1699

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11].

2017
Source : Mercure galant, novembre 1699 [tome 11].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11]. §

[Sonnet] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 5-8.

Quoyque je vous aye déja envoyé plusieurs Ouvrages sur la Paix concluë à Riswick, le Sonnet que je fais servir de commencement à cette Lettre, est trop beau pour pouvoir me dispenser de vous l’envoyer, sur ce que la matiere n’en est pas nouvelle. Il a pleu à tous ceux qui l’ont entendu lire, & je suis persuadé qu’il ne vous plaira pas moins.

AU ROY.

Appliqué dés l’enfance au bien de tes Sujets,
Dans tes Estats troublez tu dissipas l’Orage ;
Et ton amour pour eux, par de justes arrests,
Du Demon des Duels sçeut étouffer la rage.
***
Dans un âge plus meur, plein de vastes projets,
On te vit traverser les Fleuves à la nâge,
Vaincre tes Ennemis, leur imposer la Paix ;
Et l’Heresie éteinte acheva ton ouvrage.
***
À ce coup, tout l’Enfer s’éleva contre toy,
Tu triomphois encore ; en cet instant, grand Roy,
Ton peuple gemissant s’offrit à ta memoire.
***
La tendresse de Pere arresta le Heros,
Et quels que soient tes faits, ta plus belle Victoire,
Est d’avoir immolé ta gloire à son repos.

[Le Solitaire, ou l’éloignement des Emplois] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 78-89.

J’espere que vous serez contente de l’Ouvrage que je vous envoye. Il est de Mr de Cantenace, Chanoine de l’Eglise Metropolitaine de Bordeaux.

LE SOLITAIRE,
Ou l’éloignement des Emplois.

