1692

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13].

2017
Source : Mercure galant, octobre 1692 [tome 13].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13]. §

[Envoyé de Madame la Duchesse de Meckelbourg, au Duc Frederic-Guillaume de Meckelbourg-Grabaw] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 64-66.

 

Vous avez appris par les Nouvelles publiques, qu'aussi-tost qu'on eut sceu en Allemagne la mort de Mr le Duc de Meckelbourg, arrivée à la Haye le 21. de Juin dernier, le Duc Frederic-Guillaume de Meckelbourg Grabaw, son Neveu, Fils du feu Prince Frederic son Frere, la fit publier à Swerin au son des cloches, avec toutes les formalitez qu'on a accoûtumé de pratiquer en de semblables occasions, & qu'ensuite il prit possession de la Regence & du Chasteau de Swerin, ainsi que des autres Domaines du feu Duc, comme estant son heritier le plus proche. Ce Duc comme vous sçavez avoit épousé en 1663 Elizabeth Angelique de Montmorency, Veuve de Gaspard de Coligny, Duc de Chastillon, & Soeur de Mr le Maréchal Duc de Luxembourg.

[Cydippe, Eglogue] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 77-82.

Vous trouverez dans les Vers qui suivent le tour fin & delicat que demande la Poësie. Je n’en connois point l’Auteur. S’il écrit toujours de la mesme force, ses Ouvrages meritent bien d’estre recherchez.

CYDIPPE.
EGLOGUE.

Il vient de me quitter, & ma rougeur redouble !
 Il faut déveloper mon trouble.
Qui le cause ? D’où vient l’embarras & l’effroy
 Qui me saisit quand je le voy ?
Je ne sçay ; mais je suis trop satisfaite encore,
 Si Tirsis comme moy l’ignore.
Que dis-je ? Il sçauroit donc … Ah ! mon cœur s’ouvre enfin.
 Quelle honte, ô Dieux, quel chagrin !
S’il faut que ma foiblesse ait osé se répandre,
S’il faut qu’il ait bien pû comprendre
Mes indignes soupirs, mes honteuses langueurs,
 Qu’il s’attende à mille rigueurs,
Mille tourmens affreux, mille maux, mille peines.
 Je m’aveugle. Menaces vaines !
Ce dangereux Berger, l’objet de mille vœux,
 Est il complice de mes feux ?
Il neglige Daphné, Silvanire, Eriphile.
 Troublerois-je un cœur si tranquille,
Moy, qui sans art encore à bien moins de beauté
 Mesle tant de simplicité,
Moy, qui n’ay pour attraits, pour charmes
 Que de la tendresse, & des larmes ?
Ah, qu’elle va couter au calme de mes sens !
 Tous mes jours seront languissans,
Agitez, pleins d’horreur, & couverts de nuages.
 Mon Troupeau, nos prez, ces bocages,
Pour mon cœur déchiré deviendront sans appas.
 L’exemple ne nous sauve pas.
Florise avoit ces maux, j’ay plaint cent fois Florise ;
 Cependant m’en voila surprise,
J’en mourray ; je ne vois, helas ! aucun secours.
***
La Bergere, à ces mots, donnant un libre cours
Aux douloureux transports de son ame abbatuë,
Pâle, sans mouvement, gemissante, éperduë,
Coula sur le gazon humide de ses pleurs.
Trop charmant desespoir ! trop heureuses douleurs !
Tirsis estoit tout prés, & ce Berger aimable
Ressentoit en secret une peine semblable.
Cydippe pût rougir de cette trahison,
Mais on la pardonna, je crois, avec raison.
***
 Vous, à qui d’un Hautbois champestre
 J’ay consacré les plus doux sons,
Si vous estiez d’humeur à prendre des leçons,
Sans rien dire de plus, l’Amour est un grand Maistre.
 Pour vous en donner de l’effroy,
On vous le fait injuste, on vous cache ses armes.
 Je suis de bien meilleure foy ;
De Cydippe à vos yeux j’étale les alarmes.
 Je vous fais voir ses maux, ses larmes,
 Je vous les peins dans tout leur jour.
Mais combien durent-ils, ces maux que fait l’Amour ?
 Un moment les finit, les change
En des biens éternels, en des biens sans mélange.

[Conte] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 82-86.

Voicy d’autres Vers qui ont esté faits sur ce que dit Mademoiselle de Langeron, appellée Sylvie, & âgée seulement de six ou sept ans, aprés qu’elle eut rompu un Coq d’Email qu’elle aimoit beaucoup.

CONTE.

