1678

Mercure galant, mai 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, mai, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1678 [tome 5]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], non paginé.

MONSEIGNEUR,

Quand j’eus l’honneur de vous offrir le Mercure pour la premiere fois, je croyois trouver en Vous un Prince aussi accomply que vous le pouviez jamais estre. En effet, MONSEIGNEUR, à voir toutes les belles qualitez qui vous attiroient l’admiration de tout le monde ; tant d’adresse dans vos Exercices, tant de Lumieres pour les Lettres & pour les beaux Arts, tant de grandeur d’ame, & tant de noblesse dans tous vos sentimens, on pouvoit juger avec quelque apparence que vous ne les pousseriez pas plus loin, & que vous les aviez portées à un point où il falloit qu’elles s’arrestassent. Cependant, MONSEIGNEUR, j’avouë que j’y ay esté trompé, & que vous ajoûtez toûjours quelque chose à ce qui me sembloit ne pouvoir plus s’augmenter. Si tout autre Prince que vous estoit ce que vous estes, on seroit certain qu’il s’en tiendroit là ; mais avec vous, MONSEIGNEUR, il n’y a rien d’assuré, & quoy que nous ne puissions nous figurer un caractere plus parfait du Fils du plus grand Roy de la Terre, je ne voudrois pourtant pas répondre que vous ne sçeussiez encor vous rendre plus digne d’un Titre si glorieux. On ne sçait pas précisément ce que vous serez un jour, mais on sçait bien que vous estes dés à-present ce que les plus grands Princes ont esté. Ainsi, MONSEIGNEUR, si vous ne voulez qu’égaler les Héros, vous avez déjà cent Vertus qui suffisent pour cela, & il n’est pas besoin que vous en acqueriez davantage ; mais si vous voulez aller jusqu’à vostre incomparable Pere, il est certain que ce grand Monarque ne sera jamais imité, ou qu’il le sera par Vous. Ce sont les sentimens de toute la France, que vous explique avec profond respect,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur, D.

Preface §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], non paginé.

Preface.

Comme il y a des Gens qui envoyent des Chansons, ou vieilles, ou qui ont déjà esté notées par d’autres Maistres, on n’en mettra plus quand elles viendront dans des Lettres. Il faut qu’elles soient apportées à l’ Autheur du Mercure, ou chez l’Imprimeur, par ceux qui les auront faites, afin qu’ils éclaircissent les choses dont on doutera, & qu’on leur en puisse faire voir des Epreuves avant qu’elles soient exposées au public. On ne donnera rien par ce moyen qui ne soit correct & nouveau. Ceux qui envoyeront des Chansons de la Campagne, doivent par les mesmes raisons les adresser à quelque Amy qui soit capable de prendre les mesmes soins, & de corriger les Epreuves que l’Autheur n'a pas le temps d’envoyer à ceux dont il a reçeu les Airs.

À l’égard de ceux qui devinent les Enigmes, & qui prennent d’autres Noms que le leur, ils doivent en choisir de si particuliers qu’ils ne se puissent rencontrer avec d’autres. Mettre au bas de leurs Lettres, Un Gentilhomme d’une telle Province, un Conseiller ou une Demoiselle d’une telle Ville, c’est ne rien mander. Il y a tant de Personnes dans chaque Ville à qui ces sortes de Titres conviennent, qu’il n’y a pas mesme moyen de les faire connoistre eux-mesmes, plusieurs ayant pris quelquefois pour le mesme Mot la qualité de Gentilhomme ou d’Inconnu de la mesme Ville. Ce n’est pas qu’ils ne se puissent donner le plaisir de se cacher s’ils y en trouvent. Le Public se divertit des Noms bien choisis, mais il faut éviter l’inconvenient où tombent ceux qui donnent trois ou quatre lignes pour un Nom. Cela cause trop d’embarras, & il faudroit plusieurs pages ennuyeuses pour désigner sept ou huit Personnes. Il y en a qui n’envoyant que le seul Mot des Enigmes sans aucune Explication, mettent au lieu de leur Nom deux ou trois Lettres avec des points. Ils ne songent pas que ces Lettres ne peuvent servir à rien, & qu’on n’en peut former un Nom pour le mettre parmy ceux qui ont trouvé le sens des Enigmes.

Quand on envoye des Ouvrages un peu longs, on doit les envoyer de bonne heure, parce qu’on imprime les premieres feüilles du Mercure dés le huitiéme de chaque Mois, & qu’on finit deux ou trois jours avant la fin du mesme Mois, à cause du temps dont les Relieurs ont besoin.

Les Lettres seront toûjours adressées chez le Sieur Blageart. Celles qu’on adresse ailleurs, courent risque, ou de n’estre point reçeuës, ou de l’estre toûjours trop tard.

Ceux de la Campagne qui ont offert d’écrire des Nouvelles à l’Autheur sont priez de prendre cet Article pour Réponse, & de croire qu’ils luy feront un tres-grand plaisir, & sur tout pour les Nouvelles de Guerre, dont il ne peut sçavoir trop de particularitez.

On reçoit tous les jours des Lettres de Gens qui se plaignent qu’on n’a point parlé d’eux. Leurs plaintes cesseroient s’ils avoient veu l’Extraordinaire. Ceux qui envoyeront des Explications de la Lettre en Chiffres, de l’Histoire Enigmatique, & leurs Pensées sur la Question qu’on y propose, sont priez de les mettre sur des papiers separez, & de ne les confondre point avec des Explications qui regardent le Mercure. Cela cause trop d’embarras à l’Autheur, qui ayant un grand nombre de Lettres, est obligé de separer les matieres qu’elles contiennent, pour ne point relire la Lettre autant de fois qu’il a besoin des Articles diferens qui y sont. La Lettre qu’on a reçeuë touchant le prix de l’Extraordinaire, & qu’on trouvera sur la fin de ce Volume, a fait faire reflexion qu’estant beaucoup plus gros que le Mercure, il coustoit encor d’avantage à cause du port. Ainsi pour obliger les Provinces, on veut bien le mettre à Trente sols, & n’en pas dédire le galant Homme qui l’a demandé pour elles. L'Extraordinaire ne vaudra donc plus que Trente sols, quoy qu’il soit marqué à un Escu. Ceux qui se plaignent qu’on ne leur fait pas connoistre s’ils ont perdu touchant les Gageures qui se font sur les Enigmes, ne songent pas que c’est assez les éclaircir, que d’en mettre le veritable Mot.

[Recit du Dieu Pan, oublié lors de l’impression et à insérer p. 176 de ce Mercure au Ballet Impromptu de M. le Duc de S. Aignan, p. 174-182]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], non paginé.

L'Impression de ce Volume estant achevée, on s’est apperçeu que dans le Ballet Impromptu de Monsieur le Duc de S. Aignan, on avoit oublié le Recit qui suit. Il doit estre mis entre le Concert des Flustes, & la sixiéme Entrée.

RECIT DU DIEU PAN,
Au milieu des Bergers joüans & dansans.

Coulez, coulez charmans Ruisseaux,
Que le bruit de vos claires Eaux
Anime les Oiseaux
À chanter mille Chansonnettes.
Que les Bergers contens dans leurs douces Retraites,
Ne respirent qu’amour en ces jours des plus beaux.
Bondissez, innocens Troupeaux,
Aux doux échos de leurs Musettes.
Coulez, coulez, charmans Ruisseaux,
Que le bruit de vos claires Eaux
Anime les Oiseaux
À chanter mille Chansonnettes.

[Erratum concernant l’Extraordinaire du Mercure galant, tome III]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], non paginé.

Il s’est glissé une faute dans la Lettre de Messieurs de l’Académie d’Arles, qui est dans l’Extraordinaire ; on y trouvera Oyseaux pour Oyseux. On prie ceux que ce mot arrestera, de se donner la peine de le corriger.

[Avant-propos] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 1-3.

Ne vous plaignez plus, Madame, il y a moyen de vous satisfaire. Je recevois les reproches que vous me faites de ce que depuis quelque temps je ne vous envoye rien de Mr de Fontenelle, quand on m’a donné une Lettre de sa façon. L'Extraordinaire vous a fait connoistre que celles d’Apollon & de l’Amour à Iris estoient de luy, & j’avois bien crû que vous apprendriez avec plaisir que vous ne vous estiez point trompée dans le jugement que vous en aviez fait. Vous y aviez reconnu ce caractere galant & naturel qui est répandu dans tous ses Ouvrages, & vous l’auriez encor reconnu dans ce dernier, quand je vous aurois caché qu’il en est l’Autheur. Vous trouverez de la nouveauté dans le dessein, & je ne doute point que vous ne soyez contente de la maniere dont il l’a traité. Lisez & jugez.

[Lettre de Tyrsis à Iris, en vers et en prose par Mr de Fontenelle]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 3-22.

TYRSIS
À LA BELLE IRIS.

Il y a aujourd’huy un peu plus d’un an que je vous ay veuë pour la premiere fois, & par conséquent que je vous aime. C'est une journée trop remarquable, & qui a eu de trop grandes suites, pour l’oublier. Le pourrez-vous croire ? Les Amours l’ont solemnisée ; & comme cette Feste vous regarde, vous auriez sujet de vous plaindre, si je vous en laissois ignorer les particularitez.

Le premier jour de May 1678. on porta un Billet chez tous les Amours. Ils y trouverent ces quatre Vers.

Les Amours sont demain priez d’un grand Disné
Chez l’Amour, Fils d’Iris, autrement la***
Comme c’est le jour qu’il est né,
Il se met en frais, & les traite.

Il vint donc un tres-grand nombre d’Amours chez celuy qui les avoit conviez ; & aussitost qu’il les vit :

Chers Amours, leur dit-il avec un doux soûris,
Nous celebrons une grande journée.
C'est aujourd’huy que je suis né d’Iris,
Aujourd’huy je compte une année.
Quoy ? vous n’auriez qu’un an, s’écria-t-on ? Abus !
Vous paroissez trop grand & trop fort pour vostre âge.
De bonne-foy, dit-il, je n’ay pas d’avantage,
Mais aussi je ne croistray plus.
À peine venois-je de naistre,
Que j’estois déjà grand Amour.
Iris qui me voyait croistre comme le jour,
S'imaginoit que j’allois toûjours croistre ;
Mais quand on croist si viste, il est un certain point
Où l’on s’arreste de bonne heure ;
Ainsi qu’Iris ne s’en étonne point,
Me voilà tel qu’il faut que je demeure.

Apres ce peu de paroles qui furent dites en arrivant, les Amours se mirent à table, & chacun ayant pris place selon son rang,

Le Maistre du Festin leur en fit l’ouverture
Par deux grands Plats que l’on servit.
Dans l’un estoient des viandes en peinture,
Dans l’autre des Billets qu’il disoit plein d’esprit.
La plûpart des Amours se mirent en colere.
Quoy, s’écrierent-ils, vous moquez-vous de nous ?
Viandes creuses, & Billet doux,
Est-ce là le repas que vous voulez nous faire ?
Hé quoy, reprit leur Hoste, est-ce que mes Billets
Ne seront pas pour une chere complete ?
Iris ne me nourrit que de semblables mets,
Je vous traite comme on me traite.
Je ne sçait pas comment il faut vous recevoir,
Si vous n’estes contens de ce qu’on vous présente,
Car moy sans vanité qui crois bien vous valoir,
Il faut bien que je m’en contente.
Presque tous les Amours l’avoient déjà quité,
En pestant contre le régale.
Il estoit seulement resté
Quelques petits Amours de vie assez frugale,
Lors qu’il dit aux premiers ; revenez sur vos pas,
Je vous feray servir des viandes moins legeres.
Pour moy, vous soufrirez que je n’y touche pas,
Il faut que je m’en tienne à mes mets ordinnaires.

Il parut aussitost un Service dont tous les Amours furent fort satisfaits. Comme leur Hoste mangea fort peu, il s’appliqua à les divertir par son entretien. Il leur apprit que sa naissance avoit esté précedée de quelques Prodiges, car ce n’estoit pas un Amour du commun. Ces Prodiges estoient, que quelque temps avant qu’il nâquist, le feu avoit pris à tous les Livres de Morale qu’avoit son Pere, nommé Tyrsis, jeune Homme qui faisoit fort le Philosophe, & que le Mercure Galant estant apparu une nuit en songe à sa Mere Iris, luy avoit dit ces mots, Aime, & je t’immortalise. La Conversation tourna en suite sur Tyrsis & sur Iris mesmes, & on demanda au Maistre du Festin comment ils estoient ensemble, ou s’il l’aimoit mieux, comment Tyrsis estoit dans l’esprit d’Iris. Voicy sa Réponse.

Ce Tyrsis qui luy rend mille hommages constans,
Aux despens de son cœur veut qu’elle les achete.
Iris, qui ne sçauroit desavoüer la debte,
Pour le payer, luy demande du temps.
Cependant s’il reçoit une œillade flateuse,
Et quelques mots douteux qu’il entend comme il veut,
Il croit que sa fortune est encor trop heureuse,
Car d’une mêchante Payeuse
On tire toûjours ce qu’on peut.
Quand il luy dit qu’il faut qu’elle s’acquite,
Qu'elle ne sait que s’endebter,
Elle dit que la debte est encor trop petite,
Pour se presser de l’acquiter ;
Que quand elle sera plus grande,
Elle payera les soins qui se trouveront deus,
Et que c’est ce qu’elle demande
Que de s’endebter encor plus.
Peut-estre que depuis le temps qu'elle differe,
Sa promesse est un peu sujette à caution ;
Peut-estre tout d’un coup fera-t-elle l’affaire.
Qu'en croyez-vous, Amours ? voilà la question.

Là-dessus les Avis furent partagez. Il y en eut qui dirent que vous m’aimiez, & ce fut là le plus petit nombre. Tout le reste prétendit que je n’estois point aimé, & leur opinion l’emporta par la pluralité des voix. Cette diversité d’Avis vint de deux diférens caracteres d’Amours qui estoient là. Les uns estoient de ces Amours délicats qui rafinent sur les moindres choses, & qui se croyent heureux sur la foy des Interpretes muets. Les autres se moquoient de cette délicatesse, & ne se flatoient de la conqueste des Cœurs qu’à bonnes enseignes.

Iris aime déja, disoient les délicats,
Puis qu’elle sent qu’il faut un jour qu’elle aime.
De son cœur ébranlé vous voyez l’embarras,
Cet embarras c’est l’Amour mesme.
Quand d’un cœur par surprise il s’est fait recevoir,
Il ne veut pas d’abord s’en déclarer le maistre ;
Jusqu’à ce qu’il ait mieux étably son pouvoir,
Il se ménage trop pour oser y paroistre,
À la plus foible marque il faut le reconnoistre,
Et l’on ne fait que l’entrevoir.
Qu'il est doux à Tyrsis, dont les yeux sans relâche
Cherchent du cœur d’Iris tous les replis secrets,
D'y démesler enfin un Amour qui se cache,
Et se trahit pourtant par de petits effets !
Peut-estre quand Iris avoüeroit sa tendresse,
En entendre l’aveu, c’est un plaisir moins grand,
Que de la découvrir par cette heureuse adresse
Qui l’épie & qui la surprend.
De ces raffinemens la méthode est subtile,
Repliquoient les Amours de l’avis opposé ;
Mais si sur ces Garands Tyrsis s’est reposé,
Tyrsis n’est pas trop difficile.
Puis qu’il ne faut pour contenter ses vœux
Qu'un peu d’esperance incertaine,
Sans-doute ce n’est pas la peine
Qu'Iris en fasse un Amant malheureux.
Quelquefois éxiger trop de reconnoissance,
C'est le moyen de n’estre pas content.
Il se peut qu’en ce cas la Belle se dispense
De payer comme on le prétend,
Et vous voilà sans récompense.
Mais quand heureusement un Esprit se repaist
De ces Chimeres délicates
Qui vous font dans un cœur voir tout ce qui vous plaist,
On ne sçauroit trouver d’Ingrates.
Pauvres Amours, connoissez vostre erreur,
Laissez-là, laissez là vos fines conjectures.
Pour croire qu’on a fait la conqueste d’un cœur,
Il faut des preuves bien plus seûres.
Quand la Belle a dit à l’Amant,
Je partage avec vous l’amour que je vous donne,
La preuve est bonne assurément,
Et cependant elle n’est pas trop bonne.
On pourroit souhaiter quelque chose de mieux,
Sans souhaiter rien de trop tendre ;
Mais enfin un aveu si doux, si glorieux,
Quoy qu’il n’ait point de suite, est toûjours bon à prendre.
Si ce n’est estre heureux, c’est du moins estre aimé,
C'est dequoy satisfaire un Esprit raisonnable.
Quant au bonheur qu Tyrsis s’est formé,
C'est un bonheur d’Amant tres-misérable.

Cette contestation aigrit les Esprits, & les Amours ne disputerent pas longtemps sans venir jusqu’aux reproches. Les délicats disoient aux autres, qu’ils estoient trop grossiers pour goûter ces fins plaisirs de voir le progrés qu’on fait peu à peu dans un cœur qui se défend, & dont la resistance est poussée à bout. Ceux qu’ils accusoient de grossiereté, repoussoient l’injure, en leur reprochant qu’avec tous leurs raffinemens de délicatesse, ils avoient tellement quintessencié l’Amour, qu’on ne sçavoit plus ce que c’estoit qu’estre aimé ;

Et comme les Amours ont le sang un peu chaud,
Et que la moindre bagatelle,
Un rien mesme, est tout ce qu’il faut
Pour faire entr'eux une grosse querelle,
Ils mettoient tous déja la main à leurs Carquois,
Déja pour le Combat ils preparoient leurs armes,
Et remplissant les airs de leurs confuses voix,
Ce n’estoient plus que troubles & qu’alarmes ;
Déja petits Amours contre petits Amours
Commençoient fierement une guerre civile,
Si l’Hoste n’eust tâché par ses sages discours
D'apaiser promptement leur bile.
Il leur fit concevoir combien leur question
Estoit pour eux de legere importance,
Et leur dit que chacun tinst son opinion,
En attendant la fin de vostre indiférence
Qui donneroit bientost une décision.
Cet avis fit cesser leur ardeur belliqueuse,
Et quand la paix fut faite, ils tomberent d’accord
Que c’estoit vous qui seule aviez eu tort
De laisser si longtemps la Question douteuse.

