1677

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677, tome V

2014
Source : Le Nouveau Mercure galant, Theodore Girard, juillet, 1677.
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V)I. §

[Sonnet de Monsieur de Fontenelle à une de ses Amies qui l’avoit prié de luy apprendre l’Espagnol] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 1-6II.

Je vous l’avouë, Madame, j’ay de la joye que les Lettres que vous me permettez de vous adresser ayent un si grand cours dans le monde : & l’embarras où je me trouve quelquefois pour choisir parmy ce qu’on m’apporte de tous costez, ce que je croy de plus curieux, pour vous, ne diminuë rien du plaisir que je me fais de contenter le Public, en luy faisant part de ce que je vous envoye.

Je commence par un Sonnet qui n’est pas dans l’exacte régularité, mais qui ne laisse pas d’avoir son agrément par ses expressions naturelles. Une aimable Fille dont la conversation est un charme pour tous ceux qui la connoissent particulierement, avoit prié un de ses Amis, façon d’Amant, de luy apprendre l’Espagnol, parce qu’elle avoit entendu dire que cette Langue avoit je ne sçay quoy de majestueux & de fier qui répondoit assez à son caractere. On ne refuse rien à ce qu’on aime. Il s’engagea volontiers à ce qu’elle souhaitoit de luy, & pour l’en mieux assurer, il luy envoya ce Sonnet dés le jour mesme.

SONNET.

Parce que l’Espagnol est une Langue fiere,
Je vous le dois apprendre ? Et bien soit, commençons ;
Mais ce que je demande à ma belle Ecoliere,
C’est de ne se servir jamais de mes Leçons.
***
Déja si fierement vostre ame indifferente
Oppose à mon amour qu’il ne faut point aimer,
Que mesme en Espagnol, y fussiez-vous sçavante,
Vous auriez de la peine à vous mieux exprimer.
***
Croyez-moy, le François vaut bien qu’on le préfere
A la rude fierté d’une Langue Etrangere.
De ce qu’il a de libre empruntons le secours.
***
Mais que de son costé l’Espagnol se console ;
Car ne pouvons-nous pas mesler dans nos amours,
Et liberté Françoise, & constance Espagnole ?

[Eloge de Marqués petit Chien Arragonnois, du mesme Autheur] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 5-14III.

Ces quatorze Vers, si vous ne voulez pas les appeller un Sonnet, sont de Mr de Fontenelle ; & comme vous ne me tiendrez pas quite, si je ne vous envoyois rien davantage de luy, en voicy d’autres qu’il fit il y a quelque temps, & dont l’enjouëment a paru fort agreable. C’est un Chien qui en a fourny la matiere, & elle ne semblera peut-estre pas assez relevée aux délicats ; mais pourquoy dédaigneroit-on de faire des Vers pour un Chien, puis qu’un de nos plus renommez Autheurs a fait autrefois les loüanges de la Fiévre Quarte ? Marqués est un tres-joly petit Animal. Il fut apporté dés ses premiers mois d’Arragon en France, & il merite bien l’Eloge que vous allez voir.

ELOGE DE MARQUÉS,
petit Chien Arragonnois.

Sçavez-vous avec qui, Philis, ce petit Chien,
 Peut avoir de la ressemblance ?
 Çà, devinez, songez-y bien,
 La chose est assez d’importance.
***
Pour percer le mistere, & vous y faire jour,
Examinez Marqués, son humeur, sa figure ;
Mais enfin cette Enigme est-elle trop obscure ?
Vous rendez-vous ? Il ressemble à l’Amour.
***
A l’Amour, direz-vous ! la comparaison cloche,
Si jamais on a veu comparaison clocher.
Est-ce que de l’Amour un Chien peut approcher ?
 Oüyda, Philis, il en aproche.
***
 Mais en aprocher ce n’est rien
Je diray davantage, & j’augmenteray bien
 La surprise que je vous cause ;
Vostre Chien & l’Amour, l’Amour & vostre Chien,
 C’est jus vert, vert jus, méme chose.
***
Marqués sur vos genoux a mille privautez,
Entre vos bras il se loge à toute heure,
Et c’est là que l’Amour établit sa demeure,
Lors qu’il est bien reçeu de vous autres Beautez.
***
On voit Marqués se mettre aisément en colere.
 Et s’apaiser fort aisément ;
Connoissez-vous l’Amour ? voila son caractere,
Il se fache & s’appaise en un méme moment.
***
Afin que vostre Chien ait la taille mieux faite,
 Vous le traitez assez frugalement,
Et le pauvre Marqués qui fait toûjours diete,
 Subsiste je ne sçay comment.
***
L’Amour ne peut chez vous trouver de subsistance,
Vous ne luy servez pas un seul mets nourissant.
 Et s’il ne vivoit d’esperance,
 Je croy qu’il mourroit en naissant.
***
Avec ce petit Chien vous folâtrez sans cesse,
 En folâtrant, ce petit Chien vous mord,
On jouë avec l’Amour, il badine d’abord,
 Mais en badinant il vous blesse.
***
 Loin de punir ce petit Animal,
 Ne rit-on pas de ses morsures ?
Encor que de l’Amour on sente les blessures,
A l’Amour qui les fait on ne veut point de mal.
***
On veut qu’un Chien soit tel que quand il vient de naistre,
Et de peur qu’il ne croisse on y prend mille soins.
 Il ne faut pas en prendre moins,
 Pour empécher l’Amour de croître.
***
Vous carressez Marqués parce qu’il est petit ;
S’il devenoit trop grand, il n’auroit rien d’aimable ;
 Un petit Amour divertit ;
 S’il devient trop grand, il accable.
***
Mais j’entens que Marqués se plaint du mauvais tour
 Que luy fait ma Muse indiscrete.
Ah ! vous me ruinez, vous gâtez tout, Poëte,
Dit-il, en me faisant ressembler à l’Amour.
***
L’Amour n’est pas trop bien aupres de ma Maistresse ;
Si vous ne le scçavez, elle l’a toûjours fuy,
 Et c’est assez pour perdre sa tendresse,
Que d’avoir par malheur du raport avec luy.
***
En mon état de Chien j’ay l’ame assez contente,
Je suis heureux par cent bonnes raisons ;
J’ay bien affaire, moy, que vos comparaisons
Viennent troubler ma fortune presente.
***
 Et si pour ressembler aux Dieux
 Ma Maistresse me disgracie,
A vostre avis, m’en trouveray-je mieux ?
Non, non, c’est trop d’honneur, je vous en remercie.
***
Ah ! mon pauvre Marqués, ce seroit grand’pitié,
Qu’apres avoir quitté pour elle Pere & Mere,
La Patrie aux grands cœurs toûjours aimable & chere,
 Tu te visses disgracié
 Pour une cause si legere.
***
Non, cela ne se peut, fay valoir tes appas ;
Cher Marqués, ta Maistresse aime que tu la flates,
Caresse-la, tiens-toy sans cesse entre ses bras,
En aboyant, en luy donnant tes pattes.
Explique-toy le mieux que tu pourras.
***
Et loin qu’elle te soit cruelle,
Parce qu’avec l’Amour on te voit du raport,
Fay que l’Amour trouve grace aupres d’elle,
 Puis qu’il te ressemble fort.

[Avanture de Monsieur le Vicomte de.] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 14-33IV.

Pensez de ces Vers tout ce qu’il vous plaira ; vous estes de méchante humeur si vous regrettez le temps que vous aura pû couster leur lecture, & je ne me hazarderois pas volontiers apres cela, à vous conter familierement ce qui est arrivé depuis peu à M. le Vicomte de *** Je ne sçay si vous le connoissez. Il est naturellement Galant, & il a peine à voir une Femme aimable sans luy dire des douceurs, mais il est délicat sur l’engagement, & pour le toucher il ne suffit pas toujours d’estre Belle. Il y a quelque temps que parmy des Dames de sa connoissance qu’il rencontra aux Thuilleries, il en vit une dont la beauté le surprit. Il demanda qui elle estoit, entra en conversation avec elle, luy dit d’obligeantes folies, & luy rendit Visite le lendemain. La Dame le reçeut aussi favorablement qu’elle l’avoit écouté aux Thuilleries. Le Vicomte fait figure dans le beau monde, & elle n’eust pas esté fâchée qu’on l’eust crû de ses Soûpirans. Il eut quelque assiduité pour elle, & il ne la vit pas longtemps sans connoistre qu’il estoit aimé ; mais toute belle qu’elle est, elle n’eut point pour luy ce je ne sçay quoi qui pique : Ses manieres luy déplurent ; il luy trouva une suffisance inconsiderée, un esprit mal tourné, quoy qu’elle ne soit pas sans esprit ; & comme il cessa de luy dire qu’il l’aimoit dés la quatriéme Visite, il eut absolument cessé de la voir, sans une jeune Parente qu’il rencontra chez elle, & qui fut tout-à-fait selon son cœur. Elle n’estoit pas si belle que la Dame, mais elle reparoit ce defaut par des agrémens qui pour un Homme de son goust estoient bien plus touchans que la beauté. Elle ne disoit rien qui ne fust juste & spirituel, c’estoit une maniere aisée en toutes choses, point de contrainte, point d’affectation. Elle chantoit comme un Ange, & toute sa Personne plût tellement au Vicomte, que ce ne fut que pour elle seule qu’il continua ses assiduitez où il la voyoit. Comme elle ne le pouvoit recevoir chez elle, il se mit assez bien dans son esprit pour sçavoir quand elle devoit rendre Visite à sa Parente, & si elle n’y pouvoit venir de trois jours, il passoit aussi trois jours sans y venir. Ce manque d’empressement n’accommodoit point la Dame, qui s’estoit laissée prendre tout de bon au merite du Vicomte. Elle crut que le trop de fierté qu’elle luy marquoit en estoit la cause, & resolut de s’humaniser pour le mettre avec elle dans une liaison dont il ne luy fust pas permis de se dédire. Elle commença par de petites avances flateuses qui jetterent le Vicomte dans un nouvel embarras. Ce n’est pas qu’il soit insensible aux faveurs des Belles, au contraire il n’y a rien qu’il ne fasse pour s’en rendre digne, mais il veut aimer pour cela, & à moins que cet assaisonnement ne s’y trouve, les faveurs ne sont rien pour luy. Ainsi quand il avoit le malheur de se rencontrer seul avec la Dame, il ne manquoit jamais à luy parler de Cambray ou de S. Omer. Elle avoit beau l’interrompre pour tourner le discours sur les affaires du cœur, il revenoit toûjours à quelque attaque de Demy-lune ; & si la Dame se montroit quelquefois un peu trop obligeante pour luy, il recevoit cela avec une modestie qui la chagrinoit encor plus que les Contes de Guerre qu’il luy faisoit. Cependant la belle humeur où il se mettoit si-tost qu’il voyoit entrer l’aimable Parente, causa un desordre auquel il n’y eut plus moyen de remedier. La Dame ouvrit les yeux, observa le Vicomte, connut une partie de ce qu’il avoit dans le cœur, & entra un jour dans un si furieux transport de jalousie contre sa Parente, apres qu’il les eut quittées, qu’elle luy defendit sa Maison. Le Vicomte qui n’en estoit point averty, fut surpris de ne la point voir le lendemain au rendez-vous qu’elle luy avoit donné ; il y retourna inutilement les deux jours suivans, & ne sçachant que s’imaginer de ce changement, il chercha l’occasion de luy parler chez une Dame où il sçeut qu’elle alloit assez souvent. Ce fut là que cette aimable Personne luy apprit l’insulte qu’on luy avoit faite pour luy. Il en eut un chagrin inconcevable, & luy ayant juré qu’il ne reverroit jamais sa peu touchante Parente, il resvoit chez luy aux moyens qu’il devoit tenir pour la rupture, quand on luy en apporta un Billet. La Dame s’estoit avisée de se vouloir plaindre de sa froideur ; mais comme elle cherchoit toûjours pus à luy plaire qu’à le fâcher, elle crut que pour ne le pas effaroucher par ses reproches, il falloit du moins les rendre agreables par leur maniere ; & s’imaginant que les vers autorisoient ceux qui aiment à s’expliquer plus librement que la Prose, elle s’estoit adressée à un Homme qui la voyoit quelquefois & qui en faisoit d’assez passables. Tout fut mistere pour luy ; Elle luy dit seulement les choses dont on se plaignoit, & il fallut qu’il fist les Vers sans sçavoir ny à qui ils devoient estre envoyez, ny qui estoit la Dame qui avoit sujet de se plaindre. Les voicy tels que le Vicomte les reçeut.

