1678

Mercure galant, août 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, août, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1678 [tome 8]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], non paginé.

À
MONSEIGNEUR
LE
DAUPHIN

MONSEIGNEUR,

Je n’ay commencé à vous offrir le Mercure qu’en tremblant. Je n’ay continué qu’avec cette mesme crainte respectueuse qui me faisoit voir toute la temerité de mon entreprise. Si je me flatois jusqu’à croire que vous y voyiez avec plaisir une fidelle peinture des grandes Actions du Roy, j’entrois aussi tost dans la juste défiance que je dois avoir de moy-mesme, & je ne pouvois jetter les yeux sur la dignité de la matiere, que je n’eusse peine à me pardonner la foiblesse de mes expressions. Mais, MONSEIGNEUR, apres ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire encor depuis quinze jours, je perds la crainte qui m’arrestoit, & je ne puis m’empescher de travailler avec confiance, parce que vous m’avez fait la grace de m’assurer que je travaille à un Ouvrage qui vous divertit. En effet il n’y a rien de plus glorieux pour moy, que le détial où il vous a plû d’entrer sur tout ce qui regarde le Mercure. Vous n’auriez pas eu cette obligeante bonté pour ce qui vous auroit déplû, & je ne me hazarderois pas à vous le presenter tous les Mois, si vous ne m’y aviez enhardy par la favorable reception que vous luy faites. Elle ne peut estre connuë sans m’attirer l’approbation du Public. Mais, MONSEIGNEUR, ce n’est pas le seule avantage que j’en reçois. Elle étouffe la malignité de la Critique. Personne n’ose condamner ce qu’on apprend que vous approuvez, & je me tiens assuré que si quelqu’un s’échape à le faire, ce ne sera jamais qu’en cachant son nom. Le plaisir de satisfaire sa jalousie, ne l’emportera point sur la crainte des reproches qu’on luy feroit s’il se faisoit connoistre, en se declarant contraire aux sentimens d’un aussi Grand Prince que Vous. Quand je dis Grand MONSEIGNEUR, je ne regarde point les privileges de vostre Auguste Naissance, je veux dire Grand par Vous mesme, & par ces merveilleuses qualitez que vous faites tous les jours briller avec un nouvel éclat. Je ne dis que ce qui est connu de tout le monde. Il est rare de voir un Esprit aussi éclairé que le vostre, & des lumieres aussi vives que vous en avez. Tout ce que vous faites est un sujet continuel de surprise. Les dernieres Courses de Bague qui ont esté honorées de la presence de Leurs Majestez, ont rendu témoignage de vostre adresse. Vous vous estes montré infatigable dans cet Exercice, & rien n’a paru plus digne d’admiration que de vous voir emporter le Prix sur ceux mesmes qui l’avoient disputé plus d’une fois dans ces sortes de Courses, avant que le Ciel vous eust donné à la France. Mais, MONSEIGNEUR, j’entre insensiblement dans une matiere, qui toute inépuisable qu’elle est, demande de longues reflexions pour estre traitées avec un peu d’ordre. J’arreste l’emportement de mon zele. Je n’en craindrois rien si mes forces pouvoient égaler le profond respect avec lequel je suis & seray toute ma vie,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres-

Obeissant Serviteur,     D.

Préface §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], non paginé.

PREFACE.

Ceux qui veulent donner des Pieces pour le troisième Extraordinaire qui paroistra le 15. d’Octobre, sont priez de n’attendre point si tard. Comme il est d’un caractere plus petit que le Mercure, il faut plus de temps pour l’imprimer, & les premieres feüilles sont déja tirées. On peut s’instruire de ce qui regarde les Extraordinaires par les Préfaces des deux autres. Quelques-uns se plaignent de n’estre point dans le Mercure. Il faut qu’il n’ayent pas lû l’Extraordinaire où ils se seroient trouvez. Messieurs de l’Académie de Troyes sont de ce nombre. Ceux qui envoyent des Explications d’Enigmes dans les derniers jours du Mois, se devroient épargner cette peine, puis qu’ils sçavent que leurs Lettres ne peuvent arriver qu’apres que le Mercure où l’on auroit parlé d’eux, comme à se debiter. La Guerre tient tant de place dans ce Volume, qu’on n’a mesme pû mettre tout ce qui la regarde. C’est pourquoy tous ceux qui ont envoyé des Ouvrages sur la Paix, ne doivent pas estre surpris s’ils ne les y rencontrent point. On prie ceux qui en envoyeront à l’avenir, de les faire extrémement courts. On préferera ceux qui n’auront que tres-peu de Vers, & dont les pensées seront nouvelles. La matiere est assez belle pour faire trouver quelque chose d’extraordinaire. Il seroit à souhaiter qu’on observât la mesme chose dans toute sorte d’Ouvrages, c’est à dire qu’on tâchât de les faire courts, & d’y mettre l’agrément de la nouveauté, soit pour les pensées, soit pour le tour.

