
Nous sommes rentrés hier soir après avoir passé le mois d’août à Vernon (Eure). Et en
rentrant je trouve votre amicale carte et aussi votre « Petite préface à toute critique ».
L’une et l’autre nous font le plus grand plaisir. Mais notre joie est hélas ! très gâtée par ce
que vous me dites de la fatigue ressentie par Germaine à la suite de son déplacement ! Nous
espérons que le fait de se retrouver dans son cadre familier et de retrouver le rythme habituel
de sa vie la remonteront vite. En tous cas nous prenons la plus vive pat à vos épreuves à tous
deux, et nous n’avons à cela guère de mérite, car s’il est inhabituel à l’être humain de se
mettre à la place de son prochain, la vie nous a apporté toutes les occasions d’être
compréhensifs.
A Vernon, Cassilda a reçu de sa sœur une lettre qui lui a causé le plus grand chagrin, car il
résulte de termes prudents et ambigus qui y sont employés par le beau-frère de Cassilda – seul
soutien des autres membres de la famille – a été arrêté et déporté vers une destination
inconnue, sans aucun autre motif que sa qualité d’ancien employeur. (Mais gardez cela pour vous
je vous en prie, sinon ses autres parents seraient arrêtés !) Je ne sais rien du tout au sujet
de Jean de Boschère. Mais je suis surpris que le Prix Nobel puisse le surprendre : il faut
qu’il ait une longue habitude de l’injustice.
J’ai fait avec votre livre, ce que l’on ne doit jamais faire : je n’ai pu résister hier soir,
à le commencer par le milieu, c’est-à-dire le chapitre sur Rousseaux (André). Merveilleux !…
S’il avait un peu de sens (mais alors il ne serait pas A.B.) il vous répondrait peut-être que
c’est parce qu’il est incapable d’être un écrivain qu’il a opté pour la critique. Et que s’il
devait en être autrement, il n’y aurait pas du tout de critique sur terre, ce dont les
écrivains seraient bien navrés. Il pourrait même tenter de tirer à lui l’exemple de cet
excellent expert en navigation qui n’avait jamais vu la mer. Mais là, il aurait tort, car il ne
sait pas non plus comment on écrit.
Je vous parlerai de votre livre lorsque je l’aurai lu vraiment, c’est-à-dire après l’avoir
pris par la première page. En attendant je voudrais que vous me disiez (si vous en avez le
temps) ce qu’il faut penser de l’emploi de ne dans une phrase affirmative, et
s’il faut s’abstenir absolument d’un tel emploi ou non. Je n’ai jamais été très fixé à cet
égard, mais mon oreille aime le ne. Vous écrivez p. 61 : « … il était à
craindre qu’un nouveau coup de mer les projetât dans les drosses du gouvernail. » Etait-il
possible ou non d’écrire « ne les projetât » ? Vous avez fait exprès de ne pas le faire.
Pourquoi ? Je m’excuse de vous demander ce petit conseil de style, mais il y a là une question
qui m’a souvent inquiétée, lorsqu’il m’arrive d’écrire.
A Vernon j’ai pu travailler et beaucoup avancer mon livre sur Rimbaud et ses
témoins.
Mon cher ami nos vous adressons à tous deux nos affection bien vives.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (01 septembre 1951) §
Les deux sont en général admis par les grammairiens (qui marquent cependant
une préférence pour le ...ne )
Il me semble que « … les projetât » (sans ne ) est plus
effrayant. On les voit projetés. (sans ce ne , si
intellectuel, si restrictif.)
Mais peut-être ne faut-il pas effrayer son lecteur.
*
Je suis peiné de ce que vous me dites du beau-frère de Cassilda.
À bientôt, et affectueusement
Jean P.
Ne pourrions-nous pas décider quelque romancier ou poète (de préférence célèbre) à déclarer
publiquement : « J'étais si incapable d’être un critique que je me suis résigné à devenir
romancier. » (On le paierait, au besoin.)
Très content des bonnes nouvelles de votre travail.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (19 septembre
1951) §
Je vous remercie de votre dernière lettre, et de que vous m’avez dit à propos de l’emploi de
ne dans la phrase affirmative.
Je vous envoie une citation extraite d’un livre de H.-G. Wells L’Île du Dr
Moreau, dans lequel l’auteur s’efforce de mettre en scène un chirurgien qui s’efforce de
transformer des animaux en êtres humains, mais n’y parvient qu’imparfaitement. Assez toutefois
pour créer un poète tel que, me semble-t-il, vous l’entendez, ou craignez d’avoir à l’entendre
dans la plupart des cas. Mais si la littérature repose sur une erreur, cette
erreur est peut-être sacrée… un peu comme celle que Dieu a commise en créant le monde. En tous
cas sans cette « erreur » nous serions privés de tout ce que nous aimons.
J’ai lu avec beaucoup de joie et d’intérêt votre Préface. La joie pour le
style merveilleux, l’intérêt pour les idées. Je ne peux encore me rendre compte de ce que sera
la conclusion générale que vous serez amené à déduire de toutes vos découvertes, lorsque vous
aurez achevé Les Fleurs de Tarbes II. Appliquer la méthode scientifique à
l’analyse d’un phénomène qui prétend inventer à tout moment ses lois, me paraît une entreprise
passionnante, héroïque, mais qui risque d’aboutir à l’anéantissement de son objet. Après tout
pourquoi pas ?
Une seule remarque au passage : en assurant que si l’enfant invente une image pour désigner
une chose, c’est qu’il ignore le mot qui lui est réservé, il me semble que vous faites bon
marché de ce qu’on nomme la « mentalité primitive ».
Peut-être pourrait-on également vous taquiner en vous faisant remarquer que vous considérez
comme hors de la critique la position dualiste au regard de laquelle la chair et l’esprit, le
mot et la pensée sont des entités tout à fait séparées, bien que devenues inséparables.
Évidemment Rimbaud paraît avoir opté pour une position inverse lorsqu’il écrit : « Toute parole
étant idée, le temps d’un langage universel viendra » (je cite de mémoire).
Mais moi je ne vous taquinerai pas à ce propos, parce que je ne sais plus du tout qui a
raison.
Nous partons tout à l’heure pour Vendôme (Loir et cher) Hôtel du Lion d’or, où nous resterons
sans doute jusqu’au 30 septembre. Je viens de terminer au Palais de Justice les 15 jours de
vacation qui m’étaient dévolus, et je dois maintenant aller rendre visite à mon oncle paternel
dans cette petite ville balzacienne.
Pendant notre séjour à Paris nous avons reçu la visite de Michaux qui a voulu voir les toiles
de Cassilda. Il m’a paru vraiment sincère en les admirant beaucoup, et en insistant sur leur
originalité, ne pouvant les rattacher à une source quelconque. (Cassilda ignore elle-même
d’ailleurs sa source, mais assure seulement qu’il s’agit de peinture dirigée.)
Nous serions heureux de savoir que Germaine est remise de la fatigue due à ses déplacements.
Nous pensons bien à vous deux, et vous adressons notre affectueux souvenir.
André
Cassilda est bien heureuse car elle a appris que son beau-frère avait été relâché, ce qui est
un véritable miracle. Mais tout arrive !
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (16 octobre 1951) §
La Bque Doucet voudrait d’urgence une petite préface de vous pour l’exposition Germain Nouveau
qu’elle prépare. Aussi courte que vous voudrez. Mais vous acceptez, n’est-ce pas ? Ils vous en
prient.
Ils, c’est Marie Dormoy
6 r. Paul-Appell (14)
Gob. 14.40
Je suis grippé, et couché.
Je vous serre tout de même les mains à tous deux
Jean P
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (31 octobre
1951) §
je me remets à Marguerite de Bassiano, pour Botteghe Oscure
:
Armide
Pénélope
St. Germain des Prés
et je garde pour les Cahiers :
Tête
Contrée
Cassandre
(je crois bien que ce sont les trois que je préfère.)
si vous y consentez. Affectueusement à tous deux
Jean.
