1690

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1690 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11]. §

[Eloge du Roy, par M. de Cantenac] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 7-17.

Il ne suffit pas d’estre puissant Souverain & grand Conquerant, pour estre aimé. La grande puissance & l’heureux succés des Armes de ceux qui sont sur le Trône, n’est pas toujours ce qui leur attire l’amour de leurs Peuples, & s’ils ne joignent à leurs plus grands titres celuy d’honneste homme, on les déteste souvent pendant qu’on les craint, & qu’on ne peut se dispenser de leur obeïr. Cela n’est point arrivé au Roy. Aussi peut-on dire qu’il est les delices de son Peuple, & que les merveilles de son regne ont esté celebrées par plus d’Ouvrages de differente nature, qu’on n’en a fait sous tous les Monarques qui ont porté la Couronne en France depuis l’établissement de la Monarchie. En voicy un de Mr le Prieur de Cantenac. Son nom n’est pas inconnu à ceux qui se piquent de sçavoir les belles Lettres.

AU ROY.

Grand Roy, que Dieu forma pour la gloire du Monde,
Qui viens de triompher sur la terre & sur l’onde,
Qui plus sage & plus fort que tous les Conquerans,
Es l’amour de ton Peuple, & le fleau des Tyrans.
Les Heros de la Fable, & les Dieux de l’Histoire,
N’ont jamais égalé ta grandeur & ta gloire,
Et l’on n’en vit jamais vaincre tant d’Ennemis,
Ny paroistre si doux à cent Peuples soûmis.
Que vingt Rois conjurez menacent tes Provinces,
Ton bras est assez fort pour combattre cent Princes ;
Tu les as tout ensemble assaillis & vaincus
Sur le sein de Neptune & les champs de Fleurus.
Ils ont par leurs efforts signalé ta victoire ;
Mais dans leur fuite mesme ils envioient ta gloire,
Ils craignoient ta clemence autant que ta valeur,
Et d’estre enfin reduits à cherir leur Vainqueur.
Combien d’heureux captifs en la plaine sanglante,
Où Luxembourg porta la mort & l’épouvante,
Malgré toute leur haine & leur ferocité,
Consolez de leur sort, ont beny ta bonté !
Le sang mesme épargné de tes Sujets * rebelles,
Va disposer leurs cœurs à devenir fidelles.
Ta grace va les vaincre & forcer en tous lieux
D’adorer en ton bras la puissance des Cieux.
Orgueilleux Ennemis de ce Monarque auguste,
Unis par vostre crainte & vostre haine injuste,
Pour estre glorieux devenez ses amis
Vos ramparts les plus seurs c’est l’amour de LOUIS.
Rien n’est plus grand que luy, mais rien n’est plus aimable,
Ce n’est qu’aux Ennemis qu’il paroist redoutable,
Et mesme lors qu’on voit un si doux Conquerant,
Un cœur, tout fier qu’il est, s’adoucit & se rend.
La justice & l’honneur, la pieté sublime,
Sont de tous ses hauts faits le motif magnanime.
Sous ces guides certains qui menent aux grandeurs,
Il s’est fait une route à l’Empire des cœurs.
Du Dieu qui le protege il soutient les Oracles,
C’est par là que sa vie est pleine de miracles ;
Que le Ciel qui luy doit son culte † & ses Autels,
L’éleve infiniment au dessus des Mortels.
Qui de tous les Heros par la solide gloire
Vit toujours à son bras attacher la victoire,
Soulever contre luy tant de Peuples divers,
Et sçeut par leur défaite étonner l’Univers ?
Ces fieres Nations que la Mer environne,
Prétendoient sur ses flots ‡ étendre leur Couronne ;
Mais leurs Vaisseaux forcez portent sur leur débris
Le juste desaveu d’un pouvoir si mal pris.
Ces Tirans de Thetis qui les avoit fait naistre,
Abandonnent leur Mere aux loix d’un meilleur Maistre,
Et soumise à Loüis, plus grand & plus heureux,
Elle imite la Terre, & seconde nos vœux.
Aux efforts de Loüis déja l’onde applanie,
A déchargé son sein de leur Flote ennemie,
Qui tremblante & battuë en son premier assaut,
A pris pour se cacher la Tamise & l’Escaut.
Mais pensent-ils sauver dans leur honteuse fuite
Les restes malheureux de leur Flote détruite ?
Par Tourville abbatus, le feu, la terre, & l’eau
Sous leurs Forts alarmez préparent leur tombeau.
Va les punir, grand Prince, acheve ta conqueste,
A te suivre par tout la victoire s’appreste ;
Fais réparer leur crime, & les force en tout lieu,
De recevoir leur Prince, & connoistre leur Dieu.
Des farouches Teutons reprime l’insolence,
Ils doivent leur Empire § aux Heros de la France.
Mais ton bras qui par tout les sceut si bien dompter,
N’aspire pas au bien qu’il a pû leur ôter.
L’imprudent Allobroge, & l’orgueilleux Ibere,
Exposez justement aux traits de ta colere,
Par leurs champs desolez instruiront nos Neveux
De leur ingratitude, & leur sort malheureux.
Sous tes loix, & ton nom tes Guerriers intrepides,
Admirant ta valeur, sont comme autant d’Alcides,
Qui par de grands efforts signalent en tous lieux,
L’amour pour leur Monarque, & la cause des Cieux.
De nos fiers Ennemis la cabale abusée
Se flatoit contre nous d’une victoire aisée.
Mais leurs étendarts pris, leurs Vaisseaux tout brisez,
Et leur sang répandu les ont desabusez.
Penser vaincre Loüis c’est une erreur extrême,
S’il peut estre vaincu, ce n’est que par luy-mesme ;
Il faut que favorable à leurs justes souhaits,
Il triomphe de luy pour leur donner la Paix.
1 2 3 4

[Sonnets] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 52-57.

Vous ne trouverez que des veritez dans le Sonnet que vous allez lire. Il est de Mr Moreau, Avocat General de la Chambre des Comptes de Dijon.

SUR LA GUERRE
presente,

Orgueilleux Ennemis, quel sujet vous engage
A liguer contre nous tant de Peuples divers,
Et troubler une paix qu’un Roy vaillant & sage
Avoit par sa bonté donnée à l’Univers ?
***
Mettre la France en proye & ses Sujets aux fers,
Est donc le grand projet que forme vostre rage ?
Mais par le coup fatal d’un éclatant revers,
Sur vous qui l’excitez on voit tomber l’orage.
***
Tous armez contre luy, seul armé contre tous,
L’invincible LOUIS qui fait tant de Jaloux,
Par vos tristes débris va couronner sa gloire,
***
D’un triomphe achevé tout l’assure aujourd’huy,
Rien ne peut à ce Prince enlever la victoire ;
C’est pour Dieu qu’il combat, & Dieu combat pour luy.

Cet autre Sonnet est de Mr de Liniere.

Sur le mesme sujet.

Malgré l’Anglois, malgré l’Espagne,
Et d’autres Peuples furieux
Nous devons benir en tous lieux
Les succés de cette Campagne.
***
Un juste bonheur accompagne
Nostre Prince victorieux,
Et son Fils revient glorieux
D’avoir fait trembler l’Allemagne.
***
Fier Saxon, & vain Bavarois,
Ce Fils du plus grand de nos Rois
Aneantit vostre puissance.
***
A ses yeux il vous voit perir,
Il triomphe par sa prudence,
Et vous défait sans coup ferir.

Voicy d’autres Vers qui meritent bien d’avoir place icy. Le Madrigal est de Mr d’Estrez, de Laon.

AU ROY.