[Lettre de M. l’abbé de la Valt sur la feste Bravade qui se fait tous les ans à Aix en Provence] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 10-27.

Il s’en est fait une [Feste] à Aix en Provence, que je ne vous dois pas laisser ignorer. Quoy qu’elle soit d’une fort ancienne institution, elle a eu cette année des particularitez qui l’ont fait paroistre toute nouvelle. Vous en trouverez la description dans la Lettre que je vous envoye. Elle a esté écrite à un galant Homme de cette Province par Mr l’Abbé de la Valt. Ce nom ne vous doit pas estre inconnu. Je croy vous avoir déja dit que j’avois enfin découvert qu’il estoit l’Autheur de ces belles Lettres sur les Enigmes qui sont au commencement de l’Extraordinaire de Janvier. La maniere aisée dont il sçait tourner les choses, ne vous peut promettre qu’une entiere satisfaction de tout ce qui vient de luy.

À MONSIEUR DE***
À Aix en Provence.

 

On vous a dit vray, Monsieur, en vous disant que la Feste qu’on a de coûtume de faire icy la veille du jour où l’on solemnise celle de S. Jean, a esté remarquable cette année par des circonstances qui en ont fort augmenté l’éclat. Vous voulez que je vous en rende compte, & je me fais un fort grand plaisir de satisfaire vostre curiosité.

C’est un usage de la Ville d’Aix, que celuy qui a remporté le Prix, abatant d’un coup de Fusil la teste d’un Oyseau, que l’on expose quelque temps auparavant, est declaré par les Consuls & les autres Magistrats, Roy de la Feste, qui se nomme icy la Bravade. Il choisit un Lieutenant & un Enseigne, qu’il propose à l’Hostel de Ville, & que l’on y accepte à la pluralité des voix. Ces trois Officiers levent chacun une Compagnie de mousquetaires, & tous ensemble se rendent à la Place la plus considérable de la Ville, où le Parlement se trouve pour allumer le Feu de la S. Jean.

On m’a appris dans la fameuse Bibliotheque de l’Aurore, que cette Feste est une coûtume introduite depuis l’an 1256. lors que Charles d’Anjou revint du voyage de la Terre Sainte. La fidelité de la Ville d’Aix luy servit à rétablir l’ordre dans le Païs, & à faire obeïr ses Voisins, qui avoient appelé les Génois & le Roy de Castille à leur secours. Il fut si content de celuy qu’elle luy presta en prenant les armes pour luy, que dés ce temps-là il établit le Prix & la Feste dont nous parlons, pour l’entretenir dans l’Exercice de la Guerre. Le temps, qui change toutes choses, a introduit seulement le Fusil, au lieu de l’Arc & des Fleches, & a augmenté d’année e année la solemnité de la Feste par quelque nouvelle circonstance. Celles qu’elle vient d’avoir méritent bien d’estre publiées.

Le Marquis de Grignan ayant tué l’Oyseau, & s’estant montré digne, par la hardiesse & l’habileté qu’il eut à tirer son coup, d’estre fait le Roy à l’âge de sept ans, nomma des Enfans de qualité de son âge, le Marquis de Bouc pour son Lieutenant, & le Chevalier de la Garde pour son Enigme. Ce choix fut reçeu avec applaudissement à l’hostel de Ville, & vous pouvez croire qu’on en attendit quelque chose de fort particulier. Le Marquis de Bouc est fils unique de Mr le Premier President de la Cour des Comptes, qui a toûjours aimé la gloire & la dépense. L’Enseigne est Fils d’une illustre Veuve Madame la Présidente de la Garde, qui sçait le monde à deux cens lieuës de la Cour, autant que beaucoup de Femmes qui passent leur vie à S. Germain.

