1690

Mercure galant, juin 1690 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1690 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1690 [tome 6]. §

L’Honneur, le Feu, et l’Eau. Fable §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 32-37.

Voicy une Fable dont vous trouverez la pensée fort singuliere. Elle est de Mr de Templery, de la Ville d’Aix en Provence. Vous devez connoistre son heureux genie par plusieurs Ouvrages de sa façon que je vous ay déja envoyez, & sur tout par ses Maximes galantes que vous avez tant approuvées dans ma Lettre de Janvier dernier.

L’HONNEUR, LE FEU,
ET L’EAU.
FABLE.

Je vous l’ay dit cent fois, & le dis encore une.
 Iris, chassez d’auprés de vous
Ce cortege d’Amans, qui blessé de vos coups,
 Vous obsede & vous importune.
Qui dit jeune, dit fou ; ce sont des indiscrets ;
Sur vos moindres faveurs ils feront une glose,
 Et se vantant de leurs progrés,
 Grossiront si fort les objets,
 Qu’un rien deviendra quelque chose.
 Ils diront ce qu’il leur plaira,
L’un ne les croira point, & l’autre les croira,
 Car chacun à son gré raisonne.
Ils semeront par tout le bruit de leur bonheur,
Et mettant une tache enfin à vostre honneur,
 Qui vous l’effacera ? Personne.
 Mais si par cette verité
 Qui vous seroit si profitable,
Iris, sur vostre esprit je n’ay rien emporté,
 Et si quelque conte inventé
Fait sur vous plus d’effet qu’un discours veritable,
 Rendez-vous donc à cette Fable.
***
Un jour le Feu, l’Honneur, & l’Eau
Conclurent de faire voyage,
 Pour voir dans un Pays nouveau
 Les mœurs, la coûtume, & l’usage.
Ils partirent tous trois par un temps assez doux,
Mais comme en voyageant quelquefois on s’égare,
Convenons, dirent-ils, chacun d’un rendez-vous,
 Si quelque accident nous separe.
***
 Le Feu, comme le plus ardent,
 En bluettes se répandant,
 Prit avec chaleur la parole.
 Je suis, dit-il, sans hiperbole,
 Le plus leger des Elemens,
Ainsi le plus sujet à des égaremens.
Une marque pour me connoistre,
 Si je venois à disparoistre,
 Quoy que je sois tout éclatant,
 Et d’une splendeur enflâmée,
 Où vous verrez de la fumée,
 Vous me trouverez à l’instant.
***
 A ces mots, l’Eau vive & bruyante
 Se plaisant fort à gazoüiller,
 Voulut à son tour babiller,
 Mais de sa maniere coulante.
 Gaye, éveillée extremement,
 (Car à parler sincerement,
 Il n’est pire eau que la dormante)
Si je me perds, dit-elle, en quelque trou nouveau,
Ne m’allez point chercher dans des sables sans herbe,
 Car pour me servir du Proverbe,
 Autant vaudroit-il battre l’eau ;
 Mais en allant de route en route,
 Foüillez le jonc & le roseau,
 Et vous m’y trouverez sans doute.
***
 L’Honneur, ce fantôme adoré,
 Qui dans le devoir tient nos Belles,
Et pour qui nos Guerriers d’un cœur deliberé
Vont affronter la mort sous des formes cruelles ;
 L’Honneur, dis-je, voulant parler,
Pour moy, s’écria-t-il, je ne puis le celer :
Gardez-moy, mais si bien que rien ne nous separe.
 Ayez sur moy des yeux d’Argus,
 Car si loin de vous je m’égare,
 Vous ne me retrouverez plus.
***
 Cette Fable, Iris, vous convie
A ne flétrir jamais la gloire de vos jours,
 Car l’Honneur est comme la vie,
 Quand on le perd, c’est pour toujours.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 38.

L'Air & les paroles du Printemps nouveau que je vous envoye, sont de Mr de Bacilly.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Ah, que le Printemps, doit regarder la p. 38.
Ah, que le Printemps a d'appas !
Et que l'Hiver & sa glace, sa nege & ses frimas
A bon droit luy cedent la place !
Si le cœur d'Iris, helas !
Pouvoit en faire de mesme,
Et ceder à l'ardeur de mon amour extrême,
Je chanterois jusqu'au trépas,
Ah, que le Printemps a d'appas !
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[Mort de M. de Calvo] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 71-73.

Les actions par lesquelles Mr de Calvo, Lieutenant General des Armées du Roy, & Chevalier de ses Ordres, s’est distingué depuis un fort grand nombre d’années, ont esté si éclatantes, qu’il est impossible que les nouvelles publiques ne vous ayent appris sa mort. Elle arriva à Deins en Flandre le 29. du mois passé, aprés cinq jours d’une fiévre interne qui ne se declara point. Si tost que la violence de son mal luy eut fait connoistre le danger où il estoit, il se prepara à quitter la vie avec le mesme courage & la mesme fermeté qu’il avoit fait tant de fois paroistre dans les occasions les plus perilleuses, & fit appeller Mr l’Abbé Riquetti qui est auprés de Mr le Maréchal Duc de Luxembourg, pour luy remettre les affaires de sa conscience. Cet Abbé dont les grands talens sont connus par quantité de Sermons qu’il a preschez avec beaucoup de succés dans les meilleures Chaires de Paris, & sur-tout par l’excellent Panegyrique de Saint Louis, qu’il prononça l’année derniere dans la Chapelle du Louvre devant Mrs de l’Academie Françoise, le trouva dans toutes les dispositions qu’on peut souhaiter à un bon Chrestien, & n’eut pas besoin de l’exhorter pour luy faire prendre les sentimens d’un entier détachement des choses du monde, & d’une parfaite soumission aux ordres de Dieu. Ainsi Mr de Calvo receut tous les Sacremens avec une resignation tres-édifiante & mourut aprés avoir tenu fort longtemps le Crucifix embrassé.

Le Clergé de Champagne. Nouvelle §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 80-89.

L’Ouvrage qui suit est de Mr de Caluy, dont je vous ay déja envoyé plusieurs Contes ; le tour qu’il leur donne est si agreable, qu’on les lit toujours avec plaisir. Celuy cy est adressé à l’un des Prelats dont l’Assemblée du Clergé qui se tient à S. Germain est composée. L’Auteur l’a tiré du premier livre de la Philippide de Guillaume le Breton.

LE CLERGÉ
de Champagne.
NOUVELLE.

