1691

Mercure galant, juin 1691 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1691 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1691 [tome 6]. §

Avis §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. [I-IV].

 

AVIS.

Quelques prieres qu’on ait faites jusqu’à present de bien écrire les noms de Famille employez dans les Memoires qu’on envoye pour ce Mercure, on ne laisse pas d’y manquer toûjours. Cela est cause qu’il y a de temps en temps quelques-uns de ces Memoires dont on ne se peut servir. On reïtere la mesme priere de bien écrire ces noms, en sorte qu’on ne s’y puisse tromper. On ne prend aucun argent pour les Memoires, & l’on employera tous les bons Ouvrages à leur tour, pourveu qu’ils ne desobligent personne, & qu’il n’y ait rien de licentieux. On prie seulement ceux qui les envoyent, & sur tout ceux qui n’écrivent que pour faire employer leurs noms dans l’article des Enigmes, d’affranchir leurs Lettres de port, s’ils veulent qu’on fasse ce qu’ils demandent. C’est fort peu de chose pour chaque particulier, & le tout ensemble est beaucoup pour un Libraire.

Le sieur Guerout qui debite presentement le Mercure, a rétably les choses de maniere qu’il est toûjours imprimé au commencement de chaque mois. Il avertit qu’à l’égard des Envois qui se font à la Campagne, il fera partir les paquets de ceux qui le chargeront de les envoyer avant que l’on commence à vendre icy le Mercure. Comme ces paquets seront plusieurs jours en chemin, Paris ne laissera pas d’avoir le Mercure longtemps avant qu’il soit arrivé dans les Villes éloignées, mais aussi les Villes ne le recevront pas si tard qu’elles faisoient auparavant. Ceux qui se le font envoyer par leurs Amis sans en charger ledit Guerout, s’exposent à le recevoir toûjours fort tard par deux raisons. La premiere, parce que ces Amis n’ont pas soin de le venir prendre si-tost qu’il est imprimé, outre qu’il le sera toujours quelques jours avant qu’on en fasse le debit ; & l’autre, que ne l’envoyant qu’aprés qu’ils l’ont leu, eux & quelques autres à qui ils le prestent, ils rejettent la faute du retardement sur le Libraire, en disant que la vente n’en a commencé que fort avant dans le mois. On évitera ce retardement par la voye dudit Sieur Guerout, puis qu’il se charge de faire les paquets luy-mesme & de les faire porter à la poste ou aux Messagers sans nul interest, tant pour les Particuliers que pour les Libraires de Province, qui luy auront donné leur adresse. Il fera la mesme chose generalement de tous les Livres nouveaux qu’on luy demandera, soit qu’il les debite, ou qu’ils appartiennent à d’autres Libraires, sans en prendre pour cela davantage que le prix fixé par les Libraires qui les vendront. Quand il se rencontrera qu’on demandera ces Livres à la fin du mois, il les joindra au Mercure, afin de n’en faire qu’un mesme paquet. Tout cela sera executé avec une exactitude dont on aura tout lieu d’estre content.

[Prelude] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 7-9.

 

On ne cesse point de loüer le Roy, & c’est toujours avec beaucoup de justice, puis que jamais Souverain n’a fait des choses si surprenantes, & en si grand nombre. Cela est cause que la maniere ordinaire de luy donner des loüanges commençant enfin à estre épuisée, on s’attache à chercher des tours nouveaux, pour rendre à ses actions toutes merveilleuses, la justice qu’on leur doit. Le zele qu’on a pour la gloire de cet Auguste Monarque, qui fait les delices de son Siecle, ne peut estre ralenty par la difficulté des expressions qui sont toujours beaucoup au dessous de tout ce qu’on voudroit dire ; & si l’on se voit dans l’impuissance d’en trouver, ou qui n’ayent point encore esté employées, ou qui répondent assez à la grandeur du sujet qu’on traite, on tâche du moins d’y donner de l’agrément par la maniere nouvelle de le traiter. C’est ce qui a fait naistre l’idée du Cantique que je vous envoye. Elle a esté fort heureusement executée, & je croy que vous ne serez pas moins contente de l’Original Latin, que de l’Imitation en Vers François qui en a esté faite.

Cantique des Triomphes de la France §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 10-24.

 

CANTICUM
GALLIÆ TRIUMPHANTIS.

Io triumphe, o Galli, Io triumphe ! Ter Deo nostro jucunde cantemus, Io triumphe.

Dedisti, Domine, Gallorum Populo Regem pium, justum & secundum cor tuum ; Regem fortem, invictum, & te adjuvante, invincibilem.

CANTIQUE
DES TRIOMPHES
de la France.

O Peuple comblé de gloire,
O François à qui tout rit,
Poussez des chants de Victoire
Vers le Ciel qui vous cherit.
***
Ce Roy si doux aux bons, aux méchans si terrible,
Ce Roy, par vostre appuy si grand, si fortuné,
Ce Roy de vostre goust, pieux, juste, invincible,
C’est vous, Seigneur, c’est vous qui nous l’avez donné.

Zelus domus tuæ possedit eum ; & ideò inimicis tuis factus est inimicus.

Non sustinuit Hæreticos in terra sua diutius immorari ; aut enim dociles adoptavit ut filios, aut contumaces ut degeneres abdicavit.

Expulsi sunt à Regno Christianissimo Iconoclastæ, & Iconomachi, omnes impii contemptores Sacramentorum.

Ejecti sunt qui Hierarchiam Catholicam evertere meditabantur, qui Monarchicum Imperium inviti subiebant.

Perfecit LUDOVICUS sine bellis & sine cæde intra fines unius anni, quod Majores sui toto plus quàm sæculo in vanum cupierunt & tentaverunt.

Son cœur sans balancer prenant vostre querelle,
Toûjours d’un zéle ardent fut pour vous dévoré ;
Toûjours de vos Amis le Protecteur fidelle,
Et de vos Ennemis l’Ennemi declaré.
***
On l’a veu de l’Etat guérir la frenesie,
Extirper sagement un mal enraciné,
Et parmi ses Sujets infectez d’hérésie,
Adopter le docile, & bannir l’obstiné.
***
Vœux sacrez, ennemis des voluptez flateuses,
Sacremens, de la Foy nourriture & soûtien,
Et vous, Sermons müets des Images pieuses,
Nous vous perdions helas ! sans ce Héros Chrétien.
***
Des mutins exilez l’insolente entreprise
Sembloit avoir en but la seule Papauté ;
Mais les coups qu’ils portoient au Prince de l’Eglise
Attaquoient dans le cœur l’Auguste Royauté.
***
Six de nos Rois armez & de fer & de flame,
Pour abbatre cette Hydre ont en vain combattu.
Sans répandre aucun sang, cette peste de l’ame
Cede à LOUIS armé de sa seule Vertu.

Io Triumphe, o Galli, Io triumphe ! Ter Deo nostro jucunde cantemus, Io triumphe.

Lumen tantæ virtutis offendit oculos superborum ; zeli tam efficacis gloria Hæreticorum, & Principum Europæ odium & invidiam suscitavit.

Convenerunt in unum Germanus, Iberus, & Allobrox, adversus Christum Domini, primogenitum Ecclesiæ.

O Peuple comblé de gloire,
O François à qui tout rit,
Poussez des chants de Victoire
Vers le Ciel qui vous cherit.
***
L’orgueil s’en est émû, la jalouse arrogance
A fait contre mon Roy frémir les Nations,
Et cent Princes Liguez que tant d’éclat offense,
Ont tenté d’obscurcir ses grandes actions.
***
L’Ibere & le Germain attaquent sa fortune,
L’Impuissant Allobroge à leur couroux se joint ;
Contre le Fils aîné de leur Mére commune
Les Fréres sont armez, & n’en rougissent point.

Conjuncti sunt Rebellibus Angliæ, & Hollandiæ Confœderatis adhæserunt : non erubuerunt Principes Catholici sociari cum iniquo & Hæretico Throni Britannici Invasore.

Factus est Magnus LUDOVICUS, Protector veræ Religionis & vindex : Regiæ dignitatis assertor acerrimus..

Omnes isti unanimiter impetum fecerunt in Gallias frustrà : operti sunt confusione, & cum ignominia repulsi sunt.

Catenato Rheno gemit Germania, Eridanus confractis cornibus luget : Belgii nobis penetrale reserant subjecti Montes Hannoniæ ; maria victricibus Francorum Navibus obtemperant.

Io Triumphe, o Galli, Io Triumphe ! ter Deo nostro jucunde cantemus, Io Triumphe.

Au lâche Usurpateur du Trône d’Angleterre,
Aux Bataves ingrats leur foiblesse a recours :
Tout prests à soulever le centre de la terre
Si l’Enfer à leur rage eust pû donner secours.
***
Dieu seul soûtient Louis contre tant d’adversaires,
Et sa haute Valeur redoublant ses Exploits,
Au nom de Défenseur de la Foy de nos Péres,
Joint le titre éclatant de Protecteur des Rois.
***
La France impenetrable aux efforts de ces Princes
Repousse fiérement tant de traits conjurez,
Et jusque dans le Centre attaquant leurs Provinces,
Les accable des maux qu’ils nous ont préparez.
***
Nos Vaisseaux des deux Mers ne font qu’un seul Empire,
Nos Ennemis vaincus tremblent de toutes parts,
Le Pô gemit aux fers, le Rhin captif soupire,
Mons aux yeux de Nassau voit forcer ses remparts.
***
O Peuple comblé de gloire,
O François à qui tout rit,
Poussez des chants de Victoire
Vers le Ciel qui vous cherit.

Cet Ouvrage a esté composé en Latin sur les Victoires du Roy, à l’imitation des Cantiques de Moyse, & de plusieurs autres semblables, par Mr de Senecé, ancien Lieutenant General au Présidial de Mascon. C’est un homme qui a trouvé le secret de joindre une profonde Litterature & une grande politesse, à l’exacte connoissance des Loix & de tout ce qui concerne l’administration de la Justice, qu’il a exercée pendant cinquante ans avec une réputation de sçavoir & d’integrité qui vivra long-tems aprés luy. Il a déja donné des marques de son zele pour le Roy dans plusieurs Ouvrages, & particulierement dans son Apollon François, où par une fecondité merveilleuse, il a rassemblé plus de cent Devises de sa façon, composées à la loüange de Sa Majesté, qui ont toutes le Soleil pour corps, & qui sont accompagnées d’autant de discours remplis de beaucoup d’érudition. Il a voulu faire voir à l’âge de prés de quatre vingt ans que son ardeur pour son Maistre n’est point encore ralentie. Les Vers François sont de Mr de Senecé son Fils, dont je vous ay envoyé plusieurs Ouvrages, que vous n’avez pas moins estimez que le Public.

Au Roy, pendant le sejour de Sa Majesté devant Mons §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 36-43.

 

Je vous envoye des Vers dont je devrois vous avoir fait part plûtost, mais les Ouvrages qui n’ont pas encore esté vûs, estant toujours nouveaux pour ceux qui les lisent, celuy-cy doit avoir pour vous la grace de la nouveauté. Il est de Mr Andry, Docteur en Theologie, & Directeur des Dames Religieuses de la Ville-l’Evesque.

AU ROY,
Pendant le sejour de Sa
Majesté devant Mons.

Auguste Conquerant, Heros inimitable,
Prince à tes Ennemis sans cesse redoutable,
Unique Protecteur de nos sacrez Autels,
LOUIS, sans contredit, le plus grand des Mortels ;
Laisse à tes Generaux le soin de tes conquestes,
Nous avons pour tes mains des Palmes toutes prestes,
Pour couronner ton front nous avons des lauriers,
Cueillis exprés pour toy par le Dieu des Guerriers.
 Loin d’un Peuple soumis, fidelle, & qui t’adore,
Peux-tu ne pas sçavoir l’ennuy qui le devore ?
Helas ! ignores-tu la peur, le tremblement
Dont on le voit saisi de moment en moment ?
Doutes-tu que toy seul n’en sois la juste cause,
Quand il sçait les hazards où ta valeur t’expose ?
 Tel qu’on voit un Troupeau, dont le hardy Berger
Vole pour sa défense au devant du danger,
Lors qu’un Loup ravissant paroist dans la prairie,
Et veut sur ses Brebis décharger sa furie ;
Tel que l’on apperçoit ce timide Troupeau
Languir nonchalamment à l’abry d’un côteau,
Tandis que son Berger, son défenseur fidelle,
Affrontant le peril prend en main sa querelle,
Telle est de ton PARIS, Monarque glorieux,
La langueur & le trouble éloigné de tes yeux.
 Ouy, tandis que pour luy, pour l’honneur de la France,
Tu vas des Alliez reprimer l’insolence,
Prendre Mons à leurs yeux, en forcer les ramparts,
Et t’ouvrir des chemins chez eux de toutes parts,
Ce Paris, ces Sujets dont tu fais les delices,
De ta Campagne heureuse admirant les prémices,
Ne peuvent toutefois paroistre sans effroy,
Au récit des perils où s’expose leur Roy.
 Ah ! reviens promptement sur les bords de la Seine,
Reviens, Prince charmant, soulager nostre peine !
Bannis par ton retour la crainte & le soucy,
Où tu nous as plongez en t’éloignant d’icy.
Fais pour quelque temps grace au reste de la Flandre ;
Aussi-bien l’auras-tu quand tu la voudras prendre,
Et déja la moitié t’ayant pour Souverain,
Un semblable succés pour l’autre t’est certain.
Il dépendra de toy d’en marquer la journée,
Un mot que tu diras fera sa destinée,
Et malgré ses efforts, quand tu l’ordonneras,
Il faudra qu’elle cede aux efforts de ton bras.
 Quitte donc sans regret ses Forts & ses Murailles,
Viens revoir tes Aiglons élevez dans Versailles ;
Leur montrer de tes yeux le brillant sans pareil,
C’est les accoutumer aux regards du Soleil,
Et ces jeunes Heros, sans siller la paupiere,
Venant à soutenir ces sources de lumiere,
Instruits par ton exemple, & marchant sur tes pas,
De leurs vastes destins que n’attendra-t-on pas ?
 De si dignes objets, invincible Monarque,
Doivent de ta tendresse obtenir cette marque,
Pere aussi-bien que Roy d’eux & de tes Sujets,
Interromps pour un temps le cours de tes projets.
Souviens-toy que toujours maistre de la Victoire,
Tu ne sçaurois plus rien ajoûter à ta gloire,
Mais que Pere adoré, par un juste retour,
Tu peux & dois pour eux augmenter ton amour.
Tu n’en sçaurois donner un plus grand témoignage,
Qu’en hâtant le retour de ton heureux Voyage.
Chaque instant qui retarde un bien si prétieux,
Est un terme pour nous aussi long qu’ennuyeux ;
Et pour rendre à nos cœurs le repos & la joye,
Il faut que dans ces lieux au plûtost on te voye.
Parmy tant de Sujets qui vivent sous ta loy,
L’honneur d’estre du nombre, est tout mon bien, grand Roy.
A te parler ainsi ce titre m’autorise,
Et cette liberté me doit estre permise,
Puis qu’en fait de souhaits pour ton heureux retour,
Je ne le cede pas aux premiers de ta Cour.

