Guillaume Apollinaire

Articles au Paris-journal

2015
Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL, 2015.

Transcription sur les sources originales, voir cartouche bibliographique pour chaque item.

Ont participé à cette édition électronique : Éric Thiébaud (Édition et correction) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

[1910-01-15] Échos §

Paris-Journal, 15 janvier 1910.
[OP2 1264-1265]

Un mariage bien moderne §

[OP2 1264]

Il y a dans Paris un grand couturier, auquel une grande, très grande tragédienne italienne doit des sommes folles ; on parle de 600 000 francs.

La tragédienne ne faisant pas mine de s’acquitter, le couturier a imaginé un moyen original de rentrer dans ses fonds. Il est parti pour l’Italie, a sollicité une audience de la grande, très grande tragédienne et lui a demandé sa main, tout simplement.

L’illustre actrice est demeurée d’abord interdite, puis elle a demandé douze minutes de réflexion, douze minutes exactement, au bout desquelles elle a accepté le marché, c’est-à-dire le mariage. La France va compter une grande tragédienne de plus.

Le poète et les roses §

[OP2 1264]

M. D’Annunzio, qui en ce moment a maille à partir avec le fisc italien, est cruel envers les roses.

Sous prétexte que leur parfum favorise son inspiration, il en fait effeuiller, chaque matin, une grande quantité dont il emplit des vasques de porphyre.

Il reçut dernièrement la visite d’un riche Hollandais, amateur de fleurs, qui, apercevant ces amas odoriférants de pétales à l’agonie, fut outré et s’écria : « Celui qui inflige un traitement aussi barbare est indigne du nom de poète. »

Et il partit, sans avoir voulu saluer M. D’Annunzio.

La couvade §

[OP2 1265]

On se souvient des paroles de la veuve à sir Hudibras : « Il paraît qu’en Chine les maris accouchent à la place de leurs femmes. » Un auteur bien parisien, poète et prosateur qui jusqu’à présent avait laissé sa femme accoucher à sa place, se contentant de donner son nom d’honneur à ces ouvrages de dames, est décidé à en user désormais comme les maris chinois. Il prépare tout seul un roman, un livre de poèmes et deux pièces de théâtre, l’une en vers, l’autre en prose.

Des épigrammes §

[OP2 1265]

Il court en ce moment dans Paris un grand nombre de petits vers.

Les suivants concernent, paraît-il, une femme de lettres fort connue :

Plus belle que la belle Hélène,
Elle rend fou d’elle Paris ;
Plus heureuse que Madeleine,
Elle épousa son Jésus-Christ.

L’épigramme n’est pas bien méchante. Il s’agit, dit-on, d’une poétesse normande. Mais, il y a beaucoup de poétesses normandes. Toutefois, les maris qui répondent au nom messianique de Jésus-Christ : sont, croyons-nous, moins nombreux.

L’auteur de Chantecler inspire des épigrammes plus perfides.

L’une d’elle doit avoir pour auteur un pharmacien :

Avec deux sens rimant comme ab hac et ab hoc,
La muse de Rostand a des crêtes de coq.

Puisque vous êtes latiniste, monsieur l’épigrammatiste, et que vous bravez ainsi l’honnêteté, n’employez donc à l’avenir que la langue de Martial.

[1910-01-17] Les livres §

Paris-Journal, 17 janvier 1910, p. 000.
[OP2 1164-1165]

George Meredith : L’Amour moderne, poème traduit de l’anglais par André Fontainas, éditions de la Phalange §

M. André Fontainas vient de traduire de George Meredith, L’Amour moderne,ce poème « fascinant », selon l’heureuse expression de M. Arthur Symons.

Le poète délicat et hautain de La Nef désemparéepouvait seul nous faire sentir en français l’art subtil et radieux de Meredith, cet homme qui, selon Marcel Schwob, exalta « son activité cérébrale au-delà de toutes les limites humaines ».

La traduction de M. André Fontainas est très fidèle et très belle.

Quelle exaltation lyrique et que d’humanité dans ces « laisses » pures comme des marbres grecs et animées comme une gorge de colombe :

Je ne suis pas de ces mâles misérables
Qui reniflent au vice, et n’osant y happer,
Espèrent en conséquence le ciel. J’assume le hasard
De tous mes actes. Le vent qui emplit mes voiles
Pousse ; mais je suis le timonier. Suis-je naufragé,
Je sais que le démon a un fardeau suffisant
À porter ; je ne l’impute ni à lui, ni à la destinée
En outre ; il est damné ! Cet homme, je le soupçonne
Lâche, qui voudrait surcharger le pauvre diable
De ce qui provient de son propre chancelle ment…

L’Amour moderneest un poème moderne,en vérité, mais aussi très général. Cette modernité n’est ni grecque ni latine, ni anglaise, ni française ; elle est humaine en toute simplicité et en toute beauté :

C’est la saison de la suave rose sauvage
Emblème de ma Lady dans mon cœur.

[1910-01-17] Échos §

Paris-Journal, 17 janvier 1910.
[OP2 1266-1267]

« L’État c’est moi » en Belgique §

[OP2 1266]

On assure que le nouveau roi des Belges est très orgueilleux de la littérature actuelle de son pays.

Toutefois, la création d’une Académie belge ne lui sourit guère. À quelqu’un qui trouvait qu’une compagnie formée d’une quarantaine d’écrivains comme Maeterlinck, Verhaeren, Albert Mockel, Camille Lemonnier, Edmond Picard, etc., aurait l’estime du monde entier, il répondit : « Pour fonder une Académie, il faut qu’un Richelieu gouverne et que règne un Louis XIII. Or, je n’ai pas besoin d’un Richelieu. »

Épigramme §

[OP2 1266]

Le jeu des épigrammes continue.

Celle-ci vise un auteur dramatique, romancier, occultiste, qui, l’an dernier, à propos d’un roman maritime, fut convaincu de plagiat. Depuis lors, il fait des efforts infructueux pour reconquérir la place qu’il tenait à Paris et qu’il a perdue :

Au Rhône Jules B*** n’a jamais ressemblé
Puisque le Rhône coule et que B*** est coulé.

Mais l’auteur en question est si persévérant qu’il finira bien par revenir sur l’eau, et puis, à Paris, on oublie si vite.

L’art de dire §

[OP2 1266-1267]

On dit beaucoup de vers dans les salons parisiens. C’est la mode. D’abord, on les disait adossé à un piano ou à une cheminée, sans bouger de place, les bras immobiles.

Cette année, le poète doit évoluer sur une superficie de quelques mètres carrés, il doit se baisser, se retourner brusquement, se taire soudain et crier tout à coup. Il est absolument nécessaire qu’il tienne dans sa main droite une canne, qui doit tomber vers la fin du poème, invitant ainsi les admiratrices du poète à se précipiter pour ramasser le bâton orphique.

M. Maurice Rostand va plus loin : il laisse d’abord tomber un gant, la canne ne vient qu’ensuite. Un de ces jours, il jettera le mouchoir.

[1910-01-19] Échos

Fénelon internationaliste §

Paris-Journal, 19 janvier 1910.
[OP2 1267]

M. Jules Lemaître va bientôt parler de Télémaque et des coupables Maximes des saints, devant le plus élégant et le plus nationaliste des parterres.

Le spirituel académicien osera-t-il faire allusion à la fameuse maxime politique du Cygne de Cambrai :

« J’aime mieux ma famille que moi-même, j’aime mieux ma patrie que ma famille ; mais j’aime encore mieux le genre humain que ma patrie. »

Osera-t-il ?

[1910-01-20] Les Expositions de peinture §

Paris-Journal, 20 janvier 1910, p. 000.
[OP2 126-127]

Exposition Cézanne (Galerie Bernheim) §

Parmi les maîtres de la peinture du xixe siècle, Paul Cézanne compte pour l’un des plus grands.

La plupart des jeunes peintres vouent à son œuvre une prédilection marquée. C’est que Cézanne, comme tous les artistes de génie, a su rester jusqu’à la fin de sa vie admirablement jeune. Il a su aussi marquer ses compositions d’une grandeur et d’une personnalité extraordinaires. Personne ne l’a jamais dépassé dans l’art de la composition.

Les tableaux qui forment cette exposition permettent au visiteur de se faire une idée d’ensemble de l’œuvre du maître aixois. À vrai dire, presque tout cela était connu. Mais tout cela méritait d’être revu à nouveau, étudié, médité.

Voyez les admirables et nombreuses études d’après Mme Cézanne. Les étoffes des [ouvriers] qui jouent en fumant la pipe, dans les Joueurs de cartes, rappellent les draperies de Giotto. Les Baigneuses admirables opposent un argument péremptoire aux critiques qui naguère crépitaient sur tous les tons : Cézanne n’a pas su peindre le nu  !

Les arbres des paysages délicats ont une vie quasi humaine.

La vérité apparaît partout dans l’œuvre de Cézanne ; elle ennoblit l’aquarelle la plus hâtive, l’esquisse la plus rapide.

Avec des dons uniques, et une science admirable, Cézanne sut s’abandonner à toute l’audace qui l’animait. Sa témérité effraie parfois, elle est surtout le témoignage de ses efforts, de ses doutes et de ses douleurs. Personne ne fait songer à Pascal comme Cézanne. Les dons littéraires du premier étaient du même ordre que les dons plastiques du second. Ce qu’ils ont exprimé tous deux a cette même grandeur « qui dépasse parfois l’entendement ».

Exposition Charles Lacoste (Galerie Blot) §

Charles Lacoste expose un petit nombre de toiles très délicates et très précises.

Avec un rare souci de la grâce, il pousse parfois très loin la minutie. Toutefois, il ne va jamais jusqu’à la mièvrerie.

Les études qu’il a rapportées du département du Doubs sont pleines de charme. M. Lacoste est avant tout un peintre du printemps. La Rivière entre les prairies, les Nuages dans l’eau, Le Doubs près de Besançon sont des morceaux où la poésie du sujet traité s’augmente de toute la tendresse romantique d’un peintre heureux et passionnément nonchalant.

M. Charles Lacoste est moins fait pour peindre des natures mortes et des paysages de villes que pour interpréter le cours sinueux des rivières françaises qui arrosent des bords fleuris, tandis qu’au loin s’étagent, sur des collines, les vergers et les jardins en désordre.

[1910-01-20] Échos

Son oncle §

Paris-Journal, 20 janvier 1910.
[OP2 1267-1268]

Le professeur Otéro, oncle de la Belle Otéro et maître de danse et de maintien à Séville, a décidé de venir visiter Paris, pour se mettre au courant des nouvelles manières en usage dans la société.

Puisse-t-il ne pas s’en retourner tout marri à Séville !

[1910-01-21] Échos

Bonne mémoire §

Paris-Journal, 21 janvier 1910.
[OP2 1267]

On raconte que le savant Lipse savait tout Tacite par cœur. Il se faisait fort de réciter n’importe quel passage de l’historien latin et acceptait qu’on le poignardât s’il se trompait d’un mot.

Eh bien ! il se trouve à Paris un éditeur, M. Alphonse Lemerre, qui pourrait réciter tous les vers d’un poète qu’il édite, M. Jean Aicard.

Celui-ci, qui fait maintenant partie de l’Académie, écrit encore des vers, mais la mémoire de l’éditeur baisse ; il a mis quatorze jours pour apprendre le dernier sonnet de l’académicien.

Un jour par vers ! Aussi le poète a-t-il cru charitable de diminuer sa production.

[1910-01-22] Échos §

Paris-Journal, 22 janvier 1910.
[OP2 1268]

Néologisme §

[OP2 1268]

M. Nyrop, professeur à l’université de Copenhague, connaît bien le français. Il nous renseigne sur l’âge de quelques mots récents et maintenant couramment employés. Ainsi, « féministe » a été créé par Alexandre Dumas fils en 1872 ; « microbe » a été lancé par le docteur Sédillot en 1878 ; « altruisme » est d’Auguste Comte ; « démodé » fut employé pour la première fois, par M. de Kératry le 17 avril 1828.

« Progresser » était nouveau en 1834 et Stendhal s’en moquait : « Le siècle progresse ! Quel joli mot qui rime avec graisse. »

Un nouveau romancier §

[OP2 1268]

M. Émile Faguet écrit un roman. C’est la première fois. Le titre et le sujet ont été tenus jusqu’à présent soigneusement cachés.

Toutefois, une indiscrétion nous permet d’affirmer qu’il s’agit d’un roman moderne se passant tantôt à Paris, tantôt en Italie.

La Revue des Deux Mondes s’est assuré la primeur de cet ouvrage inattendu de l’académicien.

[1910-01-23] Échos §

Paris-Journal, 23 janvier 1910.
[OP2 1269-1270]

Les mandarines §

[OP2 1269]

Depuis qu’elle situe au Japon les scènes de ses romans, Mme Myriam Harry n’orne plus ses chapeaux que de mandarines. Certes, ce ne sont pas là des fruits particulièrement japonais ; mais autrefois on les appelait : « oranges de la Chine » et le mot même de mandarine a une couleur chinoise.

Aussi bien, par reconnaissance envers l’Afrique qui lui a déjà fourni un grand nombre de récits savoureux, Mme Myriam Harry porte une robe faite avec des chemises de jeunes mariées kabyles, des chemises ayant servi pendant la nuit de noces.

Dans l’intimité, la romancière raconte d’étonnantes histoires de chameliers dans le désert, histoires à faire rougir les chemises de petite fiancée kabyle, à faire blêmir les mandarines.

Les sourciers §

[OP2 1269]

Sait-on qu’il y a encore en Europe et même en France un grand nombre de gens qui ont la faculté singulière de découvrir les sources au moyen de la baguette divinatoire. En Allemagne surtout, on voit souvent des hommes au regard inquiétant, armés du coudrier classique, rôder autour des forêts, dans l’espoir de trouver une source dont l’eau servira à fabriquer d’excellente bière. Les brasseurs payeraient des sommes fabuleuses pour connaître une eau analogue à celle qui sert à brasser la bière de Pilsen, mais, jusqu’à présent les recherches sont demeurées infructueuses.

Nous avons dans Paris un sourcier véritable, c’est le peintre norvégien Diriks. Il faut l’entendre parler des émotions qu’éprouve l’être privilégié lorsqu’il reconnaît une source grâce aux vibrations de la baguette.

Un bal d’enfants à Schönbrunn §

[OP2 1269-1270]

Le 2 février, pendant le carnaval, aura lieu à Schönbrunn un événement qui fait babiller tous les petits garçons et toutes les petites filles de Vienne.

L’empereur François-Joseph donnera dans le château de l’Aiglon un bal de cour en miniature aux enfants de la famille impériale. La maison de Habsbourg-Lorraine est riche d’enfants et il n’y aura pas moins de cinquante-deux couples à ce bal, où toutes les règles de l’étiquette seront scrupuleusement observées. À la même occasion, un thé sera offert et de petites archiduchesses feront les honneurs des différentes tables.

La « première dame de la Cour » sera la mignonne archiduchesse Ella, petite-fille de l’empereur.

Et ceux des invités qui ne se montreront pas parfaits courtisans seront impitoyablement fouettés…

On entendit un vague son §

[OP2 1270]

Dans un salon, maintenant fermé pour toujours, que fréquentaient beaucoup d’écrivains, parmi lesquels quelques académiciens, l’un d’eux, poète illustre, fit une fois un bruit fort indiscret… Aussitôt, il tenta de donner le change à la compagnie qui l’entourait et se mit à remuer une chaise. Mais la maîtresse de maison qu’agaçait cette rumeur, se pencha en souriant vers le poète et lui dit : « Non, monsieur, vous ne trouverez pas la rime. »

L’inondation §

[OP2 1270]

Bribe de conversation saisie au vol :

« La Seine a envahi les caves de l’Institut.

— Les Académiciens en sont à la lettre O. »

Hélas !

[1910-01-24] Les livres §

Paris-Journal, 24 janvier 1910, p. 000.
[OP2 1165-1166]

Daniel Halévy : La Vie de Frédéric Nietzsche, Calmann-Lévy §

Les œuvres de Nietzsche sont devenues presque populaires en France. Elles ont une influence considérable sur les jeunes écrivains, sur les peintres. Toutefois, le Zarathoustran’a pas encore pénétré dans la demeure des ouvriers de chez nous. Je me souviens d’en avoir vu des exemplaires dans les bibliothèques des plus petites gens, à Berlin, à Munich et à Cologne. Zarathoustravoisinait avec les œuvres poétiques de Goethe, de Schiller et le Meyers Conversation Lexicon

Nous ne connaissions jusqu’à présent que peu de choses sur la vie de Nietzsche, et le livre de M. Daniel Halévy répond à de légitimes curiosités. La vie de Nietzsche fut simple : M. Daniel Halévy l’a racontée simplement.

L’histoire de la liaison et de la brouille avec Wagner en constitue un épisode principal. Après avoir été l’ami vénéré, Wagner devient soudain « le faux apôtre de Parsifal, l’illusionniste qui a séduit son temps ». Et pourtant Nietzsche nourrissait encore pour Wagner une dilection secrète.

L’amour est voisin de la haine. Vers la fin de sa vie, quand la folie était là, suivant une version difficile à vérifier, Nietzsche aurait souvent joué à ses hôtes des fragments de Wagner. Il leur disait : « Je l’ai connu. »

Les dernières années furent désolées. « Je suis Ferdinand de Lesseps, écrivait-il… J’ai été enseveli deux fois cet automne. » Et il signait ses lettres le crucifié.N’est-ce pas navrant ?

« L’intelligence détruite ne peut être sauvée », raconte M. Daniel Halévy, « mais l’âme inaltérée demeura douce et charmante, accessible aux impressions pures. Certain jour (un jeune homme qui s’occupait de la révision de ses manuscrits l’accompagnait en ses courtes promenades), Nietzsche aperçut au bord de la route une petite fille qui le charma. Il voulut approcher, il s’arrêta près d’elle, il releva d’une main les cheveux abaissés sur le front de l’enfant et, considérant avec un sourire ce candide visage :

« “N’est-ce pas l’image de l’innocence ?” dit-il. »

Nietzsche était né le 15 octobre 1844, il mourut le 25 août 1900. Il paraît que son influence décroît en Allemagne… Il aima toujours l’art, les écrivains et les choses de la France : Goethe les aima aussi.

[1910-01-24] Échos §

Paris-Journal, 24 janvier 1910.
[OP2 1270-1272]

Un faux Vélasquez §

[OP2 1270-1271]

On vient de découvrir, à Londres, un faux Vélasquez. La National Gallery a jadis acquis ce tableau au prix de 1 125 000 francs.

L’inauthenticité de la toile en question fut d’abord signalée par l’amateur d’art William Richmont, qui remarqua que le peintre avait employé du bleu de Prusse, couleur qui n’est connue que depuis cent cinquante ans. On avait chargé le chimiste Chuch de vérifier le fait ; les expériences chimiques ont confirmé les dires de M. Richmont.

Voilà un faux Vélasquez plus cher encore que la tiare de Saïtaphernès.

La statue d’Agrippine §

[OP2 1271]

La ville de Cologne — Colonia Agrippina — a décidé d’élever une statue à l’impératrice romaine de qui elle tient son nom et que, pour cette raison, elle considère comme sa fondatrice.

La statue d’Agrippine s’élèvera au centre de la vasque d’une fontaine, sur l’emplacement de l’ancienne porte romaine de la ville.

Les Colonais ont d’ailleurs gardé une sorte de dévotion à la cruelle mère de Néron et beaucoup de filles de Cologne portent le nom d’Agrippine.

Quand verrons-nous s’élever à Paris la statue de Julien l’Apostat, qui aimait tant Lutèce ?

Le pôle Nord et la réclame §

[OP2 1271-1272]

Le pôle Nord se paie. Il a rapporté près de 200 000 dollars au docteur Cook, qui ne l’a pas découvert, et plus de deux millions à Peary. Celui-ci n’écrit pas une ligne sur son expédition, dans les journaux et les magazines, à moins d’1 dollar 25 cents le mot, soit 25 cents de plus que le prix auquel est accoutumé le président Roosevelt.

Peary trouve également de grands bénéfices en permettant aux fabricants d’user de son nom pour vanter leurs produits. Ainsi, les journaux américains nous apprennent que c’est uniquement à tel biscuit que l’explorateur dut de ne pas mourir de faim. Ailleurs on peut lire que c’est la montre Waltham qui marque l’heure au Pôle. Si Peary n’avait pas porté des vêtements de la New Brunswick Hosiery Company, il serait mort de froid. C’est avec la poudre Dupont qu’il tuait les ours blancs ; c’est dans des casseroles en aluminium Wear Ever qu’il les faisait cuire, etc.

Le pôle Nord fait marcher le commerce. Aux États-Unis, on espère qu’un Américain découvrira aussi le pôle Sud… pour l’honneur de la publicité.

[1910-01-25] Échos §

Paris-Journal, 25 janvier 1910.
[OP2 1272]

M. Bourget et le Kaiser §

[OP2 1272]

L’empereur d’Allemagne ne connaissait pas encore les ouvrages de M. Paul Bourget. Il se les est fait expédier de Paris et les a lus consciencieusement, et savez-vous ce qu’il en a dit :

« C’est très immoral. »

Le kaiser n’a pas trouvé autre chose.

Documentation §

[OP2 1272]

Mme Marie Corelli, la romancière anglaise qui écrit les ouvrages les plus fantastiques et les plus sentimentaux que l’on connaisse, va se rendre en Égypte, pour y vivre au pied des Pyramides. Elle veut documenter un roman qui se passera tantôt dans les égouts de Londres et tantôt dans la tombe de Chéops.

[1910-01-26] Les livres §

Paris-Journal, 26 janvier 1910, p. 000.
[OP2 1166]

Max et Alex Fischer : La Correspondance amoureuse, Flammarion §

Par un phénomène bien naturel de daltonisme, Alfred de Musset en écrivant ses fameuses lettres à Aimée d’Alton voyait la vie tantôt en rose, tantôt en noir. Les frères Fischer ne voient la vie qu’en rose… Leur Correspondance amoureuseprêterait à bien des interprétations… innocentes. Si l’on en croit les biographes, ils vivaient au temps de Paul de Kock dont ils ont la verve et l’ingénuité.

Il est vrai qu’en province Paul de Kock a fort mauvaise réputation, les frères Fischer aussi.

[1910-01-26] Échos

L’expérience §

Paris-Journal, 26 janvier 1910.
[OP2 1272]

Vendredi dernier, un habitant de la rue Félicien-David déménageait. L’eau avait envahi sa cave. Son voisin se moquait de lui.

« L’eau ne viendra pas chez vous, disait-il. Je suis né au bord de la Loire, je m’y connais en inondations. »

[1910-01-27] Échos §

Paris-Journal, 27 janvier 1910.
[OP2 1273-1274]

Rappel à l’ordre §

[OP2 1273]

Quelqu’un disait avant-hier, devant le président de la République :

«  Je viens de parcourir les quais de la Seine. Le spectacle est admirable. »

M. Fallières répondit brusquement :

« Le désordre n’est jamais beau. »

La Seine à faire §

[OP2 1273]

L’inondation exalte les gens de lettres. Jean Moréas s’est hier longuement accoudé sur le parapet du pont Notre-Dame ; André Gide, l’un des rares habitants d’Auteuil à l’abri des eaux, souriait malicieusement en regardant l’eau envahir le majestueux vestibule de la demeure du poète Vielé-Griffin, quai de Passy.

Maurice Barrès va rêver devant la rue Félicien-David : de l’eau, de la volupté et de la mort ! On sait que les spectacles de dévastation éveillent son lyrisme comme ils facilitaient celui de Chateaubriand, ainsi que l’a éloquemment démontré Charles Maurras.

Au fait, l’illustre théoricien du néo-monarchisme goûte modérément les joies de l’inondation ; assis dans un canot de sauvetage, on put le voir descendre tristement la rue de Verneuil, prêtant une oreille vainement attentive aux recommandations de son rameur :

« Penchez donc pas à gauche, bon sang ! »

Rue de Verneuil, c’est l’inondation intégrale.

Quant à Jean Richepin, il parcourt les quais, il regarde longuement les rues inondées. De temps en temps, il s’arrête, tire son calepin et d’un stylographe agile écrit quelques mots.

L’auteur de La Chanson des gueux prépare un poème sur l’inondation. Les vers couleront de source.

Mistral en Allemagne §

[OP2 1274]

On sait en quelle estime les philologues romanisants d’Allemagne tiennent Mistral.

Le bruit court qu’un comité se formerait à Bonn pour organiser, sur les bords du Rhin, des fêtes en l’honneur du grand poète provençal.

Rien n’est officiel cependant. Il y a des difficultés. Les savants de la vieille université ne sont pas d’accord sur les termes à employer dans l’invitation que l’on enverra à Mistral.

Mais l’auteur de Mireille acceptera-t-il ?

La crue et la cuite §

[OP2 1274]

Hier soir, un homme titubant se présente au barrage de la rue Gros, à Auteuil, et, apercevant l’eau qui monte, il s’écrie :

« La crue !

— Plutôt la cuite », répliqua un agent en le repoussant vivement.

[1910-01-28] Les livres §

Paris-Journal, 28 janvier 1910, p. 000.
[OP2 1166-1167]

Frimousses, par Alfred Machard, Falque, éditeur §

Cette très mince plaquette de vers est le premier ouvrage de M. Alfred Machard. Poète, il est le grand frère des plus petits de la Cité tragique. Fillettes des riches couvents, gosselines marchandes de salade, apprentis insurgés et gamins gouailleurs sont ses familiers.

On songe un peu à Francis Jammes, à Coppée, parfois, beaucoup à Banville, sans que la personnalité, très réelle, du poète, soit diminuée. Il est moderne, et ses gosses ont posé tour à tour, pour Steinlen, pour Willette et pour Poulbot encore que l’espièglerie cède le plus souvent le pas à la tendresse la plus ingénue :

Avec leurs yeux profonds ouverts sur l’infini,
Ces cadavres promis à la fosse commune,
Ont la pâleur des lys flétris, au clair de lune…

M. Vincent Muselli, en une préface rimée, héroïque et spirituelle, présente l’auteur et lui bâtit un théâtre :

Accompagnant la ritournelle
Le grand soleil quotidien
Danse comme un polichinelle,
Sur l’horizon. — Comédien !

Lice chansonnière, 79e année, à la Société §

Le soixante-dix-neuvième volume de ce recueil annuel de chansons vient de paraître. On y trouve des couplets de Théodore Botrel, Maurice Boukay, Ernest Chebroux, Marcel Legay, Victor Meusy, Edmond Teulet.

Les plus belles chansons du monde sont les chansons françaises, et il faut plaindre ceux qu’elles ne charment pas.

Goethe estimait infiniment les chansons de Béranger et Jean Moréas déclame celles de Pierre Dupont.

À la fin du volume on trouvera une courte biographie du chansonnier Étienne Ducret, qui mourut le 8 décembre 1909. Outre huit cents chansons, il avait écrit « quatre cents volumes divers, vingt drames, vaudevilles, tragédies, etc. ». Personne ne s’en doutait.

[1910-01-28] Échos §

Paris-Journal, 28 janvier 1910.
[OP2 1274-1275]

La colombe §

[OP2 1274]

Rue Théophile-Gautier habite une poétesse russe, qui n’a d’autre compagnie que deux poules naines et une colombe apprivoisée.

La poétesse a déménagé hier matin avec ses oiseaux ; par une touchante pensée poétique, elle avait mis au bec de la colombe un brin de verdure.

Ce n’était pas le rameau d’olivier, mais cela y ressemblait.

Espérons…

En barque §

[OP2 1275]

Avenue Montaigne on a organisé des promenades de plaisance en barque. Pour deux sous, on passe au pied des hôtels les plus cossus et des photographes prennent de vous un portrait d’inondé pour la somme de 30 centimes.

[1910-01-29] Les livres §

[OP2 1167-1168]

Essai sur le xxe siècle, par M. Robert Guillou, A. Poléon et ses fils §

Paris-Journal, 29 janvier 1910, p. 000.

Les essais que M. Robert Guillou a tenté d’écrire sur le xxe siècle sont au moins prématurés. Une simple plaquette aurait suffi à l’auteur pour dire ce qu’il prétend connaître de son époque. Il publie un copieux in-18 de 294 pages où il a fait entrer avant tout ses réminiscences de collège. On peut dire de M. Guillou qu’il est à Brunetière ce que la demoiselle de Gournay était à Montaigne, une ombre.

M. Guillou subordonne l’art à la sociologie, à la statistique, à l’histoire, etc. Il est de mode, aujourd’hui, de faire partout le procès de la beauté et l’hypocrisie attente tous les jours à la liberté des artistes… Il est bien malheureux que M. Guillou, avec les idées les plus malsaines, soit aussi fondé en humanisme ; d’Hippocrate à Sénèque, de Jacques de Voragine à Pierre Decourcelle, il cite, il cite…

[1910-01-29] Échos

Le thé poétique de la duchesse §

Paris-Journal, 29 janvier 1910.
[OP2 1275-1276]
Dans le salon de la duchesse
Nous étions quatre-vingts rimeurs…

On récita peu de vers, en somme. On parla beaucoup de Verlaine… On se disait à l’oreille que d’autres poètes morts avaient été invités, parmi lesquels Albert Samain et Charles Guérin.

Au buffet, on se plaignait de la férocité des journaux… les vieux poètes déploraient le manque d’alcool, mais les jeunes gens buvaient du thé avec des mines de petite maîtresse… Les poètes ont renoncé au vin et à l’eau-de-vie. Ceux qui sont riches prennent du thé ou de l’eau minérale ; les pauvres préfèrent le bouillon gras…

Dans les salons, on comparait la duchesse à Louis XIV, protecteur des lettres. On voyait peu de jeunes filles, mais un grand nombre de vieilles dames en robe collante étaient venues. Beaucoup de militaires en civil récitaient d’une voix contenue des vers à la Francis Jammes. Un jeune prêtre commentait ce lyrisme du ton de Jean Moréas quand il déclame ses épigrammes.

M. Schuré — qui avait perdu son lorgnon — discutait violemment avec un jeune homme à propos de l’article que M. Meyerson a publié contre Nietzsche dans Paris-Journal

Deux jeunes poètes parlent ensemble :

« Vous n’êtes pas soigneux de vos vêtements. Qu’est-ce que c’est que cette grosseur à la place de la poche intérieure de votre jaquette ?

— Mon dictionnaire de rimes. Il ne me quitte jamais.

— Vous retardez… Moi, je travaille avec l’abbé Rousselot. Je ne compose que devant un phonographe enregistreur. »

Le métier de poète devient cher. On emploie maintenant des instruments de précision et des machines compliquées.

On se montre la dame qui a envoyé les lettres à Verlaine, à Samain, à Guérin… Car, vous savez, c’est une mauvaise plaisanterie que l’on a faite à la duchesse… Toutefois, il n’est pas certain que l’auteur de cette farce d’un goût douteux ait eu le front de venir.

Dans le salon de la duchesse
Nous étions quatre-vingts rimeurs…

[1910-01-30] Aristogitones §

Paris-Journal, 30 janvier 1910, p. 000.
[OP3 413]

Les rédacteurs titrés d’une revue qui n’avait d’académique que son nom, Akadmos, et qui a fait paraître récemment son dernier numéro, se sont réunis dans un café de la Cité. Ils ont décidé de témoigner leur sympathie au directeur en lui offrant son buste… Ils hésitent encore, ne sachant s’ils doivent le faire représenter en Antinoüs ou en Néron.

Ils auraient bien voulu qu’on le portraiturât sous les traits de Socrate… mais Socrate était trop laid. Et puis, quels sont les attraits socratiques ?… La ciguë… cela ressemble trop au persil.

Aristogitones !

[1910-01-30] Le vieux Polonais §

Paris-Journal, 30 janvier 1910, p. 000.
[OP3 414]

Vendredi, à la gare Saint-Lazare, c’était le jour des émigrants. Ils étaient là en foule, venus de Pologne, avec leurs sacs, pleins de hardes et vêtus de couleurs voyantes.

Ils durent s’en aller vers la gare du Nord. Sans doute les a-t-on expédiés à Anvers prendre le paquebot allemand pour l’Amérique.

L’un d’eux, un vieux juif à la barbe de prophète, constatant l’atmosphère de terreur qui révolutionnait Paris et l’angoisse peinte sur tous les visages, s’écria :

« Il y a donc aussi des pogromes à Paris ! »

[1910-01-30] Les gnomes de la Seine §

Paris-Journal, 30 janvier 1910, p. 000.
[OP3 413-414]

Depuis une semaine, aux abords de tous les ponts de Paris, ce ne sont que bossus, nains, pieds-bots, personnages contrefaits.

Près du pont Royal, un cul-de-jatte semble méditer, il ne demande pas l’aumône.

De temps en temps, il interroge les passants : « L’eau monte-t-elle encore ? » Et il retombe dans ses pensées.

Sans doute, comme le Rhin, la Seine a-t-elle maintenant ses gnomes. Autrefois, elle n’avait que des nymphes…

Bons gnomes de la Seine, si, comme les nains rhénans, vous gardez de l’or, donnez-le pour payer les dommages que votre fleuve a causés.

[1910-01-31] Échos

Rudyard Kipling et « Chantecler » §

Paris-Journal, 31 janvier 1910.
[OP2 1276]

L’auteur du Livre de la jungle pensait que M. Rostand l’inviterait à la première de Chantecler. Il n’en a rien été et Kipling a dit avec malice : « M. Rostand craint que mes animaux sauvages ne massacrent la volaille de sa basse-cour. »

[1910-02-01] La popularité §

Paris-Journal, 1er février 1910, p. 000.
[OP3 414-415]

M. de Bülow reviendrait-il sur l’eau ? En tout cas, depuis son départ, la popularité de l’ex-chancelier de l’Empire semble avoir grandi…

Certains journaux allemands publient une réclame dont voici la traduction :

Nouveauté !

          Harengs « Comte de Bûlow »

                                     Nouveauté !

Avec l’assentiment de Son Excellence

l’ancien chancelier de l’Empire

la vingtaine, 48 pfennigs

Voilà de la popularité ! Jusqu’à présent, les Allemands n’avaient que les Bismarck-Hæringe ; ils ont maintenant les Graf Bülow-Hæringe. Il est vrai que ceux-ci coûtent moins cher que ceux-là.

C’est que Bismarck valait plus que M. de Bülow.

[1910-02-01] Échos §

Paris-Journal, 1er février 1910.
[OP2 1276-1277]

Il y a Brandès et Brandès §

[OP2 1276]

Il y a quelques années, on donnait à Paris un banquet en l’honneur de Georg Brandès dont Paris-Journal publiera prochainement un article. Le grand critique danois dut prononcer un discours et il commença par cette affirmation pleine de malice et de modestie : « Je suis surtout connu à Paris sous le nom de Marthe Brandès… »

« La crue !… » §

[OP2 1276-1277]

Après ; « La barbe !… », après : « La ferme !… », on dit maintenant : « La crue ! ». Après nous avoir barbés, la Seine pourrait fermer… la crue ! Un auteur vous rase-t-il avec un roman ennuyeux, vous vous vengez par ce mot cruel : « La crue ! »

Une jeune pianiste vous submerge-t-elle du matin au soir dans les ondes de son harmonie : « La crue ! la crue ! la crue !… »

[1910-02-02] Les livres §

Paris-Journal, 2 février 1910, p. 000.
[OP2 1168-1169]

M. Armand Le Gay vient de publier chez Hachette une traduction de La Dame en bleu,de William Le Queux. Cet auteur, qui fut naguère témoin dans un mariage célèbre, est au courant des intrigues de toutes les cours d’Europe. Cela se sent dans ses récits.

Il est difficile d’écrire sur la réforme de l’orthographe sans se mettre à dos les réformistes, phonétistes ou non, et les partisans de l’orthographe actuelle. Le livre de M. Jean d’Albrey, L’Orthographe et l’Étymologie(Sansot et Cie), n’échappe pas aux critiques violentes. On y trouve, à mon sens, des idées très raisonnables… M. d’Albrey demande qu’on réduise les changements orthographiques au minimum et que la nouvelle orthographe reste facultative… En effet, l’orthographe, l’étymologie, le phonétisme n’ont aucune importance. La langue parlée doit passer avant la langue écrite. Ce n’est pas l’yqui donne de la grâce aux nymphes.

Les essais que M. Georges Grappe a intitulé : Dans le jardin de Sainte-Beuve(P.-V. Stock), sont écrits dans une langue excellente. Ils ont été honorés d’un prix et je pense que rarement récompense fut mieux méritée. Au jardin dont il parle, M. Georges Grappe n’a cueilli que de belles fleurs et les plus odorantes.

Quelle volupté ce dut être pour l’essayiste d’imaginer une conversation posthume avec l’auteur des Lundiset de recueillir son jugement sur les lettres contemporaines :

« Je viens de lire les œuvres les moins ignorées de ces dix dernières années — poèmes ou proses. Je me suis efforcé à dégager les aspirations communes, cet idéal qui marque pour la vie et quelquefois pour l’immortalité, toute une génération littéraire. Je n’ai trouvé qu’incohérence, métier précoce et laissés pour compte de vos aînés, réajustés à votre taille. Les meilleurs mêmes, les mieux doués d’entre vous, qu’ont-ils rapporté, je ne dis pas de nouveau — voici longtemps que l’humanité ne fait plus que du vieux neuf — mais de rénové ! »

Ce fantôme est féroce. M. Grappe, qui le vit en songe, avait le cauchemar…

Éveillé, il se fatigue en admirant Hugo : « Le jour n’est pas loin où, au lieu de lui consacrer une bibliothèque spéciale, nécessitée par les cent volumes de son œuvre, nous réclamerons à quelqu’un de nos maîtres spirituels, de nous composer une anthologie des chefs-d’œuvre éternels, perdus dans l’amas et le fouillis de ses poèmes, de ses romans, de ses drames. »

À propos de George Sand, il hasarde cette réflexion :

« La littérature française compte à peine quelques noms de femme… ».

M. Georges Grappe conclut son essai sur Mérimée en disant qu’il était peut-être « un génie qui n’osa pas… disons mieux, qui ne daigna pas. Pour cette raison, la postérité n’aimera en lui qu’un talent de premier ordre. »

De combien de contemporains de Mérimée la postérité en dira-t-elle autant ?

[1910-02-03] Les livres §

Paris-Journal, 3 février 1910, p. 000.
[OP2 1169-1171]

Né à Copenhague en 1842, Georg Brandès n’avait pas encore terminé ses études qu’il se signalait à l’attention des lettrés par une Dissertation sur la tragédie antique.Ses voyages d’étude à travers l’Europe eurent pour résultat de soustraire son esprit à l’influence de la philosophie allemande. Stuart Mill, Taine et Renan lui apprirent non seulement à penser fortement, mais encore à écrire avec élégance et avec précision. On a dit de Nietzsche qu’il avait créé la prose allemande. Georg Brandès a rendu le même service à la prose danoise. Il lui a donné une beauté, une harmonie inconnue avant lui.

Son œuvre principale, celle qui lui confère une notoriété européenne, est ce chef-d’œuvre de critique littéraire comparée qui s’intitule : Les Courants directeurs de la littérature du xixe siècle,ouvrage considérable dont les six volumes n’ont pas encore été traduits en français. Nous n’avons qu’une version du cinquième volume : L’École romantique en France,due à M. A. Topin (Berlin, Barsdoff, Paris, Michalon). On nous promet pour bientôt la traduction complète de l’ouvrage.

« Mon ambition, dit Georg Brandès, est de donner par l’étude de certains groupes et de certains mouvements dominateurs de la littérature européenne, l’esquisse d’une psychologie des premières années du xixe siècle. »

Cette critique psychologique a l’avantage de mettre en valeur les idées maîtresses qui ont dirigé les hommes pendant la première moitié du siècle écoulé comme les feux tournants des phares guident les navigateurs.

L’étude approfondie de ces idées a amené Brandès à admirer profondément la littérature française, qu’il a contribué à faire connaître à l’étranger.

N’isolant jamais un écrivain de son époque, Brandès cherche à établir la marche en avant au xixe siècle de l’esprit européen libéré par les encyclopédistes.

Dans le premier volume de son ouvrage, le critique danois montre au lendemain de la Révolution les émigrants français faisant pénétrer en Europe les idées de Rousseau. Chateaubriand, Sénancour, Mme de Staël sont les noms des principaux voyageurs qui tentent de détruire en Allemagne, en Angleterre, l’influence de l’Encyclopédie.

Dans le deuxième volume, la réaction se généralise et les romantiques catholiques allemands comme Kleist, Hoffmann, Novalis accentuent parfois cette tendance jusqu’au mysticisme.

Au troisième volume, Brandès situe ces réactionnaires français qui, ainsi que Bonald et de Maistre, tentèrent de redonner à la société une forte hiérarchie, les grands romantiques : Lamartine, Hugo et Vigny.

Le quatrième volume est consacré au « naturalisme anglais », mouvement opposé aux précédents et qui produit les lakistes, Walter Scott, Moore, Byron et Shelley.

L’Ecole romantique en Francegroupe assez arbitrairement Hugo, Musset, George Sand, Balzac, Stendhal, Mérimée, Théophile Gautier, Sainte-Beuve, etc. Lamartine est exclu d’une école où l’on est étonné de trouver Stendhal et Mérimée. Toutefois, cette évocation rapide des romantiques français en qui Brandès voit des artisans de liberté, ne va pas sans grandeur…

Ce livre, dit M. Basch, « est le seul tableau d’ensemble que nous ayons du romantisme français ».

Enfin, le sixième volume exalte la jeune Allemagne, imbue des libres idées du romantisme de France. Faut-il avec M. Brandès voir l’Allemagne pendant la seconde moitié du xixe siècle reprendre pour l’achever l’œuvre des encyclopédistes ? Cette conclusion des Grands Courants littéraires du xixe siècle avait, il y a quarante ans, il y a peut-être même vingt ans, des chances pour être admise en France. Mais nous ne pouvons plus penser ainsi. Depuis ce temps, de nouveaux courants littéraires nés en France ont modifié les idées générales de l’Europe, qui, bientôt peut-être, changeront de direction sous l’influence de courants venus d’Amérique ou d’Asie…

Un des titres de Georg Brandès à la notoriété universelle, c’est d’avoir fait connaître Nietzsche. Le critique danois a révélé à l’Allemagne son grand écrivain moderne et le courant littéraire dont Nietzsche fait partie est sorti de France.

[1910-02-03] Échos §

Paris-Journal, 3 février 1910.
[OP2 1277]

Un journal lapon §

[OP2 1277]

Sait-on qu’il existe un journal rédigé en langue lapone ? Cette feuille, fondée en 1901, porte le nom de Nourlanaste (« Étoile orientale »).

Le journal lapon est hebdomadaire et paraît à Sigerfjord, dans l’extrême nord de la Norvège, sur quatre pages, du format de nos romans in-18.

Il contient de petits articles religieux et des faits divers. On n’y trouve pas d’annonces.

Comme la « jambe en bois » §

[OP2 1277]

Un millionnaire de Saint Paul vient de se marier. La vaisselle et les couverts du repas de noce étaient de bois… comme la jambe de la chanson.

Quand le festin fut terminé, on jeta dans le Mississipi toute la desserte, et les riverains jusqu’à l’embouchure ont pu recueillir des assiettes, des fourchettes et des cuillers sur lesquelles on avait gravé au feu la date du mariage et les noms des conjoints.

Le nombre des assiettes ainsi jetées au fleuve s’élevait à quatre mille.

[1910-02-04] Échos

Auguste Rodin sauve des eaux son Whistler §

Paris-Journal, 4 février 1910.
[OP2 1277-1278]

Le maître Rodin craignait que l’inondation ne causât quelque dommage à ses œuvres du Dépôt des marbres. Il y alla aussi tôt que possible. L’eau montait encore à 80 centimètres. Elle avait renversé les marbres, mais doucement, car ils n’ont pas souffert de cette chute.

Il y a aussi là-bas la maquette du monument que Rodin consacre à Whistler. C’est un nu en plâtre sur lequel le sculpteur a jeté des draperies de terre glaise.

Le Whistler a été tiré de l’eau, mais on ne saura que dans deux ou trois jours si l’œuvre est endommagée ou non. Toutefois, Rodin pense qu’il n’y aura aucun dégât.

« L’eau a caressé mes œuvres, dit-il. Elle est arrivée chez moi comme une amie et non comme un malfaiteur. J’ai retrouvé baignant dans l’onde un de mes grands dessins que j’aime beaucoup. L’eau ne l’a gâté en rien. »

[1910-02-05] Les livres §

Paris-Journal, 5 février 1910, p. 000.
[OP2 1171-1172]

Voici les Glumes éparses,poèmes mélancoliques, que M. Marcel Prouille vient de publier aux éditions de Chloé. Le commerce et les sports sont à la mode. Chloé édite des livres, nul doute que Daphnis ne fasse de l’aviation. Cette science ou ce sport si nouveau a déjà sa littérature que viennent d’enrichir MM. Louis Gastine et Léon Perrin, par un roman intéressant : Dans l’Azur, Aventures d’un aviateur français,préface de Gabriel Voisin (édition du Monde illustré).

 

Dans Les Soutiens de l’ordre,M. Georges Le Cardonnel raille agréablement la société actuelle. C’est un livre plein d’observation, de saine malice et de bonne humeur. Ce roman qui, d’abord, ne paraît que plaisant, est en réalité très profond. M. Georges Le Cardonnel aurait pu l’intituler : Le Machiavel français, ou le Prince républicain.Le roman politique est un genre littéraire assez récent. Il a, je crois, été inventé par Gyp, et Anatole France en découvrit le style et la forme.

M. Georges Le Cardonnel, dans cette peinture de la vie provinciale, n’a ménagé ni les prêtres, ni les hobereaux, ni les socialistes, ni les radicaux. Mais, il a la main légère ; il égratigne et ne griffe pas.

Son livre est pimpant et plein d’inventions charmantes.

Pas un détail qui ne forme un tableau exactement dessiné.

Il y a là une grâce espiègle que nous retrouverons bientôt sans doute aussi jeune et aussi vive.

[1910-02-06] Échos §

Paris-Journal, 6 février 1910.
[OP2 1278-1279]

La bibliothèque sans livre §

[OP2 1278-1279]

Il s’agit de la Bibliothèque nationale, la plus importante du monde, disent les guides.

Dernièrement, un de nos amis voulut relire Noa-Noa, de Paul Gauguin et Charles Morice. On répondit qu’on n’avait pas ce livre qui parut cependant en France et qui, grâce au dépôt légal, devrait figurer sur les rayons de la Nationale.

Quelques jours après, le même lecteur voulut connaître Ariane et La Maison sur le Nil, deux petits volumes de Pierre Louÿs. Il reçut la même réponse que pour Noa-Noa.

Sur une table, des revues et quelques bulletins sont à la disposition des lecteurs, mais on ne trouve là ni le Journal officiel, ni le Bulletin des lois.

L’esprit moderne n’a pas encore soufflé rue de Richelieu, on y pense comme sous l’Empire. D’ailleurs les encriers de la salle de travail portent toujours ces initiales : B. I. (Bibliothèque impériale).

Et c’est encore à l’« Enfer » que l’on conserve La Chanson des gueux de Richepin. L’Académie lui a pardonné, cependant.

Crédit est mort §

[OP2 1279]

Un marchand de vins de la rue de Bondy a placé au-dessus de son comptoir une lithographie représentant un coq surmonté de l’inscription à l’encre : Chanteclair. Dessous, on lit les rimes connues :

Quand ce coq chantera.
Ici crédit on fera.

« Malheureux ! disait quelqu’un, l’échéance est prochaine. Irrévocablement, on jouera la pièce un de ces jours-ci.

— Vous croyez ? répondit le mastroquet ; moi, je suis tranquille, le mien est en papier. »

[1910-02-07] Les Expositions de peinture.
7e Exposition du Salon de l’école française (Grand Palais des Champs-Élysées) §

Paris-Journal, 7 février 1910, p. 000.
[OP2 127-129]

Beaucoup de talents certes, mais pas de personnalité. La plupart des peintres qui exposent au Salon de l’école française ont perdu toute sensibilité plastique. Les pires formes picturales, ils les appliquent. Ils imitent les grands mauvais peintres, et même, parfois — c’est également déplorable —, quelques véritables artistes.

Comme on est heureux de constater l’influence féconde des vrais peintres ! Comme on voudrait que leur généreux génie réchauffât l’enthousiasme et le talent de leurs élèves ! Mais l’imitation directe est toujours déplorable. Cela sent la spéculation. On imite tel peintre parce que son genre plaît au public, parce que cela se vend…

Hélas !… Et pourtant, il n’est pas d’homme qui n’ait quelque chose à exprimer de personnel. On ne le dirait guère à visiter le Salon de l’école française.

Quelle étiquette prétentieuse ! Non, aujourd’hui, l’école française ce n’est plus cela. Il y a ailleurs des peintres français pleins de vigueur et de grâce. Ce sont les maîtres actuels de la peinture du monde entier…

Signalons l’exposition rétrospective de Henri Dillon, mort l’an dernier. Ses tableautins sont d’une cordialité joviale et très américaine… M. Aubain, qui est élève de Bouguereau, expose une grande toile représentant Le dirigeable militaire « République » retournant à son hangar. Les arbres, le sol, les nuages, tout est en baudruche comme le ballon même et par sympathie pour l’aérostation. Il faudra signaler à l’Académie des sciences ce cas extraordinaire de mimétisme.

M. Marcel Bach ne manque pas de tempérament. Ses empâtements dénotent un talent vigoureux qui gagnerait à se renouveler.

Les intérieurs de M. Barbey seraient intéressants si nous ne les avions vus cent fois, recommandés par des signatures autorisées.

M. Berg, qui, né à Amsterdam, n’en est pas moins français d’après le catalogue, a des dons d’humour assez plaisants.

M. Bille aime les roses et en met partout. Il leur a consacré tous ses soins. Qu’il prenne garde, l’amateur de jardin est souvent doublé d’un… ami qui manie trop bien les pavés… Mais que les cadres de M. Bille sont beaux !… Et ceux de M. Lucien Boisselier ne sont pas moins précieux.

Il y a de la sensibilité et de l’habileté dans les tableaux de Mme Marie Boylesve.

Les toiles les plus curieuses de ce Salon ont été exposées par l’abbé Pierre Calès. Son art ne manque pas d’une audace louable. L’abbé Calès aime la montagne et il l’interprète d’une façon neuve. Toutefois, il semble que sa main soit hésitante… La vieillesse peut-être, ou qui sait ? encore de la jeune maladresse.

M. Carette se souvient de Cazin…

Mlle Suzanne Daynes-Grassot jouit d’une grande notoriété dans le monde théâtral. Elle expose les portraits de Régina Badet dans Myrtil et de Polaire

[1910-02-07] Les livres §

Paris-Journal, 7 février 1910, p. 000.
[OP2 1172]

Le 4 juillet 1544, les impériaux mirent le siège devant Saint-Dizier, et Gonzague, qui était à leur tête, se promena à une portée d’arquebuse des murs, en plastron et salade rouges, suivi de son chien favori.

La place était défendue par deux mille gens de pied et cent hommes d’armes, de la compagnie du duc d’Orléans, commandés par le comte de Sancerre, le capitaine Lalande et par l’ingénieur italien Marini. L’Italie, au xve et au xvie siècles, excellait dans la fortification. Charles Quint et surtout François Ier s’entourèrent d’ingénieurs italiens.

Le 13, Charles arrive devant Saint-Dizier et aussitôt le bombardement commence. Un boulet tue le capitaine Lalande au moment où, fatigué, il est rentré chez lui pour changer de chemise.

Le 15, l’empereur fit donner l’assaut. Les habitants de la ville soutenaient la garnison. Les femmes et les enfants jetaient, du haut des remparts, tout ce qui leur tombait sous la main. Ce fut une défense héroïque. Les assaillants furent repoussés et l’échec de Charles Quint eut un grand retentissement en Europe. En apprenant l’événement, François Ier s’écria : « Ah ! Les bragards ! » Ce qui était à la fois l’éloge de la bravoure et de la bonne humeur des habitants de Saint-Dizier, dont le courage eut pour conséquence la retraite de Charles Quint, qui voulait aller jusqu’à Paris.

Le 17 octobre 1903 on éleva, à Saint-Dizier, un monument à la mémoire des bragards de 1544. L’éclat de cette cérémonie fut rehaussé par la remise, à la ville de Saint-Dizier, de la croix de la Légion d’honneur, et M. Albin Rozet, député de la Haute-Marne, et J.-F. Lambey viennent de publier chez Plon un fort volume sur : L’Invasion de la France et le Siège de Saint-Dizier par Charles Quint, en 1544,d’après les dépêches italiennes de Francesco d’Este, de Hieronymo Feruffino, de Camillo Capilupo et de Bernard Navager.

[1910-02-07] Échos

L’œuf de Simone §

Paris-Journal, 7 février 1910.
[OP2 1279]

On sait que Mme Simone, la poule faisane, devait pondre en scène. Mais elle se refusa à remplir aussi complètement son rôle de volatile femelle. L’œuf qui devait être pondu par une aussi jolie femme était un œuf d’autruche, un maître œuf, de première grandeur. Cet accessoire, devenu inutile, vient d’être vendu un prix très élevé à un collectionneur américain qui, par extraordinaire, a exigé que son nom fût tenu secret.

Ceux qui savent se refusent à parler :

« Nous n’avons pas le droit d’être indiscrets, disent-ils, nous avons un œuf sur la langue. »

[1910-02-09] Échos §

Paris-Journal, 9 février 1910.
[OP2 1279-1280]

La Seine remonte §

[OP2 1279-1280]

Jean Moréas n’est pas content de la Seine, une rivière chantée par Racine, Mme Deshoulières et lui-même, qui vint d’Athènes pour célébrer son onde.

« Ce n’est pas bien ce qu’elle fait là, dit-il ; je la croyais plus civilisée… »

Mais le philosophe Meyerson, à qui l’on communiquait l’opinion de Moréas, répondit :

« Pense-t-il que les débordements de l’Ilissos soient moins terribles ? Rien de plus sournois que ces rivières de la Grèce. Longtemps, elles sont presque à sec, et gonflées, tout à coup, elles dévastent tout sur leurs rives. »

L’historien Victor Duruy a écrit :

« En été, les fleuves de Grèce coulent à sec. »

La Seine n’autorise pas une telle audace de langage.

Laconisme §

[OP2 1280]

On sait qu’un grand nombre de commerçants anglais et français (costumiers, cordonniers, corsetiers) sont intéressés à la réussite de Chantecler. L’un d’eux, un Londonien silencieux, établi depuis vingt ans dans la Cité, a envoyé à Paris un de ses commis aussi avare en paroles que lui. Le commis était chargé de renseigner son patron sur la réussite de la pièce. Ces jours derniers, le négociant télégraphiait quotidiennement et le télégramme ne contenait que ce signe :

?

Comme Chantecler était toujours remis, le commis répondait aussi laconiquement :

C’est-à-dire zéro, ou bien : il ne s’est rien passé.

Hier, à un nouveau télégramme, le commis a répondu par le même signe que son patron :

?

Le négociant de Londres n’a peut-être pas compris…

[1910-02-12] Échos

Le vieux général §

Paris-Journal, 12 février 1910.
[OP2 1280-1281]

En Russie, la guerre russo-japonaise est toujours d’actualité, comme on peut le penser…

Toutefois, dans les villages, on croit généralement que les armées du tsar ont été victorieuses.

Un forain russe très agité mène de bourg en bourg, de hameau en hameau, un singe vêtu d’un costume militaire. Il présente l’animal savant comme un général japonais captif, lui fait faire l’exercice à la prussienne et annonce alors l’hymne japonais.

Un phonographe placé derrière un rideau chante : Elle avait une jambe en bois comme on fait à Montmartre, et les braves paysans russes de s’étonner de la laideur des physionomies nippones et de l’étrangeté de la musique japonaise…

[1910-02-13] Les petits groupements §

Paris-Journal, 13 février 1910, p. 000.
[OP2 959-960]

Les « Argonautes » ne naviguent plus. Ce sont aujourd’hui de jeunes poètes qui se réunissent parfois au premier étage d’une taverne, rue de Rivoli. La Toison d’or qu’ils souhaitent, c’est la gloire.

La caractéristique de ces réunions, n’est-ce pas une morne tristesse répandue sur tous les visages ? On ne boit pas, on ne fume pas, on ne parle pas et celui qui rirait serait écorché par ces jeunes poètes comme le fut Marsyas par le poète divin.

On récite des vers…

Il y a aussi quelques jolies femmes.

Une vieille dame vient dire :

Par incurie ou par sottise,
J’ai gaspillé tout mon bonheur.
Et voulez-vous que je vous dise ?
On peut bien me ravir l’honneur !

On écoute avec la même attention de beaux poèmes lyriques et les couplets déclarés par leurs auteurs venus tout exprès de province pour les dire.

À la sortie :

« De quelle école êtes-vous ?

— Je suis impulsionniste.

— Ah ! vraiment !

— Pourquoi ne l’êtes-vous pas ?

— Je voudrais bien, mais je ne peux pas encore ! »

(Propos authentiques.)

La vieille dame qui a gaspillé tant de bonheur dit au Jason de ces Argonautes qui l’écoute d’une oreille distraite :

« J’ai un volume de vers, il est tout prêt, mais les poèmes ne sont pas en ordre… Le jeune homme qui voudrait m’aider dans ce travail me rendrait service. »

Et M. Alcanter de Brahm regarde ses troupes… se défiler.

[1910-02-13] Échos

Gabriele d’Annunzio et l’aviation §

Paris-Journal, 13 février 1910.
[OP2 1281]

Depuis le meeting de Brescia, le grand écrivain italien est le plus enthousiaste apôtre du sport aérien. À cette époque, le lieutenant Calderara lui faisait faire un court vol au-dessus des plaines de Brescia, et le lendemain, en une page d’un lyrisme intense, l’auteur de L’Enfant de volupté s’avouait conquis à cette transformation de l’homme en oiseau conscient.

On sait combien vifs sont les enthousiasmes de D’Annunzio. Il en va donner une nouvelle preuve en organisant, par toute l’Italie, des conférences au cours desquelles il exaltera les joies que procure le vol plané. C’est à Milan que sera donnée la première de ces conférences… supra-terrestres, disent les fervents admirateurs du romancier.

[1910-02-14] Échos §

Paris-Journal, 14 février 1910.
[OP2 1281-1283]

Pour préciser §

[OP2 1281]

Nous annoncions hier que le romancier D’Annunzio prépare une série de conférences sur l’aviation. Ajoutons qu’elles seront données au profit des victimes des inondations françaises. Le titre de ces conférences semble emprunté à quelque orateur de la chaire : « Pour le domaine des cieux. »

Les Îles-d’Or, chef-lieu : Draguignan §

[OP2 1282]

On ne parle plus de modifier le nom du département du Var où ne coule pas la rivière de ce nom.

Avant l’annexion du comté de Nice, la frontière entre l’Italie et la France était délimitée par le cours du Var. Après l’annexion, une partie du département du Var fut ajoutée au comté de Nice, et le tout forma le département des Alpes-Maritimes.

Par suite de ces remaniements administratifs, la rivière qui a donné son nom au département du Var ne coule pas dans ce département. Aussi fut-il question, il y a vingt ans, de débaptiser le département du Var qui serait devenu celui des « Îles-d’Or ». C’est de ce nom poétique que l’on appelle, dans le Midi, le groupe d’îles qui se trouvent en face d’Hyères et qui, géographiquement, s’appellent îles d’Hyères, de Porquerolles, du Levant, etc.

Le changement du nom de « Var » en celui des « Îles-d’Or » ferait très bonne figure dans un programme électoral.