Desabusé du monde & de l’erreur commune
Qui mesure la gloire aux biens de la Fortune,
Je ne m’agite plus des soins d’en acquerir,
Et m’occupe en repos à songer à mourir.
Sur les bords d’un grand Fleuve, où l’Onde tributaire
Va rendre à l’Ocean son hommage ordinaire,
Solitaire & content dans ma pauvre maison,
Des vanitez du temps j’affranchis ma raison.
Saintement rebuté des maximes du monde,
Helas ! dis je, on voit moins d’inconstance dans l’Onde,
Tous ses Flots mugissans, & leurs noires vapeurs,
Cachent moins de perils, que ne font les grandeurs,
La Cour est une Mer qui n’a point de bonace,
Quelque Orage toûjours s’y forme & nous menace,
Et le plus élevé peut à peine éviter
Les Ecüeils où son fort le va précipiter ;
Mais, dira-t’on, la Cour n’est pas comme nos Villes,
Où l’on a des emplois moins grands & plus tranquiles,
Où sous l’autorité d’un juste Potentat,
On sert utilement, ou l’Eglise, ou l’Estat.
Mais les plus doux emplois suivis de mille peines,
Ont des attachemens qui sont autant de chaînes,
Il en couste beaucoup pour s’en bien acquiter,
Qui n’en est pas captif, ne peut les meriter.
Il est vray que la mode en bannit la contrainte,
On neglige souvent la Charge la plus sainte,
Et content de l’honneur, ou du bien qui la suit,
On ne s’attache guere aux soins qu’elle produit.
Un jeune Rapporteur qu’un Procés embarrasse,
En commet à son Clerc l’importune Liasse,
Et sur son Tribunal prononce des Arrests,
Qui sont déja payez au Clerc qui les a faits.
Ainsi tous les chagrins d’une pesante Charge,
Touchent peu l’Officier qui souvent s’en décharge,
Un autre en a les soins, il n’a que les plaisirs,
Du lucre, & des honneurs qui bornent ses desirs.
Mais cette erreur injuste & ces lâches Maximes,
Font naistre le désordre, & causent mille crimes.
Quelque Charge qu’on ait, la raison nous apprend,
Que qui ne la fait pas, dérobe ce qu’il prend.
Chacun faisoit jadis tout ce qu’il devoit faire,
Et le Pasteur faisoit ce que fait son Vicaire.
Le Prelat vertueux n’employoit pas ses biens
A remplir son Palais de Chevaux & de chiens,
Les mets les plus friands ne couvroient pas sa table.
Affable à tout le monde, aux pauvres charitable,
À ses pieux devoirs saintement attaché,
Il pratiquoit toûjours ce qu’il avoit presché.
Tout ce faste éclatant de la grandeur humaine,
N’épuisoit pas alors les fruits de son Domaine,
Le pauvre, & les Autels le partageoient toûjours,
Et tout leur revenoit à la fin de ses jours,
Touchons un autre abus que la mode autorise,
Combien voit on de gens dans l’Etat, dans l’Eglise,
Indignes des emplois, dont ils sont revestus,
Faire une guerre ouverte à toutes les vertus ?
Alidor qu’on employe au régime des ames,
Fait pourtant le Coquet, badine avec les Dames,
Croit monter, par l’orgueil, au rang des beaux esprits,
Et prétend d’enseigner ce qu’il n’a pas appris,
Tel qui n’a jamais leu ny Code, ni Digeste
Dont l’ignorance crasse est aux plaideurs funestes
Sortant de la bassesse où son sort l’avoit mis,
Souille avec son argent, l’éclat des Fleurs de Lys.
En tous états le luxe, ou le libertinage,
Etouffe les devoirs où l’honneur nous engage,
On court à la débauche, & la pluspart des gens,
Avilissent leur Charge, & faussent leurs sermens.
Mais peut-on abuser nostre Monarque Auguste,
Qui toûjours éclairé, ne fait rien que de juste,
Et les sujets qu’il nomme à differens emplois,
Ne sont-ils pas sans tache, & dignes de son choix ?
Il est vray que ce choix marque un merite insigne,
Et que pour l’obtenir, il faut en être digne
Mais lorsque Dieu forma le premier des humains,
N’étoit-il pas tout pur en sortant de ses mains ?
Cependant abusé d’une fausse esperance
Dans un Paradis même il perdit l’innocence.
Tels deviennent souvent par de nouveaux honneurs,
Ceux dont on admiroit la sainteté des mœurs.
C’est le penchant de l’homme, il a beau se contraindre,
Plus il est élevé, plus sa chute est à craindre.
Le plaisir, l’abondance & l’éclat des grandeurs,
Sont le piege fatal où trébuchent nos cœurs.
Nostre foible vertu que tant d’objets combattent,
Ne résiste qu’à peine aux douceurs qui l’abattent,
Et le comble des biens pervertit autrefois,
L’incomparable esprit du plus sage des Rois.
Des grandeurs toutefois l’attrait le plus sensible,
N’est pas aux saintes mœurs, un obstacle invincible,
L’on peut devenir Saint & grand tout à la fois.
Tel paroist aux mortels le plus grand de nos Rois.
L’Invincible LOUIS, grand par tant de Conquestes,
A lever vers le Ciel tient ses mains toûjours prestes ;
Il trouve en couronnant ses exploits immortels
Le comble de sa gloire au culte des Autels.
Mais a-t-il son pareil, dans le temps où nous sommes,
Puisqu’il est le plus grand, & des Rois & des hommes,
Et qu’en executant tous ses pieux desseins,
Il marche dignement sur les traces des Saints ?
L’Eglise a des Pasteurs dont la vie exemplaire
Fait briller saintement leur divin Caractere,
Qui pieux & sçavants, comme aux Siecles passez,
Sont dignes du haut rang où Dieu les a placez.
Il est des Magistrats dont la vertu sublime,
Protege l’innocence, & condamne le crime,
Qui dignement munis du pouvoir de nos Rois,
Ne violent jamais la sainteté des Loix.
Mais enfin on est homme, & dés nostre naissance,
Nous sommes tous sujets au vice, à l’inconstance.
Comme un leger festu qui tombe au moindre vent,
Nostre vertu chancele & trébuche souvent,
Mais dans la solitude elle devient tranquille,
Contre nostre foiblesse elle y trouve un azile,
À couvert des chagrins & des soins dangereux,
On fuit des faux plaisirs les attraits malheureux.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 89-92.

