Correspondances écrites et reçues par Jean Paulhan (1925-1936 et 1950-1958), éditées en collaboration avec l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC, Caen) et la Société des lecteurs de Jean Paulhan (SLJP).

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Le projet « Hyper Paulhan » de l’OBVIL [Observatoire de la Vie Littéraire] propose les reproductions numérisées (mode image) et transcrites (mode texte) de lettres déposées dans le fonds Jean Paulhan et quelques autres fonds à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (IMEC, Abbaye d’Ardenne, 14280 St-Germain la Blanche-Herbe).

Ces lettres sont extraites des dossiers de correspondances passives et actives de Jean Paulhan. Elles s’inscrivent dans deux tranches chronologiques :

  • 1925-1936, années pendant lesquelles Jean Paulhan a été nommé rédacteur en chef, puis directeur de La Nouvelle Revue française,
  • 1950-1958, années de redémarrage de La NRF, après l’interruption de la fin de la guerre et de l’après-guerre…

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Alain Robbe-Grillet

1956/1957

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan

Correspondance (1956–1957)

2016
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2016, license cc.
Source : IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225
Ont participé à cette édition électronique : Clarisse Barthélemy (Responsable éditorial) et Camille Koskas (Responsable éditorial).

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1956.

Cailleux titre pseudo

Cher Jean Paulhan,

merci, d’abord, de vos envois : la note de lecture de « La Vie Intellectuelle » (qui est bonne, c’est vrai. Quel est ce Kerhorre qui la signe?), puis la carte d’Italie. Depuis longtemps je fois vous écrire. Si je ne l’ai pas encore fait, c’est que j’espérais joindre à ma lettre un petit travail pour la revue – un petit travail quelconque – ne fût-ce qu’une notule – preuve au moins de ma bonne volonté. Or je n’ai rien, rien, pas une ligne. Et je n’ai même plus l’espoir d’arranger les choses avant de longs mois.

Je suis resté toutes les vacances à Royaumont (sauf une courte semaine, au début de Juillet, pour aller voir ma famille en Bretagne). Tout ce temps – deux mois donc – je l’ai passé assis à ma table, ou allongé sur le lité, devant des feuilles blanches où je tentais en vain d’écrire quelques mots censés de critique littéraire ; pour la N.R.F, d’abord, et aussi pour la revue « Critique » à qui j’avais promis encore plus formellement une étude sur (c’est-à-dire contre) l’allégorie. C'a été deux mois de perdus. Il faut bien me résoudre à renoncer – provisoirement, en tout cas- car les choses n’ont fait que s’aggraver de jour en jour, alors que d’habitude l’acharnement vient à bout de ma répulsion naturelle à constituer des phrases.

Je regrette d’autant plus cette impossibilité où je me trouve de travailler pour vous en ce moment que j’avais demandé à Marcel Arland – et obtenu – de tenir une sorte de chronique, plus ou moins régulière, où j’aurais essayé d’analyser quelques-unes des formes (et des éléments) romanesques, caractéristiques de l’époque.

Puisque je suis incapable de confectionner la plus simple note, il me faut aussi remettre ce projet à plus tard

De tout cela je ne vois qu’une explication. Lorsque j’ai terminé le Voyeur, il y a huit mois, j’avais des idées précises – grossières peut-être, mais d’autant plus précises – sur ce que devaient être la littérature en général et la mienne en particulier. Mes opinions sur cette dernière (la mienne) sont ensuite devenues beaucoup plus floues, à mesure que j’essayais de mettre sur pied un nouveau récit – qui me tient assez à coeur. (Heureusement, celui-ci doit être très bref.) Je crois qu’il est plus sage, maintenant de l’écrire. Il me faudra un an sans doute, ou un peu plus. De toute façon, je ne suis plus capable pour l’instant de dire quoi ce soit sur la littérature des autres, ni sur la littérature en général – a fortiori.

Ne m’en veuillez pas ; j’ai fait ce que j’ai pu. Il n’y a dans cet abandon momentané ni pose, ni paresse, ni complaisance ou mutisme. Aussitôt que je serai sorti de ces ennuis actuels, je ferai quelque chose et vous l’enverrai bien vite. D'ici là, sûrement, je passerai à la N.R.F; un mercredi.