Recommandé à MM. les candidats aux prochaines élections.

Le moineau parisien en Amérique §

[OP2 1282-1283]

Les moineaux étaient inconnus en Amérique jusqu’en 1850, époque où l’on importa d’Angleterre huit couples.

Ce premier essai n’ayant pas donné de bons résultats, on importa, quelques années plus tard, douze couples de moineaux parisiens.

Cette fois la tentative d’acclimatation réussit pleinement.

Les moineaux sont maintenant le plus grand fléau des récoltes. Ces oiseaux sont si prolifiques que l’on n’évalue pas à moins de 275 millions de pierrots la progéniture d’un seul couple après une période de dix ans.

Ainsi les moineaux francs ne sont pour rien dans la dépopulation de la France.

Notre Courteline, qui, de par son vrai nom, est le plus exquis et le plus spirituel des moineaux parisiens, devrait bien écrire la revanche du passereau sur ce provincial de Chantecler.

[1910-02-15] Échos §

Paris-Journal, 15 février 1910.
[OP2 1283-1284]

Un traducteur royal §

[OP2 1283]

Le jeune roi de Portugal, Manuel II, est un grand admirateur de M. Rostand.

Il aurait même offert de traduire Chantecler, se flattant de pouvoir rendre dans la langue de Camoens tous les calembours.

Les Portugais sont toujours gais.

Le kolo §

[OP2 1283]

Il paraît que l’an prochain ce sera la danse à la mode.

Le kolo est une ronde… très suggestive, qui se danse chez les Slaves du Sud.

En Serbie, il y a des troupes renommées de danseurs de kolo, hommes et femmes.

Généralement, le kolo se danse avec accompagnement de chansons très curieuses, qui mériteraient l’attention des folkloristes.

D’autres danses slaves, comme la valse, la polka et la mazurka n’ont pas mal réussi chez nous.

Bonne chance au kolo !

Baudelaire est-il mort vierge ? §

[OP2 1283-1284]

Paris-Journal rapportait hier des propos de Léon Dierx. En dépit de Nadar, le Prince des poètes ne croit pas à la virginité de Baudelaire.

Cependant, Nadar n’est pas le seul qui ait prétendu que l’auteur des Fleurs du mal était mort ayant encore la sienne.

Félicien Rops l’assurait à qui voulait l’entendre, et Nicolardot a recueilli à cet égard le témoignage d’un maître d’hôtel.

Baudelaire allait souvent dîner au restaurant avec sa maîtresse. Ils se faisaient servir dans un cabinet particulier. Le repas fini, un bruit continu de canapé à ressorts intriguait le garçon qui, un jour, eut la curiosité de regarder par le trou de la serrure.

Assis dans un fauteuil, Baudelaire s’y secouait seul, sans doute pour digérer, tandis que sa maîtresse, un peu plus loin, faisait de la dentelle.

Le prince des chansonniers §

[OP2 1284]

Xavier Privas est devenu très populaire dans le quartier d’Auteuil, où il habite.

Pendant l’inondation, il a recueilli chez lui toute une famille, chassée de la rue Félicien-David par la Seine.

Seulement, il ne veut pas que l’on parle de sa bienfaisance : « La commission d’hygiène, dit-il, n’aurait qu’à savoir qu’il y a eu des inondés chez moi, on viendrait perquisitionner… On mettrait tout en désordre. »

[1910-02-16] Échos

Un original §

Paris-Journal, 16 février 1910.
[OP2 1284]

À Minsk, en Russie, vient de mourir un original dans des circonstances très particulières.

Il s’appelait Livoff et vivait dans une grande maison, seul avec sa gouvernante et un ours de taille gigantesque.

Tous trois de compagnie s’adonnaient fortement à l’eau-de-vie, et cela depuis bien des années, lorsque, il y a quelques jours, Livoff se prit de querelle avec son ours. Ils se battirent au milieu d’effroyables hurlements. L’homme réussit à étrangler la bête féroce, mais fut déchiré de telle façon qu’il succomba le lendemain à ses blessures.

Livoff laisse une fortune de deux millions de roubles. On ne lui connaît pas d’héritiers.

Détail curieux. Livoff parlait le français et chantait sans cesse dans cette langue les chansons à boire de Désaugiers.

[1910-02-17] Échos

Le réveillon de la comète §

Paris-Journal, 17 février 1910.
[OP2 1285]

Les Parisiens, habitués maintenant à tous les cataclysmes, vont trouver un prétexte à réjouissances dans l’approche de la fameuse et dangereuse comète.

Pendant toute la nuit du 17 au 18 mai, qui précéderait la fatidique rencontre et peut-être aussi la fin du monde, beaucoup de grands cafés resteront ouverts. On chantera, on dansera. Il faut bien s’égayer avant de mourir.

Un restaurant bien connu de la Rive gauche annonce même le Réveillon de la Comète, qui aura lieu à minuit. Cet exemple sera imité un peu partout. Bien des Parisiens qui, ces temps-ci, pouvaient dire : « Après nous le déluge ! » diront cette nuit-là : « Après nous la comète ! »

[1910-02-18] Échos

Paul Adam, travailleur §

Paris-Journal, 18 février 1910.
[OP2 1285]

L’auteur du Trust est comme Balzac un travailleur acharné. Pour éviter cette douleur au poignet, cette paralysie que l’on nomme la crampe des écrivains, Paul Adam écrit ganté comme les « oliveuses » de Palestine, qui, autrefois, n’avaient pas le droit de ramasser les olives les mains nues. Lui ne veut pas ramasser les belles paroles sans gants.

[1910-02-19] Échos

5 millions de dollars contre la tuberculose §

Paris-Journal, 19 février 1910.
[OP2 1285]

Si M. Carnegie avait donné cette somme pour créer un fonds de préservation contre la tuberculose, tout le monde le saurait. Mais comme c’est l’administration communale de New York qui a songé à l’hygiène de sa ville, personne n’en a rien dit, ni dans les journaux, ni dans les revues…

[1910-02-20] Échos §

Paris-Journal, 20 février 1910.
[OP2 1286]

Graphomanie §

[OP2 1286]

On ne comprend rien à la rage qu’ont certaines gens d’écrire des calembredaines, pour ne pas dire plus, dans les lieux — c’est le mot propre — où l’on n’imaginerait pas que l’on eût envie d’exposer sa pensée.

Une grande brasserie de Munich vient de prendre une initiative qui mérite d’être signalée. Elle a fait suspendre dans l’endroit susdit une ardoise et un morceau de craie accompagnés de l’inscription suivante :

« On est prié de mettre sur cette ardoise les phrases et les dessins que l’on serait tenté de tracer sur le mur. »

De cette façon, les graphomanes sont contents et toutes les heures un garçon vient passer l’éponge sur l’ardoise.

Le cinématographe et les mœurs §

[OP2 1286]

On vient de fonder en Allemagne une Société pour le relèvement moral et scientifique du cinématographe. Bien entendu, ces mots n’en forment qu’un seul en langage tudesque.

En France, on va au café pour faire une manille ou parler de littérature ; nos voisins d’outre-Rhin ont la bière triste. S’ils vont à la brasserie, ils s’y occupent de science et de morale… Ils n’en perdent cependant pas une chope.

[1910-02-23] Échos §

Paris-Journal, 23 février 1910.
[OP2 1286-1287]

Encore « Schéhérazade » §

[OP2 1286]

La revue disparue aujourd’hui et où avaient paru des vers de M. Rostand avait été fondée grâce à la protection d’un millionnaire aussi connu dans la médecine que dans l’art dramatique.

Le médecin dramaturge ne veut plus aujourd’hui protéger la poésie :

« Schéhérazade, dit-il, c’était rasant… Cette dame a trop parlé… Mille et une nuits, c’est assez… Désormais, qu’elle se taise. »

Bâtard de roi §

[OP2 1287]

Dans une petite station du Midi de la France, au Casino, deux jeunes gens manient le râteau, payent les mises, crient : « Faites vos jeux ! » et retournent les cartes.

Ce sont des personnages d’illustre origine. Le roi Pierre de Serbie a donné deux citoyens à la France…

Simple dette de reconnaissance envers un pays qui accorde si largement bon gîte et le reste aux rois en exil.

Un mot de D’Annunzio §

[OP2 1287]

Quelqu’un demandait à D’Annunzio son avis sur Chantecler ;

« Edmond, répondit-il, n’est pas assez moderne. Au lieu de mettre en scène des volatiles, il aurait dû y faire voler des aéroplanes. L’essor de son lyrisme l’aurait porté beaucoup plus haut. »

[1910-02-24] Échos

Le stylo de Teddy §

Paris-Journal, 24 février 1910.
[OP2 1287]

Le président Roosevelt a un stylographe auquel il tient beaucoup. Ce n’est pas qu’il soit très précieux ; il est en argent bruni. Mais il a été offert à Teddy par un de ses admirateurs nègres et porte cette inscription touchante : « À Roosevelt, qui aime tous les Américains quelle que soit la couleur de leur peau. À Roosevelt, qui veut l’égalité des races sur la Terre ainsi qu’il est au Ciel. Que Roosevelt soit béni ! »

[1910-02-26] Échos §

Paris-Journal, 26 février 1910.
[OP2 1287-1288]

Pour se préserver des moustiques §

[OP2 1287-1288]

On vient d’inventer en Amérique une méthode originale pour se préserver des moustiques.

La musique attire ces insectes… Aussi le soir, avant de se coucher, on ferme les fenêtres de sa chambre et l’on fait marcher une serinette.

Les moustiques arrivent à tire-d’aile pour écouter My Cosey Corner Girl ou bien la Petite Tonkinoise. On n’a plus qu’à les écraser entre deux linges tandis que vibrent encore

Les sons filés et doux des boites à musique.

Nature morte §

[OP2 1288]

Cette déplorable expression a cours chez les artistes. Elle est absurde, car la nature qu’est-ce autre chose que la vie même ?

Les Allemands emploient à ce propos le terme de Stilleben, qui signifie « vie silencieuse », et n’est pas moins mauvais en ce qu’il diminue la vie qui est une rumeur harmonieuse, une musique admirable.

Paris-Journal ouvre un concours pour remplacer par un terme plus expressif et plus vivant ce morne mot composé, « nature morte », dont la tristesse évoque l’idée d’un cimetière après la fin du monde, c’est-à-dire après le 18 mai, date de la comète.

[1910-02-27] Échos

Un club maeterlinckien §

Paris-Journal, 27 février 1910.
[OP2 1288]

Un certain nombre de dames de la société de Londres ont fondé un club de littérature et d’art sous le titre : Les Oiseaux bleus.

Le club n’admet aucun homme et a pour but « la poursuite du bonheur », au sens idéal où l’entend Maurice Maeterlinck.

Oiseaux bleus ! Pensez-vous vraiment que l’homme ne puisse en rien contribuer à votre bonheur ?…

[1910-02-28] Échos §

Paris-Journal, 28 février 1910.
[OP2 1289]

Cuisine marocaine §

[OP2 1289]

Sait-on quel est le mets favori d’El Mokri, l’homme le plus en vue du Maroc ?… C’est le miroton, le plus parisien des plats, composé, comme on sait, de bœuf bouilli, d’oignons, de beurre, d’eau, de cornichons et de farine.

Or, El Mokri prétend qu’on ne fait de bon miroton qu’au Maroc. C’est même, paraît-il, la boisson nationale…

Maeterlinck et les anglais §

[OP2 1289]

Paris-Journal parlait hier de la création d’un club maeterlinckien à Londres…

Rien ne peut donner une idée de la faveur dont jouit en Angleterre l’auteur de Monna Vanna. Dans la haute société, il est maintenant courant d’appeler une fille Maleine, Alglavaine, Sélysette ou Vanna, du nom des héroïnes du plus mystérieux théâtre moderne. Les garçons nommés Tingabilles foisonnent…

Mais, en Angleterre, ce qu’on souhaiterait avant tout, c’est de voir M. Maeterlinck lui-même… S’il décidait d’y faire une tournée de conférences, quel succès !

Le patron des Trois-Maillets §

[OP2 1289]

M. Maurice Barrès regrettera cette année la mort d’un de ses électeurs influents ; le patron des Trois-Maillets…

Les Trois-Maillets ! Ce cabaret de nuit du quartier des Halles fait partie désormais de l’histoire littéraire. N’y vit-on pas Paul Fort, Ernest La Jeunesse, André Salmon, Guillaume Apollinaire, Paul Fargue, Alfred Jarry, Charles-Louis Philippe deviser de littérature en attendant l’aube ?

Le patron savait par cœur des vers de ses clients qu’il récitait pour que ceux-ci vidassent les siens — pardon !

Sa femme, qui a pris la suite, n’a pas su retenir les poètes…

D’ailleurs, ils ne sortent plus passé minuit. Les Muses se rangent.

[1910-03-01] Échos

L’enfant sage §

Paris-Journal, 1er mars 1910.
[OP2 1290]

On sait que M. de Ségur, de l’Académie française, n’est autre que le petit garçon qui sous le nom de Paul, figure dans Les Malheurs de Sophie, un des plus célèbres livres de cette Bibliothèque rose, délices de notre enfance, comme l’œuvre de Jules Verne le fut de notre adolescence.

M. de Ségur, dans Les Malheurs de Sophie, était dépeint par sa grand-mère, Mme de Ségur, née Rostopchine, comme le type de l’enfant sage.

On voit que la bonne conduite peut mener loin… jusqu’à l’Académie française.

[1910-03-04] Échos

Une mode américaine §

Paris-Journal, 4 mars 1910.
[OP2 1290]

On est en train, en Amérique, de lancer une mode singulière : celle d’avoir un trou au derrière de son… inexpressible… mais un trou bien imité, ayant l’air de provenir de l’usure.

Attendons-nous à voir bientôt nos dandies se promener sur les boulevards en montrant leur… chemise à tous les passants pour suivre la mode américaine.

[1910-03-07] Échos §

Paris-Journal, 7 mars 1910.
[OP2 1290-1291]

Le mariage et le génie §

[OP2 1290-1291]

Un Anglais, M. Sidney Low, affirme que le génie n’est pas compatible avec la félicité conjugale. Les hommes de génie font, paraît-il, de très mauvais maris. Aussi, en Angleterre, le grand écrivain ne se marie-t-il pas — ou bien, s’il se marie, l’union finit mal.

Les mariages de Shakespeare, de Milton, de Dryden, d’Addison, de Burns, de Coleridge, de Shelley, de Byron, de Carlyle, de Dickens, de Thackeray, de Ruskin furent malheureux. Les femmes de Shelley et de Rossetti se suicidèrent, les épouses de Shelley et de Thackeray devinrent folles.

Hobbes, Newton, Locke, Hume, Macaulay, Herbert Spencer ne se sont pas mariés.

M. Low conseille aux écrivains mariés ce qu’il appelle le divorce momentané. Une série de brèves séparations serait la bonne recette pour faire d’un homme de génie un heureux époux.

La fleur qui meurt §

[OP2 1291]

L’edelweiss, qui a fait tant de victimes, est en train de disparaître. Les alpinistes le recherchent avec tant d’ardeur et une telle avidité que le gouvernement bavarois a dû prendre des mesures spéciales pour empêcher sa complète disparition.

Pour cueillir l’edelweiss, il faut maintenant être muni d’une autorisation spéciale et, s’il n’en a pas la permission, le propriétaire même d’un terrain ne peut toucher à une fleur qui, en somme, lui appartient…

Mark Twain et l’aviation §

[OP2 1291]

Décidément, tous les écrivains s’y mettent : après D’Annunzio, Mark Twain, l’humoriste américain, commence à écrire sur l’aviation.

Il vient de publier un livre intitulé : Relation de la visite du capitaine Stormfield au ciel qui conduit le lecteur au-delà des nuées dans un lieu dont on n’avait plus parlé depuis Dante : le paradis.

Mark Twain a maintenant soixante-dix ans, mais l’âge n’éteint pas son amour du progrès. Au contraire des autres vieillards, il trouve que le monde s’améliore chaque jour et que tout est bien mieux aujourd’hui qu’autrefois.

[1910-03-10] Échos §

Paris-Journal, 10 mars 1910.
[OP2 1291-1292]

À table §

[OP2 1291-1292]
Jadis le potage on mangeait
Dans le plat, sans cérémonie.
Et sa cuiller on essuyait
Souvent sur la poule bouillie.

On ne va pas aussi loin mais on paraît revenir, en fait de tenue à table, à plus de simplicité. C’est ainsi que de nouveau on mord dans les fruits… N’a-t-on pas vu récemment M. de Castellane peler une orange du bout des doigts et non plus avec la fourchette et le couteau ?

À Périgueux, dans une noce, on a remis en honneur un charmant usage qui persistait dans plusieurs provinces au commencement du xixe siècle. On pria une jolie femme de vouloir retourner la salade « avec ses belles, ses blanches mains ».

Le médium tragique §

[OP2 1292]

Au cours d’une séance avec Eusepia Paladino, à Naples, il s’est produit un phénomène qui frappa de terreur tous les assistants, parmi lesquels figuraient, paraît-il, des personnages très honorablement connus et qui ont désiré que leur nom restât caché.

L’un d’eux reçut des coups de poing violemment appliqués, et un autre fut trouvé la main couverte de sang qui coulait d’une longue blessure.

Il ne fait pas toujours bon d’avoir affaire à messieurs les esprits.

[1910-03-11] Échos

La véritable Nora §

Paris-Journal, 11 mars 1910.
[OP2 1292]

À Christiania vient de mourir une dame nommée Aima Herming. Selon l’opinion commune, les traits de son caractère avaient fourni à Ibsen les éléments psychologiques de Nora, l’héroïne de Maison de poupée.

Mme Alma Herming

À l’éternelle nuit ne va pas tout entière.

[1910-03-12] Échos

Un nouveau canal §

Paris-Journal, 12 mars 1910.
[OP2 1293]

On sait que le fameux liquidateur a perdu en spéculations financières la plus grosse part des sommes que les pouvoirs publics ont eu la naïveté de confier à sa gestion.

Savez-vous comment on appelle, sous le péristyle grec, la maison par le canal de laquelle ses affaires ont passé ?

Le canal de Duez.

[1910-03-13] Courrier littéraire §

Paris-Journal, 13 mars 1910, p. 000.
[OP2 1173]

M. Arnyvelde parla, hier après-midi, à la salle Charras, de quelques nouveaux poètes dont les poèmes, déclamés par de grands artistes, furent vivement applaudis. Le public n’est pas du tout rebelle aux accents de la jeune poésie. Les rythmes neufs de poètes comme Salmon, Jules Romains, Charles Vildrac, Ricciotto Canudo, Vincent Muselli, Mme de Saint-Point, Verdot, firent une vive impression sur l’auditoire et l’on se félicitait qu’en dépit de mauvaises volontés, une poésie dégagée des formes du passé, un lyrisme fondé sur les sentiments les plus modernes, se manifestât en France.

André Gide, qui vient de publier un petit livre sur Oscar Wilde, va partir pour la Normandie, d’où il ira dans le Midi terminer un nouveau roman dont le succès sera sans doute aussi éclatant que celui de La Porte étroite.

[1910-03-13] Les livres

Mme de Polignac et la cour de Marie-Antoinette, par M. Fleisch §

Paris-Journal, 13 mars 1910, p. 000.
[OP2 1173]

M. Fleisch, dans ses ouvrages d’histoire, s’inspire d’un sentiment républicain peu commun chez les historiens contemporains. Il vient de publier Mme de Polignac et la cour de Marie-Antoinette.C’est le récit peu édifiant d’une amitié sur laquelle on a beaucoup glosé. Toutefois, se basant sur des pamphlets sujets à caution, M. Fleisch nous paraît n’avoir rempli qu’imparfaitement son but. Ce livre est d’ailleurs amusant, suggestif et abondamment illustré d’après des gravures de l’époque.

La reproduction en appendice de quelques pamphlets très violents contre la reine et sa favorite donne au livre un intérêt de premier ordre. Mme de Polignac et la cour de Marie-Antoinettea été édité par la Bibliothèque des curieux.

[1910-03-13] Échos

Godefroy de Bouillon §

Paris-Journal, 13 mars 1910.
[OP2 1293]

C’est ainsi que l’on surnomme le célèbre M. Duval.

Duval ! ce nom évoque bien des souvenirs : Coral Pearl et même la Dame aux camélias.

Ces jours-ci, on pouvait voir M. Duval s’en aller, alerte et guilleret, le long des boulevards.

Il était vêtu d’une redingote havane, d’un gilet de velours et sa tête était coiffée d’un haut-de-forme plus bas que ceux que l’on voit généralement.

Soudain, il héla un auto-taxi et indiqua une adresse : « rue de Nazareth ».

« Parbleu, dit un loustic, c’est Godefroy de Bouillon qui part pour la croisade. »

[1910-03-14] Courrier littéraire §

Paris-Journal, 14 mars 1910, p. 000.
[OP2 1174]

On sait quels liens d’amitié, de parenté presque, unissaient Sully Prudhomme à la famille de M. Louis Barthou. Le ministre de la Justice va publier près de trois cents lettres du poète. Cette importante correspondance paraîtra dans quelques mois.

M. Charles Morice prépare une anthologie des poèmes de Théodore de Banville. Ce livre, édité par Fasquelle, sera précédé d’une étude très complète où Charles Morice fera entrer ses souvenirs sur l’auteur des Odes funambulesques qu’il a connu. Trois portraits de Banville d’après David d’Angers, Dehodencq, Rochegrosse, illustreront cet ouvrage.

Gérard de Nerval, une des figures les plus touchantes et les plus attachantes du romantisme, va-t-il enfin avoir sa statue ?

Tous ceux qui s’intéressent à l’érection de ce monument sont priés de venir, le 24 mars, à 9 heures du soir, au café de l’Univers, place du Théâtre-Français.

Ordre du jour :

1º Choix du sculpteur ;

2º Constitution du comité définitif ;

3º Discussion du projet Stuart Merrill destiné à hâter la réalisation de l’entreprise.

Pour tous renseignements, s’adresser à M. P.-N. Roinard, 7, rue Pixérécourt, ou à M. Henri Strentz, 3, rue du Jourdain.

[1910-03-14] Échos

Teddy et les Beaux-Arts §

Paris-Journal, 14 mars 1910.
[OP2 1293]

Le président Roosevelt n’aime guère les beaux-arts, la peinture le laisse indifférent.

« Je ne comprends pas, disait-il à quelqu’un, comment il peut y avoir des gens assez insensés pour s’occuper de la peinture maintenant qu’on a la photographie. Parlez-moi de l’architecture, voilà les beaux-arts !… »

[1910-03-15] Courrier littéraire §

Paris-Journal, 15 mars 1910, p. 000.
[OP2 1174-1175]

Le banquet annuel de La Phalangeaura lieu ce soir, au café Cardinal, sous la présidence du peintre Aman-Jean.

Le prochain livre de Jean Moréas, recueil de proses parfaites, intitulé : Variations sur la vie et les livres,paraîtra prochainement aux éditions du Mercure de France.

Empêché par la maladie de corriger lui-même les épreuves, Moréas a chargé de ce soin M. Henri Dagan, qui s’en acquitte avec piété.

Une anthologie de poèmes français, traduits en tchèque, va paraître à Prague. Le choix du traducteur s’est porté sur les poètes les plus célèbres du Parnasse, comme Leconte de Lisle, José Maria de Heredia, Léon Dierx ; les poètes les plus audacieux du symbolisme, comme Gustave Kahn, Maurice Maeterlinck, Émile Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, Jean Moréas. Les naturistes n’ont pas été oubliés, avec Bouhélier et Albert Fleury, enfin une grande partie du volume est consacrée aux plus récentes manifestations de la poésie contemporaine.

[1911-07-24] L'Hôtel des Haricots est devenu un musée de l’éclairage §

Paris-Journal, 27 juillet 1911, p. 000.
[Non OP]

[1911-07-24] Le vieux Paris qui disparaît §

Paris-Journal, 24 juillet 1911, p. 000.
[Non OP]

[1911-07-27] À Auteuil, on aurait pu faire hier une pêche miraculeuse §

Paris-Journal, 27 juillet 1911, p. 000.
[OP3 415]

Hier après-midi, les passagers des bateaux parisiens étaient bien étonnés de voir, au côté du ponton de Grenelle, sur la rive d’Auteuil, des milliers de poissons à la surface de la Seine. C’étaient des gardons, des barbillons, des anguilles, des poissons gros comme la main, et il y en avait des masses.

Quelle pêche miraculeuse on aurait pu faire ! Cependant, une odeur épouvantable se dégageait de la Seine. Tous ces poissons étaient morts empoisonnés. L’égout collecteur de l’Alma, l’orage et la chaleur avaient tué les habitants du fleuve, qui surnageaient et qui se rassemblaient tout près du ponton de Grenelle, attirés par la patte d’oie qui signale la présence, en avant de l’île des Cygnes, d’un roc dangereux pour la navigation.

Les habitants d’Auteuil venus sur les berges regardaient curieusement la pêche miraculeuse qui s’offrait à eux. Ils se gardèrent bien, et pour cause, de toucher à ces poissons, que des tombereaux vinrent enlever vers les 3 heures. On répandit du chlore sur la rive, et cependant le soir encore et jusque sur l’avenue de Versailles, on marchait sur de petits poissons écrasés, qui, à cause de la chaleur, ne sentaient pas bon, je vous prie de le croire.

Ménagères, attention ! Il ne sera pas bon pendant quelques jours de manger de la friture de Seine.

Et maintenant faudra-t-il changer la fable de La Fontaine ?

Petit poisson, deviendra grand.
Pourvu que les égoutiers lui prêtent vie…

[1911-08-01] Le malin fruitier ou la manière de faire légitimement fortune aux dépens de l’Ouest-État §

Paris-Journal, 1er août 1911, p. 000.
[OP3 416-417]

L’histoire est authentique et elle est à peine croyable. Il y a en ce moment, à Cabourg, un Parisien, fruitier de son métier, qui est en train de faire fortune et de se payer du bon temps aux dépens de l’Ouest-État.

Il est bon d’ajouter que la fortune du fruitier a commencé à s’édifier du temps de la Compagnie de l’Ouest.

Mais elle s’est consolidée depuis que l’État gère le réseau.

Comme fruitier, l’homme intelligent en question reçoit chaque jour des fruits. Régulièrement ils arrivent en retard. D’où indemnité ; quelquefois même, l’indemnité est plus forte. C’est quand le colis pèse moins qu’il n’est marqué sur la feuille d’envoi, et cela se produit souvent.

L’indemnité égale, quand elle ne le dépasse point, le prix des fruits qui demeurent en la possession de l’ingénieux commerçant.

La vie étant assez chère à Cabourg, le fruitier revend un très bon prix ces fruits qui ne lui ont rien coûté.

Ses bénéfices ne s’arrêtent pas là : deux ou trois fois la semaine, le fruitier va à Paris et le train ayant toujours du retard, le commerçant se fait rembourser le prix du billet, et lorsqu’il arrive à Paris après minuit et demi — heure de l’horaire — il se fait payer sa chambre dans un bon hôtel.

« Je suis à peu près seul à réclamer, dit-il, mais tout le monde devrait faire comme moi. »

D’ordinaire à Lisieux, le train a du retard. Vite, le fruitier va trouver le chef de gare, qui prend le numéro du billet et délivre un bon pour un dîner ou un déjeuner, selon l’heure, au buffet de Lisieux.

Il voyage ainsi à l’œil et dîne au restaurant aux dépens de l’Ouest-État.

« À Lisieux, dit le fruitier, je suis connu maintenant, et, dès qu’il me voit, le chef de gare me signe mon bon. Nous n’échangeons même pas une parole. De temps en temps, j’invite aussi des amis à venir dîner au buffet de Lisieux, et ce sont des invitations qui ne me coûtent rien. C’est très agréable. »

Chaque année, après la saison, le fruitier intelligent consacre une partie de son gain à un petit voyage en Europe, et, cette année, il se propose de visiter l’Angleterre.

Allons, qui veut faire fortune aux dépens de l’Ouest-État ? Les bénéfices peuvent être considérables, et cela n’exige qu’une très petite mise de fonds.

[1911-08-10] Les reliques de Napoléon.
Une ville désappointée §

Paris-Journal, 10 août 1911, p. 000.
[OP3 417-418]

Châteauroux se désole de n’avoir pu acquérir le lit de l’empereur.

On sait que grâce à la munificence d’un amateur et connaisseur américain, M. Turck, le musée de la Malmaison a pu acquérir un des lits de camp de Napoléon à Sainte-Hélène.

Ce lit est-il ou n’est-il pas celui où mourut l’empereur ? Il semble très probable que la Malmaison possède le lit mortuaire. Mais comme la chose peut être contestée, le conservateur de la Malmaison, M. Jean Ajalbert, a donné ordre que dans leurs explications, les gardiens qui guident les visiteurs ne mentionnent que ce qui est incontestable : « lit de camp de Napoléon, provenant de Sainte-Hélène ».

N’allez pas, toutefois, dire à Châteauroux que le lit de mort de Napoléon n’est pas à la Malmaison, vous seriez mal vu, ou peut-être même, qui sait ? écharpé.

C’est que Châteauroux a un musée dont les habitants sont très fiers et il faut en voir le catalogue qui est édité avec un luxe inaccoutumé.

Tout le monde à Châteauroux s’intéresse à ce musée, on lui fait des dons ; on s’ingénie à découvrir les objets qui pourraient l’enrichir, bref ce petit musée est l’enfant gâté de la ville.

Le général Bertrand légua à sa ville, en 1884, outre ses propres armes et quelques objets ayant appartenu à Napoléon, le sabre de Bonaparte, à Aboukir, son nécessaire de voyage, la croix de la Légion d’honneur portée à Sainte-Hélène, etc.

Le lit avait appartenu au général Bertrand qui l’avait rapporté de Sainte-Hélène comme le lit mortuaire de l’empereur, et lui-même voulut y mourir. Ce lit, cependant, ne fut pas compris dans le legs. Et les habitants depuis longtemps y songent la nuit, s’en occupent, en parlent entre eux, et l’on avait désigné la place qu’il occuperait au musée, le jour où on aurait pu l’acquérir.

Voulant décourager les acheteurs, ils décidèrent, dans une délibération de notables, dont le compte rendu fut donné par la Revue du Berry et du Centre, d’avoir recours à une malice qui, malheureusement, ne réussit pas.

Dans le catalogue de la vente dressé par un avoué de Châteauroux, le lit est désigné sous une forme dubitative : ce serait le lit où Napoléon est mort ou sur lequel il fut exposé.

Mais, ne pensez pas que les habitants de Châteauroux doutent ! Non ! C’est bien le lit où est mort Napoléon, ils en sont certains.

Les Murât ont pour eux la parole de Marchand, mais la parole du général Bertrand vaut bien celle du valet de chambre. L’on n’en saurait douter, Bertrand avait fait en sorte d’avoir le lit de mort de Napoléon.

Et le lit de Napoléon a échappé à Châteauroux !

On dit que l’on agite à Châteauroux la question d’un pèlerinage à la Malmaison, pèlerinage de tristesse et de regret, pour aller voir le petit lit de fer à sangles où M. Ajalbert, sans crainte de se tromper, pourra faire mettre bientôt la pancarte :

Lit où mourut l’Empereur…

[1911-08-11] M. Anatole Deibler villégiature au Point-du-Jour §

Paris-Journal, 11 août 1911, p. 000.
[OP3 418-420]

Fi des villégiatures où l’on ne peut boire que de l’eau tiède, où l’on ne mange que des marchandises « retour de Paris » par les soins calmes de l’Ouest-État ! Fi de ces plaisirs bourgeois ! Comme les gens chics font cette année,

M. de Paris villégiature dans sa bonne ville, mais dans le quartier le plus champêtre, là où la Seine fait parfois son lit, tandis qu’en temps ordinaire des vaches à lait pâturent dans des prairies naturelles et regardent par-dessus la haie des trains passer sur le viaduc… C’est le Point-du-Jour… M. Anatole Deibler s’y est fait construire, comme on le sait, une petite villa bien agréable d’aspect, une de ces petites villas comme on en voit au bord de la mer. Il l’a située presque au bord de la Seine, 133 bis, avenue de Versailles.

L’emplacement a été choisi avec soin, en face d’une large voie bordée de terrains à vendre, et il n’y a encore, au bout de cette allée, qu’un bel hôtel également à vendre : c’est la rue Victorien-Sardou. Grâce à elle, la façade de la demeure particulière de M. l’exécuteur des hautes œuvres ne sera jamais masquée.

Devant l’hôtel de M. Deibler, il y a deux arbres, deux érables et un réverbère, mais un réverbère spécial, le plus haut de l’avenue, du modèle des grands boulevards avec une lyre et un globe.

À gauche se trouve un terrain vague, et, à droite, la maison est flanquée d’un petit bâtiment. C’est une blanchisserie anglaise, entreprise symbolique s’il en fut, de par sa situation auprès de la résidence du bourreau français ! Menace non déguisée à l’adresse des tyrans qui voudraient dominer dans notre pays ! N’oublions pas qu’un historien puritain voulant justifier Cromwell a ait que rougir la tête du roi, c’était blanchir le royaume.

M. Deibler est rangé et estimé dans son quartier et fait souvent sa manille dans un petit café du Point-du-Jour avec des habitués qui ne craignent pas de lui serrer la main.

La maison de M. Deibler a deux étages qui ont chacun trois fenêtres en façade. Au rez-de-chaussée, il a deux fenêtres, et une belle porte cochère toute jaune. Sous les fenêtres, deux grands soupiraux montrent que M. de Paris a soigné sa cave.

La maison est construite en divers matériaux : pierres de différentes sortes et briques rouges et la façade est ornée de cabochons en céramique bleu tendre. À toutes les fenêtres il y a des rideaux blancs à ramages et, au premier étage, il y a, à gauche, un petit balcon. Comme c’est une des plus belles demeures au quartier, les musiciens ambulants qui arrivent à pied par la porte de Billancourt, s’arrêtent sans manquer devant le 133 bis. Ils jouent ou chantent et toujours, au bout de quelques minutes, une fenêtre s’entr’ouvre et une charmante petite fille leur jette deux sous.

Par derrière, la maison du bourreau donne sur les terrains vagues qui vont jusqu’au nouveau quai que l’on construit. Il y a une courette et un hangar ; les fenêtres de derrière sont chacune d’une forme différente et il n’y a pas de rideaux. Le toit, recouvert de briques rouges, avance en auvent et il est surmonté d’un tas de petites cheminées.

Par derrière la maison a l’air triste, mais, vue de gauche, du côté du terrain vague qui la flanque, elle a l’air sinistre, sans fenêtre. On ne voit que de la terre rougeâtre. Ma foi, on dirait une tête coupée.

Il vaut mieux regarder la maison de M. Deibler par devant, où elle est si coquette et si gentille, avec ses cabochons bleus comme le ciel d’été et ses rideaux blancs comme une conscience d’honnête homme.

[1911-09-14] Mes prisons §

Paris-Journal, 14 septembre 1911, p. 000.
[OP3 420-422]

Dès que la lourde porte de la Santé se fut fermée derrière moi j’eus une impression de mort. Cependant, les murs de la cour où je me trouvais, par la nuit claire, étaient couverts de plantes grimpantes, mais, la seconde porte franchie et close, je connus que la zone de la végétation était passée, et il me sembla que, désormais, j’étais dans un lieu situé hors de notre terre et que j’allais m’anéantir.

On m’interrogea plusieurs fois et un gardien me fit prendre mon « fourniment » : une grosse chemise, une serviette, une paire de draps et une couverture de laine, puis, à travers des couloirs interminables, on m’amena devant ma cellule : la quinzième de la onzième division. Là, je dus me mettre nu dans le corridor, et l’on me fouilla, puis on m’enferma, et je ne dormis que fort peu, à cause de la lumière électrique qui éclaire toute la nuit les cellules.

On sait ce qu’est la vie dans une prison : purgatoire d’ennui, séjour où vous êtes seul et cependant constamment épié.

La nourriture que l’État donne aux prisonniers n’est pas très abondante, mais elle est bonne.

Chaque matin, on reçoit un pain et après la promenade, on a du bouillon où nagent des légumes.

Le soir, à trois heures, on vous apporte un plat, soit de haricots, soit de pommes de terre, et le dimanche, un morceau de viande relève ce menu un peu maigre, mais excellent comme qualité.

Le repas de midi est remplacé par une étrange boisson appelée « la tisane ».

J’ai en vain essayé de me rendre compte des ingrédients qui la composent. Elle a une saveur de cuivre et l’amertume de l’aloès, tandis que sa couleur est celle du vin blanc.

Comme livre, on me donna La Quarteronne, du capitaine Mayne-Reid, dont je me souvenais d’avoir lu des romans d’aventures au collège.

Pendant ma détention, j’ai lu deux fois La Quarteronne et, malgré quelques invraisemblances qui m’ont choqué, cet ouvrage ne m’a pas semblé méprisable.

La première émotion violente que j’ai ressentie à la Santé provient d’une inscription gravée dans la couleur qui recouvre la ferrure de la couchette : « Dédé de Ménilmontant pour meurtre. »

J’eus une émotion beaucoup plus agréable en lisant quelques vers naïfs laissés par un prisonnier, qui les a signés : « Myriès le chanteur ».

J’en composai aussi et la poésie me consola presque de l’absence de la liberté.

Les pneumatiques et les télégrammes de mes défenseurs, M. José Théry et Me Arthur Fraysse, vinrent dissiper ma tristesse.

J’apprenais que la presse me défendait, que des écrivains qui sont l’honneur de ce pays avaient parlé en ma faveur. La solitude me parut moins profonde.

Les affres recommencèrent lorsque, mardi, je fus extrait pour aller à l’instruction.

La promenade en voiture cellulaire me parut un long voyage. J’étais enfermé dans une sorte de cage où il faisait très chaud. Le garde m’avait dit que je ferais bien de mettre mon faux col en poche.

Au Palais, on m’enferma dans une des cellules étroites et puantes de la Souricière, où j’attendis de onze heures à trois heures, le visage collé aux barreaux, pour voir ce qui se passait dans le corridor. Quatre mortelles heures : que longues à passer ! À pas lents, elles s’en allèrent, cependant, et, poing lié, je fus mené, par un garde, vers le cabinet du juge.

Quelle surprise de se voir regarder tout à coup comme une bête curieuse ! Ce furent soudain cinquante appareils braqués sur moi ; les éclairs du magnésium donnaient une apparence dramatique à cette scène, où je jouais un rôle. Je reconnus bientôt quelques camarades, quelques amis : Me Toussaint Luca, André Salmon, René Bizet, et voilà mes défenseurs à mes côtés : je devais, je crois, rire et pleurer en même temps.

J’avais mis mon faux col pendant mon attente dans la Souricière. Mais ma cravate réglementaire ne tenait pas, et je pense que je m’y prenais mal pour la faire tenir. Je finis par la remettre en poche, après que l’on m’eut bien photographié et pendant que le garde municipal reprenant sa marche à laquelle la mienne était liée, me menait, définitivement cette fois, à l’instruction.

Il me reste encore un devoir à remplir : que tous les journaux, que tous les écrivains, que tous les artistes qui m’ont donné de si touchants témoignages de solidarité et d’estime, soient ici remerciés !

Qu’on me pardonne de ne pas avoir encore remercié chacun en particulier. Soit par une lettre, soit par une visite, cela sera fait. Mais, observant ainsi les simples règles de la politesse, je ne me croirai pas quitte de la reconnaissance.

[1911-09-15] Myriès le chanteur §

Paris-Journal, 15 septembre 1911, p. 000.
[OP3 422-423]

Je disais hier quelle douce émotion j’avais ressentie en trouvant dans ma cellule, à la Santé, un poème naïf et touchant laissé par un prisonnier.

Voici les vers de « Myriès le chanteur », soigneusement recopiés par moi.

Ils étaient écrits au dos d’un avis collé sur carton et concernant certains points du règlement de la prison.

Vous qui habitez cette cellule.
Vous entendrez par moment
Dans votre solitude
Du métro le roulement
Vous entendrez son cour sifflet
Et vous penserez tristement.
Y a pas longtemps je le prenais.
Vous entendrez aussi de la cloche le tintement.
Tout cela est pour compléter vos souffrances.
Car moi aussi qui vous écris cela
J’ai souffert dans mon existence
Dans cette cellule que voilà.
L’on dit courage ayez du sang
Mais il faut en avoir pour vivre là-dedans.

La nuit tombe, le silence se fait,
Troublé par moment par quelques sifflets.
C’est fini, tout dort, une journée est passée.
Comme c’est triste dans cette maison, la Santé.
Je déploie mon lit, car il se fait tard ;
Dans le sommeil, je vais effacer le cafard ;
Une cloche sonne tristement
Les derniers moments d’un prisonnier mourant.
Car cette maison, triste sort.
C’est la maison de la mort.
Quand on viendra le jour bienvenue
Ou ils me balanceront dans la rue.
Je chanterai plein d’antrin :
Salut a mon dernier matin.
Et je dirai qui veut m’écouter.
Ah ! ce qu’on est bate à la Santé.

Et c’était signé Myriès le chanteur, 29 mars 1911.

Gentil chanteur ! Il me semble impossible que vous ayez été un grand criminel.

[1911-09-19] Tombes impériales abandonnées §

Paris-Journal, 19 septembre 1911, p. 000.
[OP3 423-425]

L’ombre de l’impératrice Joséphine réduite à la mendicité

L’église paroissiale de Rueil, dont la première pierre fut posée en 1584, par don Antonio Ier, Prieur de Creto, roi de Portugal, mériterait d’être mieux connue des Français. Elle contient la tombe de cette gracieuse et charitable créole, qui incarna, un moment, toute la grâce française, qui fut la compagne du plus grand conquérant du monde, qui fut l’impératrice Joséphine. On y voit aussi la tombe de la reine Hortense, mère de Napoléon III, et le tombeau de Tascher de la Pagerie, oncle de Joséphine.

Récemment, nous visitions ces tombeaux historiques : aucune couronne ne les ornait, le marbre, couvert de poussière, dénotait qu’on ne l’entretenait plus, quand une pancarte accrochée à un pilier, près du fauteuil de Napoléon III, placé devant le maître-autel, nous remplit de mélancolie :

Avis

Les visiteurs seraient bien aimables de laisser dans le tronc ci-dessous une offrande pour l’entretien de l’église et des tombes impériales.

Était-ce possible ?… Ces tombeaux imploraient la charité publique !

Ces souvenirs d’une grande époque mendiaient comme Bélisaire2 ?

Ces catafalques de la grâce et de la gloire, la commission des monuments historiques ne les avait donc pas classés ?

Le curé était absent. Pas de vicaire pour nous renseigner. Heureusement, le bedeau, M. Frot, se trouva là.

Le récit du bedeau

« Avant la séparation, nous dit ce brave homme, on célébrait, chaque année, deux services pour l’âme de l’impératrice, un le jour de sa fête, l’autre, le jour de sa naissance. L’église, à cette époque, disposait d’un revenu d’un capital de 186000 francs, qui nous fut enlevé lors de la séparation. Ensuite, un Américain, passant par Rueil, nous laissa quelque argent pour l’entretien des tombes impériales. Mais l’Américain ne revint pas. Les tombeaux sont abandonnés. L’église est devenue pauvre. Nous ne pouvons plus pourvoir à l’entretien des monuments. »

Nous visitons la crypte ; il y a là quelques couronnes dont il ne reste que la paille, rien d’autre.

« Il y a belle lurette, nous dit le bedeau, qu’on n’a plus déposé de fleurs ici.

« Ni l’État français, ni le parti bonapartiste, ni le prince Victor, ni la princesse Clémentine, ni l’impératrice Eugénie ne se soucient plus de l’église de Rueil, ni des tombes qu’elle contient, et qui en font le Saint-Denis impérial. Tout est abandonné : le marbre s’en ira par morceaux, les cendres s’envoleront au vent, si la charité publique — et les visiteurs sont rares — ne supplée à l’indifférence des pouvoirs publics et de la famille impériale. »

Et c’est avec les larmes aux yeux que nous laissâmes l’offrande de Paris-Journal la mémoire de cette souveraine insouciante et dépensière, gracieuse et bienfaisante. En nous en allant, nous nous arrêtâmes encore mélancoliquement devant une plaque mise là :

À la mémoire de S. A. R. Mgr le prince Pascal-Marie de Bourbon et des Deux-Siciles, comte de Bari, fils de S. M. Ferdinand II, roi de Naples, mort à Rueil en 1904.

Il faut classer l’église de Rueil

Le classement de l’église de Rueil comme monument historique s’impose. Les Français, la République ne peuvent permettre que le tombeau de celle qui fut ici souveraine, la femme de Napoléon, soit abandonné à la bonne volonté des passants, à la générosité d’un Américain, à la charité publique.

[1912-09-10] Exotisme et ethnographie §

Paris-Journal, 10 septembre 1912, p. 000.
[OP2 473-476]

Les collectionneurs et les curieux remplissent véritablement en France ce rôle de connaisseurs que la Constitution semble avoir dévolu à l’Administration des beaux-arts. C’est ainsi que quelques amateurs, tels que M. Guillaume, dont le nom est à retenir pour qui veut être au courant des annales de la curiosité, se sont mis à recueillir les sculptures et en général toutes les œuvres d’art de ces peuplades africaines ou océaniennes que l’on est convenu d’appeler sauvages.

Jusqu’ici, on ne recueillait ces objets qu’en vue de l’intérêt ethnographique qu’ils inspiraient. Aujourd’hui, les amateurs les recueillent déjà avec le respect que l’on n’avait encore accordé qu’aux œuvres artistiques de peuples dits supérieurs de la Grèce, de l’Égypte, de l’Inde, de la Chine.

Pourtant, l’État ne voit encore en tels ouvrages, dont la beauté est reconnue maintenant par un grand nombre d’Européens, que de grossiers fétiches, témoignages grotesques de superstitions ridicules.

Le musée du Trocadéro, qui contient un grand nombre de chefs-d’œuvre des artistes africains ou océaniens, est presque complètement abandonné par l’administration dont il relève. Ouvert trois fois par semaine seulement, il n’a pas de gardiens et des gardes municipaux y montent la faction. Les collections sont mêlées de façon à satisfaire la curiosité ethnique et non le sentiment esthétique.

Et cependant, il y a là quelques œuvres d’art de premier ordre, et tout particulièrement cette perle de la collection dahoméenne : la grande statue en fer représentant le dieu de la guerre, qui est, sans aucun doute, l’objet d’art le plus imprévu et un des plus gracieux qu’il y ait à Paris.

L’école de la Flora, fondée par le poète Lucien Rolmer, et dont le but est de cultiver l’art gracieux, tirerait un notable profit de la contemplation du dieu de la guerre dahoméen.

La figure humaine a certainement inspiré cette œuvre singulière. Et toutefois, aucun des éléments qui la composent, invention cocasse et profonde — ainsi qu’une page de Rabelais —, ne ressemble à un détail de corps humain. L’artiste nègre était évidemment un créateur.

Je suis sûr que cette divinité surprenante est encore presque ignorée des Parisiens. Le musée du Trocadéro n’est guère fréquenté que le dimanche et n’y vont que les militaires en congé et les bonnes d’enfant en balade.

On ne connaît pas non plus ces délicats tombeaux maoris dont la décoration rappelle les coquillages et les plantes marines et les rares sculptures de l’île de Pâques, qui sont peut-être tout ce qui reste des civilisations préantiques de l’Atlantide, dont le musée du Trocadéro possède de précieux spécimens.

 

Quant à augmenter ses collections d’art exotique, l’État n’y songe guère. Et tandis que les conservateurs des musées allemands, ceux des musées anglais — disposant de crédits importants — achètent partout et même en France tout ce qu’ils peuvent d’ouvrages dus à l’ingéniosité naturelle des Africains et des Australiens, il n’y a même pas au Trocadéro une collection intéressante relative à l’art si particulier des indigènes de Madagascar. Il en va de même de ces œuvres raffinées dues aux forgerons de l’Afrique équatoriale  ; on semble les avoir totalement négligées. Il faut cependant ne pas se le dissimuler : l’intérêt qu’excite l’art nègre se développe chaque jour. Tel fétiche de l’Afrique centrale indique une esthétique qui n’est pas fort éloignée de celle des anciens habitants de l’Égypte. Et même dans les œuvres modernes, on découvre ce sentiment exquis des proportions que connaissent si peu d’artistes européens.

 

Il semble qu’il soit temps pour l’État de se préoccuper de cette situation. Les prix augmentent chaque jour. On recherche particulièrement les œuvres d’art de la Guinée et celles des îles Marquises et M. Guillaume s’intéresse aussi aux œuvres d’art des peuplades de l’Alaska.

Les fétiches qui se vendaient un louis il y a cinq ou six ans sont regardés aujourd’hui comme des objets extrêmement précieux, et les marchands eux-mêmes n’hésitent pas à les payer plusieurs milliers de francs. Il est encore temps pour la France, dont les colonies si variées sont presque toutes riches en œuvres d’art, de sauver les restes de ces civilisations exotiques. Le musée ethnographique du Trocadéro mériterait d’être développé et non pas seulement au point de vue ethnographique, mais surtout au point de vue de l’art. Il devrait encore être agrandi, de façon à ce que les statues et les autres œuvres d’art ne fussent pas entassées pêle-mêle dans les vitrines, parmi les ustensiles de ménage et les défroques sans intérêt artistique.

On pourrait même faire plus et il n’y a pas de raison pour qu’on ne fonde pas un grand musée d’art exotique, qui serait à cet art ce que le Louvre est à l’art européen. On y transporterait tout d’abord la section d’art d’Extrême-Orient qui se trouve au Louvre. On y mettrait encore les différentes œuvres d’art qui ornent le musée du Trocadéro. Les administrations des diverses colonies seraient chargées de pourvoir à l’enrichissement de ce musée, qui ne tarderait pas à devenir un des monuments les plus utiles à la civilisation.

Le musée du Trocadéro, dégagé des œuvres d’art qui l’encombrent, pourrait alors enrichir ses collections purement ethnographiques  ; car c’est pitié de voir que dans la salle consacrée aux provinces françaises, des collections, si bien commencées, n’ont jamais été continuées depuis le jour de leur installation. La seule nouveauté — encore l’a-t-on reléguée au haut d’un escalier — provient d’un don et consiste dans la réunion de petits objets de bazar tels que broches, bagues en toc, chapelets, etc. La pipe — surtout la pipe en terre — qui n’a pas cessé de conserver une ornementation artistique, n’est pas représentée au musée ethnographique du Trocadéro. C’est un comble  !

Le vide est facile à remplir et je ne doute point que les principales fabriques de pipes, dont quelques modèles ont un caractère plaisant ou ingénieusement grotesque, dont d’autres sont des portraits de grands hommes, ne donnent volontiers au musée des râteliers garnis de pipes à faire pâlir tous les gabiers d’artimon.

La réforme du musée du Trocadéro s’impose. Il faudrait séparer de l’ethnographie les objets dont le caractère est surtout artistique et qui devraient être mis dans un autre musée. Quant aux collections ethnographiques, il serait fort utile qu’on les développât. Et en ce qui concerne la France, un nouveau musée pourrait devenir le conservatoire des us et coutumes nationales. La salle des provinces françaises du Trocadéro formerait la base de ce musée.

Le Trocadéro pourrait aussi être consacré entièrement à l’ethnographie des colonies et de l’étranger. On le pourvoirait également de gardiens et on l’ouvrirait aux mêmes jours que les autres musées.

 

Nous voici loin de M. Guillaume et des autres collectionneurs d’art nègre.

Leur nombre augmente chaque jour, et la plupart d’entre eux deviennent des fanatiques. Beaucoup sont eux-mêmes des artistes, et l’on a déjà signalé l’influence que les fétiches des sauvages avaient exercée sur l’art contemporain.

[1914-05-01] Le Salon des artistes français.
Coup d’œil d’ensemble §

Paris-Journal, 1er mai 1914, p. 000.
[OP2 662-665]

Il y a deux Salons dont les exposants sont également sincères et également désintéressés : celui des Artistes français et celui des Indépendants qui est plus audacieux et qui va jusqu’à l’héroïsme (ni jury ni récompenses).

Et au moment où le Salon des indépendants plie ses tentes, le Salon des artistes français ouvre ses portes. J’entends parfois des gens se plaindre de la trop grande production artistique de notre époque. Je trouve, au contraire, qu’on y produit fort peu. Je ne crois pas qu’en écrémant la production annuelle des quatre grands Salons il se trouve douze toiles dignes de rester et qui soient destinées à rester. Il se peint, à Paris, en dehors de ce qu’exposent les Salons, une vingtaine de bons tableaux ; la province en fournit une demi-douzaine et l’étranger en donne encore trois ou quatre, ce qui ne fait pas cinquante tableaux importants chaque année pour le inonde entier et encore…

* * *

Les Artistes français abondent cette année en mauvaise peinture. Ce qui n’étonnera personne. J’ajoute que cette mauvaise peinture est quelquefois moins ennuyeuse qu’on ne pourrait craindre et que le travail, le soin apportés à réaliser les bizarres tableaux que l’on expose ici sont bien propres à inspirer le respect.

En somme, j’aime ce Salon parce que l’art n’y est point en question et que moi-même je n’ai point le respect de l’art. C’est pourquoi je me suis promené aux Artistes français sans avoir un seul instant l’intention d’y blâmer qui que ce fût, pas même l’Éros et Psyché, de Mlle Dufau, qui avec la décoration de M. Raoul de Gardier, les portraits de Pascau et de Richebé, fait l’ornement de la salle 1 où nous retrouvons une des gloires artistiques de Chatou,

M. Réalier-Dumas, les paysages africains de MM. Cauvy et Dabadie, le maniérisme teutonique de M. Max Bohm, un talent capricieusement pastoral de M. Jouclard, les laboureurs de M. Jamois, une scène villageoise de M. Befani, et les envois de MM. Caputo, Marchand, Pillot, Cottenet, etc.

Salle 2. On jouira ici des envois de MM. Calbet, Brispot, Barillot, Bouchor, d’une autre toile algérienne de M. Dabadie, des Moulins de Moret de M. Guillemet, et du touchant Marchand de statuettes de M. Bewley.

Salle 3. On voit bien que M. Chabas n’est pas gourmand. Il mangerait du pâté d’anguilles toute sa vie sans se lasser, et peint inlassablement des petites filles ou des jeunes filles qui se baignent. J’aime cent fois mieux la grosse peinture de Bonnat. Voici un agréable paysage d’Alix, la Gardeuse d’oies de M. André Brouillet, un Quai parisien de M. Franck Boggs, et les tableaux signés Fouard, Bussière, etc.

Salles 4 et 5. Décidément, la peinture de M. Cormon est ennuyeuse. Je mentionne Mlle Dieterle, MM. Marcel Bain, Grün, Camille Bourget, Boggio, Commerre qui n’est pas de Windsor, Émile Adan et son bijoutier sur le genou ; Cayron, Goutier, Lavergne, Dabieux, Bompard, et Mmes Demont-Breton et Hilda Fraxon.

Salle 6. M. Henri Martin est, sans aucun doute, le meilleur peintre de ce Salon ; il exprime des idées générales ; il est rustique et peuple à souhait. Tout cela produit des œuvres un peu coco, mais dignes d’attention. C’est le grand peintre de l’enseignement primaire.

Je signale de bons envois de Destrom, de Biloul, de Mme Ullmann-Blocq, etc.

Salles 7 et 8. Avec un sobre portrait de M. Marcel Baschet, il faut citer ici MM. Laissement, Colmaire, Bergen, Boisson, Duvent, Lesage, la composition florale de M. Eugène Chigot et les pêcheurs réalistes d’Adler qui obtient un grand succès.

Salles 9 et 11. Elles sont le domaine de l’imprévu M. Flameng, de M. Dupuy ; M. Joron, je le répète, s’il voulait pourrait faire une peinture intéressante. Voici le Général Pau, de Lucien Jonas, et les envois de Gourdault, de Chaucaret, etc.

Salles 12, 13 et 14. Je me borne ici à citer quelques hauts dignitaires des arts contemporains, dont les envois charmeront les visiteurs dominicaux : MM. Humbert, Calvet, Lauth, Gabriel Ferrier (un des plus amusants parmi les peintres d’aujourd’hui), Gagliardini, Dawant, etc.

Salle 16. La question se pose de savoir de quelle contrée est l’Enterrement, de M. Joëts qui progressera, ainsi que M. Franc Lamy avec des Hollandaises de Marken.

Salle 17. C’est ici que se trouvent quelques clous du Salon : Le Troupeau, de M. Guillonnet, qui comprend les paysages classiques à sa façon, la composition paysanne de M. Fernand Maillaud, qui peint le Berry avec émotion. Inutile de vous renseigner sur les Etcheverry, le Blount ou les cartes postales s’en chargeront.

Salle 18. La neige de Charreton, un portrait de M. Déchenaud, un bébé de Mlle How.

Salles 21, 22 et 23. Je cite rapidement : M. Désiré-Lucas, Marie Réol, Vogel, Lucien Lièvre, Lecomte du Noüy, pour en venir à M. Gustave Pierre, dont le Repas sous le préau n’est pas seulement un des clous du Salon, mais est encore une œuvre réaliste qui mérite le succès qu’elle remporte.

Synave connaît aussi le succès, avec sa Distribution de prix et, après avoir salué le Didier-Pouget, on s’arrêtera volontiers devant les lavis de Mlle Delasalle.

Salles 25, 26 et 27. M. J.-G. Domergue est le plus agréable peintre de ces trois salles où exposent cependant des célébrités comme Antonin Mercié, Laparra, Jean-Paul Laurens, Maxence. Voici encore la Partie de croquet de Gustave Pierre, le Reflet de Darrieux, les paysages d’Henri Grosjean, etc., etc.

Salle 28. L’envoi d’Ernest Laurent est délicat et joli. Les portraits de M. Jean Patricot sont toujours sobres et expressifs.

Salles 30 et 31. Faut-il citer Rochegrosse, le nu d’Avy ? Je cite Jean Roque, Parizelle, Tardieu, et une agréable composition de Maury.

Salles 32, 33, 34. Je remercie M. Tattegrain de m’avoir procuré de la joie. Son envoi est rigolo. Il affadit ce que l’on voit après lui. Aussi me contenté-je de citer les envois de Nozal, de M. Strauss, etc. L’envoi de M. Zo est également amusant, mais le Tattegrain m’étant tombé tout d’abord sous les yeux, je n’ai pas ri d’aussi bon cœur devant le Zo.

M. Corabœuf nous donne comme toujours un portrait sobre et délicat, sans mièvrerie. Je ne dédaigne pas du tout la simplicité et la science de cet artiste.

Salles 35, 36, 37 et 38. Nous voici en plein désert et pas un orientaliste. J’espérais rencontrer l’empereur du Sahara. Il devait être au Café maure, de M. Cauvy, qui est ici une véritable oasis.

Salles 39, 40, 41. Je cite un portrait de M. Pierre Laurens, et Les Faïenciers de l’abbé Van Hollebeke.

Salles 42 et 43. Je cite les envois de M. Dubut, de M. Sabatté et de M. Descudé.

* * *

Dans une nouvelle promenade aux Artistes français, nous parcourrons les pourtours, les rotondes, et visiterons la sculpture.