Les Vers qui suivent ont été mis en air par Mademoiselle Bataille. C'est une jeune personne de seize ans, qui possede a fonds la Musique, & le Clavessin. Elle execute à livre ouvert les pieces les plus difficiles, & les transpose sur tous les tons qu'on veut, avec une facilité qui passe l'imagination. Plusieurs Maistres des plus habiles qui on été témoins de ce qu'elle sçait faire, ont esté surpris de sa capacité. Elle enseigne aux personnes de son sexe, & va donner ses Leçons accompagnée d'une Mere, dont la sagesse & la conduite paroissent avantageusement dans l'éducation qu'elle s'est attachée à luy donner. Elle demeure dans la ruë Christine, entre Madame de Monchal, & Mr de Montelon.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Bacchus dont j'aime la liqueur, doit regarder la page 91.
Bacchus dont j'aime la liqueur,
Dispute avec l'amour l'Empire de mon cœur,
Je sens balancer la Victoire.
Vous pouvez, belle Iris, les accorder tous deux,
Je seray toûjours amoureux,
Si vous voulez me laisser boire.
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[Le Ramonneur, conte] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 126-135.

Le Conte que je vous envoye vous divertira, il est de Mr de Vin.

LE RAMONNEUR
pris pour un Spectre.

Veux-tu remplir ton cœur d’une masse asseurance,
Et ne point te troubler au plus affreux aspect ;
Vy bien, & pour ton Dieu plein d’un pieux respect
 Ne mets rien sur ta conscience,
 Qui de la plus legere offence
 Paroisse même estre suspect.
***
Maistre Grippon, chez luy retournoit plein de joye,
D’un Ecu qu’à la boulle il venoit de gagner,
Et de toutes ses dents s’apprestoit à donner,
 Sur un Dindon qu’âpre à la proye
 Depuis deux jours ce Procureur
 Avoit escroqué d’un plaideur.
Déja pantoufle au pied, bonnet de nuit en teste,
 Et robbe domestique au dos,
D’une sçavante main il mettoit en morceaux,
 La grosse & succulente beste.
 Déja dans l’appetit glouton
Qu’excitoit de son jeu le penible exercice,
Il s’estoit emparé du milieu d’une cuisse ;
Déja son maistre Clerc en habile garçon,
Avoit coupé le pain, & tourné la Salade ;
Déja même, déja d’une grande rasade,
On le voyoit sourire au brillant gracieux,
Quand plus noir qu’un charbon, un Ramonneur maussade,
Vint s’offrir, tel qu’un Spectre, à ses timides yeux.
 Il sortoit de la Cheminée,
 Et dans son ame consternée
Cet objet impreveu jetta tant de frayeur,
 Que de ses gains illegitimes,
 Il crût que le démon vangeur
 S’élançoit du fond des abîmes,
 Pour l’en punir comme un voleur.
À cet affreux aspect, & dans cette pensée,
Il frissonne, il paslit, & ce grand trait de Vin
Qu’il s’apprestoit de boire, échappe de sa main.
 À son tour sa femme pressée
Par le prompt souvenir de sa pudeur blessée,
S’imagina du Ciel que le juste couroux
Ne cherchoit qu’elle seule, & vangeoit son Epoux.
Enfin voyant Lacquais, Enfans, Clercs & Servantes,
 Prendre la fuite d’épouvente,
Ils quitterent la table, & sur leurs pas tous deux,
Plus tremblans qu’ils n’étoient, se sauverent comme eux.
Le Spectre prétendu par là resté le maistre,
 De la Salade & du Dindon,
 Donna dessus, & mieux peut-estre
 Que n’eust fait l’affamé Grippon.
 De toute cette énorme beste
Bien-tost il n’en resta que les os & la teste,
 Ou plutost il n’en resta rien,
