1684

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, septembre 1684 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11]. §

[Prélude, contenant plus de vingt Actions du Roy, qui sont autant de Nouvelles] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 1-9.

Si vous ne connoissiez parfaitement toutes les grandes qualitez du Roy, le commencement de cette Lettre vous jetteroit dans une surprise, dont vous auriez de la peine à revenir, puis que vous y allez lire en un seul Article plus de vingt Actions de grandeur, de bonté, de charité, de magnificence, & de libéralité, ausquelles toutes les vertus ont part. Chaque Action mériteroit un éloge. Cependant je me contenteray de les nommer toutes ; & lors qu’elles seront ramassées ensemble, elles formeront une espece de Panégyrique tout de Faits constans, qui parleront eux-mesmes, & en diront plus sans art, & en exposant seulement la verité, que la plus vive eloquence ne pourroit en dire, si elle entreprenoit de les relever chacune séparément. Je commence par le Traité qui fut arresté entre le Roy & les Etats Genéraux des Provinces Unies des Païs-Bas le 29. Juin dernier. Comme les Articles en sont imprimez, je ne les mets point icy. Je ne vous en envoye que le Prélude, qui vous fera mieux comprendre que je ne pourrois le faire, les sentimens que Sa Majesté a eus pour le repos de l’Europe, & les avantages de la Chrétienté. Voicy quels sont les termes de ce Prélude.

Au nom de Dieu le Createur ; A tous présens & à venir soit not ire, Que comme Tres-Haut, Tres-Excellent, & Tres-Puissant Prince LOUIS XIV. par la grace de Dieu, Roy Tres-Chrétien de France & de Navarre, n’a rien eu de plus à cœur que de faire cesser tous les Diférends qui alloient troubler le repos de l’Europe, & de donner par ce moyen une seconde fois la Paix à la Chrestienté ; Sa Majesté n’a rien ômis de tout ce qui pouvoit en faciliter le rétablissement, mesme depuis la Déclaration de Guerre, qui luy a esté faite par le Roy Catholique ; & comme Sa Majesté Tres-Chrestienne a esté informée que les Seigneurs Etats Genéraux des Provinces Vnies témoignent un tres-grand desir de contribuer de tout leur pouvoir à une œuvre si salutaire, Elle leur a ouvert les expédiens qu’Elle a jugé les plus propres pour éteindre le feu de la Guerre, qui commençoit à s’allumer dans leur voisinage, & qui mettoit non seulement toute leur Frontiere dans un danger inévitable, mais qui estoit encore sur le point d’embrazer tout le reste de l’Europe. Et afin que ces Diférends, dont les suites alloient estre si funestes à la Chrétienté, pussent estre plus promptement terminez, Sa Majesté a donné plein pouvoir au Sieur de Mesmes, Chevalier, Comte d’Avaux, Conseiller ordinaire en son Conseil d’Etat, & son Ambassadeur Extraordinaire à la Haye, pour arrester, conclure, & signer avec les Seigneurs Etats Genéraux, ou avec leurs Députez, pareillement munis de Pleins-pouvoirs, les Articles qui seront jugez necessaires pour parvenir à un prompt accommodement avec l’Espagne ; & lesdits Seigneurs Etats Genéraux recevant avec une extréme satisfaction les témoignages que Sa Majesté Tres-Chrestienne leur a si souvent donnez de son affection, & répondant de leur part avec une entiere confiance au desir sincére que Sa Majesté a de rétablir la Paix dans toute l’Europe, & d’assurer particulierement le repos de leur Frontiere, ont examiné avec application les ofres que Sa Majesté a bien voulu faire pour arriver à une fin si heureuse, & apres en avoir mûrement déliberé, ils ont jugé qu’on ne pouvoit prendre d’expédiens plus prompts, plus faciles, ny plus convenables, pour arrester incessamment le cours de la Guerre, que celuy que Sa Majesté Tres-Chrétienne a offert d’une Tréve de vingt années, laquelle pouvant faire cesser dés à cette heure les suites fâcheuses des Diférends qui sont survenus entre Sa Majesté Tres-Chrestienne & Sa Majesté Catholique, donnera lieu dans la suite de les terminer entierement par une bonne & solide Paix. C’est pourquoy ils ont nommé leurs Plénipotentiaires, pour arrester, conclure, & signer les Articles dont on conviendroit avec ledit Sieur Comte d’Avaux, Ambassadeur Extraordinaire de Sa Majesté Trestienne, pour parvenir à un bon & prompt accommodement.

Sur le retour de la Paix, par la Trève conclue §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 17-25.

Toute l’Europe en doit sentir de mesme les fruits, chacun selon ses besoins, & l’état de ses affaires. Plusieurs ont écrit sur cette Tréve, & entr’autres Mr Rault de Roüen, dont je vous envoye les Vers, avec un Sonnet de Mr Dumas de Joigny.

SUR LE RETOUR
DE LA PAIX,
Par la Tréve concluë.

Descens, Fille du Ciel, & vient revoir la Terre,
Cent Peuples sont lassez des travaux de la Guerre ;
Pour ramener le calme, abandonne les Cieux,
Et fay renaître enfin le repos en tous lieux.
LOUIS tout de nouveau veut cultiver l’Olive,
Et dans l’ardent desir que ce bonheur arrive,
L’Europe fait des vœux pour en voir le retour,
Et régner dans les cœurs la Concorde & l’Amour.
Le feu trop allumé doit à la fin s’éteindre,
Et des troubles passez l’on ne doit plus rien craindre,
Puis qu’un si grand dessein tant de fois entrepris,
Dans la tranquillité remet tous les esprits.
 Déja ce grand Héros, qui tout couvert de gloire,
Avoit cent fois couru de Victoire en Victoire,
Et résisté luy seul contre tant d’Ennemis,
Qu’il a par sa valeur ou défaits, ou soûmis,
Préfere la Concorde aux plus grandes Conquestes,
Et l’union des Cœurs à des Couronnes prestes,
Quand pour joüir d’un Bien qu’il donne à ses Sujets,
Il devient seul l’Arbitre & Maistre de la Paix.
S’il a voulu paroistre au front de son Armée,
Que d’un de ses regards il rendoit animée,
C’estoit pour triompher d’un insolent orgueil,
Qui de l’Ibere fait le naufrage, ou l’écueil ;
Et si dans les momens que la Guerre est ouverte,
Et que ses Ennemis s’obstinent à leur perte,
Luxembourg se voit pris, & sous ses Loix réduit,
D’un légitime droit Luxembourg est le fruit.
De ce fameux Rocher il fait une Barriere,
Quoy qu’il pût conquérir une Province entiere ;
Mais arrestant son Char, sa Victoire, & ses pas,
De son premier dessein il ne s’écarte pas.
 Nymphe, pour t’embrasser, il met donc bas les armes,
Il en chasse le bruit, le trouble, & les alarmes,
Et content des Lauriers qui luy couvrent le front,
Il haste ton retour par un moyen plus promt.
Il fait ce qu’avec peine encore on délibere,
Et donne à cent Etats un Bien si nécessaire.
C’est par ce grand secret qu’il joint en mesme jour
L’Olive & les Lauriers aux Myrthes de l’Amour,
Quand dans le mesme temps une auguste Alliance
Ioint le Sang de Savoye au beau Sang de la France,
Et que dans nos Climats nous allons voir encor
L’Abondance qui suit un nouveau Siecle d’or,
Les Loix dans leur vigueur par le retour d’Astrée,
Et l’Equité par tout saintement réverée ;
La Mer libre au Commerce, & les Ports aux Vaisseaux,
Où les Indes mettront mille Trésors nouveaux.
Oüy, ses soins vigilans vont rappeller sans cesse
Les plaisirs innocens, la joye, & l’allégresse ;
Et comme fit jadis le plus grand des Césars,
Il va faire en tous lieux renaître les beaux Arts.
 L’Espagne donc consent, ainsi que la Hollande,
A ce que ce Héros regle, ordonne, ou commande ;
Et l’Empire pour voir tous ses Princes unis,
S’attache à voir aussi leurs diférens finis,
Pour tourner au plutost leurs forces mutuelles
Par un commun accord contre les Infidelles,
En arrester le cours, en rompre les efforts,
Se secourant l’un l’autre, ou ne faisant qu’un corps.
Ils en trouvent le temps que la Tréve leur donne,
Où chacun, s’il le veut, peut agir en personne,
Paroistre dans son Camp, faire des armemens,
Pour opprimer enfin l’orgueil des Othomans.
Vous donc qui prenez part à ce bonheur supréme,
Chastes Filles du Ciel, que le Grand LOUIS aime,
Puis qu’on voit par la Paix le repos assuré,
Ioüissez de ce bien qu’il vous a préparé.
Et vous, chers Nourrissons de ces Sœurs immortelles,
A qui vous consacrez vos Ouvrages fidelles,
Ranimez le beau feu que vous tirez des Cieux,
Et ne l’attachez plus qu’aux Sujets glorieux.
LOUIS, le Grand LOUIS, vous ouvre une Carriere,
Où la Paix vous fournit une illustre matiere ;
Ses grandes Actions, ses Vertus, ses Lauriers,
Qui l’ont mis au dessus des plus fameux Guerriers,
Vous disent leur éclat, & quelle est cette gloire,
Qui luy destine un Trône au Temple de Mémoire,
Où le culte & l’encens qu’on rend aux Immortels,
Doivent de mesme un jour se rendre à ses Autels.