 Tu vas donc, illustre Prelat,
Briller à l’Assemblée où cent fois ta prudence
 Sceut allier pour le bien de la France
L’interest de l’Eglise à celuy de l’Etat.
***
 Prelats, Abbez, pleins d’une ardeur fidelle
 Vont à Loüis marquer leur zele :
Mais si quelqu’un oubliant que l’argent
Dans les besoins est le plus seur Agent,
 Au lieu des secours necessaires,
 N’offroit que de simples prieres,
 Dy-luy, Prelat, en peu de mots,
 Ce qu’en pareille conjoncture
 A Clercs d’épargnante nature
Jadis un de nos Rois répondit à propos.
***
 Ce Roy sage, vaillant & juste,
 Regna sous le beau nom d’Auguste.
L’éclat de ses vertus souleva contre luy
 Anglois, Flamans, & Cercles de l’Empire,
 Vains Ennemis que son bras sceut détruire.
Ainsi contre un grand Roy se liguent aujourd’huy
Des Princes ébloüis & jaloux de sa gloire.
Témeraires projets ! Maistre de la victoire,
 En peu de jours Louis va les dompter.
 Mais où me laissay-je emporter ?
Pour un Conteur la matiere est trop belle ;
Revenons donc. Suivi de braves combattans,
Ce Roy court en vainqueur où la gloire l’appelle ;
 Mais son tresor décroist en peu de temps.
Que faire ? Ayant besoin d’une prompte finance,
Il va la demander au Clergé Champenois.
Ils devoient bien fournir à la dépense,
 Ses Soldats défendoient leurs droits.
***
 Mais ce Clergé tardif à la desserre
 Ne donna rien pour cette guerre.
Rien ? Ny riche Prelat, ny Chanoine opulent ?
 Non, rien ; au lieu d’une somme précise,
 Remede un peu trop violent,
 Ces Clercs offroient du tresor de l’Eglise
Des Oraisons, comme un équivalent
***
Mais le Peuple à son Prince ouvre encore sa bourse ;
 Pour ses illustres Potentats,
Son amour fut toujours une seure ressource,
Ils ne sçauroient manquer d’argent ny de Soldats.
Qu’en avint-il ? Aprés guerre & victoire,
 Ce Monarque comblé de gloire
 Fut tranquille dans ses Etats.
***
Nostre Clergé n’eut pas mesme avantage ;
 Car certains Comtes ses voisins
 Pillerent comme Sarrasins
 Les Terres de son appanage.
***
 L’histoire accuse en ce fait-cy
Les Comtes de Retel, de Rosset, de Coussy,
Brigans, qui sans respect du Roy ny de l’Eglise,
Crurent que biens sacrez estoient de bonne prise.
***
 Tous nos Clercs donc en desarroy,
Voyant que telles gens en leur audace extrême,
 Sont peu touchez de l’anathême,
 Implorent le secours du Roy.
***
 Mais ce grand Roy gardoit dans sa memoire
 De leurs refus le sensible déboire.
 Que voulez-vous, dit-il ? Je ne puis accorder
  Que remontrance & que priere :
J’ay fort peu de Soldats, & de finance guere ;
 D’autre secours je ne vous puis aider.
***
Il tint parole, & sur un tel chapitre
Il écrivit aux Comtes mainte Epitre.
 Là, sans parler de leurs forfaits,
Il les prioit pour Dieu de laisser vivre en paix.
 Ces bonnes gens que leurs rapines
 Empêchoient de chanter matines.
***
D’un stile si nouveau les Comtes tout surpris
  Font encor pis ;
Tant que nos Clercs confus de leur ingratitude,
 Et las d’une guerre si rude,
 Conviennent tous de bonne foy,
 Qu’il estoit juste que le Roy
 Ne leur donnast qu’argent de même alloy.
***
 Or deux d’entre-eux devant ce Prince
 Pleurant les maux de leur Province,
Tristes Ambassadeurs vont chercher du secours.
Mais ils font mieux ; aprés leur doleance
Ils font au Roy toucher mainte finance,
Charme plus fort que les plus beaux discours.
***
 A cet objet rappellant sa clemence,
 Comme vous, dit-il, jusqu’icy
J’ay sceu donner paroles pour paroles ;
Mais puis que maintenant vous comptez des pistoles,
 Je répondray par des effets aussi.
***
  D’abord il se met en campagne,
Et chasse en peu de temps du fond de la Champagne
 Des biens sacrez l’injuste Usurpateur.
  Alors un celebre Orateur
D’entre les Clercs harangua le Monarque,
Et finit par ces mots que l’Histoire remarque.
***
 Nostre domaine est le bienfait des Rois,
 Leur bras puissant le garde & nous l’assure,
  Sans eux pauvres comme autrefois
 Nous n’aurions que la Prelature.
Soutenons donc leurs desseins genereux
D’un bien que nous devons à leur main liberale :
 Maints tyranneaux sans la force royale,
Nous en dépouilleroient & le prendroient pour eux.

[Discours fait par Mademoiselle de Pringy] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 89-103.

Je ne doute point, Madame, que vous ne me sçachiez gré de vous envoyer l’Ouvrage qui suit. Il est sur une matiere qui a toujours des charmes pour vous, & il doit vous plaire d’autant plus, qu’il part de la plume d’une personne de vostre Sexe. Comme je vous en ay déja fait voir plusieurs autres de Madame de Princé, il vous sera fort aisé de reconnoistre son stile. Vous sçavez qu’elle écrit juste, & avec beaucoup de delicatesse. Ainsi vous ne devez vous promettre qu’un fort grand plaisir de cette lecture.

DISCOURS
Sur le discernement du Roy dans le choix des personnes à qui Sa Majesté confie l’éducation de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Commander avec justice, vivre avec sagesse, unir la pieté à la puissance, & la bonté à la valeur, estre grand par une Couronne & par un merite infiny, & soutenir le glorieux poids de son Etat avec l’admiration de tout l’Univers, ce n’est qu’une legere idée des grandeurs de nostre Monarque. Ses faits inouis donnent de l’étonnement, & ses vertus sont d’un caractere qui n’a point eu d’exemple, & qui ne peut estre imité. Quel esprit plus vif & plus surprenant que le sien ? Il est éclairé & tout brillant des lumieres qu’il a receuës du Ciel quand il éteint l’Heresie ; il ne l’est pas moins quand il abolit ces licences barbares que l’usage avoit tolerées. Pendant que toute l’Europe s’agite pour le troubler, il est tranquille dans ses Etats. Environné de sa propre gloire, il songe à choisir des Instructeurs capables de former les mœurs du jeune Heros en qui il se regarde. Entouré d’Ennemis à qui l’injustice & l’envie servent de puissance & de gloire, il rend par sa prudence leurs desseins sans succés comme ils sont sans raison, & sans s’embarasser de leurs mouvemens impetueux, ny de leur nombre, dans le sein de son Etat il songe à sa Famille. LOUIS dont le discernement éclairé ne laisse rien échaper à ses connoissances, aprés avoir pesé le merite & la vertu de ceux qu’il estimoit, a fait choix d’un illustre Seigneur, sage & fidelle, dont les soins vont mettre l’ordre dans les nobles inclinations du jeune Prince que l’on luy confie. Quelle situation charmante pour ce Heros naissant de se trouver formé d’un sang si pur, disposé à suivre les divins exemples de ses Ayeux ! Elevé par des hommes doctes, pieux & zelez, il va apprendre à estre un grand homme & un grand Prince. Les soins des hommes illustres qui l’instruisent luy inspireront la vertu, ses nobles inclinations le porteront à l’aimer, & l’exemple de LOUIS LE GRAND l’engagera à la suivre. Il va s’apliquer à connoistre la vertu, connoissance si necessaire à un Prince, qu’il ne peut estre parfait sans elle. C’est ce qu’a si bien prevû nostre Monarque, qu’il ne s’est pas contenté de la doctrine, de la science & de la vivacité dans les personnes à qui il confie ce jeune Prince, il a voulu y trouver aussi de la pieté, de la foy & de la sagesse, afin que ceux qui instruiroient par leurs discours pussent édifier par leurs actions. Il a voulu que la science que l’on alloit donner à ce jeune Prince fust une science de lumiere qui n’eust point d’ombres, & qui pust toûjours unir l’habileté à l’innocence, & la vertu à la capacité. Pour reüssir dans ce dessein, il ne pouvoit mieux choisir. C’est là où son discernement toujours éclairé, toujours vif, luy découvrant le fort & le foible des esprits, luy fit voir l’étenduë du genie & la droiture du cœur de ceux qu’il a preferez. Son choix fit admirer son juste discernement, car on le voit toujours distinguer ceux qui se distinguent par la vertu, & couronner d’honneur ceux que la vertu couronne de reputation. Quelle sagesse merveilleuse de procurer par son choix la lumiere à l’un & la gloire à l’autre, donner la connoissance de la verité à son Fils par l’honneur qu’il fait à son Sujet, & faire admirer par son discernement la grandeur de sa justice, & la vertu de ceux qu’il a choisis ! Heureux Prince, à qui nôtre Monarque donne par son choix la connoissance de la vertu avec celle de la verité, souvenez-vous que l’on vous aprend à la connoistre afin de vous aprendre à l’aimer. Mais je me trompe, grand Prince, vous le scavez naturellement. Du pur sang dont vous estes formé, la vertu vous est naturelle, & vous la pratiqueriez par inclination, quand mesme vous ne la connoistriez pas par instruction. Les nobles inclinations des Heros leur donnent en naissant l’amour de la vertu ; ils n’ont point d’effort à se faire pour la suivre, & l’instruction qui la leur fait connoistre, leur fait moins voir l’amour qu’ils luy doivent que celuy qu’ils-luy portent. C’est ce que l’on voit dans vostre Auguste Personne, grand Prince. Vostre panchant pour les choses les plus nobles & les plus justes, a prévenu les soins que l’on prend pour vous l’inspirer ; l’on trouve en vous le fruit des peines que l’on veut prendre, & les travaux sont récompensez sans estre soufferts, puis que vous aimez la vertu par inclination naturelle, & que vos sentimens sont si nobles, qu’on ne sçait si l’on doit vous admirer ou vous instruire. Quel agreable étonnement pour ce grand homme, cet illustre Gouverneur, de trouver dans un âge si tendre une vertu si avancée, & quelle joye pour ces illustres Sçavans qui vous instruisent, de trouver des lumieres qu’ils n’ont qu’à découvrir, des mœurs qui se reglent sans contrainte, & des inclinations, qui previennent leurs avis. Tout petit se faire voir un Grand Prince qui renferme dans sa personne une ame noble, grande, qui n’aime que la vertu, & qui desire de suivre le modelle admirable de Louis le Grand, quel exemple merveilleux ! quel modelle surprenant ! Marcher sur les traces de Louis le Grand, c’est courir à grands pas dans les sentiers de la vertu la plus pure, c’est voler au sommet des grandeurs les plus veritables ; enfin c’est entrer dans une carriere toute merveilleuse, qui jusqu’à present n’a pû qu’estre admirée de tous les Monarques du monde. C’est ce Prince redoutable que vous devez imiter, vous n’avez pas receu son sang pour ne pas posseder ses vertus, & l’exemple qu’il vous donne est une instruction muette qui vous doit apprendre à suivre les grandes qualitez que l’on remarque dans son auguste Personne. C’est le plus beau desir qui puisse entrer dans le cœur du plus grand des Princes, & celuy qui pourra comme Louis le Grand, estre aimé de tous ses Peuples, craint de ses Ennemis, posseder ensemble le zele de la Religion, la pieté veritable, la valeur parfaite, la justice & la clemence, se pourra dire l’imitateur du plus grand Roy qui fut jamais. C’est ce desir qui vous doit animer, grand Prince. Vous devez au discernement de nostre Monarque la vertueuse éducation que vous recevez ; vous devez au sang genereux donc vous estes formé l’amour de la vertu que que vous avez, & vous devez à son exemple le dessein de l’imiter, & d’estre comme vostre Auguste Pere, l’admirable Descendant du plus admirable des Rois.

