1701

Mercure galant, février 1701 [tome 2].

2017
Source : Mercure galant, février 1701 [tome 2].
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Mercure galant, février 1701 [tome 2]. §

Epitre au Roy, Sur le départ du Roy d’Espagne §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 5-21.

L’épitre en Vers qui sert de commencement à cette Lettre, n’a point besoin d’éloges. Elle est de Mr de Senecé, dont tous les Ouvrages ont merité l’estime des premieres Personnes du monde. Celuy-cy est pour le Roy, & le sujet en est beau. Je ne vous diray rien davantage, pour ne pas reculer de quelques momens le plaisir que vous doit donner cette lecture.

EPITRE AU ROY,
Sur le départ du Roy d’Espagne.

Des plaisirs les plus doux la source est mélangée,
Et d’un peu d’amertume elle est souvent chargée.
Grand Roy, vous l’éprouvez dans cet évenement,
Qui fait de vostre Histoire un si riche ornement ;
Mais pendant que l’Espagne à vos pieds prosternée,
Change en profonds respects une haine obstinée,
Pendant que de son cœur l’amour chassant l’effroy,
S’incline à vos vertus, & vous demande un Roy,
Que pour luy rendre hommage un même zele inspire
Tous les membres épurez qui forment ton Empire.
Que pour graver ce fait sur des tables d’airain,
Les Tacites François aiguisent leur burin.
Que la Prose, les Vers, les Odes, les Harangues
Celebrent ce bonheur en cent diverses Langues,
Que par trop d’abondance Apollon rebuté,
Hesite sur le choix, & craint la pauvreté,
Qui croiroit qu’à ma Muse une ardeur imprévûë
Fournit sur ce succés un autre point de vûë,
Et que par des sentiers qu’aucun n’osa fouler,
Sa tendresse y trouvast dequoy vous consoler ?
Permettez-le, grand Roy ; pour peu qu’on la retouche,
La douleur s’affoiblit, & devient moins farouche,
Et la reflexion puissante à l’appaiser,>
La tourne en habitude, & la fait mépriser.
 Appartement de Seaux, curieuse structure,
Qui d’arbres précieux épuisas la Nature,
Si de tes Cabinets les lambris si vantez,
Des Chesnes de Dodone avoient les facultez,
S’ils pouvoient s’énoncer en voix intelligibles,
Que n’apprendroit-on point de ces momens sensibles,
Où l’amour (quoy qu’Ovide autrement ait chanté)
L’unit parfaitement avec Sa Majesté ?
Que tu m’épargnerois d’inutiles tortures,
Si l’on sçavoit par toy ces hautes avantures.
Ces discours de Louis, où l’art fut si puissant,
Qu’on ne les redit point qu’en les affoiblissant.
Heureux qui comme toy les puise dans sa source.
Juste Ciel, ma disgrace est-elle sans ressource,
Et ne puis-je esperer d’entendre encore un jour
Cet Oracle des Rois au milieu de sa Cour.
Elle parut enfin cette triste journée,
Qu’à se priver d’Anjou Louis a destinée :
(Car malgré ces dehors jaloux de la grandeur,
Il est encore Anjou, grand Roy, pour vostre cœur.)
Jamais, lors que David au Trône de Judée
Résolut de placer le Fils de Bersabée,
On n’entendit sortir sur cet auguste employ,
De plus saintes leçons de la bouche d’un Roy.
Adorez du Seigneur la puissance suprême,
Qui met sur vostre front l’honneur du Diadême.
Autant qu’il vous éleve au dessus des Mortels,
Mon Fils, abaissez-vous aux pieds de ses Autels.
Avec sincerité, de l’Etat Catholique
Epousez l’interest, les mœurs, la politique,
Cherissez vostre Peuple, & dans tous vos projets,
Dans leur Roy faites voir leur Pere avec succés.
Enfin, souvenez-vous qu’au doux air de la France,
Elevé dans son sein, vous avez pris naissance,
La gloire a des tresors qu’on ne peut épuiser,
Qu’en commun vos Etats apprennent d’en user.
Faisons-leur concevoir par des preuves sensibles,
Qu’en demeurant Amis ils seront invincibles.
 Alors au jeune Prince il vous plut d’enseigner
Les misteres profonds du grand art de regner ;
Mais sans vous arrester dans un détail plus ample,
Grand Roy, pour abreger proposez vostre exemple,
L’attelage superbe, & trop tost arrivé,
Hannit d’impatience, & frape le pavé.
Philippe à ce signal qui de vous le separe,
Rappelle sa constance, & sent qu’elle s’égare.
La gravité d’Espagne en vain veut le calmer,
La tendresse Françoise insiste à l’opprimer,
Sa douleur se produit, la vostre la seconde,
Elle paroist plus sage, & n’est pas moins profonde.
Les Princes aux adieux appellez par leur rang,
Se livrent en Heros à la force du Sang.
Le Sexe a d’autres droits, & permet aux Princesses
En de moins fermes cœurs de plus grandes foiblesses.
Les perles de leurs yeux par l’amour embellis,
Coulent sur le parquet par des chemins de lis,
Et l’Inde à son Monarque, en ses ardeurs nouvelles,
N’en offrira jamais, ny tant ny de si belles.
Ainsi quand Jupiter d’un visage troublé
Fait obscurcir les airs au nuage assemblé,
L’Aurore en Orient s’attriste à portes closes,
Et sous un voile épais cache son teint de roses ;
L’Amante des Zephirs languit comme ses fleurs ;
Iris s’évanoüit sur son arc sans couleurs ;
Sous l’abri de ses Tours Cibele est taciturne ;
Chaque Fleuve à grands flots répand toute son Urne,
Et la Nature en pleurs dans ces sombres momens
Se conforme à son Maistre, & suit ses mouvemens.
 Je ne viens point paré d’une fausse éloquence
Affoiblir vostre perte & celle de la France ;
La maxime est constante, & ne m’échape pas,
L’Etat qui perd un Prince est desarmé d’un bras,
Encor plus parmi nous, où sur la Loi Salique
Se fonde, s’affermit la fortune publique.
D’ailleurs, le jeune Prince a nos vœux enlevé,
Par les mains de Pallas paroissoit cultivé ;
Nous admirions en lui dés sa tendre jeunesse
Les fruits prématurez d’une haute sagesse.
Un amas de vertus, un tresor de bonté,
La douceur temperée avec la gravité,
Et de ces qualitez le brillant assemblage
Frapoit déja nos yeux, grand Roy, de vostre Image.
Comme on voit l’Univers saisi d’étonnement,
S’augurer en silence un rare évenement,
Lors que l’Astre du jour aux yeux de la Nature,
Dans le vague des airs reproduit sa figure ;
Mais enfin ce Sujet par les graces orné,
Manquoit par la fortune, & se trouvoit borné.
Nostre sort constamment le refusoit pour Maistre.
Ce Prince, cet Aîné qui merite de l’estre,
Par un éclat plus vif attiroit nos regards,
On adressoit au Ciel des vœux de toutes parts,
On invoquoit Lucine, & la tendre Déesse
D’Adelaïde encore épargnoit la jeunesse,
Attentive aux momens d’une maturité
Qui doit éterniser vostre Posterité,
Dans cette conjoncture où se trouve Philippe,
Charles, des sages loix consultant le principe,
Le fait son Successeur, & cette volonté
De ses derniers momens consacre l’équité.
Souffrez que vostre Race, où tant de gloire abonde,
Se partage le soin de gouverner le monde ;
Trop heureux si bien-tost quelque Peuple aguerri
Ne vient pas pour son Roy nous demander Berri.
Laissez aux foibles cœurs qu’un nœud vulgaire assemble,
Les obscures douceurs de vieillir tous ensemble,
Prodiguez vos faveurs à cent climats divers,
Le beau Sang de Bourbon se doit à l’Univers.
Et qu’importe qu’aux Cieux les Planetes rangées,
En ordres differens paroissent partagées ?
Le Soleil les entraîne, & leurs divers emplois
De son impulsion reconnoissent les loix.
 Quels flots d’illustre Sang ont inondé nos Terres
En deux siecles entiers d’impitoyables guerres,
Mais si de vostre soin les decrets inhumains,
Pour couronner Anjou manquoient d’autres chemins,
Destins, on vous pardonne, & nos pertes passées
Par ce rare bienfait se trouvent compensées,
Il est temps que l’amour de nos deux Nations
Debroüille le chaos de leurs dissentions,
Nos Heros & nos Rois dans les champs Elizées
Triomphent du plaisir de les voir appaisées,
Et le nom de Philippe à peine est publié,
Que tout ressentiment y parut oublié.
Epouse de Louis, & vous, sa tendre Mere,
Que nos maux penetroient d’une douleur amere ;
Je sens vostre presence, & crois voir qu’en ces lieux,
Pour affermir la Paix vous descendez des Cieux.
Sans faire à la nature aucune violence,
Reines, vostre credit peut proteger la France,
Et vous pouvez aussi sur l’Espagne à son tour
Repandre vos bienfaits sans outrager l’amour.
 Mais c’est assez, grand Roy, vous prêcher la constance,
Je sens mon ridicule, & vois mon imprudence.
Pardonnez ; debiter cet indiscret Sermon,
C’est en fait de sagesse instruire Salomon.

[Grande Feste donnée à Douay] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 21-36.

Je vous envoye la Relation d’une Feste qui meriteroit d’avoir esté donnée par un Souverain, puis qu’il est inoüy qu’un Particulier ait jamais convié deux cens personnes à un repas, & traité le même jour presque toute une grande Ville. Voicy la Lettre qu’un Officier de la Garnison de Doüay a écrite sur ce sujet à un de ses Amis.

À MONSIEUR ***

Ne me reprochez plus mon indifference pour les plaisirs de Paris, nous en avons qui sont en petit ce que les vostres sont en grand. Toute la Flandre retentit des acclamations des Peuples. On entend crier de toutes parts, Vive le Roy de France, vive le Roy d’Espagne ; vive Louis le Grand, vive Philippe Cinquiéme Les Feux, les illuminations, les simphonies, les repas magnifiques, & le bruit de l’artillerie qui se succedent pour celebrer l’alliance des deux Monarchies, ce sont des spectacles qui valent bien la Comedie & l’Opera.

Le repas que Mr le Marquis du Forest nous a donné à l’entrée du Siecle, suffiroit seul pour vous faire desirer le sejour de la Province ; il estoit des mieux entendus. La magnificence & la propreté y disputerent la gloire, & la profusion ne fit aucun tort à la délicatesse, on n’en devoit pas moins attendre du Seigneur de la Tramerie, dont les Ancestres ont esté, les uns grands Chambellans des Ducs de Bourgogne, & les autres ont rempli des Charges tres-considerables dans l’Etat. On y remarquoit aussi le bon goust de Madame la Marquise du Forest. C’est une Dame descenduë de la Maison de Mileudonck qui est allié à plusieurs des plus illustres familles de France, d’Espagne, & d’Allemagne. Mademoiselle de la Tramerye, l’unique heritiere de leurs biens, s’y distingua par des manieres conformes à sa naissance & à son éducation.

Leur fidelle attachement & leur profond respect pour ces deux grands Monarques furent des motifs qui les porterent à donner au public des témoignages de leur joye sur l’heureux estat de la France & de l’Espagne.

Pour rendre la Feste plus solemnelle on choisit la nuit qui fermant le siecle passé ouvroit le siecle present. Vers les six heures du soir, les personnes les plus qualifiées de la Ville & du voisinage, Mr le Gouverneur, Mrs de l’Etat Major, & tous les Officiers de la Garnison, commencerent de s’assembler. Le nombre des Conviez estoit de deux cens personnes. Plusieurs chambres richement parées, & du goust de Mr le Marquis du Forest, l’un des Seigneurs les plus magnifiques en meubles, tant à la Ville qu’à la Campagne, furent destinées pour ceux qui vouloient joüer. On reserva les appartemens de plein pied pour y donner un Bal tres bien concerté, & un repas encore plus delicat. Ce n’estoit qu’illuminations, que dorures, que simphonies. La danse & le jeu durerent jusqu’à minuit, à dessein d’ensevelir le siecle avec honneur au son des instrumens.

À peine apperçut on la naissance du siecle suivant, qu’on se mit en devoir de celebrer son arrivée par un repas tres-propre sur une table de quarante couverts. Les mets les plus exquis & le gibier le plus rare estoient arrangez parmy des corbeilles remplies de confitures seches & de conserves, mais ce que je remarquay de plus singulier, c’est qu’au milieu de la table s’élevoit une roche piramidale en forme d’amphiteatre, haute d’environ quatre pieds, couverte de mousse où l’on avoit enchassé tres proprement & parmi les bougies, les plus beaux fruits d’hiver que produisent la France & l’Espagne. Vous jugez bien que leurs differentes couleurs sur un fond verd, s’accordoient à former des nuances qui charmoient les yeux, & annonçoient à l’esprit tous les avantages que nous pouvons esperer de l’alliance des deux Nations.

Au dessus de la Piramide estoit placé un globe ovale à fond d’azur, sur lequel on avoit peint deux fois les armes de France & celles d’Espagne. Dans la situation de celles de France tournées vers le Midi & vers le Septentrion, il estoit facile d’appercevoir l’intention du Peintre, qui avertissoit par là que les Conquestes du Roy s’étendent de ces deux costez. Les armes d’Espagne qui regardoient l’Orient & le Couchant, apprenoient par leur attitude que le Soleil éclaire toûjours quelque partie de la Monarchie Espagnole. Autour des Armoiries de France & d’Espagne on lisoit ces deux Distiques Latins qui leur sont communs :

Sæcula dum series annorum dividit orbis,
Dividit imperium cum Lodoïce nepos.

Pendant que la suite des années partage les siecles, Louis le Grand partage avec son Petit-Fils l’Empire du monde.

Quam benè magnanimo sunt lilia juncta leoni,
Ut sub Borbonidis aurea sæcula fluant !

La candeur des lis jointe au courage du lion, nous presage sous le regne des Bourbons, tous les avantages du siecle d’or.

Ce Globe ovale estoit surmonté d’une Couronne écartelée des deux Royaumes ; à dessein de nous apprendre par ce simbole que l’alliance des deux. Monarchies les met en estat de gouverner le monde entier, ou du moins de ne le pas craindre.