 Vous m’avez dit que vous m’aimez,
Et je vous l’ay d’abord oüy dire avec joye ;
 Mais que voulez-vous que j’en croye,
 Si vous ne me le confirmez ?
***
La langue est quelque chose, & de son témoignage
 Le charme est doux à qui l’attend ;
Mais croyez-vous que pour estre content,
 Il ne faille rien davantage ?
***
Ce n’est pas tout de dire, il faut estre empressé
A convaincre les Gens de ce qu’on leur proteste ;
 Et quand la langue a commencé,
 C’est au cœur à faire le reste.
***
Il est cent petits soins qu’un Esprit complaisant
Trouve à faire valoir quand l’amour est extréme ;
 Et c’est souvent en se taisant,
 Qu’on dit plus fortement qu’on aime.
***
Des regards enflâmez, un soûrire flateur,
Font aux Amans entendre des merveilles ;
Et j’aime mieux ce qui se dit au cœur,
 Que ce qu’on dit pour les oreilles.
***
Tout doit tendre à donner des preuves de sa foy ;
 Le reste, pures bgatelles.
Lors que vous me voyez, le grand ragoust pour moy,
 Que vous me contiez des nouvelles !
***
Dites-moy mille fois que charmé de me voir,
Vous ne trouvez que moy d’aimable sur la terre ;
A quoy bon me parler de combats et de guerre,
 Quand j’ay de vous autre chose à sçavoir ?
***
Qu’on ait fait quelque exploit d’une importance extréme,
 Un autre peut me l’expliquer ;
Mais un autre que vous, du moins sans me choquer,
 Ne peut me dire, je vous aime.
***
C’est par vous que ces mots sont pour moy pleins d’appas.
Cependant que faut-il de vous que je soupçonne ?
Si je vous tens la main, vous ne la baisez pas,
Quoy que vous ne soyez observé de personne.
***
Il semble que toûjours timide, circonspect,
Vous estant dit Amant, vous n’osez le paroistre,
Et que chez vous l’Amour, qui par tout fait le Maistre,
 Soit enchainé par le respect.
***
Non, non, vous n’aimez point, j’en ay la certitude,
J’ay voulu me flater en vain jusqu’à ce jour ;
L’aveu que je reçeus d’abord de vostre amour,
 Fut une douceur d’habitude.
***
 C’est sans vous laissez enflâmer,
Que vostre cœur quand il vous plaist soûpire ;
 Et vous ne sçavez pas aimer,
 Vous sçaver seulement le dire.

Ces Vers que le Vicomte auroit trouvez jolis sur toute autre matiere, luy déplûrent sur celle-cy. Il estoit déja de méchante humeur. Il dit qu’il envoyeroit la Réponse ; & pour la rendre de la mesme maniere qu’il avoit reçeu le Bille, il alla emprunter le secours d’un de ses plus particuliers Amis. Ce qu’il y eut de plaisant, c’est que c’estoit celuy mesme qui avoit déja fait les Vers de la Dame, & qui ayant appris toute son Histoire par le Vicomte, fut ravy de trouver une occasion si propre à se vanger de la finesse qu’elle luy avoit faite. Le Vicomte le pria de mesler quelque chose de malicieux dans cette Réponse, & de la faire assez piquante pour obliger la Dame à ne souhaiter jamais de le revoir. Il y consentit d’autant plus volontiers, que la Dame luy ayant caché qu’elle eust interest à l’affaire, il ne devoit pas craindre de se broüiller avec elle, quand mesme elle viendroit à découvrir qu’il eust fait les Vers. Il les apporta une heure apres au Vicomte, qui les envoya dés le jour mesme. Ils estoient un peu cavaliers, comme vous l’allez voir par leur lecture.

Ce n’est pas d’aujourd’huy qu’en Chevalier courtois
 J’en conte aux Belles d’importance ;
 Mais il fait mal seur quelquefois
 Me faire une agreable avance
 Sur la trop credule esperance,
 Que de semblables passe-droits
 M’obligeront à la constance.
Mon cœur à s’engager jamais ne se résout,
Et des plus doux attraits fust la Belle assortie
Qui croit tenter mon humble modestie,
 Quand ma complaisance est à bout,
 J’aime mieux quitter la partie,
 Que de risquer à gagner tout.

Apparemment la Dame se le tint pour dit, du moins elle dût connoistre par là que le Vicomte n’avoit aucune estime pour elle. Il ne se sont point veus depuis ce temps-là ; & je tiens les particularitez de l’Histoire de celuy qui a fait les Vers.

Sur le Jubilé de Son Altesse Royale §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p 74-80V.

Dans le mesme temps que le Roy a fait éclater sa pieté par toutes ces magnificences, Monsieur a donné des marques publiques de la sienne, en venant gagner icy son Jubilé qu’il n’avoit pû gagner à l’Armée. Il a fait ses Stations avec un zele qui a édifié tout le monde. Cependant il s’est trouvé un Scrupuleux qui luy a donné quelque avis sur la préparation où ce grand Prince se devoit mettre pour une action si pieuse. Jugez, Madame, par la lecture de ces Vers, si le scrupule a deû l’arrester.

SUR LE JUBILÉ
de
Son Altesse Royale.

Vous pensez donc, Seigneur, gagner le Jubilé,
Sans reparer l’outrage & l’affront signalé,
 Que par une injustice étrange
 Dont toute l’Europe a parlé,
 Vous fistes au Prince d’Orange
 Dans vostre dernier Démeslé ?
***
Ne vous souvient-il plus avec quelle furie
Vous fustes l’attaquer au milieu de ses Gens,
 Le saint jour de Pasques fleurie ;
 Et quelle horrible boucherie
 Vous fistes des pauvres Flamans
 Qui vouloient defendre sa vie ?
***
 Pour luy, graces à son Cheval,
Qui l’a plus d’une fois secouru dans la fuite,
 Il eut plus de peur que de mal,
 Et par une sage conduite,
Abandonnant son bagage & sa suite,
Il alla repasser à Bruges le Canal.
***
Mais en estes-vous moins coupable ?
Et renvoyer ainsi ce Prince à sa Maison,
Confus, dans un état lugubre, pitoyable,
 Sans luy faire aucune raison,
 N’est-ce pas un crime effroyable
Dont on ne peut jamais esperer le pardon ?
***
Je ne sçay qu’un moyen pour vous tirer d’affaire,
L’avis m’en est venu d’un sage Directeur ;
 Mais à vous dire vray, Seigneur,
 Sa Morale est un peu severe,
 Et la chose pour un Vainqueur
 Est assez difficile à faire.
***
Jurez qu’estant vaincu dans quatre ou cinq Combats,
Vous quitterez aux Flamans la Campagne
Que vous rendrez Saint Omer à l’Espagne,
Que vous soufrirez tout des Troupes d’Allemagne,
 Et cela fait, ne doutez pas
Qu’on ne vous puisse absoudre de tout cas.

Ces Vers m’ont esté donnez comme estant du Pere Comire Jesuite, qui en fait si bien de Latins. C’est un Homme dont le merite est connu. Il n’en faut point d’autre preuve que la correspondance qu’il entretient avec tous les Sçavans, & l’estime particuliere qu’a pour luy Monsieur l’Evesque de Paderbon. Le sufrage de ce grand Prélat est un titre incontestable de gloire pour tous ceux à qui il croit qu’il soit juste de l’accorder.

[Autres Vers sur ses Conquestes] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 80-84VI.

Puis que nous sommes revenus à la Bataille de Cassel, il faut que je vous fasse part de ces Vers qu’a faits Mr Martinet Ayde des Cerémonies, sur les Victoires de Son Altesse Royale.

A MONSIEUR,
Sur ses Conquestes.

Cassel estoit connu par ces grandes journées,
Qui couvrirent d’honneur deux Testes couronnees.
Sous le Nom de Philippe également heureux
Si l’on vit triompher ces Princes genereux,
Superbe de leur Nom, & jaloux de leur Gloire,
Comme eux d’un pas hardy tu cours à la Victoire ;
Mais ta rare conduite a dequoy nous charmer,
Tu cherches l’Ennemy sans quitter Saint Omer.
Sans détacher les tiens du pied de la muraille,
Tu préviens le Secours, tu gagnes la Bataille,
Et tout couvert de sang, reviens d’un pas vainqueur
Donner aux Assiegeans de la force & du cœur.
Se voyant hors d’estat de defendre la Place,
Déja les Assiegez ont recours à ta grace :
D’une Ame si Royale on doit tout esperer,
Et ta clemence est seuûre à qui veut l’implorer.
De ces fameux Héros tu ranimes la cendre,
On croit en te voyant voir un autre Alexandre :
Ta Valeur admirable, & de tes Faits inoüis
Font reconnoistre en toy le pur sang de Loüis.
Viens bannir de nos cœurs la crainte & les alarmes,
Au Vainqueur des Vainqueurs viens consacrer tes armes,
Des Drapeaux ennemis viens charger ses Autels,
Payer à ses grandeurs des Tributs immortels,
Et par un humble aveu de sa haute puissance,
Signaler & ton zele & ta reconnoissance.
Sans elle un coup fatal eust rompu les accords
Qui tiennent attachez & ton ame & ton corps ;
Laisse pour quelques jours respirer ton Armée,
Et tandis que par tout la prompte Renommée
Ira semer le bruit de tes travaux guerriers,
Viens respirer toy-mesme à l’ombre des Lauriers.

[Devise sur le mesme Sujet] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p 84-86VII.

J’adjoûte à ces Vers une Devise qui a esté faite pour Monsieur, & que beaucoup de Gens d’esprit ont estimée. Elle a pour corps une Lune qui entre dans les Signes du Soleil, & voicy les Paroles qui luy servent d’ame. Sequitur vestigia Fratris. Pardonnez-moy ces trois mots Latins, Madame. Quand ils seroient d’une Langue entierement inconnuë pour vous, vous n’auriez besoin pour les entendre, que du dernier de ces six Vers qui sont au dessous de la Devise.