Je vais mieux et je crois que je recommencerai d’ici deux jours à sortir comme tout le
monde.
Les tableaux de Cassilda : si l’on en faisait une exposition à l’(ancien Art Brut), qui
pourrait coïncider avec un « Jeudi G.G. » ? Il me tarde de voir les nouveaux.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1951) §
Je n’ai pas pu vous écrire hier, et c’est pourquoi je vous envoie ce pneu. Votre Lettre aux Directeurs de la Résistance est non seulement d’un très grand écrivain, mais
encore et ce qui est mieux, d’un Juste. C’est dire que par rapport à notre époque, elle ne peut
que surprendre. Pour moi ce texte a encore accru (ce que je ne croyais pas possible) mon
admiration et mon affection pour vous.
Votre ami
A. Rolland de Renéville
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 mars 1952) §
il m’est décidément impossible de venir demain, pardonnez-moi. (Les enfants
sont obligés de sortir, et je ne puis laisser Germaine seule.) Mais si vous voulez bien, à la
place, Lundi ou Mardi ?
affectueusement
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 avril
1952) §
Voici l’article (que vous pouvez conserver) sur la langue de la Cour de Cassation.
J’y joins ceux de la polémique Breton – Camus que j’avais oublié de vous restituer (ce dont
je m’excuse) !)
Vu hier le justificatif du Mont Analogue de René Daumal. Très bien, mais :
1° sur la couverture on a imprimé : Récit véridique après la mention : Préface de Rolland de Renéville… au lieu de faire figurer cette mention après le
titre de l’ouvrage et 2° on a ajouté (horreur !) un point après le mot ultime de la phrase
inachevée sur laquelle le livre devait rester, tragiquement, en suspens. De sorte qu’il ne
s’agit plus d’une phrase inachevée mais d’une phrase incompréhensible.
Merci pour la photo superbe ! Cassilda est ravie, et moi aussi. Très Diderot – Laclos –
Grimm »
Nos affections à vous deux
André
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 avril
1952) §
J’ignorais que vous aviez la sciatique !… J’en ai eu une moi-même autrefois, et seul
l’homéopathie m’en a délivrée. C’est pourquoi je vous communique l’adresse du médecin qui
obtint ce résultat : Docteur Boulin
37 rue Washington Paris
Elysées 06-28
(L’allopathie n’a guère de remède, à part l’introuvable cortisone. Mais si vous en trouvez,
n’hésitez pas bien entendu…)
Rien à faire pour faire sauter le point malencontreux à la fin du Mont
Analogue, m’a dit Ferry, qui en rejette la responsabilité sur Véro, et assure qu’il ne
peut songer à un « erratum » désormais.
Il n’est pas absolument nécessaire d’avoir la foi pour être guéri par l’homéopathie : moi je
n’y crois pas du tout ; mais ne me soigne qu’en l’utilisant, et chaque fois elle me guérit.
Affectueusement
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (08 avril 1952) §
Merci. C'est un texte bien précieux pour moi. Sur Stéphane, laissez-moi
compléter ma réponse.
*
I. St. dit que l’illégalité du gouvt Pétain « n’est niée par personne. » Je réponds en lui citant un communiste (Hervé), un
conservateur chrétien (Mauriac), un radical (Herriot) qui tous trois tiennent Pétain, de 40 à
44, pour légal. Que veut-il de plus ?
*
II. Mais les juristes, me dira-t-il, le tiennent illégal. Non. Ils se
divisent en quatre groupes, dont les uns (Bonnard) le tiennent pour légal et légitime, les
autres (Waline) pour légal et illégitime, les troisièmes pour illégal et légitime (Laferrière),
les derniers (Cassin Vedel) pour illégal et illégitime. Tous, sur d’excellents
arguments.¹
*
III. Je prends même l’argument de Vedel, dans son Manuel de
droit . Il s’appuie sur deux faits : 1. Pétain, chargé par l’Assemblée Nationale de
promulguer une nouvelle Constitution s’est borné à promulguer des actes
constitutionnels. 2. Pétain, invité par l’Assemblée Nationale à faire ratifier sa Constitution,
n’a jamais réuni les Chambres qui seules étaient à même de lui donner cette ratification.
Il m’est difficile de prendre au sérieux ces deux arguments :
1. Comment réunir les Chambres, comment faire des élections avec la moitié de
la France occupée, avec l’absence de deux millions de prisonniers ? Pétain ne pouvait guère
qu’attendre.
2. La décision de l’A.N. invitait Pétain à promulguer, « par un ou plusieurs
actes la nouvelle Constitution ». Eh bien, il a pris précisément ces actes, attendant – étant
bien forcé d’attendre – pour promulguer et faire approuver sa Constitution complète, la fin de
la guerre. Aucune date, au surplus, ne lui était fixée .
¹.Tous d’ailleurs, sont professeurs de Droit, et auteurs de Manuels de Droit Constitutionnel qui font autorité.
Ceci vous paraît-il léger ? Mais non. Où les spécialistes (en fait, les
juristes) divaguent en tous sens, c’est au premier venu, à « l’honnête homme », de
prononcer8
.
*
IV. Mais je veux même admettre que l’argument de Vedel est décisif, et que le
gouvernement Pétain est devenu, à compter du 11 Juillet, illégitime : simple gouvernement de fait . Il est de tradition constante dans le Droit français qu’un tel
Gouvernement, s’il n’a pas le droit de faire des actes de disposition garde
le droit et le devoir de faire des lois et des règlements d’administration
lesquels deviennent obligatoire dès leur publication dans le Journal Officiel
(décret du 5 Nov. 1870). Donc (et c’était toute la question) dans le cas même où l’on tiendrait
Pétain pour illégal, les officiers, les magistrats, les fonctionnaires et les agents de Vichy
continuaient, du strict point de vue légal, à lui devoir obéissance : tout au moins jusqu’au 26
Août 1944, date à laquelle le J.O. passe aux mains de Gaulle.
Voilà. Il me semble que je n’ai rien oublié.
Affectueusement à tous deux
Jean
Mais vous semblerait-il absurde de dire : il arrive sans doute que les juristes soient en
complet désaccord (cf. §II). C'est un désaccord grammatical, qui porte sur le sens d’un terme,
sur la portée d’une loi, sur la pérennité d’une interprétation. Ainsi les grammairiens
disputent, à perte de vue, s’il est ou non correct (légal) d’employer, par exemple,
l’expression : malgré que [je me sois efforcé de…] ou : défense
de faire appel à quiconque : mais, sitôt que Chateaubriand, ou Buffon, ou Valéry a
employé cette expression, eh bien, on admet qu’elle est correcte : qu’elle est entrée dans
l’usage. Ainsi, je voudrais proposer d’admettre que l’interprétation de la loi, donnée par un
grand Ministre, peut faire, dans un cas douteux , autorité, et qu’en fait,
dans ce cas-ci, il suffit pour donner à Pétain qualité de gouvernement, de ce mot d’Herriot,
écrit le 16 Août 1944 : « M. Laval, chef du gouvernement. »
(Je vois bien qu’ici je voudrais innover. Mais comment faire autrement, quand les
spécialistes – en fait, les juristes – sont en désaccord?)
J'aurais évidemment dû exposer tout cela plus patiemment, plus longuement. À vous
J.
Je songe beaucoup aux toiles de Cassilda. Vraiment, plus préoccupé chaque jour par ce
qu’elles ont d’unique .
Merci pour l’indication homéopathique. Mais :
1. je suis condamné à la chambre pour 21 jours.
2. ma sciatique tient à un affaissement (par décalcification) de la colonne vertébrale,
compliqué de becs de perroquet. (Ce que montre très nettement la radio). J'ai bien peur qu’en
de tels cas l’homéopathie ne soit guère plus efficace que n’a été l’acuponcture.