[Sonnet] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 107-109.

Le mesme zele est en France où le nombre des Hopitaux & des Maisons de Seminaires augmente de jour en jour par le soin & la charité de nos Prelats. C’est ce qui a donné lieu à Mr Boyer de l’Academie Françoise, si digne de la reputation que luy ont acquise tant de beaux Ouvrages, de faire le Sonnet que je vous envoye. Il est adressé à Mr l’Archevesque d’Alby.

Pasteur, des bons Pasteurs l’exemple & le modelle ;
Quel autre comme vous pour l’Eglise & l’Etat,
Prompt, actif, vigilant, à son devoir fidelle,
Sçait remplir tout l’employ d’un illustre Prelat ?
***
Ce n’estoit pas assez de voir que vostre zele
Renouvelle en nos jours le saint Apostolat,
Et qu’ayant combattu l’Heretique rebelle,
Toujours quelque conqueste ait suivi le combat.
***
De vastes Hôpitaux, dont vostre ministere
De mille malheureux soulage la misere,
Couronnent les travaux de vostre charité.
***
Ces asiles sacrez, ces Monumens durables,
Le refuge éternel de tant de miserables,
Parleront à jamais de vostre pieté.

[Epitaphes sur la mort du Prince Charles de Lorraine] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 110-115.

Je vous envoye quelques Vers qui ont esté faits sur la mort de Mr le Prince Charles de Lorraine. Mr Taisand, Tresorier de France à Dijon, a fait ceux qui suivent.

SUR LA MORT
du Prince Charles.

Il est mort, ce Heros, ce Prince de Lorraine,
Par un coup imprevû de la Parque inhumaine,
 Luy qu’on vit couvert de Lauriers
Egaler les exploits des plus fameux Guerriers.
Aussi, malgré la mort, il vivra dans l’Histoire,
 Pour s’estre acquis un immortel renom ;
Mais il manque un brillant à l’éclat de sa gloire,
Il n’a pas succombé sous l’effort du Canon,
 Au milieu de la plaine,
 Au champ de Mars, comme le grand Turenne.

Ces autres Vers, aussi bien que l’Epitaphe qui les suit, sont de Mr l’Abbé Saurin.

SUR CE QUE LA MORT
du Prince Charles est arrivée dans le temps que Monseigneur se preparoit à partir pour l’aller combatre.

Louis, le digne Fils de Louis l’invincible,
Avec la mesme ardeur dont il prit Philisbourg,
 Pour abattre une Hydre terrible,
Marchoit contre les Chefs de la Ligue d’Ausbourg.
Un fameux General, l’honneur de l’Allemagne,
 Et la terreur de l’Ottoman,
 Veut s’opposer à sa Campagne,
Et mettre en seureté le Païs Alleman.
Alors nostre Heros qui s’apreste à combattre,
Plus fier que le Lorrain, medite de l’abatre ;
 Mais qui l’eust crû ? Dans cet instant
 La mort jalouse de sa gloire,
A voulu prevenir ce jeune Conquerant,
 Pour avoir part à la victoire.

EPITAPHE.

 Cy-gist le Prince de Lorraine,
Aussi brave Soldat que sage Capitaine,
 Qui sauva l’Empire Alleman,
Et porta la terreur dans le cœur Ottoman.
 Passant, admire sa prudence.
Dés qu’il sceut qu’un Heros, la gloire de la France,
 Dont il connoissoit la vertu,
S’avançant vers le Rhin meditoit sa défaite,
 Chez les Morts il fit sa retraite,
Et prit si bien son temps qu’il ne fut point battu.

Ces derniers Vers vous feront connoistre qu’il y a des matieres, qui donnent lieu aux personnes d’esprit de se rencontrer dans leurs pensées. Ils m’ont esté envoyez sous le nom de l’Officier Floriste de Saumur.

EPIGRAMME.

Il n’est plus ce Heros, la terreur du Turban,
Ce Prince glorieux de qui la main vaillante,
 De l’esclavage du Sultan
 A delivré l’Aigle tremblante.
On a vû ce Guerrier effacer en six ans,
Volant comme un éclair de victoire en victoire,
 Ce que plus de vingt Conquerans
En deux siecles entiers s’estoient acquis de gloire ;
Mais aprés tant d’efforts & de faits inoüis,
Il manquoit aux exploits de ce grand Capitaine,
 D’avoir combattu sous LOUIS,
 Et de mourir comme Turenne.

Comme on est bien-aise d’avoir les Portraits de tous les Grands Hommes, j’auray soin de faire graver celuy de ce Prince pour vous l’envoyer.

[Suite du Traité de Mr Commiers touchant l’art d’écrire occultement] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 115-154.

Voicy la suite du Traité du sçavant Mr Comiers, dont je vous ay envoyé le commencement dans ma Lettre du dernier mois.

SECONDE PARTIE.
De l’Art d’écrire occultement
& sans soupçon.

ARTICLE I.
Deux moyens faciles de parler & d’écrire en chifres, comme aussi de déchifrer sans avoir la Table des nombres.

Il faut sçavoir par memoire quel chifre apartient à chacune des dix-huit Lettres de mon Alphabet que j’ay mis dans la mesme Cellule de chaque Lettre dans la rangée superieure de ma Table des nombres, & qui sont aussi aprés les Lettres de l’Alphabet perpendiculaire qui est à main gauche. Je les repete icy.

 

A. B. C. D. E. F. G. I. L. M.

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

N. O. P. Q. R. S. T. V.

20. 30. 40. 50. 60. 70. 80. 90.

 

Tout ce qu’il faut faire c’est d’ajoûter le chifre significatif du nombre de la lettre du mot du guet avec le chifre significatif du nombre de la Lettre du secret, & par le nombre qui provient de leur somme on connoistra quel chifre il faut envoyer pour la Lettre du secret.

Observez qu’il y a trois differens cas, premierement, où le chifre de chaque Lettre est chifre simple ; secondement, où le chifre de chaque Lettre est nombre disenaire ; troisiémement, où le chifre d’une Lettre, par exemple celle du mot du guet, a un chifre simple, & la Lettre du secret a un chifre disenaire.

Regle pour chacun des deux premiers cas.

Si les chifres des deux Lettres sont simples, ou que chacun des deux chifres soit un nombre disenaire, ajoustez les deux chifres significatifs, & si la somme n’excede pas 10. écrivez un nombre moindre d’une unité, comme 2. pour 3. & 3. pour 4. & 4. pour 5. & 5. pour 6. & 6. pour 7. & 7. pour 8. & 8. pour 9. & 9. pour 10.

