1660/1671
Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671
Édition de Oriane Morvan
2015
Source : Edme Boursault, La Gravette de Mayolas, Charles Robinet, Adrien-Thomas Perdou de Subligny, Témoignages des gazettes en vers sur les spectacles dansés entre 1660 et 1671, à partir de la recherche d'Oriane Morvan, « Le spectacle de Cour vu par les gazetiers entre 1660 et 1673 », mémoire de master 2, sous la direction de Georges Forestier.
Ont participé à cette édition électronique : Éric Thiébaud (édition TEI) et Anne-Laure Huet (édition TEI).
Témoignages des gazettes en vers
sur les spectacles dansés
entre 1660 et 1671 §
1660 §
4 février : Ballet de la Paix accompagnant la tragédie de collège, Le Martyre de Saint-Marc et de Saint-Marcellin §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 7 février 1660 §
Hier, qu’il était Vendredi,
Quelqu’un m’apprit que Mercredi,
Des Jouvenceaux, tous Gens de Classe,
Au Collège de saint Ignace,
Id est, Collège de Clermont,
Où maint Prud’homme fut semon,
Une Histoire représentèrent,
Que les Spectateurs écoutèrent
Avec beaucoup d’attention,
Et, même, d’admiration.
La Pièce, puisqu’il faut le dire,
Était un Tableau du Martyre
De saint Marc et saint Marcellin,
Qu’un Tyran injuste et malin,
Pour les contraindre en leur croyance,
Fit expirer dans la souffrance.
[…]
Des Ballets dansés à la mode,
Et d’une agréable méthode,
Accompagnèrent plaisamment
Ce rare divertissement.
19 février : Ballet accompagnant Stilicon de Thomas Corneille §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 21 février 1660 §
Mollier, Esprit de bon aloi,
Illustre Musicien du Roi,
Par une agréable boutade,
Fit un Ballet, ou Mascarade
De Bergères et de Bergers,1
Qui ne craignant plus les dangers2
De la Guerre, qui tout saccage,
Dansaient des Danses de Village ;
Mais avec tant d’agilité,3
De grâce et de dextérité,4
Que les meilleurs Danseurs des villes
N’auraient pas été plus habiles.
Et pour mieux prouver au Lecteur
Que je n’écris point en menteur,
Sans qu’aucun m’en ait donné charge,
J’ai mis, exprès, leurs noms en marge.
Floridor, et ses Compagnons,5
Sans être incités, ni semons,
Que pour la véritable joie
Que dans les cœurs la Paix envoie,
Pour réjouir Grands et petits,
Jeudi, récitèrent, gratis,
Une de leurs Pièces nouvelles,6
Des plus graves et des plus belles,
Qu’ils firent suivre d’un Ballet,
Gai, divertissant et follet,
Contribuant, de bonne grâce,
Aux plaisirs de la populace,
Par cette générosité,
Autrement, libéralité,
Qui fut une évidente marque
De leur zèle pour le Monarque.
Juillet : Ballets des comédiens espagnols à Paris §
La Muse historique de Loret §
Loret, lettre du 24 juillet 1660 §
Une grande Troupe, ou Famille
De Comédiens de Castille
Se sont établis dans Paris,
Séjour des jeux, danses et ris.
Pour considérer leur manière,
J’allai voir leur Pièce première,
Donnant à leur Portier, tout Franc,
La somme d’un bel écu blanc.
Je n’entendis point leurs paroles ;
Mais tant Espagnols, qu’Espagnoles,
Tant comiques, que sérieux,
Firent, chacun, tout de leur mieux,
Et, quelques-uns, par excellence,
À juger selon l’apparence.
Ils chantent, ils dansent Ballets,
Tantôt graves, tantôt follets ;
Leurs femmes ne sont pas fort belles,
Mais paraissent spirituelles,
Leurs sarabandes et leurs pas
Ont de la grâce et des appâts,
Comme nouveau ils divertissent,
Et de leurs castagnettes ravissent :
Enfin, je puisse être cocu,
Si je leur plaignis mon écu ;
Et je crois que tout honnête Homme
Leur doit porter pareille somme
Pour subvenir à leur besoin,
Puisqu’il sont venus, de si loin,
Avecque Comédie et danse,
Donner du plaisir à la France.
19 août : Ballet du Mariage du Lys et de l’Impériale accompagnant la tragédie de Collège Clementia Christiana §
La Muse historique de Loret §
Loret, lettre du 21 août 1660 §
Au Collège des Jésuites,
Religieux pleins de mérites,
Et qui, surtout, sont triomphants
À bien enseigner les Enfants,
Jeudi, leurs Écoliers jouèrent,
Ou, pour mieux dire, ils récitèrent
Un beau Sujet Latin, en Vers,
Tout rempli d’incidents divers,
Et, par-ci, par-là, de tendresse,
Que cette agréable Jeunesse
Excellemment représenta,
Et dignement s’en acquitta :
Sujet bien plus saint que profane,
Que le savant Père Dozane
De Falaise, au Pays Normand,
A fait d’un style tout charmant,
Pièce sans faute et sans macule,
Pièce, enfin, que l’on intitule
Clementia Christiana,
Et dont, certainement, on a
Fort loué la sage conduite
En l’honneur de ce Jésuite.
Ce Sujet, bien imaginé,
D’un Ballet fut accompagné,
Duquel l’invention galante
Fut, tout à fait, divertissante,
Et cadrant à l’Hymen du Roi ;
Bref, je vous puis jurer ma foi
Que cette Action dramatique,
Et le Théâtre magnifique,
Des plus beaux et plus éclatants,
Plurent fort aux sieurs Assistants,
Surtout au Nonce du Saint Père,
Qui prit plaisir à ce mystère,
De sa présence l’honora,
Et, même, dit-on, l’admira.
20 ou 22 novembre : Xerxès §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 27 novembre 1660 §
Dans le Louvre, dernièrement,
On eut, pour divertissement,
Une Comédie en Musique,
De Xerxès, Monarque Persique,
Dont les Intermèdes follets
Étaient des Danses et Ballets.
Je crois que la chose était belle,
Mais d’en faire un récit fidèle,
C’est ce qui ne m’est pas permis ;
Il est vrai qu’on m’avait promis
Entrée et place d’importance
Pour voir et Comédie et Danse :
Un des Gens de Sa Majesté
À cela m’avait invité,
Mais, Ô mon Lecteur bénévole,
Il ne m’a pas tenu parole ;
Ainsi, je te dis, bien et beau,
Que je ne puis faire un tableau
De cette Action éclatante,
Qui fut, je crois, toute charmante.
Loret, lettre du 4 décembre 1660 §
Xerxès, Poème Dramatique,
Qu’on ne récite qu’en musique,
S’est plusieurs fois représenté
Au logis de Sa Majesté ;
Il ne m’a point, par ses merveilles,
Charmé les yeux, ni les oreilles,
Car je n’ai pu, pour voir cela,
Parvenir encor jusque là :
Mais des Barons, Marquis et Comtes,
M’en ont fait tout plein de beaux contes,
Et le Théâtre, seulement,
Est construit si superbement,
Qu’on ne saurait voir ce spectacle
Sans, tout soudain, crier miracle.
Or, argent, azur et brocards
Y reluisent de toutes parts,
Et par un grand nombre de Lustres,
Ses décorations illustres
Ont un éclat si surprenant,
Que le siècle de maintenant
N’a point vu de splendeurs égales
Dans les Maisons même Royales ;
Et, toutefois, ouï dire j’ai
Que cela n’est qu’un abrégé
Des apprêts que fait et fait faire
Ce Machiniste extraordinaire
Qui depuis Mai, Juin ou Juillet,
Travaille pour le grand Ballet.
Loret, lettre du 11 décembre 1660 §
Enfin, il faut que je le die,
Les Ballets et la Comédie
Se pouvaient nommer, sur ma foi
Un divertissement de Roi :
Mais, à parler en conscience,
J’eus bien besoin de patience :
Car moi, qui suis Monsieur Loret
Fus sur un siège assez duret,
Sans aliment et sans breuvage,
Plus d’huit heures et davantage.
15 décembre : Ballet de la revente des habits du ballet – §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 18 décembre 1660 §
Cette Collation finie
On ouït quelque symphonie,
Où le Sieur Le Gros, qui chanta,
Toute l’Assistance enchanta,
Soutenu de deux Théorbistes
Des meilleurs et des plus artistes.7
Ensuite on dansa le Ballet
Peu sérieux, mais très follet,
Surtout dans un récit Turquesque,
Si singulier et si burlesque,
Et dont Baptiste était Auteur,
Que, sans doute, tout spectateur
En eut la rate épanouie,
Tant par les yeux que par l’ouïe.
Enfin, grâce à Monsieur Bontemps,8
Je passai là fort bien mon temps,
N’étant pas sur chaise durette,
Mais sur des sièges de moquette,
Près de certains Messieurs de Cour,
Qui pour nos Vers ont quelque amour.
1661 §
19 février : Ballet de l’Impatience §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 19 février 1661 §
Dans fort peu, le Ballet du Roi,
Fort divertissant, sur ma foi,
Qu’on intitule (que je pense)
Le Ballet de l’Impatience,
Dans le Louvre se dansera,
Et, sans doute, admiré sera :
Car c’est chose très véritable
Qu’il est beau, qu’il est admirable ;
J’en vis (dont je fus ébaudi)
La Répétition, Jeudi,
Où, sans vanité, je puis dire
Que j’étais placé comme un Sire ;
Et, foi de sincère Normand,
Le tout me parut si charmant,
Que, du Roi, l’auguste prestance,
Des Princes et Seigneurs la Danse,
Et les concerts mélodieux
Me semblèrent dignes des Dieux.
Outre la beauté des spectacles,
L’harmonie y fit des miracles,
Car les divers Musiciens,
Tant de la Cour, qu’Italiens,
Si parfaitement réussirent,
Qu’ils délectèrent, qu’ils ravirent.
Ô Que l’on fut bien diverti
Par l’aimable Bergeroty,
Dont la voix est mignonne et claire,
Et par Mademoiselle Hilaire,
Lui chantant Lambertiquement,
Nous comblait de contentement !
Et par l’admirable La Barre,
Sur qui peu de Filles ont barre,
Soit pour enchanter, en l’oyant,
Ou pour charmer en la voyant !
Rien ne fut plus jovialiste
Que Deauchamp, Dolivet, Baptiste.
L’inimitable Sieur Geoffroy
Fit, bien de fois, rire le Roi,
Ayant un béguin sur l’oreille,
Et faisant l’aveugle à merveille.
Ô Que la Mignonne Vertpré
Capriola bien à mon gré !
Qu’un air grâcieux accompagne,
Dans de favorables instants,
Agréèrent aux Assistants !
Et que les Vers de Bensérade
Sur qui l’on jeta mainte œillade,
Furent prisés, pour leur douceurs,
Par d’experts et bons connaisseurs !
Le Sieur Balard qui les imprime,
Imprimeur, que la Cour estime,
Bientôt, dit-on, les publiera,
Et chacun en achètera.
Enfin, ce Ballet magnifique,
Moitié grave, moitié comique,
Id est pompeux et jovial,
Se peut nommer vraiment Royal ;
Et si l’on me fait cette grâce
De m’y donner, encore, place,
Il sera (je pense) à propos
D’en dire encor deux petits mots :
Mais si l’entrée on me refuse,
Foi de Poète, ou foi de Muse,
Et, même, foi d’Homme de bien,
Je jure de n’en dire rien
Dans mon autre futur Ouvrage,
Ô Quel malheur ? Ô quel dommage !
Maintenant que j’écris ceci
(J’en ai, de deuil, le cœur transi)
Devant le Roi, devant les Reines,
Qui sont de retour de Vincennes,
On s’en fait, en perfection,
L’ultime répétition,
Avec tous les tons harmoniques,
Avec les habits magnifiques,
Les Machines, et cetera.
Las ! toute la Cour la verra,
Et, pourtant, je n’y saurais être ;
Ô pour moi, quel jour de bicêtre !
Loret, lettre du 26 février 1661 §
Malgré la dur[e]té qu’accompagne,
Un certain Breton de Bretagne,
Officier moderne du Roi,
Ce me semble, nommé Taloi,
Qui par caprice, ou par grimace,
M’obligea de changer de place,
Et tout plein d’autres Gens d’honneur,
Qu’il irrita, le bon Seigneur ;
En dépit, donc, de l’incartade
D’icelui, sujet à boutade,
Plus ravi qu’on ne peut penser,
Mardi dernier, je vis danser,
Dans toute sa magnificence,
Le Ballet de l’Impatience,
Qui me parut, en bonne foi,
Digne d’un illustre et Grand Roi :
Ses seize admirables Entrées
Par moi, de près considérées,
(Car, nonobstant ledit Breton,
J’étais placé comme un Caton)
Que, sans mentir, on trouva telles
Qu’un chacun les jugea très belles.
Ce fut le Roi qui commença,
Et si parfaitement dansa,
Qu’il ravissait les yeux, sans cesse,
Par ses pas et sa noble adresse ;
Dont Thérèse, qui le voyait,
Et qui ses louanges oyait,
Donnait, par ses yeux, mainte marque
Combien elle aimait ce Monarque.
Plusieurs, de haute qualité,
Dansant avec sa Majesté,
Le plus qu’ils purent, l’imitèrent,
Et qui plus, qui moins, excellèrent
Avec d’autres Danseurs mêlés,
Tous choisis et tous signalés.
La Belle Giraud11, dont la taille
Agrée en quelque part qu’elle aille,
Et l’aimable De la Faveur,
Pour qui je sens quelque ferveur,
Firent si bien ce qu’elles firent,
Que bien des cœurs elles ravirent.
Des Danseurs, quoi que la plupart
Dans mon cœur aient quelque part,
Par prudence, ou philosophie,
Aucun d’eux je ne spécifie,
Les oubliés seraient jaloux,
Et je ne puis les nommer tous :
Car leur nombre (que je ne mente)
Passe quarante, ou, du moins, trente ;
Cela fait que je m’en tairai,
Et d’eux, seulement, je dirai
Que tous ces Danseurs d’importance
Sont la Fleur des Danseurs de France ;
Et jusques au petit Dupin,
Pas guères plus grand qu’un Lapin,
Il contrefit (foi de Poète)
Si naïvement la Chouette,
En battant de l’aile et dansant,
Qu’on peut de lui, dire en passant,
Qu’il fit presque pâmer de rire
Toute la Cour de notre Sire.
Si les Danseurs firent des mieux
Pour plaire à tout plein de beaux yeux,
Les instruments pour les oreilles
Ne firent pas moins de merveilles ;
Les huit Récits furent fort beaux,
Animés par des airs nouveaux,
Et par des voix incomparables
De divers Chantres admirables
Qui firent d’excellents débuts,
Tant les barbus, que non barbus.
Mais, surtout, les trois Chanteresses,
Ou, plutôt, trois Enchanteresses,
Charmèrent par leurs doux accords
Tous ceux qui les oyaient, alors.
Anna, l’agréable Segnore,12
Qu’en secret, dans mon coeur, j’honore,
Joua dans ce Royal Ballet
Excellemment bien son Rollet.
La Barre, qui comble de joie,
Soit qu’on l’écoute, ou qu’on la voie,
Avait un air noble et touchant
Dans son visage et dans son chant.
Et cette inimitable Hilaire,
Qu’autre part on nomme Élisaire,
Fit bien voir là, que son talent
En cet Art, est très excellent.
Bouti, dont l’âme est si polie,
Originaire d’Italie,
Dudit Ballet est l’inventeur.
Hesselin en est Conducteur,
Hesselin, Homme de remarque,
Et qui des plaisirs du Monarque,
Qu’il sert avec un cœur ardent,
Est l’unique Surintendant :
Et le renommé Sieur Baptiste,
Qu’on dit n’être plus grand juriste,
A, sur tout plein de tons divers,
Composé presque tous les airs :
Toutefois, je me persuade,
Sans que d’honneur, je le dégrade,
Que Beauchamp, Danseur sans égal,
Et Dolivet, le jovial,
En leur méthode, inimitables,
Estimés tels des plus capables,
Bref, Gens qui ne sont pas communs,
En ont, aussi, fait quelques-uns.
Mais trêve de Ballets, de Danses,
Et d’autres telles circonstances,
Dont je ne dirai bien, ni mal,
Jusques en l’autre Carnaval,
Où Taloi, cet Homme si rogue,
N’aura peut-être, plus de vogue.
Loret, lettre du 5 mars 1661 §
Pour plaire à quatre Demoiselles,
Que je crois, toutes, fort pucelles,
Le Lundi gras, jour jovial,
Je revis le Ballet Royal,
Ayant honorable séance
Près de Gens de haute importance,
Où par pure bonté d’esprit,
Monsieur de Taloi me souffrit,13
Quoi que, pourtant, quelques personnes,
En mon endroit, un peu félonnes,
Eussent animé contre moi
Cet ardent Officier du Roi ;
Je m’étais (outré de colère)
Plaint de son procédé sévère,
Mais j’aurais été bien fâché
D’avoir à son honneur touché ;
Et depuis icelle boutade,
Charnassé, son cher Camarade,
M’a conté tant de bien de lui,
Qu’il se peut vanter, aujourd’hui,
Que je l’honore et je l’estime,
Aussi bien en prose, qu’en Rime.
Ledit Ballet je revis, donc,
Agréable s’il en fut, onc,
Où, du Roi, la belle prestance,
L’air noble, la taille et la danse,
Comblèrent, en ce temps de Paix,
Les cœurs, d’amour, plus que jamais.
Dans mon autre dernière Lettre
L’Imprimeur oublia de mettre
(Dont je lui sus fort mauvais gré)
Des Vers pour la jeune Verpré,
Et dont, sans flatter, on peut dire
Qu’elle capriola des mieux,
Et qu’elle charma bien des yeux.
23 juillet : Le Ballet des Saisons §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 10 juillet 1661 §
[…]
Dans cette Noble Cour de France,
Abondance en réjouissance,
On prépare un Ballet si beau,
Et d’un appareil si nouveau,
Que ce Palais incomparable
N’a vu jamais rien de semblable
En machines, en incidents,
Dans tous les Règnes précédents.
On travaille (à ce qu’on raconte)
À neuf cents habits, de bon compte,
Qui d’or et d’argent brilleront,
Pour les Danseurs qui danseront,
Pour les belles Voix ordinaires,
Et pour tous les Instrumentaires.
Si je pouvais m’y transporter,
Pour quelque chose en rapporter,
Certes, je ferais ce voyage
D’un extrêmement grand courage,
Et j’en serais des plus contents :
Mais il n’est pas encore temps ;
Et, de plus, pour voir tels miracles,
On a quelquefois, tant d’obstacles,
Qu’à parler en Homme-de-bien,
Je ne me dois vanter de rien.
Loret, lettre du 31 juillet 1661 §
Ce fut le soir de ce Jour-là
Qu’icelle Cour on régala
De plusieurs splendeurs nonpareilles
Et des surprenantes merveilles,
D’un Ballet si rare et si beau,
Et dont le genre est si nouveau,
Que Spectateurs et Spectatrices
Admirèrent ses artifices.
Un Théâtre des mieux orné
Que mon œil ait jamais lorgné,
Roulant sur les fortes échines
De plus de cent douze Machines,
Lesquelles on ne voyait pas,
S’étant avancé de cent pas,
On ouït, soudain, l’harmonie
D’une Angélique symphonie
De douces Voix et d’instruments ;
Et durant ces divins moments,
On admirait sur des montagnes
Diane et ses chastes Compagnes,
(Avec des arcs, flèches, ou traits)
Ayant d’adorables attraits,
Et dont, tout de bon, quelques-unes,
Tant blondines, que claires-brunes,
Charmaient cent cœurs, en moins de rien,
Sans, même, en excepter le mien.
Diane, non pas la première,
Mais, des Cieux seconde lumière,
Ayant sur son front ravissant
Un riche et lumineux croissant,
Était, illec, représentée
Par Madame, alors, escortée
De dix des Belles de la Cour,
Qui sont autant d’Astres d’amour.
Si tôt que les Récits cessèrent,
Ces Aimables Nymphes dansèrent
Avec des habits précieux,
Qui donnaient bien moins dans les yeux
Que mille grâces naturelles
Qu’on voyait éclater en elles.
Le Roi parut, soudain après,
Sous la figure de Cerès ;
Puis il fit, sous autre visage,
D’un beau Printemps le Personnage,
Et dans l’une et l’autre action,
Sa belle disposition
Parut, non seulement Royale,
Mais, certainement, sans égale.
Monsieur, d’habits d’or éclatants,
Un Vendangeur représentant,
D’un bel air, suivant la cadence,
Fit admirer aussi sa danse.
Monsieur le Duc, pareillement,14
Fit paraître tant d’agrément,
Qu’on prisa fort de Son Altesse,
Les pas, l’adresse et la justesse.
On demeura, même, d’accord,
Que Monsieur le Duc de Beaufort,
Compris dans ce Royal spectacle,
Faisant l’Apollon à miracle,
Et dansant avec les neufs Sœurs,
Parut un des meilleurs Danseurs.
Bref, les autres Seigneurs de marque
Qu’avait choisis notre Monarque,
Et ceux de moindre qualité,
Sans que pas un d’eux soit flatté,
Comme on les tient, en cas de danse,
Des mieux entendus de la France,
Chacun d’eux, en ce beau Talent,
Parut, tout à fait, excellent.
Enfin, les neufs Muses célestes,
Mignonnes, gracieuses, lestes,
Ravissants les cœurs et les yeux,15
Par leurs pas concertés des mieux,16
Et Jules Du Pin avec Elle,
Qui de l’Amour portait les ailes,
Finirent agréablement
Ce rare Divertissement,
Que Saint-Aignan, illustre Comte,
Dont la France cent biens raconte,
A très agréablement inventé
Par ordre de Sa Majesté.
De toutes les choses susdites,
Par moi trop faiblement écrites,
Je vis le fond et le tréfond,
Grâces au généreux Beaumont,
Écuyer de la Reine-Mère,
Gentilhomme brave et sincère,
Qui, vers moi, débonnaire et franc,
Me plaça sur son propre banc,
Parmi de fort nobles Personnes,
Et, même, assez près des Couronnes.
Du susdit Ballet que je vis,
On saura, par forme d’avis,
Que les Airs sont du Sieur Baptiste,
Qui d’Orphée est un vrai copiste ;
Que Benserade a fait les Vers,
Auteur prisé dans l’Univers ;
Et que Mademoiselle Hilaire
Dont la voix a le ton de plaire,
Et le sieur Le Gros, mêmement,
Y chantèrent divinement :
Mais pour en savoir davantage
Que je n’en dis dans cet Ouvrage
Écrit à la hâte et sans art,
Voyez l’Imprimé de Balard,
Qui n’a rien que de véritable
Et qu’on vend à prix raisonnable.
Loret, lettre du 6 août 1661 §
[…]
Le Ballet de Fontainebleau
Comme il est admirable et beau,
Et tout brillant de divers lustres,
À cause des Danseurs illustres,
Et des Objets de rare prix
Que dans iceluy sont compris,
À ce qu’on dit, se danse encore :
Mais mon esprit se remémore,
Qu’étant à Paris de retour,
Lors que je parlai, l’autre-jour,
De ce Ballet que tant on prise,
J’oubliai Monseigneur de Guise,
Dont je suis très-humble valet,
Et l’un des Grands dudit Ballet.
J’ai pesté des fois plus de mille
Contre ma mémoire débile,
Et je jure qu’à l’avenir
(Quoi que peu dans son souvenir)
J’aurai toujours soin de sa gloire,
Et d’en embellir mon Histoire.
17 août : Les Fâcheux §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 20 août 1661 §
Mais il ne faut pas que je die
Le reste de la Comédie,
Car bientôt Paris la verra,
On n’ira pas, on y courra ;
Et chacun prêtant les oreilles
À tant de charmantes merveilles,
Y prendra plaisir, à gogo,
Et rira tout son saoul ; ergo,
Pour ne faire, aux Acteurs, outrage
Je n’en dirai pas davantage,
Sinon qu’au gré des Curieux,
Un Ballet entendu des mieux,
Qui par intervalles succède,
Sert à la Pièce, d’Intermède,
Lequel Ballet fut composé
Par Beauchamp, Danseur fort prisé,
Et dansé de la belle sorte
Par les Messieurs de son Escorte ;
Et, même, où le sieur d’Olivet,
Digne d’avoir quelque Brevet,
Et fameux en cette Contrée,
A fait mainte agréable Entrée.
Après la Danse et le Récit,
Où, des mieux, chacun réussit,
Après ce plaisir de Théâtre,
Dont la Cour fut presque idolâtre,…
Loret, lettre du 27 août 1661 §
La Pièce, tant et tant louée,17
Qui fut dernièrement jouée
Avec ses agréments nouveaux,
Dans la belle Maison de Vaux,
Divertit si bien notre Sire,
Et fit la Cour tellement rire,
Qu’avec les mêmes beaux apprêts,
Et par commandement exprès,
La Troupe Comique excellente
Qui cette Pièce représente,
Est allée, encor de plus beau,
La jouer à Fontainebleau,
Étant, illec, fort approuvée,
Et, mêmement, enjolivée
D’un Ballet gaillard et mignon,
Dansé par maint bon Compagnon,
Où cette jeune Demoiselle
Qu’en surnom Giraud18 on appelle,
Plût fort à tous par les appâts,
De sa personne et de ses pas.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 18 août 1668 §
Comme chacun, à leur exemple
(Que toute la Ville contemple),
De se signaler est ravi,
C’est ce qu’on a fait à l’envi,
Et j’en fis en mon autre Épître
Un assez spacieux Chapitre ;
Mais, vraiment, les COMÉDIENS,
Tant les Français qu’Italiens,
Ont, depuis, témoigné leur zèle
De façon si noble et si belle,
Et sans aucun égard aux frais,
(Car on en fait, je vous promets,
Dedans une Rencontre telle,
Tant en violons qu’en chandelle) ;
Ils ont, dis-je, d’un si bel air
Leur affection fait briller,
Donnant GRATIS la Comédie
À quiconque en avait envie,
Et c’est-à-dire à tout Paris,
Qui la voulut voir à ce prix,
Qu’ils méritent bien que l’Histoire
En conserve aussi la mémoire.
31 août : Ballet de L’Arc-en-ciel Fils du Soleil, accompagnant la tragédie de collège La Mort des Enfants de Säul §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 3 septembre 1661 §
De l’autre mois, le dernier jour,
Je fus aux Jésuites, pour
Y voir une Pièce Tragique,19
Composée en style énergique
Avec des entr’Actes plaisants,
Comme on en fait là tous les ans.
[…]
Père Darrouy, profond Docteur,
En est le noble et digne Auteur :
Cette Histoire, des mieux traitée,
Fut assez bien représentée,
Et les Ballets entrelacés
Fort agréablement dansés,
Se trouvant, illec, d’assurance,
Un des adroits Danseurs de France.20
1662 §
7 février : Ercole Amante §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 21 janvier 1662 §
J’étais prié d’y comparaître,
Mais comme on ne saurait pas être
En même temps, en divers lieux,
Durant ce jour-là j’aimai mieux
Aller à la suite des Reines,
Voir sans embarras et sans peines,
Sans passe-port et sans billet,
Les Machines du Grand Ballet,
Dont on essaya quelques-unes ;
Mais telles et si peu communes,
Qu’en extase je fus ravi
De trois seulement que je vis.
Pareils spectacles sont ma vie,
De les voir j’ai toujours envie,
J’y courrais bien plutôt qu’au feu ;
Puis il faut que j’en parle un peu,
Et que de ses pompeux mélanges
J’instruise les Pays étranges21
De tous côtés, de bout en bout,
Par mes Vers qui courent par tout ;
Que si la Reine débonnaire,
Dont ma Muse est pensionnaire,
La Reine Mère de mon Roy,
Ayant un peu de soin de moi,
Me faisait l’honneur et la grâce
(Ainsi que jadis dans Bourbon)
Lors-que ce sera tout de bon :
Quoi que j’aie déjà pour Elle
Grand bienveillance et grand zèle,
Je jure que mon amitié
En augmenterait de moitié.
Loret, lettre du 4 février 1662 §
[…]
Aujourd’hui, durant que la Muse
À griffonner ceci s’amuse,
On prépare en moult bel arroi
L’admirable Ballet du Roi,
Dont les raretés sans-pareilles
Passent pour autant de merveilles :
Mais n’en ayant vu qu’un essai,
Bien parler encore je ne sais ;
Si lundi l’on me fait la grâce
de m’y procurer une place,
Où je puisse commodément,
Jouir de ce contentement ;
Dussè-je prendre des bezicles,
J’en écrirai quelques articles :
Mais si je ne le vois pas bien,
J’ai grand peur de n’en dire rien,
Ni par rime, ni par langage ;
Ha que ce serait grand dommage !
Princesse, en attendant ce temps,
Le Ciel rendre vos vœux contents,
Et permette que ce spectacle
Vous puisse ravir, à miracle.
Loret, lettre du 11 février 1662 §
Le sept du mois, Mardi passé,
Le Ballet du Roi fut dansé,
Mêlé d’un Poème tragique,
Chanté, tout du long en musique,
Par des Gens Toscans et Romains,
La plupart légers de deux grains ;
Et, même, par l’illustre Hilaire,
Qui ne saurait chanter sans plaire,
Et la Barre pareillement,
Dont la voix plaît infiniment,
Et dont la personne excellente
La Beauté même représente
(Assez convenable rôlet)
Dans ce beau Poème, ou Ballet ;
Lequel Poème s’intitule
En Français, Les Amours d’Hercule,
Et dans sa naturalité
Se nomme Ercole Amante.