Voila, belle Iris, ce qui se passa dans ce Festin. Vous devez penser à vous, car j’oubliois à vous dire que tous les Amours jurerent qu’ils vous feroient un méchant party, si vous ne décidiez pas promptement cette Question qui avoit causé un si grand desordre. Il me semble, Madame, que vous devez estre assez contente de moy, apres le soin que je prens de vous faire part d’une si spirituelle Galanterie, avant qu’elle ait encor esté veuë de personne.

[Madrigal de Mr Petit sur Mr de Fontenelle]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 22-24.

Je feray plus, & comme je sçay l’estime que vous avez pour l’Autheur, j’y adjoûteray un Madrigal qui a esté fait à son avantage. Il vous fera voir que vous n’estes pas la seule qui vous étonniez que dans un âge aussi peu avancé que le sien, il pense si juste, & exprime si finement tout ce qu’il pense. Mr Petit, de Rouën, dont je vous ay déja parlé plusieurs fois, en a trouvé une raison assez plausible dans le Madrigal que je vous envoye. Voyez si vous ne serez pas de son sentiment.

Fontenelle, dans ton jeune âge,
À bien de vieux Rimeurs tu peux faire leçon ;
Et quand on lit ton moindre Ouvrage,
Qui ne t’a jamais veu, te prend pour un Barbon.
Si ta Muse naissante a produit des merveilles,
Et si tes Vers chantez dans le sacré Vallon,
Des plus fin Connoisseurs ont charmé les oreilles,
Pourquoy s’en étonneroit-on ?
Quand on est Neveu des Corneilles,
On est Petit-Fils d’Apollon.

[Air nouveau] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 24-26.

Le Dieu du Parnasse est celuy du Chant, & il ne sera pas mal que je vous arreste icy par un Air nouveau de la façon de Mr Hurel. Son nom est assez connu pour ne vous en rien dire davantage. Les Paroles sont de Mr Devin. Je ne doute point que vous ne les trouviez fort dignes d’estre chantées.

AIR.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Enfin de nos Bergers les amoureux soûpirs, doit regarder la Page 25.
Enfin de nos Bergers les amoureux soûpirs,
Nos Champs pleins de mille fleuretes,
Et des Oyseaux les tendres Chansonnettes
Annoncent en tous lieux le retour des Zéphirs.
Mais la Nature en vain plus riante & plus belle,
M’ofre tous ses plaisirs, & veut flater mes sens.
La seule Iris douce ou cruelle,
Fait mon Hyver, ou mon Printemps.
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[Elegie sur le Langage des Yeux] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 34-39.

L'Amour qui a fait faire ces deux MariagesI, a donné lieu aux Vers qui suivent. L'Autheur m’en est inconnu. Je ne doute point qu’apres les avoir leûs, vous ne condamniez la modestie qui l’a obligé à se cacher.

SUR LE LANGAGE
DES YEUX.
Elegie.

Que me sert-il de voir la charmante Sylvie,
Et de passer les jours les plus beaux de ma vie
À languir en secret pour cet Objet vainqueur,
Si je veux luy cacher le panchant de mon cœur.
Il faut luy découvrir le secret de mon ame,
Pour pouvoir esperer du remede à ma flame ;
Quelques maux qu’en aimant je m’expose à soufrir,
Les Yeux qui m’ont blessé sçauront bien me guérir.
L'adorable Beauté dont je connois l’empire,
Soufrira que mon cœur pour ses charmes soûpire,
Et loin que mon amour ait dequoy l’irriter,
Elle prendra plaisir à le voir éclater.
Que dis-je ! Il ne faut pas que cet amour éclate,
L'amoureuse langueur doit estre délicate,
Un Cœur passionné, pour devenir heureux,
Doit toûjours déguiser le sujet de ses feux :
Le langage des yeux est un langage tendre
Que l’Amante & l’Amant sçavent assez comprendre ;
C'est celuy dont se sert l’Amante pour charmer,
C'est celuy dont se sert l’Amant qui sçait aimer,
C'est celuy qu’on entend chez les Amans fidelles
Qui veulent signaler leurs ardeurs mutuelles,
Et c’est par luy qu’il faut qu’on exprime d’abord
Tout ce que fait sentir un amoureux transport.
Ce langage muet, cet éloquent silence,
Persuade souvent beaucoup plus qu’on ne pense,
Il se mesle aux langueurs, il se joint aux soûpirs,
Quand il veut d’un Cœur tendre expliquer les desirs ;
Et si dans les transports dont ma flame est suivie,
Je me servois de luy pour les peindre à Sylvie,
Peut-estre qu’un Agent si fin, si délicat,
Feroit dessus son cœur quelque heureux attentat.
Agissez donc, mes yeux, & luy faites connoistre
Tout ce que sa beauté dans mon ame a fait naistre.
Je veux, je vous permets tout ce qui vous plaira ;
Tout ce que vous ferez, mon cœur l’aprouvera,
Mon bonheur dépendra de vostre prompte adresse
À la convaincre assez de toute ma tendresse ;
Vous ferez par vos soins mon bon ou mauvais sort,
Et j’attendray de vous ou la vie, ou la mort.

[L'Amante fidelle, Histoire] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 39-67.

On a de tout temps aimé, & il n’y a point de traverses qui en détournent. Ce que je vous vay conter en est une marque.

Un Cavalier voyoit depuis fort longtemps une tres-aimable Personne avec tout l’attachement que peut causer un amour de sympatie. Ils estoient tous deux de Province, & le raport de sentimens qui s’estoit trouvé entr'eux sur toutes choses, leur en avoit donné un si fort dans l’estime particuliere qu’ils avoient l’un pour l’autre, qu’il ne faut pas s’étonner s’ils s’aimerent presque aussitost qu’ils eurent commencé de se voir. Comme leur passion estoit réciproque, il n’auroit pas tenu à eux qu’elle n’eust éclaté dans les formes ; mais des raisons de Familles toûjours fâcheuses pour les Amans, les obligeoient d’en faire un secret. Le Cavalier avoit un de ces Peres Impérieux & infléxibles qui ne veulent jamais rien de moins que ce que leurs Enfans souhaitent, & qui s’estant mis en teste de marier son Fils à sa Fantaisie, s’estoit hautement expliqué contre la belle Personne qu’il aimoit, avec menaces de le des-hériter, s’il s'oublioit jamais jusqu’à l’épouser malgré luy. Cette menace leur fit garder des mesures, mais elle ne pût rien sur leur amour. Ils se virent moins, & s’aimerent encor davantage. Cependant la Belle qui estoit maistresse de ses volontez & de son Bien, fit un voyage à Bologne chez une Tante qui l’aimoit fort, & dont elle suivoit les avis comme des ordres. Elle n’y fut pas plutost arrivée, que sa beauté & l’agrément de son esprit luy attirerent les civilitez de tout ce qu’il y avoit d’honnestes Gens dans la Ville. On luy conta des douceurs, on se déclara, & parmy ses Protestans, un jeune Capitaine dont la Compagnie estoit là en Garnison, parut des plus empressez. Son Bien estoit connu de la Tante. Elle estoit éclairée sur le mérite. Cet Officier n’en manquoit point, & comme elle crût que ce ne seroit pas un méchant Party pour sa Niéce, elle favorisa leurs entreveuës, & combatit insensiblement le trop de constance dont cette Niéce se piquoit pour son Amant. Elle sçavoit tout le commerce de cet amour, & les obstacles qu’elle y voyoit luy en faisant tenir le succés comme impossible, elle n’eust pas esté fâchée que la Belle eust changé de sentiment. Les raisons dont elle se servoit pour l’y porter, estoient qu’elle ne devoit point s'assurer sur une tendresse surannée, qu’un rien suffisoit quelquefois pour la détruire, que la jeunesse se passoit à attendre, & que les déclarations d’amour les mieux en forme, n’assujetissant plus quand l’interest s’en mesloit, une médiocre fortune présente & assurée valoit bien les espérances d’une plus grande qui pouvoit manquer. Cela disoit quelque chose, mais beaucoup moins que la veuë du Capitaine. Il estoit bien fait, galant, spirituel, & la Belle se défia tellement de ses forces, que pour se conserver à celuy à qui elle s’estoit promise, elle eut besoin de luy faire connoistre ce qui se passoit. Sa Lettre qui le pressoit de la venir trouver à Bologne, où elle jugeoit sa présence d’un tres-utile secours pour elle, fit l’effet qu’elle en avoit attendu. Il estoit à Dieppe quand il la reçeut. Quelques affaires l’y avoient mené. L'embarras n’en estoit pas si grand, qu’il ne trouvast le temps de se divertir. Ce jour-là mesme cinq ou six de ses Amis l’avoient mis d’une Partie de Chasse sur l’eau. La Mer estoit belle. Il y passoit quantité de Gibier, & on voyoit dans cette Partie toutes les apparences d’un fort grand plaisir. Le Cavalier qui estoit naturellement propre, parut dans cette petite Feste avec un Habit fort galant. On équipa un petit Bateau. On fit bonne provision de Poudre, de Balles, & de Bouteilles. On but, on tira, & tous coups porterent avec succés. La Lettre qui fut renduë à nostre Amant au moment qu’il entroit dans le Bateau, luy tenoit fortement au cœur. Il ne s’agissoit pas seulement d’y faire réponse. On vouloit qu’il vinst défendre ses droits contre un Rival ; & que rien ne paroist difficile quand on aime, il s’apperçeut que le vent ne pouvoit estre meilleur pour le mener où on l’attendoit. Il parla au Pilote, luy donna dix Loüis d’or, & l’obligea par cette libéralité à mettre Cap vers Bologne sans en avertir ses Amis. Le vent estoit favorable, & nos Chasseurs estoient déja fort loin de Dieppe, sans qu’ils songeassent à rien moins qu’à la route qu’ils tenoient. Ils tuoient toûjours du Gibier. Ce plaisir les occupoit, & tout alloit le mieux du monde pour le Cavalier à qui le Pilote alloit faire découvrir le lieu où il vouloit aborder, lors qu’ils aperçeurent un petit Vaisseau qui venoit sur eux. C'estoit un Capre Hollandois, que les coups qu’il avoit entendus tirer tout le jour avoient attiré. Ils s’étonnerent de se voir si avant dans la Mer, mais il n’estoit pas temps de raisonner sur ce qui estoit sans remede. Le péril pressoit. Il falloit prendre party, & il n’y en avoit point d’autre que de se rendre, ou de resister. Beaucoup d’entr'eux qu’un peu de débauche avoit échaufez, & qui remarquerent que le Capre estoit sans Canon, prétendirent qu’il y auroit de la lâcheté à ne se point batre. Ceux qui ne se piquoient point de bravoure, n’oserent le faire paroistre. Ainsi, malgré l’inégalité du nombre, il fut résolu qu’on ne consentiroit à se laisser prendre qu’apres que la Poudre auroit manqué. Les Ennemis firent d’abord leur décharge à portée sur les Chasseurs. Il en tuerent & blesserent quelques-uns. Le reste se défendit, & tira vigoureusement. Mais le grand desordre fut à l’abordage. Les Hollandois vinrent sur eux le sabre à la main, & vangerent trois des leurs qui furent tuez, sur toute cette petite Troupe à laquelle ils ne firent aucun quartier. Le Cavalier restoit seul avec deux des Matelots. La propreté de son Habit leur fit croire qu’il y avoit une grosse rançon à en espérer. Ils le garderent, & un des Equipes du Capre qui parloit un peu François, luy ayant demandé qui il estoit, & où il alloit dans une aussi petite Barque que celle où il s’estoit défendu, il répondit qu’une affaire de tres-grande conséquence pour luy, l’avoit obligé à se servir de l’occasion du vent pour aller de Dieppe à Bologne, & que si on vouloit l’y mettre à terre seulement pour vingt-quatre heures, il donneroit une Lettre de change sur un tel Marchand de Roüen ou de Paris qu’on voudroit, avec promesse de se rendre le lendemain à bord pour y rester en ostage jusqu’au payement de la somme dont on conviendroit avec luy. Soit que l’air dont l’amour luy fit demander cette grace eust touché les Matelots, Nation cruelle, & presque toûjours impitoyable ; soit qu’ils ne sçeussent pas assez leur mestier pour connoistre que toutes obligations faites en pareil cas sont nulles, ils se contenterent de tirer de luy une Lettre de change de quinze mille livres, qu’ils firent mettre sous le nom d’un Marchand Anglois, payables à huit jours de veuë sur un autre Marchant de Roüen. Ils le firent en suite porter à terre sur sa parole, proche le Port de Bologne, dans la pensée que quand il ne reviendroit point, ils ne toucheroient pas moins cette somme. Le Cavalier chargea celuy qui luy avoit déja parlé François, de le venir reprendre le lendemain au point du jour, & l’assura qu’il ne manqueroit pas de se rendre au mesme endroit. C'estoit un ordre qu’il croyoit assez inutile à luy donner. Quoy qu’il n’y eust point d’Homme qui fust plus exact à tenir parole, il ne se persuadoit pas qu’il pust y aller de son honneur de n’en point manquer en ce rencontre, & il entra dans la Ville en se promettant fort à soy-mesme de se laisser attendre longtemps par les Hollandois. Il s’informa de la Ruë où logeoit la Tante de l’aimable Personne qu’il venoit chercher, & il pria un jeune Officier de grand air, & fort bien mis, de luy enseigner sa Maison lors qu’il n’en estoit plus qu’à dix pas. Cet Officier estoit son Rival. La Tante qui entroit assez dans ses interests, l’avoit convié à souper, & il devoit donner les Violons ce mesme soir à sa Niéce. L'accés que cette Tante luy avoit permis chez elle à toute heure, joint à la fierté qui est presque toûjours inséparable de ceux de sa Profession, luy faisoit croire qu’on devoit entrer dans cette Maison que par son ordre, ou du moins qu’on estoit obligé de luy rendre compte de ce qu’on avoit à y faire. Le Cavalier n’estoit point Homme à ce détail, & la curiosité du Capitaine fut mal satisfaite. L'un ny l’autre n’avoit l’humeur endurante. Quelques paroles d’aigreur leur échaperent. Ils mirent l’Epée à la main. L'action fit bruit. On s’amassa dans la Ruë. La Tante & la Niéce parurent à la fenestre, & firent sortir du monde qui les sépara. Quelques autres Officiers de la Garnisson qui estoient de la Feste du soir, arriverent. Ils parlerent d’accommodement. Le Capitaine qui avoit pris de l’estime pour le Cavalier sur sa bravoure, y donna les mains, & ils entrerent tous chez la Tante. Jamais surprise ne fut pareille à la sienne, lors qu’elle reconnut le Cavalier. Il ne s’étonna pas moins de voir sa Maistresse. Cette rencontre luy fit aussitost juger qu’il avoit tiré l’Epée contre son Rival. On les obligea de s’embrasser sans rien éclaircir. On le mit du Régal, & on luy fit comprendre en peu de mots qu’il y alloit de l’interest de son amour de ne se point faire connoistre pour ce qu’il estoit. C'estoit luy en dire assez pour obtenir tout de sa complaisance. Il s’observa pendant le Soupé, & sans donner aucune marque de l’intelligence qu’il avoit avec la Belle, il affecta dans ses manieres une liberté d’agir qui trompa entierement son Rival. Ils bûrent à la santé l’un de l’autre. Tout le soir se passa en joye, & apres qu’on eut dansé quelque temps, le Capitaine proposa une Partie de Masque pour achever agréablement ce qui restoit de la nuit. On dit qu’il y avoit un fort grand Soupé chez Mr le Lieutenant de Roy. Chacun se déguisa comme il pût ; & le Capitaine qui avoit fort prié le Cavalier de vouloir estre de ses Amis, crût qu’il ne pouvoit mieux s’empescher d’estre reconnu, qu’en changeant d’Habit avec luy. Je vous ay déja dit, Madame, que le Cavalier qui s’habilloit toûjours de bon air, s’estoit mis fort proprement ce jour-là. L'échange se fit entre les Rivaux, & ce dernier se servit d’une Robe de chambre pour cacher entierement l’Habit que le Capitaine luy donna. La liberté qui est attachée au Masque, luy procura celle d’entretenir quelque temps sa belle Maistresse. Il luy conta une partie de ses avantures ; & l’arrivé du jour ayant fait cesser la danse, les Hommes remirent les Dames chez elles, & toute la Compagnie se sépara. Le Capitaine qui avoit un nouvel échange d’Habit à faire avec son Rival, le pria de venir déjeuner chez luy ; & comme il estoit tres-matin, il l’engagea à faire auparavant une promenade au bord de la Mer, afin d’y gagner de l’appétit. Ils y allerent avec leurs Habits de Masque, & ayant avancé insensiblement vers l’embouchure du Port, le Capitaine y découvrit un petit Bateau qui luy fit naistre l’envie de faire un tour sur la Mer. Il convia le Cavalier à prendre ce divertissement, & entra dans le Bateau sans attendre sa réponse, ne doutant point qu’il ne le suivist ; mais la figure de quelques Matelots Hollandois qui parurent, l’empescha de se haster. Ces Matelots reconnurent l’Habit du Cavalier que portoit le Capitaine, & sans examiner aux traits du visage s’ils emmenoient celuy qu’ils venoient chercher, ils déborderent la Barque malgré ce qu’il leur disoit, pour leur faire prendre le Cavalier, & ils le menerent toûjours à bon compte à bord du Capre qui les attendoit. Il voulut se servir de son Epée, mais deux d’entr'eux qui se jetterent sur luy, l’obligerent à ceder au nombre, & il falut qu’il se laissast conduire à Flessingue, tandis que le Cavalier vint mettre ordre à ses affaires aupres de la Belle, qui n’aprit qu’en tremblant les périls qu’il avoit courus. Il fit changer de sentimens à la Tante, & comme elle ne s’estoit déclarée contre luy que parce qu’elle doutoit de sa fermeté apres les menaces de son Pere, il luy donna de si fortes assurances pour sa Niéce, qu’elle se résolut comme elle à attendre, ou que ce Pere trop absolu se laissast fléchir, ou que sa mort mist son Fils en pouvoir de luy-mesme. Quelques-uns prétendent qu’il y ait un Mariage secret. C'est une circonstance dont je ne suis pas assuré. Je sçay seulement qu’ils s’aiment toûjours en Amans, & qu’ils ne continuënt à se voir qu’avec grande circonspection.

[Galanterie envoyée par Damon à Amarante] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 72-84.

Ce qu’on donne, tire quelquefois moins son prix de la chose, que de la maniere dont on la donne. J'en trouverois des Témoins dans le Dauphiné, où l’on m’assure qu’un présent d’Avoine mondée a esté fort bien reçeu, parce qu’il estoit assaisonné de la Lettre que vous allez voir. Apparemment la Belle à qui on a fait le présent, avoit témoigné le souhaiter.