Ainsi suposons que la Lettre du mot du guet soit D. 4. & que la Lettre E. 5. soit la Lettre du secret. Dites, 4. plus 5. égale 9. & 9. moins 1. égale 8. qui est le mesme chifre que vous auriez trouvé par le moyen de ma Table des nombres. Ecrivez donc 8. pour la Lettre E. du secret.

Ainsi par la Lettre F. 6. du mot du guet pour la Lettre du secret D. 4. dites 6. plus 4. égalent 10. & 10. moins 1. égalent 9. que vous écrirez pour la Lettre D. du secret.

De mesme supposons que la Lettre du mot du guet soit M. 10. & que la mesme Lettre M. 10. soit la lettre du secret, dites 1. plus 1. égale 2. & 2. moins 1. égale 1. que vous écrirez pour la lettre M. du secret.

De mesme par la lettre R. 60. pour la lettre P. 40. dites 6. plus 4. égale 10. & 10. moins 1. égale 9. que vous écrirez pour la lettre P. du secret.

Deuxiéme regle.

Lors que dans l’un ou l’autre des deux premiers cas la somme des deux chifres significatifs est plus grande que 10. comme 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. rejettez la premiere unité, & au chifre restant ajoustez zero, & vous aurez le nombre disenaire que vous auriez trouvé par ma Table des nombres.

Ainsi par la lettre F. 6. du mot du guet pour la lettre E. 5. du secret, dites 6. plus 5. égalent 11. rejettez la premiere unité, & à l’unité restante ajoûtez zero, vous aurez le nombre dizenaire 10. pour la lettre E.

De mesme par la lettre L. 9. pour la lettre F. 6. dites 9. plus 6. égalent 15. rejettez le chifre 1. & au chifre 5. qui reste ajoûtez zero, vous aurez le nombre disenaire 50. pour la lettre F.

III. REGLE.
Lors qu’un chifre est simple, & l’autre disenaire.

Premierement, si la somme de leurs chifres significatifs n’excede pas le nombre 10. ostez-en une unité, & au nombre restant ajoûtez zero, vous aurez le nombre disenaire requis.

Ainsi supposons que C. 3. soit la lettre du mot du guet, & que R. 60. soit la lettre du secret, dites 3. plus 6. égalent 9. & 9. moins 1. égalent 8. auquel ajoûtant zero, vous aurez le nombre disenaire 80. pour R. lettre du secret.

Ainsi par la lettre S. 70 pour la lettre C. 3. dites 7. plus 3. égale 10. & 10. moins 1. égalent 9. auquel ajoûtez zero, vous aurez le nombre disenaire 90. pour la lettre C. du secret.

Secondement, si la somme de leurs chifres significatifs excede le nombre 10. comme 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. rejettez l’unité qui precede, & le chifre restant sera le requis, tel que vous l’auriez trouvé par ma grande Table des nombres.

Ainsi supposons que la lettre du mot du guet soit R. 60. & que la lettre du secret soit E. 5. dites 6. plus 5. égalent 11. ostez-en le premier chifre 1. il vous restera le second chifre 1. qui est le chifre requis.

Ainsi par la lettre F. 6. pour la lettre S. 70. dites 6. plus 7. égale 13. rejettez le premier chiffre 1. restera le chifre 3. pour la lettre S. du secret.

Moyen de lire le secret chifré
sans la Table des nombres.

Tout le mistere consiste à décomposer & à rétrograder sur ce que vostre confident a fait par les regles precedentes, par lesquelles il a trouvé les chifres qu’il vous a envoyez pour les lettres de son secret.

Il faut premierement sçavoir par cœur la quantiéme chaque lettre est dans l’ordre naturel de mon Alphabet, ce que j’ay marqué aprés chaque lettre de l’Alphabet perpendiculaire qui est à la main droite de la Table des nombres de ma Planche. Les voicy pour n’estre pas obligé d’y avoir recours.

 

A. B. C. D. E. F. G. I. L. M.

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

N. O. P. Q. R. S. T. V.

11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18.

 

Il faut aussi sçavoir quel chifre secret simple ou disenaire appartient à chacune des dix-huit lettres, ce qui est tres facile pour les dix premieres, car elles ont pour leurs chifres secrets les mesmes chifres qui expriment la quantiéme chaque lettre est dans l’ordre naturel de mon Alphabet.

Voicy le moyen de sçavoir quel chifre secret disenaire appartient à chacune des huit lettres restantes.

 

N. O. P. Q. R. S. T. V.

20. 30. 40. 50. 60. 70. 80. 90.

 

Ajoûtez zero à la somme des deux chifres du quantiéme de chacune de ces lettres, on aura le nombre disenaire qui leur appartient. Ainsi pour N qui est la 11. lettre, vous aurez 20. pour la lettre O. qui est la 12. vous aurez 30. & pour P. qui est la 13. vous aurez 40. pour la lettre Q. qui est la 14. vous aurez 50. pour R. qui est la 15. vous aurez 60. pour S. qui est la 16. vous aurez 70. pour T. qui est la 17. vous aurez 80. & enfin pour la lettre V. qui est la 18. vous aurez 90.

Sur la suite des chifres que vostre amy vous a envoyez écrivez de suite les lettres du mot du guet dont vous estes convenus. Examinez ensuite le chifre de l’ordre qui appartient à la lettre du mot du guet ; aprés quoy observez les regles suivantes.

Premierement, si le chifre de la lettre du mot du guet est simple, & que le chifre envoyé soit aussi simple, ajoûtez l’unité au nombre envoyé, & de la somme ostez en le chifre du mot du guet, il restera le nombre qui indiquera la quantiéme lettre de mon Alphabet est la lettre du secret. Ainsi D. 4. estant la lettre du mot du guet, & le chifre envoyé estant 8. dites 8. plus 1. égale 9. que vostre amy avoit eu pour la somme du chifre de la lettre D. du mot du guet, & de la lettre du secret qui vous est encore inconnuë C’est pourquoy dites 9. moins 4. égale 5. c’est à dire que la lettre du secret est la cinquiéme de l’Alphabet qui est la lettre E.

Que si le mesme chifre 8. estoit envoyé pour la lettre D. du secret, & que le chifre du mot du guet fust E. 5. dites 8. plus 1. égale 9. & 9. moins 5 égale 4. c’est à dire que la lettre du secret est la lettre D. la quatriéme de l’Alphabet.

Lors que le chifre de la lettre du mot du guet est dizenaire, & que le chifre envoyé pour la lettre du secret est simple, ajoustez l’unité au chifre envoyé, & de la somme ostez le nombre significatif du nombre disenaire, le chifre restant indiquera la quantiéme de l’Alphabet est la lettre du secret.

Ainsi la lettre du mot du guet estant R. 60. & le chifre envoyé estant 9. dites 9. plus 1. égale 10. & 10. moins 6. chifre significatif du nombre 60. de la lettre R. du mot du guet, égale 4. auquel ajoûtez zero, vous aurez le nombre disenaire 40. qui indique que la lettre du secret a le nombre 40. qui apartient à la 13. Lettre P.

Lors que le chifre de la lettre du mot du guet est simple comme la lettre L. 9. & qu’un nombre disenaire comme 50. est envoyé pour la lettre du secret, rejettez le zero du nombre disenaire 50. restera 5. & suposez l’unité écrite au devant du chifre 5. restant, vous aurez le nombre 15. duquel ostez le nombre 9. de la lettre L. du mot du guet, il vous restera le nombre 6. qui indique que la lettre du secret est la sixiéme de l’Alphabet, c’est à dire F. pour laquelle vostre Confident vous avoit envoyé le chifre 50.

Autre moyen d’écrire en chifres, & de déchifrer le secret sans le secours de ma Table des nombres.

Cette maniere est moins sçavante, mais peut-estre plus facile à pratiquer. Il faut considerer les dix huit lettres.

 

A. B. C. D. E. F. G. I. L. M.

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

N. O. P. Q. R. S. T. V.

20. 30. 40. 50. 60. 70. 80. 90.

 

& leurs dix-huit chifres secrets, comme faisant un chapelet, & sçavoir par cœur quelle quantiéme de l’Alphabet est chaque lettre, ce que j’ay marqué par les chifres qui sont à costé des lettres de l’Alphabet perpendiculaire qui est à la main droite de ma Table des nombres. Cela bien entendu, voicy le moyen d’écrire sans Table.