Car il fut de Grippon secondé par le chien,
 Qui sans imiter sa bévûë,
 Loin que d’un mets si délicat,
 Il pust quitter l’objet de veuë,
Voulut se regaler de ces restes du plat.
Cependant revenu de sa terreur panique,
 Et rasseuré par ses amis,
 Accourus au bruit patetique
 Qui s’étoit fait dans son logis,
 Grippon avec un Commissaire
Retourna dans la Salle, & du Spectre apparu,
 Assis, beuvant & bien repu
À sa confusion découvrit le mistere.
 D’abord par un verre de vin
 Qu’il tenoit encore à la main,
Sorty de son erreur, quoy, dit-il en colere,
Venu pour me voler tu bois mon bourguignon ?
 Ça, ça, Monsieur le Commissaire,
Conduisez sur le champ ce coquin en prison,
 Et que bien-tost une potence
Punisse aux yeux de tous une telle insolence.
 Il faut pourtant, maistre fripon,
Avant que de mourir me payer mon Dindon.
 Ah ! répond-il, à la menace
 Vous vous en tiendrez, s’il vous plaist,
 Et malgré vostre injuste Arrest
 Je ne crois pas qu’on ait l’audace
Quand même à ce Dindon j’aurois joint deux poullets,
 De passer jusques aux effets.
Ce Cas, Monsieur, n’est pas pendable,
 Et si dévorer dans sa faim
 Tout ce qu’on trouve sous sa main
 Est un crime, il est pardonnable.
Je ne suis cependant ny coquin ny voleur,
Mais à vostre service un pauvre Ramonneur,
Qui dans un Four 1 voisin jetté par violence,
 Estant peu Soldat & sans cœur,
Ay crû, pour m’en sauver, devoit en conscience
 Déployer toute ma science.
 Par le toit de cette Prison
 J’ay gagné vostre cheminée ;
Trop heureux si je puis obtenir le pardon,
De la terrible peur que je vous ay donnée.
 Enfin du plus maudit des Fours,
Echappé par bonheur à jeun, depuis trois jours,
 Je ne crois pas estre coupable
Ny de mon appetit, ny de ce brusque effroy,
 Qui vous a forcé malgré moy
 De m’abandonner vostre table.
Bonne comme elle étoit, aussi-tost j’ay pensé
Que vostre évasion m’exhortoit à m’y mettre ;
J’en avois grand besoin, je m’y suis donc placé,
 Ainsi qu’on sembloit le permettre
Quel autre en cas pareil s’en seroit dispensé ?
Je vous diray de plus qu’en Ramonneur honneste,
J’ay fait à vostre chien bonne part du Dindon,
Quand il s’est de luy même invité de la feste.
Est ce mal en user ? Pour vostre Bourguignon,
Ma foy, je l’ay bû seul, & je le trouve bon.
Agréez, s’il vous plaist, qu’on vous en felicite,
Et que, vostre obligé, là-dessus je vous quitte.
Grippon de son Souper dans la faim qu’il avoit,
 Se voyant seuré, ne pouvoit
 S’appaiser ny se satisfaire
 De la douceur du compliment,
 Et vouloit que le Commissaire
 En prison menast ce Gourmand,
 Mais enfin forcé de souscrire
 Aux raisons de tous ses Amis,
Le Ramonneur sortit d’abord qu’il l’eust permis,
 Et de tout on ne fit que rire.

[Madrigal] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 135-137.

Je vous envoye un Madrigal de Mr Dader, qui fut envoyé à Madame la Marquise S. Prié, le jour de la Feste de S. François, dont elle porte le nom.

MADRIGAL.

Dans le fond d’un désert, on dit que le Demon
Pour triompher du Saint dont vous portez le nom,
Jadis luy presenta le portrait d’une femme,
 Capable d’ébranler son ame.
Ce grand Saint surmonta cette tentation,
Et de vaincre Satan cet Atlete eut la gloire :
Mais s’il eust pû vous voir en cette occasion,
Je ne sçay qui des deux auroit eu la victoire.