L’Auteur de ce fameux Ouvrage22
Est un excellent Personnage,
Ayant en Cour, à ce qu’on dit,
Réputation et crédit.
Je ne dis rien dudit Poème,
D’autant qu’à mon regret extrême,
Son langage mignard et doux
Ne fut, onc, entendu de nous.
Pour le reste, c’est autre chose,
Toutefois, si parler j’en ose,
Je ne saurais faire autrement
Que jaser généralement
De ce Ballet plus qu’admirable,
Duquel la pompe incomparable
Subsiste six heures durant,
Et qu’on peut nommer dix fois grand,
Soit à l’égard des symphonies,
Qui font de rares harmonies,
Soit pour les Décorations,
Les subtiles inventions,
La dignité des Personnages,
Les Machines dans les nuages,
Les Héros, Déesses et Dieux,
L’Air, la Mer, l’Enfer et les Cieux,
Du Soleil, la Sphère brillante,
Qui parut, tout à fait, charmante,
La richesse et les ornements
Des superbes habillements ;
Bref, les dix-huit grandes Entrées,
La moindre valant vingt bourrées :
Et dont Louis, la Fleur des Rois,
Paraît à la tête de trois ;
Que dis-je, trois ? sans rien rabattre,
Il danse, pour le moins, dans quatre,
Se faisant (sans exagérer)
Dans toutes les quatre admirer.
Il représentait en sa danse,
En l’une, la Maison de France ;
Puis Pluton, Mars et le Soleil,
Le dernier dans un appareil
Assez conforme à la manière
Que l’on peint ce Dieu de lumière :
Mais, surtout, furent admirés
De son chef les cheveux dorés,
Agencés d’une main habile,
Et d’une façon si subtile,
Que jusqu’à présent nul Mortel
N’avait admiré rien de tel ;
Notre cher Porte Diadème
Le prisa fort, dit-on, lui-même,
Et tous les Gens de qualité
Etant près de Sa Majesté.
L’Autrice de ce bel Ouvrage,
Femme spirituelle et sage,
S’appelle Madame Touzé,
Nom digne d’être éternisé,
Puisqu’elle est au Monde l’unique
Capable de telle fabrique ;
Et comme elle n’avait souci
De travailler, jusques ici,
Qu’à faire d’admirables tresses
Pour Prélats, Princes et Princesses,
On peut dire avec vérité
Que la rare dextérité
De cette Ouvrière inimitable,
Part un sort assez honorable
De son art plus qu’industrieux,
En sait faire aussi pour les Dieux.
En ce Ballet que nul n’égale,
Dont la dépense est si Royale,
Monsieur que Dieu conserve, amen,
Représente, en dansant, l’Hymen.
Monseigneur le Prince, Alexandre ;
Et c’était assez bien l’entendre
Que lui donner ce grand Nom-là,
Chacun approuvant fort cela.
Monsieur le Duc, son cher Ouvrage,
D’Amour, y fait le Personnage.
Monsieur de Guise, Jupiter.
Ici, je ne puis débiter
Les Noms des Danseurs de remarque
Du Ballet de notre Monarque,
Le nombre en est trop étendu,
Maint rang y serait confondu ;
Et je pourrais, par ignorance,
M’abuser sur la préséance.
Mais, pour le Sexe précieux,
Le cher paradis de nos yeux,
Comme leur nombre est beaucoup moindre,
Je veux, ici, toutes les joindre,
Chaque Nom étant exprimé
Selon l’ordre de l’Imprimé ;
Le tout avec des Vers faciles,
Et non pas des pointes subtiles :
Car quand on fait des in promptus,
Rarement les Vers sont pointus.
Au premier rang, il est bien juste
De mettre notre Reine auguste,
Dont l’agréable Majesté
Est un modèle de Beauté.
Il faut insérer après Elle
Avec raison, Mademoiselle,
Dont les illustres qualités
Ont du renom de tous côtés.
Deux charmantes Fleurs de jeunesse,
Sœurs de la précédente Altesse,
Savoir Alençon et Valois,
Extraites du Sang de nos Rois.
De Soissons, la Comtesse aimable,
Dont la grâce presque adorable
A des charmes et des appâts,
Que toutes les Belles n’ont pas.
D’Armagnac, cette autre Comtesse,
Qu’on prendrait pour une Déesse,
Et qui, dès l’âge de douze ans,
Ravissait Cour et Courtisans.
Deux jeunes Sœurs belles et sages,
Qui charment tout par leurs visages,
Mesdemoiselles de Nemours,
Dignes des plus nobles amours.
L’incomparable de Luynes,
Dont les beautés, quasi divines,
Font infinité d’Amoureux,
Mais ne font qu’un seul Homme heureux.
Sully, Duchesse des mieux née,
De quantité d’appâts ornée,
Et dont le Père, assurément,
Fut Homme de grand jugement.
Créquy, cette belle Personne,
Qui quoi que Femme est si mignonne,
Qu’en son visage triomphant
On voit encore un teint d’enfant.
La jeune Comtesse de Guiche,
Douce, agréable, belle et riche,
Ayant, par bonheur singulier,
Pour Aïeul un Grand Chancelier.
Rohan, admirable Pucelle,
Si noble, si sage et si belle,
Que quiconque l’épousera,
Un grand Trésor possédera.
Mortemar, qu’on tient sans pareille,
Jeune et ravissante à merveille,
De prudence, d’honnêteté,
D’esprit, de grâce et de beauté.
Des-Autels, Fille de la Reine,
Fort aimable, mais inhumaine,
Qui tient en Cour fort bien son rang,
Et qui vient d’un fort noble Sang.
Ces Belles, tant Femmes que Filles,
Représentaient quinze Familles
Toutes pleines d’honneurs divers,
Des plus grandes de l’Univers,
Et, certainement, leur Entrée
De tant de grâces illustrée,
Du grand nombre des spectateurs
Fit presque autant d’admirateurs.
Ô Chers Lecteurs, dans ces Vers nôtres,
Je ne saurais parler des autres,
Qui firent, toutes, grand effet ;
Mais ce ne serait jamais fait.
Celles de Diane et de l’Aurore,
Selon ce que j’en remémore,
Que dansent Giraut et Verpré,
Sont ravissantes à mon gré,
Ce sont deux aimables spectacles,
Car l’une et l’autre y font miracles.
Celle des Etoiles plût fort,
Et chacun demeura d’accord
Que ces agréables Fillettes ;
Avec tambours et castagnettes,
(Toutes quinze) ne pouvaient pas
Réussir avec plus d’appâts,
Chacune étant des mieux parée ;
Et ce fut la dernière Entrée,
Qui donna grand contentement,
Et conclut admirablement.
Lecteurs, vous apprendrez le reste,
Dans le journal, ou Manifeste, ;
Que Balard en a recueilli,23
Où de mettre il n’a pas failli,
Comme pour première parade,
Les beaux Vers du Sieur Bensérade,
Non seulement divertissants,
Mais infiniment ravissants ;
Voilà, donc, une affaire close,
Et je vais parler d’autre chose.
Loret, lettre du 18 février 1662 §
Maintenant, qu’en grattant ma têtes,
Cette Lettre au public j’apprête,
D’un style morne, et non follet,
On danse encore le grand Ballet,
Le grand Ballet de nôtre Sire ;
Et, certes, grand peut-on bien dire,
Puis-que (comme l’on sait assez)
Tous les autres Ballets passés,
Soit pour la superbe manière,
Soit pour les frais de la lumière,
Soit pour les habits précieux,
N’ont jamais fait voir à nos yeux
Des magnificences pareilles
À ces surprenantes merveilles :
Je n’écris point en étourdi ;
Car, pour prouver ce que je dis,
(Sans y comprendre les Couronnes)
Plus de sept cens trente Personnes,
Dont quatre ou cinq cens je connai,
Au susdit Ballet ont emploi.
Loret, lettre du 25 février 1662 §
Le Grand Ballet d’Hercule Amant,
Si magnifique et si charmant,
Fut Lundi, pour la fois dernière,
Dansé de la belle manière :
Je ne l’avais point encor vu
D’un si brillant éclat pourvu ;
Et du Dieu Mars la seule Entrée,
Digne, certes, d’être admirée,
Avec ses nobles Combattants,
Surprit fort tous les Assistants.
On n’entendait point de Musettes,
Mais des Tambours et des trompettes,
Et des timbales, mêmement,
Qui résonnaient terriblement,
Et comblaient d’ardeur martiale
Tous les moins hardis de la Salle.
Quoi que ce ne fût qu’un ébat,
Il s’y fit un fort beau combat,
Avec diverses sortes d’armes,
Qui pour nous étaient de doux charmes ;
Dans ce Camp, le Roi secondé24
De l’Altesse du Grand Condé25
(Un des preux Héros de la Terre)26
Y parut en foudre de guerre,
En Dieu triomphant et vainqueur ;
Saint-Aignan, dont le brave cœur
Eut toujours la Valeur pour guide,
Et qui se porte en intrépide
Dans les périls et les hasards,
Faisait le premiers des Césars ;
Rassan (qui sait l’art de combattre)
L’illutre Amant de Cléopâtre,
Et quantité d’autres Humains,
De Chefs guerriers, Grecs et Romains.
Ce combat fut fait en cadence ;
Et je n’ai point de souvenance,
Moi qui depuis maint et maint jour,
Vois tous les Ballets de la Cour,
Quoi que d’eux je me remémore,
D’avoir vu nulle Entrée, encore,
(Je puis bien jurer de cela)
Si superbe que celle-là,
Ni qui pour de divers usages
Eût compris tant de personnages.
Quel discours pourrait raconter
L’entrée, aussi, de Jupiter ?
De grande et pompeuse entreprise,
Dont était Chef Monsieur de Guise,
Et qui dans ce splendide lieu,
Représentait icelui Dieu.
Illec, quatre antiques Monarques,
Dès longtemps le jouet des Parques,
Et doués de rares vertus,
Cyrus, Philipus, Augustus,
Et Hannibal, au grand courage,
Jadis, Citoyen de Carthage,
Sur de hautes chaises montés,
Etaient en triomphe portés :
Ce qui formait si beau spectacle,
Que j’en pensai crier, miracle :
Et cette Entrée, en vérité,
Par sa splendeur et majesté,
Multitude, éclat, harmonie,
Ravit toute la Compagnie.
Dans mes autres précédents Vers,
En deux ou trois endroits divers,
J’ai parlé de celle des Dames,
Qui comblaient d’amoureuses flammes,
Ainsi que des soleils ardents,
Les cœurs de tous les regardants
Y causant un désordre extrême,
N’en étant pas exempt moi-même,
Aujourd’hui, je prends le souci
De toucher encore ceci ;
Mais on pourrait cent choses dire
Dudit Ballet de notre Sire,
Passant tous les Ballets passés,
Que ce ne serait pas assez.
Outre trente actions célèbres,
On y vit des Pompes funèbres,
Avec des chants si musicaux,
Qu’on les estimait sans égaux.
Les seules Danses des Planètes
Pourraient remplir douze Gazettes
Si l’on les voulait débiter :
Mars, Apollon et Jupiter,
La Lune, Vénus et Mercure,
Dieux de différente nature,
Jouèrent chacun leur Rollet
En cet admirable Ballet,
Avec tant de magnficences,
Eux, et toutes leurs Influences
Que leur seule déduction,
(C’est-à-dire description)
Est digne qu’une belle Plume
Les consacrât dans un Volume.
Mais le passetemps le plus doux,
Selon l’opinion de tous,
Furent quinze Etoiles dansantes ;
Quinze Fillettes ravissantes,
Dont, certes, les jeunes appâts,
La gaie humeur et les beaux pas,
Les grâces et les gentillesses,
Pourraient charmer Dieux et Déesses.
Ô Que par Elles, quelque jour,
Fleurira l’empire d’Amour !
Ô Que ces rares Créatures
Causeront de vives pointures !
Que la belle et chère Toussy
Remplira les cœurs de souci !
Que Bailleul, l’aimable mignonne,
Deviendra charmante personne !
Et que la divine Brancas
Par ses traits purs et délicats,
Et sa blancheur incomparable
Doit se rendre un jour adorable !
Les autres étaient Plabisson,
Qui savait des mieux leur leçon,
Vaure, Dargentier, Barnouville,
Ribera, Mousseaux, Arnouville,
Certe, Saugé, Longuet, Mignon,
Dont le visage est bien mignon ;
Et, bref, la petite L’Estrade,
Sur qui l’on jeta mainte œillade.
Certes, ces naissantes Beautés,
Ces jeunes sources de clartés,
Ou, pour le moins, plusieurs d’entre elles,
Récréèrent bien des prunelles,
Causèrent mainte émotion
D’amour et d’admiration,
Et comme elles ne sont encore
Que des images de l’Aurore,
Leurs appâts seront sans pareils
Quand elles deviendront soleils :
Mais je ne les crains, ni redoute,
Car, alors, je ne verrai goutte.
Ce Ballet du plus Grand des Rois
Eût été dansé plus de fois,
Mais à la requête et prière
De la pieuse Reine-Mère,
Le Carême étant survenu,
J’ai su du discours ingénu
D’un de mes voisins nommé Jacques
Qu’on l’a salé pour après Pâques :
Mais d’autres Gens mieux éclairés
Prétendant en être assurés,
En discourent d’une autre sorte,
Et disaient Mardi, sur ma porte,
Que ce Ballet étant cassé,
Ne serait jamais plus dansé.
Loret, lettre du 22 avril 1662 §
Mardi, le grand Ballet d’Hercule,
Commençant par un Préambule,
Où quatorze Fleuves divers
Font de mélodieux Concerts,
Fut redansé dans cette Salle,
Qui pour Ballets n’a point d’égale ;
Lequel Ballet, je vous promets,
Fut plus admiré que jamais,
Etant abondant en miracles,
Et l’un des plus pompeux spectacles,
Qui dans mille effets éclatants,
Ait paru depuis cinquante ans.
Maintenant, l’on le danse encore,
Durant qu’un chagrin me dévore
De n’y pouvoir me transporter
Pour ce rare plaisir goûter,
Par ce qu’à présent je travaille,
Et si je ne fais rien qui vaille
Dans mon Epître, d’aujourd’hui,
Lecteur, prends-t’en à mon ennui
À ce mien labeur fort contraire,
Et qui ne fait que me distraire.
Loret, lettre du 6 mai 1662 §
Ce Ballet, qui par le passé
A tant de fois été dansé,
En noble et pompeuse cadence,
Encore aujourd’hui se redanse :
Mais j’ai su de deux, ou de trois,
Que c’est pour la dernière fois.
Et comme la belle Thérèse
Ne va plus à présent qu’en chaise,
Pour conserver le Fruit second
Formé dans son ventre fécond,
Madame y parait en sa place ;
Mais qui danse avec tant de grâce,
Que tel qui l’a bien des fois vu
De tout son grand éclat pourvu,
Quelque longtemps qu’on y séjourne,
Volontiers encore y retourne
Pour l’agréable nouveauté
D’y voir danser cette Beauté.
22 août : Ballet, La Destinée de Monseigneur accompagnant la tragédie de collège Sigéric §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 26 août 1662 §
Mardi, le vingt-et-deux tout juste,
Du mois nommé du nom d’Auguste,
Dans ce Collège tant vanté
Que tu vois écrit à côté,
Les Ecoliers des Jésuites,
Dont les Personnes sont instruites
Aux Sciences, soir et matin,
Représentèrent en Latin,
Sur un Théâtre magnifique,
D’Egeric, l’Histoire tragique,
Dont les Vers, à ce que m’on dit
Des Gens d’esprit et de crédit,
(Et me l’ont dit en conscience)
Sont pleins d’art et d’intelligence ;
Le Père Du-Bois, ce dit-on,
Sage et sensé comme un Caton
(Je n’ose dire davantage)
Est l’Auteur du susdit Ouvrage,
Tiré de Grégoire de Tours,
Et rempli de fort beaux Discours.
Des Ballets, d’Entre-actes, servirent,
Qui plurent et qui réjouirent,
Ayants pour visée et pour fin
Le sort de Monsieur le Dauphin.
J’en voudrais dire davantage,
Mais le mal félon qui m’outrage
Ne me permet ni peu, ni point,
De bien approfondir ce point.
1663 §
8 janvier : Ballet des Arts §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 13 janvier 1663 §
En cette Maison noble et belle,
Que Palais Royal on appelle,
Lundi dernier, Jeudi passé,
Le Ballet du Roi fut dansé.
Je ne saurais encor que dire
De ce Ballet de notre Sire,
(Qu’on tient charmant au dernier point)
Ne l’ayant vu ni peu, ni point.
Comme j’aime les choses belles,
Pour, après, jaser un peu d’elles,
À dessein j’y portai mes pas,
Mais, toutefois, je n’entrai pas ;
D’une parole assez humaine,
» La Salle (me dit-on) est pleine
» Vous gagneriez peu de passer,
» On ne saurait vous y placer.
Quant il m’eût fait cette harangue,
Un autre déployant sa langue,
Paraissant Homme de crédit,
En s’approchant de moi me dit
D’une manière spécieuse,
» La Salle est si peu spacieuse,
» Que je puis vous faire serment
» Qu’elle ne contient seulement,
» Des places qui soient un peu bonnes.
» Que pour deux cents trente personnes,
» Et vous assure, en vérité,
» Que bien des Gens de qualités,
» Craignant d’avoir même disgrâce
» Que le sieur Baron de la Crasse,
» S’en sont froidement retournés
» Avec, du moins, un pied de nez.
Ma foi, quand il m’eût dit la chose,
Voyant toujours la porte close,
Je m’en allai sans murmurer,
Non, toutefois, sans espérer
De prendre, à toutes aventures,
Un autre jour mieux mes mesures,
Car il sera, durant ce mois,
Encor dansé quatre ou cinq fois.
Loret, lettre du 20 janvier 1663 §
Moi, votre très humble Valet,
Fus, Lundi dernier, au Ballet,
Au Ballet des Arts, c’est-à-dire,
Le Ballet du Roi notre Sire,
Qui sous son Règne glorieux,
Dans Paris et maints autres lieux,
Fait refleurir par excellence,
Les Arts, les Lettres, et la Science :
Mais pour parler sincèrement
De ce beau divertissement,
Il était rempli de merveilles
Pour les yeux et pour les oreilles,
Il me parut digne des Dieux,
Et jamais on ne dansa mieux ;
Outre la parfaite harmonie
D’une admirable symphonie,
Dont Baptiste, esprit transcendant,
Était Chef et Surintendant,
Quatre Filles, qui sont de celles
Qu’on admire pour Chanterelles,
Firent alternativement
Goûter un doux contentement
Par leurs voix claires et sereines,
Plutôt Angéliques qu’humaines,
Et dont, par curiosité,
Tu peux voir les noms à côté.
Je ne parlerai point du reste
De ce Ballet pompeux et leste ;
On en a fait un Imprimé,
Où tout est si bien exprimé,
Qu’aux Curieux il peut suffire,
Et qu’on doit acheter et lire :
Mais je désire, en ce moment,
Dire deux mots, tant seulement,
De cinq admirables Personnes,
De cinq adorables Mignonnes,
Qui dans cet illustre Ballet
Jouèrent si bien leur Rollet
De Bergères et d’Amazones,
Que je crois que sous les cinq Zones,
Et partout où luit le Soleil,
Il ne se voit rien de pareil
Madame en était la première,
Qui paraissait toute lumière,
Tant par ses habits précieux
Que par l’éclat de ses beaux yeux ;
On ne pouvait, sans allégresse,
Voir danser icelle Princesse,
Et rien n’égalait les appas
De sa grâce et de ses beaux pas :
C’est ce qu’on ne lui peut débattre ;
Voici les noms des autres quatre.
La Pucelle de Saint-Simon,
Fille d’un Duc, de grand renom,
Et d’une Mère fort charmante,
Fille, dont la beauté naissante,
Se rend digne, de jour en jour,
D’admiration et d’amour,
Fille, enfin, le rare modèle
D’une âme si noble et si belle,
Qu’on peut nommer l’âme et le corps,
Deux incomparables trésors.
Mortemar, cet Ange visible
Qui toucherait le moins sensible,
Qu’on ne peut voir sans soupirer,
Ni, mêmement, sans l’adorer,
À qui tout cœur doit rendre hommage,
Et dont l’angélique visage,
Fait, sans cesse, des amoureux,
Mais n’en fera qu’un seul heureux.
L’agréable de la Vallière,
Qui d’une excellente manière,
Et d’un air plus divin qu’humain,
Dansa la Houlette à la main,
Puis après, changeant de cadence,
En Amazone, avec la lance,
Ayant le port et la fierté
D’une Belle de qualité.
Cévigny, pour qui l’Assemblée
Était de merveille comblée,
Chacun paraissant enchanté
De sa danse et de sa beauté ;
Fille jeune, Fille brillante,
Fille de mine ravissante,
Et dont les jolis agréments
Charment les cœurs à tous moments.
Voilà ce que j’avais à dire
Dudit Ballet de notre Sire,
Que je prétends bien de revoir,
S’il plaît à Dieu, Lundi, le soir,
Pour lorgner encor la Personne
De ce Brave Porte-Couronne,
Dont la grâce et l’agilité,
Le port, la taille et majesté
Sont autant d’objets qui ravissent,
Et ses bons sujets réjouissent ;
Bref, qui mieux qu’on ne peut penser,
Se connaît des mieux à danser,
Soit par haut, ou soit, terre à terre,
Aussi bien qu’à faire la guerre.
Loret, lettre du 24 février 1663 §
Ce Ballet noble et magnifique,
Ce charmant Ballet harmonique,
Autrement Ballet musical,
Qui, durant le feu Carnaval,
Étant, en merveilles, fertile,
Divertit la Cour et la Ville
Fut rechanté, fut redansé,
Encor Jeudi, dernier passé,
Et fut, tout à fait, trouvé leste,
Par Monsieur le Cardinal d’Este,
Car c’était pour lui, seulement,
Qu’on fit ce renouvellement ;
Et pour d’autres Messieurs, encore,
Qu’au Louvre on aime et l’on honore,
À savoir Monsieur de Créqui,
Ambassadeur de France, et qui
N’avait, à cause de l’absence,
Vu ce Ballet de conséquence,
Ni Monsieur le Duc Mazarin,
Depuis peu, de retour du Rhin,
Ni sa belle et chère Compagne,
Ni même un Envoyé d’Espagne,
Venu de Madrid en ces lieux
Pour témoigner, tout de son mieux,
Le deuil qu’a son Maître, dans l’âme,
Pour le trépas de feue Madame.
Iceux, donc, maintenant en Cour,
Virent ce Ballet à leur tour :
C’est peu de dire qu’ils le virent,
De tout leur cœur ils l’applaudirent.
Louis, qui sous ses justes Lois
Gouverne les Peuples Gaulois,
Avec des grâces sans pareilles,
Y fit le Berger, à merveilles.
Plusieurs Princes et Grands Seigneurs,
Dignes, certes, de tous honneurs,
En ce Ballet galant dansèrent,
Et, des mieux, le Roi secondèrent.
Cinq jeunes et rare beautés,
Sources de feux et de clartés,
Dans leurs deux Danses différentes
Semblaient des planètes errantes,
D’un éclat vif et sans pareil,
Dont Madame était le Soleil.
Les autres Beautés renommées,
Qu’ailleurs j’ai, toutefois, nommées,
C’étaient Saint-Simon, Cévigny,
De mérite presque infini,
La Vallière, autre Fille illustre,
Digne un jour d’avoir un Balustre,
Et la défunte Mortemar,
Je la nomme défunte, car
Depuis qu’elle n’est plus pucelle,
Ce n’est plus ainsi qu’on l’appelle :
Elle a toujours les mêmes traits,
Autrement, les mêmes attraits,
Elle est toujours jeune et brillante,
Elle est, même, encore vivante :
Mais cette beauté de renom,
Est, du moins, morte par le nom,
Qui n’est plus que pour Père et Mère,
Que, de longue-main, je révère,
Étant leur très humble Valet :
Mais, pour revenir au Ballet,
Les Voix douces et naturelles
De quatre aimables Demoiselles,
Les Luthistes et Violons,
En leur Art, de vrais Apollons,
Et, bref, toute la symphonie,
Causaient une joie infinie.
Le Théâtre était fort paré,
Bien disposé, bien éclairé,
Et des Machines l’artifice
Y fit dignement son office.
Nos Reines, pleines d’un bon sens,
Mais qui des plaisirs innocents,
(Comme sages et débonnaires)
Ne sont nullement adversaires,
Malgré l’âpre et rude saison,
Quittant Chambre, Alcove et tison,
Furent, non seulement, icelles,
Mais Monsieur et Mesdemoiselles,27
Assez volontiers sur le lieu,
Pour audit Ballet dire adieu ;
Ayant illec, pour assistance,
Plusieurs Personnes d’importance,
Princes, Ducs, Comtes et Marquis,
Et quantité d’Objets exquis,
C’est-à-dire de beaux Visages
Bien dignes de vœux et d’hommages,
Que je lorgnais par-ci, par-là,
Étant en lieu propre à cela.
7 août : Ballet de la Vérité, accompagnant la tragédie de collège Thésée §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 11 août 1663 §
Dans Clermont, où par excellent28
On montre aux Enfants la science,
Plus de cinquante Scolares
Bien vêtus, et disant flores
Jouèrent, l’autre jour, Thésée,
Pièce en Vers Latin composée
Selon la beauté du Sujet,
Par le docte Père Bouchet,
Qui par des grâces non pareilles
L’a, dit-on, traitée à merveilles.
Par divers ornements nouveaux
Le Théâtre était des plus beaux ;
Les Scolares fort bien jouèrent,
Et quatre Ballets qu’ils dansèrent
Donnèrent, très assurément,
Un plaisant divertissement.
Plus de six mille Hommes, que Femmes,
Dont étaient plusieurs belles Dames
Dignes de respect et d’amour,
Et maints grands Seigneurs de la Cour,
Seigneurs de très rare mérite,
Furent voir la Pièce susdite
Avec un concours merveilleux,
Même, jusqu’à des Cordons Bleus.
24 août : « agréable ballet » de la Foire Saint-Laurent §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 25 août 1663 §
[…]
Trois Enfants, de même famille,
Deux fils, une fort jeune Fille,
Y donnent un plaisir de Roi,
Par de charmantes mélodies,
Par de petites Comédies,
Et par d’agréables Ballets,
Un peu plus graves que follets,
Dansés avec grande justesse,
Et qu’on voit, avec allégresse,
Moyennant quelque argent comptant
Que l’on ne plaint point en sortant :
Bref, les trois Enfants que j’allègue,
Dont le cadet est un peu bègue,
N’ont pas, encor, je crois tous trois,
Plus de dix-huit ans et dix mois.
3 octobre : Ballet des Noces de Village §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 6 octobre 1663 §
[…]
Vers le milieu de la semaine
On Dansa, dit-on, à Vincennes,
Au grand appartement Royal,
Un petit Ballet jovial,
Qui d’une Noce de Village
Était la Peinture, ou l’Image,
Qui fut des mieux exécuté,
Et dont était Sa Majesté,
Plusieurs Seigneurs et quelques Princes,
Et d’autres Gens un peu plus minces.
Faute d’avis, venus à temps,
Je ne vis point ce passe-temps,
Car, pour lors, j’étais à Versailles,
Avec des gens levant la paille,
Qui n’étaient ni Comtes, ni Marquis,
Mais des Gens de mérite exquis,
Et des Dames belles et bonnes,
Deux desquelles sont fort Mignonnes,
Et toutes, très certainement,
Pleines d’esprit et d’agrément ;
Nous vîmes le subtil Dédale
De cette Demeure Royale,
Du jardin les charmants attraits,
Les belles Chambres, les Portraits,
Nous fîmes grande mangerie,
Nous vîmes la Ménagerie,
Dont les chères commodités,
Dont les belles diversités,
Dont les raretés infinies
Réjouissent les Compagnies,
Et cela tint lieu de Ballet,
À votre très humble Valet.
1664 §
29 janvier : Le Mariage forcé §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 2 février 1664 §
Dans un Salon, ou grande Sale,
De la noble Maizon Royale,
Un Ballet fut dansé, Mardi,
Duquel, ici, rien je ne dis.
J’ m’y coulai, non pas sans peine,
Un peu devant qu’entrât la Reine :
Mais n’ayant pas été placé
Aussi bien que j’avais pensé,
Je n’ouïs point la mélodie,
Je n’y vis point la Comédie,
Ni le Ballet entremêlé,
Ni ce qu’on en avait moulé :
C’est pourquoi j’en sortis, belle-erre,
Et quoi qu’on ne vît Ciel, ni Terre,
Je revins chez-moi, promptement,
Sans voir ce divertissement.
Jeudi, ma chance fut meilleure,
Car m’y rendant d’assez bonne-heure,
La sage Dame de Beauvais,
Dont beaucoup d’estime je fais,
Et que l’on chérit et révère
Dans la Cour de la Reine Mère,
M’y fit entrer, m’y fit placer,
Dieu l’en veuille récompenser :
Enfin, par la bonté d’icelle,
Ayant pour siège une bancelle,
Tantôt assis, tantôt debout,
Je vis bien, et de bout-en-bout
Ce plaisant Ballet qui se pique
De musical et de comique,
Et voici deux mots du sujet.
Un Jaloux charmé d’un Objet
Ravissant et de belle-taille,
Veut l’épouser, vaille-que-vaille,
Ou, du moins, il promet cela
Aux Parents de cet Objet-là :
Mais connaissant que sa Maîtresse
Est plus Coquette, que Tigresse,
Redoutant, comme un grand méchef,
Le fatal pennache29 du chef
S’étant dégagé vers le Père,
Il arrive, enfin, que le Frère,
Qui paraît doux comme un mouton,
Le contraint à coups de bâton,
De conclure le Mariage,
Ce qu’il fait, dont son âme enrage ;
Mais ce que je dis du Ballet
Ne vaut pas un coup de sifflet,
Ou, du moins, ce n’est pas grand’chose,
Ni de la Comédie en prose,
Qu’on peut nommer certainement
Un exquis divertissement.