Affectueusement
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1952) §
Merci. C'est un texte bien précieux pour moi. Sur Stéphane, laissez-moi
compléter ma réponse.
I. St. dit que l’illégalité du Gouvernement Pétain « n’est niée par
personne. » Je réponds en lui citant un communiste (Hervé), un conservateur chrétien (Mauriac),
un radical (Herriot) qui tous trois tiennent Pétain, de 40 à 44, pour légal. Que veut-il de
plus ?
II. Mais les juristes, me dira-t-il, le tiennent illégal. Non. Ils se
divisent en quatre groupes, dont les uns (Bonnard) le tiennent pour légal et légitime, les
autres (Waline) pour légal et illégitime, les troisièmes pour illégal et légitime (Laferrière),
les derniers (Vedel) pour illégal et illégitime. Tous, sur d’excellents arguments (I).
III. Je prends même l’argument de Vedel, dans son Manuel de
droit . Il s’appuie sur deux faits : I. Pétain, chargé par l’Assemblée Nationale de
promulguer une nouvelle Constitution s’est borné à promulguer des actes
constitutionnels. 2. Pétain, invité par l’Assemblée Nationale à faire ratifier sa Constitution,
n’a jamais réuni les Chambres qui seules étaient à même de lui donner cette ratification.
Il m’est difficile de prendre au sérieux ces deux arguments.
1. Comment réunir les Chambres, comment faire des élections avec la moitié de
la France occupée, avec l’absence de deux millions de prisonniers ? Pétain ne pouvait guère
qu’attendre.
2. La décision de l’A.N. invitait Pétain à promulguer, « par un ou plusieurs
actes la nouvelle Constitution ». Eh bien, il a pris précisément ces actes, attendant – étant
bien forcé d’attendre – pour promulguer et faire approuver sa Constitution complète, la fin de
la guerre. Aucune date, au surplus, ne lui était fixée .
IV. Mais je veux même admettre que l’argument de Vedel est décisif, et que le
Gouvernement Pétain est devenu, à compter du 11 Juillet, illégitime : simple gouvernement de fait . Il est de tradition constante dans le Droit français qu’un tel
Gouvernement, s’il n’a pas le droit de faire des actes de disposition , garde
le droit et le devoir de faire des lois et des règlements d’administration
lesquels deviennent obligatoire dès leur publication dans le Journal Officiel
(décret du 5 Nov. 1870). Donc (et c’était toute la question) dans le cas même où l’on tiendrait
Pétain pour illégal, les officiers, les magistrats, les fonctionnaires et les agents de Vichy
continuaient, du strict point de vue légal, à lui devoir obéissance : tout au moins jusqu’au 26
Août 1944, date à laquelle le J.O. passe aux mains de Gaulle.
(I) Tous d’ailleurs, sont professeurs de Droit, et auteurs de Manuels de Droit Constitutionnel qui font autorité.
Voilà. Il me semble que je n’ai rien oublié. Affectueusement à tous deux
Jean.
Mais vous semblerait-il absurde de dire : il arrive sans doute que les juristes soient en
complet désaccord (cf. II). C'est un désaccord grammatical, qui porte sur le sens d’un terme,
sur la portée d’une loi, sur la pérennité d’une interprétation. Ainsi les grammairiens
disputent, à perte de vue, s’il est ou non correct (légal) d’employer, par exemple,
l’expression : malgré que [je me sois efforcé de…] ou : défense
de faire appel à quiconque : mais, sitôt que Chateaubriand, ou Buffon, ou Valéry a
employé cette expression, eh bien, on admet qu’elle est correcte : qu’elle est entrée dans
l’usage. Ainsi, je voudrais proposer d’admettre que l’interprétation de la loi, donnée par un
grand Ministre, peut faire, dans un cas douteux , autorité ; et qu’en fait,
dans ce cas-ci, il suffit pour donner à Pétain qualité de gouvernement, de ce mot d’Herriot,
écrit le 16 Août 1944 : « M. Laval, chef du Gouvernement. »
(Je vois bien qu’ici je voudrais innover. Mais comment faire autrement, quand les
spécialistes – en fait, les juristes – sont en désaccord?)
J'aurais évidemment dû exposer tout cela plus patiemment, plus longuement. À vous
J.
Je songe beaucoup aux toiles de Cassilda. Vraiment, plus préoccupé chaque jour par ce
qu’elles ont d’unique .
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (22 avril
1952) §
Le photographe d’Arts est venu hier accomplir fidèlement sa mission, et a
photographié 6 toiles ! les portraits de Mondor, de « M. Godeau marié », de Supervielle, de
Cassilda et moi (le plus récent), le Nu (Muse) et les paysage : chemin de fer et Faubourg.
Comme vous avez déjà la photo de votre portrait et de celui de Germaine, il n’a pas cru devoir
en refaire une autre. Le tout sera prêt pour samedi.
Notre ami Lambrichs se déclare très enthousiasmé par la peinture de Cassilda… Et le
photographe d’Arts aussi.
Bien content que Mme Jouhandeau ait renoncé à crever le portait de Mme Godeau !
Je vous envoie par la poste un paquet d’invitations. (Vous pourrez ne conserver que celles
que vous ne distribuerez pas).
Je vous redis toute la gratitude de Cassilda et la mienne.
Nous sommes navrés de savoir que vous souffrez toujours. Votre médecin vous donne-t-il les
vitamines recalcifiantes dont on dit grand bien ? J’ai pensé aussi aux grains de blé germé.
Enfin je regrette que vous n’essayiez pas de mon célèbre homéopathe Dr Boulin 27 rue Washington
(Elysées 06-28), qui use aussi d’ailleurs des derniers progrès allopathiques. Il est vraiment
très épatant.
Nous pensons à vous deux très affectueusement
André
Si vous ne retenez pas (ce qui est probable) l’essai sur Zumthor sur l’origine supposée des
lettres, mettez-le moi de côté ; je vous prie.
T.S.V.P.
Je suis chargé par lui de le placer.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (02 mai
1952) §
Nous sommes navrés de vous savoir plus souffrant à la suite d’imprudentes tentatives de
sortie. Cassilda espère que sa peinture n’en n’est [sic] pas responsable, et que vous aviez
d’autres motifs de déplacement que celui de revoir des toiles que vous connaissiez. Du moins
c’est ce qu’elle se dit pour se rassurer, et ne pas ajouter le remords au chagrin de vous
savoir en proie à une nouvelle crise.
Pour ce qui et de la note que vous pensiez faire, n’en parlons plus.
S’il est vrai que quelques lignes de vous eussent eu pur Cassilda une grande importance, il
va de soi qu’il est beaucoup plus important pour elle de ne pas vous ennuyer.
Puisque vous ne ferez pas la note en question, Cassilda, qui admire les peintures et les
écrits de Dubuffet (lequel se trouve actuellement à Paris) me prie de vous demander si vous
pourriez user de votre amitié avec lui pour lui demander de la faire ?
En vous souhaitant un prompt rétablissement mon cher ami, nous vous adressons, ainsi qu’à
Germaine, notre affectueux souvenir.
André
Cassilda a eu raison de « raser » le portrait de vous (que vous aviez vu) : il prend bien
meilleure allure.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (24 mai 1952) §
Oui, je serais content que vous veniez un de ces matins, vers 11h.1/2. Est-ce que lundi ou
mardi par exemple ? (Si oui, ne me répondez pas.)
*
Tout ce que je voulais dire revenait à peu près à ceci : où les spécialistes (soit juristes
ou grammairiens) divaguent en tous sens , le premier venu a le droit de se
prononcer (et même le devoir) Que s’il est bon écrivain (dans le cas des grammairiens) ou grand
homme d’état (dans le cas des juristes), il y a préjugé favorable pour la solution qu’il
apporte.
*
Les yeux de Supervielle sont bleus. (Si vous veniez lundi ou mardi, je vous remettrais le
tableau.)