[Sonnet contre le Jeu] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 137-139.

Monsieur Morelet, Auditeur en la Chambre des Comptes de Bourgogne, a fait le Sonnet qui suit.

CONTRE LA FUREUR
du Jeu.

Quel démon ennemi du repos de la vie,
Aux avides mortels, du soir au lendemain,
Met tous les jours les dez ou des cartes en main,
Et pousse à ce désordre, & Damon & Silvie ?
***
Souvent à se régler la raison les convie ;
Helas ! contre l’usage elle travaille en vain.
Des Jeux on veut sentir le caprice inhumain,
C’est toûjours à ce prix qu’on en quitte l’envie.
***
Qu’est devenu le temps ou Bacchus & l’Amour,
Dans nos cercles heureux paroissoient tour à tour ?
Lansquenet, Pharaon, vous regnez en leur place ?
***
Il est vray qu’à vous suivre on voit perir son bien,
Mais d’un si triste sort bien loin qu’on s’embarasse ;
On ne fuit vos rigueurs, que quand on n’a plus rien.

[Idille] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 139-144.

J’ajoûte un Idille qui ne vous déplaira pas. Il est de Mr de la Blanchere.

LES RUISSEAUX.

 Ruisseaux, que vostre sort est doux !
Toûjours gais & riants, vous suivez dans la plaine
 Le doux penchant qui vous entraîne,
 Et si quelquefois parmi vous,
Vous vous liez d’une éternelle chaîne,
Vostre union ne fait point de jaloux.
Vous ranimez la mourante nature.
 En vain le retour du Printemps.
Rameneroit les Fleurs & la Verdure,
 Sans vous nos Vallons & nos Champs
Perdroient bientost leur naissante parure.
 Rien ne trouble vostre repos.
Rien n’arreste le cours de vos paisibles Eaux ;
 Des passions vous ignorez l’usage,
Vous ne rendez jamais aucun servile homage.
 Helas, Ruisseaux, ce n’est que parmi vous,
 Qu’on voit regner le calme & l’innocence !
 L’union & l’indépendance ;
Ces tranquilles douceurs ne regnent plus chez nous.
Nous avons, il est vray, la raison en partage,
 Mais en connoissons-nous l’usage ?
L’homme est toûjours la dupe de son cœur,
Il ne joüit jamais d’un assuré bonheur ;
La vanité le suit, l’ambition le guide,
De richesses, d’honneurs il est sans cesse avide.
 En vain il croit contenter son esprit,
Il ne peut estre heureux même quand tout luy rit.
En proye aux durs remords que fait naître le vice,
Il erre incessamment de supplice en supplice.
Ce qui tantost luy plaist, bientost aprés luy nuit,
Il cherche le repos, mais le repos le fuit.
 Hélas Ruisseaux, faut-il que la nature
 Soit pour nous inflexible & dure,
  Tandis qu’elle répand sur vous
  Ses bienfaits les plus doux.
  Mais, pourquoy vous porter envie !
C’est trop en vains regrets consumer nostre vie,
 Allez, Ruisseaux, courez toûjours ;
Nos peines dureront autant que vostre cours.

[Dictionnaire de Moreri] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 171-173.

On vient de faire encore une Edition nouvelle du fameux Dictionnaire de Moreri. Non seulement on a mis par ordre alphabetique, le troisiéme volume qui servoit de supplément aux deux premiers qui avoient paru depuis longtemps, mais on y a joint plus de quinze cens articles nouveaux, qui ne se trouvent dans aucunes des Editions qui en ont esté faites jusqu’à aujourd’huy. Ce grand ouvrage si utile à tout le monde, est presentement en quatre volumes. Le Sr Coignard qui le debite, a eu l’honneur de le presenter au Roy qui l’a receu agreablement.

[Réponse de Mademoiselle de Scudéry à Mr l’Abbé Genest] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 173-178.