Sur le mesme Sujet §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 26-27.

SUR LE MESME SUJET.

Peuples, ne craignez plus, & ne prenez les armes,
Que pour faire éclater l’excés de vos plaisirs.
Ne ressentez-vous pas l’effet de vos desirs ?
La Paix vient vous revoir avecque tous ses charmes.
***
Ce n’est plus la saison de répandre des larmes,
Ny de pousser au Ciel des cris & des soûpirs ;
Pour vous faire joüir des plus charmans loisirs,
Il arreste le cours de toutes vos allarmes.
***
O que l’air paroist beau, lors qu’apres mille éclairs,
Les rayons du Soleil sont si vifs & si clairs,
Qu’ils dissipent l’orage, & chassent le Tonnerre.
***
LOUIS rendra vos jours plus heureux que jamais ;
Et si vous n’aviez eu les frayeurs de la Guerre,
Vous ne goûteriez pas les douceurs de la Paix.

[Extrait d’une lettre de Siam] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 73-78.

 

EXTRAIT DE LA LETTRE de Mr des Landes Bourreau écrite de Siam, en date du 22 Decembre 1682.

 

Monsieur l’Evesque d’Heliopolis a présenté les Lettres qu’il avoit de Sa Majesté Tres-Chrestienne pour le Roy de Siam, [...]. Cet Evesque eut le lendemain audience de ce Monarque, [...]. Il y avoit déja longtemps que le Barcallon m’avoit dit que le Roy son Maistre, avant que d’aller à Lavau, me donneroit une marque de l’estime qu’il faisoit de nostre Nation, & de la considération particuliere qu’il avoit pour moy, lors qu’on m’avertit de me trouver le 11. Octobre au Palais du Roy. Les Ambassadeurs du Roy de Damby devoient le mesme jour avoir audience. Je m’y rendis dés le matin, & apres avoir passé plusieurs Courts, dans l’une desquelles, qui estoit vis-à-vis le Trône du Roy, il y avoit plusieurs Soldats sous les armes, l’on me fit asseoir dans un endroit tout couvert de Tentes, au milieu de plus de six cens Mandarins. [...] Au signal de quelques Instrumens, plusieurs riches Rideaux qui couvroient le Trône de ce Prince, se tirerent, & Sa Majesté y parut avec beaucoup d’éclat, tant pour la beauté du Trône, que pour la richesse des Pierreries, dont sa teste & ses habits estoient couverts. Apres plusieurs fanfares de Trompettes, le Barcallon prit la parole, & luy dit, que selon l’ordre de Sa Majesté, je me présentois à ses pieds pour recevoir ses faveurs. [...] Apres cela, le Roy dit quelque chose aux Ambassadeurs de Damby, & chacun d’eux fut revestu de la mesme sorte d’un Juste-au corps de peu de valeur. Au signal des Instrumens que l’on avoit entendus d’abord, les mesmes Rideaux recouvrirent le Trône Royal. Tout le monde a esté étonné de cet honneur, que je ne puis attribuer qu’à la haute estime que le Roy de Siam a pour Sa Majesté Tres-Chrestienne, dont les Anglois & les Hollandois ne peuvent s’empescher de parler avec admiration. [...]

[Madrigal de M. Diéreville sur l’élection de M. de la Lane comme grand prieur de Saint Victor]* §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 86-87.

Ce sont ces qualitez qui l’ont mis en la place qu’il occupe, aprés avoir esté trois ans Maître des Novices. Il s’estoit tres-dignement acquité de cét employ. Aussi-tôt qu’il fut élû, Mr Diéreville luy en témoigna sa joye par ce Madrigal.

 Le Ciel exauce ma priere,
 Enfin de Saint Victor vous voila Grand-Prieur,
 Et chacun vient à sa maniere
Vous faire un Compliment sur ce nouvel honneur.
 Pour moy, je dis à vostre gloire,
 Qu’à cette grande Dignité
 Nous n’avions point encor mémoire
 Qu’à vostre âge un autre eust monté.
 Ce Pas n’a rien qui nous étonne,
Le mérite aux Maillys prévient par tout les ans,
 Nous en avons veu chez Bellone
 Depuis peu des Faits convaincans.
 Vous ne régnerez là qu’un temps ;
 Qu’il vous soit toûjours agreable,
Et qu’en suite le Ciel à mes vœux favorable
 Vous éleve à de plus hauts rangs.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 91-93.

J´avois bien crû que les Airs nouveaux que je vous envoye depuis quelque temps, m´attireroient les remerciemens que vous m´en faites. Comme ils sont toûjours des plus sçavans Maistres, je suis fort seûr qu´ils méritent l´approbation que vous leur donnez. Celuy que vous trouverez icy est d´un fort habile Musicien, qui autrefois a eu des instructions de Mr de Bacilly. Vous sçavez, Madame, qu´il est l´Original & l´Inventeur de ces sortes de Recits de Basse. Il a trouvé mesme que celuy-cy avoit tant de raport avec cet Air fameux de sa composition, Croissez, croissez, jeunes Raisins, qu´il a esté obligé d´en changer tout le commencement. Les Paroles sont de Mr Royer.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Loüis moissonne des Lauriers, doit regarder la page 93.
LOUIS moissonne des Lauriers
Dans un Champ inaccessible ;
Il fait trembler les plus fameux Guerriers,
A ce Héros il n'est rien d'impossible,
Par tout il brave les hazards,
Tout l'Univers est témoin de sa gloire ;
Il n'est point d'Aléxandre, il n'est point de Césars,
Que ses Exploits n'effacent dans l'Histoire.
images/1684-09_091.JPG

Pourquoy l’on vit clair pendant l’Eclipse §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 93-96.

Beaucoup de Personnes ont tremblé de l’Eclipse qui arriva le 12. de Juillet. On s’en figuroit une obscurité, qui égaleroit celle de la nuit pendant quelques heures. Ainsi on fut fort surpris de voir toûjours la terre éclairée. Si vous en voulez sçavoir la cause, vous la trouverez dans ce Sonnet d’un jeune Inconnu de Soissons.

POURQUOY L’ON VIT
clair pendant l’Eclipse.