Que l’on se represente apres cela, si l’on peut, toute la magnificence des trois Compagnies de ces petits Officiers. Il n’y avoit point de Mousquetaire qui n’attirast les yeux, & qui ne les retinst longtemps, par ses manieres. L’agreable assortiment de leur parure faisoit paroistre dans leur équipage toute la galanterie dont il pouvoit estre susceptible.

Lors que l’on regardoit la Compagnie de Grignan qui avoit le Rouge pour Livrée, les Plumes, les Rubans, & les Echarpes, dont les couleurs estoient relevées par la Dentelle d’or d’argent, paroissoient autant de feux & de flames. Elle avoit aussi pour Devise des Etincelles de feu, avec ce mot, Ignis præsaga futuri, pour montrer que la hardiesse, l’esprit, & l’adresse du Capitaine, qui n’estoient que des êtincelles aujourd’huy, produiroient un jour beaucoup de feu & feroient un grand éclat dans le monde.

Le Bleu meslé au Blanc, & à toute sorte de Point dont les Habits estoient couverts, laissoit l’image d’une de ces admirables dispositions du Ciel, lors que les rayons du Soleil y embelissent la blancheur des nuages. Telle estoit la Compagnie fort nombreuses du Marquis de Bouc, qui avoit aussi pris le corps de sa Devise dans le Ciel. C’estoit l’Etoile du matin, avec cette ame, Splendescit ab ortu, pour dire que dés sont enfance il brille déja, & fait esperer qu’il soûtiendra tout l’éclat de cette Famille. La maniere dont il est êlevé fait connoître qu’on n’oublie rien pour luy faire meriter l’avantage d’estre un jour le quatriéme Premier President en Provence qui en soit sorty.

Le Verd faisoit de la Compagnie de la Garde un spectacle semblable à celuy de ces belles Pariries, qui ont leur verdure êmaillée de mille belles couleurs, ce qui servoit mesme de corps à sa Devise ; & comme les Chevaliers sont êlevez d’une maniere à ne devoir qu’à eux-mesme tout leur merite, on avoit donné ce demy Vers d’Ovide à cette Devise, Per se dabat omnia.

Apres que les Compagnie se furent jointes au Palais, où l’on alla prendre le Roy, elles se mirent en marche dans les Ruës les plus considérables de la Ville. Le Roy salüoit à coups de Mousquet, le Lieutenant avec sa Pique, l’Enseigne avec son Drapeau, & ils s’en acquitoient tous d’un si bon ait, qu’ils s’attiroient l’applaudissement de tout le monde.

Les Dames estoient sur les Balcons, & apres avoir reçeu les Salves, elles prodiguoient les plus beaux Fruits de la Saison, & les plus excellentes Liqueurs, pour rafraîchir ces galantes Troupes.

Elles voulurent aussi que leurs Enfans eussent part à cette Feste. On en choisit une Compagnie de cinquante, que l’on habilla en Suisses, & qui, malgré ce dêguisement, paroissoient autant de petits Amours. On n’avoit rien épargné pour les embellir. Ils estoient à la teste des compagnies. On y avoit meslé un personnage burlesque. C’estoit un Nain d’une figure fort extraordinaire. Il a un pied de barbe, & n’en a pas deux de hauteur. Il appartient à un Homme de qualité, qui avoit pris plaisir à le faire instruire à joüer de la Halebarde. C‘est un de ces Maistres, qui sçavent metamorphoser tout leur monde en habiles Gens.

Jamais on n’entendit plus de Tambours, plus de Fifres, ny plus de Mousqueterie. Le feu estoit aussi grand, qu’à quelqu’un de ces Sieges fameux que l’on a veus durant ce Regne.

La nuit donna une nouvelle décoration à cette feste. Le Marquis de Grignan traita à table ouverte toute sa Compagnie, & le Repas fut suivy d’un Feu d’artifice de l’invention d’un Liegeois, qui faisoit un Essay de celuy où il espere estre employé, lors que la Paix sera publiée.