Loüis, que ton Peuple est heureux !
Lors que la discorde & l’envie
Excitent contre luy mille Monstres affreux,
Ton soin met à couvert & ses biens & sa vie.
Voir tes Sujets heureux borne tous tes desirs ;
C’est à la seureté de ces Sujets tranquilles,
Qu’on te voit immoler ton repos, tes plaisirs,
C’est par toy que la paix regne encor dans nos Villes.
Lors que nos Ennemis abbatus, consternez,
Brûlent des mesmes feux qu’ils avoient allumez,
Quel plaisir de les voir travailler pour ta gloire !
 Depuis trois mois pour t’offrir la victoire
 Leur foible audace a trois fois combattu.
Ta sagesse à ton gré regle tes destinées ;
 C’est toy qui rens tes armes fortunées,
Et tu dois ton bonheur à ta seule vertu.

Madrigal §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 57-58.

MADRIGAL.

Le premier des Cesars, pour accroistre sa gloire,
Voulut placer son nom dans le Calendrier,
C’est le mois de Juillet, où ce fameux Guerrier
A depuis deux mille ans celebré sa memoire.
LOUIS fait en ce mois plus que Jule en trente ans.
Anglois, vous le sçavez, Hollandois & Flamans,
Combien pese le bras de ce nouvel Hercule.
En Juillet si vanté par tes faits inoüis,
Il est juste, grand Roy, qu’à la place de Jule
On écrive à present, C’est le mois de LOUIS.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 58-59.

L'Air nouveau dont vous allez lire les paroles, ne vous paroistra pas indigne de suivre ceux que feu Mr de Bacilly m'a fournis depuis longtemps. Il est d'un fort habile homme, & qui a un talent tres-particulier pour la Musique.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Iris, que mon cœur est à plaindre doit regarder la page 59.
Iris, que mon cœur est à plaindre !
Vous allumez des feux, & voulez les éteindre
Par mille & mille cruautez.
Si vous n'écoutez pas la douleur qui me presse,
Que ferez-vous de vos beautez ?
Que feray-je de ma tendresse ?
images/1690-10_058.JPG

[Réjouissances faites à Chastillon-sur-Seine] §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 59-71.

Quoy que je vous aye parlé des réjoüissances faites en plusieurs Villes de France, pour les trois Batailles gagnées pendant la Campagne ; je ne vous ay entretenuë que de la moindre partie de celles qui en ont fait, & ne pouvant donner place à toutes ces Festes, j'en ay seulement choisi quelques-unes, où les Habitans se sont distingués par des choses extraordinaires & que leur zele leur avoit fait inventer. La Ville de Chastillon sur Seine a esté de ce nombre. S'il est un peu tard de vous en parler, songez que je n'ay pû le faire plûtost, ayant esté obligé de separer ces matieres dans plusieurs de mes Lettres, pour n'en pas remplir entierement les premieres. Toute la Ville & toutes les Maisons Religieuses contribuerent à la parure de la principale Eglise, où le Te Deum fut chanté, ainsi que tous les Corps des Métiers, qui prirent soin d'y faire arborer leurs étendards. On plaça le Portrait du Roy à l'entrée du Chœur, & la Tribune fut couverte de verdure, garnie d'un fort grand nombre d'Oiseaux, qui mêlerent leur ramage aux chants d'allegresse, & eurent ensuite la liberté. Les Corps du Bailliage & de la Magistrature, se rendirent de l'Hostel de Ville dans l'Eglise, au bruit des Tambours, Fifres & Violons, précedez de deux Compagnies de jeunes gens sous les armes. Aprés la ceremonie, les Corps des Officiers retournerent à l'Hostel de Ville dans le mesme ordre qu'ils estoient venus, & ensuite les Magistrats marcherent par toute la Ville, au bruit de toutes sortes d'Instrumens, & par leur exemple animerent les Bourgeois, qui dresserent des tables, & mangerent ainsi qu'eux au milieu des rues. Pendant le repas, les Dames, tenant le verre d'une main & le pistolet de l'autre, seconderent galamment, & à diverses reprises, Mrs du Corps de la Magistrature. Aprés le soupé, les feux estant allumez devant les maisons, Mr le Chape, Maire de la Ville, commença un Bal public avec les Magistrats, dans la plus belle Place de la Ville, que l'on éclaira de quantité de flambeaux. Il regala tous ceux qui abordoient devant sa maison, & n'épargna rien pour marquer de son zele. La Feste qui commença le Dimanche, fut continuée le reste de la semaine. Le Lundy ayant fait cueillir toutes les fleurs qui estoient dans ses parterres, pour faire des festons autour du Portrait du Roy, il les fit mettre dans un grand bassin, & marcha avec les Magistrats dans leur appareil ordinaire. Un jeune homme fort leste, placé au milieu des Fifres, des Tambours & Violons, portoit ce bassin, qui pendant la marche fut remply d'une infinité de Bouquets, que les hommes, femmes, & filles y jettoient incessamment. Le Mardy, il fit faire en sa maison une tres belle Couronne de Laurier au mesme Portrait du Roy, & la fit poser dans un grand bassin au milieu de toutes sortes de fleurs. On mit aussi tous les bouquets des Habitans dans deux autres grands bassins en forme de piramide, & le tout fut porté avec les mesmes ceremonies que l'on avoit observées le jour précedent. Le Mécredy, les Magistrats se firent un honneur de composer de leurs propres mains des festons & des guirlandes de cette varieté de fleurs, & les disposerent autour du Portrait du Roy, que deux jeunes hommes fort propres, porterent à la veuë de tout le Peuple, qui appelloit ce Monarque, comme un autre Tite, l'amour & les délices du genre humain. La marche se termina comme les suivantes, à la principale Eglise, où l'on remettoit ce Portrait à l'entrée du Chœur. Le Jeudy Mrs du Corps de la Magistrature le firent porter en triomphe au bruit des Fifres & des Tambours. Il estoit environné de lauriers, & lors qu'on fut arrivé devant la Maison de Ville, ils en firent aussi couronner le Buste du Roy, qui est placé sur la porte de cet Hostel. Le Vendredy Mr le Maire fit apporter chez luy tous les Drapeaux des Quartiers & des Corps des Mestiers, & les fit marcher chacun dans son rang, Enseignes déployées, devant, & aprés ce mesme Portrait, qui fut accompagné le jour suivant dans toutes les ruës par tous les Fils de Famille qui s'estoient mis sous les Armes. Ce mesme jour les plus beaux enfans de la Ville superbement habillez marcherent prés du Portrait en tenant des Branches & des Couronnes de laurier, & Mr le Maire le porta luy-mesme depuis l'Hostel de Ville jusques à l'Eglise, où il redoubla ses prieres & ses voeux pour Sa Majesté. Le Frere Zenon, Religieux Feüillant, se signala particulierement par le grand nombre de belles Fusées qu'il fit, & que l'on tira pendant les trois jours que les Te Deum furent chantez pour le gain des trois Batailles. Il estoit fort connu de la Reine-mere, qui luy a inspiré un tel amour pour le Roy, qu'il fait dire tous les ans deux cens Messes, pour la conservation de sa santé, & pour la prosperité de ses Armes.

La Ville de Chastillon sur Seine a fait une chose qui n'a esté faite par aucune Ville, puis qu'outre les manieres nouvelles, & ingenieuses dont elle s'est servie pour faire éclater sa joye, & dont vous venez de lire la Relation, elle employa Mr Pyon, Bachelier en Theologie, & Principal du College de la Ville, pour faire trois pieces d'Eloquence, dont chacune avoit pour sujet une des Batailles qui donnoient occasion à la réjoüissance publique. Elles furent exposées aux yeux du Peuple à la porte de l'Eglise dans les jours des Te Deum, afin que la lecture de ces Pieces l'excitast encore davantage à l'admiration de ce que le Roy a fait cette derniere Campagne, contre un si grand nombre d'Ennemis liguez.