Enfin sur le tout on avoit placé un globe celeste, chargé de deux Soleils, l’un à son Midy, & l’autre à son Orient. Quoy que le Ciel ne s’accommode pas de deux Soleils, la terre trouve son compte à posseder ces deux-cy. Vous en devinez le mistere, & vous avez déja pensé que celuy qui estoit à son midi, designoit ce cours glorieux de la vie de Louis le Grand, ce que les Peuples souhaitent encore autant d’années dans le siecle present qu’il en a regné dans le dernier siecle.

L’autre Soleil naissant sur l’horison nous promet dans la personne de Philippe Cinquiéme un regne aussi éclatant, aussi durable que celuy de son Grand Pere. La derniere idée estoit placée la plus haute au dessus du globe, parce qu’elle renferme éminemment tout ce que je viens de dire. On l’avoit exprimé avec cette fin & ce commencement de Vers :

 Borbonidum nil sanguine majus
Respicit in terris.

Le Soleil ne voit rien de plus grand sur la terre, que le sang des Bourbons.

Je vous ay décrit l’ordonnance du repas, mais je ne puis vous en representer la défaite. On eust dit que c’estoit une Place à qui on donnoit un assaut general. Quarante Dames, soutenuës de cent soixante Officiers qui formoient autour d’elles une triple Couronne, porterent les premiers coups, & le carnage fut si grand que sans aucune distinction d’âge ny de sexe, tous les assiegez passerent par le fil de l’épée. Après que la premiere fureur fut rallentie, on fit quartier à ceux qui s’estoient retirez au Donjon. On envoya les blessez à l’Hôpital, marchant en victorieux sur les cadavres des morts. On but trois fois la santé de Louis le Grand, & trois fois celle de Philippe Cinquiéme au bruit des simphonies, des fanfares, des acclamations & des boëtes. Pendant ce carillon bachique, les Officiers servoient à boire aux Dames, & les Dames donnoient à manger aux Cavaliers. Ce ne fut que profusion de vins & de liqueurs ; cependant tout s’y passa dans la joie & sans aucun trouble. La Feste achevée, chacun se retira dans sa maison tres-content & prêt à recommencer.

Vous croyez peut estre qu’au milieu de l’abondance & du plaisir on n’ait point entendu la voix de l’indigent, vous estes dans l’erreur. Le Marquis du Forest a rendu la joye generale en faisant distribuer quelque somme aux Pauvres de la Ville par les mains des Echevins, & plusieurs mesures de blé à ceux de la Campagne. Sa liberalité a penetré jusque dans l’interieur des Cloistres, où elle a fait couler quantité d’excellent vin pour troubler agreablement la retraite du Solitaire ; & l’engager à chanter avec plus de force un Domine salvum fac Regem.

Avouez aprés cela que je n’ay point sujet de regretter les plaisirs de Paris, & que si le Theatre & les machines, les voix & les simphonies, la Comedie & ses Acteurs, vous charment les sens & l’esprit, nous avons ici de petits Jeux que nous pourrions comparer en quelque chose à ceux que les Anciens appelloient Seculaires, & qui valent en leur maniere plus que vos spectacles, puisqu’on trouve en abregé chez le seul Marquis du Forest, plus d’agrément qu’à l’Opera.

[Réjouissances faites à Carpentras] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 36-44.

La nouvelle de l’exaltation de nostre saint Pere le Pape Clement XI. estant arrivée à Carpentras, Ville Capitale du Comtat Venaissin, par des Lettres particulieres de Rome, tout le monde commença à en ressentir une joye singuliere, & Mr l’Evêque voulut d’abord donner des marques publiques de la sienne par une Procession generale, qu’il ordonna à tout son Clergé Seculier & Regulier, à laquelle il assista luy-même. Le Te Deum fut chanté au retour d’une maniere fort devote, aprés quoy suivit la benediction du Saint Sacrement. À l’entrée de la nuit, on alluma trois feux de joye devant le Palais Episcopal, dont les fenestres furent illuminées par plusieurs lanternes aux Armes de nostre Saint Pere.

Quinze jours aprés, les Magistrats & Consuls firent aussi chanter le Te Deum dans l’Eglise du College des Jesuites, fondé par Mrs du Corps de Ville. Ces Peres n’ont pas manqué dans cette occasion de donner des marques publiques de leur joye & de leur attachement particulier au Saint Siege.

Le Mercredy 22. de Decembre ; Mr Barbaroussa, Recteur & Gouverneur du Comtat Venaissin, qui par ses manieres également polies & magnifiques s’est distingué de tous ses Predecesseurs, ayant donné les ordres de faire fermer les Boutiques, & mettre sous les armes les Compagnies de Bourgeois, sortit sur les quatre heures du soir du Palais Rectorial, accompagné des Magistrats, des Consuls, & du plus beau & nombreux cortege de Noblesse qu’on ait jamais vû dans cette Ville en pareille occasion. Il traversa la grande Place du Palais au son des trompettes & des tambours, la Soldatesque bordant la haye depuis le Palais Rectorial jusques à l’Eglise des Jesuites. On la trouva ornée de tapisseries, avec une grande Illumination au Maistre Autel. Au costé de l’Evangile estoit un Trône magnifiquement paré, avec un riche Portrait de Sa Sainteté. Le Recteur du College entonna le Te Deum, qui fut chanté par l’élite des Musiciens accompagnez de la meilleure Simphonie de la Province. Il se fit en même temps une salve d’Artillerie, & trois de Mousqueterie. Le Te Deum fini, Mr Barbaroussa se retira avec le même cortege dans son Palais, aux acclamations de tout le Peuple, qui ne cessoit de témoigner son allegresse par mille cris redoublez de Vive le Pape Clement XI. vive le Vicelegat, vive le Recteur de Carpentras.

La joye ne fut pas peu augmentée par les liberalitez de ce Gouverneur, qui à diverses reprises jetta à pleines mains de l’argent, par les fenestres du Palais ; ce qu’il a réiteré pendant les trois jours que dura la feste.

On trouva au retour de l’Eglise dans la grande Place & vis-à-vis la porte du Palais, une Fontaine de vin qui coula pendant les trois jours, avec l’illumination de toutes les fenestres du Palais Rectorial, par quatre lanternes aux Armes de Sa Sainteté, & par deux gros flambeaux de cire blanche à chacune. Un peu aprés, Mr le Gouverneur accompagné des Magistrats & Consuls de la Ville, alluma en ceremonie les Feux de joye dressez au milieu de la Place. Il se fit alors une salve d’artillerie, & trois autres de mousqueterie, & quantité de fusées & autres feux d’artifice, furent tirez de la plus haute Tour du Palais, aprés quoy les Consuls allérent à l’Hostel de Ville, allumer les Feux de joye, & par leur soin on vit en un moment toute la Ville éclairée par l’illumination à toutes les fenestres, & par les feux de joye des particuliers. Ce soir-là, Mr le Gouverneur fut visité de toutes les Dames & de toute la Noblesse de la Ville, qu’il regala d’un concert de Musique.

Par les soins de Mrs les Directeurs de la Charité, les Pauvres de cette Maison témoignérent la part qu’ils prenoient à cette Feste, sur un char magnifiquement paré, suivi de violons & de divers instrumens de Musique. Ils representérent le Triomphe de l’Eglise & des Vertus qui brillent avec tant d’éclat dans la Personne du Saint Pere, sur tout de la Clemence qui fait son caractere particulier, & dont il porte le nom à si juste titre. Cette Feste dura trois jours & trois nuits avec une grande pompe.

Au Roy d’Espagne §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], 1701, p. 44-46.

Le Sonnet que vous allez lire est de Mr Simart, de Sezanne en Brie, & l’un des premiers fruits de sa Muse.

AU ROY D’ESPAGNE.

Digne Sang des Bourbons, Heros que la Victoire
A formé dans son sein pour les plus beaux exploits,
Eleve du plus sage & du plus grand des Rois,
C’est à luy que tu dois tes Vertus & ta Gloire.
***
De ses nobles leçons conserve la memoire,
Il t’enseigne à regner ; attentif à sa voix
Apprens de ta Couronne à soûtenir le poids,
Et de cent traits brillans enrichis ton Histoire.
***
Sois comme luy prudent, juste, affable, pieux ;
Pere de tes Sujets, rens tes Peuples heureux,
Du joug de l’Afriquain va délivrer leurs testes.
***
Grand Roy, par ta valeur & tes travaux divers,
De ton Auguste Ayeul égale les Conquestes,
Et partage avec luy l’amour de l’Univers.

Au Roy §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 46-47.

J’ajoûte un Madrigal dont l’Auteur m’est inconnu.

AU ROY,

Souffrez, Auguste Roy, que ma Musé vous chante,
La gloire & les vertus d’un Prince fortuné :
 Il commence à remplir l’attente
 De cette grandeur étonnante,
 Où vostre Sang est destiné.
 Chacun voit que le Ciel seconde
Vos soins pour la Justice, & vos soins pour la Paix.
Et pour recompenser vostre race feconde,
 Il veut qu’elle donne à jamais
 Des Maistres au reste du monde.

[Chanson sur l’air de Joconde] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 47-48.

Ces autres Vers ont esté faits sur l’Air de Joconde.

L’Espagne fut long-temps en pleurs,
Fort triste, & languissante ;
Mais à present qu’elle est en fleurs,
Qu’elle sera contente !
Le Ciel par un coup sans pareil
De ses maux la délivre ;
Il tire un rayon du Soleil
Pour la faire revivre.

[Sonnet à Monseigneur le Duc de Bourgogne ; Autre à Monseigneur le Duc de Berry]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 78-82.

Je vous envoye deux Sonnets qui sont du Pere Mourgues, Jesuite. Ce nom ne sçauroit manquer de vous donner envie de les lire.

À MONSEIGNEUR
LE DUC DE BOURGOGNE.

Par le destin d’un Frere à vos yeux couronné,
Prince, jugez du sort que vous devez attendre.
Vous seriez ce qu’il est si vous pouviez descendre ;
C’est estre plus que Roy que d’estre son Aîné.
***
Glorieux & content, dans ce rang fortuné,
De montrer à Louis un cœur docile & tendre,
Et d’apprendre à regner du seul qui peut l’apprendre,
À ce noble projet vous vous estes borné.
***
C’est sans aucun regret que vostre ame abandonne
Au plus digne aprés vous, une riche Couronne,
Qui fait pousser ailleurs tant de soupirs jaloux.
***
Il n’estoit rien plus propre à vous faire connoistre
La hauteur de la place où le Ciel vous fit naistre,
Qu’un Trône qui se trouve estre encore au dessous.

À MONSEIGNEUR
LE DUC DE BERRY.

Prince, on voit qu’à vôtre âge une rare sagesse
Vous rend inaccessible aux soins ambitieux,
Capables de troubler ce calme precieux
Qu’attache à nos beaux jours la tranquille jeunesse.
***
Vostre esprit élevé qui connoist sa noblesse,
Trouve qu’il n’est pour luy d’empire glorieux,
Que celuy qui le rend libre ou victorieux
Des desirs inquiets qu’enfante la foiblesse.
***
D’un brillant embaras garentir son bonheur
Pour rendre la Raison maistresse de son cœur,
Que ce regne est charmant, & quel autre l’égale !
***
Si chacun comme vous sçavoit regner sur soy,
Chaque Mortel auroit l’ame vraiment royale,
Et l’on ne prendroit pas la peine d’estre Roy.

[Madrigaux] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 82-85.

J’ajoute un Madrigal, sur le choix que l’Espagne a fait de Monseigneur le Duc d’Anjou, pour estre son Roy.

L’Espagne qui voyoit ses Etats partager
A sçû ses interests sagement ménager ;
Elle nous a fait voir son grand fond de prudence
Choisissant pour son Maistre un Prince, Fils de France.
Par ce grand coup d’Etat, enfin elle a trouvé,
Quoy qu’elle ait donné tout, qu’elle a tout conservé.

Ce qui suit est de Mr de Montclair.

SUR L’UNION
DE LA FRANCE,
ET DE L’ESPAGNE.

Le Coq & le Lion dans la Paix affermis
 Depuis leur union nouvelle,
 Ne craindront jamais la querelle
 Que leur feront leurs Ennemis.
 Leur vigilance est sans pareille,
 Le Lion dort les yeux ouverts,
 Le Coq avant jour se réveille ;
Et qui donc osera dans tout cet Univers
 Du Coq ou du Lion, si vaillans & si fiers,
 Venir tirer ou la plume ou l’oreille ?
Malheur à qui contre eux voudra tenter le choc ;
S’il cherche le Lion, il trouvera le Coq,
Et ce Coq qui sçait bien attaquer & défendre,
A toûjours fait sentir dans ses hardis combats
  Qu’il n’est pas
 Un Coq à se laisser prendre.

Eloge de Mr Bontemps §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 85-87.

Quand la memoire de Mr Bontemps ne vous seroit pas aussi chere que vous me l’avez marqué, il suffiroit de vous dire que son Eloge que je vous envoye est de Mr de Bellocq, pour vous donner envie de le lire, tant tout ce qu’il fait est de bon goust.

ELOGE
DE Mr BONTEMPS.

Vivre en faveur sans ostentation,
 Faire du bien seulement pour le faire,
Estre équitable au poids du Sanctuaire,
Joindre au bonheur la moderation :
N’estre jamais au merite contraire,
Mais d’obliger saisir l’occasion :
Aux affligez donner protection ;
Sans amasser, content du necessaire,
De l’interest fuïr la contagion :
C’est un sentier que peu d’hommes battirent
Sans s’écarter, & sur tout soixante ans ;
Ce sont Vertus, qui de la Cour partirent
Le même jour qu’on vit mourir Bontemps.

[Plusieurs Sonnets sur des Bouts-rimez proposez par Madame la Duchesse du Maine] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 119-126.

Madame la Duchesse du Maine proposa il y a quelques jours à Mr l’Abbé Genest de faire un Sonnet en Bouts rimez sur l’acquisition de Seaux. Elle donna les rimes que vous allez voir. Mr l’Abbé Genest luy envoya le lendemain le Sonnet que voicy.