Un Coq, le mieux tourné de toute la nature,
Joly, bien ergoté, d’agreable figure,
 A creste rouge, & bec bien affilé,
 Je ne sçay par quelle avanture,
 Heureusement se rencontra meslé
Parmy quelques Bijoux tout brillans de dorure,
 D’un jeune Enfant, aimable creature,
 Charmante en tout, si l’on en vit jamais,
Par son air attirant, par ses yeux, par ses traits,
 Enfin, par toutes ses manieres,
 Et par des marques singulieres
 D’un esprit vif qui promet tout,
 Qui plaist, qui surprend, qui contente,
 Et qui commence à mettre à bout
 Toute raison qui se presente.
 Le Coq en de si bonnes mains
 N’auroit pas changé ses destins
 Pour les plus grands biens de la vie.
Trop heureux de servir aux plaisirs de Sylvie,
 Il ne songeoit qu’à cet honneur.
 Il ne ressentoit dans son cœur
 Ny pour Prude, ny pour Coquette,
 Ny pour Poule, ny pour Poulette,
 Aucune apparence d’ardeur ;
Et quand Poule en effet se seroit mis en teste
 De le tirer de sa froideur,
 Jamais le Coq en sa faveur
 N’auroit voulu lever la creste.
Appliqué seulement aux soins de divertir
 Sa jeune & charmante Maistresse,
 On ne l’en voyoit point sortir.
 Ce devoir l’occupoit sans cesse.
 Il ne chantoit jamais la nuit,
 De peur de luy faire du bruit,
Le jour, sans dire mot, il contentoit sa veuë,
 Et la Belle faisant reveüe
 De tous ses Bijoux curieux,
Attachoit sur luy seul & sa main & ses yeux.
 Mais enfin cette main habile
Mania tant de fois ce pauvre Coq fragile,
 Que la queüe en quitta le corps.
 Croit-on icy que Sylvie en transports,
 En desespoir s’aille répandre ?
 Voilà ce qu’on devroit attendre
 D’un Enfant qui rompt ses bijoux,
 Qui perd ce qu’il a de plus doux ;
Mais elle, dont l’esprit en lumieres abonde,
Loin d’estimer son Coq, honteux, laid, avili,
 Avec sa grace sans seconde ;
 Ah, dit-elle, il estoit joly,
Et le voilà le plus drôle du monde.

Le Contrat §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 111-120.

Il y a des avantures qui estant plaisantes par elles mêmes ne laissent pas de recevoir encore des agrémens tout nouveaux, par la maniere de les raconter. Celle dont je vous fais part est de ce nombre. Elle a esté mise en Vers par un Cavalier, qu’on peut dire veritablement né pour la Poësie, tant elle luy est naturelle, quoy qu’il ne s’y applique jamais que dans les temps où il n’a rien de plus serieux à faire.

LE CONTRAT.

Le malheur des Maris, les bons tours des Agnés
Ont esté de tout temps le sujet de la Fable.
Ce fertile sujet ne tarira jamais,
C’est une source inépuisable.
A de pareils malheurs tous humains sont sujets.
Tel qui s’en croit exempt est tout seul à le croire ;
 Tel rit d’une ruse d’amour,
 Qui doit devenir à son tour
Le risible sujet d’une semblable histoire.
 D’un tel revers se laisser accabler,
 Est, à mon gré, sottise toute pure ;
 Celuy dont j’écris l’avanture
Trouva dans son malheur de quoy se consoler.
***
Certain riche Bourgeois s’estant mis en ménage,
 N’eut pas l’ennuy d’attendre trop longtemps
  Les doux fruits du Mariage.
Sa Femme luy donna bien-tost deux beaux Enfans,
Une Fille d’abord, un Garçon à la suite.
Le Fils, devenu grand, fut mis sous la conduite
 D’un Précepteur, non pas de ces Pedans,
 Dont l’aspect est rude & sauvage ;
 Celuy-cy, gentil Personnage,
Grand Maistre-és-Arts, sur tout en l’art d’aimer,
 Du beau monde avoit quelque usage,
 Chantoit bien, & sçavoit rimer,
Et s’il faut declarer tout le secret mistere,
 Amour, dit-on, l’avoit fait Précepteur.
 Il ne s’estoit introduit prés du Frere,
 Que pour voir de plus prés la Sœur.
***
Il obtient tout ce qu’il desire
Sous ce trompeur déguisement.
Bon Précepteur, heureux Amant,
Soit qu’il regente, ou qu’il soupire,
 Il réussit également.
  Déja son jeune Pupille
  Explique Horace & Virgile,
Et déja la Beauté qui fait tous ses desirs,
 Sçait le langage des soupirs.
 S’en tenir à la Theorie
Est difficile en ces occasions.
 Nostre Maistre en galanterie
Tres-bien luy fit pratiquer ses leçons.
Cette pratique aussi-tost fut suivie
 De maux de cœur, de pâmoisons,
Non sans donner de terribles soupçons
 Du sujet de la maladie.
Enfin tout se découvre, & le Pere irrité
  Menace, tempeste, crie ;
  Le Docteur épouvanté
  Se dérobe à sa furie.
***
La Belle volontiers l’auroit pris pour Epoux.
Pour Femme volontiers il auroit pris la Belle.
L’Hymen estoit l’objet de leurs vœux les plus doux,
 Leur tendresse estoit mutuelle ;
Mais l’amour aujourd’huy n’est qu’une bagatelle.
 L’argent seul fait les plus beaux nœuds ;
 Elle estoit riche, il estoit gueux,
C’estoit beaucoup pour luy, c’estoit trop peu pour elle.
***
Quelle corruption ! O siecle ! ô temps ! ô mœurs !
Conformité de biens, difference d’humeurs,
Souffrirons-nous toujours ta puissance fatale ?
Méprisable interest, opprobre de nos jours,
 Tyran des plus tendres amours.
 Mais faisons tréve à la morale,
 Et reprenons nostre discours.
***
Le Pere est bien fâché, la Fille est bien marrie.
Mais que faire ? il faut bien reparer ce malheur,
 Et mettre à couvert son honneur.
 Quel remede ? On la marie,
 Non au Galand, j’en ay dit les raisons ;
Mais à certain quidam, amoureux de Testons
 Plus que de Fillette gentille,
Riche suffisamment, & de bonne Famille ;
Au surplus, bon Enfant ; Sot, je ne le dis pas,
 Puis qu’il ignoroit tout le cas ;
Mais quand il l’auroit sceu ; fait-il mauvaise emplette ?
On luy donne à la fois vingt mille bons Ducats,
 Jeune Epouse & besogne faite.
Combien de gens, avec semblable dot,
Ont pris, le sçachant bien, la Fille & le gros lot !
***
 Or celuy-cy crut prendre une Pucelle.
 Bien est-il vray qu’elle en fit les façons ;
Mais quatre mois aprés la sçavante Donzelle
 Montra le fruit de ses leçons.
 Elle mit au monde une Fille.
 Quoy déja Pere de Famille,
  Dit l’Epoux bien surpris ?
Au bout de quatre mois ? C’est trop tost, je suis pris.
 Quatre mois, ce n’est pas mon compte.
Sans tarder au Beau pere il va conter sa honte,
Pretend qu’on le separe, & fait bien du fracas.
Le Beau-pere sourit, & luy dit, parlons bas,
 Quelqu’un pourroit nous entendre.
 Comme vous jadis je fus Gendre,
 Et me plaignis en pareil cas.
Je parlay comme vous d’abandonner ma Femme.
C’est l’ordinaire effet d’un violent dépit.
Mon Beau-pere défunt, Dieu veüille avoir son ame,
Il estoit honneste homme, & me remit l’esprit.
La pillule, à vray dire, estoit assez amere,
Mais il sceut la dorer, & pour me satisfaire
 D’un bon Contrat de quatre mille écus,
 Qu’autrefois pour semblable affaire
 Il avoit eu de son Beau-pere,
Il augmenta la dot, je ne me plaignis plus.
***
Ce Contrat doit passer de Famille en Famille.
Je le gardois exprés, ayez-en mesme soin.
 Vous pourrez en avoir besoin
 Si vous mariez vostre Fille.
 A ce discours le Gendre moins fâché
 Prend le Contrat, & fait la reverence.
Dieu preserve de mal ceux qu’en telle occurrence
 On console à meilleur marché.

