1708

Mercure galant, avril 1708 [tome 4].

2017
Source : Mercure galant, avril 1708 [tome 4].
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Mercure galant, avril 1708 [tome 4]. §

[Prelude, dans lequel se trouve trois Eloges du Roy, prononcez par les deux Academiciens qui ont esté reçûs en dernier lieu, & par celuy qui a fait la fonction de Directeur à cette Reception] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 5-22.

 

Comme vous sçavez que Mr l’Abbé Mongin, & Mr l’Abbé Fraguier, ont esté reçûs à l’Academie Françoise, le premier à la place de feu Mr l’Abbé Gallois, & le second à la place de feu Mr Colbert, Archevêque de Roüen ; vous sçavez aussi que selon les Statuts de l’Academie, les nouveaux Academiciens, doivent faire l’Eloge du Cardinal de Richelieu, fondateur de l’Academie ; du Chancelier Seguier qui la protegea, & luy donna un lieu dans son Hôtel pour tenir ses Assemblées, aprés la mort de ce Cardinal ; qu’ils doivent aussi parler de l’Academicien auquel ils succedent, & que l’Eloge du Roy doit faire la principale partie de leurs discours, en reconnoissance de la Protection que leur donne ce Monarque, & de ce qu’ils tiennent leurs sceances dans son Palais. Depuis trente deux ans, je vous ay donné des Extraits de tous ces Eloges, en vous parlant des Academiciens qui ont esté reçûs ; mais comme ces Eloges me meneroient trop loin, parce que dans la derniere sceance publique de l’Academie, on a reçû deux Academiciens en même temps, parce qu’ils avoient esté nommez dans un même jour, je me contenteray de rapporter icy ce qu’ils ont dit à la gloire du Roy. Mr l’Abbé Mongin parla le premier. Voicy par où il entra dans l’Eloge de S.M. par rapport à l’Academie.

En loüant le Roy, elle ne sort point de ses regles. Elle trouve le Heros au-dessus du Monarque, ses vertus au-dessus de ses victoires, ses sentimens plus élevez que ses Trophées, son cœur plus noble que sa Couronne, & plus grand que sa fortune ; disons mieux, plus grand que sa propre Renommée.

Quel bonheur pour vous, Mrs, d’avoir sans cesse à loüer un Prince qui vous fait trouver dans sa seule personne, un fond toûjours inépuisable de loüanges ! en effet, si sa gloire eut esté attachée à ses seules conquestes, si sa grandeur eut esté l’ouvrage d’une aveugle fortune, où auriez vous pris des Eloges aprés ces fatales journées où la valeur de la Nation se vit trompée ou trahie par la victoire ? Ce Heros immortel dont la Religion & la Justice ont toûjours conduit les entreprises, se verroit donc confondu avec ces Heros Profanes qui ne doivent leur gloire qu’à leur fureur, & dont tout le merite consiste à avoir esté ambitieux, injustes, barbares, & usurpateurs avec succés ? Ce seroit pour de tels vainqueurs que l’Eloquence se trouveroit confuse ou muette au premier changement de fortune. Mais comme le digne sujet de vos veilles n’a point changé, vous n’avez dû, Mrs, ny vous taire ny changer de langage ; le Heros a soutenu le Conquerant, son cœur toûjours ferme, toûjours invincible vous a toûjours laissé le droit de publier ses propres victoires, & sa vertu plus forte que ses armées a mis vos Eloges & sa gloire au dessus de l’inconstance & de l’instabilité des choses humaines. Les vrais Heros, sont Heros dans tous les temps. Comme leur grandeur reside dans leur ame & non dans les bras de leurs Soldats, il n’est pas necessaire qu’ils soient toûjours heureux pour estre grands. Il leur suffit d’agir toûjours par de grands principes & pour de grands objets, le reste n’est pas de leur devoir. Mais graces au Ciel les épreuves de patience & de soumission n’ont pas duré ; l’Eclipse a esté courte, & déja, Mrs, vous pouvez reprendre le noble & magnifique langage de la victoire. Déja nos troupes victorieuses & triomphantes ont repris leur premier ascendant, & ont vû nos fiers ennemis confondus de toutes parts, fugitifs en Alemagne, déconcertez en Flandre, repoussez en Provence, battus & défaits en Espagne.

Puissiez vous aussi reprendre bien-tost un stile plus doux & plus éloquent encore que celuy des Triomphes. Il est pour les grandes ames un plaisir plus touchant que celuy de vaincre. Louis le Grand l’a souvent appris à ses Ennemis, & les Nations entieres tant de fois soulevées contre sa gloire, & tant de fois pacifiées par sa moderation, devroient bien se souvenir qu’il a souvent oublié ses injures pour essuyer leurs larmes & finir leurs miseres. Mais oublions, s’il se peut, & sa moderation & ses victoires pour réünir nos vœux au seul objet qui interesse tout à la fois nostre amour, nostre repos & nostre gloire. Ne demandons pas à Dieu que ce Heros triomphe ou qu’il fasse la paix, demandons seulement qu’il vive, & qu’il regle ses jours sur nos desirs, ce seroit former des souhaits indiscrets ; mais du moins sur nos besoins. Nous ne ferons pas des vœux tous seuls. Les Rois malheureux, & indignement détrônez, le Regne de la pieté rétably ; l’Etat sauvé des fureurs de l’heresie ; les Souverains legitimes en possession de l’heritage de leurs Peres ; les droits les plus sacrez qu’on attaque, ou qu’on viole ; les Trônes renversez, ou les Trônes raffermis, sont comme autant de voix qui demandent au Ciel la conservation du seul Protecteur de la Religion, de la Royauté & de la Justice.

Que ne puis-je, Messieurs, venir souvent apprendre de vous, à exprimer les sentimens d’admiration qu’inspirent les vertus & la presence de ce Prince Auguste. Mais si je ne puis rien pour sa gloire, j’essayeray de contribuer en quelque sorte à sa joye, en cultivant les pretieuses semences de sagesse & de pieté, que son sang & ses exemples ont transmises dans le cœur du Prince que j’ay l’honneur d’instruire. Déja, le Roy y reconnoît l’image de sa jeunesse ; Puisse-t-il y remarquer un jour quelques traits de sa valeur & de ses vertus.

Voicy de quelle maniere Mr l’Abbé Fraguier parla du Roy.

Oseray-je pourtant, Messieurs, vous dire ce que vous sçavez, sans doute, comme moy ? Vous pouvez bien parvenir à rendre àLouis le Grand, le plus noble & le plus exquis tribut de loüanges qui ait jamais esté rendu à un grand Prince ; mais vous ne pouvez rien ajouter à ce qu’en publiera sa Renommée. Sans vous, sans le secours des Muses, la voix des Peuples fera entendre qu’il a vaincu les Nations les plus fieres, & qu’il est le Protecteur des Rois, le Destructeur de l’heresie, & le Deffenseur des Autels.

Quels vœux la France ne doit-elle point faire pour la conservation d’un Monarque qui rassemble en luy tout ce qui fait la veritable grandeur des hommes, & tout ce qui, dans les Rois, produit la ressemblance avec Dieu même ? Et quels vœux ne dois-je pas faire en mon particulier, pour un Prince, qui selon ce qu’Homere a dit du Soleil ; voit tout & entend tout, & qui par sa lumiere, perce & dissipe les noires tenebres de la calomnie ?

Fasse celuy par qui les Rois regnent, & qui a versé tant de benedictions sur sa Personne sacrée, & sur son auguste Maison, que cette Maison n’ait aucunes bornes dans sa durée. Puisse ce Prince incomparable, voir l’orguëil de ses Ennemis humilié, comme un jeune Heros de son sang, vient d’humilier, par sa naissance & par sa valeur, l’ancien orguëil d’une Ville fameuse ; & puissent tous les momens de sa vie, estre long-temps marquez par quelque nouvelle faveur du Ciel.

Tous les Eloges particuliers qui remplissoient les Discours des deux Academiciens, furent trouvez tres-beaux, & loin que l’impression qui en a esté faite leur ait rien fait perdre des beautez que l’on y avoit trouvées, lorsqu’ils furent prononcez, on y en a découvert de nouvelles.

Mr l’Abbé de Dangeau, qui se trouvoit alors Directeur de l’Academie, estant indisposé, lorsque les deux Academiciens furent reçûs, & le Chancelier de la même Academie estant absent, Mr l’Abbé Regnier des Marais, qui en est Secretaire perpetuel, n’avoit pas cru devoir repondre aux Discours de Mr l’Abbé Mongin, & de Mr l’Abbé Fraguier ; de maniere qu’il n’eut que tres-peu de temps pour s’y preparer. Cependant, il ne laissa pas de s’attirer de grands applaudissemens de toute l’Assemblée. Il loüa dignement les deux nouveaux Academiciens, & ceux dont ils remplissoient la place, & il parla du Roy de la maniere suivante, en leur adressant la parole.

Ce que je ne puis trop vous dire, c’est que vous entrez desormais dans toutes les obligations de l’Academie, & qu’Elle n’en a point de plus grande & de plus pressante, que d’essayer de se rendre digne de la protection particuliere, dont le plus grand Roy du monde luy a fait la grace de l’honorer.

Au milieu de ses grandes occupations, au milieu de tant de soins qu’il est obligé de donner continuellement au Gouvernement des Etats que la Providence luy a confiez, il a la bonté de descendre dans le détail de ce qui nous regarde. Il n’y a rien sur quoy sa vigilance ne s’étende ; mais au même-temps qu’il veut bien abaisser ses regards jusqu’à nous, avec quelle force, avec quelle penetration ne les porte-t-il point jusqu’aux extremitez de l’Univers, pour le salut de la France, & pour reprimer tant d’Ennemis que sa gloire & sa puissance luy ont suscitez.

Le Ciel, dans la derniere Campagne, a confondu par tout leur orguëil & leurs esperances. Quelles graces dans la suite ne devons nous point nous promettre du Dieu des Armées, en faveur d’un Prince si zélé pour le culte des Autels, & dans une guerre qu’il ne soutient que pour la deffense de ses Peuples, pour la conservation du droit des Gens, & de la nature, & pour reduire ses Ennemis aux conditions d’une paix qui puisse estre équitable & ferme.

Epitre à son Altesse Monseigneur le Duc de Vendosme §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 22-34.

 

À peine Mr l’Abbé Regnier eut-il cessé de parler, que Mr de Campistron, Academicien, & Secretaire des Commandemens de Monsieur le Duc de Vendosme, lut l’Epitre suivante, adressée à ce Prince.