Tant de Monstres divers ne sçauroient arrester
 Ce bel Astre dans sa carriere :
 Mais plein de force & de lumiere,
 Nous voyons que sans s’écarter,
 Dés qu’il paroist sur l’Hemisphere,
 Il suit fidellement les traces de son Frere.

Je croy qu’il seroit difficile de donner à Monsieur une plus forte loüange. En effet, suivre les traces du Grand Louis, c’est aller plus loin que les plus fameux Conquerans n’ont jamais esté. Nos beaux Esprits s’exercent encor tous les jours sur une si vaste matiere.

[Vers de M. de Mimur sur les Conquestes du Roy] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 86-95VIII.

Je ne vous envoye point ce qui a esté imprimé, & qui pourroit n’estre point nouveau pour vous. Je m’arreste seulement à ce qui ne peut avoir esté veu que de fort peu de Personnes, & c’est par là que je vous fais part de ces Vers, où vous trouverez plus de naturel, que de cette élevation pompeuse qui a quelquefois plus de grands mots que de bon sens. Ils sont de Mr de Mimur, dont le Pere est Conseiller au Parlement de Dijon. Ce jeune Gentilhomme fut donné pour Page de la Chambre à Monseigneur le Dauphin, dans le temps que Monsieur de Montausier fut fait Gouverneur de ce Prince. Quoy que Mr de Mimur n’eust pas encor dix ans, il passoit déja pour un prodige. Il sçavoit parfaitement l’Histoire & la Chronologie ; les Sciences les plus relevées luy estoient familieres, & il en donna déslors d’assez glorieuses marques, en confondant plusieurs Personnes qui en presence d’un grand Prince, s’attacherent à luy faire des Questions. Son merite augmente tous les jours, aussi-bien que sa modestie, qui l’auroit toûjours empesché de laisser courir ces Vers, si ses Amis n’avoient eu assez de memoire pour en tirer une Copie malgré luy.

VERS IRREGULIERS
pour le Roy.

 Quel desir pressant m’inquiete,
Et quel jeune transport d’une ardeur indiscrete,
Eleve mon esprit jusqu’au plus grand des Rois ?
Quoy ! temeraire avec ce peu de voix,
Qui serviroit à peine à parler de nos Bois,
Ou du travail que fait l’Abeille au Mont Himette,
Oserois-je chanter comme en moins de deux mois
Loüis a sçeu ranger trois Villes sous ses Loix ?
Oserois-je conter la sanglante Défaite
 Qui met le Flamand aux abois,
 Et tant de surpenans Exploits,
Où n’auroit pas suffy le plus fameux Poëte,
Que dans son heureux Siecle Auguste eut autrefois ?
***
Non, à quelque dessein que mon zele m’engage,
Je connois mon génie, & ne me flate pas.
Je n’entreprendray point de tracer une image
Qui le peigne aussi fier qu’on le voit aux Combats
Attacher la Victoire incertaine & volage,
Et la rendre constante à marcher sur ses pas.
***
C’est cependant par ses derniers progrés,
 Que la Frontiere desormais
Verra le Laboureur dans sa fertile terre
S’enrichir tous les ans des tresors de Cerés,
Et sans estre allarmé des malheurs de la Guerre,
Joüir en seureté des douceurs de la Paix.
***
Venez montrer ce front où brille la Victoire,
Ramenez nos beaux jours, ramenez nos plaisirs,
 Revenez, & faites-nous croire
 Que vous preferez nos desirs
 Aux interests de vostre gloire.
Hé ! quoy tant de travaux avant qu’à nos Vergers
Le Printemps ait rendu leur verdure ordinaire,
 Ne peuvent donc vous satisfaire ?
Toûjours nouveaux desseins, toûjours nouveaux dangers.
Grand Roy, ménagez mieux une teste si chere,
Le Belge n’a que trop senty vostre colere :
Prenez à l’avenir un peu plus de repos,
Et laissez desormais des Conquestes à faire,
A l’ardeur que je vois dans un jeune Héros
Qui cherche à se montrer digne Fils d’un tel Pere.

On ne peut douter que Sa Majesté n’ait exposé sa personne à bien des périls, puis qu’il ne s’est rien fait où l’on n’ait marqué les alarmes de la France pour cet Auguste Monarque.

[Epistre en Vers de M. de Ramboüillet à Monsieur le Prince de Marsillac] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 93-101IX.

Voyez-le encor, Madame, dans cette Lettre de Mr de Ramboüillet à Monsieur le Prince de Marsillac Grand-Maistre de la Garderobe, Monsieur de Breteüil l’a leuë au Roy, à qui elle n’a pas déplû, & je croirois vous dérober un plaisir, si je negligeois à vous l’envoyer.

A MONSIEUR
LE PRINCE DE
MARSILLAC.
Epistre.

Au lieu de jeûner le Caresme,
D’estre avec un visage blême,
A faire vos Devotions,
Et vacquer à vos Stations,
Tout ce temps vous avez fait rage
Parmy le sang & le carnage,
Vous n’avez, malgré les hazards,
Songé qu’à forcer des Ramparts ;
Vous avez pris trois grandes Villes,
Des Flamans les plus seurs aziles ;
Mesme vous avez fait périr
Ceux qui venoient les secourir,
Puny leur audace insolente,
Dans une Bataille sanglante,
Ce que les plus grands Conquerans
A peine eussent fait en quatre ans.
 Loüis, l’ame de ces merveilles
Qui n’eurent jamais de pareilles,
Trouve maintenant à propos
Que les corps prennent du repos,
Il a bien voulu leur permettre
Quelque sejour pour se remettre.
Luy cependant fait mille tours,
L’ame veille, elle agit toûjours,
Et repasse sur toute chose,
Pendant que le corps se repose.
 Mais on dit que dans peu de temps
Vous allez vous remmettre aux champs ;
Où Diable allez-vous donc encore ?
Est-ce au Nort, est-ce vers l’Aurore ?
Voulez-vous vous mettre sur l’eau,
Et passer la Mer sans Vaisseau ?
Les Dauphins de la Mer Baltique,
Les Baleines du Pole Arctique,
(Ma foy vous n’aurez qu’à vouloir)
Viendront vos ordres recevoir,
Et sur le Zelandois rivage,
Vous mettront, Canon & Bagage.
 Ce n’est pas si grand’chose enfin,
Vous avez bien passé le Rhin,
Cette Barriere si terrible,
Dont le passage est si pénible,
Que Rome maistresse de tout,
A peine en vint jadis à bout.
Ayant Loüis à vostre teste,
Vous n’aurez rien qui vous arreste,
A ce Héros tout réüssit,
Tout luy succede, tout luy rit.
C’est par là que ceux dont les veuës
Ne sont pas assez étenduës,
Exaltent autant son bonheur
Que sa prudence & sa valeur,
Mais ce qu’ils disent, bagatelles.
Lors que les Ministres fidelles,
Dont avec soin on a fait choix,
Sont au dessus de leurs Emplois ;
Qu’avecque justice on dispense,
Et la peine & la récompense,
Qu’on sçait toutes choses prévoir,
A tous les accidens pourvoir,
Et que jamais on ne viole
Le Don sacré de sa parole,
Avec ces talens merveilleux,
Il est bien aisé d’estre heureux.
 Cependant pour trop entreprendre,
Vous pourriez plus perdre que prendre :
Il est vray qu’il faut que chacun
Contribuë au bonheur commun.
On doit sacrifier sa vie
A la gloire de sa Patrie.
Ainsi, Seigneur, malgré les coups
Que le Rhin vit tomber sur Vous,
Tous les jours une ardeur nouvelle
Vous fait exposer de plus belle.
 Mais il est bon de regarder,
Qu’il ne faut pas tout hazarder,
Et que les Testes couronnées
Doivent au moins estre épargnées.
Comment souffrez-vous que le Roy
(Je n’y pense point sans effroy)
Soit à toute heure aux mousquetades,
Toûjours en bute aux canonades ?
Vous, Seigneur, qui matin & soir
Avez le bonheur de le voir,
Vous sçavez, & devez luy dire,
(Quoy que des Dieux son sang il tire,
Qu’il soit le plus grand des Héros,)
Qu’il est pourtant de chair & d’os,
Et qu’il a besoin d’une armure
La mieux trempée & la plus dure.
Si Philippe n’en eust point mis,
Il n’eust pas sur ses ennemis
Dans cette Bataille fameuse
Remporté la Victoire heureuse,
Et nous verrions dans la douleur,
Madame qui rit de bon cœur.
 L’armure pourtant la meilleure,
N’empesche pas qu’on n’y demeure.
Le Canon est encor plus fort,
Turenne en a senty l’effort,
Et Loüis sçait mieux que personne,
Que tout cede où le Boulet donne.
Ainsi vous devez tout oser
Pour l’empescher de s’exposer.
Qui doit toûjours estre le Maistre,
En ce point ne doit jamais l’estre.
 Le plus seur est de revenir,
Rien n’a droit de vous retenir
Lors que des Beautez desolées,
D’ennuis loin de vous accablées,
Ne les finiront que le jour
Qu’elles vous verront de retour.

Cet Article seroit mal finy, si je n’y joignois ces Vers qui ont esté chantez devant le Roy avec une entiere satisfaction de tous ceux qui ont eu le plaisir de les entendre.

Grand Roy, fameux Héros à qui tout est soûmis,
Tremblerons-nous toûjours comme vos Ennemis ?
Ne pourrons-nous jamais apprendre sans alarmes,
 L’étonnant succés de vos armes ?
Laissez porter la guerre en cent Climats divers,
 Sans vous exposer davantage ;
Mais vous serez plutost Maistre de l’Univers,
 Que de vostre Courage.

Ces Paroles sont de Mr de Frontiniere. Il est si connu de toutes les Personnes de qualité qui ont le goût des bonnes choses, qu’on ne sçauroit mieux loüer ce qu’il fait, qu’en disant qu’il en est l’Autheur.

[Air de M. de Moliere sur des Paroles de M. de Frontiniere, chantées devant le Roy par Madem. Jacquier] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 101-105X.

C’est luy qui a fait l’Opéra de Narcisse, dont vous avez oüy dire tant de bien. Mr de Lully y travaille avec beaucoup d’application ; & comme on ne peut douter que sa Musique ne réponde à la douceur & la beauté des Vers, on a sujet d’en attendre quelque chose de merveilleux. La plus grande partie des belles Paroles qui ont esté mises en Chant par Mr Lambert depuis plusieurs années, sont de ce mesme Mr de Frontiniere. L’Air de celles que je vous envoye, a esté fait par Mr Moliere. C’est un admirable Génie. Vous voyez bien que je vous parle de celuy qu’on appelle icy communément le petit Moliere. En verité, Madame, j’ay peine à vous pardonner vostre attachement pour la Province, puis qu’il vous a privée du plaisir que vous auriez reçeu de deux Opéra de sa composition qui ont esté chantez depuis deux ou trois ans dans une Maison particuliere, & dans la sienne. Le concours y a esté grand, & ils ont fait tant de bruit, que le Roy les a voulu entendre à Saint Germain. Ils y ont esté representez plus d’une fois, & Sa Majesté les a toûjours écoutez avec une attention qui marquoit mieux que toute autre chose la satisfaction qu’Elle en recevoit. Aussi faut-il avoüer que le petit Moliere donne des agrémens bien particuliers à tout ce qu’il fait. Il exprime admirablement les passions, & il trouve des tons qui suffiroient seuls à faire connoistre ce que les Acteurs representent. C'est ce qu’on estimoit en luy dans le temps qu’il travalloit aux Balets du Roy (ce qu’il a fait longtemps seul, & depuis avec Mr de Lully, jusqu’à ce que ce dernier ait esté Surintendant de la Musique.) Il a toûjours pris soin de mesler ce que la Musique Françoise a de plus doux, avec le profond de la Science des Italiens ; & ce qui a esté un fort grand avantage pour luy, il n’a presque jamais travaillé que sur de belles Paroles.