[Nouvelles manieres de Theses soutenuës à Catelnaudary.] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 83-85.

Tout est miraculeux aujourd’huy en France, & la Jeunesse y est sçavante dans âge, où à peine sçavoit-elle autrefois lire. Ce qui vient de se passer à Castelnaudary, Capitale de Lauragais en Languedoc, en est une preuve. Mr la Riviere de Laudun, jeune Gentilhomme, âgé seulement de onze ans, & qui étudie en cette Ville-là au College des Peres de la Doctrine Chrestienne, y a répondu publiquement durant trois jours sur la Geographie universelle, sur l’Histoire Sainte, sur celle de France, de Rome & de Grece, sur le Blason, sur la Sphere, sur les Fables de Phedre, & sur les plus belles Odes d’Horace. Sa These êtoit dédiée au Roy, & à l’ouverture & à l’issuë de chaque seance, il a recité des Vers à la gloire de cet auguste Monarque. Toute l’Assemblée est toujours sortie avec une entiere satisfaction de ses réponses. Le Pere Riviere des Borderies, son Regent, qui l’a instruit dans toutes ces belles connoissances, le dispose à répondre dans quelque temps sur les plus beaux endroits des Poëtes Grecs & Latins.

[Réjouissances à Toulouse et aux Cordeliers de Paris]* §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 98-99, 103-104, 106-110.

Le Pere Louis Verdun, Religieux du grand Convent de l'Observance de Saint François de Toulouse, qui exerce depuis plus de huit ans la fonction de Commissaire & Procureur General de la Terre Sainte dans toute la France, receut la nouvelle de ce grand triomphe par Madame Girardin, le jour qu'on porta à Nostre-Dame les Etendarts & les Drapeaux pris à la bataille de Fleurus, & qu'on y chanta le Te Deum pour rendre graces à Dieu d'une Victoire si signalée contre les Ennemis de l'Eglise Catholique & de l'Estat, & le lendemain on luy rendit un Paquet de Constantinople, où le Procureur General de la Terre Sainte luy faisoit le détail de cette Negociation. [...]

 

Ce Religieux ayant appris cet heureux succés, se vit dans le comble de sa joye, & ne songea qu'à satisfaire l'impatience qu'il eut d'en remercier le Roy. Cet honneur luy fut accordé le jour de la feste de S. Loüis, & il avoit demandé à faire son compliment ce jour-là, à cause du zele que ce saint Roy a marqué pour la Terre Sainte. [...]

 

Il supplia ensuite le Roy de luy permettre de faire éclater publiquement les témoignages de son respect & de sa reconnoissance, & d'ordonner un Te Deum dans l'Eglise du grand Convent des Cordeliers, & un Feu devant la porte, afin qu'ils pussent devenir plus solemnels. La fin de son compliment fut, Que les Religieux Cordeliers n'oublieroient rien pour attirer sur Sa Majesté les benedictions du Ciel dans ces mesme Lieux, où le Sauveur les a répanduës si abondamment sur tous les hommes.

Le Roy fut fort satisfait de ce compliment, & accorda la permission qu'on luy demandoit. Ainsi le 20. du mois passé, on chanta un Te Deum solemnel dans l'Eglise du grand Convent des Cordeliers de Paris. Elle estoit tendüe de riches tapisseries, & il y avoit cent Chandeliers d'argent sur l'Autel, qui estoit illuminé depuis le bas jusques à la voûte. Vous jugez bien qu'on n'oublia pas d'avoir une excellente Musique. Elle estoit de la composition de Mr Noël, qui a si bien réussy en plusieurs occasions. Tout ce qu'il y a de plus habile parmy les Musiciens du Roy, & ceux de la Ville, soit pour les Voix, soit pour les Instrumens & la Simphonie, fut employé pour ce Te Deum, aprés lequel les Religieux chanterent l'Exaudiat, & la Musique finit par la Simphonie, & par le, Domine, salvum fac Regem, ce qui fut suivy d'un grand bruit de Boëtes. Sur les sept heures du soir, on vit paroistre une Illumination devant la porte de l'Eglise en dehors, où une infinité de lampons [sic] formoient une double guirlande tout autour du grand portail, ainsi que des Obelisques des deux costez, avec des Fleurs de lis au bout, & au dessus du grand portail, à la face de l'Eglise, on voyoit les cinq Croix de Jerusalem. Cette illumination dura jusques à minuit, & on entendit presque toujours le son des Timbales & des Trompetes.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 149-161.

Le Sr Theodore Girard Libraire dans la grande Salle du Palais, commence à debiter un Ouvrage d’une autre nature, qui doit estre d’une grande utilité aux Ingenieurs, Contrôleurs, Inspecteurs, Architectes, Entrepreneurs, & Ouvriers des Travaux, tant civils que militaires. Il est de Mr Desenne, Professeur d’Arithmetique à Paris, & a pour titre, Calcul du Toisé. Toutes les personnes qui font bastir y trouveront un chemin certain pour éviter les erreurs, épargner du temps, & soulager la memoire, puis que le Calcul y estant fait de tous Toisez de superficies, Solides & Bois équarris, il ne faut que sçavoir lire pour venir à bout en un moment de ce qu’il seroit impossible de calculer sans beaucoup de peine. L’Auteur a employé huit manieres ou methodes differentes pour faire ce Calcul. C’est ce qui avoit esté inconnu jusqu’à present.

Il paroist aussi depuis peu de jours un Livre que l’on peut dire nouveau, quoy qu’on l’ait veu il y a déja quelques années. L’Auteur en a renversé tout l’ordre, & y a fait des augmentations si considerables, que ce n’est plus en effet le mesme Livre. Son titre, qui est L’Art de vivre heureux, vous fera tomber d’accord qu’il doit estre leu de tout le monde, puis qu’il n’y a personne qui ne doive mettre tous ses soins à vivre content. Cet Art est formé sur les idées les plus claires de la raison & du bon sens, & sur de tres-belles Maximes de Mr Descartes. L’Auteur l’a divisé en trois parties. La premiere traite du bonheur de cette vie, & de l’idée qu’on en doit avoir ; la seconde, de la nature de l’Ame, de ses puissances & de sa liberté, qui sont les moyens dont le libre usage doit nous rendre heureux en cette vie, & la troisiéme, de l’application & du droit usage des deux puissances de nostre ame, qui consiste à trouver les moyens necessaires pour fortifier sa raison, & pour la disposer à juger toujours si bien de tout ce qui est bon ou mauvais dans la vie, que la volonté ne soit pas trompée dans ses poursuites. On trouve ce Livre chez le Sr Coignard, ruë Saint Jacques, à la Bible d’or.