Affectueusement à Cassilda et à vous
Jean P.
(Le décret du 5 nov. 70 n’a trait, bien entendu - j’ai dû mal m’exprimer - qu’à l’autorité du
Journal Officiel .)
Très passionnante, votre lettre. Je vous en parlerai encore.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (20 avril 1952) §
Deux tentatives de sorties hier et avant’hier, ont assez mal tourné. A peine arrivé à la nef
mes douleurs sont revenues avec une telle vivacité que je n’ai même pas pu aller jusqu’aux
toiles de Cassilda. Aujourd’hui, me voici allongé de nouveau, et bien incapable d’écrire cette
note, à laquelle je tenais pourtant.
Que faire ? Ne serait-il pas plus sage de la demander à Breton ? Affectueusement à tous
deux
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (16 mai 1952) §
j’avais beau les connaître, hier j’ai reçu un choc. (Les paysages étaient admirablement placés. Seule, la Muse me laisse encore un peu froid.)
je suis fâché contre ma sciatique. Mais donnez-moi deux ou trois mois. Je me sens impatient
d’écrire cette note, trop content si elle ne vous déplaît pas. Je vous embrasse tous deux.
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (25 novembre 1952) §
que devenez-vous ? J’espère bien que vous n’êtes pas souffrant, mais voici un bon mois que le
Code vous attend dans mon tiroir, dont vous étiez si pressé. Puis, la nef se reforme et nous
avons besoin de vous. Si vous passiez demain vers 6 heures ?
Affectueusement à tous deux
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (25 novembre 1952) §
rentrez-vous bientôt ? Il vient d’arriver d’extraordinaires tapais d’Amérique : c’est un
lézard plat comme un papier à cigarettes, mais de tous côté hérissé et crêté. Et quelques
crotales qui font sitôt qu’on les regarde trop longtemps leur chant de castagnettes. Aussi
(chez le marchand de la rue de Jussieu) de splendides cacatoès à 50.000 frs pièce. Le pire est
qu’ils le savent : d’une suffisance presque insoutenable. (C’est trop cher pour moi.)
Somme toute, l’été à Paris était délicieux : à peine, depuis hier, légèrement trop frais.
(Les journaux annoncent que tous les caméléons de Paris sont morts.)
A bientôt, il m’en tarde, et affectueusement à tous deux
Jean P.
Il est toujours question que la nef reparaisse - quand ? Décembre ou Janvier peut-être…
Violente bagarre Sartre-Camus dans les T.M. où le bon sens (à la Sarcey) est, il faut
l’avouer, du côté de J.P.S. Mais l’orgueil déréglé, du côté de Camus.
J
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (01 décembre
1952) §
Je suis de plus en plus accablé par mon travail judiciaire, du fait qu’en ma qualité de juge
unique, président à moi seul une chambre civile, je dois faire le travail qui devait être celui
de trois magistrats !…
Je suis cependant allé à la NRF dans l’espoir de vous rencontrer il y a une quinzaine de
jours, mais vous étiez alors souffrant m’a-t-on dit. Madame Aury, que j’ai eu le plaisir de
rencontrer, m’a remis le Code que vous aviez bien voulu préparer pour moi, ainsi que l’article
de Zumthor.
Je ferai mon possible pour passer vous voir cette semaine. Cassilda se joint à moi pour vous
adresser nos affections.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1952) §
Ne m’en veuillez pas si je coupe tout le début de votre Daumal : ce ton
solennel vous rendrait ridicule. Bien sûr, vous serez dans l’histoire. Mais profitez des
derniers jours où vous n’y êtes pas encore.
Bonne année à tous deux, et bien affectueusement
de nous deux
Germaine
J. P.
Je tiens beaucoup à votre note sur les Yeux fertiles . Il nous faut sauver
Eluard, et nous le pouvons. Vous le pouvez. Et soyez aussi rigoureux que possible. Il faut
pardonner (et encore) une faute de poésie, non une faute d’intelligence.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (05 janvier
1953) §
Voici la note sur Etiemble. J’ai pu réduire mon projet initial, de sorte qu’elle ne
représente qu’à peine trois pages de la revue, me semble-t-il. Il me paraît qu’il n’est guère
possible d’en retirer désormais quelque chose sans rompre son équilibre, et modifier son accent
(que je ne voudrais pas voir devenir trop violent !)
Je suis bien content que vous ayiez vu Boului, car il me paraît le plus lucide et plus
équilibré de tous les médecins. Le seul en tous cas qui donne le sentiment de prendre le temps
d’examiner ses clients, de méditer sur son cas. Son honnêteté intellectuelle, et aussi son
tempérament, l’entraînent il est vrai, à se montrer réservé, non débordant d’optimisme. Il
préfère s’attacher à guérir que de prophétiser, et c’est pourquoi vous ne devez nullement à mon
sens interpréter sa réserve comme un signe décourageant.
À bientôt. Nous vous adressons nos pensée et nos vœux le plus affectueux.
André
Et merci encor pour le Braque si subtil et si beau !
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (26 mai
1953) §
Nous vous remercions bien vivement de nous avoir adressé La Preuve par
l’étymologie qui m’a d’autant plus passionné qu’elle touche à l’un des centres moteurs
d’une certaine attitude que vous avez relevée chez les poètes – voire certains philosophes.
D’autre part votre ouvrage touche au problème si grave (si l’on admet qu’il existe) de la
formation du langage et de l’écriture… Vous soutenez un point de vue. Je ne vous apprendrai
rien en vous disant que mes tendances vont vers un autre moins raisonnable (à première vue)
mais qui peut prendre lui aussi les apparences de la raison. Tant il est vrai que nous sommes
ici encore au cœur d’un domaine fuyant. J’avais même commencé par vous écrire une lettre très
longue, dans laquelle je m’amusais à vous soumettre quelques objections. Plus j’ai pensé qu’il
y avait là de ma part bien de la présomption, et qu’après tout je ne ferai peut-être que vous
importuner, sans aucune nécessité, puisque vous savez très bien que nous ne pouvons ici remuer
qu’un monde d’apparences et de probabilités. Là où la science déclare forfait, nous ne pouvons
nous fier qu’à notre tempérament. C’est que vous faites, et que j’aurais fait si je vous avais
expédié ma lettre de six grandes pages ! Je n’en retiens donc que la très profonde admiration
que j’éprouve pour la forme dans laquelle vous vous exprimez et qui me reste, vous le savez, un
délice.
Cassilda et moi vous adressons à tous deux nos affections
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (13 septembre
1953) §
Paris est brusquement redevenu pas mal agité (étonnantes vespas) mais demeure assez frais,
même un peu aigre.
Peut-être les journaux vous ont-ils appris que la nef était saisie. (C’est à cause du Récit secret : Jean Drieu qui me laissait il y a trois ans libre de le publier,
a dû s’aviser brusquement que les temps avaient changé.
(saisi aussi, le recueil de poèmes.)
Je suis un peu malheureux que vous ayez brusquement renoncé aux notes : comme si vous vous
éloigniez tout d’un coup de nous, quand vous nous êtes nécessaires. (Sur l’Alleau tout au
moins, ne voulez-vous pas y songer encore.)
Breton a inventé un nouveau jeu : on choisit d’être, par exemple, vers-luisants. Mais les
autres ont décidé que vous seriez haut-de-forme. Il s’agit de faire tenir les deux ensemble.
D’où sortent de curieuses « correspondances ».
Affectueusement à tous deux
Jean P.
J’ai fait de grands progrès dans la fabrication des bulles de savon.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (14 avril
1954) §
Je n’ai pas eu de succès dans mes recherches pour pierre Minetr. Hélas les mécènes que j’ai
pu connaître sont morts (comme Henry Church) ou se sont démécénisés (comme Florence Gould). Je
cherche encore…
Affectueusement à tous deux
Jean P.