[1914-05-02] Le Salon des artistes français.
Dessins, pastels, aquarelles, miniatures gravures, arts appliqués §

Paris-Journal, 2 mai 1914, p. 000.
[OP2 665-668]

Je me demande pourquoi on a placé dans la décoration et les arts appliqués le tableau de M. Édouard Fer qui est conçu et exécuté selon la doctrine luministe du divisionnisme. Elle a fourni à l’art français les œuvres de Seurat, qui fut un des plus grands peintres du xixe siècle et un initiateur dont la réputation ira grandissant à travers les siècles. Henri-Edmond Cross, Paul Signac, Marie Cousturier ont continué cet art de la lumière. M. Édouard Fer s’est mis courageusement à leur suite. Il a travaillé avec une passion scientifique et achève un ouvrage sur les questions très intéressantes de la lumière et de la couleur. Son tableau de cette année où il y a un cygne, des baigneuses et des reflets de lumière jouant dans les eaux est construit uniquement par la couleur, et c’est merveille de voir comment M. Fer a, par exemple, reconstitué le blanc par le dosage scientifique des couleurs du prisme.

C’est un tableau qui lui fait beaucoup d’honneur et qui honore aussi le Salon des artistes français.

* * *

Dans l’avalanche de miniatures, de dessins, fusains, aquarelles, je citerai Corabœuf, qui expose des dessins calmes et achevés ; les envois de Roganeau, Doigneau, de Mlle Morsfeld.

Dans le pourtour (salle 19 bis), j’ai noté un site montagnard de Girardot, une Noce de M. Balande, une Maternité de M. Allard-L’Olivier, un Christ théâtral de M. Tanner, les Tireurs à l’arc de M. Dupar et les envois de Stoenesco, Bacoulès, Roberty et Zacharie.

Dans les autres rotondes on remarquera avec un Gerber agréable, le portrait de M. Edmond Haraucourt, par M. O. Guillouet, le portrait à la sanguine de M. Léon Bourgeois, par M. Corinon, des envois de Grosjean, de Léandre, d’Adler, un pastel de Mlle Quost, des fusains d’Henri Martin, un portrait de Maurice Donnay, par Marcel Baschet, des Intérieurs bretons de Blétel, la Teinturerie au Caire, de P. Mourant, l’essayage de Gaussen et les envois signés Caputo, Laudati, Marc Antigne, Henri Ruffe, Mlle Rosenberg, Mme Moujon-Garoin, Hortou, Aufray-Genesteaux, Edelman, Edith Harth, Madeleine Carpentier, Barbier, Tranchant, Henri Albert, Paul Alizard, Bouillette, Cabié, Julien Calvé, Rodolphe d’Erlanger, Féau, Gabriel-Rousseau, Garrido, Gueldry, Walter Griffin, etc.

* * *

Médailles. Je note à la gravure en médaille les dix-sept médailles de M. Tony Sairme, celles de Victor Peter, de Yencesse, de Léon Deschamps, René Grégoire, Abel Lafleur, L’Hoest, Mine Ernesta Mérignac, Lechevrel, Tonnelier, Patriarche, etc.

* * *

Sculpture. Beaucoup de sculpture, peu de bonne sculpture. Nous y sommes un peu habitués. D’ailleurs, il y a aujourd’hui de par le monde bien peu de sculpture intéressante. Il faut cependant mettre en avant Henry Bouchard, qui avec quelques autres imagiers tente de faire revivre l’école de Bourgogne. Il y manque peut-être quelques étrangers comme Claus Sluter que Bouchard fit revivre l’an dernier. Il anime cette année l’effigie de Nicolas Rolin, qui fonda l’hôpital de Beaune et la collégiale de Notre-Dame d’Autun. Il y a là de la science et de la vigueur. Et pour ma part, je ne demande aujourd’hui qu’un François Rude pour crier : « Vive l’école bourguignonne » avec le même enthousiasme que je crierai : « Vivent les crus de la Bourgogne. »

J’ai goûté la sculpture polychrome d’Abbal.

Le marbre du Fra Angelico et son Hoche classent désormais Jean Boucher au premier rang des sculpteurs qui exposent aux Artistes français.

Certes, il manque ici un Despiau, mais nous avons Niclausse qui est un artiste puissant et concentré. Il y a une grâce pudique très touchante dans la femme nue de Fernand David. La Bergerie berrichonne, de Nivet, met cet artiste bien en vue.

La série de Beethoven s’augmente de celui de M. Gustave Michel. Je cite encore la Jeune fille nue, de Sicard, un groupe ailé très décoratif de M. Marcel Gaumont, une Pastorale de Desruelles, l’envoi d’inspiration religieuse de M. de Villers, un bronze d’Evans, des œuvres de Poncin, de Bacqué, de Morel, de Confesse, de Mathey, une cire perdue, la Charmeuse, de Landowski.

Il faut bien citer encore une fontaine de M. Alaphilippe (Fontaine, je ne boirai pas de ton eau !), un Richelieu d’Hippolyte Lefebvre, Cordonnier, Birnstamm, une Jeune fille lutinée par Zéphir, de Salatté, une Baigneuse surprise, de Laporte-Blairsy, l’Avril, de Max Blondat, une œuvre intéressante de Blanche Moria, les Danaïdes, et pour mémoire les Pélions de MM. Allouard, Boisseau, Camus, Ville-neuve, Ernest Dubois, Hector Lemaire, Marqueste, entassés près des Ossas de MM. Icard, Le Goff, Peyre, Boisseau, Moreau, Vauthier, etc., etc. Que d’efforts de Titan pour affronter tant de hautes cimes. J’ai cru d’abord que j’allais avoir le mal des montagnes durant cette guerre de géants, mais je me suis vite aperçu que j’allais m’abîmer dans un océan d’ennui, et je m’en suis allé fredonnant, comme les naufragés du Titanic, les seules paroles connues de l’hymne célèbre : « Plus près de toi, mon Dieu » !

[1914-05-03] Les Arts

Exposition Roger de La Fresnaye (Galerie Levesque) §

Paris-Journal, 3 mai 1914, p. 000.
[OP2 668-669]

Roger de La Fresnaye a peint deux tableaux dans sa vie : La Conquête de l’air et une nature morte qui n’est pas revenue des Indépendants.

Les autres toiles qu’il expose m’ont paru peu expressives et c’est avec regret que j’ai revu le Cuirassier qui m’avait ému aux Indépendants, il y a deux ou trois ans. Est-ce l’éclairage de la salle ? Est-ce autre chose ? Il me semble qu’il n’y a pas plus d’émotion dans la patte du cheval que dans la jambe du militaire. C’est mort. La matière manque. L’Artillerie nous ramène à cette fâcheuse époque où, séduits à la fois par le cubisme et les tentatives de Dufy, un grand nombre de peintres faisaient de l’imagerie. Roger de La Fresnaye a heureusement évolué depuis lors et l’Artillerie qui n’a point gagné n’a pas diminué non plus la gloire de Georgin à laquelle travaillent en ce moment M. Lucien Descaves en prose et M. Fernand Fleuret en vers.

Deux natures mortes décoratives qui se trouvent de chaque côté de la Femme gardant des vaches deviendraient facilement, si l’artiste les poussait un peu, des ouvrages dignes de la Nationale. Il suffirait pour cela de mettre de la musique sur le pupitre, des cordes au violon et de tracer sur la mappemonde les contours de l’Afrique ou des deux Amériques.

La gardeuse de vaches manque à la fois de proportions véritables et de proportions sentimentales. Alors…

À tout cela font défaut la composition et la matière. Je crois qu’il faut dire ces choses à un artiste qui, comme Roger de La Fresnaye, a peint cette œuvre vivante et légère : La Conquête de l’air.

[1914-05-04] Les Arts

Exposition Atl. « Les montagnes du Mexique » (Du 1er au 15 mai 1914, galerie Joubert et Richebourg) §

Paris-Journal, 4 mai 1914, p. 000.
[OP2 669-671]

M. Atl est un artiste mexicain qui a de grandes visées. Son goût des exercices ascétiques, la simplicité de sa vie, le but difficile à atteindre qu’il s’est donné, ses cartes de visite mêmes qui, au-dessus de son patronyme monosyllabique portent l’indication : « Action mondiale », tout cela contribue à en faire un artiste intéressant. Il a parcouru en solitaire les hautes montagnes de son pays natal. Il y a vu des choses simples et belles, les a notées et maintenant qu’il a quitté le Mexique pour la France, ce sont ces notations qu’il soumet au public.

Son procédé spécial fait de lui un novateur, mais, par certains côtés, il se rattache au divisionnisme de Seurat et de Signac.

Il nous enseigne lui-même sur son art et sur ses recherches.

« Tout en notant la forme des rochers, la couleur d’une ondulation ou le mystère de la nuit qui plonge dans une vie étrange et silencieuse l’énergie de la montagne, j’ai voulu résoudre certains problèmes qui concernent exclusivement la technique de l’art pictural.

« J’ai toujours pensé que pour parvenir à exprimer des sensations nouvelles il fallait de nouveaux moyens techniques.

« Le problème se posait ainsi pour moi : peindre avec un corps solide qui, étalé sur la surface réceptrice, adhérât et séchât instantanément et assurât à la peinture le maximum de simplicité, d’éclat et de durabilité ; en même temps, obtenir naturellement la division des tons et être assuré de pouvoir aussi rapidement exécuter une esquisse que couvrir une muraille.

« Dès l’année 1906, je suis arrivé à fabriquer un conglomérat ayant toutes les qualités requises. J’ai alors fait des essais sur toutes sortes de surfaces — papier, toile, fibrociment, plâtre, bois, etc. — soumettant aux plus dures épreuves les couleurs et les œuvres.

« Les résultats obtenus jusqu’ici ont dépassé toutes mes prévisions… On peut diviser en trois catégories ces travaux qui, en la présente exposition, représentent la technique nouvelle :

« 1º Les peintures mates ;

« 2º Les peintures ayant la qualité du grès ;

« 3º Les estampes émaillées.

« Les autres œuvres sont faites à l’aide de procédés connus.

« Je présente en même temps deux albums : Les Volcans du Mexique et La Nuit sur la montagne.

« Toutes les manifestations nouvelles, les théories les plus avancées comme les principes les plus révolutionnaires ou les découvertes les plus inattendues, quels que soient leur caractère, leur direction ou leur forme, trouvent leur origine et leur correspondance en des manifestations antérieures qui se perdent jusqu’à se confondre en des antécédents très éloignés aux caractères les plus divers.

« Il en est ainsi de mon procédé, comme d’ailleurs de toutes les tendances et doctrines picturales contemporaines auxquelles il correspond.

« Mon procédé est un dérivé solide des méthodes de peinture helléniques. »

Outre ces nouveautés de la technique, l’exposition de M. Atl a le mérite d’être celle d’un peintre de montagnes. L’on sait qu’ils sont rares et les Japonais sont ceux qui ont le mieux réussi dans cette représentation difficile.

Ceux qui aiment les voyages lointains et les sites singuliers regarderont avec plaisir, extraits du carnet de voyage de l’éloquent M. Atl, ces paysages américains où dominent des cimes sourcilleuses aux noms aztèques ou toltèques : Le Popocatepetl, Le Sommet de l’Iztazjhuatl, Le Colima, Le Ziltaltepetl, Le Pic d’Orizaba, La Vallée d’Ameca et le Volcan, Les Vallées et le Toluca, etc.

[1914-05-05] La critique des poètes §

Paris-Journal, 5 mai 1914, p. 000.
[OP2 671-673]

Dans une chronique de L’Effort libre, M. Thiesson parle de l’art et de la critique modernes. Beaucoup de ses observations ne manquent pas d’à-propos. Elles ne manquent pas non plus d’injustice et manquent totalement de charité. Je ne lui en veux pas de ce qu’il écrit sur moi. Toutefois, ne s’égare-t-il pas en méconnaissant la liberté et la sincérité de ce que, dans Montjoie !, André Salmon avait appelé la critique des poètes. Et en ce qui me concerne, M. Thiesson a-t-il des artistes à opposer à ceux que j’ai défendus ? On peut n’aimer point Matisse, Picasso, Derain, Braque, Léger, Marie Laurencin, etc., mais on ne peut nier que ces peintres n’aient été les plus importants de leur époque, ni que je les aie défendus.

Que je m’intéresse ou non à ce que font aujourd’hui Delaunay et ses amis, je n’en ai pas été moins le premier à découvrir, à commenter un art à propos duquel chaque fois qu’on en parle ou écrit, c’est en employant des expressions, des idées qui m’appartiennent.

C’est encore vouloir faire l’innocent ou ignorer ce qu’est un journal quotidien, ou ce qu’est le jeu des relations, des amitiés, pour reprocher à un critique de mentionner beaucoup de noms dans un compte rendu de Salon où exposent des milliers d’artistes.

Jamais je n’ai tenté de décourager un jeune artiste. Je n’ai jamais, non plus, encouragé un artiste lorsqu’il me paraissait prendre, dans l’art contemporain, une place qu’il ne méritait point.

* * *

M. Thiesson a cru qu’écrivant des Indépendants, je généralisais : il se trompe. Ce que j’ai écrit sur les Indépendants ne s’appliquait qu’à ce Salon. Touchant Archipenko, par exemple, je ne me suis point appliqué à porter un jugement sur ce sculpteur. Mais il n’est point niable que son envoi n’ait été aux Indépendants une chose neuve et intéressante, tandis que la plupart des sculptures exposées là étaient médiocres.

En ce qui concerne Morgan Russell, M. Thiesson oublie qu’il s’agit d’un tout jeune homme qui avait entrepris une œuvre difficile à réaliser. Je ne prendrais pas sur moi de décourager un tout jeune homme ayant des visées si élevées. Estimant qu’il était doué, j’ai pensé qu’on devait lui faire crédit.

À en croire M. Thiesson, j’aurais dû expliquer les tableaux de Picabia, sous prétexte que ce peintre m’aurait « parlé longuement de ses recherches et de ses découvertes ». Picabia en a sûrement beaucoup plus longuement parlé avec mon honorable censeur qu’avec moi-même. Alors pourquoi M. Thiesson, qui est un connaisseur éclairé et qui trouvait l’occasion de prêter ses lumières au public, n’en a-t-il pas profité en expliquant, aux lecteurs de L’Effort libre, les tableaux de son ami puisque ce que j’en disais lui paraissait insuffisant ? Ce que j’en avais écrit était cependant l’expression exacte de ce que j’avais ressenti aux Indépendants. On a si souvent reproché, ces derniers temps, à Picabia d’être vulgaire, que j’avais plaisir à noter qu’il produisait sur moi une impression entièrement différente. Cette sécheresse raffinée a d’ailleurs disparu de ses nouvelles compositions que j’ai eu le plaisir de voir dernièrement.

M. Thiesson demande sur qui Picabia aurait eu de l’influence. J’ai peut-être tort de rechercher les influences que peuvent subir ou exercer les peintres dont je parle, mais on ne peut nier, je crois, que Picabia n’ait influencé deux peintres intéressants et qui cherchent : Marcel Duchamp et Jacques Villon, dont le premier a un réel et grand talent.

M. Thiesson se demande encore par qui Picabia est combattu. C’est que M. Thiesson ne lit point les journaux, qu’il ne fréquente pas de peintres, car Picabia est combattu très vivement. M. Soffici m’a reproché avec violence dans La Voce d’avoir parlé de ce peintre ; il ne se passe point de jour où l’insincérité de Picabia ne fasse l’objet de quelque filet de journal ou de revue.

En ce qui concerne Rochegrosse, M. Thiesson voudra bien croire qu’il a vu sur une couverture un de ses tableaux reproduit juste au-dessous de mon nom ; c’est le fait des éditeurs et non le mien.

Dufy me paraît avoir eu quelque influence sur des jeunes peintres et une influence très marquée. Ces peintres sont assez nombreux pour que l’on puisse considérer Dufy comme leur maître. On l’a sacrifié ; je me suis efforcé de montrer le rôle qu’il a joué. Je lui trouve du talent, mais je n’aime pas son influence ; je l’ai dit. Quant à Chagall, je ne doute point que M. Thiesson pense comme moi ; ce garçon de vingt ans était un des meilleurs coloristes du Salon.

* * *

M. Thiesson réserve tous ses éloges pour une brochure vendue à la porte des Indépendants. Elle m’a amusé autant que lui. Et si j’ai goûté le savoureux pamphlet, je m’étonne que M. Thiesson, qui s’y connaît, en approuve les parties où se trouvent les éloges. Tant de bon sens dépensé pour injurier des femmes, pour aboutir à la divination de l’éclatante et banale peinture de Van Dongen, ce Rochegrosse du fauvisme, voilà des résultats bien extraordinaires et voilà la critique que M. Thiesson déclare merveilleuse.

On m’a si souvent reproché de faire une critique partiale en faveur d’une seule école, que je me suis réjoui de voir M. Thiesson me reprocher un éclectisme qui, s’il existait ailleurs que dans son imagination, vaudrait bien, après tout, son dilettantisme.

La critique des poètes n’existait pas « lorsque Gauguin vivait misérablement à Tahiti, et que Van Gogh, ignoré, peignait ses tableaux passionnés ». Aujourd’hui, les poètes n’ont laissé dans l’ombre ni Matisse ni Picasso. Ils n’ont point pris parti d’admirer toute chose nouvelle. Ils s’efforcent de la distinguer pour que les forces qu’elle peut apporter ne soient point perdues. Et puisque M. Thiesson pense que les poètes font aujourd’hui « triompher la médiocrité », il serait bon qu’il achevât sa pensée en nous disant quels artistes médiocres la critique des poètes a mis au premier rang et quels génies elle a méconnus.

[1914-05-05] Les Arts §

Paris-Journal, 5 mai 1914, p. 000.
[OP2 674-676]

Les volcans au Mexique §

En même temps qu’il expose les études qu’il a faites des montagnes du Mexique, M. Atl publie quelques albums d’un procédé nouveau et curieux parmi lesquels un intéressant recueil en couleurs intitulé Les Volcans du Mexique, dédié À la science et à l’amour des plus grands chanteurs de la montagne, Élisée Reclus, Michelet, Hokousaï, Segantini. Il y a là quelques très belles planches en couleurs. M. Atl est un artiste de talent nouveau et généreux et il a un véritable sentiment décoratif.

Un portrait de Zwingli §

Le 14 mai on vendra à l’hôtel Drouot, à la vente de la succession de Mme H***, un portrait du réformateur suisse Ulric Zwingli. Ce portrait qui fut attribué à Holbein représente l’auteur des soixante-sept articles à mi-corps, de trois quarts à droite, les yeux fixés sur le spectateur, les mains appuyées à la ceinture, tenant un œillet rouge. L’index et l’annulaire de la main droite sont ornés de bagues. Coiffé d’une toque vert sombre enrichie de ferrets et d’une médaille d’orfèvrerie, ses cheveux bruns pendant sur les oreilles, il porte un manteau vert sombre à large col et revers de fourrure claire, ouvert sur un pourpoint rouge. On aperçoit à droite, la poignée ciselée de la dague.

Georges Braque §

Le dernier numéro des Soirées de Paris contient huit reproductions d’après les tableaux de Georges Braque qui avec Picasso est un des initiateurs du cubisme. Georges Braque est un des peintres français les plus intéressants d’aujourd’hui et l’un des moins connus. Il n’a fait jusqu’ici qu’une seule exposition collective, à la galerie Kahnweiler en novembre 1908, c’est également à partir de cette époque qu’il a cessé d’exposer au Salon d’automne et aux Indépendants. C’est la première fois qu’une revue française donne des représentations de ses œuvres.

Paroles de Corot §

Le 7 octobre 1875, J. Aviat les transmettait à M. Seurat père, vraisemblablement pour satisfaire une curiosité manifestée par Georges Seurat, âgé de seize ans. Ce sont trois pages manuscrites intitulées : « Souvenirs de mes bonnes et intéressantes causeries avec M. Corot (année 1869 à Méry-sur-Seine) ». « Intéressantes » est peut-être excessif — mais il s’agit de Corot. C’est M. Félix Fénéon qui les publie dans le Bulletin de chez Bernheim.

« Il faut d’abord bien sentir son sujet ; puis quand on l’a bien vu, bien compris, faites et alors confiance.

« Il y a des peintres qui, après avoir produit des chefs-d’œuvre, avoir reçu des récompenses et être arrivés au faîte des honneurs (Cabat) s’arrêtent ; les uns pour ne pas ternir leur réputation, les autres pour que leurs œuvres conservent une valeur plus grande, un prix plus élevé. Moi, je travaillerai quand même. On se doit à l’art et à ceux qui ont récompensé votre travail, votre mérite. On dira bien : le père Corot baisse ! Eh bien ! si je baisse, tant pis ! Il faut montrer à la jeunesse combien il faut se raidir et se tenir sur ses gardes pour ne pas tomber.

« Je cherche toujours à voir tout de suite l’effet ; je fais comme un enfant qui gonfle une bulle de savon : elle est encore toute petite, mais elle est déjà sphérique ; puis il gonfle tout doucement jusqu’à ce qu’il ait la crainte qu’elle n’éclate. De même, je travaille dans toutes les parties de mon tableau à la fois, en perfectionnant tout doucement jusqu’à ce que je trouve l’effet complet.

« Je commence toujours par les ombres, et c’est logique, car, comme c’est ce qui vous frappe le plus, c’est aussi ce que l’on doit rendre d’abord.

« Ce qu’il y a à voir en peinture, ou plutôt ce que je cherche, c’est la forme, l’ensemble, la valeur des tons ; la couleur, pour moi, vient après. »

L’exposition Franc-Lamy (Galerie Vollard, 6, rue Laffite du mercredi 22 avril au 6 mai) §

Hier après-midi, M. Jacquier, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, a visité l’exposition de M. Franc-Lamy, chez Vollard. Le sous-secrétaire d’État était accompagné de MM. Lucien Hubert et Gomot, sénateurs. M. Gomot est sénateur du Puy-de-Dôme et l’on sait que M. Franc-Lamy est né à Clermont-Ferrand. L’exposition de M. Franc-Lamy comprend une série de tableaux lumineux : Venise et La Côte d’Azur. Nous reviendrons sur cette exposition.

La collection Kullmann §

Treize œuvres seulement la composent, mais toutes de la plus rare qualité et presque toutes de capitale importance. Elle vient de Manchester, et sera dispersée à Paris, hôtel Drouot, salle nº 1, le 16 mai, par Me Henri Baudoin, commissaire-priseur, assisté de MM. J. et G. Bernheim Jeunes, experts près la cour d’appel.

Exposition publique :

1º Les jeudi et vendredi, 14 et 15 mai, de 10 à 6 heures, galerie Bernheim-Jeune, 15, rue Richepanse ;

2º Le samedi 16 mai (jour de la vente), de 1 h 30 à 4 heures, à l’hôtel Drouot, salle nº 1.

Les musées et les collectionneurs trouveront là : de Renoir, sa grande Baigneuse de 1895 et un paysage ; de Vincent Van Gogh, l’Escalier à Auvers, qu’il peignit quelques semaines avant de mourir ; de Cézanne, une de ses pages essentielles, le Village à travers les arbres, et une aquarelle ; d’Henri Rousseau, ses Éclaireurs attaqués par un tigre, des Indépendants de 1904, et, à côté de cette manière de chef-d’œuvre, deux paysages parisiens ; de Bonnard, L’Étable (1912) ; d’Henri Matisse, l’Ilyssus du Parthénon (1912) ; d’Henri-Edmond Cross, son éblouissant Paysage avec le cap Nègre, de 1907 ; un dessin rehaussé de Degas ; une aquarelle de Turner.

[1914-05-06] Les Arts §

Paris-Journal, 6 mai 1914, p. 000.
[OP2 677-679]

Venise et la Côte d’Azur (Galerie Ambroise Vollard) §

C’est beaucoup plus que « Venise et la Côte d’Azur », l’exposition d’un ami de Renoir, de « M. Renoir » comme on dit là-bas. Vues de Cagnes, environs de Cagnes, La Maison de Renoir, Les Oliviers de M. Renoir, Le Jardin de Renoir. Voici encore un portrait de Cézanne…

Peinture d’époque, peintre modeste et attentif dont la sensibilité s’exerce parfois avec bonheur dans des régions explorées par les grands impressionnistes et surtout dans celles où pénétra le premier Renoir, le plus grand peintre vivant. M. Gustave Geffroy s’est plu, à l’occasion de cette exposition, à retracer la carrière de Franc-Lamy qui, jeune encore, de l’Auvergne où il était né, vint à Paris.

Sa passion téméraire pour l’art, sa jeune insouciance devaient le réunir aux prohibés d’alors. Il connut Manet, Degas, Cézanne, Renoir, fréquenta la Nouvelle-Athènes, eut la sympathie de Mallarmé, de Villiers de L’Isle-Adam, dont il montre quelquefois en silence le portrait rapide qu’il put exécuter devant le lit de mort.

Il fait partie, en 1877, de la troisième exposition du groupe impressionniste avec Caillebotte, Cals, Cézanne, Coraey, Degas, Guillaumin, Jacques François, Levert, Manet, Monet, Berthe Morisot, Piette, Pissarro, Rops, Rouart, Sisley, Tillot. Combien sont encore vivants parmi ceux qui ont mené le beau combat de la peinture claire ? Cinq ou six, peut-être.

Franc-Lamy accepte une place de professeur de dessin de la ville, enseigne au lycée Janson-de-Sailly. Il est entraîné à suivre le courant officiel, et nous le trouvons parcourant la carrière monotone des Salons. Il y apporte son labeur acharné, se plie aux techniques sévères. En 1880, il expose un portrait de vieille femme précis, serré, à la manière d’Holbein. En 1882, un naturaliste Conseil de révision attire à son auteur des sarcasmes et des suffrages : la toile est maintenant au musée de Clermont-Ferrand. Une circonstance fortuite affranchit alors Lamy des préoccupations déprimantes de l’existence pénible. Mais à quel prix ! Pierre Giffard, en 1889 l’associe à sa création du grand reportage des journaux quotidiens par l’image. Il est le premier à donner ces croquis rapides qui illustraient les grands et les petits événements du jour. Il lui fallut une singulière énergie pour accorder les exigences d’une vie double désormais, car pas un instant il n’abandonna le travail patient, amoureux, du peintre épris des beaux effets apaisants de la nature. Il trouva le moyen de faire plusieurs expositions malgré l’obligation d’être toujours le premier devant l’événement sensationnel.

Quelle école ! Les attentats anarchistes, les exécutions capitales, les scandales politiques, les catastrophes désolantes l’eurent pendant des années comme spectateur, œil ouvert, le crayon en main. Il subit le contact immédiat des misères brutales, il respira l’odeur obsédante des misères humaines brusquement découvertes par un drame, et sut conserver sa sérénité d’artiste… On saisit bien maintenant la nerveuse simplicité des dessins qu’il expose aujourd’hui avec ses paysages du Midi.

Peintre reporter comme Constantin Guys, Franc-Lamy ne présente pas un intérêt de curiosité équivalent. Les villes, les ports, les citadins de toutes les classes, voila ce qui touchait l’ami de Baudelaire. Au contraire, il faut à l’ami de « M. Renoir » l’air de la campagne.

Architecture §

Le Sturm de Berlin publie un grand article de M. Josef Capek sur l’« Architecture moderne ». Cet artiste est très en honneur aujourd’hui en Bohême, et les architectes tchèques ont pris la tête du mouvement moderne.

Un quatrain persan §

On pourra le lire, le dimanche 24 mai, à l’exposition publique de la collection Arthur Sambon sur un bol persan de Rhagès (xiiie siècle).

C’est un bol à profil droit, fond blanc, peinture sous émail en bleu cobalt et noir. Deux bandes croisées partagent le champ en quatre compartiments ornés d’un arbre stylisé (l’arbre Hom) avec deux oiseaux affrontés, motif connu déjà par les tissus sassanides.

Les bandes offrent un quatrain au sgraffito blanc, qui renferme les doléances d’un amant et cette ruse naïve pour se faire aimer :

Puisque tu ne peux m’aimer un seul instant.
Ne meurtris pas davantage mon cœur déjà blessé.
Sois moins dure, moins tyrannique envers moi
Jusqu’à ce que, petit à petit, mon cœur se détache de toi.

C’est charmant et d’une psychologie délicate.

Conférence de Fernand Léger §

Le peintre Fernand Léger doit faire le samedi 9 mai, à 8 h 30, à l’académie Vassilieff, 2, avenue du Maine, une conférence Sur la peinture, cette manifestation ne manquera pas d’être intéressante, car Léger a des choses importantes à dire.

[1914-05-07] Les Arts §

Paris-Journal, 7 mai 1914, p. 000.
[OP2 1620]

Le Salon de l’art mystique moderne §

Tous les samedis, de 5 à 7 heures, ont lieu, chez M. Boleslas Biegas, 3 bis, rue de Bagneux, les réunions hebdomadaires du Salon de l’art mystique moderne. Sont conviés à ces réunions tous les peintres, sculpteurs, artistes décorateurs, amateurs ou critiques d’art, collectionneurs, éditeurs, musiciens, poètes et écrivains désirant prendre part au grand mouvement de l’art mystique moderne.

On sait quels sont, outre M. Boleslas Biegas, les inspirateurs de la nouvelle Société : Henry de Groux, Dynam-Victor Fumet, Marcel Roux, Lucien Parisot, Félix Bellenot, Justin Klotz, René Dessambre, Victor Rosenblum et Stanislas Fumet, le groupe des Échos du silence. Ils fusionnent, en cette nouvelle fondation, avec les principaux maîtres de l’art idéaliste, soit mystique, moderne — entre autres : Marcel Lenoir, Joseph Bernard, etc. (nous espérons bien voir se rallier à ces derniers des hommes tels que MM. Maurice Denis, Odilon Redon, Georges Desvallières, etc.); et une phalange magnifiquement riche d’indépendants apparaît. Le Salon est international. Nous voyons figurer à ces réunions, à côté de MM. Louis Bouquet, André Juin, Henry Ramey et bien d’autres qui n’ont peut-être pas encore de noms, les éléments étrangers les plus marquants : Angel Zarraga, Polissadoff, Joé Zadkin et Chana Orloux, l’initiatrice de l’école de Sion.

La musique est représentée par le maître Dynam-Victor Fumet et par M. l’abbé F. Brun, en attendant MM. Vincent d’Indy, Gabriel Pierné, Déodat de Séverac, Florent Schmitt, Amédée Renchsel, etc.

Les poètes sont plus nombreux, nous parlerons d’eux à l’occasion.

Ce qu’il s’agit seulement de préciser maintenant, c’est que la Société s’engage à rénover l’art mystique par l’héroïsme esthétique et encore, selon la phrase de M. Stanislas Fumet, « à faire du symbolisme une école de grandeur ».

Un dessin d’Arthur Rimbaud §

Dans le dernier numéro du Mercure de France, M. Paterne Berrichon publie un dessin d’Arthur Rimbaud trouvé sur un livre de classe. Il y a une grande parenté d’expression entre les dessins d’Arthur Rimbaud et ceux de Baudelaire. D’ailleurs, leurs esprits ne sont point fort éloignés l’un de l’autre.

La sépulture de Gauguin §

D’après un rapport de M. André Krajewsky l’état de délabrement où est tombée la sépulture Gauguin aux îles Marquises est inimaginable. Une croix de bois sans aucun nom en marque seule l’emplacement. Gauguin vécut environ un an et demi à Antuana (île d’Hiva-Oa), où il est enterré. On peut prévoir que dans peu d’années cette île sera devenue déserte. À Antuana, il y eut, en 1913, 47 décès et 11 naissances ; la moitié des maisons est abandonnée. De nombreux troupeaux d’animaux domestiques, cochons, chevaux, chèvres vivent en liberté depuis la mort de leur maître et sont revenus à l’état sauvage. On estime que dans moins de dix ans la petite croix de la tombe de Gauguin se dressera dans un véritable paradis terrestre.

[1914-05-07] Trois expositions §

Paris-Journal, 7 mai 1914, p. 000.
[OP2 679-683]

Guillaume Régamey §

À la galerie Bernheim s’est ouverte une importante exposition de Guillaume Régamey, peintures militaires, parmi lesquelles Les Cuirassiers au cabaret appartient au musée du Luxembourg, Le Drapeau des grenadiers de Magenta au musée de l’Armée, L’Escadron de cavalerie mixte de l’année de Chanzy à l’école militaire de Saint-Cyr. Il y a aussi des pastels rustiques, des dessins dont deux appartiennent au musée du Luxembourg, des lithographies et de curieux croquis d’après les démolitions du Vieux Paris en 1856, des aquarelles. M. Ernest La Jeunesse, qui s’intéresse aux costumes militaires, doit être dans la joie. M. Charles Saunier a écrit pour cette exposition une préface dont voici quelques extraits :

« À trente-sept ans, Guillaume Régamey mourait le 3 janvier 1875. Mais, à l’encontre de tant d’artistes de renommée tapageuse ou de caractère officiel, il n’entra pas dans les oubliés à peine le dernier souffle rendu. Les organisateurs des rétrospectives ouvertes à l’occasion des Expositions universelles qui suivirent lui ont fait une large place, montrant : en 1878, Les Sapeurs, tête de colonne du 2e cuirassiers de la Garde (S[alon] 1868) ; Avant-poste de tirailleurs algériens, campagne de Crimée (S[alon]) 1871) ; Cuirassiers au cabaret (S[alon] 1875) ; en 1889, les mêmes Cuirassiers au cabaret et Cuirassiers du 9e, campagne de Crimée (S[alon] 1869) ; en 1900, Une batterie de tambours de grenadiers de la Garde, campagne d’Italie (S[alon] 1865) et les Cuirassiers de la 9e, déjà exposés en 1889.

« À ces compositions qui révélaient une compréhension stendhalienne de la vie militaire vue par ses à-côtés, c’est-à-dire dans une vérité d’attitude, de moment, d’atmosphère, on n’avait pas manqué de joindre des pastels et des dessins. Car, quoique Guillaume Régamey possédât une touche puissante et sobre qui produisait grand effet, l’intensité et l’originalité de ses moyens d’expression étaient plus clairement révélées, peut-être, dans les dessins et pastels. Exacts certes, ils passaient la réalité, atteignaient à l’épique, se trouvant empreints de tout ce que peut ajouter à la vision directe une mémoire vive et exercée, encline à accentuer l’essentiel et à sacrifier, par contre, l’inutile…

« Guillaume Régamey appartenait, en effet, à cette phalange formée par un professeur de génie, Lecoq de Bois-baudran, qui cultivait chez ses élèves la mémoire, « mémoire pittoresque ou mémoire conservée », selon ses propres expressions. Et, comme ses yeux avaient appris à voir et sa mémoire à retenir, il pouvait, de retour à son atelier, exécuter une foule de pastels, de dessins admirables par la puissance du trait, la chaleur de l’effet, la grandeur de l’expression. Aucun de ceux qui visiteront la présente exposition ne me contredira.

« Le cheval l’avait, naturellement, amené à étudier le cavalier et le cavalier, conduit à traduire la fière allure du cuirassier, la prestesse du spahi. D’où, des tableaux militaires dont le plus important, la Tête de colonne du 2e cuirassiers de la Garde, est conservé au musée de Châlons-sur-Marne, après avoir longtemps séjourné sous la tente de l’empereur Napoléon III qui l’avait acquis. Rien d’une toile de parade cependant. Au témoignage de Théophile Gautier qui admira l’œuvre : les Sapeurs “s’avancent fouettés de la pluie et du vent qui s’engouffrent dans leurs manteaux rouges, par un chemin défoncé, creusé de profondes ornières où leurs chevaux pataugent péniblement dans l’eau et la boue”. Le musée de Pau conserve un autre chef-d’œuvre, la Batterie de tambours de grenadiers de la Garde et notre Luxembourg, qui les a prêtés à l’exposition de la galerie Bernheim-Jeune, les Cuirassiers au cabaret, la dernière œuvre de Régamey, mais qui ne peut faire oublier les crânes Cuirassiers du 9e, aujourd’hui fierté de la riche galerie Van Cuthem-Charlier, à Bruxelles.

« On peut s’étonner, à juste titre, que les amateurs du temps présent, malgré le conseil des artistes et des écrivains d’art, n’aient pas plus fiévreusement recherché depuis vingt ans les œuvres de Guillaume Régamey. »

Une préface singulière §

M. Diego H. Rivera expose à la galerie B.-Weill, 25, rue Victor-Massé, des études et des dessins qui montrent jusqu’à quel point ce jeune peintre a été ému par l’art moderne ; d’ailleurs, la sensibilité de deux ou trois dessins aurait déjà justifié cette exposition.

Quelqu’un qui signe B. a écrit pour le catalogue une préface dans laquelle l’exposant qu’il est chargé de présenter est pour ainsi dire injurié ; c’est la première fois, croyons-nous, qu’un fait semblable se produit. Voici comment s’exprime le préfacier anonyme :

« Nous présentons ici aux amateurs de jeunes le Mexicain Diego H. Rivera que les recherches du cubisme ont tenté.

« Nous ne voulons pas courir le risque de faire le panégyrique de ce jeune artiste ; laissons-le évoluer et, quelque critique ou barnum bien intentionné, enfonceur de portes ouvertes, se trouvera bien à point, un jour, pour le découvrir. Du danger d’encenser trop tôt les artistes, nous avons mille preuves : tel, révélant quelques dons, est poussé, encouragé ; un coup de veine le fait arriver à une petite notoriété ; crac ! il s’embourgeoise ; il veut gagner “beaucoup” d’argent ; il devient très… “talon-rouge” ; à l’instar de tel mécène de la haute couture, il se croit de la lignée du Grand Louis ; son génie n’a d’égal que celui de… la Bastille ; son œuvre, actuellement ? il accouche de loin en loin d’une souris ; souvent, oublieux de sa lignée, il s’attarde dans les antichambres, mais les tentures murales ont trouvé un… novateur : hurrah !

« Tel autre a vidé son sac, mais il règne en maître et toute sa cour, accroupie, se dispute ces débris ; ricanant et satisfait, il contemple la curée ; quoique espagnol, son génie n’a pas grandi.

« Tels autres encore (eunuques, gardiens du sérail) montent la garde autour du coffre-fort : Défense aux jeunes d’entrer !

« Mais rajeunissez donc les cadres ! ça sent le moisi ! de l’air !

« Ah ! ils jouent serré et dru, eh ! les bougres !

« Combien d’autres encore n’existent plus, eux, que dans leur propre imagination ?

« Et tout cela au nom de l’art ? le pôvre ! Servum pecus !

« Venez voir les jeunes, libres, indépendants, et vous trouverez dans leurs œuvres, parmi les maladresses sans nombre, le charme primesautier de la jeunesse ; aucune recherche du désir de plaire, qui vous plaira. »

M. Rivera n’a pu savoir quel était l’auteur de cette préface où l’on traite avec mépris tout ce qu’il respecte dans l’art moderne. Mais que dites-vous d’un critique qui accepte, sans même en être sollicité par l’artiste, de faire la préface d’une exposition dont il réprouve les tendances ?

Les fleurs de Madeleine P.-F. Namur §

À propos de ces fleurs et de la fleur en général, M. René Maizeroy a écrit ces lignes pour célébrer l’exposition actuellement chez Devambez (ouverte jusqu’au 16 mai) :

« J’aime passionnément les fleurs.

« Je souffre de les sentir prisonnières et blessées, de les voir agoniser peu à peu dans les vases ou sur les corsages.

« Je voudrais passer tous les loisirs que me laisse la vie en quelque beau jardin secret et solitaire, dont nul autre que moi n’ouvrirait la porte.

« Je m’imagine les sensations complexes et émouvantes que j’y goûterais à chaque pas et chaque jour, les surprises que m’y réserveraient le printemps adorable, le torturant été, le langoureux automne, le tragique hiver, les jeux du soleil, de la pluie et du givre, la fuite et les métamorphoses des heures, l’enchantement des aurores et des crépuscules, la griserie des parfums.

« Je ne me lasserais jamais d’une telle volupté.

« Ô le mystère des éclosions !

« C’est d’abord quelque chose d’indécis, de frêle, qui pointe et qui frissonne hors de la terre, puis le fuseau change de teinte, se violacé, rosit, s’allonge, les feuilles se déplient, délicates, comme encore chiffonnées, la corolle s’en dégage, se forme, duvetée. Et la fleur apparaît enfin, s’entrouvre, pétale par pétale, de même que des lèvres amoureuses, s’offre, humide de rosée, tentatrice, fraîche avec son étamine raidie, son pollen odorant aux papillons, aux cétoines, aux mantes prieuses, donne toute son âme, change de nuances, puis s’effeuille, se disperse sans retour ! »

[1914-05-08] Les Arts §

Paris-Journal, 8 mai 1914, p. 000.
[OP2 683-686]

M. de Pinelli §

Les lecteurs de revues et de journaux sont exposés à y rencontrer à tout instant le nom de M. de Pinelli. Paris-Journal d’hier nous le montrait copiant faiblement un portrait de Balzac sur son lit de mort, par Eugène Giraud. La copie de Pinelli se trouve à Carnavalet. Ailleurs, on nous le montre faisant un petit voyage de Bruxelles à Francfort-sur-le-Main en compagnie de la belle Juliette Drouet qui allait bientôt devenir la maîtresse de Victor Hugo. On retrouve parfois des estampes ou des aquarelles de Pinelli chez les marchands de gravures de Paris où il est mort en 1835. Delacroix estimait ses eaux-fortes et il est de fait que sa suite de Meo Patacca est amusante et animée. La Bibliothèque nationale possède une partie importante de son œuvre et en particulier sa suite sur les Amours des dieux, dont il a été impossible à un de nos amis qui s’occupe particulièrement de Pinelli d’obtenir communication sous le prétexte qu’elle est dans le goût des recueils de Carrache. Il faut ajouter que Baudelaire (Curiosités esthétiques) n’avait aucune estime du « classique Pinelli » comme il l’appelle :

« Nous ne dirons pas de lui qu’il est précisément un caricaturiste ; c’est plutôt un croqueur de scènes pittoresques. Je ne le mentionne que parce que ma jeunesse a été fatiguée de l’entendre louer comme le type de caricaturiste noble. En vérité, le comique n’entre là-dedans que pour une quantité infinitésimale. Dans toutes les études de cet artiste nous trouvons une préoccupation constante de la ligne et des compositions antiques, une aspiration systématique au style.

« Mais Pinelli — ce qui sans doute n’a pas peu contribué à sa réputation — eut une existence beaucoup plus romantique que son talent. Son originalité se manifesta bien plus dans son caractère que dans ses ouvrages ; car il fut un des types les plus complets de l’artiste, tel que se le figurent les bons bourgeois, c’est-à-dire du désordre classique, de l’inspiration s’exprimant par l’inconduite et par les habitudes violentes. Pinelli possédait tout le charlatanisme de certains artistes : ses deux énormes chiens qui le suivaient partout comme des confidents et des camarades, son gros bâton noueux, ses cheveux en cadenette qui coulaient le long de ses joues, le cabaret, la mauvaise compagnie, le parti pris de détruire fastueusement les œuvres dont on ne lui offrait pas un prix satisfaisant, tout cela faisait partie de sa réputation. Le ménage de Pinelli n’était guère mieux ordonné que la conduite du chef de la maison. Quelquefois, en rentrant chez lui, il trouvait sa femme et sa fille se prenant aux cheveux, les yeux hors de la tête, dans toute l’excitation de la furie italienne. Pinelli trouvait cela superbe : “Arrêtez ! leur criait-il, ne bougez pas, restez ainsi.” Et le drame se métamorphosait en un dessin. »

Exposition de peinture de Félix Vallotton (Galerie Druet jusqu’au 16 mai) §

Félix Vallotton qui pensait s’approcher d’Ingres n’a pas dépassé cet idéal mécanique de la photographie où la nature est reproduite pour ainsi dire à l’emporte-pièce. Il ne l’a pas dépassé et M. Vallotton ajoute à cet idéal toute une part conventionnelle qui affadit ce qu’il peint. Musées et sanatoriums de la Suisse, peinture sérieuse, trop sérieuse. Il y a moins de souplesse chez les peintres suisses comme Vallotton et Hodler que chez les peintres d’Allemagne, il est vrai que les rares peintres jeunes dignes de ce nom qui travaillent aujourd’hui en Allemagne sont des Slaves, comme Kandinsky et Kokoschka.

Bois sculptés par M. de Chamaillard §

À la galerie Milton, 20, rue Milton, M. Ernest de Chamaillard a réuni quelques bois sculptés polychromes, qui sont d’un art très personnel. M. de Chamaillard qui a été un des amis préférés de Gauguin s’est adonné à la sculpture sur bois sur ses conseils. Cependant son art est entièrement personnel.

Exposition rétrospective d’Henri Havet §

Ce soir aura lieu dans la chapelle de la Source à Auteuil le mariage d’une jeune artiste décorateur, Mlle Christiane Havet, avec le poète suisse Paul Œschman. À ce mariage seront sans doute présents les survivants de l’entourage de Mallarmé, dont fit partie le père de l’épousée, Henri Havet. On peut voir en ce moment à la Nationale une exposition rétrospective de ce peintre. Elle ne comprend pas moins de dix toiles. La forêt de Fontainebleau, si chère à Stéphane Mallarmé, à Elémir Bourges, à Paul Fort, dont Henri Havet fut l’ami, la forêt de Fontainebleau dont il s’efforça si souvent de fixer sur la toile les sites pittoresques, n’est pas représentée dans cette sélection posthume de son œuvre ; on n’y verra pas non plus ces Alpes de France, d’Italie ou de Suisse dont il se plaisait à décrire par le pinceau les profils neigeux. Par contre, on y verra un Parc de Saint-Cloud, un Printemps à Médan, un Soir près d’Alger, un Coucher de soleil sur le lac de Côme, Rome avec son Forum, son Palatin et ce Vieux jardin de Passy qui s’étend encore aujourd’hui sur les coteaux entre la Seine et la rue Raynouard, devant les fenêtres de la maison où l’artiste vécut une longue partie de sa vie.

Pradier §

Dans le Mercure de France, M. Louis Guimbaud publie un intéressant article sur la jeunesse de Juliette Drouet, qui fut la muse de Victor Hugo et à laquelle nous devons la belle description du petit Picpus dans Les Misérables. Elle peignait agréablement, ayant pris des leçons d’aquarelle du célèbre peintre de fleurs Redouté. La partie la plus amusante de l’article est ce qui se rapporte au sculpteur James Pradier, dont Juliette Drouet fut d’abord l’élève, puis la maîtresse. M. Guimbaud pense que l’on retrouve les traits de Juliette Drouet à la statue de Strasbourg, sur la place de la Concorde. Il publie aussi un certain nombre de lettres de Pradier, « dans lesquelles la platitude le dispute d’ailleurs à la vulgarité… rebutant mélange de faux-fuyants, de vantardises, de pharmacie et de préchi-précha ».

Un petit musée §

La même revue signale au 14 de la rue de Poissy un petit musée napoléonien contenant des gravures rares, des dessins, des miniatures, etc., bien peu connu. Ce musée qui s’enrichit constamment par des dons est dirigé par un enfant de dix ans. Ce petit garçon détient sans doute le record de l’esprit conservateur.

[1914-05-09] Les Arts §

Paris-Journal, 9 mai 1914, p. 000.
[OP2 687-688]

Le veuf paysagiste §

Le vieux peintre H***, une des plus authentiques gloires de l’ancienne école française de paysage, eut un jour la douleur de perdre sa femme. Mais celle-ci n’était point morte, elle était en léthargie. Un mouvement brusque des croque-morts heurta le cercueil contre la paroi de l’escalier et réveilla Mme H***, dans son suaire. Il fallut la délivrer.

Mais elle mourut une seconde fois, qui fut la bonne. On l’ensevelit de nouveau, de nouveau le cercueil descendit l’escalier.

« Allez doucement », recommanda le veuf aux employés des pompes funèbres.

Maximilien Luce §

La galerie Alfred-Flechtheim de Düsseldorf expose vingt-neuf tableaux du peintre Maximilien Luce. Il y a là des toiles qui remontent à 1888 et qui sont peintes dans la technique même de Seurat, de laquelle Luce s’est éloigné ces dernières années. Le poète Émile Verhaeren a écrit pour cette exposition du peintre de la vie ouvrière une belle préface lyrique. Des dessins, des pastels, esquisses d’ouvriers au travail, complètent cette exposition, à laquelle sont jointes quelques études et quelques gravures d’Otto Sohn-Rethel, petit-fils d’Alfred Rethel et l’un des continuateurs de cette école de Düsseldorf que l’on croyait éteinte et qui survit encore avec ses qualités réelles, mais ennuyeuses, de dessin plutôt que de couleur. Otto Sohn-Rethel est né à Düsseldorf en 1877, il passa à Paris et vécut longtemps en Hollande près de l’Écluse, dans ce petit village de Sainte-Anne ter Muyden où le poète Gustave Kahn possède une délicieuse maison de campagne. À partir de 1902, Otto Sohn-Rethel vécut en Italie.

Plus importante est l’exposition de Werner Heufer qui a lieu en même temps, c’est aussi un de ces Allemands italianisants qui continuent les traditions de l’école de Düsseldorf. Il est né en 1888, à Gummersbach et depuis 1905 il vit à Rome. On y a joint quelques tableaux d’un jeune Italien, Francesco Ferraro qui est né en 1892 à Anacapri et qui est fils d’un petit artisan.

[1914-05-10] Les Arts §

Paris-Journal, 10 mai 1914, p. 000.
[OP2 688-690]

Le premier acheteur de Rodin §

La collection d’Antony Roux, « le premier amateur qui a osé acheter à Rodin », va être dispersée. D’ici là, il en sera beaucoup parlé, car on n’y trouve pas moins de seize bronzes, une figure de pierre, six plâtres originaux et une tête de femme en argent. On y verra aussi vingt Barye en bronze ou en argent. C’est-à-dire que cet ensemble sera au point de vue de la sculpture moderne un des plus importants qu’on avait vus.

Au point de vue peinture c’est, je crois, la première vente contenant autant de Gustave Moreau, ce maître dont l’enseignement a formé tant de peintres novateurs si différents les uns des autres. Il faut entendre Henri Matisse parler de la liberté que Gustave Moreau laissait à ses disciples et comment il se serait fait scrupule d’influencer leur instinct. L’ensemble réuni par Antony Roux comprend l’Orphée charmant les fauves, Les Anges messagers, la Femme persane à sa toilette, L’Apparition, L’Égalité devant la mort, etc. Treize Corot ne sont pas le moindre ornement de cette sélection que complètent un Delacroix, des Diaz, des Théodore Rousseau et des Ziem en très grand nombre.

« Lacerba » §

Le dernier numéro de Lacerba contient une reproduction de Severini : Mer-Ballerine ; un dessin de Mme Gerebtzoff, cette singulière et intéressante artiste, de laquelle c’est la première œuvre reproduite : Soffici et Carra donnent deux croquis d’après Russolo, le maître bruiteur.

La France à l’exposition de Leipzig §

Nous avons rencontré M. Georges Lecomte retour de l’exposition de Leipzig. Il semble regretter que les intéressés français n’aient pas tous fait l’effort commercial que l’on voudrait voir faire aux imprimeurs et éditeurs français. En tout cas, les comités et l’État n’ont rien à se reprocher. L’affiche de Grasset est très belle, le palais de la section française construit par M. de Montarval dans le style Louis XVI est imposant et gracieux. Le salon d’honneur est décoré de deux Gobelins, l’École d’Athènes et l’Incendie du Borgo.

L’Achille en armes §

Quelques artistes qui ont visité l’Achilleïon de Corfou, ont été particulièrement choqués par l’Achille en armes, élevé là sur l’ordre du Kaiser qui a fait graver sur le socle : Guillaume, des puissants Germains a érigé cet Akilleus Péléade en souvenir pour la postérité.

Ils ont écrit au sculpteur, le professeur Goetz de Berlin pour le prier de supprimer lui-même cette œuvre froide et convenue qui semble insulter au merveilleux horizon marin et au souvenir du héros chanté par Homère.

Gageons que le Herr Professor ne répondra pas. Mais l’on ne devrait pas laisser les mauvais sculpteurs allemands ériger leurs horreurs sur des territoires si grandement honorés par la statuaire antique.

L’orphelinat des arts §

L’orphelinat des Arts et la Fraternité artistique préparent la vente de charité des 14, 15 et 16 mai, à la très curieuse Cour des comptes que M. René Renoult, ministre des Finances, a bien voulu mettre à la disposition de l’œuvre. C’est l’ancienne demeure du régent, plus tard du prince Jérôme, elle fait partie du Palais-Royal, 2, rue de Montpensier et touche à la Comédie-Française.

Parmi tous les galas qui se succèdent, cette fête sera certainement une des plus joyeuses et des plus brillantes et réunira pendant trois journées inoubliables les plus éminents artistes.

Les peintres, sculpteurs, graveurs, ont envoyé dans un élan véritablement touchant, pour venir en aide aux enfants de leurs camarades, des œuvres remarquables signées des maîtres de toutes les écoles ! Tous les amis de l’art pourront y prétendre car il suffit de 10 francs pour gagner une de ces œuvres à la tombola organisée comme chaque année au Comptoir de Mme Poilpot, présidente.

De nouvelles salles au British Museum §

Elles ont été inaugurées vendredi et renferment la célèbre collection de peintures japonaises et chinoises d’Arthur Morrisson. Une exposition permanente de gravures anciennes de toutes les écoles et de tous les procédés, une salle de dessins et des collections rapportées par M. Aurel Stein et de ses collaborateurs.

[1914-05-11] Les Arts §

Paris-Journal, 11 mai 1914, p. 000.
[OP2 690-693]

Les Conté de Seurat §

Mme Lucie Cousturier poursuit dans L’Art décoratif ses études sur l’œuvre du grand peintre Georges Seurat. Cette fois, elle étudie ses dessins. Faire jaillir la lumière et la vie du passage d’un crayon Conté sur du papier Ingres, voilà le dessin de Georges Seurat. Le contraste du noir intense du crayon et du blanc qu’il laisse entre les grains du papier Ingres donne à toute son œuvre dessinée une intensité lumineuse, une animation qu’on ne trouve chez aucun autre artiste. « Seurat, dit Mme Cousturier, procède comme les poètes ; ceux qui l’ont appelé un réaliste sont ceux pour qui l’imagination d’un peintre est le pouvoir de rassembler, dans un cadre, des objets exotiques, rares, anciens, ou inhabituellement confrontés et traduits. Si, au contraire, l’imagination du peintre est une faculté de réagir, par une image, au choc que sa sensibilité reçoit du monde vu, il faut que Seurat soit doué d’une imagination bien exaltée pour qu’il puisse s’asseoir devant n’importe quel banc, arbre, mur, que tant d’autres ont représenté avant lui, sans que leur définition puisse se substituer un instant à sa vision. Quand il est frappé par l’aspect cylindrique et rigidement érigé d’une calme promeneuse, il oublie tout ce qui dans cette forme ne participe pas à cet aspect ; il est broyé par lui seul jusqu’à ce qu’il ait inventé une manière d’architecture du genre des colonnes qui satisfait, au mépris des jolis enroulements séculaires, son nouveau sentiment d’une femme. Elles sont, en effet, d’ordre architectural, par leur équilibre, leur nudité, leur solidité, ces inventions de Seurat ; elles exaltent surtout la voluptueuse lenteur avec laquelle s’esquive, aux regards, une ample rondeur d’arbre ou de jupe, la fière et brusque décision avec laquelle des parapets ou des toits d’usine, raides d’ardeur, tranchent le sol, tailladent le ciel, pour se rendre inflexibles, à leurs fins impérieuses ; elles célèbrent le costume masculin aux âpres limitations ; elles eussent glorifié les rampes brisées des escaliers du métro qui plongent, éclatantes ainsi que des éclairs, aux gouffres ronds des gares. Nous appelions laideurs ces caractères de nos villes neuves, de nos quais, de nos banlieues, et nous jugions antipathiques leurs virtualités. Seurat a su nous révéler leur âme large et contenue. Bien d’autres peintres, certes, les abordèrent, mais ils craignirent de laisser voir leurs côtés farouches. Ils voilèrent toujours décemment la dureté du mur avec des affiches ou du lierre, la maigreur du pont de fer, avec de la fumée, la nudité de la terre plate, avec des fleurs ou des jeux de soleil. Seurat époussette le sol, rectifie les murs, rase l’herbe et aiguise les angles. »

Cet intéressant article est accompagné de dix reproductions de Seurat dont trois hors-texte parmi lesquels le Café-concert qui appartient au poète Émile Verhaeren.

Sait-on que le musée du Luxembourg possède quelques dessins de Seurat donnés par Signac et qui n’ont jamais été exposés ? Il serait temps qu’ils le soient, car la réputation de Seurat grandit de jour en jour. Et les étrangers s’étonnent souvent avec raison de ne trouver, au Musée moderne de Paris, aucune œuvre d’un artiste qui fut une des gloires les plus pures de la fin du siècle dernier.

Revues d’art §

Lire dans le numéro de mars de L’Art décoratif, l’article d’André Salmon sur le sculpteur Élie Nadelmann, avec neuf illustrations ; dans les derniers numéros d’Apollon (Saint-Pétersbourg), l’article du prince A. Cherwachidzé sur l’« Exposition centennale de l’art français » à Saint-Pétersbourg, avec soixante-trois illustrations et un article du baron N.-V. Wrangell sur « L’Impératrice Élisabeth et l’Art de son époque », avec trente-huit illustrations.

Les Styka §

Plusieurs Styka : Jan, Tadé et Adam exposent à la galerie La Boétie. Jan Styka est peintre d’histoire et peintre religieux. L’histoire de la Pologne, de la Hongrie et la vie de Jésus, voilà les sources où il puise son inspiration. Peinture officielle dont l’intérêt patriotique n’est pas toujours relevé par un suffisant intérêt artistique. Tadé Styka fait les portraits : Caruso, M. Jacques Schneider, des comtesses, des baronnes et même M. Chaliapine. Quant à Adam Styka il est orientaliste et nous montre gaiement toutes sortes de caravanes et de chameaux à l’abreuvoir.

Société pour l’étude de la gravure française §

L’Imprimerie nationale vient d’imprimer pour la Société pour l’étude de la gravure française, dont M. Maurice Fenaille est le président et M. Jacques Doucet, le trésorier, une Notice historique et catalogue raisonné de l’œuvre gravée de Gabriel de Saint-Aubin auquel [sic] M. Émile Dacier a donné tous ses soins.

M. André Mellerio s’occupe pour la même Société de dresser le catalogue de l’œuvre d’Odilon Redon.

Le plus ancien musée du monde §

Le plus ancien musée du monde : c’est un musée scientifique. Il se trouve au Japon, dans la petite ville de Nara. Fondé en 756, ce musée, qui contient une précieuse collection de minéralogie, a survécu pendant plus d’un millénaire. Des échantillons de tous les bois indigènes, un très riche herbier, des objets d’art, produits de l’industrie nipponne, porcelaines, tissus, bronzes, émaux, métiers de tissage, etc., comptent parmi les curiosités les plus importantes du vieux musée. Pour lui conserver son caractère et éviter le plus possible les trépidations du sol, le musée de Nara n’est ouvert que très difficilement aux visiteurs. Chaque année, au printemps, une commission impériale inspecte les collections, vérifie leur état de conservation, décide des mesures nécessaires. À ce moment, quelques rares invités pénètrent dans le sanctuaire scientifique le plus vieux du monde.