Heureux Seaux l’on va voir sous ton riche portique
Les Nimphes jour & nuit danser en falbala,
Dom Bertrand se repete, on apprend Attila,
Tout bondit dans tes prez, Brebis, Vache & Bourique,
***
Moy, quand j’auray bien lû le saint Fils de Monique,
Comme au siecle où le lait en rivieres coula,
J’iray boire à longs traits, sans qu’on dise hola,
Un Nectar rafraîchi dans le cristal arctique,
***
Là, je seray si gras qu’on me croira camus,
Sans soin d’Academie & de Committimus,
Goûtant de doux plaisirs exempts de sinderese,
***
Seaux, où tout est brillant doré jusqu’au marteau,
Où l’Aurore du Brun passe Paul Veronese,
Que tes Maîtres cent ans reçoivent le chanteau.

Quelques jours aprés, Mr le Comte de Fiesque envoya cet autre Sonnet sur les mêmes rimes.

Du Maine est en ces lieux, venez sous ce portique,
Dryades de ces Bois, en simple falbala,
Voir ce Heros sorti des Vainqueurs d’Attila,
Et laissez-là Silene avecque sa bourique.
***
Chantez, Nymphes de Seaux, sur un ton harmonique
Comme le Sang des Dieux dans ses veines coula,
Sans craindre que l’envie ose dire hola,
Faites voler son nom jusques au Pole Arctique.
***
Mais malgré mon grand nez, ma foy je suis camus.
Comment diable sortir de ce Committimus ?
Des momens que j’y pers, je crains la sinderese.
***
Ma teste en a souffert mille coups de marteau,
Et je peindrois plutost comme Paul Veronese,
Que de placer icy vostre maudit chanteau.

Voici la réponse qu’on a faite à ce Sonnet.

Vous qu’avoit admiré la Grece & son Portique,
Vous qu’admire la gent qui porte falbala,
Vostre Muse eust flechi le farouche Attila,
Et fait danser Silene avecque sa bourique.
***
Vous avez plus d’esprit que le Fils de Monique,
Grand Comte, pour vous seul Hippocrene coula,
Lisez, lisez vos vers sans craindre le hola,
Leur renom volera jusques au Pole arctique.
***
Tous nos pauvres Auteurs vont estre bien camus,
Les uns prés de chez vous1auront Committimus.
Les autres sentiront mortelle sinderese.
***
Qu’ils aillent manier la hache & le marteau.
Ce sont de francs Broyeurs, vous, un Paul Veronese,
De la main d’Apollon vous aurez le chanteau.

Mr Moreau de Mautour a travaillé sur les mêmes Bouts-rimez ; ce quatriéme Sonnet est de sa façon.

Marbre, bronze, dans Seaux, grille, balcon, Portique,
Miroirs, plafonds dorez, meubles à falbala,
Embellissent ce lieu digne d’un Attila,
Prez, d’où l’on voit passer Mulet, Cheval, Bourique.
***
Son air sain gueriroit le mal d’un pulmonique,
L’eau telle qui d’un Roc par miracle coula,
Arrose ses Jardins, sans qu’on dise hola,
On croit voir dans son Bois l’ombre du Pole arctique.
***
Autre Acquereur qu’un Prince auroit esté camus ;
Tel Officier tout fier de son Committimus.
N’auroit pu garder Seaux sans grande sinderese,
***
Ce Prince, pour s’y plaire emploira le marteau,
Tout l’Art de Phidias & de Paul Veronese
Et du Pain-Benit même y prendra le chanteau.

[Madrigal de Mr Moreau de Mautour]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 126.

Ce Madrigal est du même Mr Moreau de Mautour, qui l’a envoyé à une Demoiselle de qualité, belle & de grande taille.

 Vous avez taille de Minerve,
Noblesse de Junon, & beauté de Venus.
En vain contre vos yeux on use de reserve,
D’indifference en vain les cœurs sont prévenus,
 Dés qu’on vous voit on n’en a plus.
 Que de vous l’Amour me preserve.

À S.A.S. Monsieur le Prince de Saxe §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 135-144

J’ay cru que le party que je devois prendre en cette occasion, estoit de me servir de l’une des deux Relations dont il est parlé dans la Lettre que vous venez de lire, parce que n’estant point faite par des Sujets du nouveau Roy, elles sont moins partiales & moins suspectes. J’ay choisi celle du Ministre du Prince de Saxe à la Cour de Brandebourg, & j’ay mis à la teste la Lettre que ce Ministre écrit au Prince son Maistre sur ce sujet, & qui peut servir d’un beau Prelude à cette Relation.

À S.A.S. MONSIEUR
LE PRINCE DE SAXE.

De Conigsberg le 28. Janv. 1701.

Je ne sçaurois exprimer à V.A.S. le déplaisir que j’ay eu d’apprendre qu’Elle n’ait pû executer la resolution qu’elle avoit prise sur mes tres humbles remontrances, de se rendre icy, pour voir le Sacre du Roy ; je puis dire assurément qu’elle y a perdu en bien des manieres. Comme V.A.S. n’a pas encore vû cette Cour, elle n’auroit jamais pû avoir une occasion plus favorable de le faire, & de se mettre dans les bonnes graces du Roy. Elle auroit eu sa part aux réjoüissances qui se sont faites à l’occasion de cette solemnité, d’autant plus rare, qu’il y a apparence qu’on n’en verra jamais de pareille. Il y avoit à voir des Ceremonies d’Eglise & de Cour fort remarquables. Tout y estoit grand, magnifique, bien entendu, & aussi bien executé qu’ordonné : Ceux qui ont eu le soin de les regler, s’y entendent parfaitement bien. Ils pesent tout par de bonnes raisons, & n’ordonnent rien au hazard. J’ay eu, Monseigneur, l’honneur de vous envoyer l’année passée les descriptions imprimées des ceremonies observées dans cette Cour à la reception de l’Ambassade de Moscovie à divers hommages & dernierement au mariage du Prince de Hesse Ces reglemens passent pour des chefs d’œuvres, & pour des modeles qu’on tâche d’imiter ailleurs. C’est Mr de Besser, Grand-Maistre des Ceremonies & Introducteur des Ambassadeurs, qui dresse ces Reglemens sous la direction du premier Ministre & Grand Chambellan, Comte Vartemberg, dont il faut admirer le goust & le discernement aussi delicat que juste, pour tout ce qui regarde, non seulement la Cour, mais encore le gouvernement, & qui est aussi habile & grand Ministre, qu’il est un modele achevé d’un parfait homme de Cour. Je dois encore dire à sa louange, que tout accablé qu’il est de differentes affaires, il écoute chacun avec douceur & honnesteté, & soit qu’il accorde ou qu’il refuse, on ne sort jamais mécontent d’auprés de luy. C’est le Pere des honnestes gens & le Mecenas des gens de merite. Dans cette occasion sur tout, où il a contribué le plus à faire réussir cette grande affaire suivant les intentions du Roy, il a donné les ordres pour procurer toutes sortes de plaisirs aux personnes distinguées qui sont venuës voir ces solemnitez. Les autres Ministres & les Principaux de la Cour & du Pays ont secondé ses intentions, & donné chacun à leur tour, Festins, Bals & Assemblées. V.A.S. y auroit brillé, comme elle a fait par tout ailleurs, & je suis seur qu’icy elle auroit eu plus de satisfaction & d’agrément, qu’elle n’a peut estre pas gousté dans les autres Cours où elle s’est trouvée A l’heure qu’il est, je vous supplie, Monseigneur, de faire en sorte que vous puissiez vous trouver à Berlin au temps de l’Entrée du Roy, laquelle sera aussi magnifique que réjoüissante. Le plaisir que vous aurez de voir la Cour, vaudra sans cela le voyage, vû qu’elle se distingue des autres de l’Allemagne. Elle est non seulement tres magnifique, mais il y regne aussi beaucoup de politesse & d’ordre. On envoye presentement à Berlin quantité de jeunes Seigneurs pour apprendre les exercices & les manieres de vivre, & on y voit un grand nombre d’Etrangers de qualité. On leur fait un accueil honneste & conforme à leur merite & à leur naissance, & ils peuvent tout apprendre dans un sejour si agreable.

Je n’ay pas encore vû le Memoire qui doit estre fait sur les raisons qui ont engagé Sa Majesté à se faire proclamer Roy. Il est à croire qu’elles rouleront sur la puissance de ce Prince, & sur sa Souveraineté & indépendance en Prusse.

Les Ministres de cette Cour auront à l’avenir moins de difficultez sur le pas quand il s’agira de traiter avec des Puissances étrangeres ; ce qui arrive si souvent, à cause du grand nombre de Princes qui sont voisins de Sa Majesté par la grande étenduë de ses Provinces. Jusques icy on n’a encore rien imprimé ny communiqué de la part de la Cour sur cette matiere, ny sur les Ceremonies de la Proclamation & du Couronnement de leurs Majestez. Ainsi je ne sçai, si dans la Relation que je me donne l’honneur de joindre icy, j’ay bien rencontré toutes les circonstances. Mr de Besser nous en promet une qui sera exacte & bien suivie. Il y joindra sans doute les raisons cy-dessus mentionnées, mais elle ne sera imprimée que quand le Roy aura fait son entrée à Berlin. Alors je ne manqueray pas d’en envoyer quelques exemplaires en Cour, & je continueray toûjours de donner à V.A.S. des marques du tres-respectueux attachement avec lequel je suis,

Monseigneur,

De V.A.S.

Le plus humble & tres-obéissant serviteur.

Relation de ce qui s’est passé à la Proclamation, au Couronnement, & au Sacre du Roy de Prusse §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 145-176.

RELATION
De ce qui s’est passé à la Proclamation, au Couronnement, & au Sacre du Roy de Prusse.

Sa Serenité Electorale de Brandebourg ayant resolu de prendre le titre & la dignité de Roy de Prusse, partit de Berlin le 17. de Decembre 1700. & arriva à Konigsberg le 29. du même mois. Aprés que toutes les choses furent reglées pour la Ceremonie du Sacre, la Publication de la Royauté se fit le 15. de Janvier 1701. par quatre Herauts, suivis de quantité d’Officiers & de Gentilshommes de la Cour, tous à cheval & habillez magnifiquement. Voici l’ordre de cette belle cavalcade.

1. Il paroissoit cinquante Dragons qui faisoient faire place dans les ruës.

2. Ils estoient suivis de vingt-quatre Trompettes de la Cour marchant trois à trois, & divisez en deux chœurs, conduits par leurs Timballiers.

3. Le Heraut qui devoit faire la Proclamation, seul, suivi de trois autres dans leurs habits de ceremonie, tous richement brodez & faits à la Romaine. Ils avoient sur la teste des chapeaux de velours noir, avec des plumes blanches, & leurs Masses d’armes estoient garnies de velours bleu, au haut desquelles il y avoit des Couronnes à la Royale dorées.

4. Les deux Grands Maréchaux, Comtes de Lottum & Wallenrad.

5. Le Grand Maistre des Ceremonies, le Maréchal de la Cour, & le premier Echanson ; Mrs de Besser, de Wonsen & de Grumkau.

6. Les Gentilshommes & Officiers de la Cour, quatre à quatre.

7. Quarante Dragons qui fermoient la marche.

Sur les neuf heures du matin, la premiere Publication se fit dans la cour du Chasteau ; la seconde à la Franchise ; & les trois autres dans les trois differentes Villes de Konigsberg, Altstedt, Kneiphof, & Lobenicht, dont les Magistrats regalerent la Compagnie de Vin & de Confitures, qu’ils presentoient sur de grands bassins d’argent.

On distribua sur le champ quelques exemplaires du Formulaire de la Publication, & lors que le Heraut la proclama, tous les Assistans l’écoutérent chapeau bas. Le contenu en estoit, que, Puisque la Providence avoit voulu que le Duché de Prusse fust érigé en Royaume, & que son Souverain, le Serenissime & Tres-Puissant Prince Frederic, en devinst Roy, on le faisoit sçavoir à chacun par cette Proclamation. Le Heraut finit cette lecture par un Vive nostre Roy Frederic, & la Reine son Epouse, ce qui fut suivi d’un grand bruit des voix du Peuple, qui redoublant leurs cris de joye & leurs vœux repetoit incessamment, vive le Roy & la Reine. Ces cris estoient mêlez confusément avec les fanfares des Trompettes, & le son des Timbales, le carillonnement des cloches, & le bruit de l’Artillerie. Les Musiciens placez dans les Tours & les Maisons de Ville, faisoient aussi entendre les sons réjoüissans d’une infinité d’instrumens de Musique.

Le 17. de Janvier, le Roy estant couvert & assis sur un Trône, créa dix neuf Chevaliers, qui estant appellez par Mr le Grand Chambellan, se mirent l’un aprés l’autre devant le Roy, qui prit les Colliers de l’Ordre de la main du Chambellan, Comte de Denhoff, & les mit au cou des Chevaliers, qui, aprés avoir baisé la main à Sa Majesté, se retiroient en faisant une profonde reverence.

La Croix de cet Ordre est d’or émaillée de bleu, au milieu de laquelle il y a les chiffres du Roy, F.R. & aux angles l’Aigle de Prusse émaillée de noir. Cette Croix est attachée à un ruban couleur d’orange, que les Chevaliers portent par dessus l’épaule gauche jusques à la hanche droite, au-dessus du justaucorps. (La couleur d’orange a esté choisie apparemment en memoire de la feuë Mere du Roy, Princesse d’Orange.) Ces Chevaliers portent encore sur le côté gauche de leurs habits une Croix brodée d’argent en forme d’étoile, au milieu de laquelle est un Aigle en broderie d’or, sur un fond d’orange. L’Aigle tient dans ses serres un Sceptre d’or, avec cette inscription au dessus de la teste, Suum cuique, en broderie d’argent.

Cet Ordre ne sera donné qu’à ceux qui ont l’honneur d’estre des Parens de Sa Majesté & aux Personnes les plus considerables de l’Etat, en reconnoissance de leur merite. Ceux qui l’ont reçu sont, le Prince Royal, les trois Margraves, Freres du Roy, le Margrave d’Anspac, les Ducs de Courlande & de Holstein, les Comtes de Wartenberg, de Barfous, de Dona & Lottum, les quatre Conseillers Regens de Prusse, Mrs de Berbant, Ranschke, Creutz, & Wallenrod ; le Grand Maistre de l’Artillerie & le General Major ; Mrs de Tetau ; le Commissaire General Comte d’Onhoff ; le Chambellan Comte de Dona, & Mr de Bilau, Grand Maistre d’Hostel de la Reine.