La Lune qui parut dessus nostre Hémisphere,
D’une profonde nuit devoit couvrir les Cieux,
Le bel Astre du jour n’éclairer que les Dieux,
Car cet Astre éclipsé perd sa clarté premiere.
***
Il garda cependant sa brillante lumiere,
Et pâlit sans cesser de paroistre à nos yeux,
Où selon sa coûtume éclatant en tous lieux,
Il voulut achever, & fournir sa Carriere.
***
Le Soleil est un Astre envieux & jaloux,
Qui ne veut rien céder des droits qu’il a sur nous,
Mais moins encor de ceux qu’il a dessus la France.
***
LOUIS, l’Astre vivant d’une éclatante Cour,
Du Soleil icy-bas partageant la puissance,
Sans son aide eust pû seul l’éclairer à son tour.

La matiere des Eclipses a fait raisonner beaucoup de Sçavans. La Lettre qui suit en est une marque ; je croy que vous la lirez avec plaisir.

Le Satyre et le Loup. Fable §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 146-157.

L’approbation que vous avez donnée à tous les Ouvrages que vous avez leûs du Berger de Flore, m’oblige à vous faire part de celuy-cy ; je croy que vous n’en serez pas moins contente, que vous l’avez esté de tous ceux de sa façon, que je vous ay déja envoyez.

LE SATYRE,
ET LE LOUP.
FABLE.

 Un Satire à vilain muzeau,
 Croyant avoir une voix sans pareille,
 Et qu’il alloit dire merveille,
Chanta sur un ton de Corbeau,
A l’Echo d’un Rocher, pres d’un bord de la Seine.
Oüy, oüy, j’aimerois mieux la Bergere Circene,
  Que son Troupeau.
***
Un Loup qui l’entendoit, couché sur la Fougere,
Se levant tout joyeux, luy répondit ces mots ;
 Nous ne serons donc pas Rivaux,
 Car foy de Loup qui te révere,
J’aimerois le Troupeau, bien plus que la Bergere.
 Là-dessus, ils font amitié
 Avec un complot sans pitié.
***
Circene ce jour-là gardoit ses Brebiettes
Dans des guérets voisins du Rocher & de l’Eau,
 Et s’amusoit à cueillir des Fleurettes,
Pour en faire un Feston à son petit Agneau.
Le Satire & le Loup l’eurent tost éventée ;
Et dés le mesme instant, l’ardeur précipitée
 De contenter leurs appétits,
 Les fait courir comme à la Feste,
La Satire à la Belle, & le Loup aux Brébis.
 Mais ils partent, les Etourdis,
 Sans songer si rien ne s’appreste
 A s’opposer à leur conqueste,
Et leur course imprudente a justement son prix ;
 Pensant prendre, ils se trouvent pris.
***
Le Berger Floridon, Amant de cette Belle,
Qui n’osoit par respect porter ses pas vers elle,
La voyant seule, & loin de leur Hameau,
Estoit proche de là, monté sur un Chesneau,
L’admiroit à son aise, & la regardoit faire.
***
Il eut tost découvert la marche téméraire
 Des deux dangereux Ennemis.
A l’aspect du péril que court l’Objet qu’il aime,
Il frémit, il pâlit, il est hors de luy-mesme ;
Mais grace à la Fortune, il est bientost remis.
 Il apperçoit quatre de ses Amis
 Venir à luy, montez à l’avantage,
  Armez d’Epieux, d’Arcs, & de Traits,
  Suivis de Chiens vistes & frais,
Qui sortoient du prochain Bocage.
***
 Au Satire, au Loup, Compagnons,
Leur cria-t-il, descendant de son Chesne.
 Les voila, qui vont à Circene ;
Le Satire les tient ; le Loup est aux Moutons ;
 Secourons-les, donnons, donnons.
***
Le Berger court, sa voix est entenduë,
Son exemple est suivy des Chiens & des Chasseurs,
Et tout perce une Haye élevée & touffuë.
 Qui les cachoit à nos deux Ravisseurs.
***
L’un & l’autre déja s’emparoit de sa proye,
Et méprisant ses cris, la pressoit avec joye ;
 Mais ce grand secours arrivant,
  Chacun lâche sa prise,
 Et gagne au pied viste comme le vent,
Avec une douleur égale à sa surprise.
***
Les Chasseurs & les Chiens n’en demeurent pas là.
Les Chiens suivent le Loup, les Chasseurs le Satire ;
Ils courent tous, à qui plus viste ira ;
 Tandis que le Berger retire
La Belle & ses Brébis, de l’extréme frayeur
Qui leur glace le sang, & leur abat le cœur.
***
 Apres une longue poursuite,
 Les Chiens enfin joignent le Loup,
 Et devenus plus hardis par sa fuite,
 L’acculent, le prennent au cou,
Et de tous les costez le mordent coup sur coup.
L’un luy perce la peau, l’autre la luy déchire,
 A l’écorcher chacun aspire.
Ce fut pour lors qu’à ce pauvre Animal
  Les dents firent grand mal,
Les dents des Chiens, cela s’en va sans dire ;
 Il en souffrit un bien fâcheux martire.
***
Son Compagnon fuyard ne fut pas mieux traité ;
 On l’attrape, il est arresté,
Malgré ses sauts & ses gambades,
 Et de cent coups de bastonnades
Son cuir, s’il l’a bien dur, est si fort éprouvé,
 Qu’elles marquent par tout leurs traces ;
Jamais à telle Feste il ne s’estoit trouvé,
Jamais il n’avoit fait de si laides grimaces.
***
 Ce n’est pas tout ; les Malheureux
Sont tous deux enchaînez, & conduits au Village,
 Puis attachez par de bons nœuds
Au Poteau du Carcan planté sur le passage,
 Pour estre ainsi livrez aux ris,
Au reproche, à l’insulte, à l’injure, à l’outrage
Des Enfans, des Passans, de tout le voisinage,
 Sur leur dessein mal entrepris.
***
 Les Prisonniers couchez par terre,
 Tristes, pensifs, & languissans,
Ne se parlerent point, tant qu’on leur fit la guerre ;
 Mais quand la nuit eut dissipé les Gens,
 Lassez enfin de prendre en patience
 Tant d’affronts, & tant de souffrance,
  Ils viennent à se quereller.
 Ce n’est que plainte, que rancune,
 Ils ne font que se harceler,
 Que s’imputer leur infortune,
Que se rendre garands l’un l’autre de leurs maux.
Apres cela, la plainte attire les gros mots ;
Les gros mots sont suivis de la rude menace ;
La menace, de coups ; & les coups, de lambeaux.
Leur sang de toutes parts coule parmy la place,
Et leur ame se noye en ces sanglans ruisseaux.
***
Mais comme le Destin assez souvent nous oste
 Le voile à l’heure de la mort ;
Ces Aveuglez, mais tard, apperçoivent leur faute,
 Et pour lors, bien d’accord,
Se demandent pardon avec beaucoup de zele
 De leurs trop choquans entretiens,
 De leur trop funeste querelle ;
Maudissent les Chevaux, les Chasseurs, & les Chiens,
 Et le Berger en sentinelle ;
 Et malgré tous leurs déplaisirs,
Epargnent les Objets de leurs ardens desirs,
  Les Brébis, & la Belle ;
Puis l’heure estant venue, enfin meurent pestans,
 D’avoir mal pris leur temps.
***
Lecteur, ne traite pas cette Fable nouvelle
  De pure bagatelle,
 Puis que, s’il faut te l’expliquer,
Elle instruit ceux dont l’ordinaire
 Est d’aller trop viste en affaire,
Que l’on doit reconnoistre, avant que d’attaquer,
 Afin que, s’il est nécessaire,
 On se puisse aisément soustraire
 Aux redoutables accidens,
Qui, pour estre impréveus, perdent les imprudens.

[Prodiges d’Esprit] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 157-164.