Vous avez vû dans l’une de mes dernieres Lettres, la description des divertissemens qu’a pris Madame la Duchesse du Maine dans une charmante solitude que cette Princesse avoit choisie, pendant que la Cour étoit à Fontaine bleau. Mr l’Abbé Genest, de l’Academie Françoise, qui avoit adressé cette description à l’Illustre Mademoiselle de Scudery, en a receu la réponse que vous allez lire.

À MONSIEUR
l’Abbé Genest.

 Quand on sçait regler ses desirs,
 On trouve d’innocens plaisirs ;
 J’en découvre dans vostre ouvrage,
 Une tres agréable image.
 Vous en parlez si galamment,
 Quoyque ce soit tres-sagement,
 Qu’à la vertu la plus severe
 Vous avez trouvé l’art de plaire ;
 Mais je ne m’en étonne pas,
 Car la Princesse a tant d’appas
 À qui vous consacrez vos veilles,
Que pour la contenter vous faites des merveilles.

En effet, Monsieur, vous me donnez une idée de cette Princesse qui me charme ; je la vois toute aimable, toute belle & toute parfaite. Ce n’est pas seulement à la peindre que vous excellez. Les autres Portraits que vous faites sont de même si bien touchez & si vrais, & vos descriptions si vives & si attachantes, que je soûtiens hardiment qu’entre tous les plaisirs qu’on peut avoir, celuy de lire vôtre ouvrage est le plus noble, le plus grand & le plus innocent. En rendant justice au rare merite de cette Princesse, Monsieur, vous faites connoistre le vôtre d’une maniere si avantageuse, qu’on ne peut s’empêcher de vous admirer. J’ay assez lû en François en Italien, en Espagnol & en Portugais, & je n’ay rien vû en ces quatre Langues de plus agreable & de plus achevé que vostre Lettre. L’honneur que vous m’avez fait, Monsieur, de parler de moy en loüant une si charmante Princesse, m’empêche de m’étendre davantage sur vos loüanges, & j’aime mieux finir par un Madrigal pour elle.

À MADAME
la Duchesse du Maine.

Princesse à qui tout rend hommage,
 Vous estes jeune, belle & sage,
Et vous avez choisi les innocens plaisirs,
Dignes de contenter les plus justes desirs.
 Ce beau choix vous comble de gloire,
Et se fait approuver des Filles de Memoire.
Par elles vostre nom est déja si vanté,
Qu’il passera sans doute à l’Immortalité.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 178-179.Le poème figure dans les Poésies galantes de Madame de Sainctonge (Paris, Guignard, 1696, p. 69, cf. LADDA 1685-06).

L'Hiver qui approche a donné occasion de faire les Vers que je vous envoye gravez.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Reviens affreux Hiver, doit regarder la page 178.
Reviens, affreux Hiver, regne dans nos boccages,
N'épargne pas nos fleurs, fais mourir nos ombrages ;
Que nos Troupeaux éprouvent ta rigueur.
Je suis aimé de ma Bergere,
Tu ne sçaurois glacer son cœur,
Le reste ne m'importe guere.
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[Ouverture des Audiences du Parlement & de la Cour des Aides & Mercuriale faite en la grande Chambre] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 184-185.

L'Ouverture du Parlement se fit le Jeudy 12. de ce mois. Elle commença par une Messe Solemnelle, qui fut celebrée par Mr l'Evesque Duc de Laon à la Chapelle de la Grande Salle du Palais accompagnée d'une excellente Musique de la composition de Mr Charpentier, Maistre de celle de la Sainte Chapelle.

[Retour à la santé de Mr le Begue] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 222-225.