Ode sur les dernieres Victoires du Roy §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 61-82.

 

Il m’est aisé de justifier ce que je vous ay dit plusieurs fois, que l’on écrit par tout pour le Roy. L’Ouvrage qui suit m’a esté envoyé d’Avignon. L’Auteur qui en est, s’appelle Mr Guintrandi, & vous trouverez en le lisant que la pluspart de ses Vers ont un tour particulier, & qu’on peut dire veritablement Poëtique.

ODE
Sur les dernieres Victoires
du Roy.

 Doctes Habitans du Parnasse,
 Et vous, celestes Déitez,
Dont les Cignes de Grece en nos temps si vantez,
 Ont chanté les faits & la race :
Je ne demande point vos faveurs pour mes Vers,
Ils feront bien sans vous le tour de l’Univers ;
LOUIS est mon Heros, mon bonheur est extrême.
Je prens pour Apollon ce Mars victorieux.
A quoy bon invoquer d’autre Dieu que luy-mesme,
Quand on a dans luy seul ensemble tous les Dieux ?
***
 LOUIS, daigne voir mon ouvrage ;
 C’est pour toy que je l’entreprens ;
Autrefois on a vû de fameux Conquerans
 Donner à des Vers leur suffrage.
Alexandre estima ceux du Chantre Thebain ;
Scipion applaudit le Comique Affricain ;
Auguste se plaisoit aux chansons de Virgile.
Mais que dis-je ? Grand Roy, ne fais-tu pas plus qu’eux ?
Ton Louvre n’est-il pas des Sciences l’azile ?
Et quel Docte sous toy se voit-il malheureux ?
***
 Vous, que la charmante Courriere
 De l’Astre qui chasse la nuit,
Colore les premiers de l’or dont elle luit
 Sur un char de riche matiere.
Et vous, qui du Soleil bornant l’oblique tour,
Voyez sur l’Ocean ensevelir le jour,
Prestez à mes accords une attentive oreille.
Heureux, si je pouvois tendre aussi haut mon Lut,
Que mon Roy qui fait voir merveille sur merveille,
A des plus vieux Héros passé le noble but.
***
 Où vit-on jamais plus de gloire,
 Plus de vertus, plus de bonheur,
Qu’on en voit en LOUIS, dont la noble valeur
 A pour compagne la Victoire ?
Combien a-t-il de fois par ses puissans regards
Forcé d’un Peuple fier les orgueilleux Remparts ;
Fait trembler sur leurs bords le Rhin, l’Escaut, la Meuse,
Et ranimé ses Gens d’un rayon impreveu,
Qui rend comme un Soleil sa face lumineuse,
Et qui fait qu’on luy cede aussi-tost qu’on l’a veu !
***
 L’infatigable Messagere,
 Qui sans cesse va discourant
Des Exploits inoüis de ce grand Conquerant
 Remplit l’un & l’autre Hemisphere.
Attentive & charmée elle ouvre ses cent yeux,
Pour compter du Héros les Exploits glorieux ;
Le moindre pas qu’il fait est digne de remarque.
Mais quoy qu’elle ait toûjours sur luy les yeux tendus,
Quand il faut reciter les beaux Faits du Monarque,
Le nombre l’embarasse, & le choix encor plus.
***
 Ce qu’on craint pour luy de nuisible,
 C’est le nombre de tant d’Exploits,
Qui le font le plus juste & le plus grand des Rois ;
 Un tel Héros semble impossible
En vain en parlons-nous comme la verité,
Nous ne serons point crûs chez la Posterité :
Mais non, l’on croira tout de sa haute vaillance.
Vous, Places, qui borniez nostre Empire avant luy,
Vous montrant à nos Fils dans le cœur de la France,
Ne prouverez-vous pas ce qu’il fait aujourd’huy ?
***
 Lors que sa sagesse profonde,
 Preferant l’olive aux lauriers,
A voulu desarmer les mains de nos Guerriers,
 Pour donner le repos au monde ;
L’envie aux yeux ardens traversant ce dessein,
Et s’opposant au cours d’un calme si serein,
Mon Roy s’est vû contraint de reprendre la foudre.
Il marche ; & les Titans punis de leur orgueil
Sous leurs forts Bastions d’abord réduits en poudre
Trouvent en expirant un funeste cercueil.
***
 Mais voici ce qui plus m’étonne,
 Lorsque toute l’Europe en corps,
Pour fondre sur la France, unit tous ses efforts,
 LOUIS craint-il pour sa Couronne ?
Non ; quand le fier Tiran qui commande aux Anglois,
Poussé par le desir de perdre le François,
Souleve contre luy l’Empire & l’Allemagne,
Qu’il est dans ce dessein secondé du Piémont,
Suivy de la Hollande, ainsi que de l’Espagne ;
LOUIS voit à couvert les lauriers de son Front.
***
 Ainsi quand sur l’Onde écumeuse
 Les vents, l’effroy des Matelots,
Soulevant tout à coup des montagnes de Flots
 Forment une tempeste affreuse ;
Que poussant à l’envi les nuages épars,
Ils remplissent les airs de tenebreux broüillars,
Phœbus craint-il de perdre un rayon de lumiere ?
Leurs desseins furieux ne sçauroient réussir ;
Et ce bel œil du jour poursuivant sa carriere,
Sçait bien-tost dissiper qui l’osoit obscurcir.
***
 De même, Partisans d’Envie,
 LOUIS se rit de vos projets ;
Il connoît sa valeur, il connoît ses Sujets,
 Et le Ciel veille pour sa vie.
Vous apprendrez bien-tost que son bras sçait punir
Tous ceux qui contre luy se flatent de tenir.
Oubliez-vous déja ses fameuses Conquestes ?
Autant de fois liguez, autant de fois soumis ;
L’Hydre que vous formez a vû couper ses testes,
Et luy s’est vû Vainqueur d’un monde d’Ennemis.
***
 Déja le destin de la Guerre
 Allume ses tristes flambeaux ;
Je vois déja floter dans les airs nos drapeaux,
 Et Mars fait gronder son Tonnerre.
Catinat d’une part, ce Guerrier valeureux,
Suivi de nos Soldats hardis & genereux,
Entre dans le Piémond, y porte l’épouvante ;
Bellone au front altier, marche à pas redoublez,
Et faisant resonner sa trompette tonnante,
De tous nos Ennemis rend les esprits troublez.
***
 L’effet de nos justes menaces
 Ne sçauroit estre diverty ;
Pour deffendre l’orgueil de l’injuste Parti
 Est-il assez de fortes Places ?
Vainement leurs Châteaux veulent nous resister ;
La justice punit qui l’osoit insulter ;
Je vois déja plier Villes & Citadelles :
Ville-franche se rend, Saint Sospire est à nous,
Mont-alban suit de prés, & nos Troupes fidelles
Ne trouvent point d’obstacle à leur noble couroux.
***
 Tu le sçais, fier Chasteau de Nice,
 Toy qui te flatois, mais en vain,
Par la difficulté de ton rude terrain,
 De nous servir de precipice.
Ouy, tu sçais maintenant, s’il est rien d’assez fort
Qui puisse resister au vif & prompt effort,
Dont tu viens de sentir la terrible secousse.
Tremblez, lâches mutins, par ce commencement,
Un Fort qui sceut braver Anguien & Barberousse,
Pris en moins de six jours, vous est un monument.
***
 Tandis que la Savoye en larmes
 Deplore son sort malheureux,
LOUIS dont la Justice accompagne les vœux,
 Donne à Mons de vives alarmes.
Son Fils en qui du Pere on voit le vif portrait,
Qui jeune eut la valeur d’un Conquerant parfait,
Y montre avec Philippe un courage d’Alcide.
Un seul de ces Heros peut mettre Mons à bas :
Mais attachez tous trois à l’honneur qui les guide,
Ce leur seroit souffrir que ne combattre pas.
***
 Qu’il est beau de voir à la Teste
 De nos Bataillons avancez
Ces Princes genereux par la gloire poussez,
 Braver les coups de la Tempeste !
Qu’il est beau de les voir sur d’agiles Chevaux,
Tantôt de leurs Soldats visiter les travaux,
Et tantôt de l’honneur leur ouvrir la barriere !
LOUIS sur tout agit puissamment sur les cœurs,
Sa presence adoucit la plus rude carriere,
Et tous veulent sous luy vivre ou mourir vainqueurs.
***
 A quoy penses-tu, fiere Ville,
 D’oser tenir contre mon Roy ?
Non, ne te flate point, tu dois subir sa Loy,
 Ta résistance est inutile.
Tu ne dois rien fonder sur tes Retranchemens ;
A peine pourront-ils tenir quelques momens ;
J’entens déja tonner son redoutable foudre.
Ah, quel horrible bruit ! Quel étrange fracas !
On ne voit dans tes murs que sang, que feu, que poudre,
Affreux & triste objet de cent cruels trépas.
***
 Quand tes Habitans pleins de crainte
 Frappez de ces terribles coups,
Font vomir les Canons qu’ils tournent contre nous,
 Nos Gens en craignent ils l’atteinte ?
Le Demon des François volant parmy les airs,
De fumée épaissis, rouges de mille éclairs,
D’une main agissante en détournent l’orage :
Tandis que nostre feu redoublant son effort,
Frappe, éclate, envelope, ébranle, abat, ravage,
Et fait par tout marcher le desordre & la mort.
***
 Lors que nos Gens de vive force,
 A travers le plomb & le fer,
Aux yeux de mon Heros marchent pour triompher,
 Ah, que le peril a d’amorce !
Ah, quel champ de valeur, quand il est question
D’arborer nos Drapeaux sur quelque Bastion,
Où le fier Défenseur ne craint rien de contraire !
On les voit tous courir d’un pas précipité,
Chacun vole à l’assaut, & leur juste colere
S’ouvre mille chemins à l’immortalité.
***
 En vain les Piques herissées,
 En vain les effroyables faux
Tâchent de repousser les vigoureux assauts,
 Faux & Piques sont renversées.
Comme l’on voit des bleds applanir les sillons
Par la grêle qui tombe en affreux tourbillons,
Ainsi l’on voit plier le Belge redoutable ;
Et si dans cet effort quelques-uns de nos Mars
Fléchissent sous la main de la Parque indomptable,
Leur sort est envié des Manes des Cesars.
***
 Mons, tu ne sçaurois te défendre,
 On te pousse trop vivement.
Attens-tu du secours ? C’est inutilement !
 Que peut-il contre un Alexandre ?
Le fier Guillaume en vain tâche à te secourir,
Il voit que s’approcher, c’est chercher à mourir :
Un Heros comme luy doit craindre le Tonnerre.
Qu’il parte, de nos faits il sera le témoin.
Ne pensez pas qu’il trouble une si juste guerre,
S’il vient voir nos exploits, c’est seulement de loin.
***
 Vain Prince, élevé par le crime,
 A qui l’équitable Destin
S’en va bien-tost filer une nuit sans matin,
 Nuit funeste, triste victime.
Cruel Usurpateur, approche, & viens de prés
Voir nostre heureux triomphe, & les tristes Ciprés
Qui de tes Alliez ombragent les murailles.
Voy Mons bouleversé, voy ses toits démolis,
Voy ton pavé couvert de mille funerailles,
Et voy sur ses dehors briller déja nos Lis.
***
 Enfin Mons est hors de défense,
 Voy-le de forces épuisé ;
Il cede à nos efforts, honteux d’avoir osé
 S’attirer les Armes de France.
Voy comme nos Guerriers, d’un pas victorieux,
Entrant dans cette Ville arrêtent tous les yeux.
L’Envie à leur abord voit sa torche étouffée.
L’Orgueil déconcerté montre un front palissant,
Et les débris des toits nous dressent un trophée
Que le Lion dompté regarde en rugissant !
***
 O vous, dont le noble courage
 Fait si-tost l’Ennemy plier,
Que ne puis-je aussi haut vos exploits publier,
 Que je vois haut vostre partage !
La Victoire contente, assise sur vos fronts
Vous étale des prix de toutes les façons,
Je vous vois tout couverts du jour qui l’environne.
Allez, braves Guerriers dont le sort est si beau,
Poursuivez le chemin que vous montre Bellonne,
Par vous bien-tost l’orgueil sera mis au tombeau.
***
 Toy, l’objet de ma Poësie,
LOUIS, vray temple des vertus,
Qui fais que sous tes pieds les vices abbatus
 Expirent avec l’Heresie.
Pardonne, toy qui sçais aisément pardonner,
Si j’ay par mes chansons osé t’importuner ;
Mon zele est indiscret, grand Prince, je l’avoüe ;
Mais ce crime est commun dans la bouche de tous ;
Chacun veut te chanter, tout le monde te loüe,
Et ce crime est si beau que tu m’en vois jaloux.