Je ne dis rien des huit Entrées,
Qui méritent d’être admirées,
Où Princes et Grands de la Cour,
Et nôtre Roi digne d’amour,
En comblant nos cœurs d’allégresse,
Font éclater leur noble adresse ;
Je laisse les Concerts galants,
Et les habits beaux et brillants,
J’omets les deux Egyptiennes
Ou, si l’on veut, Bohémiennes,30
Qui jouèrent audit Ballet
Admirablement leur rolet,
Et parurent assez charmantes
Avec leurs atours et leurs mantes :
De la Du-Parc, rien je ne dis,
Qui rendait les Gens ébaudis
Par ses appas, par sa prestance,
Et par ses beaux pas et sa danse ;
Enfin, je ne décide rien
De ce Ballet qui me plût bien :
Cette Pièce assez singulière
Est un In-promptu de Molière ;
Et comme les Bourgeois, un jour,
Verront ce spectacle à leur tour,
Où l’on a des plaisirs extrêmes,
Ils en pourront juger eux-mêmes :
Mais présentement écrivons
Autres choses, si nous pouvons.
13 février : Le Ballet des Amours déguisés §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 16 février 1664 §
Mercredi, fut le premier jour
Où le beau Ballet de la Cour,
Agréable par excellence,
Avec grande magnificence,
Au Palais Royal fut dansé,
Où le Commandant, Charnassé,
Gentilhomme digne d’estime,
À la prière d’un intime,
Qui l’en requit obligeamment,
M’y fit placer commodément,
Et tout contre, par bonne chance,
D’une Belle, de connaissance.
Ce Ballet des mieux composés,
S’intitule Amours Déguisés.
Après la première Musique
Qui fut tout à fait harmonique,
Mercure, Pallas et Vénus,
Sur le Théâtre intervenus,
Firent, entre eux, un Dialogue,
Qui du sujet est le Prologue,
Où ces belles Divinités,
En Vers par elles récités,
Prétendent donner la victoire,
L’une à l’Amour, l’autre à la Gloire :
Pallas, avec son sage Esprit,
Le parti de la Gloire prit,
(Seul but des Lettres et des Armes ;)
Et Venus avec ses doux charmes
À qui tant de cœurs font la cour,
Ne parla qu’en faveur d’Amour,
Chacune dans leurs contreverses,
Alléguant des raisons diverses :
Enfin, ne pouvant s’accorder,
Mercure, sans rien décider,
Leur fait accepter pour Arbitre
Louis, qui mérite le titre
Du Roi qui le plus judicieux
Qui soit sous la rondeur des Cieux,
Roi, qui dans la fleur de son âge
Est aussi charmant qu’il est sage,
Et dont ces trois Divinités
Prônant les hautes qualités,
À son honneur cent choses disent
Et ses Vertus immortalisent.
L’excellent Acteur, Floridor,31
Qui vaut mieux que son pesant d’or,32
Dans son héroïque figure,
Représenta le Dieu Mercure.
Mademoiselle Des-Oeillets,
Qui dans ses Rôles, ou Rôlets,
A paru toujours admirable,
(D’autres disent incomparable)
Ayant, et lance et coutelas,
Faisait la Guerrière Pallas,
Et du sieur Monfleury la Fille,
Qui d’un air assez charmant brille,
Et mieux que ses riches atours,
Était la Mère des Amours,
Dont tous trois de l’honneur acquirent,
Et firent bien tout ce qu’ils firent.
Le Ballet après commença,
Où notre Monarque dansa
Avec cette grâce Royale
Qui dans l’Europe est sans égale.
Après lui, Monsieur d’Orléans,
Fut le plus Galant de léans,
Montrant une si noble adresse,
Que par le bel air et justesse,
Dont ses pas étaient animés,
Plusieurs beaux yeux furent charmés.
Maint Prince, Duc et Pair de France,
Qui savent aussi bien la danse,
Que le Métier de guerroyer,
Lorsque Mars veut les employer,
Audit Ballet se signalèrent,
Et fort galamment y dansèrent,
Étant Gens d’élite et de choix,
Mais qui plus, qui moins, toutefois,
Enfin, mainte Personne illustre
Parut, illec, dans tout son lustre.
La jeune Reine mêmement,
De la Cour le cher Ornement,
De mille grâces assortie,
Voulut être de la partie,
Avec cette douce fierté,
Naturelle à Sa Majesté,
Qui marque sa naissance Auguste,
Y dansa fort bien et fort juste.
Plusieurs autres nobles Objets,
Dont bien des cœurs sont les sujets,
Augmentant, comme des miracles,
La pompe et l’éclat des spectacles,
Avec un parfait agrément,
Y dansèrent pareillement ;
Et comme elles sont toutes belles,
Je vais spécifier icelles
Dans un style simple et naïf,
Et non d’un ton superlatif
Sans affecter, même, aucun ordre,
De peur qu’on y trouvât à mordre,
Ni relever leurs qualités
Par pointes et subtilités.
De leurs Noms voici, donc, la liste,
Comme ils viendront à l’improviste,
Sans y chercher d’autre façon ;
On m’a donné cette leçon.
Primo, cette aimable Princesse,
Qui de Soissons est la Comtesse,
Un des beaux Esprits de la Cour,
Digne d’honneur, digne d’amour,
Et (ce qui vaut mieux qu’on Domaine)
Surintendante chez la Reine.
D’Elbeuf la Fille, et non la Sœur,
Dont les yeux ont grande douceur,
Dont la face est claire et sereine,
Et qui vient du Sang de Lorraine.
Mademoiselle de Nemours,
Qui, dans la fleur de ses beaux jours,
Est un amas de belles choses,
Et, surtout, de lys et de roses.
Sa Cadette, dont l’air charmant,33
Pourrait d’un Dieu faire un amant,
Blanche et fraîche comme une Aurore,
Et qui là représentait Flore.
La noble Dame de Créqui,
Adorable Duchesse, et qui
Peut passer, dans toute croyance,
Pour un des beaux Objets de France.
La jeune Madame de Foix,
Dont chacun dit, à haute voix,
Que dans tout le Monde habitable
On ne voit rien de plus aimable.
L’agréable et jeune Sully,
Au visage frais et joli.
L’incomparable de Luynes,
Dont les beautés presque divines,
Les yeux, la gorge, et l’embonpoint
Blessent et ne guérissent point.
Vilequier, Marquise excellente,
Spirituelles, intelligente,
Dont la Personne a des appas,
Et qui, surtout, fait de beaux pas,
Étant parée, ou non parée,
En dansant toujours admirée.
L’agréable de Montespan,
Que l’on peut nommer un beau plan
De toutes les grâces touchantes
Qui rendent les Dames charmantes.
La jeune Dame de Vibray,
Laquelle, pour dire le vrai,
Et bien parler comme il faut d’elle,
À la gloire d’être fort belle,
D’honnêtes Gens m’ont dit cela,
Car je ne la vis pas bien là.
Montauzier, digne et rare Fille,
En qui la vertu toujours brille,
L’esprit, la prudence et l’honneur,
Qui n’est pas un petit bonheur,
Brancas, dont l’angélique face
L’éclat des plus beaux lys efface,
Fille qu’on aime, avec raison,
Et d’illustre et bonne Maison.
Grancé, belle et jeune Normande,
Des plus aimables de sa bande,
Et qui, parmi ces qualités,
Est fort noble des côtés.
Castelnau, beauté singulière,
Douce fleur, rose printannière,
Dont le Père, Homme martial,
En mourant fut fait Maréchal.
Mademoiselle de la Mothe,
Pour qui maint noble cœur sanglote,
Ayant des mérites assez,
Pour attacher les mieux sensés.
Dardennes, Fille ravissante,
D’humeur belle et divertissante,
Et qui porte dans ses beaux yeux
De quoi charmer des demi-Dieux.
D’Arquien, dont l’esprit est fort sage,
Et dont les yeux et le visage
Ont je ne sais quoi d’assez doux
Pour mériter un digne Époux.
Cologon, la belle inhumaine,
Qu’on estime fort chez la Reine,
Et qui par ses charmes vainqueurs
Se peut asservir bien des cœurs.
De-Pons, illustre Demoiselle,
De l’Honneur visible modèle,
Très digne du doux Sacrement,
Et qui danse admirablement.
J’ai pensé faire une folie,
En oubliant cette jolie,
Cette pucelle Sévigny,
Objet de mérite infini :
Certes, moi, qui l’ai deux fois vue
De divins agréments pourvue,
Et d’une très rare beauté,
Aux Ballets de Sa Majesté,
Si quelqu’un s’en venait me dire,
Et fut-ce le Roi notre Sire,
As-tu rien vu de si mignon ?
Je dirais hardiment que non.
Outre ces Beautés éclatantes,
La plupart des Dames importantes,
Cinq ou six Fillettes encor,
Chacun valant un Trésor,
Fort joliment s’y trémoussèrent,
C’est-à-dire très bien dansèrent,
Mais leurs noms étant oubliés
Ne sont point ici publiés.
Il s’y fit des Concerts si rares,
Qu’ils eussent touché des Barbares,
On chanta quatre ou cinq Récits
Qui tenaient tous nos sens sursis.
Ces trois aimables Demoiselles,
Qui sont si bonnes Chanterelles,
Dont tu vois les noms à côté,34
N’avaient jamais si bien chanté.
Les habits étaient admirables,
Les perspectives agréables,
Riches et beaux les ornements,
Et, merveilleux, les changements.
Mais étant pressé de conclure,
Par mon Imprimeur qui murmure,
En me disant, holà, holà,
Je suis contraint de briser là,
Non pas sans dire malepeste ;
Apprenez de Balard le reste,
Il en a fait un Imprimé
Par qui tout Paris est semé ;
Et, de plus, la Gazette en Prose
En rapporte aussi mainte chose.
Du moins ce beau Ballet Royal,
Et sérieux, et jovial,
Si par hasard je l’estropie
Dans cette imparfaite Copie,
Il se peut vanter qu’aujourd’hui
Je n’ai discouru que de lui :
Enfin, je suis fort las d’écrire,
Et ne croyais pas en tant dire.
Loret, lettre du 23 février 1664 §
Je vous dis donc, de bonne foi,
Qu’en parlant du Ballet du Roi,
Je fis dans ma Lettre dernière,
Une faute absurde et grossière,
Et que n’eut pas commise un boeuf,
Des deux Demoiselles d’Elbeuf,
Princesses d’illustre Famille,
J’écrivis la Soeur pour la Fille ;
Il est certain qu’icelle Soeur
A de l’esprit, grâce et douceur :
C’est ce que j’en dis dans ma Pièce,
Mais c’était, toutefois, sa Nièce,
(Une jeune Seigneur me le dit)
Qui parut au Ballet susdit,
De cent et cent attraits pourvue.
Lecteurs, excusez ma bévue,
Dont dans cette Relation,
Je vous fais réparation.
Le susdit Ballet harmonique,
Allégorique, magnifique,
A, durant des soirs, ou des nuits,
Été dansé cinq fois depuis,
Où Verbec, fille assez jeunette,
Et, mêmement, assez brunette,
A toujours enchanté les yeux
Des spectateurs jeunes et vieux ;
Et, sans parler par complaisance,
On la tient la fille de France
Qui fait ses pas du plus bel air,
Et qui sait mieux cabrioler ;
Je dis cela volontiers d’elle,
Car quand je vois que l’on excelle
En quelque art, ou profession,
J’en parle avec affection,
Et ce fut toujours ma coutume
D’en donner quelque trait de plume.
Loret, lettre du 1er mars 1664 §
Ce Ballet si bien ordonné,
De divers agréments orné,
Et d’invention singulière,
Avec l’ordinaire lumière,
Fut vers le soir, Jeudi passé,
Pour la dernière fois dansé ;
Et comme il est très véritable
Que j’aime fort le délectable,
J’allai dans cet aimable Lieu,
Le revoir, et lui dire adieu
Et d’autant que par bon rencontre
J’étais placé presque tout contre,
Le considérant de plus près,
J’en remarquai les beaux attraits,
De la Reine, et de chaque Belle,
Qui faisaient Entrée avec Elle.
17 avril : Ballet ou Comédie-ballet représentée à Saint-Cloud chez Monsieur §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 26 avril 1664 §
De Monsieur, l’Altesse Royale
Fit, l’autre jour, un grand Régal
En son agréable Saint-Cloud,
Séjour gai, séjour charmant, où
Les trois Majestés se trouvèrent,
Collationnèrent, soupèrent,
De mets triés sur le volet,
Eurent Comédie et Ballet,
Et, bref, des yeux et des oreilles
S’y divertissant à merveilles,
Admirant les Appartements
Et les rares Ameublements
Dont est richement embellie
Cette Maison plus que jolie.
7 au 12 mai : Les Plaisirs de l’Isle enchantée §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 10 mai 1664 §
De nouvelles je suis à sec,
Cela me clôt quasi le bec :
Car de la fête de Versaille[s]
Je ne puis rien dire qui vaille.
Malgré les douleurs dont mon col,
Dont j’étais quasi pis que fol,
Je me mis en quelque équipage,
Je pris un cheval de louage,
Et fis un dessein courageux
De voir ses pompes et ses jeux :
Mais, de ce beau Château, l’entrée
Ne fut point par moi pénétrée ;
Dès la première, ou basse Cour,
Un Suisse m’arrêta tout court,
Humble, je fis le pied derrière,
Mais il me dit à sa manière,
D’un ton qui n’était pas trop doux,
Oh, Par mon foi, point n’entre fous ;
Si bien qu’avec plus de trois mille,
Tant des champs, que de cette ville,
Qui furent (non pas sans émoi)
Rebutés aussi bien que moi,
De loin, la Maison regardâmes,
Et soudain nous rétrogradâmes,
Grinçant cent et cent fois les dents
De n’avoir pas entré dedans.
[…]
Enfin, tant d’admirables choses
Étant pour moi des Lettres closes,
Qui voudrait (en ma place) oser
Prendre aucun souci d’en jaser ?
Mais, toutefois, veuille, ou non veuille,
Puisqu’il faut remplir notre feuille,
Je vais sur le rapport d’autrui
En dire deux mots aujourd’hui ;
Et sans, pourtant, observer d’ordre,
Dût-on sur moi dauber, ou mordre,
Mais rien que généralement,
Ne pouvant pas faire autrement.
[…]
Le second jour, la Comédie,
Par le sieur de Molière ourdie,
Où l’on remarqua pleinement
Grand esprit et grand agrément,
(Cet Auteur ayant vent en poupe)
Occupa, tant lui que sa Troupe,
Avec de célestes Récits
À toucher les plus endurcis,
Animés des douceurs divines
De deux rares voix féminines,
Qui sont (comme j’ai dit un jour)
Les Rossignoles35 de la Cour,
Que personne ne contrecarre,
À savoir l’Hilaire et la Barre.
Le troisième jour, aux flambeaux,
Un grand Ballet, et des plus beaux,
Dont était, en propre Personne,
Notre digne Porte-Couronne,
Avec maint Prince et Grand Seigneur,
Et d’autres Gens, qui, par honneur,
Comme étant Personnes de marque,
Sont dans les Plaisirs du Monarque,
Fut admirablement dansé ;
Et quand ce plaisir fut passé,
On finit toutes ces délices
Par des Feux, par des artifices
Allumés sur de claires eaux,
Si radieux et si nouveaux,
Que si les bruits sont véritables
On n’en vit jamais de semblables.
Loret, lettre du 2 août 166436 §
Sur le soir, une Comédie
Très abondante en mélodie,
Sujet parfaitement joli,
Où les Sieurs Molière et Lully,
Deux rares Hommes, ce me semble,
Ont joint leurs beaux talents ensemble ;
Lully payant d’accords divers,
L’autre d’intrigues et de Vers :
Cette Pièce (dis-je) galante,
Qui me parut toute charmante,
Et de laquelle, à mon avis,
Les Spectateurs furent ravis,
Fut jouée avec excellence
Devant cette noble Éminence.
Ces deux Filles qui par leurs voix
Ont charmé la Cour tant de fois,
Savoir Mademoiselle Hilaire,
Qui ne saurait chanter sans plaire,
Et La Barre, qui pleinement
Dompte les coeurs à tout moment,
Par le rare et double avantage
De son chant et de son visage,
Jouèrent si bien leur rôlet
Dans la Pièce et dans le Ballet,
Remplis d’agréables mélanges,
Que, certainement, leurs voix d’Anges
Furent dans ces contentements
Un des plus doux ravissements.
Loret, lettre du 8 novembre 166437 §
De Monsieur, la Troupe Comique,
Qui sait aussi mettre en pratique
Cet Art moralement plaisant,
Qui nous charme en nous instruisant,
En public, mêmement, expose
(Partie en vers, partie en Prose)
Un Poème si bien tourné,
Et de tant d’agréments orné,
Que, certes, si je ne me trompe,
Chacun doit admirer sa pompe,
Ses grâces, ses naïvetés,
Et ses rares diversités.
J’en puis rendre ce témoignage,
Grâce aux Dieux, je vis cet Ouvrage,
Ouvrage fin et délicat,
Dont Monsieur l’Éminent Légat,
Eut dans une superbe Salle
À Fontainebleau le Régale ;
Il la vit attentivement,
Il y prit grand contentement ;
Et malgré son humeur hautaine,
Quittant la gravité Romaine,
Il rit fort aux endroits plaisants,
Aussi bien que nos Courtisans.
Cette Pièce si singulière,
Est de la façon de Molière,
Dont l’esprit doublement docteur,
Est aussi bien Auteur, qu’Acteur,
Et que l’on tient par excellence,
De son temps, le Plaute, ou Térence.
La Pièce dont je parle ici,
Laquelle a si bien réussi,
Est un sujet noble et splendide,
Et c’est la Princesse d’Élide.
Qu’elle se nomme proprement,
Vous assurant avec serment,
Que l’Actrice au joli visage,38
Qui joue icelui Personnage,
Le représente, au gré de tous,
D’un air si charmant et si doux,
Que la feue aimable Baronne,
Actrice si belle et si bonne,
Et qui plaisait tant à nos yeux,
Jadis, ne l’aurait pas fait mieux.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 31 août 1669 §
Notre belle et riante COUR
Des mieux se grandit chaque jour,
Et maintenant elle s’égaie,
AU CHÂTEAU SAINT GERMAIN EN LAYE,
Dans son Spectacle très charmant,
Composé magnifiquement
De ravissantes Mélodies,
De Ballets et de Comédies,
Où la digne TROUPE du ROI
Fait miracle, en très bonne foi,
Jouant la PRINCESSE D’ÉLIDE,
Pièce d’un style fort fluide,
Partie en Prose et l’autre en Vers,
Et pleine d’Ornements divers,
Que, par l’ordre de notre SIRE,
MOLIÈRE a faite, et c’est tout dire.
5 juin : Ballet et comédie au Palais-royal par la troupe du Dauphin §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 7 juin 1664 §
[…]
À propos de ce noble Enfant,
Pour qui de zèle je me pique,
Sur ma foi, sa Troupe Comique,
(Qui ne sont pourtant que Ragots)
Avec leurs surprenants échos,
Leurs danses et leurs mélodies,
Pastorales et Comédies,
Se font (foi d’Écrivain loyal)
Admirer au Palais Royal,
Où le plus petit de la Troupe,
Et guères plus haut qu’une coupe,
Dansant, récitant, annonçant,
Est si rare et si ravissant,
Qu’on le pourrait, entre autre chose,
Nommer le petit Bellerose.
À n’en point mentir, sans les voir,
On ne saurait bien concevoir
Comme ces Ragotins s’acquittent
Des jolis endroits qu’il débitent,
Et (sans à faux en discourir)
Tout Paris y devrait courir,
Car je ne crois pas que personne
Plaignît l’argent que l’on leur donne.
1665 §
26 janvier : Ballet de la Naissance de Vénus §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 31 janvier 1665 §
Un Ballet, beau par excellence,
Où règne la magnificence,
Tout pompeux et tout éclatant,
Mais que je n’ai pas vu, pourtant,
Se danse trois fois la semaine,
Non chez le Roi, ni chez la Reine,
Mais dans ce noble et charmant lieu,
Digne séjour d’un demi-Dieu,
Jadis, construit par un Grand Homme,
Et que Palais Royal on nomme.
Au rapport de ceux qui l’ont vu,
Ce Ballet Royal est pourvu
De toutes les choses galantes,
De toutes les choses charmantes,
De tous les nobles agréments,
Bref, de tous les assortiments
Qu’un Ballet de cette importance,
Qu’un Ballet de la Cour de France,
Et parfaitement éclairé,
Doit avoir pour être admiré.
D’une façon toute excellente,
Notre Monarque y représente
Ce brave et fameux Conquérant
Messire Alexandre le Grand :
Et Monsieur d’Orléans son Frère,
(Altesse qui nous est si chère)
Y copie, au gré de la Cour,
Le bel Astre du Point du Jour.
Madame, avec son divin geste,
Y paraît en Vénus céleste,
Capable de tout enflammer,
Qui, sortant, du fond de la Mer,
Embrase, non seulement l’Onde,
Mais l’Air, le Ciel, et tout le monde ;
Par ses grâces et ses beautés,
Les plus nobles Coeurs sont domptés ;
Et lorsque tous ceux du rivage
Ont adoré son beau visage,
Elle s’élève dans les Cieux,
Afin d’y charmer tous les Dieux,
Jugeant cette grande victoire
Seule convenable à sa gloire.
Auparavant que d’y monter,
Neptune la fait escorter
Par douze aimable Néréides,
Divinités des flots liquides,
Dont les visages attrayants
Sont frais, délicats et riants,
Qui font la Cour à cette Belle,
Et dansent un air avec Elle,
Avec des grâces et des pas,
Où l’on remarque des appas
Qui passent toute autre cadence ;
Ensuite de laquelle Danse,
Phosphore, Amant de ses attraits,39
Des Dieux, en ayant ordre exprès,
Conduit cette Beauté divine
Dans une superbe Machine,
Digne Trône d’un si beau Corps,
Qui parut fort brillant alors,
Ayant avec Elle quatre Heures,
Qui, comme ses inférieures,
La suivent agréablement
Dans les routes du Firmament,
Durant que les Dieux Maritimes,
De leurs voix douces et sublimes,
Font un concert mélodieux
Digne des Dieux, ou demi-Dieux.
Mais, pour contenter davantage
Ceux qui liront ce mien Ouvrage,
Après avoir narré ceci,
Je vais mettre les noms, ici,
(En Vers passablement fluides)
Des Heures et des Néréides :
Il faut premièrement nommer
Les Néréides de la Mer,
Toutes dignes d’être estimées :
Puis les Heures seront nommées.
Primo, Madame de Bouillon,
Qui d’amour est un aiguillon,
Et qui, dès sa plus tendre enfance,
Charmait toute la Cour de France.
La jeune Princesse d’Elbeuf,
Pour qui, feu Monsieur de Brébeuf,
Comparable à défunt Pindare,
Esprit aussi galant que rare
Qu’il en fût dans tout l’Univers,
N’aurait pas fait d’assez beaux Vers.
Créqui, dont les beautés illustres
De la Cour sont les plus beaux lustres,
Et dont la prudence et pudeur,
Sont partout en très bonne odeur.
La jeune Dame de Vivonne,
Excellente et sage personne,
Que l’on estime infiniment,
Mais qui danse assez rarement.
Du Plessis, charmante Comtesse,
Qui dans la fleur de sa jeunesse,
Outre sa grâce et son bel air,
À l’Esprit pénétrant et clair.
Gramont, l’agréable étrangère,
Dont la beauté rare et sincère
A fixé, par son air brillant,
Le coeur d’un notable Galant.
De Vibraye, aimable Marquise,
Toujours leste, propre et bien mise,
Et que l’on peut, en vérité,
Nommer un trésor de beauté.
Brancas, cette chère Personne,
Toute belle, toute mignonne,
Admirable pour sa fraîcheur,
Et qui paraît, par sa blancheur,
Tant elle plaît, tant elle brille,
Plutôt un Ange, qu’une Fille.
De Pons, qui peut, avec raison,
Se vanter de bonne Maison,
Et qui, pour danser à merveilles,
Ne voit guères de ses pareilles.
Mademoiselle Castelnau,
Douce comme un petit agneau,
Mais que l’on croit fière et cruelle
À ceux qui sont amoureux d’elle.
Dampierre, bel et noble Objet,
Qui, certes, n’a pas de sujet
De se plaindre de la Nature,
Puisqu’elle est une créature
Dont les attraits font avouer
Qu’on ne le saurait trop louer.
Mademoiselle de Fiennes,
Une de nos belles Chrétiennes,
(D’aucun, cela n’est contredit)
Et dont la gorge, à ce qu’on dit,
Est infiniment ravissante
Par sa blancheur éblouïssante.
La noble Dame de Crussol,40
Qui vaut son pesant d’écus sol,
Comme étant une aimable Illustre,
Digne du Cercle et du Balustre,
Qui, selon l’ordre de la Cour,
Ne lui peuvent manquer un jour.
La belle Comtesse de Guiche,
Sur qui les yeux point on ne fiche
Sans l’aimer et sans l’admirer,
Non pas (même) sans soupirer.
Montespan, Merveille visible,
Pour qui nul coeur n’est insensible,
Astre d’honneur, astre d’amour,
Et l’un des plus beaux de la Cour.
Enfin, voici pour la dernière,
De la Cour une autre lumière,
Savoir la belle Rochefort,
Que tout le monde estime fort.
Outre ces seize Nobles Dames,
Aucunes Filles, d’autres Femmes,
L’aimable et charmante Sully,
Au teint jeune, frais et poli ;
Et Sévigny, dont le visage
Charmerait le coeur du plus sage,
Sont aussi de ce beau Ballet,
Et dansent chacune son Rôlet.
Mais, comme il faut cesser d’écrire,
Je ne saurais plus vous rien dire
De ce charmant Ballet susdit,
N’ayant encor eu le crédit
D’avoir de place, ni d’entrée
Dans cette Royale Contrée :
Mais si j’y puis aller Mardi,
Ou le lendemain Mercredi,
Je promets, à toute aventure,
D’en recommencer la peinture,
Car je ne suis pas satisfait
De ce qu’aujourd’hui j’en ai fait :
Ainsi, que je cesse de vivre,
Si j’en ai rien vu que par Livre :
J’ai fait des Vers jusqu’à très bien,
Et si je n’ai rien quasi dit rien
Loret, lettre du 7 février 1665 §
Comme durant le Carnaval,
(Soit que l’on fasse bien, ou mal)
Plusieurs vivent d’une manière
Qui n’est pas toujours coutumière,
Il est très certain que Paris,
Séjour des plaisirs et des ris,
Est rempli de réjouissances,
De Cadeaux, de Bals et de Danses,
D’admirables Collations,
Contenant des profusions
De bons vins et de limonades ;
Bref, de diverses Mascarades :
Mais (à parler ingénument)
Le plus grand Divertissement,
Tant de la Cour, que de la Ville,
Et qui, seul, en vaut plus que mille,
C’est le Ballet vraiment Royal,
Que l’on danse au Palais Royal,
Où visiblement on remarque
L’adresse de notre Monarque,
Et de Monseigneur d’Orléans,
Le Maître et Patron de léans.
Là, plus de dix-huit, ou vingt Belles,
Qui sont les aimables Modèles
Des plus adorables appas,
Y font admirer leur beaux pas,
Leurs grâces, leurs jolis corsages,
Et les charmes de leurs visages
Qui ravissent, qui moins, qui mieux,
Les âmes, les coeurs et les yeux.
Outre leurs beautés et leur Danse,
Leurs qualités et leur naissance
Inspirent, au premier aspect,
Moitié flamme, et moitié respect :
On voit entre elles des Comtesses,
Des Marquises et des Duchesses,
Et des Princesses, mêmement,
Qui sont un rare assortiment
Au susdit Ballet ; Et pour celles
Qui ne sont encor que Pucelles,
Ces Objets mignons et brillants,
Divinités de cent Galants,
Que par elles l’Amour régente
Sont de belles Tables d’attente
Pour augmenter le nombre, un jour,
Des hautes Dames de la Cour :
J’ai vu trente Ballets en France,
Mais en ceux de plus d’importance,
(Que je meure si je vous mens)
Je n’ai point vu d’habillements
Plus riches, superbes et lestes,
Que leurs jupes, robes, ou vestes,
Et leurs escarpins, mêmement,
Où l’on voyait main ornement ;
Tout éclatait de broderies,
D’argent, d’or, et de pierreries,
Qui revêtant de si beaux corps,
Ajoutaient trésors sur trésors ;
Et leurs fronts, plus que de coutumes,
Ombragés de bouquets de plume,
Mêlés d’infinis diamants,
Paraissaient encor plus charmants.
Madame, de tous admirée,
Qui représentait Citérée,
Et pour régner sur tous les Dieux,
S’élevait de la Mer aux Cieux,
Étant indisposée, ou lasse,
A cédé sa brillante place
À certaines aimable Beauté41
Dont tu vois le nom à côté,42
Qui, comme jeune, belle et sage,
Joue assez bien ce Personnage.