Le 18. jour destiné pour le Couronnement & le Sacre de Leurs Majestez, il y eut dés le matin Sermon & Prieres dans toutes les Eglises du Royaume. Ceux qui devoient assister à la Ceremonie, s’assemblerent dans les antichambres de leurs Majestez. Le Roy ayant esté revestu de tous ses ornemens royaux par le Comte de Wartenberg, son Grand Chambellan, fit distribuer par le même les ornemens de la Couronne à ceux qui avoient esté nommez le soir précedent pour les porter à la Ceremonie.

Sa Majesté alla ensuite, la Couronne sur la teste & le Sceptre à la main, accompagné de Leurs Altesses Royales, le Prince Royal & de Messeigneurs les deux Margraves Albert & Chrétien Louis, trouver la Reine, pour luy mettre sur la teste la Couronne que le Comte de Denhoff, Commissaire General des Guetes, porta devant le Roy.

La Reine accompagnée de toutes ses Dames d’honneur, vint au devant du Roy jusqu’à la porte de la derniere anti-chambre, où Sa Majesté prit la Couronne des mains du Comte de Denhoff, & dans le milieu de cette chambre la mit sur la teste de la Reine Le Roy la mena ensuite dans son appartement, où elle se fit attacher la Couronne par Madame la Duchesse de Holstein, & par Mesdames les Gouvernantes de Fleélant & de Bulau.

Cela estant fait, le Roy entra dans la Salle d’Audience, & la Reine immediatement aprés, menée par leurs Altesses Royales les deux Margraves. Leurs Majestez estant assises sur leurs Trônes, toute la Cour & les Assistans leur firent de tres profondes réverences.

Aprés que le premier Heraut, suivant les ordres du Grand Maistre des Ceremonies, eut reglé la marche de ceux qui devoient servir à la pompe de la Ceremonie, l’on entendit sonner toutes les cloches de la Ville, & la Procession se fit de cette maniere, sur un chemin largement couvert de drap rouge, depuis les Appartemens de leurs Majestez jusques à l’Eglise.

1. Deux Herauts habillez comme à la Proclamation, marcherent les premiers.

2. Les Valets de pié, Heiduques, & Pages de leurs Majestez, avec leurs riches livrées.

3. Un Timballier.

4. Douze Trompettes.

5. Le Maréchal de la Cour, & le premier Echanson, portant des Bâtons de Maréchal.

6. Tous les Conseils & les Cours Souveraines & Subalternes, comme.

La Chambre des Comptes.

Les Chancelleries de la Cour & des Guerres.

La Chambre pour la Justice Criminelle.

Le Consistoire.

Les Députez de l’Université.

La Cour de Justice.

Le Parlement ou le Tribunal des Appellations.

Les Députez des Etats du Pays, des Villes, de la Noblesse, & des Comtes.

7. Les Gentilshommes de la Chambre & de la Cour, & les Ministres d’Etat.

8. Deux autres Herauts.

9. Un Timballier.

10. Douze Trompettes.

11. Les deux Grands Maréchaux avec leurs Bâtons.

12. Le Chancelier portant le Sceau du Royaume sur un coussin de velours.

13. Le Landhaffmeister portant le Globe sur un coussin de velours.

14. Le Grand Bourggrave portant l’épée.

15. Les Officiers Suisses habillez de satin blanc, de pied en cap. Les manteaux avec la cappe à l’antique, estoient richement garnis de dentelles d’or ou d’argent, selon leur rang. Ils avoient sur la teste une toque de velours ras noir, avec une plumette, la fraise gauderonnée, un ceinturon, des pourpoints à manches tailladées, les chausses troussées à l’Espagnole entrecoupées, avec les bas de soye blancs, les roses sur la toque, les jarretieres & les escarpins ou souliers de maroquin coupez à l’Espagnole.

16. S.A.R. le Cron Prince, lestement habillé d’un drap d’or, portant le Collier comme les autres Chevaliers, & ayant son Grand Gouverneur le Comte de Dona à latere, tant soit peu en arriere.

18. Le Roy sous un Dais de velours rouge richement garni de franges & de cordons d’or, & porté par dix Chambellans. Sa Majesté estoit habillée d’une écarlate rouge brodée d’or, avec la plus belle garniture de boutons de diamans qu’on puisse voir. Au Manteau Royal de velours rouge, fourré d’hermines, & brodé de Couronnes & d’Aigles d’or, il y avoit une agrafe de trois beaux diamans, estimée cent mille écus. Son Excellence, Mr le Comte de Wartemberg, en portoit la queuë, assisté par deux Chambellans les Comtes de Dona & Donhoff. À la Couronne il y avoit des diamans extrémemens brillans, & d’une beauté extraordinaire. Le Sceptre estoit artistement garni de grands diamans, de rubis & d’autres pierreries.

18. Son E. le Feldmarchal, Comte de Barfous, comme Connestable du Royaume, entre les Capitaines de la Garde du Corps & des Cent Suisses.

19. Deux Gardes du Corps.

20. Le Comte de Dona de Reichswald l’aîné de la Famille qui est en Prusse, portant la Banniere du Royaume.

21. S.A. le Duc de Holstein.

22. Sa Majesté, la Reine entre les deux Marggraves, sous un Dais pareil à celui du Roy. Elle estoit parée de grosses perles parfaitement rondes & d’autres pierreries extrémement belles, & habillée d’une riche étofe d’or de Ponson, garnie de Malines d’or. Madame la Duchesse de Holstein, & Mesdames de Steeland & de Bilau portoient la queuë du Manteau Royal, & un Gentilhomme portoit celle de la Duchesse La Princesse sa Fille estoit menée par Mr de Grumkow, Gentilhomme de la Chambre de la Reine.

23. Deux Gardes du Corps.

24. Les Dames d’honneur la Reine avec les Dames de qualité du Pays.

Les Cent Suisses estoient partagez de chaque costé du Dais de leurs Majestez, marchant avec les Fiffres, Tambour battant, & Drapeaux déployez.

Sur le chemin il y eut les Gardes du Roy à cheval & à pied, rangez en haye.

CEREMONIES
du Sacre.

À l’Eglise du Chasteau on avoit osté les Bancs & élevé un Amphiteatre, garni de velours pour les principaux ; & de drap rouge pour les autres Spectateurs. Les tapisseries estoient d’un dessein admirable, & les ornemens de toute l’Eglise magnifiques, & d’un tres-bon goust.

Les deux Trônes estoient avantageusement placez aux piliers vis-à-vis de l’Autel. Ils estoient d’un velours cramoisi garni au dos d’un drap d’or, & par tout de cordons, de galons & de franges d’or, parsemé de Couronnes & d’Aigles brodées d’or. Il y avoit au dessus des Dais des Aigles étendus noirs, tenans dans leurs serres une Couronne & un Sceptre d’or, & le tout estoit de l’ordonnance de Mr d’Eozander, Capitaine & Intendant des Bâtimens. L’endroit où étoient ces Trônes, & les marchepieds pour leurs Majestez, estoit par tout garni du même velours.

À la porte de l’Eglise leurs Majestez furent reçuës par Mr Ursinus de Berlin, premier Evêque & Consecrateur, & par le Docteur Sanden de Conigsberg, Evêque Assistant. Ils avoient des robes de velours noir faites exprés pour cette Ceremonie, & estoient accompagnez de six autres Ministres Lutheriens & Réformez.

Le Consecrateur dit à leurs Majestez, Benis de l’Eternel, Roy & Reine, entrez dans la force du Seigneur ; que vostre entrée & vostre issuë soient benies dés maintenant & à toujours. Amen. Pendant la Musique, leurs Majestez occuperent leurs Trônes, & les Ecclesiastiques se rangerent en ordre prés de l’Autel.

Aprés que l’Eglise eut chanté un Cantique pour implorer le secours du Ciel, l’Evêque assistant dit une priere assez longue, faite au sujet du Sacre, & l’Eglise chanta le Gloria en Vers Allemans.

Aprés le Sermon fait par Mr Ursing, sur les paroles du 1. Sam. 2. v. 20. J’honore qui m’honore, on chanta en Musique les versets 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. & 14. du Ps. 21. & ensuite avec toute l’Eglise, Veni Creator Spiritus, de la Traduction de Luther.

Le Roy se mit à genoux sur un Priedieu, placé devant l’Autel, sous un Dais de velours cramoisi, attaché à la voûte, brodé comme les autres. Sa Majesté ôta elle-même sa Couronne, & la mit sur le carreau avec le Sceptre. Le Consecrateur tenant une assiette d’or en ses mains, y receut de S.E. Mr le Grand Chambellan, la fiole de Jaspe où estoit l’huile destinée pour le Sacre, & l’ayant donnée à tenir à son Assistant, il en versa sur les deux premiers doigts de sa main droite, & en sacra le Roy au front & au pouce des deux mains, aprés que S.E. le Grand Chambellan luy eut retiré un peu la perruque, pour rendre le front plus libre à recevoir l’onction.

Cette action fut accompagnée d’un Discours de la part du Consecrateur, sur l’autorité royale, que Sa Majesté recevoit de Dieu, le Roy des Rois. Le Chœur y applaudit en chantant Amen, amen. Vive le Roy, que Dieu prolonge sa vie ; & S.E. le Grand Chambellan essuya cependant au Roy les places ointes, d’un mouchoir qu’il mit entre les mains du Consecrateur.

Les mêmes ceremonies furent observées à l’égard du Sacre de la Reine, excepté que Madame la Duchesse de Holstein luy essuya l’huile de l’onction. Là-dessus les Evêques & les Ministres se rangerent devant le Roy, firent de profondes reverences, & adorerent Sa Majesté. C’est le terme affecté à cette ceremonie dans le Vieux Testament, & parmy les Anciens.

Le Consecrateur donna la benediction à leurs Majestez, & le Chœur repeta l’Amen, comme cy-dessus, & chanta en Musique, Gloria in excelsis Deo, & in terra pax hominibus bonæ voluntatis, en Allemand. Le Consecrateur dit au peuple, Craignez Dieu, honorez le Roy & la Reine, & tourna en vœu & prieres pour la prosperité de leurs Majestez le Pseaume 121. On chanta en action de graces les deux derniers couplets d’un Cantique.

L’Evêque assistant Mr de Sande finit la ceremonie par une priere assez longue, qu’il fit devant l’Autel, & donna la benediction aux assistans. Le Te Deum fut chanté au son des Trompettes & d’autres Instrumens. Toutes les cloches de la Ville sonnerent, & on fit une triple décharge de l’Artillerie de la Forteresse, aussi bien que des rampars de la Ville. Le Margrave Mr de Racischke, proclama le pardon general pour tous les Prisonniers, excepté ceux qui étoient coupables de crimes de leze Majesté divine, humaine & Royale, comme aussi les Prisonniers pour meurtres & pour dettes.

Aprés que leurs Majestez se furent retirées dans leurs appartemens, & que le signal eut esté donné par un Heraut, le drap rouge, avec lequel le chemin de l’Eglise avoir esté largement couvert, fut déchiré, & coupé en pieces par le menu peuple. Le Sr Stessius, Secretaire de l’Epargne, & quelques autres Officiers de la Cour, estant à cheval, jetterent avec profusion des Medailles d’or & d’argent, frapées au coin du Roy. D’un costé il y avoit FRIDERICVS REX : & en bas, Unct. Regiomont. 18. Jan. & de l’autre une Couronne royale avec ces mots, Prima meæ Gentis, 1701.

Cérémonies observées à la Table du Roy, après le Sacre §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 177-189.

CEREMONIES
Observées à la Table du Roy, aprés le Sacre.

À la grande Salle du Château richement tapissée, on avoit dressé la Table sous deux Baldachins, sur une estrade élevée à trois degrez de terre.

Aprés le signal que l’on donne ordinairement par vingt-quatre Trompettes & deux Timbaliers pour couvrir la Table, les Services furent portez de cette maniere.

Quatre Herauts precedoient marchant deux à deux, puis les Hautsbois, Timballiers & Trompettes, joüant alternativement les uns aprés les autres ; les deux Grands Maréchaux & les deux Maréchaux de la Cour ; les Gentilshommes de la Cour & Officiers, tous couverts, jusqu’à ce qu’ils eussent posé les Services sur la Table.

Deux Chambellans presenterent à laver à leurs Majestez. Le Grand Chambellan donna la serviette au Roy & Madame la Duchesse de Holstein à la Reine. Mr le Comte de Dona presenta la serviette moüillée au Prince Royal & trois Chambellans à leurs Altesses Royales, à Madame la Duchesse de Courlande & aux deux Marggraves.

La Priere ayant esté recitée par Mr Ursinus, premier Concionateur de la Cour, leurs Majestez se mirent au milieu de la table ; du costé du Roy, le Prince Royal & le Marcgrave Albert, & de celuy de la Reine, Madame la Duchesse de Courlande, & le Marcgrave Chrestien Louis.

Ceux qui avoient porté la queuë des Manteaux Royaux, le Feldmaréchal, le Gonfalonier du Royaume, les deux Capitaines des Gardes du Corps & des Cent Suisses, & le Grand Maistre d’Hostel de la Reine se mirent derriere leurs Majestez.

Ceux qui avoient porté les Ornemens de la Couronne, & les Députez des Etats se rangérent du costé droit, & les Dames de la Reine, & les Officiers & Conseillers de la Cour & du Pays, à la main gauche.

Les deux Maréchaux de la Cour accompagnez de quelques Gentilshommes allérent querir une piece d’un bœuf qu’on avoit rosti à la Place de l’Ecurie, & la donnérent au Grand Maréchal qui la presenta à la table du Roy.

Deux Chambellans firent les fonctions d’Ecuyers tranchans, & portoient les assiettes pour le Roy au Grand Chambellan ; pour la Reine, à Madame la Duchesse de Holstein ; & pour le Prince Royal, à son Grand Gouverneur. Leurs Altesses Royales Madame la Duchesse de Courlande & les Freres du Roy reçurent leurs assiettes des mains de ces Chambellans mêmes.

Un Gentilhomme de la Chambre porta à boire pour le Roy à un Chambellan, & le Grand Chambellan le presenta à Sa Majesté.

Une Demoiselle de la Reine le donnoit à Madame la Gouvernante, celle-cy à Madame la Duchesse de Holstein, qui le presentoit ensuite à la Reine.