Cependant il y eut une agreable Representation du Misantrope chez une belle Parente du Marquis de Bouc. Elle avoit voulu se charger de cette partie de la Feste. La Comédie fut suivie d’une magnifique Collation, & terminée par un Bal qui dura jusques au jour.

Tout estoit en Feste. L’Enseigne avoit chez luy une Symphonie admirable.

On pouvoit prendre part aux Divertissemens diférens que ces officiers avoient préparez. Leur varieté donnoit un nouveau ravissement. Les yeux qui avoient esté enchantez ce jour-là par mille spectacles surprenans, trouverent de nouveaux […]1 contens que de tout le reste. On voit icy les plus belles Femmes qui soient dans le Royaume ; & la disposition qu’elles ont naturellement pour la Danse, sert infinîment à mettre en œuvre tout l’éclat de leur beauté.

Enfin, Monsieur, tout se passa avec une si entiere satisfaction de tout le monde, que depuis longtemps on n’avoit point veu une si belle Feste dans la Province. Il sera peut-estre difficile qu’on n’y en voye jamais une semblable.

[L’Agent de soy mesme, Histoire] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 33-50.

Il y a de la destinée en bien des choses. Si vous en doutez, ce que j’ay à vous dire vous en fera demeurer d’accord. Un Gentilhomme de province, venu à Paris pour un Procés, s’estoit logé dans une Auberge dont le Maistre le connoissoit depuis dix ans. Il estoit bien fait de sa personne, agreable dans la conversation, & assez riche pour trouver des Partys fort avantageux, s’il eust voulu donner dans le Sacrement ; mais la liberté luy plaisoit, ou plutost son heure n’estoit point encor venuë, car quand elle frape, il n’y a plus moyen de diférer. Sa Chambre donnoit sur la Ruë. L’impatience de voir revenir un Laquais qu’il avoit envoyé en Ville, luy fit mettre la teste à la fenestre, & ses yeux furent agreablement arrestez par une belle Personne qui fit la mesme chose que luy dans le mesme temps. Elle estoit dans une Chambre opposée directement à celle du Cavalier ; & un bruit de Peuple dont elle vouloit sçavoir la cause, l’avoit obligée à se montrer. C’estoit une brune d’une beauté surprenante. De grands yeux noirs pleins de feu, la bouche admirable, le nez bien taillé, & le teint aussi vif qu’uny. Le Gentilhomme charmé d’une si belle Voisine, luy fit un salut qui luy marqua l’admiration où il estoit. Il luy fut rendu d’un air sérieux, quy que fort civil ; & la rumeur ayant cessé dans la Ruë, cette aimable Personne se retira au grand déplaisir du Cavalier qui la regardoit de tous ses yeux. La Porte de sa Maison qui estoit assez petite, luy fit croire qu’il n’auroit pas de peine à s’introduire chez elle comme Voisin, & dans cette pensée il demanda à son Hoste qui elel estoit, & quelles pouvoient estre ses habitudes. L’Hoste luy apprit que depuis un an elle occupoit une partie de cette Maison avec sa Mere ; qu’elle avoit de la naissance & peu de bien ; qu’il n’y avoit rien de plus régulier que sa conduite ; que tout le monde en parloit avec grande estime, & qu’il n’y avoit que des propositions de Mariage qui pûssent obliger la Mere à écouter des Gens comme luy. Le Cavalier trouva le party facheux. Il aimoit les belles Personnes, mais non pas jusqu’à vouloir épouser. Cependant il demeura ferme dans sa résolution de visiter. Il prit la Mere par son foible, & luy ayant fait entendre qu’il luy venoit demander sa Fille pour un Amy qui en estoit devenu passionnément amoureux, il fut reçeu favorablement. Il donna du Bien & une Charge considérable à cet Amy ; & comme il estoit Maistre du Roman, il l’embellit de tout ce qui le pouvoit rendre vray-semblable. L’Amy estoit à la Campagne pour quinze jours. Des affaires importantes l’y avoient mené, & il devoit luy écrire le succés de sa négotiation. On fut content de tout, pouveu que les choses se trouvassent telles qu’on les proposoit. La Mere s’informa du Cavalier dans son Auberge. On luy dit qu’il estoit tres-riche, d’une des plus considérables Maisons de sa Province, & si fort en réputation d’Homme d’honneur, qu’on pouvoit s’assurer sur sa parole. Cependant il joüoit un rôle assez délicat ; mais comme il avoit de l’esprit, il ne s’en embarassoit pas. Il faisoit son compte de voir la Belle le plus longtemps qu’il pourroit sur le pied d’Agent, & croyoit sortir d’affaire par un Amy qui feroit le passionné pendant