Je suis désolé – sincèrement désolé – de n’être pas une meilleure acquisition pour une revue;..
Mais, très amicalement, votre néanmoins tout dévoué

Robbe Grillet

30 rue Gassendi. Paris (14)

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1956.
Cher, très cher, Jean Paulhan

C'est, une fois de plus, une reconnaissance considérable que je vous dois. Et je ne sais comment vous l’exprimer.

Tout s’est donc passé à merveille, hier, à la Caisse Centrale de Réassurance. Directeur et adjoints ont été charmants. Et j’ai la promesse quasi formelle d’un appartement splendide !

Je passerai sûrement à la N.R.F. ce mercredi (ou en tout cas le suivant, car j’ai, pour celui-ci, un empêchement prévu de longue date, qui me retiendra peut-être trop tard) et je vous donnerai tous les détails de l’affaire; Mais je ne veux pas attendre un jour de plus pour vous remercier, puisque c’est à vous que je dois cette chance- inespérée vraiment.

Une seule ombre : ce n’est que dans 18 mois (ou 2 ans...) que les locaux seront habitables. C'est aussi, me dit-on, parce que la date est un peu lointaine que la chose a pu se faire. Alors je ne m’en plains pas.

Il me faudra cependant chercher encore un petit local provisoire; Je vais voir ce que peut faire Léo [Soutay?]. Mais c’est déjà un soulagement énorme de savoir que, de toute façon, j’ai quelque chose d’assuré pour bientôt.

Aussi je ne crains pas de vous répéter, encore une fois, ma gratitude.

Votre bien fidèle

Robbe Grillet

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1956) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1956.
Cher Jean Paulhan,

Plus je réfléchis à cette éventuelle publication en volume de mes articles de l’Express, moins je la trouve opportune. Ces textes ont été écrits pour un journal, ce qui devait leur faire pardonner d’être si brefs, si hâtifs, si vulnérables. J'avais là l’occasion de dire rapidement quelques petites choses que je ne crois pas inutiles. Je l’ai fait. Je ne le regrette pas.

Mais, en livre, cela serait d’un effet tout différent, et, à mon avis, beaucoup plus discutable, pour ne pas dire catastrophique. Sincèrement, qu’en-pensez-vous ? J'aurais l’air de présenter ces réflexions partielles (et un peu sommaires) comme un résumé complet de mes « théories », ce qui n’est malgré tout pas le cas...

Je vous remercie beaucoup, néanmoins, de votre proposition d’en parler à Gaston Gallimard. De mon côté, séduit d’abord par cette perspective, j’avais demandé à Jérôme Lindon ma liberté pour cette plaquette. Il me l’a accordée. Je suis donc libre de vous le donner pour les Editions Gallimard. Mais c’est en y réfléchissant, ensuite, que l’entreprise m’a paru plutôt mauvais...

Ou alors il faudrait que j’y ajoute un avertissement qui insisterait bien sur les reproches que je fais moi-même à ces articles. Mais on me demanderait, alors, pourquoi je les publie.

De toute façon je ferai ce que vous me conseillerez.

Je passerai à la N.R.F. un très prochain mercredi et nous en reparlerons, si vous voulez. Je reste, en attendant, votre fidèle

Robbe Grillet

L'édition en volume aurait cependant un avantage : celui de rétablir le texte original. Profitant de son absence de Paris, l’Express, mardi dernier, m’a encore changé mon titre (et pour quoi !), a une fois de plus collé des sous-titres absurdes, et même a carrément supprimé les deux premiers paragraphes, sous prétexte que la longueur de l’article dépassait celle fixée par nos conventions. Le début en est ainsi rendu incompréhensible.

Mais le dessin de Maurice Henry est très drôle, quoique sans grand rapport.

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.

Robbe-G

Cher Jean Paulhan

Voilà plusieurs fois que je tente en vain de vous voir à la NRF. Aujourd’hui on me dit que vous êtes souffrant. Rien de sérieux, j’espère ?

Merci de votre carte du Cantal. Oui je suis en pleins travaux à Neuilly : non seulement de peinture, mais de la grosse menuiserie (je fais le plus de choses possible moi-même : rayonnages à livres et placards). Je ne manie plus que le robot et la scie et n’ai pas une minute pour penser à un nouveau roman, bien entendu. Je ne sais pas du tout faire plusieurs choses à la fois. Même la nuit, maintenant, je rêve de planches et de tasseaux !