EPITRE À SON ALTESSE MONSEIGNEUR LE DUC DE VENDOSME.

O toy, qui seul peut-estre au sortir de l’Enfance
Sçûs du faux, & du vray, faire la difference,
Et préferant à tout l’austere verité,
Joüir de la Grandeur avec simplicité,
Qui sans montrer jamais de servile bassesse
Ignorant de la Cour les détours & l’adresse,
Par ta seule vertu, ton courage & ta foy,
Possede & l’estime, & le cœur de ton Roy,
Vendosme dans ces traits qu’en toy l’on voit paroistre,
Sans attendre ton nom, l’on doit te reconnoistre.
Cependant permets-moy d’exposer à tes yeux
Quelque leger crayon de tes faits glorieux ;
Mais ce n’est point assez, le zele qui m’enflame,
Veut qu’avec tes exploits, je peigne encor ton ame.
Je ne me flate point ; je sçay que ce Tableau
Meriteroit sans doute un plus hardi pinceau,
Que le mien est peu propre à finir cet ouvrage ;
Mais si je l’entreprends, j’ay du moins l’avantage
Que cinq Lustres entiers à ta suite attaché
Des secrets de ton cœur, rien ne me fut caché,
Et que témoin des faits qui t’ont comblé de gloire,
Il doit m’estre permis d’en raconter l’histoire.
Quel autre plus fameux par ses travaux guerriers
En differents climats cuëillit plus de lauriers ?
Quand tu courus chercher la guerre & les alarmes,
Rien n’égala l’éclat de tes premieres armes,
Et l’on jugea dès lors par ces nobles essais,
Quels devoient estre un jour ta gloire & tes succez ;
Turenne en ta faveur rendit ce témoignage,
Crequy te consulta sans égard à ton âge,
Tu leur parus formé pour les premiers emplois ;
Et si-tost que l’armée a marché sous tes loix,
L’Ebre, le Pô, l’Escaut, estonnez de ta gloire
Sur leurs rives, t’ont vû ramener la victoire,
Et dans les mêmes lieux où le sort en courroux
Nous avoit accablez des plus funestes coups,
Trois fois de ta valeur la foudre vangeresse
Changer des jours de deüil, en des jours d’allegresse,
Ranimer des soldats qu’on croyoit aux abois,
Et reparer par tout l’honneur du nom François.
Que de combats gagnez ! que de villes conquises !
Quel nombre ! quel tissu d’heureuses entreprises !
Nos plus fiers Ennemis tremblans ou dispersez,
Leurs Chefs les plus fameux surpris, embarrassez,
Des roches dont la cime osoit percer les nuës
Par de triples remparts & des murs soûtenuës,
Malgré tous les secours de la flamme & du fer,
Contraintes de se rendre au milieu de l’hyver.
Mais ce qui plus que tout doit paroîstre incroyable,
Toûjours à tes desseins le sort fut favorable,
Les lauriers immortels qui te ceignent le front
N’ont jamais de sa part reçû le moindre affront,
Comme si la victoire attentive à te plaire,
Agissoit par tes loix, ou craignoit ta colere.
Cependant si ton cœur pour la gloire formé
De plus douces vertus n’étoit point animé
Obtiendrois tu de nous une si haute estime ?
Non, non, & souviens-toy de ce guerrier sublime,
D’Alexandre qui fut le plus grand des mortels.
En vain à son courage on dressa des Autels :
Nous reprochons encore à ce grand Alexandre
Le meurtre de Clytus, Persepolis en cendre,
Lisimachus forcé de combattre un Lyon,
Et les Grecs indignez pleurant Parmenion.
La suprême valeur est précieuse & rare,
Mais seule, & toute nuë, elle tient du Barbare.
Je veux que le Heros soit pitoyable & doux ;
Qu’il soit fier sans orguëil, & vaillant sans courroux.
Plaindre les malheureux, soulager leur misere,
Les aimer, leur servir de refuge & de pere,
Estre accessible, humain, sont des dons aussi grands
Que tous ceux, dont l’orguëil flate les Conquerans.
Rarement les voit-on briller dans le même homme.
La valeur, la prudence éclaterent dans Rome,
Presque tous ses enfans possedoient ces vertus ;
Mais Rome n’a produit & n’a vû qu’un Titus,
De qui le Ciel soigneux d’achever son ouvrage,
Voulut que la bonté fut égale au courage ;
C’est par cette bonté, c’est par cette douceur,
Qui fait le caractere & le prix de ton cœur,
Et qui nous sert d’exemple à tous tant que nous sommes,
Que nous te distinguons entre les autres hommes :
C’est par là que ton nom aujourd’hui reveré
Plus que par tes hauts faits, doit estre consacré,
Et que tout l’avenir en lisant ton Histoire
Justement attendri benira ta memoire.
C’est par là qu’entraînant tous les cœurs des soldats
Tu leur fais avec joye accompagner tes pas,
Quand tu cours pour servir ton Maître & ta Patrie
D’un monde d’Ennemis reprimer la furie,
Braver mille hazards, & prodiguant ton sang,
Remplir tous les devoirs attachez à ton rang,
Toutefois ne croy pas te sauver de l’envie ;
Ses traits empoisonnez voudroient noircir ta vie.
Des Courtisans jaloux sans estre tes Rivaux
S’efforcent d’affoiblir le prix de tes travaux,
Et de mesler quelqu’ombre à l’éclat de ta gloire :
Mais que peut contre toy la fureur la plus noire ?
On n’ose t’attaquer que sur de vains sujets ;
On s’attache à chercher de frivoles objets ;
On voudroit que ton cœur semblable aux cœurs vulgaires
S’occupast de desirs & de soins ordinaires,
Qu’il s’ouvrist à l’intrigue, au faste, à l’interest,
Et qu’il fust en un mot beaucoup moins grand qu’il n’est.
De tous ces envieux l’odieuse Critique,
En voulant t’abaisser fait ton Panegyrique.
Vis donc ; & poursuivant ta course & tes projets,
En triomphant toûjours ramene-nous la Paix.
Enfin fasse le Ciel secondant mon envie
Qu’un bonheur toûjours pur accompagne ta vie,
Que les ans de Nestor pour toy renouvellez
Aprés leur dernier jour soient encor redoublez ;
Et pour combler les vœux, que pour toy l’on peut faire,
Que toûjours à Louis tu sois digne de plaire.

Epigramme §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 34-36.

 

La lecture de cette Epitre estant finie, Mr l’Abbé Tallemant recita l’Impromptu suivant, adressé à Mr de Campistron.

EPIGRAMME.

L’Epitre où tu nous peins ton Heros tout aimable,
Doux & simple en ses mœurs, en guerre redoutable,
Brille par tout d’une extrême beauté,
On n’y voit pas un trait qui ne ressemble.
Heureux d’avoir pû joindre ensemble
Ton amour & la verité.
Que ton attachement est doux, prés d’un tel Maistre
Qui te cherit, & que tu sers
Et que tu nous fais bien connoistre
Que c’est du cœur que partent les bons Vers.

Mr de Malezieu, lut ensuite un Eloge en vers de Monseigneur le Duc de Bourgogne, sorti de la veine de Mr l’Abbé Genest, dont les Ouvrages ont toûjours esté applaudis. La maniere dont Mr de Malezieu le lut, fit beaucoup de plaisir à l’Assemblée. On ne doit pas s’en étonner ; c’est un homme universel : & qui réüssit dans tout ce qu’il entreprend.

[Epitaphe du Pere Mabillon] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 76-78.

 

La mort du Pere Mabillon a donné lieu à plusieurs écrits, & ce sçavant Défunt n’a pas manqué d’Epitaphes. Celle qui suit est une Traduction d’une Epitaphe latine.

Tu vois sous cette Tombe nuë
Du sçavant Mabillon les restes precieux ;
De sa seule vertu son ame revêtuë
Brille maintenant dans les cieux.
Par un heureux succés digne de l’entreprise
Des plus Saints de son Ordre il recüeillit les mœurs.
Il purgea les écrits de nos sacrez Docteurs
Et fut jugé luy-même un Pere de l’Eglise.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 78-79.

Ceux qui demandent de la varieté dans mes Lettres, en trouveront beaucoup en lisant l’Article suivant, qui est bien different de celuy qui le precede. Vous remarquerez, sans doute, d’abord que les Vers qui ont esté mis en Air, sont tirez d’une Mascarade du Carnaval dernier, & vous vous souviendrez qu’ils ont esté faits pour une grande Princesse.

AIR NOUVEAU.

L’Air, Le Berger, page 79.
Le Berger Paris couronna jadis une Immortelle,
Et la Pomme qu’il luy donna estoit pour la plus belle.
Un Dieu, Princesse, dans ce jour
Vous rend le même hommage,
Recevez-icy de l’Amour
Cette Pomme pour gage.
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[Discours prononcé à l’Abbaye de S. Victor, sur l’utilité des Bibliotheques publiques, & fondé par Mr le President Cousin] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 79-87.

 

Je passe à un Article plus utile, quoy que moins divertissant.

Mr de Bourges Docteur de Sorbonne, Chanoine Regulier & ancien Prieur de l’Abbaye de Saint Victor, y prononça un Discours Latin le 25. de Février dernier, où suivant l’intention de Mr le President Cousin, Bienfaicteur de cette Abbaye, & qui a donné aux Religieux sa Bibliotheque, il prouva l’utilité des Bibliotheques publiques. Il chercha dans l’antiquité la plus reculée, tout ce qui pouvoit prouver l’usage où l’on est aujourd’huy en France, & divers autres lieux de l’Europe, d’ouvrir à certains jours de la semaine, les Bibliotheques au Public. Il trouva que cela s’étoit pratiqué chez les Hebreux, chez les Grecs & chez les Romains ; & aprés avoir parlé de l’amour que ces deux dernieres Nations eurent sur tout pour les Sciences & pour les beaux Arts, il fit voir que jamais Peuples n’eurent une plus grande application pour faire instruire la Jeunesse, & pour fournir à ceux qui avoient du goût pour les belles Lettres, des moyens aisez pour les cultiver. Les Gaulois, que certains Auteurs ont voulu mal-à-propos taxer d’ignorance, & d’une profonde stupidité, se piquerent de la même attention, non-seulement ils éleverent des Ecoles publiques en tout genre de Science, pour l’instruction de leurs enfans ; ils ouvrirent aussi des Bibliotheques aux personnes de leur Nation, qui déja instruites de Sciences, n’avoient pas, faute de Livres le moyen de les cultiver. Les Druydes furent renommez dans leurs siecles, par des progrez qu’ils firent dans l’étude de leurs Loix, & par l’aplication qu’ils avoient d’instruire les Peuples, dont on leur confia la conduite, en leur ouvrant tous leurs tresors d’érudition.