Jupiter à sa fenestre. Dialogue §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 82-127.

 

Vous m’avez mandé que vous avez leu avec beaucoup de plaisir le Dialogue intitulé, Le Hollandois dans la Barque de Caron, qui est dans ma Lettre du mois d’Avril. En voicy un autre qui ne vous plaira pas moins. Il est encore sur les matieres du temps, & du mesme Auteur.

JUPITER
A SA FENESTRE.
DIALOGUE.

JUPITER.

Vous estes de franches querelleuses. C’est à Junon, Pallas, & Venus que je parle. On ne vous voit jamais d’accord, & il faut que j’aye à toute heure la teste rompuë de vos bagatelles. Si vous continuez à me chagriner, je mangeray à petit couvert, & vous irez chercher le Nectar, & l’ambrosie où vous pourrez. Viens, Mercure, laissons les disputer, & allons nous promener dans la Galerie qui a veuë sur la Terre. Peut-estre y verrons-nous quelque chose qui nous desennuyera.

MERCURE.

Allons, je ne vous quitteray point.

JUPITER.

Oh, le bon air qui vient de là-bas ! Approche-toy de cette fenêtre pour le respirer avec moy. Quelle est la partie du Monde qui se presente à nos yeux ? C’est si rarement que je viens icy, que je n’y reconnois plus rien.

MERCURE.

C’est l’Europe, qui a pris ce nom pour éterniser celuy d’une de vos Favorites ; & c’est le Pays que je frequente le plus volontiers, parce qu’on y cultive les beaux Arts, & que les Peuples y sont fort polis.

JUPITER.

Bon, tu as la mine d’estre bien informé de ce qui s’y passe. Fais moy connoistre en quelle situation y sont les affaires.

MERCURE.

On s’y bat à toute outrance, & les Princes, jaloux les uns des autres s’y font une cruelle guerre. Il y a parmy eux un Louis le Grand, Roy de France, qui y tient le même rang que vous tenez parmy nous autres. Ils le voyent de mauvais œil, à cause de cela, & à l’heure qu’il est il y a contre luy une Ligue, semblable à peu prés à celle que les Titans formerent autrefois contre vous.

JUPITER.

Comment s’en démêle-il ? Crois-tu qu’il puisse éviter leur fureur ?

MERCURE.

Il les foudroye les uns aprés les autres ; il se rend leur Maître par mer & par terre, il les chasse de leurs Provinces, & je ne fais aucun doute qu’il n’en sorte aussi glorieusement que vous estes sorty de l’entreprise des Titans.

JUPITER.

Qu’aperçois-je là-bas proche de la mer ? Il me semble que c’est une grande Ville que je n’ay pas accoutumé d’y voir ; mais elle n’est point fermée de murailles.

MERCURE.

C’est la Haye, lieu fort considerable dans la Hollande. On tient que c’est le plus beau Village du Monde. Ce n’est que depuis peu qu’on y a basty, & il n’y a pas plus d’un Siecle qu’il commence à se peupler.

JUPITER.

J’y voy rouler, ce me semble, beaucoup de carrosses. Y en a-t-il tant pour l’ordinaire dans les Villages ?

MERCURE.

Ce n’est que par hazard qu’il s’y en trouve un si grand nombre, & ils y ont esté amenez par les Députez de tous ces Princes, qui se sont liguez contre le Roy de France.

JUPITER.

Eh, que font-ils là ?

MERCURE.

Ils y dépensent l’argent de leurs Maistres, à déliberer inutilement comme ils pourront nuire à ce puissant Roy, & cependant les Soldats de ces Princes manquent d’habits, & ne vivent la plûpart que de pillage.

JUPITER.

Belle œconomie ! Y seront-ils encore long-temps ?

MERCURE.

Autant qu’il plaira au Prince d’Orange, qui est le grand Mobile de cette Ligue, & sur la volonté de qui se reglent les volontez de tous les autres.

JUPITER.

Prince d’Orange ! N’est-ce pas ce Roy de nouvelle fabrique, contre qui Themis m’a presenté requeste il y a déja du temps ? Je le connois, & je la luy garde bonne. Si ce maraut de Vulcain avoit eu l’esprit de bien pointer le Canon, dont le boulet l’atteignit en Irlande l’Esté passé, nous en eussions dépêtré le monde. Je voudrois bien le connoistre de visage.

MERCURE.

Pourveu que nous demeurions icy quelque temps, vous pourrez le voir en original, car il doit venir dans peu à la Haye,

JUPITER.

Ne le vois-je pas là qui court la poste ?

MERCURE.

Non, c’est un Allemand, qu’on appelle Electeur de Brandebourg.

JUPITER.

Ces noms d’Electeur & d’Electorat me déplaisent. Ce sont des titres nouveaux que je ne reconnois point. Qu’ils soient Rois, ou rien. Ordonne de ma part à Leopold, Roy de l’Allemagne, d’abolir toutes ces nouveautez.

MERCURE.

Si son pouvoir alloit aussi loin que ses souhaits, cela seroit déja fait. Quant à moy, je voudrois de bon cœur, que tous ces titres chimeriques fussent réduits à l’ancien pied. Quand il meurt quelques-uns de ces Electeurs, & qu’il faut que je les conduise aux Enfers, nous en avons toûjours Caron & moy pour une heure à contester. Il fait l’étonné ; il demande ce que c’est qu’un Electeur, & croit leur faire trop de grace que de les mettre à fond de Cale. Eux au contraire, glorieux comme des demi-grands Seigneurs, veulent estre aux premiers rangs. Enfin c’est une peine étrange, & je vous assure que vostre service en est quelquefois bien retardé.

JUPITER.

Laisse moy faire, j’y donneray bon ordre. Quel homme est-ce que ce Brandebourg ?

MERCURE.

On ne le connoist pas bien encore. Il avoit pour Pere un tres-habile Prince, auquel il n’a succedé que depuis peu ; mais pour luy, je ne l’ay veu paroistre qu’a Bonn, qu’il bombarda longtemps inutilement, & mesme il y seroit encore, si le Prince de Lorraine n’estoit venu le relever de sentinelle. Le bruit a couru qu’il ne tint qu’à fort peu que les François ne le prissent dans les vignes. Cependant il ne leur en marque aucun ressentiment, & la Campagne derniere qu’il estoit en Flandre sur le pied de Chef de la Ligue, il a eu pour eux l’honnesteté de les y laisser promener tout à leur aise l’épée au costé, & le Mousquet sur l’épaule, sans les obliger à prendre de ses Passeports.

JUPITER.

C’est estre bien civil en temps de guerre. Où va-t-il si viste ?

MERCURE.

A la Haye, pour y préparer les Appartemens du Prince d’Orange, afin qu’il trouve tout prest quand il y arrivera. Appercevez-vous bien cet autre Courrier qui le suit de prés ? C’est l’Administrateur de Wirtemberg. Sauve les bagages.

JUPITER.

Me prens-tu pour un sourd, extravagant que tu es, à me crier ainsi aux oreilles ? Que veux-tu dire avec tes bagages ?

MERCURE.

Je veux dire que comme le Destin & moy nous causions ces jours passez avec l’Avenir, il nous assura que ce Prince devoit perdre ses bagages au retour de la Haye, & que les François les luy pilleroient. Je l’en avertis afin qu’il s’en donne de garde.

JUPITER.

Que ne prend-il une bonne escorte ?

MERCURE.

Il n’a pas de quoy la payer.

JUPITER.

Et cet autre, qui est il ?

MERCURE.

C’est le Landgrave.

JUPITER.

Repete ce nom, je ne l’ay pas bien entendu.

MERCURE.

C’est le Landgrave de Hesse-Cassel.

JUPITER.

Je ne sçaurois le prononcer. Que maudits soient les Allemans avec leurs noms heteroclites. Je veux abolir ce baraguoin fait en dépit des gens. Sçais-tu bien, Mercure, que je n’exauce pas la moitié de leurs prieres, faute de les entendre ?

MERCURE.

Place, place à cet autre qui pourroit bien se casser le col en courant si viste. C’est un Courrier Bannal, & je le rencontre toûjours par voye ou par chemin.

JUPITER.

Tu l’appelles ?

MERCURE.

L’Electeur de Baviere. Il va comme les autres à la Haye.

JUPITER.

Il me semble qu’il s’est acquis quelque reputation.

MERCURE.

Ouy, contre les Turcs à Mohaks & à Belgrade : & comme il est jeune, ces premiers avantages luy avoient enflé le cœur jusqu’à vouloir aller de pair avec le Prince de Lorraine.

JUPITER.

Le petit temeraire !

MERCURE.

Il faut bien à present qu’il en rabatte. Tout grand Coureur qu’il est, il n’a pû pourtant trouver en de belles plaines dans l’Allemagne, le Dauphin de France, qui la Campagne derniere y a esté prendre de bons repas avec tout son train, ny l’obliger à payer son écot.

JUPITER.

Ne trouves tu pas cela bien vilain dans ce Dauphin, d’aller ainsi vivre aux dépens d’autruy, tandis qu’il a une si bonne table chez soy ?

MERCURE.

Il est assez à propos qu’il s’accoutume de bonne heure à manger du pain d’Allemagne ; nous ne sçavons pas ce qui en arrivera. Voyez-vous cette Flotte qui vogue sur la mer ? Elle porte le Prince d’Orange, qui vient d’Angleterre à son rendez-vous.

JUPITER.

Qu’il est pasle & défait ! On le prendroit pour un.…

MERCURE.

Tout défait qu’il est, on ne laissera pas de le recevoir en Hollande avec un grand applaudissement, & comme s’il en estoit le Dieu tutelaire. Tous ces grands préparatifs, ces Arcs de triomphe, ces feux d’artifice, tout cela l’attend. Si vous m’en croyiez, nous luy ferions une malice.

JUPITER.

Et que serois-tu d’avis que nous luy fissions ?

MERCURE.

Vous pourriez amasser en l’air tant de nuages & tant de broüillards, le jour qu’il destine à son Triomphe, qu’il ne pourroit ny voir, ny estre veu.

JUPITER.

Tiens cela pour fait. Voilà un joly train qui arrive.

MERCURE.

C’est celuy du Gouverneur General de ce que le Roy d’Espagne possede en particulier dans les Pays bas. Voilà des équipages dignes du Marquis de Castanaga ; voilà ce qu’on appelle sçavoir se faire valoir dans l’occasion, & donner à connoistre à chacun que tout Pays est un Perou pour les Espagnols. Il n’est rien tel qu’un Gouverneur de cette Nation, pour trouver par tout des Mines d’or. Il en découvriroit au milieu des cailloux, & sçauroit s’en faire des tresors. Que la Chronique scandaleuse vienne aprés cela nous dire que cet homme est entré gueux dans la Flandre, & qu’il est toujours resté tel tandis qu’il n’a esté que Mr d’Agourto ; nous ne le croirons jamais, car il n’est pas possible que dans le peu de temps qu’il y a qu’il occupe ce poste, dont personne ne veut se charger, il ait pû amasser dequoy se parer si bien luy & ses Mulets.

JUPITER.

Ces gens-là tiennent de longues Conferences. Je m’imagine que le resultat portera bien du préjudice au Roy des François.

MERCURE.

Pas tant qu’on pourroit penser. Ils s’accorderont admirablement bien à boire, à manger, & à chasser ; mais quant au reste, ils feront comme à Ratisbonne, où l’on délibere toujours, & où l’on ne conclut jamais.

JUPITER.

Je voy, ce me semble, un Hollandois qui se presente à l’audience du Prince d’Orange. Cet homme a bonne phisionomie, & il me paroist capable de bien des choses. Le connois-tu ?

MERCURE.