Outre la majesté du Roi,
Qui danse des mieux, croyez-moi,
Et Monsieur son unique Frère,
À qui le juste Ciel confère
Toutes les belles qualités
Qu’on souhaite aux Principautés,
Un Prince du beau Sang de France43
Paraît aussi dans cette Danse,
Et plusieurs Ducs, Comtes, Marquis,
Tous Seigneurs de mérite exquis,
Audit Ballet se laissant joindre
Par des Gens de qualité moindre,
Mais, pour bien danser, les meilleurs
Tant du Royaume, que d’ailleurs :
Mais, surtout, certaine Pucelle44
Fait dire à ceux qui parlent d’elle,
Qu’on n’en voit point dessous les Cieux
Qui danse et cabriole mieux.
La Musique et la Symphonie
Y font une grande harmonie,
Dont Lully (ce crois-je) est Auteur,
Et plusieurs, de belle hauteur,
Disent que jamais les oreilles
N’ouïrent de douceurs pareilles.
Mais ce qui ravit plus le coeur,
C’est certain Angélique Choeur
Formé des voix justes et belles,
De trois illustres Demoiselles,45
Dont, selon mon opinion,46
La douce et charmante union47
Fait goûter aux oreilles fines
Des voluptés presque divines.
Le Sujet, ajusté des mieux
Par un Esprit judicieux,48
Dont l’honneur, les Lettres, les Armes
Sont les plus véritables charmes,
Sujet par qui nous sont connus
Les faits d’Amour et de Vénus,
N’est pas un Sujet véritable,
Mais un des plus beaux de la Fable.
Le Théâtre et ses ornements,
Ses machines, ses changements,
La Mer, ses rochers et ses rives,
Qui sont de longues perspectives,
Donnent un plaisir infini,
Grâces au Sieur Bigarany,49
De Modène, et non pas de Rome,
Et fort habile et galant Homme.
Enfin, pour finir mon rollet
Touchant ce splendide Ballet,
Les Vers en sont fort beaux à lire,
Car Bensérade (c’est tout dire)
Qui du Parnasse est grand Docteur,
En est, ce m’a-t-on dit, l’Auteur.
Jeudi, bien des Gens y coururent,
Nos deux sages Reines y furent
Environ vers la fin du jour,
Avec une assez noble Cour,
C’est-à-dire Mademoiselle,
Sa Soeur d’Alençon avec elle,
Et plusieurs Princes, mêmement,
Tant Princes du Sang, qu’autrement.
Un fort honnête et galant Homme
Qu’il n’est pas besoin que je nomme,
Homme, envers-moi, de coeur humain,
Et mon ami, de longue main,
(Que Dieu gard50. de toute infortune)
M’y plaça sur une Tribune,
Où je fus mille fois ravi
Des belles choses que je vis.
Loret, lettre du 14 février 1665 §
Jeudi, douze du mois présent,
Moi, l’Auteur de ces vers, présent,
Le Ballet de Vénus céleste,
Des Divinités la plus leste,
Où de très beau Monde courut,
Pour la dernière fois parut,
Laissant un grand regret dans l’âme
De maint Monsieur, de mainte Dame,
De perdre le contentement
D’un si cher divertissement,
Où Beauchamp, Danseur d’importance,
L’un des plus dispos de la France,
(Et l’incomparable, dit-on,)
Représentant du Dieu Pluton,
Le rollet, ou le personnage,
Fait admirer, à triple étage,
Et, mêmement, aux Majestés,
Ses étranges agilités.
12 février : Réception faite à un Gentilhomme de Campagne §
La Muse Historique de Loret §
Loret, lettre du 14 février 1665 §
Une Mascarade galante,
Ou, du moins, comique et parlante,
Dont le sujet vraiment follet,
Ne plaît guère moins qu’un Ballet,
Étant des mieux imaginée
Par une Âme rare et bien née,
Cependant que j’écris ceci,
Dans le Palais Royal, aussi,
Lieu de respect et de plaisance,
Pour la dernière fois se danse.
J’ai su d’un Ami cordial,
Qu’il n’est rien de plus jovial,
Et que ladite Mascarade
Pourrait faire rire un malade,
Avec ses drôles d’incidents,
Eut-il la mort entre les dents.
Un Homme de Cour que j’estime,
Et qui fut, jadis, mon intime,
M’avait convié de la voir,
Mais je n’en ai pas le pouvoir,
Car il faut, comme de coutume,
Qu’il sorte aujourd’hui de ma plume,
Cette Lettre, que bien des Gens
De voir, après, sont diligents :
Le Samedi, jour de Saturne,
Dont la Planète est taciturne,
N’est pour moi nullement un jour
De société, ni d’amour,
De jeux, de spectacles, de danses,
Ni d’aucunes réjouissances,
Et si j’ai beau, tous les huit jours,
Composer discours sur discours,
Divertir les Cours de l’Europe,
Où ma Gazette en Vers galope,
Et contenter, à ce qu’on dit,
Les Gens d’honneur et de crédit,
Fortune est envers moi si chiche,
Que je n’en deviens pas plus riche ;
Mes Créanciers, le plus souvent,
Ne font cas, non plus que de vent,
De mes excuses ordinaires,
Et je ne puis sortir d’affaires :
Mais, ô ma Muse, s’il vous plaît,
Laissons le Monde comme il est,
Contents d’un peu de renommée,
Agissons à l’accoutumée,
Je dirais cent fois mes besoins
Qu’il n’en serait ni plus, ni moins.
21 février : Mascarade de Bergers et de Bergères §
Lettres en vers à Madame de Loret §
Loret, lettre du 14 février 1665 §
[…]
Lorsque le Bal fut commencé,
Et, mêmement, bien avancé,
Suivi d’une illustre Brigade,
Louis y vint en Mascarade,
En noble et triomphant arroi,
(Louis, c’est-à-dire le Roi)
Dont la splendeur presque infinie
Charma toute la Compagnie,
Qui les prit (jugeant de leur mieux)
Pour des Déesses et des Dieux.
Monsieur, avec sa belle Suite,
Par les Grâce mêmes, conduite
Et Madame, pareillement,
Du Bal, le second Ornement,
Vinrent en Bergers et Bergères,
Revêtus d’étoffes légères,
Et d’habits assez peu dorés,
Mais si superbement parés
De rubans de toutes manières,
De houlettes, de panetières,
Que, certes, le beau Céladon,
Qui, de charmer, avait le don ;
Que, certes, l’amoureux Sylvandre,
Pour qui Diane eut le coeur tendre,
Que Dorinde, Astrée et Philis,
Aux teints de roses et de lys,
Stelle, Hylas, Tersandre et Madonte,
Dont tant de choses l’on raconte,
Dans le plus fort de leur beauté,
Assurément n’eussent été
Auprès de ces rares Personnes,
Que des chiffons et des chiffonnes.
Outre tant d’appas précieux
Que j’y vis de mes propres yeux,
Cinquante autres rares Parties
De Masques des mieux assorties,
Nobles Vénitiens, Danois,
Turcs, Espagnols et Polonais,
Et, quasi, de toutes Contrées
Firent-là, leurs belles entrées.
Mais, entre autres, il y survint
Douze aveugles des Quinze-vingt,
Ou, du moins, qui le semblaient être ;
Mais l’éclat qu’on voyait paraître,
En leurs cordons, en leur chapeaux,
En leurs diamants nets et beaux,
En leurs robes de fine soie,
Qui coûtaient bien de la monnaie,
Firent juger, avec raison,
Qu’ils étaient de bonne Maison,
Et que c’était une Séquelle
Qui méritait qu’on parlât d’elle.
Certainement, je ne puis pas
Dire tout par ordre et compas :
Mais, ô mon Lecteur débonnaire,
Seulement, pour te satisfaire,
Je t’assure que ce soir-là,
(Car on m’a confirmé cela)
Des Masques, environ deux mille,
Tant de la Cour, que de la Ville,
(Et peu d’entre eux sans diamant)
Entrèrent en ce lieu charmant.
13 juin : Le Favori §
Lettres en vers à Madame la Duchesse de Nemours de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 21 juin 1665 §
Le ROI, dont la magnificence
Égale la haute puissance,
Désirant agréablement
Donner un divertissement
À la REINE, que son coeur aime
Aussi tendrement que lui-même,
Choisissant le plus bel endroit,
Dit qu’à Versailles on irait.
Au bout de la plus longue allée,
De feuillages épais voilée,
Près du parterre aimable et beau,
Devant la porte du Château,
Il fit élever un Théâtre,
Suivi de maint Amphithéâtre,
Embelli de cent agréments,
Paré de divers ornements,
D’Architecture, de portiques,
De perspectives magnifiques :
Des espaliers avec des fleurs
De toutes sortes de couleurs,
Dans des vases de porcelaine,
Pour mieux faire éclater la Scène.
Les plus grands Seigneurs de la Cour,
Avec les Dames, tour à tour,
Dans le petit Parc se trouvèrent,
Et quelque temps s’y promenèrent.
L’importune et grande chaleur
Cédant la place à la fraîcheur,
Ainsi que Phébus aux étoiles,
La nuit tendit ses sombres voiles,
Mais, pour chasser l’obscurité,
Des lumières en quantité
(Dont quatre mille était le nombre),
Dissipèrent tout à fait l’ombre.
[…]
Après le Bal, la Comédie
Divertit bien la Compagnie,
Ouvrage parfait et chéri,
Intitulé le FAVORI,
Composé de la main savante
De cette Personne charmante,51
Qui dans un beau corps féminin
Enferme un esprit masculin.
La Pièce était entrecoupée
De mainte joviale Entrée
De Ballet, d’un habile Auteur52
Qui représente et qui compose
Egalement bien Vers et Prose.
Pendant ces divertissements,
Si doux, si gais et si galants,
On ouït de l’aimable HILAIRE
La voix mélancolique et claire,
Qui flattait l’oreille et le cœur
Du plus délicat Auditeur ;
Les instruments et la musique,
Dont le Maître scientifique53
Compose des airs ravissants,
Répondait à ses doux accents,
De VIGARANI les Machines,
Paraissaient des pièces divines,
Et cet excellent Ingénieur
Eut de la gloire et du bonheur
D’avoir suivi, par son adresse,
Avec tant de délicatesse,
Les ordres et le beau dessein
De notre puissant SOUVERAIN.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 21 juin 1665 §
[…]
Dessus la Scène du milieu,
La TROUPE plaisante et comique
Qu’on peut nommer Moliérique54,
Dont le Théâtre est si chéri,
Représenta le FAVORI,
Pièce divertissante et belle
D’une fameuse Demoiselle
Que l’on met au rang des neufs Soeurs,55
Pour ses poétiques douceurs.
Plusieurs ravissantes Entrées
Dans la Pièce étaient insérées,
Avecque d’excellents Concerts
Composés d’Instruments et d’Airs ;
Si bien que le tout pris ensemble
Fit un bel effet, ce me semble,
Et causa beaucoup d’enjouement ;
Il n’en faut douter nullement.
6 août : Le Ballet des Comètes accompagnant la tragédie de collège Irlande §
Lettres en vers à Madame la Duchesse de Nemours de la Gravette de Mayolas : §
La Gravette de Mayolas, lettre du 16 août 1665 §
[…]
Selon la coutume ordonnée
Dans cette Maison chaque année,
Le Réverend Père DIEZ,
Un Esprit des plus déliés,
Dont la veine docte et fertile
Egale Sénèque et Virgile,
Ce poète et grand Orateur,
De cet Ouvrage fut l’Auteur,
Dont le nom fameux est IRLANDE,
Histoire belle, vraie et grande,
Ayant fait choix de bons Acteurs
Et fait instruire les Danseurs,
Qui dans leurs postures discrètes
Dansaient le Ballet des Comètes ;
Et les délicats Violons
Jouaient d’agréables chansons
Quantité de Gens remarquables,
Témoins de ces plaisirs aimables,
Avec les autres spectateurs
En furent les admirateurs,
Attentivement écoutèrent,
Et l’Auteur tout à fait louèrent.
14 septembre : L’Amour médecin §
Lettres en vers à Madame la Duchesse de Nemours de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 20 septembre 1665 §
[…]
Après ce divertissement,
Qu’ils goûtèrent heureusement,
Une Comédie agréable,
Aussi galante qu’admirable,
Par des Actes plaisants et beaux,
Leur donna des plaisirs nouveaux.
Un Ballet de plusieurs Entrées,
En bien peu de temps préparées,
Accrût la jovialité
De l’Ouvrage peu médité
De MOLIÈRE, qui d’ordinaire
A le bonheur et l’art de plaire ;
Et, pendant quatre jours entiers,
Les Festins furent singuliers
Par l’ordre de notre Grand SIRE ;
En disant cela c’est tout dire.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre en vers du 20 septembre 1665 §
[…]
Achevons. Pour la Fête entière,
L’admirable & plaisant MOLIÈRE,
Le MOME des Terrestres DIEUX,
Comme l’autre est MOLIÈRE aux CIEUX,
Illec avec sa COMPAGNIE,
Fit admirer son gai Génie.
Son jeu fut mêlé d’un Ballet,
Qui fut trouvé drôle, & follet :
Et des Voix pleines de merveilles56
Ravirent toutes les oreilles.
25 septembre : Ballet dansé par le roi à Villers-Cotterêts §
Lettres en vers à Madame la Duchesse de Nemours de la Gravette de Mayolas et Lettres en vers de Boursault57 §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 4 octobre 1665 §
Mais, pour achever ce Chapitre
Et pour dépêcher notre Épître,
Parlons de l’IN-PROMPTU follet
ALIAS du joli Ballet
Qu’on fit et dansa le Jour même,
Par une diligence extrême,
Qui montre qu’un simple FIAT
Suffit à notre POTENTAT,
Comme aux DIEUX dont il est l’IMAGE,
Plus digne d’encens et d’hommage.
D’ANJAU, Marquis fort martial,
Pourvu du Régiment Royal,
Et qui très joliment s’escrime
De la Plume pour faire Rime,
Par l’ordre du ROI fit les Vers,
Un autre composa les Airs,58
Et ce Ballet eut neuf ENTRÉES,
Qui de tous furent admirées,
D’autant plus qu’en ce pressant Cas
Tous les Danseurs firent leurs pas.
C’étaient NYMPHES, BERGERS, BERGÈRES,
Que l’on voit peu sur les fougères ;
Des GENTILHOMMES DU PAYS,
Dont l’un rend les Yeux éblouis ;
Un certain OUVRIER d’ARMÉE,
De très illustre renommée ;
La Femme, d’aspect assez beau,
Du Capitaine du Château,
Et (faisant son Éloge en somme)
Qui gouverne aussi bien qu’un homme ;
Des COURTISANS les plus Galants,
Les plus coquets, les plus brillants ;
Des BOHÉMIENS nés dans la FRANCE,
Et vraiment tous Gens d’apparence,
Et des BOHÉMIENNES aussi,
Qui ne sont pas de loin d’Ici
Et qui ne coupent pas les bourses,
Mais volent les Cœurs sans ressources.
ITEM, du Nombre des Danseurs
Étaient de célèbres CHASSEURS,
Et le GOUVERNEUR DE PROVINCE,
qui passe pour assez grand PRINCE,
Ayant son Épouse avec lui,
L’un des beaux ASTRES d’aujourd’hui,
Mais qui pour un Autre, et sans blâme,
Brûle d’un constante flamme ;
Enfin et le Frère et la Sœur
De ce célèbre GOUVERNEUR
Montraient aussi dans cette Danse
Qu’il entendait bien la cadence.
Pour éclaircir ce que je dis,
En marge ici je vous écris
Tous leurs noms que vous pourrez lire,
Et je n’ai plus rien à vous dire,
Ajoutant ceux de deux Marquis,
Qui la chantèrent les Récits,
Si ce n’est que la COUR de FRANCE
Est la seule, comme je pense,
Où Gens triés sur le Volet,
Puissent ainsi faire un BALLET :
- NYMPHES : Madame la Princesse de Monaco, Mesdemoiselles d’Elbeuf, de la Vallière et de Longueval.
- BERGERS : Monsieur, les Marquis de Louvigni et de la Vallière.
- BERGÈRES : Mesdemoiselles d’Elbeuf, d’Arquien et Longueval.
- GENTILHOMMES DU PAYS : Le Roi et le Marquis de Villeroy.
- FEMME DU CAPITAINE DU CHÂTEAU : Le Duc de Roquelaure.
- OFFICIER D’ARMÉE : Le Comte d’Armagnac.
- COURTISANS : Le Comte d’Armagnac, le Marquis de Villeroy et le Sieur Coquet.
- BOHÉMIENS : Le Comte du Lude, les Marquis de Villequier, le Lauzon et de Lavardin.
- BOHÉMIENNES : Mesdemoiselles d’Arquien, de Coetlogon, de Fienne et de Dampierre.
- CHASSEURS : Le Duc d’Enghien, le Comte de Séry, le Marqui de Pleumartin et le Sieur Coquet.
- GOUVERNEURS DE LA PROVINCE : Le Roi ; sa Femme : Madame ; son Frère : le Marquis de Villeroy ; sa Sœur : Mademoiselle de la Vallière.
- CEUX QUI CHANTÈRENT LES RÉCITS : Les Marquis de Grignan et de Frémenteau. »
1666 §
3 janvier : Les Amours de Jupiter et de Sémélé §
La Muse de la Cour à Mademoiselle Borel, Fille de Monseigneur l’Ambassadeur de Hollande d’Adrien Perdou de Subligny §
Subligny, huitième semaine, lettre du 3 janvier 1666 §
CURIEUX, allez voir la Pièce du Marais ;
Les Machines de l’Andromède,
Ne semblent, ma foi, rien auprès
De ce dernier ouvrage, à qui tout autre cède.
Le Machiniste avait, je crois, le diable au corps
Lorsqu’il fit de telles merveilles ;
On ne conçoit point les ressorts
De ses machines sans pareilles.
Mais sur ce peu de vers on n’en peut rien savoir.
Allez-vous, dis-je, allez les voir.
MAROTTE y fait le Personnage
De la Princesse SÉMÉLÉ,
Dont maint Amant avec elle est brûlé,
Car cette aimable Actrice en vérité fait rage.
Que les feux dont la brûle un Jupiter Amant
Ne sont-ils aussi vrais que tous ceux qu’elle darde ?
Cela nous Vengerait, mais elle en goguenarde
Et croit qu’on dit cela par plaisir seulement.
Lettres en vers à Madame la Duchesse de Nemours de La Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 17 janvier 1666 §
Le commencement et le cours
Et la fin des tendres Amours
De Jupiter et de Sémelle
Font d’une manière si belle
Partout chanter et publier
Le savoir de Monsieur BOYER
Qu’il est bien juste que je die
Que cette Tragicomédie
Est pleine d’Actes surprenants,
De Vers et de pensers charmants.
Chacun admire une Machine
Qui semble être presque divine,
Faisant si promptement aller
Et du bout à l’autre voler
Cette éclatante Renommée,
Des honnêtes Gens tant aimée.
Du Théâtre les changements,
Décorations, ornements,
Augmentent la magnificence
De cet Ouvrage d’importance,
Et les talents particuliers
De l’esprit de Monsieur MOLIÈRE,
Par un Concert incomparable,
La rendent fort recommandable.
Le ROI, MADAME, avec MONSIEUR,
Lui voulurent faire l’honneur
De l’honorer de leur présence,
Avecque les plus Grands de la France.
À moi, qui l’aime dessus tous,
Il m’en coûta jusqu’à cent sous,
Soit en grande ou petite espèce,
Pour voir à mon tour cette Pièce.
Les Comédiens du Marais,
Pour leur gloire et leurs intérêts,
Ont montré non moins de justesse
Que de pompe et de gentillesse ;
Et tout le monde y court aussi
Pour voir ce que j’en dis ici.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 16 janvier 1666 §
Sa MAJESTÉ, le même jour,
Presque avecque toute la Cour,
Fut voir, sans mouiller la semelle,
Comment JUPITER et SÉMÉLÉ
Se font l’amour, sur nouveaux frais.
Dans les Machines du Marais.
Ce sont, ce dit-on, des Merveilles
Pour les yeux et pour les Oreilles :
Pour les Oreilles, je le croi
Ainsi qu’un Article de Foi,
Car BOYER, qui sur le Théâtre,
Fait du bruit presque autant que quatre,
De ce poème a fait les Vers,
Et MOLIÈRE a fait les Concerts.
Mais quand nous aurons vu l’Ouvrage
Nous en jaserons davantage.
Et j’ajoute ici seulement
Que la Roque fit Compliment
Ou harangue à notre beau Sire,
Autant bien qu’on le saurait dire.
La Muse de la Cour à son Éminence Monseigneur le Prince Orsini d’Adrien Perdou de Subligny §
Subligny, dixième semaine, lettre du 18 janvier 1666 §
Le ROI ces jours passés vit les grandes Machines
Des Comédiens du Marais,
Qui furent à son gré superbes et divines
Dans ses Vols, ses Rochers, ses Eaux et ses Palais.
Les Acteurs s’étaient mis en frais
Pour divertir ce grand MONARQUE,
Aussi leur donna-t-il une obligeante marque
Que son plaisir y fut plus parfait que jamais.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 6 mars 1666 §
[…]
Ceux qui donnent dans la Machine
Pourront aussi, je m’imagine,
Rencontrer leur compte au Marais ;
Il est vrai, c’est à plus grands frais,
Mais, quand il faut se satisfaire,
Le coût est un mal nécessaire,
Mais mal qui doit passer pour Bien
À qui de son or use bien.
D’ailleurs, de pareilles Machines,
Des Machines presque divines,
Et les Vers de Monsieur BOYER,
Digne d’un immortel Loyer,
Méritent bien, sans aucun doute,
Qu’on y courre, quoi qu’il en coûte.
9 janvier : Le Triomphe de Bacchus dans les Indes ou Ballet de Créqui §
Lettres en vers à Madame la Duchesse de Nemours de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 17 janvier 1666 §
Monseigneur le Duc de CRÉQUI,
Parent de ce Marquis, et qui
Fit avec plaisir la dépense
De toute la magnificence,
Et dans son Hôtel, en ce jour
A régalé toute la Cour.
Dans une grande et belle Salle,
On vit par la Troupe Royale
Représenter ANTIOCHUS,
Poème BONUS, OPTIMUS,
De l’habile Monsieur CORNEILLE,
Qui fait des Rimes à merveille,
Et dont les Ouvrages divers
Le prônent partout l’Univers.
Un Ballet à plusieurs Entrées,
Agréablement préparées,
Ne les divertirent pas mal,
Non plus que la beauté du Bal.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 16 janvier 1666 §
[…]
Ensuite les deux Fiancés,
Dans leurs Amours bien avancés,
Furent avec la Parantelle
Et toute la noble Séquelle,
Devinerez-vous bien chez qui ?
Ce fut chez le DUC de CRÉQUI,
Où, beaucoup mieux que chez Mandoce,
Se fit le beau Festin de Noce.
Outre qu’il est autant et plus
Magnifique qu’un Lucullus,
Quand il faut faire avec dépense
Un Convive de conséquence,
Étant Parent du Fiancé
(En quel degré, je ne le sais),
Il voulut que de ce Régale,
La Chère parut sans égale.
En effet, tout y fut brillant,
Poli, copieux et galant,
Et de l’Hôtel la noble Hôtesse,
La belle et charmante DUCHESSE,
L’Aimant délicieux des Cœurs,
De sa Maison fit les Honneurs,
Avec tant de grâce et de gloire
Qu’on n’en peut perdre la Mémoire.
Avant ce superbe Banquet
Qui rend si fécond mon caquet,
La COMIQUE et ROYALE TROUPE,
Qui semble avoir le vent en poupe,
Représenta l’ANTIOCHUS,
Poème si beau que rien plus,
La dernière des Doctes Veiles
Du plus jeune des deux CORNEILLES,
Qui n’avait point encore paru
Et qui certes a beaucoup plu.
Après, BACCHUS, le Dieu des Brindes,
Se fit voir Triomphant aux Indes,
Dans un Ballet fort enjoué,
Et qui fut aussi fort loué,
Où, pour au Grand MONARQUE plaire,
La charmante Sirène HILAIRE,
Fit merveille avec d’ESTIVAL.
Enfin, par un aimable BAL,
On finit la Réjouissance,
3 août : Ballet du Temps accompagnant la tragédie de collège Gusmans §
Lettre en vers à Madame la Duchesse de Nemours de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 8 août 1666 §
Il ne faut pas que notre Plume
Omette la bonne coutume
Qu’en ce temps elle a chacun an ;
Écrivons donc comme GUSMAN,
Tragédie en tout achevée,
Fut représentée ou jouée
Dans le Collège de Clermont,
Où de grands Personnages sont
Enseignants, instruisant sans cesse
La plus florissante jeunesse.
Les Danseurs du BALLET DU TEMPS
Donnèrent bien du passe-temps ;
Ils dansèrent tous d’importance,
Et le Maître de cette danse,
L’adroit CHICANEAU, qu’on vanté,
Fort dignement s’en acquitta.
Les Violons et les Trompettes
Touchaient d’aimables chansonnettes,
Et force Gens de qualité
De la Cour et de la Cité,
Mardi dernier, là se trouvèrent,
Et divers plaisirs y goûtèrent,
Admirant tous, sans fiction,
La riche décoration
De ce Théâtre magnifique
Où parut l’Ouvrage Héroïque.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 8 août 1666 §
Au COLLÈGE des JÉSUITES,
Pères Savants, bons Casuites,
Bref, Artisans des beaux Esprits,
MARDI, l’on délivra les Prix
Fondés par le Roi notre SIRE,
Qui des LETTRES chérit l’Empire,
Pour animer les STUDIEUX,
Qui se font grands Hommes chez Eux,
Une TRAGÉDIE excellente,
Dont la Scène était fort brillante,
Et même le BALLET du TEMPS,
Des plus moraux et plus galants,
Cette Action accompagnèrent
Et tous les Spectateurs charmèrent.
Première moitié d’octobre : Divertissement pour la reine §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 17 octobre 1666 §
L’autre Jour, notre belle REINE,
Dans le PETIT PARC de VINCENNE
Ayant assemblé les BEAUTÉS
Qui sont toujours à ses côtés,
Les fit danser sur les Fleurettes,
Au Concert des douces Musettes,
Et la charmante de TOUSSI, (XXX.)
Déjà de maints Cœurs le Souci,
De ses beaux Pieds fit des Merveilles
Qui passèrent pour nonpareilles.
Jugez ce que ne feront pas
Ses Yeux et ses autres Appas.
2 décembre : Le Ballet des Muses §
La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin d’Adrien Perdou de Subligny §
Subligny, vingt-sixième semaine, lettre du 18 novembre 166659 §
Quelqu’un de SAINT GERMAIN vient de me rapporter
Que l’on vous y prépare un assez doux spectacle,
Et, cela supposé, ce n’est pas grand miracle
Que vous ne le puissiez quitter.
Un Ballet se propose où, dit-on, l’on emploie
Trois troupes de Comédiens,
De FRANCAIS et D’ITALIENS,
Qui par trois IMPROMPTUS y mêleront la joie.
On y fera des jeux dont l’art vous surprendra
Et, pour le couper court, tout ce que l’on voudra.
Mais, quel qu’en soit tout l’artifice,
Je gage que, si le sujet
Des IMPROMPTUS et du BALLET
Ne roule point sur la Police
(Je veux dire sur ceux qu’elle met en souci).
Vous n’y rirez pas tant que nous faisons ici.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 5 décembre 1666 §
À présent la Réjouissance
Est grande dans la COUR de FRANCE
Et l’on en chasse tout à fait
Le Chagrin par un grand BALLET.
Lorsque j’en saurai davantage,
Vous le verrez dans notre Ouvrage.
La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin d’Adrien Perdou de Subligny §
Subligny, vingt-neuvième semaine, lettre du 9 décembre 1666 §
Vos Danseurs font-ils des merveilles ?
Vous enchante-t-on les oreilles
Par les airs du Ballet nouveau ?
En un mot tout en est-il beau ?
Je meurs de déplaisir de n’y pouvoir pas être,
Car bien du monde, ici, qui pense s’y connaître,
Dit que l’artifice en surprend
Et que le Spectacle en est grand.
Dansez, SEIGNEUR, dansez, menez joyeuse vie
Tandis que vous avez et l’argent et le temps ;
Quand vous aurez vécu cent ans,
Vous prendrez, s’il le faut, de la mélancolie.
Lettre en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 12 décembre 1666 §
Ce Ballet, fait avec Dépense
Digne d’un MONARQUE de FRANCE,
Est le Ballet des neufs BEAUTÉS
Ou savantes DIVINITÉS
De qui tout POÈTE au PARNASSE
Pour rimer implore la grâce.
C’est qu’on feint agréablement,
Autant comme équitablement,
Que leur noble TROUPE, charmée,
De la brillante Renommée
De l’incomparable LOUIS
Et de tous ses FAITS inouïs,
Quitte leur MONTAGNE cornue,
Proche voisine de la Nue,
Afin d’établir leur Séjour
En son aimable et belle COUR.
La DÉESSE de la MÉMOIRE,60
Qui de l’OUBLI sauve la Gloire
Et le Nom des fameux HÉROS,
Pour chanter du NÔTRE le LOS,
Ouvre la SCÈNE, des plus belles,
Par un Dialogue avec Elles ;61
Toutes s’expliquant par des VOIX
Qui charment ce plus grand des ROIS.
Les ARTS, qui sous lui rajeunissent,
Et de tous côtés refleurissent,
Sachant l’arrivée en ces Lieux
Des FILLES du Premier des DIEUX,
Comme d’Elles ils croient naître,
Ils viennent les en reconnaître,
Faisant tout à fait galamment,
Au son de maint doux Instrument,
Pour chacune exprès une ENTRÉE
Digne d’être considérée,
Et qui convient encor de plus
À ces célestes Attributs.
Ainsi, pour la grande URANIE
Qui des CIEUX connaît l’Harmonie,
Des Danseurs lestes et fringants
Font les SEPT PLANÈTES ERRANTS.