Mr de Bourges parla ensuite des François, sous la deuxiéme & troisiéme race, qui plus civilisez que ceux qui vivoient sous la premiere, travaillerent aussi avec plus de soin à la culture des Lettres ; il fit un détail de ces celebres Abbayes de l’Ordre de Saint Benoist, où elles furent enseignées, avec un si grand succés dans les siecles precedens, de l’amas considerable de Livres qu’on y avoit fait, & de l’affabilité avec laquelle on en faisoit part à tous ceux qui vouloient puiser dans ces sources abondantes.

Mr de Bourges n’oublia pas, comme on le peut juger, de faire dans ce Discours l’éloge de Mr le President Cousin. Il luy donna des loüanges fines & délicates ; mais qui ne firent que representer au naturel ce qu’il avoit esté. Aprés avoir peint ses mœurs, & en avoir décrit, avec beaucoup d’élegance, la pureté & l’uniformité, il parla de l’élevation de son genie, à qui rien n’avoit jamais été impenetrable, de son application continuelle, & de son attachement à l’étude ; ce qui luy avoit donné la facilité de faire un si grand nombre d’ouvrages, que quatre personnes aussi sçavantes que luy, mais moins laborieuses, n’auroient jamais pû y fournir. Il entra dans le détail de ces ouvrages, tels que sont sa belle Histoire Bizantine, ses Traductions des Peres de l’Eglise, & sur tout celle d’Eusebe de Cesarée, &c. & à ce grand nombre de Volumes de Journaux qu’il a donnez pendant plusieurs années, chargé seul d’un travail si penible & d’une si grande étenduë.

La Bibliotheque que ce Magistrat a donnée à Messieurs de Saint Victor, est composée de plus de cinq mille volumes, & elle a esté mêlée avec celle de cette Abbaye, qui est ouverte au Public.

Mr Cousin a aussi laissé un fonds pour faire toutes les années un Discours Latin, sur l’avantage & l’utilité des Bibliotheques publiques. Celuy de Mr de Banages, Bibliothequaire de cette Maison, eut de grands applaudissemens. Tous les Evêques & autres personnes illustres, y furent également touchées de la beauté de la Latinité de Mr de Bourges.

[Nouveau Poëme donné au public] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 91-94.

 

Mr Michel Rhode Docteur de la Faculté de Francfort sur l’Oder, a donné au public un Poëme de 1296. Vers qu’il a intitulé : Miracula sæculi secundi quod providentia summi numinis, beneficio august. ac potentissimi Principi Friderici Regis Borussorum & Electoris Brandeburgici &c. præsidio ac moderamine auspicatissimo ser. Principis Friderici Willelmi, &c. hæredis unici Rectoris sui magnificentissimi, Academia viadrina incomparabili felicitate absolvit in ipso ingressu optatissimo sæculi tertii die 26. Aprilis 1706. Vniversitatis conditæ. 201. C’est-à-dire les merveilles du second siecle de l’Academie de Francfort sur l’Oder. On trouve dans ce recüeil plusieurs pieces de Poësie d’un goust excellent, sur tout celle qui regarde la mort d’Henri II. Roi de France, la reduction de la Rochelle à l’obéissance du Roy Loüis XIII. & l’election de Philippe V. dit le Constant, grand pere de Madame, à la Couronne de Bohëme. Le Poëme fait sur la mort du Duc de Fronsac, jeune Prince de grande esperance, fils unique du Comte de S. Paul Gouverneur d’Orleans, & tué l’an 1622 au siége de Montpellier, est une piece tres-belle en son genre, & qui a eu de grands applaudissemens de tous les Connoisseurs ; l’abdication de Cazimir Roy de Pologne, en huit Vers, est une des meilleures pieces de ce Recüeil, l’extrait des Theses Philosophiques que la celebre Morella Lionnaise, soutint en 1607. à Lyon sa patrie, âgée de douze ans, est aussi un bon morceau ; on trouve enfin dans ce Recüeil un Eloge funebre de Mr Streit un des plus sçavans hommes d’Allemagne, & un de ceux qui sçavoient mieux l’antiquité & les origines de l’Empire & des Etats d’Allemagne. Le recüeil de Mr Rhode a esté réimprimé deux fois, & la promptitude avec laquelle les Editions ont été venduës, sont une preuve de sa bonté, & du bon choix des pieces qui le composent.

[Second article des Morts, contenant plusieurs Morts Etrangeres] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 104-125.

 

Les articles suivans, regardent la mort de plusieurs Etrangers de consideration.

Le Landgrave Frederic de Hesse-Hombourg, & ensuite de Bingenheim aprés la mort de son frere, est mort âgé de soixante & quatorze ans ; ce Prince servit d’abord dans les Armées du Roy de Suéde, ayeul de celuy qui regne aujourd’huy, & il perdit une cuisse au Siége de Copenhague ; il s’attacha ensuite au service de feu Mr l’Electeur de Brandebourg qui luy donna le gouvernement de Pomeranie ; il a esté marié trois fois ; la premiere en 1661. avec Magdeleine Brahé, morte en 1669. & fille de Mr Abraham Brahé, Comte de Wisinspurg, Chancelier de Suéde, & veuve du Comte Jean d’Oxeinstern grand Maréchal de Suéde. La seconde avec Loüise Elizabeth fille de Jacques Duc de Curlande, qu’il épousa en 1671. & qui mourut en 1690. & la troisiéme avec Sophie-Sibille Comtesse de Leiningein-Westerbourg, veuve de Jean Loüis, Comte de Leiningein-Heidesheim, qu’il épousa en 1692. il n’a point eu d’enfans du premier lit ; il a du deuxiéme le Prince Frederic Jacques né en 1673. Charles-Christian né en 1674. & tué au Siége de Namur en 1695. Philippe né en 1676. & tué à la Bataille de Spire en 1703. Casimir Guillaume né en 1696. deux autres fils mort jeunes : Charlotte Sophie Dorothée, née en 1672. & mariée en 1694. à Jean Ernest Duc de Saxe Weimar : Hedwige Loüise née en 1675. & quatre autres filles ; il laisse un Prince de son troisiéme mariage. Le Prince Frederic qui vient de mourir, nâquit en 1633. & il estoit le troisiéme fils de Frederic Landgrave de Hesse-Hombourg, qui forma la Branche de Hombourg, & de Marguerite Elizabeth, fille de Christophe, Comte de Leineigen. Il succeda à son frere aîné Guillaume Christophe de Bingenheim, qui mourut en 1681. & qui n’a laissé de ses deux mariages, l’un avec la Princesse de Hesse Darmstad, & l’autre avec la Princesse de Saxe Lawembourg, que deux filles ; l’une mariée au Duc de Meckelbourg, dont elle est veuve, & l’autre mariée au Comte de Salms-Greifenstein. Frederic Pere de celuy qui vient de mourir, estoit le quatriéme fils de George I. Landgrave de Hesse-Darmstad qui forma la Branche de Darmstad.

Mr le Comte d’Eck Envoyé Extraordinaire de Sa Majesté Imperiale, prés du Chapitre de Munster, y mourut d’une attaque d’apoplexie sur la fin de l’année derniere. Il estoit d’une ancienne famille de Silesie, alliée à celles de Lambert & de Grimani. Il avoit esté employé en diverses Negociations, où il avoit donné des preuves de son habileté. Il est vray que l’affaire de Munster où il n’a pas réüssi a un peu diminué de la grande opinion que l’on avoit de luy dans l’Empire. Le Chapitre de Munster a rendu de grands honneurs au corps du deffunt. On fit un Service magnifique dans la Cathedrale deux jours aprés sa mort, où toute la Noblesse du Pays fut invitée. Mr le Comte d’Eck aimoit fort les belles Lettres ; il les a cultivées pendant le cours de sa Negociation, & il a eu occasion pendant le sejour qu’il a fait à Munster, d’y faire un grand amas de Livres rares & curieux. Il acheta une partie de la belle Bibliotheque du celebre Mr d’Obreicht, Préteur de Strasbourg, qui mourut il y à cinq ou six ans, & il en a formé une Bibliotheque tres-nombreuse & des plus belles de l’Empire. Il est mort dans un âge peu avancé.

Mr de Filicaia, Senateur de Florence, y est mort regretté de tous les Sçavans d’Italie, dont il estoit fort connu & tres-estimé. Il estoit étroitement lié d’amitié avec Mr Magliabecci, Bibliothequaire de Monsieur le grand Duc de Florence. Ces deux sçavans hommes ne faisoient rien sans se le communiquer. Celuy dont je vous apprens la mort faisoit imprimer un Recüeil de ses Poësies, auquel il a donné pour titre, Canzoniero ; mais il est mort avant que l’Impression en fust achevée. Ceux qui ont du goust pour la Poësie & pour la langue Toscane, attendent ce Recüeil avec beaucoup d’impatience. Il paroîtra incessamment, suivant les dernieres Lettres venuës de Florence. Ce Senateur estoit d’une tres-ancienne Maison de Toscane ; il y estoit allié aux plus anciennes familles de Florence ; sçavoir à celles de Salviati & de Gondi ; il estoit un des plus habiles du Senat de Florence, & Mr le grand Duc l’estimoit beaucoup ; il l’appelloit souvent dans des conversations particulieres, où Mr Magliabecci faisoit le tiers, & où ces deux Sçavans Hommes rendoient compte au Souverain du progrés que les Sciences faisoient dans son Etat, où elles sont autant cultivées, sur tout pour ce qui regarde l’Antiquité, qu’en aucun autre pays de l’Europe.