On a donné au Public au commencement de ce mois, L’Histoire Monastique d’Irlande. C’est un Ouvrage plein de recherches, dans lequel on voit toutes les Abbayes, Prieurez, Convents, & autres Communautez Regulieres qu’il y a eu dans ce Royaume le temps & les titres de leur fondation, le nom & la qualité des Fondateurs, les Villes, Bourgs, Comtez & Provinces où elles estoient situées ; les differens Ordres Reguliers dont elles dépendoient, & les circonstances les plus remarquables de leur établissement & de leur suppression, avec quantité de Remarques Historiques & Critiques. Il est précedé d’un Traité fort curieux servant d’introduction à cette Histoire. L’Auteur y fait voir que l’Irlande a veu des Moines presque aussi-tost que des Chrestiens, puisque ceux qui vinrent y planter la foy, estoient engagez dans la vie Monastique ; que dans le quatriéme siecle Saint Diarmir & Saint Liberius, rendirent le Lac de Rée qui est au milieu de ce Royaume, considerable par les deux premieres Abbayes qu’on y ait fondées ; qu’au commencement du siecle suivant, les quatre grands Precurseurs de Saint Patrice, sçavoir, Saint Albée, Saint Declan, Saint Ibare, & Saint Kiaran, qui estoient Moines, convertirent une grande partie de l’Isle, & établirent des Abbayes considerables où ils furent eux-mesmes Abbez ; que le sixiéme siecle, & les autres qui le suivirent furent si fertiles en Saints Moines qui fonderent d’autres Abbayes en Irlande, & dont quelques uns leur donnerent à suivre des regles particulieres, que cette multitude de Saints fut cause que l’on appella l’Irlande l’Isle des Saints ; que dans le temps où les premiers Moines Irlandois parurent, les deux plus anciens Ordres qui florissent aujourd’huy dans le Christianisme, celuy de Saint Benoist, & celuy des Chanoines Reguliers de Saint Augustin en l’estat où ils sont presentement, n’estoient pas encore connus, & qu’on trouve que les premiers Saints d’Irlande estoient partagez en trois Ordres Reguliers, dont le premier estoit appellé tres-Saint ; que trois cens cinquante Evêques Reguliers, tous Saints, & qui n’avoient qu’une mesme tonsure & une mesme Liturgie, composoient cet Ordre ; que le second n’estoit pas si Saint ; qu’il y avoit peu d’Evesques & differentes liturgies, & que les Moines qui en dépendoient estoient presque tous Prestres au nombre d’environ trois cens, peu de Moines prenant anciennement l’Ordre de Prestrise, & qu’enfin le troisiéme & dernier Ordre qui estoit Saint aussi, mais moins Saint que les deux autres, comprenoit encore plusieurs Saints Moines au nombre de cent, presque tous Prestres, & dont il y en avoit aussi quelques uns d’Evesques ; que leurs Convents estoient bastis dans des deserts & dans des bois, où ils ne beuvoient que de l’eau, & ne se nourrissoient que de legumes qu’ils cultivoient eux-mesmes, à la manieré des celebres Moines de la Trappe. L’Auteur fait connoître ensuite par le détail toutes les Regles particulieres qu’il y avoit dans l’Irlande, & qu’il reduit au nombre de treize, dont il dit que l’Ordre de Saint Colomban se sousmit à celuy de Saint Benoist, & qu’il y en eut neuf autres qui reconnurent l’Ordre des Chanoines Reguliers de Saint Augustin. Il passe de là aux moyens dont se servit Henry VIII. pour supprimer tous les Convens, tant en Angleterre, qu’en Irlande, au milieu du seiziéme siecle, lors qu’il rendit ces deux Royaumes Schismatiques pour se soustraire au pouvoir du Pape, qui n’avoit point voulu luy accorder la permission qu’il demandoit pour se marier avec Anne de Boulen. Les circonstances de cette suppression de Convens sont écrites avec beaucoup d’ordre & d’exactitude.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 169-204.