Pour le Prince, c’estoit un Chambellan titulaire, duquel le Grand Gouverneur Comte de Dona le prit pour presenter à S.A.R.

Aux autres Altesses Royales, un Chambellan titulaire le presentoit, aprés l’avoir reçu d’un Gentilhomme de la Cour.

Les quatre autres Services furent apportez avec les mêmes ceremonies que les premiers. Il y eut un Service tout d’or massif, & le buffet estoit extrémement riche & magnifique. En toute autre chose on ne pouvoit assez admirer la magnificence & le grand ordre de cette Table, qui fut tenuë les bougies allumées,

Le Roy aprés avoir lavé & prié Dieu, reprit le Sceptre à la main, & precedé des quatre Maréchaux & de tous les Grands du Royaume, conduisit la Reine dans ses Appartemens.

Lorsqu’il fut retourné dans les siens, les Etats du Royaume, les Ministres & les Principaux de la Cour furent traitez avec une magnificence & une profusion extraordinaire.

Durant la Table du Roy, on avoit fait couler du vin par deux Aigles, qui estoient sur une fontaine faite exprés dans la Place de l’Ecurie.

En même temps on avoit donné en pillage un Bœuf rôti tout entier, farci, & lardé de liévres, de moutons, de veaux, & de plusieurs sortes de volailles. Le Peuple se jetta là dessus, & sur toute la Cuisine, & en fit dans un moment mille pieces, aprés que les Maréchaux de la Cour eurent coupé une piece de ce Bœuf pour la Table du Roy.

Vers le soir il y eut de grandes illuminations dans toute a Ville. Celles qui estoient dans la grande ruë du Kneiphof, où demeurent les plus riches Bourgeois, estoient les plus belles.

Leurs Majestez aprés avoir soupé en particulier, allerent avec toute la Cour en Carosse voir ces illuminations, & s’arrestérent en plusieurs endroits pour regarder les belles Peintures & Inscriptions, & pour entendre le beau Concert qui se donna dans la pluspart des Maisons.

Tous les Bourgeois sous les armes & rangez en haye demeurérent dans les ruës depuis le matin jusque bien avant dans la nuit, que la Cour eut fait le tour dans la Ville. En plusieurs endroits il y eut des Musiciens, qui au passage de la Cour faisoient retentir des voix & des instrumens.

[Epitalame] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 189-193.

Je vous ay parlé dans ma Lettre du mois passé du mariage de Mr de Chailly & de Mademoiselle de Normanville. C’est ce qui a engagé un Favori d’Apollon, des plus estimez, à faire cet Epithalame. Vous vous connoissez en belle Poësie, & vous trouverez sans doute en celle cy tout ce que vous y cherchez.

Enfin elle paroist, cette belle journée,
Qui va de ces Amans remplir tous les desirs.
Hymen, ô doux Hymen, remplis leur destinée,
Et verse dans leurs cœurs la joye & les plaisirs.
L’Amour qui dans son Temple aujourd’huy les appelle,
A luy-même formé cette union si belle,
Et quand sa main propice en a serré les nœuds,
Une constante paix, une ardeur mutuelle,
 Dans le sein des Ris & des Jeux
 Leur font couler des jours heureux.
Voy quel est l’agrément & la delicatesse
De la jeune Beauté que t’immole l’Amour.
Dés ses plus tendres ans formée à la sagesse
Elle en prit le modèle au milieu de la Cour,
Et sceut y conserver avec la politesse
La modeste pudeur qui fuit l’éclat du jour,
Pour captiver ce cœur orné de tant de graces
Il en falloit un autre où regnast la candeur,
Et qui de la vertu suivant les nobles traces
Gardast pour cette Epouse une éternelle ardeur.
Le voici, cet Epoux, constant, & digne d’elle
Fils d’un Pere obligeant, sincere, Ami fidelle,
Et qui dans sa Famille a pris soin de nourrir
Cet esprit d’union que l’on y voit fleurir.
Hâte-toy de sceller cette heureuse alliance
 Où le merite & l’opulence,
Les dignitez, l’honneur brillent avec éclat,
Et qui fournit des Sujets à la France
 Qui servent l’Eglise, & l’Etat.
Mais c’est en vain, Hymen, que ma Muse te presse
De prendre ton flambeau, ta couronne, tes traits,
Toy-même as devancé les vœux que je t’adresse,
Et bien-tost nos Amans vont estre satisfaits.
 Tu sçais qu’un celeste Genie
Qui veille sans relâche au bonheur des François
 Rangeant ces deux cœurs sous tes loix
T’engage d’assurer le repos de leur vie.
C’en est assez, Hymen ; en te parlant je vois
Le bel Astre du jour qui se cache dans l’Onde.
N’allons pas te ravir ces precieux momens,
 Et laissons à la Nuit feconde
Le soin de presider à leurs contentemens.

[Mort de Mr de Noyon]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 199-203.

Messire François de Clermont Tonnerre, Evêque Comte de Noyon, Pair de France, est mort à peu prés dans le même temps. Il estoit Prelat Commandeur de l’Ordre du Saint Esprit, Conseiller d’Etat, & l’un des Quarante de l’Academie Françoise. Je vous a y parlé tant de fois de la Maison de Clermont Tonnerre, que je n’ay plus rien à vous en dire. Il en est peu qui soient plus connuës. Le Défunt n’estant encore qu’Abbé de Tonnerre ; & n’ayant guere plus de vingt ans, se distinguoit parmi les Predicateurs, & faisoit déja paroistre beaucoup d’érudition, estant fort attaché à remplir tous les devoirs, & aimant le Roy naturellement. Sa Charge de Conseiller d’Etat d’Eglise a été donnée à Mr l’Abbé Bignon, Neveu de Mr le Chancelier. Elle est d’une grande distinction, puisqu’il n’y en a que trois, qui sont d’ordinaire trois Evêques. Mr l’Abbé Bignon est du sang dont les Conseillers d’Etat se font. Feu Mr Bignon son Pere estoit Conseiller d’Etat ordinaire, & avoit brillé auparavant dans le Parlement, en qualité d’Avocat General. Mrs ses Freres joüissent presentement de la même dignité. Je ne vous diray rien de plus de cette illustre Famille, n’y ayant personne qui ne soit instruit de tout ce qui la distingue. Mr l’Abbé Bignon est estimé generalement par la bonté de son cœur, & par mille qualitez qui se trouvent rarement dans une même personne. Il est grand Predicateur, & universel dans tout ce qu’il est avantageux de sçavoir. Il est de l’Academie Françoise, & President de l’Academie des Sciences, dont il a renouvellé l’éclat par ses soins, & pour laquelle il a fait faire quantité de Reglemens fort avantageux pour ceux qui composent cette Academie.

[Mr de Sassi est nommé pour remplir la place de l’Academie qu’occupoit feu Mr de Noyon] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 203-204.

La place que feu Mr l’Evêque de Noyon occupoit dans l’Academie Françoise, vient d’estre remplie par Mr de Sassi, Avocat au Conseil, des plus renommez. La reputation qu’il s’est acquise dans cet employ, & l’approbation que le Public a donnée à la Traduction qu’il a faite des Lettres de Pline le Jeune, ont déterminé cette illustre Compagnie à luy donner ses suffrages. Je vous parleray le mois prochain de ce qui se sera passé le jour de sa reception dans ce Corps.

[Nouveau détail de plusieurs particularitez qui avoient esté obmises, & qui se sont passées à la route du Roy d’Espagne]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 208-216.

Quoy que le Journal que je vous ay envoyé dans mes deux dernieres Lettres, de tout ce qui s’est fait dans les lieux qui avoient esté marquez pour la route du Roy d’Espagne, depuis Versailles jusques à Saint Jean de Luz, ait paru fort exact, & que je n’aye rien negligé de ce qui pouvoit le rendre tel, il s’est tant passé de choses qu’il est impossible que je n’en aye oublié quelques-unes. Ainsi j’ay cru les devoir ajoûter icy afin que ceux qui auront toutes mes Lettres puissent dire qu’ils y ont trouvé tout ce qu’on peut dire de plus curieux de cette fameuse route.

On sortit d’Orleans par le Pont de la Pucelle, & l’on trouva à la vuë de l’Abbaye de S. Memin, les Feüillans de cette Maison, qui presenterent des fruits & des gâteaux, comme ils ont accoûtumé d’en presenter au Roy quand Sa Majesté va à Chambord. Les Bourgeois de Boisgency se trouvérent au même lieu, & firent leurs presens au Roy d’Espagne & à Messeigneurs les Princes.

Sa Majesté Catholique & Messeigneurs les Princes entrerent dans une des deux grosses Tours de l’Eglise d’Amboise, qui ont chacune un degré uni en pente, & sans marches, paré de brique, par lequel montoient autrefois toutes sortes de voitures. On découvre de leur Donjon une des plus belles vuës du monde, au dessus & au dessous le long de la Loire, & l’on apperçoit la Ville de Tours dans l’éloignement.

Mr Duché qui accompagne Mr le Comte d’Ayen en qualité de Secretaire, & d’Homme d’esprit & de Lettres, donna lieu dans la route au petit divertissement dont vous allez voir le sujet.

FESTE IMPROMPTU
DONNÉE
AU ROY D’ESPAGNE

À Lusignan, le jour de sa Naissance.

Un Suivant d’Apollon.

Quittez, Muses, quittez les rives du Permesse ;
Que le nom de Philippe éclate dans les airs.
 Préparez des chants d’allégresse,
Pour l’un des plus grands Rois qui soient dans l’Univers.
 Son sang & ses vertus à l’envy le couronnent ;
Les plaisirs innocens que la raison conduit,
 Le précedent & l’environnent,
 Et toûjours Minerve le suit.

Un autre.

 Que mille fleurs naissent sur son passage.
Formez pour luy les plus aimables sons ;
 Quelle gloire, quel avantage,
 S’il applaudit à nos chansons !

Chœur.

 Que mille fleurs, &c.

Entrée des Muses & des Suivans d’Appollon.

Un des Suivans.

 Que ses hauts faits consacrent sa memoire,
Que de ses jours heureux rien ne trouble le cours ;
Que ses plaisirs soient égaux à sa gloire,
Qu’ils renaissent sans cesse, & qu’ils durent toûjours.

Chœur.

 Que ses hauts faits, &c.

Seconde entrée.

Trois des Suivans d’Apollon.

 Mais quel éclat rempli de Majesté,
 Donne un nouveau jour à la terre ;
Est-ce Philippe, ou le Dieu du Tonnerre,
Qui répand en ces lieux cette vive clarté ?

Un autre.

 C’est Appollon, je le voy qui s’avance,
 Gardons tous un profond silence.

Apollon.

 Le Ciel exaucera vos vœux.
Philippe doit joüir d’une gloire immortelle,
Ses vertus passeront à ses derniers Neveux,
 Et Loüis sera son Modele.
Vous peuples, que le Ciel rassemble desormais,
De qui l’Ebre & la Seine arrosent les Campagnes,
 Demeurez unis à jamais.
 Les Dieux du Ciel, de la terre & de l’onde,
De vostre sort heureux en vain seroient jaloux,
Si vous vous conservez dans une paix profonde.
  L’Empire du monde,
  Ne sera qu’à vous.

Chœur.

 Grand Roy, soyez comblé de gloire,
Regnez, s’il se peut, à jamais.
Que devant vous soient Mars & la Victoire
Soyez toûjours suivi des jeux & de la Paix.

In Laudem Philippi V. Hispaniarum Regis. Carmen Musicum §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 216-220.

Quoy que pour n’estre point accablé de pieces Latines je n’en mette point dans mes Lettres, lors qu’elles excedent la longueur de quatre Vers, je ne puis vous refuser le Motet qui fut chanté dans l’Eglise de Saintes. Les paroles en sont si chantantes, & le Latin est si facile à entendre, qu’on ne le peut lire sans qu’il fasse plaisir à l’esprit & à l’oreille.

IN LAUDEM PHILIPPI V.
HISPANIARUM REGIS.
CARMEN MUSICUM.

Cantate Domino canticum novum.
Cantate novo Regi novum canticum.
Cantate Domino, cantate Philippo,
Cantet Regi Catholico totus orbis Christiadum.
 Cantate Galli, cantate Hispani.
Hic noster amor est & desiderium.
Spes unica tot gentium.
 Cantate Galli, cantate Hispani.
Cantet totus orbis Christiadum.
 Hic noster amor est & desiderium,
Cantate Domino sæculum novum,
Cantate Philippo sæculum aureum,
Cantate sæculo Regnum Borbonidum.
 Cantate Galli, cantate Hispani.
Cantet Regi Catholico totus orbis Christiadum.
O Philippe Rex invicte.
Qui videt te ; videt, & Patrem, & Patrem tuum.
O Philippe, qui videt te,
 Videt & delicias hominum.
Cantate Galli, cantate Hispani.
Qui videt Philippum, videt delicias hominum.
 O quantâ septus es gloriâ Principum !
Aureâ septus es coronâ Borbonidum.
O Philippe, ô decor, robur & imperium.
O Philippe, Tu decor es, & corona Borbonidum.
 Cantate Galli, cantate Hispani.
Cantet Philippo nunc nunc totus orbis terrarum.
Cantemus, cantemus Regi Catholico,
  Sæculum novum,
  Sæculum aureum.
 Sæculum Borbonidum.

Au Roy Catholique. Madrigal §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 242-243.

Vous connoissez Mr de Cantenac, Chanoine de l’Eglise Metropolitaine & Primatiale de Bordeaux, où il fait sa residence ordinaire. Je vous ay déja fait part de plusieurs ouvrages de sa façon, que vous avez lûs avec plaisir. C’est luy qui a fait ce Madrigal.

AU ROY CATHOLIQUE.
MADRIGAL.

Si, charmé de vostre merite,
 Et soûmis à de justes loix,
Plein de zele & d’ardeur, l’Ibere vous excite
 À vous aller charger du poids
 De tant de Sceptres a la fois.
D’un éclat sans pareil, vous ornez sa Couronne.
 Il y trouve son interest ;
 Mais son choix, tout juste qu’il est,
 Nous oste plus qu’il ne vous donne.

[Vers Latins de Mr Saro]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 243-244.