C’est l’Amiral Tromp, le seul homme de consequence qu’il y ait en Hollande. C’est là ce qu’on appelle un bon Republicain. Les de Wic ne l’estoient pas plus que luy. Aussi n’est il pas l’homme du Prince d’Orange, qui l’a toujours écarté des grands emplois ; car il ne luy faut que des Waldecks. L’Amiral Tromp va à cette audience sur les ordres du Prince d’Orange, qui luy doit donner avis qu’on l’a choisi pour commander la Flotte Hollandoise la Campagne prochaine ; mais ce n’est qu’à son corps défendant qu’il luy doit donner cet employ, & parce que toute la Hollande le demande. Aussi n’en tirera-t-on pas tout le service que l’on en attend, & dont il est capable ; car le Prince d’Orange aura soin de luy mettre en teste des Officiers subalternes pour le contrepointer dans les Conseils & dans l’execution, & il fera si fort limiter ses pouvoirs, qu’il l’empêchera de réüssir. Si vous voyez arriver le contraire, & que Tromp ait la carte blanche, dites hardiment que le Prince d’Orange aura perdu plus de la moitié de son credit en Hollande. Mais j’ay bien peur que le pauvre Amiral Tromp ne monte pas sur la Flotte, car je croy avoir entendu dire au Destin quelque chose là-dessus.

JUPITER.

Selon ce que tu m’as dit, le Prince d’Orange n’en seroit pas trop faché. Mais le voilà qui part pour la Haye.

MERCURE.

Et le Marquis de Bouflers, pour aller investir Mons. Voyons qui des deux fera meilleure prise.

JUPITER.

Que veux tu dire ?

MERCURE.

Levez, levez les yeux, & tournez-les du costé de cette montagne que vous voyez environnée de marais. Cette Ville si bien fortifiée que vous voyez dessus, s’appelle Mons. Voilà un gros de Cavalerie qui s’en approche pour se rendre maistre des avenuës, & j’en vois bien d’autres en marche pour venir les joindre ; ils seront dans peu plus de cent mille hommes.

JUPITER.

Ne voy-je pas aussi le Roy de France qui vient grand’erre sur cette route ? O la belle Cour, & qu’il est glorieux d’avoir sous son commandement des gens de si bonne mine ! Pourquoy prend il tant de peine ? Aprés avoir essuyé tant de fatigues, & si bien payé par tout de sa personne, il est en droit de rester chez luy sans craindre de passer pour un Fainéant.

MERCURE.

C’est un Prince infatigable. Tel que vous le voyez, il vient au Siege pour s’y donner autant de peine qu’un simple Officier. Il y amene ce qu’il a de plus cher au monde. Ses Ministres l’ont devancé de quelques jours, & il trouvera tout en bon ordre en arrivant. Vous allez voir beau jeu, & vostre Boiteux de Fils bien occupé. Il ne sortit pas tant de flâmes de Troye durant son incendie, qu’il en sortira de cette Ville. Nous entendrons d’icy le bruit du Canon.

JUPITER.

Je tremble de frayeur.

MERCURE.

Qu’est-ce qui vous peut alarmer ainsi ?

JUPITER.

Ne vois-tu pas ce vilain Canonnier qui braque son Canon pour faire tomber le boulet directement sur ce Roy ? Vole, Mercure, & va rompre ce coup qui m’affligeroit infiniment.

MERCURE.

J’ay suivy vostre ordre, & du seul souffle de mon chapeau j’ay détourné ce boulet fatal, qui de dépit est allé mettre en pieces le cheval du pauvre la Chenaye.

JUPITER.

Je suis content, & j’auray toujours l’œil sur ce Prince, pour le garantir des dangers qui le menaceront. Recommande-luy pourtant de se moins exposer, & fais-luy entendre que je veux que la France luy ait l’obligation d’avoir monté sous sa sage conduite au plus haut point de gloire où elle puisse aspirer. Retournons à nos Chasseurs. Je trouve leur nombre augmenté.

MERCURE.

Ce nouveau Chasseur est le Duc de Zell. Il vient chercher dans le Prince d’Orange un Protecteur contre les Rois de Suede & de Dannemark, qui veulent prendre connoissance de la succession de Lawembourg, dont il s’est emparé par droit de bienseance, tandis que le Duc de Saxe qui y a de fortes pretentions, s’amusoit à tirer sa poudre aux moineaux le long du Rhin.

JUPITER.

Je voy venir du costé de Flandre un homme qui a la mine d’un Courrier.

MERCURE.

C’est celuy qui vient leur donner avis que Mons est investi, & que le Roy de France est venu en personne en former le Siege.

JUPITER.

Qu’ils sont étonnez ! Le Prince d’Orange paroist se posseder mieux que les autres.

MERCURE.

Je ne suis pas surpris des differentes impressions que cette Nouvelle fait sur leurs esprits. Ces bons Allemans qui ont quelque chose à perdre, & qui s’apperçoivent bien qu’ils courent du risque, si la Flandre, dont Mons est la clef, tombe au pouvoir des François ; ces bons Allemans, dis-je, craignent avec raison que cette Ville ne puisse se sauver, & c’est cette crainte qui les décontenance si fort. Mais le Prince d’Orange, qui, graces à la fortune, n’y a presque rien à perdre du sien, ne s’embarasse pas beaucoup du succés de ce Siege. C’est ce qui fait qu’il est plus maistre de luy. Le voilà mesme qui les assure, & qui leur promet de le faire lever.

JUPITER.

Quelle effronterie ! luy qui sçait bien qu’il n’a pas des forces suffisantes pour cela, & d’ailleurs, que le Roy de France ne manque jamais à ses mesures. Donnons-nous le regale de le suivre dans l’execution de ce hardy dessein, Je le voy qui monte à cheval. Iroit-il droit à Mons ?

MERCURE.

Non, sur ma parole ; au contraire, il y va tourner le dos pour se rendre à la Haye, où il donnera ses ordres pour assembler l’Armée de la Ligue.

JUPITER.

Est-ce que cette Armée est aux environs de la Haye ?

MERCURE.

Point du tout ; elle est dans le voisinage du lieu où ce Prince faisoit sa Chasse.

JUPITER.

Que n’y reste-t-il donc, luy qui n’a des ordres ny des conseils à prendre de personne ?

MERCURE.

C’est toujours autant de temps passé à couvert. Tandis qu’il s’amusera à parcourir la Hollande, sous prétexte d’assembler l’Armée, il n’aura pas à craindre que quelque Party François le vienne enlever. Le voicy enfin qui vient à Bruxelles, & l’Armée de la Ligue qui se rend à Hall de toutes parts.

JUPITER.

Comptons combien de jours durera leur marche de Hall à Mons. Je m’imagine qu’ils décamperont demain, car tout est prest, excepté quelques provisions qu’il sera facile d’envoyer de là à l’Armée, quand elle seroit avancée d’une journée ou de deux.

MERCURE.

Est-ce que vous vous persuaderiez, qu’avec une poignée, de gens ils aillent entreprendre de forcer des Lignes, où, s’ils osoient s’y presenter, on les enseveliroit tout vivans, tant elles sont profondes ? Vous allez voir qu’on demeurera tranquillement à Hall. Le Prince d’Orange plein de respect pour les Destinées, qui donnent assez à connoistre qu’elles veulent livrer Mons aux François, réservera sa chere personne, & sa timide Armée, ad meliora tempora ; & mesme par une generosité inoüie dans un Chef d’Armée qui va faire lever un Siege, il se retranchera dans son Camp pour couvrir Hall & Bruxelles, en cas que les François fassent un détachement pour les venir saccager. C’est là ce qu’on appelle une prudence consommée, & un moyen seur pour mourir paisiblement dans son lit entre les bras de ses Amis.

JUPITER.

J’entens pourtant crier d’icy qu’on va desassieger Mons.

MERCURE.

Ouy, à Bruxelles, où l’on parle un méchant François, & où le Peuple credule à l’excés, place le Prince d’Orange parmy les Heros.

JUPITER.

Tu devines juste, car j’entens battre la Chamade à Mons, & je voy encore le Prince d’Orange à Hall. Voilà la Garnison qui sort, & le Dauphin de France qui luy fait l’honneur de la voir passer. Que fera le Prince d’Orange ?

MERCURE.

Ce qu’il verra faire aux François, dont il tâche d’estre le Singe. Le Roy de France va s’en retourner à Versailles, & mettre ses Troupes en quartier de rafraichissement jusqu’à l’ouverture de la Campagne ; & le Prince d’Orange va se mettre en chemin pour retourner à Londres, & donnera ses ordres pour mettre l’Armée de la Ligue en de bons rafraichissemens. Ils luy sont bien dûs, car les Troupes ont beaucoup souffert à Hall.

JUPITER.

Tu penses railler ?

MERCURE.

Point du tout, & je suis persuadé que des gens dont le cœur est saisi de frayeur, & qui craignent à tous momens qu’on ne les vienne insulter, pâtissent plus de corps & d’esprit, que d’autres qui font un grand travail, quand c’est de bon cœur qu’ils s’y appliquent.

JUPITER.

En verité, c’est un grand trompeur que ce Prince d’Orange. Ne se desinfatuera-t-on jamais de luy, & sera-t-il dit encore longtemps, que pour ses beaux yeux tant d’honnestes gens se feront la guerre sans pitié ?

MERCURE.

C’est à vous à y mettre ordre.

JUPITER.

Patience, Mercure, j’y veux mettre une fin qui fasse voir que je ne suis pas un Dieu de paille. Allons-nous en de ce pas tenir conseil avec les autres Dieux, & deliberer sur ce que nous ferons de ce Broüillon.

Compleinto sur l’état present deis affairès dau Duc de Savoyo. Consoun Nouvelo §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 127-133.

 

Comme il n’y a rien de plus agreable que l’accent Provençal, & que je sçay que vous le prenez si bien quand il vous plaist, qu’il semble que vous soyez une veritable Provençale, je vous envoye une Chanson qui vient de ce Pays-là. L’Air est de Mr Garnier. Le titre qu’elle a vous en apprend le sujet.

COMPLEINTO
Sur l’état present deis affairès
dau Duc de Savoyo.
CANSOUN NOUVELO

Avis pour placer les Figures : la Chanson Provençale doit regarder la page 128.
Jusqu’à Venizo avés courrut
Senso gagna ley joyo,
Vous sias soulamen mourfoundut,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Lou Piemont dey Souldats Francés
Es devengut la proyo,
Veas coumo Catinat l’a mês ;
Pauré duc de Savoyo.
***
 Niço n’és plus ce qu’és istat,
Car n’és qu’uno mounjoyo,
Soun famou Casteou fa pietat,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Poudés ty ben vous garanti
Dau Grand Loüis quand foudroyo ?
Revenez donc au boüen parti,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Veiren leou tous voüestrey Barbés,
Emé la boüeno voyo,
Supousas que n’en pendoun gés
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Vins d’un troués de voüestreis Etats
A fach de fuecs de joyo,
Segur leis amoussarez pas,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Vesez que tout és abima,
Et dias encaro soyo,
Esperas que tout sié crema,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Voüestreis Poplés fauto de pey
Soun reduits à l’Anchoyo.
Per que trahissias noüestré Rey
Pauré Duc de Savoyo ?
***
 Fau ty que de paurey sujets
Souffroun de voüestrey moyo ?
Mettez au fuec voüestrey proujets,
Pauré du de Savoyo.
***
 N’aurez plus que de Lendenous,
De Gus, de lichofroyo,
Si noun vous mettez à ginous,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Lou tems coumo chacun vai crés,
N’és plus coumo souloyo :
Noun vous rendran plus ce qu’an prés,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Verceil, Carmagnolo & Thurin
Tendran pas tan que Troyo ;
Va prendren tout un beou matin,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Voüestro grand glory tous leis jours
S’escarpo coumo Croyo,
Avés beou cridar an secours,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 La Liguo n’en poou déja plus,
Car és mancheto & goyo,
Non ly faut pas conta dessus,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Ly’an escarpina tous ley peous,
Et semblo’uno ninoyo ;
Contentas-vous de sey conseous,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Quand vous prenguet au quichoped :
Vous traté en fadoyo,
Sias abima si tenez ped,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Leis Aliats vous an peissut,
Jusque icy de baboyo,
May chacun s’és recouncissut,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Guillaumé vous avié proumés
De gens & de mounoyo,
May sabez coumo Mons l’a més,
Pauré Duc de Savoyo.
***
 Donc per sauva voüestré Pays,
Per avé pax & joyo,
N’y a qu’à plega davan LOUIS,
Pauré Duc de Savoyo.
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[Lettre de M. l’Abbé Deslandes à M. Goureau, Secretaire de l’Academie d’Angers] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 133-150.

 

Je vous ay parlé plusieurs fois de Mr l’Abbé Deslandes, Grand Archidiacre & Chanoine de Treguier & je vous ay fait part de quelques-uns de ses Ouvrages, que vous m’avez témoigné avoir lûs avec plaisir. C’est ce qui m’engage à vous envoyer la Lettre qui suit. Comme il l’a écrite sur les affaires presentes, elle regarde le Roy, & il n’y a point de matiere qui vous plaise davantage.

A Mr GOUREAU,
Secretaire de l’Academie d’Angers.

C’est de nos quartiers, Monsieur, qu’il faut apprendre les bonnes nouvelles. Nous allons avoir commerce avec les honnestes gens de la Cour & des Provinces, & gardez-vous bien de croire que ce soit de nous autres Bretons que vostre Amy Horace a voulu parler d’une maniere si odieuse & si honteuse. Il est constant qu’il parle des Anglois qu’il traite de Sauvages. Visam Britannos hospitibus feros.