Supposons que la lettre du mot du guet soit D. 4. & que la lettre du secret soit F. 6. comptez depuis 4 inclusivement six nombres consecutifs, le nombre 4. en estant le premier, disant quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, & écrivez le chifre 9. pour E. lettre du secret, parce que depuis 4. inclusivement vous avez compté six nombres jusqu’au nombre 9. aussi inclusivement.

On peut aussi compter depuis le nombre 6. inclusivement quatre nombres suivans, disant 6. 7. 8. 9. & pour connoistre pour quelle lettre secrete de l’Alphabet le chifre 9. vous a esté envoyé par le moyen du chifre 4. de la lettre D. du mot du guet, de ce chifre 4. inclusivement, comptez de suite jusques au nombre 9. aussi inclusivement, 4. 5. 6. 7. 8. 9. & remarquez que vous avez compté six nombres ; donc la sixiéme lettre de l’Alphabet est la lettre F. du secret pour laquelle on a envoyé le chifre 9.

De mesme supposons que la lettre du mot secret soit F. 6. & que la lettre du mot du guet soit R. 60. comptez depuis soixante inclus six nombres suivans, disant 60. 70. 80. 90. 1. & 2. vous envoyerez ce chifre 2. pour la lettre du secret F.

Et pour connoistre pour quelle lettre de l’Alphabet le chifre 2. a esté envoyé par le moyen de la lettre du mot du guet R. 60. comptez depuis 60. inclusivement jusqu’à ce que vous rencontriez 2. inclusivement, disant 60. 70. 80. 90. 1. & 2. Remarquez que vous avez compté six nombres ; donc la sixiéme lettre de l’Alphabet est la lettre F. du secret, pour laquelle on a envoyé le chifre 2.

Vous trouverez le mesme chifre 2. en comptant depuis la lettre F. inclusivement 15. parce que la lettre R. est la quinziéme de l’Alphabet.

Suposons aussi que la lettre du mot du guet soit R. 60. & que la lettre du secret soit P. 40. parce que la lettre P. est la 13. de l’Alphabet, comptez depuis 60. inclus treize nombres suivans, disant 60. 70. 80. 90. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. & envoyez ce chifre 9. pour la lettre P. du secret.

Et afin de connoistre pour quelle lettre de l’Alphabet le chifre 9. a esté envoyé par le moyen de la lettre du mot du guet R. 60. comptez depuis 60. inclusivement jusques au nombre 9. aussi inclusivement, disant 60. 70. 80. 90. 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. & remarquez que vous avez compté treize nombres ; donc la treiziéme lettre de l’Alphabet est la lettre P. du secret, pour laquelle on a envoyé le chifre 9.

Reduction de la Table.

La moitié de la Table prise à main gauche du haut en bas suffira si l’on met deux lettres de mon Alphabet dans chacune des neuf cellules de la ligne superieure ; ainsi on pourra plus facilement écrire & lire en chifres.

On peut encore reduire toute la Table à la quatriéme partie, c’est à dire, à ce qui est contenu au premier quartier, mettant deux lettres dans chaque cellule de la ligne superieure & de la ligne perpendiculaire, & pour lors on n’aura point de chifres disenaires dans la Table ; mais on écrira un zero aprés le chifre qui signifiera la seconde des deux lettres du secret.

ARTICLE II.
Moyen tres-facile d’écrire en
chifres sans ma Table
des nombres.

Dans la Figure cy jointe on verra la reduction de ma Table en deux cercles concentriques faits sur deux Lames ou Platines d’argent, de cuivre, ou de carton. Ces deux cercles sont divisez en dix-huit cellules ; chaque cellule du grand cercle contient une des dix-huit lettres de mon Alphabet, & au dessous de chacune des lettres est un des chifres simples ou dizenaires.

Le moindre cercle est mobile sur le centre commun des deux cercles, & dans chacune des dix-huit cellules il a une des dix-huit lettres de mon Alphabet.

Au dessus de la lettre A. sur le bord de ce cercle mobile est reservé une petite pointe ou index dont voicy l’usage.

Estant convenu de la clef, sentence, ou mot du guet, comme des mots suivans le 28. Février 1690. tournez le cercle mobile jusqu’à ce que l’index de la lettre A. soit precisement au dessous de la lettre, ou chifre de la clef prise dans le grand cercle, & pour lors ayant trouvé dans le petit cercle mobile la lettre du secret, on écrira le chifre qui luy est immediatement au dessus dans le grand cercle.

Ainsi pour écrire en secret Comiers Aveugle Royal ayant mis la lettre A. du cercle mobile vis-à-vis & au dessous de la lettre de la clef L. prise dans le grand cercle immobile, on écrira le chifre 20. qui est immediatement au dessus de la lettre C. du cercle mobile.

On tournera la lettre A. du cercle mobile au dessous de la lettre de la clef E. & pour la lettre O du secret on écrira le chifre 70. qui luy est immediatement au dessus dans le cercle immobile.

Tournez de mesme la lettre A. du cercle mobile sous le chifre 2. de la clef ou mot du guet, & vous écrirez pour la lettre M. le chifre 20. qui luy est au dessus dans la rouë immobile, & ainsi du reste, & enfin par la clef le 28. Février 1690. pour les mots secrets Comiers Aveugle Royal, vous aurez les chifres suivans.

 

20. 70. 20. 60. 10. 1. 60. 60. 7. 9. 50. 5. 7. 50. 4. 5. 70. 9. 8. 50.

 

Il est facile de lire ces chifres par la voye contraire à la maniere qu’ils auront esté écrits. Il faut donc tourner la lettre A. du cercle mobile successivement sous chaque lettre ou chifre de la clef ou mot du guet prise dans le cercle immobile, dans lequel ayant trouvé le chifre, on connoistra, & on écrira la lettre du secret qui luy est immediatement au dessous dans le cercle mobile.

Ainsi dans la Figure la lettre A. est au dessous de la lettre L. & le chifre envoyé est 20. C’est pourquoy ayant dans le cercle immobile trouvé le chifre 20. vous avez immediatement au dessous la lettre C. du secret pour laquelle on avoit écrit le chifre 20.

Autre maniere tres-facile
d’écrire en chifres.

Premierement, convenez avec vostre Amy d’une clef ou mot du guet, afin de donner un ordre ou suite irreguliere aux dix-huit lettres de mon Alphabet.

Supposons donc que vous soyez convenu avec vostre Confident de l’arrangement de l’Alphabet par le mot

 

Profetisandum B.c.g.l.q.

 

Sous les dix-huit lettres de cet Alphabet vous mettrez les dix-huit chifres simples & disenaires dans leur ordre naturel, ainsi que j’ay fait au bas de ma Planche.

 

P r o f e t i s a n d u m

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 20. 30. 40.

b. c. g. l. q.

50. 60. 70. 80. 90.

 

Secondement, convenez avec vostre Amy d’un nombre, comme 1689. qui servira de mot du guet, & que vous repeterez sur les lettres du secret autant de fois qu’il en sera besoin pour chifrer entierement.

Troisiémement, écrivez en vostre particulier en ligne horizontale les chifres des lettres du secret prises dans l’Alphabet cy-dessus. Ainsi pour écrire Comiers Aveugle Royal, vous écrirez à part 60. 3. 40. 7. 5. 2. 8. 9. 30. 5. 30. 70. 80. 5. 2. 3. 7. 9. 80.

Quatriémement, sous ces nombres écrivez les chifres de la clef 1689. dont vous estes convenus ainsi.

 

60. 3. 40. 7. 5. 2. 8. 9. 30. 5. 30. 70.

1. 6. 8. 9. 1. 6. 8. 9. 1. 6. 8. 9.

80. 5. 2. 3. 7. 9. 80.

1. 6. 8. 9. 1. 6. 8.

 

Et ayant tiré au dessous une ligne ajoûtez les chifres simples ou disenaires qui sont l’un sur l’autre, commençant à main gauche, & écrivez au dessous leur somme particuliere ainsi, disant 60. plus 1. égalent 61. que vous écrirez au dessous de la ligne, & 3. plus 6. égalent 9. que vous écrirez encore dessous, & ainsi de suite, & vous aurez, comme vous voyez, au dessous de le ligne.