Rien n’est plus ordinaire en amour que les traverses, & ce que j’ay à vous en conter n’auroit rien de surprenant, s’il n’avoit été suivy d’évenemens assez peu communs, pour meriter que vous les sçachiez dans toutes leurs circonstances. Un Cavalier, plein de bonnes qualitez, & fort estimé sur tout pour une droiture d’ame qui paroissoit dans toutes ses actions, se laissa toucher insensiblement d’une jeune Demoiselle, en qui la sagesse & la modestie estoient l’effet des soins d’une Mere qui l’aimant fort tendrement, en avoit pris de tres-grands pour son éducation. Elle n’estoit pas tout à fait belle, mais mille agrémens reparoient dans sa personne ce qui manquoit à la regularité de ses traits, & elle avoit d’ailleurs un esprit si doux, & des manieres si insinuantes, qu’il estoit mal-aisé de la connoistre sans souhaiter de s’en faire aimer. Son Pere estoit riche, mais quoy qu’en la mariant il luy dust faire des avantages considerables, ils n’alloient point au delà des prétentions que le Cavalier se pouvoit permettre. C’estoit un Gentilhomme de Normandie qui joüissoit de quinze à vingt mille livres de rente en belles Terres, & qui ayant toutes les inclinations d’un honneste homme, se plaisoit à faire une dépense proportionnée au bien qu’il avoit. Sa Mere estoit venuë s’établir à Paris depuis son Veuvage, avec une Fille unique, à qui elle tâchoit inutilement d’inspirer l’envie de choisir un Cloistre où elle eust esté plus propre qu’au monde. En effet, on ne pouvoit arrester les yeux sur elle sans se sentir dégousté de sa laideur. Elle estoit d’une humeur insupportable, & le chagrin de ne pouvoir faire quelque agreable conqueste, luy avoit donné une aigreur d’esprit que la raison ne pouvoit regler. Il y avoit environ trois mois que le Cavalier voyoit la Belle, quand un Conseiller qui commençoit à entrer dans cet âge meur où l’on ne songe à se marier que par des veuës d’interest ou d’alliance, jetta les yeux sur cette aimable personne dans le dessein d’en faire sa Femme. Il luy rendit d’abord quelques soins sans se declarer, & le temps qu’il prit pour tâcher de la connoistre, ne fit que l’affermir davantage dans la resolution qu’il avoit prise ; mais si la Belle luy plut, il s’en fallut bien qu’il ne réussist également à luy plaire. Ses manieres estoient rudes, & tout ce qu’il disoit ou faisoit estoit plus d’un Juge qui se sert avec empire de l’autorité qu’il a en main, que d’un Amant qui fait son plaisir de se soumettre. Ainsi s’il avoit quelques complaisances, on y remarquoit toujours je ne sçay quoy de forcé, & il ne put si bien faire que la Belle ne connust qu’il estoit avare, sujet à des visions de pur caprice, & fort difficile à ramener, mesme dans les choses où il n’avoit pas raison. Tous ces defauts qui éloignoient de luy le cœur de la Belle, servirent à mettre dans un plus beau jour tout ce que le Cavalier avoit d’estimable, & ses belles qualitez augmentées, pour ainsi dire, par les imperfections de son Rival, l’eussent mis dans une entiere assurance de se voir heureux, si elle eût été en droit de disposer d’elle ; mais pour son malheur elle dépendoit d’un pere fort attaché à ses sentimens, & qui s’estant laissé gagner par le Conseiller, prétendit que dans une affaire de cette importance, elle ne devoit avoir de volonté que la sienne. La declaration impreveuë qu’il fit tout à coup sans l’en avoir consultée, renversa tous les projets qu’on avoit pû faire. Le Cavalier en fut accablé, la Mere effrayée, & la Fille au desespoir. L’ordre qu’elle receut de son Pere, de ne plus regarder le Conseiller que comme un homme qu’elle devoit épouser dans peu de jours, la fit resoudre à tenter toutes sortes de moyens pour se garantir d’un mariage dont la pensée seule la faisoit trembler. Elle s’adressa d’abord à l’Amant choisi qui luy causoit tout cet embarras, & crut qu’en luy avoüant qu’elle se sentoit pour luy un éloignement qui la mettoit hors d’état de répondre à son amour, il ne voudroit pas s’obstiner dans une affaire qui les rendroit l’un & l’autre également malheureux ; mais elle eut beau se servir des termes les plus touchans pour l’obliger à y renoncer. Il luy dit d’une maniere fort respectueuse, qu’elle exigeoit de luy une generosité dont il n’estoit point capable ; que l’amour devoit l’emporter sur toutes choses, & que si l’injuste prevention qu’elle avoit pour son Rival l’avoit renduë jusque là insensible à sa tendresse, il ne doutoit point que trois mois de mariage ne luy fissent prendre d’autres sentimens. La Mere qui estoit entierement dans les interests du Cavalier, voyant qu’on ne devoit rien attendre de ce costé-là, fit ce qu’elle put pour gagner l’esprit de son Mary. Elle luy representa l’aversion invincible que sa Fille avoit pour le Conseiller, & luy ayant peint tous les malheurs qui accompagnent ordinairement un mariage forcé, elle tâcha de luy faire concevoir que le Cavalier ayant encore plus de bien que celuy qu’il choisissoit pour son Gendre, devoit estre preferé, puis que l’estime estoit reciproque entre eux, & qu’une secrete simpatie ayant commencé leur union, il estoit à croire qu’en la confirmant ils ne feroient que suivre les ordres du Ciel. Le raisonnement estoit fort juste, mais il ne fut point du goust du Mary. Comme il avoit l’humeur tres imperieuse, il répondit brusquement qu’il suffisoit qu’il eust donné sa parole pour ne la point retracter ; que quoy qu’il entendist estimer le Cavalier dans le monde, il ne vouloit point d’un homme d’épée ; que si le métier estoit honorable, les équipages qu’il falloit renouveller d’année en année, menoient necessairement à une grosse dépense, & que quand un Brave avoit mangé la plus grande partie de son bien pour s’acquerir de la gloire, un coup de Canon ou de Mousquet terminoit les esperances qui l’avoient flaté. Cette matiere ne s’épuisa pas sans une longue dispute, qui ne produisit rien autre chose qu’une défense de plus recevoir le Cavalier, & un ordre de se preparer au mariage dans un certain jour. Il le signifia luy-mesme à sa Fille, qui s’estant armée d’une courageuse résolution, luy dit que le respect qu’elle luy devoit l’empêcheroit de songer jamais à épouser un homme qui ne luy agréoit pas, mais qu’aussi l’autorité que le nom de Pere luy donnoit sur elle, ne luy paroissoit point assez legitimement fondée pour la devoir engager à faire une chose dont elle estoit asseurée qu’elle se repentiroit toute sa vie ; que comme elle renonçoit, pour ne luy déplaire pas, aux sentimens les plus doux qui fussent jamais entrez dans son cœur, elle le prioit de trouver bon qu’elle se dispensast de luy obeir sur un mariage qui ne pouvoit avoir de suites heureuses, & qu’elle ne vouloit pas luy cacher, que puis qu’il luy défendoit de ceder à son penchant, elle estoit résoluë de demeurer Fille, & de n’épouser ny le Conseiller, ny aucun autre. Sa fermeté étonna son Pere, qui pour l’ébranler la menaça d’un Convent, mais elle parut si preste à s’y enfermer, que la crainte de la perdre luy fit suspendre l’execution de cette menace. Cependant il fallut congedier le Cavalier, qu’elle ne laissa pas de voir plusieurs fois chez une Amie en presence de sa Mere. Tant d’obstacles ne servirent qu’à redoubler leur amour. Ils se donnerent les plus tendres asseurances de ne le laisser jamais affoiblir, & le temps de la Campagne estant arrivé, le Cavalier dit à cette aimable personne, que peut-estre elle se verroit bien-tost degagée de ses sermens, parce qu’un secret pressentiment luy faisoit croire qu’il y periroit. La Belle se mocqua de ses alarmes, & pour l’animer à se conserver pour elle, elle l’asseura que si elle estoit assez malheureuse pour le perdre, jamais personne, quoy que l’on pust faire, ne tiendroit sa place dans son cœur. Il partit charmé de cette promesse, dont neantmoins il luy paroissoit injuste de luy demander l’effet, puisque la mort devoit rompre les plus forts engagemens. Les Lettres furent frequentes, & les chagrins de l’éloignement se trouverent adoucis pendant deux mois par tout ce qu’une vive passion peut faire écrire de plus obligeant ; mais enfin il vint avis que dans une attaque où les Ennemis avoient perdu bien du monde, Le Cavalier avoit esté blesse dangereusement. Peu de jours aprés, la Belle reçeut la nouvelle de sa mort, & elle luy fut confirmée de tant d’endroits, qu’elle n’eut plus sujet d’en doûter, sur tout aprés que sa Sœur eut pris le deüil, & que l’on en publia jusqu’aux moindres circonstances. La douleur qu’elle en montra est inconcevable. Elle s’estoit declarée pour luy avec si peu de reserve, qu’elle ne prit aucun soin de cacher ses larmes. Le Conseiller qui les vit couler, ne s’en embarassa point ; il crut que le temps les essuyeroit, & reprit de nouvelles esperances, puisque cette mort la dispensoit de se piquer de constance pour un homme qu’elle ne pouvoit jamais revoir ; mais il fut trompé dans son attente. Son Pere voulut inutilement renoüer l’affaire. Elle l’asseura tout de nouveau que rien ne l’obligeroit à changer d’estat, & que puis qu’il ne luy avoit pas permis de se donner à ce qu’elle aimoit, elle ne seroit jamais à personne. Il se repentit alors, (& le luy marqua plusieurs fois à elle mesme) d’avoir combatu ses sentimens, & s’imaginant que le desespoir où ses refus avoient mis le Cavalier, l’avoit obligé à ménager moins sa vie dans l’occasion, il se reprocha d’estre cause de sa mort. Le Conseiller ayant veu toutes ses poursuites inutiles, renonçea enfin à importuner la Belle, & l’avidité du bien luy fit tourner ses pensées vers la Sœur du Cavalier. La mort de son Frere la rendoit un gros party, & beaucoup de gens qui songeoient à leur fortune, ayant commencé à la rechercher, il crût ne pouvoir mieux faire, que de se mettre du nombre des Pretendans. La Mere qui avoit besoin d’appuy dans quelques procés dont elle estoit menacée, ne fut pas fachée de la proposition du Conseiller. Elle l’écouta, & comme il estoit adroit, il sçeut si bien tourner son esprit qu’en fort peu de temps elle luy fit épouser sa Fille. Les belles Terres dont il se voyoit le Maistre par ce mariage, le consoloient de la laideur de sa femme ; mais ce qu’il y eut pour luy de plus chagrinant, il ne fut pas longtemps avec elle sans s’apperçevoir qu’elle avoit l’esprit aussi mal fait que le corps. Ses remontrances n’ayant pû rien obtenir sur son humeur aigre & toûjours contrariante, il luy laissa son Appartement où elle vivoit à sa fantaisie. Pour luy oster tout lieu de se plaindre, il avoit soin de luy faire fournir avec abondance tout ce qu’elle demandoit, & ne la voyoit que fort rarement. Six ou sept mois s’étoient déja écoulez depuis la nouvelle de la mort du Cavalier, lors que la Belle qui la sentoit toûjours vivement, fut obligée d’assister au mariage d’une Parente avec qui elle estoit liée d’une amitié fort estroite. La saison du Carnaval fut cause qu’on appella les Violons à la Feste. Les Masques y vinrent en foule, & tandis que la Belle qui ne vouloit pas danser, resvoit à l’écart à toute autre chose qu’aux plaisirs qui occupoient l’Assemblée, un Bohemien habillé fort proprement s’approcha d’elle, & l’asseurant qu’il excelloit sur tout autre dans la connoissance de l’avenir, il luy demanda si elle vouloit sçavoir sa bonne avanture. La Belle ayant répondu que ses malheurs estoient plus forts que son Art, luy donna sa main nonchalamment, & le Bohemien l’ayant regardée long-temps, luy dit qu’il ne pouvoit bien déveloper ce qu’il y avoit de plus particulier dans sa vie ; qu’il voyoit seulement en general qu’un Amant aimé luy avoit fait verser bien des larmes, mais que le temps estoit proche, où elle auroit lieu, en le revoyant aussi remply d’amour que jamais, de sentir autant de joye qu’elle avoit eu de chagrin. La Belle poussa un long soupir, & renvoya le Bohemien en luy disant qu’au moins il devoit chercher à luy prédire des choses, où il y eust quelque possibilité. Il soutint toujours que l’effet confirmeroit sa prediction, & l’ayant quittée, il se perdit dans la foule, & ne parut plus. La Belle trouva quelque chose de singulier dans l’avanture du Bohemien qu’elle n’avoit point veu s’adresser à d’autres qu’à elle, & le lendemain il luy fut impossible de n’y pas rêver pendant tout le jour. Elle eut beau se dire qu’il n’y avoit aucun remede à la mort. Je ne sçay quoy de flateur l’entretenoit malgré elle, & plus tranquille qu’elle ne l’estoit ordinairement, elle ne pouvoit se refuser à de secrets mouvemens de joye qu’elle ne comprenoit pas. Cela se termina par des larmes que luy arracha le souvenir d’un Amant si digne de sa tendresse, & le jour suivant elle se trouva dans un abatement extraordinaire. Elle n’en sortit que pour se plaindre de ceux qui luy vinrent dire qu’il couroit un bruit du retour du Cavalier. Tandis qu’elle soustenoit la fausseté de cette nouvelle, qui ne laissoit pas de l’embarasser par le rapport qu’elle avoit avec ce que le Bohemien luy avoit dit, un de ses Amis survint, & l’asseura qu’il venoit de luy parler. Ce fut pour elle une si grande surprise, que ne pouvant croire ce qu’on luy disoit, & voulant d’ailleurs que la chose fust, elle demeura comme immobile. Dans ce moment, on receut message du Cavalier mesme, qui envoyoit demander si on agréroit qu’il rendist une visite. Le Pere assura qu’il la recevroit avec plaisir, & l’ayant d’abord entretenu seul, il le mena à sa Femme & à sa Fille, avec qui il le laissa, ne doutant point qu’il n’eust à leur dire bien des choses qui demandoient une conversation particuliere. N’attendez pas que je vous dépeigne la joye de ces deux Amans ; il faut aimer pour la concevoir. La Belle n’eut pas de peine à se figurer que le Bohemien & le Cavalier n’estoient qu’une mesme chose. Elle le felicita sur ce qu’il ne prédisoit que ce qui estoit certain, & l’impatience où il la vit de sçavoir comment il pouvoit estre vivant aprés qu’on avoit publié sa mort comme une chose asseurée, ne permettant pas qu’il differast à luy rendre compte d’un évenement si peu commun, il luy dit qu’ayant receu de dangereuses blessures dans une rencontre, où il avoit esté commandé, il s’estoit fait porter à une Ville prochaine, où quelque accident facheux avoit fait d’abord desesperer de sa guerison ; qu’estant tombé quelques jours aprés dans une entiere défaillance de ses sens, où il estoit demeuré vingt heures sans donner aucune marque de vie, son Valet de chambre s’estoit hâté d’écrire à sa Mere, pour luy donner avis de sa mort ; qu’estant révenu à luy, & ayant appris ce qu’il avoit fait, il luy avoit ordonné d’en écrire encore de nouvelles circonstances, afin qu’on ne pust la tenir douteuse ; qu’il n’avoit eu en veuë dans tout cela que de bien connoistre par le déplaisir qu’elle en auroit, si elle estoit aussi veritablement attachée à luy, qu’elle luy avoit permis de le croire ; qu’il avoit eu cette satisfaction, puis que par le moyen d’un de ses Amis qui écrivoit souvent à Paris, il avoit sceu la genereuse résolution qu’elle avoit prise de n’aimer jamais personne aprés luy ; que rien ne l’avoit plus réjoüy que le mariage du Conseiller avec sa Sœur qu’on avoit mandé à cet Amy ; qu’il n’auroit pû souhaiter une plus rude vangeance des maux qu’il luy avoit faits ; qu’il luy avoit fallu un longtemps pour guerir entierement de ses blessures, & pour revenir de la foiblesse que ce qu’il avoit souffert luy avoit causée ; qu’à son retour, il estoit allé d’abord se cacher chez un Amy, qui en le voyant s’estoit écrié comme de l’apparition de quelque Fantôme, parce qu’il le croyoit mort, comme tous les autres ; qu’ayant sceu de luy qu’on parloit d’un Bal pour le lendemain, où elle estoit conviée, il avoit songé à se déguiser en Bohemien, pour l’entretenir sans estre connu ; qu’aprés cela il s’estoit fait voir à sa Mere, & qu’il venoit prendre leurs avis sur la maniere dont il se devoit conduire avec son Beaufrere le Conseiller. Ce n’estoit pas neanmoins ce qui luy donnoit de l’inquietude ; il en avoit seulement de la situation d’esprit où seroit pour luy le Pere de sa Maistresse. La Mere & la Fille ne crurent point luy devoir cacher qu’il y avoit apparence que tout iroit bien, puis que le chagrin qu’il avoit marqué de l’injustice que le Conseiller luy avoit fait faire, estoit presque une assurance du consentement qu’il devoit donner à leurs desseins. En effet, comme il aimoit tendrement sa Fille, & qu’une assez rude épreuve luy avoit fait voir sa fermeté, il ne jugea pas qu’il fust à propos de se priver pour jamais du plaisir d’avoir un Gendre. D’ailleurs, outre les avantages du bien & de la naissance, qui estoient considerables, le Cavalier s’estoit mis par tout dans une fort grande estime. Ainsi il n’eut pas plûtost renouvellé ses pretentions qu’il fut écouté favorablement. Le mariage se fit avec une égale satisfaction des deux parties. Vous jugez bien que le Conseiller n’eut pas sujet d’en estre content. Son avarice l’avoit engagé à prendre pour Femme une tres laide personne, & il se vit obligé de renoncer à tout ce grand bien dont il s’estoit laissé ébloüir, pour se contenter de peu de chose, les droits des Filles que ne marient pas les Peres, estant toujours fort legers en Normandie.