Mre Benoist Averani, grand Maistre des Arts de l’Université de Pise, y est mort depuis quelque temps. Il estoit regardé comme l’un des plus sçavans hommes de l’Europe. Il avoit rendu publiques, quelque tems avant sa mort les dix leçons qu’il a faites en langue Toscane, sur le quatriéme Sonnet de Petrarque. Cet ouvrage a eu un succés étonnant, & on en va faire incessamment une seconde édition. On a trouvé parmi les papiers de ce sçavant homme dix Harangues latines qu’il a prononcées en differentes années à l’ouverture des Classes. La Latinité en paroist tres-pure & tres élegante, & on doit les faire imprimer incessamment. Elles sont attenduës du public avec beaucoup d’impatience. Cet Auteur avoit eu d’étroites liaisons avec Mrs Pitcarne, Baglivi sçavant Medecin de Rome, Bellini, Malpighi & Borelli, qui sont l’ornement de l’Italie. Il avoit aussi des relations fort grandes avec le fameux Mr Boyle, l’un des plus grands Philosophes d’Angleterre. Mr Averani, examinoit lorsque la mort l’a surpris, un Traité d’un de ses Amis, sur les Thermopoles, ou espece de Cabarets, des Anciens, où ils s’assembloient pour passer le temps honnestement & sans danger pour leur santé, à boire de l’eau chaude ; car alors, comme l’a si bien remarqué Mr Hecquet, dans sa These de la Boisson, le vin estoit relegué dans les Boutiques d’Apothiquaires, où on n’en faisoit usage que pour les remedes.

Mr de Wolzogue, un des plus sçavans hommes d’Holande, est aussi decedé. Il a souhaité en mourant qu’on imprimât la Traduction Françoise, qu’il a faite du Dictionnaire de la Langue Sainte, ou Critique Sacrée, du Chevalier Edoüard Leig. Henry de Middoch avoit fait une Traduction Latine de l’Ouvrage du Chevalier Anglois, & c’est sur cette Traduction, que Mr de Wolzogue a fait la sienne. Ce sçavant homme est mort dans la Religion Protestante. On a enrichy ce Dictionnaire d’un Suplément & de trois Tables. La premiere des mots Hebreux. La deuxiéme des Noms propres & des autres mots Hebreux, Grecs, & Latins & des autres Langues. Et la troisiéme des Passages de l’Ecriture Sainte, qui sont éclaircis dans ce Dictionnaire. Cette Traduction a paru depuis peu à Amsterdam, chez Pierre Mortier, & l’on dit que l’on en fera bien-tost une deuxiéme édition. Mr de Wolzogue s’estoit attaché à la Critique sacrée & à l’étude des Saintes Lettres, dés qu’il avoit commencé à faire usage de sa raison. Il sçavoit parfaitement les Langues Orientales. Il avoit frequenté, pour s’y perfectionner, les plus habiles gens de son Pays, & il avoit des relations avec des Etrangers qui s’attachent à ce genre d’étude. Mr Simon, qui a donné au Public une Traduction du Vieux & du Nouveau Testament, & qui est si connu par les Ouvrages qu’il a faits sur ce divin Livre, avoit d’étroites relations avec Mr de Wolzogue ; ils se consultoient reciproquement sur tout ce qui devoit sortir de leur plume ; & Mr de Wolzogue fit même, il y a plusieurs années, un voyage en France, dans le seul dessein d’y voir Mr Simon, qui estoit alors dans la Congregation de l’Oratoire. Ce sçavant homme avoit plusieurs autres illustres Amis, & l’on doit faire un Recüeil de ses Lettres ; celuy qui a esté chargé de ses papiers, en a déja ramassé dequoy faire un gros volume. On y trouvera des choses curieuses & interessantes.

Le celebre Mr Brokhusius est mort depuis peu à Amsterdam. Il avoit passé sa vie dans la culture des belles Lettres, & du beau talent qu’il avoit pour la Poësie. Mr de Voit, Secretaire de la Ville d’Amsterdam, & l’un des meilleurs amis de Mr Brokhusius, luy a rendu les derniers devoirs de l’amitié, dans une Elegie qu’il a consacrée à sa loüange, & dans laquelle il luy donne le titre de Prince des Poëtes. Le Deffunt a fait faire une nouvelle édition de Tibulle, qu’il a embellie d’un Commentaire tres-étendu & tres-exact. Il s’y est principalement attaché à rechercher ceux qui ont imité Tibulle, & il n’a rien dit de ceux que Tibulle a imitez.

Mr Brokhusius estoit en commerce avec feu Mr Bayle, & avec Mr le Clerc. Il a même fourny à ce dernier de bons Memoires pour la Bibliotheque choisie, qu’il donne depuis cinq ou six ans. Les Memoires de cet excellent homme ont même beaucoup servy à remplir le neuviéme tome de cette Bibliotheque choisie, & sur tout à faire l’Extrait de l’Historia Baptismorum tùm Hebraïcorum, tum Christianorum, & Dissertatio de Sanchoniathone de Vandale ; dont il a aussi esté parlé dans le huitiéme tome. C’est une justice que Mr le Clerc rend luy-même, avec beaucoup de sincerité, à feu Mr Brokhusius. Les Etats Generaux ont fait faire compliment aux heritiers de ce sçavant homme, afin de leur marquer la douleur qu’ils avoient de sa mort.

Mr Overbeek, l’un des plus fameux Peintres des Païs-Bas, est aussi mort à Amsterdam, fort regretté de ceux qui le connoissoient. Il ne s’estoit pas attaché à la peinture, comme à une profession qui pût le faire subsister. Il ne cultivoit ce bel Art que pour son plaisir, & sans aucune vûë d’interest. Il a demeuré plusieurs années à Rome ; & pendant son sejour il a fait luy-même sur les lieux, & avec la plus grande exactitude, les desseins qu’on trouvera dans un grand Ouvrage qu’il a fait, sur ce qui reste de Bâtimens antiques à Rome. Cet Ouvrage paroîtra au premier jour. Il a fait graver ces desseins avec beaucoup de soin à Amsterdam.

Le Peintre n’y a rien ajouté pour embellir les objets. Ils y sont representez tels qu’ils sont en effet ; mais comme les desseins furent faits à Rome, avant les derniers tremblemens de terre, qui ont abatu la plus grande partie du Colysée, on trouvera dans ces Estampes des morceaux qui n’existent plus. La description qui va paroître de ces Ouvrages contient trois grands volumes in folio, qui renferment chacun cinquante Planches, avec une explication en Latin & en François ; les noms des Monumens ; leur origine ; leur situation ; & enfin l’explication de diverses Médailles anciennes, qui y ont du rapport. On y a même joint celles des Papes, qui ont relevé ou embelly quelques uns de ces édifices. Mr Overbeek, cousin & heritier du deffunt, prend soin de l’impression de cet Ouvrage, qui selon le succés qu’il aura, donnera encore quelques desseins du deffunt, qu’il a entre les mains.

Epitre §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 132-151.

 

Rien n’estant si sterile que les Lauriers cüeillis par les Poëtes, on ne doit pas s’étonner s’il s’en trouve souvent qui cessent de faire des sacrifices à Apollon pour adorer le Veau d’or. C’est ce que vient de faire Mr Rousseau qui a quitté le Parnasse pour entrer dans un Bureau de Finance. Plusieurs beaux esprits ont écrit sur sa desertion du Parnasse, & l’ont loüé de l’avoir abandonné. Je vous envoye une Epître sur ce sujet : elle est de Mr de Palaprat, attaché comme vous sçavez à un grand Prince & Auteur de la Comedie du Grondeur, qui ne reçoit pas moins d’applaudissemens toutes les fois qu’on la represente, qu’elle en a reçu le premier jour qu’elle a paru sur le Theatre, ce qui doit vous faire avoir bonne opinion de l’Epître que vous allez lire.