[Sujet de deux Opera mis en Musique par le mesme] §

Mercure galant, juillet tome V, 1677, p. 105-110XI.

Celles de ceux deux derniers Opéra qui ont eu pour sujet les Amours de Cephale & de l’Aurore, & les Avantures d’Andromede, sont de Mr l’Abbé Tallemant le jeune. Il me seroit inutile de vous parler de son merite & de son esprit, l’un & l’autre vous est connu. Je vous diray seulement que si vous aviez entendu les Vers de ces deux Ouvrages de Theatre, vous connoistriez qu’ils répondent parfaitement aux belles choses que vous avez déja veuës de luy. On y a remarqué un art merveilleux ; & ce qui a fort contribué à les rendre aussi agreables qu’ils sont, c’est qu’il a trouvé moyen d’en retrancher les Personnages, qui n’estant point interessez dans le sujet de la Piece, ne peuvent jamais estre qu’ennuyeux. Je reviens aux Paroles de Mr de Frontiniere. Elles ont esté chantées devant le Roy par la petite Mademoiselle Jaquier. C’est un Prodige qui a paru icy depuis quatre ans. Elle chante, à Livre ouvert, la Musique la plus difficile. Elle l’accompagne, & accompagne les autres qui veulent chanter, avec le Clavessin dont elle jouë d’une maniere qui ne peut estre imitée. Elle compose des Pieces, & les jouë sur tous les tons qu’on luy propose. Je vous ay dit, Madame, qu’il y a quatre ans qu’elle paroist avec des qualitez si extraordinaires, & cependant elle n’en a encor que dix. Je ne sçay si en la voyant, vous ne diriez point ce qu’on a entendu dire à un des plus beaux Esprits que nous ayons. Il la regardoit, & surpris de tous ces miracles, il dit agreablement, qu’il voyoit bien que c’estoit elle, mais qu’avec tout cela il n’en voudroit pas jurer. Si nous estions au temps où l’on croyoit les Silphes & les Gnomes, on pourroit douter que ce n’en fust une production. Toutes celles qui touchent le Clavessin, & dont le nombre est grand, ont fait ce qu’elles ont pû pour la surprendre, & ont esté en suite contraintes de l’admirer comme les autres, ou d’attribuer à la Magie ce qu’elles ne peuvent faire comme elle.

[Avanture des Thuilleries] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 110-133XII.

Je passe à une Avanture qui merite bien que vous l’appreniez. Un Cavalier qui se fait appeller Marquis, & que l’on prendroit pour cela, à ses airs & à ses manieres, d’un bout à l’autre des Thuilleries, devint amoureux d’une Dame qui a de la jeunesse, de la beauté & de l’esprit. Il aima, il fut aimé. Jusques-là il n’y a qu’honneur, tout est dans les Regles ; mais comme il est assez rare que l’Amour laisse joüir les Amans d’une longue tranquillité, & que le relâchement commence toûjours par quelqu’une des Parties, le Cavalier (à la honte de son Sexe) commença à se rallentir ; ses Visites devinrent moins frequentes, ses soins moins empressez ; & les Amis de la Dame qui estoient en état de juger sainement de la conduite du Marquis, parce qu’ils ne s’estoient pas laissé ébloüir comme elle à ses grands airs, & à l’éclat de son merite, n’eurent pas de peine à s’appercevoir de la diminution de sa tendresse. Une de ses Amies se chargea du soin de l’en avertir (Commission dangereuse, & qui attire d’ordinaire plus de haine que de reconnoissance.) Elle s’y prit pourtant d’une maniere assez délicate ; il y eust eu de la grossiereté, & mesme de la dureté, à luy dire tout d’un coup qu’elle n’estoit plus aimée, & que tout le monde connoissoit que le Marquis en faisoit sa Dupe. La Morale est d’un grand secours dans ces sortes d’occasions : on ne fait ses applications que quand on veut, & cependant on a la liberté de dire que les Hommes de ce temps-cy sont faits d’une étrange maniere ; que les Femmes sont bien folles de conter sur leur fidelité, & mille autres choses qui ne sont que trop veritables. Ce fut à peu pres le discours que cette Dame tint à son Amie. D’abord cela se passa en plaisanterie, elle en convint, ou du moins elle fit semblant d’en convenir, parce qu’il y avoit un Homme present à cette conversation, à qui elle estoit bien aise de faire la guerre ; mais enfin la chose fut tout de nouveau si fort rebatuë apres son départ, que la Dame regardant son Amie avec quelque sorte d’inquietude, ne put s’empescher de luy demander pourquoy elle traitoit cette matiere si à fond, & si elle avoit appris quelque chose du Marquis qui luy en fist craindre pour elle quelque mauvais tour. Cette Amie répond qu’elle ne sçait rien de positif, qu’elle sçait seulement qu’il a beaucoup de vanité, & qu’elle gageroit bien que si on luy donnoit un Rendez-vous par un Billet de la part d’une Inconnuë, il se feroit une agreable affaire d’y courir, & que peut-estre mesme il ne se defendroit pas de la sacrifier, si la nouvelle conqueste avoit du brillant. La Dame qui aimoit le Marquis, prend fortement son party ; & sur cette contestation, elle voit entrer une aimable Provinciale de ses intimes Amies, qui n’estoit que depuis deux jours à Paris. On la fait arbitre du Diferend. La Belle, que quelque intrigue particuliere n’avoit pas trop bien persuadée de la probité des Hommes, se declare contre le Marquis. L’affaire consistoit en preuve, & l’expédient en fut trouvé. La Provinciale avoit de l’esprit & de la beauté ; elle estoit inconnuë au Marquis, & on convint qu’elle luy donneroit un Rendez-vous où elle se trouveroit avec la Dame, qui déguisée en Suivante, seroit témoin de tout ce qui se passeroit. La chose est executée sur l’heure ; on fait écrire le Billet, & il est porté chez le Marquis par un Grison qui a ordre de le laisser au premier qui luy ouvrira, & de s’en revenir sans attendre de Réponse. Ce Billet paroissoit d’une Dame qui avoit disputé long-temps entre sa pudeur & le merite du Cavalier, & qui apres beaucoup de resistance inutile, n’avoit pû s’empescher de luy donner un Rendez-vous au lendemain dans l’Allée la plus écartée des Thuilleries, où elle devoit luy apprendre des choses ausquelles elle ne pouvoit penser sans rougir. Le papier, la cire, la soye, le chiffre, le caractere, enfin tout sentoit son bien ; & il y avoit dans la Lettre de certaines manieres de s’exprimer, qui faisoient juger que la Dame n’avoit pas moins de qualité que d’esprit. Le Marquis trouve cette Lettre à son retour, l’ouvre avec empressement, la lit, la relit, & croyant tout possible sur la foy de sa vanité, il ne songe plus qu’à se mettre en état de faire une entrée pompeuse & magnifique dans le cœur d’une Dame qu’il veut croire tout au moins Duchesse. La Broderie, le Point de France, les Plumes, une Perruque neuve, enfin rien n’est épargné. Un Valet de chambre a ordre de tenir tout prest pour cette grande journée ; & apres que le Marquis a fait plus d’un jugement temeraire sur quelques Dames qu’il soupçonne de la Lettre & du Rendez-vous, il se couche & s’endort sur l’agreable pensée dont il se flate, qu’il doit estre le lendemain le plus heureux de tous les Hommes. Ce lendemain si desiré arrive, il se met sous les armes, & apres avoir consulté quatre ou cinq fois son Miroir, & tout ce qu’il a de Laquais chez luy, il monte en Carosse, & se fait mener aux Thuilleries. L’Allée du Rendez-vous estoit si bien designée qu’il ne s’y pouvoit tromper. L’aimable Provinciale arrive un moment apres avec la Dame interessée : l’une dans une propreté qui donnoit un nouvel éclat aux agrémens de sa personne, & l’autre assez negligée pour ne démentir point le personnage qu’elle s’estoit resoluë de joüer. Ce ne fut pas un leger sujet de chagrin à cette derniere, de voir la diligence de son Amant à se trouver au lieu qui luy avoit esté marqué pour le Rendez-vous. Elle ne doute plus de ce qu’il est capable de faire contre elle ; & pour n’estre point détrompée, il ne s’en faut guere qu’elle ne souhaite que quelque rencontre impréveuë oblige le Marquis à se retirer. Elle demande un peu de temps à son Amie pour se remettre de l’émotion que cette avanture luy cause. Elle l’observe, & si le hazard fait entrer quelque Dame dans l’Allée où il se promene seul, elle est au desespoir de voir avec quelle misterieuse complaisance pour luy-mesme il se prepare à recevoir l’heureuse declaration qu’il attend. Ce sont saluts redoublez à chaque personne bien faite qui passe ; & à la maniere chagrine dont elle voit qu’il se détourne quand il connoist que ce n’est point à luy qu’on en veut, elle juge de la disposition où il est de luy manquer de fidelité. Enfin l’impatience la prend, elle a trop fait pour n’achever pas. La belle Provinciale qui n’attendoit que son consentement pour s’acquiter de son rolle, entre dans l’Allée du Marquis, avance lentement vers luy, le regarde, s’arreste, & apres avoir donné lieu à quatre ou cinq gracieuses reverences qu’elle luy fait, elle luy demande ce qu’il peut penser d’une Dame qui le prévient par des declarations si contraires à la retenuë de son Sexe. Quoy que ce qu’elle avoit à dire fust concerté, la matiere estoit délicate, & elle ne put commencer à la traiter, sans sentir un je ne sçay quel trouble qui mesloit beaucoup de pudeur à l’effort qu’elle sembloit faire sur elle-mesme. Le Marquis est charmé de l’embarras où il la voit. Il s’applaudit, reïtere ses reverences, & luy faisant deviner qu’il n’ose rien dire à cause qu’il est écouté de la Suivante, il apprend d’elle que c’est une Fille pour qui elle n’a rien de caché, & dont le secours luy est necessaire pour la liaison qu’elle veut prendre avec luy. Grandes protestations d’une eternelle reconnoissance. Elles sont suivies de la plus instante priere de luy laisser voir l’aimable personne à qui il est redevable de tant de bontez. L’adroite Provinciale répond que quoy qu’elle tienne un rang assez considerable dans le monde, il sera difficile qu’il la connoisse, parce qu’ayant toûjours aimé la retraite, elle a vescu jusques là pour ses plus paticulieres Amies ; que son merite la force à ne vouloir plus vivre que pour luy ; & que s’il est discret, il trouvera en l’aimant toutes les douceurs qu’on peut esperer de la plus sincere correspondance. Tout cela est dit d’un air modeste & embarassé, qui achevant de charmer le pauvre Marquis, redouble l’impatience qu’il a de voir si son visage répond à l’idée qu’il s’en est formé. Elle oste son Loup ; & comme elle a beaucoup de brillant, & qu’un peu de rougeur avoit donné une nouvelle vivacité à son teint, elle paroist aux yeux du Marquis la plus belle Personne qu’il ait jamais veuë. Il ne trouve point de termes à luy exprimer son ravissement. Il est charmé, il meurt pour elle, & voudroit estre en lieu de pouvoir se jetter à ses genoux pour la remercier comme il doit des favorables sentimens qu’elle luy témoigne. Elle remet son Masque, & profitant de l’effet qu’ont produit ses charmes, elle luy fait connoistre que quoy qu’elle n’ait pû vaincre le penchant qui luy a fait faire un pas si dangereux contre l’interest de sa gloire, elle a une délicatesse qui ne luy permet pas de s’accommoder d’un cœur partagé ; qu’elle sçait qu’il a de l’attachement pour une Dame en qui elle veut croire beaucoup de merite, mais que cet attachement est si fort incompatible avec celuy qu’elle luy demande, que s’il ne peut obtenir de luy de rompre, il ne doit jamais esperer de la revoir. Le Marquis la laisse à peine achever. La Dame qu’elle luy a nommée le touche si peu, qu’il ne manquera point de pretexte pour la rupture, & il n’y a point de sacrifice qu’il ne luy fasse pour se rendre digne de ses bontez. Jugez si la fausse Suivante qui entendoit tout, passoit bien son temps. Sur cette assurance force promesses de part & d’autre de s’aimer eternellement. On prend des mesures pour se voir. L’aimable Provinciale nomme un lieu connu où le Marquis se trouvera seul dés le soir mesme entre onze heures et minuit, & où la Suivante aura soin de le venir prendre pour le mener chez elle à dix pas de là. En mesme temps il entre du monde dans l’Allée. Elle en prend occasion de se separer du Marquis, oste son Loup de nouveau, & lui disant un adieu tendre des yeux, le laisse le plus amoureux de tous les Hommes. Il arreste la fausse Suivante, la conjure de luy estre favorable, & luy fait entendre qu’elle n’aura pas lieu de se plaindre de son manque de liberalité. C’est le dénouëment de la Piece. La Suivante luy répond de tous les bons offices qu’il en doit attendre, & se contente apres cela de se démasquer. Jamais il n’y eut rien de pareil à la surprise du Marquis. On l’a rendu infidelle, & il voit qu’il n’en remporte que la honte de l’estre inutilement. Et puis, Madame, fiez-vous aux Hommes. A parler sincerement aussi bien dans vostre beau Sexe que dans le nostre, il y a toûjours à risquer ; mais la veuë du peril n’empesche pas qu’on ne s’y expose, & on ne se defend pas d’aimer quand on veut. La complaisance, les petits soins, les manieres tendres, autant d’ecüeils pour la liberté.