Germaine ne va pas bien. Elle a fait hier une chute assez grave, et ne peut quitter le
lit.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (26 avril
1954) §
Nous avons été navrés de la mauvaise nouvelle que vous nous avez apprise concernant
Germaine ! Je ne vous ai pas donné signe de vie depuis pour avoir des nouvelles, parce que j’ai
dû partir pour quelques jours en Touraine. Nous espérons que depuis votre lettre, la situation
s’est améliorée. Je n’ose pas téléphoner chez vous parce que je sais combien il est pénible
d’être dérangé par les sonneries de téléphone lorsque l’on est inquiet et tourmenté. Je
passerai si je peux me rendre libre, mercredi soir à la Revue pour vous voir.
Nos affections pour vous deux, et vœux de meilleure santé.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1954) §
Ce qui m’avait blessé, beaucoup plus que cette absurde histoire de vernissage (ne savez-vous
pas tous les efforts que j’avais faits pour obtenir que fût faite l’exposition, qui le fut en
effet ? Et si vous désiriez m’y voir, n’était-il pas facile de venir jusqu’à mon bureau ?)
C’est que vous aviez tenu, devant un de nos amis communs - certes le plus insoupçonnable de
mensonge ou d’inexactitude - des propos touchant Dominique Aury et moi, si grossiers (m’a-t-il
dit) qu’il avait dès cet instant renoncé à vous voir.
Autre chose : vous m’aviez dit un jour avoir eu un entretien au palais avec M. qui pour rien
au monde (me disiez-vous- ne songerait ) me poursuivre. le temps passe là-dessus. Intervient
notre brouille; et dix jours pus tard, une convocation de M. qui m’inculpe d’ « attentat à la
pudeur (complicité) »* Avouez que la coïncidence était, pour le moins, surprenante. Elle m’a
été pénible.
Laissons cela : la nef prépare un « hommage à Supervielle ». N’en serez-vous pas ? Il le
faudrait, il me semble, et surtout après un craint incident, qui vous opposait à Etiemble.
J. P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 août 1954) §
Mais alors faites comme Roger Caillois : écrivez-nous une lettre - si vous le préférez, un
petit article - sur Supervielle. Que nous donnerons où vous le désirerez . Où
vous commencerez par indiquer que la citation faite par E. est fausse. etc.
Quant au service, c’est en effet G.G. qui a procédé sans nous avertir à de sombres
suppressions. Je lui demande de vous rétablir au plus tôt.
Affectueusement à tous deux
Jean P.
Non, Germaine ne va pas mieux : pourra-t-elle encore marcher ? Ce n’est hélas pas
certain.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (29 août 1954) §
Il n’y a rien d’obscur dans nos raisons : vous nous avez refusé, depuis deux ans, toutes les notes que nous vous avons demandées. Fallait-il provoquer un refus de
plus ?
Sur le fond, vous ne répondez pas à Etiemble (je n’avais pas eu l’impression qu’il vous
attaquât). Avez-vous vraiment écrit de S. : « ce n’est pas un poète : il s’amuse! » et
qu’entendiez-vous dire exactement, c’est la seule question qui se pose.
Quant à vos sentiments pour J.S. ils sont trop connus - et de lecteurs de la nrf en
particulier - pour qu’il soit très intéressant, je pense, de les rappeler sous cette forme un
peu simpliste. Ne voudriez-vous pas nous écrire une nouvelle lettre (ou note, si vous le
préférez) où vous répondriez précisément à Etiemble.
N’avez-vous donc pas pris de vacances ? Affectueusement à tous deux
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (01 septembre
1954) §
Que puis-je faire de mieux pour répondre à Etiemble, que de protester avec énergie contre le
fait qu’il m’attribue une appréciation que ne je n’ai jamais écrite sur Supervielle ?
Je n’aurais pas pensé de moi-même à reconnaître un rapport évident entre le fait que vous ne
m’ayiez pas parlé, au cours de nos conversations, de l’Hommage que vous
prépariez pour notre ami, et la nécessité où je me suis trouvé, faute de temps, et peut-être
aussi de goût, de ne pouvoir désormais poursuivre une carrière d’auteur de notes, tant dans la
NRF que dans d’autres publications. Je n’aurais pas cru que ce fut tout à fait la même chose.
Et ce qui m’eut encore empêché de le penser, avant votre lettre, c’est que le service de la NRF
n’ait été supprimé dès juillet de sorte que j’ai failli ne pas connaître le n° d’août. Mais
sans doute n’était-ce là qu’une coïncidence ?
En même temps que je vous écrivais, ainsi qu’à Arland, je communiquais à Supervielle copie de
ma lettre, puisqu’elle était destinée à être publiée. Et voici ce qu’il m’a répondu le
lendemain. « Trouve votre lettre tout à fait justifiée. Stop. Vous pouvez le dire à nos amis de
la NRF. Stop. Vous embrasse ainsi que Cassilda. Stop. Supervielle. »
Vous voyez que ma lettre est de nature à dissiper toute équivoque. Je pense que vous pouvez
la publier telle qu’elle est.
Nous venons de passer un mois de vacances en Alsace, dans le Haut-Rhin. Le climat de cette
région convient bien à Cassilda. J’ai pu travailler. Actuellement nous sommes en Touraine, et
rentrerons à Paris à la fin de la semaine. Et vous ? Nous espérons que vous avez pu vous
reposer aussi ? Germaine va-t-elle mieux ? Nous le souhaitons de tout cœur.
Nos affections pour vous deux.
André R. R
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 septembre
1954) §
Selon votre demande, je vous adresse une seconde lettre de protestation au cours de laquelle,
vous le verrez, je réponds à Etiemble de la façon directe qui vous paraissait souhaitable.
J’espère et crois que cette seconde lettre vous conviendra tout à fait, et vous serai vraiment
reconnaissant de la donner toute entière dans votre prochain numéro d’octobre. Voulez-vous me
le confirmer ?
Merci de ce que vous me dîtes à propos du rétablissement du Service de la revue. Mais je ne
veux pas être indiscret à l’égard de G. G. !
Nous sommes profondément attristés de ce que vous m’écrivez à propos de Germaine. Quel
concours d’épreuves terribles pour elle d’abord, mais aussi pour vous !
Nos affections pour vous deux.
André R. R
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 septembre 1954) §
Mais non ! Je suis très ennuyé que ce soit la première de vos lettres qu’ait donné la
revue.
Peut-on dire dans la Revue des Revues :
« L’hommage à Rimbaud du Mercure de France contient deux articles pleins de renseignements
nouveaux et intéressants, ceux de Guillemin et d’André Tiau. Et deux articles absurdes, de Paul
Guiraud et A. de Graaf. »
(mais ne faudrait-il pas ajouter quelques précisions ?)
Affectueusement
Jean.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (1954) §
Merci de m’avoir envoyé le n° du Mercure consacré à Rimbaud. L’article de
Guillemin et celui de d’André Tian contiennent des renseignements nouveaux et intéressants.
Celui de Paul Guiraud offre un bon exemple des conclusions auxquelles peut aboutir une méthode
« scientifique » d’investigation, c’est-à-dire des conclusions plus délirantes encore que
celles fournies par les interprètes les moins prudents et les plus gratuits !
Et je n’emploie cet adjectif modéré que pour rester dans la limite de la courtoisie.
J’ai été surpris de lire dans la N. N. R. F. ma première lettre raccourcie
(que j’avais supprimée) et non la seconde pour laquelle j’avais donné le bon-à-tirer ? Sans
aucun doute avez-vous estimé au dernier moment que cela valait mieux ainsi.
Affectueusement à vous
André
Quant à l’article de A. de Graaf il est simplement absurde – du moins à mon avis.