 

60 3 4 0 7. 5. 2. 8. 9. 30. 5. 30 70 805. 2. 3. 7. 9. 80

1. 6. 8. 9, 1. 6, 8. 9. 1. 6. 8. 9. 1. 6. 8. 9. 1. 6. 8.

-------------------------------------------------------

61 9 48. 16. 6. 8. 16. 18. 31. 11. 38 79 81. 11. 10. 12. 8. 15, 88

 

que vous envoyerez à vostre Amy.

Remarquez que le nombre 16. est employé pour la lettre I. & pour la lettre S. du mot Comiers Remarquez encore que le chifre 8. est employé pour R. dans le mot Comiers, & pour la lettre I. du mot Roial, & que dans ce mesme mot Roial la lettre R. est signifiée par 10 & que dans le mot Comiers la mesme lettre R. est signifiée par 8.

Pour lire ces chifres 61. 9. 48. &c. qu’on vous auroit envoyez pour les lettres du secret, il faut décomposer par la soustraction ce que vostre Amy aura fait par l’addition ; c’est pourquoy sous chacun de ces nombres qu’on vous a envoyez, écrivez un des chifres du nombre de la clef 1689. dont vous estes convenus ainsi.

 

61. 9. 48. 16. 6. 8. 16. 18. 31. 11. 18. 79 81. 11. 10. 12. 8. 15. 38

1. 6. 8. 9. 1. 6. 8. 9. 1. 6. 8. 9. 1. 6. 8. 9. 1. 6. 8.

-------------------------------------------------------

60. 3. 40. 7. 5. 2 8 9, 30. 5. 30, 70. 80. 5 2 3 9 9 90

 

Dites 61. moins 1. égale 60. que vous écrirez pour la premiere lettre du secret. Vous direz ensuite 9. moins six égale 3. que vous écrirez pour la seconde lettre du secret. Ainsi du reste, & vous aurez 60. 3. 40. 7. 5. 2. 8. 9. 30. 5. 30. 70. 80. 5. 2. 3. 9. 9. 80. que vous connoistrez par l’Alphabet cy-dessus signifier les lettres des mots, Comier, Aveugle Roia

Je vous envoyeray dans ma Lettre de Juillet la suite de cet Article.

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 154-174.

Il est malaisé de concevoir qu’on puisse estre malheureux en aimant fort tendrement, quand on est aimé de la mesme sorte, & qu’aucun obstacle ne traverse cet amour. Cependant c’est ce qui a mis un Cavalier d’un fort grand merite hors d’estat de plus gouster aucun des plaisirs qui peuvent servir à rendre la vie agreable. Comme il estoit né avec un cœur tres-sensible, il ne pût tenir long-temps contre les charmes d’une jeune Brune qu’on luy fit connoistre. Elle avoit le teint uny, les traits assez reguliers, la bouche admirable & de grands yeux noirs les plus dangereux qui furent jamais. Joignez à cela une taille fine & degagée, & un agrément d’esprit & d’humeur inconcevable. On remarquoit autant de solidité dans l’un qu’il y avoit d’enjouement dans l’autre, & quoy qu’elle fist ou dist, c’estoient des graces par tout, & toujours de nouveau je ne sçay quoy qui la faisoient trouver toute aimable. Le Cavalier en fit une épreuve, qui le rendit en fort peu de temps le plus amoureux de tous les hommes. Il mit tous ses soins à plaire à la Belle, & son bien & sa naissance qui estoient considerables, luy auroient fait voir son attachement avec plaisir, quand mesme il n’auroit point joint à ces avantages tout ce qu’un esprit poly, & des manieres honnestes peuvent avoir d’engageant pour un cœur bienfait. Il avoit d’ailleurs une complaisance qui prevenoit tout ce qu’on pouvoit souhaiter de luy, & on peut dire que rien n’égaloit la délicatesse de ses sentimens. La Belle n’eut pas de peine à rendre justice à tant de merite, & s’il luy persuada qu’elle estoit aimée avec excés, elle ne luy cacha point qu’elle avoit pour luy beaucoup de tendresse. Elle avoit soin d’éloigner tous ceux qui pouvoient luy faire la moindre peine, & quoy qu’on ne pust la voir sans avoir pour elle plus que de l’estime, elle fit si bien qu’il se trouva toujours sans Rivaux. Cet heureux estat le ravissoit, & il se passa une année entiere sans qu’il trouvast que de la douceur dans l’engagement qu’il avoit pris ; mais enfin la Belle commença à s’estonner de luy voir toujours laisser les choses dans une mesme situation. Il luy disoit souvent que tout son bonheur dépendoit d’elle, & l’empire de la terre ne valoit pas selon luy le plaisir sensible d’estre tendrement aimé d’une si belle personne. Il n’épargnoit rien de ce qui pouvoit contribuer à sa joye, & il ne consideroit jamais la dépense lors qu’il s’agissoit de quelque partie pour la divertir, mais il manquoit à l’essentiel, & les plus fortes assurances qu’elle recevoit de luy lors qu’il luy juroit une constance éternelle, n’estoient suivies d’aucune declaration qui allast au mariage, & il sembloit que ce bien qu’il tenoit si precieux, ne luy inspirast aucun desir de le posseder. La Belle qui n’avoit pris de l’amour que dans la veuë de se faire un établissement aussi avantageux qu’agréable, ne fut point contente de cette tranquillité, & pour en tirer le Cavalier, un jeune Marquis qu’on luy amena luy ayant dit des douceurs, elle consentit à en recevoir quelques visites. Cette nouveauté alarma le Cavalier. Il devint chagrin, & s’échapa à des plaintes. La Belle ne fut pas fachée de le voir jaloux, & ne doutant point que la concurrence ne l’obligeast à parler, elle luy dit en riant qu’elle estoit bien aise de connoistre son amour dans toute sa force, & que jamais elle n’en avoit esté si bien convaincuë que par la crainte qu’il luy faisoit voir qu’elle ne voulust partager son cœur, mais qu’il devoit se répondre d’en estre toujours le maistre malgré les prétentions du plus empressé rival, & qu’il ne pouvoit, sans luy faire tort, la croire capable d’une perfidie. Cette assurance, quoy que fort flateuse, ne pût luy mettre l’esprit en repos. Il luy demanda pourquoy cette difference entre le Marquis & plusieurs autres dont elle avoit rejetté les soins, & comme il ne luy dit rien de ce qu’elle avoit envie d’entendre, elle tourna toutes ses alarmes en plaisanterie, sans vouloir congedier le Marquis. Sa jalousie augmenta, mais il n’eut point recours au remede dont on eust voulu qu’il se fust servi, & pour le pousser jusques au bout, la Belle aprés luy avoir dit inutilement beaucoup de choses qui devoient le forcer à s’expliquer, flata la passion du Marquis, & luy permit de la demander pour Femme à son Pere. Comme il se lassoit des lenteurs du Cavalier qui ne se declaroit point, il fut favorable à la proposition. La chose fut sçeuë, le Marquis s’en applaudit, & le Cavalier s’en desespera. Il se plaignit à la Belle avec des termes touchans, du triste estat où son amour se trouvoit reduit par la complaisance qu’elle avoit euë de soufrir les soins de son rival. Sa réponse fut que c’estoit injustement qu’il se disoit mal-heureux, puis qu’il ne l’estoit qu’autant qu’il le vouloit estre ; qu’elle avoit toujours pour luy, & le mesme cœur, & les mesmes sentimens, & qu’elle estoit seure que dés qu’il voudroit parler à son Pere, il l’emporteroit sur le Marquis. La necessité de s’expliquer clairement mit le Cavalier dans un embarras terrible. Il aimoit la Belle avec la plus forte passion, & le chagrin de la perdre luy sembloit cruel à soustenir, mais il estoit tellement persuadé que son amour finiroit dés qu’il l’auroit épousée, qu’il fremissoit de l’engagement qui luy estoit proposé. Dans cette agitation, il n’oublia rien pour luy faire craindre le dégoust qu’il ressentoit. Il luy fit une peinture fort vive des desagremens du mariage, luy dit qu’il n’y avoit rien de plus contraire à un amour delicat qui dédaignoit tout ce qui pouvoit avoir du rapport avec les sens ; que le cœur qui vouloit toujours demeurer libre, se revoltoit contre l’obligation d’aimer, si tost qu’elle estoit imposee par le devoir ; que les privileges de Mary faisoient degenerer en langueur les empressemens de l’Amant le plus soumis, & que si elle vouloit toujours gouster les douceurs de cette pure union qui les rendoit l’un & l’autre si heureux depuis long-temps, elle devoit fuir tout ce qui l’empescheroit d’estre maistresse de sa liberté. La Belle qui n’avoit aucun panchant pour le celibat, luy répondit fort modestement que l’estat de Fille estoit sans doute un estat heureux, mais que son Pere cherchant à la mettre dans un établissement qui luy asseurast du bien, cette belle idée de vouloir toujours aimer delicatement, n’estoit pas une raison dont il dûst se contenter. Alors pour luy marquer un amour qui ne recherchoit que ses avantages, le Cavalier offrit de luy faire la donation d’une Terre de deux mille écus de rente pour luy servir d’établissement, à condition qu’elle renonceroit à se marier. Le party n’estoit pas laid, mais le nom de vieille Fille qu’il falloit avoir un jour, n’accommodoit pas la Belle. D’ailleurs, elle prenoit pour offense que tout son merite n’inspirast rien d’assez violent au Cavalier pour luy faire croire qu’il ne pouvoit estre malheureux en l’épousant. Ainsi piquée du refus qu’il faisoit d’elle-mesme à elle-mesme, elle luy dit que la donation qu’il vouloit luy faire, luy marquoit autant d’amour que de generosité, mais qu’elle estoit tellement contre sa gloire qu’elle ne pouvoit y consentir ; qu’il luy estoit important de ne faire pas dire dans le monde qu’elle auroit receu le payement d’une foiblesse ; que la médisance ne manqueroit pas de le publier, & que ce bruit feroit des impressions d’autant plus facheuses pour sa reputation, qu’on croiroit que le Marquis, aprés s’estre declaré, n’auroit rompu avec elle, que par ce qu’il l’auroit trouvée indigne d’estre sa Femme ; qu’ainsi il falloit necessairement qu’elle épousast l’un ou l’autre ; qu’elle n’accepteroit le Marquis qu’à son refus, & qu’elle vouloit bien luy donner jusqu’au lendemain à examiner ce qu’il avoit à resoudre ; que cependant il pourroit luy épargner la confusion de recevoir par luy-mesme un nouveau refus en s’empeschant de venir chez elle, & qu’elle entendroit par là qu’il la laissoit dans l’entiere liberté de disposer d’elle mesme. Le Cavalier sortit sans rien dire davantage, & passa toute la nuit dans un trouble qui ne se peut concevoir. L’habitude qu’il s’estoit faite des douceurs d’un tendre amour, l’avoit tellement charmé, qu’il concevoit bien qu’en y renonçant, il s’arrachoit à luy-mesme, mais l’exemple de la pluspart des Maris qui laissent éteindre presque aussi-tost ces vives ardeurs qu’ils ont fait paroistre Amans, & sa propre experience par quelques Maistresses peu scrupuleuses qu’il avoit aimées avec passion dans ses premieres années, & dont les plus legeres faveurs l’avoient d’abord rebuté, luy faisoient connoistre qu’il luy seroit impossible de conserver son amour, lors qu’il l’auroit rendu necessaire. Ainsi il se resolut à ceder la Belle à son Rival, & quoy qu’il creust perdre tout en la perdant, malheur pour malheur, il aima mieux s’exposer à la regreter toute sa vie, que de se mettre en estat de ne plus l’aimer, ce qu’il tenoit seur qui arriveroit si le mariage les attachoit l’un à l’autre. Il s’accusoit de bisarrerie, mais il connoissoit sa delicatesse, & pour ne point chagriner la Belle en luy allant declarer luy-mesme qu’il ne pouvoit accepter la préference qu’elle luy offroit, il luy laissa deviner ses sentimens par sa retraite. Elle les comprit sans peine, & le dépit se joignant à des dispositions assez favorables au Marquis, qui estoit bien fait, & avoit du bien, elle consentit à l’épouser. Le Cavalier ne le put apprendre sans estre saisi de la plus vive douleur. Il tomba malade, & si-tost qu’il fut guery il se retira dans une Communauté où il est encore. Il témoigne avoir envie de renoncer tout à fait au monde, mais le temps, en effaçant insensiblement les impressions que l’amour a faites sur son cœur, pourra luy donner d’autres pensées.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 180-184.