Je ne suis point étonné, Madame, que l'interest que vous avez toûjours pris aux personnes qui se sont distinguées dans quelque profession, vous ait donné de l'inquietude pour Mr le Begue, également recommandable par sa rare pieté & par l'excellence son Art. Il est vray que souffrant de grandes douleurs depuis quelques mois, aprés une Consultation autentique, & des prejugez qui ne laissoient point douter qu'elles ne luy fussent causées par la pierre, il s'est resolu à souffrir la taille. C'estoit beaucoup hazarder pour un homme qui a plus de soixante ans, mais Mr Colo, l'un des plus habiles & des pus experimentez en ce genre d'Operation, qui ayent paru jusques à present, l'a faite si à propos, que le succés a répondu à tout ce qu'on s'estoit promis de son adresse. Ce fut au commencement du mois passé que Mr le Begue s'y exposa. Pendant toute l'operation, l'une des plus douloureuses qu'il y ait, il demeura ferme sans rien dire que ce que son coeur veritablement Chrétien luy inspiroit par des mouvemens & des inspirations interieures. Enfin au bout de huit jours il se trouva hors de tout peril, & il est presentement dans une santé parfaite, n'attendant plus que l'heureux moment de rentrer dans le servie de la Chapelle du Roy, dont il est l'un des quatre Organistes, aussi bien qu'il l'est de l'Eglise de Saint Mederic. Vous savez que Sa Majesté l'honore d'une estime particuliere, & qu'il ne revient jamais de la Cour qu'il ne soit chargé d'applaudissemens.

{Satire sans chagrin} §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 244-250.

Les Satyriques seroient excusables s’ils ressembloient à l’Auteur de l’ouvrage que vous allez lire.

SATIRE
sans chagrin.

Non, je ne me fais pas un plaisir de médire.
Je haïs les traits hardis que lance la Satire,
Dans mes Vers, dans ma Prose, on ne me voit jamais
Couvrir le bon costé pour montrer le mauvais.
Si je parle des mœurs, je les peins sans malice,
Et s’il est à propos j’épargne jusqu’au vice.
J’éleve à la beauté des Autels précieux,
Et je rens la laideur supportable en tous lieux.
S’il falloit de Philis, cette Coquette usée,
Faire un Portrait parlant & digne de risée,
Je me garderois bien de grossir les objets ;
En les adoucissant je rendrois traits pour traits,
Ou du moins je dirois, elle fut jadis belle,
Et l’on en peut juger par ce qui reste en elle.
Je dirois que ses yeux éteints & languissans,
Se trouvent affoiblis par la force des ans,
Et je ne dirois pas sur pareille matiere,
L’horreur est à l’abry sous sa noire paupiere.
 Pour bien peindre son teint de diverses couleurs,
Je voudrois l’appeller un teint de nulles fleurs.
Ainsi d’un air naïf, & sans luy faire injure,
Je representerois & l’art & la nature,
Je traiterois l’esprit de même que le corps,
Les défauts du dedans comme ceux du dehors,
Et venant à parler de sa galanterie
J’y joindrois pour excuse un peu de flatterie
Et déguisant les traits qui pourroient la tacher,
Je me garderois bien de la vouloir fâcher,
Par des termes choisis je la ferois connoistre,
Enfin je conduirois mon ouvrage en bon maistre.
 De même, si Triphon me servoit de sujet,
Je tascherois d’en faire un agreable objet,
Triphon de qui l’esprit & l’humeur & la mine,
Pourroient fortifier une Satyre fine
Triphon qu’on vit un jour, quittant son air hautain,
Renoncer à l’amour pour se donner au vin,
Pour en prendre à long traits en beuvant des rasades,
Et passer chez Cloris jusques aux incartades,
Y perdre le respect, y manquer au devoir,
Qu’un veritable Amant doit toûjours faire voir,
Injustement fâché, s’oublier de la sorte,
Qu’on le vit s’emparer de l’employ de la porte,
La hallebarde en main insulter les passans,
Marcher, & ne trouver par tout que pas glissans.
N’est ce pas là dequoy former une Satire ?
Cependant qu’ay je dit qui ne soit bon à dire ?
Y pourroit on trouver sujet de corriger,
Triphon aime le vin, Bacchus le rend leger,
Rebelle à sa Cloris, emporté, colerique,
Et je le nomme ainsi sans estre satirique,
Au lieu que nostre amy qui tourne tout en mal,
L’auroit au moins traité d’yvrogne & de brutal,
 En cela, comme en tout, chacun à sa méthode,
Et comme le nouveau donne cours à la mode,
J’estime qu’un Auteur qui parle du prochain,
De ces sortes d’écrits doit oster le venin,
Et ne pas imiter ceux contre qui l’on gronde,
Pour oser à leur gré déchirer tout le monde.
 Si l’on veut habiller la Satire en leçon,
Il faut l’envelopper d’agreable façon,
Des moindres saletez éloigner les idées,
Et que les veritez s’y trouvent bien fondées.
Sans cela la Satire, au lieu de divertir,
Cause un juste dégoust, qu’on ne peut trop sentir.
Si sur ce grand sujet je parois trop modeste,
Qui croira faite mieux, pourra dire le reste.