Nos Armateurs Bretons ne sont rien moins que des Sauvages. Comme on ne peut rien voir de plus intrepide dans le combat, on ne peut aussi rien voir de plus poly dans la conversation, ny de plus reglé dans la conduite. Ce sont de ces choses qui ne se sont veuës que sous le Regne de Louis le Grand, l’Empereur des François, & le Roy de la Mer. Un Armateur de mes Amis qui a amené dans nos Havres de Barre quatre gros Vaisseaux pris sur les Ennemis, m’ayant mandé qu’il vouloit se servir de mon ministere pour demander à Dieu la conservation de ce Monarque, je me rendis à son Bord. Il y avoit dans un des quatre Vaisseaux plusieurs Officiers Hollandois, avec qui j’eus conversation. Nous allâmes dîner sur un Escore. C’est le nom que nous donnons à un Rocher qui s’avance dans la mer. Les Tablettes d’un de ces Officiers étant tombées de sa poche ; S’il m’estoit permis de lire, luy dis-je aprés que je les eus ramassées, je sçaurois sans doute des nouvelles de vostre cœur. Lisez, me répondit-il, tout vous est permis. J’ouvris ces Tablettes, & j’y leus ces vers.

Il faut finir mes jours dans l’amour d’Uranie,
L’absence ny le temps ne m’en sçauroient guérir,
Et je ne vois plus rien qui me pust secourir,
Ny qui sceust rappeller ma liberté banni.

Confidence pour confidence, me dit l’Officier en reprenant ses tablettes ; montrez-moy les vostres. Je ne fis point de difficulté de les luy donner, & il y trouva les vers suivans.

Cette Aigle en rapines fameuse,
Ne vole plus insolemment
Aux bords du Rhin & de la Meuse,
Qu’elle a bravez si longuement.
Mon Prince luy coupa les ailes,
Quand de ses atteintes cruelles
L’Allemagne pensoit mourir.

Cela est bien vray, dit cet Officier, & continuant de lire, il trouva ce Madrigal.

L’Astre dont la course ronde
Tous les jours voit tout le monde
N’aura point achevé l’an,
Que tes conquestes ne rasent
Tout le Piémont, & n’écrasent
La couleuvre de Milan.

On vit à cette lecture le Hollandois tout pensif, ce qui donna lieu de parler de la pensée. On demanda si la pensée dans l’homme le distinguoit d’un Lion, & quelle pouvoit estre la différence de la pensée dans l’Homme, d’avec la pensée dans une Intelligence. Tandis que chacun poussoit la matiere selon sa capacité, un Pilote Flamand pris en guerre fit une autre question. Il vouloit sçavoir si l’Aurore & le Crepuscule estoient censez estre, ou du jour, ou de la nuit. On parla ensuite du flux & du reflux de la mer. Nôtre Armateur jura par la ruche de son Vaisseau toûjours victorieux, que le Soleil en estoit la vraye cause. Ce ne peut estre la Lune, continua-t-il, puis qu’elle ne produit ny chaleur ny froideur. Le flux de la mer ne vient d’autre chose que de ce que l’eau se rarefie par la chaleur, & se condense par le froid. Ce sisteme paroist assez vray-semblable, luy répondit-on, mais rendez-nous raison pourquoy le Soleil faisant le tour de la terre en vingt-quatre heures, le flux & reflux ne se font qu’en vingt quatre heures quarante-huit minutes.

Je m’adresse à vous, Monsieur, afin que vous prononciez sur toutes ces questions, car je regarde vostre Illustre Compagnie avec le même respect que cet Etranger, dont parle Stobée, regardoit le Senat d’Athenes. Charmé de l’estime generale que s’estoit acquise cette Republique de Magistrats, il quitta sa Patrie pour aller écouter ces Senateurs. C’est de vos celebres Academiciens qu’il faut apprendre à loüer Louis le Grand. Comme il n’appartenoit qu’à ce Monarque d’achever tant de glorieuses entreprises, il n’appartient aussi qu’à ces hommes éloquens d’en parler, & d’en conserver la memoire à tous les siécles. Vous sçavez, Monsieur, que je n’ay jamais esté de l’opinion de ceux qui ont creu que l’éloquence avoit épuisé toutes ses forces, & qu’on ne pouvoit plus rien dire de nouveau à la gloire de Sa Majesté. Y a-t-il rien qui puisse luy en donner davantage, que le zele ardent de ses Sujets, qui bruslent par tout de donner leur vie, pour contribuer, s’ils pouvoient, à sa grandeur ? Je me souviens d’avoir leu dans Hermogenes, le sujet d’une Declamation qui m’a paru fort nouveau. Un Peintre ayant exposé sur le port la peinture d’un Naufrage qui estoit une merveilleuse piece, cette representation causa tant de frayeur aux Marchands, & mesme aux Soldats de la Marine, que les uns se retirerent du commerce, & les autres du service. Le Magistrat, en qualité de Vangeur Public, fit venir le Peintre en jugement. Je ne sçay pas bien ce qui fut décidé, mais ce que je sçay, & ce qui est bien certain, c’est que les naufrages effectifs ne font qu’exciter les courages de nos Bretons, dont les Ancestres ont fait les premieres Découvertes dans le Nouveau Monde. Je ne puis vous en donner de meilleures preuves qu’en vous disant, que dans le moment que je vous écris, plusieurs jeunes Gentilhommes veulent que je me charge de ce Placet, pour le faire presenter au Roy.

Croy moy, contente l’envie
Qu’ont tant de jeunes Guerriers,
D’aller exposer leur vie,
Pour t’acquerir des Lauriers.

Les prodiges que ce grand Monarque a faits jusqu’icy, nous permettent d’en esperer d’aussi grands. Ce sera sans doute par son application que les inspirations du Saint Esprit ne seront plus combattuës par l’artifice de nos Ennemis, & qu’il s’élevera des courages dignes de l’ancienne Italie, pour défendre la Religion & la Cause commune. Ce sera par sa prudence qu’un nuage obscur, formé de differentes vapeurs, sera dissipé. Ce sera enfin par sa fermeté que l’Empire des François sera le plus heureux de tous les Empires. Un fameux Academicien a comparé la Ligue d’Ausbourg à ce nuage dont je viens de vous parler. Pour moy, je l’ay comparée à ce Mal-adroit dont parle Trebellius-Pollio, qui en dix coups de javelot ne put toucher un Taureau. L’Empereur Gallien, qui estoit present, cherchant à se divertir, prononça en sa faveur, & luy envoya le Prix du combat des Bestes, parce qu’à son jugement il avoit fait la chose du monde la plus mal-aisée. Toties Taurum non ferire difficile est. Je ne pense jamais à cette Ligue contre la France, qu’il ne me souvienne en mesme temps de ce que j’ay lû dans Coiffeteau. Cet Historien si estimé & si connu, dit que Rome se railla de la conspiration de plusieurs Nations qui s’allierent avec les Samnites, & qui menacerent hautement d’effacer le nom Romain. On détruisit la Ville de Samnium, & aprés tant de Victoires & vingt-quatre Triomphes, il n’en parut presque aucun vestige. Qui est l’homme de bon sens qui pust regarder cette Ligue comme un lien d’amitié entre des Nations si differentes de Religions & d’inclinations ? On ne verra pas dans peu de temps qu’il y en ait aucun d’eux qui pare les coups pour son Compagnon. Ce sont les François, ce sont les Alliez de Loüis le Grand, qui combattant pour la vraye Religion, pour les Autels, pour la Patrie, pour la gloire, sont comme ces Soldats dont parle le Tasse.

Arte di schermo nova, & non più udita,
A i magnanimi Amanti usar vedresti.
Oblia di se la guardia, & l’altrui vita
Difende intentamente, & quella e questi.

La Posterité ne sera-t-elle pas effrayée, quand elle verra dans l’histoire de Sa Majesté, que des Princes, qui ne sont Princes, de leur propre aveu, que par le respect que leurs Ancestres ont eu pour la vraye Religion, ayent eu assez de foiblesse, & assez d’aveuglement pour entrer dans une Ligue contre l’unique Protecteur de cette Religion qui les a mis sur le Trône ? Les Souverains Pontifes qui rempliront le Saint Siege jusqu’à la fin des siecles, admireront le zele, la pieté, & l’excessive moderation de Loüis le Grand ; & Sancti benedicant tibi. Ils beniront sans doute le regne de ce Monarque. Gloriam regni tui dicent, & potestatem tuam loquentur. Je suis, &c.

[Histoire de Cromvvel] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 153-159.

 

Ceux qui ont joüé un grand personnage sur le théatre du Monde, donnent toûjours beaucoup d’envie de sçavoir ce qu’il y a eu de plus particulier dans leur vie. Tel est Olivier Cromwel, fameux par le titre de Protecteur de la Republique d’Angleterre dont il a joüy depuis l’exécrable attentat commis en 1649. en la personne de Charles I. jusqu’à sa mort, arrivée en 1658. L’Histoire de sa domination qui n’a été que trop absoluë, doit plaire d’autant plus aux Curieux, qu’il est difficile de trouver un temps plus favorable pour la mettre au jour, puisque ce qui se passe aujourd’huy en Angleterre, doit faire souhaitter d’aprendre ce qui s’y passoit du temps du Tiran qui la gouvernoit alors. Mille, & mille Ecrits en parlent, mais nous n’avions point encore de corps d’Histoire, comme celuy que Mr Raguenet vient de donner au Public. Il l’a composé sur les ouvrages de quarante Auteurs, la pluspart contemporains, & dont il marque les noms, ainsi que le temps de l’édition de leurs ouvrages, afin qu’on les puisse aisément trouver. Il s’est aussi servi des Manuscrits de feu M. l’Abbé de Montaigu, grand Aumonier de la Reine d’Angleterre défunte, & des Mémoires de Mr le Marquis de Ruvigni, autrefois Deputé General des Eglises Prétenduës Reformées de France, & de ceux de Mr de Chamberlaine, de la Societé Royale de Londres, qui a écrit de l’Etat d’Angleterre. Il a encore employé dans cette Histoire quantité de circonstances qu’il a apprises de personnes dignes de foy, qui estoient à Londres du temps de Cromwel, qui l’ont vû, & qui ont esté témoins de ses actions. Il a joint à tout cela beaucoup de faits qu’il a tirez d’un Manuscrit de feu Mr de Brosse, Docteur de la Faculté de Paris, qui avoit esté de la Religion Prétenduë Reformée, & qui avoit demeuré cinq années en Angletere, à rechercher tout ce qui pouvoit l’éclaircir sur la vie de Cromwel. On trouve de plus dans cet Ouvrage tout ce qui s’est écrit de plus mémorable pour servir à cette histoire, tant en Angleterre & en Hollande, qu’en France, en Espagne & en Italie. Les curieux doivent sçavoir gré à l’Auteur d’avoir recherché, & fait graver toutes les Medailles qui ont esté frapées à l’occasion des actions de Cromwel, ou des affaires importantes qui se sont faites de son temps en Angleterre. Enfin l’on ne sçauroit faire plus de recherches pour la verité d’une Histoire, ny la travailler avec plus de soin qu’a fait Mr Raguenet. Vous vous souvenez peut estre que la derniere fois qu’il y eut des Prix distribuez à l’Academie Françoise, il remporta celuy d’éloquence. Il est fort jeune, & un homme de son âge qui réussit autant qu’il a fait dans une entreprise aussi difficile, que celle qu’il a si heureusement executée, merite beaucoup de gloire. Cette Histoire de Cromwel se vend au Palais chez le sieur Barbin.

[Réjoüissances] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 159-174.

 

Quoy que je ne me sois pas étendu sur les réjoüissances qui ont esté faites dans toutes les Villes de France, pour les dernieres conquestes du Roy, je puis neanmoins vous assurez qu'il s'est fait des choses extraordinaires, & qui font connoistre avec combien d'ardeur ce grand Prince est aimé de ses Sujets. La Ville de Dieppe s'est fort distinguée. Tout y fut en armes, & rien n'y manqua de ce qu'on peut faire de plus éclatant, soit pour la cerémonie du Te Deum, soit pour la beauté des Feux de joye. L'Eloge du Roy fut prononcé dans la grande Eglise par le Pere Michel-Ange de Roüen, Gardien des Capucins, & ce Discours luy attira de grands applaudissemens.

La Ville d'Agen a marqué son zele par tout ce qui peut accompagner ces sortes de Festes. Tous les Bourgeois se mirent sous les armes, & l’on ne vit par tout que Devises, Inscriptions, Tableaux, Illuminations, & ce qui ne s'est point encore pratiqué, les Tableaux qui ont servi à faire voir la gloire du Roy, ont esté mis dans la grande Chambre du Conseil de l’Hostel de Ville, afin qu’on les ait toujours presens, & qu’on se souvienne éternellement des actions merveilleuses de cet Auguste Monarque.