EPITRE

Graces à la faveur dont l’Olimpe t’honore,
Des jours d’un âge d’or, tu vois naître l’Aurore,
Cherchant à te donner des biens d’un nouveau prix,
Phœbus se justifie à tous ses favoris,
Assez de vains lauriers, ont Couronné ta teste,
Une moisson solide, enfin pour toy s’apreste,
Et le pere de l’or, comme des vers heureux,
Veut te rendre à la fois, maistre de tous les deux,
Du premier de ces dons, s’il fut pour nous avare,
C’est qu’aux yeux des mortels, quoiqu’il soit le plus rare,
Il ne luy paroissoit que le plus vil de tous,
Le siecle l’a forcé de penser comme nous.
C’est pour le riche seul, que tout rit, tout abonde,
Le moindre Tresorier, reçoit de tout le monde,
Plus d’honneur que n’ont eu la Fontaine & Marot,
Un bel esprit sans bien, aujourd’huy n’est qu’un sot.
S’oseroit-il flater de plaire à quelque belle,
Le Dieu même des Vers, trouva Daphné cruelle,
Quand de l’Or qu’il produit, méprisant la vertu,
De son merite seul, il parut revêtu,
Il ignoroit encor ce Dieu de la lumiere,
Que ce riche métal desarme la plus fiére ;
Mais nos solides mœurs, ont dessillé ses yeux
Il n’a connu que trop, à la honte des Dieux,
Qu’on prefere aux Forests, de ses lauriers arides,
Un seul rameau chargé, du fruit des Hesperides,
De ces fruits adorez, trop surveillant Dragon,
Tu n’imiteras pas un avide Harpagon,
Qui pour en augmenter, la funeste abondance,
Reduiroit en deserts la moitié de la France.
Oüy, je puis m’épargner, d’inutiles conseils,
Rousseau, je te connois, je connois nos pareils,
Attentif, aux leçons des immortelles Filles,
Sourds aux avares loix, des nouvel-quadrilles,
Maistre de la Fortune, & non pas ses valets,
Affermis dans nos mœurs, par les remords d’Alais,
D’un Bureau de Traitans, nous ferions un Parnasse,
Et nos premiers Commis, de Catulle & d’Horace,
Avec le bon esprit, que tu puisas chez eux,
Tu feras sans danger un mêtier dangereux,
Et du fatal veau d’or, sans opprobre & sans crime,
Nous te verrons le Prestre, & non pas la Victime,
L’art est, tu le sçauras pratiquer à ravir,
Non à servir l’Idole, il est à s’en servir.
Puisque tel est l’Edit du Ciel qui l’a fait naistre,
Que sans avoir de bien, l’homme ne peut rien estre,
Non pas même estre pauvre, & pour moy je sens bien,
Que je le serois moins, si j’eusse eu moins de bien,
Au lieu que sans travail, sans cabale & sans peine,
Pour moy du pur loisir, la source fut prochaine,
Apollon m’y porta, deux Princes genereux,
D’abord à me l’ouvrir, s’empresserent tous deux,
Content de leurs bienfaits, satisfait de leurs graces,
Des Patrons fastueux, sans éprouver les glaces,
Je pûs dés ce moment, en toute liberté,
D’un Philosophe heureux, goûter la pauvreté.
Je la goûte à longs traits, dans un reduit tranquile,
Quoique fort éloigné, des talens de Virgile,
Mon bonheur m’a donné, deux Mecenes pour un,
Le bien acquis sans soin, n’est pas le plus commun.
On apprend mieux qu’ailleurs, aux bords de la Garone,
À vivre avec celuy que la naissance donne,
On ne l’y peut accroistre, & comment & par où,
C’est de tous les Pays, les plus loin du Perou ;
Des mines du Potose, il est les Antipodes,
Pour y trouver de l’Or, je mets au pis de Rodes.
On fait à l’Ariege, un honneur fabuleux ;
Ses flots n’en rendent point leurs voisins plus heureux,
Et s’ils roulent quelqu’or, ce n’est pas comme au Tage,
Il va tout à la mer, sans toucher au rivage,
Mais du Dieu des tresors, ce pays negligé ;
Par les soins de Minerve, en est mieux dirigé ;
Elle a toûjours regné dans ses sçavantes plaines,
Et Toulouse, bien-tost, la consola d’Athenes.
J’y pouvois cultiver, & Pallas & Themis,
Mais je n’aurois pas fait, tant d’Illustres Amis,
Et gueri de l’orgueil, de Lucain & du Dante,
Ce seul bien vaut pour moy, des millions de rente.
Voy toûjours un tel bien de l’œil dont tu le vois,
Employe à le grossir jusques à tes emplois
Ils croitront & bien loin, banissant Uranie
Que la soif d’amasser desseiche ton genie,
Te contraigne à quitter pour l’escompte honteux,
La cadence d’un Vers, ou facile ou pompeux,
Pour consacrer les traits de la reconnoissance,
Qu’une dixiéme Sœur, naisse de la finance.
Comblé de la faveur, de plus d’un demy Dieu,
Tu dois la publier en tout temps, en tout lieu,
Va, fuis, crains des ingrats, les odieux exemples,
Pour Condé, pour d’Anguien, bâtis tes premiers temples,
Que l’encens le plus pur, choisi des mains de ****
Fume pour ces Heros, fume pour des Marests,
Et des Mecenes vrais, par des hymnes nouvelles,
Aux enfans d’Apollon, chante ces grands modelles.
Je ne veux point icy, parcourir tous les rangs,
De ceux à qui tu dois, des Autels differens,
Si de tes Partisans, j’allois faire des listes,
Leur nombre égaleroit, celuy des Nouvelistes,
Qui par l’oisiveté, rassemblez au printemps,
À Vendosme, à Villars, marqueront tous les Camps.
On te fait en tous lieux, un accüeil favorable,
Les Muses à leur cour, & les Dieux à leur table ;
Mais tu ne peux atteindre au bonheur souverain,
Sans avoir vû d’Anet, le Ciel toûjours serein.
Quand l’invincible Alcide, y pose sa massuë,
C’est-là que chaque Muse, est toûjours bien reçûë ;
Chapelle, la Fontaine, y coulerent des jours,
Par les Graces filez, tissus par les Amours.
Tant d’autres, dont les noms honorent l’Hypocrene,
Et celuy qu’inspira l’esprit de Melpomene,
Et qu’Andronic tout seul, sauveroit de l’oubli,
De qui les tendres Vers, animez par Lully,
Sur les rives de l’Eure, ammenant Galatée,
Du fils de Jupiter, ont l’oreille flatée,
Et moy qui m’ose icy mêler mal-à-propos,
Nous avons tous joüy, des loisirs du Heros,
Né digne de l’honneur de t’en faire connoistre,
Avec les beaux talens, dont le Ciel t’a fait Maître,
Tu pourrois aisément, ne le devoir qu’à toy,
Mais laisse un si beau soin à Campistron, à moy.
Ne perds jamais de vûë, un mêtier qui t’honore,
Et si tu t’honoras, jeune & timide encore,
Quand chez l’Abbé Bruis, nous faisions un Trio,
Moins oüy de Plutus, qu’écouté de Clio,
Quel doit estre l’effort, de ta vertu tranquile,
Sur le soin de trouver, des Patrons, un azile.
L’abondance produit l’Entouziasme heureux,
Ses Vers seront chantez par nos derniers neveux.
Veux-tu voir le destin, de l’Hysope & du Cedre,
Tu n’as qu’à comparer, la Thebaïde & Phedre,
Racine estoit plus riche, & crois-tu que Cinna,
N’auroit point avoüé pour frere Surenna.
Si dans ces derniers temps, le premier des Corneilles,
Dans ses Vers seulement, eut occupé ses veilles,
La Mote pour les siens, couronné tant de fois,
Digne chantre des Dieux, des Heros & des Rois,
Qui sans craindre le sort, du temeraire Icare,
Forme son vol hardy, sur l’Essor de Pindare,
Le suivroit de plus prés, s’il avoit dans Paris,
Autant de bons Contrats, qu’il a gagné de prix.
Coturne de Danchet, Coturne de la Fosse,
Que je voudrois bien voir, élever en Carosse,
Non à rés-de-Chaussée avec mon Brodequin,
Crainte d’estre écrasez, par le char d’un Faquin,
Qui fier d’un Ecusson, chargé de sa Couronne,
Passeroit sur le ventre, à Sophocle en personne.
Un commode équipage aux Muses ne nuit pas,
On y rêve à son gré, sans crainte d’embarras,
Au lieu que dans Paris, la Muse fantassine,
Trouve quelque fleau, qui toûjours l’assassine,
Et tel qu’Eumolpe, prest d’enfanter un beau Vers,
En avorte en glissant, & tombant à l’envers.
J’affiche & je suis prest, à soûtenir des Theses,
Pour un genie heureux, aidé de tous ses aises,
Contre un genie égal, à qui tout manqueroit,
Mais le rare dessein, qui me contre-diroit ?
La lire toute seule, encor flattant l’oreille,
Trouve en vain quelque cœur, qu’à peine elle reveille.
Les miracles fameux, que la Grece à chantez,
Par ses soins aujourd’huy, ne sont plus enfantez.
On regarde Amphion, comme un Conte de Fées,
Et les Rochers sont sourds, pour les meilleurs Orphées ;
Mais pour faire obéir les rochers & les bois,
Le Riche n’a besoin que d’un files de voix.
Les plus indifferens, trouvent sa voix touchante,
La nature soûmise, aplaudit quand il chante,
Et parut-il d’ailleurs plus brutal qu’Orion,
Cent Dauphins empressez, le traitent d’Arion.
Moy-même dont les ans, refroidissent la veine,
Je serois plus suivi, qu’un Cigne de la Seine,
Si je pouvois, traitant Princesses, Paladins,
Dans mes belles maisons, dans mes riants Jardins,
Embellis par les soins, du neveu de Lenôtre,
Traiter l’un, & prêter de l’argent à quelqu’autre,
Et joindre à mes chansons, pour quelque objet nouveau,
Le Bal, la Comedie, & des Fêtes sur l’eau,
Du démon de Breussin, j’aurois l’ame saisie,
Ce ne seroit que suc, que précis d’Ambroisie,
Lorsqu’en Vers, je voudrois faire à mon Cuisinier,
L’honneur que Depreaux, fait à son Jardinier.

FIN.

J’aurois jusqu’à ce jour, par ma Muse importune,
Sur mille fades tons, haranguant la fortune,
Fait à force de pas, & de soins assidus,
Peut-estre un pas utile, aprés mille perdus.

[Service fait pour feu Mr le Comte d’Egmont] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 151-158.

 

Je vous parlay il y a quelques mois de la mort de Mr le Comte d’Egmont ; mais je ne vous ay rien dit du Service qui s’est fait à la Paroisse de la Serre, Terre qui appartient à la veuve de cet illustre Deffunt. Me la Marquise de Cosnac, mere de cette jeune veuve, avoit ordonné qu’on n’oubliast rien pour rendre cette Ceremonie lugubre des plus magnifiques. L’Eglise estoit toute tenduë de noir, & ornée d’un grand nombre d’Ecussons de la Maison d’Egmont. La representation, qui estoit élevée au milieu de l’Eglise étoit environnée d’un tres-grand nombre de Cierges garnis d’Ecussons. L’ordre & la magnificence, dont de pareilles Ceremonies sont susceptibles, y regnerent également. Le Pere Placide, Religieux du Tiers-Ordre de Saint François, Confesseur de Me la Marquise de Cosnac, & distingué par son merite, a fait connoistre son bon goust par le soin qu’il s’est donné de disposer toutes les choses necessaires pour faire briller cette lugubre Ceremonie. Ce Service fut differé pendant quelque temps, parce que Mr l’Evêque de Condom, dont rien ne peut arrester la vigilance Pastorale dans l’exercice de son Ministere, estoit occupé à la Visite & à des Missions qu’il faisoit dans son Diocese. Ce Prelat, à qui rien n’échape de tout ce qui peut faire plaisir à ses Diocesains, ayant appris que Me la Marquise de Cosnac se preparoit à faire faire un Service pour son illustre Gendre, voulut bien la seconder dans ce pieux dessein. On sçait qu’elle mêle à tout ce qu’elle fait, les exercices les plus rigides d’une vie chrestienne, & que les sentimens nobles & genereux sont naturels à ceux de son nom. Mr de Condom se rendit à la Serre un jour avant la Ceremonie funebre dont je viens de vous parler, & les Archidiacres, le Chantre, & plusieurs Chanoines de sa Cathedrale, s’y rendirent aussi, avec Mr l’Abbé de Maubranches qui estoit à leur teste. Cet Abbé est neveu, grand Vicaire, & Vicaire general de Mr de Condom. Il joint toute la conduite d’un digne Ecclesiastique à l’application d’un sçavant & zelé Official, employ dont il s’acquitte avec un applaudissement general. Tous les Curez des environs furent invitez à la Ceremonie, & l’on peut dire que l’on en n’avoit jamais vû dans la Province de plus belle de cette nature. Mr Suffiere, Docteur en Theologie, prononça l’Oraison funebre. Elle reçut beaucoup d’applaudissement. Il fit connoistre au commencement de son Discours par plusieurs traits éloquens, & qui partoient d’un cœur veritablement affligé, la part qu’il prenoit à la perte de cet illustre Deffunt ; & comme il connoissoit par luy-même ce jeune Prince, il en fit un portrait naturel & sans exageration. Ce Discours ayant esté imprimé, je ne crois pas en devoir rien rapporter icy. Je diray seulement que la modestie de l’Auteur a eu beaucoup de peine à consentir à cette Impression, estant dépoüillé de l’Amour propre qui fait que plusieurs sont idolâtres de leurs Ouvrages. Il a prononcé beaucoup de Panegyriques, & fait plusieurs Sermons, dans lesquels les traits de son éloquence ont brillé.