[Ceremonies faites aux Recolets du Fauxbourg Saint Laurent] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 144-149.

 

Les Peres Recolets du Fauxbourg de S. Laurent de Paris ont celebré avec beaucoup de magnificence la Canonisation de S. Jean de Capistran, & de S. Paschal Baylon. L'ouverture de cette solemnité se fit le Mercredy 8. de ce mois sur les sept heures du soir, par un feu de bois qu'on avoit dressé devant la grande porte de leur Convent. Il fut allumé par le Pere Valentin le Rou, ancien Custode, & Gardien actuel de ce Monastere, aprés quoy on fit la décharge de cinquante grosses boëtes, ce qui fut suivy d'un fort grand nombre de fusées volantes. Le Lendemain jour de S. Denis, Mr le Curé de S. Laurent alla en procession chez les Peres Recolets, & toutes la Communauté le vint recevoir à la porte au bruit des Timbales & des Trompettes. Il chanta la grande Messe & s'en retourna avec les mesmes cérémonies. On fit ensuite une Procession tres-solemnelle qui partit de leur Eglise à onze heures du matin. Elle étoit composée de prés de cent cinquante Religieux, & d'un pareil nombre de petits Anges qui marchoient à costé d'eux. Le Guidon, la Croix, & les Bustes des deux Saints estoient portez de distance en distance, tout cela accompagné de Hautbois, de Timbales & de Trompettes qui se répondoient alternativement. La Procession alla droit à Nostre-Dame, où elle fut receüe au bruit de toutes les cloches & des Orgues. Aprés qu'on eut chanté quelques Hymnes à l'honneur des deux Saints on fit le tour du Choeur de l'Eglise au bruit de ces mesmes Instrumens, & l'on se rendit de là aux Filles-Dieu, de la ruë S. Denis, & ensuite à S. Laurent, de sorte que la Procession ne rentra qu'à cinq heures du soir dans l'Eglise des Recollets, où le Pere Olivier Juvernay prêcha. Le Sermon finy, Mr le Curé de S. Laurent donna la premiere Benediction de l'Octave. Le Dimanche suivant le Pere Prieur des Augustins Déchaussez fit le Panegyrique de S. Paschal Baylon, & le Jeudy 16. du mois, jour de l'Octave, Mr le Theologal de l'Evêché de Clermont receut dans la Prédication qu'il fit beaucoup d'applaudissemens d'une nombreuse assemblée.

[Histoire] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 158-199.