DAMON,
À L’AIMABLE
AMARANTE.

 

Gardez-vous bien, aimable Amarante, de recevoir ce que je vous envoye comme un chétif Présent de Village. Il vient de bon lieu. Les Muses dont je ne suis que l’Agent y on mis la main, & j’ay esté chargé fort expressément de vous le faire tenir de leur part. Vous estes connuë sur le Parnasse ; & dans la derniere occasion qui m’y fit aller (car vous sçavez que j’y fais quelquefois de petits Voyages) j’appris que vostre Nom faisoit bruit parmy les Divinitez qui l’habitent. Le souvenir qu’on y a de vous presentement, vous est d’autant plus avantageux, que tout y paroist extraordinairement empressé. J'en appris la cause ces derniers jours en allant consulter une de ces Doctes Filles sur quelque chose qui vous regardoit. Voicy ce qu’elle me dit sur l’embarras où je la trouvay.

Damon, puis que c’est ton desir
De sçavoir ce qui met le Parnasse en affaire,
Je veux bien pour te satisfaire,
Dans ce grand jour t’en donner le plaisir.
Sçache qu’Apollon nous ordonne
De cüeillir nos plus verds Lauriers,
Pour en former une Couronne,
Digne du plus grand des Guerriers.
Le Héros des François, ce Loüis si terrible,
Cause tous nos empressemens,
Et c’est ce Monarque invincible,
À qui nous destinons d’illustres Monumens.
Cependant puis que tu veux croire
Que ton Amarante fait gloire
De tout ce qui peut t’obliger ;
Si la reconnoissance est ce qui t’embarasse,
Je consens, pour te dégager,
À te fournir pour elle un Présent du Parnasse.

Jugez, belle Amarante, si cette avance me plut, apres ce que je luy avois temoigné d’abord de la passion que j’avois de vous donner d’éclatantes marques de ce que je voudrois faire pour vostre gloire. La joye que j’en fis paroistre ne peut s’exprimer. Je m’offris à vous faire tenir sur l’heure ce qu’on me promettoit de si bonne grace, & je m’attendois à quelque chose qui fust digne & de vous & de la Muse qui me parloit, lors qu’elle me mit entre les mains le Pacquet que vous recevrez. On ne peut estre plus surpris que je le fus de la nature de ce Present ; & comme elle s’apperçeut que je le trouvois peu considerable, elle me dit en soûriant ;

En vain tu parois étonné.
Nous avons déja tout donné
À la Belle qui te captive.
Nos soins en sa faveur par d’assidus efforts,
Ont épuisé tous les tresors,
Qui font qu’au plus haut point le vrai merite arrive.
Cet esprit délicat que vous admirez tous,
Cet air aussi noble que doux,
Et ces penétrantes lumieres,
Dont l’éclat dans le Sexe attire un œil jaloux
Lors qu’elle y paroist des premieres,
Tout cela, Damon, vient de nous.

Comme ces paroles m’inspirerent un air sérieux qui fit connoistre à la Muse que je ne me payois pas de cette raison, & que je la prenois pour une marque de l’indigence où le Parnasse me sembloit réduit ; elle penetra ma pensée, & y répondit par ces mots.

On ne donne que ce qu’on peut,
Et c’est la raison qui le veut.
Ainsi, Damon, aprens que nostre Mont ne porte
Qu'un peu de grain de cette sorte.
Encor ne vient-il pas comme tu le reçois.
Celuy que je te donne a passé par nos doigts,
Et pour luy donner plus de force,
Nous en avons osté l’écorce.
Pegaze, ce pauvre Animal
Qui n’a point d’autre mets, pourra s’en trouver mal,
Car c’est autant, je te le jure,
De rabatu sur sa pasture.
Pour nous, nous n’en usons jamais ;
Et si nous avons le teint frais,
Et toûjours plus blanc que la nêge,
C'est de nostre destin l’eternel privilege.
Tu sçais qu’on ne meurt point chez nous,
Que sans boire & manger, la brillante jeunesse
Qui nous accompagne sans cesse,
Nous fait vivre au milieu des plaisirs les plus doux.
Malgré tout ce bonheur, prendre nostre Montagne
Pour quelque Païs de Cocagne,
C'est en juger trop favorablement,
Car nous n’avons sur le Parnasse,
Qu'une Fontaine seulement,
Un peu d’herbe & du grain pour le soulagement
Du Cheval emplumé qui parmy nous a place.
Mais ne laisse pas d’envoyer
Ce present à ton Amarante ;
Comme a plus d’un usage on le peut employer,
Je sçay qu’elle en sera contente.
Le Grain dont nous luy faisons part,
Monte, estant preparé, sur les meilleures Tables,
Et peut servir d’innocent fard
Aux Personnes les plus aimable.
À rafraichir le teint il n’a point son pareil,
Il rajeunit, engraisse, excite le sommeil.
Adieu, depuis longtemps avec toy je raisonne.
Pour immortaliser des Exploits inoüis,
Je cours avec mes Sœurs achever la Couronne
Que destine Apollon à l’Auguste Loüis.

Elle disparut en mesme temps, & me quita lors que j’avois mille choses à luy demander. Je n’osay prendre la liberté de la rappeller, & je l’aurois fait sans doute inutilement, puis que les Muses ne viennent que quand il leur plaist. J'execute l’ordre que j’ay reçeu, & ne doute point que mon Avoine mondée ne soit beaucoup meilleure que si elle venoit de tout autre lieu. J'oubliois à vous dire qu’elle inspire des Vers à ceux qui en usent, & que si vous la faites cuire dans un peu d’eau d’Hipocrene dont je sçay que vous estes pourveuë, vous enchereriez encor, si cela se peut, sur la maniere admirable dont vous sçavez tourner les Madrigaux & les Bouts-rimez. Ne vous fâchez pas de ce que j’ay l’honneur d’estre vostre Confrere en Apollon. Cela ne gaste rien. Les Muses sont de vostre Sexe, & il me semble que j’en suis encor avec plus de passion, vostre tres, &c.

[Air de M. des Halus] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 84-85.

Je vous envoye quatre Vers qui ont esté trouvez admirables. Mr des Halus les a mis en Air ; mais comme cet Air a commencé déja à courir, & que vous pourriez reprocher qu’il ne seroit pas nouveau, je me contente de vous en faire voir les Paroles.

AIR.

Que vostre sort est doux, Fleurs qui venez d’éclore,
Et qu’un cœur amoureux en connoit bien le prix !
Vous naissez sur le sein de Flore,
Vous mourez sur le sein d’Iris.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 85-88.

Pour vous empescher de vous plaindre de ce que je ne vous envoye point ces Vers notez, en voicy d’autres qui l’ont esté depuis trois jours par Mr le Froid. C’est un Homme fort consommé en Musique, & qui fait de tres-habiles Ecoliers. Une belle & jeune Personne, encor plus estimable par les qualitez de son ame, que par les charmes de son visage, a fourny la matiere de ces Vers. Elle avoit quité Paris pour la Province, où elle a une fort belle Terre ; & un Cavalier qui l’aimoit sans avoir pû trouver l’occasion de s’en expliquer, s’estoit consolé de son départ qui luy devoit rendre l’entiere liberté de son cœur. Les choses ont changé. La Dame est revenuë à Paris. Le Cavalier l'a reveuë, & ne l’ayant pû revoir sans reprendre les premiers sentimens qu’il avoit pour elle, il a commencé à les luy faire connoistre par ce Rondeau mis en Air. Vous trouverez icy les Notes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pourquoy venir troubler le repos de ma vie, doit regarder la Page 88.
Pourquoy venir troubler le repos de ma vie,
Quand mon cœur contre vous se croit en seûreté ?
Eloigné de vostre beauté,
Je ne gardois aucune envie
De revoir ces beaux yeux dont je suis enchanté.
Pourquoy venir troubler le repos de ma vie,
Quand mon cœur contre vous je crois en seüreté ?
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[Promesse faite à Cloris par un tres galant Homme] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 88-94.

Il se fait tous les jours des Obligations de toute espece, mais je croy qu’il n’en fut jamais une si particuliere que celle dont j’ay à vous parler. Dans une belle Compagnie où il y avoit force Gens d’esprit de l’un & de l’autre Sexe, on loüa fort la genérosité d’un galant Homme, qui voulant faire du bien à une aimable Personne qu’il ne pouvoit épouser, luy avoit donné un Billet par lequel il confessoit luy devoir une somme considérable, quoy qu’il n’en eust jamais rien reçeu. Un jeune Amant qui venoit de recueillir une assez grande Succession, & qu’on croyoit fort épris d’une Belle qui estoit présente, dit qu’il iroit encor plus loin pour ce qui luy toucheroit le cœur, & qu’il se soûmettroit à payer les interests outre ce qu’il confesseroit avoir reçeu, quoy qu’on ne luy eust rien donné. Il s’agissoit de la preuve. On la demanda en faveur de la Belle dont il sembloit estre le Protestant. Il luy presenta la plume pour écrire ce qu’elle voudroit. Elle entendit, & raillerie jugeant comme elle devoit d’une proposition de cette nature faite en présence de tant de Témoins, elle luy dit en riant, qu’il valoit mieux qu’il fist le Billet luy-mesme, mais qu’il prist garde à ce qu’il écriroit, parce qu’elle estoit Fille à s’en prévaloir. Il écrivit aussitost, et luy mettant le Billet entre les mains d’une maniere toute serieuse, il adjoûta qu’il dépendroit d’elle de ne luy demander jamais ce qu’il ne sçavoit que trop qu’elle ne luy avoit point donné ; mais que si-tost qu’elle se trouveroit d’humeur à l’exiger, il protestoit que son soin le plus pressant seroit celuy de la satisfaire. Ces paroles firent juger à tout le mode qu’il auroit écrit quelque agreable folie ; & comme il ne manquoit pas d’esprit, on s’empressa pour voir le Billet. La Belle qui en avoit ry en le lisant, ne fit point de façon pour le donner. On le leût, & voicy ce qu’il contenoit.

Je sous-signé, confesse devoir à la jeune Cloris cinquante Baisers que j’ay reçeus d’elle pour soulager mon amour dans une tres-pressante necessité ; me soúmettant de luy en payer deux tous les jours pour l’interest jusqu’à l’entier remboursement que je promets luy en faire toutefois & quantes. Fait en présence de la Fidelité & de la Tendresse, qui ont signé avec moy comme Témoins.Le Passionné.

Toute la Compagnie demeura d’accord qu’on pouvoit estre-genéreux de cette sorte, sans s’exposer à se repentir. La Belle se tira d’affaires avec un enjoüement admirable, & il n’y eu rien de si divertissant que toute cette conversation.

L'Amant quité §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 95-97.

Avoüez, Madame, qu’il seroit à souhaiter qu’on en usast toûjours de la sorte, & qu’on ne se fist jamais une affaire sérieuse des amusemens de l’Amour. On s’épargneroit beaucoup de sujet de plaintes. En voicy une d’un Amant disgracié, qui vous fera voir que ce ne sont pas toûjours les Hommes qui sont inconstans.

L'AMANT QUITÉ.

Le Printemps vit naistre mes feux ;
Les Fleurs dans ces aimables lieux
Commençoient à peine d’éclore,
Quand mon cœur libre encore,
À l’aspect de la jeune Iris,
De ses beautez tout à coup fut épris.
***
Plein du trouble inquiet dont sa trop chere idée
Tenoit mon ame possedée,
Quelquefois à l’écart dans ce charmant sejour
J'opposois ma raison alors à ma flame naissante ;
Mais ma raison alors ou morte ; ou languissante,
Au lieu de le détruire, augmentoit mon amour.
***
Apres avoir souffert mille peines cruelles,
Enfin elle approuva mes feux,
Et nous nous jurâmes tous deux
De nourrir dans nos cœurs des flames éternelles.
Mais, inconstante Iris, qui s’y fust attendu ?
Bien loin que ton amour ait au mien répondu,
Ces Fleurs dont la beauté n’estoit que passagere,
Ont encor plus duré que ta flame legere.

Voilà ce que c’est que de vouloir aimer dans les formes. On est presque toûjours satisfait, quand on n’y apporte point tant de façon, & les outrages mesmes sont incapables de chagriner.

[L'Amant hardy, ou le Souflet bien reçeu] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 97-102.

On en vit dernierement un exemple dans une belle Assemblée. Plusieurs Personnes de qualité avoient esté priées d’un fort grand Repas. Une Dame aussi charmante par son humeur que par sa beauté, mais d’une vertu tres-délicate, se rendit des dernieres au lieu de la Feste. Un Galant de profession, à qui un long usage du monde faisoit croire que ce qui estoit défendu aux autres, luy devoit estre permis, la trouva fort à son gré. Quoy qu’il ne l’eust jamais veuë, il rappella à la haste quelques fleuretes qu’il venoit de répandre indiféremment de tous côtez, & les offrit à la Belle comme quelque chose de nouveau. Elle les reçeut à sa maniere, c’est à dire fort en riant, & sans croire qu’elle dust prendre son sérieux. L'enjoüement qu’elle fit paroistre en luy répondant, l’enhardit à son ordinaire. Il luy dit qu’elle estoit maistresse de son cœur ; qu’il l’avoit déja plus aimée depuis un quart d’heure qu’il luy parloit, qu’il n’avoit jamais aimé personne ; & ces déclarations furent confirmées par un baiser qu’il luy vola avant qu’elle eust pû prévoir qu’il en avoit le dessein. La Dame qui n’estoit point faite à ces sortes de familiaritez en prit une autre où elle n’estoit pas plus accoûtumée ; & si le vol du baiser fut prompt, l’application d’un souflet qui en fut le prix, ne se fit pas avec moins de promptitude. Le Cavalier n’en fut point déconcerté. Comme il estoit aussi entreprenant en Galanterie qu’à la Guerre, il s’exposoit volontiers aux coups, & ne s’étonnoit point d’en recevoir. Ainsi il prit la main qui l’avoit frapé, la baisa malgré toute la résistance de la Belle, & ayant demandé de quoy écrire, il fit cet Inpromptu qu’il luy donna.

L'excés de vos bontez m’enfle trop le courage,
À force de bonté vous m’allez rendre vain ;
Je me contentois du visage,
Et me fusse passé de baisé vostre main.

Il continua de plaisanter ; & comme il fut plus modeste, il trouva mieux son compte aupres de la Dame, qui n’avoit pas moins d’agrément dans l’esprit, que d'enjoüement dans l’humeur.

[Nouvelles sur la littérature]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 106-109.

Enfin, Madame, la quatriéme & derniere Partie de l’Héroïne Mousquetaire que je vous envoye, vous apprendra que le desespoir d’avoir perdu le Marquis d’Osseyra, marié par surprise avec la Niéce de la Duchesse d’Arschot, luy a fait chercher la mort au Siege d’Ypres. Ses intrigues avec la Veuve d’Espagne qui voulut acheter son amour par un présent d’un Cordon de Diamans de quinze mille écus, y sont écrites d’une maniere fort agreable, & vous ririez de la voir traitée de Sorciere, si les Cachots de l’Inquisition n’estoient pas de l’Avanture. Vous trouverez cette conclusion de son Histoire, accompagnée d’un autre Livre qui mérite d’estre leu de tout le monde. C'est une Instruction morale d’un Pere à son Fils. Mr du Four qui en est l’Autheur, l’a fait imprimer à Lyon. On la peut regarder comme un abregé des Préceptes de l’Ecriture Sainte, & de ce qu’il y a de plus excellent dans les Maximes des Philosophes. On ne peut trouver une maniere plus aisée pour former les jeunes Gens à la vertu, au milieu des affaires & des embarras du monde. Je témoigne que Mr Charpentier, de l’Académie Françoise, rend de ce Livre, en fait connoistre l’utilité. Il est dans une Lettre qui suit la Préface, & en fait beaucoup mieux l’éloge que tout ce que je vous en pourrois dire d’avantageux.

Lettre sur la Princesse de Cleves §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 109-128.

La satisfaction que vous me témoignez avoir reçeuë de la Princesse de Cleves, ne me surprend point. C'est un Ouvrage remply d’une infinité de sentimens délicats qu’on ne peut trop admirer. On le lit par tout, & je croy que vous ne serez pas fâchée de sçavoir ce qu’on en pense en Guyenne. La Lettre qui suit vous l’apprendra. Elle m’a esté envoyée de cette Province sans qu’on m’ait expliqué ny par qui elle a esté écrite, ny à qui elle est adressé.

LETTRE
SUR LA
PRINCESSE DE CLEVES.

 

Je sors presentement, Monsieur, d’une quatriéme lecture de la Princesse de Cleves, & c’est le seul Ouvrage de cette nature que j’aye pû lire quatre fois. Vous m’obligeriez fort, si vous vouliez bien que ce que je viens de vous en dire passât pour son Eloge, sans qu’il fut besoin de m’engager dans le détail des beautez que j’y ay trouvées. Il vous seroit aisé de juger qu’un Geométre comme moy, l’esprit tout remply de mesures & de proportions, ne quite point son Euclide pour lire quatre fois une Nouvelle Galante, à moins qu’elle n’ait des charmes assez forts pour se faire sentir à des Mathématiciens mesmes, qui sont peut-estre les Gens du monde sur lesquels ces sortes de beautez trop fines & trop délicates, font le moins d’effet. Mais vous ne vous contentez point que j’admire en gros & en general la Princesse de Cleves, vous voulez une admiration plus particuliere, & qui examine l’une apres l’autre les parties de l’Ouvrage. J'y consens, puis que vous exigez cela de moy si impitoyablement ; mais souvenez vous toûjours que c’est un Geométre qui parle de Galanterie.

Sçachez d’abord que j’ay attendu la Princesse de Cleves dans cette belle neutralité que je garde pour tous les Ouvrages dont je n’ay point jugé par moy-mesme. Elle avoit fait grand bruit par les lectures, la Renommée publioit son merite dans nos Provinces longtemps avant qu’on l’y vist paroistre, & en prévenant les uns en sa faveur, elle en avoit donné des impressions desavantageuses aux autres, car il y a toûjours des Gens qui se préparent avec une maligne joye à critiquer ces Ouvrages que l’on a tant vantez par avance, & qui veulent y trouver des defauts à quelque prix que ce soit, pour n’estre pas confondus dans la foule de ceux qui les admirent. Pour moy j’ay attendu à juger de la Princesse de Cleves que je l’eusse leuë, & sa lecture m’a entierement déterminé à suivre le party de ses Approbateurs.