J'ai envoyé aussitôt la Jalousie à André Lhote. Depuis quelques semaines il semble que le ton de la critique tourne un peu en ma faveur, voilà même Gérard Bauer qui se déclare intéressé. Mais je ne vous ai pas vu depuis la parution de la note de Lefebvre : elle est bonne, n’est-ce pas ? Avez-vous lu les pages dactylographiées remises à Dominique Aury par cet américain nommé Morrissette, spécialiste du Faux-Rimbaud, qui fait une étude, une très vaste étude, sur La Jalousie ? Cela se rapproche beaucoup des points de vue de Lefebvre et de Jaccottet, plus détaillé naturellement. Je crois que ça vous plaira. J'ai hâte de lire l’ensemble : je vais sûrement apprendre des tas de choses sur ma façon 'décrire. Et vous savez à quel point ce sujet me tient à coeur !

Comme vacances, j’ai juste pris quelques jours en bretagne, pour aller soigner ma collection de joubarbes et de saxifrages. Je leur ai transporté cette année des rochers de près d’une demi-tonne. Ca leur a fait très plaisir.

Le reste de l’été, je le passe à Neuilly. Mais cet appartement me plaît tant que le travail m’y semble bien plus joyeux que tous les bains de mer du monde.

A vous, très amicalement

Alain

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.

Hier soir, en rentrant de la N.R.F.? J'ai trouvé votre lettre sous ma porte. Toutes ces bonnes paroles (écrites et orales) m’ont fait un bien immense. J'ai besoin de beaucoup plus d’encouragements qu’on ne croit.

L'inquiétude (qui demeure toujours) concerne donc maintenant la seconde moitié du livre : N'allez-vous pas la trouver moins bonne ? (D'autant plus qu’elle n’est évidemment pas faite pour être lue trois semaines après la première.) mais, sauf imprévu, j’aurai fini l’ensemble à la fin du mois. (Il me reste une quinzaine de pages à écrire et je sais avec précision ce qu’elles doivent contenir.)

Mon deuxième sujet d’angoisse est, dans un autre domaine, l’appartement de la rue Laffite. Je vous ai dit à quel point mon existence en dépend. Or ce M. Pierre avec qui je suis en rapport ne veut toujours pas me donner d’assurance formelle, ni me désigner l’étage éventuel, à plus forte raison. Je l’ai rappelé après vous en avoir parlé, la semaine dernière, mais sans pouvoir lui dire la cause précise de mes inquiétudes : à savoir qu’un autre de vos protégés semble beaucoup plus avancé que moi dans une affaire concernant le même immeuble.

Or je n’ose plus, maintenant, en appeler à la direction générale, craignant de sembler me plaindre de M. Pierre qui est, en réalité, très aimable et fait sans doute ce qu’il peut, selon des règles qui ne dépendent pas de lui...

Alors je vais encore vous demander quelque chose – puisque vous avez déjà tout fait pour moi. Un jour que vous auriez au téléphone où vous rencontreriez M. Fourque, pourriez-vous lui raconter mes tourments ? J'ai une peur terrible que, tout à coups, l’on me fasse savoir que mes espoirs étaient vains et qu’il soit trop tard, à ce moment-là, pour tenter d’arranger les choses.

Il y a aussi cette question d’étage : serait-il possible d’avoir un des plus élevés ? Cela aurait une très grande importance.

Pardonnez-moi, je vous en prie, de vous ennuyer avec ces histories. Vous devinez tout ce qu’elles représentent pour moi.

Je suis votre dévoué, fidèle, reconnaissant

Robbe Grillet

Je reçois à l’instant (vendredi matin) votre seconde lettre. Merci encore de votre gentillesse. Mais pourquoi Barthes va-t-il être furieux ? Bien sûr il y a des choses qui ne collent pas – qui ne collent pas non plus avec mes propres théories – mais je compte sur Barthes, justement, pour me trouver des excuses de « situation » !

J'ai pensé à une de vos objections : « A. . . » Cela passera bien plus inaperçu avec le caractère d’imprimerie : « A... ». Ne croyez-vous pas ?

Alain

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.