La Ville de Chastillon sur Seine, qui s'est toujours signalée en de pareilles occasions, a fait des choses si particulieres, qu'il a fallu un volume pour les rendre publiques. Mr Pyon, Bachelier en Theologie, & Principal du College de la mesme Ville, s'est donné la peine de le faire. Ainsi le trop de matière m'empeschant de vous donner une description de cette Feste & de vous envoyer un Livre dans une Lettre, je me contenteray de vous dire en peu de mots que Mr le Chapt, Prevost Royal & Maire du mesme lieu, poussé par un zele dont l'ardeur le rend toujours ingenieux, a fait connoistre qu'on ne peut pousser plus loin la passion qu'il a pour la gloire de son Prince. Dès qu'il eut appris que le Roy estoit party pour aller assieger Mons, il fit celebrer à ses dépens une Messe solemnelle pour la conservation de Sa Majesté. Le jour qui fut choisi pour le Te Deum, on trouva une allée d'arbres qu'il avoit fait élever, & qui alloit depuis l'Hostel de Ville jusques à l'Eglise. Ces arbres estoient d'une verdure naissante, & tout couverts de fleurs & de fruits, qui furent distribuez au Peuple. Les deux bouts de cette allée estoient terminez par deux grands Tableaux remplis d'éloges du Roy en Proses & en Vers. Il y eut des Concerts, & des Jeux faits à la gloire de Monarque, dont Mr le Chapt son Fils prononça le Panegyrique dans la Tribune, qui se trouva tapissée de verdure. Ce Panegyrique estoit de la composition du Pere, & representoit si bien la grandeur de Sa Majesté, que lors qu’il finit, les Auditeurs qui en furent penetrez, remplirent l'air de cris de Vive le Roy. La Mousqueterie fit alors plusieurs décharges, & la Jeunesse de la Ville parut en même temps sous les armes. Deux Fils de Mr le Chapt portoient des Guidons tout semez d'Emblêmes, sur la Ligue & sur la prise de Mons. Ils estoient précedez de trois Déesses, qui représentoient la Force, la Justice, & la Prudence. Elles arresterent le Corps du Bailliage & de la Magistrature, au bruit de plusieurs Instrumens, & firent trois Discours à la gloire du Roy, qui furent écoutez teste nuë. Les Discours finis, cette Jeunesse continua sa marche vers la principale Eglise, où aussitost l'on vit arriver, au bruit des fanfares, une Compagnie de Dames, vestuës en Amazones, & dont la magnificence égaloit le zele. Quand tous les Corps & toutes ces brillantes Troupes furent entrées dans l'Eglise, on entonna le Te Deum, qui fut chanté avec des violons & des flûtes douces. On chanta ensuite un Motet tiré de l'Ecriture Sainte, & qui sembloit avoir esté fait exprés pour la prise de Mons. Il avoit esté mis en musique par Mr Morot. Les Jeux & les Concerts à la gloire du Roy qui devoient se faire après le Te Deum, furent remis à dix heures du soir, à cause de la trop grande affluence du peuple, qui n'auroit pû y trouver place. Le tout estoit de l'invention de Mr le Chapt, & si les Dames s'acquiterent bien de leur employ d'Amazones, la Fille de ce zelé Magistrat y parut avec distinction. Cette Feste se termina par un magnifique regale qu'il donna aux Dames. Tous les autres Magistrats donnerent aussi des marques particulieres de leur joye, ainsi que tous les Bourgeois, & generalement tout le Peuple. Les Feüillans qui sont particulierement attachez à la Maison Royale, finirent la Feste par un beau feu d'Artifice.

Caën est une Ville trop considérable pour n'avoir pas cherché à se distinguer. Après le Te Deum chanté, & des feux de joye allumez par tout dés le Dimanche 6. du mois passé, on renouvella les réjoüissances le Jeudy suivant. On les commença par une Loterie d’une invention nouvelle qui fut tirée ce jour là dans la Maison d’un Particulier. L’argent des billets avoit esté destiné pour soulager les besoins des Pauvres, & les Lots ne consistoient qu’à rencontrer des ordres de faire quelque jolie chose en l’honneur du Roy. Toute la Ville étant sous les armes, on chanta le Te Deum dans l'Eglise de S. Pierre, au bruit du Canon du Château, en présence de Mrs de Beuvron & de Matignon, Lieutenans de Roy de Normandie, accompagnez de toute la Noblesse & de Mr Foucault, Intendant, à la teste de toute la Justice. Mr l’Evesque de Bayeux y assista avec tout le Clergé. Le soir il y eut une illumination generale dans toute la Ville, & dans tous les Clochers. On ne voyoit que des tables dans les ruës ; & pour le beau monde, il fut invité à souper au Pavillon de la Foire Franche qui donne sur les prez. Il ne manqua rien à la magnificence du repas, & comme la Ville en faisoit les frais, Mr le Marquis de Bressole, en qualité de premier Echevin, assisté de Mr de la Motte, Lieutenant General, en fit les honneurs. La Fête finit par plusieurs feux d'artifice, dont les effets furent surprenans.

Les Particuliers n'ont pas oublié de marquer leur zele, & ce qui se fit dés le 16. d'Avril dans la Paroisse d'Herenguerville, Diocese de Coutance, en est une preuve. Mr de Berenger qui en est Seigneur & Patron, avoit invité tous les Ecclesiastiques & toutes les personnes qualifiées de son voisinage de l'un & de l'autre sexe, d'assister à cette Feste, qui commença par une grande distribution de pains qui fut faite aux Pauvres, & par plusieurs Messes, à la fin desquelles on chanta toûjours le Te Deum. Il fut encore chanté solemnellement l'apresdinée, & ensuite on alla voir les buchers que l'on avoit préparez pour cette réjoüissance. Ils étoient au nombre de quatre d’une moyenne grandeur, qui en entouroient un plus grand. Il estoit quarré, & l’on y voyoit quatre Tableaux en deux étages, qui representoient les efforts inutiles du Prince d’Orange & des Alliez contre le Roy. On avoit peint tout autour un Jupiter qui d’un coup de foudre tarissoit un Fleuve & écrasoit un rocher, avec ces paroles Tout luy cede. Autour des quatre petits buchers brilloit un Soleil qui dissipoit des nuages avec ces mots ; Rien d’impur ne luy plaist. On défera l’honneur d’y mettre le feu à une personne du beau sexe, & Madame de S. Jean, l’une des plus considerables du Canton, ne put se défendre de l’accepter. Je ne vous parle point du repas qui se fit ensuite ; vous jugez bien que rien n’y fut épargné.

Sur la prise de Mons. Idylle §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 174-182.

 

Vous vous plaindriez sans doute si je manquois à vous envoyer des Vers qui ont esté faits sur la conqueste de Mons, & qui ont acquis icy une estime generale. Ils sont du fameux Mr de la Monnoye, dont la reputation vous est connuë.

SUR LA PRISE
DE MONS.
IDYLLE.

Conqueste de LOUIS, Mons, honneur du Hainaut,
Rens grace au Ciel de ta défaite.
Du mesme bras qui te maltraite
Attens aprés un rude assaut,
Une tranquillité parfaite.
***
De ton Maistre nouveau l’heroïque vigueur
Te sera desormais un Fort inébranlable ;
 D’un Siege à tes murs redoutable
On ne te verra plus éprouver la rigueur.
 Pris une fois par ce Vainqueur,
 Tu vas devenir imprenable.
***
 Tu ne craindras point sous ses loix
Qu’en ton sein l’Heresie impunément prétende
 Elever de profanes toits,
D’où jusqu’à tes Autels son poison se répande.
De ce mélange impur que l’Eglise apprehende
LOUIS te garantit par ses heureux exploits.
***
 Germain farouche, aveugle Ibere,
Que sert de soulever & la terre & les mers,
 L’Erreur, la trahison, l’envie, & la colere,
 Toutes les fureurs des Enfers
 Contre un Roy qui vous desespere ?
Il affronte luy seul tous ces Monstres divers ;
 Et semblable au fameux Persée,
 Comme si de son bouclier
La Meduse sortoit de Serpens herissée,
 A peine pour humilier
De ses fiers Ennemis la force ramassée
Il attaque de Mons les superbes remparts,
 Qu’il voit d’abord à ses approches,
 Transformez en autant de roches
 Aigles, Lions, & Leopars.
***
Quand la nombreuse Ligue opposée à sa gloire,
 Pourroit en balancer le poids,
 Pour tant d’Etats, pour tant de Rois.
Le succés seroit-il si digne de memoire ?
 Icy, bravant ses envieux,
 LOUIS triomphe seul de l’Europe ennemie.
Pour le Prince Vainqueur quel éclat glorieux !
 Pour les Vaincus quelle infamie !
***
 Ils devoient, ces braves Guerriers,
 Jusque sur les bords de la Seine
 Venir moissonner des lauriers.
 L’un s’emparoit de l’Aquitaine,
L’autre le long du Rhin étendoit son domaine,
La Bourgogne de l’un flatoit l’ambition
Tandis que l’autre à Mets, plein de sa frenesie,
 Alloit prendre possession
 De la Couronne d’Austrasie.
***
Ainsi, quand d’un Malade ascablé de douleurs,
 De veilles & de lassitude,
 Le sommeil vient par ses douceurs
 A suspendre l’inquietude,
Un Songe au malheureux offre de beaux vergers,
Où sur un verd tapis, au pié des Orangers,
D’une claire fontaine il entend le murmure.
Là de charmans oiseaux forment de doux concerts ;
 Les fleurs y parfument les airs,
Et presentent aux yeux leur riante peinture ;
 Mais bien-tost un fâcheux réveil
Détruit de ces plaisirs l’agréable imposture,
 Et le triste Malade endure
Une longue fatigue aprés un court sommeil.
***
Tels à vaincre la France & par mer & par terre
 Dans le Cabinet attentifs,
 On a vû des Princes oisifs
 Rouler de vains projets de guerre.
Cependant le Heros que menaçoient leurs coups,
 Sur Mons fait tomber son tonnerre.
Le Songe se dissipe, & la Place est à nous.
***
Du Trône paternel l’Usurpateur perfide,
Né hardy seulement pour un lâche attentat,
N’ose, indigne Ennemy d’un Monarque intrepide,
 Tenter le hazard du Combat.
Il n’a fait dans sa marche errante, irresoluë,
Que montrer sa foiblesse à la Flandre éperduë,
Il fuit, couvert de honte, avec ses legions.
 La foudre est partie à sa veuë,
 Jusque sur luy s’étend la nuë,
Et la tempeste encor poursuit ses escadrons.
***
Mais que du voile épais des ombres les plue noires
 Il couvre son front odieux,
 S’il échape au Victorieux,
Il n’échapera pas au bruit de ses victoires.
Qu’une juste frayeur précipitant ses pas
 L’emporte aux plus lointains climats,
La gloire de LOUIS volera devant elle,
 Et d’un long ennuy devoré,
 Le Parricide, l’infidelle,
De la perte de Mons déja desesperé
Va d’un autre en fuyant apprendre la nouvelle.

[Sonnets] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 182-186.

 

Les deux Sonnets que vous allez lire, sont du Pere de la Roussie, Jesuite.

SUR LA PROSPERITÉ
des Armes du Roy.

Cent Princes conjurez pour abbatre un seul Roy,
Ont formé le dessein de conquerir la France ;
Leur orgueil leur fait voir son Etat sans défense,
Et qu’il leur est aisé de luy faire la loy.
***
 Se flattant que par tout ils porteront l’effroy,
Que par tout on craindra leurs Traittez d’Alliance,
Leurs puissans armemens, leurs fonds pour la dépense,
Ils risquent sur ce pied leur honneur & leur foy.
***
 Mais où vont ces projets ? à tromper tout le monde ;
Les Aggresseurs battus sur la terre & sur l’onde
Au gré de leur Vainqueur vont exposer leur sort.
***
 Pour défendre l’Eglise & dompter l’Allemagne,
Avec bien plus de gloire, avec bien moins d’effort,
LOUIS LE GRAND fera ce que fit Charlemagne.

SUR L’ASSEMBLÉE
de la Haye, & sur le Siege
de Mons.

Pourquoy ce Conquerant revient-il d’Angleterre ?
Pourquoy ces Alliez arment-ils tant de bras ?
Pourquoy ces Souverains quittent-ils leurs Etats ?
Ce secret important touche toute la Terre.
***
 Est-ce pour achever une sanglante guerre ?
Est-ce pour hazarder de perilleux Combats ?
Est-ce pour mettre enfin leurs Ennemis à bas,
Qu’ils font sonner si haut le bruit de leur tonnerre ?
***
Non, mais embarassez des desseins de LOUIS,
Etourdis des succés de ses faits inoüis
Ils disent ; Fera-t-il les choses impossibles ?
***
 Aprés tout, les François ne sont point des Demons.
Allons donc à la Haye, & là, témoins paisibles,
Regardons de sang froid comment il prendra Mons.

[Madrigaux & Sonnets] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 186-189.

 

LA PREFERENCE
HONTEUSE.
MADRIGAL.

On trouve, dites-vous, étrange,
Que le petit Prince d’Orange
Ose comparer ses exploits
A ceux du GRAND ROY des François.
A dire le vray, la partie
Paroist un peu mal assortie.
Cependant il faut accorder
Que ce nouveau Roy-Statouder
En un sens a la préference
Sur le Monarque de la France,
Et s’il faut dire franc & net
Ce que c’est que ce privilege,
LOUIS jamais n’a levé Siege,
Et Guillaume en a levé sept.

DE LORME, Avocat au Parlement de Grenoble.

SONNET.