[1914-05-12] Les Arts §

Paris-Journal, 12 mai 1914, p. 000.
[OP2 693-697]

La franchise artistique en Amérique §

La commission interparlementaire du Congrès de Washington vient de décider qu’à l’avenir tous les objets d’art modernes auraient leur entrée libre aux États-Unis. Les artistes étant considérés en Amérique comme des artisans, on avait cru devoir, à ce titre, les protéger contre la concurrence étrangère ; dans cette intention, on avait grevé de droits de douane très élevés les œuvres d’art provenant de l’étranger. Les artistes américains avaient hautement protesté et dès le principe contre cette prétendue protection, et avaient demandé au Parlement de la supprimer. Parmi les raisons qu’ils invoquaient, ils alléguaient que, pour les progrès de l’art aux États-Unis, il était nécessaire que le pays fût au courant du développement artistique européen, et surtout français, et que les droits de douane imposés rendaient ce contact artistique impossible. Tenant compte de ces plaintes, le Parlement américain se décida enfin, en 1900, à accorder comme première concession un droit d’entrée libre, mais aux œuvres datant seulement de vingt années au moins. Toutes les autres furent taxées de 15 % de leur valeur. Les artistes demandèrent davantage ; une nouvelle campagne fut entreprise en faveur de la franchise artistique. Un des avocats les plus estimés du barreau de New York, M. John Quinn, qui est en même temps un amateur passionné de la peinture contemporaine, s’employa auprès de la commission douanière de la Chambre des représentants, M. Underwood, qui, usant de sa haute autorité au Parlement américain, obtint la suppression de l’impôt réclamée par les artistes. Désormais, les œuvres d’art pourront entrer librement en Amérique.

Cependant, une formalité est exigée des artistes. Il faut qu’ils aillent à l’ambassade des États-Unis affirmer sous serment qu’ils sont bien les auteurs des œuvres expédiées en Amérique. Cette petite cérémonie moyenâgeuse se termine par quelques signatures à donner sur des pièces écrites en anglais. D’ailleurs, on ne leur adresse la parole qu’en anglais et ceux qui ne connaissent pas cette langue se trouvent fort gênés.

C’est ainsi que Picasso, Braque, Derain ont dû aller tour à tour prêter serment. On leur a fait un petit speech d’une voix nasillarde, ils ont levé la main, signé sur des registres et s’en sont allés sans savoir au juste ce qu’on leur avait fait signer.

Si on embête les artistes de cette façon, il ne tardera pas à se créer une profession nouvelle : celle du monsieur assermenté auprès de l’ambassade des États-Unis, les artistes lui délégueront le pouvoir de signer pour eux et tout sera dit.

Mais à quoi bon tant de formalités ? On croyait que les Américains n’aimaient pas la paperasserie. Comme on se trompe !

Concours pour une statue de Champlain §

Le Comité du tricentenaire Champlain ouvre un concours pour élever un monument à Samuel de Cham-plain, à Orillo (Canada). Le prix est de 100 000 francs. Le Canada et la province de l’Ontario offrent aussi une subvention importante. Les artistes français et anglais peuvent y participer. Le concours sera clos le 20 juin 1914. Pour tous renseignements, s’adresser au Commissariat général du Canada, 19, boulevard des Capucines.

Pour sauver Constantinople §

Sous la présidence de Mme Bompard, ambassadrice de France, et avec le concours de MM. Gustave Schlumberger, C. Diehl, Omont, membres de l’Institut, et de M. Saladin, architecte diplômé du gouvernement, vient de se fonder à Paris une section de la Société des amis de Stamboul, ayant pour but de soutenir la Société de Constantinople, en faisant appel à la collaboration de tous les amis de l’Orient. Il s’agit, au moment où Constantinople va se transformer et où le Vieux Stamboul va être éventré de toutes parts, de sauvegarder le plus possible des monuments du passé et les aspects pittoresques de la vieille cité.

Sur les instances de la Société, la mosquée d’Ibrahim Pacha, les tombeaux de la Suleimanieh et de la Chekzadé ont été réparés. De grandes affiches qui déshonoraient la pointe du Sérail ont été forcées de disparaître. La Société a signalé aux autorités compétentes les trouvailles d’antiquités, a fait faire des conférences et publié des études sur les monuments de Constantinople. Elle a voté un crédit pour opérer des fouilles sur l’emplacement de la maison dite de Justinien et y a découvert d’intéressants fragments d’architecture, des mosaïques et des bas-reliefs.

L’adhésion à la section française de la Société aidera à continuer la réalisation de ce programme. Les membres titulaires paient une cotisation annuelle de 1 livre turque (23 francs). Prière d’envoyer les adhésions à M. H. de Pontaud, secrétaire général, 20, rue Dufrénoy, Paris, ou au musée des Arts décoratifs, pavillon de Marsan, au Louvre.

Un portrait de Rubens §

C’est grâce à la générosité de la comtesse de Carlisle, que la National Gallery, de Londres, vient d’acquérir un des plus beaux portraits peints par Rubens, celui du comte d’Arundel. M. Max Rooses, dans son grand ouvrage sur Rubens, l’identifie avec le numéro 97 des peintures restées en possession de l’artiste et figurant dans son inventaire. Le portrait qui fut gravé au xviiie siècle, ne paraît pas avoir jamais quitté l’Angleterre.

Félicitons-nous de ce qu’un tableau ne quitte pas l’Europe pour l’Amérique.

La collection Kullmann §

La collection Herbert Kullmann (de Manchester) qui ne comprend que des œuvres françaises modernes très importantes sera exposée pendant trois jours à partir de demain à la galerie Bernheim-Jeune.

Les projets de la société Les Amis de Lille §

La Société des amis de Lille voudrait, tout en tenant compte des exigences modernes en matière de construction, rénover le style Renaissance flamande. À cet effet, cette Société vient de tenir une réunion à laquelle ont participé notamment des membres de la commission des vieux monuments. Voici les décisions qui sont sorties de cette réunion :

1º création d’un concours au bénéfice des propriétaires et des architectes qui donneront aux façades des immeubles qu’ils construiront un cachet local ou de style Renaissance flamande ; 2º création de primes pour les propriétaires qui remettront en état des maisons anciennes.

Les Amis de Lille, grâce à une libéralité importante, vont assurer la restauration des façades des maisons placées devant la nouvelle Bourse. À la demande de l’assemblée, M. Edgard Boutry s’est chargé d’étudier la modification de l’aspect actuel des façades de la place du Théâtre, par la suppression des tableaux-réclames et la création d’enseignes artistiques en fer forgé.

[1914-05-13] Les Arts §

Paris-Journal, 13 mai 1914, p. 000.
[OP2 697-699]

Une conférence de Fernand Léger §

C’est devant un nombreux auditoire que le peintre Fernand Léger a fait sa conférence à l’académie Vassilieff.

La figure de Fernand Léger est presque populaire dans le quartier du Montparnasse où il a son atelier. Il appartient à la race des grands Normands, blond, un peu lourd, fin et prudent. C’est un des cubistes les plus intéressants parce qu’au lieu d’imiter Picasso, Braque ou Derain, il a suivi à leur côté un chemin qu’il s’était tracé lui-même, et est entré dans la peinture moderne avec une certaine violence en prenant bien garde de ne rien perdre de l’apport des impressionnistes.

Sa conférence avait pour sujet d’expliquer pourquoi la peinture actuelle est représentation (au sens moderne du mot) du nouvel état visuel imposé par l’évolution des moyens de production nouveaux.

Durant cette causerie très claire, très franche, furent bousculées avec simplicité toutes les méthodes, toutes les écoles qui, masquées de nouveauté, tentent de s’opposer à l’essor de la nouvelle peinture.

Il a montré qu’il pouvait y avoir aujourd’hui d’autres peintures, mais qu’il ne pouvait y avoir d’autre peinture réaliste que celle où il s’efforce avec Picasso et Braque de représenter avec simplicité, mais non sans force, ce qui existe aujourd’hui.

Il a approfondi la technique des contrastes et remis au point certaines factions bruyantes de la jeune peinture qui ont cru innover en appliquant la théorie des contrastes de Seurat à une échelle telle que ces contrastes deviennent pour ainsi dire impuissants à représenter la réalité.

Il a déterminé le rôle du Salon des indépendants et s’est félicité de ce que Paris est devenu le centre artistique du monde. Au lieu de se plaindre du grand nombre d’artistes étrangers, il faudrait les remercier de venir demander ici des règles esthétiques et apporter leurs vues nouvelles et leur effort.

Paris est devenu la grande foire de la peinture et ce terme n’a rien de désobligeant. La foire de Paris, ce sont les Indépendants. On y vient du monde entier, comme on va à Leipzig pour certaines marchandises, comme on allait autrefois à Beaucaire ou à Novgorod.

Léger a encore justifié les peintres qui n’exposent plus aux Indépendants pour laisser la place aux plus jeunes, à ceux qui ne sont pas encore arrivés.

Il n’y eut qu’une seule interruption, celle du substitut Granié qui, on le sait, est un grand ami des nouvelles manifestations artistiques. Interruption toute courtoise, le substitut Granié étant un des hommes les plus spirituels de Paris. Le conférencier d’ailleurs répondit aussitôt de façon satisfaisante et tout l’auditoire applaudit vigoureusement.

Puis, Fernand Léger se retira tranquillement, souriant avec une malice contenue et l’on sentait bien que tout ce qu’il nous avait dit de l’esthétique dégénérée des gens des villes qui résistent à la moindre nouveauté réaliste, il l’avait observé et y avait médité et que, paysan lui-même, il savait que le goût de ces paysans qu’une affiche dans leur champ ne choque pas n’est pas affaibli et qu’ils savent savourer la réalité nécessaire.

Un parc artistique à la Muette §

La Société des amateurs de jardins, présidée par le comte de Clermont-Tonnerre, ouvre un concours pour l’établissement d’un parc à la Muette, la nouvelle propriété d’Henri de Rothschild.

Pour obtenir communication des plans et de tous renseignements pouvant faciliter leur travail, les concurrents devront s’adresser sur place aux jardins de la Muette, à l’agence des travaux, rue de Franqueville, qui leur délivrera également un permis pour visiter le terrain, s’ils le désirent.

Pour la beauté de Rouen §

Le maire de Rouen vient de constituer une commission municipale chargée de classer les immeubles particuliers, sites et monuments publics en dehors des monuments classés qui ont un intérêt historique et archéologique pour conserver à la ville de Rouen son caractère pittoresque et son intérêt archéologique, afin que le conseil municipal en assure la conservation par une modification des alignements, lorsque l’application de ces alignements pourrait les détériorer ou les détruire.

Nous nous associons à cette tentative dans la mesure où elle s’appliquera à des monuments importants et où elle ne gênera en rien le développement moderne de la capitale normande.

Exposition Pierre Girieud §

La galerie Paul-Rosenberg expose de Pierre Girieud des œuvres de ces deux dernières années et quelques-unes de date antérieure. L’ensemble est tout à fait remarquable et permet d’espérer pour Pierre Girieud le plus grand avenir.

De la réunion de ces œuvres il se dégage je ne sais quelle atmosphère de noblesse et de sérénité divines. L’artiste dont le caractère éminemment décoratif s’affirme pleinement, se plaît aux compositions antiques, et l’inspiration de Puvis de Chavannes en est certaine. Mais la Muse de l’artiste est douce qui se réjouit de ses recherches personnelles.

Sapho et Apollon inspirateur, Adam et Ève, et surtout l’exquise Léda, atteignent à la Beauté. L’ordonnance en est tranquille, et grave, et saine.

Des paysages, en assez grand nombre, nous révèlent en Pierre Girieud un paysagiste d’une vision très exacte et d’une délicate sensibilité. Citons le Paysage à Éguilles, le Pilon du roi et le Plan marseillais.

Quelques natures mortes et des dessins complètent heureusement cet ensemble d’œuvres que nous avons eu le plus vif plaisir à contempler.

[1914-05-14] Les Arts §

Paris-Journal, 14 mai 1914, p. 000.
[OP2 700-702]

Les Treize §

Il faut aller voir, à la galerie Bernheim, l’exposition de la collection de peinture moderne Herbert Kullmann, de Manchester, avant sa dispersion, samedi à l’hôtel Drouot. La vente de cette collection sera certainement, au milieu du flot des ventes qui nous envahit de jour en jour, un enseignement pour les amateurs de l’avenir. Il y a là en tout treize toiles, mais treize toiles qui sont l’enseignement de toute une époque et de toutes les écoles de cette époque. Et chacun de ces tableaux a été choisi parmi les meilleures productions du meilleur peintre de chaque école.

Voici en premier lieu les intimistes avec Bonnard et sa toile, L’Étable (1912), puis Cézanne avec Le Village à travers les arbres et l’Allée ; le pointillisme est fort bien représenté par le Paysage avec le cap Nègre, de Cross. Degas, là encore comme partout, va être le désespoir des musées par ses prix ; ses Danseuses, dessin rehaussé de craie et de pastel, seront très disputées. L’Escalier à Auvers est certainement une des plus belles toiles de Van Gogh et sa dernière œuvre.

Une nature morte de Matisse, L’Ilyssus, montre quel maître de la couleur est le chef des fauves, puis Renoir, avec deux toiles aux tons délicats et vivants qui caractérisent ce maître de l’impressionnisme : Baigneuse et Au bord de la rivière. Mais ce que les amateurs attendent avec impatience, ce sont trois tableaux du Douanier Rousseau, ce peintre dont on avait les toiles presque pour rien il y a si peu d’années, et qu’il est presque impossible de trouver maintenant. Le plus important des trois est les Éclaireurs attaqués par un tigre, grande toile de 1,21 m sur 1,61 m de large qui fut acheté 100 francs chez un brocanteur de Montparnasse, la Passerelle de Passy, dont l’esquisse est chez Delaunay, et la Vue des fortifications, boulevard Gouvion-Saint-Cyr, deux toiles plus petites, mais très expressives. Enfin, pour clore dignement cette collection faite avec un goût si éclairé et un choix si exact, un tableau de Turner, cet ancêtre de l’impressionnisme, qui le relie à la grande tradition du paysage français tel que l’avait fait l’enseignement des Italiens.

Le chiffre 13 passe aujourd’hui pour porter bonheur, gageons que les treize tableaux de la collection Kullmann seront très disputés, car ils représentent très bien la période artistique intermédiaire de la fin de l’impressionnisme jusqu’au cubisme exclusivement.

Exposition Derain §

À Zurich, après le grand succès de l’exposition de Picasso à la Moderne Galerie, on expose en ce moment les œuvres d’André Derain, dont l’influence en Europe grandit chaque jour.

Une exposition d’architecture §

Du 16 au 20 mai doit s’ouvrir dans la salle du Jeu de paume, aux Tuileries, une exposition anglo-française d’architecture. Cette exposition est placée sous le haut patronage de S. M. George V et du président de la République. Elle est organisée par la Société des architectes diplômés du gouvernement, dont le président est M. Jacques Hermant et est la suite de celle qui a eu lieu à Londres l’année dernière et qui était organisée par l’Institut royal des architectes britanniques et l’Architectural Association. Elle sera inaugurée le 15 mai par M. Paul Jacquier, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts. Le président de la République a promis de la visiter avant son départ pour Lyon.

Trouvailles artistiques §

Les fouilles de Thasos, exécutées par MM. C. Picard et Avezon, continuent avec grand succès. On vient de mettre au jour une nouvelle porte de l’enceinte, les dimensions de la salle hypostyle ont été reconnues, un autel de Cybèle orné de fruits en relief a été mis au jour. Le résultat le plus important de ces travaux est la détermination du Prytanée primitif, qui remonte au début du ve siècle ; ce bâtiment carré, analogue au Prytanée d’Olympie, est décoré de terres cuites architectoniques où se remarque avec des antéfixes à tête de Gorgone, une intéressante frise représentant des cavaliers au galop escortés de chiens et poursuivant des lièvres. De nombreuses inscriptions ont été relevées, notamment des dédicaces et des prescriptions rituelles concernant les cultes de Peithos et de l’Héraclès thasien.

Un Barye gallo-romain §

M. Robert Tissier, président de la Société archéologique du Mans, vient de découvrir un bronze gallo-romain représentant un rhinocéros. On ne connaissait jusqu’ici qu’une seule image de cet animal, remontant à cette époque, au musée de Saint-Germain. Les animaliers gaulois étaient très artistes, ainsi qu’en témoignent aussi les gravures et les dessins antéromains que l’on découvre de temps en temps et le grand Barye n’a fait que continuer une tradition artistique dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

[1914-05-15] Les Arts §

Paris-Journal, 15 mai 1914, p. 000.
[OP2 702-704]

Art et médecine §

Le Dr Artault, de Vevey, a perdu une belle occasion de se taire, voilà ce qu’à propos du cubisme il écrit à la Revue sans titre.

Pour lui, les peintres nouveaux ont « simplement exploité un phénomène pathologique accidentel qui, sans doute, avait frappé, peut-être même séduit, le premier auteur du cubisme. Il suffit, en effet, d’observer, yeux mi-clos, un tableau cubiste pour y retrouver, au milieu des zigzags et des lueurs décroissantes, les déformations et les formes floues des objets, caractéristiques des irisations monochromes et sautillantes, de cet accident que nous nommons le scotome scintillant, symptôme le plus fréquent de la migraine ophtalmique.

« Je suis persuadé », ajoute ce médecin qui n’est pas de Molière, mais mériterait de l’être, « que tous ceux qui ont éprouvé cet accident seront frappés de cette similitude et n’hésiteront pas à admettre cette très grande probabilité : que le cubisme est un essai de systématisation d’un phénomène visuel pathologique et passager.

« Tout s’y déforme dans la même mesure, dans le même ordre, on y devine les masses mais leurs contours se fondent et se dissolvent dans un champ de lignes brisées, à génératrices tantôt semi-circulaires, tantôt polygonales, tantôt ovales, tantôt hélicoïdales, où les angles, presque toujours de 30° et en séries continues, sortes de guirlandes, orientent leurs côtés en ensembles parallèles ou concentriques, chevauchent même parfois les uns sur les autres, et contribuent à donner une illusion d’enchevêtrement de triangles et de cubes très caractéristiques, mais un peu troublant et capable même de donner le vertige. C’est quelque chose en tout cas de très particulier et d’original. »

Quant à la lettre du Dr Artault, on sait trop ce qu’elle a de particulier. Elle vient simplement de cette manie qu’ont les médecins de voir des maladies partout. Les Lombroso et autres imbéciles italiens ne voyaient autour d’eux que des malades, des fous, des dégénérés. Les savants français, et même suisses, avaient le plus souvent jusqu’ici évité de donner dans ces sottises. S’ils se mettent à les prendre à leur compte, ils ont tort.

Henri Matisse §

Les Soirées de Paris donnent sept reproductions d’après les œuvres récentes d’Henri Matisse, cinq tableaux et deux dessins : La Glace sans tain, la belle toile qui appartient au musée de Hagen, en Westphalie ; la Femme assise, les Poissons rouges, etc. Le merveilleux artiste, qui a passé l’hiver à Paris, a produit dans son atelier du quai Saint-Michel une série de tableaux pleins de fraîcheur, de force et de sensibilité. Jamais ses qualités de coloriste n’ont été si évidentes.

Aquarelle de Marie Laurencin §

On peut voir en ce moment chez Bernheim, une série d’aquarelles originales de Marie Laurencin. Elles datent de 1908 et illustraient un exemplaire sur hollande des poèmes de Jean Royère : Sœur de Narcisse nue. Ces œuvres délicates ont un grand charme.

[1914-05-16] Les Arts §

Paris-Journal, 16 mai 1914, p. 000.
[OP2 705-706]

Une rétrospective Magnasco §

Les expositions rétrospectives semblent la plupart du temps parfaitement inutiles. Si l’artiste dont on expose les œuvres mérite cet honneur, il est généralement connu ou goûté de ceux qui s’intéressent à l’art. S’il est ignoré des autres, quel besoin de le leur faire connaître ? Maintenant, s’il n’a jamais pu acquérir une renommée suffisante et s’il est noyé dans le plus profond oubli, quelle nécessité de tenter de l’en sortir ?

Or voici qu’on exhume les œuvres du Génois Magnasco, né en 1667 (galerie Levesque). On a voulu voir en lui un précurseur du réalisme, car il fallait bien lui trouver quelque vertu. En vérité, si on l’a appelé le « Michel-Ange des batailles de l’école génoise », il n’en est guère, avec toutefois quelques dons de peintre en plus, que l’Horace Vernet. M. Émile Dacier a rédigé pour le catalogue une excellente préface, mais ne s’abuse-t-il un peu ? « Peintre de premier jet, écrit-il, Magnasco est servi par une imagination débordante et par une technique merveilleusement appropriée aux besoins de cette imagination. » L’imagination débordante a-t-elle jamais été soutenue par la technique ? Voilà qui est à voir. Et n’y a-t-il pas là une sorte d’incompatibilité ?

En définitive, cette rétrospective ne nous a rien appris de nouveau, et c’est devant ces sortes de manifestations que nous sentons combien serait préférable quelque exposition de jeune, quand même il ne serait Michel-Ange de rien du tout.

Van Dongen et Van Dongen §

Le 20 mai, aura lieu une vente où l’on trouvera, parmi des dessins du frère de l’illustre aventurier Casanova, des Drouis, des Vernet, et un tableau de Van Dongen : Paysage, avec figure sur une route.

Il ne faudrait pas attribuer ce petit panneau au fauve aujourd’hui célèbre Kees Van Dongen, il s’agit d’un peintre bien plus ancien et beaucoup moins célèbre : Dyonis Van Dongen.

[1914-05-17] Les Arts §

Paris-Journal, 17 mai 1914, p. 000.
[OP2 706-708]

Les expositions françaises à l’étranger §

Chaque jour, quoi qu’en puissent penser les grincheux, la peinture moderne française prend une importance plus considérable en Europe. On ne saurait voyager à l’étranger en ce moment sans trouver, dans les capitales et dans les grandes villes, des expositions de nos jeunes peintres. Est-ce un bien, est-ce un mal ? L’avenir nous le dira. Mais les Salons officiels, qui autrefois avaient une importance considérable à l’étranger, n’en ont pour ainsi dire plus, et ce devrait être là pour les fonctionnaires des Beaux-Arts en France un enseignement que toutes ces expositions françaises, qui ont lieu en ce moment à peu près partout en Europe. Les artistes qui y produisent leurs œuvres sont, tous ou presque tous, ceux qui exposent ou qui ont exposé aux Indépendants.

Voici à Bruxelles, à l’Exposition générale des beaux-arts (Salon triennal), à la section française qui est merveilleusement installée, Bonnard avec La Barque et les Sirènes en Chine ; Maurice Denis, avec sa grande toile de la Danse ; puis, le célèbre tableau de Matisse, la Joie de vivre (1906-1907), si lumineux ; deux toiles de K.-X. Roussel, plus les maquettes des décors de Pénélope, et de Vuillard, la Matinée ensoleillée, Sur la plage, La Baie vitrée et La Bibliothèque.

À Zurich, c’est André Derain qui apporte à la Suisse la leçon de ses dernières toiles, si profondément méditées.

À Düsseldorf, c’est Maximilien Luce, à l’accent démocratique.

Au Musée royal de Copenhague vient de s’ouvrir une très importante exposition des « Peintres français au xixe siècle » où l’on voit, à côté de peintres comme Delacroix, Corot, Courbet, Jongkind, les impressionnistes

Manet, Monet et Cézanne, Seurat, l’initiateur du divisionnisme, avec Signac et H.-E. Cross, Henri Matisse, Bonnard et Vuillard.

Au musée de Mannheim, Rodin et Maillol démontrent la supériorité actuelle de la sculpture française.

À la Société des amis des arts de Mulhouse, au musée de Düsseldorf, à la Société Manes à Prague, à la Société des artistes indépendants à Amsterdam, à la Sécession de Rome, nous retrouvons toujours et partout les mêmes artistes, qui obtiennent dans toutes ces expositions un grand succès.

Venise à Paris §

Nous rappelons que l’exposition rétrospective des peintres de Venise, organisée par L’Art et les Artistes, s’ouvrira lundi 18 mai, à la galerie Brunner, 11, rue Royale. On y verra des œuvres extrêmement intéressantes.

Des vers de Victor Hugo §

La frissonnante libellule
Mire le globe de ses yeux
Dans l’étang splendide où pullule
Tout un monde mystérieux.

Ce quatrain est gravé sur une urne de couleur par Gallé, qui s’est vendue 5 060 francs à la vente Roger Marx.

Chez les femmes peintres et sculpteurs §

Mercredi dernier a eu lieu, dans les salons du Palais d’Orsay, le dîner des Femmes peintres et sculpteurs. On y entendit de beaux discours de Mme la duchesse d’Uzès, présidente, de M. Viviani, de M. Antonin Mercié. M. le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts distribua quelques rosettes et rubans violets. Enfin un brillant concert termina la soirée. Nous avons reconnu : Mmes Achille Fould, Guillaumot-Adam, Ballot, Levasseur, Fegdal, Dartmont, Vallet-Bisson, Lévy-Engelmann,

Marie Acbrien, etc. Il y avait aussi MM. Flameng, Cormon, Grün, Bénédite, le colonel Aubert, représentant le président de la République, Umbrich, Maillart, Johannès Son, Raquet, etc.

Une cheminée artistique §

L’ingénieur Drzewiecki, le grand constructeur de nos sous-marins, qui charme ses loisirs de savant en cultivant son goût pour les arts, vient de commander au sculpteur Gargallo une cheminée monumentale destinée à sa villa d’Auteuil.

[1914-05-18] Les Arts §

Paris-Journal, 18 mai 1914, p. 000.
[OP2 708-710]

Le Musée historique des tissus de Lyon §

Un musée non connu et qui fait honneur non seulement à la ville à laquelle il appartient, mais à la France tout entière, c’est le Musée historique des tissus de Lyon. Par le nombre et l’importance de ses collections, par leur classement méthodique, il présente un intérêt exceptionnel. Il est encore unique de son genre, ce qui est une recommandation, et il possède, avec d’incomparables documents, quelques richesses dont mainte capitale pourrait s’enorgueillir.

C’est d’Égypte que proviennent les pièces les plus anciennes, humbles loques tirées des nécropoles de Thèbes et de Memphis, tissus et broderies funéraires venant des fouilles d’Antinoë. C’est ensuite l’art primitif arabe, hispano-mauresque et l’art d’inspiration persane. Ils sont ici très bien représentés. Une chape et une chasuble montrent quels artistes étaient les moines du mont Athos au xiiie siècle.

La série italienne, qui va du xive au xviie siècle, est excessivement riche. On y remarque avant tout la chasuble du cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon, fabriquée à Venise. La section espagnole comprend des chapes, chasubles et brocarts du xvie siècle, des spécimens flamands en broderies du xve siècle et velours frappés du xviie, et des tissus anglais imprimés à la même époque.

L’Allemagne est représentée par des ouvrages du xvie et du xviie siècle, et deux très beaux ouvrages hongrois de la fin du règne de Rodolphe II.

Mais le musée est vraiment incomparable dans la collection des tissus de France. Il possède quelques pièces du xiiie, du xive siècle, des tableaux brodés du temps de Charles II, mais l’intérêt ne commence véritablement qu’avec les tissus du xvie.

De 1500 jusqu’à Louis XIII, la décoration des tissus français avait été influencée par l’Italie, mais à partir de Louis XIV, sous l’influence énergique de Colbert, elle devint réellement française, et dans la seconde moitié du xviie siècle, la Fabrique lyonnaise commence à produire, grâce au talent et à l’activité de ses décorateurs, des œuvres véritablement originales. À ce moment, c’est surtout la flore qui est interprétée ; sous la Régence et sous Louis XV, on excelle dans les tissus brochés ; sous Louis XVI, les tissus de soie avec semis de fleurs font fureur. Le Directoire, le Consulat et l’Empire viennent ensuite avec les tissus lourds pour la tenture, excessivement chargés de broderies et de dessins. La série de la Restauration jusqu’à nos jours montre que si comme production la Fabrique lyonnaise est encore bien vivante, malheureusement comme imagination et comme travail, les jours sont loin où un Philippe de La Salle ou un Berjon faisaient la gloire de l’école lyonnaise. Ce ne sont plus que copies d’anciens, faites avec des documents pris dans le musée même. Si la Fabrique tient à conserver ce renom qu’elle a dans le monde entier, il faut absolument qu’elle trouve des artistes originaux, n’ayant pas peur de créer et non de bons ouvriers certes comme elle en a encore, qui n’exercent plus un art, mais un métier. Il y a aussi une très belle collection de tapis de l’époque carolingienne jusqu’à nos jours, une riche et charmante collection des passements et dentelles qui exigeraient une longue visite. Quant aux dessins, aux cartons, il faudrait des mois entiers pour les étudier convenablement.

Le musée contient aussi une très remarquable collection de métiers anciens et une importante bibliothèque très appropriée à son but.

Je crois avoir suffisamment indiqué le haut intérêt du Musée historique des tissus, dont le double caractère d’utilité et de beauté répond à merveille aux aspirations ainsi qu’aux besoins des délicats et des studieux. Abondamment pourvu de spécimens de tout genre et organisé avec un soin extrême par un conservateur des plus sagaces et des mieux informés, M. Cox, il renseigne sur les œuvres de l’étranger, aussi bien que sur celles de France et permet de suivre, dans toutes ses phases, l’évolution de la fabrique locale. Au surplus, on y goûte un vrai plaisir esthétique. M. Alphonse Germain a écrit récemment sur le musée lyonnais des tissus une étude qui fait honneur à son goût et à son érudition.

Un don à la France §

M. Edmond Davis se propose d’offrir à la France, pour le musée du Louvre, un portrait de femme par Sir John Millais.

Ce tableau ne manquera pas d’être bienvenu, car il comble un vide dans la collection anglaise de notre grand musée national.

D’ailleurs, il n’y a de Millais dans aucun musée de France, quoiqu’il ait souvent exposé au Salon de Paris où il reçut une médaille en 1855.

Sir John Millais est un des peintres les plus appréciés de l’école anglaise de 1850.

[1914-05-19] Les Arts §

Paris-Journal, 19 mai 1914, p. 000.
[OP2 710-713]

Une gravure qui deviendra rare §

C’est une petite eau-forte gravée par le poète P.-N. Roinard qui est aussi peintre et graveur. On sait qu’il avait peint lui-même les décors destinés aux Miroirs, lorsqu’ils devaient être représentés par le Théâtre d’art, de Paul Fort. Comme ces temps sont loin ! Il n’y avait pas encore de cas Charles-Henry Hirsch et celui-ci s’intéressait beaucoup plus qu’aujourd’hui aux nouveautés des arts et des lettres.

Au contraire, Roinard, qui est beaucoup plus vieux, n’a cessé de s’intéresser à tout ce qui était vivant en peinture ou en poésie. Il en résulte qu’il est resté plein de jeunesse et que jamais son art poétique n’a été plus varié, plus souple, plus riche.

L’eau-forte en question contient ces mots profondément gravés :

Le 19 avril 1914, P.-N. Roinard lira dans l’intimité, chez ses amis Jacques Villon et Duchamp-Villon, son mélodrame en vers. La Légende rouge, synthèse d’idées révolutionnaires.

Vous êtes prié d’assister à cette lecture qui aura lieu 7, rue Lemaître, à Puteaux, de 1 heure et demie précise à 6 heures.

Réponse, s. v. p.

Depuis que Picasso et Braque ont introduit des lettres dans leurs tableaux on ne s’étonne plus d’en trouver tant dans une eau-forte, mais ce qui peut surprendre davantage c’est de voir aujourd’hui un poète se flatter d’avoir des idées révolutionnaires.

Pour être complète, l’eau-forte en question doit porter la correction à la main 17 mai au lieu de 19 avril.

En effet, la lecture eut lieu avant-hier au milieu des intéressants essais picturaux de Jacques Villon et des sculptures de Duchamp-Villon. Il n’y manquait que des tableaux du benjamin de cette famille d’artistes normands, Marcel Duchamp qui en est aussi à mon gré celui dont les talents sont le plus évidents et le plus nouveaux. Devenu bibliothécaire à Sainte-Geneviève, il classe des livres non loin de ce Charles Henry dont les recherches scientifiques sur la peinture eurent le don d’influencer Seurat et de faire naître le divisionnisme. Et c’est pourquoi, depuis deux ans déjà, on ne voit plus nulle part aucun tableau de Marcel Duchamp.

Les regards d’André Rouveyre §

Après avoir jeté des regards aigus sur la ménagerie littéraire et artistique, André Rouveyre s’est retiré parmi les animaux sauvages et, dans le Mercure de France, il jette des regards pleins de tendresse sur une charmante panthère qu’il ne faudrait pas rencontrer au coin d’un bois.

Le Salon d’art mystique §

Le sculpteur Boleslas Biegas donnera vendredi soir, dans son atelier, 3 bis, rue de Bagneux, une soirée en l’honneur de la fondation du Salon d’art mystique. Demain mercredi, s’ouvre l’exposition qu’il donne, dans son atelier également, de ses œuvres (peinture et sculpture), et qui durera jusqu’au mercredi suivant, de 2 heures à 6 heures du soir.

Exposition franco-anglaise d’architecture §

Le président de la République se rendra, à 2 heures et demie, à l’exposition franco-anglaise d’architecture, installée, comme nous l’avons annoncé, dans les salles du Jeu de paume, aux Tuileries.

Les délégués anglais, venus à Paris à l’occasion de cette exposition, ont visité hier le château de Fontainebleau, sous la conduite de M. Redon, architecte en chef.

Ils s’étaient déjà rendus à Versailles, où M. de Nolhac, conservateur, leur avait montré le palais et M. Chausse-miche, architecte en chef, les jardins et les Trianons ; dimanche, nos hôtes avaient fait le tour des Salons, au Grand Palais.

Ajoutons que l’exposition franco-anglaise d’architecture restera ouverte jusqu’au 26 mai ; l’entrée est gratuite.

Les Carrache §

Dans La Revue critique des idées et des livres, M. Pierre Du Colombier publie « Le Bilan des Carrache », dont voici un passage caractéristique :

« Remarquez, d’ailleurs, que si l’on voulait juger les peintres italiens sur leurs ouvrages à l’huile, on en verrait beaucoup perdre de leur rang. Il n’y a guère que les Vénitiens et Vinci qui aient su manier parfaitement l’huile. Dans le cas des Carrache, Lanzi (tome IV, page 298, traduction française) attribue la ruine de beaucoup de leurs tableaux à une préparation insuffisante. On sait en effet, que c’est la belle préparation des toiles vénitiennes qui a assuré le durable de leur éclat. Il accuse aussi l’abus de l’huile qui ôte, d’ailleurs artistiquement parlant, aux ouvrages des Carrache, la fierté vénitienne, leur donne un certain aspect léché qui nous déçoit. »

La vie d’artiste en Chine §

Un érudit allemand, M. Max Funke, publie d’amusantes anecdotes sur l’art et les artistes en Chine. Les artistes y sont toujours représentés comme des ivrognes, le plus ancien peintre chinois, Tsaï-Yong, est surnommé « le Dragon ivre ».

Wou Tsa Tse, paysagiste fantastique, ne travaillait qu’en état d’ivresse.

On voit d’après cela que le sentiment populaire attribue aux artistes chinois les mêmes vices qu’il attribue aux rapins français.

[1914-05-20] Les Arts §

Paris-Journal, 20 mai 1914, p. 000.
[OP2 714-716]

Les artisans français contemporains §

Chez Géo-Rouard on a réuni des œuvres d’artisans comme Delaherche, Lalique, Decorchemont, Clément-Mère, Waldroof, Bastard, Dunand et Lenoble. À vrai dire, ces ouvrages ne sont pas tous d’une actualité qui s’impose. On voudrait des idées plus neuves, une exécution plus moderne. Clément-Mère est celui dont le goût est le plus délicat et certains de ses ouvrages sont d’un raffinement inattendu.

Le catalogue de cette exposition est un document précieux. Il contient la reproduction des monogrammes et des signatures des artistes dont il catalogue les éventails, les boîtes, les coupes, les cendriers en nacre, corne et bois précieux, les vases, coupes, plats en grès et porcelaines flammés, les grès de grand feu à couvertes mates ou bien unis et décorés, les coupes, bols, vases en pâte de verre, les vases et plats en métaux divers, les verreries coulées, ciselées avec patines, les ivoires, les cuirs, sans compter bien d’autres matières précieuses.

Expressionnistes rhénans §

La galerie Flechtheim, de Düsseldorf, expose les œuvres de Paul Baum, peintre allemand, qui est pour ainsi dire l’élève de peintres français comme Pissarro et Signac. Il se rattache à l’école divisionniste de Seurat et de Cross. Né en 1859, en Saxe, Baum vit, l’été, en Hollande, et l’hiver, à Dresde.

Cette exposition coïncide avec celle d’Orphey, un peintre et dessinateur très synthétique, et celle des expressionnistes allemands, dont on peut rattacher les œuvres au mouvement français des fauves dont ils sont issus et surtout à Matisse. Les principaux expressionnistes rhénans qui exposent ici sont Heinz Campendonk, Heinz Davrin-changen, Heinz Ehmsen, Adolf Erbsloch, Max Ernst, Franz Henseler, Walter Kniebe, Mathias Lou, Auguste Macke, qui vit à Bonn et qui est peut-être le seul vraiment intéressant, Helmut Macke, Karl Mense, Rudi Mense, etc., etc.

Sept mille francs un rousseau §

Les Éclaireurs attaqués par un tigre, un des plus beaux tableaux du Douanier, a fait 7 000 francs à la vente Kullmann. M. Pierre Mille, que la vogue de la nouvelle peinture déconcerte, a dû être bien étonné.

Que fera-t-elle après le cinquième numéro ? §

La Caravelle, qui en est à son quatrième numéro, annonce que, tout en restant anthologique, elle se consacrera activement au pamphlet. Une critique rigoureuse des revues et des livres sera faite. Des brûlots seront envoyés dans les carcasses ennemies par Marius Riolley, Roland Belhuaire et Diogène le Chien. La Caravelle accueille les mousses de talent.

[1914-05-20] Les Arts §

Paris-Journal, 20 mai 1914, p. 000.
[OP2 714-716]

À propos d’Hansi §

L’arrestation pour crime de haute trahison a révolté tout le monde. Les Allemands ne peuvent pas supporter la raillerie et cependant il n’y a pas de peuple dont les efforts souvent ridicules pour atteindre à une haute culture soient plus moqués. Heine n’a pas ménagé ses compatriotes, non plus que Nietzsche, et l’Alsacien Hansi n’a fait, en somme, que suivre une tradition de l’Empire.

Les dessins d’Hansi ne sont pas sans valeur artistique. Ils sont spirituels et bien vivants. L’illustration satirique ne compte aujourd’hui pas beaucoup d’artistes d’un dessin aussi simple et aussi amusant. Il faut remonter à Wilhelm Busch et à Caran d’Ache pour retrouver tant de bonhomie, tant de variété et tant de bonne humeur.

Les condamnations, les poursuites n’ont jamais arrêté la verve des caricaturistes. Elles l’ont, au contraire, excitée. Les Allemands ne sont pas sans le savoir, puisqu’ils ont de l’érudition. En persécutant Hansi, ils préparent des railleries plus cinglantes, plus violentes, plus vengeresses. Car, si la vengeance est le plaisir des dieux, elle est aussi celui des caricaturistes.

Pour Hansi §

La Société des dessinateurs humoristes réunit aujourd’hui son comité afin d’examiner la situation du dessinateur Hansi et les moyens de lui venir en aide sur le terrain purement professionnel.

On sait que le comité de la Société des dessinateurs humoristes comprend : MM. Forain, président  ; Willette, Roubille, Veber, Jean-Morin, Hermann-Paul, Carlègle, Ibels, Abel-Truchet, Poulbot, Neumont, etc.

[1914-05-21] Les Arts §

Paris-Journal, 21 mai 1914, p. 000.
[OP2 716-717]

Sigismond de Nagy §

Le peintre Sigismond de Nagy expose à la galerie Georges-Petit d’intéressantes études de la vie des paysans hongrois. L’intérêt ethnique qui s’attache à ces peintures vient de ce que l’artiste nous montre les us et coutumes d’une race peu connue de la Hongrie, les Matyo. Il nous les représente dans leurs pittoresques costumes bariolés : Garçons matyo dans un czarda, et ne croyez pas qu’il s’agisse d’un air entraînant, le czarda est une taverne hongroise. Femmes matyo se rendant à l’église, Jeunes fiancés matyo, Fileuse matyo. Ce sont encore des brodeuses, des fous de villages, des baigneuses surprises, des scènes foraines. M. de Nagy s’intéresse aussi aux tziganes et il nous montre plusieurs scènes de leur vie privée, on y voit de vieilles femmes fumant la pipe. Les juifs aux costumes si particulier ont aussi tenté son pinceau. Le tout dans une manière un peu brutale, un peu sommaire, mais riche et très caractéristique.

Venise par Italica Brass §

« Nous avons vu tant de Venise racontées par des artistes qui ne faisaient qu’y passer, que c’est pour nous une grande surprise et une joie peu ordinaire de nous la voir révélée par un peintre qui y a vécu, dit M. Arsène Alexandre dans l’intéressante préface qu’il a écrite pour l’exposition des Venise d’Italico Brass, chez Georges-Petit, cet Italico Brass, qui nous arrive de Venise, comme un preste et pimpant personnage de Goldoni. »

À vrai dire, les Venise de Brass décevront un peu ceux qui aiment la couleur locale, ceux qui ont l’habitude de voir Venise comme dans les tableaux de Ziem. Mais il y a tout de même à l’exposition Brass assez de scènes amusantes et vivantes pour satisfaire ceux qui, plutôt que de regarder Ziem, ont lu Casanova.

Une conférence artistique de Mme Aurel §

Mme Aurel fera le jeudi 28 mai, à 9 heures du soir, en la maison des Étudiants, 15, rue de la Bûcherie, une conférence sur Rodin, son action, sa parole.

[1914-05-22] Les Arts §

Paris-Journal, 22 mai 1914, p. 000.
[OP2 717-720]

9e Exposition de Palais-Salon §

Pour se reposer des plaidoiries éloquentes et parfois endormantes du Palais, plusieurs de nos chers maîtres s’amusent à peindre. Ils plaident ainsi pour la nature, ou font le procès du visage de leurs meilleurs clients.

M. Alatissière est paysagiste et, comme M. Poincaré, c’est Èze qui l’a tenté. M. Henri Amiot préfère la Seine à Champrosay ; M. Raymond Auger grave à l’eau-forte des villes pittoresques, Rouen ou Burgos. Mlles Marie Bac et Florence Bastide repoussent le cuir.

Je mentionne les envois de Maurice Averby, de Mme A. Bastide, de M. Baudoin.

M. André Bantz nous montre Aischa, la négresse de Montparnasse, et M. Jean Baux expose d’amusants croquis du Palais.

Toujours des paysages de Félix Belle, Henri Bernadeau, Germaine Bernet Rollande, Charles Bernier, Edgar Buil-lette, Louis-René Bonzon, Victor Charreton, Émile Charrier.

Voici des caricatures de G. Chaudlong, les environs de Rotterdam de R. de Clermont, les vues des Pyrénées par Henri Coulon, Saint-Nectaire de Georges Duval, les natures mortes de Paul Favier, les silhouettes du Palais de Me Benjamin Landowski, les jardins de l’hôtel Borghèse de Paul-Manceau, les vues de Plombières de G.-A. Trouquois, etc.

Tout cela est bien sage et bien calme ; beaucoup de nos chers maîtres font partie de la Nationale ; des Artistes français, voire même du Salon d’automne. Leurs travaux ne doivent rien au cubisme, ni à l’orphisme, ni au futurisme, ni au synchronisme, à peine ont-ils été touchés par l’impressionnisme. Le modernisme n’est encore entré au Palais qu’avec M. le substitut Granié qui, cette exposition en témoigne, ne semble pas près d’y faire des adeptes. Mais ça viendra, ça viendra.

Bonnard illustrateur §

Une affiche de Bonnard en rouge et noir pour La Légende de Joseph, la pièce de Strauss, Kessler et Hofmannsthal s’étale sur les murs de Paris reproduisant le danseur Léonide Massine ; c’est la huitième affiche de Bonnard, les sept premières étant : France-Champagne (1891), La Revue blanche (1894), L’Exposition des Cent (vers 1897), Les Peintres graveurs, L’Estampe et l’Affiche, Le Figaro et, enfin, Le Salon d’automne de 1912.

Les amateurs de ce peintre seront sans doute curieux de connaître les livres qu’il a illustrés :

Petit solfège, de Claude Terrasse (1893, Librairies-imprimeries réunies) ;

Marie de Peter Nansen (1898, éditions de la Revue blanche) ;

Almanach du Père Ubu pour janvier, février et mars 1899 d’Alfred Jarry ;

Almanach du Père Ubu pour 1900, d’Alfred Jarry ;

La Leçon d’amour dans un parc, de René Boylesve (1902, éditions de la Revue blanche) ;

Le Surmâle, d’Alfred Jarry, vignette de « justification du tirage » (1902, éditions de la Revue blanche) ;

Un adolescent, de Dostoïevsky, vignette de « justification du tirage » (1902, éditions de la Revue blanche) ; Parallèlement, de Paul Verlaine (Vollard) ;

Daphnis et Chloé, de Longus (Vollard) ;

Histoires naturelles, de Jules Renard (Flammarion) ; Prométhée mal enchaîné, d’André Gide (Munich, Hans von Weber) ;

La 628-E-8, d’Octave Mirbeau (1908, Fasquelle, in-8º) ;

L’Estampe et l’Affiche, d’André Mellerio (Floury) ;

Notes de route, d’Isabelle Eberhart (1908, Fasquelle) ;

D’un pays plus beau, de Victor Barrurand (1910, Alger éditions, et Paris, Floury).

Il ne faudrait pourtant pas confondre le peintre Bonnard avec le poète Abel Bonnard, mais les collectionneurs du peintre pourront très bien mettre dans leur bibliothèque les livres illustrés par ce dernier à côté des livres de vers du premier ; ils pourraient ainsi faire des comparaisons et goûter doucement la joie de vivre.

Chez Druet, il convient d’aller voir l’exposition des œuvres du peintre Dufrénoy, qui nous promène en Italie et dans la vallée du Rhône ; il nous fait visiter aussi quelques coins curieux du Vieux Paris : la rue Galande, le Vieil escalier du Marais, la Cour du vieux palais Vendramin (Venise), le Vieux Saint-Étienne (Rhône), le Paysage d’automne (Arbuissonas). Dufrénoy est un peintre robuste, dont chaque exposition confirme les solides qualités.

Violon d’Ingres §

Henri Matisse, dont Les Soirées de Paris viennent de reproduire sept œuvres nouvelles qui vont jeter le trouble dans les milieux artistiques du monde entier, est, comme M. Ingres, un violoniste consommé. Il a acheté dernièrement un violon romain de très grande valeur qui ne manquera point de devenir aussi célèbre que celui du maître montalbanais.

[1914-05-23] Les Arts §

Paris-Journal, 23 mai 1914, p. 000.
[OP2 720-722]

Les peintres de Venise §

On a réuni à la galerie Brunner un certain nombre de tableaux de peintres vénitiens ou non, mais ayant peint Venise. C’est une exposition agréable à visiter malgré le snobisme qui entoure aujourd’hui cette humide cité, qui est le sexe même de l’Europe. Guardi, Pietro Longhi, Bonington, Corot, Whistler nous y montrent des Venise bien différentes l’une de l’autre, aussi différentes que la Venise de Baffo, de Gozzi et de Casanova peut l’être de celle de M. Maurice Barrès et d’Henri de Régnier. J’avoue préférer celle de Pietro Longhi, de Baffo et de Casanova à celle de nos illustres académiciens. Mais celle-là est morte et celle-ci qui est celle des palaces et des pharmacies anglaises, F.-T. Marinetti et ses futuristes ont bien promis de nous en débarrasser.

En attendant, M. Jacques Blanche, qui est cependant un homme intelligent, a pris le ton suraigu et prétentieux à la mode pour nous apprendre qu’il y a « tendance de plus en plus marquée à confondre les arts plastiques avec la mathématique ou la métaphysique. Nous sommes devenus cérébraux jusqu’à vouloir suggérer sur une toile plate la quatrième dimension ». Bon, voilà qu’on confond la sensibilité avec la mathématique. Figurer sur une toile plate la troisième dimension, ce n’est pas être cérébral, mais ce qui l’est davantage au gré de M. Jacques Blanche, c’est de chercher la composition et les proportions véritables des objets.

Pour le reste, M. Blanche juge péremptoirement et ses jugements il les formule non sans brutalité. Écoutez ce qu’il dit des dessins des Vénitiens : « Étudiez les dessins (moins nombreux que les peintures) que Venise nous légua. Le crayon en est habile : rien de plus ! Titien fut un dessinateur rond et nul ; Véronèse, un illustrateur ; non moins, le géant Tintoret, et Tiepolo aussi… »

J’ai oublié de dire que cette exposition a lieu au profit de l’œuvre de bienfaisance de la Fraternité artistique sur l’initiative de la revue L’Art et les Artistes et que M. Henri de Régnier était président du comité qui l’avait organisée.

Toulouse-Lautrec et Romain Coolus §

Les Marges reproduisent, avec un joli crayon de Toulouse-Lautrec, ce pittoresque sonnet de Romain Coolus qui a beaucoup connu le peintre :

Blague et gouaille, la Butte et toute sa vadrouille !
Oui, mais comme il voyait vif, strict, cinglant avec
L’âpre don (que parfois tant de tendresse mouille)
D’emprisonner la vie au fermoir d’un trait sec !
Il adorait les bars ou, pittoresque grouille
Un peuple de rastas et de lads, pêle-mec.
Et là, tapi derrière un drink, mais l’œil qui fouille.
Il remplissait sa carnassière, en vrai Lautrec,
Pour saisir l’animal humain tel qu’il s’avoue.
Soit qu’impudique il danse ou qu’impudent il joue.
Il s’embusquait, fils d’une race de chasseurs.
Partout, au Moulin -Rouge ou Jane Avril s’exalte.
Au théâtre, au caf’-conce, aux fortifs, sur l’asphalte
Féroce et doux pour tout ce gibier de noceurs.

Expositions étrangères §

À Berlin, a lieu en ce moment l’exposition de Chagall, qui a quitté Paris pour quelques mois et dont on peut voir ici des peintures à la galerie Malpel. À Berlin, Chagall expose au Sturm, l’impétueuse revue, si bien dirigée par Herwarth Walden, le musicien bien connu. En même temps, dans les mêmes galeries a lieu l’exposition du peintre tchèque Otakar Kubin. À Dresde, c’est Maurice de Vlaminck qui expose quarante tableaux qui iront ensuite à Hambourg, à Carlsbad, à Francfort et arriveront en octobre à New York.

Bords de génie §

Le peintre du Pont de Chatou, Maurice de Vlaminck et M. Henry Kahnweiler partiront dimanche sur leur voilier, le Saint-Matorel, qui tire son nom des ouvrages de Max Jacob. Cette importante croisière s’effectuera entre Bougival et le pont de Suresnes. Le soir, si la tempête n’a point détruit le vaisseau et son équipage, Maurice de Vlaminck va voir les Ballets russes en compagnie de la jeune peintresse Madeleine Berly qui va exécuter une série de peintures vivement colorées, inspirées par ces lyriques mouvements de la Karsavina, de Michel Fokine et de Léonide Massine.

Vernissage §

Hier, de 10 heures du matin à 6 heures, a eu lieu, à la galerie La Boétie, 64 bis, rue La Boétie, l’exposition organisée par le Syndicat des artistes femmes peintres et sculpteurs, dont M. Émile Faguet qui, décidément, cumule toutes les positions sociales, est le président d’honneur. Le succès a été vif, les visiteuses étaient nombreuses, les toilettes étaient élégantes, la présidente du Syndicat, Mme Chélika Rideau-Paulet était très entourée, mais c’est en vain que nous avons cherché M. Faguet, on ne l’a point vu de la journée.

[1914-05-24] Les Arts §

Paris-Journal, 24 mai 1914, p. 000.
[OP2 726-728]

Futurisme et Ballets russes §

Mme Gontcharova est, paraît-il, le chef de l’école futuriste russe, tandis que son mari est le chef et l’inventeur de l’école rayonniste. Elle a fait, il n’y a pas longtemps, en Russie, une exposition de sept cents toiles récentes. Elle ne va pas tarder, dit-on, à faire à Paris une exposition d’environ cent cinquante toiles triées sur le volet où, d’après les dires de ceux qui les ont vues, on trouve un mélange de Matisse, de Picasso, de Picabia, de Gleizes, de Metzinger, de Kandinsky, des fauves de toutes catégories, des cubistes de tout système et des futuristes de toutes nationalités.

Loin de suivre les errements du public et des gens en place français, à l’égard de la jeune peinture française, les Russes ont fait un vrai succès à Mme Gontcharova, ils ne lui ménagent point les commandes. C’est à elle qu’ils ont commandé les décors du Coq d’or, de Rimsky-Korsakov, qui va être donné pendant la saison des Ballets russes. Et c’est ainsi que le futurisme russe va développer toute sa pompe à l’Opéra, tandis que la nouvelle peinture française de laquelle sont sorties toutes les nouveautés picturales d’aujourd’hui dans le monde entier ne connaît encore ici que les moqueries. Gageons que Mme Gontcharova ne s’en tirera pas sans une décoration et un tableau au Luxembourg.

Pendant ce temps, des peintres français comme Georges Braque, Derain ou Léger sont ignorés de tout le monde et on ne voit au Luxembourg pas un tableau, pas un croquis de Matisse ou de Picasso, dont la réputation cependant est universelle. Bien entendu, je ne parle pas des peintres plus jeunes. Le Luxembourg songera à eux quand ils seront morts et qu’il sera temps de les mettre au Louvre.

Un successeur de Bernard Palissy §

Dans Le Parthénon M. Valory le Ricolais raconte une visite au faïencier angoumois Alfred Renouleau ; sur la porte d’entrée, on lit une inscription qu’un archéologue ne manquerait pas d’attribuer à Héraclite qui voyait dans le feu le symbole de la vie générale, l’emblème de la force organisatrice et dissolvante. Ces caractères ne sont qu’un facétieux trompe-l’œil ! Plaisamment, Renouleau s’est amusé à écrire avec des lettres grecques, ces mots bien français : « Ici le feu règne en maître. »

Art et sport §

Interview avec M. W. T. Colought, le sportsman écossais bien connu :

« Il est véritablement extraordinaire qu’à notre époque où le sport est si en honneur si peu d’artistes ne s’en soient inspirés. Tout les y invite, cependant. Le sport est la belle machine humaine mise en mouvement et même la simplicité du costume moderne devrait tenter les peintres et les sculpteurs et c’est à peine si dans les deux Salons de l’avenue d’Antin et de l’avenue Nicolas II, une demi-douzaine d’artistes ont été séduits par l’athlétisme au milieu de cet affreux océan de tableaux et de sculptures.

« Il faut excepter cependant les nouveaux peintres : la Culture physique de Picabia, L’Équipe de Cardiff de Delaunay ; La Conquête de l’air de Roger de La Fresnaye, et le Clown boxeur d’Archipenko, qui, d’accord avec leur temps, ont célébré les gloires de la force et les joies de la lutte. »

G.-P. Fauconnet, peintre et notateur §

Un garçon de ferme de quatorze ans tuait son patron, il y a quelque temps, à coups de serpette. L’assassin avait, paraît-il, tous les défauts : il était sournois, illettré, paresseux et menteur. Au juge d’instruction qui lui demandait quel avait été le mobile de son crime, il répondit (rapporte le journal) : « Mon patron me morigénait sans cesse. » Cela a donné à un peintre, G.-P. Fauconnet, l’idée d’écrire une conversation vraie. On n’en trouve dans aucun livre. Il a donc été déjeuner et il a noté le mieux qu’il a pu ce qu’il entendait à côté de lui. Ayant retrouvé son petit dialogue, il l’a relu avec un plaisir extrême. Il lui a semblé plein de ce naturel et de cette vérité que tout le monde croit avoir enfin atteint et il l’a publié dans Les Soirées de Paris. G.-P. Fauconnet était un ami de Rousseau et l’on retrouve dans ses tableaux quelques-unes des qualités du Douanier. Fauconnet préside encore à l’art décoratif dans une célèbre maison de mobilier du Faubourg Saint-Honoré.

[1914-05-24] Musique nouvelle §

Paris-Journal, 24 mai 1914, p. 000.
[OP2 723-726]

Les personnes éduquées dans le vaillant mouvement artistique d’aujourd’hui font une différence très nette entre ces deux adjectifs : « moderne » et « nouveau »  ; et je me hâte de le dire, ce n’est guère que du second que l’on marque l’artiste qui porte dans son œuvre une audace véritablement nouvelle et de la puissance artistique éclatante.

Nous connaissons quelques peintres, nous connaissons un petit nombre de poètes qui méritent à notre époque l’appellation de « nouveaux »  ; mais nous nous étions habitués à considérer la musique comme un art désuet et presque tombé dans le marasme. Tout y était ténébreux, vide, privé de vie, immobile et asservi à l’esthétique et à la beauté, abstractions pour lesquelles nous n’avons plus aucune sorte de considération.

Si pauvre est la musique d’aujourd’hui, et si mince est le rôle qu’elle joue parmi les autres arts, que bien des fois j’ai entendu dire que la faute en était à la musique elle-même plutôt qu’aux musiciens.

Un jeune musicien, M. Albert Savinio, s’est attaché à découvrir le rôle de la musique dans les arts modernes, et ses œuvres pourront constituer désormais un spécimen de musique nouvelle, dont on entendra pour la première fois des fragments dans les bureaux des Soirées de Paris, ce dimanche 24 mai.

Il exécute ses œuvres lui-même sur le piano en attendant qu’un orchestre les lui joue, ce qui d’ailleurs ne tardera pas.

Les privilégiés qui auront l’honneur d’assister à ce premier concert de musique nouvelle seront étonnés de la brutalité avec laquelle le jeune musicien traite son instrument.

Elle est un témoignage de l’énergie qui anime notre artiste.

On le verra touchant son piano. Il s’y tient en bras de chemise, monocle à l’œil, se démène, hurle tandis que l’instrument fait ce qu’il peut pour atteindre au diapason enthousiaste du musicien.

Notez encore que Savinio, si même il n’a pas du premier coup conçu le renouveau de la musique, n’a cependant jamais donné dans ces orgies de bon goût auxquelles les musiciens soi-disant modernes nous avaient habitués jusqu’ici et qui font que les plus avancés d’entre eux ne s’élèvent pas au-dessus d’un art que l’on pourrait comparer, pour une part, à celui de M. Maurice Rostand et, d’autre part, à celui des peintres de la Nationale.

Je ne parle pas, bien entendu, de musiciens comme Erik Satie ou William Molnard qui, s’ils n’ont pas indiqué de voie nouvelle, ont du moins contribué à détruire dans l’esprit de la jeunesse ce bon goût plein de tristesse qui la faisait dégénérer.

Ayant commencé à composer alors qu’il était encore extrêmement jeune, Albert Savinio a produit déjà plusieurs ouvrages, mais il ne conserve guère que les quelques œuvres qu’il écrivit pendant ces deux dernières années.

Ce sont : un opéra bouffe en trois actes, Le Trésor de Rampsénit, dont le poème, tiré d’un ancien conte égyptien, est de M. M.-D. Calvocoressi  ; deux ballets — Deux Amours dans la nuit, deux actes de six tableaux de M. M.-D. Calvocoressi et A. Savinio, et Persée, trois actes de M. Michel Fokine — qui lui furent commandés par M. Fokine lui-même et qui vraisemblablement seront représentés dans une des prochaines « saisons russes »  ; Niobé, ballet en un acte de M. M.-D. Calvocoressi  ; et Les Chants de la mi-mort, musique composée sur une série de poèmes dramatiques dont il est lui-même le poète.

Ainsi qu’il l’expliquait lui-même dans son récent article, M. Savinio veut donner une orientation toute nouvelle à la musique de théâtre. C’est un esprit éminemment dramatique, et il a l’espoir et la volonté de porter sur la, scène le souffle puissant d’une poésie véritable. Il croit pouvoir présenter sur le théâtre et faire ressortir par sa musique tout ce qui, dans notre époque, se révèle à nous sous une forme étrange et énigmatique  ; il veut encore pouvoir faire éclater en musique le choc de l’inattendu, de la chose curieuse.