Je dois ajouter à ce que j’ay déja dit de la Maison d’Egmont, qu’elle descend des Rois de Frise, & qu’elle s’est soûtenuë dans un fort grand lustre pendant plusieurs siecles, ayant fait des alliances avec des Empereurs, des Rois de Hongrie, & plusieurs Princes Souverains des Pays-Bas, d’Allemagne, & d’Italie ; sçavoir, avec les Comtes de Flandres, les Ducs de Gueldres, de Saxe, de Brunswick, de Brandebourg, de Milan, de Baviere ; & elle a donné des filles aux Maisons de France, d’Ecosse, Palatine, de Hesse, de Nassau, de Cleves, &c.

Les Sermons à la Mode, à Monsieur C. H. Fameux Predicateur §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 185-191.

 

La piece qui suit, est de Mr de la Fevrerie, dont tous les Ouvrages ont toûjours eu le bonheur de vous plaire. Il y a beaucoup de vray dans ce que vous allez lire de cet Auteur ; mais ce qu’il dit des Predicateurs d’aujourd’huy est trop general, & ce n’est pas dans une pareille occasion que l’on doit prendre une partie pour le tout. Il est vray qu’il y a des Predicateurs tels qu’il les dépeint ; mais il s’en trouve aussi un grand nombre d’autres, qui n’ayant en vûë dans leurs Sermons, que le salut des Ames, convertissent tous les jours les pecheurs les plus endurcis, & font admirer leur zele pour la gloire de Dieu, pendant que les autres ne songent qu’à s’attirer des applaudissemens, en faisant briller leur Eloquence.

LES SERMONS À LA MODE,
À MONSIEUR C.H.
Fameux Predicateur.

Poussé de l’Esprit saint qui sçait toucher les cœurs,
Tu marches sur les pas des grands Predicateurs.
Le Peuple pour t’entendre accourt en affluence,
Tout applaudit, tout cede à ta rare éloquence.
L’accent pur, la voix nette, & le geste excellent,
Et de persuader un merveilleux talent.
Un air édifiant, une heureuse memoire,
Enfin, tout ce qu’il faut pour charmer l’Auditoire.
Jamais Predicateur dans son commencement,
N’a monté dans la Chaire avec plus d’agrément.
Cependant tu parois peu content de toy-même,
Et n’oses qu’en tremblant entreprendre un Caresme.
Il te manque, dis-tu, bien d’autres qualitez,
Pour prêcher dignement les saintes Veritez.
Tu veux prescher d’exemple, & même tu te piques
De ne rien enseigner que tu ne le pratiques.
J’approuve ton dessein ; mais est-il des Censeurs,
Qui trouvent quelque chose à reprendre en tes mœurs ?
Avant que d’annoncer la Parole divine,
Ta Vie estoit déja Conforme à la Doctrine.
Mais un autre scrupule agite ton esprit,
Les Sermons de ce temps, ne font guere de fruit.
Toûjours nouveaux portraits, & nouveaux caracteres,
Stile bien different du langage des Peres,
Qui soûtenu du Zele & de la Charité,
A bien plus d’onction, & de solidité,
Que ces discours tissus de force sinonimes,
Dont on croit aujourd’huy faire la guerre aux crimes.
Il est vray, quand on veut renoncer au peché,
Des Sermons à la mode on est fort peu touché.
On y voit des tableaux des vertus & des vices,
Du bonheur éternel, de l’horreur des supplices
Que souffrent les damnez ; mais je ne sçay pourquoy,
L’Enfer si bien dépeint, nous cause peu d’effroy :
Et la felicité qui regne en l’autre vie,
Malgré ces beaux Discours ne fait aucune envie.
Ne te rebutes pas, ce goust se passera,
L’Homelie aux Portraits, un jour succedera,
Et la pure Morale avec soin expliquée,
Sera par l’Auditeur suivie & pratiquée.
Mais d’où peut-on attendre un si grand changement ?
De ceux qui comme toy preschent chrestiennement.
Et tu voudrois, Abbé, retourner en arriere ?
Secondes ce dessein, acheves ta carriere.

[Galanterie faite par Mr le Comte de Pontchartrain] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 191-193.

Mr le Chevalier de Roye, frere de Me la Comtesse de Pont-chartrain, ayant esté fort assidu auprés de cette Comtesse, pendant la longue maladie, qui a d’autant plus fait craindre pour ses jours, que cette Dame est generalement aimée, Mr le Comte de Pontchartrain a fait present d’un tres-beau cheval à ce Chevalier, & celuy qui le luy presenta luy donna les Vers suivans, au nom du cheval qu’il luy presentoit.

Monsieur le Chevalier, fleur de Chevalerie,
Je viens vous demander place en vostre Ecurie.
Il estoit jadis un Cheval
Fameux dans l’Histoire Romaine,
Qui sous les deux Gemeaux ne galopoit pas mal ;
Et pour eux volontiers se mettoit hors d’haleine,
Lorsqu’il falloit dans Rome annoncer des premiers
Un Combat éclatant & de nouveaux Lauriers.
De ce noble Animal, je viens en droite ligne,
Et vous, vous ressemblez à ces jeunes Heros,
Par un endroit sur tout qui vous rend digne,
De monter sur mon noble dos.
Pour vostre aimable sœur, Reine des Nereydes,
Vous avez plus fait seul, que douze Tindarides,
C’est ce qui m’a touché le cœur ;
Montez sur vostre serviteur.

[Ce qui s’est passé à l’ouverture d’aprés Pâques de l’Academie Royale des Inscriptions & à celle de l’Academie Royale des Sciences, avec plusieurs Extraits des discours qui y ont été prononcez] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 233-269.

 

Le Mardy 17. de ce mois l’Academie Royale des Inscriptions tint sa Séance publique d’aprés Pâques, où Mr l’Abbé Bignon presida. Mr Gros de Boze Secretaire perpetuel de l’Academie fit l’éloge funebre du Pere Mabillon, Membre de cette Academie, & comme j’ay eu le bonheur de vous apprendre le premier dans l’Article que je vous ay envoyé de sa mort, une partie des choses qu’il rapporta, j’ajoûteray seulement à ce qu’il en dit que ce sçavant Religieux estoit né en Champagne, dans un Bourg prés de l’Abbaye du Mont-Dieu, & non à Paris, ainsi que l’on m’en avoit assuré, & que les Religieux de l’Abbaye de Saint Germain ont reçu une Lettre du Cardinal Colloredo qui leur écrit de la part du Pape pour leur témoigner le chagrin que Sa Sainteté a ressenti de la mort de ce grand homme. Il leur recommande expressement de la part du Pape de l’enterrer dans un lieu où les étrangers puissent avoir la consolation d’aller visiter ses cendres lorsqu’ils viendront en cette Ville, & de ne pas confondre celles de ce sçavant personnage avec une infinité d’autres.

Aprés que Mr l’Abbé Bignon eut resumé le discours de Mr de Boze, & qu’il eut donné de nouvelles loüanges au Pere Mabillon, avec la delicatesse d’esprit qui luy est ordinaire, Mr Couture lut une Dissertation sur les occupations journalieres des Romains & autres Anciens qui avoient mené une vie privée, & aprés qu’il eut rassuré son Auditoire sur la crainte qu’il pouvoit avoir qu’une pareille matiere ne fut pas fort interessante, il dit qu’il estoit le premier qui traitoit ce sujet & que dans la distribution des matieres qu’on donnoit chaque année aux Academiciens, celle dont il s’agit n’avoit point esté proposée, ce qui l’avoit engagé de s’offrir à la traiter. Il parla des six premieres heures des Romains dans leur vie privée, & remit le reste de leur journée à une autre séance. Il remarqua qu’à la premiere heure, qui doit estre regardée comme les six heures du matin des François, c’estoit un usage établi parmy eux de se rendre des visites, & de s’aller souhaiter une heureuse journée au lever du Soleil : on passoit dans cet exercice jusqu’à neuf heures, qu’ils appelloient leur troisiéme heure, & c’est de la connoissance de cet usage qu’on tire l’explication de quelques Passages des anciens Poëtes, & sur tout de Virgile & d’Horace, qui sans cela seroient fort difficiles à expliquer ; il cita à ce sujet un Passage de Ciceron qui sert à expliquer une circonstance de la vie de cet Orateur. À la troisiéme heure, qui revient à nos neuf heures du matin ; ainsi que vous venez de voir, Mr Couture representa les Romains occupez à leurs affaires particulieres ; à consulter ou à donner des avis ; à soûtenir le droit des Parties dans les Tribunaux, ou à deffendre le leur, & au labourage, ou à l’Agriculture : & en cet endroit il s’étendit fort sur la moderation & sur la modestie des anciens Romains qu’on tiroit souvent du labourage pour les élever à la Dictature ou au commandement des Armées & des Provinces, & qui aprés avoir rempli le temps de leur mission, reprenoient avec beaucoup de tranquilité le même exercice d’où on les avoit tirez. Il rapporta en cette occasion plusieurs faits de l’Histoire Romaine, qui avoient rapport au sujet qu’il traittoit & qui furent écoutez avec beaucoup de plaisir. Un peu avant la sixiéme heure qui revient à nostre midy, les Anciens prenoient leur refection, d’une maniere tres-frugale dans les premiers temps de la Republique, & dans les siecles, où par l’ignorance dans laquelle ses Citoyens estoient du luxe & de la sumptuosité, elle fut si florissante qu’elle devint bientost maistresse de toute la terre. Le repas des Romains fini, ils ne manquoient jamais de prendre leur repos. C’estoit parmi eux un usage inviolable, & à la sixiéme heure qui revient parmi nous à la deuxiéme, tout estoit fermé dans Rome, & il estoit rare de trouver quelqu’un dans les ruës. Mr l’Abbé Couture finit à cette sixiéme heure, & dit fort agreablement qu’il falloit laisser dormir les Romains.

Ce discours plut fort à l’Assemblée. Le stile en estoit pur & rempli de pensées aussi vives que brillantes. Mr l’Abbé Bignon qui le resuma, donna de fort grandes loüanges à l’Auteur, & avoüa qu’il avoit tiré d’un sujet, qui paroissoit fort sterile, tout ce qu’on en pouvoit tirer, & tout ce que la Compagnie en pouvoit attendre.