Vous qu’on voit à la Haye encenser une Idole,
Princes Confederez, n’en rougissez-vous pas ?
Ce culte injurieux au sacré Capitole
Reproche à vostre rang des sentimens trop bas.
***
 Si vous déliberez sur le moyen frivole
De reparer l’honneur de trois divers Combats,
Allez secourir Mons, LOUIS LE GRAND y vole,
Allez, & contre luy mesurez vostre bras.
***
 Mais quoy ? fiers des projets d’une vaine entreveuë,
Vous tremblez, vous fuyez son approche imprevuë ?
Agissez, il est temps, & quittez vostre effroy.
***
 Si ce Prince à vos yeux remporte une Victoire,
A la luy disputer vous aurez plus de gloire,
Qu’à vous mettre au dessous d’un fantôme de Roy.

DE LA GRANCHE, de l’Academie Royale de Nismes.

MADRIGAL.

Mons étoit, on le sçait, une Ville orgueilleuse,
LOUIS seul contre tous va, l’assiege, & la prend.
Des Dames la coëffure étoit prodigieuse,
LOUIS parle, aussi-tost la coëffure descend.
 Ces succés confondent nos ames,
 Grand Roy, c’en est trop à la fois.
Reduire ensemble Mons & la teste des Femmes !
Rien n’estoit moins possible à soûmettre à tes loix.

[Ouvrages de M. Brossard de Montaney] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 189-197.

 

Je finis cet article par trois pieces de Mr Brossard de Montaney. Toutes celles que vous avez veuës de luy vous ont fait connoistre combien il est distingué parmy ceux qui travaillent en Poësie. J’ay separé dans mes Lettres d’Avril & de May les Ouvrages qui m’ont esté envoyez sur les dernieres Conquestes du Roy. Je suis fâché de ne pouvoir donner place à tous, mais il n’y a pas moyen de rappeller toûjours la mesme matiere.

SUR LA RETRAITE
du Prince d’Orange.

Quand le Roy-Statouder, dans un fauteüil placé,
De ses futurs exploits endormoit l’Assistance,
 Et qu’à la Haye on estoit empressé
 A disposer l’attaque & la défence,
Il vient un bruit fâcheux du costé de la France,
 Qui par malheur trouble la Conference,
 Et son Heros en est embarrassé.
 Mons en peril, tout s’alarme, tout tremble,
 Il faut courir à ce pressant besoin.
 Laissez-le faire, il n’ira pas fort loin,
 Il est fougueux beaucoup moins qu’il ne semble.
Il va pourtant, & s’approche de Mons,
Quand tout à coup soupçonnant quelque piege,
Prenons conseil, ne soyons pas si prompts,
Alte, dit-il à son nombreux Cortege.
Quelque accident pourroit nous arriver,
J’ay du courage, & je sçay le prouver
Lors qu’à propos il faut lever un Siege,
Mais il s’agit de le faire lever,
Et franchement j’entens peu ce manege.

SUR LE RETOUR
du Prince d’Orange en Angleterre, & la fin de l’Assemblée de la Haye.

Un soin pressant occupe la Hollande,
Le Roy Guillaume y vient tenir sa Cour.
De toutes parts on se haste, on accourt,
Apparemment la foire sera grande :
Princes & Ducs viennent tous à l’Offrande,
Pour s’attirer quelque regard benin
De ce Heros qui regle leur destin.
Il va bien tost faire un beau plan de guerre,
Dont les François se trouveront surpris.
Force Soldats amenez d’Angleterre,
S’il le commande, iront jusqu’à Paris.
Dés qu’on l’aura conclu dans l’Assemblée
Que vont tenir tant de graves esprits,
Villes, Châteaux, il prendra tout d’emblée.
Peu serviront le mur & le rempart,
Au premier choc la France est accablée,
C’est un coup seur à ce nouveau Cesar
Dans cette veuë, on l’encense, on l’admire.
Les Harangueurs s’empressent de luy dire
Ce qu’il a fait de beau depuis un an ;
Que c’est par luy que l’Europe respire.
Au fond de l’ame il est tenté d’en rire,
Mais il s’observe, & plus fier qu’un Sultan,
Nonchalamment étendu dans sa Chaise,
Il les écoute, & regarde à son aise
Ces bons Seigneurs qu’il voit bas & soumis.
Rien n’est si beau que la ceremonie,
Mais à son point si-tost qu’il les a mis ;
Bien, grandmercy, dit-il, mes bons Amis,
Partez en paix, car la farce est finie.

AU PRINCE D’ORANGE
Sur la prise de Mons.

Fuis, Prince malheureux, retourne en Angleterre,
La Flandre à ton honneur est un Païs fatal.
Quitte un illustre employ dont tu t’acquites mal,
Trompe, opprime, trahis, & ne fais point la guerre.
***
 En vain pour sauver Mons prest à tomber par terre,
Tu promets à la Ligue un effort martial ;
Entre LOUIS & toy tout est trop inégal,
Tu n’as que trop senty le poids de son tonnerre.
***
 Tu sçais jusques au bout pousser un attentat,
Tu sçais malgré les loix renverser un Etat,
En fourbe consommé tu conduis une brigue.
***
 Tu dois à cent forfaits le rang dont tu joüis ;
Mais les lâches complots, l’imposture & l’intrigue
Sont d’un foible secours pour combattre LOUIS.

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 208-243.

 

L’usage estant de fraper des Medailles pour tout ce qui se fait de memorable dans les Etats des Souverains, je vous envoye celle qui a esté frapée à l’occasion du mariage du Roy d’Espagne.