Il y a des Génies heureux à qui l’acquisition des Sciences ne coûte rien. C’est ce qu’on a vû depuis un mois dans un jeune Rhétoricien du College des Jesuites de Toulouse, qui a raisonné publiquement de la Rhétorique dans toute son étenduë, de la Poësie, & sur tout de la Françoise dans toutes ses regles, & des Fortifications, ou Siéges de Places dans un détail fort particulier. Il est Fils de Mr Daspe de Meilhan, & n’a encore que quinze ans. Pendant deux séances, ausquelles tout le Parlement, le Clergé, les autres Corps de la Ville, & genéralement tous les Gens de Lettres & Curieux assisterent, il répondit avec une présence d’esprit surprenante aux diverses Questions qui luy furent faites sur toutes ces choses ; & ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est qu’en expliquant les endroits dont on luy demanda l’éclaircissement dans les Ouvrages d’Homére, de Juvenal, de Perse, d’Horace, du Tasse, & de Lope de Vega, il parla la Langue de tous ces Auteurs, c’est à dire, Grec sur l’Iliade, & sur la Batrachomyomachie d’Homére, Italien, sur l’Aminte, & la Jerusalem délivrée du Tasse, & Espagnol, sur quelques Comédies de Lope. Il est fort rare de sçavoir cinq Langues dans un âge si peu avancé, & plus encore de les posseder assez pour ne les confondre pas en s’en servant. La facilité avec laquelle il s’énonça dans chacune de ces Langues, a donné lieu à ces quatre Vers Italiens de Mr Fermat Conseiller.

Stupiron quei che favellar l’udiro,
Ed in diverse Lingue esser si presto,
Che Tosco in Roma, e Greco in Epiro
L’haurian creduto, e quel popol, e questo.

Toute la Ville parle encore avec surprise de ce prodige d’esprit.

Ce qu’on m’a mandé qui s’est passé à Lyon n’est guére moins extraordinaire. Le Fils de Mr du Tour Conseiller devant soûtenir le 7. Aoust dernier une Thése de Philosophie dans le grand College des Jesuites, une jeune Demoiselle, Fille d’un fameux Medecin de Montpellier, alla trouver le Régent du Soûtenant, pour luy demander la permission d’argumenter dans cette dispute publique. Le Régent l’interrogea, & surpris de voir une Fille Philosophe, qui parloit tres-bien Latin, il la présenta au Pere Recteur. D’autres Peres de la mesme Compagnie, & quelques Particuliers de la Ville, qui se trouverent à la conférence qu’elle eut avec luy, admirerent ses vives & spirituelles réponses sur les Questions les plus difficiles de la Philosophie, ausquelles elle satisfit tres-sçavamment, & avec une hardiesse, qui en marquant la solidité de son esprit, ne démentoit point la modestie de son Sexe. Cependant comme la chose n’avoit point d’exemple, on la pria de se contenter de la justice qu’on luy rendoit, en confessant qu’elle estoit tres-digne de paroître dans l’Acte public qui devoit se faire, & qu’on l’y auroit reçuë avec plaisir, si quelque usage avoit pû autoriser une entreprise de cette nature. Mess. du Parlement de Dombes à qui ces Théses étoient dédiées, furent fort fâchez de l’exclusion qu’on avoit esté contraint de luy donner. Comme elle fit bruit, chacun parla dans la Ville d’une nouveauté si particuliere, & il n’y eut aucune Personne considérable, qui ne souhaitast connoître cette jeune Demoiselle. Vous pouvez juger combien elle reçût de loüanges de tous ceux qui s’empresserent à luy faire Compliment sur son dessein.

Pour le Roy §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 166-168.

Je vous envoye le coup d’essay d’une Muse naissante, qui a eu l’aplaudissement de toute la Cour. Ce sont quatre Sonnets de Mr de Hautmont de Saumur, sur des Bouts-rimez, que l’on avoit proposez icy à la loüange des Héros du Siécle. Il eut l’honneur le 8. de ce mois de lire en présence de Sa Majesté celuy qu’il a fait pour Elle. On m’a fait espérer quelques Piéces tendres de sa façon. Je ne doute point qu’elles ne vous plaisent Les bords de la Loire sont d’heureux Climats, où les cœurs semblent naître pour l’amour.

POUR LE ROY.

Si jamais un Héros fut couronné de gloire,
Si les Siecles jamais ont produit un grand Roy,
Si jamais Conquérant sçeut bien donner la Loy,
C’est LOUIS, dont le Bras couronne la Victoire.
***
Qu’on ne nous vante plus la valeur & l’histoire
De tous ces Demy-Dieux dont la Fable fait foy ;
La France triomphante, & l’Europe en effroy,
Et l’Afrique domptée, effacent leur mémoire.
***
Il n’a rien entrepris qu’il ne l’ait achevé,
Au faiste des grandeurs Luy seul s’est élevé,
Tous ses pas ont marqué son courage intrépide ;
***
Et l’on en voit beaucoup au rang des Immortels,
Au dessus d’un César, au dessus d’un Alcide,
Qui bien moins que LOUIS méritent des Autels.

A Monsiegneur le Dauphin §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 169-170.

A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.

Jeune & brillant Héros, qui cours apres la gloire
Sur les pas triomphans de nostre auguste Roy,
Apprens de sa justice à nous donner la Loy,
Et de son Bras vainqueur à forcer la Victoire.
***
Ce Grec audacieux si vanté dans l’Histoire,
Ce Guerrier foudroyant dont Arbelles fait foy,
Du Monarque Persan la terreur & l’effroy,
N’aura rien d’éclatant au prix de ta mémoire.
***
Le Destin nous promet ce Miracle achevé,
Vu Dauphin glorieux, dont le cœur élevé
Seconde la grandeur de LOUIS l’intrépide.
***
Apres l’avoir couvert de Lauriers immortels,
Nous le verrons pompeux, suivy d’un autre Alcide,
Mériter à son tour des vœux & des Autels.

A Monsieur §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 171-172.

A MONSIEUR.

Prince, dont le grand cœur mérita tant de gloire,
Dans ces Champs si fameux où tu donnas la Loy,
Ta valeur à Cassel fit bien voir à ton Roy
QuePhilippe de Franceest né pour la Victoire.
***
On verra les Flamans terrassez dans l’Histoire
Marquer tous les grands coups dont ce Combat fait foy ;
Les Murs de Saint Omer en tomberent d’effroy,
Et son Héros vaincu craint encor ta mémoire.
***
Un Epaminondas fust-il plus achevé ?
Que ne peut le François sous ce Chef élevé ?
LOUIS fait tout trembler sous ton Bras intrépide.
***
Tu le suis de bien pres au rang des Immortels ;
Auguste dans la Paix, & dans la Guerre Alcide,
L’Olive & le Laurier chargent tous tes Autels.

A Monsieur le Prince §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 173-174.

A MONSIEUR
LE PRINCE.

Héros, dont la valeur fait éclater la gloire,
Dans ces fameux Combats admirez de ton Roy,
Pour qui ta jeune audace osa porter la Loy
Dans ces Lieux de tout temps fermez à la Victoire.
***
Ces Champs si renommez parlent de ton Histoire,
Rocroy, Lens, & Norlingue, & Fribourg, en font foy ;
Dunquerque, Thionville, en conservent l’effroy,
Et Sénef & le Rhin redoutent ta mémoire.
***
Vit-on un Conquérant plus grand, plus achevé ?
Ton Nom, de tous les Noms est le plus élevé,
Prince aussi genéreux que Guerrier intrépide.
***
La France doit son lustre à tes Faits immortels,
Elle n’a qu’un Condé, la Gréce qu’un Alcide,
Mais Alcide à Condé doit céder les Autels.

[Prise de Sainte Maure, avec des remarques curieuses sur l’Isle de ce nom, & sur sa situation] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 190-193, 205-206, 208-209.