quelques jours, & romproit en suite sur les Articles, mais il fut la dupe de luy-mesme à force de voir. La taille de cette aimable Personne fut une nouvelle beauté pour luy, & il acheva de se perdre en l’entretenant. Sa douceur, son honnesteté, son esprit, tout l’enchanta. Il suposoit tous les jours quelque Lettre de son Amy qu’il faisoit voir à la Mere, & elle luy servoit de prétexte pour des visites qui ne le laissoient plus maistre de sa raison. La Belle ne s’engageoit pas moins que luy, & il luy disoit quelquefois des choses si passionnées, qu’elle estoit contrainte de le faire souvenir qu’il s’égaroit. Un mois entier s’estant écoulé sans qu’il amenast son Amy, la Mere qui craignit d’estre joüée, le pria de ne plus revenir chez elle, tant qu’il n’auroit que des Lettres à luy montrer. Il se plaignit à la Belle de la cruauté de cet ordre. Cette charmante Personne luy répondit qu’elle vouloit bien luy avoüer, que l’impatience de voir l’Epoux qu’on luy destinoit, n’avoit rien qui la tourmentast, mais qu’elle avoit ses raisons pour n’estre pas fâchée que sa Mere luy eust fait la défense dont il se plaignoit. Le Cavalier comprit ce qu’il y avoit d’obligeant pour luy dans cette réponse, & en sentit augmenter sa passion. Il n’osa pourtant continuer ses visites le lendemain ; & ce jour passé sans voir ce qu’il adoroit, luy parut un siecle. Il voulut se faire violence pour en passer encor quelques-uns de la mesme sorte, afin de s’accoûtumer à se détacher ; mais le suplice estoit trop rude pour luy, & l’habitude déja trop formée. Apres de longues agitations, l’amour l’emporta sur l’aversion qu’il avoit toûjours euë pour les engagemens qui pouvoient tirer à conséquence. Il retourna plus charmé qu’auparavant, où il connut trop qu’il avoit laissé son cœur ; & pour arrester les plaintes qu’on commençoit déja de luy faire, il débuta par une Lettre de son Amy qui arrivoit ce mesme jour, & qui devoit venir confirmer le lendemain toutes les assurances qu’il avit données pour luy. Cette nouvelle fut reçeuë diversement. Autant que la Mere en montra de joye, autant la Fille en eut de chagrin. Il fut remarqué du Cavalier qui s’en applaudit, & qui eut la rigueur de la préparer à la reception de l’Epoux qu’on luy promettoit depuis si longtemps. Elle ne se sentoit pas le cœur assez libre pour se réjoüir de son arrivée, & passa la nuit dans des inquiétudes qu’il seroit difficile de se figurer. L’heure de la visite estant venuë, le cavalier entra le premier. La joye qu’il fit paroistre de ce qu’il estoit enfin en état de tenir parole, fut un nouveau sujet de chagrin pour cette belle Personne, mais ce chagrin n’approcha point de la surprise où elle se trouva, en voyant entrer apres luy un Homme à manteau, & aussi Bourgeois par son équipage que par sa mine. La Mere le regarda, la Fille rougit, & il ne se peut rien de plus froid que la civilité dont elles payerent le salut qu’elles en reçeurent. Le Cavalier estoit dans un enjoüement extraordinaire, & leur dire cent choses plaisantes sur le sérieux avec lequel elles recevoient une Personne qu’il croyoit leur devoir estre si agreable. L’Homme à manteau le laissa parler longtemps sans l’interrompre, & ayant enfin demandé si on ne vouloit pas dresser les Articles, il fut fort surpris d’entendre dire à la Belle qu’il n’y avoit rien qui pressast, que la chose luy estoit assez d’importance pour luy donner le temps d’y penser. Cette réponse, & la maniere dédaigneuse dont elle regardoit l’Epoux prétendu qu’on luy avoit fait attendre depuis un mois, mirent le Cavalier dans des éclats de rire, qu’il luy fut impossible de retenir. Ils furent tels, que la Mere & la Fille commencerent à s’en fâcher ; mais il n’eut pas de peine à faire sa paix, & elles ne rirent pas moins que luy quand il leur eut appris qu’il estoit luy-mesme cet Amy dont il leur avoit parlé, & que celuy qu’ils voyoient estoit un Notaire qu’il avoit amené pour dresser le Contract de Mariage. Jugez de la joye de la Belle, qui ne s’attendoit à rien moins qu’à une si agreable tromperie, & qui s’estant laissée insensiblement prévenir pour le Cavalier, ne soufroit plus qu’avec peine qu’on parlast de la marier avec son Amy, quelque honneste Homme qu’elle pût le croire. Les Articles furent signez, & la grande Cerémonie se fit un des derniers jours de l’autre Mois.