Les Vers Latins qui suivent sont de Mr Saro. Il a fait une tres belle Relation de ce qui s’est passe à Bordeaux à la reception de Sa Majesté Catholique & de Messeigneurs les Princes ; mais estant arrivée trop tard, je ne pus vous l’envoyer le mois passé.

Inscribendum imagini Philippi V.
Hispaniæ Regis.

Hic Lodoïcis Avi specimen, spes altera Patris,
Plurima Sceptra gerit redivivo clara Philippo.

[Madrigaux]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 244-249.

Ces autres Vers furent presentez au Roy d’Espagne, & à Messeigneurs les Princes, à leur arrivée à Bordeaux. Ils sont de Mr Robert Avocat au Presidial de Perigueux.

MADRIGAL.

 Courez, Peuples, courez de toutes parts,
 Venez en foule admirer les Cesars,
Que la France, à la fois en tant de Rois feconde,
Eleve dans son sein pour gouverner le monde.
 Cet air si grand & si majestueux,
  Cet éclat qui les environne
  Qui nous ravit & nous étonne.
 Ce noble feu qui brille dans leurs yeux,
 Et qui ressemble à celuy de Bellonne ;
Enfin ces traits divins que l’on remarque en eux,
Exigent des Mortels leurs encens & leurs vœux,
 Offrons leur donc & nos biens & nos nos vies :
Ce sont les Petits-Fils d’un Heros sans égal,
Qui sans doute seront les illustres Copies
  De cet auguste Original.

À LA GLOIRE
DE SA MAJESTÉ
CATHOLIQUE.

Espagnols, si le Ciel vous osta vostre Maistre,
Il vous en donne un autre issu du sang des Dieux,
 Qui va bien-tôt dans vos Etats paroître,
Prest à vous soutenir, en tout temps, en tous lieux.
 Qu’heureuse est vostre destinée !
 De vivre sous les douces loix,
 D’un auguste Prince François,
Dont l’ame est de vertus & de graces ornée !
Et qui prenant pour modele Louis,
 Soit dans la Paix, soit dans la Guerre,
 Et l’imitant dans ses faits inoüis,
Se rendra comme lui les amours de la terre.
Castillans, qui suivrez par tout ses heureux pas,
À quelle gloire un jour ne prétendrez-vous pas ?
 Hâtez-vous donc de couronner la teste
D’un Heros dont le cœur animera vos bras,
Et qui mettra pour vous conqueste sur conqueste.
***
Philippe, dont le nom va remplir l’Univers,
Ma Muse ose t’offrir humblement pour étrene
 Un Madrigal de dix-sept Vers.
Ces champestres enfans d’une rustique veine,
Ont du moins le bonheur d’estre au nombre précis
 Grand Roy, de tes belles années.
O Dieux ! dans un long cours rendez-les fortunées,
Et mesurez son regne à celuy de Louis !
***
 Paris, tu pouvois te vanter
 De renfermer dans tes murailles,
  Les grands Dieux des Batailles ;
Mais Madrid desormais sçaura bien t’imiter
 Et retrouver son ancienne vaillance,
Dans ce Maistre nouveau que lui donne la France.
***
Va posseder, Grand Roy, ton puissant Heritage,
C’est le prix de ton cœur ; la Justice & la Paix
  Applaudissent à ce partage.
Le Ciel à ton grand nom le conserve à jamais !

Au Rey de les Espaignes §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 249-255.

On presenta à Bazas au Roy d’Espagne les Vers suivans en langage du Pays.

AU REY
DE LES ESPAIGNES.

Que ma lengue me pruts de dise ma pensade
Mais ma Muse prun Rey n’est pas prou delicade
Prácô n’estrey pas de ly dise en Gascon
Philip, en bous besen on bey boste paybon.
***
Anets luzy, Grand Rey, sur lou Trône d’Espaigne,
Effaçats Charle-quint, obscurcits Charlemagne,
Auta doux que Davit, sage coum Salomon,
De bostes grands exploits hazets treni lou nom.
***
Jou preguy lou bon Diu qu’aprés un maridatge
Assortit de bonhur, & bous dongui mainatge,
Qui coum lon jouen Grec nou manqui de ploura,
En disen quats tant heit que ny a res plus ahâ.
***
Grand Rey en bous quittant dats nous l’assegurance
Desta lou bon ami tout jamei de la France
Que ne pot chob plora beze boste depart
Et chob sarrejoüir tabé d’une autre part.
***
Quend songe quets bati ha regna dens Galice
A Madrit & per tout la Foy & la Justice
Et ligua l’Espagnon abesque lou Frances
Sire, acquets deux units non barran mey de tres.

Voici une espece de Traduction de ces Vers Gascons.

AU ROY D’ESPAGNE.

Que ma Muse est fertile & sent d’impatience
De pouvoir à son tour dire ce qu’elle pense
De consacrer ses vœux à l’honneur d’un Grand Roy,
Mais comment s’acquitter d’un aussi digne employ ?
***
Je luy diray pourtant sans tarder davantage
Qu’il est de son Ayeul une parfaite image,
Qu’il en a la valeur, l’esprit, le jugement,
Et qu’en voyant Philippe on voit Louis le Grand.
***
Ouy, Sire, quoy que jeune & d’un âge assez tendre,
L’Homme parfait chez vous ne se fait point attendre.
Issu de ce Heros, de son sang animé
Vous avez les vertus d’un Prince consommé.
***
Allez donc au plutost sur le Trône d’Espagne
Effacer Charlequint, obscurcir Charlemagne,
Vivre comme David, regner en Salomon
Et remplir l’Univers du bruit de vostre nom.
***
Allez, & que le Ciel aprés un Hymenée,
Assorty du bonheur d’une longue lignée
Vous laisse quelque jour un digne Successeur,
Qui pareil à ce Grec, jeune & fameux Vainqueur,
S’instruisant des vertus, des hauts faits de son Pere,
Et voyant que son bras ne trouve rien à faire,
S’écrie, en gemissant & pleurant de regret,
Philippe a tout conquis, sa valeur a tout fait.
***
Allez encore un coup, nous laissant l’esperance
Que vous serez toûjours bon ami de la France,
Qui ne peut s’empêcher, voyant vostre départ,
De pleurer d’un costé, tandis que d’autre part
Elle se réjoüit pensant qu’en la Galice
Et dans tous vos Etats va regner la Justice,
Que vous allez unir l’Espagnol au François :
Sire, ces deux unis en vaudront plus de trois.

Paraphrase du Pseaume 127 §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 256-260.

Sa Majesté Catholique & Messeigneurs les Princes arriverent au Mont de Marsan, où Mr l’Evêque d’Aire s’estoit rendu la veille pour leur faire compliment, le Mont de Marsan estant de son Diocese. Il officia en habits pontificaux, & y tint une table tres magnifique pendant le sejour que le Roy d’Espagne, & Messeigneurs les Princes y firent. Quoy que l’on ne s’attendist pas à trouver grand monde dans ce lieu, il y vint tant de Noblesse des environs, que la Compagnie se trouva nombreuse au Bal que donna Mr l’Intendant. Mr le Duc de Vejar, Mr le Comte de Villalva, son Oncle, & Mr le Duc de Pigneranda, firent couler le soir des fontaines de vin devant leur logis.

À Dax on trouva la grande porte de l’Evêché & la cour ornées de plusieurs Cartouches, avec des Devises convenables aux affaires du temps.

Mr Duché, dont j’ay déja parlé plusieurs fois, & qui est auprés de Mr le Comte d’Ayen, presenta les Vers suivans à Sa Majesté Catholique.

PARAPHRASE
du Pseaume 127.
Beati qui timent Dominum, qui
ambulant in viis ejus.

Quelle gloire, Grand Roy, que de prosperitez !
 Quel comble de felicitez
De celuy qui craint Dieu remplissent l’esperance !
En suivant ses sentiers heureux & peu battus
Tu vois de tes travaux quelle est la recompense,
Et déja tu jouis du fruit de tes vertus
***
De ton auguste Sang une race puissante
 Comme la vigne florissante
Remplit de toutes parts tes augustes Palais,
Et tels que des rameaux de l’olivier paisible
Tes Fils éternisant ton pouvoir invincible,
Assurent à ton Trône & la Gloire & la Paix.
***
Ainsi, qui du Seigneur n’a point perdu la crainte
 Ne sentira jamais l’atteinte
Des redoutables traits qu’il lance en sa fureur.
Ainsi, plein des desseins que luy-même il t’inspire
Puisses-tu comblé d’ans voir ton heureux Empire
Estre du monde entier l’Amour & la terreur.
Que les Fils de tes Fils répandus sur la terre,
 Soit dans la Paix, soit dans la Guerre,
Au bout de l’Univers aillent porter ta loy,
Que comblez à tes yeux de bonheur & de gloire,
Conduits par l’Equité, suivis par la Victoire
Toujours Grands, toujours Saints, ils soient dignes de toy.

[Journal de la route du Roy d’Espagne]* §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 260-323.

On ne peut rien ajoûter aux Illuminations qui se firent à Bayonne ; car outre les lanternes de papier coloré, rempli de Devises, les lampes & les flambeaux qui estoient aux fenestres, & dont vous avez vû le détail dans ma Lettre précedente, il y avoit six cens grosses lumieres dans des quarrez de fer blanc, élevez sur des posteaux de sept pieds de haut ; mais ce qui parut encore plus surprenant, fut l’Illumination des Vaisseaux, qui aprés une décharge de tout leur Canon, mirent des lumieres à tous leurs huniers, masts, poulies, bords, & generalement à tous les endroits où il n’y avoit point de risque que le feu prist. Ce qui formoit ces lumieres, estoit goudronné & huilé, & parut d’autant plus brillant, qu’il y avoit un grand nombre de Vaisseaux.

Plusieurs Espagnols se mêlerent pendant toute la soirée, & la plus grande partie de la nuit, aux Bourgeois & aux Basques, chantans & dansans, dont j’ay déja parlé & marquerent au son de leurs Guitarres la joye excessive dont ils étoient penetrez.

Sa Majesté Catholique & Messeigneurs les Princes allerent voir pendant leur sejour à Bayonne, le lieu nommé la Chambre d’Amour, qui est une espece de gouffre sous des rochers creusez par les flots.

On tira par delà la prairie, & de l’autre costé de l’Eau, environ quatre vingt Bombes. Il y avoit onze Mortiers qui ne tiroient que des Bombes chargées de terre, & qui ne crevoient pas ; mais il y en avoit deux dont les Bombes estoient chargées de poudre. Elles estoient extrémement éloignées des Princes, ou plûtost de Bayonne, & tomboient dans l’eau, ne pouvant faire aucun mal en tombant.

Avant que de partir de Bayonne, Mr le Maréchal de Noailles, toujours plein de consideration pour les Espagnols, envoya Mr de Hauterive, l’un de ses Gentilshommes, pour sçavoir comment Mr le Comte d’Ognate, Dom Antonio Martin, Fils de Mr le Duc d’Albe, & Mr le Prince Pio se portoient de l’accident qu leur estoit arrivé pendant le combat de Taureaux, s’ils n’avoient besoin de rien, & s’il ne leur pourroit estre bon à quelque chose. Ces Seigneurs reçurent ce Gentilhomme si gracieusement, qu’ils ne voulurent point entendre le compliment qu’il avoit à leur faire, qu’il ne fust assis auprés d’eux ; aprés quoy ils le chargerent de mille remerciemens pour Mr le Duc de Noailles, & répondirent, Que leur plus grand mal estoit d’estre hors d’estat de faire leur Cour à S.M.C.

Comme j’attendis pour fermer ma Lettre le mois passé, les premieres nouvelles de ce qui s’estoit passé à l’arrivée du Roy d’Espagne à Saint Jean de Luz, & à la separation de Sa Majesté & de Messeigneurs les Princes, & que je n’eus pas le temps d’attendre tout ce qui s’est écrit là dessus, je croy devoir parler de nouveau de ces deux Articles, afin qu’il ne manque rien au Journal de leur route, pour lequel j’ay pris soin de recueillir tout ce qui en a esté écrit.

Le jour que Sa Majesté Catholique & Messeigneurs les Princes partirent pour se rendre à Saint Jean de Luz, ils dînerent en Carosse à moitié chemin, sur une hauteur, au bord de l’Ocean, & arriverent de bonne heure à S. Jean de Luz, le plus agreable sejour du monde, au jugement de toute la Cour. Les Pirenées s’élevent derriere, & la mer par devant y entre dans une Anse en forme de croissant d’environ une lieuë, fermée par deux hauteurs, sur l’une desquelles on bastie un Fort, pour la seureté du Port qui est au dessous. Il y a des Quais par tout où ils sont necessaires. Les Bastimens entrent avec la marée jusque dans le Bourg, & un beau Pont en fait la communication avec l’autre partie, appellée Sibourg. Les ruës y sont larges & bien pavées, les maisons propres & bien basties, les Habitans aisez & honnestes, mais parlant un Jargon auquel on ne comprend rien. Les Femmes y sont belles, & il y vint quantité de jolies personnes pour voir, admirer, & se faire admirer elles mêmes.

Quoy qu’il se fust trouvé quantité d’Espagnols à Bayonne, on ne laissa pas d’en trouver encore beaucoup à Saint Jean de Luz, parmy lesquels il y avoit même des Dames que la curiosité y avoit attirées. Les Basques y firent merveilles, ainsi qu’à Bayonne. Ils estoient tout couverts de rubans, & avoient des camisoles blanches, des souliers sans talon, & des bas blancs ou rouges, entourez de grelots dont le son joint à celuy de leurs fifres faisoit un trop grand bruit pour ceux qui n’y étoient pas accoûtumez.

Pendant les deux jours qu’on passa à Bayonne le Roy Catholique & Messeigneurs les Princes se promenérent & tirérent sur le bord de la mer. Ils visitérent tout ce qu’il y avoit à voir, & le dernier jour, pour ne pas aigrir la douleur qu’ils sentoient en pensant que leur separation approchoit, Sa Majesté Catholique alla seule à la chasse, & Messeigneurs les Princes au Fort d’Andaye, vis à vis de Fontarabie, dont le Gouverneur les envoya complimenter, & les fit saluër de toute son Artillerie à leur arrivée, & à leur départ. Il fit aussi mille honnestetez à quantité de François que la curiosité de voir cette fameuse Place y avoit fait passer.