L’envie de sçavoir les secrets de l’avenir est la maladie de beaucoup de Femmes, & la facilité qu’elles ont à croire ce qu’on ne leur dit qu’à l’avanture, ou du moins par des regles qui n’ont aucun fondement certain, les porte souvent à des resolutions entierement opposées à celles que leur inclination leur feroit prendre. Il n’y en a point d’exemple plus fort que celuy d’une tres-aimable Personne, qui ayant esté mariée dans sa plus grande jeunesse à un vieil homme fort riche, s’ennuya bien-tost de la vie mélancolique qu’il luy fit mener. La passion qu’il avoit pour elle estoit violente. Il vouloit s’en faire aimer, & pour acquerir son cœur, il ne luy refusoit aucune des choses qui pouvoient la satisfaire, soit pour les meubles, soit pour les habits ; mais il estoit naturellement jaloux, & la disproportion qu’il y avoit de son âge au sien luy faisant juger que faite comme elle estoit, s’il luy permettoit de voir le monde, elle ne seroit pas longtemps insensible aux douceurs qu’on luy diroit, il la tenoit dans une maniere d’esclavage qui la tourmentoit cruellement. La seule liberté qu’il luy laissoit, c’estoit de voir deux ou trois Amies, chez qui il l’accompagnoit, quand elle vouloit leur rendre visite. Si elle y voyoit des gens biens faits, la presence du Mary bornoit leurs honnestetez à la complaisance generale que les hommes ont pour toutes les Femmes, & ce qu’ils luy disoient d’agreable sur son brillant & sur sa beauté n’ayant point de suite, parce qu’on n’osoit aller chez elle, & que jamais elle n’alloit seule ailleurs, son cœur estoit toujours vuide, & ne trouvoit point à se remplir. Les parties de promenade avec ses Amies estoient le plus grand de ses plaisirs, mais elle n’en faisoit jamais aucune sans que le Mary en fust, & comme il cherchoit toujours à luy plaire, il la régaloit dans ces parties avec le mesme agrément, que si elle eust esté encore sa Maistresse. Cette conduite, quoy que tendre & obligeante, ne la pouvoit contenter. Plus son miroir luy disoit qu’elle estoit jolie, moins elle s’accommodoit des vieilles années de son Mary. Il estoit sujet à d’assez frequentes maladies, & l’ennuy d’avoir à le garder jour & nuit pendant ces temps là, sans pouvoir sortir d’auprés de son lit, luy faisant envisager l’heureux estat où sa mort la devoit mettre par les avantages qu’il luy avoit faits en l’épousant, elle demanda à ses Amies, si elles ne connoissoient point quelque diseuse de bonne avanture, qui pust luy apprendre combien elle avoit encore à souffrir. On luy en amena trois ou quatre, qui sous pretexte d’une coifure nouvelle, ou de quelque ajustement dont on parloit devant le Mary, eurent permission de l’entretenir sans estre observées. Entre quantité de choses que ces sortes de Femmes ont accoutumé de debiter à tous ceux qui les consultent, chacune luy dit qu’elle seroit bien-tost Veuve, & qu’elle auroit ensuite un Amant tout admirable. C’estoit quelque chose, mais on la laissoit incertaine sur le temps, & une année luy paroissoit devoir estre un siecle. Enfin on luy en fit venir une, qui plus hardie que les autres, l’asseura déterminément que dans trois mois le veuvage la rendroit maistresse absoluë de ses volontez. La Dame pleine de joye paya largement la Devineresse, & le bon homme se trouvant surpris peu de temps aprés d’une fiévre continuë, elle se tint assurée que la prédiction alloit s’accomplir. La fiévre fut violente dix ou douze jours, mais avec un grand regime les remedes l’emporterent, & le rétablirent insensiblement dans sa premiere santé. La Dame envoya chercher la Devineresse, qu’elle querella de la bonne sorte. La Devineresse ne s’étonna point, & ayant encore tracé je ne sçay quelle figure, elle luy dit que les trois mois n’estoient point finis, & qu’elle n’avoit pas raison de se plaindre avant que le terme fust passé. Le temps s’approchoit, & il s’en falloit seulement deux jours qu’il n’expirast. Le bon homme se portoit mieux que jamais, & la Dame pestant en secret contre sa Devineresse, commençoit à n’avoir plus aucune esperance, lors qu’il tomba tout d’un coup en Apoplexie. Il mourut une heure aprés, & on regarda la Devineresse comme estant infaillible dans son art. Sa prédiction luy attira un present, & vous jugez bien par là que la jeune Veuve fut aisée à consoler. Elle estoit riche & jolie, qualitez aimables qui ne laissent point manquer d’Amans. Ils vinrent en foule si-tost que la bienseance luy permit de voir du monde. On s’empressa à luy plaire, & parmy les Prétendans on n’eut pas de peine à démêler où son panchant la portoit. C’estoit un homme de fort bonne mine, qui avoit beaucoup de bien, & dont l’esprit estoit fort insinuant. Une de ses plus particulieres Amies qui étoit entrée dans le secret, voyant que l’année du deüil étoit expirée, luy demanda pourquoy elle résistoit aux empressemens de son Amant qui pressoit pour l’épouser, puis que l’affaire estoit resoluë entr’eux, & qu’il avoit sceu toucher son cœur. La Dame luy avoüa qu’elle sentoit beaucoup d’inclination pour luy, & que s’il falloit s’en détacher, ce ne pourroit estre sans se faire une extrême violence ; mais que s’agissant d’un engagement pour toute sa vie, dans le temps qu’il l’avoir priée de vouloir signer, elle avoit songé que ce seroit hazarder beaucoup que de conclurre une affaire de cette importance, sans sçavoir auparavant ce qu’en pensoit la Devineresse qui avoit parlé si juste sur le temps de son Veuvage ; qu’elle estoit hors de Paris, où elle ne reviendroit qu’à la fin du mois, & qu’elle croyoit qu’il y alloit de ses interests & de son repos de ne rien conclurre sans avoir sceu d’elle si son Amant la rendroit heureuse. Son Amie fort étonnée de la trouver assez simple pour estre touchée de ce genre de scrupule, luy representa le ridicule qu’il y avoit de donner croyance aux prédictions des Devineresses, qui n’estoient toutes que des Femmes ignorantes, que l’avidité d’un petit profit faisoit parler au hazard ; & aprés avoir combattu sa credulité par de solides raisons, elle vouloit l’engager à signer un Contrat dans le jour mesme, mais il luy fut impossible d’en venir à bout, & la jeune Veuve demeura ferme dans ses sentimens. Deux jours aprés, cette Amie receut visite d’un Cavalier en qui elle prenoit beaucoup d’interest, & qui ayant sceu que la jeune Veuve la voyoit souvent, venoit la prier de le servir auprés d’elle. Il l’observoit depuis quinze jours dans une Eglise où elle venoit tous les matins à la mesme heure, & en étant devenu éperduëment amoureux, quoy que sans l’avoir entretenuë, il avoit besoin de son secours pour luy découvrir sa passion. Il luy avoüa que le grand bien qu’elle avoit contribuoit fort à son amour, & que comme ses affaires estoient un peu en desordre, il avoit