Je viens à la prise de Sainte Maure, dont le Siége fut formé le 23. de Juillet par l’Armée Vénitienne, & par les Troupes Conféderées du Pape, du Grand Duc de Toscane, & de la Religion de Malthe, sous le commandement de Mr Morosini, Procurateur de Saint Marc, & Genéralissime de l’Armée. L’Isle de Sainte Maure estoit autrefois attachée au continent de la Grece, qui la compte pour une de ses Isles Occidentales, comme elle met au nombre des Orientales celles de l’Archipel. En effet, toute la largeur de la Grece prise de l’Orient à l’Occident, sépare l’Archipel de Sainte Maure. Elle estoit connuë dans l’Antiquité sous le nom de Leucade, & faisoit une partie du Royaume d’Ulisse ; aussi est elle fort proche d’Ithaque, où ce Prince & sa Femme Penelope résidoient. Une Rocher de cette Isle estoit autrefois le refuge, où l’on voyoit accourir en foule tous les Amans infortunez de la Grece, qui croyoient appaiser en ce lieu-là, la violence de leurs transports amoureux, en sautant du sommet de ce Rocher. On tient que la fameuse Sapho qui a composé tant d’excellens Poëmes, donna l’exempled e sauter en bas, lors qu’elle eut appris l’infidélité de son Amant Phaon. D’autres attribuent à Cephale, le premier essay d’un remede si extraordinaire. Ce Rocher auroit esté un grand ornement dans la Carte de Tendre.

 

Enfin, le Dimanche 6. jour d’Aoust, aprés que le feu eut continué jusqu’au soir de part & d’autre, les Turcs éleverent un Drapeau blanc sur leurs Murailles, pour faire connoistre qu’ils vouloient capituler. [...]

 

Les Vénitiens n’ont perdu que deux cens Hommes à ce Siége. [...] Mr Morosini fit aussitost benir la principale Mosquée, & le Te Deum y fut chanté.

[Lettre contenant plusieurs particularitez touchant le Père Couplet jesuite, arrivé depuis peu de la Chine avec un jeune Chinois] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 210-224.

La Lettre qui suit est fort curieuse. Elle est du sçavant Mr Comiers à un de ses Amis de Province. Il a bien voulu m’en donner une Copie. Je l’ay demandée pour vous, & je vous l’envoye.

A Mr D. S… DICKS.

Vous serez sans doute bien aise d’apprendre que le Pere Couplet Iesuite est de retour de la Chine, où il estoit allé travailler aux Missions, & qu’il en a amené un jeune Indien de Nanking, Capitale de la Province du mesme nom. Vous sçavez que la Chine est aussi grande que toute l’Europe, & qu’un de leurs Empereurs ayant fait le dénombrement du commun du Peuple, trouva cinquante huit millions, cinquante-cinq mille, & quatre-vingts Hommes, sans y comprendre les Eunuques, & ceux qui font profession des Lettres, ou qui portent les armes, dont on peut dire que le nombre est infiny. La Chine est remplie de tres-belles Villes. Nanking estoit si grand autrefois, qu’à peine un Homme à cheval pouvoit en deux jours faire le tour des murailles.

Bien que le Pere Couplet soit de Malines, & qu’il ait demeuré vingt-quatre ans parmy les Chinois, chargé de la conduite de soixante grandes Eglises composées de plus de soixante mille Chrétiens, il parle bon François, & avec sa riche taille, il porte bien le caractére d’un Héros de l’Evangile dans sa 62. année. Le jeune Chinois qu’il a amené parle assez bien Latin, & s’appelle Mikelh Xin. Ils allerent le 15. de ce mois à Versailles, où ils eurent l’honneur de salüer Sa Majesté. Ils virent ensuite joüer les eaux, & se trouverent le lendemain au dîner du Roy. Le jeune Indien estoit en ses habits Indiens, ayant une riche Veste de Brocard d’or fond bleu, avec des figures de Dragons, & un visage affreux sur le haut de chaque manche. Il avoit par dessus une espece de Tunique de soye verte. Sa Majesté aprés avoir entendu ses Priéres en Langue Chinoise, luy fit servir une Assiete sur la Table, pour voir la propreté, & l’adresse des Chinois à manger avec deux petites Baguettes d’y voire à quatre pans, & d’un pied de long, qu’ils tiennent dans la main droite, entre deux doigts. Mr Hubin Emailleur du Roy, si connu dans toute l’Europe par son travail des yeux artificiels, & par tout ce qu’il y a de plus beau, & de plus sçavant en matiere de verre & d’émail, se chargea de leur faire voir les Expériences qu’on appelle du Vüide, par lesquelles nous démontrons la pesanteur de l’air. Le Pere Couplet, & son Compagnon, le Pere Pierre Vanhammé de Gand, avec le jeune Chinois, se rendirent chez luy Mercredy dernier, & il fit toutes ces Expériences avec son adresse accoûtumée, les accompagnant de raisonnemens si justes, que toute l’illustre Compagnie qui s’y trouva, convint qu’il avoit démontré en plus de dix façons la necessité de la pesanteur de l’air, puis qu’on ne pouvoit attribuer à aucune autre cause tant d’admirables effets qu’il avoit fait voir par le moyen de la machine que le commun appelle, la Machine du Vüide. Il fait publiquement de temps en temps les mesmes Expériences pour l’utilité du Public, & pour la curiosité des Sçavans.

Peu de jours aprés, Mr Hubin & moy, nous allâmes à la Maison de Saint Loüis, où ces Peres, & le jeune Chinois, nous firent voir quantité de Portraits sur du Tafetas de la Chine. Cette sorte de Peinture n’a point de corps. Je vis avec plaisir le Portrait du Docteur Confusius avec ses grandes moustaches noires, qui a esté chez les Chinois ce qu’Aristote a depuis esté chez les Grecs, & je remarquay que tous ces Portraits, comme ceux des Mandarins, ont tous des Chapelets. J’oubliay de demander si sur chaque grain ils disent comme les Turcs Staferla, Dieu ayez pitié de nous.

Le jeune Chinois a bien voulu m’aprendre à écrire. Leur Encre est celle que nous appellons Encre de la Chine. Un long Pinceau leur sert de plume. Voicy de son écriture. Ils appellent Dieu Tién chú. Le Seigneur du Ciel, ou bien Xam̄ Ti. Supréme Empereur ; & l’Empereur de la Chine est appellé Xam hy, Empereur inferieur.

Leur Encre & leur Plume sont bien diférentes des nôtres ; mais leur écriture l’est mille fois encore davantage. Leur Alphabet est composé de plus de quatre-vingts mille diférens Caracteres ou Chiffres, car chaque Lettre fait un nom ; c’est pourquoy il faut trente ans pour apprendre à lire, & avoir la mémoire & l’imagination tres-fortes pour contenir l’idée de tous ces quatre-vingts mille diférens Caracteres, & de leurs significations.

Vous sçavez que les Hébreux écrivent de droit à gauche ; que leurs lignes sont horizontales, & leurs mots composez de plusieurs lettres sans voyelles, mais avec de certains points, aspirations &c. & que leurs Livres commençent par où les nôtres finissent. Les Chinois commençent de mesme ; mais chaque mot n’a qu’une lettre ou caractere. Ils écrivent de haut en bas, ainsi leurs lignes sont perpendiculaires, & commencent à main droite.

Ils parlent comme en chantant, & les diférens accens ou tons de voix donnent les diférentes significations aux mots qu’on prononce, car pour les mots écrits on ne peut pas se tromper à les lire, puis que tous les Caracteres sont diférens ; mais un mesme mot prononcé, suivant qu’il est prononcé, signifie plusieurs choses diférentes. Voicy l’exemple que ce jeune Chinois m’a donné. Le monosyllabe Po, a onze significations, selon onze tons tous diférens dont on peut le prononcer. Ces onze significations sont, mince, verre, amplitude, deviner, point de tout, vieille, un nom de Fleuve, égaler, rompre, cacher.