Le fameux Mr le Clerc, qui est logé dans l’Hostel des Manufactures aux Gobelins, & qui passe pour l’un des plus habiles Graveurs qu’on ait veus depuis long-temps, vient de donner au Public un Livre de Geometrie qui au jugement de tous ceux qui s’y connoissent est un des plus utiles & des plus intelligibles qu’on ait encore faits sur cette science. Il est divisé en dix Chapitres. Le premier contient les définitions. Le second établit des principes qu’il appelle notions, & qui sont des veritez évidemment connuës par elles-mesmes, ou par des demonstrations incontestables. Le troisiéme donne la pratique des lignes & des angles, & fait décrire les figures des Plans. Le quatriéme enseigne à transfigurer ces Plans, c’est à dire, à leur donner de nouvelles figures, sans en diminuer ou augmenter le contenu. Le cinquiéme apprend à les diviser. Le sixiéme montre comment il les faut assembler, & comment on peut les augmenter ou diminuer de grandeur selon quelque quantité proposée. Le septiéme enseigne à les mesurer. Le huitiéme contient la Trigonometrie, ou la doctrine des triangles par le calcul. Le neuviéme traite des Solides, & particulierement de leur toisé, & le dixiéme donne la pratique pour le terrain. On y voit comme on leve les Plans, comme on les trace, & comme on mesure les dimensions inaccessibles. Ce Livre est in octavo, & se debite chez le Sieur Jean Jombert prés des Augustins à l’Image nostre-Dame. On le trouve aussi chez le Sieur Guerout, Galerie neuve du Palais. Le merite de Mr le Clerc est assez connu. Il est de Metz, & a esté autrefois Ingenieur. Il sert le Roy à present, en qualité de Dessinateur & de Graveur ordinaire de Sa Majesté, & a rang de Conseiller dans l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture. Il est aussi Professeur pour la Geometrie, Perspective & Architecture.

[Prise de possession de l'Abbaye de S. Germain des Prez, par M. le Cardinal de Furstemberg] §

Mercure Galant, juin 1690, p. 189-190, 195-197.

 

Les Bulles estant arrivées & fulminées, ce Cardinal fit avertir le Pere Dom Jean Barré, Celerier, qu'il viendroit prendre possession le Samedy 20. de May. On se disposa à le recevoir, & on donna l'ordre pour parer l'Eglise. Elle fut tenduë de la Tapisserie du Baptesme de Constantin, qui est une des plus belles de la Couronne. Son Eminence arriva sur les cinq heures du soir en Camail & en Rochet, & trouva la Communauté en Corps qui l'attendoit à la premiere porte du Monastere, où Mr Douceur, Prieur des Anciens, luy presenta l'Eau-benite, & luy fit un compliment à la portiere de son Carrosse. On le conduisit au Chapitre pendant que toutes les cloches sonnoient. Ses Bulles y furent leuës, & les Religieux s'estant ensuite assemblez capitulairement, donnerent leur consentement la prise de possession. [...]

 

On le conduisit de là à l'Eglise, où ayant fait sa priere devant l'Autel, & observé les ceremonies accoutumées, il marche à son Siege Abbatial, & y fit serment en touchant le livre des Evangiles, de conserver les droits & les privileges de l'Abbaye. On peut tout haut le procès verbal de la prise de possession, & les Chantres revestus de Chapes estant arrivez avec les Diacres, les Acolythes, & deux autres Religieux, dont l'un portoit la Mitre, & l'autre la Crosse du nouvel Abbé, on le revestit aussi d'une Chape, & aprés qu'on luy eut mis la Mitre en teste & la Crosse en main, les Chantres entonnerent le Te Deum que le Chœur chanta alternativement avec l'Orgue. Pendant ce temps, on fit la Procession autour de l'Eglise, le Prelat marchant le dernier au milieu de ses Officiers, & donnant des benedictions au Peuple.

[Services faits pour Madame la Dauphine, à l'Abbaye de S. Denis, & dans l'Eglise de N. D. de Paris] §

Mercure Galant, juin 1690, p. 202, 210-211.