songé que ce Mariage luy donneroit lieu de les rétablir. La Dame luy dit, qu’il ne devoit point douter qu’elle ne le servist avec ardeur en toutes occasions, mais qu’il s’étoit déclaré trop tard ; que la jeune Veuve étoit déja engagée & preste à se marier, & qu’ayant fait un choix tres-avantageux qui touchoit son cœur, tout ce qu’elle luy diroit pour l’obliger à changer seroit inutile. Cette nouvelle chagrina le Cavalier, mais elle ne put le détourner de son entreprise. Il résolut d’employer jusqu’aux moyens les plus violens, pour faire quitter la partie à son Rival, & enfin l’enlevement de la jeune Veuve fut celuy où il s’arresta le plus. La Dame le voyant si obstiné dans sa passion, se mit en teste un expedient dont elle espera beaucoup par la foiblesse qu’elle avoit connuë dans la jeune Veuve. Ce fut de gagner la Devineresse en qui elle avoit tant de confiance. L’argent peut tout sur ces ames basses, & il devoit estre aisé de luy faire dire tout ce qu’on voudroit. Le Cavalier approuva la chose, & fit agir des Espions si adroits que la Dame vit la Devineresse une heure aprés son retour. Quelques pistoles luy firent promettre sans peine tout ce qu’on luy demanda. Elle receut les instructions que l’on jugea necessaires, & quand la Veuve l’envoya chercher peu de jours aprés, elle luy peignit de si terribles malheurs dans le Mariage qu’elle estoit preste à conclure, que son amour en fut extrémement refroidy. Son Amant s’en apperceut, & en fit de grandes plaintes. Son Amie feignant d’ignorer la cause de ce refroidissement, luy demanda ce qui pouvoit estre arrivé entr’eux, & ayant sceu d’elle en confidence les prédictions que luy avoit faites la Devineresse, elle luy dit, que la connoissant aussi foible qu’elle estoit, elle n’osoit l’enhardir à passer outre, de peur que si elle n’estoit pas tout-à fait heureuse, le Mariage trainant toujours avec soy beaucoup de chagrins, elle n’eust l’injustice de l’en vouloir rendre responsable, mais que si c’étoit sa propre affaire, & que le cœur luy en dist, toutes les menaces d’un malheureux avenir, faites par de telles gens ne l’embarasseroient pas. La jeune Veuve, veritablement attachée à son Amant, eust bien voulu estre assez hardie pour ne point s’épouvanter de ce qu’on luy avoit dit, mais la crainte l’emportoit sur sa raison. Cependant l’amour l’obligeoit à balancer, & pour la déterminer entierement, son Amie qui vouloit servir le Cavalier, employa une autre ruse. Toutes les choses necessaires à la faire réussir ayant été concertées, un homme reconnu par tout pour esprit fort, se trouva chez elle un jour que la jeune Veuve y devoit venir. La Compagnie étoit grande. Il parut resveur, & lors qu’on luy eut fait quelque temps la guerre sur sa resverie, il dit comme sortant de quelque assoupissement, qu’il avoit traité jusque-là de vision, ce qu’on disoit de certains Esprits, qui se communiquent à quelques personnes, mais qu’aprés ce qui venoit de luy arriver, il ne sçavoit plus où il en étoit ; qu’il avoit longtemps entretenu une Femme qui par le moyen d’un Genie qui luy parloit quand elle vouloit, luy avoit dit des choses si particulieres, qu’il étoit impossible qu’elle les sceust que par révelation ; que le détail des moindres évenemens de sa vie dans toutes leurs circonstances, sans qu’elle en eust oublié aucune, luy répondoit de la verité des choses qu’elle luy avoit prédites, & que c’estoit ce qui occupoit si fort son esprit, quoy qu’il n’y eust rien de fâcheux dans les changemens que devoit encore avoir sa fortune. L’avanture surprit d’autant plus que celuy qui la contoit n’étoit point homme à se laisser ébloüir, ny d’une credulité à donner dans aucun piege. Chacun fut curieux de sçavoir, qui étoit cette merveilleuse Femme. Il ne cacha ny son nom, ny sa demeure, mais il dit qu’on l’iroit chercher inutilement, à moins qu’on n’y fust introduit de bonne main, ou que l’on n’eust quelque chose dans la physionomie qui la previnst favorablement, parce qu’elle apprehendoit qu’on ne la fist passer pour Magicienne, & que ce bruit répandu luy pouvoit estre préjudiciable. Cette matiere donna lieu à une longue conversation, dans laquelle on rapporta quantité d’exemples d’Esprits qui s’étoient rendus familiers avec les hommes, & la Compagnie s’estant separée, la jeune Veuve dit à son Amie, qu’elle vouloit aller voir la Femme au Genie, & la pria de l’accompagner chez elle. Son Amie l’affermit dans ce dessein, en feignant de luy vouloir resister. Elle eut beau dire qu’elles ne pourroient faire parler cette Femme, & que ce seroit peine perduë. Il fallut partir sans differer & esperer sur leur bonne mine, qu’elles n’auroient point la honte d’estre refusées. La Femme au Genie, avec qui la Scene avoit esté concertée, fit toutes les façons qu’il falloit. Elle protesta qu’elle étoit tres-ignorante, ce qui estoit une grande verité, & que tous les bruits qui couroient d’elle venoient de gens mal instruits, ou qui cherchoient à luy faire piece. La jeune Veuve ne prit point le change. Elle prétendit estre fort bien informée, & aprés luy avoir fait mille caresses pour l’obliger à parler, elle dit d’un air mutin, & d’une maniere opiniastre, qu’elle avoit beau se cacher, qu’il falloit absolument qu’elle l’éclaircist sur sa fortune, & que peut estre elle valoit bien qu’elle fist pour elle, ce qu’elle ne feroit pas pour quantité d’autres. Cela fut dit d’un air gracieux, qui sembla desarmer la Femme au Genie. Elle se mit à sousrire, & la jeune Veuve l’ayant embrassée tout de nouveau, la réduisit enfin à se déclarer, comme s’il n’y eust pas eu moyen de laisser une jolie Personne dans l’inquietude. Elle l’examina un peu de temps sans dire un seul mot, & la pria de vouloir bien luy souffrir un quart d’heure de retraite dans son Cabinet pour y entretenir son Genie. Ensuite elle l’y fit entrer seule, & aprés s’estre fait promettre qu’elle ne parleroit jamais à personne de ce qu’elle vouloit bien faire en sa faveur, elle se servit des instructions de son Amie, en luy disant ce qui luy estoit arrivé de plus secret avant & depuis son Mariage. Elle ajoûta que ce qui l’avoit particulierement obligée à la venir voir, c’estoit l’incertitude, où quelque embarras d’esprit la mettoit touchant un Amant fait de telle & telle sorte, qui avoit trouvé moyen de gagner son cœur, & qu’elle ne luy disoit rien de tous les malheurs dont elle estoit menacée en l’épousant, parce que jamais il ne seroit son Mary ; que sa froideur l’ayant déja dégoûté, l’obligeroit de rompre avec elle ; que cette rupture estant faite, le hazard luy feroit connoistre un Cavalier, moins riche à la verité, que l’Amant qu’il falloit qu’elle quittast, mais qui la rendroit tellement heureuse, qu’elle n’auroit rien à desirer ; que c’estoit un