Le dessein m’en a paru tres-beau. Une Femme qui a pour son Mary toute l’estime que peut meriter un tres-honneste Homme ; mais qui n’a que de l’estime, & qui se sent entrainée d’un autre costé par un panchant qu’elle s’attache sans cesse à combattre & à surmonter en prenant les plus étranges resolutions que la plus austere vertu puisse inspirer, voila assurément un fort beau Plan. Il n’y a rien qui soit ménagé avec plus d’art que la naissance & les progrés de sa passion pour le Duc de Nemours. On se plaist à voir cet amour croistre insensiblement par degrez, & à le conduire des yeux jusqu’au plus haut point où il puisse monter dans une si belle Ame. Le Lecteur est si interessé pour Monsieur de Nemours & pour Madame de Cleves, qu’il voudroit les voir toûjours l’un & l’autre. Il semble qu’on luy fait violence pour luy faire tourner ses regards ailleurs ; & pour moy la mort de Madame de Tournon m’a extrémement fâché. Voila le malheur de ces actions principales qui sont si belles. On n’y voudroit point d’Episodes. Je veux dire là-dessus que j’ay toûjours esté fort obligé à Virgile des disgressions qu’il a pratiquées dans ses Georgiques ; mais que pour celles qu’Ovide a meslées dans l’Art d’aimer, je n’ay pû les luy pardonner.

Les plaintes que fait Monsieur de Cleves à Mademoiselle de Chartres, lors qu’il est sur le point de l’épouser, sont si belles, qu’il me souvient encor qu’à ma seconde lecture je brûlois d’impatience d’en estre là, & que je ne pouvois m’empescher de vouloir un peu de mal à ce Plan de la Cour de Henri II. & à tous ces Mariages proposez & rompus, qui reculoient si loin ces plaintes qui me charmoient. Bien des Gens ont esté pris à ce Plan. Ils croyoient que tous les Personnages dont on y fait le Portrait, & tous les divers interest qu’on y explique, dussent entrer dans le corps de l’Ouvrage, & se lier necessairement avec ce qui suivoit ; mais je m’aperçeus bien d’abord que l’Autheur n’avoit eu dessein que de nous donner une veuë ramassée de l’Histoire de ce temps-là.

L'Avanture du Bal m’a semblé la plus jolie & la plus galante du monde, & l’on prend dans ce moment là pour Monsieur de Nemours & pour Madame de Cleves, l’amour qu’ils prennent l’un pour l’autre. Y a-t-il rien de plus fin que la raison qui empesche Madame de Cleves d’aller au Bal du Mareschal de S. André, que la maniere dont le Duc de Nemours s’apperçoit de cette raison, que la honte qu’a Madame de Cleves qu’il s’en apperçoive, & la crainte qu’elle avoit qu’il ne s’en apperçeust pas ? L'adresse dont Madame de Chartres se sert pour tâcher à guérir sa Fille de sa passion naissante, est encor tres délicate, & la jalousie dont Madame de Cleves est piquée en ce moment là, fait un effet admirable. Enfin, Monsieur, si je voulois vous faire remarquer tout ce que j’ay trouvé de délicat dans cet Ouvrage, il faudroit que je copiasse icy tous les sentimens de Monsieur de Nemours, & de Madame de Cleves.

Nous voicy à ce trait si nouveau & si singulier, qui est l’aveu que Madame de Cleves fait à son Mary de l’amour qu’elle a pour le Duc de Nemours. Qu'on raisonne tant qu’on voudra là-dessus, je trouve le trait admirable & tres-bien preparé : C'est la plus vertueuse Femme du monde qui croit avoir sujet de se défier d’elle-méme, parce qu’elle sent son cœur prévenu malgré elle en faveur d’un autre que de son Mary. Elle se fait un crime de ce panchant tout involontaire & tout innocent qu’il est. Elle cherche du secours pour le vaincre. Elle doute qu’elle eut la force d’en venir à bout si elle s’en fioit à elle seule ; & pour s’imposer encor une conduite plus austere que celle que sa propre vertu luy imposeroit, elle fait à son Mary la confidence de ce qu’elle sent pour un autre. Je ne voy rien à cela que de beau & d’heroïque. Je suis ravy que Monsieur de Nemours sçache la conversation qu’elle a avec son Mary, mais je suis au desespoir qu’il l’écoute. Cela sent un peu les traits de l’Astrée.

L'Auteur a fait joüer un ressort bien plus délicat pour faire répandre dans la Cour une Avanture si extraordinaire. Il n’y a rien de plus spirituellement imaginé, que le Duc de Nemours qui conte au Vidame son Histoire particuliere en termes generaux. Tous les embarras que cela produit sont merveilleux.

À dire vray, Monsieur, il me semble que Monsieur de Nemours a un peu de tort de faire un voyage à Colommiers de la nature de celuy qu’il y fit, & Madame de Cleves a également tort d’en mourir de chagrin. On admire la sincerité qu’eut Madame de Cleves, d’avoüer à son Mary son amour pour Monsieur de Nemours ; mais quand Monsieur de Nemours qui doit croire tout au moins qu’il est extrémement suspect à Monsieur de Cleves, s’informe devant luy, & assez particulierement, de la disposition de Colommiers, j’admire avec quelle sincerité il luy avouë le dessein qu’il a d’aller voir sa Femme. D'ailleurs entrer de nuit chez Madame de Cleves, en sautant les palissades, c’est faire une entrée un peu triomphante chez une Femme qui n’en est pas encor à souffrir de pareilles entrées. Enfin Monsieur de Cleves tire des consequences un peu trop fortes de ce Voyage. Il devoit s’éclaircir de toutes choses plus particulierement, & je trouve qu’en cette rencontre ny l’Amant ny le Mary n’ont assez bonne opinion de la vertu de Madame de Cleves, dont ils avoient pourtant l’un & l’autre des preuves assez extraordinnaires.

Ce qui suit la mort de Monsieur de Cleves, la conduite de Madame de Cleves, sa conversation avec Monsieur de Nemours, sa retraite, tout m’a paru tres-juste. Il y a je ne sçay quoy qui m’empesche de mettre au mesme rang le Peintre & l’apparition de Monsieur de Nemours dans le Jardin.

Il me reste à vous proposer un petit scrupule d’Histoire. Tout ce que Madame de Chartres apprend à sa Fille de la Cour de François I. & tout ce que la Reyne Dauphine apprend à Madame de Cleves de celle d’Henry VIII. estoient-ce des particularitez assez cachées dans ce temps-là, pour n’estre pas sçeuës de tout le monde ? car il est certain que depuis toutes les Histoires en ont esté pleines, jusques là que moy-mesme je les sçavois.

Adieu, Monsieur, tenez-moy conte de l’effort que je viens de me faire pour vous contenter.

[Arc de Triomphe découvert à Rheims] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 128-150.

Vous vous souvenez, je croy, Madame, que dans quelqu’une de mes Lettres je vous ay parlé d’un Arc de Triomphe qui a esté découvert à Rheims depuis quelque temps. Je ne vous en dis rien alors de particulier, parce que j’en voulois recouvrer la Figure, pour l’accompagner de quelques recherches curieuses sur ce sujet. Elle m’est enfin tombée entre les mains. Je l’ay fait graver, & vous en pouvez considérer les beautez.

Apres vous l’avoir fait voir telle que Messieurs de Rheims l’ont trouvée, il faut vous faire connoistre ce qu’il en pensent par les termes dont ils se sont servis pour s’en expliquer. Voicy ce qu’ils ont fait graver sous cet Arc.

Ce Monument estoit autrefois la Porte Septentrionale de la Ville de Rheims, & s’appeloit Porte de Mars. Cette porte fut comblée de terre, & cachée sous le Rampart en 1544. & l’on en bastit à costé un autre du mesme nom. En 1595. l’Arcade de Romulus & de Remus fut déterrée ; les deux autres ont esté découvertes en 1677. par le soin de Monsieur Dallier, Lieutenant des Habitans & de Messieurs les Gens du Conseil & Eschevins de la Ville.

Il y en a qui pretendent que cet Edifice est un Arc de Triomphe, qui a esté érigé en l’honneur de Jules Cesar, lors que sous l’Empire d’Auguste on fit les grands Chemins de Gaules, dont l’un aboutissoit à cette Porte. L'opinion commune est que Jules Cesar l’a fait bastir.

D'autre estimant que cette Architecture n’est pas des premiers Siecles, ont attribué cet Edifice à Julien, qui l’auroit pû faire construire passant par Rheims, lors qu’il s’en vint à Paris au retour de ses Conquestes d’Allemagne ; mais il est difficile d’assurer sous quel Empereur ce Monument a esté basty, puis que non seulement les Testes qui paroissent dans ce Frontispice sont cassées, mais que le lieu mesme où l’on mettoit anciennement l’Inscription est entierement ruiné, avec tout ce qui estoit au dessus de la Corniche. On peut assurer cependant que c’est un Arc de Triomphe qui a esté élevé en l’honneur de l’Empereur qui regnoit alors, & à la gloire de la ville de Rheims, & que cela s’est fait apres quelque Victoire dont on voit des marques au dehors & au dedans de cet Ouvrage, & à l’occasion du grand Chemin qui passoit par Rheims. La ligne qui traverse le tout, separe ce qui est découvert d’avec ce qui est encor enterré.

Messieurs de Rheims ont adjoûté à ce Discours six Vers Latins de Mr de Santeüil Chanoine de S. Victor. Quoy qu’ils soient tres-digne de leur Autheur, qui a un talent admirable pour ce genre de Poësie, je les suprime en faveur des Dames de vostre Province, qui ne s’accommodent point de la langue des Sçavans.

On a eu de fortes raisons pour croire que l’Arc de Triomphe dont je vous parle avoit esté basty par l’ordre de Jules-Cesar, ou du moins en l’honneur de Jules-César. Il est certain que ce grand Homme avoit une affection particuliere pour les Rhémois, & que ce fut par sa faveur qu’ils succederent aux Bourguignons, nommez alors les Séquanois, dans la Principauté d’une bonne partie des Gaules. Ainsi, il est assez vray-semblable qu’il luy éleverent cet Arc de Triomphe par reconnoissance ; mais ce qui détermine entierement les Esprits à suivre cette opinion, ce sont les Figures dont on l’a trouvé embelly. Elles ont toutes du raport à Jules César. L'Arcade droite represente la Louve Romaine, avec Rémus & Romulus, dans le platfonds de la Voûte ; & les quadrangles qui en occupent les pendans, font voir Faustulus & Acca Laurentia, qui ayant dérobé ces deux Enfans à la Louve, les nourrirent jusqu’à l’âge de dix-huit ans. On voit les douze Mois de l’Année dans la Voûte du milieu, & des Cignes dans la derniere. Il n’est pas besoin de vous expliquer les Figures de Rémus & de Romulus. Ils descendoient des Roys d’Albe qui estoient venus de Jules premier Roy d’Albe, dont la race des Jules prétendoit estre sortie. Pour les douze Mois, on sçait assez que Jules-César, avec le secours des plus grands Matématiciens de son temps, reforma l’Année, & la composa du nombre des jours dont elle est composée encor aujourd’huy. Enfin les Cignes qui ne plongent jamais sous les eaux, nous font souvenir de cette fameuse Avanture de César en Egypte. Il fut obligé de se jetter en mer revestu de sa Robe de pourpre, & il nagea avec tant de force & tant d’adresse vers une Barque qui le reçeut, que des papiers qu’il tenoit en l’une de ses mains ne furent pas seulement moüillez. Voyez, Madame, si à toutes ces Figures on n’a pas dû reconnoistre Jules-César. Peut-estre vostre curiosité ne se contentera-t-elle pas de ce que je viens de vous apprendre. Il faut tâcher de la satisfaire entierement, en vous disant quelque chose des Arcs de Triomphe en general.

Ils sont faits comme de grandes Portes de Ville toûjours ouvertes ; & si vous ne vous contentez pas de la Figure que j’ay fait graver pour vous, vous en pourrez voir icy des Modeles, en voyant les nouvelles Portes de S. Denys, de S. Martin, de S. Antoine, & de S. Bernard, qui sont de véritables Arcs de Triomphe. À mesure que les Romains étendoient le territoire de leur Empire, ils étendoient aussi l’enceinte de leurs Murailles, & c’est ce qui donne lieu de conjecturer que l’origine des Arcs de Triomphe vient de ceux d’entre leurs Roys, qui agrandissant Rome apres leur Victoires, luy donnoient de nouvelles Portes, qu’on élevoit à leur honneur, & laissoient cependant les anciennes, afin qu’en un besoin elles pûssent servir de retranchemens. En suite on ne s’est pas borné à ériger des Arcs de Triomphe dans les Villes, on en a élevé jusques dans les Champs ; ce qui se connoit par la Voye Appienne, qui estoient toutes couvertes de ces superbes Edifices. Ils estoient assez simples d’abord. On les faisoit de Brique, ou de Pierre de taille commune ; car on pretendoit dans ces premiers temps qu’ils ne servissent qu’à récompenser la vertu, & non pas à nourrir l’orgueil des Hommes. Il y en avoit mesme quelques-uns sans Inscriptions, & l’on n’y faisoit qu’y suspendre les dépoüilles des Ennemis, & les marques de la Victoire qu’on avoit remportée. Mais quand Rome perdit cette ancienne simplicité, on commença d’employer le Marbre à bastir les Arcs de Triomphe. On les chargea d’Inscriptions pompeuses. On y éleva des Statuës, & principalement des Victoires aîlées qui sembloient mettre des Couronnes sur la teste des Triomphateurs qui passoient par dessous ces Arcs. On y grava sur la Pierre les Trophées, & quelque chose mesme de l’Histoire de ces Combats où l’on avoit remporté l’avantage. Quelquefois on ne les élevoit que pour la cerémonie du Triomphe ; & quand elle estoit achevée, on les ostoit de leur place. Alors on n’avoit accoûtumé de les faire que de bois, mais le plus souvent on les élevoit pour servir de Monuments perpétuels à la gloire de ceux qui avoient obtenu quelque Victoire signalée. On les a faits de Figures diférentes. Dans les commencemens c’estoient des Portes voûtées en demy-cercle, & c’est de là qu’ils ont reçeu le nom d’Arc. En suite c’estoient de grands quarrez au milieu desquels estoit une Porte voûtée, & deux autres petites à ses costez qui faisoient ses aîles.

Pendant que nous sommes sur la matiere des Arcs de Triomphe, je ne sçay si vous ne seriez point bien aise d’apprendre plus particulieremnt ce que c’estoit que les Trophées dont on parle tant. Un Trophée n’estoit rien autre chose qu’un Tronc d’Arbre revestu des dépoüilles qu’on avoit arrachées aux Ennemis. On le plantoit au lieu mesme où les Ennemis avoient esté mis en fuite ; & l’origine des Trophées vient sans contestation de ces Troncs d’Arbre plantez, mais on s’avisa depuis de les faire porter dans les Triomphes. Les Romains estoient si persuadez que ces sortes d’honneurs animoient leurs Citoyens à faire de grandes entreprises, qu’ils exilerent un Cneius Fulvius, qui rejetta le Triomphe qu’on luy avoit décerné, parce qu’il avoit donné un exemple tres-dangereux, en méprisant la plus glorieuse récompense qu’on pût donner à la Vertu.

Pour revenir à l’Arc de Rheims, apres vous l’avoir fait voir en face, il faut vous montrer le Dessein de la Voûte d’une des trois Arcades. Vous aurez les deux autres la premiere fois. Le peu de temps qui me reste à faire travailler les Graveurs, ne me laisse pas en pouvoir de vous envoyer le tout ensemble. J'ay crû devoir commencer par la Voûte de l’Arcade de Leda, parce qu’elle represente la Ville de Rheims. Ces paroles qui sont au dessous ; le font connoistre.

La Ville de Rheims est icy representée sous la figure d’une Femme, selon l’ancienne coustume. Le Cigne qui accompagne cette Femme, la fait reconnoistre pour Leda ; & l’on peut dire que comme Leda estoit Mere de Castor & de Pollux, qui estoient les Divinitez qui présidoient aux Loix & aux Jugemens, ainsi que Cicéron nous l’aprend : de mesme la Ville de Rheims tenoit à gloire d’estre Mere des Juges dont le Conseil estoit composé, qui estoient recommandables par leur merite & par leur integrité. Le Flambeau que tient l’Amour, fait connoistre que pour bien penétrer l’obscurité du Droit, il ne faut manquer ny de lumiere ny d’affection pour l’Equité. C'est ainsi qu’autrefois les Villes prenoient soin de marquer par quelque Emblême les avantages dont elles se faisoient honneur, comme on le pourroit justifier par de semblables Monumens, aussi bien que par les Medailles.

J'aurois trop à vous dire, si je voulois entrer dans tout ce qui regarde la Ville de Rheims. Son antiquité est connuë, & les marques de considération que je vous ay dit qu’elle avoit reçeuës de Jules-César, justifient l’estime particuliere qu’on faisoit autrefois de ses Habitans. Ils n’en méritent pas moins aujourd’huy, & on ne sçauroit trop loüer les soins qu’ils ont pris de déterrer le celebre Monument dont je vous parle. Ceux de cette nature qu’on éleve icy de tous costez à la gloire de Loüis le Grand, font voir que Paris peut disputer d’éclat sous son Regne avec l’ancienne Rome, & que les Césars qu’elle a tant vantez, s’ils ont servy d’exemple à ce Grand Monarque, n’ont rien fait qui approche de ce que nous luy voyons faire tous les jours de surprenant.

Reponse d’Iris à l’Amant interessé §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 150-157.

Vous voulez bien, Madame, que je passe du sérieux à l’enjoüement. L'Amour Interessé vous a paru agreable. On y a fait une Réponse, & apparemment vous ne serez pas fâchée de la voir.

REPONSE D’IRIS,
À l’AMANT INTERESSÉ.

 

Vous sçavez que j’ay dequoy payer les avances que vous pouvez faire en amour, & vous vous lassez déja d’en faire. Je vous avouë que cela me surprend, apres les assurances que vous m’avez tant de fois données que vous ne me demandiez autre chose que la permission de m’aimer.

Voila comme sont les Amans,
D'abord ils font mille sermens
Qu'ayant pour nous une tendresse extréme,
Au seul plaisir d’aimer ils bornent tous leurs vœux ;
Mais dés qu’ils pensent qu’on les aime,
On voit bientost qu’ils n’aiment qu’eux.

Je ne vous croyois pas de ce nombre. Le compte que vous voulez que nous fassions me l’apprend. Voyons donc ce que vous avez avancé, & ce que vous avez reçeu.