Afin d’honorer MELPOMÈNE
Qui préside, comme Inhumaine,
Aux tragiques Événements,
On lui fait voir ces deux AMANTS62
Qui dessous un MÛRIER s’occirent,
Dont les Mûres blanches rougirent.
TALIE, aimant, plus sagement,
Ce qui donne de l’enjouement,
Est comiquement divertie
Par une belle Comédie
Dont MOLIÈRE, en cela Docteur,
Est le très admirable Auteur.
Pour EUTERPE, la PASTORALE,
Bien dignement on la régale
Par le DIALOGUE excellent
D’un CHŒUR et charmant et brillant,
Tant de BERGERS que de BERGÈRES,
Qui ne foulent point les Fougères,
Six desquels, ainsi qu’au Compas,
Font en dansant de divins pas.63
CLION, DÉESSE de l’HISTOIRE,
Sous qui j’ouvre mon Écritoire,
A là, pour son plus digne Ébat,
L’Image d’un fameux COMBAT,
Et surtout est considérée
Ladite Martiale ENTRÉE
Où les Combattants admirés
Se portent des Coups mesurés,
Autant d’Estoc comme de Taille,
Sans ensanglanter la Bataille ;
Et puis, par un plaisant Refrain,
Tous cabriolent sur la fin.
Quant à la noble CALIOPE,
Sans le Secours de qui l’on chope
Dans la Structure du beau Vers,
Des POÈTES de talents divers
La divertissent par leur Danse,
Comme entendus en la Cadence.
Son FILS ORPHÉE après survient,
Qui sur sa LYRE s’entretient,
Ou du moins son parfait COPISTE,
Savoir l’admirable BAPTISTE,64
Et l’on entend dessus ses Pas
Les Accents tous remplis d’appas
D’une NYMPHE, qui de son Âme65
Découvre l’amoureuse Flamme.
ERATON, à qui sur l’AMOUR
D’ordinaire l’on fait la Cour,
Est aussi très bien recréée
Par six DANSEURS pour son ENTRÉE,
Représentants de nos ROMANS
Les six plus célèbres AMANTS.
Pour POLYMNE, dont l’ÉLOQUENCE
Reconnaît la pleine Puissance
Et la DIALECTIQUE aussi,
Son Divertissement ici
Est d’ORATEURS et PHILOSOPHES
De fort différentes ÉTOFFES,
Et ridiculement tournés
Par Gens moins qu’Eux illuminés.
Quant à la Dame TERPSICORE,
Dont l’ENTRÉE est plaisante encore,
Étant Maîtresse, de tout temps,
Des rustiques Danses et Chants,
Huit FEMMES SAUVAGES et FAUNES,
Qui montrent à maints leurs Becs-jaunes
Dans l’Art de figurer un Saut,
La réjouissent comme il faut.
Or, renouvelant leur DÉBAT,
Qui jadis fit si grand éclat,
Trois Nymphes par elles choisies,
Qui ne sont point Nymphes moisies,
Pour juger sur ce différend,
En dansant viennent prendre rang ;
Et comme, en un mot, les dernières,
Trop pigrièches66, trop altières,
Se préparent encor après
À batailler sur nouveaux frais,
JUPIN, le MAÎTRE de la FOUDRE,
Enfin de tout vient en découdre,
En changeant ces Objets si beaux,
Pour leur châtiment, en Oiseaux.
Mais, comme dedans cet Orage,
Jupin ne paraît qu’en Image,67
Ce Changement semblablement
Ainsi qu’un SATYRE et bon Drôle
Qui, faisant après eux son Rôle,
Chante un Air des plus à propos,
Et tout aussi bien que le GROS.68
Ensuite, l’Onzième ENTRÉE,
Qui des plus me charme et m’agrée,
Ces MUSES dansent, à leur tour,
Sous le Visage et sous l’Atour
D’autant de BEAUTÉS éclatantes
Et qui me semblent plus charmantes.
Avec elles sautent, de plus,
Les Neuf FILLES de PIERUS,
Aussi dessous d’autres Visages,
Non moins dignes de nos Hommages,
Mais de qui l’une est hors de Pair,
Ce qui vous paraîtra tout clair
En lisant seulement en marge
Leurs Noms qui s’y trouvent au large69.
N’est aussi qu’un feint Changement,
Et ces FILLES, je vous le jure,
Se retrouvent en leur nature.
Voilà ce que j’avais promis
À tous Lecteurs, nos bons Amis,
Et j’en suis quitte sans miracle.
Mais, pour de ce noble Spectacle
Concevoir bien mieux la beauté,
Je leur conseille, en vérité,
D’aller, pour livre ou demi-livre,
En acheter le galant LIVRE,70
Que le SUBSTITUT d’APOLLON,
Et, je pense, autant que lui blond71
En a fait à son ordinaire,
Peignant des mieux le CARACTÈRE
Des BALADINS les Principaux,
Dont il a fait tant de Tableaux.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 26 décembre 1666 §
L’auguste BALLET des NEUFS SŒURS,
Où l’on voit d’excellent Danseurs,
Divertit toujours à merveille
La COUR des Cours la nonpareille,
Et, parmi les OBJETS poupons
Lesquels font là des Pas mignons,
TOUSSI, cette GRÂCE naissante,72
De plus en plus est ravissante ,
De FIENNE, qu’on ne saurait voir
Sans mille Attraits apercevoir,
Dedans sa Danse paraît telle
Qu’on meurt de danser avec Elle,
Et du LUDRE, l’ASTRE LORRAIN73
Qui des Cœurs s’empare soudain,
Par sa belle et forte Influence,
Les prend illec comme en Cadence.
Divine ALTESSE à qui j’écris,
Vous savez tout ce que je dis ;
Mais, comme ma Lettre est publique,
Aux lecteurs aussi je l’indique.
Sur ce, je ferme mon Cornet
Jusqu’en Six cent soixante et sept,
Et par là, sans la Date mettre,
On peut voir de quand est ma Lettre.
Robinet, lettre du 9 janvier 166774 §
Mais, pour revenir au BALLET,
Le Tour galant assez me plaît
De notre nouvelle HÉROÏNE,
Qui, survenant à la sourdine,
Comme on dansait ledit Ballet,
Fit défiler le Chapelet
Et cesser toutes les Entrées
Qu’on avait si bien préparées,
Afin qu’on l’allât recevoir
Ainsi qu’il était du devoir.
C’est ce qu’on fit aussi, je pense,
Avec beaucoup de diligence
Et non moins d’exultation.
Robinet, lettre du 23 janvier 1667 §
La COUR, à SAINT GERMAIN en LAYE,
Où se rencontre mainte Laye,
Se divertit semblablement,
Tout à fait agréablement,
Et l’excellent BALLET des MUSES,
Qui vraiment ne sont plus camuses
Depuis que, de belle hauteur,
LOUIS se dit leur Protecteur,
Contient tant de choses plaisantes
Et qui sont si satisfaisantes
Qu’il vaut seul, par ces Agréments
Les autres Divertissements.
À propos de Réjouissances,
De Cadeaux, de Momons, de Danses,
CLOTON aussi ne fait pas mal,
De son côté, le CARNAVALL,
Et l’on danse en toutes Contrées
Son grand BALLET, d’autant d’ENTRÉES
Qu’il est de Mortels et d’Emplois,
Sans excepter Papes ni Rois,
De cette Loi dure et griève.
L’ABBÉ de SAINTE GENEVIÈVE,
Naguère s’acquitta des Pas
Qu’on fait au Branle du Trépas ;
Le GRAND PRIEUR de FRANCE encore,
Que pour ses Vertus l’on honore
Dans le TEMPLE et partout Ici,
A fait la même chose aussi ;
Et MACHAUT, qui dans l’INTENDANCE,
En servant l’État d’importance,
A fait raccourcir tant de Gens,
Vient de faire à quatre-vingt ans
Pareille Danse que les autres.
Dites pour eux vos Patenôtres,
Et pensez, ô pauvres Mondains,
Que vous serez des Baladins,
Tôt ou tard, de Madame Parque
Et que vous passerez la Barque.
Robinet, lettre du 30 janvier 1667 §
On se divertit chaque jour
Aussi des mieux en notre COUR.
MARDI, dans le charmant VERSAILLES,
L’on fut encor faire gogailles75.
Là, par le mouvement des Eaux
Qui en divers Tuyaux,
On entendit une belle Orgue
Qui fait à toute autres la morgue.
Je pense aussi qu’on y balla ;
Que veut-on plus après cela ?
Les autres jours de la Semaine,
Ainsi de Plaisirs toute pleine,
On a des MUSES le BALLET.
Robinet, lettre du 13 février 1667 §
Ils avaient cet ANGE auprès d’eux
Qu’ont mis au Jour leurs premiers Feux,
La mignarde MADEMOISELLE,
Comme un Ange spirituelle,
Avec la PRINCESSE MIMI,76
Personne importante, vraimi.
C’est elle qui, sur la Fougère,
Quand notre HÉROÏNE est BERGÈRE,
Dans le grand BALLET des Neufs SŒURS,
Fait trembler les Loups ravisseurs,
Comme l’a mis dans son beau Livre,
Qui fera MIMI toujours vivre,
BENSÉRADE, que, sans abus,
On peut dire notre PHÉBUS.
La Muse Dauphine à Monseigneur le Dauphin d’Adrien Perdou Subligny §
Subligny, seconde semaine, lettre du 17 février 1667 §
Mon style passe le galant,
Ma bouche vous semblera grasse,
Mais, mon charmant Époux, il faut que ce temps passe,
Tout est de Carême prenant.
On voit donc bien d’autres affaires
À Paris, dans cette saison,
Qu’on n’en voit dans votre maison,
Quoi qu’on n’y prenne point de passe-temps vulgaires.
Quoi que MONSIEUR DE PÉRIGNY
Ait rendu du BALLET la beauté sans seconde,
Vous ne voyez point là de BELLE SÉVIGNY
À bons grands coups de poings faire battre le monde.
Comme elle allait en masque un de ces derniers jours,
Des gens que vous voyez toujours
À son sujet prirent querelle ;
La cause fut qu’en parlant d’elle,
L’un d’eux accordait bien qu’elle avait l’air charmant,
Qu’elle était belle assurément,
Mais, ajoutait-il, pas tant belle.
Pareille impiété ne méritait pas moins
Sans doute que des coups de poings :
Mais coups de poings à gens d’épée,
Pour venger un objet digne de mille Autels,
Et de qui la France est charmée !
Ah ! cruel Édit des Duels !
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 20 février 1667 §
Robinet, lettre du 27 février 1667 §
Notre COUR éclatante et gaie,
Ayant à SAINT GERMAIN en LAYE
Encor vu, Samedi dernier,
Avec un plaisir singulier,
Le Grand BALLET de ces NEUF BELLES
Qu’on nomme les Doctes Pucelles,
En partit, Dimanche matin,
Sans oublier son beau DAUPHIN,
Pour aller faire dans VERSAILLES
DU CARNAVAL les FUNÉRAILLES,
Avec tant de solennité
Qu’il se peut dire, en vérité,
Que l’on n’en vit jamais de telles,
Ni si pompeuses, ni si belles,
Et, bref, où l’on fût plus joyeux.
MADAME, vous le savez mieux
Que je ne puis ici le dire ;
Aussi, ne vais-je le décrire
Qu’en faveur des Lecteurs Amis
À qui, certe79, je l’ai promis,
Car, ALTESSE, d’Attraits pourvue,
Chose promise est chose dûe.
Robinet, lettre du 12 juin 1667 §
Encor un mot de notre Ville,
Et puis notre Muse fait gile.
C’est pour ajouter que, pendant
Que LOUIS, à la GLOIRE ardant,
S’ouvre, par-delà la FRONTIÈRE,
Une belliqueuse CARRIÈRE,
Messieurs les BOURGEOIS de PARIS,
De sa MAJESTÉ si chéris,
Jouissent de ses plaisirs mêmes,
Avec des liesses extrêmes.
Oui, foi de sincère Mortel ;
Et, si vous allez à l’HÔTEL,80
Vous y verrez plusieurs ENTRÉES,
Toutes dignes d’être admirées,
De son dernier BALLET ROYAL,
Si galant et si jovial,
Avec diverses Mélodies
Et mêmes les deux COMÉDIES
Qu’y joignit le tendre QUINAULT,
Où la TROUPE fait ce qu’il faut
Et ravit, par maintes Merveilles,
Les Yeux ensemble et les Oreilles.
Robinet, lettre du 22 octobre 1667 §
Nos vaillants PALADINS de FLANDRES,
Ces Friands de guerriers Esclandres,
En attendant le gai printemps,
Commencent de passer le temps
À baller en l’honneur des Muses,
Qui ne sont plus Filles camuses
Depuis que notre grand Vainqueur
A pris leurs Intérêts à cœur.
Ce qu’on danse sont huit Entrées,
Qui sont les plus considérées
Du Ballet de l’Hiver dernier,
Ainsi que je l’appris hier ;
C’est à savoir, celle des BASQUES,
Dont, comme eux, les Pas sont fantasques,
Des BERGERS et des BOHÉMIENS,
La plupart étranges Chrétiens,
Des DÉMONS, Gens fort laids et haves,
Des PAYSANS et des ESCLAVES,
Des MAURES et des ESPAGNOLS,
De nos Progrès pires que Fols,
Et qui, dedans leur Décadence,
N’ont guère le cœur à la Danse.
Quoi qu’il en soit, de beaux Récits,
En ce Spectacle sont ouis,
Où, certes, l’admirable HYLAIRE
Charme par sa voix nette et claire.
ORPHÉE, ou BAPTISTE, pour lui
(Car c’est bien tout un aujourd’hui),
Y tient, sous ses rares merveilles,
L’âme en Laisse par les oreilles.
Les grands et petits Violons,
Qui sont comme autant d’Apollons,
Là pareillement vous ravissent,
Et, sous leurs tons, les Sens languissent,
Par le sentiment du plaisir
Qui vient doucement les saisir.
La Scène est pompeuse et brillante,
Plus que n’est la Sphère roulante
D’où chaque jour naît la Clarté,
Et notre auguste MAJESTÉ,
Guerrière comme un Dieu de Thrace,
Des Pas de Souverain y trace,
Parmi ceux de ses Courtisans,
De Compliments grands Artisans.
[…]
Grande HÉROÏNE à qui j’écris,
Vous savez tout ce que je dis,
Car, en qualité de Bergère,
Vous avez, dedans le Ballet,
Votre Entrée et votre Rôlet,
Où vous semblez une Déesse
Bien plutôt qu’une humaine ALTESSE ;
Mais, sous votre Permission,
Je fais cette Narration.
Pour tous ceux qui lisent ma Lettre,
Où je vais encor ainsi mettre,
Sous votre bon Plaisir aussi,
Quelques Chapitres que voici,
Contenant, certes, maintes choses
Qui ne vous sont pas Lettres closes.
1667 §
5 janvier : La Pastorale comique §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 9 janvier 1667 §
Mercredi, le cas est certain,
Le Ballet fut des mieux son Train,
Mélangé d’une PASTORALE
Qu’on dit tout à fait joviale
Et par MOLIÈRE faite exprès,
Avecque beaucoup de progrès.
Étant allé voir, ce jour même,
Notre GRAND PORTE-DIADÈME,
Je fus vraiment sollicité
Par une obligeante BEAUTÉ
De demeurer à ce Spectacle ;
Mais, par un malheureux Obstacle,
Ayant des Affaires Ici,
Il m’en fallut sevrer ainsi.
Mais j’appris de la même Belle,
Comme un Ange spirituelle81,
Que l’excellente d’EUDICOURT,
L’un des beaux Astres de la Cour,
Dedans ce Ballet escarpine82
D’une manière très poupine.
14 février : Le Sicilien ou L’Amour peintre §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 13 février 1667 §
Mardi, leurs ROYALES ALTESSES,
Après toutes ces allégresses,
Allèrent rejoindre la COUR,
Des plus doux Plaisirs le Séjour.
Le grand BALLET s’y danse encores83,
Avec une SCÈNE de MORES,
Scène nouvelle et qui vraiment
Plaît, dit-on, merveilleusement.
L’on y voit aussi notre SIRE,
Et cela, je crois, c’est tout dire ;
Mais, de plus, Madame y paraît :
Jugez, Lecteur, ce que c’en est.
Robinet, lettre du 12 juin 1667 §
Depuis hier, pareillement,
On a pour Divertissement
Le SICILIEN, que MOLIÈRE,
Avec sa charmante manière,
Mêla dans ce BALLET du ROI
Et qu’on admira, sur ma foi.
Il y joint aussi des ENTRÉES
Qui furent très considérées
Dans ledit ravissant Ballet ;
Et LUI, tout rajeuni du Lait
De quelque autre INFANTE d’INACHE,
Qui se couvre de peau de VACHE,
S’y remontre enfin à nos Yeux
Plus que jamais facétieux.
Robinet, lettre du 19 juin 1667 §
Je vis à mon aise et très bien,
Dimanche, le Sicilien.84
C’est un Chef-d’œuvre, je vous jure,
Où paraissent en Mignature85
Et comme dans leur plus beau jour,
Et la Jalousie et l’Amour.
Ce Sicilien, que Molière
Représente d’une manière
Qui fait rire de tout le cœur,
Est donc de Sicile un Seigneur
Charmé, jusqu’à la Jalousie,
D’une Grecque, son Affranchie.
D’autre part, un Marquis Français,
Qui soupire dessous ses Lois,
Se servant de tout stratagème
Pour voir ce rare Objet qu’il aime
(Car, comme on sait, l’Amour est fin),
Fait si bien qu’il l’enlève enfin,
Par une Intrigue fort jolie.
Mais, quoi qu’Ici je vous en die,
Ce n’est rien : il faut sur les Lieux
Porter son Oreille et ses Yeux.
Surtout, on y voit deux Esclaves86
Qui peuvent donner des Entraves :
Deux Grecques, qui Grecques en tout,
Peuvent pousser cent Cœurs à bout,
Comme étant tout à fait charmantes,
Et dont Enfin les riches Mantes
Valent bien de l’argent, ma foi :
Ce sont, aussi, Présents de Roi.
Fin février : Mascarade §
La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin d’Adrien Perdou de Subligny §
Subligny, troisième semaine, lettre du 24 février 1667 §
Ballets, Bals, Mascarade, Courses,
Et d’autres plaisirs infinis,
Qui remplissent l’esprit en vidant bien des bourses,
En ce temps-ci, SEIGNEUR, seront-ils bannis ?
On dit que notre grand Monarque,
Qui les a déjà fait cesser,
Attendra pour le moins, s’il faut qu’on s’y rembarque,
Jusqu’à la Mi-Carême à les recommencer.
Début mars : Mascarade §
La Muse de la Cour à Monseigneur le Dauphin d’Adrien Perdou de Subligny §
Subligny, quatrième semaine, lettre du 3 mars 1667 §
Vous ne nous disiez point, SEIGNEUR,
Que CHARLES, ROI D’ESPAGNE, épousait votre SŒUR
Et que, comme on était à Table,
Un COURRIER MASQUÉ, l’autre jour,
En avait rapporté les Articles en Cour.
Le parti m’en semble sortable ;
Mais ce Courrier-là, quel qu’il soit,
Fut-ce l’AMBASSADEUR D’ESPAGNE,
Comme on sait bien que ce l’était,
N’était guère hâlé de l’air de la campagne.
La Mascarade est belle et très digne de lui.
De tous les adroits d’aujourd’hui
Il n’est pas le moins agréable ;
Je souhaiterais, par ma foi,
Pour l’amour de son jeune Roi,
Que la chose fût véritable.
Début Mars : Fête dans l’Empire germanique (carrousel) §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 10 mars 1667 §
Le grand BALLET IMPÉRIAL,
Ballet que l’on danse à Cheval
Et préparé selon les Règles
Pour la SOUVERAINE DES AIGLES,
Fut dansé, la première fois,
Un jour du pénultième mois ;
Mais IGNACE, l’amoureux SIRE,
Ne partageant pas bien l’Empire
Avec le Seigneur JUPITER,
Il lui plut le déconcerter
Par certaine fâcheuse Pluie,
Qui mouilla fort la Compagnie,
Qui chiffonna tous les Habits
Couverts de Perles et Rubis,
Qui défrisa blondes Perruques
Qui couvraient quantité de Nuques,
Détrempa Plumes et Capots,
Sans doute très mal à propos,
Et, d’une funeste manière,
Fripa la petite Oie entière
De ces Équestres Baladins,
Ainsi que de leurs Guilledins ;
Si bien que tel fut le dommage
Que causa cet humide Orage
Que, selon ce qu’on en écrit
(Dont l’EMPEREUR fut moult contrit).
On mit de belle et bonne sorte
Le Ballet derrière la Porte,
C’est-à-dire qu’il fut sursis
Pour des jours, je crois, plus de six.
Mais, après aussi ledit terme,
On s’en divertit fort et ferme,
Et ce beau Divertissement
Agréa d’autant plus vraiment
Aux Spectateurs et Spectatrices
Que le Temps, sujet aux Caprices,
Alors plus complaisant pour eux,
Ne fut point du tout pluvieux.
Début juin : Fragments du Ballet des Muses §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 12 juin 1667 §
Encor un mot de notre Ville,
Et puis notre Muse fait gile.
C’est pour ajouter que, pendant
Que LOUIS, à la GLOIRE ardant,
S’ouvre, par-delà la FRONTIÈRE,
Une belliqueuse CARRIÈRE,
Messieurs les BOURGEOIS de PARIS,
De sa MAJESTÉ si chéris,
Jouissent de ses plaisirs mêmes,
Avec des liesses extrêmes.
Oui, foi de sincère Mortel ;
Et, si vous allez à l’HÔTEL,87
Vous y verrez plusieurs ENTRÉES,
Toutes dignes d’être admirées,
De son dernier BALLET ROYAL,
Si galant et si jovial,
Avec diverses Mélodies
Et mêmes les deux COMÉDIES
Qu’y joignit le tendre QUINAULT,
Où la TROUPE fait ce qu’il faut
Et ravit, par maintes Merveilles,
Les Yeux ensemble et les Oreilles.
Depuis hier, pareillement,
On a pour Divertissement
Le SICILIEN, que MOLIÈRE,
Avec sa charmante manière,
Mêla dans ce BALLET du ROI
Et qu’on admira, sur ma foi.
Il y joint aussi des ENTRÉES
Qui furent très considérées
Dans ledit ravissant Ballet ;
Et LUI, tout rajeuni du Lait
De quelque autre INFANTE d’INACHE,
Qui se couvre de peau de VACHE,
S’y remontre enfin à nos Yeux
Plus que jamais facétieux.
11 août : Le Ballet de l’Innocence accompagnant la tragédie de collège Andronicus Martyr §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 13 août 1667 §
Achevant de Gazetiser,
Car c’est assez nouvelliser,
Il faut que pour la fin, je die,
Qu’au grand COLLÈGE de CLERMONT,
Où, mieux que sur le Double Mont,
On trouve l’Encyclopédie,
On a distribué, Jeudi dernier, les Prix
Dont notre GRAND PORTE-COURONNE,
Une fois tous les ans, guerdonne
Les jeunes Cicérons, qui sont les mieux appris.
Cela fut précédé d’un Poème Tragique,
Contenant d’ANDRONIC le Martyre authentique,
Sous l’EMPEREUR DIOCLÉTIEN ;
Et les Étudiants, revêtus à merveille,
Vous le récitèrent si bien
Que de tous les Latins ils charmèrent l’oreille.
Ce noble Divertissement
Était, avecque bienséance,
Mêlé fort agréablement
D’un beau BALLET de l’INNOCENCE,
Où, par des Ennemis félons,
Dont se trouvaient les faux Soupçons,
La Belle était persécutée ;
Et puis, malgré la rage, envers elle irritée,
De ces injurieux Frelons,
Elle se voyait couronnée.
D’ailleurs, la Décoration
Était, certes, fort magnifique ;
Bonne pareillement se trouva la Musique,
Et tout, bref, y donnait de l’admiration.
Mais c’est aux Jésuites à faire,
Et c’est aux autres à se taire.
1668 §
17 janvier : Mascarade §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 21 janvier 1668 §
Le lendemain, se fit un Bal
Dedans le beau Palais Royal,
Non à Huis clos, mais Porte ouverte,
Où mainte et mainte Troupe alerte,
Vint en Masque, en tant de façons,
Que Callot, dans ses Visions,
Gravant, de son Burin idoine,
La Tentation de Saint Antoine,
A moins fait de divers Portraits
De tous les Diables les plus laids,
Qui furent, d’une humeur fantasque,
Dans son Désert lui faire frasque.
Or, entre ces divers Fredons,
Dont peu portaient des Espadons,
On en vit un, de tous le Maître,
Et qu’on put aisément connaître,
Malgré tout vain Déguisement,
Fredon tout Royal et charmant,
Que nos TÊTES à DIADÈMES
Composaient vraiment Elles-mêmes,
Avecque plusieurs de leur Cour,
Tant en riche que simple Atour.
Le ROI, comme maint le proteste,
En Persan, avait une Veste
De qui les enrichissements
N’étaient que de purs Diamants.
La REINE, en Sarmate charmante,
En avait une autre éclatante,
Avec des Parements exquis
De Martres d’élite et de prix :
Et six Paysannes gentilles,
Toutes des meilleures Familles,88
Avec des Habits de brocart,
La suivaient d’un pas frétillard.
L’Amazone, MADEMOISELLE,
Aussi grande qu’une Immortelle,
Parut là, dans un Port plus qu’humain,
Sous un Accoutrement Romain.
Cet autre aimable et jeune Altesse,
Savoir Madame la DUCHESSE,
De Palatine Extraction,
Attirait les Yeux, ce dit-on,
D’un chacun dessus sa Personne,
Aussi brillante que pouponne.
Un jeune AVOCAT la suivait,89
Que fort versé l’on tient au Droit,
Et qui, par un très digne zèle,
Ne le pratique que pour Elle.
La DUCHESSE, aussi, de BOUILLON,
D’Âme et de Corps Objet mignon,
Et qui fut, dès son plus bas âge,
Si spirituelle et si sage,
S’y fit admirer, sans mentir,
Sachant des mieux se travestir ;
Et le vaillant PRINCE, son Homme,
Pour vous dire la chose en somme,
Avec le Comte et Chevalier,90
Faisait un Momon singulier.
Notre DUCHESSE de CHEVREUSE,
EN Père et Mari bienheureuse,
Et qui, d’ailleurs, ne manque pas
D’Écus, de Vertus et d’Appas,
Et son ÉPOUX, lequel l’adore,
Furent de l’Assemblée encore :
Mais j’ignore certainement
Quel était leur Déguisement.
La noble et charmante SOUBISE,
À qui mainte et mainte Franchise
Est, je pense, offerte en Tribut,
Beaucoup à tout le monde y plût ;
Et point menteurs ne sont mes Carmes,
Car elle a pour plaire maints charmes.
La sage INFANTE de TOUSSI
Ne ravit pas coussi coussi,
Et, dès qu’elle eut levé le Casque
(Non, je voulais dire le Masque),
Chacun, et de loin et de près,
Se recréa sur ses Attraits.
La brune COMTESSE de GUICHE,
À qui Nature fut peu chiche
De ce qui des Cœurs est l’Aimant,
Y parut fort, pareillement.
Mais cette Liste il faut conclure,
Pour abréger mon Écriture,
Sans oublier, nenni, nenni,
Ou que de tous je sois honni,
Cette BRESSIENNE admirable,
Qu’on trouva là presque adorable,
Ayant jusques par sus les yeux
Des aimables Présents des Cieux,
Avec une charmante Gorge,
Où des mieux l’Amour fait son orge.
Et SÉVIGNY, bref, est le Nom
De cette Beauté de Renom.
18 janvier : Le Carnaval ou La Mascarade royale du Carnaval §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 21 janvier 1668 §
Dans le PALAIS des TUILERIES,
Lieu des fines Galanteries,
Le lendemain, le CARNAVAL,
Représenté par d’ESTIVAL
Avec une nombreuse Suite
De Musiciens, tous d’Elite,
À ravir, divertit la Cour,
Par un gai Ballet, à son tour.
Il consistait en Sept Entrées,
Qui furent fort considérées,
Mais, surtout une, des Plaisirs,
Qui flattent les jeunes Désirs,
Où paraissait leur Source même
Dans le GRAND PORTE DIADEME,
Puisque c’est aux soins glorieux
De ce plus puissant Fils des Dieux,
Qu’on doit notre Heur, & notre Joie,
Et ces beaux jours filez de soie.
Une, de Masques non follets,91
Mais sérieux et des mieux faits,
Pleins de Bravoure et Braverie,
Conduits par la GALANTERIE,92
Merveilleusement aussi plût,93
Et chacun volontiers dit chût
Lorsque cette aimable Déesse,
Avec une voix charmeresse,
Ses dignes Maximes chanta,
Par qui l’Oreille elle enchanta
Tant de Mâles que des Femelles,
Qui, certe, les trouvèrent belles.
Si vous désirez les savoir,
Vous pourrez aisément les voir
Dans le Cahier ou petit Livre
Qui se vend, je pense, une livre
Chez l’Imprimeur du Roi, BALLARD.
Où vous verrez, de part en part,
Le reste de la Mascarade
Et les beaux vers de BENSERADE,
Qui, des Muses favorisé,
Fait toujours miracle, à mon gré.