homme de fort belle taille, grand, ayant les yeux noirs, pleins de feu, & bien fendus, la bouche belle, & le petit doigt de la main gauche beaucoup plus court que ne l’ont les autres hommes. C’étoit une marque de naissance commune à tous ceux de la Famille du Cavalier, pour qui on faisoit parler le Genie. La jeune Veuve fut si surprise d’admiration du rare talent de celle qui luy disoit jusqu’aux moindres particularitez de sa vie, que toute remplie de l’idée du Cavalier dont on venoit de luy faire la peinture, elle resolut de ne plus songer à son Amant. En sortant du Cabinet, elle dit à son Amie, qu’elle estoit charmée, & qu’il falloit qu’elle sceust par elle-mesme ce que c’estoit que le pouvoir du Genie. L’Amie, sans en marquer trop d’empressement, consentit à se laisser dire ses secrets. Autre quart d’heure de retraite avec le Genie, aprés quoy merveilles de tous costez. La jeune Veuve au sortir de là ne pouvoit assez parler de l’habileté de cette Femme. Tout luy paroissoit enchantement, & son Amie, toujours mal préoccupée pour les Diseurs d’avenir, faisoit semblant de tomber des nuës, & avoüoit d’un air ingenu que ce qu’on leur avoit dit à l’une & à l’autre, estoit au dessus du naturel. Ce qu’il y eut de plaisant, c’est que la jeune Veuve luy demanda plusieurs fois ce qu’elle trouvoit du portrait qu’on luy avoit fait du Cavalier, & si elle ne le croyoit pas fait d’une maniere à inspirer facilement de l’amour. Ce fut assez dire qu’elle alloit rompre avec son Amant. En effet, elle se montra tellement changée pour luy, qu’imputant ce changement à une bizarrerie d’humeur, dont il auroit peine à la défaire, il prit luy-mesme insensiblement de la froideur, ce qui fut suivy de part & d’autre de quelques paroles aigres qui les obligerent à ne se plus voir. La jeune Veuve estant sortie si heureusement de l’engagement qu’elle avoit pris, ne songea plus qu’à l’Epoux qui luy estoit destiné. Elle le cherchoit par tout, & dés qu’elle voyoit un grand homme avec des yeux noirs, & un peu bien fait, à la promenade ou à l’Opera, il luy prenoit une émotion de cœur qui luy faisoit croire qu’il alloit naistre quelque incident qui l’engageroit à l’aborder. On ne voulut point précipiter trop les choses, & il se passa encore un mois tout entier sans qu’on la tirast de ses agitations. Enfin, on jugea qu’il estoit temps de faire paroistre le Cavalier, & on prit l’occasion d’un court voyage que la jeune Veuve se vit obligée de faire à douze lieuës de Paris. Il alla l’attendre au lieu où elle devoir dîner à son retour, & la voyant preste à descendre de Carrosse, il s’avança pour luy presenter la main, & la conduire dans le lieu le plus commode de l’Hostellerie. La Dame accepta cette honnesteté, & le seul hazard paroissant y avoir part, la prédiction luy frappa l’esprit. Elle remarqua dans le Cavalier la taille & les traits de celuy que luy avoit peint la Femme au Genie. Il ne restoit plus qu’à voir si la marque de son petit doigt se trouveroit juste. Elle mouroit d’envie de s’en éclaircir, mais il n’ostoit point son gand, & ce fut ce qui luy fit recevoir avec plaisir la proposition de dîner ensemble. A peine fut-il à table qu’elle découvrit ce qu’elle cherchoit. Le doigt désigné estoit plus court qu’il ne devoit estre, & recourbé par le bout. Elle n’eut plus à douter aprés cela que le Cavalier ne fust celuy qu’elle devoit épouser pour estre heureuse, & admirant dans cette rencontre la force de la destinée, elle marqua je ne sçay quel embarras qu’il eut sujet d’expliquer favorablement pour luy. Sa personne ne luy plut pas moins que ses manieres, & le trouvant d’un esprit aisé & agreable, elle s’applaudit secretement de l’impression que cette premiere veuë faisoit sur son cœur. Le Cavalier qui observoit tous ses mouvemens, par la connoissance qu’il avoit de la tromperie, s’apperceut bien-tost par le plaisir qu’elle sembloit prendre à tenir les yeux attachez sur luy, que ses affaires ne pouvoient être en meilleur chemin. L’entretien ayant roulé pendant le dîner sur diverses choses qui la regardoient, il feignit de la croire mariée, & luy demanda si elle avoit épousé un homme de Guerre ou de Robe. Elle répondit qu’elle estoit Veuve, ce qui ne devoit pas luy paroistre surprenant dans la jeunesse où il la voyoit, ses Parens luy ayant fait épouser un homme fort vieux avant qu’elle fust en âge de pouvoir choisir par elle-même. Le Cavalier luy dit force choses obligeantes sur le bonheur de celuy qu’elle croiroit digne d’elle ; & l’heure de partir estant venuë, elle luy offrit une place dans son Carrosse pour retourner à Paris plus commodement. Vous jugez bien qu’il ne la refusa pas. Le chemin leur parut fort court à l’un & à l’autre, par la douceur qu’ils trouvoient à estre ensemble, & la conversation que chacun d’eux égayoit, fut continuée encore un peu de temps chez la Veuve, qui permit au Cavalier de la conduire jusqu’en son appartement. Le lendemain, il vint luy rendre visite, & on luy fit un accueil si favorable, qu’il ne put douter de sa conqueste. Il continua de la voir les jours suivans avec tout l’empressement d’un homme charmé ; & quand la Veuve crut pouvoir se tenir seure de l’avoir assujetty, elle alla conter toute l’avanture à son Amie, qui quoy qu’informée par luy en secret du tour qu’avoient pris les choses, n’avoit point cru devoir se haster de joüer son personnage. La jeune Veuve luy dit que le Genie avoit fait merveilles ; que le Cavalier s’estoit trouvé tel qu’il l’avoit dépeint, & que le hazard avoit fait leur connoissance. Son Amie ne manqua pas d’aller chez elle dés ce même jour. Le Cavalier y estoit, & comme elle ne pouvoit cacher qu’il luy fust connu, elle s’écria en le voyant, & luy demanda de quel Pays il venoit. Il feignit d’estre surpris de la trouver Amie de la jeune Veuve, & luy parla de plusieurs voyages, qui depuis quelques années l’avoient arresté presque toujours en Province. La jeune Veuve eut beaucoup de joye de voir que le Cavalier estoit des Amis de son Amie. Elle espera que tout se concerteroit plus facilement par le moyen d’une Confidente, & que l’on auroit moins de peine à s’expliquer. Elle ne se trompa pas. L’Amie prit soin de concilier les choses, ce qui n’estoit pas fort difficile. Le Genie avoit levé toutes les difficultez. Le Cavalier à qui la Veuve sembloit toute aimable, ne pouvoit rien faire de mieux pour sa fortune que de l’épouser, & la Veuve persuadée qu’il y alloit de tout son bonheur d’estre sa Femme, se contentoit de trouver en luy un fort honneste homme, & n’estoit pas en estat de prendre garde à son peu de bien. Ainsi le mariage fut conclu en peu de temps avec une égale satisfaction des deux parties, qui trouvent dans leur parfaite union l’accomplissement de tous leurs desirs.