Mr le Duc de Beauvilliers, Mr le Maréchal de Noailles voulant sçavoir si la Maison de Sa Majesté Catholique, qui l’attendoit depuis deux jours à Iron, avoit assez de Mules pour emporter les hardes, meubles, & autres choses servant au Roy d’Espagne, qu’il faisoit porter avec luy, & en même temps si le Pont de Bateaux qu’on y faisoit pour son passage sur la riviere de Bidassoa, prés d’Iron, s’avançoit, & feroit prest pour le 22. envoyérent en poste à Iron, par ordre de S.M.C. Mr de Hauterive, dont je vous ay déja parlé plusieurs fois avec une Lettre de Mr le Duc d’Harcourt pour Mr le Marquis de Quintana, premier Gentilhomme de la Chambre du Roy d’Espagne, à present en quartier, & Capitaine de la Garde Espagnole. Il trouva à Iron dans la chambre de ce Marquis Mr le Marquis de Lameida, Majordome. Il donna son paquet, à Mr le Marquis de Quintana, luy presenta le Memoire des Mules qu’il falloit pour porter les hardes de Sa Majesté Catholique, & ce Marquis promit de faire fournir dés le lendemain quatre vingt Mules que le Roy demandoit. Sçavoir,

Pour ce qui regardoit la Bouche, 20.

Pour ce qui regardoit la Chambre & la Garderobe, 49.

Pour ce qui regardoit l’Ecurie, comme housses, brides, & selles, 5.

Pour ce qui regardoit le linge, 6.

Ensuite ils chargérent Mr de Hauterive d’assurer Mr le Duc de Beauvilliers, & Mr le Maréchal de Noailles, que le Pont seroit prest pour le 21. au soir, & qu’il y avoit cent cinquante hommes qui y travailloient. Ils firent prendre du chocolat à Mr de Hauterive, & en prirent avec luy, & luy donnérent une Lettre pour répondre à celle de Mr le Duc d’Harcourt, qui estoit à Saint Jean de Luz, où ce Gentilhomme ne fut de retour qu’à minuit.

Le 22. à neuf heures du matin, le Roy Catholique, après avoir esté le triste témoin des pleurs que répandoient ceux de sa Maison qui le quittoient, alla entendre la Messe à S. Jean de Luz, & au retour ce Prince fit un leger déjeuné, qui fut fort troublé par la pensée de la séparation qui estoit sur le point de se faire. Sa Majesté n’attendit pas Messeigneurs les Princes dans sa Chambre, ainsi qu’elle faisoit ordinairement, mais elle en sortit aussi tost qu’elle eut appris qu’ils montoient l’escalier. Ils se saluérent les uns les autres, sans se parler, mais leurs larmes firent connoistre leur douleur, & ce qu’ils auroient pû se dire s’ils avoient eu la force de proferer seulement quelques paroles. Sa Majesté Catholique monta en Carosse avec Messeigneurs les Princes, & Mrs les Ducs de Beauvilliers & de Noailles pour se rendre à Iron, Bourg en Espagne, où sa Maison l’attendoit. Elle estoit accompagnée du même Cortege qu’elle l’avoit esté dans tout le voyage, à l’exception des gros équipages. Toute la Cour estoit fort propre. On marcha tres-lentement, & l’on n’arriva qu’à midi. Cette heure fut bien dure à passer. Ces trois Princes se regardérent souvent, sans se parler que des yeux, & le profond silence que la douleur, dont ils estoient penetrez, les obligeoit à garder, faisoit mieux entendre leurs soupirs. Ils tirérent des larmes de Mrs les Ducs de Noailles & de Beauvilliers & de tous ceux qui se trouvérent presens, & arrivérent au bruit des Timbales, des Trompettes & des Tambours. Quatre mille François ou environ estoient accourus de toutes parts sur le bord de la Riviere. La Milice du Pays s’y trouva pareillement, ayant eu ordre de s’y rendre. Il y avoit aussi quelques Compagnies de Fuzeliers, & de Bourgeois de Bayonne. Le Pont qui estoit du costé de France, estoit le plus petit. Les Gardes du Corps, & les Cent Suisses leurs Officiers en teste, formoient trois rangs des deux costez, le Carosse de Sa Majesté Cath. passa au milieu, ce Carosse s’estant arresté auprés de l’Isle qui est entre les deux bras de la Riviere, & qu’on appele l’Isle de Joma, les larmes & les soupirs des trois augustes Freres sur qui estoient tournez les regards de toute l’Assemblée, redoublérent, & il se forma alors comme un écho des soupirs de toute cette triste Assemblée. Sa Majesté Catholique auroit traversé l’Isle, & passé l’autre Pont, qui estoit tout le chemin qui restoit à faire pour se rendre sur les Costes d’Espagne ; mais la Ville de Fontarabie luy ayant envoyé un Brigantin pour son passage, avec plusieurs petites Barques pour celuy de sa suite, Sa Majesté voulut bien s’en servir. Mr le Duc d’Harcourt estant allé voir si ce Brigantin estoit prest, & si toutes choses estoient en bon estat pour le petit trajet qu’il restoit à faire par Sa Majesté Catholique, estant venu luy en rendre compte, ce Prince fondant en larmes, & comme immobile, descendit de Carosse, Messeigneurs les Princes descendirent en même temps, & Monseigneur le Duc de Bourgogne se baissa fort bas en prenant congé du Roy son Frere, qui le tint quelque temps entre ses bras, & le serra tendrement. Ils répandirent beaucoup de larmes, & pendant que leur tendre douleur qui les faisoit paroistre dans un abattement dont toute l’Assemblée se ressentoit, leur ostoit la force de parler, Monseigneur le Duc de Berry donna des marques d’une douleur plus éclatante, mais qui neanmoins ne pouvoir estre plus vive que celle de Messeigneurs ses Freres, bien qu’elle éclatast davantage. Mrs les Ducs de Beauvilliers & de Noailles qui s’efforçoient de cacher leur douleur, pour ne pas aigrir celle de ces Augustes Personnes, ne purent retenir leurs larmes, ausquelles se joignirent celles de toute l’Assemblée. C’estoit un spectacle assez touchant, & assez nouveau, d’en voir tomber des yeux des Troupes, & de voir inspirer de la pitié par ceux qui les armes à la main, ainsi qu’ils les avoient alors, ne doivent inspirer que de la crainte. Mr le Duc de Noailles voyant que les trois grands Princes, dont les tendres adieux, qui ne finissoient non plus que leurs larmes, & qui tenoient toute l’Assemblée attentive, sans parler que du cœur & des yeux, n’auroient pas la force de se séparer, prit sa Majesté Catholique par le bras, & usa d’une espece de violence absolument necessaire, pour abreger des momens si durs & luy donna la main pour lui aider à marcher jusqu’au Brigantin, où Mr le Duc d’Harcourt qui venoit de prendre les devans, l’attendoit. Sa Majesté Catholique y entra avec ce Duc & Mr le Comte d’Ayen. On demanda avant que de partir Mr le Duc d’Ossune, & Dom Antonio Martin, Fils de Mr le Duc d’Albe ; mais comme on ne les trouva ny l’un ny l’autre, Sa Majesté Catholique partit, & on tira aussi tost les rideaux du Bâtiment où ce Prince venoit d’entrer, afin que sa douleur ne redoublast point, ou du moins ne continuast pas, en tournant ses regards du costé qu’il venoit de quitter, & d’où il auroit pû voir encore pendant quelques momens douloureux, les chers Princes dont il venoit de se separer, & dont l’extrême tendresse avoit fait redoubler la sienne, & attendri tout un Peuple.

Mr le Duc de Beauvilliers agissant en même temps par le même esprit, en entrant dans les mêmes pensées, que ceux, qui par une sage précaution, venoient de faire tirer le rideau du Brigantin, voulut détourner Messeigneurs les Princes d’un objet si cher, & si triste en même temps, & pour cela il les engagea à remonter en Carosse le plus promptement qu’il lui fut possible. Il en releva les glaces, comme pour leur cacher à demy les lieux où leurs regards estoient attachez, & fit marcher le Carosse pour les en éloigner encore davantage ; mais chacun garda dans son cœur l’idée des chers objets qu’il venoit de perdre de vûë. Toute l’Assemblée sortit alors de l’extase où l’avoient jettée les images de tendresse & de douleur qu’elle avoit encore presentes, & se remit en mouvement ; mais si la parole luy revint, ce ne fut que pour s’entretenir de ce qu’on venoit de voir, & que pour se dire les uns aux tres, en commençant à verser des larmes de joye, qu’une tendresse si parfaite, & fondée sur une amitié établie & fortifiée par les liens du sang, & par la bonne intelligence qui avoit toûjours regné entre ces Princes, promettoit à la France & à l’Espagne une union de longue durée, qui les couvriroit d’une gloire immortelle, & qui feroit joüir l’Europe, aprés avoir dissipé les broüillards qui la vouloient offusquer des douceurs de la Paix, puisque ces deux Couronnes unies seroient toujours assez puissantes pour l’imposer à ceux qui entreprendroient de la troubler.

Le Brigantin où le Roy d’Espagne venoit d’entrer, estoit d’une tres belle sculpture remplie en dehors de quantité d’ornemens. Il y avoit plusieurs festons à l’entour. L’Ecusson d’Espagne estoit à la Poupe, & toute cette sculpture estoit dorée ou argentée, selon qu’il convenoit à ces ornemens. La Chambre s’élevoit en dôme de Pavillon. Un tapis de Turquie en couvroit l’entrée, & tout le dedans estoit tapissé d’un Brocard bleu à grandes fleurs d’or tres-riche. Le Pilote avoit une Toque de velours noir, avec une aigrette de plumes blanches dessus. Le Roy d’Espagne avoit pour sa garde dans ce Brigantin quatre des Députez de la Province de Guipuscoa. Leurs habits estoient a la Françoise, tres magnifiques, & uniformes. Ces quatre Gentilshommes demeurérent debout, avec chacun un petit Mousqueton sur l’épaule, leur chapeau estoit retroussé à la Françoise avec une cocarde de rubans de plusieurs couleurs. Ils restérent auprés des Rameurs. Le Roy estoit placé dans le fond du Brigantin, Mr le Duc d’Harcourt, & Mr le Comte d’Ayen estoient sur le devant. Il y avoit une douzaine de Barques ou Chaloupes remplies de la pluspart des Espagnols qui estoient venus de Madrid à Bayonne, & de tous ceux qui estoient venus d’Iron pour joüir des premiers de l’honneur & du plaisir de voir Sa Majesté Catholique, & pour accompagner le Brigantin. On remarqua qu’un de ces Bâtimens estoit rempli de Dames. Il y avoit des Trompettes dans quelques-uns. Au premier mouvement qui se fit pour faire partir le Brigantin, on entendit en même temps un mélange des soupirs des François qui bordoient la Riviere en deça, & des cris de joye des Espagnols qui la bordoient de l’autre costé. Ces cris produits par le chagrin des uns, & par la joye des autres, furent poussez avec des transports si vifs & tant de fois repetez, que les montagnes en retentirent. Un grand bruit de Trompettes se fit entendre ensuite. Il se mêla aux cris de joye des Espagnols, & les François ayant perdu de vûë le grand Prince que la Gloire enlevoit, se retirérent, ravis de le voir sur un des premiers Trônes du monde, & chagrins de le perdre. Le Brigantin s’étendit en partant du costé de Fontarabie, comme pour égayer la vûë de Sa Majesté, & reprenant un peu aprés sur la gauche, vint descendre au pied d’Iron. Toute l’Artillerie de Fontarabie & d’Andaye se fit entendre par plusieurs décharges. Trouvez bon que je laisse à Iron Sa Majesté Catholique, & que je travaille à vous donner une Relation aussi exacte, de ce qui se sera passé sur sa route, depuis Iron iusqu’à Madrid, que i’ai eu le bonheur de vous en donner une de ce qui s’est passé dans le voyage de ce Monarque depuis Versailles iusques à Saint Jean de Luz.

Pendant que les Peuples qui bordoient la Riviere du costé d’Iron sembloient par leurs cris de joye, par leurs acclamations, & par leurs vœux faire avancer le Bâtiment qui portoit toutes leurs esperances, Monseigneur le Duc de Bourgogne, & Monseigneur le Duc de Berry avançoient du costé de Saint Jean de Luz. On marqua la joye que l’on avoit de les y revoir, de la même maniere qu’on l’avoit déja fait paroistre. On fit plusieurs décharges de toute l’Artillerie, & il y eut de nouvelles Illuminations.

Le 23. Messeigneurs les Princes, aprés avoit entendu la Messe, partirent pour Bayonne, où ils vinrent dîner. Ils trouverent le Maire & les Echevins à la porte de la Ville, & la Bourgeoisie sous les armes, ainsi que la Garnison, chacun à son Poste. Il y eut plusieurs décharges du Canon de la Citadelle, des cent pieces qui sont sur l’esplanade, & des Mortiers. Ces décharges servirent de signal pour commencer les illuminations qui furent suivies de toutes les demonstrations de joye que les Habitans purent imaginer.

Monseigneur le Duc de Bourgogne commença à tenir ce soir là une Table de dix-huit couvers, pour ceux des Seigneurs de sa suite qu’il luy plairoit de nommer chaque fois.

Comme on apprehendoit que la fonte de neges, dont on commençoit à s’appercevoir ne causast l’inondation qui survint peu de temps aprés, Mr le Maréchal de Noailles demanda à Mr du Saussoy un homme de l’Ecurie pour aller voir si les eaux de Dax n’empêcheroient point d’y arriver. Cependant, Monseigneur le Duc de Bourgogne donna ordre qu’aussi-tost que le Postillon auroit fait son rapport à Mr le Maréchal de Noailles, & qu’il seroit venu dire si les eaux laissoient le passage libre, on tirast seulement trois coups de Canon, qui serviroient de signal pour le départ, & qu’à trois heures du matin on batist la generale, afin que chacun fust averti. On entendit la Messe aux flambeaux. Les chemins estoient si rompus qu’encore que l’on ne se fust arresté que fort peu de temps à Saint Vincent pour y dîner, on ne put arriver qu’aux flambeaux à Dax. Les Jurats attendoient à la teste du Pont, & la Bourgeoisie estoit en armes à la porte de la Ville qu’on trouva fort éclairée. L’eau avoit cru de deux pieds le jour de l’arrivée, & plusieurs Carosses & Fourgons n’arrivérent que le lendemain, que l’eau continua de croistre.