[Nouvelles de Savoye] §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 212-213.

 

On trouva dans leur CampI du Pain & du Vin que Mr de Saint Ruth fit donner aux Irlandois, ausquels il permit d'aller dans les Montagnes prendre des Troupeaux qu'on sçavoit y estre en paturage. Le soir, il receut les deputez de Montiers. En y arrivant le 13. au matin, il trouva l'Archevesque à quarante pas de la Ville, accompagné des principaux Habitans qui lui offrirent les Clefs dans un grand & magnifique Bassin, entouré de roses. Mr de Saint Ruth mit pied à terre, & receut ces Clefs en ceremonie. On alla ensuite dans la Ville, & l'on y chanta le Te Deum pour la Victoire qu'on venoit de remporter, & aprés laquelle le Peuple voulut persuader aux François qu'il soupiroit depuis fort long-temps.

Le trébuchement de Phaëton §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 214-221.

Mr Bardou de Poitiers, que ses emplois avoient empêché depuis longtemps de s’appliquer à aucun Ouvrage de Poësie, a senty rouvrir sa Veine comme malgré luy, & il n’a pû s’empêcher de mêler sa voix avec celle de tous les honnestes gens qui aiment à chanter la gloire de nostre Auguste Monarque. L’Ouvrage Allegorique que vous allez lire est de sa façon, & vous en connoistrez aisément la matiere par le titre.

LE TREBUCHEMENT
DE PHAETON.