[Livres nouveaux] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 199-205.

C’est un si grand avantage que celuy d’estre honneste Homme, qu’il n’y a personne qui ne se donne cette qualité. Cependant c’est bien souvent à faux titre, & qui connoistroit tout l’interieur de ceux qui se piquent le plus de la meriter, y trouveroit beaucoup à redire. Pour n’y estre pas trompé, & se pouvoir là-dessus rendre justice à soy-mesme, il ne faut que lire attentivement un Livre nouveau, que debite le Sr Brunet, Libraire au Palais, intitulé Le Portrait d’un honneste Homme. Ce qui en doit faire l’essentiel y est peint avec des couleurs si vives, qu’on ne sçauroit s’y méprendre ; & si quelqu’un peut s’assurer d’estre tel que ce Portrait nous le represente, il a tout sujet de croire qu’il est veritablement ce qu’il y a tant de honte à n’estre pas. Cet Ouvrage est d’autant plus digne d’estre recherché, qu’il vient d’une personne extrémement éclairée & dont l’esprit soûtient avec gloire l’avantage d’estre d’une des plus considerables Familles de la Robe. C’est Mr l’Abbé Goussaut, qui a été Conseiller au Parlement de Paris, & qui a toujours passé pour un parfaitement honneste Homme. Aussi peut-on dire, qu’il s’est peint luy-mesme dans le Portrait qu’il nous donne. Les lumieres qui luy ont fait si bien découvrir tout ce qui fait un homme d’honneur, sont trop justes, pour avoir été puisées dans une source étrangere. Ce sont des veuës qu’on ne peut avoir si on ne les tire de son propre fond, & s’agissant des qualitez de l’ame & du cœur, il seroit comme impossible de faire une copie si parfaite & si ressemblante sur un Original emprunté. Mr l’Abbé Goussaut écrit agreablement & avec beaucoup de politesse. Ses raisonnemens qu’il appuye de l’autorité de l’Ecriture & des Peres, convainquent l’esprit, & font connoistre qu’il est également profond & sçavant. Je ne dis rien de son stile ; il est connu par d’autres Ouvrages, & sur tout par celuy qu’il donna au Public l’année derniere, sur les Défauts ordinaires des Hommes & sur leurs bonnes qualitez. Ce Livre qui a plu à tout le monde, fut fait sur la disposition d’un autre qui a déja paru, & qui a seulement pour Titre, des Défauts d’autruy. Si la matiere n’en étoit pas tout-à-fait nouvelle, le tour qu’il a pris en la traitant est si different, que la seule conformité qui s’y trouve est l’arrangement & la Table des Chapitres.