La musique de M. Savinio a l’apparence de courir toujours avec une vitesse vertigineuse  ; son aspect est frénétique et des plus vivaces, mais, en fait, c’est là une musique extrêmement limpide. Elle est construite d’une manière régulière  ; elle se base uniquement sur la ligne mélodique, et rejette toute recherche d’harmonie qui puisse donner l’éveil à l’impressionnisme. Et il est très curieux d’observer que, par un procédé aussi simple, M. Savinio soit arrivé à composer des œuvres musicales ayant une force de construction et une puissance sévère tout à fait d’accord avec l’austérité qui caractérise notre époque.

La musique de M. Savinio, en tant que musique dramatique, joue un rôle des plus indépendants  ; elle ne s’associe point au drame, ne traduit point par des sons ni les impressions ni les situations, mais elle se borne à tenir, dans l’ensemble, son rôle poétique  ; d’ailleurs, cette méthode n’a été adoptée par M. Savinio qu’à partir de Niobé.

Les connaisseurs de musique seront peut-être satisfaits d’apprendre que le jeune musicien, dans ses derniers ouvrages, a supprimé les divisions par mesures. La sonorité de son orchestre sera très différente de tout ce que les autres compositeurs contemporains nous ont accoutumés à entendre. Il ne tient aucun compte de l’effet sensoriel résultant de la fusion de tous les instruments, ni des autres effets orchestraux du même genre. M. Savinio tient à faire de la musique moderne un art élevé, pur, poétique et sévère. Il veut lui rendre cette chasteté de sentiment, cette poésie naturelle et ces accents héroïques et touchants que l’on trouve parfois dans les vieux mélodrames de Giuseppe Verdi — ceux-là mêmes que certains musicographes d’aujourd’hui méprisent parce qu’ils y découvrent je ne sais quelle banalité — et lui rendre aussi cet esprit de fatalité et d’éternité qui soulève l’œuvre de Modest Moussorgsky.

D’ailleurs, il ne s’agit point là de comparaisons, car Savinio entend ne regarder jamais en arrière, ni calquer son art sur aucun musicien nouveau. Son art s’efforce à capter toute la poésie qui jaillit des choses présentes. Son artifice s’emploie à nous les présenter sous une forme fatidique. Mais c’est surtout l’imagination qui l’élève, car il n’est point comme la plupart des musiciens qui, en dehors de leur musique, ne possèdent plus aucune vaillance. M. Savinio, qui est poète, peintre et dramaturge, ressemble en cela aux génies multiformes de la Renaissance toscane. À ses inventions artistiques, il associe presque constamment l’élément poétique paysan, sans pour cela faire ni de la musique folklorienne ni de la musique pittoresque. Et il pense encore que l’œuvre d’un artiste ne doit avoir de rapport qu’avec l’époque où cet artiste vit  ; et seules ces œuvres seront vaillantes et impérissables qui porteront l’empreinte de leur temps.

[1914-05-25] Les Arts §

Paris-Journal, 25 mai 1914, p. 000.
[OP2 728-730]

Exposition anglo-française d’architecture ancienne et moderne §

Cette exposition, organisée par la Société des architectes diplômés du gouvernement, enseignera peut-être aux architectes français des nouveautés techniques, mais elle ne leur apprendra sans doute rien au point de vue de l’esthétique. Les Anglais ne faisant guère depuis quelques années qu’imiter le néo-classicisme français.

On sait en quoi il consiste.

Il a contribué à enlaidir tout le Paris moderne.

Aussi ce que l’on regardera avec le plus d’intérêt à la salle du Jeu de paume, c’est la partie rétrospective ; l’architecture domestique sous Elisabeth, Jacques Ier et sous les derniers Stuarts ; les vieux collèges d’Oxford, les jardins. La partie moderne présente moins d’intérêt, sauf en ce qui concerne les maisons de campagne.

Ce que l’on aurait voulu voir, c’est la véritable architecture moderne en Angleterre, comme ce que nous regardons avec le plus de plaisir à Paris, ce sont les audacieuses constructions en ciment armé ou les constructions métalliques, l’intérieur du théâtre des Champs-Élysées, les salles de cinéma, la tour Eiffel, les ponts, les gares…

En Amérique §

L’Amérique commence à s’ouvrir à la nouvelle peinture. Cependant, les nouveaux peintres sont rares, la plupart d’entre eux comme Bruce, Frost et Morgan Russell habitent Paris.

Cependant, l’un d’entre eux, M. de Zayas, qui a renouvelé avec un talent extraordinaire l’art de la caricature et qui a introduit en Amérique Picasso et Picabia, le compagnon inséparable du chef de l’école poétique des bohémiens, Benjamin de Cassérès, se trouve en ce moment à Paris, dans le but de faire la caricature des hommes les plus nouveaux de tous les arts, la littérature et la musique. Cet ouvrage lui a été commandé par un grand éditeur de New York. M. de Zayas ne dit point quelles personnes il a l’intention de caricaturer.

G. De Chirico §

Depuis quelque temps, M. De Chirico consacre son talent à peindre des enseignes aussi bien pour les galeries de tableaux que pour les sages-femmes. Nonchalamment étendu dans son minuscule atelier de la rue Campagne-Première, il regarde passer les fiacres et les voitures de déménagement qui sortent par milliers de la Société générale des petites voitures. Souhaitons qu’il sorte bientôt lui-même de cette apathie où l’a mis la plantation de quelques petits arbres sur la place de Rennes. M. De Chirico est l’ennemi des arbres et l’ami des statues. La place de Rennes sur laquelle il manque une statue, mais qu’orne merveilleusement la gare Montparnasse, plaisait infiniment au jeune peintre qui est le frère du musicien Savinio. Les jardiniers de la ville lui ont tout gâté, ils ont détruit l’harmonie d’une des plus belles places modernes en lui conférant un aspect sylvestre du plus déplorable effet.

M. Pierre Roy Guide… §

Pierre Roy, qui fit le décor si remarqué de L’Eau-de-Vie, de M. Henri Ghéon, au théâtre du Vieux-Colombier, s’est chargé de guider à travers Paris Mme Gontcharova, qui se propose de peindre une importante série de tableaux relatifs à la capitale du monde moderne.

Le beau voyage §

Après un important voyage à travers l’Europe et particulièrement l’Italie, le peintre Édouard Férat a regagné son atelier de la rue Maison-Dieu où il rapporte un certain nombre d’études prises d’après nature dans l’île de Capri, à Naples et à Florence. Il a récolté en route un certain nombre de morceaux d’affiches et de papiers de toutes couleurs, de journaux de toutes nuances politiques destinés à être collés dans ses paysages d’après nature, pour en augmenter la signification expressive.

[1914-05-26] Les Arts §

Paris-Journal, 26 mai 1914, p. 000.
[OP2 730-733]

Exposition Lhote (galerie Vildrac). (Galerie Weill) Exposition Sandor Galimberti et Mme Valérie Galimberti-Dénes §

L’aventure artistique de M. André Lhote est assez particulière. Après avoir été comparé à Gauguin et à Carrière, après avoir joué en quelque sorte le rôle de chef d’école, d’une école qui copiait dans l’imagerie populaire ce qu’elle empruntait au cubisme, André Lhote n’a pas trouvé sa voie comme un Dufy, par exemple, ou même à la rigueur un Friesz, voire même un Marchand. Il s’est vu presque dans la nécessité de revenir aux principes et il n’a pas osé. Ses dons artistiques restent pour ainsi dire inemployés, car au lieu de découvrir sa personnalité, il s’attache, semble-t-il, avant tout, à faire joli, à plaire.

Il se plaît, de temps en temps, à subir les influences, La Fresnaye dans une aquarelle, Metzinger dans les nus, mais ce n’est chez lui qu’un jeu, quand, au contraire, il lui serait très profitable de subir des influences plus significatives, Braque ou Matisse.

M. Sandor Galimberti et Mme Valérie Galimberti-Dénes peignent avec fougue et non sans talent, surtout Mme Galimberti-Dénes qui a le don des proportions héroïques. C’est moins moderne que ce que fait André Lhote, mais c’est plus libre et peut-être même plus personnel.

Exposition Tongue §

À l’Ashuur Galerie, boulevard Raspail, Mlle M. Tongue expose des projets décoratifs dans ce style courant anglais qui dérive d’Aubrey Beardsley. Mlle Tongue réussirait également en se consacrant à cette nouvelle mode des robes peintes, qui a tant amusé Henri Matisse cette année, puisqu’il a peint des chapeaux, des ceintures et un sac de dame.

L’art du vitrail au xixe siècle §

M. Gustave Dupin poursuit dans La Renaissance contemporaine ses études sur « L’Art du vitrail au xixe siècle » ; il s’occupe cette fois-ci de Laurent Maréchal dit Maréchal de Metz, qui florissait de 1840 à 1870.

Son procédé dérivait de la lithographie si en honneur à son époque. Sans qu’il y ait lieu d’y voir une esthétique significative, les œuvres de Maréchal sont assez répandues pour mériter l’intérêt des chercheurs. Il en est de même de Didron aîné et d’Édouard Didron qui s’attachèrent beaucoup plus au côté archéologique de leur art. L’art du vitrail, si négligé aujourd’hui, est cependant un de ceux dans lesquels un artiste jeune pourrait donner carrière à son talent et à son imagination. Il s’agit de trouver une technique nouvelle s’adaptant aux nouveaux moyens de production et aux exigences de la vie contemporaine.

Après quoi, on pourra renouveler cet art qui n’a rien donné d’important encore dans l’art moderne, sinon quelques vitraux de Gauguin.

Allemagne §

À la galerie Flechtheim, de Düsseldorf, on expose les œuvres d’Ernst Peerdt, un peintre allemand contemporain des grands impressionnistes français et duquel le musée Wallraf-Richartz de Cologne possède une agréable Scène de parc.

La revue Der Sturm publie un intéressant document d’architecture gravé sur linoléum par Vladislas Hofmann.

Edward Wittig §

Edward Wittig prépare pour l’automne prochain une importante exposition de ses œuvres.

On y verra les maquettes, les bronzes et les marbres de ses œuvres les plus estimées de ces dernières années et, notamment, ce monument funéraire d’un caractère si simple, si poétique et si émouvant qui fut exposé l’année dernière à la Nationale et dont le bronze se trouve quelque part, loin d’ici, dans un cimetière de Pologne.

Hôtel Roma §

M. Georges Braque a son atelier au dernier étage de l’hôtel Roma, rue Caulaincourt. Dernièrement, un peintre tchèque, M. Filla, qui, comme par hasard, se trouve être un peintre intéressant, était venu visiter dans son atelier le novateur français. La visite fut rapide et courtoise, mais M. Georges Braque fut étonné de rencontrer devant la porte de son hôtel M. Filla qu’il revit le lendemain deux ou trois fois. Il se félicitait d’exciter la curiosité du peintre tchèque, quand il apprit que M. Filla, séduit par cet hôtel Roma dans lequel il y a des ateliers cubistes, y demeurait et que désormais tous les peintres tchèques y descendraient.

Georges Braque a vivement conseillé au patron de l’hôtel de mettre à la porte une plaque émaillée avec l’inscription suivante : « Cubistes à tous les étages ».

[1914-05-27] Les Arts §

Paris-Journal, 27 mai 1914, p. 000.
[OP2 733-735]

Jean Metzinger à la galerie Weill §

Nul doute que cette petite exposition simplette d’études et de notations ne fasse du bien à la réputation de Jean Metzinger.

Elle montrera le côté clair et hardi de son talent qui n’occupe pas dans l’estime du public la place qu’il mérite. J’ai regardé avec plaisir les petits ouvrages réunis à la galerie Weill. Il y a des natures mortes agréables. Elles ont de la personnalité et une personnalité qui ne craint pas de rechercher les influences qui vaillent la peine d’être subies.

Jean Metzinger est une des figures les plus sympathiques de la jeune peinture française. Ses rapides passages dans différentes écoles ont déconcerté et irrité ceux qui en faisaient partie et ceux qui les admiraient. Depuis quelques années, toutefois, il semble être fixé et certains de ses portraits lui ont valu les encouragements les plus flatteurs et les commandes les plus encourageantes.

S’il avait renoncé plus tôt à son goût des paradoxes qu’il soutient sans toujours y croire et s’il prenait le parti de ne plus se mettre en avant à tout propos, lui qui naturellement est modeste, nul doute qu’il ne prenne vite dans la jeune peinture une place plus agréable et plus profitable à la fois, car s’il manque de sensibilité, il a de la délicatesse et une délicatesse qui pourrait très bien guider son imagination.

La galerie Crespi §

Milan va perdre une de ses curiosités, la galerie Crespi, dont le Baedeker signalait l’importance. Cette collection va être dispersée aux enchères à Paris. On sait qu’elle n’a pu sortir d’Italie, c’est-à-dire tourner les conséquences de l’édit Pacca qui, promulgué dans les États pontificaux, étendu à toute l’Italie, interdit l’exportation des œuvres d’art, sinon à des conditions très onéreuses, que par une transaction non moins onéreuse. En effet, la famille Crespi a dû donner au musée Brera le fameux Corrège, la Nativité, évalué à un million de francs. « Formée par un Italien », dit M. Marcel Nicolle dans la préface du catalogue, « la galerie Crespi ne comprend guère que des peintures italiennes. Formée par un Milanais, il est naturel que les maîtres de l’école lombarde y occupent le premier rang. » On y trouve encore cependant un Rogier de La Pasture, parmi un petit nombre de tableaux des écoles du Nord. On y verra même un portrait de femme par cette Sophonisba Angussola dont la gloire fut importante en son temps, elle devint presque aveugle. Van Dyck alla la consulter, certains de ses tableaux ont été longtemps attribués au Titien.

Art des jardins §

À la galerie Groult, M. André Véra expose une série d’aquarelles relatives à l’art des jardins. M. André Véra s’est donné la tâche de rénover cet art et quelques-unes de ses inventions sont très plaisantes. Ses aquarelles concernent un jardin moderne, que son auteur a intitulé jardin d’amour. C’est tout un roman végétal qui se passe dans le pays de Tendre, des rosiers y font captif un cyprès, des nénuphars fleurissent comme des lèvres dans des vasques transparentes posées sur des pelouses, etc., etc.

Le prince de Ligne eût pris plaisir à ces inventions horticoles.

Raoul Dufy §

Raoul Dufy vient de faire un voyage en Allemagne, où l’on commence à s’intéresser à sa peinture. Il arrive de Düsseldorf où aura lieu, sans doute, une exposition. Il est en train de préparer actuellement une édition de luxe avec gravures coloriées des Friperies de M. Fernand Fleuret.

L’organiste §

On sait qu’André Derain aime la musique d’église, il touche l’orgue pendant des journées entières, et sur les reliures de ses partitions, le peintre a fait graver en lettres d’or : « Appartient à André Derain, organiste. »

Les peintres aux Ballets russes §

Les Ballets russes continuent cette année à attirer les jeunes peintres, ils étaient particulièrement nombreux le soir de la première du Coq d’Or. On reconnaissait au hasard M. Henri Matisse qui saluait certains décors comme on salut une connaissance, M. Édouard Férat, M. Pierre Roy, M. De Chirico, Mlle Madeleine Berly, Mlle Valentine Gross, M. de La Fresnaye, M. Albert Gleizes, M. Raguenier-Désormeaux, M. José-Maria Sert, M. Dethomas, M. Laprade, etc., etc.

[1914-05-28] Les Arts §

Paris-Journal, 28 mai 1914, p. 000.
[OP2 735-738]

Les croix de l’exposition de Gand §

Le ministère de l’Instruction publique a distribué à l’occasion de l’exposition de Gand un certain nombre de croix à des artistes. Une cravate de commandeur a été à M. Henri Martin qui a banalisé le divisionnisme de Seurat et inventé la fresque démocratique, à personnages connus comme Anatole France et Jaurès. Il est vrai qu’il est moins ennuyeux que Puvis de Chavannes, ce qui mérite évidemment toutes les récompenses.

La seconde cravate est allée à M. Weerts, qui fait de ces tout petits portraits qu’on voit d’abord à L’Épatant avant de les revoir aux Artistes français.

Parmi les nouveaux officiers, signalons M. Bompard qui fait des Venise, métier qui semble avoir encore du bon ; MM. Guirand de Scévola, Tattegrain, Ernest Baudin, chef des ateliers de fabrication de la manufacture de Sèvres.

Parmi les chevaliers, je cite d’abord Marcel-Jacques, parce que j’ai été le premier à signaler la valeur de cet artiste simple, vigoureux et modeste, et je suis heureux de le féliciter ici de la récompense qui vient couronner aujourd’hui son labeur acharné et solitaire.

La croix de M. Lamourdedieu est également bien placée. Et je note avec plaisir le nom des deux autres promus : l’animalier Jacques Froment-Meurice, l’architecte Gabriel Héraud et les peintres Louis Braquaval, Charreton, David-Nillet, Henri Dumont, Léon Félix, Guinier, Jacquier, Marcel-Béronneau, Mondineux, Renaudot et Paul Stock qui est aussi inspecteur de l’enseignement du dessin et des musées nationaux.

Un monument à Prud’hon §

Une statue va être élevée à Prud’hon à Cluny, sa ville natale, grâce à la généreuse initiative de l’Académie de Mâcon. Un comité d’honneur a été constitué afin de seconder les efforts du Comité local. La présidence en a été bien confiée à M. Maurice Barrès. On sait, d’autre part, que M. Anatole France qui est un grand admirateur de Prud’hon et a une collection de ses dessins, écrit depuis quatre ou cinq ans un ouvrage qui sera aussi un véritable monument à la gloire du grand artiste.

Exposition Lacoste §

À la galerie Blot s’est ouverte l’exposition d’un compatriote pyrénéen de Francis Jammes, qui est en même temps un de ses peintres préférés, Charles Lacoste. Il peint sèchement à la façon des peintres de montagne. Mais il exprime avec sensibilité et délicatesse l’atmosphère des lointains horizons, le cours azuré des fleuves vus du haut de la montagne et surtout la pureté de l’air et du ciel, qui caractérise si bien les pays où il peint.

Exposition Ernest-T. Rosen §

À la galerie Devambez, M. E.-T. Rosen expose des silhouettes, des portraits, des intimités, d’un sentiment parfois baudelairien et d’un métier légèrement whistlérien.

Œuvres de Joseph Bertrand §

À la galerie Manzi-Joyant sont exposées les œuvres du statuaire Joseph Bertrand. Parmi les plâtres, on a remarqué : le Faune dansant (première dimension) ; le Faune dansant (deuxième dimension) ; Trois bas-reliefs exécutés pour M. Nocard : ce sont des moulages sur le marbre ; Tendresse, moulage sur le marbre du musée de Lyon ; le monument à Michel Servet ; Groupe de la jeunesse qui fait partie du monument à Michel Servet ; la Chanteuse, en marbre de Milan ; Pureté, en marbre rose ; Faunesse, pierre directe inachevée ; Tête de faune, en granit ; les portraits en bronze du poète André Rivoire, de Mme Gabriel Fauré et de M. Jean Bernard ; les Chants immortels, bronze appartenant au musée du Luxembourg ; l’Étreinte, groupe (2e dimension) ; la Jeunesse charmée par l’Amour, et une suite d’aquarelles, pastels et crayons.

P.-J. Poitevin §

P.-J. Poitevin vient d’achever une belle randonnée d’art au pays de Van Gogh et de Rodenbach. Il y a laissé une belle série de portraits composés aux hasards de la route, et il rapporte de ce voyage une quantité de dessins sur Ypres, Bruges, Lille, Roubaix. Prochainement, il doit exposer, à Aix-les-Bains, des portraits et des paysages. Et il termine, en ce moment, un portrait de Gabriel-Ursin Langé, et, aussi, un beau portrait au pastel, du magnifique auteur de Ce qui meurt, et de L’Homme-Fourmi : Han Ryner.

La « Vénus » de Cyrène §

Le corps d’occupation italien en Cyrénaïque vient de faire une découverte du plus haut intérêt. En creusant une tranchée sur l’esplanade du temple d’Apollon, qui s’élevait sur le sol de l’antique Cyrène, à Grenna, au lieu-dit Aïn-Sciabat, une équipe de soldats mit au jour un torse de femme en marbre de Paros et, en fouillant avec précaution, on trouva à l’entour des jambes brisées qui s’adaptèrent à merveille au torse, mais aucune trace de bras, ni de tête. La statue mesurait un mètre soixante. Cette statue, rapprochée d’une même statue que l’on avait trouvée en Cyrénaïque, à Benghazi, il y a douze ans, prouve que l’on est en présence d’une Vénus Anadyomène de l’école de Praxitèle.

[1914-05-29] Les Arts §

Paris-Journal, 29 mai 1914, p. 000.
[OP2 738-740]

Tableaux à bon marché §

On se plaignait vivement en Allemagne, ces dernières années, du bon marché auquel les jeunes peintres français vendaient leurs tableaux. Ils empêchaient, paraît-il, leurs jeunes collègues germains de vendre leurs productions. La vérité est que les peintres allemands dont il s’agit étaient moins modestes dans leurs goûts que les Français et avaient aussi moins de talent. D’ailleurs, les temps ont changé et les tableaux bon marché d’alors sont aujourd’hui très chers, ce qui ne veut pas dire qu’on ne trouve plus à Paris de peintres vendant à bon marché, au contraire.

Mais le record, en fait de prix modestes demandés pour des tableaux modernes, est détenu aujourd’hui par l’Italie. Il y a, à Florence, des galeries où l’on vend des tableaux à 5 ou 6 francs. Ce ne sont pas, bien entendu, les œuvres des futuristes connus comme Carrà, Soffici, Severini, Boccioni ou Russolo, ce sont les toiles des petits futuristes

Rosaï et autres, dont le nom n’est pas encore venu jusqu’à nous.

Ce bon marché a déterminé en Italie bien des vocations de collectionneurs de tableaux modernes.

On raconte que Papini, un des écrivains les plus connus de la jeune Italie, sachant qu’un de ses amis allait faire une tournée dans les susdites galeries, le chargea de lui acheter un tableau à 5 francs. L’ami revint les mains vides :

« Je n’ai rien trouvé à 5 francs.

— Les prix de la peinture ont donc augmenté ? demanda Papini.

— Au contraire, lui repartit l’ami. Je n’ai rien trouvé au-dessus de 3 francs ! »

L’exposition des peintres de Venise §

MM. Viviani, ministre de l’Instruction publique, et Jacquier, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, ont visité hier après-midi, l’exposition rétrospective des peintres de Venise, organisée à la galerie Charles-Brunner, rue Royale, 2.

Le ministre et le sous-secrétaire d’État ont été reçus par les membres du comité d’organisation de l’exposition et par plusieurs personnalités du monde artistique, parmi lesquelles MM. Henri de Régnier, Jacques Blanche, Bénédite, Pierre de Nolhac, François Flameng, Armand Dayot, etc.

MM. Viviani et Jacquier se sont longtemps arrêtés devant plusieurs œuvres capitales comme la toile de Tiepolo, Le Temps enlevant la Beauté ; les paysages de Canaletto, Guardi, et, dans les œuvres modernes, l’étincelante série des tableaux de Ziem ; ils se sont retirés après avoir félicité les organisateurs de cette manifestation artistique dont le bénéfice est réservé à une œuvre charitable : la Fraternité artistique.

Voici quels sont les peintres dont les œuvres sont exposées : Bernardo Bellotto (1720-1780), Bonington (1801-1828), E. Boudin, Le Canaletto (1697-1768), Luca Carlevaris (1665-1729), quatre œuvres de Corot, Édouard Dufen (1840-1900), Henri Duvieux, Guardi (1712-1793), Jules Romani Joyant (1803-1854), huit œuvres du charmant Pietro Loughi (1702-1762), Mouchot, Antoine Pel-legrini, Tiepolo (1696-1770), Félix Ziem (1821-1911), Giovanni Bellini, deux dessins de Véronèse, Rosalbo Carriera, une aquarelle de Jules de Goncourt, trois eaux-fortes de Whistler, une aquarelle de Gustave Moreau, Joseph Nicolle, H. Ramberg (1763-1 840), etc.

Aquarelle de Picabia §

Francis Picabia a envoyé à l’exposition d’Amsterdam toute une série d’aquarelles qu’il a peintes ce printemps dans le Midi.

Il y a là, notamment : Force comique, Horrible douleur, Chose admirable à voir, En badinant, Les Sources des eaux, etc.

[1914-05-30] Les Arts §

Paris-Journal, 30 mai 1914, p. 000.
[OP2 740-741]

Robin et Aurel §

Comme on dit Aucassin et Nicolette, Lubin et Annette, Paul et Virginie, Philémon et Baucis, on dira désormais Rodin et Aurel. Rodin parle et Aurel recueille et commente. Nul doute au demeurant que recueillir et commenter les paroles de Rodin ne soit une occupation pour le moins aussi agréable que de poser pour Mlle Dufau. Mais voyons ce que dit, dans Le Matin, Rodin à Aurel. Je m’imaginais que les propos de Rodin seraient à peu près les suivants :

« Quel dommage que la sculpture soit aujourd’hui un art à peu près perdu, quel dommage que ni moi, ni Rosso, ni mes élèves, ni personne même aujourd’hui n’ait la force de concevoir rien de monumental. »

Mais ce n’est pas ainsi que s’est exprimé le grand homme :

« Je dois tout aux femmes, a-t-il dit, elles marchent comme des chefs-d’œuvre », et plus loin :

« Nous n’avons sur les bêtes qu’un avantage, celui de la parole, mais elles ont sur nous celui d’une morale et la sévérité du visage. »

Et pour conclure, on peut souhaiter que le féminisme transcendant de Mme Aurel, l’aurélisme, comme on l’a déjà fort bien appelé, ait une heureuse influence sur les destinées de la sculpture.

Les Salons de 1914 §

Continuant à servir de la manière la plus heureuse et la plus désintéressée la cause des arts et des artistes, L’Argus de la presse vient d’éditer sa brochure annuelle, les Salons de 1914, que nous recommandons à nos lecteurs, et qui est due à la plume de notre confrère H. de Julliany.

La collection Pierpont Morgan §

On confirme de New York que la plus grande partie de la merveilleuse collection artistique de M. Pierpont Morgan, actuellement exposée au Musée métropolitain, sera dispersée en vente privée dans un avenir très prochain.

La vente aura lieu à Londres et sera conduite par un syndicat de marchands anglais. Elle comprendra surtout des tableaux et objets d’art du xviiie siècle et des tapisseries de diverses époques. Quant aux porcelaines, bronzes et cristaux, la majeure partie en sera offerte au Musée métropolitain de New York.

D’autre part, on continue à dire que l’on cherche surtout, s’il est possible, à vendre la collection en bloc, de façon à ce que l’effort qu’il a fallu pour la réunir ne soit pas perdu.

[1914-05-31] Les Arts §

Paris-Journal, 31 mai 1914, p. 000.
[OP2 742-744]

Futurisme §

Les futuristes italiens ont en ce moment deux expositions, l’une à Londres, aux Doré Galleries, l’autre à Naples.

L’inauguration de cette dernière exposition où l’on voit des tableaux de Boccioni, Carra, Russolo, Balla, Severini et Soffici, a donné lieu à de singuliers incidents.

On pensa à tout, sauf à l’éclairage de la salle. Au dernier moment, le parolibre (c’est ainsi qu’on nomme ceux qui écrivent au moyen de mots en liberté), Cangiullo, reconnaissant qu’il fallait de la lumière pour qu’on vît les toiles et méprisant les modes d’éclairage courants, courut faire une provision de feux de Bengale. Lueurs rouges, fumigation générale, des pétards éclatent aussi, une fusée traverse la salle, épouvante des dames et des demoiselles, hurlements, cris, éclats de rire.

Marinetti empoigne un feu de Bengale enflammé et commence à parler de dynamisme plastique (ce en quoi il était en retard, car il y a au moins trois mois que le dynamisme plastique est relégué au rang des vieilles lunes). Bref, Marinetti attaqua violemment le sentimentalisme passéiste, le pastellisme et l’aquarellisme mercantile des pseudo-peintres napolitains.

Et pour finir, les peintres et le public exécutèrent en chœur la célèbre symphonie onomatopéique du parolibre Cangiullo, intitulée Piedigrottà.

Après quoi, chacun s’en fut coucher.

Expositions §

À la galerie Vildrac, l’exposition Picart Le Doux va succéder à celle d’André Lhote. À la galerie Louis-le-Grand, où a lieu une intéressante exposition d’Alcide Le Beau et de Sinet, on organise une exposition rétrospective d’Alcide de Cale, un petit-maître de 1830. La préface au catalogue est due à M. J.-C. Holl. L’exposition comprendra cent vingt toiles. Signalons, à la galerie Montaigne, l’exposition d’un jeune Scandinave bien connu à Paris, Hans Ekegardh ; à la galerie Max-Rodrigues, l’exposition Jean Pégot-Ogier ; à la galerie Grandhomme, une exposition de dessins de Louise Hervieu, Bernard Naudin, etc.

Portraits d’actrices §

En ce moment, a lieu à la galerie Hessèle, rue Balzac, au profit de l’Œuvre de rapatriement des artistes lyriques, une exposition de « Portraits d’actrices », de Rachel à Sarah Bernhardt. Cette exposition de charité aura certainement du succès. C’est d’ailleurs l’histoire du théâtre depuis cent ans. On y voit les portraits de Mlle George, de la grande Rachel, et de comédiennes et de chanteuses comme Croizette, la Malibran, Julia Grisi, la Falcon, Pauline Viardot, Mmes Krauss, Marie Ugalde, Rosine Stoltz, et plus près de nous, Marguerite Lavigne, Renée Félyne et, enfin, parmi les actrices encore vivantes, Sarah Bernhardt, Réjane, Daynes-Grassot, Bréval, Reichenberg, la petite doyenne ; Pierson, Aida Bani, Segond-Weber, Suzanne Desprès, Hatto, Jane Hading, Marie Leconte, Mégard, Litvinne, Yvette Guilbert, sans compter beaucoup d’autres dont l’énumération serait beaucoup trop longue.

Les aquarelles de Fabre §

Les douloureuses circonstances qui mettent en avant en ce moment le nom de J.-H. Fabre attirent l’attention sur les albums d’aquarelles peintes par le grand savant d’après des insectes, des champignons, des fleurs, etc. Elles ont un intérêt scientifique et artistique considérable. Il faudrait s’occuper de les garantir contre la dispersion, en cas de mort de l’illustre entomologiste.

Séparation §

Deux jeunes artistes, qui depuis quelques années s’en allaient de concert dans la vie, Albert Gleizes et Jean Metzinger — ils avaient même signé un livre ensemble — se séparent. Désormais, ils continueront leur œuvre chacun de leur côté.

Dernièrement chez l’éditeur Figuière, devant le grand portrait exposé par Gleizes au Salon d’automne, devant une nature morte de Metzinger, les deux artistes ont juré de ne plus avoir rien de commun.

Ainsi va la vie. Tout lasse, tout passe, tout casse.

[1914-06-01] Les Arts §

Paris-Journal, 1er juin 1914, p. 000.
[OP2 744-745]

Honoré Daumier §

On sait l’intérêt qui s’attache désormais à tout ce qu’a produit Honoré Daumier, le Michel-Ange de la lithographie. Ses tableaux sont recherchés comme ceux des plus grands maîtres du xixe siècle, et la faveur s’attache aujourd’hui non seulement à ses grandes planches, mais encore aux épreuves du Charivari, à ces images dont le dos est imprimé et dont le tirage est parfois si beau.

L’Association pour l’encouragement des beaux-arts de Liège a eu la bonne idée d’organiser au palais des Beaux-Arts de cette ville une exposition de l’œuvre lithographique de celui qui est sans aucun doute le plus grand de tous les dessinateurs satiriques.

Arts d’Afrique §

Le Souvenir africain a organisé une intéressante exposition d’œuvres d’art africaines où l’on remarque de merveilleuses idoles, statues passionnées, infiniment précieuses, sculptées par de grands artistes anonymes.

Le « Home » de Paul Follot §

Paul Follot ayant acheté sa maison, construite, décorée, meublée entièrement d’après ses dessins, a prié quelques-uns de ses amis de passer chez lui la soirée du lundi 15 juin.

Voilà une inauguration qui promet d’être intéressante, et l’on ne connaissait jusqu’à présent que Robinson Crusoé, qui eût pu, s’il n’avait été seul dans son île, écrire un » (vernissage vendredi).

Salon des  « Cahiers vaudois » §

Le Salon des Cahiers vaudois, dont nous avons déjà parlé, réunira des œuvres de Mlle Alice Bailly, une artiste audacieuse et de talent, de MM. Maurice Baud, Hans Berger, Henri Bischoff, Alexandre Blanchet, Alexandre Cingria, Forestier, Jean-Louis Gambert, un décorateur de goût, Pierre Godet, Abraham Hermeigat, Aloys Hugonnet, Louis de Meuron, Jean Morax, William Muller, Albert Muret, Théophile Robert, etc.

[1914-06-02] Les Arts §

Paris-Journal, 2 juin 1914, p. 000.
[OP2 745-747]

Marc Chagall §

La race juive n’a pas encore brillé dans les arts plastiques. Dans le mouvement moderne, par exemple, on ne peut guère citer que Pissarro pour avoir joué un rôle important parmi les pionniers de l’impressionnisme.

On expose en ce moment à la galerie du Sturm, à Berlin, qui a fait connaître en Allemagne toute une partie de la jeune peinture française et particulièrement Delaunay et Fernand Léger, les œuvres d’un jeune peintre israélite russe, Marc Chagall. J’ajoute de suite qu’on voit de ses tableaux à Paris à la galerie Malpel, rue Montaigne.

Chagall est un coloriste plein d’une imagination qui, issue parfois des fantaisies de l’imagerie populaire slave, la dépasse toujours.

C’est un artiste extrêmement varié, capable de peintures monumentales et il n’est embarrassé par aucun système.

Son exposition, que j’ai vue avant qu’elle ne partît pour l’Allemagne, comprend trente-quatre toiles, des aquarelles et des dessins de différentes époques. Je préfère ses dernières œuvres et surtout son Paris vu par la fenêtre.

Claude Monet §

Claude Monet, qui avait cessé de peindre, s’est remis au travail. C’est avec beaucoup d’intérêt qu’on attend les nouvelles œuvres du maître impressionniste si discuté aujourd’hui par les jeunes peintres.

Une statue d’Auguste Renoir §

On peut voir en ce moment à la galerie Vollard, la maquette d’une statue d’Auguste Renoir, une femme nue, du type de ses dernières peintures, qui sera une des œuvres les plus importantes du prochain Salon d’automne.

Un bel exemple d’entêtement §

On sait que le Kaiser a conféré la noblesse héréditaire à M. de Bade, qui a doté son pays d’un musée de premier ordre, certes, malgré quelques attributions douteuses.

On n’a pas oublié l’histoire du buste de cire, représentant Flore et que M. de Bade a attribué au Vinci malgré le sentiment unanime des érudits du monde entier et des critiques allemands eux-mêmes.

La Flore, est, à n’en pas douter, un faux ; radiographiée, elle révéla qu’elle contenait un gilet de son modeleur dont le fils avait indiqué ce détail type et convaincant.

Mais M. de Bade s’est entêté et le buste figure toujours à la place d’honneur du musée.

D’ailleurs, toutes les autres attributions au Vinci ou à son école qui figurent au musée de Berlin sont très contestables.

M. de Bade a d’autres titres à la distinction qui lui a été conférée.

La collection des sculptures italiennes du xve siècle, l’acquisition de l’Adoration des Mages, par Hugo Van der Goes, achetée au couvent de Monforte en Espagne, honorent suffisamment le musée de Berlin pour qu’on ait également voulu honorer M. de Bade.

[1914-06-03] Les Arts §

Paris-Journal, 3 juin 1914, p. 000.
[OP2 747-749]

À propos de la loi Pacca §

L’intérêt artistique s’était consacré hier à la galerie Georges-Petit, où l’on exposait les toiles de la galerie Crespi.

Évidemment, une partie de cette collection, et ce n’est peut-être pas la plus mauvaise, est restée en Italie.

Il faut bien se l’avouer, tout n’est pas du premier ordre, ni même du second dans ce qu’on nous a montré.

Mais, Paris est devenu le centre non seulement de l’art moderne, mais encore de l’art ancien. C’est à Paris que viennent se réunir toutes les œuvres, tous les objets d’art, de même que l’or, à ce qu’il paraît, tend à se concentrer dans l’Inde.

Si les chefs-d’œuvre aboutissent fatalement à Paris, ils entraîneront avec eux l’interminable cortège des rossignols dont la brocante internationale a intérêt à se débarrasser. Notez que ce que j’en dis n’est pas pour la galerie Crespi, où il y a bien quelques choses intéressantes.

Toutefois, je ne m’étonne point qu’en dépit de la loi Pacca, on ait laissé sortir d’Italie cette fameuse collection.

À la place de l’Italie, je lui aurais bien payé le voyage afin qu’elle s’en allât plus vite.

Miniatures persanes §

On expose en ce moment chez Demotte, rue de Berri, un grand nombre de miniatures persanes. Ce sont des enluminures pour illustrer les poèmes de Firdousi, de Hafiz, de Saadi.

On y verra de curieux et délicats échantillons de l’art décoratif oriental.

L’Union des arts §

On a verni hier à la galerie La Boétie et une foule nombreuse a défilé devant les œuvres exposées.

On a surtout remarqué les envois de Corabœuf, ce dessinateur sensuel et concentré qui, sans les copier, s’apparente à des maîtres ; de J. Froment-Meurice, de Mme Armington et de MM. Yencesse, A. Vollon, Mayeur, Mondineu, Moisset, Nozal, Rémond, Riéder, C. Rivière, Royer, Sicard, Albert Thomas, Maillaud, H. d’Estienne, Etcheverry, Feuillâtre, Filliard, R. du Gardier, Gelhay, Guinier, Lauth, Lefeuvre, G. Le Meilleur, Doigneau, Adan, F. Armington, Avigdor, Biloul, Brandt, Calvet, Dambeza, David-Nillet, Déchenaud, Diéterle, etc.

L’exposition sera ouverte jusqu’au 15 juin, dimanche compris.

Les lagunes de Venise §

Miss Bridget Keir a mis à profit son séjour en Vénétie, elle a peint — à l’aquarelle évidemment — les lagunes de Venise.

Ces aquarelles où il y a de la distinction, de la sobriété, s’intitulent : Impression du soir, La Lagune bleue, La Madonna dans les lagunes, L’Heure des vêpres à Murano, Chenal dans la lagune, Marguerites de Saint-Michel, Un Bragosso, Les Rues dans la lagune, etc. Mlle Keir a bien fait de montrer ses œuvres chez Georges-Petit, au lieu de les exposer en Italie, où l’aquarellisme féminin est en butte à la galante hostilité des futuristes.

Conversation §

Notée à l’exposition de la galerie Crespi :

« Vous avez lu, sur le cadre, il y a Leonardo.

— Oui, mais le catalogue dit : atelier de Leonardo da Vinci.

— On finira par nous faire croire que l’atelier de Léonard était aussi grand que la galerie des Machines.

— Vous avez vu la Sainte Famille de Caroto ? C’est un peintre qu’on ne connaissait pas ici.

— Moi, c’est le petit Sodoma qui me plaît, je ne sais pas ce qu’il vaut, mais il me plaît.

— J’étais venu pour voir un tableau de Sophonisba Angusciola, voilà qu’il n’y est pas.

— Retournons voir le Rogier de La Pasture. Qu’en pensez-vous ?

— L’Escamoteur me paraît une chose bien amusante.

— Je reviendrai à la vente. Je connais un peu le conservateur du musée de Milan et je voudrais bien savoir s’il viendra. »

[1914-06-04] Les Arts §

Paris-Journal, 4 juin 1914, p. 000.
[OP2 749-751]

La collection Camondo au Louvre §

C’est aujourd’hui que le président de la République doit inaugurer les salles où on a installé la collection Camondo au Louvre. À côté d’objets d’art du Moyen Âge et de la Renaissance, à côté d’estampes japonaises de premier ordre, à côté de meubles du xviiie siècle, de Watteau, de Latour, de Perronneau, de Fragonard, de la gracieuse et célèbre pendule aux Trois Grâces, de Falconet, des chefs-d’œuvre exquis de Riesener, de Gouthière, à côté des Sené, des Saint-Aubin, à côté des Gobelins, des Beauvais, des tapisseries d’après Boucher, on trouvera la véritable nouveauté de cette collection, ce qu’elle apporte comme enseignement aux visiteurs du Louvre, à l’univers tout entier ; ce sont les merveilleux tableaux de l’école française moderne et plus particulièrement des œuvres des impressionnistes.

L’entrée de cette collection au Louvre n’a pas été sans difficultés. Quand on songe au très petit nombre d’ouvrages vraiment modernes au Luxembourg, on demeure étonné de voir que le Louvre est maintenant beaucoup plus d’avant-garde que n’est le musée des artistes vivants.

Cette contradiction n’est, au demeurant, excusable que par le régime qui règle la vie du Luxembourg et aussi parla qualité de certains tableaux qui méritent d’entrer d’emblée au musée des chefs-d’œuvre.

Ingres, Delacroix, Barye, Millet, Daumier, Corot, Puvis de Chavannes sont bien représentés ici. Mais voici Le Fifre, de Manet, et son « bijou rose et noir », Lola de Valence, fleur du mal célébrée par Baudelaire. Voici surtout les Cézanne, La Maison du pendu, Le Vase bleu. Voici les Jongkind. Voici les Toulouse-Lautrec, un vrai triomphe ; voici des Renoir qui, un jour, sera mieux représenté au Louvre ; voici enfin les Degas.

Maintenant, le Luxembourg n’a plus qu’à se grouiller, qu’il déménage vite et se modernise, qu’il ne craigne point les écoles d’avant-garde, qu’il soit orphiste, simultanéiste, futuriste, cubiste, car le voilà bien en retard et le véritable musée moderne de Paris, c’est aujourd’hui le Louvre.

5e exposition de la Société normande de peinture moderne §

C’est le 6 de ce mois que sera inaugurée la 5e Exposition de cette Société qui a fait connaître en Normandie un grand nombre de peintres d’avant-garde.

Cette exposition se tiendra cette année 141, rue de la Grosse-Horloge, à Rouen.

Le comité d’honneur réunit les noms de MM. Frantz Jourdain, Georges Desvallières, président et vice-président du Salon d’automne ; de MM. Brelet, préfet de la Seine-Inférieure ; Leblond, sénateur, maire de Rouen ; Nibelle, député de Rouen ; Paul-Boncour, ancien ministre ; Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg ; Armand Dayot, Arsène Alexandre, Olivier Sainsère, Louis Vauxcelles, Émile Fabre, Paul Gallimard, etc.

Allied Artist’s association, Ltd §

Le 7e Salon des indépendants de Londres aura lieu au Holland Park Hall, qui s’adapte le mieux à une exposition de peinture. Naturellement, pas de jury ; l’ouverture aura lieu le vendredi 12 juin et la fermeture le jeudi 2 juillet. Les demandes de renseignements doivent être adressées à l’Allied Artist’s Association, Ltd, 67 et 69, Chancery Lane, Londres, WC. Les agents pour la France sont Stocwell & sons, 17, rue d’Antin, Paris, Boulogne-sur-Mer et Lyon.

L’Association fut fondée en 1908. La dernière exposition du Royal Albert Hall a eu un grand succès, visiteurs et affaires. Cette année, étant donné l’avantage d’une meilleure salle et d’une saison favorable, on espère doubler le chiffre des entrées et des ventes.

Attention aux sanguines §

L’Art en Europe, que dirige M. Seymour de Ricci, signale que le marché de Paris est envahi par de fausses estampes à la sanguine de Demarteau.

Le papier est spongieux et moins ferme que celui des épreuves authentiques, on y remarque par endroits une sorte de léger flou occasionné par une mise au point défectueuse et l’impression manque de relief. Les acheteurs doivent toujours se méfier des gravures dont le cuivre présente un bord biseauté.

[1914-06-05] Les Arts §

Paris-Journal, 5 juin 1914, p. 000.
[OP2 751-753]

Peintures de G.-L. Jaulmes §

M. G.-L. Jaulmes expose chez Druet des peintures et des esquisses de décoration. Je ne goûte pas infiniment cet art-là. Il est cependant assez typique de l’art décoratif à la mode en ce moment et beaucoup d’habitations aisées sont aujourd’hui décorées de cette façon.

On verra ici des études de jardins, des pièces d’eau, des enfants et des fruits, l’Enlèvement d’Europe, des esquisses de décoration pour le casino d’Évian-les-Bains, des dessus-de-porte, des frises, des paravents, des chevaux au bord de la mer, etc.

Il s’agit d’égayer les intérieurs contemporains. Et le dessein est excellent.

Le musée Camondo au Louvre §

Hier matin, à 10 heures, ont été inaugurées les nouvelles salles réservées à la galerie Camondo. En raison de la crise ministérielle et des obsèques de M. Henry Roujon, auxquelles M. Raymond Poincaré a tenu à assister, le président de la République a remis à une date ultérieure la visite qu’il devait faire au Louvre. M. Valentino, chef de la division de l’Enseignement et des Travaux d’art, représentant le ministre des Beaux-Arts, a été délégué pour présider la cérémonie, qui a été tout intime.

M. Valentino a été reçu par M. Henry Marcel, directeur des musées nationaux, qu’entouraient les conservateurs du Louvre, les membres du service d’architecture et les membres du conseil des musées nationaux.

Le musée Camondo est maintenant ouvert au public. Il occupe sept salles du second étage du nouveau Louvre. On y accède par l’escalier Mollien, et par l’ascenseur spécialement construit.

Tout le monde a loué le goût parfait qui a présidé à l’installation de cette importante collection qui enrichit si merveilleusement le plus grand musée du monde.

Héliopeinture §

Une maison d’éditions va publier une reproduction du Réveil de Meunier par un procédé qui permet de reproduire les tableaux « dans tout l’éclat de leur vérité en faisant ressortir, sensible à l’œil et au toucher, le relief matériel de la peinture à l’huile ».

Il n’en coûte que 250 francs pour acquérir une « épreuve numérotée et signée par le maître, avec cadre copié sur celui de l’original ».

Il est vrai qu’à ce prix on peut obtenir une peinture authentique d’un jeune peintre de talent et d’avenir. Il n’en manque pas.

Rétrospective A.-F. Cals §

À la galerie Louis-le-Grand on a inauguré une exposition rétrospective d’un peintre intéressant : A.-F. Cals, qui est mort le 3 octobre 1880.

M. J.-C. Holl qui a écrit la préface du catalogue, dit excellemment :

« Artisan consciencieux jusqu’au scrupule il se pencha vers la nature et vers les humbles ses frères : son œuvre sera l’odyssée la plus touchante d’un sensitif et d’un tendre à travers les mêmes existences de son entourage — paysans et pêcheurs — et les beautés de la nature pour laquelle il avait des admirations d’enfant. »

Prothèse plastique §

À la même galerie Louis-le-Grand, M. Paulin Paris qui, à l’agrément d’être un excellent sculpteur, joint l’utile talent du dentiste, expose vingt portraits sculptés et quelques statuettes.

Tout Paris, d’ailleurs, connaît les bustes de Renoir et de Guillaumin qui ornent le vestibule de la galerie Bernheim-Jeune.

[1914-06-06] Les Arts §

Paris-Journal, 6 juin 1914, p. 000.
[OP2 753-755]

De Rachel à Sarah Bernhardt §

J’ai entendu raconter que l’empereur François-Joseph avait dit une fois qu’il voudrait que son palais fût uniquement orné de portraits d’actrices.

C’est dire avec quel plaisir le vieil aigle visiterait l’exposition de la galerie Hessèles, consacrée aux portraits d’actrices de Rachel à Sarah Bernhardt.

Je n’y ai pas pris moins de plaisir qu’un Habsbourg, un plaisir en quelque sorte poétique.

Le portrait d’Agar appartient à l’aimable balzacien L.-B. de Royaumont. Il y a trois portraits de Sarah Bernhardt, d’Aïda Boni et un seul de Louise Balthy, d’Irène Bordoni, de Rachel Boyer. C’est Carrière qui a fait celui de Lucienne Bréval et Bracquemond celui de Berthe Cerny.

Voici encore les effigies de Mitzy Dalti, de Jeanne Delvair, de Delmarès, de Marie-Louise Derval, de Suzanne Desprès par Vieillard, de Diéterle, d’Arlette Dorgère par Mme Lavirolle, de Gabrielle Dorziat, d’Isadora Duncan, esquisse à l’huile par Carrière ; de Marguerite Durand, de Fanny Elssler, de Cornélie Falcon, de la Loïe Fuller, de Marcelle Géniat, d’Yvette Guilbert, de Jane Hading par Madeleine Lavigne, de Marie Leconte, de Marcelle Lender, de Jeanne Lifraud, de Félia Litvinne, de la Malibran, de Mlle Mary, de Mistinguett, de Monna Delza, de Moreno, de Napierkowska, d’Otero, de Polaire, de Rachel, de Reinchenberg (c’est un pastel qui appartient à la baronne de Bourgoing, qui est la petite doyenne elle-même), de Réjane (non point par Rouveyre mais par Boldini), d’Henriette Roggers, de la tragédienne japonaise Sada Yacco, de Jeanne Samary, d’Hortense Schneider, de Segond-Weber, de Cécile Sorel par Cappiello, de Spinelle, de Rosine Stoltz, de Mariette Sully, d’Anna Thibaud, de Blanche Toutain, de Delphine Ugalde (dessin à la mine de plomb par Thomas Couture), de Marguerite Ugalde par Chartran, de Geneviève par Corabœuf, etc., etc.

C’est une galerie historique intéressante au premier chef, et la plus brillante assemblée qui soit aujourd’hui. On y trouve réunis les talents, la grâce et la beauté.

Deux Rembrandt §

Deux tableaux de Rembrandt vont passer en vente le 15 juin. Ils proviennent de la collection Charles Fairfax Murray. Ils sont en outre authentiques.

Le premier est un Portrait présumé du frère de l’artiste, panneau de forme ovale. Il a fait partie de la collection du prince A. de Broglie.

Le deuxième, peint également sur bois, représente Un savant lisant à la chandelle.

Sans doute, ces deux Rembrandt vont-ils prendre le bateau pour l’Amérique.

[1914-06-07] Les Arts §

Paris-Journal, 7 juin 1914, p. 000.
[OP2 755-757]

Dessins d’enfants §

La galerie Malpel a eu l’idée d’exposer une certaine quantité de dessins d’enfants. On en avait déjà exposé au Salon d’automne. Mais il s’agissait de dessins d’enfants des écoles et de dessins décoratifs dessinés par toute une classe d’après un modèle donné par le maître.

À la galerie Malpel, c’est tout autre chose. Les dessins exposés sont des dessins d’imagination. L’enfant a dessiné ou peint ce qu’il a voulu. C’est bien plus intéressant.

Toutefois, un grand nombre des œuvres exposées sont dues à des enfants qui grandissent au milieu de peintres, ce sont pour la plupart des fils, des frères, des sœurs d’artistes. L’intérêt n’est pas diminué en ce qui concerne la valeur intrinsèque de l’œuvre exposée, mais on ne saurait guère en tirer des conclusions quant à l’instinct plastique des enfants en général.

C’est ainsi que, dans les peintures de la fille de Van Dongen, on reconnaît l’influence de la peinture du père. Tels quels, ces tableaux indiquent du don et sont agréables à voir.

Le fils du peintre Peské joint, à un talent sérieux d’illustrateur, un don de poète plein de fraîcheur. Écoutez cette impression de la forêt de Fontainebleau, où l’on trouve :

Sous les feuilles fanées
Des petits champignons,
Des cèpes, des girolles
Tout gracieux et ronds.

Parmi les plus doués se trouve Mlle Adyzia Van Rees, une coloriste de sept ans, fille de peintre, elle aussi. Elle a trouvé des gammes colorées, perçantes, comme certaines sonorités d’Albert Savinio.

A. Lebec, onze ans, a une imagination intéressante ; il a peint des clowns dans une voiture, qui sont amusants. Il habite Orsay, et peut-être est-il avec Babet Parayre, sept ans, et Jack Malpel, un des rares exposants sans lien de parenté avec un peintre.

Les dessins de Rosa Riera, à l’âge de six ans, feraient pressentir ces carreaux de céramique comme en peint depuis cette artiste catalane ; ceux de sa sœur Carmen la rappellent parfois.

Les dessins de Mlle Sima Chagall rappellent les anciens tableaux de son frère.

Le jeune Gaillard, onze ans, est un paysagiste déjà habile, et le jeune Picault, douze ans, a peint une nature morte intéressante…

Je me souviens du temps où Matisse montrait les dessins de ses enfants, et il y en avait parfois d’étonnants. Matisse s’y intéressait beaucoup.

« Toutefois, disait-il, je ne crois pas qu’il faut faire grand cas des dessins d’enfants parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. »

La collection de Marquis de Biron §

La collection du marquis de Biron, qui sera vendue le 9 et le 11 juin à la galerie Georges-Petit, sera au point de vue de l’art du xviiie siècle, la vente la plus importante depuis celle de la célèbre collection Doucet. Garnier, Riesener, Gannier y sont représentés avec des pièces de premier ordre. On y verra le buste du maréchal de Lowendal, par Le Moyne, et des terres cuites, par Clodion, Houdon, Pajou, Boizeau, I.-P. de Beauvais, etc.

Elle contient encore des Hubert Robert et des esquisses d’Ingres et de Sir T. Lawrence, d’importants dessins ou pastels de Fragonard, Chardin, Clodion, Boucher, Boilly, David, Delafosse, Pineau, le portrait de Diderot, par Saint-Aubin, etc.

Deux dessins de Rembrandt et de Rubens représentent seuls les anciennes écoles.

[1914-06-08] Les Arts

L’art et la douane des États-Unis §

Paris-Journal, 8 juin 1914, p. 000.
[OP2 757-758]

Je me suis déjà élevé ici même contre la façon tracassière dont les États-Unis entendent interpréter leur nouvelle loi douanière relative à l’introduction en Amérique des œuvres d’art originales.

À ce propos, le Bulletin de chez Bernheim-Jeune publie de nouveaux renseignements sur le sens très restreint que les douaniers américains donnent au mot « original » :

« Alors que l’ancien tarif des douanes frappait d’une taxe de 15 % l’importation aux États-Unis des œuvres d’art originales datant de moins de vingt ans, le nouveau tarif, celui du 3 octobre 1913, les admet en franchise comme les œuvres antérieures, ne laissant subsister la taxe que sur les copies, répliques et reproductions.

« Or, la douane américaine s’ingénie avec succès à dénaturer l’esprit de ce régime libéral et à rendre les dispositions nouvelles plus gênantes que les anciennes, qui, du moins, étaient nettes.

« Dédaigneux de l’expertise des connaisseurs français et de l’historique même des œuvres, elle prétend n’admettre celles-ci en franchise que munies d’un certificat signé des experts désignés par elle, et, s’il s’agit de l’œuvre d’un artiste vivant, elle exige qu’il aille s’en déclarer l’auteur par-devant le consul des États-Unis.

« Enfin, spéculant à l’extrême sur le mot “original”, elle ne concède la qualité d’original qu’au premier tableau d’une série représentant un même sujet, qu’à la première pensée ou esquisse de l’artiste sur ce sujet.

« Il n’est pas d’artiste qui n’ait exécuté des variantes d’un même motif ; il n’en est pas non plus qui puisse préciser la chronologie de ces variantes. Chacune d’elles est une œuvre originale. À la rigueur, la douane américaine considérerait bien comme telle l’une d’entre elles ; mais, ne pouvant établir l’antériorité d’aucune et inhabile à apprécier leurs différences (souvent essentielles pourtant, comme dans le cas des séries de Claude Monet, de K.-X. Roussel, etc.), elle les tient toutes pour des répliques ou des copies.

« Seules les pochades d’après nature — à l’exclusion des œuvres définitives qu’elles ont déterminées — mériteraient, au regard de ces douaniers, le titre d’œuvres originales…

« En sa qualité d’expert pour les contestations en douane, et par le canal de la Conférence permanente du Commerce extérieur dont il est le vice-président, M. Josse Bernheim jeune vient d’adresser au ministre du commerce un rapport abondamment documenté “sur le nouveau régime douanier des œuvres d’art à l’entrée aux États-Unis et sur l’interprétation donnée à ce tarif par les experts américains”.

« Il conclut en demandant au gouvernement français d’intervenir auprès du gouvernement de Washington en vue d’une clarification des textes dont le douanier américain abuse pour discréditer des œuvres d’art.

« À ce sujet un peu de statistique :

« Dans l’importation aux États-Unis des œuvres d’art datant de moins de vingt ans (celles qui jusqu’en octobre dernier étaient sujettes aux droits), la France arrive en tête avec 594 021 dollars en 1910, 396 603 dollars en 1911, et 384 890 dollars en 1912 (les statistiques de 1913 ne sont pas encore établies). Il y a donc dépression. Mais elle est générale et elle s’explique par la situation financière et point du tout par une diminution de l’intérêt que les collectionneurs américains manifestent pour l’impressionnisme, objet principal de l’importation française dans cette catégorie. Une dépression sensiblement plus forte marque, en effet, les chiffres de l’importation anglaise (nullement impressionniste) qui vient immédiatement après la nôtre : 469 163 dollars en 1910, 220 093 en 1911, 163 537 en 1912. La proportion du chiffre français au chiffre anglais était de 5,5 à 4,5 en 1910 : on voit qu’elle est de 7 à 3 en 1912. »

Nul doute que la douane américaine ne se rende aux excellentes raisons de M. Josse Bernheim jeune et ne facilite l’entrée aux États-Unis de toutes les œuvres originales des peintres français.

[1914-06-09] Les Arts §

Paris-Journal, 9 juin 1914, p. 000.
[OP2 759-760]

La Rive gauche §

L’inauguration de la 5e Exposition des beaux-arts de la Société artistique de la Rive gauche a eu lieu dimanche dernier, à 2 heures, à la salle des fêtes de la mairie d’Issy-les-Moulineaux. M. le ministre des Beaux-Arts s’était fait représenter par M. Émile-Bayard, inspecteur des beaux-arts, qui a prononcé un important discours.

La collection Camondo §

Maintenant que la collection Camondo est installée, que le public, très nombreux, se presse dans les petites salles qui la contiennent, on peut bien dire qu’elle n’augmentera pas la réputation de peintre de Degas. Il apparaît bien là comme un petit-maître. Les aquarelles de Cézanne y triomphent, à mon avis et à ce propos, on m’a raconté qu’après les avoir achetées, M. de Camondo avait voulu les rendre : « Ce sont de trop petites choses, aurait-il dit, pour un collectionneur comme moi. » Il s’est ravisé ensuite et il a eu bien raison, car rien n’est plus important que ces aquarelles pour l’étude des quelques peintres contemporains qui compteront dans l’histoire de l’art.

Je crois, d’autre part, que M. de Camondo aurait été bien inspiré en n’exigeant point que sa collection restât exposée à part. Il aurait mieux valu, à mon avis, que les meubles et les objets d’art du xviiie siècle allassent enrichir les salles du mobilier.

(A-t-on remarqué un meuble à hauteur d’appui où se trouvent peints en marqueterie de petits tableaux qui rappellent très curieusement certains noir et blanc d’Aubrey Beardsley ?)