Tout fier de sa naissance un jeune Ambitieux,
Dans le zele indiscret de s’égaler aux Dieux,
Du Soleil son Amy veut obscurcir la gloire,
Et par un vol hardy signaler sa memoire.
Sur le Char perilleux qui donne à l’Univers
Des ombres & des jours les spectacles divers,
Malgré tous les dangers dont le Ciel le menace,
Le témeraire enfin s’expose à prendre place.
Si chez luy la raison eust trouvé quelque lieu,
Il se seroit tenu dans un juste milieu,
Sans vouloir dans son cours s’élever ny descendre ;
On a beau luy parler, il ne veut rien entendre,
De son ambition sans cesse tourmenté,
Les mouvemens d’un cœur remply de vanité,
Sont les seules raisons que son esprit écoute,
Sur cet appuy fragile il commence sa route.
 Divers Peuples d’abord l’admirant dans son cours,
De ce nouveau Soleil attendent leurs beaux jours.
Il s’anime, & croit voir la gloire au bout du terme,
Mais n’ayant pas encor une main assez ferme
Pour regler dans leurs pas ses Coursiers vagabonds,
On vit l’infortuné qui par sauts & par bonds
S’écartant de la fin qu’il s’estoit proposée,
Quitte la gloire, & prend une route opposée.
Trop prés de nous on craint ses rayons enflâmez,
Il semble menacer nos Peuples alarmez.
Mais quoy ? C’est vainement qu’on craint pour nostre Terre,
Quand nous avons pour nous le Maistre du Tonnerre.
 Au plus haut de l’Olimpe un superbe Palais,
Où jamais des Titans ne parviennent les traits,
Est du premier des Dieux le glorieux asile.
Pacifique vainqueur, de ce sejour tranquille,
Il envoye à son gré la foudre en tous les lieux,
Où son bras doit punir des cœurs audacieux ;
Par tout, comme il luy plaist, il seme l’épouvante,
Voy de ses derniers coups la terre encor fumante,
Témeraire Mortel, & plein d’un juste effroy,
A ton ambition impose enfin la loy.
Avant que le nuage ait crevé sur ta teste,
Tu peux en d’autres lieux détourner la tempeste.
Laisse dans son éclat briller nostre Soleil
Et fais gloire plûtost de suivre son conseil.
Rien ne peut arrester ce cœur fier & rebelle,
L’ambitieux poursuit sa route criminelle :
Jupiter indigné le livre à son couroux,
L’orage gronde, éclate, il tombe sous ses coups.
Son Char précipité dans le Pô * fait naufrage,
Ses chevaux detelez se sauvent à la nâge.
C’est ainsi que sa cheute & sa témerité
Rendent son nom fameux à la posterité.
 Cecy n’est rien moins qu’une Fable,
 C’est une histoire veritable.
Sur ce mesme rivage où l’on tient qu’autrefois
Jupiter foudroya le jeune Témeraire
Qui profita si mal des tendresses d’un Pere,
Loüis, le plus terrible & le plus doux des Rois,
A de justes rigueurs forcé de se resoudre,
Sur un vray Phaëton vient de lancer la foudre.
Le feu d’un beau couroux vient d’éteindre les feux
 Qu’allumoit une fausse gloire,
Et le Pô que la Fable avoit rendu fameux,
Va devenir encor plus fameux dans l’Histoire.
1

[Madrigal sur le mesme sujet] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 222-223.

La mesme pensée a donné lieu à ces autres Vers.

SUR L’ENTIERE Défaite de l’Armée de Mr le Duc de Savoye, par les Troupes victorieuses du Roy, sur le Pô.

  Quand Phaëton, ce jeune ambitieux,
Conduisit les chevaux du bel Astre du monde,
  Et qu’en sa course vagabonde
 Il embrasa l’Univers de ses feux,
Jupiter renversant ses projets orgueilleux,
  Le Pô l’engloutit dans son Onde ;
***
Mais un Prince encor plus témeraire que luy,
 Sous l’effort d’un Roy redoutable,
 Dont il a negligé l’appuy,
Sur les rives du Pô trouve un destin semblable.
Ainsi ce qui ne fut autrefois qu’une Fable
 Devient une Histoire aujourd’huy.

[Galanterie par une Demoiselle d’Angoulesme] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 223-226.

C’est sans sortir des Articles de la guerre que j’ajoûte icy de fort agreables Vers, qu’une Demoiselle d’Angoulesme a faits pour un jeune Cavalier, qui par une action de bravoure distinguée, a bien merité qu’elle marquast l’interest qu’elle prend en sa personne. C’est le troisiéme Fils de Mr de Sorsac, d’une Maison fort considerable dans l’Angoumois. Il n’a encore que quinze ans, & s’estant trouvé dans une escarmouche qui se fit avant la journée où se donna la Bataille de Fleurus, aprés qu’il eut essuyé le feu d’un Officier Ennemy qui s’estoit avancé, il le tua d’un coup de pistolet à la veuë des deux Armées. Il a eu pour récompense de cette action, la Charge de Cornette de la Colonelle du Regiment de Langallerie. Comme l’ardeur avec laquelle il court au peril, fait connoistre celle qu’il a pour la gloire, la Demoiselle dont je vous envoye les Vers, ne fait point difficulté de luy témoigner qu’elle en est jalouse.

 La guerre & les hazards ont pour vous trop de charmes,
Ménagez mieux des jours qui ne sont plus à vous ;
Vostre gloire, Tircis, me coûte mille alarmes,
 Et je la vois avec un œil jaloux.
Ne me préferez plus cette fiere Rivale,
Dont la faveur sujette à mille changemens,
  A ses plus chers Amans
  Devient souvent fatale.
De son fragile éclat aveuglement épris,
Vous luy donnez des vœux qu’elle ne peut entendre.
 Mon amour du vostre est le prix ;
La gloire comme moy n’en a point à vous rendre.

[Mort de Mr. Amproux]* §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 243.

Mr Amproux, Conseiller en la Grand’ Chambre, est mort environ dans le mesme tempsII . Il estoit Frere de feu Mr de Lorme, Intendant des Finances. On n’a guere veu de Juge qui ait paru plus integre. Il n’a jamais enduré qu’on luy ait fait aucunes sollicitations, & comme il avoit une tres-belle Bibliotheque, il donnoit aux Livres & à l’étude le temps qu’il auroit perdu à les écouter. Il estoit nouveau Converty.

[Prise de Valone par les Venitiens] §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 254-255.

L'Armée se rendit de là devant la Valone, où l'on ne fut pas plutost arrivé, que l'on fit sommer la Ville & le Chasteau de se rendre. Le Bacha se dispensa de répondre jusqu'au lendemain matin, & pendant la nuit il emporta ses meilleurs effets, & les portes qu'on trouva ouvertes firent connoistre que la Garnison estoit sortie de la Place. Les Venitiens y estant entrez en mesme temps, y firent chanter le Te Deum.

[Nouveaux couplets de Chanson sur l'air des folies d'Espagne] §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 263-268.

On a chanté la défaite des Savoyards sur un air de leur Pays. Mr Diereville, Auteur des couplets que je vous ay envoyez sur cette défaite, a changé de ton, & pour faire souvenir les Espagnols & les Hollandois qu'ils n'ont point pris leur revanche en Flandre, il a fait sur l'air des Folies d'Espagne les nouveaux couplets que je vous envoye. Il n'y en a point qui soit plus connu.

AUX ESPAGNOLS
Et aux Hollandois.