Avril (2ème moitié) : La Grotte de Versailles ou L’Églogue de Versailles §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 28 avril 1668 §
Depuis toute cette semaine,
Notre belle COUR se promène
Dans ce terrestre Paradis,
Où, comme en celui de jadis,
Tout rit aux sens et les enchante,
Mais où pas un Serpent d’Amour,
Dieu, comme on sait, suivant la Cour,
Et qui ne tente pas, en somme,
Pour un simple morceau de Pomme,
Ains pour d’autres plus délicats,
Dont je fais beaucoup plus de cas.
Or, les beaux Concerts dans la Grotte,
Afin que tout d’ordre je cotte,
Les Bals et somptueux Festins
Pour les Compères Intestins,
Les Branles à l’Escarpolette,
Où dans l’air on fait gambillette,
La Promenade dans les Bois,
Qui reverdissent en ce mois,
Et la Françoise Comédie,94
Qu’accompagnait la Mélodie,
Ont été les Plaisirs charmants
Et les plaisants Ébatements
De cette Cour brillante et leste,
Dans cet Éden presque céleste,
Où l’Air, le Ciel, la Terre et l’Eau,
Lorsqu’on y fait royal Cadeau,
Montrent, pour le rendre agréable,
Tout ce qu’ils ont de plus aimable.
15 février : La Fête de Vénus §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 7 juillet 1668 §
NOS COMIQUES ITALIENS,
Les plus admirables Chrétiens
Qui paraissent sur le Théâtre,
Si que chacun les idolâtre,
Nous régalent, pour le présent,
D’un Sujet, certe, archi-plaisant,95
Je le puis dire sans contrôle,96
Et même où chacun fait son Rôle,
Sans nul doute, admirablement.
Ah ! que j’aime le Testament
Que dict l’ARLEQUIN malade,
Cet Acteur qui n’a rien de fade,
Et son grotesque Playdoyer,
Où nous l’entendons foudroyer
Le DOCTEUR qui, par l’ÉMÉTIQUE,
A fait faire une fin tragique
À SCARAMOUCHE, qui, mourant
Et sur le Théâtre expirant,
Fait aussi rire à gorge pleine !
Qu’OLARIA, Magicienne,
Qui provoque à venger sa mort,
Par ses manières me plaît fort,
Et que très volontiers mes Carmes
Préconisent ici ses charmes !
Que TRIVELIN, pareillement,
Me fait de bien à tout moment
Et, par sa belle humeur, dilate
Mon cœur, et mon foie et ma rate !
Et que le reste des Acteurs,
De Chagrins autant d’Enchanteurs,
Me ravissent dans cette Pièce ;
Où chacun se croit à Liesse !
Mais que dire de leurs Ballets,
Si bien concertés, si follets,
Et de leurs Danseurs admirables
Dont plusieurs sont incomparables ?
Que dire de leurs grands Concerts,
Où l’on reconnaît des EXPERTS
Les Nouveautés et les Merveilles
Dignes des Royales Oreilles ?
Que dire encor des Ornements,
De tous les riches Changements
Par qui la Scène est si brillante,
Et si superbe, et si riante,
En un mot, du pompeux Tombeau
De leur Scaramouche nouveau ?
Ah ! sans que la Colle je fiche,
Je ne puis dedans cette Affiche,
Non plus qu’eux dedans leur Placard,
Vous en mettre même le Quart.
Robinet, lettre du 14 juillet 1668 §
Celle des Acteurs d’Italie97
De plus en plus paraît jolie
Par de surprenants Incidents
Qu’ils mêlent chaque jour dedans ;
Et CINTIO, Fils d’AURÉLIE,
Dont l’Âme est savante et polie,
Y fait le Rôle d’un Amant
D’un air si tendre et si charmant,
Ainsi que le célèbre OCTAVE,
Toujours et si leste et si brave,
Qu’en vérité, qu’en vérité
Chacun s’en retourne enchanté.
18 juillet : Le Grand Divertissement royal ou les Fêtes de Versailles §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 30 juin 166898 §
À VERSAILLE, où l’on fait flores,
On travaille à de grands Apprêts,
Pour une Fête magnifique,
Que LOUIS, quoique si Bellique,
Consacre à la céleste PAIX
Qu’il a, pour combler ses hauts Faits,
Déjà deux bonnes fois donnée
À l’ESPAGNE, toute étonnée.
Robinet, lettre du 7 juillet 166899 §
Mais, avant que l’on en soit là
(Et toute la Cour dit cela),
La REINE pourra, sans obstacle,
Voir l’incomparable Spectacle
Que notre susdit SOUVERAIN ;
De qui le Sort est surhumain,
Fait préparer en son VERSAILLE,
Où, nuit et jour, fort on travaille.
Tels en sont les rares Apprêts,
Qui ne se font pas sans beaux frais,
Que jamais Rome, ni la Grèce,
En ses plus grands jours d’allégresse,
N’a rien produit qui fut pareil
À ce magnifique Appareil.
Je discours ainsi par avance
De ce spectacle d’importance,
Et par Prélude seulement ;
Mais j’en jaserai pleinement,
Et même avec beaucoup de joie,
Si le Sort veut que je le voie.
Je vous le promets en ce cas ;
Mais, si cela n’arrive pas,
Comme la chose se peut faire,
Hélas ! il faudra bien m’en taire,
Ou n’en parler dans les miens Vers,
Sinon de tort et de travers.
C’est à la COUR, et bonne et sage,
Sans que j’en dise davantage,
À délibérer s’il est bon
Que j’y sois où présent ou non ;
C’est un Point, comme je le pense,
D’une assez grande conséquence ;
Mais, toutefois, il n’en sera,
Non, non, que ce qu’il lui plaira.
Robinet, lettre du 14 juillet 1668100 §
Le Spectacle superbe et rare
Qui dans Versailles se prépare
Est, disent les uns, pour Mardi,
Et quelques autres, pour Lundi ;
Quoi qu’il en soit, vaille que vaille,
Avecque chaleur on travaille
À mettre tout en bel arroi
Pour ce charmant Plaisir du ROI.
Robinet, lettre du 21 juillet 1668 §
Dans le PARC de ce beau VERSAILLE,
Qui n’est pas un Lieu de Broussaille,
Mais le Palais le plus riant
Où, du Couchant à l’Orient,
Les claires et pure Naïades,
Les gaies et vertes Dryades,
La jeune Flore et les Zéphirs,
Les Amours, les Jeux, les Plasirs,
Les Labyrinthes, la Verdure,
L’Art, en un mot, et la Nature
Fassent par leurs beaux Agréments
Le doux charme de tous les Sens ;
Là, dis-je, où le Ciel à la Terre
Ses plus chères faveurs desserre,
On vit, Lundi, ce que les yeux
Ne peuvent voir que chez les Dieux,
Ou chez LOUIS, qui les égale
Dedans la pompe d’un Régale.
Quatre Édifices enchantés
Et, je pense aussi, concertés
Dans les secrets d’une Magie
Dont la Puissance est infinie,
S’y voyaient en des Lieux divers,
Passant tout ce qu’en l’Univers
Ont produit les artistes Veilles,
Sans excepter les sept Merveilles.
[…]
[George Dandin]
Mais sur ce point c’en est assez :
Sus, Muse, promptement passés
En cette autre brillante Salle
Qui fut la Salle Théâtrale.
Ô le charmant Lieu que c’était !
L’Or partout là, certe101, éclatait.
Trois rangs de riches Hautes-lices
Décoraient ce Lieu de Délices,
Aussi haut, sans comparaison,
Que la vaste et grande Cloison
De l’Église de Notre-Dame,
Où l’on chante en si bonne gamme.
Maintes Cascades y jouaient,
Qui de tous côtés l’égayaient ;
Et, pour en gros ne rien ommettre
Dans les limites de ma Lettre,
En ce beau Rendez-vous des Jeux,
Un Théâtre auguste et pompeux,
D’une manière singulière,
S’y voyait dressé pour MOLIÈRE,
Le MOME cher et glorieux
Du bas Olympe de nos Dieux.
Lui-même donc, avec sa Troupe,
Laquelle avait les Ris en croupe,
Fit là le Début des Ébats
De notre COUR pleine d’Appas,
Par un Sujet Archi-comique,
Auquel rirait le plus Stoïque,
Vraiment, malgré bon gré ses Dents,
Tant sont plaisants les Incidents.
Cette petite Comédie
Du crû de son rare Génie
(Et je dis tout, disant cela)
Était aussi, par-ci, par-là,
De beaux Pas de Ballet mêlée,
Qui plûrent fort à l’Assemblée,
Ainsi que de divins Concerts
Et des plus mélodieux Airs,
Le tout du Sieur LULLY-BAPTISTE,
Dont Maint est le Singe et Copiste.
D’ailleurs, de ces Airs bien chantés,
Dont les Sens étaient enchantés,
MOLIÈRE avait fait les Paroles,
Qui valaient beaucoup de Pistoles ;
Car, en un mot, jusqu’en ce jour,
Soit pour Bacchus, soit pour l’Amour,
On n’en avait point fait de telles ;
C’est comme dire d’aussi belles.
Et, pour plaisir, plutôt que tard,
Allez voir chez le Sieur BALARD,
Qui de tout cela vend le Livre,
Que presque pour rien il délivre,
Si je vous mens ni peu ni prou ;
Et, si vous ne saviez pas où,
C’est à l’enseigne du Parnasse ;
Allez-y donc vite, de grâce.
Mais revenons à nos Moutons,
Et, pour achever, ajoutons
Que chacun fit là des merveilles
Qui n’eurent jamais de pareilles,
Et qu’à l’envi, soient les Acteurs,
Les Baladins et les Chanteurs,
Tous en ce jour se surpassèrent
Et bravement se signalèrent.
Mais, entre tous ces grands zélés,
Qui se sont si bien signalés,
Remarquable est la THORILLIÈRE,102
Qui, près de tomber dans la Bière,
Ayant été, durant le cours,
Tout au plus, d’environ huit jours,
Saigné dix fois pour une Fièvre,
Qui dans son Sang faisait la mièvre,
Quitta son Grabat prestement
Et voulut héroïquement
Du gros Lubin faire le Rôle,
Qui sans doute était le plus drôle.103
Voilà comment, en bonne foi,
Tout conspire aux Plaisirs d’un ROI
Qui, sans que trop de lui je dise,
L’Empire avec Jupin divise.
Voilà comment aux jours de Paix,
Ayant terminé ces hauts Faits,
Qui faisaient trembler tout le Monde
Dessous sa Gloire sans seconde,
Il se délasse avec éclat
Des grands Soins qu’il prend pour l’État,
Et qu’il est, tant en Paix qu’en Guerre,
Le plus GRAND Prince de la Terre.
Début septembre (le 2 ?) : Remèdes à tous maux §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 8 septembre 1668 §
Nos COMIQUES ITALIENS,
Toujours de risibles Chrétiens,
Et féconds en Pièces nouvelles,
Qui sont magnifiques et belles,
En ont une sur le Tapis
(C’est sur la Scène que je dis),
Qui ne doit rien à ses Aînées,
Qu’en leur temps j’ai si bien prônées,
Soit pour les changements divers,
Pour les Ballets, pour les Concerts,
Les Jardins les Architectures,
Les Perspectives, les Peintures
Et les risibles Incidents,
Qui, sans fin, font montrer les Dents
Et rire à gorge déployée ;
Car toute la Troupe enjouée
Y fait des MIRABILIA,
Hors la charmante OLARIA,
Qui n’a nul rôle en cette Pièce,
Féconde Source de Liesse,
Et dont le Titre, en quatre mots,
Est : LES REMÈDES À TOUS MAUX,
Dont j’espère, en quelque autre Épître,
Faire un plus digne et grand Chapitre.
Robinet, lettre du 15 septembre 1668 §
Les Grands Comiques d’Italie,
Fléaux de la Mélancolie,
Sont de plus en plus joviaux
Dans leur REMÈDES à TOUS MAUX,104
Pièce des plus facétieuses,
Aussi bien que des plus pompeuses,
Où SINTHIO, d’icelle Auteur,
Paraît très agréable Acteur,
Ainsi que l’obligeant OCTAVE,
Toujours et si leste et si brave ;
Où l’admirable AURÉLIA,
Femme habile, si Femme y a,
Et qu’estimait la REINE-MÈRE,
Comme une grande Actrice opère,
De même qu’ISABELLE aussi,
Et nullement cossi cossi ;
Où l’alerte DIAMANTINE
Tout-à-fait joliment badine ;
Où SCARAMOUCHE et le DOCTEUR
Font rire de belle hauteur ;
Où TRIVELIN, sans que j’emballe,
Dedans son Rôle se signale ;
Où le jovial ARLEQUIN
Est un très plaisant Marocain ;
Où, bref, sans qu’aucun d’eux j’oublie,
Leur nouvel Acteur d’Arcadie,
Joue autant bien qu’il peut jouer,
Et ce n’est pas trop le louer.
1669 §
13 février : Le Ballet de Flore §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 2 février 1669105 §
Ici, notre Grand POTENTAT
Ayant fait mettre bas les Armes
Au DUC DES LORRAINS, par ses charmes,
Ne pense plus qu’à son BALLET,
Qui sera galant et follet.
Robinet, lettre du 16 février 1669 §
Clio, dont le beau Feu me brûle,
Et par qui sans fin je pullule
Et je produis de nouveaux Vers,
Sois-moi plus que jamais aujourd’hui favorable,
Puisque entre mes Sujets divers,
Il s’en trouve un inénarrable,
À savoir le Ballet d’un Monarque adorable,
Et qui doit être su partout cet Univers.
[…]
J’avais pensé, dans cette Épître,
Tracer un simple et beau Chapitre
Du BALLET de notre HÉROS ;
Mais, en dussé-je avoir à dos
Les Lecteurs de mes Écritures,
Je n’ai pas bien pris mes mesures,
Et, mon Papier se trouvant plein,
Ce sera pour le Jour prochain.
Lettre en vers et en prose au Roi de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 21 février 1669 §
Le Grand Ballet est commencé
(Dimanche encor il fut dansé),
Intitulé Ballet de Flore.
Je puis vous assurer encore
Qu’il est justement composé
Et parfaitement divisé.106
Du monde les quatre parties
Y sont dignement assorties,
Et chacune a de quoi ravir,
Recréer, plaire et divertir.
Les personnes, bien préparées
À faire toutes leurs Entrées,
Y jouèrent dans ce moment
Leur personnage galamment.
L’Hiver, ouvrant cette carrière,
En est chassé par la lumière
De notre Prince sans pareil,
Qui représente le Soleil.
Flore doit remplir la deuxième,
Les Nymphes des eaux, la troisième.
La quatrième, le Printemps,
Avec l’amour et les doux vents.
Le ROI terminant la dernière,
Avec sa grâce coutumière,
Avec son maintien sans égal,
Il finit ce Ballet Royal.
La REINE, aussi sage que belle,
Digne d’une gloire immortelle,
Était présente constamment
À ce beau divertissement.
Nos Princes les plus remarquables,
Les Princesses les plus aimables,
Les Envoyés, Ambassadeurs,
Belles Dames et grands Seigneurs
Agréablement s’y trouvèrent
Et, le voyant, ils l’admirèrent.
Les Violons touchaient des airs,
Et les accords des doux concerts,
S’unissant aux voix sans pareilles,
Charmaient les cœurs et les oreilles.
Par ces diverses raretés
Tous les sens étaient enchantés.
[…]
Mais le grand Monarque de France
Remporta le prix de la danse
Sur les plus accomplis Acteurs
Comme sur les meilleurs Danseurs,
Et, par sa grâce sans seconde,
Ravit les yeux de tout le monde,
Qui louait, aussi bien que moi,
L’éclat et l’adresse du Roi.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 23 février 1669 §
J’eus, l’autre jour, mauvaise grâce
D’avoir promis dans ma Préface
Des merveilles sur le Couplet
Du grand et florissant Ballet,
Et je fis, touchant cette Corde,
Ainsi que font, dans leur Exorde,
La plupart de nos Orateurs,
Qui promettent aux Auditeurs
Plus qu’ils ne tiennent d’ordinaire.
Mais pardon, Lecteur débonnaire.
Laissant toute Nouvelle à part,
Soit bien, soit mal, à tout hasard,
Par ce beau Ballet je débute,
Sans qu’en un mot je me rebute
Par la grandeur de mon Sujet,
Le digne et glorieux Objet
De la MUSE de BENSERADE,
Lequel jamais ne se dégrade
Dedans un Champ d’Honneur si beau,
Quoi qu’il en dise en son Rondeau,
Mais y fait voir nouvelle grâce,
Ainsi qu’un Maître du Parnasse,
Où quand il forge es Vers neufs,
L’Illustre pont dessus ses Œufs.
Mais entrons, nous, vite en matière,
Et fournissons notre Carrière.
Comme notre grand POTENTAT
Ne fait rien qu’avec un éclat
Particulier à tous ses Gestes,
Beaucoup moins humains que célestes,
Ce Ballet, d’un à l’autre bout,
Est brillant et pompeux partout,
Et l’on peut dire sans qu’on erre
Qu’en la Paix, comme dans la Guerre,
LOUIS n’a non plus son pareil
Qu’en trouve l’unique Soleil.
Aussi ne font-ils rien qu’un même
Dedans ce Spectacle suprême,
Puisque cet admirable ROI
L’y représente, en noble arroi,
Chassant, dans la première Entrée,
L’Hiver glacé, de la Contrée,
Par ses Rayons tout éclatants,
Et rappelant en même temps
La riante et brillante Flore,
Que le tendre Zéphire adore.
MADAME, qui, par son Teint frais
Et par tous ses jeunes Attraits,
Ressemble plus à la Déesse,
Sans la bienheureuse Grossesse,
Aurait été là, trait pour trait,
Son incomparable Portrait ;
Mais, au défaut de son Altesse,
De SULLY la belle Duchesse
Tient illec son illustre Rang,
Par un honneur tout à fait grand,
Et forme la seconde Entrée,
Ayant pour sa Troupe admirée
La Jeunesse, avec la Beauté,
L’Abondance et Félicité,
Que représentent quatre Belles,107
Que l’on peut bien prendre pour Elles,
Et chacune séparément
Pour toutes quatre mêmement.
On voit aussitôt les Naïades,
Avecque les Vertes Dryades,
Qui viennent faire, tour à tour,
À l’aimable Flore leur cour ;
Et ce sont encor sept Personnes,
Bonne foi, tout à fait mignonnes,
Ayant des Appâts à foison
Pour mettre un Cœur à la raison ;
Aussi cette troisième Entrée
Est-elle fort considérée.108
Celle qui suit, est du Printemps,
Que désigne un Duc de vingt ans,109
Lequel, par une heureuse Chance,
Est le Mari de l’ABONDANCE ;
Et ce Printemps, si verdoyant,
Si beau, si sage, et si ruant,
Mène deux Amours à sa suite,110
Qui sont d’un excellent mérite
Et même d’un royal estoc,
Aimant fort le belliqueux choc.
Dans la cinq et sixième Entrée,
Qui grandement l’Esprit récrée,
Des Bouquetiers et des Galants,
Tout à fait lestes et brillants,
Paraissent, ayant vent en poupe,
Et Comus se joint à leur Troupe.111
Empruntant le visage et l’air
D’un brave Seigneur, Duc et Pair,
Qu’on peut prendre aussi pour lui-même,
Tant leur ressemblance est extrême.
Les Esclaves et Débauchés,
De qui riraient les plus fâchés,
Font après cela deux Entrées,
En Cervelles évaporées,
Et, par des Musiciens triés,
Font donner à deux Mariés
Une Charmante Sérénade,
Qui les fait joindre à leur Ballade,
Et forment une Entrée aussi,
Laquelle est la neuvième ainsi.112
Dedans la dixième, l’Aurore
Arrose les Jardins de Flore,
Ainsi que, dans celle d’après,
Les Heures y viennent exprès
Cueillir mille Fleurs pour les Grâces ;
Et puis l’on y voit sur leurs traces
Vénus, qui se plaint tendrement113
Du Trépas de son cher Amant.
L’Intendant des Jardins, Vertumne,
Aussi, l’Amoureux de Pomonne,
En la douzième se fait voir,
Comme il fit pour la décevoir.
Avecque toutes les Figures
Qui déguisaient ses impostures ;
Et, dans la Treizième, Pluton,
À l’aide de maint grand Démon,
Enlève Dame Proserpine,
Diablesse d’agréable Mine.
Les Six Héros changés en Fleurs
De toutes sortes de couleurs,114
Forment la quatorzième Entrée,
Autant qu’aucune autre admirée,
Et comme chacun d’eux prétends
Que sa Fleurs ait le premier Rang,
Jupin survient dans leur Discorde,
Lequel tout soudain les accorde
En leur remontrant que le Prix
N’est dû qu’aux seules FLEURS DE LYS.
Après quoi, ce même Dieu chante,
D’une manière bien charmante,
Ainsi qu’avec lui le Destin,
Un Air, de louanges tout plein
Pour le MONARQUE et pour MADAME,
Ces Dieux, empruntant lors la Gamme
De deux modernes Amphions
Dont on admire les fredons.115
Enfin l’on aperçoit un Temple,
D’une structure sans exemple,
Qui se bâtit en un moment,
Ainsi que par enchantement ;
Et, là, les Quatre Parts du Monde,
Dans une humilité profonde,
Rendent ensemble leurs respects
À ce divin Recueil d’Attraits,
Cette belle et royale ALTESSE
À qui mes Missives j’adresse.
Des Faunes y viennent aussi,
Et le Ballet finit ainsi
Par cette quinzième Entrée,
Du MONARQUE encor illustrée,
Désignant un Européen,
Que partout on connaît fort bien,
Et le plus grand, sans que je chope,
Qui soit dedans la vaste EUROPE.
Voilà, pour les Provinciaux,
Ce que nos petits Vermissaux,
Par épitome, peuvent dire
De ce Ballet de notre SIRE,
Et que l’on a trois fois dansé,
Cela s’entend, en la Présence
De la belle REINE de FRANCE
Et de son DAUPHIN, si charmant,
Qu’on ne peut voir conjointement
Que, pour le certain, il ne semble
Voir Vénus et l’Amour ensemble.
Robinet, lettre du 9 mars 1669 §
Le lendemain, le Grand Ballet
Chez le ROI joua son Rôlet,
Et le lundi d’ensuite encore,
S’entend bien, le Ballet de Flore,
Où la Cohue et le Concours
Furent tels, en ces derniers jours,
Qu’à part Française Courtésie116,
L’Officier, dans sa frénésie,
Repoussait par de félons coups
Le susdit Sexe aimant le doux,
Et (dont il n’était pas en fête)
Le jetait tout franc à la tête,
Si qu’un Huissier en eut au Chef
Fort malle bosse, par méchef.
Pourtant, MONSIEUR de la HILLIÈRE,
De très obligeante manière,
En faveur des Muses, je crois,
Introduisit sans désarroi
En ce lieu-là ma Compagnie,
Dont ici je le remercie,
Publiant à tout l’Univers,
Par le bec de mes petits Vers,
Que c’est un Chevalier bien sage,
Qui sait joindre avec le Courage,
Outre mainte autre Qualité,
L’Accortise et Civilité,
Et qui remplit des mieux la Charge
Qu’à côté vous voyez en marge.117
Lettre en vers et en prose au Roi de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 10 mars 1669 §
SIRE, quoi que vous puissiez faire,
Vous êtes extraordinaire,
Et dans vos plaisirs innocents
Vos traits sont toujours ravissants ;
Sous quelque habit que l’on vous voie.
Bien que l’or, la laine ou la soie
Veuillent à nos yeux vous cacher,
Nos cœurs vont partout vous chercher :
À votre éclat, à votre mine,
Notre esprit connaît ou devine,
Et lit dans un je ne sais quoi
Les Caractères d’un Grand Roi.
Lundi, vous dansâtes encore
L’agréable Ballet de Flore ;
Les Étrangers, les Courtisans,
Qui dans la Salle était présent,
Comme les Dames les plus belles,
Y virent des grâce nouvelles.
Quand cent fois constamment il plairait,
Et votre adresse et votre grâce
Tous les plus habiles surpasse.
Le passe-temps du Carnaval,
Masquarade, Ballet, ni Bal,
N’empêchent point votre prudence
Et votre juste vigilance
De travailler avec éclat
À ce qui regarde l’État,
Et de bien régler les affaires,
Glorieuses et nécessaires,
Dont vous venez si bien à bout
Que vous trouvez du temps pour tout.
Et moi, je prends aussi mon heure,
Dans un recoin de ma demeure,
Pour présenter de nouveaux Vers
Au plus grand Roi de l’Univers.
Fin février : Mascarade §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 2 mars 1669 §
Ici, partout, on masque, on balle,
Et du bel air on se régale118
Selon l’ordre du Carnaval,
Cette année assez jovial.
Monsieur le DUC, en galant Prince,
Hier fit un Cadeau, non mince,
Mais ample et concerté des mieux,
Magnifique et facétieux,
Étant mêlé de Comédie
Par les grands Acteurs d’Italie,
Qu’accompagnent toujours les Ris ;
Et tous les Momons de Paris
Se trouvèrent à ce Régale119
Qui se fit dans la même Salle
Où le TARTUFFE, en grand crédit,
De plus en plus, nous ébaudit.
3 mars : Mascarade §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 9 mars 1669 §
[…]
Le Dimanche, au PALAIS ROYAL,
Fut aussi le Bal général
Dans l’Appartement de MADAME,
Où tout alla de la grand’ gamme,
Comme d’ordinaire tout va
Chez cette belle ALTESSE-là,
Où, porche d’elle se rassemble
Ce qui plus aux Anges ressemble,
Et c’est à dire ces Beautés
Par qui les Cœurs sont si tentés.
Les Momons de toutes les sortes
Se rendirent là par Cohortes,
Et l’on y put voir, en un mot,
Plus de Grotesques que Callot,
À peindre les Démons idoine,
N’en fait voir près son Saint Antoine.120
Droitement travestis, ainsi
Qu’étaient lesdits Masques ici.
Notre MONARQUE et notre REINE,
Dont la Puissance Souveraine
Fait notre bienheureux Destin,
Et leurs admirable DAUPHIN
Vinrent à cette belle Fête,
Étant, des pieds jusqu’à la Tête,
Vêtus en Perses éclatants,
Des fins joyaux tout bluettants121,
La REINE, ayant sur sa Personne,
Et si divine et si mignonne,
Pour dix-sept millions et plus
De ces clairs Effets de Phœbus.
5 ou 6 mars : Mascarade §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 9 mars 1669 §
Enfin, Mardi, notre Grand SIRE,
Dans son beau Palais qu’on admire,
Fit aussi merveille à son tour,
Donnant Bal à toute la COUR,
Et ce charmant PORTE-COURONNE,
Que toute la Gloire environne,
Couronna les autres Cadeaux
Par le sien, qui fut des plus beaux.
Je pense que je le puis dire,
Sans qu’on ose me contredire,
Et qu’ainsi l’on n’ignore point
Qu’il n’ait tout pu sur un tel point.
Maintes et maintes Mascarades,
Les unes avec Sérénades,
Ainsi qu’en leur Centre Royal,
Vinrent fondre dans ce grand Bal,
Et mon HÉROÏNE et PRINCESSE,
Nonobstant sa chère Grossesse,
Y fut dans l’Habit et l’éclat
De la feu Reine de Saba,
Ayant une Robe à l’antique
Très superbe et très magnifique,
Et couverte encor des Trésors
Dont brillent les Indiens Bords.
Son INFANTE, MADEMOISELLE,
Cette jeune Grâce si belle,
Ou cet Oriental Amour,
L’accompagnait, en même Atour,
Et la GRANDE et petite ALTESSE,
Par leur Appas et leur Jeunesse,
Communiquaient tant d’ornements
À ces antiques Vêtements
Que les Modes les plus nouvelles
Paraîtraient auprès bien moins belles.
L’Illustre Dame de MARCÉ122
(Et de bonne part je le sais),
Comme Personne ingénieuse,
Inventa ce Déguisement,
Et, non sans applaudissement,
Fut pour cela de chaque ALTESSE
La digne et brave Atournaresse.
6 août : Le Ballet des Destins accompagnant la tragédie de collège Jonathas §
Lettres en vers de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 11 août 1669 §
Mardi, j’allais d’un pas fort prompt
Dans le Collège de Clermont123
Y voir Jonatas, Tragédie
Plus belle qu’une Comédie,
Qui fait paraître que l’Auteur
Est un bon Versificateur,
Et son esprit scientifique
Fait dignement la Rhétorique.
Le Fils d’un Duc et Maréchal
La Ferté, d’un air sans égal,
Fut un des premiers Personnages
Avec de très grands avantages.
Dans la fleur de ses jeunes ans,
Il a de si rares talents,
Que chacun justement espère
Qu’il suivra les traces du père.
Cet aimable et charmant Marquis
L’admiration s’est acquis,
Paraissant encore à la danse,
Faisant tous ses pas en cadence.
Le Marquis de Gesvres aussi
Dansa mieux qu’on ne voit ici,
Et de Pianais, Comte ilustre,
Augmenta la grâce et le lustre
De ce Ballet, fait par Beauchamp,
Un des Maîtres des plus savants.
La Ferté, qu’encore je nomme,
Finit le divertissement
Et conclut agréablement ;
Récitant une Ode admirable,
D’une façon incomparable,
À l’honneur de mon POTENTAT
Qui, tous les ans, avec éclat,
Par un effet de sa largesse,
Donne les prix à la jeunesse.
Ledit Marquis que j’ai cité
Qui brille de chaque côté,
Qui sort d’un très illustre lieu,
L’Abbé Molé, très noble et sage,
Eurent tous quatre un bon partage,
Les trompettes, les violons,
Touchant d’agréables chansons,
Divertirent cette Assemblée,
Qui ne fut nullement troublée,
Et les glorieux Spectateurs,
De cet Ouvrage admirateurs,
Sortirent de la Compagnie
Remplis d’une joie infinie.