Les Chinois sont Idolâtres, & rendent de grands honneurs à une Idole à trois testes, qui represente leurs trois grands Philosophes, Confusius, Xequiam, & Tauzu. Leurs principaux Dieux, sont comme aux Astrologues, le Soleil, la Lune, & les Etoiles. Ils adorent aussi le Diable, afin qu’il les laisse vivre en repos, & qu’il ne leur fasse point de mal. C’est pourquoy sa figure est sur la Proüe de leurs Navires, & la Veste de Brocard d’or du jeune Indien a cette mesme figure sur le haut de chaque manche. Ils sont Pytagoriciens, & croyent la Transmigration des ames. Ils ont quantité d’Ecoles, & si grande quantité d’Hôpitaux pour les Pauvres, qu’on ne voit point de Mandians parmy eux. Ils ont aussi quantité de Temples, & un tres grand nombre de Prestres, tous habillez de noir, avec quatre Ordres de Religieux, des Religieuses, des Hermites, & des Montagnes consacrées où l’on va en Pelerinage. Les nouvelles & les pleines Lunes sont leurs jours de Festes, & la principale est la nouvelle Lune de Février, qui est le jour de leur nouvel an. Celuy de la naissance de l’Empereur est aussi tres-solemnel, & chacun en son particulier, celebre le jour où il est né. Bien qu’ils n’ayent aucune connoissance des biens & des maux de l’autre vie, ils enterrent leurs Parens dans des Plaines avec grande cerémonie, & ils les adorent. Ils croyent que les Dieux sont en courroux lors qu’il arrive quelque Eclipse de Soleil, ou de Lune. Jugez, Monsieur, combien il est avantageux d’estre Astronome. Je suis vostre, &c.

COMIERS.

A Paris le 25. Sept. 1684.

[Histoire] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 242-268.

Quoy qu’il me reste quantité d’Articles à employer dans ma Lettre, je ne veux pas oublier à vous faire part d’une Avanture, dont les incidens vous divertiront. Quelques jeunes Demoiselles, des plus jolies qu’il y ait dans une fort grande Ville, où il s’en trouve beaucoup, commençant à s’ennuyer apres un long entretien qu’elles avoient eu ensemble, proposerent de se donner le plaisir de flater un Cavalier qu’elles connoissoient, de l’espérance d’un Rendez-vous amoureux. Le Cavalier avoit du mérite. Il estoit bien fait, & ne manquant ny d’esprit, ny de ces manieres aisées & insinüantes qui font que l’on plaist par tout, il se seroit attiré une estime genérale, s’il eust esté moins persuadé de ce qu’il valoit ; mais c’estoit l’Homme du monde le plus remply de luy-mesme. Quoy que l’on pust dire à son avantage, sa sote présomption n’estoit jamais satisfaite. Il croyoit toûjours qu’on ne disoit pas assez, & sa vanité luy faisant faire cent contes du commerce qu’il avoit avec les Dames, il se donnoit des airs de bonne fortune qui détruisoient les plus favorables impressions qu’on auroit pû prendre pour ses bonnes qualitez. Ce dessein du Rendez-vous ayant paru fort plaisant aux Demoiselles, il fut question de l’exécuter. Il s’agissoit pour cela d’écrire un Billet au Héros de l’Avanture. L’une d’elles s’en chargea, & contrefaisant son caractere, quoy qu’il fust entiérement inconnu au Cavalier, elle écrivit ce Billet dans les mesmes termes que vous allez lire.

BILLET.

On vous prie de vous trouver demain aux Cordeliers sur les trois heures. Je ne doute point point que cela ne vous étonne ; mais enfin, Monsieur, rendez-vous justice, & soyez persuadé qu’il faut un mérite aussi extraordinaire que le vostre, pour faire naître des sentimens pareils à ceux que vous m’avez inspirez, vous pouvant assurer avec verité que personne n’a pû faire sur mon cœur, apres beaucoup de soins & de peines, ce que vous y avez fait, peut-estre sans le vouloir. Vous pouvez juger de la violence de ma passion par l’aveu que je vous fais. J’ay opposé ma fierté naturelle, j’ay fait agir mon devoir, & tout cela n’a pû empescher que je ne me sois renduë. La distinction que l’on fait par tout des qualitez qui vous acquiérent l’estime de tous ceux qui vous connoissent, justifie ce que je sens pour vous de trop fort, puis qu’il y a moins de foiblesse en moy à vous aimer, que de force en vous pour m’y contraindre. Je vous diray le reste demain. Un Habit blanc, & une Fontange couleur de feu, me feront connoistre si vous me cherchez au Lieu que vous marque ce Billet.