Mr Boivin Sous-Bibliothequaire du Roy, parla ensuite ; il lut un Discours, qui renfermoit presque tout ce que l’antiquité a pensé sur Homere & sur Virgile, & il dit qu’aprés avoir parlé dans une Seance precedente d’une guerre litteraire, qui s’éleva entre les Philosophes du quinziéme siecle, au sujet de Platon & d’Aristote, il avoit cru que la Compagnie écouteroit avec plaisir, ce que les Anciens & les Modernes avoient pensé de Virgile & d’Homere. Properce fut le premier Auteur d’entre les Poëtes qu’il cita ; il en rapporta quelques Vers qui faisoient assez voir ce que cet ancien Poëte avoit pensé de plus avantageux de Virgile, qu’il égaloit hardiment au Prince des Poëtes Grecs ; il fit paroître ensuite Ovide sur la Scene, & il raporta l’endroit où ce Poëte dit qu’il est autant au dessus de Virgile, que celuy-cy est inferieur à Homere ; il cita ensuite d’autres Poëtes ; sçavoir, Martial, Claudien, Silius-Italicus & plusieurs autres. Il raporta, aprés avoir parlé des Poëtes, le témoignage des Orateurs ; il appuya fort sur tout sur celuy de Ciceron, & il fit voir qu’il n’est pas aisé de juger par les termes de ce Prince des Orateurs, à qui il donne la preference du Poëte Latin, ou du Poëte Grec, puisqu’il donne beaucoup de loüanges à l’un & à l’autre.

Mr Boyvin, en parlant des Modernes, & en citant les jugemens, qu’ils avoient portez sur ces deux anciens Poëtes, commença par Ange Politien, qu’il regarda comme celuy qui avoit commencé à rétablir en Italie le goût des belles Lettres & de la Poësie, sur la fin du quinziéme siecle. Cet Auteur dont la reputation a esté si grande, se déclara pour Virgile, dans un Ouvrage fait exprés, pour établir l’égalité entre ce Poëte & Homere. Les mesures qu’il prit pour en venir à bout, pouvoient faire reüssir son dessein, puisqu’il commença par affoiblir l’idée avantageuse qu’on avoit toujours euë des deux Poëmes du Prince des Poëtes Grecs ; il fit une espece de Critique, qui fit beaucoup de bruit en Italie, & qui reveilla tous les Partisans du Poëte Grec ; & aprés avoir donné à la reputation de cet ancien Auteur toute l’atteinte qu’il pût luy donner, il releva le merite du Poëte Latin ; & il en mit toutes les beautez dans le plus beau jour qu’elles pouvoient recevoir. Lascaris, ce celebre Grec, qui joignoit à l’honneur qu’il avoit d’estre né d’une famille Imperiale, une tres-grande érudition, embrassa hautement les interests d’un Poëte qui avoit tant fait d’honneur à sa Nation. Il s’éleva contre Politien. Il fit des Vers contre luy. Il en fit aussi contre Virgile, & il fit rendre à Homere toute la gloire, dont on avoit entrepris de le degrader ; mais il s’en falloit beaucoup que la cause du Poëte Grec, fut en d’aussi bonne mains que celle du Poëte Latin ; Lascaris n’avoit ni le feu d’imagination, ni la délicatesse de Politien ; & comme remarqua fort agreablement Mr Boyvin, & l’on ne trouvoit rien de meilleur dans les Pieces que Lascaris donnoit au Public, pour deffendre la gloire de son Heros, que les morceaux qu’il tiroit de ses Ouvrages, pour en faire connoître la beauté. Mr Boyvin cita plusieurs autres Auteurs, tant Poëtes qu’Orateurs, qui ont pris party pour ou contre Virgile, ainsi que pour ou contre Homere. Il en rapporta des Passages entiers dans leur Langue naturelle, qui plurent fort à l’Assemblée. Il voulut plusieurs fois finir son discours, parce qu’il estoit fort long ; mais Mr l’Abbé Bignon ne voulut pas le lui permettre, afin de ne pas priver l’Assemblée de la suite d’une Piece remplie d’une si grande érudition. Il parut que Mr Boyvin penchoit à donner la preference à Homere sur Virgile, puisqu’il fit remarquer que ceux qui avoient le plus loué le Poëte Latin, n’avoient jamais fait que l’égaler au Poëte Grec, & qu’ils s’estoient tenus à cette égalité, comme au veritable & seul periode de sa gloire, au lieu que les Partisans d’Homere luy donnoient toujours une preference éclatante sur Virgile, & regardoient ce dernier comme luy estant fort inferieur.

Mr l’Abbé Bignon, en rassemblant toutes les parties de ce Discours, parla avec toute l’éloquence & la facilité qui luy sont naturelles, & donna de grandes loüanges à Mr Boyvin & aux recherches qu’il avoit faites.

Mr Danchet, fort connu par les Pieces de Theâtre qu’il a données au Public, lut ensuite une fort belle Dissertation sur les Epousailles des Anciens, & il cita sur ce sujet plusieurs fragmens de Poësie des Anciens & des Modernes. Il parla d’abord de la Ceremonie qui repondoit à ce que nous appellons, Fiançailles ; le détail qu’il en fit plut fort à l’Assemblée ; il décrivit ensuite dans des termes choisis & propres au sujet qu’il traitoit toutes les Ceremonies & les autres formalitez qui suivoient les Fiançailles, & il n’oublia pas même la Peinture des habits des Epoux. Tout ce qu’il dit sur ce sujet parut tres-recherché, & rempli d’une grande érudition ; il examina la nature de l’engagement, que les Contractans formoient ; les peines qu’ils encouroient, lorsqu’ils le violoient, & leur maniere de vivre dans le temps qui suivoit ce que nos appellons, les Fiançailles, & qui precedoit les Nôces ; la peinture qu’il fit ensuite de l’habit de la nouvelle mariée, & du soin qu’elle prenoit de se cacher sous un voile, fut tres bien touchée, & lorsqu’il fut question de décrire tous les momens qui precedent immédiatement le temps où le mariage s’acheve, l’Auteur, en n’omettant aucune des circonstances les plus particulieres, fit voir cependant qu’il avoit une attention scrupuleuse qui l’empêchoit de blesser en rien la moindre bien-seance. Quelques Episodes convenables au sujet dont il étoit question, ornerent beaucoup ce discours. Celuy sur tout qui regardoit l’Hymenée, & l’avanture qui le fit choisir pour le Dieu des Mariages, ainsi que l’augure des Mariages heureux plût beaucoup. Hymeneus, dit-il, étoit un jeune homme d’Athenes qui fut épris d’une grande passion pour une des personnes les plus qualifiées de la Ville ; il connut bientost que l’inegalité de leurs conditions & de leurs fortunes, estoit un obstacle insurmontable pour sa passion, mais aprés y avoir bien pensé, il ne laissa pas de s’embarquer sur la providence de l’amour. Cette confiance luy réüssit : il trouva une occasion de délivrer un grand nombre de filles de qualité d’Athenes qui voient esté enlevées par un peuple ennemi ; mais il mit un prix à leur délivrance, ce fut la liberté d’épouser la personne pour laquelle il sentoit depuis long tems un violent amour. Il délivra les Captives, & devint luy-même Captif par les liens qu’il se forma. Depuis ce temps-là, on donna à une divinité qui devoit présider aux mariages heureux, le nom du jeune Athenien. Chaque ceremonie du mariage avoit aussi sa divinité particuliere.

Mr Danchet parla aussi des Chœurs d’allegresse chantez par des jeunes garçons & par des jeunes filles en conduisant les Epoux au lit Nuptial jo hymen hymen jo, &c.

Le célibat étoit un état honteux parmy les Romains comme parmy les Juifs ; mais la honte qui y estoit attachée procedoit de differens motifs, puisque parmy les Juifs on ne regardoit la sterilité où le genre de vie auquel elles étoient attachées que parce que les familles où cela se rencontroit, étoient privées de l’esperance de voir sortir un jour le Messie de leur sein, au lieu que parmi les Romains les familles où l’on embrassoit par choix le célibat, étoient regardées comme inutiles à la République, & par consequent indignes d’aucune consideration ; & si on excepte les Vestales dont la profession étoit tres honorable parmy les Anciens, & qui joüissoient de tres-grands Privileges, ainsi que je l’ay fait voir dans l’extrait d’une dissertation de Mr l’Abbé Nadal, que l’on trouve dans une de mes dernieres lettres, & que Mr Danchet cita sans nommer l’Auteur, l’état du célibat estoit dans un grand mépris chez les Anciens ; ils avoient même poussé si loin les Privileges du mariage & de ceux qui s’y engageoient, qu’ils imposoient des peines à ceux qui y renonçoient du nombre desquelles étoient celles d’aller nuds pieds, ou de découvrir quelques parties du corps ; c’étoit sans doute, remarqua Mr Danchet, qui répandit beaucoup d’enjouëment dans cet endroit de son discours pour dédommager ceux que leur estat engageoit dans les mariages, des peines & des disgraces qu’ils y devoient essuyer, qu’on avoit pour eux de grandes distinctions & d’excessives complaisances, comme c’étoit aussi pour temperer le bonheur de ceux qui y avoient renoncé, qu’on mêloit dans la douceur & dans la tranquillité de leur vie quelques humiliations. Mr l’Abbé Bignon aprés avoir loüé l’érudition & la delicatesse du discours de Mr Danchet, termina l’Assemblée, en lui disant que le plaisir que l’on avoit pris à l’écouter, quoyque l’heure fut passée, faisoit son Eloge.

Le lendemain l’Academie Royale des Sciences tint aussi sa séance publique d’aprés Pasques. Mr l’Abbé de Louvois qui y presidoit, en fit l’ouverture, & parla de la difference qui se trouve entre les Assemblées publiques & les particulieres, qui consiste en ce que dans les premieres il n’y a aucune dispute comme dans les autres. Il dit ensuite que Mr Dodart estant mort peu de jours avant la séance publique d’aprés la Saint Martin, le Secretaire, quelque facilité qu’il eust à travailler, n’avoit pas eu le temps de faire son éloge, parce que cet éloge devant plus consister en faits qu’en pensées & en sentimens, il avoit besoin de tems pour chercher des Memoires. Il dit ensuite que Mr l’Abbé Bignon (qui estoit present) avoit ébauché cet éloge par tout ce qu’il avoit dit à la gloire de ce sçavant homme, & que ce que son cœur luy avoit alors fourny, pouvoit passer pour un beau Panegyrique du Deffunt.