J’ay encore à vous parler d’un excellent Livre, quoy qu’il ne soit pas nouveau. Vous m’avez mandé qu’on étoit fâché dans vostre Province qu’on eust fait chercher inutilement les Dialogues des Morts, de Mr de Fontenelle. Il est vray que le Sr Brunet qui les vend en a manqué quelque-temps, mais on en a fait depuis peu une quatriéme Edition fort correcte, qui satisfera les Curieux. Il y a certains Ouvrages que le Public demande toujours, & que l’on prend soin de conserver. Celuy-là est du nombre, & l’impression qu’on en vient de faire, en attend encore une autre.

[Divertissemens de la Cour à Fontainebleau, & son retour à Versailles] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 303-305.

 

La Cour est de retour de Fontaine-bleau, où le Roy, & le Roy de la Grande Bretagne, ont pris le divertissement de la Chasse, accompagnez de Monseigneur le Dauphin, & des Dames, en habit de Chasse, que Sa Majesté a regalées pendant tout ce voyage, aussi bien que la Cour d'Angleterre. Il y a eu tous les soirs Appartement ou Comedie, & la Princesse d'Elide y a été joüée avec tous les ornemens qui en ont formé le spectacle dans sa nouveauté. Le Roy qui s'est toujours appliqué à des affaires plus serieuses, n'a point vû ces divertissemens, mais il a donné des plaisirs plus sensibles à la Cour d'Angleterre, dont la devotion est connuë, & pour faire voir à la Reine que les Maistres de sa Musique travailloient avec une extréme vitesse, & que sa Musique executoit en fort peu de temps, Sa Majesté donna à cette Princesse deux Pseaumes à choisir pour faire mettre en Musique. La Reine ayant choisi celuy qui commence par, Usquequo Domine obliviscere, le Roy le donna à Mr de la Lande, Surintendant de la Musique de sa Chambre, & l'un des quatre Maistres de Musique de sa Chapelle. Il se trouvoit pour lors en quartier, & ce Pseaume ayant esté chanté peu de jours aprés, fut fort applaudy des deux Cours, qui l'on entendu plus d'une fois.

[Lotterie preste à tirer] §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 306-307.Voir également à ce sujet cet article et cet article.

 

Vous ne serez pas fachée d'apprendre que la Lotterie de Mr Philidor, Ordinaire de la Musique de la Chambre du Roy, pour sa maison de Versailles, sera tirée sans aucun delay à la S. Martin, par Madame la Princesse de Conty. Ceux qui seront assez heureux pour y faire recevoir leur argent, cette Lotterie estant sur le point d'estre fermée, auront l'avantage de n'estre pas long-temps sans apprendre ce que la fortune aura résolu en leur faveur.

Air nouveau §

Mercure galant, octobre 1692 [tome 13], p. 311-312.

L'Air nouveau dont vous allez lire les paroles, est de la façon d'un fort habile Musicien.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air doit regarder la page 312.
Absent des yeux de Celimene,
Tous les plaisirs ne sont que peine,
Que chagrin, fatigue & langueur,
Va viste, Amour, sonder son cœur,
Si je le puis trouver propice,
Je te promets un sacrifice
Qui couronnera mon bonheur.
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