Comme on ajoûte toûjours aux desseins qu’on fait pour se divertir, une jeune Demoiselle de la compagnie, qui sçavoit le monde autant qu’aucune autre, quoy qu’elle ne fust sortie du Convent que depuis deux mois, dit que pour tirer un effet plaisant de la tromperie qu’on faisoit au Cavalier, il falloit écrire le mesme Billet à trois ou quatre de ses Amis, afin que se trouvant tous au mesme lieu dans le mesme temps, ils se regardassent les uns les autres comme des Fâcheux, qui seroient venus mal à propos troubler une occasion de bonne fortune, & que pour elle qui n’avoit nulle habitude avec aucun d’eux, ne les connoissant que de visage, elle s’engageoit à joüer le rôle de la Demoiselle du Rendez-vous, afin de venir leur rendre compte de la maniere dont tout s’y seroit passé. On approuva son avis, & apres qu’on eut copié cinq fois le Billet, il fut envoyé au Cavalier, & à cinq de ses Amis. Chacun y trouvant dequoy s’applaudir sur son mérite, s’en fit un triomphe qu’il vous est facile de vous figurer. Ils se préparerent à venir au Rendez vous ; mais le Cavalier sur tout se mit en état de charmer la Belle par sa bonne mine. Il n’oublia rien de ce qui pouvoit luy donner de l’agrément. Il prit un Habit fort propre, & passa tout le matin à consulter son Miroir sur l’ajustement de sa Cravate & de sa Perruque. Il estoit encore dans cette occupation, lors qu’un de ses intimes Amis vint luy dire que des Dames l’avoient mis d’une Partie de plaisir ; qu’elles partoient incontinent apres le dîné pour aller passer le reste du jour à une lieuë de la Ville, & qu’elles l’avoient chargé de le venir prendre. Vous pouvez croire que le Cavalier n’accepta pas le party. Il prit diverses excuses, & son Amy qui n’en recevoit aucune, persistant toûjours à le presser, il se résolut enfin à luy découvrir ce qui l’obligeoit à ce refus. Sa vanité y trouvoit son compte, & il n’estoit pas fâché qu’on le contraignist à déclarer son secret. Apres avoir fait promettre à son Amy qu’il ne diroit rien, il luy fit lire le Billet du Rendez vous, & ce fut assez pour luy faire voir que rien ne l’empescheroit de s’y trouver. Cet Amy sortit, & le Cavalier plein d’impatience se rendit au Lieu marqué une heure plutost qu’on ne l’y devoit attendre. Il estoit d’un galant Homme d’en user de cette sorte, & la Belle dont il s’estoit fait aimer, luy devoit sçavoir bon gré du soin qu’il prenoit de la prévenir. Il regardoit toûjours vers la Porte, & ce fut pour luy un grand sujet de surprise, lors qu’une demy-heure apres il vit entrer un de ses Amis. Il se détourna pour luy cacher son visage, & son Amy qui le reconnut, ne se trouva pas moins embarassé que luy. Ils eurent fort peu de temps à examiner ce qu’ils devoient faire, puis qu’un troisiéme survint, & qu’il fut suivy presque aussitost de tous ceux qui avoient reçeu le mesme Billet. Je ne vous dis point quel fut leur étonnement de se rencontrer ainsi l’apresdînée en un Lieu, où ils ne pouvoient faire croire que la devotion les eust attirez. Il n’y avoit rien de plus surprenant que ce fust un pur effet du hazard, & il l’estoit encore davantage que chacun eust eu une raison particuliere de venir en ce Lieu-là, & en mesme jour, & à la mesme heure. Ils avoient tous voulu prévenir la Belle pour se faire voir plus dignes des sentimens favorables qu’elle leur avoit marquez, & vous pouvez vous imaginer quel chagrin ce fut pour eux que la présence de tant de Témoins qui se connoissoient l’un l’autre, ne leur permist pas de joüir du Rendez-vous. Ce malheur toucha d’autant plus le Cavalier, qu’il l’imputoit à son indiscretion. Il crût que celuy à qui il avoit confié son amoureuse avanture, ne s’estoit pas tû, & que les Dames qui avoient voulu le mettre de leur Partie, ayant appris son secret, luy avoient malicieusement envoyé des Espions pour le traverser dans son bonheur. Cependant comme tant de Gens liez d’amitié ensemble ne pouvoient se voir sans estre obligez de se parler, ils se joignirent un moment apres qu’ils furent entrez. Chacun apporta quelque méchante raison qui autorisoit son arrivée, & ils se donnoient encore ce mutuel éclaircissement, quand la Demoiselle à l’Habit blanc & à la Fontange rouge, entra dans l’Eglise, suivie d’une Femme, que l’habillement marquoit avancéé en âge. Elles étoient toutes deux masquées, & allérent se placer à vingt pas l’une de l’autre. La Belle ayant dequoy faire naître de la curiosité par la finesse & l’agrément de sa taille, les Intéressez au Rendez-vous craignirent de le faire soupçonner, s’ils la regardoient sans rien dire d’elle. Chacun pour cacher qu’elle fust venuë pour luy, montra quelque envie d’apprendre ce qui l’amenoit ; & le Cavalier que l’on connoissoit aussi hardy que présomptueux, s’offrit aussitost à luy aller faire compliment. C’estoit profiter de l’occasion, sans donner sujet de croire que la Belle l’eust mandé. Il alla se mettre à genoux à costé d’elle, & il n’y fut pas plutost, qu’elle luy dit d’un ton fier, qu’il luy estoit inutile d’avoir amené des Témoins de son triomphe, & que si elle avoit eu la foiblesse de luy vouloir quelque bien, dans la pensée qu’il en estoit digne, elle auroit la force d’étoufer des sentimens qui n’estoient dûs qu’à des Gens discrets. Le Cavalier luy jura qu’elle l’accusoit injustement, que tous ceux qu’elle voyoit estoient venus par hazard, sans rien sçavoir du Billet qu’elle avoit eu la bonté de luy écrire, & qu’ils croyoient qu’il ne l’avoit abordée que par une hardiesse de Cavalier, qui ne blesse point les Dames quand elle est accompagnée de respect. Elle feignit quelque temps de ne le pas croire ; & enfin comme vaincuë par sa passion, elle consentit à luy donner rendez-vous à la mesme heure pour le jour suivant, dans une autre Eglise, où il venoit peu de monde. Les mesures qu’il falloit qu’elle gardast, ne permettant pas qu’elle eust avec luy une plus longue conversation devant ses Amis, qui en auroient pû former des soupçons contre sa gloire, elle le pria de les emmener, afin qu’elle pust sortir sans crainte d’estre suivie. Il la conjura de luy montrer son visage, mais il ne pût l’obtenir, & il falut qu’il se contentast de voir de beaux yeux, & des cheveux d’un blond cendré admirable. Il se retira fort satisfait de s’estre justifié, & vint dire à ses Rivaux qu’il n’avoit pû rien sçavoir de la Belle, sinon qu’elle attendoit une Dame pour une importante affaire, dont elles devoient conférer ensemble. En mesme temps il leur demanda s’ils vouloient sortir. Chacun se croyant la Dame qu’attendoit la Belle, jugea à propos de s’éloigner un moment, dans l’espérance de se séparer des autres, & de revenir au Rendez-vous. Ils sortirent de l’Eglise, sans que la Belle eust détourné les yeux sur aucun ; & le Cavalier qui avoit remis ses prétentions au lendemain, tâcha de les engager à la promenade ; mais chacun eut un prétexte pour s’en dispenser, & s’estant quitez presque aussi-tôt, ils revinrent tous au mesme lieu par des chemins diférens. Ils n’y trouverent personne, & ce qu’il y eut d’embarassant, c’est que quelques-uns d’entr’eux se rencontrerent encore une fois. Ils rejetterent leur empressement à revenir sur l’envie de voir ce que deviendroit la Belle, & ne pouvant deviner pourquoy elle avoit sitôt disparu, ils se flaterent qu’elle auroit le soin de leur envoyer de ses nouvelles. Le Cavalier que le second Rendez-vous avoit remply d’espérance, s’y trouva le lendemain de fort bonne heure, & l’impatience de voir arriver la Belle le fit d’autant plus souffrir, que le lieu estant desert, il se voyoit en pouvoir de l’entretenir sans estre observé ; mais il l’attendit inutilement. Il ne tira aucun fruit de ses nouveaux soins à se mettre du bel air, & aprés plus de trois heures qui luy parurent d’une longueur extraordinaire, il fut contraint de sortir, parce qu’un Religieux vint fermer la Porte. A son retour, il trouva chez luy ce second Billet de la mesme main que le premier.

Je feignis hier de me rendre à vos sermens pour vous ôter l’envie de me suivre ; mais je demeuray convaincuë de vostre indiscretion, & je vous donnay un faux Rendez-vous, pour vous punir d’avoir découvert le véritable. Je valois peut-estre bien que vous cherchassiez à mériter ce que je faisois pour vous ; mais la plus belle Conqueste ne vous touche point, si elle n’est sçuë. Adieu, joüissez tout à vostre aise du plaisir d’avoir parlé, & comptez-moy perduë pour toûjours.

Ce Billet mit le Cavalier au desespoir. Il se résolut à rompre avec son Amy qu’il croyoit toûjours avoir trahy son secret, & l’ayant trouvé le lendemain, il s’emporta contre luy avec tant de violence, qu’il le contraignit de tirer l’Epée. On les sépara, & leur querelle ayant fait grand bruit, tout le monde en demanda le sujet. Les Amis du Cavalier qui avoient eu part à son Avanture, ayant voulu en estre éclaircis, il leur répondit qu’ils se souvenoient du lieu où ils étoient venus l’épier, & qu’il sçavoit bien qu’ils n’y seroient pas venus, si on n’eust pris soin de les aller avertir qu’il y estoit attendu. L’un d’eux luy dit sans façon, qu’il y estoit venu pour son compte, & que loin de croire qu’il deust l’y trouver, il l’avoit vû avec grand chagrin aussi-bien que tous les autres, puis que leur présence avoit mis obstacle à un Rendez-vous, dont il n’avoit pas voulu leur parler. Pour luy faire voir qu’il disoit vray, il luy mit entre les mains le Billet qu’il avoit eu. Les autres voyant l’écriture de ce Billet semblable à celle que l’on avoit employée dans ceux qu’on leur avoit apportez, se mirent à rire, & les mesmes termes se trouvant dans les uns & dans les autres, ils n’eurent point à douter qu’on ne les eust pris pour dupes, en les faisant tous venir dans un mesme lieu. Le Cavalier fut desabusé, & reconnoissant son injustice, il envoya faire satisfaction à son Amy. Je n’ay point sçû s’ils ont découvert par qui cette piéce leur a esté faite. Je sçay seulement que quelques uns d’eux ont entendu raillerie, & qu’ils ont conté la chose sans aucun déguisement.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 272.

L´Air qui suit est tout nouveau, & de la façon d´un de nos plus sçavans Maistres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah, ne me parlez plus des douceurs de la vie, doit regarder la page 272.
Ah, ne me parlez plus des douceurs de la vie,
La mort est le seul bien qui flate mon espoir ;
J'ay fait tout mon bonheur d'estre aimé de Silvie,
L'ingrate renonce à me voir ;
Ah, ne me parlez plus des douceurs de la vie.
images/1684-09_272.JPG

[Discours tenu à l’Académie de Peinture et de Sculpture le jour de la remise des prix]* §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 277-286.