11 août : Fête à Versailles §
Lettres en vers et en prose au Roi de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre du 17 août 1669 §
[…]
Dans une Salle préparée
Et de verdure diaprée,
On eut, pour le commencement,
Le joli divertissement
D’une Comédie admirable,
Dont l’ouvrage était remarquable,
Bientôt après, vint le Ballet,
Où l’on joua bien son rôlet.
Chacun y marchant en cadence,
On eut le plaisir de la danse,
Et les superbes vêtements
En augmentaient les agréments.
Les violons, la symphonie,
Les instruments, la mélodie,
Semblaient porter jusques aux Cieux
Ces concerts si délicieux.
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 17 août 1669 §
Dimanche, notre dit GRAND SIRE,
À qui, certe, l’on voit tout rire
Par un sort des plus accomplis
Que n’eût jamais ROI des LYS,
Alla dans son charmant Versailles,
Où la Cour rit et fit gogailles.
On s’y promena dans le Parc,
Où l’Amour vint jouer de l’Arc
Parmi nos charmantes Chrétiennes,
Avec qui ce Dieu fait des siennes.
On visita la Grotte après,
Dans lequel lieu, si beau, si frais,
On ouit une belle Églogue,
Où des Bergers, par Dialogue,
Mille tendres choses chantaient
Dessus les Flammes qu’ils sentaiet,
Secondés d’une Symphonie
Exempte de cacophonie.
On y trouva force Bonbons
Préparés sur des Guéridons,
Et des Bassins de grand calibre
Où de pêcher on était libre.
Au sortir de ce Lieu charmant,
Qui semble d’une enchantement,
On passa dans l’Orangerie,
Ou la même Galanterie
Avait fait, de Feuillages vers,
Mieux qu’on ne peut le dire en Vers,
Ni par le plus grand préambule,
Théâtre, Salle et Vestibule ;
Où la Comédie et le Bal,
Et même un Cadeau tout royal,
Avec des Concerts magnifiques
Qu’on prit pour Concerts Angéliques,
Extasièrent les cinq Sens
De ces illustres Assistants.124
Enfin, mille feux d’artifices,
Pour comble de tant de délices,
Aux Fanfares de vingt Clairons,
Éclatèrent aux environs,
Qui, secondés par de grands Thermes,
Pour qui me manquent les beaux termes,
Produisirent, jusques au Ciel,
Un beau jour artificiel
Qui passait celui de Diane.
Or le cher PRINCE DE TOSCANE,
Pour qui se faisait tout cela,
Et lequel, partant, était là,
Fut tout surpris en conscience,
Avouant que le ROI de FRANCE
Pouvait seul régaler ainsi
Et chacun l’avouerait aussi.
6 octobre : Monsieur de Pourceaugnac §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 12 octobre 1669 §
[…]
Or, du mois courant le sixième,
Pour empêcher qu’on ne s’y chême,
Elle eut un Régale125 nouveau,
Également galant et beau,
Et même aussi fort magnifique,
De Comédie et de Musique,
Avec Entractes de Ballet,
D’un genre gaillard et follet,
Le tout venant, non de Copiste,
Mais, vraiment, du Seigneur BAPTISTE
Et du Sieur MOLIÈRE, Intendants,
Malgré tous autres Prétendants,
Des Spectacles de notre SIRE,
Et, disant cela, c’est tout dire.
Les Actrices et les Acteurs
Ravirent leurs grands Spectateurs,
Et cette merveilleuse Troupe
N’eut jamais tant de Vent en poupe.
On n’admira les Baladins,
Plus souples que Cerfs ni que Daims ;
On fut charmé des Dialogues,
Où, comme dedans les Églogues,
On s’entendait sur les douceurs
Que produit le beau Dieu des Cœurs :
Concluons que, sans lui, la Vie
N’est pas un Bien digne d’envie.
On fut ravi des belles Voix
Qui chantaient ses divines Loix.126
Force Masques, non pas célestes,
Mais, à ce qu’on écrit, très lestes,
Venant illec montrer leur nez,
Avec plaisir furent lorgnés.
Des Avocats y faisaient rire
Plus cent fois qu’on ne saurait dire,
Citant, de plaisante façon,
Et mêmes dans une Chanson,
Tous leurs Docteurs, vieux et modernes,
En les traitant de Gens à Bernes,
Par exemple, Justinian,
Ulpian et Tribonian,
Fernand, Rebufe, Jean, Imole,
Paul, Castic, Julian, Barthole,
Jason, Alciat et Cujas,
Et d’autres qui font un gros tas.
Enfin, maints autres Personnages
Firent là rire les plus sages,
Tout de même que les plus Fous,
Et leur Sagesse eut du dessous.
Un petit Livre dont je tire
Tout ce qu’ici je viens d’écrire
Se tait des Décorations
Dans ses belles Narrations ;
Mais, aux Fêtes du grand MONARQUE,
Pour l’ordinaire l’on remarque
Que ce sont des Enchantements,
Et non de communs Ornements.
Robinet, lettre du 23 novembre 1669 §
Enfin j’ai vu, SEMEL et BIS,
La Perle et la Fleur des Marquis,127
De la Façon du Sieur MOLIÈRE,
Si plaisante et si singulière.
Tout est, dans ce Sujet follet
De Comédie et de Ballet,
Digne de son rare Génie,
Qu’il tourne, certe128, et qu’il manie
Comme il lui plaît incessamment,
Avec un nouvel agrément.
Comme il tourne aussi sa Personne,
Ce qui pas moins ne nous étonne,
Selon ses Sujets, comme il veut,
Il joue, autant bien qu’il se peut,
Ce Marquis de nouvelle fonte,
Dont, par hasard, à ce qu’on conte,
L’Original est à Paris,
En colère autant que surpris
De s’y voir dépeint de la sorte.
Il jure, tempête et s’emporte,
Et veut faire ajourner l’Auteur
En réparation d’Honneur,
Tant pour lui que pour sa Famille,
Laquelle en POURCEAU-GNACS fourmille.
Quoi qu’il en soit, voyez la Pièce,
Vous tous Citoyens de Lutèce ;
Vous avouerez de bonne foi,
Que c’est un vrai Plaisir de Roi.
1670 §
6 janvier : Divertissement royal §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 11 janvier 1670129 §
Toujours la Cour, nombreuse et gaie,
Gîte en son Saint Germain en Laye,
Dont à Paris, il déplaît fort,
Ne pouvant avoir un doux Sort,
Sans voir son Grand, et charmant Sire.
Quelqu’un de là, vient de m’écrire,
Que l’on y prit dernièrement,
Le nouveau Divertissement
Dont la belle Troupe Royale,
Avec tant d’éclat, nous régale :
Et qu’il fut assaisonné d’Airs,
De Pas de Ballet, et Concerts,
Qui, je le dis, sans que je raille,
Relevèrent, encor, la Paille.
Janvier : Ballet royal §
Lettres en vers au Roi de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, 2ème lettre du mois de janvier130 §
La REINE, qu’un chacun contemple
Comme un parfait et rare exemple,
Aux yeux de toute notre Cour,
Au Château neuf fut l’autre jour,
Avec encor Mademoiselle,131
Qui l’aime, et la suit avec zèle,
Pour ouïr un concert charmant,
Qu’on ajuste Royalement,
Pour le Ballet que l’on prépare
D’un air aussi pompeux que rare,
Enfin pour le Ballet Royal,
Qu’on dansera ce Carnaval.
4 février : Divertissement royal, Les Amants magnifiques §
Lettres en vers à Madame de Robinet §
Robinet, lettre du 8 février 1670 §
Comme voici le Carnaval,
Un Divertissement Royal
À présent, notre Cour occupe,
Dont, sans que rien me préoccupe,
Je puis dire, après l’Imprimé
Demi-prosé, demi-rimé,
Qu'en a dressé ce Chantre illustre
Bensérade, Homme du Balustre,
Qu'il passe tout ce qu’on a vu,
De plus grand, de mieux entendu,
De plus galant, plus magnifique,
De plus mignon, plus héroïque,
Pour divertir, en ce temps-ci,
Où l’on met à part, tout souci,
La Cour du plus grand Roi du Monde.
Il y paraît le Dieu de l’Onde,
Et le Dieu de Mont Parnassus,
Avec tant d’éclat que rien plus,
Qui fait que tout chacun admire,
Ce redoutable, et charmant Sire :
Qui, sans contrefaire ces Dieux,
Est, par ma foi, bien plus Dieu qu’eux.
Ailleurs, je reprendrai Carrière
Sur cette pompeuse matière,
Qu'ici, je ne fais qu’effleurer,
Faute de place pour narrer
Ce Spectacle, presque céleste
Et, dedans le blanc qui me reste.
Robinet, lettre du 15 février 1670 §
Le Divertissement Royal
Dont la Cour fait son Carnaval,
Est un Ballet en Comédie,
Je ne crains point qu’on m’en dédie,
Ou bien Comédie en Ballet,
Qui, ce dit-on, grandement plaît,
Par ses Récits, par ses Prologues,
Et les amoureux Dialogues,
De Bergères, et de Bergers,
Constants en amour, non légers
Mais c’est tout ce que j’en puis dire,
Sinon que notre Auguste Sire
Fait danser, et n’y danse point,
M’étant trompé, dessus ce point,
Quand, sur un Livre, j’allai mettre,
Le contraire, en mon autre Lettre.
Robinet, lettre du 22 février 1670 §
Lundi, veille de Mardi gras,
Jour de Crapule, et de grand Repas,
De Bacchanales, et d’Orgies,
De Bals, Ballets, et Momeries,
Le Divertissement Royal
Fut, encor, le digne Régal
De notre belle Cour Française :
Et j’ay su de Gens plus de seize,
Que ce Spectacle si brillant,
Si beau, si pompeux, si galant,
Etait fourmillant de merveilles,
Par qui les Yeux, et les Oreilles
Etaient charmés également,
Et surpris à chaque moment.
Les fréquents Changements de Scène,
D’une façon toute soudaine,
En maints, et maints Objets divers,
Y découvraient, d’abord, des Mers
Dont si vaste était l’étendue,
Qu’elle était à perte de vue :
Et des Amours, & des Tritons,
Y patinaient les frais Tétons
Des Néréides, et Sirènes,
Déesses des Humides Plaines.
D’autre-part, les hautains Rochers
Lesquels sont l’effroi des Nochers,
Y montraient leurs Têtes chenues,
Les proches Voisines des Nues :
Et le Roy des Vents, AEolus,
Qui préside au Flux, et Reflux,
Y paressait sur un Nuage,
Faisant rentrer, dedans leur Cage,
Ces Ennemis des Matelots,
En faveur du grand Dieu des Flots,
Qui désignait là, notre Sire,
Non moins puissant sur son Empire,
Nonobstant certains Envieux,
Qu’il l’est, sur la Terre, en tous Lieux.
Par lesdits Changements, encore,
On voyait, à l’instant, éclore
Des Paysages verdoyants,
Des Berceaux de Vigne, attrayants,
Soutenus par mainte Statue,
Tout de même, à perte de vue,
De riches Vases d’Orangers,
De Citronniers, de Grenadiers,
D'où sortaient Faunes, et Dryades,
Tout ainsi que de leurs Estrades.
Item, des Grottes, des Forêts,
Des Jardins qui faisaient florès,
Des Labyrinthes, des Dédales,
Des Amphithéâtres, des Salles,
Qui se plantaient, se bâtissaient,
Et, se succédant, paraissaient
Plus vite que, perçant la nue,
Un Éclair ne frappe la vue.
Sur ces Théâtres si divers,
Parmi les Airs, et les Concerts,
Il se fit quantité d’Entrées
Qui furent toutes admirées :
Dans lesquelles, outre AEolus,
Et le Dieu Marin, Neptunus,
Parut le Patron du Parnasse,
Qui, dans notre Roi, se retrace,
Ainsi qu’en son grand Lieutenant,
Bien plus adoré maintenant,
Par les Muses, qu’Apollon même,
Tant, certes, sa gloire est extrême.
Or, parmi ce Ballet charmant,
Se jouait, encor, galamment,
Petite, et grande Comédie,
Dont l’une était en mélodie ;
Toutes deux ayant pour Auteur,
Le comique et célèbre Acteur,
Appelé Baptiste Molière,
Dont la Muse est si singulière :
Et qui le Livre a composé,
Demi-rimé, demi-prosé,
Qu'à l’illustre de Bensérade,
Près d’Apollon, dans un haut Grade,
J'ai, bonnement, attribué,
Sur ce que ce grand Gradué,
Fait ces livres-là, d’ordinaire,
Etant du Roi, Pensionnaire.
Il approuvera, je crois, bien,
Qu'en véridique Historien,
La chose, comme elle est, je die,
En chantant la Palinodie :
Et puis, j’ai maint et maint Témoin,
Qu'il n’a, vraiment, aucun besoin
Que les autres l’on appauvrisse,
Afin, du Leur, qu’on l’enrichisse.
Je finis ce Chapitre-ci,
Ajoutant, justement, aussi,
Que cet admirable Génie132
Que nous a fourni l’Italie,
Pour travailler, en bel arroi,
À ces grands Spectacles de Roi,
Avait de ses savantes Veilles,
Tirés les charmantes Merveilles
Qui ravissaient en ce dernier,
Dont il mérite un beau Loyer.
Lettres en vers et en prose au Roi de la Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre de la fin février 1670 §
Grand ROI, de qui la complaisance,
Se joint à la magnificence,
Nous donnant un Ballet Royal
Pendant le temps du Carnaval,
Je puis assurer, je puis dire
Que toute la terre l’admire,
Et qu’on y court de tous côtés
Pour voir ces pompeuses beautés,
Dont les surprenantes merveilles
Charment les yeux et les oreilles :
Et même le Roi Casimir
De le voir ayant le désir,
Dit après ce plaisir aimable
Qu’on ne peut rien voir de semblable,
Et que la Cour du Grand LOUIS
Sur toute autre emporte le prix,
Soit en pompe, soit en richesse
En bonne grâce et politesse.
5 août : Le Ballet de la curiosité accompagnant la tragédie de collège Adraste §
Lettres en vers et en prose au Roi de La Gravette de Mayolas §
La Gravette de Mayolas, lettre de juillet-août 1670 §
Dans le Collège de Clermont
En toutes Sciences fécond,
ADRASTE, rare Tragédie
Parut en belle compagnie ;
Le Révérend Père JOBERT
En Vers, en Prose fort expert,
Pieux et savant Personnage,
A composé ce bel Ouvrage :
Mais le Ballet bien inventé
Fait sur la curiosité
Ne se trouva pas moins aimable,
Que la pièce était remarquable,
Car Beauchamp, qui l’entend fort bien,
En cela n’avait omis rien,
Tous ceux qui la représentèrent
Parfaitement s’en acquittèrent,
Des Acteurs les beaux vêtements
En augmentait les agréments ;
De même tous ceux qui dansèrent
Tant de gentillesse montrèrent
Que leurs gestes, et que leurs pas
Semblaient être faits au compas ;
Aussi l’Assemblée éclatante
Témoignait être fort contente.
6 septembre : Le Gentilhomme de Beauce §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 13 septembre 1670 §
[…]
Puis, on passe dedans un Bois,
Où (le Jour étant aux abois)
On devait, de la Comédie,
Avec Concert, et Mélodie,
Avoir le Divertissement,
Dessus un Théâtre charmant,
Coûtant grand nombre de Pistoles,
Ornés de Lustres, Girandoles,
Festons de feuillage, et de Fleurs,
Des plus éclatantes Couleurs
De Vases d’or, de Porcelaines,
Et, bref, d’argentines Fontaines,
Dont l’eau tombaient, sans aucun bruit,
Dans un Bassin, exprès, construit,
Où, tout au moins, rempli de mousse,
Qui rendait sa chute si douce,
Que l’oreille elle chatouillait,
De l’air dont elle gazouillait,
Sans qu’elle interrompit l’ouïe,
Dans le cours de la Comédie.
À ce Théâtre si riant,
Dressé, je pense, à l’Orient,
On se rendait, par une Allée,
D'un bout à l’autre, bien sablée,
Que trente Arcades partageaient,
Et trente Lustres éclairaient,
Répandant, tous, une Lumière
Qui plaisait plus à la Visière,
Que la Lumière que produit
L'Astre du jour, ou de la Nuit :
Tout cela, pour conclure en somme,
Disposé par un galant Homme,133
Et, comme par Enchantement,
En deux, ou trois jours seulement.
Après ladite Comédie,134
14 octobre : Le Bourgeois Gentilhomme §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 18 octobre 1670 §
Mardi, Ballet, et Comédie,135
Avec très bonne Mélodie,
Aux autres Ebats succéda,
Où, tout, dit-on, des mieux alla,
Par les Soins des deux grands Baptistes,136
Originaux, et non Copistes,
Comme on sait, dans leur noble Emploi,
Pour divertir notre Grand Roi,
L'un, par sa belle Comédie,
Et l’autre, par son Harmonie.
Robinet, lettre du 1er novembre 1670 §
Cependant, notre belle Cour,
De Chambord, vers nous, de retour,
Se prépare à diverses Fêtes
Qu'on doit, pour l’Hiver, tenir prêtes,
Tant en magnifiques Ballets,
Demi-sérieux, et follets,
Qu'en ravissantes Mélodies,
Et, tout au moins, sept Comédies,
À quoi nos seigneurs les Auteurs,
Tant les grands que petits Docteurs,
Travaillent de toute leur force,
Gloire, ou gain, leur servant d’amorce.
Robinet, lettre du 15 novembre 1670 §
J'ajoute, encore, pour la fin,
Qu'à Versaille137, et qu’à Saint Germain,
La Cour s’est, des mieux, divertie,
Ma Muse étant bien avertie,
Par un officieux Mortel,
Que les grands Acteurs de l’Hôtel,
Audit Versaille138, ont fait merveilles,
Charmant les yeux, et les oreilles,
Et que ceux du Palais Royal,
Chez qui, Molière est sans égal,
Ont fait, à Saint Germain, de mêmes,
Au gré des Porte-Diadèmes,
Dans le Régale139 de Chambord,
Qui plût, alors, beaucoup, encor,
Et qu’ici, nous aurons, en somme,
Savoir le Bourgeois Gentilhomme,
Lequel est un sujet follet
De Comédie, et de Ballet.
Robinet, lettre du 22 novembre 1670 §
La première, en forme d’avis,
Dont maints et maints seront ravis,
Est que ce poème de Corneille
Sa Bérénice nonpareille
Se donnera, pour le certain,
Le jour de Vendredi prochain,
Sur le Théâtre de Molière
Et que, par grâce singulière
Mardi, l’on y donne au Public
De bout en bout et ric à ric,
Son charmant Bourgeois gentilhomme
C'est-à-dire, presque tout comme
À Chambord, et dans Saint Germain,
L'a vu notre grand Souverain,
Mêmes, avecques des Entrées
De Ballet, des mieux préparées,
D'harmonieux et grands Concerts,
Et tous les Ornements divers
Qui firent de ce gai Régale140
La petite Oie, à la Royale.
J'ajoute encore brièvement
Qu'on doit, alternativement,
Jouer la grande Bérénice,
Qu'on loue avec tant de justice,
Et le Gentilhomme bourgeois:
L'on pourra, donc, comme je crois,
Beaucoup, ainsi, se satisfaire.
Mais parlons de quelque autre Affaire.
Robinet, lettre du 20 décembre 1670 §
[…]
Enfin, leurs Confidents, aussi,
Dont à côté, les Noms voici141
Y font très bien leur Personnage,
Et dans un brillant Equipage,
Ainsi que tous, pareillement,
Dont l’on ne doute nullement,
Font dans le Bourgeois gentilhomme,
Où La Grange, en fort galant Homme,
Fait le Rôle qui lui sied mieux,
Savoir celui d’un Amoureux.
Ayant vu l’une, et l’autre Pièce,
Avec extase, avec liesse,
J'en puis, ceci, mettre en avant,
Et j’en parle comme savant.
Robinet, lettre du 27 décembre 1670 §
Ajoutons, fermant ce Chapitre,
Et, par icelui, notre Epître,
Qu’on traite cet Ambassadeur
Avecque beaucoup de splendeur :
Et tant lui, que sa Famille,
Laquelle, en Gens, point ne fourmille,
Sont régalés et divertis,
Par les Comédiens, gratis,
L'ayant, l’autre jour, chez Molière,
Eté de façon singulière,
Par son Gentilhomme Bourgeois,
Demi Turc, et demi Français,
Et par de bonnes Confitures,
Pour moi d’agréable Pâtures.
J'en fus Témoin, et j’en vaux dix,
Lorsque j’ai vu ce que je dis.
1671 §
17 janvier : Psyché §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 24 janvier 1671 §
Le dix-sept de ce mois, tout juste,
Ce Ballet pompeux, grand, auguste,
Et bien digne, veramentè,
De divertir la Majesté
Du premier Monarque du Monde,
Tant sur la Terre, que sur l’Onde,
Fut, pour le premier coup, dansé,
En ce vaste Salon, dressé,
Dans le Palais des Tuileries,
Pour les Royales Momeries,
Avec tant de grands Ornements,
Si merveilleux, & si charmants,
Tant de Colonnes, de Pilastres,
Vallans plusieurs mille Piastres,
Tant de Niches, tant de Balcons,
Et, depuis son brillant Plat-fons,
Jusques, en bas, tant de Peintures,
D’Enrichissemens, & Dorures,
Que l’on croid, sur la foi des yeux,
Etre en quelque Canton des Cieux.
D’abord, comme en un Lieu champêtre,
On voit, dans un Lointain, paraître,
Un Port, où la Mer fait flo-flo,
Comme à Dieppe, ou Saint Malo,
Avec de longues Kyrielles,
De Navires & de Nacelles,
De l’un, & de l’autre côté,
Et même, une vaste Cité,
Flore, que le Printemps r’amène,
Se découvre dessus la Scène,
En des Atours fort gracieux,
Avec ses Nymphes, & les Dieux
Tant des Eaux, que des Jardinages,
Qui, pour Valets de Pied, & Pages,
Ont des Dryades, des Sylvains,
Des Fleuves d’Eau douce, & Marins,
Et le reste de leur Séquelle,
Magnifique, & non telle quelle.
Cette Flore, qui fait florés,
Est représentée142 (à peu près)
Par l’illustre Sirène, Hilaire,
Qui, toujours, a le don de plaire,
Avec son angélique Voix,
Ainsi que la première fois.
En charmant Chacun, elle appelle
Venus, l’amoureuse Immortelle,
Afin qu’elle vienne Ici-bas,
Achever, par ses doux Appas,
Les Plaisirs dont la Paix foisonne,
Graces à LOUIS, qui la donne,
En interrompant ses Explois,
Qui pourroyent êtablir ses Loix
Chez tous les Peuples que la Terre,
Dans sa vaste Rondeur, enserre.
Venus, à ses souhaits, consent,143
Et dans le même instant, descend,
En Conche, tout-à-fait, divine,
Dans une superbe Machine,
Ayant, auprès d’elle, son Fils,144
Qui se plaît fort, parmi les Lys,
Avec six autres petits Drôles
Qui savent là, très-bien, leurs Rôles.
Les Grâces la suivent, aussi,145
Par un équitable souci,
En d’autres Machines côtières,
Toutes brillantes de Lumières.
Mais, comme elle a le cœur fâché
Des Honneurs rendus à Psyché,146
Au préjudice de ses Charmes,
N’en pouvant cacher ses alarmes,
Elle fait, bientôt, bande à part,
Et restant seulette, à l’écart
Avec son Fils, en conférence,
Elle l’anime à sa Vengeance,
Puis s’éclipse, jusqu’au Succès,
Qu’aura son amoureux Procès.
Sur ce, roule une Tragédie,
Non pas, c’est Tragi-Comédie,
Faite par deux rares Auteurs147
Qui n’ont que des Admirateurs.
Or, cet excellent Dramatique,
Qu’ici, nullement, je n’explique,
De crainte de prolixité,
Est, comme très-bien concerté,
Entremêlé de huit Entrées
Dignes d’être considérées.
La première est de plusieurs Gens
Qui sont contristez, & dolents
De vois Psiché dans la Disgrâce :
Et qui, dansants de bonne grâce,
Ou chantants fort plaintivement,
En Italien, mêmement,
Expriment leur Deuil, à merveille,
Et ravissent l’œil, & l’oreille.
Une autre, de Cyclopes, suit,
Mais, nullement, à petit bruit,
Car n’étants148 pas des Gens d’extases,
Ils achèvent de pompeux Vases
Pour un beau Palais dont l’Amour
Consacre à Psiché, le Séjour,
L’aimant, & trahissant sa Mére,
Comme un faux & malin Compère :
Et des Fées, aux Forgerons,
Faisans des Pas légers & prompts,
Apportent ces Vases superbes
Dignes des Beaux Vers des Malherbes.
Des Furies, & des Lutins,
Poussez par de mauvais Destins,
À leur tour, entrent en Cadence,
Et n’ont, pour motif de leur Dance,
Que de faire peur à Psiché,
Qui, ceci soit dit sans péché,
Mériterait mieux les Caresse
De beaux Galants, à blondes Tresses.
Apollon, avec les neuf Sœurs,
Qui plaisent fort aux Spectateurs,
Bacchus, de même, avec sa suite,
À faire Brindes, bien instruite,
Momus, avec la Sienne, aussi,
Et Mars, lors, sans guerrier souci
Font, enfin, chacun, une Entrée :
Etants venus de l’Empirée,
Avecque leur Sire, Jupin,
Lequel termine à la parfin,
De Venus, & son Fils, les rixes,
Et par ses Soins, des plus propices,
Rend l’Amour, Epoux de Psiché,
Dont il est, tendrement, touché.
Lors, tous ces Dieux, & leurs Escortes,
Qui sont de nombreuses Cohortes,
Des Déités, jusqu’à trois cents,
Dans ces Cohortes, paraissants,
Sur de grands & brillants Nuages,
Disposez à triples Etages,
Célèbrent, par de beaux Concerts,
Par des Danses, & par des Airs,
La Solennité de la Noce,
Comme s’ils étaient chez Mandoce.
La Scène, au reste, incessamment,
Comme, par un Enchantement,
En différents Objets, se change :
Et, pour une surprise étrange,
On y voit, tantôt, des Palais,
De Marbre, en un tourne-main, fais :
Puis, en moins de rien, en leur place,
Sans qu’il en reste nulle trace,
Des Mers, des Jardins, des Déserts,
Enfin, les Cieux, & les Enfers.
Mais, il me faudrait faire un Livre
Gros comme c’il qui s’en délivre
Chez Balard, Imprimeur du Roy,
(Je vous le dis de bonne foi)
Pour tout raconter, tout déduire,
Et, parfaitement, vous instruire
De ce Spectacle si Royal.
Ainsi, donc, en Auteur féal,
D’y recourir, je vous avise.
Mais, il faut, qu’ici, je vous dise
Que Lundi, je vis ce Ballet,
Grace à Monsieur Carnavalet,
Qui joint, par un rare avantage,
La courtoisie au vrai courage,
Et qui m’ayant, de très-bon cœur,
Fait, bien des fois, même faveur,
En toute rencontre semblable,
Me fit, par un trait amiable,
Entrer ici, certe, à gogo,
Et, c’est-à-dire, tout de go,
Et de maniére aussi facile,
Que j’entre dans mon Domicile.
Robinet, lettre du 7 février 1671 §
Le fameux Ballet de Psiché,
Qu’assez bien, l’on trouva touché,
Dans ma pénultième Epître,
Où j’en fis un fort long Chapitre,
Ce spectacle, plein de beautez,
Est, encor, de Leurs Majestez,
Le cher Ebat Carnavaliste,
Et le principal, sur la Liste,
Des autres Divertissements.
Robinet, lettre du 25 juillet 1671 §
Psiché, l’admirable Psiché,
Dont le mérite est tant prêché,
Paraît, la chose est bien certaine,
Présentement, dessus la Scène,149
Avec tout le pompeux Arroy,
Qu’elle parut aux yeux du Roy :
Et, dedans ma prochaine Epître,
Je m’étendrai sur son Chapitre.
Mais, cependant, ne laissez pas,
D’aller en Foule voire ses merveilleux Appas.
Robinet, lettre du 1er août 1671 §
Je ne puis, après ce Chapitre,
Mieux continuer mon Epître,
Que par l’Article de Psiché :
Car quoi que je l’aie touché,
Autre part, d’une ample manière,
Sur ce Sujet, prenant carrière,
Lors qu’en la Salle des Ballets,
Il parut, avec tant d’Attraits,
Aux yeux de nôtre grand Auguste,
Il est, néanmoins, encore, juste,
Que je reprenne le Souci
D’en parler, derechef, ici ;
Exprimant le Plaisir extrême
Que j’ai ressenti dans moi-même,
Revoyant, au Palais Royal
Ce beau Spectacle sans égal,
Car, laissant là, les flatteries,
Illec, ainsi qu’aux Tuileries,
Il a les mêmes Ornements,
Même éclat, mêmes agréments.
Les Airs, les Chœurs, la Symphonie,
Sans la moindre Cacophonie,
Sont ici, comme ils étaient là.
Vous y voyez, outre cela,
Les divers Changements de Scène
Qu’on ne s’imagine qu’à peine
Les Mers, les Jardins, les Déserts,
Les Palais, les Cieux, les Enfers,
Les mêmes Dieux, mêmes Déesses,
Soit à blondes, ou brunes Tresses.
On y voit, aussi, tous les Vols,
Les aériens Caracols,
Les Machines, et les Entrées,
Qui furent là, tant admirées.