Pendant trois mois, plein d’un tendre soucy,
Vous avez de mon cœur voulu bannir la glace
Par cent soûpirs brûlans qui n’ont pas réüssy ;
Pour cet article je le passe.
Depuis ce temps, vous avez employé
Mille & mille soins pour me plaire.
Il est vray que pour vous des soins sont une affaire
Mais si vous m’avez plû, vous estes bien payé,
Ainsi cet article est rayé.

Vous sçavez trop bien les plus fines pratiques de l’amour, pour ne découvrir pas quand il commence à entrer dans le cœur des Gens.

Dés qu’un Amant dit, je vous aime,
Et qu’on l’écoute avec plaisir,
On n’aime pas d’abord, mais on a le desir
Que son cœur soit toûjours le mesme
Et passer du desir d’estre aimée à l’amour,
Ce n’est que l’affaire d’un jour.

Peut-estre en serois-je à la fin venuë là, & puis que je connoissois vostre amour, comme vous me témoignez en estre persuadé, sans que j’en fusse devenuë plus fiere, vous deviez en concevoir de plus grandes esperances ; mais vous estes de ces Gens qu’un merite extraordinaire dispense de suivre les regles communes. Vous demandez avec un empressement surprenant la récompense d’un amour qui n’est âgé que d’un an ; & le compte de vos mises fait, vous voulez qu’on vous paye. Les voila ce me semble toutes. Je croy n’en avoir oublié aucune. Il faut venir aux payemens que j’ay faits. Vous avoüez que je vous ay laissé baiser mon Gand, & qu’en presence de vos Rivaux je vous ay dit une fois trois ou quatre mots à l’oreille. Si vous comptez cela pour rien, je ne sçay ce qu’il faut appeler faveur en amour.

D'un Grand baisé l’obligeante faveur,
Fut toûjours faveur sans pareille,
Et quand on dit quatre mots à l’oreille,
L'on en dit beaucoup plus au cœur.
Apres cela, Tirsis, arrestons nostre compte.
Mettez d’un costé vos langueurs,
Je mets de l’autre mes faveurs,
Voyons à quoy cela se monte.
Je trouve, tout bien compensé,
Que vous avez plus reçeu qu’avancé.

Je pourois vous demander mon reste, mais je veux estre plus genereuse que vous. Allez je vous en quite. Je ne vous demande rien que l’Indiference que vous commenciez à bannir de mon cœur. Laissez la revenir, & n’ayons plus apres cela d’affaires ensemble.

[Ballet Impromptu, fait par M. le Duc de S. Aignan, & dancé au Havre] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 170-182.

Monsieur le Duc de Saint Aignan dont vous connoissez le zele pour la gloire & le service du Roy, ayant mis la Coste de son Gouvernement en état de ne rien craindre, fit ces derniers jours un Ballet, qu’il appella Ballet Inpromptu, & qu’il avouë pouvoir estre plus justement nommé le Ballet sans suite, puis qu’il n’est qu’un mélange de plusieurs Entrées confuses, & sans aucun ordre, la précipitation avec laquelle ce Ballet se fit, n’ayant pas laissé le temps de s’appliquer à les rendre plus régulieres. On s’attacha à les faire presque toutes ridicules, afin d’entretenir la joye de quelques Dames, qui dans le plaisir d’avoir reçeu une nouvelle agreable, avoient obligé des Cavaliers à leur donner cette marque de leur complaisance. Vous avoüerez que c’est quelque chose de bien glorieux pour la France, que dans le temps où elle a toute l’Europe à combattre, on joüisse d’une assez grande tranquillité pour estre en état de se divertir sur les Costes. Mr Labbé de Caën, qui est une des meilleures Basses de Viole qui soit en France, & qui jouë les quatre Parties de la maniere la plus délicate, contribua fort à la beauté des Concerts & des Airs qui furent chantez dans ce Ballet. Il passe la meilleure partie de l’année au Havre, où il se trouve un assez grand nombre de Danseurs, tous Gens d’execution & d’oreille. Voicy en quels termes le Projet de ce Divertissement fut dressé.

BALLET INPROMTU.

La Toille represente une Place où plusieurs Ruës aboutissent, & dont une Hostellerie fait le coin, ayant pour Enseigne les trois Pucelles.

 

Récit des trois Filles du Maistre de cette Maison.

L’enseigne des trois Pucelles
Marque nostre Logement.
Il suffit pour les plus belles
D’un petit Appartement,
Où nos trois Amans Fidelles
Nous puissent voir librement.
L’Enseigne des trois Pucelles
Marque nostre Logement.
***
Bien que nous soyons cruelles,
Nous pensons à tout moment,
Que sans estre criminelles,
On peut aimer tendrement.
L’Enseigne des trois Pucelles,
Marque nostre Logement.

I. ENTRÉE.

Les trois Sœurs témoignent par la gayeté de leur danse, qu’elles sont satisfaites de l’état présent de leur fortune.

2. ENTRÉE.

Le Maistre de la Maison, sa Femme, son Valet, & sa Servante.

3. ENTRÉE.

Barbacole Pédant, avec quatre de ses Ecoliers.

4. ENTRÉE parlante.

Mr Buisson Juge de Village ; Me Macé & MeHilaire Avocats, faisant devant luy un Plaidoyé tres-ridicule en Vers.

5. ENTRÉE.

Deux Bergers, deux Bergeres, & deux Pastres.

CONCERT DE FLUSTES.

[Voir le Recit du Dieu Pan oublié lors de l’impression et donné au début de ce volume.]

6. ENTRÉE.

L’Amour de Village, & l’Hymen champestre, accompagnez du Jeu, du Ris, & de l’Innocence.

CHANSON DE L’AMOUR.

Je suis l’Amour de Village,
Plein des constance & de foy.
Ceux qui vivent sous ma loy
Ont mille biens en partage,
Et rien n’est plus doux que moy,
***
Loin du bruit & de l’envie,
De la crainte, & des soûpirs,
Si j’inspire des desirs,
Dans une si douce vie
Il en naist mille plaisirs.

7. ENTRÉE.

Un Vielleur & deux Aveugles.

8. ENTRÉE.

Six Galants venus pour voir une Nôce rustique.

9. ENTRÉE.

Une Sage-Femme & deux Nourrices.

10. ENTRÉE.

Combat de six Espagnols à l’épée & au poignard, interrompu par deux Cavaliers Joüeurs de Guitarre.

11. ENTRÉE.

Quatre Garçons Patissiers présentent aux Dames plusieurs choses de leur mestier fort délicates, & dansent en suite.

12. ENTRÉE.

Orphée joüant admirablement bien d’une Basse de Viole ; & deux Bacchantes le cherchant pour le tuer.

13. ENTRÉE.

Bacchus & quatre de ses Suivans, chasse les Bacchantes, & se réjoüit apres avec les siens qu’il enyvre.

CHANSON À BOIRE

de l’un des Yvrognes, à laquelle tous les autres répondent.
L’Amour est souvent fâcheux,
Nous aimons mieux la Bouteille,
Sa douce liqueur réveille,
Elle rend le cœur joyeux.
Quand on boit sous une Treille,
Chers Amis, qu’on est heureux !
Vive la liqueur vermeille.
L’Amour est souvent facheux,
Nous aimons mieux la Bouteille.
***
Suivons les Ris & les Jeux,
Dans le Vin faisons merveille ;
Celuy-cy n’a qu’une oreille,
Buvons donc un coup ou deux.
Camarade, à la pareille.
Mes avis sont genereux,
Fais ce que je te conseille.
Suivons les Ris & les Jeux,
Dans le Vin saisons merveille.

CONCERT DE VOIX
& d’Instrumens.

CHANSON.

Quand il est doux de se rendre,
Peut-on défendre
Sa liberté ?
Est-il quelque Beauté
Qui veüille prendre
Contre un cœur tendre
De la fierté ?
***
Lors que la peine a des charmes,
On rend les armes
Fort aisement.
Un doux soulagement
Suit les allarmes,
Et jusqu’aux larmes
Tout est charmant.

14. ENTRÉE.

Deux fameux Capitaines Bohemes.

15. & DER. ENTRÉE.

Deux autres Bohemiens & quatre Bohemiennes.

[Description de la Feste du jeu de l’Arc qui se fait tous les ans à Montpellier] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 182-197.

Ce n’est pas seulement au Havre que les ordres admirables qui se donnent pour la tranquillité du Royaume, laissent régner les Divertissemens pendant la Guerre ; ils ne sont pas moins en usage dans les autres Villes, & on n’avoit point encor veu tant de galanterie à Montpellier, qu’il y en a eu cette année à l’occasion du Jeu de l’Arc. Il faut vous dire pour la recommandation de ce jeu dont vous n’avez peut-estre jamais entendu parler, que l’amour du plaisir a moins contribué à son institution que le désir de la gloire. Les Roys de Majorque qui estoient autrefois Seigneurs de Montpellier, l’y ont étably, & entretenoient par là ce Peuple aguerry dans l’exercice des Armes, avant que la Poudre & le Mousquet fussent connus. On en a fait toûjours depuis une espece de Feste galante, & elle est si propre à faire paroistre l’adresse de ceux qui en sont, que plusieurs Princes & Gouverneurs de la Province n’ont pas dédaigné de se faire voir dans le nombre des Archers qui en disputent le prix. Leur Chef est toûjours un tres-grand Seigneur du Païs. Celuy qu’ils ont à présent, est Mr de Combas, digne Successeur de feu Mr le Marquis de Fabrégues, de l’Illustre Famille de Combas, qui est depuis longtemps en possession de fournir des Capitaines à cette belle Compagnie. Elle a ses Lieutenans, Enseigne, Major, Ayde-Major, Conseillers, & est composée de plus de deux cens Hommes. Leur Feste, qu’on appelle la Feste du Perroquet, est fixée au commencement de May. Ainsi le premier jour du mois où nous sommes, douze Tambours habillez de verd batirent la Quaisse par toute la Ville, & avertirent les Archers de se tenir prests pour le huitiéme. Ce jour estant arrivé, toute la Compagnie se rendit aupres de son Capitaine, qui la fit marcher dans l’ordre qui suit, sous le bon plaisir du Roy de la Feste.

On voyoit d’abord les douze Tambours vestus de verd. Ils estoient suivis de six Hautbois, apres lesquels marchoit un grand Homme, couvert d’une Casaque verte, chargé sur le derriere d’un Cupidon en broderie d’or. Il portoit au bout d’un Baston peint en verd, un Perroquet figuré en bois, & doré aux extrémitez. À ses costez estoient quantité de jeunes Garçons, avec des Habits de toile d’argent. Ils representoient de petits Amours, & portoient à leurs costez des Carquois garnis. Ils avoient des Arcs dorez à la main, & tiroient de la Poudre de Chypre sur les Dames. Elle sortoit d’une Boëte percée qui tenoit au bout de leurs Fleches. Tout cela se faisoit au son de huit Violons. Ils précedoient trois Trompetes qui se faisoient entendre à leur tour, & portoient des Casaques de la livrée du Perroquet. En suite paroissoit le Roy, (c’est ainsi qu’on appelle celuy qui a gagné le Prix l’année précedente, en jettant le Perroquet par terre.) Il estoit au milieu du Capitaine & du Lieutenant en Habit de brocard à fonds d’or, portant une Toque de velours noir, ornée de quantité de Plumes blanches, avec une tres-belle Aigrete au dessus. Le Capitaine se faisoit remarquer tant par sa bonne mine, que par un Habit tres-somptueux ; & son Lieutenant approchoit de cette magnificence. Les Conseillers marchoient apres deux à deux. Ils n’estoient distinguez des autres Archers que par leur rang, & avoient comme eux l’Epée au costé, & une Fleche à la main. Ceux-cy estoient suivis d'un grand nombre d’Archers mariez, qui n’ayant rien de l’air sérieux du Mariage, répondoient fort à la gayeté que faisoit paroistre dans un équipage tres-galant l’Enseigne de cette Compagnie. Il estoit à la teste de la pus belle Jeunesse du monde, qui par des Habits garnis de Ruban gris-de-lin marquoient la livrée & l’amour de cet Officier. Ils tiroient sous le toit des Belles qu’ils voyoient aux Fenestres, des Fleches peintes en verd & en gris-de-lin. Le Major & Ayde-Major marchoient les derniers, & ne cedoient en rien au reste des Officiers de cette Troupe.

Ils allerent en cet ordre vers un grand & large Fossé fermé de tous costez de hautes murailles de pierre de taille, qui se trouvent par dehors à hauteur d’appuy, pour la commodité des Spéctateurs. Il y a sur le devant & à l’entrée, une fort belle Galerie destinée pour les Dames. Elle est bordée d’une Balustrade de bois peint, au bout de laquelle est un Escalier par où l’on descend dans cette agreable Lice. On l’avoit garnie de Tentes tout le long de son costé gauche. Diverses Tables y estoient dressées. Vous pouvez croire que les Liqueurs, la Limonade, les Oranges de Portugal, & tout ce qui peut flater le goust des Dames, s’y trouvoit en abondance.

Ce fut au bout d’un Parquet qui est dans le fonds de ce Fossé, que toute cette belle Troupe s’estant assemblée au bruit des Tambours & des Trompetes, & au son des Hautbois & des Violons qui se répondoient tour à tour, on fit élever le Perroquet sur une grande Poutre & sur diverses Perches attachées les unes aux autres. Il fut fiché & cloüé sur la derniere de ces Perches.

Comme ces galants Archers se rendent tous les jours dans ce Fossé, où ils tirent chacun selon son rang, un certain nombre de Fleches pour tâcher d’abatre ce Perroquet, & qu’ils n’en sortent que sur le soir à l’heure du Soupé, dans le mesme ordre qu’ils y sont venus, cet agreable Spéctacle ayant le dixième de ce mois attiré la curiosité du beau Sexe de Montpellier, il prit envie à plus de cinquante des plus jolies Filles de la Ville de se faire mener par les Archers qui n’estoient point mariez, & de se servir de leur Escorte pour aller remettre leurs Officiers dans leurs Maisons. Leur parure estoit extraordinaire, & répondoit à celle de leurs Meneurs. Elles tenoient chacune un Bâton d’ebene garny d’argent à la main droite, qu’elles avoient passée dans un Ruban ponceau ; & à la gauche, un Evantail de peau de senteur, avec les Bâtons d’écaille tortuë.

Apres que la Cerémonie fut achevée, & qu’on eut conduit les principaux Officiers chez eux, toute cette galante Jeunesse, tant de l’un que de l’autre Sexe, se rendit aux Flambeaux chez l’Enseigne. Elle y fut régalée d’un Repas où la magnificence, la propreté, & la délicatesse, remplirent parfaitement tout ce qu’on pouvoit attendre du plus libéral des Officiers. Le Bal acheva la Feste. On dansa longtemps, & ces aimables Filles furent en suite remenées chez elles par les jeunes Archers qui passerent le reste de la nuit à leur donner des Serenades, & à danser des Ballets sous leur Fenestres.

Je n’ay rien sçeu par dela ce que je vous mande. Si j’apprens ce qui se sera passé dans la suite de la Feste, jusqu’à ce qu’il y ait un nouveau Roy, j’auray soin de vous le faire sçavoir.

[Galanterie envoyée à M. le Président Charton] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 197-204.

J'adjoûteray seulement icy une tres-agreable Galanterie qui a esté envoyée pour Bouquet à Mr le Président Charton par une Demoiselle toute belle & toute aimable, & qui est de ses particulieres Amies.

BOUQUET
POUR MONSIEUR
LE
PRESIDENT CHARTON.

Président, je fais un Bouquet,
J'y mets la Rose & le Muguet,
Le Jacinte & la Tubéreuse ;
Sans-doute il vous divertira.
Cà, voyons quelle Fleur sera la plus heureuse,
Vostre choix en décidera.
***
On voit déja chacune de ces Fleurs
Prendre ses plus vives couleurs,
Pour vous aller faire la revérence,
Et vous témoigner son desir,
Vous disant ; plairoit-il à vostre Présidence
De me faire l’honneur de me vouloir choisir ?
***
La Rose s’en va vous parler
De toutes les grandeurs qu’elle peut étaler.
Elle vous vantera son illustre naissance,
Vous dira qu’il n’est point une plus belle Fleur ;
Que relevée en éclat, en puissance,
C'est du sang de Vénus qu’elle tient sa couleur,
Méritant en tous lieux d’avoir la préférence,
Elle a tout ce qu’il faut pour conquérir un cœur.
***
Le Muguet va vous assurer,
Que qui connoit son prix, le doit considérer ;
Qu'il a des beautez, du mérite ;
Que bien que sa Fleur soit petite,
Elle marque à tous sa candeur ;
Qu'elle est en assez bonne odeur
Par tout où le bon goust à l’estimer invite,
Et qu’à certaines Gens elle tient fort au cœur.
***
La Tubéreuse va vous dire,
Que de tous les airs qu’on respire,
Celuy qu’elle veut parfumer
Fais naistre le desir d’aimer ;
Qu'à la chérir tout le monde s’empresse ;
Qu'elle inspire à chacun les plus brulans desirs ;
Mais que si son odeur fait naistre la tendresse,
Sa Fleur pourroit donner les plus charmans plaisirs.
***
Pour le Jacinte, il faut l’entendre,
Cette Fleur vous dira d’un air plus fier que tendre ;
Moy, je ne me vante de rien,
Je suis telle que Dieu m’a faite ;
Mais tout le monde sçait fort bien
Qu'entre les choses qu’on souhaite,
De tous ce qui s’appelle un bien,
Il n’en est point de plus parfaite.
Ma bonne grace & ma beauté
Mettroient en d’autres cœurs beaucoup de vanité,
Ma couleur marque ma constance.
Président, si vous en avez,
Je ne veux rien vous dire, vous sçavez
Jusqu’où je fais pour vous aller ma complaisance.
D'autres y songeroient ; sur cette connoissance,
Sur l’ardeur de mes soins tant de fois éprouvez,
Soit par justice, ou par reconnoissance,
Choisissez bien, si vous pouvez,
Mais sçachez que ce choix sera de conséquence.
Quand mon cœur n’est point satisfait,
Je deviens fiere en toute chose,
Et dans le choix qui se propose,
Je vous dis tout franc & tout net,
Que je croy surpasser la Rose,
La Tubéreuse, & le Muguet.
***
Président, voila mon Bouquet,
Pensez à l’ordre qu’il impose.