J’ai pu, ces dernières vacances, terminer à peu près mon livre sur Rimbaud. Il ne me reste
plus à accomplir qu’une révision et une mise au point de l’ensemble. Puisque vous avez bien
voulu me dire à diverses reprises que vous regrettiez mon absence de la revue, je viens vous
proposer un morceau de ce livre (une dizaine de pages dactylographiées qui forment un
ensemble). Si ce projet vous convient, dites- le moi, et je ferai « taper » ce passage pour
vous le soumettre. Je crois que vous m’approuverez de toutes façons, de considérer désormais
mes rares moments de répit à l’achèvement de mon livre plutôt qu’à me disperse dans des notes,
comme je l’ai fit si longtemps.
La réponse d’E. m’a paru vraiment lamentable
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (1954) §
Je le vois bien, c’est sur le fond que nous différons. Que vous dire ? Voici en tout cas ce
que je pense fortement : c’est que l’amour, s’il est parfaitement intense et pur, n’a rien à
craindre des aventures, des difficultés, des variations du sexe. C’est qu’il n’a même pas à se
dissimuler ces détails. C’est qu’il n’est rien de réel (la réalité fût-elle de l’ordre du rêve)
qu’il ait à redouter. C’est qu’il peut traiter ces variations comme des signes (qu’il emplit
d’un nouveau sens), bref comme une algèbre plus ou moins ardue - mais dont
les équations n’offrent pas des gênes beaucoup plus graves qu’une géométrie de la quatrième
dimension, ou un problème topologique. Ainsi de l’Histoire d’O . C’est là ce
que je voulais donner à entendre dans ma petite préface. Peut-être aurais-je dû marquer le
problème - et du même coup la solution - d’une manière plus explicite.
Mais j’aurais voulu y jeter mon lecteur plutôt que le lui expliquer. Mais j’aurais voulu l’être plutôt que le dire. Il m’a semblé - il me semble encore - qu’il y
suffirait de traiter de façon parfaitement décente un récit parfaitement indécent.
Etait-ce là de la suffisance de ma part ? Etait-ce demander un peu trop d’attention à un
lecteur, neuf fois sur dix gâté par la littérature érotique courante - par l’abjecte
littérature grivoise ? Je suis navré qu’un lecteur comme vous ait pu s’y tromper.
Très affectueusement
Jean P.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (18 janvier 1955) §
Merci de votre mot et de votre promesse. Prenez tout le temps, bien sûr, qu’il vous faudra.
Cinq ou si pages seraient les bienvenues. Avant le 30 avril.
Affectueusement à tous deux
Jean
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 avril 1955) §
Vous rappelez-vous, cher André, l’étrange récit où Cassilda sous les branches, par l’orage,
joue à la noyée. Je ne cesse guère de songer à elle, qui savait tant de choses que nous
pressentons seulement. A elle, et à vous. A elle que voici à présent sous les feuilles. Je vous
embrasse bien tristement.
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 novembre
1955) §
Merci de votre lettre et de l’affection que vous m’avez témoigné. Vous savez tout ce que je
peux désormais ressentir. Je ne veux pas vous parler de moi. Cassilda laisse de très belles
toiles : celles que vous connaissez et d’autres que je compte vous montrez. Elle a toujours su
et cru que nul autre artiste que vous n’aviez si bien compris et aimé ce qu’elle avait tenté
d’être et d’exprimer dans sa peinture. Et elle pensait toujours vous appeler le jour où elle
aurait pu composer, malgré sa maladie, un ensemble digne de vous être présenté.
Elle méritait plus qu’il ne lui fut accordé, malgré votre aide, et je n’ai pas réussi à ce
que la pauvre enfant ait de son vivant suffisamment de cette joie dont tout artiste a besoin,
et qu’elle appelait avec une impatience et une ingénuité qui traduisait le pressentiment d’une
vie brève. Mes maladresses en furent en partie la cause, je le sais.
Je voudrais que sa mémoire obtienne ce qui lui est dû. Aidez-moi mon cher Jean. Vous seul le
pouvez. Aujourd’hui je ne vous demande que quelques lignes dans le plus proche n° de la N. R. F. où je voudrais que vous annonciez la mort de l’artiste peintre Cassilda Miracovici (son vrai nom sous lequel elle avait finalement décidé
d’exposer un jour) décédée à Paris le 2 novembre 1955. Vous pouvez dire qu’elle était ma femme,
si vous le jugez nécessaire, rappeler son exposition de 1952 à la N. R. F. et
annoncer qu’elle laisse une œuvre inédite qui sera exposée. (Je m’attacherai en effet à ce que
le projet voit le jour.) Merci de tout ce que vous pourrez faire.
Je rentre à Paris dans 6 à 8 jours. J’aimerais vous revoir bientôt pour vous raconter tout ce
qui est arrivé.
Affectueusement
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 décembre 1955) §
J’ai été heureux de votre lettre. Oui, et je suis impatient de voir l’ensemble des
tableaux.
Marcel A. pense qu’il vaut mieux attendre, pour parler de Cassilda, que les toiles puissent
être exposées. Enfin, éviter de donner l’impression d’une note d’amitié, de tristesse. Je le
pense aussi.
Mais ne pourrions-nous pas donner dans la revue le récit de l’Orage - avec une note que
rappellerait qui fut Cassilda. Me permettez-vous d’en parler à Marcel ?
Je suis à vous deux, que je ne puis séparer.
Jean P.
Savez-vous qui est M. Monsein ? C’est lui qui doit, au Palais, instruire mon endetter :
complicité d’outrage à la pudeur (sic), pour ma préface à l’Histoire d’O .
J’ai grand peine à croire que ce soit tout à fait sérieux. Mais une amende serait en ce moment
pour moi (avec la maladie de Germaine qui n’a fait que s’aggraver et m’oblige à avoir des
infirmières de jour et de nuit) une véritable catastrophe.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (14 décembre
1955) §
Je serai heureux en effet que vous donniez la Revue le récit de l’orage par Cassilda. Vous en
avez le manuscrit. Je suis persuadé à l’avance que notre ami Arland approuvera votre idée. La
signature devra être de Cassilda Miracovici, son nom complet dont elle avait décidé ces
derniers temps de signer ses toiles.
Je vais vous téléphoner bientôt. Après un voyage d’une dizaine de jours avec un ami, je suis
revenu. Je ne vous écrirai pas mon état. Ce n’est que la peur d’une punition dans un au-delà
auquel je crois, qui me retient ici. En même temps je sens que continuer à vivre est
impossible. Que vais-je devenir ?
Je ne connais pas M. mais si vous le désirez je peux faire sa connaissance. Il faut que vous
sachiez que depuis plusieurs mois Cassilda me pressait de vous aider dans la mesure de mes
moyens. Nous parlerons de tout cela de vive voix. Je ne crois pas à la catastrophe que vous me
dites redouter sur le plan matériel, mais sur le plan moral c’est autre chose.
Je suis vraiment navré de ce que vous me dites de Germaine, et comprends trop bien hélas !
votre angoisse.
Je vais bientôt vous demander un rendez-vous
Affectueusement
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (15 décembre 1955) §
Qu’entendez-vous par ce « plan moral » ? Bien entendu, je n’ai pas écrit cette préface à la
légère, et je suis fier de l’avoir écrite. Il me semble à dire vrai qu’elle était faite pour
ôter à un livre scandaleux son poison, pour l’expliquer, pour me l’expliquer à moi-même.
- j’avoue qu’avant de lire O je ne me faisais aucune idée plausible, ni de
ce qu’a pu être la « prostitution sacrée », ni de certaines formes de la prostitution
actuelle : il me semble que mes commentaires sont justes, il me semblent [sic] qu’ils portent
contre une absurde et dangereuse idée de la liberté, qui est à la mode aujourd’hui. Là-dessus
je peux me tromper. Personne n’ira dire du moins que mes pages soient le moins du monde
scandaleuses. Alors, quelle querelle me cherche-t-on ? Si quelqu’un a recommandé l’Histoire d’O ce sont les membres du « Jury des deux Magots » qui lui ont donné leur
prix. Ce n’est pas moi, qui me suis borné à marquer l’évidence même, c’est que le livre était
très bien écrit et qu’il pouvait être salubre.