Merci – merci une fois de plus – de votre bonne lettre. Que vous ayez reparlé de mon affaire à Maurice Fauque m’enlève un énorme poids. Je ne sais que faire pour vous exprimer ma gratitude.

Mais, pour Barthes, n’êtes-vous pas un peu injuste ? Il n’est pas bête, ni, non plus, de si mauvaise foi. C'est sûr que mes livres sont politiquement « réactionnaire ». Barthes doit le savoir aussi bien que moi ; n’a-t-il pas écrit lui-même quelque chose de ce genre à propos du Voyeur ? Ce que je crois – et lui aussi, sans doute – c’est que, à l’heure présente, un roman qui est « politiquement progressiste » ne peut être que littérairement mauvais.

Il va sans dire que j’ai choisi la littérature. Mais il est probable, par surcroît, que la politique a tort de s’imaginer qu’elle peut passer outre aux problèmes « de forme » (comme ils disent) posés par l’écriture – ou la peinture. Cette distinction de la forme et du contenu est sans doute la première erreur du « réalisme socialiste ». En tout cas, Barthes n’en est pas là, je peux vous l’assurer.

Je viendrai mercredi, pour apporter un manuscrit corrigé de la Jalousie (le début toujours à et reprendre l’ancien. Marcel Arland me dit que vous donnerez ce texte dans la revue en mars et avril. Je suis très très content que cela puisse se faire.

Puisque vous me le permettez, je suis, avec reconnaissance,

votre ami sincère

Alain Robbe-Grillet

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.
Cher, cher Jean Paulhan

Merci de votre petit mot. Oui, cet article de Jaccottet me met du baume au coeur.

Mais je n’ai pu aller vous le dire, hier soir, à la N.R.F., parce que j’étais rue de Mogador, en train de signer le contrat de location pour l’appartement de Neuilly. Et maintenant que la chose est faite, et que je suis théoriquement tout à fait rassuré... et que je m’inquiète encore, je vois mieux la cause exacte de mes angoisses : c’est l’impossibilité, justement, de cette chance. Trouver un appartement, lorsqu’on n’est pas multimillionnaire, tout le monde sait bien que c’est impossible !

Et moi j’en suis à combiner béatement des arrangements intérieurs...

Mais je travaille – cependant – à ce petit plaidoyer pro domo que je voudrais publier dans la N.R.F. Il m’y faudra dire « je » ; n’est-ce pas un peu déplaisant ?

A très bientôt

A vous, toute mon amitié

Alain

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.

DA

Bien sûr, j’aimerais beaucoup écrire sur « Larbaud et le monologue intérieur », mais je crains d’être un peu trop ignorant. Il faudrait d’abord que je lise. Combien de temps me laissez-vous ?

Pour l’instant, j’ai un autre projet, moins ambitieux. Il vient de paraître – chez Flammarion, je crois – un livre de R. de Vilmorin sur la culture en jardin des Plantes Alpines. Avez-vous déjà quelqu’un pour en parler dans la revue ? Sinon, je le ferai volontiers – très vite, même. Mais il me faudrait le livre, que je n’ai pas. France E. pourrait-elle le demander pour moi à l’éditeur I? C'est un ouvrage très important (dans son domaine, naturellement), à la gloire de l’alpinum du Jardin des Plantes et de Guinet, son créateur – un homme remarquable.

Ici la neige commence à fondre, mais on trouve encore très peu de joubarbes et de saxifrages.

A mercredi prochain. Je passerai rue Sébastien-Bottin vers 6 heures et demie.

Amitié sincère

RobbeGrillet

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.

J'ai enfin reçu la lettre, tant attendue, de la Caisse Centrale de Réassurance. Téléphoné aussitôt à Georges Pierre, qui m’a donné cette fois une certitude – pour le mois de juillet - et l’étage : c’est le quatrième, donc le plus élevé. Vous imaginez sans doute ma joie. Au risque de vous lasser, je vous redis encore ma reconnaissance, mon immense reconnaissance.

Reçu aussi, en même temps, le très beau livre de Roger de Vilmorin, dans lequel je me plonge aussitôt. Il est encore plus intéressant que je ne pensais.

A bientôt

Votre ami fidèle
Alain

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 1957.