On y voit celle des Pleureurs,
Où s’attendrissent tous les Cœurs,
Celles des Cyclopes, des Fées,
Qui sont, à merveilles, coiffées,
Des Furies, et des Lutins,
Qui, sur mon Dieu, sont bien mutins,
D’Appllon, et des doctes Muses,
Qui ne sont pas Déités buses,
Enfin, de Bacchus, de Momus,
Et de Mars ; et pour vous dire plus,
On y voit (je m’en remémore)
Tous les mêmes Habits, encore.
De sorte que je ne mens point,
En vous répétant sur ce point,
Qu’il est vrai que ce grand Spectacle,
Qui faisait là, crier miracle !
Ce Beau Spectacle tout royal,
Est, encore, ici, sans égal.
Mais, ce qu’il faut qu’encor150, je die,
Est que la Tragi-Comédie,
En vers de nos deux grands Auteurs151
Qui n’ont que des Admirateurs,
Peut, ici, par tout, être ouïe,
Aussi bien que la Symphonie,
Et que tout ce Spectacle, enfin,
S’y voit, aussi, de même, à plein.
Une assez grande Damoiselle,
Blondine, gracieuse et belle,
Et d’assez bon air s’agitant,
Représente Flore, en chantant :152
Et, n’ayant guére, de pareilles,
Charme les yeux, et les Oreilles,
Par sa Voix, et par des Appas
Que toutes Chanteuses n’ont pas.
Item, Mad’moiselle de Brie,
Qui n’est pas native de Brie,
Y fait la Déesse Vénus,
Mais montrant ses Membres moins nus,
Que ladite Beauté céleste,
Comme étant beaucoup plus modeste,
Quoi qu’elle égale en ses Atours,
Cette Déesse des Amours,
Contre Psiché, moult irritée,
De voir sa Beauté plus vantée :
Et cette belle Actrice là
Fait, certe153, des merveilles là.
Deux très-agréables Pouponnes,
Deux très-ravissantes Mignonnes,
Au plus, de six et de dix ans,
Et qui, bref, charment tous les Gens,
Par leurs beaux Vers et par leurs grâces,
Y sont, de Vénus, deux des Grâces,
Dont à côté, voici les noms :154
Et deux petits Gars, fort mignons,
En qualité d’Amours d’élite,
Sont pareillement, à sa Suite.155
Son Fils, nommé le Dieu d’Amour,
Qui là, devient Homme en un jour,
Pour mieux contanter son Amante,
Savoir Psiché, toute charmante,
Est, comme Enfant, représenté,
Par un, lequel, en vérité,
S’acquitte, à miracle, du Rôle
De ce petit céleste Drôle :
Et comme Homme fait, et formé,
Par ce jeune Acteur, tant aimé,
Qui par tout, le Baron se nomme,
Et lequel, des mieux, joue, en somme.
Un Zéphire fort goguenard,
Et qui, d’aimer, sait, très-bien, l’Art
Aide à l’Amour : et c’est, pour rire,
Molière, qui fait ce Zéphire.
Pour Psiché, la belle Psiché,
Par qui maint cœur est alléché,
C’est Mademoiselle Mollière,
Dont l’air, la grâce, la manière,
L’Esprit, et maints autres Attraits
Sont de vrais céphaliques Traits :
Et qui, d’ailleurs, je vous l’avoue,
Divinement, son rôle joue.
Deux Princes sont de ses Amants,
Outre l’Amour, des plus charmants,
Et les Sieurs Hubert, et la Grange
Tiennent leur place, avec louange,
Jouant (faut, aussi, l’avouer)
Autant bien qu’on puisse jouer.
Le grand Acteur, La Thorillière,
Fait un Roy, de Psiché, le Père :
Et montre tout l’air d’un Héros,
Dans son geste, et dans ses propos,
Et si bien dans sa douleur exprime,
Que, dans tous les Cœurs, il l’imprime,
Blâmant un Oracle felon,
Qui, plus cruel que Ganelon,
Veut que cette Fille adorée,
Par un Serpent, soit dévorée :
Lequel Arrêt est rapporté,
Et bien nettement récité,
Par un Acteur brillant et leste,
Mais achevons, vite, le reste.
La belle Affligée a deux Sœurs,
Qui, de ses maux, font leurs douceurs,
Par un effet de Jalousie
Dont leur Ame se sent saisie.
Mademoiselle de Beauval,
Cette Actrice de choix royal,
Avec beaucoup de réussite,
De l’un de ses Rôles, s’acquitte :
Et Mademoiselle Lêtang,
En l’autre, rend chacun contant.
Jupiter, termine la Pièce,
Et remet, par tout, la liesse,
En immortalisant Psiché,
Après avoir, un peu, prêché
Vénus, sa trop colère fille,
De sa Machine qui fort brille :
Et ce Dieu là, c’est du Croisy,
Qui hautement, couronne ainsi,
L’Oeuvre, de la belle manière.
Mais, achevant cette Matière,
Je dois, encore, publier,
Et non pas, vraiment, l’oublier,
Que l’on y voit une Mignonne
Qui mérite qu’on la couronne,
Et que l’on lui donne le Prix,
(Après tout chacun je le dis,
Qui la bátise de Merveille
Qui ne peut avoir de Pareille)
Pour sa manière de chanter,
Qui peut tout le monde enchanter,
Et son aimable petit Geste,
Qui ma foi, paraît tout céleste,
Et vaut que la Ville, et la Cour,
Aille admirer ce jeune Amour.
J’en voudrais dire davantage,
Mais déjà, trop pleine est ma page ;
Ainsi, je date tout au bout.
Du premier jour du mois d’Août.
Robinet, lettre du 14 août 1671 §
En bonne Santé, ledit Sire,
De qui si charmant est l’Emire,
Fait, encor, avecque sa Cour,
À Fontainebleau, son Séjour ;
Et, de ses grands Soins, s’y délasse,
Par fois, dans l’ébat de la Chasse,
Et, par fois, par de doux Concerts,
Où l’on répéte les beaux Airs
Qu’a faits le Sieur Lulli-Batiste,
(Qui ne manque pas de Copiste)
Dedans le dernier grand Balet,
D’un bout, à l’autre, si complet,
Et qu’on revoid dancer, de même,
Avec certe, un plaisir extrême,
Ou, pour mieux dire, sans égal,
Tout joignant le Palais Royal.
Robinet, lettre du 26 septembre 1671 §
La Belle PSICHE, qui tout charme,156
Justes Dieux ! quel sujet d’allarme !
A presques passé, tout de bon,
Dans la Nacelle de Caron,
Où, par feinte, on voit qu’elle passe,
Au Ballet, sans qu’elle trépasse,
Mais son Mal, d’abord, véhément,
Se modère présentement,
Et bien-tôt, étant drue, et saine,
Icelle reprendra son Rôle, sur la Scène.
Robinet, lettre du 3 octobre 1671 §
Souffrez, Grande Altesse Royale,
Qu’au Recueil dont je vous régale,
Aujourd’hui, jour de Samedi,
Je marque d’abord, que Mardi,
Vous fûtes, avec belle Suite,
Et maintes Personnes d’Elite,
Au grand Spectacle de Psiché,
Dont tout le Monde est alléché,
(La chose est très-constante, et sure)
Dans l’agréable Mignature,
Où la digne Troupe du Roy,
Le donne en si brillant arroi,
Et, même, avecque des merveilles
Pour les Yeux, et pour les Oreilles,
Qu’ailleurs, on n’y découvrait point.
Vous savez bien, touchant ce Point,
Grand Prince, que je ne mens mie,
Et, s’il faut qu’ici, je les die,
L’une est cet Amour Féminin,157
Dans un âge tout enfantin,
Qui, par sa Voix, et par son geste,
Et sa grâce toute céleste,
Vous surprit, ravit et charma,
Et, pour Vous, si bien s’anima,
Que, de Vôtre Royale Altesse,
Elle en eût Eloge, et caresse.
L’autre est cet étonnant Sauteur,
Qui, d’une si belle hauteur,
Se culebute, et pirouette,
Sans toucher de pied, main, ou tête,
La Terre, en aucune façon,
Et qui marche, encore, tout de bon,
Sur les mains, de la même sorte,
Qu’un autre, sur ses pieds, se porte :
Dequoi chacun tout étonné,
Croit qu’il s’est, au Diable donné.
Mais, le jour de vôtre Présence
Qui plût, beaucoup, à l’Assistance,
On voyait là, depuis deux fois,
Ce que noter, sur tout, je dois,
Une Merveille sans seconde,
Laquelle charme tout le Monde,
Une Actrice de quatorze ans,
Qui, récitant des Vers, trois cents,
Et cinquante, encore, que je pense,
Jouait un Rôle d’importance,
Et des plus forts, certainement,
Avec tout l’air, tout l’agrément,
Le jugement, la suffisance,
La douceur, la belle prestance,
Et, bref, les agitations,
Et toutes les inflexions
De voix, et de corps, nécessaires,
Dedans les Théâtraux Mystères.
L’Actrice dont je parle ainsi,
Est la petite du Croisi,
D’esprit, et de grâce pourvue,
Et, de vous, assez bien connue ;
Qui, dans deux jours avait appris
Ce beau Rôle qu’elle avait pris
De la grande Actrice choisie,
Beauval, qui, d’un beau feu, saisie,
Sait jouer, admirablement,
Sur tout, un Rôle véhément.
Or cette merveilleuse Actrice,
Lors de Psiché, Coadjutrice,
Jouait son Rôle, et le jouera,
Tandis que malade sera
Mademoiselle de Molière,
Autre Actrice si singulière,
Qui sait jouer si finement,
Si proprement, si noblement,
Que tout chacun, je le puis dire,
À le revoir, en bref, aspire.
Mais ajoutons, encore, ici,
Pour la Pucelle du Croisi,
Deux ou trois petits mots d’Histoire,
Qui font le comble de sa gloire :
À savoir, ô charmant Héros !
Que vous chantâtes là, son los,
Et l’exaltâtes, comme un Ange,
Avec Madame de Thiange,
L’illustrissime de Brégis,
Dont un seul bon mot en vaut dix,
Et, bref, Madame de Fiennes,
Laquelle des Louanges siennes,
Avec justice, la combla :
Et comme j’ouïs tout cela,
Ainsi qu’un Echo très-fidèle,
Je le répète en faveur d’elle.
3 mars : Pomone §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 11 avril 1671 §
À propos, le grand Opéra,
Qui fait tant de bruit dans Lutèce,158
Attira la Royale Altesse
Pour qui je m’escrime des Doigts,
Mardi, pour la seconde fois,
Avec sa jeune, et belle Infante,
Déjà si vive, et si brillante :
Et deux des plus lestes Sauteurs,
Avec pareils nombre d’Acteurs,
Collation leur présentèrent,
Que les derniers accompagnèrent
D’un compliment très-musical.
Or cet agréable Régal
Se faisait, ainsi qu’on le prône,
De par la Déesse Pomone,
Qui, de beaux Fruits de son Jardin,
Voulut les régaler soudain,
Avec une galanterie
Qui parut une enchanterie.
Je dois être, à mon tour, Mardi,
De ce grand Spectacle, ébaudi :
Et puis, je ne faudrai d’en mettre
Un plus ample Article en ma Lettre.
Robinet, lettre du samedi 18 avril 1671 §
Je l’ai vu cet Opéra là,
Et je pensais n’avoir pas là
Suffisamment, d’yeux, & d’oreilles,
Pour toutes les rares Merveilles
Que l’on y peut ouïr, & voir,
Et qu’à peine, on peut concevoir.
À commencer, donc, par la Salle
Où ce grand Spectacle s’étale,
C’est un Vaisseau large, & profond,
Orné d’un superbe Plafond,
Avecque trois longs rangs de Loges,
Aussi lestes que pour des Doges,
Et, qui plus est, de bout-en-bout,
Afin que nul n’y soit de bout,
Un très-commode Amphithéâtre,
D’où l’on peut tout voir au Théâtre.
À l’Ouverture, on est surpris
De voir le Quartier de Paris,
Le plus riant qui s’y découvre,
Savoir le beau Quartier du Louvre :
Et l’on ne l’est pas, encore, moins,
Au dire de tous les Témoins,
D’ouïr certaine Symphonie,
Qui, sans nulle Cacophonie,
Ouvre le Prologue charmant,
Qui se fait, au même moment,
Dessus cette superbe Scène,
Par la Nymphe de nôtre Seine,
Avec Vertumne, Dieu Latin,
Qui vient, par un noble Dessein,
Divertir notre auguste Sire,
Et le faire, tant soit peu, rire,
Lui retraçant, en Vision,
Par agréable Illusion,
Son Hymen, que la Fable prône,
Avec la Déesse Pomone.
Dés que ce Prologue prend fin,
Le Théâtre, en un tourne-main,
Sans laisser de lui, nulle trace,
À de riants Vergers, fait place :
Où la Déesse, aussi-tôt, vient,
Et, contre l’Amour, s’entretient,
Avec les Nymphes, qui comme elle,
Ayans, pour lui, le cœur rebelle,
Le traitent de Peste, et font vœu,
De ne jamais, aimer son Jeu,
Quoi que Flore, Sœur de Pomone,
Très fortement, les y semone,
En leur exprimant les Plaisirs
Qu’avec ses Amans, les Zéphires,
Elle goûte, chaque journée,
Le matin, & l’après dinée.
Ainsi, donc, le Dieu des Jardins,
Ne pousse que des soupirs vains
Auprès de ladite Déesse
Dont il fait chois, pour sa Maîtresse,
Ainsi Faune, sans aucun Fruit,
Aussi, de sa flamme, l’instruit :
Et quand, pour tâcher de lui plaire,
Ces deux sots Amans ont fait faire
Merveille, l’un à ses Bouviers,
Et cet autre, à ses Jardiniers,
Par des Chansons, & par des Danses,
Ils en ont, pour leurs Récompenses,
Des Guirlandes, ô quels Guerdons !
Toutes d’Epines, et Chardons.
Voila comment maintes Cruelles,
Traitent leurs Amans plus fidelles,
Mais, sans, sur ce, moraliser,
Lors que je dois nouvelliser,
Voila, mes Lecteurs, la Matière
Du premier Acte, toute entière,
Et, par tant de diversités,
Jugez quelles sont ses Beautés.
Dedans les quatre autres, Vertumne,
Busquant, tout de même, Fortune,
Proche l’Intendante des Fruits,
Dont les Sens sont, aussi, séduits,
Sans cesse, exprès, il se transforme,
Et passe sous diverse Forme,
Espérant, par là, de son cœur,
Se rendre, à la fin, le Vainqueur.
Tantôt, donc, il paraît, belle-erre,
En Pluton, sortant de la Terre,
Suivi des Démons, ses Valets,
Et fait voir son pompeux Palais.
Après, voyant que la Déesse
Méprise sa grande Richesse,
Il se transfigure en Bacchus,
Lui vante son aimable Jus,
Et se croit, par là, vent en poupe,
Au milieu d’une grosse Troupe,
De Follets, qui sont transformez,
Et tous, en Satires, formez.
Ensuite, le Dieu, se patronne
En la Nourrice de Pomone,
Qui, sur Elle, avait plein pouvoir,
Afin de la mieux décevoir,
Or, cette Vieille dépitée
De voir sa figure empruntée
Par Vertumne qu’elle aime, aussi,
Et qui, d’elle, n’a nul souci,
Veut découvrir le Pot aux Roses :
Mais quittant ses métamorphoses,
Il reprend, lors, son natureau
De jeune & charmant Damoiseau,
Et fait offre à cette Déesse,
De son cœur, avec tant d’adresse,
Qua, par un Sort assez plaisant,
Elle en accepte le Présent,
Et qui paressait n’aguiére,
Envers Monsieur Amour son frère.
Vertumne, d’aise transporté,
Fait, lors, pour sa Divinité,
Je ne sais combien de merveilles,
Qui n’ont point, ailleurs de pareilles,
Et que, pour les bien concevoir,
Il faut, nécessairement, voir.
Car l’on ne saurait bien d’écrire
Ces Prodiges que l’on admire,
Ces magnifiques Changements
Qui se font à tous les moments,
Ces vols surprenants, ces Machines
Qui passent, presque, pour divines,
Ces chœurs de Musique, ces Airs,
Et cent autres Charmes divers,
Qui font passer ce grand Spectacle,
Quoi qu’un simple Essai, pour Miracle.
À la Muse du Sieur Perrin,
Qui, des mieux, connaît le Terrain,
Du Mont sublime du Parnasse,
De ce bel Ouvrage, on doit grâce.
C’est elle qui persévérant
Dans ce Labeur, pénible, & grand,
Va, par telle persévérance
Combler la Gloire de la France,
Où ces rares Spectacles-ci,
Ne s’étaient point vus jusqu’ici.
Il ne faut pas, aussi, qu’on nie,
Qu’un des chers suppôts d’Uranie,
Cambert, n’ait une grande part
À l’Honneur, par son divin Art :
Animant toutes les Parties
De ce Corps, très-bien assorties,
De si merveilleuse façon,
Qu’il ne se peut mieux, tout-de-bon.
Mais une Louange, il nous reste,
Bien juste, je vous le proteste,
Et je le dis, sans nul mic-mac,
C’est un Marquis de Sourdiac,
Lequel, des Fonds de sa Finance,
A tiré la belle Dépense
Nécessaire dans un tel Cas,
De, deux fois, vingt mille Ducats,
Qui font, la chose est très-constante,
Par tout, deux mille Ecus de rente,
Mais sur ce sujet, sufficit,
Passons à quelque autre Récit.
Robinet, lettres du samedi 20 juin 1671 §
[…]
En achevant ce mien Ecrit,
J’aprens de Personne d’Esprit
Ce qu’il faut, donc, que je publie,
Que la Concorde est rétablie,
Entre Messieurs de l’Opera,
Et qu’hier, méme, il opéra,
En reproduisant sa Pomone,
Plus vermeille qu’une Anémone,
Et qu’on reverra, pour certain,
Encor, au méme Lieu, demain,
Ainsi que tout du long de l’aune,
L’annonce leur Affiche jaune.159
Fin janvier : Mascarade §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 31 janvier 1671 §
[…]
Le Vendredi, sur nouveaux frais,
Tout de nouveau, l’on fit florès,
L’on eut, encor, la Comédie,
Avec charmante Mélodie,
Par cette Troupe, où Floridor,
Paraît, toujours, comme un Médor.
On eut, encor, Chère semblable,
Ce qui veut dire, incomparable,
Et bref, on eut, encor, le Bal,
Où tout le beau Congrès Royla,
Composait une Mascarade
Que l’illustre de Benserade
Pourrait, seul, décrire en ses Vers
Admirez de tout l’Univers.
5 août : Ballet des Songes accompagnant la tragédie de collège La Prise de Babylone §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 8 août 1671 §
[…]
À propos, encore, de Trépas,
En cet Endroit, n’oublions pas,
De marquer que la Tragédie,
Où Balthazar perdit la Vie,
Fut un Spectacle, Mercredi,
Dont Maint, et Maint fut ébaudi,
Qui, là, d’entrer, eut Privilège,
Savoir au célèbre Collège
Que l’on appelle de Clermont :
Ou pareils Spectacles se font,
Pour y rendre plus solennelle
La Distribution annuelle
Des Prix établis par le ROY ;
Non pas, non, de je ne sais quoi,
Mais de Volumes d’importance,
Où brille sa magnificence,
En faveur des grands Studieux,
Pour qui sont ces Prix glorieux.
Or la susdite Tragédie,
Qui fut à merveille, applaudie,
De tous ceux du Pays Latin,
Ce que je dis est très-certain,
Etait d’un grand Ballet des Songes,
Qui ne sont pas, toujours, Mensonges,
Accompagnée, avec éclat,
Si bien qu’on n’y voit rien de plat.
Beauchamp rempli d’intelligence,
Comme on sait, pour la belle Dance,
Avait pris soin de ce Ballet,
Demi-sérieux, & follet,
Et les Pères, de tout le reste :
Surquoi160, fort surement, j’atteste,
Et plusieurs, aussi, me l’ont dit,
Que rien de commun ne s’y fit,
Ainsi que c’étaient toutes merveilles
Pour les Yeux, & pour les Oreilles,
Quoi que le beau Sexe enchanteur,
Qui plaît le plus au Spectateur,
Et qui fait qu’on est Idolâtre,
La plupart du Temps, du Théâtre,
N’agisse ni peu, ni prou là,
Dedans ces beaux Spectacles là.
3 novembre : Les Amours de Diane et d’Endimion §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 14 novembre 1671 §
[…]
Mais en cette Fête Royale,
Le meilleur de tout le Régale,
Fut certain petit Opéra
Que toute la Cour admira.
On y voit, comme en Mignature,
Et très délicate Peinture,
La belle, et tendre Passion
De Diane, et d’Endimion,
Charmant Berger qu’aucun n’égale :
Et cette Pièce musicale,
Contient cent mignonnes beautés,
Et cent rares diversités
Dignes d’être considérées,
Et, voire, des plus admirées.
Le Prélude propre au Sujet,
Par un grand bruit de Cors, se fait,
Après lequel, Pan, Dieu Sauvage,
Sort du milieu d’un vert Bocage,
Avec des Faunes, et Sylvains,
Qui sont plus légers que des Dains :
Et chantant un Air de liesse,
Les avertit que la Déesse
Paraît, déjà, dedans les Bois,
Pour mettre une Bête aux abois,
Et les exorte d’importance,
À joindre leurs Chants, et leur Danse
Pour lui plaire, et la divertir,
Ce qu’ils font des mieux, sans mentir ?
Lors, le bruit des Cors recommence,
Et, dans l’instant, même, s’avance
Une troupe d’ardents Chasseurs,
De Diane, les Précurseurs,
Lesquels annoncent sa venue :
Et si-tôt qu’elle est aperçue,
Le Chasseur, avec le Sylvain,
La demi-Pique, et Tirce, en main,
Dansent, ensemble, devant Elle.
Puis cette brillante Immortelle,
Les ayan tous fait retirer,
Pour en liberté, respirer,
Avecque ses Nymphes, seulette,
Elle pousse une Chançonnette
Qui découvre que ses désirs,
Ses passions, et ses plaisirs,
Se terminent tous dans la Chasse,
Où maint Gibier elle terrasse.
Elle rentre après, dans le Bois,
De son Destin, suivant les Loix,
Qui jusques-là, bornent ses Fêtes,
À vaincre et massacrer des Bêtes.
Mais un des Faunes qui l’oyait,
Quand de la sorte, elle chantait,
En vient, tout seul, ensuite, rire :
Et se mêle de lui prédire
Qu’un jour, les Mystères d’Amour
Pourront bien lui plaire à leur tour.
Par là, finit le premier Acte,
Selon qu’en ma mémoire exacte,
J’en ai le détail retenu :
Et voici tout le contenu
Du second, sans erreur quelconque.
D’abord, au fonds d’une Spelunque,
Se voit Endimion qui dort,
Jouissant d’un tranquil Sort :
Mais l’Amour qui veut qu’il soupire,
Vient, et l’un de ses Traits lui tire,
Et, par d’autres petits Amours,
Lesquels volent à son secours,
Ce Dieu des plaisirs, et des peines,
Le fait, encor, charger de chaînes,
Afin de s’assurer mieux :
Mais, en voulant couronner ses feux,
Il va, soudain, à la Déesse,
Inspirer la même tendresse.
Six des Amours, en ce miment,
Tout-à-fait, agréablement,
Dansent de joie, une Bourrée,
Laquelle, grandement, agrée :
Et le Berger, lors, éveillé,
Qui, de la sorte, est enrôlé,
Dessous le Dieu, par qui l’on aime,
S’en plaint comme d’un mal extrême.
Il est consolé, toutesfois,
Par Dame Echo, de qui la voix
Lui répond qu’il faut qu’il espère,
Et qu’Amour lui sera prospère.
Enfin, viennent des Fagoteurs,
Lesquels, en habiles Sauteurs ;
Amassant leur bois, en cadence,
Forment, encore, une Danse :
Et le Faune qui met son nez,
Aux affaires, de tous côtés,
Aussi, parmi-eux, se présente,
Et, les raillant, derechef, chante,
Puis le beau Goguenard s’enfuit,
Et, par là, cet Acte finit.
Dans le trois, qui ferme la Pièce,
Diane montre sa liesse,
D’avoir eu, selon ses souhaits,
Dans sa Chasse, en entier Succès :
Mais on l’oit, en même temps, plaindre,
De ce qu’elle se sent contraindre,
À brûler pour le beau Chasseur,
Dont la vue a charmé son Cœur,
Auparavant, comme insensible,
Et, bref, à l’Amour, invincible.
Afin de charmer ses douleurs,
Elle s’en va cueillir des Fleurs
Qu’elle aperçoit dans un Parterre :
Et, lors, six Cueilleuses, belle-erre,
Viennent devant Elle, danser.
Or, pour la mieux embarrasser,
L’Amour, en son Art, un grand Maître,
Fait, encor, le Berger paraître,
Qui, derechef, lui plaît si fort,
Que, malgré tout son vain effort,
Elle s’en déclare vaincue :
Et voilà la Pièce conclue,
Hors que les Faunes, avec Pan,
Lequel se carre comme un Paon,
Les Cupidons, avec leur Sire,
Et les Bergers, pour vous tout dire,
Viennent, par leurs Chants, et leur Pas,
De ce Couple rempli d’Appas,
Célébrer l’aimable Aventure :
Qui, ce me semble, est la Peinture,
Du Triomphe de mon Héros,
Si digne d’amour, et de los,
Sur la belle et rare Princesse
Qui va, de sa Royale Altesse,
Répondant à son Amitié,
Etre l’excellente Moitié.
Pour retourner à l’Opéra,
Le Lecteur, s’il lui plaît, saura,
Que l’Autheur est un Gentilhomme161
De Monsieur, qui Guichard se nomme,
Et, toute flaterie à part,
D’écrire, en Vers, et Prose, a l’Art,
Voire, de manière galante,
Naturelle, aisée, et brillante,
Laquelle lui coûte si peu,
Que tout, pour lui, n’est rien qu’un Jeu :
Ayant fait cette Pastorale,
Dont le détail je vous étale,
En quinze jours, tant seulement,
Et néanmoins, heureusement,
Au reste, le Sieur de Sablière,162
D’intelligence singulière,
En la Musique, a fait les Chants,
Tout de même, en très-peu de temps.
Leviez, dont la voix est plus belle
Que n’est celle de Philomelle,
Y représente Endimion,
Avec pleine admiration.
Sa Diane, chose certaine,
Est une petite Syreine,
Dont le Chant est beaucoup chéri,
Qu’on nomme Mad’moiselle Aubry.
Pour l’Amour, c’est un petit Ange
Qui vaut un excès de louange,
Et c’est, pour vous le dire, enfin,
La jeune, et mignonne Turpin,
Qui par sa voix, et par sa grâce,
Tous les autres Chantres, surpasse.
1er ou 2 décembre : Le Ballet des ballets §
Lettres en vers à Monsieur de Robinet §
Robinet, lettre du 5 décembre 1671 §
Un Ballet, Ballet des Ballets,
Des plus longs, & des plus complets,
Pour charmer l’Ouïe, & la Vue,
Préparé pour la Bien-venue
De Madame, dans nôtre Cour,
Y fut dansé, le dernier jour,
Avec une Pompe éclatante,
Qui tous les Spectateurs enchante.
Lorsque le Détail, j’en saurai,
Le Lecteur j’en entretiendrai.
Robinet, lettre du 20 février 1672 §
Depuis quinze Jours on redanse,
En la Royale Résidence,
Ce Ballet fait, non sans grands frais,
Nommé le Ballet des Ballets :
Où, pendant sept heures qu’il dure,
Sans qu’aucun ennui l’on endure,
On voit les extraits éclatants,
De Ballets faits depuis vingt ans,
De qui l’on a pris les entrées163
Les Concerts les mieux concertez
En un mot, toutes les beautés
Qui, le plus, notre Cour, charmèrent
Pendant le temps qu’ils les dansèrent.
Si bien que c’est un compilé,
De qui l’on est émerveillé,
Ou, s’il faut qu’ainsi je le die,
Une pompeuse rapsodie,
Qui par ses lambeaux bien connus,
Vaut incomparablement, plus
Que les plus superbes spectacles,
Fussent-ils remplis de miracles.
On ne peut, pour trancher court,
Se voir ailleurs qu’en nôtre Cour.
Au reste, Molière, l’unique,
Molière, lequel fait la nique
Par son comique, à tous Auteurs,
Y joue, avec tous les acteurs
Qui composent sa compagnie,
Une pièce de son Génie,
Qui, pleine de gais Agréments,
Fait, des susdits pompeux fragments,
Toute la liaison et l’âme,
Je vous assure, en belle gamme.
Mais j’ay mal dit, mes chers Lecteurs
Disant qu’avec tous les acteurs
Qui composent sa Compagnie,
Il jouait là sa Comédie.
Hélas ! le monstre si canard,
Qui nous perce164 de son dard,
Cloton, depuis mainte semaine,
Par une avanie Inhumaine,
Tirait une actrice au collet
Laquelle d’un Rôle follet
Et d’un sérieux tout de même
S’acquitait avec gloire extrême,
Et, bref, comme un original
Dont mainte autre copiera mal,
Certain air, & certaine grâce,
Comme une chose qui la passe.
C’était Mademoiselle Béjart,
Qui, toute flatterie à part,
Faisait très bien son personnage,
Et que ladite anthropophage
Occit de son trait meurtrier,
À la fin, mercredi dernier :
Ayant paru bonne chrétienne,
Autant que bonne Comédienne,
Et rempli, ce dit-on, du mieux
Ce rôle des plus sérieux
Que, bien ou mal, tout mortel joue
Quand la Parque lu fait la moue.