Les passions violentes font beaucoup souffrir. Heureux qui est assez maistre de soy-mesme, pour se tenir toujours en estat de les surmonter. Un Cavalier, que la qualité de fort honneste homme, & les avantages du bien & de la naissance rendoient un party considerable, estant allé voir une Dame de ses Amies, qui logeoit dans un quartier entierement éloigné du sien, trouva chez elle une assez jeune Personne, qui attira ses regards aussi-tost qu’il fut entré. C’estoit une Brune d’une taille aisée & fine, dont le teint uny, les yeux noirs & pleins de feu, la bouche admirable, & les autres traits formez à proportion, laissoient peu de cœurs dans l’indifference quand on la voyoit un peu souvent. Une fort grande douceur estoit répanduë sur son visage, & il y regnoit un air modeste qui ne plaisoit guere moins que sa beauté. Elle estoit venuë avec sa Mere, qui n’ayant encore que quarante-cinq ans, montroit d’agreables restes de ce qu’elle avoit esté dans son jeune âge. Le Cavalier, aprés avoir fourny quelque temps à l’entretien general, profita si bien de l’occasion, que s’estant enfin placé auprés de cette belle Personne, il en eut un particulier avec elle. Il luy dit mille choses obligeantes, & ses réponses, également sages & judicieuses, furent pour luy un charme nouveau. Elle parloit peu, mais toujours juste, & ne disoit rien qui ne fist connoistre que dans le soin que l’on avoit pris de son éducation, elle avoit receu d’utiles leçons. Elle ne fut pas plûtost sortie, que le Cavalier s’informa qui elle estoit. L’empressement qu’il eut à le demander, obligea la Dame avec qui il estoit demeuré seul, à luy répondre que sa curiosité luy sembloit estre d’Amant, & qu’il devoit prendre garde à ne pas s’abandonner trop aveuglement aux premieres impressions qu’elle pouvoit avoir faites sur son cœur ; que tout ce qu’elle avoit à luy en dire, c’est qu’elle estoit sa voisine environ depuis un an ; qu’elle voyoit peu de monde, & avoit une conduite extremement réguliere ; que sa Mere qui ne la quittoit presque jamais, estoit une Veuve de Province, & qu’on jugeoit à la maniere dont elles vivoient, qu’elles avoient quelque bien. Le Cavalier repliqua qu’il ne desavoüoit pas qu’il avoit trouvé beaucoup de merite dans cette belle Personne, mais que l’on devoit penser, que ne pouvant prendre d’engagement veritable sans le consentement de son Pere dont il attendoit de grands avantages, il n’étoit pas assez ennemy de sa fortune, quelques douces habitudes qu’il pust pratiquer, pour former jamais d’autre dessein que celuy d’avoir quelquefois où s’amuser pendant quelques heures inutiles. Cependant l’idée qu’il conserva de la Belle le fit aller chez la Dame beaucoup plus souvent qu’il n’avoit accoûtumé. Il l’y vit encore cinq ou six fois, & toûjours avec un redoublement d’estime qui alla plus loin qu’il ne pensoit. Ces entreveuës suffisant pour l’autoriser à luy rendre une visite, il alla chez elle, & il fut receu de la Mere & de la Fille avec toute la civilité qu’il en pouvoit esperer, mais quand il leur en eut encore rendu trois ou quatre autres en fort peu de temps, on le pria de retrancher l’assiduité. Ce fut alors que sa passion, dont il s’estoit déguisé la force, se fit sentir dans toute sa violence. Les bornes que l’on donna à ses soins luy furent insupportables, & il commença à s’appercevoir qu’il ne pouvoit vivre heureux, privé du plaisir de voir ce qu’il preferoit à toutes choses. Il se plaignit de l’ordre cruel qu’il estoit forcé de suivre, & il ne put obtenir qu’on le revoquast. Un jour qu’il rêvoit à elle dans les Tuilleries, il la vit dans une allée, qui se promenoit avec sa Mere. Il courut les joindre, les entretint jusqu’à ce qu’elles sortirent, & aprés qu’il les eut remenées dans leur Carrosse, un de ses Amis qui l’avoit veu avec elles, le felicita sur son heureuse fortune. Il le fit d’un ton si malicieux, que le Cavalier jugeant qu’il les connoissoit, le pria de luy en vouloir dire des nouvelles. Cet Amy ne se fit pas fort prier pour luy apprendre qu’il avoit esté trois ou quatre ans dans leur voisinage, où elles faisoient une figure des plus mediocres ; qu’un Marquis qu’il luy nomma leur avoit rendu des devoirs fort assidus, & que depuis ce temps-là elles estoient allées loger au Marais, où il avoit sceu qu’elles avoient équipage, ce qui luy faisoit penser que le Marquis avoit contribué par ses liberalitez à cet heureux changement de leur fortune. Cette nouvelle mit le Cavalier dans un fort grand trouble. La Dame qui luy avoit parlé de la Belle, la luy avoit peinte comme une personne d’une conduite fort sage, & ce que son Ami luy apprenoit sembloit contraire à cette sagesse. Il voulut s’en éclaircir par luy-mesme, & n’en trouva point de meilleur moyen, qu’en tâchant de faire recevoir quelques presens. Si la Belle étoit interessée, c’étoit un infaillible secret pour faire souffrir ses soins, quelque empressez qu’il les voulust rendre. Il conduisit la chose d’une maniere qu’il eut des occasions de se montrer liberal, & il s’en servit ; mais tous ses presens furent refusez, & même avec assez de hauteur, pour luy devoir faire quelque peine. Il crut d’abord que l’on n’agissoit de cette sorte que pour l’obliger à une dépense plus considerable, & son amour l’engageant à n’épargner rien pour réussir, il espera d’en venir à bout, s’il pouvoit joindre la galanterie à la liberalité. Voicy ce qu’il fit dans cette pensée. Une Revendeuse estant venuë chez la Belle dans le temps qu’il y estoit, luy montra un lit fort propre, dont la Mere offrit un certain prix. Le marché ne se put faire, & on la laissa sortir, en luy disant seulement que si elle n’en pouvoit trouver davantage, elle n’auroit qu’à le rapporter. Dans ce moment, le Cavalier qui n’avoit osé se mêler de cet achat, ayant appellé un de ses Laquais, luy donna ordre de dire en secret à la Revendeuse qu’elle vinst chez luy le soir. & luy apportast le lit. La chose se fit comme il l’avoit ordonné. Le Cavalier parla à la Revendeuse, qui trois jours aprés alla chez la Belle, où elle laissa le lit, dont le prix luy fut payé. On voulut le tendre quelque temps aprés, & ce fut un grand sujet de surprise de trouver dedans pour mille pistoles de Pierreries. On ne douta point que le Cavalier ne les eust données, & non seulement on luy en fit de fort grandes plaintes, mais on voulut le forcer à les reprendre. Il nia la chose obstinément, & d’une maniere qui l’auroit fait croire, s’il ne s’estoit pas trouvé auprés de la Belle la premiere fois qu’on luy avoit apporté le lit. Cependant comme il estoit impossible de le convaincre sans le témoignage de la Revendeuse que l’on ne connoissoit pas, on fut obligé de garder les Pierreries, jusqu’à ce qu’à force de soins, on vint à bout de la déterrer par le portrait qu’on en fit à d’autres Femmes qui se mêloient du mesme trafic. Le Cavalier fut au desespoir de l’avanture. Non seulement on luy rendit ses Bijoux qu’il ne put faire accepter, quelque instance qu’il en fist, mais on s’offença de son entreprise, comme estant contraire à l’opinion qu’il devoit avoir de la vertu de la Belle. Il y eut plus. La force de son amour qui s’augmentoit toujours par la resistance, l’ayant fait recommencer à rendre des visites assiduës, la Mere s’y opposa avec plus d’empire qu’elle n’avoit fait auparavant, & lors qu’il voulut les autoriser par l’exemple du Marquis dont on luy avoit parlé, elle luy dit qu’il estoit vray qu’il avoit eu libre accés chez elle pendant quelque temps, parce qu’il avoit d’abord proposé un mariage, mais que les choses n’ayant pû s’accommoder, on avoit fait avec luy rupture entiere sans qu’on l’eust reveu depuis. La fermeté de la Mere, jointe à la sagesse de la Fille, qui ne se démentoit point, & qu’il ne voyoit jamais en particulier, irritant sa passion dont il n’étoit plus le maître, il declara qu’on pouvoit souffrir son empressement, puisque ses desseins avoient toûjours esté legitimes ; que s’il avoit differé jusque-là à s’expliquer, c’est qu’il craignoit que son Pere qui luy devoit laisser de grands biens, ne fust pas content de son amour ; qu’étant dans un âge extrémement avancé, il ne pouvoit vivre encore long-temps, mais que si on faisoit difficulté d’attendre sa mort, le bien de sa Mere qui estoit considerable, & dont il avoit la joüissance, pouvoit le mettre en estat d’épouser la Belle, quand mesme son Pere luy refuseroit son consentement. La Mere prenant la parole, tandis que la Fille faisoit voir par une rougeur modeste, que la declaration ne luy estoit pas desagreable, fit connoître au Cavalier que les sentimens qu’il leur témoignoit la touchoient tres-vivement, mais qu’elle se croiroit indigne de l’honneur qu’il vouloit faire à sa Fille, si l’impatience d’en joüir la rendoit assez injuste pour souffrir qu’il s’exposast à se mettre mal avec son Pere ; qu’elle le prioit de ne luy rien dire d’un engagement qui pourroit le chagriner, & qu’elle attendroit sans aucun murmure qu’il fust en estat de disposer de luy-mesme, pour y satisfaire ; que cependant il devoit garder beaucoup de mesures dans sa passion pour ne donner aucun lieu à la médisance. Si la declaration du Cavalier ne luy fit pas obtenir une entiere liberté de voir la Belle aussi souvent qu’il l’eust souhaité, du moins il eut celle de luy pouvoir dire tout ce que l’amour luy faisoit sentir, ce qui luy estoit un fort grand soulagement. La Belle l’asseuroit de son côté qu’elle avoit pour luy l’estime la plus parfaite, & lors qu’il luy demandoit un aveu moins reservé des sentimens de son cœur, elle répondoit en rougissant, qu’elle se trouvoit dans un estat où elle n’osoit se rien permettre de plus ; qu’il suffisoit qu’il y eust alors un obstacle essentiel qui les empêchoit de rien conclure ; que cet obstacle seroit peut estre suivy de changemens qu’ils ne prévoyoient ny l’un ny l’autre, & qu’au hazard de parler contre elle-mesme, elle ne pouvoit se deffendre de luy dire, que s’il estoit sage, il donneroit sur luy moins d’empire à un amour qu’il pourroit se voir obligé d’éteindre. Cette réponse qui l’enflamoit encore davantage, produisoit entre-eux de fort agreables contestations. Il luy reprochoit que la rupture ne pouvant se faire que par elle seule, puis qu’il estoit resolu de l’épouser quand elle voudroit, sans attendre même la mort de son Pere, il falloit que le conseil qu’elle luy donnoit de se rendre maistre de sa passion, pour l’étoufer s’il arrivoit qu’il en fust besoin, vinst de ce qu’elle se sentoit le cœur peu favorablement disposé pour luy, & l’incertitude où elle sembloit mettre par là son bon-heur, luy estoit un vray supplice. La mort du Pere qui arriva peu de temps aprés, ayant finy cette sorte de dispute, le Cavalier n’eut plus à douter qu’il ne deust avoir le plaisir d’entendre dire qu’il estoit aimé parfaitement. Il vint offrir à la Belle une fortune tres-considerable, & il la trouva toûjours modeste ; c’est à dire ne s’expliquant qu’à demy sur tous autres sentimens que ceux de reconnoissance. Une aussi grande succession que celle qu’il avoit à recueillir faisant toûjours naistre des affaires, il demanda si on vouloit bien luy donner un mois ou deux pour les terminer, afin qu’en se mariant ensuite il pust gouster son bon-heur sans embarras. On voulut ce qu’il voulut, & il luy sembla que l’on consentoit trop facilement au retardement du mariage. Il crut pourtant voir le cœur de la Belle se developer insensiblement en sa faveur. Il luy échapoit toûjours quelques marques de tendresse qui luy répondoient, qu’il pouvoit beaucoup sur elle, & si elle refusoit de s’expliquer en des termes aussi forts que ceux dont il se servoit, ce refus luy donnoit lieu de tant deviner, qu’il avoit sujet d’être content. Enfin aprés qu’il eut donné ordre à tout, rien ne pouvant plus le détourner de travailler à se rendre heureux, il proposa de faire dresser un Contrat de mariage, mais quelle fut sa surprise, lors qu’à cette proposition il vit la Mere & la Fille qui se regardoient sans luy répondre ! Il demanda l’explication de ce mistere, & la Belle se vit enfin forcée de luy dire que s’il vouloit bien se souvenir des conseils qu’elle avoit cru luy devoir donner, il ne l’accuseroit pas quand il apprendroit qu’elle n’avoit agi de la sorte, que parce qu’elle estoit mariée secrettement. Il ne se peut rien imaginer de pareil au desespoir que montra le Cavalier. On le laissa se plaindre d’abord sans combattre sa douleur, & quand il se fut un peu soulagé par là, la Mere luy dit que s’il vouloit l’écouter, elle estoit persuadée qu’il se trouveroit bien moins malheureux qu’il ne croyoit. Il ne pouvoit concevoir que cela pust estre, puis qu’il voyoit tout perdu pour luy, & se resolvant comme malgré luy à luy laisser dire ce qu’elle asseuroit qu’il seroit bien aise de sçavoir, il apprit d’elle qu’aprés qu’elle eut congedié le Marquis, dont on luy avoit découvert l’attachement, un vieux Gentilhomme qui avoit du moins soixante & quinze ans, estoit venu la trouver pour sçavoir d’elle si quarante mille écus qu’il étoit prest de donner comptant, pourroient obliger sa Fille à le vouloir épouser ; que le peu de bien qu’elles avoient leur avoit fait accepter la chose ; que quoy qu’il n’eust point d’enfans, il avoit voulu la tenir secrete, pour éviter le reproche qu’on luy auroit fait de se trouver encore sensible à l’amour dans un âge où il devoit estre à couvert de ses foiblesses ; qu’un peu aprés l’affaire concluë, elles avoient changé de quartier afin qu’on n’eust point à raisonner sur le changement de leur fortune ; que le Gentilhomme qui ne les voyoit jamais que la nuit, & qui venoit sans aucune suite, s’étoit caché avec tant de soin à elles-mesmes, qu’elles ne le connoissoient que par un nom, qui apparemment estoit un nom supposé, puis que toutes leurs recherches ne leur avoient pû faire découvrir qui le portoit ; que malgré l’amour qu’il avoit toûjours marqué pour sa Fille, il y avoit prés de trois mois qu’elles n’avoient entendu parler de luy, quoy qu’il eust accoûtumé de les venir voir tous les trois ou quatre jours, & qu’une si longue negligence leur donnoit sujet de croire qu’il estoit mort. Le Cavalier à qui la confidence de cette avanture rendit l’esperance, demanda le nom que s’étoit donné le vieux Gentilhomme, & il eut beau s’informer, il n’en put avoir aucunes nouvelles. Trois mois passez sans qu’il eust paru étoient presque une asseurance qu’il ne vivoit plus, mais on ne pouvoit se determiner à rien, à moins qu’on ne l’eust entiere, & l’impossibilité où l’on se trouvoit de s’éclaircir, les mettoit tous dans une terrible inquietude. Quoy que la Belle fust elle-mesme persuadée de la mort du Gentilhomme, la rigidité de sa vertu luy faisoit traiter de foiblesse criminelle les sentimens favorables qu’elle témoignoit au Cavalier, & elle se reprochoit jusqu’aux moindres complaisances, où il l’engageoit à force d’amour. Il les meritoit par ses manieres pleines de tendresse, mais si son Mary estoit vivant, elle ne pouvoit les avoir pour luy, & cette idée suffisoit pour la laisser sans repos. Il luy estoit pourtant impossible de ne point aimer le Cavalier. Il la voyoit tous les jours, & loin de l’en empescher, elle auroit esté fachée qu’il ne l’eust pas veuë. Il luy proposa un jour de la mener à une fort jolie maison qu’il avoit à quatre lieuës de Paris, & la Mere ayant consenty à cette partie, il donna ses ordres pour les regaler. Aprés un repas fort propre, il les pria d’entrer dans un Cabinet, qui ouvroit sur le Jardin, & d’où la veuë se portoit fort loin. Ce Cabinet estoit remply de Tableaux, & la Belle les ayant parcourus en un moment, arresta ses yeux sur un Portrait qui luy fit faire un grand cry. La Mere qui regarda le mesme portrait, dit toute surprise, que c’estoit celuy du Gentilhomme, Mary de sa Fille, & ces paroles furent comme un coup de foudre pour le Cavalier. Ce portrait estoit celuy de son Pere qu’il avoit fait faire depuis quelques mois, & le rapport du temps de sa mort au temps qu’il y avoit qu’on n’avoit point veu le Gentilhomme, luy representa en un moment tout l’excés de son malheur. Il fut partagé sensiblement par la Mere & par la Fille, que la peinture qu’il fit des manieres de son Pere, outre la ressemblance des traits du Portrait, ne convainquit que trop de la verité. Il leur en vint un témoignage asseuré peu de jours aprés. Un Religieux revenu d’un long voyage, remit entre les mains de la Belle un papier cacheté que le Gentilhomme l’avoit chargé de luy apporter lors qu’il seroit mort. C’estoit une déclaration en bonne forme, toute écrite de sa main, par laquelle il la reconnoissoit pour sa Femme, & ordonnoit à son Fils de prendre soin d’elle, & de la faire joüir d’un doüaire qu’il limitoit. Le Cavalier à qui l’écriture estoit connuë, consentit à tout, & eut pour cette aimable Personne tous les égards qu’il devoit à la Veuve de son Pere, mais ne pouvant plus soûtenir sa veuë, qui contribuoit toûjours malgré luy à entretenir sa passion, il se resolut à faire un voyage en Italie, d’où il n’est point encore revenu.

[Madrigal sur la prise d’Urgel]* §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 293-294.

 

Je vous envoye un Madrigal qui a esté fait sur la prise d’Urgel.

Noailles faisant faire auprés du Roussillon,
A son Armée, en toute occasion,
Tout ce que feroit la plus grande,
Apprend aux plus braves Soldats,
Que leur force est moins dans leurs bras,
Que dans le Chef qui les commande.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 341-342.

Le Printemps dont vous allez lire les paroles merite bien que vous vous fassiez un plaisir de la chanter.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, C'est pour vous seuls, petits oiseaux, doit regarder la page 342.
C'est pour vous seuls, petits Oiseaux,
Que le Printemps a des charmes.
Parmy vos tendres cœurs l'amour est sans alarmes,
Vous goustez ses plaisirs sans ressentir ses maux.
C'est pour vous seuls, petits Oiseaux,
Que le Printemps a des charmes.
images/1691-06_341.JPG

[Plaintes de l’Europe contre le Prince d’Orange] §

Mercure galant, juin 1691 [tome 6], p. 342-345.

 

Vous me demandez ce que c’est qu’un petit Livre en Dialogues qui fait tant de bruit depuis quinze jours. Je vous diray à cela que c’est une suite des Affaires du Temps dont il a le Titre, & que le premier Dialogue ou Entretien qui paroist presentement, contient les Plaintes de l’Europe contre le Prince d’Orange. L’Auteur, pour informer le Public de son dessein, dit dans sa Preface, qu’aprés avoir fait au commencement des revolutions d’Angleterre, dix Volumes des Affaires du Temps, où quantité de pieces originales sont renfermées, le trop grand & continuel travail avoit fait cesser cet ouvrage, quoy que la suite en fust demandée avec empressement ; qu’enfin pour satisfaire les curieux ; & avoir un peu plus de temps pour travailler, il a resolu de diviser par Entretiens chaque Volume qui suivra les dix qui ont esté déja publiez ; qu’il donnera un Entretien le 15. de chaque mois, en sorte qu’au bout de six mois ceux qui voudront faire relier ces six Entretiens ensemble, auront de quoy faire un volume complet, qui sera la onziéme partie des Affaires du Tems, ce qui sera d’autant plus facile, qu’au lieu de recommencer à chaque Entretien les chifres qui marquent le nombre des pages, on les continuera jusqu’à la fin du sixiéme ; aprés quoy on recommencera dans le même ordre la douziéme partie des Affaires du Temps, afin de donner deux Volumes chaque année. Qu’il poursuivra cet ouvrage, tant que les affaires seront dans une situation à fournir une importante matiere ; Que ces Entretiens pourront n’estre pas toûjours du mesme stile, mais plus ou moins serieux, suivant les sujets ; qu’on y mettra des figures, lors qu’elles y pourront trouver place naturellement, & que le desir de dire des choses agreables & divertissantes, ne le fera jamais parler contre la verité, à moins qu’elle ne soit tellement envelopée, qu’il soit impossible de la découvrir. J’ajoûteray à cela qu’on ne paye que sept sols de cet Ouvrage, dont la suite paroistra le 15. de Juillet avec des Figures tres-curieuses ; Que le titre Général sera toûjours, Affaires du Temps ; mais qu’on changera souvent les titres & les sujets des Entretiens, & qu’il n’y en aura jamais plus de deux sous le mesme titre.