 

Le Lundy 5. de ce mois, on fit dans l'Eglise de l'Abbaye Royale de S Denis, le Service solemnel de Madame la Dauphine. [...]

 

Mr l'Evesque de Meaux, premier Aumônier, assisté de Mrs les Evesques de Lodeve, de Poitiers, de Saintes, & de Mende, celebra la Messe en habits Pontificaux. Elle fut chantée par la Musique du Roy. [...]

Epitaphe §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 216-217.

Je vous envoye la traduction d’une Epitaphe de Madame la Dauphine qui a esté faite en Latin par Mr de Vertron. Elle est de Mr Normant Avocat au Parlement.

EPITAPHE.

La mort a triomphé de l’illustre Victoire.
Que de tristes Cyprés dans un champ plein de gloire !
Pleurez, François, pleurez, elle est dans le tombeau.
Je me trompe, elle vit, & la Parque cruelle
Ne pouvoit remporter un triomphe si beau.
Trois Augustes Enfans la rendent immortelle.

[Détail curieux de tout ce qui s'est passé à la défaite des Vaudois] §

Mercure Galant, juin 1690, p. 223-225.

 

La défaite entiere des Vaudois, qui viennent d'estre tous, ou tuez, ou chassez des retranchemens qu'ils avoient faits sur leurs montagnes, me donne lieu de vous parler de leur origine, & peut-estre vous en diray-je des choses qu'on ne trouve point dans les écrits de tous ceux qui ont travaillé à l'histoire du Calvinisme. Ces Heretiques, qui s'éleverent vers l'an 1160. tirent le nom de Vaudois d'un riche Marchand de Lion appelé Pierre de Vaud. Il estoit du Village de Vaud en Dauphiné sur le Rhône, & il s'acquit des admirateurs en distribuant tous ses biens aux Pauvres. Ce commencement estoit fort loüable, mais il voulut faire des sermons aprés avoir fait de grandes aumônes, & comme il estoit extremement ignorant, ceux qui l'écoutoient par interest, furent les seuls qui approuvent sa doctrine, & ce fut ce qui les fit appeler Pauvres de Lion. Ils ne vouloient souffrir aucunes Images, ny celebrer aucun jour de Feste. Ils rejettoient les prieres des Saints, mesme l'Ave Maria, n'en voulant point d'autre que l'Oraison Dominicale, par le moyen de laquelle ils pretendoient pouvoir consacrer. Ils rejettoient aussi l'huile dans le Baptême, la Confirmation, la Confession auriculaire, l'Extrême Onction, la remission des pechez, le Purgatoire, les Prieres pour les Morts, la difference de l'Evesque & du Prestre, l'obeissance aux Prelats, les miracles, & le Chant de l'Eglise.

[Madrigal] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 255-257.

En vous parlant du grand nombre des Ennemis du Roy, je croy que je puis vous faire part d’un Madrigal qui a esté fait sur ce sujet, par Mr de Sanlec qui demandoit un Benefice à Sa Majesté. Il ne paroist guere de rapport entre les Ennemis du Roy & cette demande, mais comme avec de l’esprit on rend souvent compatibles les choses les plus éloignées, l’Auteur qui en a infiniment, a fait de ce Madrigal, un Ouvrage qui s’est attiré un applaudissement general.

Nous avons, grand Heros, deux desseins differens,
Vous, de vaincre vingt Rois, & moy vingt Concurrens ;
Mais l’un de ces desseins est mieux conduit que l’autre.
 Et cependant tout ira bien,
 Si vous me répondez du mien,
 Comme je vous répons du vostre.

[Harangue faite au Roy par M. l’Archevesque] §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 266-272.

Le 4. de ce mois, l’Assemblée du Clergé qui se tient à Saint-Germain en Laye, eut audience du Roy à Versailles, avec les ceremonies ordinaires. Je vous parlay dés le mois passé de l’ouverture de cette Assemblée, & vous nommay les Députez de chaque Province. Mr l’Archevesque de Paris, qui les presenta à Sa Majesté, porta la parole, & fit un discours d’une beauté qui surprit, quoy qu’on soit accoutumé à ne luy entendre dire que des choses qui vont toujours au delà de tout ce qu’on peut attendre. Il commença, en faisant connoistre que c’estoit la septiéme fois qu’il avoit l’honneur de paroistre devant ce Monarque en qualité de President du Clergé, & dit qu’il passeroit par dessus l’usage, qui vouloit que l’on donnast des loüanges lors qu’on venoit faire compliment à la teste d’un Corps. La comparaison qu’il fit du Roy à un grand Capitaine de l’Antiquité fut l’excuse qu’il apporta pour s’en dispenser. Il dit que comme le corps de ce Capitaine estoit si couvert par tout de blessures, qu’on ne pouvoit luy porter aucun coup sans qu’il le receust dans quelqu’une de ses playes, il en estoit de mesme à l’égard du Roy, si digne par mille actions d’éclat de recevoir des loüanges, qu’il n’y avoit point d’endroits par où il n’en meritast, & qu’il estoit impossible de luy en donner sans redire ce qui avoit esté dit & écrit cent & cent fois par tout ce que la France a de personnes d’esprit & de bonnes Plumes ; qu’ainsi il estoit contraint de se taire, ne pouvant trouver aucun endroit par où Sa Majesté n’eust pas encore esté loüée. Il fit ensuite le dénombrement des grandes choses qui ont fait donner au Roy les plus forts éloges, comme ayant dessein de n’en point parler, & par un trait d’éloquence qu’il assaisonna merveilleusement, il fit connoistre tout ce qu’il sembloit vouloir passer sous silence. Il marqua ce que les faux Prophetes avoient dit contre Saint Pierre, lors qu’ils avoient assuré les Cartaginois, que sa Religion seroit détruite, & fit voir la fausseté de la prophetie des Protestans, qui avoient assuré qu’en 1689. leur Religion triompheroit au préjudice de la Catholique. On a veu arriver tout le contraire, puis que le Roy a fait triompher la veritable Eglise, en la faisant reconnoistre dans tous ses Estats. Je ne vous rapporte point beaucoup d’autres choses que dit ce Prelat, & qui parurent n’avoir jamais esté dites, tant le tour en fut heureux. Celle-cy fut de ce nombre, que la verité, quoy qu’elle eust des bornes, en avoit plus dit en faveur du Roy, que le mensonge qui n’en avoit point, n’avoit pû en inventer en faveur des plus grands Heros de l’Antiquité. Si des morceaux retenus assez imparfaitement ont tant de beauté, jugez de ce qu’ils vous paroistroient, si je pouvois vous les rapporter dans les mesmes termes qu’ils ont esté prononcez. Il est certain que jamais harangue n’a esté si applaudie de toute la Cour. C’est ce qui fut cause que l’Academie Françoise, dont Mr l’Archevesque de Paris estoit alors Directeur, députa contre l’usage pour luy en aller faire compliment.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 340-341.

Je viens à la suite du Voyage de Monseigneur le Dauphin, mais avant que d'y entrer, vous ne serez pas fachée que je vous envoye quelques Vers qui ont esté faits sur son départ. Ceux qui suivent sont de M. Marcel, & ont esté mis en Air par M. d'Ambruis, dont la réputation vous est connuë.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Dauphin, chery du Ciel, regarde la page 340.
Dauphin, chery du Ciel, partez avec Bellonne.
Déja dans ses roseaux le Dieu du Rhin frissonne,
Au bruit de vos fiers Combattans.
Allez, allez cueillir des Palmes immortelles ;
Pour les jeunes Heros la gloire est un Printemps
Dont les fleurs sont toujours nouvelles.
images/1690-06_340.JPG

[Vers de Mademoiselle de Serigny]* §

Mercure galant, juin 1690 [tome 6], p. 341.

Ces autres Vers sont de Mademoiselle de Serigny.

 Tu retournes donc, grand Dauphin,
 Avec la foudre de ton Pere
 Sur le Danube & sur le Rhin.
 Ah ! ce n’est pas pour n’y rien faire.
 L’autre fois, en peu de sejour,
 Tu t’emparas de Philisbourg
 Pour simple essay de ton courage.
 Brillant Heros, tu n’y retournes pas
 Pour n’y par faire davantage.
La Victoire par tout volera sur tes pas.