Mr le Président Charton choisit le Jacinte, & apprit en suite que Madame la D. D. B. estoit la Rose ; Madame de M. le Muguet ; Mademoiselle C. la Tubéreuse ; & Mademoiselle B. le Jacinte qu’il avoit choisy. Il donna une magnifique Collation à ces Dames. Il y eut cinq Services, entre lesquels des Hautbois, des Violons, des Théorbes, des Violes, & des Voix, firent cinq Chœurs de Musique. Cette Feste fut terminée par le Bal, où ce Président se montra aussi galant parmy les Dames, qu’il est habile Homme dans le Palais.

[Sa Majesté donne au second Fils de M. de Lully, Surintendant de la Musique de la Chambre, l’Abaye de S. Hilaire aux environs de Narbonne] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 206-207.

L'Abbaye de S. Hilaire, aux environs de Narbonne, a esté donnée au second Fils de Mr Lully Surintendant de la Musique de la Chambre du Roy. La mort de Mr l’Abbé de la Barre, Officier de sa Chapelle, la laissoit vacante. Si celuy qui en est présentement pourveu, devient dans l’Eglise ce que Mr Lully son Pere est dans la Musique, il fera un des premier Hommes de son Siecle.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 211-212.

La joye est fort necessaire pour faire profiter les Remedes. Celuy qui a fait la Chanson qui suit, en doit estre persuadé, puis qu’il ne parle que de ce qui est contraire au chagrin. Voyez-en les Paroles. Mr l’Egu les a mises en Air.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Pendant que nos braves Guerriers, doit regarder la Page 212.
Pendant que nos braves Guerriers
S’entredisputent les Lauriers,
Entredisputons nous la gloire
De chanter, de rire, & de boire.
    Unissons nous tous,
Buvons ; chantons, faisons des vœux,
Puis qu’ils combatent pour nous,
Amis, buvons pour eux.
images/1678-05_211.JPG

[Traduction de la Chanson Italienne qu’on a veuë dans le Mercure du mois de Mars] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 212-215.

Pour satisfaire vos Amies qui prétendent que je vous devois épargner la peine de leur expliquer la Chanson Italienne que vous avez trouvée dans ma Lettre du Mois de Mars, je vous en envoye la Traduction. Elle est tres-fidelle, & il ne faut pas avoir un médiocre talent en Poësie, pour pouvoir donner un tour agreable à ce qui est traduit fidellement.

Traduction de la Chanson Italienne du Mois de Mars, qui commence par, Questa bella d’amor nemica.

Cette Belle qu’Amour n’a jamais pû toucher,
Dont le cœur fut toûjours aussi dur qu’un Rocher,
Est la jeune Climene.
Quoy que je brûle jour & nuit,
Quand j’ose luy parler de l’excés de ma peine,
D’un œil plein de couroux aussitost l’Inhumaine
Me regarde & s’enfuit.
Cette Ingrate que j’aime
Ne veut pas seulement écouter mes malheurs,
Ny voir couler mes pleurs.
Bergere, que pour moy ta rigueur est extréme !
Ton ame est mille fois
Plus insensible que nos Bois.
Ah, si tu ne veux pas, cruelle,
Entendre soûpirer
Le cœur de ton Amant si tendre & si fidelle,
Du moins ouvre les yeux pour le voir expirer.

Ces Vers sont du Fils d’un Auditeur de la Chambre des Comptes de Dijon. C’est tout ce qui m’en est connu.

[Sonnet Italien au Roy] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 215-217.

Cependant quand vos Amies devroient encor murmurer, elles n’auront que par vous l’intelligence du Sonnet Italien que je vous envoye. À dire vray, je ne croy pas qu’il soit possible de le traduire, & d’en conserver les graces. La Poësie Italienne a des élevations dont nostre Langue ne sçauroit s’accommoder. Ce Sonnet est adressé au Roy. Le nom de l’Autheur est au bas.

AL INVITISSIMO
RÉ LUIGI XIV

Inclito Ré, Tu de la Guerra il Nume
De Traci ad onta onnipotente sei :
Del cui cimier nell’ondeggiatti piume
Nuotano le vittorie, ed’i trofei.
***
Sparsi di polue gia'prisco costume
Gli Eroi deificò ne campi Elei ;
E tra gli astri brillar gemino lume
Fe'la garrula Grecia i due Amiclei.
***
Pur del tuo Nome in paragon che furo ?
Nome cui de la Gallie il giro é angusto :
Nome che rende ogn’altro nome oscuro.
***
Deh venga il di che di trionfi onusto
(Poëtico furor suela il futuro)
T'adori il Mondo incoronato

Augusto.

Del D. A. PAJOLI, Ferrarese.

[Sonnet de M. l’Abbé Minot au Roy] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 217-219.

Dans le temps du depart du Roy pour sa seconde Campagne de cette Année, Mr l’Abbé Minot dont le talent pour la Chaire est fort connu, expliqua ainsi les Vœux de la France.

SONNET.

Que de Loüis le Grand le Nom si venérable,
Si charmant & si doux, à ses Peuples soûmis,
Soit malgré les efforts de nos fiers Ennemis,
En tous lieux, en tout temps, auguste & venérable !
***
Que le Ciel à ses vœux soit toûjours favorable,
Pour punir les excés que l’Empire a commis ;
Qu'à la jalouse Espagne il ne soit plus permis
De douter que son Bras est un Bras indomptable.
***
Que du Levant au Nort il porte la terreur,
Que loin de nos Climats il bannisse l’Erreur,
Pour couronner par là ses Campagnes passées.
***
Que sa Sagesse enfin pour combler nos souhaits,
À des Lauriers cueillis dans des Saisons glacées,
Joigne dessus son Front l’Olive de la Paix.

Madrigal §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 219-221.

Le Madrigal qui suit est d’une Dame qui a infiniment du mérite. Je ne vous dis rien de son Esprit, vous en jugerez par ses Vers. Si elle estoit infaillible dans ce qu’elle veut quelquefois deviner, le Tirsis dont elle parle auroit sujet de se croire heureux, car la Bergere est des plus aimables, & la gloire d’avoir quelque place dans son cœur seroit une des meilleures fortunes qu’il pust esperer.

MADRIGAL.

La Bergere Lisete
Dit qu’elle n’aime rien,
Pas mesme sa Houlete,
Son Troupeau, ny son Chien.
Cependant quand Tyrsis la trouve sur l’herbete,
Ou qu’il va dans sa Maisonnete,
On connoist bien par sa rougeur,
Et par un air tout languissant & tendre,
Que si cette Bergere est encor à se rendre,
Elle aura bientost un Vainqueur.

[Avanture de Chasse] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 221-229.

On se perd quelquefois heureusement. Un cavalier aussi galant que spirituel, en fit l’épreuve ces derniers jours. Il estoit d’une Partie de Chasse dont une Personne fort qualifiée donnoit le divertissement aux Dames, apres une absence de deux ans. On couroit le Chevreüil. Le Cavalier qui ne connoissoit pas trop le Païs, s’enfonça si avant dans le Bois en poussant la Beste, qu’apres l’avoir perduë, il perdit aussi son chemin. Il marcha une demy-heure à l’avanture, & s’estant trouvé dans un Taillis où il y avoit de l’eau, la crainte de s’embarasser mal-a-propos l’obligea de s’arrester. Cette crainte ne l’inquiéta pas longtemps. Le bruit d’un Chariot qu’il entendit d’assez loin, le fit tourner de ce costé-là. Il fut agreablement surpris d’y trouver une fort aimable Personne, âgée tout au plus de dix-huit ans. Elle estoit à pied avec une Canne à la main, & marchoit devant le Chariot en se promenant. Le Cavalier qui descendit de cheval si-tost qu’il la vit, la pria fort civilement de luy enseigner sa route. La Belle s’offrit à l’y remettre, s’il vouloit se laisser conduire. Le Party estoit trop avantageux pour le refuser. Ils marcherent ensemble environ une demy-heure. Le Cavalier avoit toûjours les yeux attachez sur elle. Elle méritoit bien qu’on la regardast. Voicy son Portrait. La taille tres-belle ; le visage ovale ; les yeux noirs, touchans, & plein de feu ; le teint vif & fort blanc ; les cheveux bruns ; la bouche vermeille ; le haut de la gorge tres-beau, car le Cavalier ne vit rien de plus ; les bras ronds, quoy qu’un peu gros ; & enfin toute propre par son air enjoüé à inspirer de l’amour au plus insensible. La délicatesse de son esprit répondoit aux agrémens de sa personne, & vous jugez bien que jamais rencontre ne fut plus agreable au Cavalier. Il poussa la fleurete, dit cent choses obligeantes, & elles furent écoutées d’une maniere à faire croire que ce qu’il disoit ne déplaisoit pas. Ils avancerent toûjours, & se trouverent insensiblement dans une Allée qui conduisoit à un petit Bois. Ils y furent à peine entrez, que le Cavalier découvrit un Chasteau qui estoit au bout. La Belle luy dit qu’il appartenoit à sa Mere, & qu’elle ne l’y amenoit que pour luy faire reprendre plus aisément son chemin. Elle ajoûta qu’elle n’avoit plus de Pere, & qu’elle estoit en état de se marier. Le Cavalier se trouvoit trop bien de la conversation de cette aimable Personne, pour ne s’arrester pas dans le Chasteau. Il salüa la Mere qui estoit assez âgée, s’étendit fort sur ce qu’il devoit à l’honnesteté de sa Fille qui l’avoit empesché de s’égarer, & apres un entretien de demy-heure sur des choses genérales, il vit servir la Collation. Ce n’estoit pas ce qu’il demmandoit. Au lieu de manger ses yeux se rassasierent de toute leur force sur la belle Avanturiere ; & la Mere estant sortie pour quelques ordres qu’elle eut à donner, le Cavalier prit ce temps pour dire de nouvelles douceurs. Elles furent si favorablement écoutées, qu’on auroit esté plus loin sur les déclarations, si plusieurs Dames qui arriverent ne les eussent interrompus. Le Cavalier voyant qu’elles restoient à coucher, & qu’il seroit malaisé qu’il pust encor trouver un quart-d’heure de conversation particuliere avec la Belle, prit congé de la Mere, avec promesse de la revoir au premier jour. Il auroit tenu volontiers parole, sans un long voyage qu’un interest de gloire & de fortune ne luy permettoit pas de diférer. L'Avanture aura peut-estre de la suite à son retour, & je ne manqueray pas à vous en écrire les nouvelles particularitez.

[La Muzette, Galanterie meslée de Proses et de Vers] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 229-235.

Je vous envoyay la derniere fois une Réponse à une Belle de ce qui s’estoit passé dans une Assemblée d’Amours touchant le nom de Musete qu’ils avoient arresté qu’elle accepteroit. Cette aimable et spirituelle Personne a crû devoir prendre l’interest de son Berger, & voici ce qu’elle a écrit à cet inconnu Rival qui a voulu se mesler de ses affaires.

LA MUSETTE,
À celuy qui prend le Nom de son Chien.

 

Vous, Amant inconnu, Daphnis, Alcidon, ou Damon (car dans la foule je ne vous reconnois point) pourquoy vous meslez-vous de répondre pour moy à la Lettre de mon Berger, & pourquoy me faites-vous dire des choses dont vous n’estes pas trop bien instruit ? Il semble que vous tâchiez à me faire trouver mauvais qu’il m’ait donné le nom de Musette.

Mais sçachez que j’ay mes raisons
Pour en demeurer satisfaite :
Payant comme je fais mon Berger de Chansons,
Ne suis-je pas une Musette ?

Je n’ay pas fait les choses à la legere pour m’en repentir si promptement. J'ay trop bien examiné ce nom avant que de l’accepter. Les Amours me l’avoient donné, & cela suffisoit pour m’obliger à y regarder de pres. Je sçay bien que tout ce qui vient de ces petits Libertins doit estre suspect, & qu’il est bon de voir si l’on ne s’engage point trop en recevant des Noms, où tout autre qu’eux n’entendroit point de finesse. Je n’eusse pas reçeu celuy qu’ils m’avoient choisy, si je n’eusse bien fait reflexion qu’un Berger peut chanter avec sa Musette tant de Chansons tendres qu’il luy plaira, sans qu’elle soit pour cela obligée d’en ressentir la tendresse. Elle est naturellement insensible, comme vous sçavez, quoy qu’elle inspire de l’amour à ceux qui l’écoutent.

Par mes sons amoureux on me trouve charmante ;
Mais me touche-t-on ? nullement.
Pour mon Berger je chante tendrement,
Et ne sens rien de tout ce que je chante.

D'autre costé il a beau chanter des Chansons tristes & plaintives, je ne partage point sa tristesse. C'est ce me semble estre assez heureuse, & je ne changerois pour rien ma condition de Musette, à celle de Bergere que vous m’offrez. J'avouë cependant que vouloir estre mon Chien, c’est marquer assez de soûmission, mais un Chien ne me touche pas ; & si vous en voulez sçavoir la raison,

Il est cent libertez qu’il luy faut accorder,
Il ne sçauroit exprimer ses tendresses,
Que par d’importantes caresses,
Dont je ne puis m’acommoder.

Ainsi en qualité de Chien vous seriez malheureux avec moy. Je ne remarque qu’une bonne qualité dans ces Animaux là, c’est la fidélité qu’ils ont pour leurs Maistresses. Mais mon Berger m’ayant juré de n’avoir jamais d’autre Musette que moy, il faut que je me donne le loisir d’éprouver s’il sera fidelle, avant que je puisse examiner s’il me seroit avantageux de vous écouter.

La Renommée à Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 245-252.

Monseigneur le Dauphin, dont les grandes qualitez se font tous les jour admirer de plus en plus, continuë ses Exercices avec des progrés incroyables. Cette matiere, si digne d’ocuper les meilleures Plumes, a fourny de nouvelles idées à Mr du Mata-d’Emery. Il a déja fait parler si agreablement les Chevaux de Manege dont ce jeune Prince se sert, que vous pouvez vous promettre beaucoup de plaisir de ce qu’il fait dire à la Renommée. Un peu d’audience. Vous ne serez pas fâchée de l’écouter.

LA
RENOMMÉE
À MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN.

J'allois un jour à haute voix
Semer sur la Terre & sur l’Onde
Les incomparables Exploits
Du plus grand Monarque du monde.
***
J'estois preste à prendre l’essor,
Et j’avois étendu mes ailes ;
J'allois déja donner du Cor,
Pour faire écouter mes nouvelles.
***
Quand Mars venu subitement,
Me fait connoistre qu’il desire,
Que pour luy j’arreste un moment,
Et qu’il a beaucoup à me dire.
***
C'est le moins qu’on doive à celuy
Dont l’employ m’est si necessaire,
Et qui seul m’empesche aujourd’huy
De m’ennuyer & de me taire.
***
Promptement, luy dis-je, en deux mots,
À vous oüir je me dispose ;
Loüis, le plus grand des Héros,
Ne permet pas que je repose.
***
Alors ce Dieu tout glorieux
De la grandeur de sa matiere,
La fierté peinte dans les yeux,
Me parla de cette maniere.
***
Va, dit-il, va, fendant les airs
D'une rapide violence,
Apprendre dans tout l’Univers
Les Prodiges que fait la France.
***
Va publier les grands Exploits,
Et les Campagnes renommées
Que fait le plus vaillant des Roys
À la teste de ses Armées.
***
Que mille Peuples inouïs,
Dont les mœurs sont les plus farouches
Apprennent le Nom de Loüis,
Par ce qu’en diront tes cent bouches.
***
Fay qu’il ne soit Rocher affreux,
Ny Valon, qui n’en retentisse,
Et que de ses progrés heureux
Tout l’Univers se réjoüisse.
***
En parlant de ce Conquérant
Dans l’un & dans l’autre hémisphere,
Dy que son Fils est le plus grand
Des Miracles qu’il a sçeu faire.
***
Qu'il est aux beaux Arts élevé ;
Que sous les Maistres qui l’avancent,
Il paroist un Prince achevé
À l’âge où les autres commencent.
***
Que son Esprit a le beau tour,
Et fait tout avec tant de grace,
Qu'il semble que le Dieu d’Amour
L'ait fait naistre sur le Parnasse.
***
Qu'estant le mieux fait des Humains
Il possede un cœur intrépide,
Un cœur fait de mes propres mains,
Que je gouverne & que je guide.
***
Que seûr de porter la terreur,
S'il se déclare & s’il menace,
Il peut aller de cœur en cœur
Avec tous les cœurs de sa Race.
***
Va donc, vole, mais souviens-toy
Que pour faire ce qu’on souhaite,
Et fournir à ce grand employ,
Il te faut plus d’une Trompete.
***
Si-tost que Mars eut achevé
De m’entretenir de la sorte,
Je pris un vol plus élevé,
Et me fis une voix plus forte.
***
Voy, luy criay-je, avec quel soin,
Volant plus haut qu’a l’ordinaire,
Je rens tout l’Univers témoin
Des vertus du Fils & du Pere.
***
Voy par moy leurs noms glorieux
Portez, sans que ce soin me lasse,
Jusqu’au sein de ces Demy-Dieux
À qui les Astres ont fait place.
***
Bientost la Terre en parlera,
L'ocean ne pourra s’en taire,
L'air par tout en retentira,
Voila tout ce que je puis faire.
***
Mars parut fort content de moy,
Et s’en retournant à l’Armée,
Nous nous dismes de bonne-foy,
Adieu Mars, adieu Renommée.

[M. de Boulogne réüssit tres-bien dans le Tableau du May de cette année] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 252-253.

Le Tableau qu’on expose tous les Ans à Nostre-Dame pendant tout le Mois de May, a esté trouvé cette Année un des plus beaux qu’on y ait veus depuis fort longtemps. Il represente le Paralytique. Les Connoisseurs en admirent sur tout l’Architecture. Ce Tableau a esté fait par Mr Boulogne, & donné par Mrs de Villers & Guillard, Marchands Orfevres & Joüailliers.

[Paroles de M. Marcelle mises en Air par M. de la Tour] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 253-254.

Les Vers qui suivent m’ont paru si naturels pour une Amante trahie, que j’ay crû vous les devoir envoyer, au hazard que vous les ayez déja veus, car on les chante icy depuis quelques jours. C’est pour cela que je n’y ay point adjoûté la Note. Ils sont de Mr Marcelle. Mr de la Tour les a mis en Air.

CHANSON.

Le Printemps m’ofre en vain ses plaisirs innocens,
Je ne vous verray plus, Boccages renaissans,
Où l’amour de Tyrsis m’a tant de fois charmée.
Sous vos ombrages verds il me donna sa foy,
L’Infidelle a changé, je n’en suis plus aimée.
Printemps, Plaisirs, Amours, tout est passé pour moy.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 255.