C’est ce que j’ai marqué dans mon article du Disque Vert . Qu’il ait été
repris par la suite, et publié avec le livre, je n’y suis pour rien : je ne suis pas éditeur.
(Si je l’avais été, j’aurais publié une édition de luxe à 4000 fr. dans un coffret fermant à
clef.)
Sur le côté « salubre » du livre, Mandiargues, Bataille, Breton et bien d’autres m’ont donné
raison sans réserves. Laissez-moi vous signaler en particulier, dans Preuves
d’Octobre, l’étude d’Aimé Patri (je puis vous la faire parvenir?) Voilà tout ce que vous
pourriez dire à M. Monsein. Ah, je suis heureux que Cassilda ait songé à me défendre.
Je pense tous les jours à elle et à vous, avec toute mon affection et toute ma tristesse,
avec tout mon espoir aussi
Jean P
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (15 décembre
1955) §
M. n’a pas à vous juger. C’est un technicien chargé d’accomplir un travail selon certaines
règles dont il n’est pas l’inventeur. C’est pourquoi vos arguments ne peuvent le concerner,
mais doivent avoir le poids par la suite (s’il y a une suite) dans l’esprit de ceux qui auront
à les apprécier.
Il paraîtra sans doute évident aux esprits habitués à réduire les faits à une sorte
d’algèbre, que la caution d’un nom célèbre donné à un livre est de nature à attirer l’attention
sur ce livre, à le rendre aussitôt célèbre. Par conséquent cette caution constitue bien
« l’aide et assistance » à la propagation du message qu’il contient. Je vous expose le point de
vue de ceux qui vous voulez convaincre (bien que je ne les connaisse pas) afin que vous vous
mettiez à leur place.
Que vos pages ne contiennent rien de délictueux n’est pas la question : leur présence a eu
pour effet de mettre en valeur d’autres pages qui, elles, sont probablement dangereuses puisque
vous auriez souhaité les voir enfermées à clef dans un coffret, me dites-vous.
Enfin je verrai M. et ferai de mon mieux.
Dans quel n° de la N. R. F. publiez-vous les pages de Cassilda ? Merci de
penser à elle.
Affectueusement à vous
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 décembre 1955) §
Que vous dire encore, André ? Nous sommes sur terre pour trouver quelques chose. Et il n’est
au monde qu’un crime : c’est de renoncer à la recherche qu’on avait entreprise. Il me semble
que les jugements de Cassilda valaient admirablement pour Cassilda; et les opinions de Michaud
valent pour Michaud. Mais vous aviez pris une autre voie, celle dont Platon
disait qu’ « il est bon de connaître le soleil et la terre et les herbes et les sentiments que
nous en avons, mais il est meilleur et plus noble de connaître les idées que nous formons de
tout cela. » C’est ce dernier parti que vous aviez pris et je ne sais s’il est en effet le
meilleur de tous, mais il est le vôtre . Ne soyez pas inégal à ce que vous
avez déjà découvert. Peut-être vous reste-t-il simplement à croire à ce que
vous avez pensé. Relisez l’expérience poétique. C’est là votre terre et votre raison. Je vous
embrasse
Jean P.
Votre raison.. Je veux dire celle où vous trouverez la raison - la justification de tout le
reste.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 décembre
1955) §
Merci de tenter de me restituer une raison de vivre. Mais vous savez bien, comme moi, que
rien ne peut remplacer la présence d’un être infiniment aimé. Ce ne sont pas des idées, des
raisonnements, une recherche ou des découvertes qui peuvent masquer l’abîme d’une disparition.
Ou bien alors, c’est que l’on a pas vraiment aimé, et que l’on est demeuré attaché à soi-même,
à ses idées fixes, à la foi dans la conviction de l’intérêt supérieur de sa propre
personnalité.
Je n’aurai pas écrit L’Expérience poéitque si je n’y avais pas cru. Mais je ne vois pas en quoi la théorie interprétative que j’y ai esquissée devait
me consoler, m’empêcher de sombrer dans la détresse qui est mon lot. Non je ne comprends pas du
tout ce que vous voulez me dire. Pour moi la vie a perdu ses couleurs, sa justification, et si
je vis encore c’est que je crois dans un au-delà dont nous ignorons les lois tout en les
pressentant. Je n’ose les braver et risquer ainsi de tout perdre à jamais, en demeurant dans
les flammes.
Affectueusement
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (10 janvier 1956) §
Je voudrais avoir de vos nouvelles. Je viens d’être malade, et ne me lève que de ce
matin.
Je voudrais tout de même vous répondre. Vous avez bien écrit, je crois, que les objets de
notre amour ressemblent à des branchages qui nous cachent le vide de l’absolu où nous
engloutir. (N’est-ce pas là même le sens central de l’Expérience poétique .)
N’est-il pas temps que vous rendiez ses droit à l’Absolu - à un absolu où vous accédiez si
naturellement ? Mais nous, qui de nous ne songerait désormais à Cassilda et à vous ensemble, et
comme si vous ne faisiez qu’un. Je vous embrasse
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (12 janvier
1956) §
Je suis désolé de vous savoir malade. J’ai téléphoné chez vous, mais la personne qui m’a
répondu m’a fait savoir que vous ne pouviez recevoir les communications. Elle m’a donné
toutefois de vos nouvelles. Je forme des vœux pour votre guérison rapide.
Merci de vous préoccuper de moi. Je suis dans l’état où vous m’avez vu, c’est-à-dire à demi
mort, mais suffisamment vivant , hélas ! pour ressentir le plus affreux tourment. Je vois avec
horreur un avenir possible de cette nature dont le terme m’est inconnu et dont on m’assure que
je ne peux l’avancer sans les pires conséquences.
Existe-t-il une contradiction entre le fait que j’ai pu faire allusion à un absolu qui nous
échappe, dans certains de mes écrits, et le fait que je ne sois pas en mesure de m’en
approcher ? Je ne le pense pas.
En tous cas il n’est pas de mots ou d’idées qui puissent désormais changer quelque chose au
fait que je suis comme un animal blessé à mort, et qui ne peut mourir, et dont on exige qu’il
tente de penser à autre chose. Que ce ne soit pas noble de ma part, je pense que ce ne peut
être là une appréciation faite de « L’expérience ». Lorsque qu’on atteint un point
limite de souffrance, toute communication devient impossible. Et c’est pourquoi on meurt
seul.
Mais je m’excuse d’être aussi décourageant pour mes amis. J’aimerais bien avoir copie du
texte de Cassilda. Je voudrais bien savoir aussi quand vous le publierez. J’ai envoyé un mot à
Arland pour le prier de me le laisser copier le jour qui lui plaira.
Dès que vous me direz que c’est possible, je passerai pour vous voir.
Mes affections pour vous deux.
André
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (28 janvier
1956) §
J’ai appris avec plaisir que vous étiez rétabli, et j’espère avoir bientôt celui de vous
revoir.
Je n’ai pu retrouver chez moi le manuscrit du conte de Cassilda dont vous m’avez parlé et
j’en suis bien désolé. J’ai le plus grand désir d’avoir ce texte. Ayant mal compris ce que
vous m’aviez dit propos de la copie que vous possédiez, j’ai prié Marcel Arland de me
permettre de passer chez lui la recopier, mais il me répond que je me trompe, que vous lui en
avez seulement parlé, mais que c’est toujours vous qui l’avez en mains.
Je viens donc vous dire combien je vous serai reconnaissant mon cher Jean de me dire quand je
peux passer chez vous vous revoir et recopier ces quelques pages. Je crois que la matinée et le
moment le plus commode pour nous deux ?
Mes affectueuses pensées pour vous deux
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (30 janvier 1956) §
Pardonnez-moi. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer. J’avais joint le ms [manuscrit] de Cassilda aux autres ms que je remettais à Marcel. Or
il ne lui est pas parvenu. Nous allons le chercher avec grand soin et bien sûr le retrouver.