[Vers sur le départ de Madame la Comtesse de Salibery] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 260-263.

Ce qui suit est une traduction des vers Anglois, qui ont esté faits par Mr le Chevalier Baber, sur le départ de Madame la Comtesse de Salisbury, qui estoit à Paris ces jours passez, & qui en est partie pour aller à Rome, & pour voir ensuitte toute l’Italie, l’Allemagne, la Flandre, & la Hollande. Le Roy luy a fait des honneurs particuliers, comme à une Dame, aussi distinguée par son merite, que par sa naissance. La traduction est fort littérale, & Mr Ranchin qui l’a faite, s’est entierement attaché aux termes Anglois.

 S’il se pouvoit, belle Etrangere,
Que vous pussiez par tout prendre autant de plaisir,
Que vostre aspect divin a coustume d’en faire,
Chacun dans le Climat qu’on vous verroit choisir,
 S’empresseroit de vous offrir.
Une demeure heureuse, & digne de vous plaire.
***
 Vous, qui de tout le genre humain
 Estes le charme & la merveille,
 Pourrez-vous dans vostre chemin,
 Jamais trouver vostre pareille ?
Verrez-vous plus d’esprit & des charmes plus doux,
 Que vous n’en portez avec vous ?
***
Si dans divers Etats vous faites des voiages,
 C’est pour apprendre seulement
 La forme du Gouvernement,
 Les Coutumes & les Langages.
***
 Et cependant on sçait tres-bien,
Quand de vostre merite on a la connoissance,
Que le voiage ne peut rien
 Ajoûter à vostre science ;
Et comme par le feu de vos divins appas
Les cœurs sont enflamez, les ames échauffées,
 Vostre langue ne manque pas
D’élever à l’Amour de glorieux trophées.
***
Ceux qui peuvent vous aprocher
Sont charmez de vostre presence ;
Mais ils ne peuvent s’empêcher
 De soupirer de vostre absence.

[Journal de ce qui regarde M le Duc de Lorraine] §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 271-288.

On descendit au Palais Royal, dans l'Appartement qui avoit esté preparé pour Mr le Duc de Lorraine, & aprés qu'on s'y fut reposé quelque temps, on alla à l'Opera. [...]

Le Vendredy matin, Monsieur le Duc de Lorraine, alla voir l'Eglise de Nostre-Dame & l'Arsenac. Ce Prince alla l'apresdînée au Château de Meudon, dont il vit les Apartemens, & les Jardins. Il revint ensuite à Paris a l'Opera de Proserpine.

Le Samedy, il alla voir les Ecuries, les Eaux & les Jardins de Versailles, Trianon & la Menagerie, & au retour, ce Prince alla à l'Hostel des Comediens François où l'on joüa l'Athenaïs.

Le Dimanche il alla à la Chasse au Loup. L'apresdînée il prit le divertissement d'un Opera nouveau, intitulé Martesie dont la Musique est de Mr Destouches, & le soir, Mr le Comte de Marsan luy donna un magnifique soupé.

[Erratum]* §

Mercure galant, novembre 1699 [tome 11], p. 291.

Dans les Stances à Mr de Pointis, page 167. au lieu de On voit encore ta gloire, il faut On voit briller ta gloire.