Avant le temps finissez la Campagne,
Retirez-vous, & ne combattez plus ;
Tous les efforts de Hollande & d'Espagne
Contre Loüis sont toujours superflus.
***
Allez chez vous manger en paix l'esclanche,
Castanega, Vvaldeck et Brandebourg ;
Vous prétendiez avoir vôtre revanche,
Et vous fuyez les coups de Luxembourg.
***
 Quoy ! Contre un seul trois ne peuvent suffire !
Que faut-il donc pour en venir à bout ?
C'est de Loüis dont il défend l'Empire,
C'en est assez pour resister à tout.
***
 Ce puissant Roy vous force de le croire.
Quel desespoir, quelle rage pour vous !
Tout ce qu'on fait pour abattre sa gloire,
Vous en rendra mille fois plus jaloux.
***
Vous ne sçauriez humilier la France,
Laissez Loüis joüir de son bonheur ;
De cent Liguez il brave l'alliance,
Et tout n'est rien contre un si grand Vainqueur.
***
 C'est le party le meilleur qui vous reste
Dans le malheur qui vous poursuit toujours ;
Il deviendra chaque jour plus funeste,
C'est trop long-temps en éprouver le cours.
***
 Tout doit trembler quand son bras se déploye,
Pour satisfaire à son juste couroux :
Il vient encor de prendre la Savoye,
Les Ramonneurs sont traitez comme vous.
***
 Plus d'Ennemis, pour luy plus de victoires,
Suscitez-en, vous les verrez soumis.
En pourroit-on croire un jour les Histoires,
Si tout n'estoit prodige sous Loüis ?
***
 Vous, Hollandois, faites vostre commerce,
Au champ de Mars vos malheurs sont trop grands,
Et vous n'aurez ny chagrin, ny traverse,
Quand vous sçaurez vous conduire en Marchands.
***
 Vous, Espagnols, rengainez la rapiere,
Et dans Madrid allez vous en parer,
Vous perdez tous vostre prestance fiere
Dans le moment qu'il faudroit la tiree [sic].

Air nouveau §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 289.

Je ne vous dis rien du second Air nouveau dont vous allez lire les paroles. Vous sçavez ce qu'il y a de plus fin dans la Musique, & vous en aurez bien-tost connu la beauté.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Vous m'avez dit cent fois, doit regarder la page 289.
Vous m'avez dit cent fois que vous m'aimiez en Frere
Et je vous ay promis de vous aimer en Sœur ;
Cette qualité m'est bien chere,
Mais quand je consulte mon cœur
Sur une si tendre matiere,
Helas ! je voudrois bien n'estre plus vostre Frere,
Et ne vous plus aimer en Sœur.
images/1690-10_289.JPG

[Divertissemens donnez à leurs Majestez Britanniques dans le mesme lieuIII] §

Mercure Galant, octobre 1690, p. 291-294, 300-303.

Le 11. leurs Majestez Britanniques partirent de S. Germain en Laye, & aprés avoir disné à Fremond, Maison de plaisance de Mr le Chevalier de Lorraine, où les Officiers du Roy avoient préparé un magnifique repas, Elles arriverent sur les quatre heures à la Forest de Fontainebleau, où Sa Majesté qui s'estoit avancée jusque-là pour les recevoir, leur proposa le plaisir de voir courre un Loup. On se plaça, & les Veneurs estant entrez dans le bois en firent sortir ce pauvre animal, qui fut joint en un instant, & devoré par les Levriers. Le Roy d'Angleterre monta ensuite en Carrosse avec le Roy, qui dés le commencement y estoit entré avec la Reine & Monsieur. On arriva à Fontainebleau sur les six heures, entre deux hayes de peuple pendant plus d'une lieuë de chemin. La court du Cheval blanc estoit pleine, & le grand escalier de l'appartement de la Reine-mere, qui fut celuy de leurs Majestez Britanniques, se trouva si chargé de monde, que l'on avoit de la peine à y passer. Le Roy qui voulut les y conduire, les laissa se reposer jusqu'à sept heures & demie, qu'il vint les reprendre pour les mener aux Appartemens, où de deux jours en deux jours il y eut Musique. Pendant tout le sejour du Roy d'Angleterre à Fontainbleau, tous les Princes, Princesses, grands Seigneurs & Dames de la Cour, se sont rendus chez la Reine à sept heures & un quart, pour l'accompagner aux Appartemens, ce qu'ils ont fait aussi tous les jours un quart d'heure avant la Messe. [...]

 

Le 17. il y eut deux Chasses. On alla courre le matin un Cerf, qui foula plusieurs fois sur les chiens, en blessa un & en prit un autre par la teste, entre deux de ses andouïllées, & le porta vingt à vingt-cinq pas en courant à toutes jambes. Sur les cinq heures on alla aux Toiles, où sept Sangliers & deux Cerfs se trouverent enfermez. Les Levriers qui estoient postez en divers endroits pour les joindre, prirent deux Sangliers, & manquerent les deux Cerfs, l'un ayant sauté les Toiles, & l'autre s'estant sauvé par un des bouts de l'enceinte qu'on avoit laissé ouvert. On laissa les quatre autres Sangliers dans les toiles, à cause de la nuit qui s'avançoit, & l'on revint à la clarté de plus de cent flambeaux, suivant les ordres que Mr de la Rochefoucaut avoit donnez. Les gens du Chenil qui les portoient, marchoient en deux hayes, & les chiens suivoient leurs Officiers. Ils furent recompensez de l'ardeur qu'ils avoient montrée pendant la Chasse. On avoit fait apporter leur moüée dans huit baquets quatre de chaque costé de l'allée qui regardoit la Terrasse de l'Appartement de la Reine. Le Roy s'y estoit rendu, suivy de toute la Cour. Le Cerf qu'on avoit pris le matin fut mis par quartiers plus loin que les baquets qu'on avoit remplis de la moüée. Tout estant bien disposé, six Gentilshommes de la Venerie, les Piqueurs, Valets de Limiers & Valets de chiens sonnerent, & en mesme temps les chiens s'enfoncerent la teste dans les huit baquets. Lors que leur grosse faim fut passée, leurs Officiers les menerent au lieu où estoient les quartiers du Cerf, & leur permirent de s'en regaler au bruit des fanfares.

[Affaires d’Allemagne] §

Mercure galant, octobre 1690 [tome 11], p. 316-319.

Je n’ay rien à vous dire d’Allemagne, sinon que la Campagne est finie en ces quartiers-là, & que les Imperiaux qui se promettoient de venir jusques au cœur de la France, n’ayant pas sorty de chez eux, n’ont fait la guerre qu’à leurs Compatriotes, aux dépens desquels ils ont esté obligez de vivre. Ce qu’il y a de fort surprenant, c’est que toute l’Europe estant liguée contre la grandeur du Roy, ses troupes ont vêcu par tout aux dépens de ses Ennemis, ce qui les met dans la necessité de prendre des quartiers d’Hyver plus éloignez des Frontieres de France qu’ils n’auroient fait. Voicy des Vers de Mr Diereville, qui conviennent bien à l’estat present des affaires de ce Païs-là.

 Fiers Allemans, quel est vostre destin ?
 L’Aigle n’a plus la victoire pour guide,
Luy qui sur le Danube eut un vol si rapide,
  Ne fait que planer sur le Rhin.
Il ne peut du Soleil supporter la lumiere,
 L’effort qu’il fait est impuissant.
 Que n’achevoit-il sa carriere,
 Il eust renversé le Croissant.
 Jaloux de l’éclat de la gloire
 Du grand LOUIS toujours Vainqueur,
 Il quitte une seure victoire
Pour tâcher vainement d’abaisser sa grandeur.
 On se ligue pour le combattre,
Contre luy seul on fait tout soûlever,
 Et tout ce qu’on fait pour l’abattre,
 Ne servira qu’à l’élever.
 Il rend imprenables des Villes
 Qu’il emporta des premiers coups.
Quelle gloire pour luy ! quelle honte pour vous,
 De voir un Roy seul contre tous
 Rendre vos Ligues inutiles !

La nouvelle qui vient d’arriver de la perte de Belgrade justifie ce qui est dit dans ces Vers, que l’Empereur qui estoit en pouvoir de renverser le Croissant a quitté une victoire asseurée, pour tâcher inutilement d’abaisser la gloire du Roy.