Les tableaux auraient pris leur place chronologique à peu près et le Louvre aurait été réellement augmenté.

Tandis qu’aujourd’hui, il y a à Paris un musée de plus, le musée Camondo qui est logé au palais du Louvre, comme il y a dans les mêmes conditions un musée Chauchard, un musée La Caze, un musée Campana, un musée de la Marine, etc.

D’ailleurs, les conservateurs du Louvre se sont ingéniés à si bien compliquer les heures où il est loisible de visiter ces différents musées domiciliés au Louvre qu’il devient presque impossible de s’y reconnaître. Le musée Campana est fermé tel et tel jour pendant la période d’instruction militaire, une autre salle est ouverte l’après-midi du mardi et le matin du mercredi, idem pour le mobilier, idem pour la collection Camondo. Quant au musée de la Marine, on ne l’ouvre qu’une fois de temps en temps, et Dieu sait quand.

Claude Monet §

Paris-Journal a annoncé que Claude Monet se remettait à peindre après une interruption de cinq ans, ses dernières toiles, la série de Venise, étant datées toutes de 1908.

Au Petit Palais §

M. Théodore Duret, l’historien de l’impressionnisme qui avait déjà fait don au Petit Palais de son portrait par Manet, d’une danseuse de Degas, de quatre Courbet, et d’un paysage par Guigou, vient de donner à la même galerie municipale le portrait de M. Rivoire, par H. de Toulouse-Lautrec.

[1914-06-10] Les Arts §

Paris-Journal, 10 juin 1914, p. 000.
[OP2 760-762]

Mary Cassatt §

MM. Durand-Ruel exposent dans leurs galeries des tableaux, pastels, dessins et pointes sèches, par Mary Cassatt. Elle n’a pas été malgré l’apparence un peintre de la maternité. Ce qu’on trouve chez cette femme, c’est un don très particulier de saisir les attitudes les plus féminines chez la femme. On le verra notamment dans sa Femme appuyée sur sa main droite, dans certains dessins et surtout dans les pointes sèches.

Les œuvres de Mary Cassatt sont plus importantes pour mesurer la sensibilité plastique des femmes qu’au point de vue de la peinture en général. Néanmoins, certaines pages ont une valeur artistique qui justifie amplement l’intérêt qu’elles excitent en Amérique et en France.

J’ajoute que les tableaux de Mary Cassatt qui me plaisent le moins sont ceux où il y a des enfants.

M. Ingres et Delacroix §

Le Bulletin Bernheim dit que M. Widor, membre de l’Institut, organiste à Saint-Sulpice, tient de feu M. Hamon, qui, en 1861, était curé de cette paroisse, l’anecdote que voici : « Dans les premiers mois de cette année-là, comme Delacroix achevait sur place l’Héliodore chassé du temple, Lucifer terrassé par l’archange Michel et la Lutte de Jacob avec l’ange, Ingres vint trouver le curé : « Je voudrais voir les peintures sans que M. Delacroix y soit. — Il va déjeuner à 11 heures et demie et rentre à 1 heure », répond M. Hamon. À midi, Ingres accompagné de l’ecclésiastique, entre dans la chapelle des Saints-Anges, contemple longuement, en silence, le travail de Delacroix, puis, brusquement, saisit au collet le curé Hamon, le secoue et, les yeux dans les yeux, l’interpelle d’une mâchoire agressive : « J’espère bien qu’il y a un enfer. Il y a un enfer, n’est-ce pas ? Vous êtes bien sûr qu’il y a un enfer ? Jurez-le-moi !” »

Et le Bulletin ajoute cet extrait d’une lettre qu’en 1846, Delacroix écrivait à Ch. Thoré :

« Vous avez fait sur Ingres un article parfait. Vous avez touché la vraie corde, et personne, jusqu’à présent, n’avait signalé ce vice radical, cette absence de cœur, d’âme, de raison, enfin de tout ce qui touche mortalia corda, ce défaut capital qui ne mène qu’à satisfaire une vaine curiosité et à produire des ouvrages chinois, ce qu’il fait, moins la naïveté, laquelle est encore plus absente que tout le reste. »

Jongkind : le « Paysage du Midi » §

Des aquarelles de Jongkind — on sait qu’il y en a beaucoup au Louvre dans la collection Camondo — seront exposées du 17 au 30 juin à la galerie Bernheim-Jeune, où l’on voit maintenant, sous le titre de Paysage du Midi, des œuvres de Mme Georgette Agutte, Pierre Bonnard, trois peintures, des dessins, des aquarelles et des pastels d’Henri-Edmond Cross, Lucie Cousturier, Maurice Denis, Vincent Van Gogh, Armand Guillaumin, Henri Matisse, Maximilien Luce, Aristide Maillol, Henri Manguin, Claude Monet, Henri Person, Jean Peské, cinq peintures de Renoir, K.-X. Roussel, Théo Van Rysselberghe, cinq peintures, des aquarelles et des dessins du stendhalien Paul Signac, Félix Vallotton, Louis Valtat, Édouard Vuillard.

[1914-06-11] Les Arts §

Paris-Journal, 11 juin 1914, p. 000.
[OP2 762-764]

La Ronde de jour §

Le peintre Marcel Lenoir a entrepris d’achever pour le Salon d’automne une toile de 64 mètres carrés où un grand nombre de contemporains se mouvront autour de l’image de la danse.

Les personnages de ce tableau seront peints grandeur nature. On y verra MM. Alexandre Mercereau, Figuière, Florian-Parmentier, Stanislas Fumet, Laurent Tailhade, Fernand Divoire, Dessambre, Ramey, Nicolas Beauduin, Paul Brulat, G. de Pawlowski, Paul Fort, Victor-Émile Michelet, Karcher, Magdeleine Chaumont, Jacques Nayral, Léon Bloy, Lorenzi, Gustave Kahn, Doyon, Rosny aîné, Belval-Delahaye, Poinsot, Ageorges, Jules Leroux, Pierre Jaudon, Georges Polti, Bérard, Han Ryner, Jean Clary, etc., etc.

Le peintre a déjà fait une esquisse qui n’est encore que la recherche des attitudes propres à chacun des personnages qui doivent entrer dans cette composition. Il va maintenant se mettre à l’esquisse architecturale.

Mener à bien une œuvre de si grande dimension est une entreprise pleine de difficultés, et l’on doit suivre d’un œil sympathique le peintre qui l’entreprend d’autant plus qu’outre la valeur artistique qu’elle pourra avoir, cette toile sera assurément un document historique important.

Au Petit Palais §

Nous avons dit que M. Duret avait donné au Petit Palais le portrait d’André Rivoire, par Toulouse-Lautrec. C’est la première peinture de cet artiste qui soit au Petit Palais où il figure déjà à la section des dessins par un monotype, Au cirque, et dans la salle des gravures modernes, par plusieurs lithographies originales, données par M. Joyant en 1908.

En même temps, la Ville de Paris a accepté le don [du portrait] de Mme Gadiffet-Caillard, née Sipiere, par Ary Scheffer et d’un portrait de M. Édouard Caillard, par Victor Mottez, dont le Petit Palais possède déjà un admirable portrait de Mme Mottez.

Signalons encore, parmi les dons récents, la maquette du monument à Charles Floquet, par Dalou, offert[e] au Petit Palais par M. Risler, maire du VIIe arrondissement, et un très beau buste en marbre, de M. Paul Paulin, représentant M. A. Duquesne.

Ajoutons que l’on vient de mettre en place dans les salles de la collection Dutuit les tapisseries du Moyen Âge acquises à la vente Aynard sur les fonds Dutuit. Ces tapisseries qui représentent différents sujets de l’Histoire d’Alexandre et de Nicolas, roi de Césaire, sont très heureusement présentées dans un encadrement extrêmement sobre, qui contribue à accentuer le caractère précieux de ces trois pièces merveilleuses, payées par la Ville de Paris 250 000 francs.

Enfin, on expose en ce moment une suite admirable de sept tapisseries de la série l’Histoire de Constantin, tissées à l’atelier de La Planche dans la première moitié du xviie siècle et mises à la disposition de la Ville de Paris par le Mobilier national.

[1914-06-12] Les Arts §

Paris-Journal, 12 juin 1914, p. 000.
[OP2 764-766]

Lola de Valence §

On se demande pourquoi sous la peinture de Manet, qui est une des gloires de la collection Camondo, on n’a pas écrit, dans un cartouche, le quatrain de Baudelaire :

Entre tant de beautés que partout on peut voir.
Je comprends bien, amis, que le cœur balance ;
Mais on voit scintiller en Lola de Valence
Le charme inattendu d’un bijou rose et noir.

Cette inscription laudative est digne de la peinture qu’elle accompagnerait et Baudelaire a assez défendu les peintres et les a assez bien défendus, quoi qu’en aient dit Van Gogh et quelques autres, pour qu’après avoir été à la peine, il soit aussi à l’honneur.

Les intimistes (Galerie Devambez) §

C’est la deuxième exposition de cette Société présidée par M. Aman-Jean. Ce groupement qui n’a pas une grande signification artistique présente néanmoins quelques œuvres discrètes qui peuvent être agréables.

On y verra en tout cas des ouvrages de Mlle Jeanne Poupelet, une artiste de grand talent et l’un de ces rares sculpteurs contemporains, que, parce qu’ils sont très bien doués, on voudrait plus audacieux. La sculpture y est encore représentée par Bourdelle. À la peinture, c’est Ernest Laurent avec un portrait de jeune femme, Henri Martin, Paul Renaudot, Abel-Truchet, Alexandre Altmann, Béatrice How, Olga de Boznanska, Mela Muter, Harry Bloomfield, Le Sidaner, Paul Madeleine et William Malherbe.

Picart Le Doux §

Voici un peintre qui s’est humanisé. Son art était dur et chiche. Il tend moins qu’autrefois vers le pompiérisme d’aujourd’hui, où il y a un peu de Cézanne, un peu de Renoir, un peu de Van Gogh, etc., etc.

Picart Le Doux commence à sentir par lui-même. Et s’il consentait à renouveler son métier, il trouverait peut-être sa personnalité. C’est ce qu’indiquent les peintures, les dessins qu’il expose en ce moment à la galerie Vildrac.

Le centenaire de J.-F. Millet §

Un comité vient de se former pour célébrer le centenaire de J.-F. Millet, né à Gréville (Manche), en 1814.

Pour commémorer cet anniversaire, une exposition de ses œuvres sera organisée dans sa maison natale et une journée de fêtes aura lieu à Gréville, le 1er août prochain.

Les souscriptions sont reçues par M. Le Poitevin, trésorier, à Beaumont-Hague (Manche).

Voici quelques noms des membres du comité : Présidente d’honneur, S.A.R. l’infante Eulalie d’Espagne ; Roll, Guillemet, Marcel-Jacques, Jean Ajalbert, etc., etc.

Une anecdote sur M. de Camondo §

Les anecdotes commencent à courir sur l’amateur qu’était M. de Camondo. L’une d’elles est jolie et tout à son honneur. Il avait envie d’un Cézanne qui faisait partie de la collection particulière d’un marchand des alentours de la Madeleine.

« Je ne veux pas le vendre, disait celui-ci. Je l’ai acheté très bon marché, 400 francs et je l’ai racheté 6000 à ma vente. C’est dire que je tiens à ce petit légume.

— J’y tiens aussi, répondit M. de Camondo, et je vous assure qu’en me refusant ce tableau, vous me faites tant de peine que, je vous le jure, puisque vous me le refusez, non seulement je ne vous achèterai plus rien, mais encore vous ne me reverrez de ma vie.

— M. de Camondo, repartit le marchand, puisque vous m’y obligez, en quelque sorte, je ne veux pas vous le refuser, mais je vais vous demander un prix qui, j’espère, vous fera reculer. Je vous ai dit le prix que je l’ai payé. Eh bien ! le vous en demande 20000 francs.

— Monsieur, s’écria M. de Camondo, vous me rendez là un service que je n’oublierai pas. Vous aurez le chèque demain. »

[1914-06-13] Les Arts §

Paris-Journal, 13 juin 1914, p. 000.
[OP2 766-768]

Duellistes §

Deux peintres polonais se sont battus furieusement hier au Parc des Princes. Cela nous donne l’occasion d’esquisser le portrait de ces deux personnages importants à Montparnasse, quartier qui, on le sait, a complètement remplacé Montmartre, surtout en ce qui concerne les peintres.

Gottlieb, qui peint à Paris depuis pas mal d’années déjà, est un homme discret et simple, dont l’art a subi les influences de Van Gogh et de Munch. C’est un expressionniste qui a lui-même quelque influence sur certains de ses compatriotes. On voit, en général, de ses ouvrages aux Indépendants et au Salon d’automne. En décembre, il y exposait un Portrait de M. Adolphe Basler qui fut remarqué.

M. Kisling a subi plutôt l’influence de peintres français comme Derain. Il a peint assez longtemps à Céret, sous-préfecture des Pyrénées-Orientales, que l’on appelle La Mecque du cubisme. Il faut ajouter que, dans quelques milieux, et surtout en Allemagne, on fonde un grand espoir sur Kisling qui va exposer de ses œuvres dans peu de jours à Düsseldorf où va avoir lieu une exposition des peintres étrangers qui fréquentent Le Dôme, le fameux café qui se trouve au carrefour des boulevards Raspail et du Montparnasse.

Kisling est en train de graver des bois pour un recueil de poèmes de Max Jacob, intitulé La Souris boiteuse.

Étoffes battikées §

Chez Mum, avenue de l’Opéra, Mme Fangon expose jusqu’au 25 juin des étoffes battikées, c’est-à-dire peintes à la cire, procédé décoratif très intéressant que les Hollandais ont emprunté des Indes.

Mme Natalie de Gontcharova et M. Larionov §

Mme Natalie de Gontcharova, chef des futuristes russes, dont on a vu à l’Opéra les décors qu’elle avait peints pour le Coq d’or de Rimsky-Korsakov, va exposer un grand nombre de peintures de diverses époques et de lithographies, à la galerie Paul-Guillaume, 6, rue de Miromesnil.

En même temps, à la même galerie, on verra des peintures, des lithographies de M. Larionov, initiateur et chef de l’école rayonniste.

Mme de Gontcharova a aussi un certain nombre de toiles qui ressortissent au rayonnisme.

L’exposition des deux artistes moscovites qui jouissent en Russie de la plus grande réputation, s’ouvrira le mercredi 17 juin.

Ce sera la première fois, depuis bien longtemps, que l’on verra à Paris de la peinture russe de Russie, et la première fois aussi que l’on y verra de la peinture rayonniste.

Chez Géo Rouart §

Géo Rouart, l’éditeur du Groupe des artisans français, vient de faire exécuter un service de table en faïence d’après les dessins de Bonvallet. On en connaît les célèbres services qu’il avait commandés à Marcel Goupy et celui d’Hermann-Paul, décorés de vues du parc de Versailles.

Géo Rouart a, en outre, commandé un nouveau service à Drésa qui va être incessamment exécuté.

Soffici §

Soffici, cet esprit si intéressant que goûte notre Arbouin, Soffici qui dessina la couverture des anciennes éditions de la Plume, Soffici, qui est un des meilleurs peintres de l’Italie contemporaine et qui en est un des littérateurs les plus distingués, après avoir peint à Paris une importante série de natures mortes, s’en retourne à Florence où il dirige Lacerba.

[1914-06-14] Les Arts §

Paris-Journal, 14 juin 1914, p. 000.
[OP2 768-770]

Le Midi §

C’est le Midi qui attire maintenant les artistes. Au lieu d’aller passer les vacances en Bretagne ou dans les environs de Paris, comme firent beaucoup d’artistes de la génération précédente, les peintres vont maintenant du côté de la Provence. Les Pyrénées elles-mêmes sont abandonnées. Céret n’est plus La Mecque du cubisme.

Derain est à Nîmes, après avoir visité Nevers ; Picasso va aller le rejoindre après-demain, et Braque va aller s’installer à Sorgues, près d’Avignon.

C’est dans ces parages que l’on retrouvera sans doute beaucoup d’autres peintres, comme Girieud, Lombard, peut-être même Friesz, Matisse et Édouard Férat.

Ainsi chaque région de la France, à cette merveilleuse époque d’art français qu’est la nôtre, offre-t-elle tour à tour le trésor jamais épuisé de ses beautés naturelles qui renouvellent l’inspiration des peintres.

En ce moment, le tourisme des peintres s’accommode merveilleusement du Midi. Je connais pas mal de gens qui, encore qu’ils ne soient pas peintres, s’en accommoderaient également.

L’art décoratif §

Le nouveau numéro de L’Art décoratif, qui vient de paraître, contient un intéressant article de M. Louis Arqué sur « Les Vieilles Icônes », orné de belles reproductions. André Véra y publie un essai important sur les jardins modernes : « Le Jardin du solitaire et le Jardin de l’aviateur ». Marius Leblond y étudie l’œuvre d’« Yvonne Serruys (Mme Pierre Mille) », sculpteur d’un grand talent. Enfin, on trouve dans la belle revue dirigée par M. Fernand Roches, une « Chronique de la province » par M. Henry Parayre.

La boiserie de la Pitié §

On sait que dans la chapelle de l’hôpital de la Pitié se trouvaient de très belles boiseries anciennes. Ces boiseries de dimensions considérables étaient d’un placement difficile ; en outre, il fallait dépenser 15 000 francs pour les réparer convenablement. L’Assistance publique, à qui elles revenaient après la démolition de la Pitié, avait résolu de les vendre aux enchères. MM. Adrien Mithouard et d’Andigné, conseillers municipaux, intervinrent, et il fut décidé que ces boiseries anciennes seraient remises au service de l’Administration des beaux-arts, qui, tout en laissant la propriété à l’Assistance publique, les ferait déposer et installer au musée Carnavalet.

L’art français à Moscou §

On sait qu’il y a à Moscou une importante collection d’art français moderne qui appartient à M. Etchoukine. On y voit quinze tableaux de Gauguin, Cézanne, quarante Picasso, beaucoup de Matisse, etc.

Cette collection est d’ores et déjà destinée à enrichir le musée Tretiakoff de Moscou.

On raconte qu’un grand critique russe qui ne voulait pas admirer l’art français moderne, fut prié par M. Etchoukine d’examiner seul la collection.

« Je reviendrai dans un moment », dit le collectionneur.

Le critique n’osant pas refuser, se met à examiner les tableaux. Au bout d’une demi-heure, il commence à s’impatienter et veut sortir. Mais les portes sont fermées à clef. Il demeura ainsi parmi les tableaux français de 10 heures du matin jusqu’à 7 heures du soir.

« Comprenez-vous maintenant l’art français, demanda le collectionneur ?

— Je comprends, repartit le critique, j’ai eu tout le loisir d’en examiner les échantillons. »

[1914-06-15] Les Arts §

Paris-Journal, 15 juin 1914, p. 000.
[OP2 770-771]

Marchandage §

Un de mes amis peintres me raconte avoir conduit un jour un marchand juif de Livourne chez le peintre Rosaï, jeune futuriste de Florence, connu pour vendre très bon marché, qui leur montra ses tableaux.

Le marchand s’étant enquis du prix d’une toile, le peintre lui en demanda 20 francs :

« Voyez-vous, dit le juif à mon ami, il me demande 20 francs pour en avoir 10, le tableau en vaut certainement 8, je pourrais bien lui en donner 6 et pour ne lui en donner que 4 je lui en offre 2. »

Sur quoi, se tournant vers le jeune peintre :

« Vous me le donnerez bien pour 1 franc », dit-il en tirant de son gousset une pièce de 50 centimes.

Exposition de Mme de Gontcharova §

Nous avons dit que l’exposition de Mme de Gontcharova s’ouvrirait mercredi 17 juin et durerait quinze jours.

Les tableaux de Mme de Gontcharova seront exposés en deux séries.

Il y aura donc deux vernissages, l’un mercredi prochain et l’autre le mercredi suivant.

De même pour les œuvres de M. Larionov qui seront exposées à la galerie Paul-Guillaume en même temps que ceux de Mme de Gontcharova.

Les arts en Russie §

Sait-on que les tableaux des écoles modernes ne peuvent entrer en Russie qu’accompagnés d’une déclaration de leurs auteurs, affirmant qu’il ne s’agit nullement d’un portrait du tsar.

Pour les tableaux modernes de peintres décédés, ils entrent en Russie avec cette mention : « Toile à laver les chiens ».

Dessins d’enfants §

À propos de l’exposition de dessins d’enfants de la galerie Malpel, nous recevons une lettre dont voici un passage intéressant :

« On a eu raison de vouloir révéler au public le génie instinctif de l’enfant, génie qui s’atrophie dès que la science s’en mêle. L’enfant de Van Rees à six ans avait plus de talent qu’à sept. De même, celui de Picart Le Doux !… Que l’influence paternelle soit évidente, l’inconvénient est léger. N’est-il pas visible que souvent l’enfant influencé a plus de talent que le père ? »

[1914-06-16] Les Arts §

Paris-Journal, 16 juin 1914, p. 000.
[OP2 772-773]

Écoles §

Il y a tellement d’écoles artistiques aujourd’hui, qu’elles n’ont plus d’importance en tant qu’écoles particulières et on pourrait dire que, en réalité, il n’y a aujourd’hui plus d’écoles, mais des peintres de tempéraments et de talents divers, s’efforçant de réaliser plastiquement ce qu’ils ressentent de la vie.

Il pouvait être intéressant de se grouper par écoles quand il s’agissait de conquérir des libertés qui faisaient défaut.

Aujourd’hui, les artistes se croient libres. Il faut qu’ils se découvrent de nouvelles chaînes, pour conquérir de nouvelles libertés.

Aussi ne faut-il plus prendre à la lettre les dénominations de cubistes, orphistes, futuristes, simultanéistes, etc. Il y a longtemps déjà qu’elles ne signifient plus rien.

Il n’y a plus que des peintres modernes qui, après avoir libéré leur art, se créent un métier aussi nouveau pour achever des œuvres aussi nouvelles matériellement que l’esthétique selon laquelle elles ont été conçues.

Il n’y a plus aujourd’hui de dessin, de peinture à l’huile, d’aquarelle, etc., il y a la peinture, et les enseignes lumineuses en font plus partie, sans aucun doute, que la plupart des tableaux exposés à la Nationale.

Indiscrétion §

Dans le calme religieux de son atelier de la Rive gauche, un grand artiste termine une statue qu’il façonne et caresse avec amour.

Ce sculpteur, dont la Nationale s’honore de marbres émouvants, est aussi peintre de grand talent et graveur de génie. On admire de lui ses portraits, burinés sur le cuivre du premier coup dans leur forme définitive, et dont l’album constitue une histoire véridique des contemporains :

Anatole France, Raffaëlli, Renoir, André Gide, Bartho-lomé, le docteur Roux, Bergson… les princes des lettres, des arts, de la science s’y retrouvent. Une Vénus créole à la Nationale, cette année, et d’autres œuvres de sculpture, donnent la mesure de ce puissant, sobre et gracieux talent.

Le modèle est une femme de lettres, romancière, critique littéraire, critique musicale, conférencière, peintre aussi, musicienne, mais, d’origine et surtout, grand poète. Elle a la spontanéité, la clarté vive, le charme, la fraîcheur et la force du génie qui ne connaît point l’asservissement du travail. Et comme les vrais poètes, elle a aussi parfois la naïveté, où le défaut du métier est remplacé par l’intuition directe toujours juste.

M. Raphaël-Schwartz termine la statue de Mme Delarue-Mardrus.

[1914-06-17] Les Arts §

Paris-Journal, 17 juin 1914, p. 000.
[OP2 773-775]

Icônes §

Le dernier numéro de L’Art décoratif contient un intéressant article de M. Louis Arqué sur les icônes russes. J’ai eu l’occasion de visiter la collection de M. Nicolas Ria-bouchinski, dont cette revue reproduit quelques pièces importantes. L’art des icônes était jusqu’ici peu connu à Paris, on peut s’en faire une idée en allant visiter cette collection, 75, avenue des Champs-Elysées. Quelques-unes de ces œuvres remontent au xive siècle, ce ne sont pas les moins belles et en examinant ces icônes de Novgorod, d’Arkhangel, de Moscou, on distingue vite que ces peintres conventuels se sont toujours efforcés de lutter contre les conventions imposées par l’art byzantin et les traces de leurs efforts en ce sens ne sont pas moins émouvantes que les traces de la même lutte dans les tableaux de Giotto, Cimabue ou Fra Angelico.

Papier à lettres §

La fabrique de papier Mary Mill, à Graz (Styrie, Autriche), fait appel à des artistes dessinateurs pour obtenir des dessins en une ou deux couleurs à plat, susceptibles d’orner une grande enveloppe contenant du papier à lettres et des enveloppes. S’adresser à la fabrique.

L’art en Italie §

L’exposition de peinture moderne internationale vient de fermer à Rome. C’était une sorte de Salon des indépendants, avec un fort appoint futuriste.

On y voyait deux cents œuvres de peintres ou sculpteurs de plusieurs pays. La France n’y était pas représentée. Les peintres nouveaux français sont maintenant à l’étranger des gens trop célèbres pour exposer dans des manifestations si mêlées et surtout celles où exposent des débutants, ou des inconnus. D’ailleurs, les têtes du futurisme plastique n’y exposaient pas non plus.

On y remarquait des œuvres du sculpteur De Fiori, des peintres Giannattasio, Sproviesi, Rosaï.

Les plus connus parmi les exposants étaient Mme Exter et le sculpteur Archipenko. Marinetti, plus connu comme poète et agitateur lyrique, y exposait ses premiers essais de peinture.

Sur les deux cents œuvres exposées on en a vendu sept, ce qui fait du trois et demi pour cent : comme pour le nouvel emprunt.

Le Douanier Rousseau §

Deux nouveaux albums viennent de paraître avec des reproductions du Douanier Rousseau, le maître de Plaisance, sur lequel il y avait déjà un livre de Wilhelm Uhde, paru chez l’éditeur Figuière, et l’important numéro spécial des Soirées de Paris (janvier 1913). Le livre de Uhde vient de paraître en allemand, il est publié par la galerie Flechtheim de Düsseldorf et contient un grand nombre de reproductions. La librairie de La Voce à Florence qui a publié des albums consacrés à Cézanne, à Degas, à Picasso, vient de faire paraître un Rousseau, au prix de 50 centimes.

Au musée de Bâle §

Le musée de Bâle vient de s’enrichir d’une importante collection de près de trois cents tableaux anciens qui provient de la succession de feu le professeur Bachofen-Burckhardt. Cette collection comprend quelques pièces de tout premier ordre. À côté de quelques beaux primitifs allemands, un Crucifiement de l’école d’Avignon, remarquable par la franchise de son coloris. L’école flamande est représentée par un Saint Jérôme de Memling, une Vierge à l’enfant que l’on croit pouvoir attribuer à Quentin Matsys, et deux Rubens. Quelques Italiens des xve et xvie siècles, entre autres, un Portrait de l’Arétin par Sébastien Del Piombo, rivalisent avec une belle série de Hollandais du xviie siècle, un Rembrandt, un F. Bol, un N. Maes, un Van Goyen, etc. Parmi les maîtres français du xviiie siècle, on signale un Liotard et un Boilly.

Mme Bachofen-Burckhardt, qui a fait don à la Ville de Bâle de la galerie de tableaux de son mari, la conservera encore jusqu’à l’achèvement du nouveau musée dont la construction va commencer.

[1914-06-18] Les Arts §

Paris-Journal, 18 juin 1914, p. 000.
[OP2 775-776]

Exposition Natalie de Gontcharova et Michel Larionov §

Hier a été inaugurée à la galerie Paul-Guillaume l’exposition de Mme de Gontcharova, l’auteur des décors du Coq Tor, et de M. Larionov. Voici la préface du catalogue : […]

L’art français en Amérique §

Le Rapport à M. le ministre du Commerce et de l’Industrie des Postes et Télégraphes sur le nouveau régime douanier des œuvres part à l’entrée aux États-Unis et sur l’interprétation donnée à ce tarif par les experts américains de M. Josse Bernheim jeune, expert pour les contestations en douane, expert près la cour d’appel, vice-président de la Conférence permanente, délégué du Conseil au secrétariat, vient de paraître en une élégante brochure. Nous avons parlé des faits qu’elle concerne. Ils intéressent tous les artistes. Voici la conclusion de M. Josse Bernheim jeune :

« La Conférence permanente du Commerce extérieur aime à penser qu’à l’occasion de cette révision qui s’impose de la loi douanière américaine et de l’interprétation qui lui est donnée, le représentant de la République auprès du gouvernement fédéral saura faire comprendre aux autorités douanières américaines que le sens attribué par les agents au mot “original” est complètement inexact et aboutit à la prohibition, alors que cette loi, plus libérale au contraire que la précédente, veut l’entrée en franchise de l’œuvre d’art qui est la production personnelle de l’artiste. »

« Le Dessin des grands maîtres » §

Le dernier fascicule du Dessin par les grands maîtres clôt dignement cette collection où sont reproduits, avec une extraordinaire fidélité, les plus beaux dessins du Louvre exposés dans les galeries publiques et dans les cartons de la réserve. Cette admirable collection peut donner toute satisfaction aux amateurs et aux simples curieux d’art, par la variété des œuvres excellentes choisies par MM. Louis Lumet et Yvanhoé Rambosson.

[1914-06-19] Les Arts §

Paris-Journal, 19 juin 1914, p. 000.
[OP2 777-779]

Yvonne Serruys §

M. Maurice Leblond, dans L’Art décoratif, parle excellemment d’Yvonne Serruys (Mme Pierre Mille).

« Par la simplification progressive de son art évoluant de l’inquiétude à la sérénité, Mme Yvonne Serruys nous offre un cas d’étude très significatif de notre temps.

« Elle est née en Flandre près de la frontière. Elle apparaît Flamande, de la lignée adoucie de Rubens, par la chevelure blonde, la carnation vaporeuse, le corps grand, plein et aisé, la ferme souplesse des gestes. Mais un rêve ou plutôt comme une indécision l’enveloppe comme une sorte de mollesse nacrée. Alors quand on l’interroge, la pensée s’éveille des souvenirs où elle somnole, l’œil scintille, la parole s’avive, la volonté ou plutôt la décision de l’esprit s’accuse, la prédilection ardente pour la vie et pour son métier s’affirme.

« Comment cette Flamande, qui s’appliqua plusieurs années avec conscience à la peinture, se donna-t-elle ensuite spontanément, mais pour toujours, à la sculpture ?

« Par goût de l’équilibre dans l’amour de la plasticité.

« Fa sculpture fut pour elle une joie : elle se sentit libérée par la sculpture ; sa vie en fut transformée. Dans la statuaire, elle trouvait l’équilibre, la logique, l’ordre qui pouvait apaiser l’incertitude de son être agité. L’art lui apparut comme la fixation et la perpétuation de la beauté, le don de faire vivre les choses qu’on aime ; la sculpture, comme un enfantement de belles formes. »

La sculpture semblait jusqu’ici un art seulement viril. Yvonne Serruys fait partie de cette petite phalange de sculptrices qui s’est chargée de démentir cette affirmation séculaire. Avec Camille Claudel, avec Jeanne Poupelet elle occupe un rang distingué parmi les statuaires contemporaines. Elles ont de la science et de la sensibilité. Je leur souhaite de l’audace et qu’elles se surpassent elles-mêmes.

Le centenaire de l’art français au xixe siècle à Copenhague §

C’est à la fin de ce mois que ferme la très importante exposition de peintures et dessins des principaux artistes français de 1800 à nos jours, qui a lieu dans les salles du Musée royal de Copenhague, mises à la disposition des organisateurs par le gouvernement danois.

Le comité d’organisation danois était composé de MM. Karl Madsen, directeur du Musée royal, président du comité ; A.-P. Weill, directeur au ministère de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts ; L. Zeuthen, président de la Société des amis du Musée, trésorier du comité ; Tyge Moeller, secrétaire général du comité.

En France, M. le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères ; M. le ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts ; M. le ministre de la République française auprès du roi de Danemark, ont bien voulu honorer de leur bienveillant patronage cette exposition.

De même, au Danemark, M. le ministre des Affaires étrangères, M. le ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts, M. le ministre du Danemark auprès de la République française, ont accepté de constituer un comité de patronage danois.

Quant au comité d’organisation français, il est ainsi formé :

MM. Léon Bénédite, Georges Bernheim, Bernheim jeune, Bertaux, Alfred Beurdeley, Mme Bianchi, MM. Eugène Blot, H. Brame, Mme J.-Th. Couture, MM. E. Dacier, Armand Dayot, Loys Delteil, Mme Dieterle, MM. Durand-Ruel, Théodore Duret, Paul Gallimard, V. de Goloubew, G. Hessel, René-Jean, Frantz Jourdain, Alphonse Kann, Raymond Koechlin, Henry Lapauze, Leprieur, Henry Marcel, André Michel, Claude Monet, François Monod, Moreau-Nélaton, Georges Petit et Cie, Petitdidier, J. Peytel, Auguste Renoir, P. Rosenberg, Ernest Rouart, Louis Rouart, Mme E. Rouart, MM. O. Sainsère, André Schoeller, Alfred Strolin, Tempelaere, Tauber, Trotti et Cie, Vildrac, Vollard.

Grâce à tant de bonnes et puissantes volontés, il a été possible de constituer un ensemble imposant des plus belles œuvres de l’art français au xixe siècle.

L’exposition du Musée royal de Copenhague est l’une des plus belles manifestations du génie français qui vient d’avoir lieu hors de Paris.

L’art des jardins §

Une exposition consacrée à l’art des jardins, en Italie, se tiendra l’année prochaine à Florence. Elle comprendra une section rétrospective. Des excursions archéologiques seront organisées dans les jardins et villas historiques et dans la section moderne, il y aura une exposition de projets de jardins et un concours organisé au Palazzo Vecchio.

Les vitraux au Trocadéro §

M. Lucien Magne vient de réunir dans une salle du Trocadéro une série de vitraux anciens, soit une vingtaine de verrières, représentant toutes les époques du vitrail, depuis le xie siècle jusqu’au xvie inclusivement, et provenant de Notre-Dame de Paris, de la cathédrale de Bourges, des églises de Poitiers, de Varennes, d’Autun, de Saint-Ouen, de Saint-Julien-du-Saut, etc. Ce musée des vitraux qui rappelle dans un ensemble harmonieux l’art de tant de vieux maîtres depuis longtemps disparus, fournit en ce moment une attraction nouvelle et des plus importantes pour le musée du Trocadéro.

[1914-06-20] Les Arts §

Paris-Journal, 20 juin 1914, p. 000.
[OP2 779-782]

Le bal des Quat’z’Arts §

C’est dans un marché couvert, place d’Italie, qu’aura lieu le lundi 22 juin le bal des Quat’z’Arts. Façon élégante de réhabiliter un quartier un peu éloigné et un peu indien d’Amérique, que d’y faire danser les jeunes espoirs des Salons déguisés en guerriers troyens et les plus charmants modèles parisiens dans le déshabillé provocant des trois déesses sur le mont Ida. Car, cette année, on est tout au classicisme, que dis-je, à l’hellénisme, et c’est dans l’Iliade que l’on puisera les idées des déguisements. Les casques de pompier vont revenir à la mode. Agamemnon, Ménélas, Achille, Hector danseront le tango et la matchiche avec la belle Hélène, Briséis ou Cassandre. On entendra aussi la musique d’Offenbach et au petit matin les héros presque nus du vieil Homère, Achéens et Troyens confondus, s’arrêteront peut-être sur la place d’Italie pour écouter de matineux indigènes de cette lointaine contrée s’injurier comme des héros d’Homère.

Les Toulouse-Lautrec du docteur §

Le docteur Billard a raconté à un rédacteur de L’Éclair comment il avait eu à sa disposition quatre-vingt-sept tableaux de Toulouse-Lautrec abandonnés, après la mort du peintre, dans son atelier où le docteur Billard lui succéda comme locataire.

Un certain nombre de ces toiles servirent comme torchons, tandis que les châssis étaient transformés en cotrets. D’autres toiles furent soigneusement emportées en Savoie par la bonne, qui paraît s’y mieux connaître en peinture que le docteur Billard lui-même qui échangea son dernier Lautrec, le seul qui lui était resté, contre une croûte sans valeur.

Et le docteur Billard se demande si le Toulouse-Lautrec entré au Louvre n’est pas un de ceux que sa bonne avait, avec son consentement, emportés dans son pays. Il pourrait aussi voir chez Manzi où il y a en ce moment une très importante exposition de Toulouse-Lautrec.

Charles Milcendeau §

L’exposition de Charles Milcendeau est très importante, comprend treize peintures, vingt-deux pastels, dix-neuf gouaches et quarante-deux dessins. Plusieurs peintures à l’huile sont consacrées à des impressions populaires de Corse ; parmi les pastels il y en a bon nombre que Milcendeau a rapportés d’Espagne et particulièrement de la province de Salamanque ; les gouaches sont surtout bretonnes et beaucoup de dessins concernent les bonnes gens du marais vendéen.

M. Arsène Alexandre a écrit pour le catalogue de cette exposition une préface émue dont voici les conclusions :

« Je ne crois pas que je puisse mieux exprimer mon admiration pour un peintre de la sorte de Milcendeau qu’en le qualifiant de “maître des regards”. Il a le don de les faire vivre, et de nous faire penser quand nous y portons les nôtres. C’est par là que se décèle un grand artiste. À combien de peintres semble échapper l’énigme humaine que posent les yeux, et combien peu savent rendre la simple donnée de cette énigme ! Milcendeau a ce privilège, parce qu’il sent et qu’il aime avec intensité et qu’il a tout à la fois l’âme et le talent d’un primitif.

« Des primitifs il se rapproche par cette attitude à rendre les yeux parlants, et par la belle opiniâtreté de son métier. On a été rarement plus sincère, qu’il ne l’est, en nous montrant aussi les terres tristes, amalgamées de marécages, où bêtes et gens naviguent pour le moins autant qu’ils marchent.

« En un mot ceux qui estiment Milcendeau à sa valeur lui savent gré d’avoir exprimé, avec des moyens d’art riches et sobres, la profondeur de l’humble, et nul ne saura mieux que lui doter la peinture française de la Joconde-Rustique, dont il nous a envoyé déjà tant de douces et fines sœurs en avant-courrières. »

L’exposition de Darmstadt §

L’exposition des artistes de Darmstadt restera ouverte jusqu’au 11 octobre 1914. Elle comprend, outre des œuvres des membres de la Colonie, toute une partie réservée aux arts appliqués (ameublement, tentures, broderies, instruments de musique, verrerie, porcelaines, reliures, jouets, céramique, joaillerie, mosaïque, imprimerie, horlogerie, matériaux de construction).

En même temps a lieu, au Palais grand-ducal, une exposition de l’art allemand de 1650 à 1800. On y verra, pour la première fois, groupées et présentées au grand public, une foule d’œuvres appartenant à des collections particulières, et plus ou moins difficilement accessibles. Les organisateurs ont réuni à peu près tout ce que la peinture, la sculpture et les arts industriels ont produit de marquant en Allemagne, en Autriche et dans la Suisse allemande au cours de ces cent cinquante années.

[1914-06-21] Les Arts

Une Exposition internationale des beaux-arts à Paris §

Paris-Journal, 21 juin 1914, p. 000.
[OP2 782-783]

Il est question d’un nouveau Salon. Un article de tête de Paris-Journal le réclamait récemment. M. Bérard, dans Le Matin, le réclame de nouveau.

Au fond, tous les Salons de Paris sont internationaux, que dis-je, Paris est d’un bout de l’année à l’autre une exposition internationale des arts. Cependant, l’idée qui inspire les promoteurs du nouveau Salon n’est pas très différente de celle qui a guidé les fondateurs du Salon d’automne.

Après tout, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’on fonde un nouveau Salon. Un de plus ou de moins !…

Ce qui serait peut-être plus utile à Paris que la fondation d’un nouveau Salon, ce serait la création d’un musée vraiment moderne, car le Luxembourg est absolument insuffisant. Et il est inadmissible qu’un pays comme la France, brillant au premier rang des beaux-arts, florissant depuis deux siècles en une époque comparable aux plus belles époques de l’art italien, n’ait à offrir à ceux qui veulent se rendre compte de cette prospérité artistique que les tableaux du Luxembourg, dont les deux tiers sont dus à des artistes distingués, certes, mais qui n’ont joué aucun rôle dans l’histoire de l’art.

Le Luxembourg n’a pas de Seurat, presque pas de Cézanne. Guys, Lautrec, Gauguin n’y sont pour ainsi dire pas représentés. Il ne contient rien de ce qui a été l’art vivant de ces dernières années, aucun Matisse, aucun

Picasso, aucun Derain, aucun Braque, aucun Laurencin, aucun Picabia, aucun Delaunay, aucun Dunoyer de Segonzac, aucun Metzinger, aucun Gleizes, aucun Henri Rousseau, aucun Friesz, aucun Dufy, aucun Vallotton, aucun Guérin, aucun Manguin.

Certes, je ne place pas tous ces artistes sur le même rang. Je n’ai pas défendu les tendances esthétiques de chacun d’entre eux, ni leurs talents divers.

Toutefois, on ne peut nier qu’ils ne représentent depuis dix ans ce qui fait le renom de la France à l’étranger. Quelques-uns d’entre eux, vifs ou morts, se vendent déjà fort cher ; la plupart ont déjà des toiles dans d’illustres musées d’Europe. Seul, le Luxembourg s’obstine à leur préférer d’obscurs Tartempions, qui n’ont même pas le mérite de représenter avec force ce que d’après un terme venu d’Italie on appelle fort bien le passéisme.

[1914-06-22] Les Arts §

Paris-Journal, 22 juin 1914, p. 000.
[OP2 783-784]

Une série sur les fous §

Le graveur sur bois Pierre Ouvray est en train d’achever une importante série sur les fous, qu’il a eu l’occasion d’examiner pendant de fécondes veilles dans les salles de garde d’un asile d’aliénés.

Nous connaissions déjà les bois gravés d’après les fous par Jean Deville.

Géricault s’est aussi intéressé aux fous, et un des visages les plus extraordinaires qu’il ait peints d’après un aliéné appartient à M. Goetz, qui est le plus patient et le plus passionné collectionneur de Géricault qui soit au monde.

Revues §

Le nouveau numéro des Marges contient un « Projet d’exposition permanente » par Michel Puy et un portrait écrit de « Bonnard » par Pierre Laprade (deux choses dont nous reparlerons), plus des reproductions de Gauguin et de Bonnard.

Dans La Terre latine, Paul Sentenac parle des Salons et aussi du projet de Salon international, sur quoi il a publié un article dans Paris-Journal et dont M. Bérard reparle dans Le Matin.

Voici comment Paul Sentenac résume la question. « Là, tous les Salons, toutes les tendances seraient représentées par les artistes les plus caractéristiques et par des ouvrages vraiment réalisés. » Mais le difficile sera de s’entendre, car c’est là-dessus qu’en général les avis sont partagés et peu de gens admettent qu’il y ait des œuvres réalisées en dehors de celles qui ressortissent à l’esthétique à laquelle ils sont accoutumés.

Le nouveau numéro des Soirées de Paris contient comme partie artistique des reproductions d après les œuvres récentes du plasticien Alexandre Archipenko, on remarquera beaucoup la reproduction du portrait de la femme de l’artiste, en bois, verre et tôle. Bien que l’apparence puisse être déconcertante à l’abord, c’est toutefois un portrait d’une ressemblance parfaite. M. Ambroise Vollard y parle de « Cézanne et de M. Choquet ». Il est encore question de plastique dans le « Simultanisme-librettisme » de Guillaume Apollinaire. Enfin, Fernand Léger publie son importante conférence de l’académie Vassilieff sur « Les Réalisations picturales actuelles ».

[1914-06-23] Les Arts §

Paris-Journal, 23 juin 1914, p. 000.
[OP2 784-785]

Montparnasse §

Montparnasse d’ores et déjà remplace Montmartre. Alpinisme pour alpinisme, c’est toujours la montagne, l’art sur les sommets. Les rapins ne sont pas à leur aise dans le Montmartre moderne, difficile à gravir, plein de faux artistes, d’industriels fantaisistes et de fumeurs d opium à la flan.

À Montparnasse, au contraire, on trouve maintenant les vrais artistes, habillés à l’américaine. Quelques-uns d’entre eux se piquent le nez à la coco. Mais, ça ne fait rien, les principes de la plupart des Parnassois (comme on les appelle pour ne pas les confondre avec les Parnassiens) sont opposés à l’ingestion des paradis artificiels quels qu’ils soient.

Que voilà un pays agréable où tout ciel est pour l’usage externe, pays du plein air et des terrasses ; celle des Lilas où dominent Paul Fort, Diriks, Mercereau, Giannattasio, Charles Guérin, Flandrin, Mme Marval, etc. ; celle de La Rotonde où l’on voit Kisling, Max Jacob, Rivera, Friesz, et d’autres ; celle du Dôme où se tiennent Basler, Goetz, Flechtheim, Pascin, Lévy, tous les dômiers enfin ; celle du Petit Napolitain où se rafraîchissent Gwozdecki, Pierre Roy, G. De Chirico, Modigliani ; celle enfin du Versailles où reviennent Marquet, Bénoni-Auran, etc.

C’est de la région dont ces cafés sont les oasis que Montparnasse veut être l’organe, gazette hebdomadaire où l’art et la littérature trouveront leur compte et que dirige notre ami Paul Husson.

La Guilde des forgerons §

La Guilde des forgerons a organisé une nouvelle exposition à la galerie d’art Mouillot et Cie, 99, boulevard Raspail.

Par égard pour leur effort, il faut les visiter, sinon les approuver, car pour le moment, ils ne nous présentent encore rien de bien héroïque, mais beaucoup de bonnes volontés.

Qu’on sache que les artistes des Forgerons sont, selon le mot du préfacier du catalogue, des aristocrates. L’expression employée par M. G. de Lacaze-Duthiers n’a rien qui nous déplaise. Nous voudrions seulement qu’elle fût justifiée par les œuvres de MM. Anglay, Francis Bellanger, Febrari, Léon Gandeaux, Hermann-Paul, Ionesco-Doru, Innokenty, Joukoff, Georges Koisansky, Pierre Larivière, Anicet Leroy, Maximilien Luce, Bernard Naudin, Maurice Robin, Paul Signac, Vincent, etc.

Plusieurs artistes cités ici n’ont rien à faire parmi ceux des exposants qui professent des idées aristocratiques et libertaires qui sont la raison d’être de la Guilde.

[1914-06-24] Les Arts §

Paris-Journal, 24 juin 1914, p. 000.
[OP2 786-788]

Aquarelles de Jongkind §

Je n’ai jamais vu d’aquarelles de Jongkind sans être touché par ce qu’elles avaient de vif et de lumineux. J’ai retrouvé cette émotion à la galerie Bernheim-Jeune, où l’on expose en ce moment une cinquantaine d’aquarelles de Jongkind, les plus inquiètes et les plus impétueuses.

L’Escaut à Anvers, le Canal de l’Ourcq, la Vue de Rouen, le Paysage dauphinois, l’émouvant Meudon-Sèvres, le Char de foin sont des œuvres spontanées et audacieuses que n’oublieront pas de sitôt ceux qui les auront vues.

On goûtera beaucoup mieux, à mon avis, ces œuvres frémissantes et légères chez Bernheim où elles sont exposées seules qu’à la collection Camondo où on les a placées, autant qu’il me semble, de façon que les tableaux voisins leur causent le plus grand tort.

« Ce qu’un Lautrec, dit M. G. Jean-Aubry, a fait pour le crayon, Jongkind pour l’aquarelle l’a réalisé avec une perfection qui semble tenir du prodige. »

Je n’eusse point comparé ces deux grands artistes, Lautrec et Jongkind, mais le second est bien un paysagiste incomparable et, après tout, c’est avec raison qu’on le comparerait aux plus grands artistes.

Exposition N. de Gontcharova et M. Larionov §

Aujourd’hui a lieu à la galerie Paul-Guillaume, 6, rue de Miromesnil, le second vernissage des peintures, lithographies, dessins de Mme de Gontcharova et de M. Michel Larionov.

Le plaisir très vif et très instructif que l’on aura pris à l’examen de la première partie de cette exposition du rayonnisme russe se retrouvera cette semaine.

Dans les œuvres de la première, aussi bien que du second exposant, aucun maniérisme, mais de l’audace, de la spontanéité et une culture qui est au courant de toutes les nouveautés.

Les réalisations picturales actuelles §

Le peintre Fernand Léger publie dans Les Soirées de Paris un important article sur la question importante de savoir ce qu’ont réalisé les peintres modernes :

« Nombre de gens superficiels crient à l’anarchie devant ces tableaux, parce qu’ils ne peuvent suivre dans le domaine pictural toute l’évolution de la vie courante qu’elle fixe ; l’on croit à une solution brusque de continuité quand, au contraire, elle n’a jamais été autant réaliste et collée à son époque, comme aujourd’hui. Une peinture réaliste dans son sens le plus haut commence à naître et ne s’arrêtera pas de sitôt. »

Cette étude est pleine d’aperçus nouveaux. Elle met au point beaucoup de théories sans portée artistique. Le style est franc et rude. Fernand Léger est le Montluc de l’esthétique.

Le papier d’Aristide Maillol §

Sur quel papier le comte Harry de Kessler ferait-il imprimer le Virgile pour la décoration duquel Aristide Maillol venait de lui livrer une suite d’images ? Grands papiers de maintes provenances furent examinés. Maillol les réprouvait tous : sans exception ils étaient à son dire inertes et blafards. En désespoir de cause il déclara : « Eh bien ! Je fabriquerai du papier dans une casserole », et, en effet, par des moyens rudimentaires, il établit des échantillons. On aima leur rude aspect mural. Grâce aux efforts de H. de Kessler, d’Aristide Maillol et de Gaspard Maillol, neveu du sculpteur, cette casserole est devenue l’usine des « Papiers de Montval, près de Marly-le-Roi ».

En confrontant aux meilleurs types modernes les papiers de jadis, égyptiens, chinois, byzantins, etc., ils s’étaient convaincus de la décadence de cette industrie. En étudiant les analyses qui avaient été faites des anciens papiers et en instituant eux-mêmes des expériences, ils connurent les conditions d’une fabrication franche.

Un papier est un feutre. Plus sont longues les fibres qui le constituent, plus il est résistant. Or de siècle en siècle, les fabricants de papier avaient raccourci les fibres : d’où facilité de broyage, et ils broyaient impitoyablement, soucieux à l’excès d’obtenir un papier d’une épaisseur uniforme. Pour lui donner du poids ou un lustre illusoire, ils incorporaient à la pâte des drogues, agents de décomposition, et, pour le blanchir, ils employaient de rapides procédés chimiques qui maquillaient ses tares. (Il s’agit là de papiers de luxe, les autres n’étant que de la poudre.)

À ces papiers morts et fardés, M. de Kessler et MM. Maillol prétendaient opposer un papier vivant et naïf.

Ils y sont parvenus. Sous aucun prétexte, nulle trace de substances chimiques. Seules matières utilisées : du chanvre, du lin, du chiffon, de la soie, de la ramie. La pâte sera composée de deux ou trois de ces matières, elle pourra se constituer aussi de l’une d’elles seulement : par exemple, de chanvre pris à la plante ou de chanvre provenant de chiffons. On emploiera les fibres longues, et on ne les broiera pas outre mesure. Naturellement, des feuilles produites par cette méthode abondent en irrégularités. Tout procédé de blanchiment étant exclu, les impuretés sont apparentes. On jette donc au rebut 2o% de ces feuilles, sacrifice que compense la qualité des feuilles conservées.

Celles-ci sont nettoyées une à une. Des femmes assurent ce travail.

L’usine des papiers de Montval peut étaler deux cents échantillons. Beaucoup sont le témoignage d’expériences et correspondent à des types trop difficiles à réaliser industriellement. Mais dix ou quinze sortes sont nettement viables. Chacune d’elles est un papier un peu paysan peut-être, mais robuste, pur, paré de sa bonne couleur natale et des signes de son authenticité — un papier dont les siècles n’auront pas raison.

[1914-06-25] Les Arts §

Paris-Journal, 25 juin 1914, p. 000.
[OP2 789-791]

Au musée Galliera §

Le musée Galliera fait une exposition de la statuette et du meuble qui la présente et l’accompagne. J’en reparlerai en détail.

La médiocrité de la plupart des expositions de meubles et d’art décoratif est déconcertante.

Les Français, qui dominent dans les arts majeurs et dont l’audace n’y connaît point de bornes, semblent timides et sans imagination pour les arts mineurs.

Cependant, les plus beaux styles modernes sont des styles français, que diable !

Je crois que le mal vient de ce qu’on s’est arrêté sur cette idée saugrenue de regarder les arts mineurs comme des arts majeurs.

Certes, les grands artistes de ceux-là peuvent valoir les grands artistes de ceux-ci, mais ces arts n’ont en soi aucun rapport. À chacun son métier… Que l’ébéniste fasse de l’ébénisterie et le peintre de la peinture. Que les artisans restent des artisans et les artistes des artistes, les choses changeront vite et l’on reverra, pour ainsi dire, aussitôt, une belle époque de mobilier et d’art décoratif en général.

Mais qu’on ne nous casse plus la tête avec ce personnage moderne, digne de Molière à moins qu’il ne le soit de Balzac : l’artiste-ouvrier et l’artisan-esthète.

Une lettre de Seurat §

Nous tirons d’une lettre de Seurat à Maurice Beaubourg, le charmant romancier des Joueurs de boules de Saint-Mandé, les passages suivants donnés par Félix Fénéon. La lettre est de 1890 :

« Dubois-Pillet, le fondateur de la Société des artistes indépendants, était un cœur loyal, une nature droite, que nous regretterons. Il était doublé d’un chercheur comme vous pouvez le voir dans le numéro 370 des Hommes d’aujourd’hui, Vanier éd., texte de Jules Christophe.

« Je connaissais moins intimement Van Gogh. En 1887, je lui parlais dans un bouillon populaire situé près de la Fourche, avenue de Clichy (fermé). Un immense hall vitré était décoré par ses toiles. Il expose aux Indépendants de 1888, 1889, 1890.

« Signac m’a appris sa mort ainsi : “Il se flanque une balle dans le côté ; elle traverse le corps et va se loger dans l’aine. Il se promène deux kilomètres perdant tout son sang et va expirer dans son auberge.”

« Voici les titres de mes grandes toiles :

« Baignade (Asnières), 2 m sur 3 m. Exp. Indépendants (Groupe), 15 mai 1884, New York, 1885.

« Etudes pour Un dimanche à la Grande-Jatte, 1884, 3 m sur 2 m ; études à la Grande-Jatte et à Honfleur ; études à Grandcamp. Impressionnistes, mai 1886. Indépendants, août 1886. Bruxelles, février 1877.

« Indépendants de 1887 : études faites à Honfleur ; petite Poseuse.

« Indépendants, 1888, Poseuses, 2 m sur 2,50 m.

« Dessins, Bruxelles, 1889, Poseuses.

« Indépendants, 1889 : études faites au Crotoy.

« Indépendants, 1890 : Chahut, 2 m sur 1,50 m ; études Grande-Jatte ; Port-en-Bessin.

« Une notice bibliographique me concerne, numéro 368, texte de Jules Christophe.

« Le numéro 376 (Jules Christophe) est pour Luce.

« Le numéro 373, de Félix Fénéon, est pour Signac. Les grandes toiles de Signac sont Apprêteuses et garnisseuses (modes), rue du Caire (1885-86) ; La Salle à manger 1887 ; Un dimanche à Paris, 1889-90. Mais la notice, que vous pouvez facilement vous procurer, vous renseignera mieux que je ne puis le faire. Vous y trouverez la technique du mélange optique parfaitement décrite au point de vue scientifique.

« Pour finir, je vais vous dire la note esthétique et technique qui termine le travail de M. Christophe et qui vient de moi. Je la modifie un peu n’ayant pas été bien compris par l’imprimeur.

« ESTHÉTIQUE :

« L’art, c’est l’harmonie.

« L’harmonie, c’est l’analogie [des contraires, l’analogie] des semblables, de ton, de teinte, de ligne, considérés par la dominante et sous l’influence d’un éclairage en combinaisons gaies, calmes ou tristes.

« Les contraires, ce sont :

« Pour le ton, un plus lumineux clair, pour un plus sombre ;

« Pour la teinte, les complémentaires, c’est-à-dire un certain rouge opposé à sa complémentaire, etc. (rouge-vert ; orange-bleu ; jaune-violet) ;

« Pour la ligne, celles faisant un angle droit.

« La gaieté de ton, c’est la dominante lumineuse ; de teinte, la dominante chaude ; de ligne, les lignes [au-dessus] de l’horizontale.

« Le calme de ton, c’est l’égalité du sombre et du clair ; de teinte, du chaud et du froid, et l’horizontale pour la ligne.

« Le triste de ton, c’est la dominante sombre ; de teinte, la dominante froide, et de ligne, les directions abaissées.

« TECHNIQUE :

« Etant admis les phénomènes de la durée de l’impression lumineuse sur la rétine.

« La synthèse s’impose comme résultante. Le moyen d’expression est le mélange optique des tons, des teintes (de localité et de la couleur éclairante, soleil, lampe à pétrole, gaz, etc.), c’est-à-dire des lumières et de leurs réactions (ombres) suivant les lois du contraste, de la dégradation, de l’irradiation.

« Le cadre est dans l’harmonie opposée à celle des tons, des teintes et des lignes du tableau. »

[1914-06-26] Les Arts §

Paris-Journal, 26 juin 1914, p. 000.
[OP2 791-793]

Le sculpteur Lehmbruck §

Ce sculpteur allemand n’est pas un inconnu à Paris où a lieu en ce moment à la galerie Levesque sa première exposition particulière. On connaissait ses ouvrages exposés aux Indépendants et au Salon d’automne.

C’est un homme de talent, certes, et ni M. Meier-Graefe ni André Salmon ne se trompent en l’affirmant. Talent archaïque toutefois et qui s’adresse moins encore à la sensibilité d’aujourd’hui que le métier hellénisant de Nadelman.

On parle de Lehmbruck comme d’un petit Jean Goujon. C’est parfait. Petit Goujon deviendra-t-il grand ? Oui, si on lui donne des gratte-ciel, des palaces de l’Afrique du Sud ou de l’Océanie à décorer, car une plastique archaïque se supporterait difficilement ailleurs et surtout à Paris, à qui suffit le Louvre, la fontaine des Innocents et les excellents articles de M. Péladan.

« La souris boiteuse » §

On nous communique le bulletin suivant :

« Nous attirons votre attention sur la publication prochaine de La Souris boiteuse, six poèmes de Max Jacob, gravés sur bois, par Kisling et accompagnés de six compositions, gravées sur bois, et des portraits du poète par le graveur.

« L’ouvrage sera tiré sur papier de Chine à cinquante exemplaires (planches détruites), numérotés et signés par les auteurs. Le prix est de 125 francs l’exemplaire.

« Les six premiers souscripteurs auront droit à leur nom gravé sur la couverture en parchemin.

« Les souscriptions sont reçues chez M. Adolphe Basler, 4, rue des Chartreux, et chez M. Max Jacob, 17, rue Gabrielle, Paris (XVIIIe). »

Des dessins de Manet à nos jours §

M. Nietzel, critique d’art allemand, est en train de préparer un important ouvrage sur les dessins des grands peintres français de Manet à nos jours.

Cet ouvrage, qui contiendra trois ou quatre reproductions de chaque artiste, paraîtra avec un très grand luxe.