Le 25. Monseigneur le Duc de Bourgogne dîna chez Mr l’Evesque Dax.

L’Adour, & les autres rivieres estant débordées à cause des pluyes continuelles, & des fontes de neges des Pirenées, on fut obligé de demeurer à Dax jusqu’au 3. de Février. Pendant le sejour que l’on y fit ; & qu’on n’avoit pas resolu d’y faire, puisqu’il a duré dix jours, Monseigneur le Duc de Bourgogne donna deux fois à manger aux Seigneurs de sa suite, & Mr le Duc de Beauvilliers leur donna aussi un magnifique repas. Ils donnérent presque tous les soirs le Bal aux principales Dames de la Ville & des environs, avec des Collations magnifiques. Messeigneurs les Princes chassérent, & joüerent plusieurs fois, & Mr l’Intendant eut l’honneur de joüer avec Monseigneur le Duc de Bourgogne. Le jour de la Purification, Messeigneurs les Princes firent leurs devotions à la grande Eglise, dés huit heures du matin. Ils vinrent ensuite dans leur appartement, & quelque temps aprés ils retournérent à l’Eglise, & assistérent à la Procession & à la grande Messe. Ils allérent l’apresdînée à la même Eglise, où ils entendirent Vespres, où Mr l’Evêque officia.

L’inondation de l’Adour estant un peu diminuée, & le Pont qu’on avoit fait sur un petit bras de cette même riviere, à deux cens pas de la Ville, estant achevé, on en partit le 3 pour aller coucher à Tartas. On alla le 4. au Mont de Marsan, où finit l’Intendance de Mr de la Bourdonnaye, Intendant de Guyenne. Il y prit congé de Messeigneurs les Princes, qui luy marquérent la satisfaction qu’ils avoient de la maniére dont il s’estoit acquitté des differentes fonctions de son employ. Il avoit tenu table depuis le 26. Decembre, jusqu’à ce jour-là, avec autant de magnificence que de propreté. Mr le Duc de Beauvilliers n’estant pas tout à fait remis de sa longue indisposition, & ayant beaucoup fatigué pendant un si grand voyage, que son zele luy avoit fait entreprendre pour le service du Roy, & pour voir plus longtemps un jeune Monarque, qui avoit encore besoin de luy, & dont l’éducation luy fait honneur, puisqu’il a paru un Prince orné de toutes les vertus necessaires à un grand Monarque, aux yeux de ses nouveaux Sujets, ainsi qu’aux François qui ont eu l’honneur de le voir de prés ; Mr le Duc de Beauvilliers, dis-je, prit congé au Mont de Marsan de Messeigneurs les Princes, pour revenir chercher à la Cour le soulagement & le repos qu’il est impossible de trouver dans l’agitation où l’on se trouve continuellement, lorsqu’on est obligé de marcher sans cesse, & de répondre aux honneurs fatigans qu’en de certaines situations, on ne peut, quoy qu’on soit indisposé, s’empêcher de recevoir pendant une longue & penible marche.

Le 5. Messeigneurs les Princes partirent du Mont de Marsan aux flambeaux, pour traverser des chemins tres méchants, & même peu pratiquables en quelques endroits. La nege qui avoit commencé avant leur départ continua jusqu’à Houga. Comme on estoit alors dans la Generalité de Montauban dont Mr le Gendre est Intendant, il commença à en faire les honneurs par un tres grand repas qu’il donna. Ce repas fut suivi de plusieurs autres, cet Intendant ayant tenu tous les jours trois tables, qui ont esté magnifiquement servies soir & matin, tant que Messeigneurs les Princes ont esté dans sa Generalité.

On arriva à une heure de jour à Nogaro en Armagnac, surnommé le Negre. Messeigneurs les Princes y furent haranguez par le Lieutenant general. Mr le Maréchal de Noailles les traitta magnifiquement à souper, & il leur fit une chere plus grande que l’on ne devoit attendre en ce lieu là on y sejourna le lendemain. La nuit du sixiéme, le feu prit à une poutre qui donnoit dans la Chambre de Monseigneur le Duc de Berry Un Officier du Gobelet qui estoit logé proche de là, s’en apperçut. Mr le Marquis de Rasilly mena ce Prince en robe de Chambre dans la Chambre de Monseigneur le Duc de Bourgogne, qui demeura jusqu’au départ, qui fut à huit heures du matin, que Messeigneurs les Princes montérent en Carosse pour aller à la Messe aux Cordeliers, qui sont hors de la Ville sur le chemin de Vic Fezenzac. On monta au moins vingt montagnes pendant cette journée, & l’on descendit autant de fois par des chemins tres méchans.

On alla dîner à Demeu, & coucher à Vic-Fezenzac, où l’on arriva à trois heures. Le Juge du lieu qui est un Garde du Roy, fit une Harangue qui fut assez bien reçuë.

Sur les deux heures aprés minuit le feu prit encore sous le foyer de la Chambre de Monseigneur le Duc de Berry. Ce fut un Garde de la Brigade de la Motte qui estoit couché dessous, qui s’en apperçut, ou plutost la Sentinelle de la Salle des Gardes qui tout d’un coup vit sortir une grosse fumée qui sortoit de l’endroit où estoit ce Garde de la Motte, qu’il éveilla aussi tost, & en même temps celuy cy s’appercevant du danger, prit une paillasse proche de luy, la jetta sur le feu qui avoit pris à celle sur laquelle il étoit couché, & se coucha dessus pour l’éteindre. Pendant ce temps-là les Gardes & Cent-Suisses vinrent au secours, & avec leurs hallebardes jettérent toute la paille dehors, & en même temps Mr de Vandeüil monta dans la Chambre & éveilla Mr du Chesne, premier Valet de Chambre, & Mr de Rasilly, & aussi tost on leva les carreaux de l’âtre qui cachoient le feu, & l’on jetta quantité d’eau qui l’éteignit. Tout cela se fit sans que Monseigneur le Duc de Berry s’éveillast. Ce Prince ayant sçu ce qui s’estoit passé fit donner cinquante Louis aux Gardes. Ne soyez pas surprise, si j’entre jusque dans les moindres choses, c’est pour vous faire voir que mon Journal est exact, & d’ailleurs, le feu dont je viens de vous parler, avoit fait assez de bruit pour m’obliger à rendre compte de cet accident, qui fait voir que la pieté de nos Princes engage le Ciel à les proteger.

On partit le 8. de ce mois de Vic Fezenzac, aprés avoir entendu la Messe à neuf heures du matin, & l’on vint dîner à Oudan. On alla de là coucher à Auch, où l’on arriva à trois heures. A la porte de la Ville, Mr Desgranges, Maistre des Ceremonies, presenta à Messeigneurs les Princes, le Maire & les Consuls, qui leur firent compliment. Ils trouvérent les Bourgeois sous les armes, & en haye dans toutes les ruës de leur passage. Toute cette Bourgeoisie estoit leste & nombreuse. Elle fit garde à la porte de l’Archevêché où Messeigneurs les Princes logerent, & y resta tant que ces Princes demeurérent à Auch. Le soir du même jour qui estoit le dernier du Carnaval, ils soupérent chez Mr le Maréchal de Noailles, qui leur fit à son ordinaire une chere magnifique. Plusieurs Seigneurs eurent l’honneur d’estre de ce repas, aprés lequel ils allérent au Bal chez Mr l’Intendant, & en sortirent tres satisfaits, rien n’ayant manqué à ce divertissement.

Le lendemain 9. Mrs de Ville firent present à Messeigneurs les Princes, de plusieurs corbeilles remplies de Poires de Bonchrestien, qui sont fort estimées en ce lieu-là, & qui passent pour une des raretez du Pays. Dans ces occasions on regarde moins à la magnificence des presens qu’à donner ce que chaque Pays produit de rare. C’est un usage établi de tout temps. Le même jour Messeigneurs les Princes se rendirent à l’Eglise Cathedrale, où en l’absence de Mr l’Archevêque, Mr l’Abbé de Chausne, son Grand Vicaire, les reçut à la porte de l’Eglise, & les complimenta, Ils reçurent les cendres par les mains de Mr l’Abbé Turgot Aumônier du Roy, & y entendirent la Messe.

Cette Cathedrale est tres-belle. Le Vaisseau en est grand, & bien bâty. Deux hautes Tours composées de deux ordres Corinthiens l’un sur l’autre, avec un grand Attique, en forment le Portail. Vingt Chapelles en entourent le Chœur dans les bas costez. Toutes ont des balustrades de marbre, & des Autels differemment ornez. Le vitrage en est admirable par le beau coloris, & l’execution du travail. Les quatre Evangelistes sont sur le Jubé, directement au dessus de la porte du Chœur. Une Balustrade de marbre regne autour du dedans du Chœur. À la droite est la chaise de l’Archevêque tenant à la suite des autres chaises, admirables par leur sculpture, par la delicatesse du travail, & par le coloris du bois. Chaque chaise represente quelque Figure de l’Ancien & du Nouveau Testament. Il en est de même du Vitrage.

Messeigneurs les Princes à leur retour de la Messe, donnérent audience aux Officiers du Presidial & de l’Election, qui leur firent compliment.

Le même jour plusieurs Seigneurs eurent l’honneur de dîner avec Messeigneurs les Princes. Monseigneur le Duc Bourgogne qui se sentoit incommodé ne mangea point, mais ce Prince ne voulant pas allarmer sa Cour jusqu’à ce qu’il sçeust si cette incommodité auroit quelques suites dissimula son mal, & dit qu’il avoit si bien soupé la veille qu’il n’avoit point d’appetit. Il s’enferma à l’issuë du dîner, & ne vit personne. Sur les quatre heures il envoya querir Mr le Maréchal de Noailles, & se coucha quelques temps aprés. On apprehenda que ce ne fust une fiévre tierce, parce que ce Prince avoit senti la même indisposition à Vic Fezenzac, ce qui fut cause que pour le laisser reposer, on séjourna à Auch le 10. & le 11. de crainte que ce ne fust son jour de fiévre tierce. Monseigneur le Duc de Berry alla seul à la Messe le 10. & l’on ne joüa point ce jour là ny le lendemain.

Le 12. Monseigneur le Duc de Bourgogne estant parfaitement guery sans le secours d’aucun autre remede que celuy de la diete, partit d’Auch avec Monseigneur le Duc de Berry, aprés avoir entendu la Messe dans la Chapelle de l’Archevêché. Ils vinrent dîner à Aubedeste, & coucher à Gimont, petite Ville où ces Princes furent logez attenant l’un de l’autre. Ils reçurent ce jour-là des Lettres d’Espagne, qui marquoient qu’un Gentilhomme d’un Ambassadeur qui n’avoit point quitté Madrid depuis la mort du feu Roy, & qui venoit par des chemins de traverse, avoit esté trouvé noyé dans la Navarre ; qu’il avoit une boeste de fer blanc sur sa poitrine, qui avoit esté portée au Viceroy de Navarre, & que l’ayant ouverte, il y avoit trouvé trente-six lettres adressées à plusieurs personnes en France, & en Angleterre, & sur tout à plusieurs Ministres Etrangers, & que ce Viceroy de Navarre avoit envoyé ces Lettres au Roy son Maistre.

On partit de Gimont le Dimanche 13. mais on n’en partit qu’à onze heures, afin que chacun eust le temps d’entendre la Messe. On arriva sur les deux heures avec un assez beau temps, à l’Isle en Jourdan, petite Ville assez peuplée, & dans laquelle il y a une Place, où Messeigneurs les Princes furent assez bien logez. Toute la Bourgeoisie estoit sous les armes, & il s’y trouva même quantité de Paysans des lieux circonvoisins, qui s’estoient parez à leur maniere, & dont l’ajustement, qui marquoit plus de zele que de magnificence, ne laissoit pas d’avoir quelque chose qui divertit Messeigneurs les Princes. Ils leur sceurent bon gré. Ils reçurent le même jour des Lettres du Roy d’Espagne, par lesquelles on apprit que ce Monarque en continuant sa route vers Madrid, avoit trouvé de si mauvais chemins, qu’il avoit couru quelques risques ; qu’il y avoit eu des mules, & même des hommes perdus ; que la Nourrice de Sa Majesté Catholique avoit versé, qu’elle s’estoit blessée, & qu’elle suivoit en Litiere. J’oubliois de vous dire que Monseigneur le Duc de Bourgogne faisant attention sur l’estat des affaires presentes, écrivit au Roy, pour le prier de ne le pas laisser inutile, en cas qu’il jugeast à propos de l’employer pour son service.

On partit le Lundy 17. de l’Isle en Jourdan. On alla dîner à Becaret, & coucher à Toulouse, où l’on souhaitoit avec beaucoup d’impatience d’arriver, parce qu’on estoit persuadé que cette Ville-là ne souhaitoit pas moins impatiemment d’avoir l’honneur de recevoir Messeigneurs les Princes, que son zele pour le Roy, & pour tout le Sang Royal, l’avoit engagée à faire des aprests dignes de sa magnificence & de son amour pour toute la Maison Royale.

En attendant que les nouvelles de ce qui s’est passé à Toulouse arrivent, je croy, pour ne point perdre de temps, devoir interrompre mon Journal, pour vous envoyer les Articles suivans.

[Prix proposé] §

Mercure galant, février 1701 [tome 2], p. 330-332.

Quand vous aurez lû ce qui suit, vous en sçaurez autant que moy sur cet article.

Prix proposé par Mademoiselle de Dommaigné de la Rochehuë.

Par ce fameux Cartel, ou Défi d’importance,
Dommaigné fait sçavoir aux beaux Esprits de France,
Qu’elle s’est imposée une agreable loy,
Pour marquer son respect & sa reconnoissance,
 De donner le Portrait du Roy,
 Protecteur de son innocence ;
À qui détaillera le mieux dans chaque Stance
Ses rares Qualitez, sa Justice, sa Foy,
Ses Travaux glorieux, & sa Magnificence.
***
 Les Paquets affranchis de port
Seront pendant trois mois, d’une main tres fidele,
 Reçus avec ce Passeport
 Au logis de la Demoiselle,
Dans l’enclos du Palais, ruë de Lamoignon
 On avertit que chacun à sa guise,
  Soit astreint au lieu de son nom,
  À ne mettre qu’une Devise.