Mr de Fontenelles Secretaire de l’Academie, lut ensuite l’éloge de Mr Denis Dodart Parisien, & fils de Jean Dodart Bourgeois de Paris, & qui mit toute son application à bien faire élever son fils. Ses soins ne furent pas perdus. Dés l’âge de quinze ans Mr Dodart donna des marques d’une grande sagesse & d’une habileté prématurée. Mr Patin s’en explique dans plusieurs de ses Lettres d’une maniere avantageuse ; la premiere où il parle du jeune Ecolier de Medecine, est celle où il mande à son Amy que le jeune Candidat a pris le degré de Bachelier. Il rend dans cette Lettre un témoignage avantageux à sa sagesse & à son érudition, & il prédit à son Amy que le jeune Dodart sera un jour un des plus habiles Medecins de Paris. Il parut depuis que Mr Patin ne le perdit plus de vûë ; il rend compte à son Amy de tous les progrés qu’il faisoit dans son Art, & il en parle dans les termes dont les plus sçavans parlent ordinairement de ceux qui s’attachent aux Sciences & qui les cultivent avec succés.

Mr de Fontenelles parla ensuite des engagemens qu’on voulut faire prendre à Mr Dodart, à la Cour & dans l’Eglise, & qu’il refusa avec beaucoup de modestie, ne pouvant se resoudre à abandonner sa chere solitude. Il fut cependant obligé dans la suite d’accepter la qualité de Medecin de Messieurs les Princes de Conti ; qualité, pour suivit Mr de Fontenelles, qui ne luy servit qu’à faire voir sa probité & son desinteressement. Le goust que Mr Dodart avoit pour la solitude & les charmes qu’il y trouvoit, luy donnerent les moyens de devenir un des plus habiles hommes de son siecle ; il y étudia la nature avec tranquilité, & il la suivie pendant plus de trente années d’experiences, sans aucun relâche, & c’est ce qui luy fit faire tant de belles découvertes sur la transpiration dont Sanctorius a le premier parlé avec tant de précision. Mr Dodart, ajouta Mr de Fontenelles, estoit excellent Physicien, & s’il avoit penetré tous les secrets de la Philosophie, il en avoit aussi pris toutes les maximes. Content du peu qu’il avoit & vivant sans ambition, il a travaillé jusqu’à la fin de sa vie avec une application sans relâche ; il avoit fait un Sisteme entier de Physique, & il avoit commencé un Traité de la Musique que la mort l’a empêché d’achever. Mr de Fontenelles dit aussi que Mr Dodart n’avoit épargné ni soins, ni argent pour faire de nouvelles découvertes, & que pour le bien du Public, il les avoit communiquées avec autant de facilité, qu’il avoit eu de peine à les faire. Il ajouta que voulant sçavoir l’effet que la nourriture maigre & la viande faisoit sur le corps humain, il s’estoit fait peser le matin du Mercredy des Cendres, & que s’estant encore fait peser le soir du dernier Samedy de Caresme, il avoit trouvé qu’il pesoit huit livres de moins qu’au commencement du Caresme ; & que s’estant fait peser de nouveau, le premier Jeudy d’aprés Pasques, il pesoit quatre livres de plus que la derniere fois qu’il s’estoit fait peser : de maniere qu’en cinq jours son poids avoit augmenté de la moitié des huit livres, dont il estoit diminué en six semaines. Mr de Fontenelles, en parlant des Amis de Mr Dodard, n’oublia pas Mr le Clerc Medecin de Geneve, frere de l’illustre Mr le Clerc d’Hollande. Il fit voir que les qualitez du cœur de Mr Dodart ne le cedoient pas à celles de son esprit. Il finit l’Eloge, de ce fameux Medecin, par la peinture qu’il fit de ses mœurs & de son cœur ; il loüa fort sur tout sa charité & les moyens ingenieux qu’il employoit pour la mettre en œuvre. Madame la Princesse de Conty Doüairiere, à laquelle il estoit attaché, fit voir qu’elle connoissoit bien son merite, & la perte qu’elle faisoit, puisqu’on luy vit répandre des larmes, lors qu’on luy aprit sa mort. Elle arriva, cette mort, ajouta Mr de Fontenelles dans une conjoncture heureuse, pour Mr Dodard, puisque le peu de temps qui restoit jusqu’à la Sceance publique, n’ayant pû suffire pour rassembler les Memoires necessaires, pour composer son Eloge, Mr l’Abbé Bignon y suppléa abondamment, par ce qu’il dist sur le champ, dans cette Sceance, à l’occasion de la perte que l’Academie venoit de faire ; honneur qu’aucun Academicien n’avoit encore reçû.

Mr l’Abbé de Louvois en resumant le discours de Mr de Fontenelles, ajouta encore quelques traits à la gloire de l’illustre mort.

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 280-281.

La Musique tenant un rang considerable entre les Sciences & les Arts, je crois devoir ajouter à ce que je vous en viens de dire, la Chanson suivante.

AIR NOUVEAU.

L’Air, De ces Côteaux, page 281.
De ces Costeaux fleuris, que l’aspect est charmant,
Mais sur tout qu’ils ont dequoy plaire
Pour un fidelle Amant
Quand il y revoit sa Bergere.
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[Party de l’Epée embrassé par un Abbé de distinction] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 308-311.

 

Il me reste à vous parler de quelques autres Mariages arrêtez entre des personnes du premier rang ; mais dont je crois ne vous devoir entretenir qu’aprés que l’amour aura tiré le Rideau sur les futurs Epoux.

Cet article me fait souvenir que Mr l’Abbé de Noailles, vient de quitter le party qui engage à un perpetuel célibat, & qu’ainsi il pourroit bien un jour entrer dans un Sacrement dont l’Etat tire de grandes utilitez, & selon toutes les apparences, il ne sera pas long-temps sans servir le Roy, & sans exposer son sang pour le bien & pour la gloire de sa patrie, puisque aussi-tost aprés avoir fait ses Exercices à l’Academie, il entrera dans les Mousquetaires.

Mr le Cardinal de Noailles son oncle, a donné le Canonicat de l’Eglise de Paris, dont cet Abbé joüissoit, à Mr l’Abbé de Gontaut, qui a eu depuis prés d’une année dans la même Eglise, la dignité de Chantre, par la demission de Mr l’Abbé Perrochel. Mr l’Abbé de Gontaut est de la maison de Biron, & de la Branche de Gontaut Cabreres. Je vous en ay amplement parlé lorsque je vous ay appris qu’il avoit eu la dignité de Chantre. Mr l’Abbé de Gontaut avoit porté les Armes avec beaucoup de réputation avant d’entrer dans l’état Ecclesiastique. Il a esté long-temps Capitaine de Carabiniers, & il servoit pendant les Campagnes que Mr le Maréchal de Noailles fit en Catalogne dans la derniere Guerre. Lorsque l’on a beaucoup d’esprit, on est propre à toutes sortes d’états ; quoique Mr de Gontaut n’eut pas esté destiné à celuy où il se trouve aujourd’huy engagé, il n’en remplit pas moins bien les devoirs. Il est tres-bon Predicateur, tres-éclairé, & tres-bon Theologien, & il a exercé ses grands talens dans les meilleures Chaires de Paris.

La lecture de cet article doit faire remarquer que Mr l’Abbé de Gontaut a quitté les Troupes pour prendre le party de l’Eglise, & que Mr l’Abbé de Noailles a quitté l’Eglise pour entrer dans les Troupes, de maniere que l’Eglise & l’Etat ne perdent rien à ce changement.

[Article des Enigmes] §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 372-376.

 

Le mot de l’Enigme du mois dernier estoit la Poudre à poudrer. Ceux qui l’ont trouvé sont : Mrs de la Tour-Gohory ; du Breüil ; Gallois ; le P.P. Lauriau ; Becquet, Philosophe du Pont Nostre Dame, & sa voisine ; le Pere Jacob, sur le même Pont ; T. Destournelles ; l’Abbé Douët, des Montagnes d’Auvergne ; M.E. le vieux Avocat au Parlement d’Orange ; Laisné, de la ruë & attenant le Cadran S. Honoré ; M. Martin ; D. le Chin, Procureur Fiscal à Egligny prés d’Auxerre, & son grand Amy Mr Trébuchet, Lieutenant general dudit lieu ; Perrin ; Tamiriste ; le Constant Oronte, & son inflexible Belise ; le Baron d’Albicrac ; l’Amant de la petite Javotte de la ruë du Plâtre, & la Gouvernante de l’Amant ; le Solitaire Desanglous, & son ami Darius ; le Mechanicien, de Cour Cheverny prés de Blois Mlles de la Cour de la ruë S. Antoine, de la Guichardiere ; la jeune Muse renaissante. G.O. l’Aimable du Rocher à la voix claire, de la ruë de Beaune ; l’Adorable du Martrait de la ruë du Mail ; la Soudoyenne des Muses ; la Blonde du Commun de Versailles ; la plus spirituelle Dame de la ruë de la Harpe ; la plus jeune des belles Dames de la ruë des Bernardins ; O. Kambout, objet de la tendresse du Comte … la Colombe de Merignac, prés Bordeaux ; l’aimable Gabrielle de la ruë Geoffroy-Lasnier, & la Finette au Jeu des Dames ; la Poule brune & son Cocq blond ; L.M. & l’Exilé volontaire ; la demi-Prisonniere de la Conciergerie ; les deux Charmantes du Pont Nostre-Dame ; la Solitaire de la ruë aux Féves, & Mlle Court-d’Amant.

Je vous envoye une Enigme nouvelle ; elle est d’une personne de vostre Sexe.

ENIGME.

Je fais quand je travaille un penible exercice.
Je monte, je descends, & voicy mon suplice.
Quand je suis descendu
Je me trouve pendu :
Je suis cent fois le jour en si belle posture,
Au commencement j’y suis nud ;
Mais en revanche plus j’endure
Et mieux je me trouve vêtu.
Je travaille à faire la corde
À laquelle ensuite on me pend :
Si j’aide à ce travail, le secours que j’accorde
Me rend plus gros & plus pesant.

Conclusion §

Mercure galant, avril 1708 [tome 4], p. 392.

 

CONCLUSION.

Je crois que vous devez estre satisfaite de ma Lettre ; le grand nombre de matieres differentes qu’elle contient, doit plaire, à ceux qui veulent de la varieté : & ceux qui aiment les Pieces d’Eloquence, les Sciences, la Galanterie, & les Nouvelles de Guerre, y doivent trouver dequoy se satisfaire. Je suis, &c.

À Paris ce 30. Avril 1708.