Rondeau de Madame Des Houlieres à une de ses Amies §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 133-135XIII.

C’est ce qu’a dit fort agreablement l’Illustre Madame des Houlieres dans ce Rondeau que je vous envoye.

RONDEAU
DE MADAME DES HOULIERES
à une de ses Amies.

Contre l’Amour voulez-vous vous defendre ?
Empeschez-vous & de voir & d’entendre
Gens dont le cœur s’exprime avec esprit.
Il en est peu de genre maudit,
Et trop encor pour mettre un cœur en cendre.
***
Quand une fois il nous plaist de nous rendre
D’amoureux soins, qu’ils prennent un air tendre,
On lit en vain tout ce qu’Ovide écrit
    Contre l’Amour.
***
De la raison on ne doit rien attendre ;
Trop de malheurs n’ont sçeu que trop apprendre
Qu’elle n’est rien dés que le cœur agit ;
La seule fuite, Iris, nous garantit,
C’est le party le plus utile à prendre
    Contre l’Amour.

[Les Moutons, Idylle de la mesme] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 135-141XIV.

Le génie de Madame Deshoulieres n’est pas borné à ces sortes de petits Ouvrages. Il est capable de tout, & pour en estre persuadée, examinez je vous prie cet Idylle qu’elle donna il y a quelque temps à ses Amis. Il doit estre suivy de quelques autres qu’on me promet d’elle, & dont je ne manqueray pas à vous faire part.

LES MOUTONS,
IDYLLE.

Helas, petits Moutons, que vous estes heureux !
Vous paissez dans nos champs sans soucy, sans allarmes,
    Aussitost aimez, qu’amoureux.
On ne vous force point à répandre des larmes ;
Vous ne formez jamais d’inutiles desirs,
Dans vos tranquilles cœurs l’Amour suit la Nature,
Sans ressentir ses maux vous avez ses plaisirs,
L’Ambition, l’Honneur, l’Interest, l’Imposture,
    Qui font tant de maux parmy nous,
    Ne se rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raison pour partage,
    Et vous en ignorez l’usage ;
Innocens animaux, n’en soyez point jaloux,
    Ce n’est pas un grand avantage.
Cette fiere raison dont on fait tant de bruit,
Contre les Passions n’est pas un seur remede,
Un peu de Vin la trouble, un Enfant la séduit,
Et déchirer un cœur qui l’appelle à son aide,
    Est tout l’effet qu’elle produit.
    Toûjours impuissante & severe,
Elle s’oppose à tout, & ne surmonte rien ;
    Sous la garde de vostre Chien,
Vous devez beaucoup moins redouter la colere
    Des Loups cruels & ravissans,
Que sous l’autorité d’une telle Chimere,
    Nous ne devons craindre nos sens.
Ne vaudroit-il pas mieux vivre comme vous faites,
    Dans une douce oysiveté ?
Ne vaudroit-il pas mieux estre comme vous estes ;
    Dans une heureuse obscurité,
    Que d’avoir sans tranquillité,
    Des Richesses, de la Naissance,
    De l’Esprit & de la Beauté ?
Ces pretendus trésors dont on fait vanité
    Valent moins que vostre indolence.
Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels,
    Par eux plus d’un remords nous ronge,
    Nous voulons les rendre éternels,
Sans songer qu’eux & nous passerons comme un songe.
    Il n’est dans ce vaste Univers
    Rien d’assuré, rien de solide ;
Des choses d’icy bas la Fortune décide,
    Selon ses caprices divers
    Tout l’effort de nostre Prudence
Ne peut nous dérober au moins de ses coups.
Paissez, Moutons, paissez sans regle, sans science,
    Malgré la trompeuse apparence,
Vous estes plus heureux & plus sages que nous.

Je ne vous diray rien à l’avantage de cet Idylle, sinon qu’un des plus grands Hommes que nous ayons, aussi considerable par son Esprit que par sa Dignité, apres l’avoir leu plus d’une fois, écrivit ces propres mots au dessous de la Copie qu’on luy en montra.

Ces Vers sont de la derniere beauté & dans la derniere justesse ; & quoy que la Morale en soit fine & délicate, & les raisonnemens forts, il y a neantmoins un certain air de tendresse répandu dans toute la Piece qui la rend tout-à-fait charmante.

[Reception faite à Monsieur le Duc du Maine, par M. d’Aubigny, Gouverneur de Cognac] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 142-145XV.

Je vous ay déja mandé, Madame, que Monsieur le Duc du Maine estoit allé prendre des Eaux à Barrege. Voicy quelques particularitez que j’ay sçeuës de son Voyage. Il est party accompagné de Madame de Maintenon, à qui un merite extraordinaire soûtenu de l’esprit & de la beauté avoit acquis l’estime de tout le monde dés le temps qu’elle estoit Femme de Mr Scarron. Sa vertu incorruptible à tout ce qu’il y a de plus dangereux pour les Personnes aussi bien faites qu’elle est, fut un charme pour la feuë Reyne Mere, qui la voyant sans biens apres la mort de son Mary, luy donna une pension considerable. Elle est de la Maison d’Aubigny. Ce Nom est assez connu dans l’Histoire, & il auroit suffy seul à luy faire meriter l’honneur que Sa Majesté luy a fait de luy confier l’éducation de Monsieur le Duc du Maine. Ce jeune Prince arriva avec elle à Cognac il y a environ un mois. Mr d’Aubigny son Frere, qui est Gouverneur de la Ville & du Chasteau n’oublia rien pour le recevoir avec tous les honneurs deus à une Personne de son rang. Il fit monter à cheval cent Gentilhommes de la Province, avec lesquels il alla au devant de luy à plus d’une lieuë de Cognac. Monsieur le Duc du Maine y entra au bruit des Boëtes & des Mousquetades que toute la Bourgeoisie qui estoit sous les armes déchargea à son arrivée. Il prit beaucoup de plaisir à voir une Compagnie d’Enfans vestus en Aragons, qui firent Garde devant la Porte de sa Chambre, pendant les deux jours qu’il s’arresta à Cognac.

[Reception faite au mesme Prince par Madame la Comtesse de Jonsac] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 145-147XVI.

Il se rendit de là à Jonsac, où la Comtesse de ce nom le reçeut & le regala magnifiquement à Souper. Il continua sa route le lendemain, & vint coucher à Blaye. Ce ne fut pas sans entendre la décharge du Canon, & de toute l’Artillerie du Chasteau. Monsieur le Duc de Roquelaure, & Monsieur de Séve Intendant de Guyenne, s’y estoient rendus avec les Jurats Députez de Bordeaux pour l’assurer de la joye qu’on auroit de l’y recevoir. Il y arriva le lendemain. Les Complimens de la Ville luy furent portez par Mr de la Lande Premier Jurat qui luy fut presenté à la descente de la Maison Navale, par Monsieur le Comte de Montaigu. Ce jeune Prince alla le soir se promener à cheval sur le Quay des Chartreux, accompagné de Monsieur le Duc de Roquelaure, & au retour il entra dans le Chasteau Trompete, où toute la Garnison se trouva dans la Place sous les armes. Mr Cesar Ayde Major estoit à la teste en l’absence du Major.

[Tragedie qui luy estoit preparée à Bordeaux, où les deux Fils de Monsieur de Seve se font admirer] §

Mercure galant, juillet tome V, 1677, p. 147-150XVII.

L’impatience d’estre à Barrege le fit partir dés le lendemain, malgré les instantes prieres qui luy furent faites de s’arrester quelques jours à Bordeaux pour s’y délasser des fatigues de son Voyage. On luy vouloit donner le divertissement d’une Tragedie Françoise qui avoit esté representée avec grand succés depuis quinze jours par les Ecoliers du College de Guyenne. Mr l’Abbé Bardin qui en est Principal, & à qui un long usage du grand monde a dés longtemps appris à bien faire les choses qui le regardent, avoit pris des mesures si justes, que la belle Assemblée de l’un & de l’autre Sexe qui se trouva à ce Spéctacle, en sortit avec une extréme satisfaction. La propreté des Acteurs répondoit à la grace avec laquelle ils s’acquiterent tous de leurs Rôles, & on admira sur tout deux Enfans qui firent un remercîment à Monsieur le Duc de Roquelaure d’un petit air fier qui surprit & charma tous ceux qui les entendirent. L’Aisné n’a encor que six ans, & ils sont tous deux Fils de Monsieur de Seve Intendant de cette Province. Je ne vous dis rien de son merite, il vous est connu, & vous n’ignorez pas qu’il est Fils de feu Mr de Seve Conseiller d’Etat, qu’on a veu trois fois Prevost des Marchands. On ne peut executer les Ordres du Roy ny avec plus de zele qu’il en montre pour le service de Sa Majesté, ny avec un aplaudissement plus general de tous ceux qui les reçoivent de luy.