Si l’envie de chanter vous prend, vous pouvez la satisfaire. Voicy un Air tout nouveau, & dont j’ay fait graver les Notes pour vous. Ainsi vous serez assurément la premiere qui l’aurez chanté. Il est de Mr Berthet qui l’a fait sur ces Paroles.

AIR NOUVEAU

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par, Que l’Amour flate doucement, doit regarder la Page 255.
Que l’Amour flate doucement !
Qu’il est agreable & charmant,
Lorsqu’il veut engager un cœur sous son empire !
Mais helas, le cruel, quand il nous a soûmis,
Et qu’on ne peut plus s’en dédire !
Qu’il tient mal ce qu’il a promis
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[Lettre d’un Amant désesperé] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 256-266.

On est tous les jours trompé en amour, & il se fait sans cesse de nouveaux engagemens. La Lettre que je vous envoye d’un Amant desesperé, devroit servir de remede contre cette passion, si on examinoit à quoy l’on s’expose avant que de s’embarquer ; mais les premieres amorces de l’amour sont si flateuse, qu’on s’en laisse toûjours séduire, & on ne songe à luy resister, que quand on n’a plus de forces pour le combatre. Il n’y a rien à mon sens de mieux touché que cette Lettre. Je ne sçay si elle aura paru touchante à la Dame, mais je sçay qu’elle est fort digne de votre admiration.

LETTRE.

Avez-vous oublié Madame, le desespoir où vous me vistes hier, ou avez vous pû croire que ce seroit l’adoucir, de me faire aller chez vous pour vous voir joüer à la Bassete ? Quelle consolation pour moy de vous avoir trouvée dans une gayeté extraordinaire, & de vous entendre loüer vous-mesme vostre beauté ? Vous m’avez laissé sortir sans me dire une seule parole, & vous sçavez avec qui je vous ay laissée. La journée d’un Malheureux pouvoit-elle mieux finir ? Quel trouble ! quelles peines ! Que n’ay je point souffert ? Il faut, Madame, que vous ayez un grand fonds d’inhumanité, si vous n’en estes bien contente ; & si ceux qui m’ont veu ne sont pas persuadez que je vous aime, ils s’y connoissent peu. Mais, Madame, cela ne vous regarde pas, ils ne sçauroient me croire amoureux sans me croire miserable. La tristesse & le desordre où ils m’ont veu, ne peut leur avoir permis de separer ces deux choses. Ne vous contraignez point, Madame. Vous voulez me faire mourir, & je ne dois pas avoir de peine à m’y résoudre. Quelle mort peut-il y avoir qui ne soit préferable à tout ce que vous me faites souffrir depuis si longtemps ? Ce n’est pas une exagération, vous ne le sçavez que trop. Peut-on imaginer quelque chose que je n’aye fait pour vous plaire, ou pour me guérir, & peut-on l’avoir fait plus inutilement ? Dans ces états si opposez, que n’avez-vous point veu de moy, & de quel œil l’avez-vous veu ? Mais si la passion la plus respectueuse, la plus vive, & la plus tendre qui fut jamais, n’a pû toucher vostre cœur, vous ne pouvez pas trouver étrange que toutes vos rigueurs, & la mort mesme que vous m’avez fait voir si souvent & de si pres, n’ayent pû détacher le mien. Quand on a osé vous aimer, Madame, peut-on se retrouver sensible à quelqu’autre chose ? Vostre personne, vostre esprit, & vostre cœur, n’effacent-ils pas jusqu’aux idées de tout ce qui peut plaire ou divertir ? Cependant il est vray, Madame, & je ne puis m’empescher de vous le dire encor, mais c’est pour la deniere fois, je ne dois pas me prendre à moy seul l’accablement où je suis enfin parvenu. C'est dans le fonds le pur ouvrage de vos mains, soit que ma passion vous ait plû, soit parce qu’on veut rarement se défaire d’un Homme dévoüé par amour. Enfin directement, ou par vos manieres, aux despens de mon repos, & au péril de ma propre vie, vous vous estes toûjours opposée aux efforts que j’ay voulu faire pour vous quiter. Il est vray qu’ils ont esté inutiles dans la suite, mais peut-estre qu’ils ne l’eussent pas esté dans les commencemens. Si vous n’aviez affoibly ma raison, j’ose croire qu’elle eust pû alors se rendre la plus forte. Les pensées que vous avez eü pour ma fortune, tant de marques d’estime & d’amitié que j’ay reçeu de vous, ont encor achevé de me perdre. J'avouë, Madame, que toutes ces choses auroient esté d’un prix inestimable dans un cœur libre ; mais que ne m’ont-elles point cousté ? Vous sçavez qu’elles ont soûtenu mes foles espérances, & ranimé mille fois mon attachement. Faites moy justice, Madame. Un Homme éperdu d’amour pouvoit-il avoir la veuë assez bonne pour penétrer qu’à travers tant de graces de vostre part, & tant de constance de la sienne, il ne seroit jamais heureux ? Que ne vous dirois-je point là-dessus, Madame, si je me laissois aller à tout ce qui me vient dans l’esprit ? Mais ne sçay-je point assez l’inutilité de mes discours & de mes plaintes, & ne vois-je pas depuis quelque temps que vous estes occupée à tant d’autres choses, que tout ce que je vous dis vous aigrit ? La Personne du monde qui vous plaist le moins, n’a qu’à m’interrompre pour estre bien reçeuë ; & cette dureté me touche d’autant plus vivement, qu’elle n’a pas toûjours esté si grande. Je vous demande pardon, Madame. La crainte que j’ay de vous fâcher, me fait sentir que je vous parle trop libremens. Vous sçavez que si j’ay eu quelquefois de la force pour soûtenir ma destinée, je n’en ay jamais eu pour soûtenir vostre colere. Dans ce moment mesme où je n’ay plus rien à ménager, je me trouve également penetré de cette crainte. Adieu, Madame, adieu. Je prens enfin le party dont je vous ay parlé si souvent. J'abandonne ma fortune. Je quite Paris & la Cour pour toute ma vie. Je ne sçaurois y estre sans vous voir, ny vous voir sans me redonner à vous, & c’est le seul péril que je puisse craindre en l’état où je suis.

[Impromptu sur le Mariage de Mr Richon et de Mademoiselle de Bigot par Mr Barré]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 280-282.

On fait des Epitaphes d’un costé, & des Epitalames de l’autre. En voicy un qui fut fait impromptu ces derniers jours sur le Mariage de Mr Richon, Petit-Fils du feu Trésorier de France de ce nom, & de Mademoiselle de Bigot, fille de Mr Bigot Receveur General pour la Taxe des Charges Royales du Ressort du Parlement de Bordeaux. Mr Barré en est l’Autheur. Il a beaucoup de talent pour la Poësie, quoy que dans un âge tres-peu avancé. La Demande à Iris est de luy, aussi-bien que les trois Pieces suivantes que vous avez veuës dans ma Lettre du Mois d’Avril.

INPROMPTU.

Descendez, charmante Cypris,
Voyez cet heureux assemblage,
Et tâcher d’achever l’ouvrage
De l’Amour vostre Fils.
***
Vivez contens, vivez heureux Epoux ;
Que chacun de vous s’interesse
À faire paroistre sans cesse,
S'il se peut, un amour plus doux.
Faites que dans vostre jeunesse
Vous ne voyez que de beaux jours ;
Faites qu’une belle vieillesse
Couronne vos tendres amours.

[Deux Madrigaux : l’Amant content et l’Amant plaintif]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 283-284.

J'adjoûte deux Madrigaux qui sont d’un caractere bien opposé. L'un est d’un Amant content, & l’autre d’un Amant plaintif. Il y en a toûjours eu de toutes manieres.

L'AMANT CONTENT.
Madrigal.

Ah, que je suis heureux !
Apres avoir souffert depuis le temps que j’aime
Tout ce que fait soufrir un destin rigoureux,
Iris ne doute plus de mon amour extrême,
Et je luy parle quand je veux.
Ah, que je suis heureux !

L'AMANT PLAINTIF.
Madrigal.

Que ne m’accablez vous de mortelles rigueurs,
Vous qui me reprocherez de frivoles faveurs.
Helas ! loin d’êcouter tant d’esperances vaines,
Dont ma raison ne peut interrompre le cours,
Peut-estre qu’à vos yeux je briserois mes chaînes,
Et je vay les traisner le reste de mes jours.

[Chanson adressée aux confédérés d’Allemagne]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 324-327.

Cependant pour vous parler d’un autre torrent de Jaloux déchaînez contre la gloire de Sa Majesté, je vous diray que les Conféderez d’Allemagne s’assemblent, & font des mouvemens depuis plus d’un mois ; qu’on n’entend parler que de leurs Magasins, & qu’ils font apporter des Provisions de mille endroits diférens. Ils sont beaucoup, & ils se souviennent de l’année derniere. Je ne sçay s’ils feront de grand progrés, & si l’on n’en doit point croire cette Chanson.

Pourquoy quiter vostre charmante Reyne,
Et vous priver d’un entretien si doux ?
Où courez-vous, Grand Prince de Lorraine ?
Pourquoy quiter vostre charmante Reyne
Pour le Dieu Mars qui ne fait rien pour vous ?
***
Ne pleurez pas, adorable Princesse ;
Si Charles part, l’Empire en a besoin.
Créquy sçaura servir vostre tendresse.
Ne pleurez pas, adorable Princesse,
Si Charles part, il n’ira pas fort loin.

D. V.

[Lettre sur l’Extraordinaire du Mercure Galant] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 327-336.

Vostre difficuté sur le mot Diamant brute que j’ay employé dans l’Epistre aux Dames de ma Lettre Extraordinaire, me paroist fort juste. Ce mot m’avoit fait peine comme il vous en fait, & il n’y eut que l’avantage de la Rime qui l’emporta sur mon scrupule. J'ay consulté nos Maistres depuis ce temps-là. Quelques-uns des plus délicats, & de ceux-mesme dont on trouve les Livres écrits avec la plus exacte pureté, sont pour cette maniere de parler. D'autres soûtiennent qu’il faut dire Diamant Brut, & ceux-là sont en plus grand nombre. Ainsi je croy qu’il faut estre de leur sentiment, parce qu’en matiere de doute, la pluralité doit prévaloir. J'attens avec bien de l’impatience ce que vous me promettez sur la Question galante, & sur l’Histoire Enigmatique de cet Extraordinaire. Vous pouvez ne vous point embarassez, si vous voulez, de la Lettre en Chifres ; mais ne dites point que pour la déchifrer on ne distingue point assez les Oyseaux & les Animaux qui en sont les caracteres. On m’en a déja envoyé le sens, & quoy qu’il n’y ait que deux seules Personnes qui l’ayent trouvé, la chose n’est pas impossible, puis qu’on a pû en venir à bout. Pour ce que vous me dites que cet Extraordinaire ne déplaist point dans vostre Province, mais que le prix en dégoûte beaucoup de Gens qui voudroient l’avoir, j’y ay déja donné ordre, & consenty volontiers à ce qui m’a esté demandé par la Lettre que vous allez voir.

À L'AUTHEUR
DU
MERCURE GALANT.

 

Je croy estre obligé, Monsieur, de vous apprendre ce qui m’arriva hyer au soir. J'estois dans une Auberge où j’ay accoustumé de trouver un assez bon nombre de Provinciaux. Ils me parurent plus fiers qu’à l’ordinaire. Chacun d’eux tranchoit du bel Esprit, & la cause ne m’en fut pas longtemps inconnuë. On parla de l’Extraordinaire de vostre Mercure Galant, & je m’aperçeus bientost que leur fierté venoit du Panégyrique que vous y avez fait d’eux, & de leurs Lettres qui composent la plus grande partie de cet Ouvrage. Ils estoient modestes, vous les rendez fiers, & on seroit mal venu à les traiter presentement de Provinciaux. Quelqu’un de la Compagnie (il estoit Parisien comme moy) ne pût s’empescher de dire, que quoy que parmy ces Lettres il y en eust de tres-agreables, le trop d’Explications des mesmes Enigmes importunoit, & que vous en auriez dû retrancher du moins la moitié. Trois ou quatre Provinciaux, zelez tout ce qu’on peut l’estre pour le bien commun, parlerent tout-à-la-fois, & dirent avec chaleur que vous auriez mal fait si vous vous fussiez dispensé de les mettre toutes, puis que tout le monde s’estant empressé à vous écrire, il falloit que chaque Province trouvast dans vostre Extraordinaire des Explications de quelques Personnes de toutes les Villes qui les composent, afin qu’aucune n’eust sujet de se plaindre d’avoir esté oubliée, comme quelques-unes ont déja fait par leurs Lettres que vous nous venez de donner. Leur raisonnement me persuada. Je me joignis à eux pour défendre vostre Livre, & je ne sçay pourquoi je vous en fais icy l’Apologie à vous-mesme, puis que je devrois vous vouloir un peu de mal d’avoir tellement élevé les Provinciaux, qu’ils croiront bientost ne devoir ceder aux Parisiens ny en galanterie ny en esprit ; Je consens pourtant volontiers au bien que vous dites d’eux, parce qu’ils sont François comme moy, & que la gloire en retombe sur toute la France. Je diray plus. Il n’y a pas-une des Villes de ce florissant Royaume qui ne doive garder vostre Extraordinaire dans ses Archives, ny pas-un Provincial qui ne le doive conserver dans son Cabinet, comme des Titres de l’Esprit de sa Famille. Cependant si les Provinciaux sont satisfaits de l’encens que vous leur donnez, j’ay à vous dire que plusieurs ne le sont pas du prix qu’il leur couste. Un d’entr'eux me le dit en particulier, & me pria mesme de vous le faire sçavoir sans le commettre. À dire le vray, l’honneur que vous faites à leurs Ouvrages, en les faisant vendre plus que les vostres, leur couste un peu cher. C'est un honneur dont ils se passeroient sans beaucoup de peine, & je vous assure que leur vanité est tres-médiocre sur cet article. S'ils sont bien-aises d’apprendre que vous les avez mis au nombre des beaux Esprits imprimez, ils voudroient bien que leurs Ouvrages leur fussent donnez à meilleur compte, & ils en trouveroient leurs Lettres la moitié plus belle. Un peu de ménage ne sied point mal en toutes choses. S'il y en a qui ne s’arrestent point au prix quand quelque chose leur plaist, il en est beaucoup qui se privent par là de ce qu’ils souhaitent, & il faut toùjours contenter le plus grand nombre. Je vous dis ce qu'ils ne vous diront point eux-mesmes, car les beaux Esprits sont fiers ; & à quoy serviroit d’avoir de l’esprit, si on ne sçavoit se déguiser ? Quoy qu’il en soit, Monsieur, puis que vous voulez bien mettre les Provinciaux au monde, faites qu’ils achetent moins la satisfaction qu’ils en reçoivent. Vous leur avez fait honneur en jugeant leurs Ouvrages dignes d’un grand prix, faites leur plaisir en faisant qu’ils puissent voir ceux des autres Provinces & de la leur, sans qu’il leur en couste davantage que pour le Mercure. Plus de Gens les acheteront ; & plus ils seront veus, plus ceux qui les ont faits en auront de gloire. Ils ne croiront point que cette diminution de prix les fasse trouver moins beaux. Ils sçavent qu’on en a usé de cette sorte pour les plus belles Pieces de Theatre, quand elles n’ont plus esté si nouvelles. Ainsi vostre Extraordinaire n’en sera pas moins estimé. Faites-y reflection, Monsieur. Je sçay que vos Figures de Modes de toutes manieres, vos autres Planches sur le mesme sujet, & toutes celles qui sont dans ce Livre, vous ont obligé à de fort grandes dépenses, mais vous devez récompenser par là les Provinces de l’estime qu’elles ont pour vostre Mercure, qu’on y achete souvent plus cher qu’à Paris.

[Explication de la premiere Enigme en Vers du mois d’Avril] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 337-342.

Je viens aux Enigmes du dernier Mois. Vous les aurez sans-doute examinées avec plus de soin, apres avoir leu à la teste de ma Lettre Extraordinaire, ce qui a esté écrit sur ce sujet par un bel Esprit d’Aix. Je ne suis point surpris que vous traitiez de Chef d’œuvre les dix ou douze Lettres qui en font une espece de Dissertation. Tout le monde les a admirées, & on souhaiteroit fort que leur Autheur voulust embellir souvent celles que je vous adresse de quelque Traité de sa façon. Il écrit si finement, qu’il est assuré de réüssir dans tout ce qu’il voudra entreprendre, & on ne peut avoir autant d’esprit qu’il en a, sans estre comptable au Public de la meilleure partie de ses heures. Vous n’avez pas perdu celles que vous avez données à chercher le sens des deux dernieres Enigmes, puis que vous les avez devinées. Le Fils d’un Auditeur de la Chambre des Comptes de Dijon, qui a trouvé comme vous le vray Mot de la premiere, s’en explique de cette sorte à une aimable Personne qui luy en avoit demandé le sens.

À IRIS.

Iris, il faut vous satisfaire,
Le Mot que vous cherchez avec empressement
Est la Chemise assurêment.
Quand le matin vous vous parez pour plaire
À de certains Blondins qui vous font les yeux doux,
N'est ce pas la premiere chose
Dont vous cachez ce qui pourroit chez vous
Faire honte à l’éclat du Lys & de la Rose ?
Et sur tout ce qui peut orner un Courtisan
N'a t-elle pas toûjours le premier rang ?
N'a-t-elle pas aussi la faveur sans égale
D'approcher de fort pres la Personne Royale ?
Trop heureux ! Si j’osois d’aussi pres quelque jour
Toucher comme elle fait le plus parfait ouvrage
De la Nature & de l’Amour ;
Ou du moins si j’avois, Iris, cet avantage
Que le Roy donne au premier de sa Cour,
De vous mettre vostre Chemise.
Lors qu’une fois vous l’avez mise
Vous ne la gardez pas longtemps,
Vous en changez souvent comme d’Amans.
Sa beauté n’est que passagere,
Et sa faveur ne dure guére,
Non plus que celle aussi de tous vos Soûpirans.
L'eau bientost luy redonne une beauté nouvelle ;
Et si l’on dit que rien n’est éclatant sans elle,
Ou qu’avec elle seule on est sans ornement ;
Pour tout autre on dit vray, mais pour vous, bagatelle,
    Il en est autrement ;
Et tel qui par hazard caché dans la Ruelle
Pourroit vous voir ainsi sortant de vostre Lit,
Jureroit que sans contredit
Il ne vous vit jamais plus charmante & plus belle.