Mais il faut que vous me donniez quelques jours encore.
Je suis content que vous soyez rentré rue Madame.
A vous, très affectueusement
Jean P.
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (30 janvier
1956) §
Quelle peine supplémentaire j’éprouve en apprenant par votre mot que le manuscrit de Cassilda
est égaré ! je vous supplie de faire en sorte de le retrouver pendant que c’est encore
possible.
Non, je ne suis pas encore rentré complètement rue Madame, mais j’y passe tous les jours.
Rien, hélas! n’est changé et ne peut l’être en moi, autour de moi.
Affectueusement dans l’espoir d’une lettre prochaine plus rassurante.
André
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (07 février 1956) §
Il me faut tout de même vous demander ceci : il court, depuis quinze ans, divers bruits sur
ma méchanceté, sur ma perfidie, sur mon goût pour les abattoirs et le reste. Quand je cherche
l’origine de ces bruits, c’est vous très régulièrement que je trouve. Puis-je vous demander
quelques explication sur ces points. Vous savez - ou vous pouvez savoir aisément - qu’il ne
m’est jamais arrivé de mettre les pieds dans un abattoir (!) Mais estimez-vous réellement que
je sois méchant ? M’est-il arrivé jamais de l’être à votre égard ? Ou à l’égard de qui ?
Répondez-moi sur ces divers points, je vous prie. Et sur les autres.
A vous
Jean Paulhan
Chez M. Pilotaz. La Pommeraie. Gilly s. Isère. Savoie.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (27 avril 1956) §
Depuis quinze ans ? Dans ce cas le fait que vous choisissiez un tel moment de mon existence
pour me mettre brutalement, et de façon exclusive, en accusation sur la foi de ragots, dont
vous ne pouvez méconnaître ce qu’ils peuvent emporter d’affabulations, devrait à lui seul vous
inquiéter sur certains de vos mouvements intérieurs, et les apparences qu’ils peuvent
présenter.
Mais ne sont-ce toujours que des apparences ? Je ne crois pas être le seul, en dépit de ce
que vous affirmez, à m’être parfois interrogé avec chagrin à cet égard. En ce qui me concerne
je suis tout prêt à vous rappeler franchement au cours d’un entretien que je souhaite proche,
les moments où vous m’avez déçu ou blessé. Je pense en effet que nous nous devons après plus de
vingt cinq ans d’amitié, de nous expliquer de vive voix sur ce que nous pouvons avoir à nous
reprocher l’un à l’autre. (Mais pour ce qui est de l’anecdote des abattoirs ;
je tiens à vous dire dès maintenant que je n’y comprends rien! Il me semble d’ailleurs que vous
ne m’attribuez pas sérieusement cette invention étonnante ?)
A vous
A. Rolland de Renéville
P.S. La mort de mon père survenue au début de cette semaine m’a obligé à passer plusieurs
jours en Touraine, et je n’a pu de ce fait vous répondre par retour du courrier, comme j’aurais
aimé le faire.
Jean Paulhan à André Rolland de Renéville (28 avril 1956) §
Nous aurons donc cet entretien dès que vous le voudrez. Puis-je vous dire que s’il m’était
arrivé de nourrir à votre égard des « doutes » de cet ordre, c’est à vous
aussitôt que j’en aurais fait part. Ce n’est pas à nos amis communs que je les aurais donnés
pour autant de certitudes.
Vous me reprochez d’avoir « choisi un tel moment de votre existence pour vous mettre en
accusation ». Mais c’est vous-même qu’il faut accuser ici : il n’y a pas deux mois que vous
répétiez à l’un de nos amis communs les mêmes calomnies qui cette dois, je dois l’avouer, et
peut-être à cause de ce moment, m’ont été particulièrement pénibles.
Mais à bientôt donc. A vous
Jean Paulhan
J’y songe : avez-vous pris pour un trait de méchanceté l’incident de l’accordéon ?
J’en ai été embarrassé et peiné tout le premier. Il m’était déjà arrivé une fois, en effet
(une fois sur quinze ou vingt) de déjeuner dans ce restaurant au bruit de l’accordéon. Et sitôt
que vous m’avez eu fait part de votre répulsion pour cet instrument j’ai songé à vous diriger
vers un autre restaurant. Ce qui m’en a empêché, ç’a été :
1. que nos places étaient retenues.
2. j’ai pensé qu’il y avait fort peu de chances pour que l’accordéon revînt ce jour-là.
3. j’ai pensé enfin que si d’aventure il revenait, il serait facile d’obtenir qu’il se taise
en lui remettent une somme équivalente à celle que lui aurait rapportée sa quête.
c’est là ce qui s’est passé. Mais je m’aperçois que je vous prête une supposition bien sotte.
Excusez-moi. A dire vrai, toute cette histoire me confond.
Ne serait-il pas plus âge (et plus précis) que cous m’écriviez vos griefs,
au lieu de me les dire. Mais décidez.
JP
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (29 juin
1956) §
Pour qu’il eût été « à moi d’avertir Cassilda du malentendu au mieux de l’aggraver » selon
votre propre expression, il eut fallu que j’eusse conscience qu’il existait entre vous et nous
un « malentendu ». Or rien ne m’avait jusqu’alors (ni d’ailleurs maintenant permis d’observer
que vous vous absteniez d’aller aux vernissages (par exemple de Fautrier ou de Michaux), ni que
vous cessiez brusquement d’apporter votre aide aux peintres sur lesquels vous aviez décidé
d’écrire, au moment même d’écrire sur eux.
Ce que je crois, pour l’avoir observé, c’est que vous êtes parfois animé par un goût de
décevoir qui peut faire suite à un mouvement généreux, de sorte qu’il peut vous paraître très
injuste qu’on vous le reproche, au lieu de s’en tenir à ce premier mouvement, dont il est
naturel que vous préfériez vous souvenir.
J’ai eu, je vous l’assure, le sentiment que ce goût de décevoir s’était particulièrement
exercé à l’égard de Cassilda et s’était même perpétué après sa mort, dans le fait que vous ayez
pris l’initiative de me proposer de publier dans la N. N. R. F. un conte
d’elle, pour ensuite n’en rien faire. Mais là, vous n’avez pas fait de la peine qu’à moi, et
même j’ai sans doute eu tort de me réjouir de votre proposition, car ma femme, qui n’avait pas
d’ambition littéraire, ne m’eut sans doute pas approuvé de l’accepter. Elle n’attachait
d’importance qu’à sa peinture.
Je ne vous parle ainsi que parce que vous m’avez toujours prié de tout vous dire. Et il est
vrai que l’amitié ne peut véritablement exister qu’à ce prix. Je demeure touché du regret que
vous me dites éprouver de tout cela, et il est bien vrai que nous n’y pouvons plus rien.
André
André Rolland de Renéville à Jean Paulhan (04 juillet
1956) §
Que vous ayez pu vous sentir « offensé » de ce retrait de demande d’une préface, alors que ma
femme vous avait exposé les motifs d’élémentaire charité que la contraignait à consentir,dans
la circonstance, à ce qui représentait pour elle un grand sacrifice, me confond.
En effet je n’ai jamais eu, et n’aurai jamais le sentiment, que ce soit un acte de courage
que de mettre en péril d’autres êtres que soi-même, à leur insu – dans le seul but d’éprouver
une satisfaction d’amour propre !
Quant à l’attitude de Daumal, de Lecomte ou de moi-même, je ne crois pas qu’elle ait eu
quelque chose à voir dans une circonstance où il s’agissait de donner un peu de joie, que vous
estimiez légitime, à une artiste inconnue, très malade, et qui ne pouvait de ce fait espérer
avoir une autre occasion de recueillir le bénéfice moral d’un talent qui s’était exprimé à
travers tant de tourments !