[Vers à la gloire du Roy & de Monsieur le Duc du Maine] §

Mercure galant, juillet tome V, 1677, p. 150-153XVIII.

Cependant, Madame, vous croirez que la Tragédie dont je vous parle a esté quelque chose de fort provincial, & vous aurez de la peine à estre persuadée que les Muses Gasconnes approchent de la politesse de celles que le Roy a bien voulu loger dans le Louvre. Perdez cette pensée, & jugez de ce qu’a pû estre la Piece par ces Vers qui devoient servir de compliment à Monsieur le Duc du Maine, s’il eust eu le temps d’en voir une Représentation.

 Quoy qu’il nous soit fort glorieux,
 Prince, de vous voir en ces lieux,
Nous avions interest à trouver des obstacles
Pour retenir le desir curieux
 Qui vous attire à nos Spéctacles.
Nous connoissons le sang des Demy Dieux,
Il est accoûtumé de tout temps aux Miracles,
Et nous n’en venons point étaler à vos yeux.
 C’est d’une tragique Avanture
 La triste & fidelle peinture
 Que nous avons à vous ofrir.
Les rares qualitez qu’en vous chacun admire,
Nous donneroient sans-doute assez à discourir ;
Mais nous n’en disons rien, pour avoir trop à dire.
***
 Pour parler dignement de vous,
Nous voulions en ces lieux faire venir la Gloire,
Mais (& vous n’aurez pas de peine à nous en croire)
Elle n’a point de temps à perdre avecque nous.
Pour l’Auguste Loüis elle est toute occupée,
 Elle ne peut le quiter un moment,
Et pour aucun Héros jamais attachement
 Ne rendit moins son attente trompée.
Si ce grand Conquerant l’eust laissée en pouvoir
 De se donner quelques jours de relâche,
Prince, vous l’auriez veuë icy vous recevoir,
Mais on peut à ce prix se passer de la voir,
 Et cela n’a rien qui vous fâche.

[Vers de M. de Corneille l’aisné sur les Conquestes du Roy] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 164-172XIX.

Venons aux Vers que Mr de Corneille l’aisné a presentez au Roy sur ses Conquestes. Je pourrois me dispenser de vous les envoyer, parce qu’ils sont imprimez ; mais comme ils ne le sont qu’en feüille volante, il est bon de vous donner lieu de les conserver ; & d’ailleurs si le mot de Parélie a embarassé quelqu’une de vos Dames de Province, vous leur en ferez voir l’explication dans le changement des deux Vers où ce mot estoit employé.

SUR LES VICTOIRES
DU ROY.

Je vous l’avois bien dit, Ennemis de la France,
Que pour vous la Victoire auroit peu de constance,
Et que de Philisbourg à vos armes rendu
Le pénible succés vous seroit cher vendu.
A peine la Campagnes aux Zéphirs est ouverte,
Et trois Villes déja reparent nostre perte ;
Trois Villes dont la moindre eust pû faire un Etat,
Lors que chaque Province avoit son Potentat ;
Trois Villes qui pouvoient tenir autant d’années,
Si le Ciel à Loüis ne les eust destinées,
Et comme si leur prise étoit trop peu pour nous,
Mont-Cassel vous apprend ce que pesent nos coups.
Loüis n’a qu’à paroistre, & vos Murailles tombent,
Il n’a qu’à donner l’ordre, & vos Héros succombent ;
Et tandis que sa gloire arreste en d’autres lieux
L’honneur de sa presence, & l’effort de ses yeux,
L’Ange de qui le bras soûtient son Diadéme
Vous terrasse pour luy par un autre luy-mesme,
Et Dieu pour luy donner un ferme & digne appuy,
Ne fait qu’un Conquérant de Philippe & de luy.
    Ainsi quand le Soleil sur un épais nüage,
Pour se faire un second, imprime son image,
Leur hauteur est égale, & leur éclat pareil,
Nous voyons deux Soleils qui ne sont qu’un Soleil :
Sous un double dehors il est toûjours unique,
Seul maistre des rayons qu’à l’autre il communique,
Et ce brillant portrait qu’illuminent ses soins
Ne brilleroit pas tant, s’il luy ressembloit moins.
    Mais c’est assez, Grand Roy, c’est assez de Conquestes,
Laisse à d’autres saisons celles où tu t’apprestes :
Quelque juste bonheur qui suive tes projets,
Nous envions ta veuë à tes nouveaux Sujets.
Ils bravent tes Drapeaux, tes Canons les foudroyent,
Et pour tout chastiment tu les vois, ils te voyent ;
Quel prix de leur défaite, & que tant de bonté
Rarement accompagne un Vainqueur irrité !
Pour nous, qui ne mettons nostre bien qu’en ta veuë,
Vange nous du long-temps que nous l’avons perduë,
Du vol qu’ils nous en font vien nous faire raison,
Ramene nos Soleils dessus noste Orison :
Quand on vient d’entasser victoire sur victoire,
Un moment de repos fait mieux gouster la gloire,
Et je te le redis, nous devenons jaloux
De ces mesmes bonheurs qui t’éloignent de nous.
S’il faut combattre encor, tu peux de ton Versailles
Forcer des Bastions, & gagner des Batailles,
Et tes Pareils, pour vaincre en ces nobles hazards,
N’ont pas toûjours besoin d’y porter leurs regards.
C’est de ton Cabînet qu’il faut que tu contemples
Quel fruit tes Ennemis tirent de tes Exemples,
Et par quel long tissu d’illustres actions,
Ils sçauront profiter de tes instructions.
    Passez, Héros, passez, venez courir nos Plaines,
Egalez en six mois l’effet de six semaines ;
Vous seriez assez forts pour en venir à bout,
Si vous ne trouviez pas nostre grand Roy par tout.
Pour tout vous trouverez son ame, & son ouvrage
Des Chefs faits de sa main, formez sur son courage,
Pleins de sa haute idée, intrépides, vaillans,
Jamais presque assaillis, toûjours presque assaillans ;
Par tout de vrais François, Soldats dés leur enfance,
Attachez au devoir, prompts à l’obeïssance ;
Par tout enfin des cœurs qui sçavent aujourd’huy
Le faire par tout craindre, & ne craindre que luy.
    Sur le zele, Grand Roy, de ces ames guerrieres,
Tu peux te reposer du soin de tes Frontieres,
Attendant que leur bras vainqueur de tes Flamans
Mesle un nouveau triomphe à tes délassemens,
Qu’il réduise à la Paix la Hollande & l’Espagne,
Que par un coup de Maistre il ferme ta Campagne,
Et que l’Aigle jaloux n’en puisse remporter
Que le sort des Lions que tu viens de dompter.

[Histoire de la Veuve & de M. de la Forest] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 173-190XX.

Ces Lions n’ont pû estre domptez, qu’il ne nous en ait cousté un peu de sang ; & voicy une Avanture que ce sang répandu a produite.