Je reçois votre lettre à l’instant, et cette visite évidemment me fait un grand plaisir. Je serai là toute la journée, mais après le déjeuner c’est peut-être mieux : vous aurez sans doute un peu plus de temps à ce moment là ? J'ai ha^te aussi de vous montrer l’appartement ; c’est encore un peu un chantier, mais déjà un chantier habitable.

A ce dimanche, donc ; je vous attends à l’heure que vous voudrez. (C'est au quatrième à gauche).

Amitiés vraies

Alain

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (20 mars 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 20 mars 1957.
Cher Jean Paulhan

Je travaille donc, en ce moment, à l’article promis pour la NRF (développement de ce qui devait être le dernier paris Express). Si tout marche bien, je vous l’enverrai dans une dizaine de jours. Mais il ne fera pas plus de 3 ou 4 pages de la revue, je le crains.

Ensuite je vous donnerai l’ensemble, avec les titres originaux et le texte complet. Je voudrais y joindre un petit avant-propos de deux pages, pour signaler la modestie (malgré les apparences !) de mes intentions.

Je tiens aussi à vous répéter ceci : Du moment que c’est pour « Métamorphoses », je n’ai plus aucun scrupule à accepter votre aimable proposition de publier cette brève série. L'extrême sérieux de la collection me garde – dans mon esprit du moins – des mauvaises interprétations que je redoutais. C'est un peu comme si je trouvais moi-même ces textes meilleurs d’être en si flatteuse compagnie.

Peut-être devrais-je, au contraire, les juger d’autant plus légers ?

Mais on : je sais bien que je suis très content de cette solution. Et je vous en remercie même sincèrement.

Avec mon amitié fidèle

Robbe Grillet

Alain Robbe-Grillet à Jean Paulhan (23 août 1957) §

IMEC, fonds PLH, boîte 192, dossier 096225 – 23 août 1957.
Cher Jean Paulhan

Peut-être avez-vous lu quelques-uns des commentaires qu’a suscité mon article sur le roman dans la NRF ? Le ton en est si uniforme que je commence à être inquiet : je me demande ce que contient, en réalité, cet article (dont je n’ai pas de double ici). Car ce qu’on me reproche le plus, c’est de « mépriser » Balzac, Flaubert, Dostoievski, etc ! Ai-je écrit cela vraiment ? Ou bien est-ce le mot « périmé » qui prêterait tant à confusion ,

Pourtant, un passeport périmé, ce n’est pas forcément un faux passeport : il a pu être parfait, du temps de sa validité. Il ne devient faux que si l’on essaie, ensuite, d’en effacer la date, pour le faire servir encore, à une époque où il ne vaut plus rien. N'en va-t-il pas ainsi, précisément, de l’écriture ?

On dit que je veux faire « mieux » que Balzac, Flaubert, etc... Mais le passeport valide n’est pas meilleur que les anciens dans l’éternité, il est seulement meilleur lorsqu’il s’agit de l’utiliser maintenant. Est-ce que tout cela n’était pas dit au clair dans l’article en question ?

Quant à l’opinion suivant laquelle un romancier ne doit pas avoir d’idées sur le roman, elle me semble folle, je l’avoue. Un argument sérieux, néanmoins, se trouve dans ce que dit Mauriac : à savoir que le « cageot » possède bel et bien une âme. Peut-être est-ce vrai. Cela expliquerait, en tout cas, les difficultés dont je n’arrive pas à me sortir (ce roman, dont je vous ai parlé). Mais si je ne parvient pas à me débarrasser de l’âme du cageot, il ne me restera plus qu’à retourner à l’agronomie.

Avez-vous lu Graal-Flibuste, de Robert Pinget ? Lindon devait vous en communiquer les épreuves dès qu’il les aurait. J'aimerais beaucoup que vous le regardiez. Bien que ça ne ressemble pas du tout à ce que je veux faire, je crois que c’est très bon. (Et, si vous l’estimes aussi, ça se prêterait tout à fait au découpage).

Il pleut. Ici, au moins, ça fait couleur locale. Mais, pour le jardinage, c’est quand même gênant.

Rentrant à Paris à la fin du mois, j’irai vous voir dès le début de septembre, si vous y êtes aussi.

Je suis, très amicalement, votre dévoué

Robbe Grillet