[Noms de ceux qui l’ont devinée] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 342-344.

Ceux qui ont trouvé ce mesme Mot de la Chemise, sont Mr de Bellefontaine, Mr l'Abbé du Gasquet de Diepe, Mr Potier de Lange, Mademoiselle Raince, La belle Angelique, Mr Matereau Docteur en Theologie, Mr Thabaud des Ferrons de Berry, Mr Renard Avocat en Mont real en Bourgogne, Mr Quinquet Conseiller au Presidial de Soissons, La Ville de Ham, Mademoiselle de Bonnemarre du Havre de Grace, en Vers ; Mr Bouchet de Grenoble, de Lyon ; Madame de la Lande du Havre, Mademoiselle du Chastel de Sées, Mademoiselle Taverne de Mondoubleau, Mr de Larbruisseau, Mr d'Hermilly de Paris, Mr Grandin Doyen de Vandosme, Mademoiselle le Meusnier de Roüen, Mr Cordets, Madame Pitard de Bordeaux, Mr Comiers Prevost du Chapitre de Ternant, Mademoiselle de la Chapelle de l'Isle N. Dame, Mr Loncle de Paris, Mademoiselle d'Orgeval de Normandie, Mr le Chevalier de Barré, Mr Baisé le jeune en Vers, La jeune Mariane, Selisandre, Mr Desprez de Caën, Mademoiselle de Lougny de Paris, Mademoiselle Marcés l'aisnée d'Auxerre, Mademoiselle de Launay de Chastillon en Vers. Mesdemoiselles de Villeneuve & de Boumoic de Saumur.

[Explication de la seconde Enigme avec ceux qui l’ont devinée] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 345-349.

L'Explication qui suit apprendra le vray Mot de la seconde à ceux qui n’ont pas eu les mesmes lumieres que vous pour les trouver.

    C'est une Canne
Qui vient d’un Païs étranger,
Et dont le corps est droit, sec & leger.
    Gens de Cabane
Ne la portent jamais,
Mais gens de Guerre & de Palais,
Les Femmes mesme avec beaucoup de grace.
Elle est commode à tous,
Et lors que l’on s’en sert, souvent on se délasse,
Mais Dieu nous garde de ses coups.

Voici d’autres Mots qui ont esté appliquez à cette seconde Enigme, La Pique, le Dard, un vieil Baston de Mareschal de France, l’Oignon, le Papier timbré, une Plume de Héron, une Pertuisane, & le Bois de Brésil. Le Mot de la Canne qui est son vray sens, a esté trouvé par Mr le Chevalier, de la Ruë Chapon ; Mesdemoiselles de Pierreval & Raince, Mr Bazin Chanoine de Troyes, Mr Malbet Directeur des Postes en Champagne, Mr Fleury de Durcet de Normandie, Mademoiselle Chicot de la Ruë Bourtibourg, Mr Jordanis, Mademoiselle de la Riviere de Troyes, Mr le Chevalier de la Croix la Bigne de Troyes en Vers, Mr l'Abbé du Détroit de Roüen, L'Hermite de S. Giraud en Vers, Mademoiselle Buiret de Soissons, Mademoiselle de Mainville en Normandie, Mr Bernier de Blois Medecin de feu S.A.R. Madame la Doüairiere, Mr Roussel Aumosnier du Roy à Conche, Le Berger sans Moutons de Flamenville, Païs de Caux ; Mr Doguet Avocat de Brie-Comte-Robert, Mr Gautier du Havre, Mademoiselle de la Rosiere de Sées, Mademoiselle de la Touche de Mondoubleau, Mr Grillot Capitaine des Gabelles au Département de Troyes, Mr de Gerouville du Païs de Caux, La jeune Solitaire de la Forest de Ponthieu en Picardie, Mademoiselle de Belangaut de Normandie, Mr Vaglier de Monsy, Mr Perry Directeur des Aydes de l'Election de S. Quentin, Mademoiselle Ragueneau pres de Bordeaux.

[Noms de ceux qui ont devinée les deux Enigmes]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 349-355.

Quantité de Personnes ont trouvé le vray sen de toutes les deux, & ce sont Mr de S. Laurens Lieutenant de Roy de la Citadelle de Verdun, Mr Lagrené de Vrilly, Mr de Vitry Fils de Mr de Vitry-la-Ville Receveur des Finances en Champagne, Mr le Chevalier de Heronne de Roüen, Mademoiselle Sainte Adresse du petit boc de Fescamp, Mr de Fontenay de la Paroisse de Presle en Brie, Mademoiselle Merlin de Roüen, Mr Preaux de la Martiniere de Tours, Les trois aimables Sœurs de la Ruë Pavée, Mr Maclou Maistre és Arts dans la Ville de Chaumont en Véxin, Mr l'Abbé de Montcamp pres de Cormeilles au Véxin François, Mr Hourdaut de Paris, Mr le Marquis de la Calade de Villefranche, Mr de Chantoiseau de Brie-Comte-Robert, Mr le Chevalier de Marles de Roüen, Mr Tobie de Beauvais Fils de Medecin, Mr d'Auburtin de Bionville de Mets, Mr du Tel, Mr Cohan d'Alençon, Mr Panthot Docteur en Medecine & Professeur à Lyon, Mr de Fontenay du Véxin, Mr S. D. jeune Secretaire du Roy à Rheims, Mr d'Ablovillee pres d'Argentan, Mr de Vignolet de Nismes, Mr le Juge de Chasteaubas en Agénois, Mr le Marquis de Beauplan du Ponteau-de-mer, Mr Nolbel de Paris, La charmante Bibi, Mr de Lécar d'Avignon, Mr de Cormone Avocat au Parlement de Roüen, Mr Collet, Mademoiselle de la Merousiere de Falaise, Mademoiselle Girardot de Blois, Un Gentilhomme de Verdun, Mr de Superville Medecin à Saumur, L'Amant patient de Dieppe, Mr Petit Medecin de Châlons en Champagne, Mr Roland Avocat à Rheims, Mr Brisseau de Tournay, Mr du Vaucel d'Evreux, La plus aimable de la Ruë Sainte Marguerite, Le Solitaire de Châlons en Champagne, La Société spirituelle du Marais, Le Sauvage d'Arbouville du Havre.

Ceux qui suivent les ont expliquées en Vers.

Mr des Fontaines de Paris, Mr Robbe, Mr de la Barre Sr du Plessis, Conseiller à Chinon ; Mr Chartier Ecclesiastique de Roüen, Mr le Baron de Hogues, Mademoiselle Loyseau de Coulommiers, Mr l'Abbé de la Croix de Roüen, Mr Giffon d'Arles, Mr Robert de Châlons en Champagne, La Société des jeunes Belles de Caën, Mr Boulanger de Dinan en Bretagne, Les Dames de Richelieu, l'Hostel des Ursins à Paris, Mr Maze de Roüen, Madame Noman-Anori de Poitiers, Mr Minot de Paris, Mr l'Abbé de S. Clerc de Tours, Mr Hebert de Rocmont, Mademoiselle Antonie, La Société Cloistrée de Paris, Mr Prével, Mr le Président de la Chambre, Mrl'Abbé d'Artevat de la Rochelle.

[Deux nouvelles énigmes]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 355-358.Voir cet article du Mercure pour l'explication de cette énigme et cet article pour une lettre sur cette énigme. Voir aussi cet article

Je vous envoye deux nouvelles Enigmes. La premiere est de Mr l’Abbé d’Albert d’Aix.

ENIGME.

Je suis de divers lieux, je nais dans les Forests,
Tantost pres des Ruisseaux ; tantost pres des Marets ;
Je suis de toute taille & de seche figure,
Je n’ay jambes ny bras ; cependant la Nature
Ne m’a pas fais un Monstre, & j’en vaux beaucoup mieux,
Reparant ce defaut par un grand nombre d’yeux.
Qu'ils soient toûjours ouverts, il n’est pas necessaire ;
Qu'ils soient fermez ou non, ils sçavent toûjours plaire.
Comme un Cameleon je me nourris de l’air.
Quoy que je ne puisse parler,
J'ay le don de me faire entendre,
Et par une vertu qui pourra vous surprendre,
Ce qu’en ouvrant la bouche on voit faire en tous lieux
À mille Gens qui par là sçavent plaire,
Moy de qui la méthode à la leur est contraire,
Je le fais en fermant la plûpart de mes yeux.

AUTRE ENIGME.

Comme l’heur de me voir est un bien important,
Je mets mon Corps en veuë autant qu’il y peut estre.
Cependant de ce Corps que l’on estime tant,
On ne voit presque rien paroistre.
Quoy que fort ancien je nais à chaque instant,
Et je suis avant que de naistre.
C'est fort peu de chose pour moy
Que ce qui m’occupe sans cesse,
Et je ne puis, je le confesse,
Remplir qu’à demy mon employ.
Ma fille jamais ne me quite,
Si ce n’est dans les lieux où je suis trop puissant.
Plus on me voit, moins on me sent,
Et plus je crois, plus ma force est petite.
Passez à me chercher & les jours & les nuits,
Ce soin sera tres-inutile.
Où me trouveriez-vous ? Plus vous serez habile,
Et moins vous sçaurait où je suis.

[Enigme en Figure] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 358-369.

Quant à l’Enigme en Figures, vous allez demeurer d’accord par les divers sens qu’on luy a donnez, qu’elle a fait étudier la Nature à bien des Gens, & que cette sorte de délassement d’esprit ne peut estre sans utilité, puis qu’il engage à faire des recherches fort curieuses. Mr le Chevalier, de la Ruë Chapon, a crû que c'estoit la Ville de Gand ; Mr de Lagrené de Vrilly, le May ; Mr des Fontaines, la Mine, ou le Fourneau ; Mr de la Barre Sr du Plessis, Conseiller à Chinon, le Siege de Gand ; Mr Jordanis, un Sep de Vigne ; Mr Robbe, le Fard, ou la Médisance ; La belle Angélique, la Comédie liée par l'Opéra ; Mr Mathereau Docteur en Theologie, l'Hypocrisie ; Mr des Bois, la Tragédie, ou l'Amour méprisé ; Un Inconnu de Troyes, l'Or, ou la Comedie ; Mr Maclou Maistre és Arts à Chaumont en Véxin, la France victorieuse dans les Païs-Bas ; Mademoiselle Buiret de Soissons, un Fourneau ; Mr bernier de Blois, Medecin de feu Son A.R. Madame la Doüairiere, l'Etat où sont réduits les Païs-Bas ; La Ville de Ham, le Trophée, la Tragedie ou le Fagot ; Mr Bonnet de Vaux de Loches, la Satire ; Mr le Baron de Hoques, le Miroir, la Hollande punie, la Verité reconnuë ; Mr le Duc Avocat à Caën, les Ennemis du Roy, en Vers ; Mademoiselle Loyseau de Coulommiers, la Hollande humiliée & punie ; Mr Bouchet de Grenoble, les Triomphes du Roy sur les Ennemis ; Mr le Chevalier de Marles & Mademoiselle Andry-de-Lisle, de Roüen, le Fard ; Mr Roussel Aumosnier ordinaire du Roy à COnches en Normandie, la Victoire de la Poësie, ou le Chastiment des Hollandois ; Madame de la Lande, l'Espagne, Mr d'Auburtin de Bionville de Mets, la Vigne ; Mr Gautier du Havre, la Guerre de Flandres ; Mr Seguin Avocat à Sées, la Goute ; Mr Giffon de l'Academie des Beaux Esprits d'Arles, la Vigne, en Vers ; Mr Grillot Capitaine des Gardes des Gabelles au Département de Troyes, la Vigne ; La Societé des jeunes Filles de Caën, le Mensonge, en Vers & Prose ; Mr Cohan d'Alençon, la Flandre, ou Païs-Bas Espagnol & Hollandois ; Mr de Vitry Fils de Mr de Vitry-la-Ville, Receveur general des Finances en Champagne, la Sculpture, ou l'Anatomie ; Trois des Dames de Richelieu ; la premiere, le Fard ; la 2e, l'Heresie ; & la 3e, l'Erreur des Ennemis ; Mr Panthot Docteur en Medecine & Professeur, la Journée de Cassel ; Mr de Fontenay du Véxin, la Comté de Flandre, Mr de Roubron de Roüen ; la Vigne ; Mr S.D. jeune Secretaire du Roy à Rheims, le Baume, ou les Ennemis du Roy ; Mr Cordets, la Satire, ou le Poëte Satirique ; Mr de Vignolet de Nismes, les Hollandois ; Mr du Matha-d'Emery, la Critique ; Mr de la Salle Sr de Lestang, la Cire d'Espagne ; Mr Nicolaïf-Nippuoh de Marissel, les Victoires du Roy sur les Ennemis ; Un Chanoine de S. Victor, l'Alchimiste ; Madame Noman-Anori de Poitiers, l'Enigme devinée ; Mr de Nolbel de Paris, les Victoires du Roy sur les Hollandois, ou l'Eté & les grandes Chaleurs ; Mr du Mont de Chaumont, les Hollandois, l'Ignorance punie, ou la Vigne ; Mr de Gerouville du Païs de Caux, vage d'Arbouville, le Comté de Flandre ; mademoiselle de Lougny de Paris, la Republique de Hollande ; Mr l'Abbé Montel, une Affiche ; Mr Perry Directeur des Aydes de l'Election de Saint Quentin, le Luth ; Momus, l'Hypocrisie ; Mr l'Abbé d'Artevat de la Rochelle, les Conféderez.

Cependant, le vray Mot est le Vers Burlesque, & il n’y a eu que le seul Mr Langlois de Paris qui l’ait trouvé. Marsye estoit une espece de Musicien champestre, habile Joüeur de Flûte. C'est par là qu’il represente le Vers. Il avoit osé s’égaler à Apollon. C'est ce qu’a fait le Vers Burlesque dont on s’est servy pour traduire en ridicules les plus Illustres Poëtes de l’Antiquité, tels que Virgile & Ovide. Cet Homme couronné de Laurier, qui lie Marsye par les pieds, est le Poëte qui fait le Vers par de certaines mesures qu’on nomme pieds. Apollon est le Dieu qui l’inspire. Les Génies qui volent en l’air avec des Masques, sont les Ris qui naissent ordinairement des plaisanteries du Vers Burlesque.

Ino, est la nouvelle Enigme que je vous propose ; Examinez-en les Figures. Vous n’y trouverez rien qui ne réponde à la Fable. Elle avoit épousé Athamas Roy de Thébes, qui poursuivant cette malheureuse Princesse, par un effet de la fureur que Junon luy avoit inspirée, l’obligea de se précipiter dans la Mer du haut du Rocher. Elle fut changée en Déesse des Eaux par Neptune. Ses Filles courant apres elle pour l’arrester, furent métamorphosées en Statuës, & demeurerent dans la mesme posture qu’elles avoient dans l’instant de ce changement.

[Sur la Réception d’une Lettre de Monsieur le Duc de S. Aignan expliquant les Enigmes] §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 369-370.

En achevant cet Article, je reçois une Lettre de Monsieur le Duc de S. Aignan, qui me fait l’honneur de m’envoyer des Explications en Vers sur les deux Enigmes. Je vous les reserve pour une autre occasion. Dire qu’il a fait des Vers, c’est dire qu’il en a fait d’agreables. Rien n’est ny plus spirituel, ny plus galant, que ce que cet Illustre Duc adjoûte en prose aux Explications dont je vous parle. Il dit, qu’il ne se peut qu’un Premier Gentilhomme de la Chambre du Roy méconnoisse une Chemise qui a l’honneur d’approcher de si pres, comme dit l’Enigme, de la Personne de sa Majesté ; ny qu’un Lieutenant General en ses Armées, se puisse tromper facilement à la description d’une Canne.

[Impressions de deux Livres Nouveaux] * §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 372-373.

On a achevé d’imprimer deux Livres nouveaux, dont l’un a pour titre, Alfrede Reyne d’Angleterre, Nouvelle Historique ; & l’autre, Meroüée Fils de France. Je vous les envoyeray si-tost qu’il seront publics. Ils sont d’un Homme dont les Ouvrages ont déja réüssy, & ainsi il ne se peut qu’ils ne soient dignes de vostre curiosité.

[Sur le contenu du prochain Mercure Galant concernant la Paix entre la France et les Etats de Hollande]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], p. 375-376.

Si les Harangues de Messieurs du Parlement, & celle de l’Académie Françoise, qui estoient dans ma derniere Lettre, ont causé tant d’admiration, & donné tant de plaisir aux beaux Esprits de vostre Province, je croy que celles que je vous envoyeray le Mois prochain sur le sujet de la Paix, ne les charmeront pas moins. Je vous feray part aussi des Réjoüissances qui se feront dans toute l’Europe sur le mesme sujet ; & si l’on a soin de m’en envoyer les Desseins, je les feray graver, afin que l’on se souvienne plus longtemps des grandes Conquestes du Roy, & du triomphe qu’il a remporté sur Luy-mesme, en interrompant le cours de ses Victoires, pour faire joüir toute l’Europe d’une heureuse tranquilité ; ce qui doit faire dire de ce Grand Monarque, ce que Virgile a dit autrefois d’Auguste,

Deus nobis haec otia fecit.

Les plus belles Langues vous estant familieres, il n’est pas necessaire que je vous explique ce que ces paroles veulent dire. Vos Amis à qui vous en apprendrez le sens, n’auront pas de peine à se persuader que toute l’Europe ne devra qu’à un Dieu le repos dont elle est sur le point de joüir. Je suis, &c.

À Paris ce 31. May 1678.

[Informations pratiques sur le journal]* §

Mercure galant, mai 1678 [tome 5], non paginé.

On donnera un Volume du Mercure Galant, le premier jour de chaque Mois sans aucun retardement. Tous les Volumes de l’année 1678. à commencer par celuy de Janvier, se donneront à Vingt sols en feuïlles, chez le Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, Ruë S. Jacques, à l’entrée de la Ruë du Plastre ; & au Palais à Trente sols reliez en Veau, & à Vingt-cinq sols en Parchemin. L'Extraordinaire, se donnera à l’avenir au mesme prix du Mercure, quoy qu’il soit marqué à un Escu dans ledit Extraordinaire. Les dix Volumes de l’Année 1677. se donneront toûjours au prix ordinaire, c’est à dire vingt sols en Veau, & quinze en Parchemin au Palais, & dix sols en feüilles chez ledit Sieur Blageart.