La Femme d’un Capitaine d’Infanterie parut un parfait modele d’amour conjugal, tant que son Mary vescut. Ses Voisins, ses Parens, & ses Amis, n’estoient occupez qu’à essuyer les larmes qu’elle versoit quand il partoit pour l’Armée. Le moindre bruit d’une Bataille, ou d’un Siege la desesperoit ; elle en poussoit des cris qui faisoient compassion à tout le monde, & rien n’eust égalé la haute réputation où la mettoit une si juste tendresse, si elle fust morte avant son Mary ; mais par malheur pour sa vertu, un coup de Mousquet ayant emporté ce cher Epoux, cette passion si légitime & si violente se démentit. Apres avoir pleuré quelques jours, elle s’ennuya de pleurer, ses lamentations cesserent, & on n’eut pas de peine à connoistre que la douleur qu’elle montroit de sa mort, estoit beaucoup moindre que l’artifice qu’elle avoit eu pour faire croire qu’elle l’aimoit. Comme elle ne se trouva pas en état de subsister dans le monde apres sa mort, parce qu’il avoit mangé presque tout son bien dans le Service, ses Parens & ses Amis crûrent qu’il n’y avoit aucun party à prendre pour elle, que celuy de se retirer dans un Couvent ; mais elle estoit bien faite, la retraite ne l’accomodoit pas, & elle jugea plus à propos de suivre le conseil d’une foule de Soûpirans, qui luy persuaderent sans peine qu’on ne manquoit point d’argent quand on se vouloit servir de sa beauté. Ce fut sur cet honneste fondement qu’elle s’embarqua à faire l’épreuve de son merite. Plus de pensée de Couvent, elle a des veuës plus satisfaisantes, & apres avoir balancé quelques jours sur qui tomberoit son premier choix pour commencer une si noble carriere, elle jette les yeux sur un Camarade du pauvre Défunt, nommé Mr de la Forest, Officier subalterne de sa Compagnie, qui remplaça bientost l’Epoux, & fut encore plus aimé. Il demeura quelque temps unique & paisible possesseur de la jeune Veuve, & sa premiere vertu nous doit faire croire qu’elle n’auroit pas si-tost expiré, si le manque d’argent n’eust troublé tout d’un coup un commerce si agreablement étably. La finance du Fantassin fut malheureusement trop tost épuisée, & il fallut malgré la vertu se résoudre à chercher quelque autre resource. Par hazard un riche Receveur, Homme d’un caractere fort amoureux, & de manieres fort liberales, avoit commencé à rendre quelques assiduitez à la Veuve. Elle avoit de grands charmes pour luy ; mais l’humeur fâcheuse du Fantassin l’obligeoit d’étouffer dans un grand secret les desirs que sa coquetterie luy inspiroit. Cependant le besoin d’argent augmentoit toûjours. La Veuve en fait paroistre son chagrin au Financier. Le Financier ouvre sa bourse, & cette facilité à la tirer d’embarras, avance si fort ses affaires, qu’en peu de jours il se voit au comble de ses souhaits, Le Fantassin fait du bruit dans les premiers mouvemens de sa jalousie, mais enfin la délicatesse de son cœur cede aux besoin pressans de sa Maîtresse, & il comprend qu’il n’est pas mauvais pour son propre interest, qu’il ait quelque chose à partager avec un Financier. La Veuve & luy conviennent donc de leurs Faits, & il est résolu que pour oster à Mr le Receveur tout sujet de gronderie, & tout prétexte de suspendre ses libéralitez, le Fantassin ne paroistra plus dans la Maison, & n’y viendra que secrettement. Mr le Receveur qui croit que son merite seul a chassé son plus redoutable Rival, s’abandonne à toute la joye qui luy cause son inopinée felicité, & persuadé que sa Maîtresse a bien voulu renoncer à tout pour luy, il n’a plus d’autres soins que de luy marquer par ses profusions qu’il meritoit cette préference. Toute la Maison se sent en peu de temps de ses bienfaits, rien n’y manque, ce sont meubles sur meubles, le Fantassin y trouve son compte, & sans plus s’inquiéter de ce qui se passe, il vient tous les jours en secret partager l’argent du Financier, & les faveurs de la Veuve. Ce fortuné commerce alloit admirablement bien, & rien n’eust esté égal à tant de prospéritez, si la Confidente de cette galante passion ne se fust malheureusement mis en teste de la troubler. C'estoit une vieille Coquette qui demeuroit dans le voisinage, abandonnée tant que la jeunesse luy avoit permis de l’estre, avide de toutes sortes de gains, & la premiere Fourbe de celles de cette noble Profession. Le bonheur de sa Voisine, & surtout l’argent du Receveur, ne furent pas longtemps sans luy faire envie ; mais n’osant confier à ses vieux appas le soin d’attraper ce qui causoit sa plus forte tentation, elle s’avisa d’une ruse qui luy réüssit. Elle avoit déja voulu plusieurs fois donner des soupçons de Mr de la Forest au pauvre Receveur, qui s’obstinoit toûjours à croire qu’on avoit entierement rompu avec luy ; elle luy avoit mesme dit en riant, que si elle l’entreprenoit, elle n’auroit pas de peine à luy faire voir qu’il estoit la Dupe de l’un & de l’autre. Elle poussa enfin la chose plus loin ; & un jour que cette rusée Confidente sçeut qu’il devoit apporter mille écus à la Veuve, elle alla l’attendre dans le temps que Mr de la Forest estoit seul avec elle dans un Cabinet qui ne s’ouvroit que pour luy, & où il entroit sans estre veu par un petit Escalier dérobé. Elle ne l’eut pas si-tost apperçeu, qu’elle courut au devant de luy, & luy montrant le Degré qui conduisoit au lieu du paisible Rendez-vous, elle s’enfuit chez elle, apres l’avoir assuré qu’il trouveroit la Veuve avec le Fantassin dont il se croyoit défait. Le pauvre Receveur avance, & partagé entre la confiance & la crainte, il montoit tout doucement le Degré, quand le Diable qui se mesloit ce jour-là de ses affaires, luy fait trouver une jeune Enfant Niéce de la Veuve, qui le voyant aller au Cabinet où elle avoit veu sa Tante s’enfermer avec la Forest, l’arreste tout d’un coup, en luy criant qu’on n’entroit point quand Mr de la Forest estoit dans le Cabinet avec sa Tante. Il n’en fallut pas davantage pour percer le cœur du Financier. Il sort tout ardent de colere d’une si funeste Maison, trop heureux, à ce qu’il croit, d’en avoir sauvé ses mille écus. Il court au plus viste s’en consoler avec sa Confidente, qui s’estant dés longtemps preparée à cet évenement, n’oublie rien de tout ce qui peut empoisonner ce qu’il pense déja de la Veuve. Elle luy conte mille avantures qu’il se seroit bien passé de sçavoir, & l’amuse si bien par ses longs discours, qu’elle le retient jusqu’à deux heures du matin, dans un temps où la vigilance du Guet n’empeschoit point qu’on ne volast toutes les nuits. Quand le premier desespoir du malheureux Receveur fut un peu apaisé, il voulut aller chez luy donner quelque repos à sa douleur ; mais l’heure estant fort induë, il ne crût pas que l’obscurité de la nuit fust une assez seûre sauvegarde pour ses mille écus, qu’il s’imaginoit avoir sauvez du naufrage. Il les laissa donc en dépost à cette chere Confidente qui venoit de luy donner tant de marques d’une sincere amitié. La perfide qui n’avoit fait joüer toutes ces machines que pour en venir là, reçeut cet argent avec une joye qui ne se peut dire ; & le pauvre Receveur fut bien étonné le lendemain, lors que venant pour le retirer de ses mains, elle le traita de visionnaire & d’insolent, de luy demander ce qu’elle prétendoit qu’il ne luy eust point donné : elle y adjoûta mesme quelques menaces violentes qui firent craindre au Receveur une suite de plus fâcheuses avantures, & il se crût trop heureux pour éviter l’éclat qui ne luy pouvoit estre que préjudiciable, d’abandonner pour toûjours ses écus, sa Confidente, & sa Maîtresse.

[Impromptu pour M. le Duc, fait par Madame le Camus en presence de ce Prince] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 204-206XXI.

La matiere est un peu triste ; & comme je sçay que vous aimez tout ce qui vient de Madame le Camus, je croy que ce sera vous en tirer agreablement, que de vous faire voir deux petites Pieces de sa façon, qui me sont tombées depuis peu entre les mains ; l’une est un Inpromptu pour Monsieur le Duc, qu’elle fit il y a quelque temps en présence de ce Prince ; & l’autre, un Compliment à Madame la Mareschale de Clerembaut qui luy avoit rendu office.

INPROMPTU
POUR
MONSIEUR LE DUC.

 Que d’esprit & que de valeur
 On voit dans ce Prince admirable !
Ses grandes qualitez surpassent sa grandeur.
Sans luy Condé seroit un Prince incomparable,
Mais par bonheur pour nous il a fait son semblable.

[Vers de Madame le Camus, à Madame la Mareschale de Clerambaut] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 207-208XXII.

POUR MADAME
LA MARESCHALE
DE CLEREMBAUT.

 Mareschale de Clerembaut,
 Vous portez la vertu si haut,
 Que l’Amour en est en colere.
Il s’en plaignit l’autre jour à sa Mere.
Elle luy dit ; mon Fils, chacun a son defaut.
Cette vertu pourtant a fait tomber sur elle
L’heureux choix dont la gloire estoit deuë à son zele,
Choix qui mit en ses mains le Charme de la Cour,
 Cette Princesse sans seconde,
 Dont les yeux pourront bien un jour
Te soûmettre le Fils du plus grand Roy du monde.
Quant à la Mareschale, en vain de la toucher
 Tu crois l’avantage possible.
  Son cœur est un rocher
 Qui fut toûjours inaccessible.
L’Amour à ce disours luy répondit ; Et bien
Je consens qu’elle soit insensible à ma flame,
 Mais qu’elle aille du tout au rien,
Je ne le puis souffrir ; tout au moins que son ame
  Soit tendre à la pitié,
  Puis qu’on le peut sans blâme.
Je suis de son avis, & j’espere, Madame,
  Que j’auray sur ce pié
 Quelque part à vostre amitié.

[Mariage de M. le Marquis de Foix, & de Mademoiselle d’Hendreson, premiere Fille d’Honneur de Madame] §

Mercure galant, juillet tome V, 1677, p. 209-211XXIII.

Si l’Amitié fait faire des Complimens d’un costé, l’Amour fait faire des Mariages de l’autre, & nous venons de le voir en la personne de Monsieur le Marquis de Foix, Gouverneur & Lieutenant General pour le Roy en la Province de Foix, qui a épousé Mademoiselle d’Hendreson, premiere Fille d’Honneur de Madame. Elle est bien faite, de belle taille, & d’une tres grande Maison d’Allemagne. Pour Monsieur le Marquis de Foix, je n’ay que faire de vous dire qu’il est d’une des meilleures Maisons du Royaume ; le grand Nom qu’il porte, le marque assez. Leurs Altesses Royales, outre leurs libéralitez accoustumées en de pareilles occasions, ont donné à la Mariée une Croix de Diamans de grand prix, & tous les Habits de la Nôce qui s’est faite au Palais Royal avec beaucoup de magnificence. Il y eut Comédie le soir. Les Mariez sont presentement chez Madame la Duchesse de Meklebourg, qui les considere fort, & qui auroit fait avec plaisir les frais de la Nôce, si Madame l’eust voulu soufrir.

[Eloge de Versailles & de Trianon par Monsieur le Duc de S. Aignan.] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 213-218XXIV.

Vous voulez bien, Madame, que je mesle à ces Nouvelles les derniers Vers qu’on m’a donnez de Monsieur le Duc de S. Aignan ; ils vous feront connoistre avec quelle promptitude il vient à bout de tout ce qu’il entreprend. Le Roy luy avoit fait l’honneur à son retour du Havre, de luy faire voir les Augmentations qui s’estoient faites à Versailles & à Trianon depuis son depart ; & dés le soir mesme il prit la liberté de donenr à Sa Majesté ces Vers qu’il fit sur les beautez de ces deux Maisons.

ELOGE
DE
VERSAILLES
ET DE TRIANON.

Je sçavois bien, Tirsis, par cent illustres marques,
Que nous avions pour Roy le plus grand des Monarques ;
Qu’en guerre comme en paix il estoit sans pareil,
Qu’on le voyoit briller comme un autre Soleil,
Et qu’estant des Guerriers le plus parfait modele,
Il se couvroit par tout d’une gloire immortelle ;
Mais je ne pensois pas qu’il fust en son pouvoir
D’assembler les Tresors que nous venons de voir,
Que retournant vainqueur du plus fort des Batailles,
Il fist de Trianon ce qu’il fait de Versailles,
Que le plus délicat ne pust rien desirer
Aux rares ornemens qui s’y font admirer,
Qu’on y passast des Mers, qu’on y vist sur les ondes
Des superbes Vaisseaux les courses vagabondes,
Que le Jaspe, le Marbre & cent autres Beautez
Y tinssent à l’envy tous les sens echantez,
Qu’on pust en un moment des plus basses Campagnes
Elever des Torrens & percer des Montagnes,
Et qu’enfin de ces lieux le pompeux ornement,
De tous les Curieux devinst l’étonnement.
Mais, Tirsis, eust-on cru qu’un humaine puissance
Eust rangé les saisons sous son obeïssance,
Pour le plaisir des yeux changé l’ordre du temps,
Fait des plus grands Hyvers un eternel Printemps,
Et joint plus d’une fois dans une mesme Place,
Au doux émail des Fleurs la froideur de la glace.
Tous les Siecles passez n’ayant rien veu de tel,
Admirons ce Grand Roy qui n’a rien de mortel,
Mais adjoûtons, Tirsis, que ce Monarque Auguste,
Pouvant tout ce qu’il veut, ne veut rien que de juste.

[Vers à Madame la Presidente d’Ozembray, par le mesme] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 218-221XXV.

Voicy d’autres Vers que Monsieur de S. Aignan fit pour Madame la Presidente d’Ozembray, qui estoit venuë au Havre pour peu de jours. Elle devoit partir le lendemain, & voicy ce que cet Illustre Duc luy donna au sortir d’un Bal où tout le monde estoit en couleur de feu.

POUR
MADAME LA PRESIDENTE
D’OZEMBRAY.

Pourquoy nous honorer d’une courte visite,
Pourquoy faire éclater icy tant de merite,
    Avec tant de rigueurs ?
C’est avoir peu d’amour pour le bien de la France,
 Que de venir troubler les cœurs
 Dans une Place d’importance.
***
On devroit vous traiter comme une criminelle,
Vous mettre dans les fers comme ingrate, rebelle,
    Et vous poussez à bout.
Vous dites qu’avec vous nous n’avons rien à craindre,
 Mais vous mettez le feu par tout,
 Et puis, vous partez sans l’éteindre.