Aprés cela Mr Guillet de S. George lût le Discours que je vous envoye.

MONSEIGNEUR,

L’Académie regarde l’honneur que vous luy faites aujourd’huy comme le comble des graces dont vous l’avez favorisée pendant le cours de cette année. Elle a vû sa Pension augmentée par vos recommandations auprés du Roy, & s’est ainsi trouvée en état de soûtenir une dépense necessaire à toutes ses fonctions. Elle a vû l’émulation s’accroître parmy ses Eléves, non seulement par les nouveaux Prix qui se sont distribuez sous vos auspices à la fin de chaque Quartier ; mais encore par la bonté, & par la vigilance que vous leur avez marquée ces jours passez, en venant icy vous-mesme à des heures inopinées pour estre le témoin de leur travail. Aujourd’huy elle voit que vous voulez bien estre leur Arbitre, lors que cherchant à l’envy la perfection de leur Art, ils ne se disputent la victoire que pour se rendre plus dignes de représenter toutes celles du Roy. Ils sçavent, Monseigneur, que c’est vôtre intention, & l’objet des Prix que vous leur préparez. C’est aussi la seule ambition que l’Académie leur inspire. Chaque jour elle confie le soin de leurs progrés à la conduite particuliere du Recteur, & du Professeur qui sont en exercice ; mais elle s’y applique toute entiere dans les Déliberations des Assemblées qu’elle tient. Vous n’ignorez pas, Monseigneur, que l’Assemblée du premier Samedy de chaque mois est destinée à des Conférences generales, tant pour conserver l’esprit de societé, & d’union parmy les Académiciens, que pour agiter quelque Question de l’Art, qui fasse voir ce que les uns sçavent déja, & ce que les autres doivent apprendre. Ainsy dans la premiere Conférence de cette année, Mr Monier a fait lecture d’un Discours qu’il a composé sur la lumiere, & sur les ombres. Il y explique la maniere de traiter ces deux Parties de la Peinture, selon que les objets du Tableau sont diversement opposez au corps lumineux.

Dans la seconde Conférence on lût un Discours de Mr Champagne contre les Copistes des manieres, qu’il accuse de peu de courage, & de peu d’industrie en se bornant à une servile imitation.

Dans la troisiéme on fit lecture d’un Discours de Mr Renaudin sur le Bachus antique, & sur les instructions que les Etudians en peuvent tirer.

Dans l’Assemblée suivante la Compagnie ayant consideré que la plûpart des Tableaux qui ont esté faits pour la reception des Académiciens, representoient sous des figures allégoriques les plus grands Evenemens de l’Histoire du Roy, Elle m’ordonna d’en faire les explications, & convia les Académiciens à me donner un Abregé de leurs pensées ; mais comme tous ces mémoires ne m’ont pas encore esté fournis, il ne m’a pas esté possible de ranger ces Discours selon l’ordre des années. Ainsi sans observer la suite des temps de chaque Evenement, ma premiere lecture fut une explication du Tableau allégorique de Mr Friquet. Il avoit pris pour sujet la Campagne que le Roy fit en Flandre l’année 1667. & la premiere Conqueste de la Franche-Comté, au commencement de l’année suivante ; ce qui fut suivy du Traité d’Aix la Chapelle, & donna lieu au Peintre de marquer combien cette Paix fut glorieuse au Roy, avantageuse à la France, & favorable aux Sciences, & aux beaux Arts.

Le premier jour de Juillet je lûs dans l’Assemblée l’explication du Tableau de Mr Paillet, dont le sens allégorique exprimoit la Bataille des Dunes donnée le 14. Juin 1658. ce qui favorisa la seconde prise de Dunkerque, & facilita la Paix des Pyrenées, dont le Peintre marque les avantages.

Le 5. jour d’Aoust, je lûs un Discours sur le Tableau allégorique de Mr Hovasse qui regarde l’état, où se trouva la Hollande, lors qu’en 1672. le Roy y fit en personne une Campagne, & que sa valeur & sa prudence y surmonterent les divers obstacles du Rhin, des Forteresses, & du Campement des Ennemis, qui furent autant de vaines resources, que le Peintre a trouvé l’art de figurer.

Sous vos ordres, Monseigneur, je donneray le reste des Explications à mesure qu’on m’en donnera les Mémoires, trop heureux, si ma plume pouvoit répondre à l’ardeur de mon zele, & à la richesse d’une matiere, où j’entrevoy par tout les traces de vos importans services, parmy les soins que le Roy prend de porter, & de maintenir les Armes, les Sciences, & les Arts, dans une splendeur qui n’a point encore eu d’égale.

[Mariage de M. d’Urfé et de Mademoiselle de Gontaud] §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 297-298.

Mr le Marquis d’Urfé épousa ces jours passez Mademoiselle de Gontaud-Biron, Fille d’honneur de Madame la Dauphine. Elle est dans une estime generale pour les agrémens de sa personne, & pour la douceur de son esprit. Mr le Marquis d’Urfé en a infiniment. On ne doit pas en estre surpris ; le cœur & l’esprit ont toûjours éclaté dans cette Maison. Je vous en ay fait un si grand détail dans l’une de mes Lettres, que je ne croy pas vous en devoir dire davantage ; les bords du Lignon sont connus de tout le monde, & l’on ne sçauroit s’en souvenir sans se remettre en mémoire la Maison d’Urfé.

[Représentations de La Toison d’or comique par les Comédiens Italiens]* §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 316-318.

 

Comme les Comédiens Italiens ont donné depuis deux ans toute leur application à mériter l’aplaudissement de leurs Auditeurs, & que pour y réüssir, ils n’ont épargné ny soins, ny dépense, toutes les Piéces nouvelles qu’ils ont joüées depuis ce temps-là, ont eu des succés qui ont passé ceux qu’on auroit pû esperer autrefois des Ouvrages les plus achevez. Tout Paris y court en foule, comme aux premieres représentations de l’Opéra. La Satyre vive, & juste dont plusieurs de leurs scenes sont remplies, paroist profitable & de bon goût ; & les vices & les folies des François estant deux matieres inépuisables, ils peuvent se promettre toûjours de tres-grandes Assemblées, s’ils continuent à donner des Comédies de ce caractere. Ils en representent une depuis trois semaines intitulée, La Toison d’or Comique, dont les seuls Articles du Mariage d’Arlequin Jason, peuvent divertir les plus serieux.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, septembre 1684 [tome 11], p. 318-320.

Je vous envoye deux Livres nouveaux, que vous pouvez faire voir à tous les Sçavans de vôtre Province. La matiere leur en plaira d’autant plus, qu’elle est relevée par la netteté, & par l’agrément du style. L’un a pour Titre, Discours d’Eusebe Evêque de Cesarée, touchant les Miracles attribuez par les Payens à Apollonius de Tyane ; & l’autre, Discours de Clement Aléxandrin pour exhorter les Payens à embrasser la Religion Chrétienne. Ce sont des Traductions faites par Mr le Président Cousin, qui est un Homme d’une profonde érudition, dont nous avons déja la Traduction de l’Histoire Bisantine. La Langue Grecque luy est familiere, & vous ne douterez point de la bonté de ses Ouvrages, quand vous sçaurez qu’il a esté nommé pour examiner une partie des Livres qui se donnent au Public, & que c’est sur son raport que l’on accorde la permission de les imprimer. Le Sieur de Luyne, Libraire au Palais, qui debite les deux Discours dont je viens de vous parler, commence à vendre un autre Livre nouveau intitulé, Dom Henrique de Castro, ou la Conqueste des Indes. Je suis, Madame vôtre, &c.