Une exposition française à Londres §

Une exposition de la peinture française du xixe siècle aura lieu, cet été, à Grosvenor House, le palais du roi et de la reine d’Angleterre. Présidente du comité : la comtesse Greffülhe ; délégué, M. Auguste Pellerin ; trésoriers, le prince de Wagram et le vicomte de Canson.

Il y aura là des chefs-d’œuvre d’Ingres, Delacroix, Corot, Courbet, Manet, Monet, Cézanne, Renoir, Cassatt, Morisot, Sisley, Pissarro, Degas, Guillaumin, Puvis, etc., provenant de différentes collections.

Une œuvre de bienfaisance, que désignera la reine, bénéficiera des sommes produites par les entrées et par la vente du catalogue. Celui-ci, avec ses vingt-cinq planches, coûtera 25 francs ou, sur Japon ou Hollande, 100 francs. Il sera établi par les soins de M. Bernheim jeune, chez qui on peut dès maintenant s’inscrire. J.-E. Blancheen a écrit la préface.

Le folklore des jeux d’enfant §

Pierre Roy est en train de graver sur bois des compositions importantes destinées à illustrer ces petites poésies merveilleuses, et parfois fort anciennes, que les enfants récitent dans leurs jeux et tout particulièrement pour se répartir en camps différents :

Pique et piqué comme gramme
Bourre et bourré ratatamme
Miss tram drame.

[1914-06-27] Les Arts §

Paris-Journal, 27 juin 1914, p. 000.
[OP2 793-795]

La mode et les peintres §

Mme Louise Faure-Favier, écrivain d’une grande pénétration, montre dans le Mercure de France, qu’il y a une relation entre la mode et les peintres, mais que cette relation n’existe qu’avec les nouveaux peintres.

« Si tout l’arc-en-ciel orna nos toilettes printanières, c’est peut-être bien parce que notre œil, devant les toiles des fauves, des cubistes, des futuristes, s’était accoutumé à la gaieté des couleurs vives. Certains couturiers-décora-teurs, comme Poiret, Groult, Iribe, sont épris de l’art avancé. Ils puisent chez les artistes indépendants la plupart de leurs inspirations. Groult est un admirateur de Marie Laurencin, qui remit à la mode, sur ses tableaux, le fin collier de velours noir. Et si nous revenons aux tailles longues, c’est certainement aussi parce que cette artiste nous a démontré le charme des corps fuselés, qu’elle excelle à peindre.

« Mais il y a plus encore. Tous ces artistes dits indépendants sont, dans leur peinture, représentatifs de leur époque. Or, nous vivons en démocratie et la mode, sinon le luxe, est à tous. Vous ne les voyez donc pas peindre des fourrures somptueuses, des perles ou des satins aux riches reflets. Ils créent un luxe nouveau où la couleur joue le premier rôle. Matisse n’a jamais peint des brocarts et des aigrettes, et Picasso s’attendrit sur les confections à 4,80 F ; il y découvre plus d’expression que dans une aigrette de 500 louis.

« À cause de ces artistes, bientôt les portraits mondains d’un la Gandara ou d’un Boldini nous paraîtront désuets, et les arrangements de zibeline d’un Besnard nous paraîtront d’un autre âge. »

Mme Louise Faure-Favier a raison, mais il restera toujours des gens pour plaisanter sur l’art et croire, comme certain intérim de Paris-Midi, que ce qu’ils ne comprennent pas n’a ni sens, ni importance.

L’art moderne à Rouen §

La 5e Exposition de la Société normande de peinture moderne obtient à Rouen le plus vif succès.

Parmi les artistes représentés, citons les noms de Rodin, Carrière, Renoir, Guillaumin, Abel Faivre, de Vlaminck, Tobeen, Utrillo, de Saint-Delys, Pierre Dumont, Robert Pinchon, Jean Dufy le frère de Raoul Dufy, Giran Max, Bloomfield, Luce, etc.

Aujourd’hui, s’ouvrira une section de dessinateurs et humoristes qui complétera cet ensemble.

G. D’Annunzio au Luxembourg §

Le musée du Luxembourg, qui contient déjà des portraits de Rodenbach, de Courteline et de Verlaine, etc., vient de s’enrichir du portrait de M. Gabriele D’Annunzio, œuvre de Romaine Brooks, dont Roger Marx a écrit ces lignes pénétrantes : « En cette effigie de l’écrivain du Triomphe de la mort, il n’est pas une ligne qui ne soit indicatrice d’une puissance spirituelle, pas une lumière, pas une ombre qui ne soit éloquente, qui n’exprime l’émotion contenue d’une âme lyrique. Comment oublier la tristesse de cette bouche flétrie qui semble presque une plaie douloureuse faite à cette figure pâle et fixe ? »

C’est bien d’exposer des portraits de poètes, mais un peu de peinture moderne serait plus utile à ceux qui voudraient savoir où en est l’art en France.

[1914-06-28] Les Arts §

Paris-Journal, 28 juin 1914, p. 000.
[OP2 795-797]

Jarry dessinateur §

Ubu-roi, qui était épuisé depuis longtemps, va reparaître en édition à 3,50 F. On y retrouvera la reproduction des bois que Jarry gravait avec un véritable talent.

On sait qu’il modela les marionnettes avec lesquelles il joua sa pièce.

Mais c’est dans ses dessins et ses bois gravés que le dernier grand poète burlesque avait su donner la mesure de son instinct artistique.

Il avait le don de l’expression qui manque à tant de gens qui sont de la partie.

Quelques-unes de ses planches gravées ont un caractère de singularité presque cabalistique.

Il serait peut-être intéressant, au moment où il semble que l’on soit sur le point de rendre justice à l’auteur d’Ubu-roi, de faire une exposition de ces rares gravures sur bois et des dessins laissés par Jarry.

La statuette et ce qui l’accompagne §

Comme nous l’avons dit, l’exposition spéciale annuelle du musée Galliera a pour thème : « La Statuette et le Meuble qui la présente ou l’accompagne ».

On y voit parmi peu de choses significatives un groupe de Rodin, plein de force et de lumière passionnée.

Parmi les ensembles mobiliers exposés, citons le cabinet de travail de Majorelle ; les meubles d’Émile Gallé, en marqueterie, une grande table de salle à manger en noyer et palissandre, sur laquelle court un plant de fraisier ; une commode en noyer décoré avec du chardon de montagne et une vitrine en palissandre où se trouve une vue du Mont-Blanc ; M. Bonnier a tiré un très heureux parti des espaces qu’on lui avait accordés. Il faut encore citer : Raymond Bigot ; les cheminées de Gentil et Bourdet, dont deux s’appuient sur des tentures imprimées de De Feure, l’initiateur des recherches de style moderne pour le meuble ; Joubert et Richebourg qui ont un guéridon et une vitrine en acajou ; les deux sellettes, la bibliothèque en acajou, et la délicate table à thé, de Nowak ; des tissus imprimés, dessinés par Coudyser ; l’ensemble de bureau de Soubrier et celui de la salle à manger de Camille Trubert, tout de bois noir, où l’on voit un buffet sur lequel on a placé la pendule en marbre et en pierre : Le Poids des heures, du sculpteur Lamourdedieu.

Réparties un peu partout et présentées telles qu’elles le seraient dans des habitations particulières, des statuettes de Camille Alaphilippe ; l’ours en grès de Mme Avoy Alaphilippe ; un marbre polychrome : Loin du monde, d’Henri Allouard ; une réunion d’œuvres de Barrias, Bartholomé et des Barye.

M. Raymond Bigot montre un Petit coq cayeu, une Chouette en bois, un Hibou et une Buse en grès flammé.

Je cite encore : Max Blondat ; une Vénus en bronze, de Bourdelle ; Gaston Broquet ; des Vautours se disputant un ours, d’Auguste Cain ; Calvet, Cariés, Alexandre Caron, une figure de Cladel, intitulée Complaisance ; de Dalou, la Femme dans un fauteuil ; M. Paul de Boulongne, une Danseuse aux papillons ; De Chastanet expose une Paysanne assise et Une vieille qui porte un fardeau, exécutée en pierre ; Louis Dejean a sculpté la Puberté.

Voici dix-sept pièces de Joë Descamps ; Engrand, le Petit centaure, de Falguière ; l’Ève, de Frix Masseau, et les envois de Constantin Ganesco, Gardet, Jean-Pierre Gras, Henri Greber, Jacopin, Landowski, Henry Lombard, Meisso-nier, Penotte, Piffard, Théodore Rivière, Robert Champigny, Roger-Bloche, Vigoureux, Voulot et Wittmann, etc., etc.

[1914-06-29] À propos de la poésie nouvelle §

Paris-Journal, 29 juin 1914, p. 000.
[OP2 979-982]

Nous recevons la lettre suivante :

Mon cher Directeur,

Je m’étonne un peu du caractère violemment discourtois de la réponse de M. Barzun à mon article des Soirées de Paris,tandis que cet article reste, je crois, dans les bornes de la courtoisie littéraire.

Je n’y fais aucun reproche à M. Barzun, j’y constate seulement que les théories qu’il a mises au jour depuis 1913 l’amènent à préparer des livrets pour la scène ou pour le phonographe, ce qui est bien, mais ne renouvelle nullement le livre et que si, depuis 1914, M. Barzun nourrit l’espoir d’une impression nouvelle, il a été précédé là-dedans.

Et comme il n’est pas déshonorant d’avoir été précédé dans une question de cet ordre, j’ai voulu éviter toute confusion entre M. Barzun et les véritables pionniers de l’impression nouvelle.

C’est tout. Mais en me répondant, M. Barzun s’est gardé de parler de cela et il m’attaque sur des points qui n’ont jamais été en cause.

Je réponds donc à ces nouvelles allégations, en m’excusant auprès de nos lecteurs de les entretenir sur des sujets aussi personnels. Mais Dieu m’est témoin que j’avais laissé le débat sur le terrain littéraire.

1. Je ne me suis jamais défendu d’avoir été du groupe dramatiste où m’avait appelé M. Barzun. J’ai dit que je ne restais jamais bien longtemps dans ce qu’on appelait les petites chapelles. Aussi ai-je bientôt quitté le groupe dramatiste et pour une seule raison : c’est que depuis que j’en faisais partie, je n’étais plus libre de mentionner qui me plaisait. M. Barzun me reprochait de ne pas le citer assez souvent. Je pourrais publier des lettres sur ce sujet. Passons.

2. Je suis toujours aussi enthousiaste des idées de M. Barzun et je ne pense pas qu’il y ait, à Paris, quelqu’un qui le défende et le loue plus que je ne fais. J’ai fait son éloge à Berlin, devant trois cents personnes ; à Paris, je l’ai défendu dans maint salon et bien d’autres choses encore, dont témoigneraient sans aucun doute André Billy, Paul Morisse, etc.

Toutefois, depuis le beau livre de L’Ère du drame, que seule la grossièreté, à mon égard, du dernier numéro de Poème et drameet de la réponse d’hierme force d’oublier, M. Barzun n’a pas fait grand-chose, sinon de publier un fragment de poème qu’il ne me forcera point à ne pas tenir pour successif, quand c’était justement le contraire que voulait faire Barzun. Certes, c’est un grand poète, plein de nobles visées, mais il ne s’est pas encore réalisé.

C’est ainsi que parce qu’il écrit que « la perception et la révélation simultanée des éléments de cette synthèse, à travers la conscience et l’âme, ne peut ne pas modifier profondément l’expression de chant individuel », il ne s’ensuit pas qu’il ait trouvé la forme de ce chant nouveau. En tout cas, il n’indiquait aucune forme nouvelle dans L’Ère du drameparue à la fin de 1912 ; c’est seulement en mai 1913 qu’il a donné un fragment dont je conteste que le métier soit impressif, étant, à ce que je crois, du théâtre ou du phonographe.

Toutefois, en ergotant sur la phrase de L’Ère du drame, citée plus haut, M. Barzun est fondé à dire qu’il n’a pas appris la simultanéité de Delaunay, mais puisqu’on est sur la question des dates, ne l’a-t-il pas apprise des futuristes qui dans le catalogue de leur exposition (5 février 1912) proclamaient :

« La simultanéité des états d’âme dans l’œuvre d’art, voilà le but enivrant de notre art. »

3 et 4. M. Barzun me fait beaucoup d’honneur en rappelant la part qu’il me faisait dans L’Ère du drameet celle que j’avais dans le comité de rédaction de Poème et drame.

Je fais un appel à la bonne foi de M. Barzun, pour lui demander s’il avait jamais employé le mot « simultanisme » ou appliqué l’adjectif « simultané » à l’œuvre d’art même avant d’avoir rencontré Delaunay qui faisait cela depuis sept ou huit mois avant sa rencontre avec Barzun. Le mot simultané est dans le dictionnaire, l’idée au point de vue artistique était dans l’air comme on l’a vu par le passage cité du catalogue des futuristes, mais ce que Delaunay avait fait de nouveau c’était d’appliquer ces termes à un nouveau métier et ce n’est que sur la question de métier que je poursuis l’atrabilaire M. Barzun. Sans quoi, qui serait plus fondé que moi à réclamer pour moi de m’être efforcé le premier dans cette voie nouvelle, puisque dans l’Enchanteur pourrissantun chapitre entier est consacré à la description simultanée d’une nuit ! Avant de paraître en volume cela avait paru en 1904 dans Le Festin d’Ésope,dont le tirage n’était pas inférieur, je crois, à celui de Poème et drame.

Aussi ne réclamé-je point pour moi, mais surtout pour La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France,de Biaise Cendrars et de Mme Delaunay-Terck, qui ont fait la première tentative d’impression simultanée.

5. M. Barzun se trompe. Je ne réclame point le mot orphique, parce que j’ai publié Le Cortège d’Orphée.

6. a)À la fin d’une lettre du « 18 mars 1911 », M. Barzun m’écrivait le post-scriptum suivant :

P.-S. — Tu me parlais ce même jour de l’orphisme ; constate, très cher, que j’y pensais dès 1908, et que cette orphéide ne sera autre chose que mon prochain poème.

Ai-je dit autre chose que M. Barzun m’avait réclamé un jour ce mot-là, sous prétexte qu’il avait jadis eu l’intention de publier une Orphéide ?

Mais, peut-il vraiment prétendre à avoir répandu un mot qui, dans le sens où je le prenais et où le prend aussi M. Barzun, parti de L’Intransigeant,où je l’ai imprimé tout d’abord, a fait maintenant le tour du monde ?

N’oublions pas que la lettre de M. Barzun est de 1911 et que L’Ère du drameest de 1912 et même de « fin octobre 1912 », si j’en crois une autre lettre de M. Barzun, datée du 22 septembre 1912.

b)Le pneumatique de Paris-Midi,cité par M. Barzun, se rapportait avant tout, il ne l’ignore point, à l’édition phonographique, dont je crois l’avenir très grand, et je pensais que M. Barzun, que je ne voyais plus depuis un an, s’était fait le pionnier de cette idée. Il n’en était rien, et dans les écrits subséquents de M. Barzun j’ai vu qu’il ne la tenait pas en grande considération.

Or, je considère que la réforme de M. Barzun n’a d’importance qu’en ce qui concerne un nouveau métier simultané : celui du poète phonographiste. Dans le livre M. Barzun est resté successif.

7. M. Barzun se trompe de date, ce n’est pas en été 1913, mais en janvier 1913 que je lui ai envoyé la carte qu’il mentionne. Elle prouve que mon amitié s’était employée à son endroit. Elle s’était même employée avec plus de vivacité encore dans la conférence que je fis alors, et dont le manuscrit est dans la possession de Robert Delaunay.

En citant l’ex-dono d’Alcools,M. Barzun a sans doute voulu m’accuser réception du volume. Merci.

8. M. Barzun a tort de croire qu’à son détriment je veuille favoriser injustement M. Jules Romains.

Je tiens à la disposition de l’auteur de L’Ère du drame,le programme d’une conférence faite le 25 avril 1908 aux Indépendants, il y verra ce qui suit :

« 25. Jules Romains : L’Église, poème polyphonique ; contralto : Mlle Eyre ; soprano : Mlle Maud Sterny ; basse : M. Marcel Olin ; ténor : M. Aulanier. »

Les récitants s’exercèrent plusieurs fois chez moi, mais ils ne furent pas prêts le jour de la conférence, et l’on passa outre. Mais, pour commémorer ces tentatives qui eurent lieu chez moi, on décida d’inscrire la chose au programme.

Recevez, mon cher Directeur, l’expression de mes sentiments dévoués.

Guillaume Apollinaire.

[1914-06-30] Les Arts §

Paris-Journal, 30 juin 1914, p. 000.
[OP2 797-798]

Le « Cézanne » d’Ambroise Vollard §

Le Cézanne d’Ambroise Vollard va bientôt être prêt. Il y travaille depuis quatre ans. Quelques morceaux en ont paru dans les petites et les grandes revues. Le livre même est attendu avec impatience. Et quand il en aura paru une édition en petit format, on placera cet ouvrage dans les bibliothèques à côté des Conversations de Goethe avec Ecker-mann.

Les peintres à venir écouteront avec attention la voix du maître d’Aix transmise par Vollard, dont l’intelligence et la pénétration sont au-dessus de tout éloge.

Et, comme le disait Cézanne lui-même dans une lettre à Camoin, personne mieux que lui ne pouvait parler de peinture.

Le buste du président de la République §

Le statuaire Raoul Verlet, membre de l’Institut, a reçu hier la commande d’État d’un buste officiel du président de la République.

Ce buste en marbre remplacera celui de M. Fallières. Des répliques en seront faites pour les salles des édifices publics qui reçoivent traditionnellement des portraits du chef de l’État. D’autre part, la manufacture de Sèvres exécutera des réductions en biscuit de l’original.

André Rouveyre §

André Rouveyre, qui ne travaillait plus guère depuis quelque temps, va se remettre à dessiner.

Il va étudier des colombes, leur jetant de son crayon de ces jolis regards qui nous ont valu un charmant petit recueil sur ce petit oiseau.

Rouveyre est très tenté par cette émouvante variété de colombes que l’on appelle la colombe poignardée, parce que, entièrement blanche, elle porte sur son jabot deux taches rouges, deux gouttes de sang, qui semblent produites par la flèche de Parsifal.

Ajoutons que le procès intenté par Mme Catulle Mendès à André Rouveyre et au Mercure de France, pour publication d’un portrait jugé désobligeant pour Mme Mendès, doit venir le 15 juillet. Toutefois, comme ce procès est inscrit le dernier de la saison, on pense qu’il sera renvoyé.

[1914-07-01] Les Arts §

Paris-Journal, 1er juillet 1914, p. 000.
[OP2 800-801]

Architecture de verre §

M. Paul Scheerbart vient de faire paraître un livre intéressant sur l’architecture de verre, en allemand : Glasarchitektur.

L’architecture de verre se répand de plus en plus. Dommage que l’on n’ait pas conservé à Paris cette galerie des Machines qui était un des chefs-d’œuvre de l’architecture moderne de fer et de verre.

M. Scheerbart a oublié de nous en parler, non plus que de ce Crystal Palace de Londres qui date de la fin de la première moitié du siècle dernier.

Les divers chapitres de ce livre, malgré qu’on ne s’y occupe que des efforts faits dans ce sens en Allemagne, sont instructifs.

L’auteur y exalte la beauté des villes prochaines bâties en maisons de verre. Il s’y occupe aussi de tous les nouveaux arts de l’illumination, des verres de couleur, des vérandas, des émaux, des céramiques, des vitraux, de la pyrotechnie, des étangs et des fontaines lumineuses, de l’’éclairage des cafés et restaurants, de la mosaïque de verre, de l’influence des éclairages colorés sur la végétation, de l’influence morale possible de l’architecture transparente et lumineuse sur les populations, des colonnes lumineuses pour éclairer les villes. Et même, s’exaltant à l’allemande, M. Scheerbart entrevoit déjà les premiers éléments d’une civilisation du verre, Glaskultur, qui, à son gré, sera celle du xxe siècle.

C’est une civilisation qui sera la bienvenue, Tout s’y passera au grand jour.

Exposition Lauçon §

Une rétrospective sera prochainement consacrée à un peintre de batailles et animalier peu connu, mais de fort grand mérite : Lauçon.

L’exposition est organisée par M. Charles Léger.

Rappelons que Le Lion de Belfort, œuvre de Bartholdi, surprit, par son caractère haut et sobre, les amis du sculpteur. Ceux de Lauçon au contraire n’en furent pas étonnés car ils n’ignoraient pas que c’est sur les cartons du peintre disparu que Bartholdi exécuta son œuvre.

Voyages d’artistes §

Tandis que Picasso et André Derain visitent Avignon, Pierre Roy erre mélancoliquement dans les musées londoniens et Giorgio De Chirico, qui a donné un grand effort cette année, se prépare à se reposer à Vichy.

Exposition de N. de Gontcharova et Larionov §

C’était hier le dernier jour de l’exposition de Natalie de Gontcharova et Michel Larionov. Les visiteurs ont été très nombreux à la galerie Guillaume.

Mme de Gontcharova va aller se reposer dans l’île d’Oléron. Elle compte ensuite retourner en Russie par la Méditerranée.

Dessins d’enfants §

L’exposition de dessins d’enfants de la galerie Malpel se terminera bientôt. Le jury s’est réuni et a distribué les prix comme il suit :

1er prix, Claudine Peské, 11 ans ; 2e prix, Augusta Van Dongen, 11 ans ; 3e prix, Yves Picart Le Doux, 11 ans ; 4e prix, Jack Malpel, 7 ans ½ ; 5e prix, Adihya Van Rees, 7 ans ; 6e prix, Rosa Riera, 7 ans ; 7e prix ex æquo, Jean Picart Le Doux, 12 ans, et Mlle Maillol, 8 ans ; 9e prix, Poirier, 11 ans.

Mentions : 1re, R. Dartiguelongue ; 2e, Chagall ; 3e, L. Dartiguelongue ; 4e, Jeanne Azara ; 5e, Renaudin ; 6e, Mlle Wolff ; 7e, Lebec ; 8e, De Boissières ; 9e, Doupeau ; 10e, Anduran ; 11e, École d’Orsay ; 12e, Marcel Bourgeon ; 13e, Georges Vala.

[1914-07-02] Les Arts §

Paris-Journal, 2 juillet 1914, p. 000.
[OP2 802-803]

Le Dôme et les « dômiers » §

C’est toujours Montparnasse qui manifeste son activité et voilà maintenant qu’il fait de l’exportation.

Le Dôme, c’est un café du carrefour Raspail-Montparnasse. Les « dômiers », ce sont les peintres allemands qui le fréquentent. Et sous le nom Der Dome, qui signifie aussi aux oreilles tudesques la cathédrale (la vraie cathédrale allemande n’est-elle pas la brasserie ?), ces artistes exposent leurs œuvres à la galerie Flechtheim, de Düsseldorf.

Ils sont vingt-trois qui vivent à Paris ; peu d’entre eux, au demeurant, ont un accent personnel, plusieurs sont de bons élèves et promettent, quelques-uns sont de véritables artistes comme Pascin, sorte de Clinchtel moderne, mais ce n’est pas un Allemand, c’est un Serbe.

La pauvreté artistique de l’Allemagne est, en ce moment, remarquable, autant que sa patience à tenter de deviner les secrets de la jeune peinture française.

Je n’ai pas vu d’œuvres de chacun des exposants. Bolz, qui est un esprit assez pénétrant, n’a pas encore trouvé sa personnalité. Nils De Dardel fait des choses pittoresques, c’est un Suédois. Ernesto De Fiori a, dans la sculpture, un maniérisme qui ne va pas sans grâce, c’est un Italien. Parmi les plus intéressants seraient sans contredit les peintres Georges Kars, un Tchèque, et Kisling, un Polonais, mais la personnalité de l’un comme de l’autre est encore très indécise. Voici encore Rudolf Lévy, ancien massier de l’académie Henri-Matisse.

Je ne connais rien de l’œuvre des autres exposants, mais comme on voit, plus de la moitié de ces représentants de l’art allemand ne sont pas allemands ; tous peignent à Paris et il n’en est pas un qui ne manifeste très fortement l’influence des peintres français des Indépendants ou du Salon d’automne.

« La Côte de Saphir » §

Sous ce titre, La Revue méridionale publie un joli recueil illustré de trente-quatre bois très expressifs de Jane, Auguste et Achille Rouquet, qui célèbrent ainsi les beaux sites de leur petite patrie : Banyuls, Port-Vendres, etc.

L’enchanteur §

Le peintre du pont de Chatou et des remorqueurs, Maurice de Vlaminck, qui possédait déjà avec M. Henri Kahnweiler un bateau avec lequel ils naviguaient sur la Seine, appelé le Saint-Matorel, du nom d’un ouvrage lyrique de Max Jacob, viennent d’acquérir un nouveau vaisseau à vapeur cette fois : ils l’ont baptisé l’Enchanteur du nom de L’Enchanteur pourrissant, dont les bois furent gravés par André Derain.

Dernièrement, Mme de Gontcharova, le peintre des décors du Coq d’or, et M. Larionov avaient été visiter M. de Vlaminck près de Marly, et en s’en retournant, vers minuit, tandis qu’on attendait le tramway, M. Larionov croqua vivement, et plusieurs fois, ce géant de Vlaminck, campé sur le bord de la Seine devant sa petite flottille amarrée au port de Bougival.

[1914-07-03] Les Arts §

Paris-Journal, 3 juillet 1914, p. 000.
[OP2 803-805]

Quatre nouveaux artistes français §

Décidément, c’est d’Allemagne aujourd’hui qu’en matière d’art français nous vient la lumière.

Il n’y a pas de jour où, soit à Berlin, soit à Munich, soit à Düsseldorf, soit à Cologne, on n’inaugure une nouvelle exposition consacrée à un artiste nouveau de France.

Au Sturm de Berlin, exposent en ce moment Albert Gleizes, Jean Metzinger, Duchamp-Villon et Jacques Villon.

On sait quel robuste peintre est Albert Gleizes. Il est le premier dans un art sain qui n’exclut point le raffinement. En pleine force de talent, il expose maintenant des paysages et des figures d’un art probe qu’on doit louer et les Berlinois peuvent admirer de tumultueux Passy, La Ville et le Fleuve, La Rue, La Femme à sa toilette, L’Homme au hamac, etc.

Jean Metzinger est le représentant d’un art extrêmement raffiné. Il achève ce qu’il peint et, ne se contentant pas de dessiner, il précise. Si M. Ingres, malgré beaucoup de réclame, n’avait pas une presse assez réservée, je lui trouverais les qualités japonaises de la peinture ingresque. Fumeur, Tête de femme, Marine, Nuit, Paysage, La Liseuse et En canot, qui est avec le Fumeur précité et que l’on dit être mon portrait, son chef-d’œuvre, voilà ce que les connaisseurs de la Sprée vont se disputer avec acharnement.

Duchamp-Villon est un sculpteur d’un modernisme aigu et un de ceux qui ont le mieux concrétisé le mouvement. Il s’apparente, sans le vouloir, et par un instinct d’une force unique, à l’art mexicain. Sait-on que les anciens Mexicains avaient réalisé dans un idéogramme merveilleusement abstrait le mouvement qui a toujours été le but de l’art de Duchamp-Villon ? Terre cuite, plâtres, bois et sculptures apporteront beaucoup aux Allemands et je leur souhaite d’en profiter.

Jacques Villon est le créateur d’une peinture métallique dont l’accentuation lui a coûté sans aucun doute des efforts surhumains. Je n’ai rien vu de ce qu’il expose à Berlin, mais ses dernières eaux-fortes m’ont paru d’une grande nouveauté.

En même temps que ces autres Français, les Russes Marc Chagall et Alexandre Archipenko exposent, le premier, des dessins, et, le second qui est le protagoniste de la plastique nouvelle, trois sculptures audacieuses et séduisantes.

Art et science §

La société Art et science, qui a tant fait pour la propagande artistique, annonce pour le dimanche 19 juillet une visite à l’exposition d’art de l’Extrême-Orient, où sont exposées les merveilleuses choses recueillies par M. Victor Goloubew.

Le dimanche 30 août, les sociétaires visiteront l’exposition du musée Galbera sous la conduite du sculpteur Duchamp-Villon qui a promis une causerie sur le rôle de la sculpture dans l’intimité.

Bonnard §

Accompagné de dessins sensibles de Gauguin et de Bonnard lui-même, Pierre Laprade publie dans Les Marges un sensible portrait écrit de Bonnard :

« Quand j’ai connu Bonnard il était déjà lui-même, c’était à L’Étang-la-Ville où il avait jadis une étrange maison de campagne. Tout près des forêts, son jardin avait quelques grands arbres mêlés de fruitiers. Un chien bizarre y rôdait dans les fleurs (depuis j’ai revu l’image de ce chien dans bien des musées). Des lis avaient poussé dans ce jardin au milieu de ces blancheurs ; je revois Bonnard fumant une petite pipe rapportée de ses lointains voyages. Car il a beaucoup voyagé : Amsterdam, Rome, le désert même ; mais il voyage avec méfiance, et, si, comme le grand Renoir, il a su mettre au point les canotiers de la vallée de la Seine, il redoute infiniment le récit du voyageur. »

[1914-07-03] À propos de l’art orphique

Le mot de la fin §

Paris-Journal, 3 juillet 1914, p. 000.
[OP2 983]

Je m’en voudrais de me déclarer moins satisfait que M. Barzun et, du moment qu’il restitue son simultanisme à M. De-dieet dans son dramatismeje prends acte de ce qu’il me rend mon orphisme, ainsi qu’il restitue son simultanisme à M. Delaunay.

Tout est bien qui finit bien.

Toutefois M. Barzun se trompe, en tenant pour apocryphe le poème « L’Église », de Jules Romains. Il se trouve dans La Vie unanime,dont M. Barzun n’est pas sans posséder un exemplaire, et au contraire de ce que croit le directeur de Poème et drame,plusieurs personnes ont entendu la récitation polyphonique de ce poème ; ce sont d’abord les quatre récitants, M. Jules Romains, M. Max Jacob, moi-même et diverses personnes au témoignage desquelles il n’est peut-être pas urgent de faire appel, étant donné que le programme de la conférence des Indépendants, du 25 avril 1908, est dans la possession de plusieurs de nos amis, et qu’en outre, j’en ai montré un exemplaire (toujours à la disposition de M. Barzun) à quelques collaborateurs de Paris-Journal :MM. Paul Lévy, Gabriel Arbouin, Waldemar Georges, etc., etc.

[1914-07-04] Les Arts §

Paris-Journal, 4 juillet 1914, p. 000.
[OP2 805-807]

La Triennale §

La prochaine exposition de la Triennale, dont on se rappelle le succès en 1912, aura lieu du 1er février au 15 mars 1915.

Cette société, dont le promoteur ou du moins l’un des promoteurs fut M. Fernand Sabatté, a pour but de synthétiser tous les trois ans, si on peut dire, les tendances de l’art français dans ses meilleurs représentants.

Ainsi, en 1912, on alla jusqu’à Henri Matisse qui exposa, à la salle du Jeu de paume, deux de ses meilleurs tableaux.

En 1914, le comité de la Triennale demandera sans doute leur concours à Derain, Braque, Léger, Vlaminck, Delaunay, Gleizes, Metzinger, Segonzac, L.-A. Moreau, R. de La Fresnaye, Tobeen, Marchand, etc. Si les organisateurs de l’exposition ne sont point timorés et s’ils bannissent ces préjugés que l’on nourrit trop souvent pour les choses nouvelles dans les milieux artistiques, ils peuvent compter sur un très grand succès et rendre en même temps à l’art de très grands services.

Il n’est pas mauvais qu’au moins tous les trois ans une exposition d’ensemble montre où en est la peinture.

Beaucoup de gens croient qu’elle a chaussé les bottes de sept lieues. Je ne serais pas étonné si les expositions triennales nous montraient qu’en réalité elle marche avec une sage lenteur.

Décès §

Le sculpteur Édouard Wittig, dont les envois à la Nationale et au Salon d’automne ont toujours été remarqués, vient de perdre sa mère.

On annonce encore la mort tragique à Berlin de Mme Julius Stern, qui était un mécène dont les arts français eurent à se louer.

Désespérée de la mort de son mari, Mme Stern s’est, dit-on, jetée dans la Sprée. Elle avait formé une remarquable collection de tableaux français où se trouvaient des Maurice Denis, son peintre préféré, des Vuillard, des Bonnard, des Roussel, etc. Par testament, Mme Stern a destiné une grande partie de sa fortune à secourir les artistes pauvres vivant en Allemagne.

Le gant rose §

M. G. De Chirico vient d’acheter un gant de caoutchouc rose qui est une des marchandises les plus impressionnantes qui soient à vendre.

Il est destiné, copié par l’artiste, à rendre plus émouvantes et effroyables que ne le sont ses tableaux passés, ses œuvres de l’avenir.

Et si on l’interroge sur l’épouvante que pourrait susciter ce gant, il vous parle aussitôt de brosses à dents plus effroyables encore qu’a inventées récemment l’art dentaire, le plus récent et peut-être le plus utile de tous les arts.

L’exposition française de Londres §

Cette exposition, dont nous avons déjà parlé, remporte un très grand succès dont l’écho est venu jusqu’à la grande presse parisienne.

La comtesse Greffülhe, présidente du comité, a su émouvoir la cour et la ville en faveur de l’art français d’Ingres à Puvis de Chavannes en passant par les grands impressionnistes et Cézanne.

[1914-07-05] Les Arts §

Paris-Journal, 5 juillet 1914, p. 000.
[OP2 807-809]

Les « Albums » de Georges Rouault §

On n’a pas assez remarqué l’année dernière lors d’une exposition chez Druet les « Albums » de Rouault où les dessins terribles, angoissants, pleins de pitié et d’ironie alternaient avec des notules acerbes et amères, avec des poèmes singuliers qui font songer à ceux que criaient par les villages de l’Ombrie les fils de saint François d’Assise, ces giullari di Dio, dont les chants s’élevaient avec un lyrisme neuf et déchirant.

Quelques amis ayant eu connaissance d’une série de cinq petits « Albums » de Rouault lui ont conseillé de les éditer avec reproductions en blanc et noir.

Rouault a expédié, je crois, à l’étranger, où elles feront sans doute une sensation, quarante projets d’estampes en couleur. Cependant, les « Albums » sont encore en France ou ils attendent un éditeur.

Ils ont été élaborés voilà deux ans et s’intitulent : Versailles ; Messieurs-peintres ; Miserere ; Types provinciaux et internationaux ; Types familiers.

À mon sens, depuis Daumier, peu de peintres avaient atteint aussi haut dans le sublime comique qui se confond ici avec le sublime tragique.

La ligue maritime de Montmartre §

Quelques peintres de la Butte et des environs ont fondé une Ligue maritime de Montmartre qui tient ses assises au restaurant Bouscarat.

Le titre d’amiral de Montmartre n’a pas été décerné. Il le sera incessamment maintenant que voilà la saison des bains.

Avec une régularité déconcertante un des ligueurs inscrit chaque jour, sur l’ardoise du restaurant, l’heure de la marée, rendant ainsi les plus signalés services aux pauvres navigateurs.

Des expéditions en bateau-mouche sont d’ores et déjà décidées. On s’attend aux découvertes les plus sensationnelles. Des conférences avec projections cinématographiques seront ensuite organisées à la Sorbonne, pendant les vacances. Nul doute que la Société de géographie ne décerne au plus courageux de ces explorateurs sa grande médaille en chocolat.

Marie Bashkirtseff §

On sait qu’un monument dû au ciseau du statuaire Michel de Tarnowsky s’élèvera à Nice à la gloire de Marie Bashkirtseff que Maurice Barrès a chantée dans ses Trois stations de psychothérapie.

Les titres de Marie Bashkirtseff sont maintenant incontestés. Peintre et sculpteur, une centaine de toiles et autant de pastels, de dessins, de sculptures exposés à l’École nationale des beaux-arts en 1884, Tannée de sa mort, et dont les plus émouvants figurent au musée Alexandre à Saint-Pétersbourg, au musée de Chicago, etc., attestent les qualités artistiques de la jeune fille enlevée si jeune à son art.

Son Journal atteste encore sa sincérité et ses dons ardents d’écrivain.

L’art français en Bohème §

La revue tchèque Umelecky Mesicnik est toujours presque entièrement consacrée à l’art français. Elle contient des reproductions d’André Derain, de Cézanne, de Georges Braque, de Picasso, et aussi de quelques artistes tchèques de talent comme V. Benes, O. Guttfreund et E. Filla. Quelques reproductions de sculptures de la Côte-d’Ivoire achèvent de donner à ce numéro un haut intérêt artistique.

L’École des beaux-arts de Tananarive §

On prête à M. Picquié, gouverneur de Madagascar, l’intention d’instituer à Tananarive une école des beaux-arts. Pour quoi faire, grand Dieu ? Déjà les Malgaches pouvaient voir au musée de Tananarive des tableaux dont la galerie Bernheim nous a donné récemment la primeur et qui ne doivent pas donner aux artistes indigènes une haute idée de l’art européen. Maintenant, on va leur enseigner à sculpter selon la formule académique.

Que ne recueille-t-on plutôt dans un beau musée colonial ces statues merveilleusement expressives dont quelques échantillons sont venus jusqu’à Paris. Il y en a chez M. Maurice Verne qui conserve avec une piété esthétique deux oiseaux d’une élégance vivante et raffinée, sculptés dans des cornes de bœuf.

[1914-07-06] Les Arts §

Paris-Journal, 6 juillet 1914, p. 000.
[OP2 809-810]

Peinture espagnole moderne §

Un article de M. M. Nelken est consacré dans La Renaissance contemporaine aux peintres espagnols Sorolla, Zuloaga et Chicharro.

Et l’écrivain d’art, en sous-titre, inscrit : « LesTrois Principaux Représentants de la peinture espagnole moderne ».

Est-ce à dire que l’Espagne moderne s’honore plus d’avoir engendré ces trois peintres que d’avoir donné le jour à Pablo Picasso ?

Il est vrai que celui-ci est peut-être moins un peintre espagnol que le principal représentant de la peinture moderne et que s’étant formé en France, ayant constamment peint à Paris, ayant trouvé à Paris même les voies les plus décisives pour la peinture nouvelle, la France serait fondée à le considérer comme un peintre français.

On ne s’y trompe pas à l’étranger, et en Allemagne, en Russie on classe toujours Picasso parmi les peintres de l’école française dont il est depuis Cézanne l’artiste le plus surprenant.

C’est égal, mais l’Espagne paraît faire bien peu de cas de ses gloires les plus réelles et le proverbe reste vrai qui dit : « Nul n’est prophète en son pays. »

L’art partout §

Le tatouage ne se porte plus guère en France que dans les classes inférieures de la population.

C’est cependant un art plastique véritable qu’il ne faut pas laisser se perdre.

En Russie, depuis un an, on se contente de peindre sur le visage des fleurs, des animaux, de petites scènes rustiques. C’est une mode inventée par les futuristes russes et lancée à Moscou par Mme de Gontcharova et M. Larionov.

Mais la tradition du tatouage se conserve avant tout en Angleterre où de nombreuses femmes appartenant aux classes les plus élevées portent gravée sur la peau l’image chère et indélébile de leur animal favori : chien, perruche, perroquet, etc. Les hommes manifestent plutôt par le tatouage leurs admirations politiques, témoin ce riche gentleman chauve qui vient de se faire tatouer sur le crâne un superbe portrait de George V qui ne lui a coûté que la bagatelle de 15 livres sterling.

[1914-07-07] Les Arts §

Paris-Journal, 7 juillet 1914, p. 000.
[OP2 811-812]

À propos du « Victor Hugo », de Jean Boucher §

Un visage fin et animé, des yeux pénétrants, une barbe juvénile et brune, un petit chapeau mou et rond, un veston noir qu’il porte court. Voilà le sculpteur Jean Boucher dont on inaugure aujourd’hui à Guernesey la statue de Victor Hugo.

Jean Boucher n’a pas voulu rivaliser avec Rodin et ce n’est pas le Titan qu’il a sculpté, c’est l’homme, c’est le poète exilé qui rêve à sa patrie et attend l’inspiration au bord de la mer.

Ce monument n’est pas destiné à exalter une œuvre symbolisant le caractère du poète, il évoque familièrement celui qui vécut sur ces rives, y aima, y haït, y chanta.

L’œuvre de Jean Boucher fixe avec un rare bonheur tous ces souvenirs de la vie si agitée du grand poète si fécond, que chaque année encore, bien qu’il soit mort depuis vingt-huit ans, on publie un des volumes de vers inédits qui est, sans aucun doute, un des plus importants de la saison.

Dessin et musique §

Albert Savinio qui, après avoir joué de sa musique au dîner des Amis du dimanche, exécuta de remarquables caricatures de Paul Lombard, de Raymond Groc, Michel Larionov, Fernand Léger, se rend à Londres, où M. Serge de Diaghilev l’invite pour y traiter de l’acquisition de la musique d’importants ouvrages chorégraphiques, dont l’un, Persée, fut spécialement composé et commandé à Savinio par M. Michel Fokine, le remarquable metteur en scène des Ballets russes.

On espère lire le nom de Savinio sur les prochaines grandes affiches des Russes. On applaudira à l’initiative de M. Diaghilev qui affirmera ainsi sa volonté de s’attacher des artistes capables de donner un nouvel essor à son entreprise.

Il n’en est que temps. Et nous jugeons à propos de reprocher ici à M. de Diaghilev le peu d’intérêt que sa récente saison à l’Opéra suscita parmi nous. Sauf les décors de Mme de Gontcharova, trop de fadaises ! Un art trop superficiel et falot, et que nous eussions à peine supporté il y a dix ans. Nous demandons des œuvres musicales et dramatiques plus conformes à ce que, en d’autres branches de l’art, nous sommes accoutumés de voir à Paris. Nous demandons une conscience artistique plus proche du mouvement, sans cesse progressif, rapide et héroïque, de l’époque moderne.

Une exposition Georges Rouault §

Georges Rouault prépare pour l’année prochaine une exposition collective de ses œuvres. Ce sera, croyons-nous, la première. On l’attend avec impatience et ce sera, croyons-nous, un grand succès.

[1914-07-07] [Réponse à une enquête sur Claudel] §

Paris-Journal, 7 juillet 1914, p. 000.
[OP2 1500]

Monsieur le Rédacteur en chef,

Je suis d’avis qu’il faut voir l’une des raisons du succès populaire de Paul Claudel dans l’intérêt que suscitent aujourd’hui les questions religieuses.

C’est un grand poète qui a trouvé dans Arthur Rimbaud et les ouvrages pleins de recherche du symbolisme les éléments d’un nouveau style pompeux qui ne peut manquer d’avoir une grande influence sinon sur les poètes, du moins sur les orateurs.

Écrivain pénétrant, il a interrogé les doctrines plutôt que l’humanité ; esprit libre, il a éprouvé à se soumettre un enthousiasme étrangement raisonnable et, à mon sens, plein d’ironie.

[1914-07-08] Les Arts §

Paris-Journal, 8 juillet 1914, p. 000.
[OP2 812-814]

Marius de Zayas §

La caricature est un grand art. Les caricatures de Léonard de Vinci, de Gillray, de Daumier, d’André Gill sont des œuvres qui ne sont pas inférieures.

Je ne compte pas des satiriques comme Hogarth, Gavarni ou Forain parmi les caricaturistes.

L’art d’aujourd’hui, si expressif, n’avait donné dans la caricature que Jossot, artiste oublié injustement.

Il y a maintenant un nouveau caricaturiste, Marius de Zayas, et sa caricature, qui emprunte des moyens tout nouveaux, est d’accord avec l’art des peintres contemporains les plus audacieux.

J’ai eu l’occasion de voir quelques-unes de ces caricatures nouvelles. Elles sont d’une puissance inimaginable. Celle d’Ambroise Vollard, celle de Bergson, celle d’Henri Matisse.

Le prochain Salon des humoristes devrait réserver une salle à l’œuvre de Marius de Zayas. Elle en vaut la peine.

Exposition Delestre §

L’exposition intéressante du peintre Eugène Delestre, à la galerie du Musée moderne des arts, 155, avenue Victor-Hugo, est prolongée jusqu’au lundi 13 juillet inclus.

Montparnasse §

Le deuxième numéro de la gazette indépendante que publie Paul Husson : Montparnasse, journal de la localité précitée, comme dit notre ami René Dalize, vient de paraître.

Elle contient un dessin charmant de Jean Metzinger et un curieux article de Paul-Antoine Tholba sur l’exposition du sculpteur Lehmbruck, qui a remporté un succès mérité.

La misère humaine §

Biaise Cendrars a traduit du tchèque un poème d’Otto Klein, qui accompagne six bois gravés par Otakar Kubin, un peintre tchèque de mérite, qui, ainsi que la plupart des artistes tchèques, a été un des premiers à adopter ia discipline cubiste.

On sait que par une singularité bien curieuse, plusieurs peintres tchèques portent des noms qui rappellent celui de cet art français qui est aujourd’hui un art universel : le cubisme. Il y a le peintre Kubin, le peintre Kubista, etc. : ce ne sont pas des pseudonymes.

Les bois gravés de Kubin portent comme titre : La Misère humaine, et c’est une œuvre bien impressionnante.

Odilon Redon §

De Mme Jeanne Doin, dans le Mercure de France :

« Dans très longtemps, lorsque l’on se préoccupera de réviser, dans l’intérêt de l’histoire ou de la philosophie, les jugements que nous portons si hâtivement sur nos contemporains, il se peut que le nom de M. Redon s’inscrive en tête d’un ouvrage qui traitera du rôle de l’imagination dans l’art à la fin du xixe siècle — et justice sera rendue. »

Vacances §

Le peintre Fernand Léger va passer ses vacances à Argentan ; il enverra à ses amis des cartes postales représentant les fresques cubistes ou à peu près dont un prêtre artiste a décoré les parois d’une église du pays.

[1914-07-09] Les Arts §

Paris-Journal, 9 juillet 1914, p. 000.
[OP2 814-816]

L’Effort libre, sous sa rubrique des « Lectures », publie une belle page d’Ernest Hello sur la critique :

« Celui qui peut dire à un travailleur inconnu : “Mon enfant, tu es un homme de génie !”, celui-là mérite l’immortalité qu’il promet. Comprendre, c’est égaler, a dit Raphaël.

« Le champ de la critique est plus large qu’on ne le croit généralement. Elle n’est pas bornée à la culture de tel ou tel arbre. La nature est son domaine. Elle doit être partout où il y a une grandeur en péril. Elle a passé le cap de Bonne-Espérance avec Vasco de Gama. Tous les accents, toutes les harmonies sont permises à sa parole ; il lui est permis d’aimer, il lui est permis de soutenir. Elle avait sa place près de Christophe Colomb cinq minutes avant que le cri : “Terre ! Terre !” n’ait retenti sur le pont du navire béni. Voilà même sa vraie place ; voilà son labeur, sa destinée, sa gloire. Fidélité ! fidélité ! voilà sa devise triomphante. La fidélité, c’est la durée conquise enfin par l’enthousiasme. La critique doit être fidèle comme la postérité, et parler dans le présent la parole de l’avenir.

« La critique doit commencer, près de l’homme qui attend, le rôle de l’humanité, et préluder au concert que feront sur la tombe ses descendants. »

Ceux qui ont conçu la critique selon ce qu’en dit avec tant de bonheur Ernest Hello peuvent se réjouir, car jamais, je crois, on n’a envisagé de façon plus élevée leur rôle dans l’art et parmi les artistes.

Lettre de Londres

Nous recevons la lettre suivante :

« Les expositions de peinture à Londres ne sont pas très fameuses en ce moment. Le meilleur peintre anglais est le vieux John, peintre à l’ancienne manière, mais qui a du talent. Il y a encore Lamb qui est son disciple.

« Sans être encore ni très personnels, ni très intéressants, les peintres anglais vendent beaucoup et très cher. Les membres de la Société et surtout les dames tiennent à honneur de soutenir les artistes. Le mécénat est florissant en Angleterre.

« L’exposition de Holland Park, qui est, pour ainsi dire, l’Exposition des indépendants de Londres, amène un peu d’agitation artistique, mais de façon bien pâle. Ce qu’on y voit de mieux au point de vue sculpture, c’est l’envoi de Zadkine qui expose des sculptures en bois et un groupe de pierre : Sainte Famille. Zadkine est un artiste de talent et sa technique est très intéressante. Il a un sentiment profond de la sérénité plastique.

« Il y a encore dans la sculpture l’envoi d’Henri Gaudier-Brzeska. Le reste de la sculpture est un amas d’imitations de Rodin, de Maillol et du plat académisme.

« Dans la peinture, il y a les envois de Kandinsky, très moderne, de Phelan Gibb, qui s’efforce dans la bonne voie et de A. de Souza Cardoso, qui a du talent, de l’audace et de la grâce.

« Il faut encore citer parmi les exposants possibles, et parfois intéressants de Holland Park : Karl Hagedorn,

Nevinson, Volmark, Miss Rowiey, Leggett, Horace Brodszky, Miss Hammon, Mme R. Fuich, Mme Karlowska, Beran, Gilman, Ginner.

« L’Art rebelle a un stand, l’Omega Shop a décoré une petite section dirigée par Roger Fry, compositions de Duncan Grant, Phelan Gibb et Rogger Fry. »

André Rouveyre

À propos du portrait de Rémy de Gourmont par André Rouveyre, Mme Muriel Ciolkowska étudie l’œuvre du curieux et vigoureux dessinateur dans The Egoist et reproduit les portraits de Sarah Bernhardt, d’Henri Bergson, de Mme Curie, de Mme Simone et de Gaby Deslys.

« Quand Rouveyre se trouve vis-à-vis d’un modèle comme Rémy de Gourmont, l’impression charnelle, qui prévaut dans beaucoup de dessins, est réduite à son minimum… Les lignes grasses y servent la matérialité et les plus fines, l’idéal. »

[1914-07-10] Les Arts §

Paris-Journal, 10 juillet 1914, p. 000.
[OP2 816-819]

Dessins d’Arthur Rimbaud §

On a déjà publié beaucoup de dessins d’Arthur Rimbaud ; ils sont très amusants, très singuliers, et rappellent par certains côtés de déformation expressive plutôt que caricaturale les dessins de Gogol dont j’ai vu la reproduction dans une édition de ses œuvres complètes.

La Nouvelle Revue française publie la description due à la plume de M. Paterne Berrichon, de quelques dessins ornant trois lettres inédites d’Arthur Rimbaud. J’aurais aimé voir la reproduction des dessins mêmes, mais il faut savoir se contenter.

« Dessin à la plume. Dans le ciel, un petit bonhomme avec une bêche en ostensoir et ces mots lui sortant de la bouche : “Ô nature, ô ma sœur.” Par terre, un bonhomme plus grand, en sabots, une pelle à la main, coiffé d’un bonnet de coton, dans un paysage de fleurs, d’herbes, d’arbres. Dans l’herbe, une oie avec des mots lui sortant du bec : “Ô nature, ô ma tante !” »

Voici un autre dessin à la plume :

« Le hameau de Roche, ou de la maison où a été écrite la Saison en enfer et où les exemplaires de la brochure livrés par l’imprimeur ont été détruits. En bas du dessin, ces mots : “Laïtou, mon village.” »

Et enfin, ce troisième dessin à la plume :

« En haut de la lettre, à gauche, une maison de quatre étages protégée par une clôture et entourée d’arbustes ; une voiture d’où sort un petit bonhomme empressé, arrêtée devant ; sous le tout, en biais, ces mots : Wagner verdammt in Ewigkeit ! expectorés par un personnage fantastique occupant toute la marge de gauche.

« Au bas de la lettre, un paysage de ville où se voient, à gauche, des pieux et des bouteilles formant oriflamme, sur lesquels sont écrits ces mots : Riessling, fliegende, Blätter ; et, de gauche à droite, une espèce de cirque avec, en dessous, des sortes de montagnes et encore en dessous, ces mots : vieille ville ; puis, des maisons avec des squares, des arbres, un tramway qui roule vers le haut et en tournant, et encore plus haut, des étoiles et un croissant noir. Tout ce fouillis de Riess, Riessling en lettres capitales. »

Il est à souhaiter qu’on réunisse ces dessins à la plume dans un album qui ne manquera point d’avoir un vif succès auprès des rimbaldiens dont le nombre est de plus en plus grand de par le monde.

Un autobus pour les artistes §

Montparnasse est dans le désarroi. Il paraît qu’on a décidé de supprimer la ligne Opéra-Parc Montsouris qui était bien commode pour les nombreux artistes, peintres ou sculpteurs qui habitent ce quartier.

Des listes de pétition circulent. Il est probable qu’à la Compagnie on est mal renseigné, car on ne songerait pas, sans cela, à supprimer une ligne qui rend tant de services à une population très digne d’intérêt.

Art moderne américain §

La 1re Exposition d’art moderne américain, qui a lieu à la galerie Levesque, 109, faubourg Saint-Honoré, comprend les œuvres de Bryson Burroughs et d’Ernest Lawson.

Le premier de ces artistes est un amant de l’Antiquité. On sent en lui l’influence d’Alma Tameda, de Bouguereau, de Jérôme, des préraphaélites, Boecklin et de Luc-Olivier Merson. Il en résulte un art froid et maniéré qui sent l’université de Boston.

En somme, du pur académisme. Et M. Burroughs est encore bien loin de Puvis de Chavannes qu’il a choisi pour son maître. Il est loin également des Florentins avec lesquels il ne lui déplairait point d’avoir des analogies.

Ernest Lawson est plus près de la nature : « Pas de complications chez Lawson. Il ne s’embarrasse ni de science ni d’érudition. Il est simple. Il cherche à être vrai », dit M. André Dezarrois qui a écrit deux préfaces pour le catalogue de cette exposition, une pour chaque artiste.

Et M. Dezarrois dit encore :

« Lorsqu’il habitait Moret, il rencontrait souvent Sisley, vieilli, malade, fuyant les artistes ; ce charmeur des printemps clairs n’a pas eu d’influence sur lui. » C’est dommage ! car l’influence du grand impressionniste n’aurait pas manqué d’être salutaire sur l’amant du paysage qu’est M. Lawson.

M. Léon Bénédite a écrit pour ce catalogue une préface générale où il est dit que « d’ingénieux amis de France et d’Amérique ont eu l’heureuse idée de nous faire connaître, chaque année et par petites tranches, la production des artistes les plus originaux qui se développent dans la grande étendue des États-Unis. On ne peut que les féliciter et les remercier ».

Une défense du divisionnisme §

M. Fernand Léger ayant attaqué le divisionnisme dans sa conférence sur « Les Réalisations picturales actuelles », le peintre Édouard Fer, qui étudie avec un soin scientifique îa question de la lumière et des couleurs, prépare une réponse qui sera passionnée de l’art de Seurat, de Cross et de Signac.

[1914-07-11] Les Arts §

Paris-Journal, 11 juillet 1914, p. 000.
[OP2 819-821]

Une enquête de « Gil Blas » §

L’aimable directeur de Gil Blas, M. Pierre Mortier, demande à quelques artistes, à quelques écrivains de lui dire quels sont les trois tableaux de musée anciens ou modernes qu’ils préfèrent.

L’enquête est piquante et le plaisir des lecteurs de Gil Blas sera vif lorsqu’ils en connaîtront les résultats.

Pour ma part, je les attends avec impatience. Trois tableaux ! Et les musées en regorgent ! Trois tableaux ! Et de nouveaux musées se fondent tous les ans ! Trois tableaux ! Et pour le bonheur de l’humanité, le nombre de ceux qui se livrent aux merveilleuses récréations de l’esthétique augmente chaque jour.

Il est vrai que, d’autre part, trois tableaux c’est beaucoup et que lorsqu’on examine la question on voit bien qu’on ne saurait en aimer plus de trois et encore.

De même en amour. On peut trouver beaucoup de femmes à son goût ; il en est une seule que l’on aime et ce n’est pas toujours celle que l’on préfère.

Un album parisien §

Mme Gerda Wegener prépare un album bien parisien qui lui a été commandé par une revue de modes dont l’abonnement est hors de prix.

Mme Wegener, jeune femme frêle et spirituelle, est la fille d’un pasteur protestant de Copenhague. C’est pourquoi cette petite Danoise a signé dans La Vie parisienne, à Fantasio, etc., des dessins gracieux et pas bégueules qui lui ont valu de jolis succès et un brevet de parisianisme dont la commande de l’album n’est que l’entérinement.

On verra toutes sortes de choses dans cet album dont Maurice Donnay, le plus parisien, le plus chanoiresque des académiciens, écrit le texte. On y verra les visages les plus parisiens de tous les mondes et même des demis, on y verra jusqu’à quelques coins de fumeries.

Mme Wegener, fatiguée de ses travaux, ne part cependant pas à la campagne afin de préparer l’album. Hier, dans une maison amie, cependant qu’un nègre jouait sur un bizarre instrument une musique glougloutante et monotone, elle croquait pour le faire figurer dans son album le plus cruel et le plus sensible des maîtres actuels du crayon, André Rouveyre, qui, délaissant Fontainebleau, erre dans Paris estival avant de partir pour Le Fayet d’où il reviendra afin d’assister à la grande semaine de Deauville.

André Dunoyer de Segonzac §

On commence en Angleterre à étudier avec soin les peintres français. J’ai sous les yeux une étude de Mme Muriel Ciolkowska, parue dans The Egoist et concernant le peintre Dunoyer de Segonzac. Cette étude est ornée de deux dessins représentant Isadora Duncan dansant.

M. Choquet §

Dans les dernières Soirées de Paris, Ambroise Vollard raconte l’histoire des relations de Cézanne avec M. Choquet, qui fut le premier collectionneur de Cézanne et, par conséquent, un homme d’un goût élevé. Je viens de voir une photographie du portrait que Cézanne avait fait de M. Choquet : cheveux en l’air et touffus, grand front, visage long et émacié, nez aquilin. C’est un portrait de premier ordre dont je ne me souviens pas d’avoir vu l’original.

Architecture moderne §

On ne trouve guère aujourd’hui une architecture d’expression moderne qu’à Vienne, à Prague et à Barcelone. Les nouvelles constructions de Barcelone sont les plus saisissantes, les plus imprévues. Elles sont dues à des architectes catalans dont les audaces, si elles ne sont pas toujours heureuses, ne sont jamais sans intérêt. La ferronnerie est très développée à Barcelone et, de ce côté, on a forgé des choses très inattendues.

[1914-07-11] Point final (Paris- Journal, 11 juillet 1914) §

[OP2 983-984]
Monsieur le Rédacteur en chef,

Dans sa dernière lettre, Barzun n’oublie qu’une chose, c’est que la tentative de Jules Romains a été tentée, tandis que dans un cas où lui, Barzun, semble réclamer la priorité, il n’a, lui, Barzun, rien tenté du tout.

La critique est aisée et l’art est difficile,dit le vers fameux de Destouches.

« L’Église » est un beau poème, très simple et très humain, et sa récitation polyphonique ne le fut pas seulement dans la suite des quatorze vers. Mais, précisément, dans ces quatorze vers, les voix prononcèrent simultanément les paroles diverses de la polyphonie.

Quant à la modestie de cette première tentative, elle n’a rien qui doive étonner. De plus grandes inventions ont connu des débuts plus modestes encore.

Au lieu de faire de la stratégie littéraire, Barzun ferait mieux de faire de beaux poèmes. Et s’il a, en effet, le talent que je lui crois, les joies qu’il nous réserve seront bien vives et pour ma part je le louerai encore.

[1914-07-13] Les Arts §

Paris-Journal, 13 juillet 1914, p. 000.
[OP2 821-823]

Anton Gaudi §

Anton Gaudi est un architecte catalan dont les édifices ont transformé Barcelone. C’est un des architectes modernes les plus personnels. Il a porté très haut, entre autres choses, l’art des terrasses et de tout ce qui se trouve en général sur les toits des maisons, donnant ainsi à la ville cet aspect tumultueux et animé que la plupart des constructions dites modernes faisaient perdre.