Voila, Madame, comme Monsieur le Duc de S. Aignan fait les honneurs du Havre d’une maniere toute galante & spirituelle, sans que cette innocente Galanterie diminuë rien du zele qu’il fait voir pour toutes les choses qui regardent la Religion. Il en a donné des marques depuis peu dans un tres-beau Discours qu’il a fait dans la Maison de Ville contre la licence des Blasphemes. Je vous l’envoyerois dans cette Lettre, si la sainteté de la matiere estoit compatible avec le titre de Mercure Galant, que vous avez bien voulu luy laisser porter.

[Ce qui s’est passé en Allemagne entre l’Armée du Roy & celle de l’Empereur] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 243-246XXVI.

Le Prince Charles s’ennuyant de ne rien faire, & ne voulant pas que l’on s’aperçeut de son chagrin, résolut de donner le Bal aux principales Dames de son Armée. Cela ne doit pas vous étonner, les Allemans ne marchent guéres qu’en Famille. Comme il n’est point de Nation qui n’imite les François en quelque chose, les Allemans pour paroistre avec plus de galanterie, voulurent avoir de nos Habits les plus à la mode, & le Prince Charles en envoya demander par un Trompete au Lieutenant de Roy de Mets, lequel par une honnesteté toute Françoise luy envoya aussi-tost des Tailleurs, avec les Etofes les plus nouvelles qu’on pust trouver. Les Habits se firent, & on commença le Bal. Monsieur de Créquy prit ce temps pour leur donner un autre divertissement. Il envoya quelques Troupes qui donnerent l’alarme dans l’un de leurs Quartiers, & qui eurent ordre de se retirer d’une maniere qui pût engager les Ennemis à les poursuivre. Ses Ordres furent ponctuellement executez ; & comme il avoit fait placer plusieurs Canons chargez à cartouches dans un endroit où les Ennemis ne croyoient pas qu’il y en eust, la plûpart de ceux qui poursuivirent nos Gens furent tuez ou blessez ; & l’alarme s’estant répanduë dans tout le Camp, le Bal fut tellement troublé, que les Allemans oublierent leurs Dances, & ne sçeurent plus faire de pas que pour décamper quelques jours apres.

[Divertissemens donnez au Public] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 255-257XXVII.

Je passe aux Divertissemens publics dont j’ay peu de chose à vous dire, & il n’y a eu de la nouveauté que sur le Théâtre des Italiens, qui nous ont donné une Piece fort agreable, intitulée La Propreté Ridicule. Elle est meslée de quelques Entrées qui luy donnent beaucoup d’agrément. Le caractere de la Femme qui est propre jusqu’à l’excés, est tiré sur de bons Originaux. On l’a déja joüée douze ou quinze fois ; & Arlequin, à son ordinaire, y est un personnage tres-divertissant. Les Comédiens François se sont contentez de faire revivre quelques vieilles Pieces qui avoient fait beaucoup de bruit dans leur temps, & on a reveu sur les deux Théatres, les Visionnaires de Mr des Marests, le Jodelet Maistre de Mr Scarron, & le D. Bertrand de Cigaral, de Mr de Corneille le jeune, qui estoit autrefois le charme de tout Paris, & qu’on y representoit en mesme temps sur tous les Théatres.

[Description de la Feste de Sceaux] §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 281-283XXVIII.

Je croy, Madame, que vous estes dans l’impatience de sçavoir ce qui s’est passé à la Feste de Sceaux ; il est temps de satisfaire vostre curiosité. Le Roy voulant faire l’honneur à Monsieur Colbert d’y aller voir sa belle Maison, choisit le jour de cette Promenade ; & ce sage Ministre en ayant esté averty, se prépara à l’y recevoir en zelé Sujet qui attend son Maistre, & un Maistre comme le Roy. Il ne chercha point à faire une de ces Festes somptueuses dont l’excessive dépense n’attire souvent que le desordre, & qui satisfont plus l’ambition de ceux qui les donnent, qu’elles ne causent de plaisir à ceux pour qui on les fait. La profusion qui s’y trouve semble n’apartenir qu’aux Souverains ; & quand on cherche plus à divertir qu’à faire bruit par le faste, on s’attache moins à ce qui coûte extraordinairement, qu’à ce qui doit paroistre agreable. C’est ce que fit Monsieur Colbert avec cette prudence qui accompagne toutes ses actions. Il songea seulement à une Reception bien entenduë, & il voulut que la propreté, le bon ordre, & la diversité des plaisirs, tinssent lieu de cette somptuosité extraodinaire, qu’il n’eut pû jamais porter assez loin, s’il l’eut voulu proportionner à la grace que luy faisoit le plus grand Prince du Monde. Cet heureux jour venu, il fit assembler tous les Habitans dés le matin, leur apprit le dessein que le Roy avoit de venir à Sceaux ; & pour augmenter la joye qu’ils luy en firent paroistre, & leur donner lieu de garder longtemps le souvenir de l’honneur que Sa Majesté luy faisoit, il leur dit qu’ils devoient payer une année de Taille au Roy, mais qu’ils songeassent seulement à trouver dequoy satisfaire aux six premiers mois, & qu’il payeroit le reste pour eux. Il se retirerent fort satisfaits, & se furent préparez à donner des marques publiques de la joye qu’ils avoient de voir le Roy. Ce Prince n’en découvrit pourtant rien aux environs de Sceaux, tout y estoit tranquile, & l’on n’eut pas mesme dit en entrant dans la Maison de Monsieur Colbert, qu’on y eust fait aucuns préparatifs pour la Reception de Leurs Majestez. Elles en voulurent voir d’abord les Apartemens, dont les Ornemens & les Meubles estoient dans cette merveilleuse propreté, qui n’arreste pas moins les yeux que l’extraordinaire magnificence. On se promena en suite, & ce ne fut pas sans admirer plusieurs endroits particuliers du Jardin. La Promenade fut interrompuë par le Divertissement du Prologue de l’Opéra d’Hermione, apres lequel on acheva de voir les raretez du Jardin. Les Plaisirs se rencontrerent par tout. D’un costé il y avoit des Voix, des Instrumens de l’autre ; & le tout estant court, agreable, donné à propos, & sans estre attendu, divertissoit de plus d’une maniere ; point de confusion, & toûjours nouvelle surprise. Je ne vous parle point du Souper, tout y estoit digne de celuy qui le donnoit ; on ne peut rien dire de plus fort pour marquer une extréme propreté, jointe à tout ce que les Mets les mieux assaisonnez peuvent avoir de délicatesse. Monsieur Colbert servit le Roy & la Reyne ; & Monseigneur le Dauphin fut servy par Monsieur le Marquis de Segnelay. Leurs Majestez s’estant assises, & aupres d’elles Monseigneur le Dauphin, Mademoiselle d’Orleans, Madame la Grand’Duchesse, & Mademoiselle de Blois ; le Roy fit mettre à table plusieurs Dames, dont je ne m’engage pas à vous dire les noms selon leur rang. Ces Dames furent Mademoiselle d’Elbeuf, Madame la Duchesse de Richelieu, Madame de Bethune, Madame de Montespan, Madame la Mareschale de Humieres, Madame la Comtesse de Guiche, Madame de Thiange, Madame la Marquise de la Ferté, Madame d’Eudicour, Madame Colbert, Madame la Duchesse de Chevreuse, Madame la Comtesse de S. Aignan, Madame la Marquise de Segnelay, & Mademoiselle Colbert. Toutes ces Dames furent servies par les gens de Monsieur Colbert, le Roy n’ayant voulu donner cet ordre à aucun de ses Officiers. Il y avoit deux autres Tables en d’autres Salles, à l’une desquelles estoit Monsieur le Duc, & à l’autre Monsieur le Prince de Conty, Monsieur de la Roche-sur-Yon son Frere, & Monsieur le Duc de Vermandois, avec plusieurs autres personnes des plus qualifiées de la Cour. Monsieur le Duc de Chevreuse, & Monsieur le Comte de S. Aignan, firent les honneurs de ces deux Tables. Le Soupé fut suivy d’un Feu d’Artifice admirable, qui divertit d’autant plus, que ce beau Lieu estant tout remply d’Echos, le bruit que les Boëtes faisoient estoit redoublé de toutes parts. Ce ne fut pas la seule surprise que causa ce Feu ; il n’y avoit point d’apparence qu’il y en dust avoir dans le lieu où il parut, & l’étonnement fut grand lors qu’on le vit brûler tout à coup, & qu’il se fit entendre. Les Villages circonvoisins commencerent alors à donner des marques de leur allégresse, & l’on en vit sortir en mesme temps un nombre infiny de Fusées Volantes dans toute l’étenduë de l’Horison qui peut estre veuë du Chasteau ; de maniere qu’on eust dit que le Village de Sceaux ne vouloit pas seulement témoigner la joye qu’il ressentoit de voir un si grand Roy, mais encor que toute la Nature vouloit contribuer à ses plaisirs.

Le Feu fut à peine finy, que toute la Cour entra dans l’Orangerie, où elle fut de nouveau agreablement surprise. Elle trouva dans le mesme endroit où l’on avoit chanté quelques Airs de l’Opéra, un Theatre magnifique, avec des enfoncemens admirables. Il paroissoit avoir esté mis là par enchantement, à cause du peu de temps qu’on avoit eu pour le dresser. Monsieur le Brun y avoit donné ses soins, & rien n’y manquoit. La Phédre de Monsieur Racine y fut representée, & applaudie à son ordinaire. Cette Feste parust finie avec la Comédie, & Monsieur Colbert eut l’avantage d’entendre dire à Sa Majesté qu’elle ne s’estoit jamais plus agreablement divertie. A peine fut-elle hors du Chasteau, qu’elle trouva de nouvelles Festes, & vit briller de nouveaux Feux. Tout estoit en joye, on dançoit d’un costé, on chantoit de l’autre. Les Hautbois se faisoient entendre parmy les cris de Vive le Roy, & les violons sembloient servir d’Echo à tous ces cris d’allégresse. Jamais on ne vit de Nuit si bien éclairée ; tous les Arbres estoient chargez de lumieres, & les Chemins estoient couverts de feüillées. Toutes les Païsannes dançoient dessous ; elles n’avoient rien oublié de tout ce qui les pouvoit rendre propres ; & quantité de Bourgeoises qui vouloient prendre part à la Feste, s’estoient meslées avec elles. Ce fut ainsi que Monsieur Colbert divertit le Roy par des surprises agreables, & des plaisirs toûjours renaissans les uns des autres. Ses ordres furent executez avec tannt de justesse & tant d’exactitude, que tout divertit également dans cette Feste, & qu’il n’y eut point de confusion. On peut dire qu’elle fut somptueuse sans faste, & abondante en toutes choses, sans qu’il y eut rien de superflu.

[Annonce éditoriale]* §

Le Nouveau Mercure galant, juillet 1677 (tome V), p. 283-284XXIX.Lettre en chansons de M. Galand

Puis que vous me demandez encor des Lettres en Chansons, & que vous les trouvez divertissantes, je croy que je pourray vous en envoyer le Mois prochain. Je suis ravy que celle de Mr Galant ne vous ait pas moins plû qu’elle a fait à tout Paris. La Copie dont je vous ay fait part, avoit passé parmy tant de mains, qu’elle n’estoit pas conforme à l’Original, & il y avoit mesmes quelques Couplets d’oubliez. Je suis obligé de vous en avertir pour la gloire de l’Autheur.