La maison Mila est une des œuvres les plus complètes et les plus sympathiques qu’il ait achevées.

Il serait utile que l’on connût ici cet architecte. Le Salon d’automne qui, dans sa prochaine exposition, va accueillir le plus grand architecte viennois devrait aussi nous faire connaître Anton Gaudi et les architectes catalans, en même temps que les architectes tchèques et les architectes des gratte-ciel américains ; ces derniers sont, je crois, des élèves de l’École des beaux-arts. Ils ont bien profité de l’enseignement qu’ils ont reçu ici. Il serait juste qu’on nous les fît connaître.

« Lacerba » §

Le dernier numéro de Lacerba contient des paroles en liberté du peintre Carrà, sur le café d’Harcourt. Il y en a trop et après tout ce n’est pas très amusant. On aimera mieux la reproduction de son tableau avec reliefs et coupures de journaux intitulé Synthèse circulaire des objets. À vrai dire, cela vient de France (Picasso et Braque). On verra aussi avec curiosité la reproduction d’un tableau de Severini, Danse serpentine, qui est une sorte d’idéogramme un peu trop compliqué et manquant de fatalité.

À la dernière page, un excellent portrait de Soffici par Carrà.

Mercereau et Larionov §

Dernièrement, se sont rencontrés le peintre russe Michel Larionov et Alexandre Mercereau. Ce fut l’occasion de se rappeler les souvenirs des premiers temps où l’on s’intéressa en Russie à l’art moderne français. Michel Larionov en ayant parlé avec le directeur de la revue La Toison d’or, M. Riabouchine, celui-ci fit venir en Russie Alexandre Mercereau, qui organisa des expositions d’art français et fit connaître aux Russes Henri Matisse et tous les fauves.

La dernière photographie de Renoir §

J’ai vu, hier, la dernière photographie de Renoir, le plus grand peintre vivant. Il est assis dans un fauteuil canné dans son atelier ; derrière lui paraissent quelques toiles retournées, à sa gauche et au dernier plan, une armoire de campagne.

De sa main gauche, Renoir s’agrippe au fauteuil, la droite est appuyée sur son genou gauche. Ses jambes sont croisées, la gauche sur la droite. Il porte pantalon noir, veston gris, cravate à pois, casquette. Ses yeux brillent, étonnamment expressifs, et semblent absorber toute la beauté de la vie.

Le « Cézanne » d’Ambroise Vollard §

La grande édition du Cézanne d’Ambroise Vollard contiendra une eau-forte originale du maître aixois. On sait que Cézanne n’a fait que trois eaux-fortes et deux lithographies.

Futurisme §

L’exposition futuriste de Naples est maintenant fermée.

On discuta beaucoup autour des tableaux exposés. Marinetti, Cangiullo, Balla, Sprovieri et Jannelli firent des conférences. Luciano Folgore raconta des tas d’indiscrétions sous le titre : Dans les hangars du futurisme et ces indiscrétions provoquèrent, dit-on, un bruit infernal.

Hugo à Lisbonne §

Bernstamm, le sculpteur du Flaubert de Rouen, vient de rentrer en Russie, où il a présenté au tsar Nicolas II une statue colossale de Pierre le Grand. Cette statue doit être érigée à Poltava. Elle ne mesure pas moins de 4 mètres de hauteur.

L’artiste, en outre, a reçu du tsar la commande d’un monument à Alexandre III pour l’emplacement duquel on a déjà choisi un coin du jardin Mihelc, à Saint-Pétersbourg.

La statue de Victor Hugo — reproduction exacte de l’œuvre de Jean Boucher — sera inaugurée, au printemps prochain, à Lisbonne.

Francis Picabia §

Francis Picabia a achevé récemment deux grands tableaux pour le Salon d’automne, Mariage comique et Je revois par le souvenir ma chère Uranie. Il va se mettre à Horrible douleur qui complétera son envoi.

[1914-07-14] Les Arts §

Paris-Journal, 14 juillet 1914, p. 000.
[OP2 824-826]

Nouveaux peintres §

C’est en 1912 que j’ai eu l’occasion de dire à quelques jeunes peintres comme Chagall, comme G. De Chirico : « Allez de l’avant ! Vous avez un talent qui vous désigne à l’attention ! »

On s’occupe, en ce moment, de Chagall dans divers pays et l’article de Canudo dans Paris-Journal d’hier montrait qu’on s’en occupe même en France.

Il en est de même pour G. De Chirico, dont l’art est plus dépouillé, plus subtil, plus antique, mais bien plus neuf encore.

Oyez ce qu’en écrit Soffici, dans Lacerba :

« Figurez-vous un peintre qui, au centre enflammé de recherches sans cesse plus hasardeuses…, continue à peindre avec la calme application d’un vieux maître solitaire, une sorte de Paolo Uccello amoureux de sa divine perspective et insensible à tout ce qui n’est pas sa belle géométrie. J’ai écrit le nom de Paolo Uccello sans aucune intention d’établir une ressemblance essentielle.

« G. De Chirico est, par-dessus tout, absolument moderne et si la géométrie et les effets de la perspective sont les éléments principaux de son art, ses moyens ordinaires d’expression et d’émotion, il est vrai aussi que son œuvre ne ressemble à aucune autre, antique ou moderne, formée sur des éléments. La peinture de Chirico n’est pas peinture dans le sens que l’on donne aujourd’hui à ce mot.

« On pourrait la définir une écriture de songe. Au moyen de fuites presque infinies d’arcades et de façades, de grandes lignes droites, de masses immanentes de couleurs simples, de clairs et d’obscurs quasi funéraires, il arrive à exprimer, en fait, ce sens de vastitude, de solitude, d’immobilité, d’extase [que] produisent parfois quelques spectacles du souvenir dans notre âme quand elle s’endort. G. De Chirico exprime comme nul ne l’a encore fait la mélancolie pathétique d’une fin de belle journée dans quelque antique cité italienne où, au fond d’une place solitaire, outre le décor des loggias, des portiques et des monuments du passé, un train passe en vomissant des bouffées de fumée, un camion de grand magasin stationne et une très haute cheminée fume dans un ciel sans nuage. »

C’est là un des côtés de l’art chiriquien et déjà il s’en est révélé d’autres sur lesquels je tâcherai d’attirer l’attention un de ces jours.

Le socialisme et l’art §

Lacerba publie la très intéressante note suivante qui contient des vérités aussi bonnes à dire en France qu’en Italie :

« Vous êtes-vous aperçus qu’une forme révolutionnaire d’art ne rencontre jamais plus de résistance, plus d’inimitié que dans les milieux dits subversifs.

« Lisez quelque écrit d’un socialiste sur le symbolisme, sur l’impressionnisme, sur le cubisme, sur l’orphisme, sur le futurisme. Vous y sentirez du mépris, de la haine et, dans le meilleur cas, de la compassion. C’est un phénomène étrange, mais c’est ainsi. Le révolutionnaire est en fait d’art plus conservateur et plus rétif que le bourgeois. Le Corriere della Sera rit, plaisante quand il se trouve devant un génie novateur. L’Avanti détourne la face, horrifié et dégoûté.

« Et c’est peut-être cette aversion, contre l’art vivant, ce manque de sensibilité qui trahit le mieux l’essence plébéienne (je ne dis pas populaire), basse, vile, viscérale du socialisme, qui dénote son caractère souterrain et ultra-bourgeois. Et le socialisme est-il autre chose qu’un bourgeoisisme poussé jusqu’à la religiosité ? »

Il est vrai qu’en France, il commence à y avoir parmi les socialistes quelques esprits plus libres comme, par exemple, Marcel Sembat.

Charles Morice et Gustave Moreau §

Charles Morice publie dans La Revue du temps présent un important article sur l’enseignement de Paul Adam qui forma des peintres comme Rouault, Matisse, Guérin,

Manguin, Desvallières, Piot, Morisset, Dabadie, Du Gardier, etc.

« Un homme, dit Charles Morice, qui ne fut sans doute pas un très grand artiste, mais qui fut un très grand esprit, le dernier en date de ces “instituteurs” excellents, dont l’espèce est perdue, qui s’assignaient la grande tâche de développer le talent de leurs élèves selon les instincts qu’ils discernaient entre eux, Gustave Moreau, dans le temps même où les nouveaux artistes pratiquaient exclusivement le recours à la nature, entreprit de rappeler les jeunes gens aux principes. Moreau disait aux artistes qui l’écoutaient — et parmi lesquels, je l’ai dit, s’inscrivaient quelques-uns des meilleurs, actuellement, et des plus renommés de nos artistes : “Je suis un pont sur lequel vous passerez tous.” Et ce pont commandait les voies les plus divergentes, adressant les uns à M. Ingres et les autres à Toulouse-Lautrec, sans jamais les tromper sur leur destination naturelle. Par malheur, l’exemple du maître était moins bon que son enseignement. Les principes auxquels, pour son compte, il s’arrêtait étaient ceux du romantisme aggravé de la Renaissance et compromis en outre d’une prédilection personnelle pour la matière riche, grâce à quoi il put, un instant, éblouir les yeux, mais par quoi il ne tarda pas à désintéresser les esprits. Et puis, il confondait l’œuvre décorative et l’œuvre de chevalet en réduisant celle-là aux proportions de celle-ci…

« Moreau n’en a pas moins eu, sur les esprits qui étaient jeunes en 1890, une influence profonde et durable. Pas un de ses élèves qui ne parle de lui, aujourd’hui encore, avec une gratitude émue. »

[1914-07-15] Les Arts §

Paris-Journal, 15 juillet 1914, p. 000.
[OP2 826-828]

Le rythme coloré §

J’avais prévu cet art qui serait à la peinture ce que la musique est à la littérature. L’artiste qui s’est donné la peine de le faire naître s’appelle Léopold Sturzwage. Il vit dans un sixième à Montrouge. Il a communiqué les caractéristiques de son idée à l’Académie des sciences et cherche une société cinématographique disposée à faire les frais des premières tentatives d’orchestration colorée.

On peut comparer le rythme coloré à la musique, mais les analogies sont superficielles et il s’agit bien d’un art autonome, ayant des ressources infiniment variées qui lui sont propres.

Il tire son origine de la pyrotechnie, des fontaines, des enseignes lumineuses et de ces palais de féerie qui, dans chaque exposition, habituent les yeux à jouir des changements kaléidoscopiques des nuances.

Nous aurons ainsi hors de la peinture statique, hors de la représentation cinématographique un art auquel on s’accoutumera vite et qui aura ses dilettantes infiniment sensibles au mouvement des couleurs, à leur compénétration, à leurs changements brusques ou lents, à leur rapprochement ou à leur fuite, etc.

Nul doute que le nom de Léopold Sturzwage à qui nous devons une nouvelle muse ne devienne bientôt illustre.

Kees Van Dongen §

La Revista nova, de Barcelone, publie en français l’« Avant-propos capricieux » que Kees Van Dongen a écrit pour le catalogue de son exposition de décembre 1911.

La revue catalane publie en même temps plusieurs reproductions d’après les œuvres de Van Dongen : un Portrait de petite fille, le Canal gelé, un Portrait de femme et Mœurs londoniennes.

Blast §

Ce mot en caractères d’affiches sur une couverture violette est le titre d’une nouvelle revue anglaise consacrée à l’art rebelle qui semble procéder avant tout de Picabia.

Beaucoup de reproductions d’Edward Wadsworth, Windham Lewis, etc.

Il y a des vers, un article sur Picasso, des bénédictions à la France et un appel à l’exploitation de la vulgarité en art.

Les Anglais commencent donc à entrer tout de go dans le mouvement moderne d’art et de littérature.

Une école des Beaux-arts à Madagascar §

Nous recevons l’intéressante lettre que voici :

Case Rama, Combs-la-Ville (Seine-et-Marne).

Bravo pour votre écho de Paris-Journal. Comment, ça ne leur suffit pas les navets du fameux musée de Tananarive ? Des Hovas ils ont fait des singes ; vont-ils toucher aux autres races — surtout à ces âpres et vigoureux Sakalaves qui forgent les armes, sculptent les idoles, ont leurs mystères rituels, en dehors des sorciers, et dont nous ne connaissons que certains gestes encore ? Je vous montrerai un jour une peinture gardée par mes parents — une femme sur un radeau, peint sur raphia — et qui vous enchantera. Mes parents y tiennent tellement que je ne l’aurai jamais à moi, mais quelle fraîcheur dans le dessin.

Affectueusement vôtre.

Maurice Verne.

[1914-07-16] Les Arts §

Paris-Journal, 16 juillet 1914, p. 000.
[OP2 828-830]

Forain à l’Institut §

On a signalé la présence de Forain aux funérailles de Gabriel Ferrier. On en a tiré comme conclusion que le grand dessinateur posait ainsi sa candidature à l’Institut.

L’Académie des beaux-arts ne perdrait rien, si elle appelait à elle quelques-uns des plus importants d’entre les artistes vivants.

Forain est un des plus illustres, c’est aussi un de ceux qui ont le plus d’influence sur la jeunesse artistique et qui gardent le plus d’autorité sur un public d’élite. Sa place est donc bien à l’Académie où l’on voudrait voir encore Rodin, Renoir, etc.

Leur gloire manque à l’Institut. C’est pourquoi il se peut bien que ces souhaits académiques ne se réalisent point, et que Forain lui-même, malgré sa présence aux funérailles d’un membre de l’Institut, n’ait jamais songé à poser sa candidature à l’Académie des beaux-arts.

Picasso et le peintre d’Avignon §

Picasso peignait sur le pont d’Avignon. Un vieux peintre comtadin vint à passer. Il regarde d’abord avec curiosité cette peinture si rare, si élevée et si réaliste à laquelle il n’était pas habitué ; puis, avant de partir, il s’adresse à l’initiateur de la peinture nouvelle :

« Il y a du mérite là-dedans, tout le monde ne pourrait pas faire ça. C’est bête comme chou, mais ça doit être très difficile. »

Illustrations pour « Le jardin des caresses » §

Chez Piazza on vient d’exposer les miniatures originales peintes à la gouache par M. Léon Carré et destinées à illustrer Le Jardin des caresses, le beau livre poétique de Franz Toussaint.

Patios d’allées que rafraîchit un jet d’eau, sultanes nues, fruits et fleurs, biches apprivoisées, paysages dignes des Mille et Une Nuits.

Mort de M. Fernand Desmoulin §

Nous apprenons la mort de M. Fernand Desmoulin, le peintre et graveur bien connu, décédé presque subitement, à Venise. Né en 1853, à Javerlhac (Dordogne), Fernand Desmoulin s’adonna de bonne heure à la peinture et à la gravure ; il exposa à la Société nationale des beaux-arts où il obtint diverses récompenses : une mention en 1885, une médaille en 1889.

Familier du groupe d’artistes et d’amis qu’avait réuni autour de lui Émile Zola, Fernand Desmoulin s’était occupé d’œuvres philanthropiques et sociales, et particulièrement de la moralisation des détenues femmes à la prison Saint-Lazare.

Maurice Marinot §

On connaît ces verreries richement et simplement décorées que Maurice Marinot expose aux Indépendants et au Salon d’automne. Leur succès a été rapide. On parle de la verrerie et des idées de Maurice Marinot, en France, aussi bien qu’à l’étranger.

La revue catalane Revista nova consacre à Maurice Marinot son dernier numéro. Reproductions, articles, tout concourt à mettre en valeur ce jeune artiste français.

Il y dépeint son art lui-même :

« La décoration du verre par les émaux est un procédé ancien que j’ai voulu rénover parce que je considère qu’il est tout à fait propre à faire valoir les qualités du verre qui sont l’éclat et la transparence ; j’ai, je crois, agrandi la gamme des émaux, car j’ai désiré, dès le début, aviver l’éclat et la transparence du verre non seulement par les différentes opacités, translucidités ou transparences des émaux, mais encore par l’éclat de leurs couleurs. Les idées que j’ai sur l’art du verre sont naturellement les mêmes que celles que j’ai sur la peinture même.

« Peinture et verrerie, pour moi, partent du désir et de la joie de créer, par la forme et par la couleur, des œuvres dont la naissance est une sensation, dont l’aboutissement est une réalisation raisonnée et ordonnée. Il faut ajouter à la fraîcheur toute sensuelle de l’impression et du désir primitif la séduction de l’ordre qui plaît à l’esprit. »

[1914-07-17] Les Arts §

Paris-Journal, 17 juillet 1914, p. 000.
[OP2 831-833]

Emblèmes hermétiques §

Le docteur Marc Haven vient de publier, réédité pour la première fois et précédé d’une introduction, un livre qui, outre son sens profond, est en même temps un très beau livre d’images.

Il l’a intitulé : Le Livre d’images sans paroles (Mutus liber) où toutes les opérations de la philosophie hermétique sont décrites et représentées.

L’introduction nous enseigne qu’aucun livre d’emblèmes hermétiques ne saurait être comparé au Mutus liber que Stanislas de Guaïta et Poisson considéraient comme un joyau.

Ce recueil très précieux serait l’œuvre de Soulat qui s’est caché sous l’anagramme d’Altus.

Dans ces belles planches qui sont parmi les plus nobles de la gravure française, on trouve, clairement exprimés, le choix de la matière première, la conjonction du Soleil et de la Lune, l’intervention du Flos coeli, l’action de Mars, de Saturne, dévorant son enfant, de Mercure, les différentes couleurs de l’Œuvre jusqu’à l’obtention de la Pierre au rouge, puis la projection et la multiplication. Toute la sagesse des adeptes anciens éclate en ces planches dont l’édition principale parut en 1677 et dont la réédition fait le plus grand honneur au docteur Marc Haven.

D’ailleurs, pas plus que Soulat, le docteur Marc Haven ne dévoile les secrets du Grand Œuvre aux profanes. À chacun de les apercevoir lorsque l’heure est venue.

Art nègre §

Le dernier bulletin, le Souvenir africain contient des vues sur la dernière exposition d’art nègre qui intéresseront tous ceux, combien nombreux aujourd’hui, qui goûtent cet art profond, décoratif et passionné…

« On penserait, dit M. Carlos Fischer, que les indigènes de l’Afrique tiennent à conserver leurs chers fétiches pardessus tout. Mais non. Ils les cèdent très volontiers, à titre onéreux. Le révérend père Maurice s’aventura récemment au cœur des régions congolaises que seuls Stanley et deux autres explorateurs avaient traversées avant lui ; il découvrit dans quelques cases des groupes entiers de petits fétiches en ivoire, exquis de naïveté, que les siècles avaient recouverts d’une patine d’or incomparable. Eh bien ! les nègres qui vivaient sous leur loi parurent exactement informés de la valeur européenne de ces minuscules divinités — qui figurent en ce moment rue d’Astorg — et les vendirent au missionnaire pour une somme très élevée. C’est à croire que ces sauvages sont de mèche avec les antiquaires de Paris ou de Londres ! Si l’on retournait chez eux ces temps prochains, ils vous diraient sans doute les prix de la dernière vente du marquis de Biron.

« Les Arabes et les Berbères n’égalent pas, comme “bibeloteurs”, ces Noirs si bien renseignés, mais ils ne peuvent travailler quelque objet que ce soit sans le former avec art et l’orner avec un goût charmant : les mors de chameau mêmes, et j’entends la boucle d’acier enfouie sous l’écume, entre les dents de l’animal, sont gravés de fins ramages, et plus délicatement que ces bagues maures dont le chaton volumineux fait une vraie pyramide sur l’annulaire. Et que les armes sont belles ! On admire, rue d’Astorg, des épées du type médiéval et des poignards de chef, au manche d’ivoire, dont le fourreau ciselé s’attache à une cordelière fleur-de-pêcher et dont la lame damasquinée dessine une courbe si jolie que ce doit être une vraie consolation, le cas échéant, de mourir sous le coup d’une arme si riche et si gracieuse. Et vous verrez aussi, d’un œil envieux, une poétique arquebuse, incrustée de rinceaux d’or ; la crosse porte une large feuille de vieil argent, gravée d’œillets et de roses : on presse un bouquet dans sa main en tirant sur l’ennemi.

« Les indigènes de l’Afrique centrale copient, eux, leurs fers de lance sur les feuillages aquatiques. Ces crocs de métal s’allongent ainsi que des plantes posées sur l’eau : une collection de ces sagaies multiformes et de ces lames de jet ramifié comme des branches de verdure intéresse, chez nous, à la fois le militaire, l’amateur d’armes et le botaniste. De l’une à l’autre, on passe à la fois toute la flore des marais et des rivières du Chari ou du Gabon. »

Un recueil de Bernard Naudin §

Bernard Naudin va enfin publier bientôt son Villon qui est impatiemment attendu et auquel il travaille depuis plusieurs années.

Le texte et les gravures, tout est dû au burin de Bernard Naudin. Ce sera sans aucun doute son œuvre la plus importante.

[1914-07-18] Les Arts §

Paris-Journal, 18 juillet 1914, p. 000.
[OP2 833-835]

Le musée du Trocadéro §

Le musée d’ethnographie du Trocadéro est un des plus importants qui soient à Paris, c’est aussi un des plus sacrifiés. On le visite avec peine de rares fois dans la semaine et toute la partie relative aux provinces françaises, si bien commencée, n’a pas été continuée et est à peine entretenue.

Cependant les arts populaires nationaux ou exotiques sont de plus en plus étudiés, ils prennent aussi de plus en plus d’importance aux yeux des artistes eux-mêmes qui aiment y retrouver les éléments plastiques les plus spontanés, les trouvailles décoratives les plus heureuses.

Ce musée dont les collections africaines, mexicaines, péruviennes et océaniennes sont si riches devrait être augmenté. Il ne serait pas de trop de tout le palais du Trocadéro pour loger tous les dons qu’on ne manquerait pas de faire à ce beau musée pour peu que les conservateurs voulussent faire appel à la générosité des collectionneurs et des voyageurs.

Les Allemands ont réalisé cela à Nuremberg où ils peuvent montrer avec orgueil ce qu’ils appellent, à juste titre, le Musée germanique.

Un Musée gaulois n’aurait pas moins d’importance, qui comprendrait les manifestations artistiques populaires non seulement de la France, mais de la Belgique et de la Suisse françaises, du val d’Aoste, des anciennes colonies françaises, Maurice, le Canada, la Louisiane, et aussi des vieilles colonies françaises, si riches de souvenirs créoles.

Une exposition à Moscou §

Les peintres russes de Paris organisent à Moscou une exposition où ils ont invité un grand nombre de peintres français de toutes les écoles.

Ces œuvres sont réunies en ce moment à Paris, 2, passage Dantzig, où on peut les voir avant leur départ pour la Russie.

Un poème artistique §

Un poète qui signe mystérieusement O’Zone, plongeur de la Closerie, m’a envoyé un curieux poème néo-impressionniste dont l’épigraphe est empruntée à André Gill :

Une espèce de la bémol, qui serait roux.

C’est là de l’audition colorée. Le joyeux O’Zone nous avertit aussi qu’un cygne passa

C’est là une description fantaisiste d’un imaginaire tableau médiéval et cubiste.

Or voici que surnage, éblouissante, une aile…
Silencieusement tout l’émail se craquelle.
Brisant sa rectiligne en courts zigzags l’éclair,
Ce Boutet de Monvel devient un Metzinger.
Le mur se débriquette ; un plan, dans un autre, entre.
Le gardien du castel, hagard, danse du ventre.
Un donjon polke ; un cippe attaque un rigodon.
L’escalier, déboîté, joue à l’accordéon…

Une exposition en Suède §

Le peintre futuriste Giacelli, qui est artiste de talent, va exposer une grande partie de son œuvre en Suède, de concert avec Mme Ström-Giacelli, qui expose un certain nombre de portraits d’actrices du théâtre du Vieux-Colombier.

M. Giacelli a su rendre d’une façon très personnelle le mouvement des places et des fêtes parisiennes.

[1914-07-19] Les Arts §

Paris-Journal, 19 juillet 1914, p. 000.
[OP2 835]

Les pompiers contre Cézanne §

M. Gustave Babin publie dans L’Illustration un article bien tendancieux sur la collection Camondo.

On pensait que le génie de Cézanne était enfin aujourd’hui indiscuté.

L’article de L’Illustration prouve le contraire. Cézanne y est traité comme un barbouilleur, lui qui est l’honneur de la peinture au xixe siècle et avec le Poussin, le Lorrain un des génies indiscutables de la peinture française.

Tant d’irrévérence est proprement incompréhensible. On se demande en lisant M. Babin quel intérêt peut bien avoir un Français à dénigrer un maître dont le talent a, plus qu’aucun autre, contribué à assurer la suprématie de l’art français contemporain sur ceux de toutes les nations.

Mais que M. Babin se rassure. Quand la collection Camondo sera au Louvre depuis cinquante ans, il y aura belle lurette déjà que d’autres Cézanne occuperont des places d’honneur dans les salles de peinture française et les toiles de la collection Camondo iront les rejoindre.

Mort de Max Rooses §

Au moment où nous annoncions le jubilé administratif de Max Rooses, le célèbre conservateur du musée Plantin, la ville d’Anvers prenait le deuil de cet éminent critique d’art. La mort l’a foudroyé au moment où les innombrables amis et admirateurs lui réservaient une apothéose digne de sa vie et de ses œuvres. La ville d’Anvers lui fera de solennelles funérailles.

Marius de Zayas §

Le caricaturiste le plus moderne, Marius de Zayas, se propose d’écrire un essai sur l’évolution de la forme à travers les âges.

Le poisson §

Quel est le peintre français célèbre, ni fauve ni coloriste, voyageant dernièrement en Russie, qui s’était arrêté devant une poissonnerie et y resta longtemps, regardant un vivier où nageait un énorme poisson ?

Au bout d’un quart d’heure le marchand s’approche :

« Vous désirez, monsieur ?

— Le prix de ce poisson !

— Cinquante roubles.

— Tuez le poisson. »

Et le poisson mort :

« Donnez m’en pour 20 kopeks », dit le peintre de son air le plus sérieux.

[1914-07-20] Les Arts §

Paris-Journal, 20 juillet 1914, p. 000.
[OP2 835-836]

Prenez garde à la peinture §

Il faut que les jeunes peintres français se méfient et n’envoient à l’étranger que si ceux qui les sollicitent d’exposer en Allemagne, en Russie, en Hollande ou en Italie prennent l’engagement de leur renvoyer leurs toiles aussitôt l’exposition finie.

Il n’est pas de jour où quelque jeune résidant à Paris ne me raconte qu’il a tous ses tableaux depuis un ou deux ans dans la collection ambulante de quelque manager de Berlin ou d’Amsterdam.

C’est gai !

Je me propose de dresser un de ces jours une petite liste des sociétés auxquelles, étant donné la lenteur de leurs gestes et l’impression de vie végétative qu’elles donnent, il vaut mieux ne rien envoyer.

Monotypes §

Mlle Krouglikoff, qui va sans doute faire une petite exposition de ses monotypes à Moscou, emporte avec elle une centaine de ces précieuses œuvres d’art, d’un métier particulièrement séduisant. Des natures mortes, des fleurs, et surtout des fleurs fanées, quelques scènes de genre, quelques paysages emporteront les suffrages de tous les amis des arts en Russie.

Au « Parthénon » §

Le Parthénon et sa charmante directrice-fondatrice : baronne H.-L. Brault, 11 bis, avenue de Suffren, ont inauguré samedi la section d’art de l’Université mondaine internationale, dont la belle revue bimensuelle indépendante est l’organe.

Le succès a été vif pour le directeur de la section, M. Jean-Gabriel Lemoine, qui a exposé son programme de conférences contradictoires sur : « Les Formes modernes de la plastique ».

[1914-07-21] Les Arts §

Paris-Journal, 21 juillet 1914, p. 000.
[OP2 837]

Un livre de Charles Morice §

Charles Morice vient de publier chez Vanier un petit livre plein de pensée.

Il l’a consacré à Quelques maîtres modernes : Whistler, Pissarro, Fantin-Latour, Constantin Meunier, Paul Cézanne.

Ces études sont en quelque sorte des nécrologies. Et Charles Morice ajoute :

« Les rendez-vous que la mort nous donne autour des grands tombeaux sont des invitations formelles aux méditations fortes. »

Ces oraisons funèbres souvent si pleines de sens font regretter que l’éminent écrivain d’art qu’est Charles Morice n’ait pas continué à poursuivre les formes éternelles de l’art dans des maîtres plus modernes encore que ceux qu’il a aimés et contribué à faire comprendre.

Exposition de sculptures nègres §

Il est question pour la saison prochaine d’une importante exposition de sculptures nègres dans une importante galerie de peinture.

Cependant, comme on annonce cette exposition depuis au moins trois ans, on peut rester sceptique.

Et il se peut que beaucoup d’eau passe encore sous les ponts avant que l’art africain reçoive la grande consécration parisienne.

[1914-07-22] Les Arts §

Paris-Journal, 22 juillet 1914, p. 000.
[OP2 838-840]

Le pauvre peintre juif et les chameaux §

La scène, qui m’a été racontée hier par un ingénieur français retour de Russie, se passe dans la capitale d’un gouvernement où il y a des Juifs et des troupeaux de chameaux.

Les chameaux poussaient toute la nuit leurs glouglous sonores et empêchaient de dormir la femme du gouverneur.

Celui-ci, afin d’assurer le sommeil de son épouse, fit couper la langue à tous les chameaux.

Or mon ami l’ingénieur avait découvert là-bas un pauvre peintre juif qu’il trouvait intéressant et lui avait commandé son portrait.

Il avait séance le lendemain du jour où le gouverneur avait fait couper la langue aux chameaux.

Il arrive et trouve le peintre en train de faire ses paquets.

« Vous partez ? lui demande-t-il.

— Et le plus vite possible, réplique le peintre.

— Mais, que deviendra mon portrait ?… pourquoi tant de hâte ?

— Je crois que, du moment qu’on a coupé la langue aux chameaux, il ne serait pas prudent à un Juif de séjourner ici.

— Et pourquoi cela ?

— Comment prouver que je ne suis pas un chameau ? »

L’histoire est authentique. Et le peintre est, paraît-il, parti pour New York, où ses coreligionnaires lui ont déjà fait de nombreuses commandes. Il n’y chômera point, car New York est aujourd’hui, dit-on, la ville juive la plus importante du monde.

Arturo Giacelli et Mme Ström-Giacelli §

C’est toujours avec un plaisir très vif que je signale à l’attention de ceux qui aiment les arts des talents nouveaux et probes qu’il m’est donné de rencontrer.

Il me semble que Arturo Giacelli est ; de ceux-là.

Les œuvres que j’ai vues de lui reflètent les impressions simultanées qu’il éprouve devant ce qu’il voit.

Villes tumultueuses aux places pleines d’enseignes et qu’enrubannent non seulement mille teintes qui passent, mais encore mille et mille bruits qui éclatent de toutes parts diversement colorés. Car ce qu’il y a peut-être de plus nouveau dans l’apport de Giacelli, c’est peut-être cette audition colorée qu’il s’efforce plastiquement de rendre sans bien s’en douter encore.

Puissent ces quelques lignes lui indiquer sa voie. Je la crois encore peu frayée.

Il y a dans les toiles de Mme Ström-Giacelli un sentiment délicat des lumières et des ombres au théâtre.

Ses portraits d’actrices ont l’art de nous révéler doublement la vraie personnalité de la comédienne et celle aussi des personnages qu’elle représente.

Il s’agit ici d’une psychologie très pénétrante et dont l’application aux portraits des particuliers non déguisés donnera sans aucun doute des résultats intéressants.

« Montparnasse » §

Le troisième numéro de Montparnasse vient de paraître. Il contient un bon Dessin pour le cirque, d’Albert Gleizes. C’est la maquette d’une grande toile qui doit figurer au prochain Salon d’automne. Le peintre y est étudié avec intérêt par M. Antoine Tholba.

Pierre Laprade §

L’ami de Cézanne, Joachim Gasquet, a donné aux Marges un bien joli portrait du peintre Pierre Laprade :

« À quatorze ans, Laprade copia, au musée de Montauban, une tête de l’école espagnole, que l’on attribue à Vélasquez.

« Chez Ingres, un Juif arriva, un soir, portant mystérieusement un lambeau de toile qu’il voulait montrer, vendre peut-être, au vieux peintre. Ingres admire, s’extasie.

« “Je l’ai coupée, dit le Juif, dans un grand tableau tout sali…”

« Le vieux maître bondit et, les poings crispés, marche sur lui, une telle menace dans les yeux que le malheureux s’enfuit, laissant la tête découpée sur le tapis. Il ne revint jamais la reprendre.

« C’est cette tête que Laprade a copiée. Je l’ai vue, dans son atelier, où elle est encore. C’est la seule de ses anciennes peintures qu’on y aperçoit. Il ne garde rien de son œuvre. Nul, plus que lui, n’est détaché de ce qu’il a fait. Il a le labeur sain et joyeux, acharné. Il brûle quantité de toiles et d’aquarelles, avec un beau sourire de laborieux pour qui le travail n’est jamais désespoir ni tourment. Il n’a pas dû passer une semaine (je n’ose pas dire un jour, et pourtant…) sans peindre, dessiner. La peinture est, chez Laprade, un état d’amour. »

[1914-07-23] Les Arts §

Paris-Journal, 23 juillet 1914, p. 000.
[OP2 840-842]

Dans les petits pots… §

La production des peintres modernes est, je crois, abondante à l’excès ; sauf les plus importants comme Picasso, Braque, Derain, G. De Chirico, etc., qui se soucient peu de répondre à la demande sans cesse grandissante, les autres (et surtout à l’étranger) entassent les toiles bien venues ou mal venues.

L’industrialisation devient un danger pour l’art moderne et les jeunes peintres trouvent, je crois, trop d’amateurs.

Il y a vingt ans, une grande toile de Renoir s’achetait chez les marchands pour 25 louis au plus. C’est ainsi que le Nu de Renoir, qui a été acheté par Rodin 25 000 francs, avait été vendu par le peintre, en 1895, 150 francs à un marchand qui fut heureux de le revendre 400 francs. Et Renoir avait dépassé la cinquantaine.

Que cela fasse réfléchir les jeunes peintres.

Qu’ils sachent aussi que Renoir, le plus grand peintre vivant, dont la moindre production est attendue par tout un peuple de marchands et d’amateurs, loin d’industrialiser son art, aime à se reposer en peignant sur de petits pots et ainsi il conserve toute sa fraîcheur.

Livres sur Cézanne §

Tandis que le Cézanne de Vollard s’achève sans hâte, M. Gustave Coquiot en prépare un autre.

Mais on attend avec impatience l’ouvrage que M. Joachim Gasquet consacre au grand peintre d’Aix, auprès de qui il a vécu pendant quinze ans.

À ce propos, on dit que M. Gasquet, qui possède un très grand nombre de lettres de Cézanne, songerait à en tirer les éléments de dialogues entre le maître et lui.

Ne vaudrait-il pas mieux que M. Gasquet publiât ses souvenirs auxquels il ajouterait tout simplement les lettres de Cézanne ?

K.-X. Roussel §

Ker Roussel travaille avec calme à L’Étang-la-Ville où son jardin a pour lui le charme que les sites siciliens avaient pour Théocrite.

Il est presque complètement remis de sa récente maladie.

« Revista nova » §

La revue catalane publie la reproduction de plusieurs sculptures du statuaire Andreotti et un très intéressant article de Joan Sacs sur la peinture murale.

Propos d’un isolé §

Architecte, critique d’art, président du Salon d’automne, M. Frantz Jourdain publie les Propos d’un isolé en faveur de son temps, qui paraissent chez Fasquelle. S’il y dit des choses très discutables sur « L’Art populaire et l’Évolution de l’art décoratif en Allemagne », par exemple, quelques-unes de ses réflexions sur « La Maladie du passé », « L’Architecture de demain », « La Faillite de l’art religieux » sont pleines d’aperçus nouveaux et intéressants.

Méditez ce qu’il dit du passé :

« En véritable fanatique, j’admire, au contraire, le passé — quand il est beau — mais je ne crois pas à la mort de l’humanité, et je garde la conviction que l’art se renouvelle constamment… Quelque colossale qu’apparaisse la Victoire de Samothrace, ce chef-d’œuvre formidable ne m’empêchera pas d’apercevoir les statues de Chartres, le Moïse d’Hans Stulter, l’Esclave de Michel-Ange, la Diane de Jean Goujon, les Cariatides de Puget, le Voltaire de Houdon, La Marseillaise de Rude et Les Bourgeois de Calais de Rodin… »

[1914-07-24] Les Arts §

Paris-Journal, 24 juillet 1914, p. 000.
[OP2 842-844]

Peintures populaires §

Le grand et légitime succès des peintures du Douanier Rousseau pousse maintenant les chercheurs de tous pays à rechercher les peintures populaires, les peintures paysannes. Il y en a de fort belles en France. M. Guillaume en possède de remarquables ; j’ai vu un véritable chef-d’œuvre de ce genre chez le peintre Maurice de Vlaminck, et Picasso a trouvé une nature morte anonyme qui est un morceau hors pair.

En Russie, on se met à ramasser aussi les témoignages de l’art paysan et en particulier les peintures populaires du Caucase. Le peintre Larionov en a déjà beaucoup ; le Dr Tzanck, l’amateur parisien bien connu, président de la Société odontologique de France, se propose aussi d’y aller, afin d’en rapporter. En France, en Italie, c’est Soffici qui réunit de remarquables produits de la peinture populaire italienne.

Toutefois, je crois que l’on aura de la peine à trouver un nouveau Douanier Rousseau dont l’art et la fraîcheur sont inimitables.

Mariage d’un modèle §

On dit que l’éditeur qui a servi de modèle à Albert Gleizes pour le portrait exposé au dernier Salon d’automne va se marier un jour très prochain.

La Coquerie de la rue de la Gaîté §

La Coquerie de la rue de la Gaîté n’existe plus. C’est là que Moréas et les poètes qui, en son temps, fréquentaient la Closerie des Lilas, Paul Fort, Guillaume Apollinaire, André Salmon, Stuart Merrill, Guy-Charles Cros et quelques peintres comme Diriks allaient quelquefois le soir manger le célèbre bœuf gros sel.

La Coquerie n’existe plus et le seul qui lui était resté fidèle était justement le peintre Diriks qui se vante d’avoir mangé le dernier bœuf gros sel et la dernière friture.

« L’Art décoratif » §

La belle revue dirigée par Fernand Roches vient de faire paraître son 203e numéro. Il est consacré à la question de l’art décoratif contemporain et M. Fernand Roches s’y montre écrivain pénétrant autant que critique averti. On y a joint de belles reproductions.

Exposition de Mlle Gautier §

L’exposition de Mlle Gautier, dont le cours de préparation pour les concours du professorat de dessin ont depuis longtemps déjà une réputation, vient de grouper les travaux décoratifs de ses élèves en une bien intéressante exposition qui se tient, pendant quelques jours, dans son curieux atelier de la rue de l’Ancienne-Comédie.

Le souvenir historique des « Comédiens du Roy » qui occupèrent cette grande salle dont plus tard Gros fit, le premier, un énorme atelier, s’opposait d’une manière assez piquante, dans l’esprit des visiteurs, au modernisme discret et plein de grâce de ces œuvres décoratives d’élèves féminines dont les premières qualités, encouragées par d’excellents maîtres, sont l’élégance et la distinction.

« Les Soirées de Paris » §

Le nouveau numéro des Soirées de Paris qui vient de paraître contient dans sa partie artistique quatre reproductions d’après les natures mortes de Maurice Vlaminck, cinq reproductions d’après les peintures de Fernand Léger, qui donnent une idée complète de son évolution depuis l’époque de ses fumées, et quatre caricatures extraordinaires de Marius de Zayas où l’on remarquera celle d’Ambroise Vollard.

[1914-07-25] Les Arts §

Paris-Journal, 25 juillet 1914, p. 000.
[OP2 844-846]

L’art populaire §

L’art populaire est décidément dans une bonne passe. Je disais hier qu’on s’en occupe dans tous les pays et que les amateurs, les marchands et les musées ramassaient ses productions et particulièrement les peintures à l’huile anonymes d’artistes provinciaux ou paysans.

L’imagerie n’est pas moins honorée. On vient de publier un gros ouvrage sur les images d’Épinal, et M. Fernand Fleuret, poète de grand talent et l’inventeur du déjà illustre Louvigné du Dézert, prépare un poème épique en l’honneur de Georgin, le graveur épique des plus belles images d’Épinal.

Ce poème est en bonne voie. Le merveilleux y tient une place. Et l’imagination qui en dicte l’ordonnance est incomparable.

Et voilà un graveur sur bois, artiste provincial, dont la modestie sans doute n’osa jamais rêver de gloire, assuré de l’immortalité.

Georgin et Rousseau. L’art populaire a donné en France les deux artistes les plus complets, les plus puissants et de la fraîcheur la plus neuve, la plus saisissante. Leurs œuvres sont parmi ce que l’art de tous les temps a donné de plus saisissant et de plus séduisant.

Pour le Salon d’automne §

En même temps que son Mariage comique, Francis Picabia vient d’achever pour le Salon d’automne une toile extrêmement impressionnante intitulée : C’est de moi qu’il s’agit. Ceux qui l’ont vue s’accordent à trouver que c’est là son œuvre la plus importante. Les formes coloriées qui la remplissent s’y composent avec le plus de continuité et d’une façon pour ainsi dire nécessaire. Composition entièrement subjective, c’est une merveilleuse tentative d’introspection plastique.

Aussitôt sa toile achevée, Picabia est aussitôt parti pour le Jura afin d’y préparer dans la paix des montagnes, en collaboration avec Marius de Zayas, des décors pour une pièce qui doit être jouée en Amérique pendant la saison prochaine.

Ces décors seront certainement quelque chose de nouveau.

Peinture pour cinéma §

Le peintre Léopold Sturzwage, dont on a annoncé ici les tentatives de plastique cinématographique, publie dans Les Soirées de Paris, sous le titre « Rythme coloré », un essai théorique sur l’art qu’il a inventé. Il y a peu de jours, il montra à quelques artistes ses essais. N’ayant pas de cinéma à sa disposition, il se contenta de faire voir ses cartons peints.

D’abord une suite qui pourrait être intitulée Le Rouge vaincu : en effet, le rouge s’y trouve peu à peu vaincu par toutes les autres couleurs.

Une autre suite, et c’est la plus séduisante, montre la naissance des formes colorées jusqu’à la plus parfaite qui est le cercle et la plus imparfaite qui est le chaos.

Les dessins de Max Jacob §

Il est question pour la saison prochaine d’une exposition des dessins de Max Jacob.

On sait qu’il y en a de très agréables et tout particulièrement les paysages, les vues de villes imaginaires et quelques scènes de théâtre.

Toiles détruites par Camoin §

Il y a quelque temps, peut-être quelques années, le peintre Camoin, mécontent de quelques-unes de ses toiles, voulut les détruire. Il les coupa en quatre et les jeta. Mais leur destin n’était pas terminé, car elles furent recueillies et vendues à un amateur qui les fit arranger. C’est-à-dire que les morceaux de chaque tableau furent juxtaposés et recollés sur une nouvelle toile. Ces tableaux sont parmi les œuvres les plus intéressantes de ce peintre à qui Cézanne s’intéressait.

[1914-07-26] Les Arts

Livres d’art §

Paris-Journal, 26 juillet 1914, p. 000.
[OP2 846-847]

Il y a un renouveau dans l’art du livre illustré. C’est tant mieux. Bon papier, gravures sur bois ou à l’eau-forte. Les prix sont en conséquence et les plaquettes de quelques pages publiées à 100 francs ou même plus ne sont pas rares.

On réimprime les grands écrivains du xixe siècle avec un luxe dont ils n’avaient jamais eu idée.

La pensée des poètes et des romanciers passera ainsi aux âges futurs.

Cependant, presque aucun d’entre les jeunes artistes ne s’est consacré à l’illustration. C’est une profession qui n’est pas encore encombrée et elle est séduisante.

Nul doute qu’avant qu’il ne soit longtemps elle ne devienne une vaillante phalange qui rendra illustre le livre illustré du xxe siècle.

[1914-07-27] Les Arts §

Paris-Journal, 27 juillet 1914, p. 000.
[OP2 847-848]

La Werkbundaustellung de Cologne §

Il y a en ce moment à Cologne une exposition composée en grande partie d’œuvres de peintres français.

Le public de Cologne est un des plus avertis et des plus difficiles de l’Allemagne. Rome et plus tard la France ont fait sentir leur culture dans la capitale rhénane.

Cette exposition comprend comme Français : Raoul Dufy, avec Un cavalier turc ; Paul Signac, avec une aquarelle ; Mme Marie Laurencin, avec une tête de femme ; Luce, avec des baigneurs ; Matisse, avec le Pont de Collioure ; Derain, avec une Vue de Martigues ; Jean Joveneau, avec une Vue de Honfleur ; Maurice de Vlaminck, avec une Vue des Andelys ; Friesz, avec un paysage ; Picasso, avec L’Arlequin du Lapin Agile ; Maillol, avec son Buste de Renoir. On y voit encore des aquarelles de Rodin, de Gauguin, des pastels de Renoir et de Pissarro, des Cézanne, des Courbet, des Diez, des Daubigny, des Henri Rousseau, des Odilon Redon.

Cette exposition d’œuvres choisies, dont beaucoup sont dans d’importantes collections rhénanes, durera jusqu’en octobre.

Orléans et le Val de Loire, par Georges Rigault §

« Orléans, ville sans pair, abrégé de la France », disaient les étudiants de la « nation germanique » qui faisaient partie de l’université orléanaise.

En dépit des destructions violentes de la fin du xvie siècle, des démolitions méthodiques du xixe, la vieille cité — « cœur du royaume » — conserve maints vestiges de sa splendeur passée. M. Georges Rigault, en décrivant les églises et les maisons orléanaises, s’est efforcé de les replacer dans leur cadre historique ; il a souhaité mettre en lumière cet Orléans d’autrefois, vraie ville d’art, qui subsiste, endormie mais vivante, sous la banalité de la ville moderne.

La grande période artistique d’Orléans a suivi la délivrance de 1429. Les deux principaux chapitres de l’ouvrage sont consacrés à l’étude de cette renaissance orléanaise au xve et au xvie siècles. Des pages préliminaires signalent les traces de la cité gallo-romaine et médiévale. On retrouve, en dernier lieu, la ville au lendemain des guerres de religion, qui la dévastèrent, on assiste à la reconstruction de la fameuse cathédrale Sainte-Croix.

Le Val de Loire forme au second plan, l’horizon, le paysage de ce portrait d’Orléans.

[1914-07-28] Les Arts §

Paris-Journal, 28 juillet 1914, p. 000.
[OP2 848-849]

La question de l’art décoratif et notre temps §

M. Fernand Roches étudie, dans L’Art décoratif, la question de l’art décoratif contemporain et jamais sujet ne fut mieux approprié à la revue où il en est traité.

À ce propos, on pourrait remarquer que les artistes qui ont voulu avoir une influence sur le mobilier, par exemple, n’ont pas songé que la première chose aurait dû être de ne pas se préoccuper de la destination de leurs meubles décoratifs.

Si l’on veut faire une salle à manger, un salon, une chambre à coucher, on retombera fatalement dans les formes connues qui ne se modifieront ainsi qu’insensiblement. Au contraire, un novateur qui veut imposer un style d’une époque ne doit pas se soucier de ce que l’on a fait jusqu’à lui. Il doit seulement se préoccuper d’utiliser selon son inspiration les éléments décoratifs que l’époque met à sa disposition. L’utilisation se fera bien d’elle-même.

Ceci n’est qu’une petite observation. On en pourrait faire bien d’autres, si ce n’était pas prêcher dans le désert, les décorateurs étant encore plus irritables que les poètes et surtout que les peintres.

Le rythme coloré §

Voilà ce que dit M. Sturzwage lui-même sur les données du nouvel art qu’il a communiquées à l’Académie des sciences :

« L’élément fondamental de mon art dynamique est la forme visuelle colorée, analogue au son de la musique par son rôle.

« Cet élément est déterminé par trois facteurs :

« 1º La forme visuelle proprement dite (abstraite) ;

« 2º Le rythme, c’est-à-dire le mouvement et les transformations de cette forme ;

« 3º La couleur. »

[1914-07-29] Les Arts §

Paris-Journal, 29 juillet 1914, p. 000.
[OP2 849-850]

Wu Tao-Tze §

M. F.-R. Martin publie les dessins de Wu Tao-Tze.

Wu Tao-Tze est regardé par les Chinois comme un artiste incomparable, le père et le créateur de leur peinture de grand style. Malheureusement on ne possède de lui aucune œuvre authentique. Suivant une ancienne tradition les cinquante dessins de l’album passent pour des copies exécutées d’après les fresques de Wu Tao-Tze par le plus grand peintre du xie siècle, Li Lung Min, dit le Leonardo de la Chine.

Li Lung Min pour se perfectionner dans son art copiait les œuvres des maîtres qui l’avaient précédé. Les grandes collections de ses dessins furent conservées précieusement par ses élèves.

L’album publié par M. Martin est une de ces collections, il porte encore le cachet de l’empereur Hui-Tsung, le plus grand amateur d’art de la Chine au xiie siècle. Les cinquante dessins sont l’illustration d’une Divine Comédie chinoise. On y voit la vie des rois du ciel et le jugement rendu devant les princes des enfers.

À plusieurs points de vue cet album constitue un pendant aux célèbres dessins de Botticelli illustrant l’œuvre de Dante conservés au cabinet des estampes de Berlin.

Ces copies sont exécutées à l’encre de Chine avec une réelle élégance et une technique parfaite malgré ses audaces ; pas un artiste européen, à notre avis, n’aurait pu surpasser l’artiste chinois.

Le célèbre peintre suédois, Anders Zorn, a exposé dans la préface les qualités artistiques des dessins.

Non seulement ils nous permettent d’apprécier un art admirable et trop peu connu, mais ils peuvent avoir encore une influence heureuse sur l’art européen en y introduisant des éléments nouveaux.

Un artiste populaire §

Il n’est question, dans les revues et journaux italiens, que de l’œuvre d’un jeune peintre : M. Dante Franzoso, dont les tableaux récemment exposés à Rovigo, font l’admiration des artistes. Ce qui est le plus étonnant, c’est que M. Franzoso n’a jamais eu de professeur, c’est un autodidacte, il s’est formé de lui-même en copiant la nature. On dit qu’une élite d’artistes désireux de consacrer l’œuvre de ce jeune peintre se propose de faire à Paris une exposition de ses principales œuvres. Nous verrons ça. Et nous en reparlerons s’il y a lieu quand nous visiterons cette exposition.

[1914-07-29] Les Arts

« Fragonards » d’exportation §

Paris-Journal, 7 juillet 1914, p. 000.
[Non OP]

[1914-07-30] Les Arts §

Paris-Journal, 30 juillet 1914, p. 000.
[OP2 850-852]

« Monsieur Ingres », par Bonnat §

On dit que M. Bonnat, non content d’avoir fait le portrait d’un grand nombre de ses contemporains, s’est amusé à faire dernièrement l’effigie rétrospective de Monsieur Ingres, qu’il exposera au prochain Salon.

Il se peut qu’ayant perfectionné la machine à explorer le temps, M. Bonnat ne s’arrête pas sur un si beau chemin et qu’il nous livre successivement le portrait de David en conventionnel, celui de Chardin à l’âge où il exposait La Raie en plein air, celui du Lorrain regardant un vaisseau qui largue ses amarres, celui de Callot gravant le Martyre de saint Sébastien, celui de Poussin composant Le Déluge, ou celui de Rembrandt peignant La Ronde de nuit.

Rien n’empêche M. Bonnat de portraiturer également le Titien, Léonard, Raphaël et le Giotto. Il peut même s’en prendre à l’Antiquité et nous montrer les traits de Zeuxis, d’Apelle ou du peintre de vases Douris.

Puis, par un brusque retour, il peut consacrer son génie extralucide à peindre non plus les peintres du passé, mais ceux de l’avenir.

Que dirait-on, par exemple, d’un portrait d’Henri Matisse à soixante-dix ans, en habit d’académicien, ou celui de Picasso à l’âge de cent six ans, en cotte bleue d’électricien ? Je recommande encore André Derain à quatre-vingt-quinze ans, en robe de chambre et jouant de la cornemuse ; Braque, dansant la gigue à soixante-quinze ans sur le pont d’Avignon, ne serait pas mal non plus ; de même Léger, à soixante-huit ans, humant un vieux calvados, ou Chirico, à cinquante-quatre ans, contemplant amoureusement une Sidonie en carton-pâte.

Un livre de Ferdinand Bac §

Ferdinand Bac, qui a un joli brin de plume au bout de son crayon, va publier en librairie des souvenirs de son enfance dans l’Allemagne du sud, tels qu’ils ont paru dans une revue.

Tout s’y passe avant 1870 et cette vieille Allemagne, pleine de descendants d’émigrés, de vieux briscards de l’Empire, de vieilles dames de la noblesse des petites principautés allemandes, fournit un livre vrai aussi amusant qu’un roman.

Le noir §

On nous menace de la mode des tentures et des meubles noirs que l’on n’avait vus jusqu’ici que dans des milieux spéciaux et chez quelques esthètes, dévots d’Aubrey Beardsley.

Ce n’est pas réjouissant et je suis certain que beaucoup de gens de goût regretteront que l’on ne continue pas à chercher de ces couleurs vives, si gaies, auxquelles on commençait à s’habituer et qui faisaient d’un intérieur moderne une véritable fête pour les yeux.

Mais peut-être la mode du noir n’est-elle pas entièrement décidée, et les gens de goût parviendront-ils à réagir.

Il est vrai que le noir va bien aux blondes et il semble que les blondes aussi redeviennent à la mode.

[1914-07-31] Les Arts §

Paris-Journal, 31 juillet 1914, p. 000.
[OP2 852-854]

André Rouveyre §

Le procès intenté par Mme Catulle Mendès au Mercure de France et à Rouveyre, à propos d’une caricature qu’elle « jugeait injurieuse », et qui devait venir pendant la session actuelle a été remis. Il ne viendra qu’en octobre.

Pendant ce temps, Rouveyre se promène en automobile sur la côte normande. Il a achevé quelques croquis délicats d’après les colombes.

Il transporte avec lui trois petits crapauds qu’il soigne avec amour.

Ces petites bêtes sont pour lui un important sujet d’études et nul doute qu’il ne leur consacre un album de croquis délicats.

« Au moins, dit-il, ceux-ci ne m’intenteront pas de procès. D’ailleurs, je les trouve jolis comme tout, mes petits crapauds. »

Ensuite, Rouveyre se propose de continuer sa série de figures contemporaines et après j’ai idée que, pour se reposer des hommes, des femmes, des oiseaux et des batraciens, Rouveyre dessinera aussi un petit album de mouches, qu’il a actuellement l’occasion d’étudier parce qu’il en attrape constamment pour donner à manger à ses petits crapauds, qui goûtent tout particulièrement ce genre de nourriture.

Et voilà bien du travail pour un dessinateur aussi peu fécond qu’André Rouveyre.

Chars carnavalesques §

Les chars des cavalcades historiques sont souvent des reconstitutions artistiques pleines d’intérêt.

C’est ainsi qu’aux récentes fêtes de Fécamp, le Char de la ferme normande présentait un véritable intérêt. C’était parfaitement reconstituée une véritable ferme normande comme on en voit encore mais de moins en moins.

Il faut noter que ce char, dont le cachet provincial était remarquable, était l’œuvre de M. André Loreux, artiste peintre, et de M. Hariel, entrepreneur.

Miniatures persanes §

Des amateurs persans se sont émus de ce qu’un grand nombre de belles miniatures persanes avaient quitté leur pays. Plusieurs d’entre eux vont parcourir l’Europe afin de ramasser le plus possible de ces charmantes œuvres d’art et de les ramener en Perse.

On sait que les Japonais, depuis un certain temps déjà, rachètent les belles japoneries.

De même les collectionneurs chinois sont très jaloux de leurs trésors.

La toile de Jouy §

M. Albert Flament a publié dernièrement un article documenté sur la toile de Jouy qui décore si bien les maisons de campagne.

L’essor de l’industrie de ces toiles date de 1759 où M. de Tavannes choisit Jouy-en-Josas pour y établir sa manufacture à cause de la Bièvre qui coule là et qui possède les qualités voulues pour la teinture.

Le 1er mars 1760, le collaborateur de M. de Tavannes, Oberkampf, qui fut l’artisan principal de l’industrie, livra sa première pièce de toile. « Il en avait été à la fois le dessinateur, le graveur, l’imprimeur et le teinturier. »

Les décors furent d’abord des fleurs, guirlandes, semis ou bouquets, traités à la persane ou à l’indienne. Ensuite ce furent des tableaux dans le goût de Boucher, Hubert Robert et J.-B. Huet.

« Le Directoire et l’Empire les rendent plus architecturaux… Mais ce fut évidemment à l’époque des petits-maîtres du xviiie siècle que la manufacture produisit le meilleur de son œuvre, avec ses singuliers arrangements empruntés primitivement aux Chinois, mais complètement renouvelés par nos artistes.

« Les Anglais, ajoute M. Flament, les ont voulu rendre plus pratiques. Leur chintz n’est qu’une toile de Jouy glacée. La poussière ne s’y accroche pas. »

[1914-08-01] Les Arts §

Paris-Journal, 1er août 1914, p. 000.
[OP2 854-855]

« La Névrose et l’art moderne » §

C’est le titre d’une conférence annoncée dans une université de valseuses de la plage où je passe le mois d’août. Et si je connaissais le professeur qui va conférencier, je l’inviterais à venir voir de près nos peintres modernes. Il déciderait lui-même si la névrose ou la pathologie a quelque chose à faire avec eux. Il verrait André Derain, Georges Braque, Maurice de Vlaminck, Fernand Léger, presque des géants, superbes de calme et de bon sens dans leurs propos, il verrait Picabia, sportsman plein de sang-froid, Marcel Duchamp, G. De Chirico, Pierre Roy, Metzinger, Gleizes, Jacques Villon et bien d’autres, esprits ornés, doués de talents et peut-être ensuite demanderait-il à modifier sinon le titre de sa conférence, du moins ses conclusions.

Un artiste médical §

« Nous arrivons ainsi au rapport médico-légal, car c’est d’après ce rapport que j’ai pu reconnaître les trajectoires des balles et la description des blessures. Prenons le rapport médico-légal, et je voudrais bien que puisque je n’ai pas besoin de notes, monsieur le président m’autorise à montrer des planches. J’ai fait faire par un dessinateur de grand talent, qui me fait tous mes dessins de chirurgie, des dessins représentant un sujet de 1,70 m de hauteur, hauteur que nous avons repérée exactement d’après le rapport médico-légal et les trajectoires. »

Ainsi s’est exprimé le docteur Doyen pendant sa déposition devant la cour d’assises. Cependant il n’a pas dit le nom de cet artiste de grand talent. On voudrait le connaître.

Il n’est pas, après tout, utile qu’il reste inconnu.

Livres d’art §

D’intéressantes études inédites sur des questions d’art, ont paru ces derniers temps. M. Bezold, directeur du Musée germanique de Nuremberg, étudie l’histoire du portrait. M. Weese étudie la statuaire du Moyen Âge et, comme M. Bezold, y voit partout la prééminence de la France. M. Voege propose d’appeler provisoirement les grands ymagiers inconnus qui ont travaillé à Reims et à Chartres : le Maître du Jugement, le Maître des têtes royales, le Maître des Pierre et Paul.

Ces propositions sont assez claires pour qu’on ne fasse aucune difficulté pour les accepter.