[Avanture arrivée à Gennes à un François] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 50-57.

Voila, Madame, ce que le hazard produit quelquefois. Je connois un Cavalier voyageur, qui auroit peut-estre pris un pareil engagement, si on voyoit les Femmes en Italie avec la mesme liberté qu’on les voit en France. Il a passé une partie de l’Hyver à Gennes. Les réjoüissances du Carnaval y sont grandes ; Il les voulut voir, & alla pour cela dans la belle Ruë qu’on apelle Strada nuova. Elle est pavée de marbre de diverses couleurs, & bordée de hauts Portiques aussi de marbre, qui forment deux autres Ruës, couvertes de Palais tres-somptueux. Il s’y promenoit accompagné d’un Génois qui s’estoit engagé à luy faire voir les divertissemens de cette Saison. Ils consistent en de pompeuses Mascarades, & en divers Jeux magnifiques, en faveur desquels le beau Sexe est dispensé pendant quelques apres-disnées de la retraite qu’on luy fait garder dans les autres temps. Les jeunes Demoiselles ont permission de se mettre à leurs fenestre pour voir ces Jeux. Elles y paroissent dans leurs plus superbes ajustemens. L’or, l’argent, & les pierreries, y brillent en confusion, & relevent admirablement l’éclat qu’elles tirent de leur beauté. Il se fait alors une infinité de combats galans entre ces belles Personnes & les Cavaliers qui courent les Ruës, les uns masquez, les autres sans masque. Ces combats se font à coups d’œufs qui ont esté vuidez & remplis d’eaux de senteur. Le Gentilhomme François ne pouvoit se lasser de voir cette profusion de richesses qui soûtenoit avec tant de faste le titre de Superbe que la Ville de Gennes s’est acquise. Apres avoir jetté quelque temps les yeux de tous costez, il les arresta sur un Balcon où estoit une jeune Demoiselle toute charmante. Elle s’apperçeut de son attachement à la regarder ; & soit que la personne du François luy plût, soit qu’elle voulust récompenser la préference qu’il sembloit luy donner par ses regards sur toutes celles de son âge, elle luy jetta plusieurs œufs dont elle avoit fait provision. Il en demeura tout parfumé, & jamais il n’avoit fait tant de revérences qu’il en fit pour remercier la Belle de cette faveur. Il se tint toûjours en lieu où il la pût voir tant qu’elle parut au Balcon ; & quand elle s’en retira, la Feste fut finie pour luy. Les charmes de son visage, & la maniere obligeante dont elle l’avoit distingué des autres, toucherent tellement son cœur, qu’il conjura son Amy avec des empressemens extraordinaires, d’imaginer un moyen qui luy pust donner l’avantage de l’entretenir. Vous jugez bien, Madame, que s’il eust pû se faciliter quelque accés chez elle, cette connoissance auroit eu des suites ; mais les Loix du Païs ont une severité qui ne soufre aux Hommes aucune communication avec le beau Sexe, & il faut se contenter de voir quand l’occasion de quelque Feste en donne le privilege. Ce que je vous ay dit ajustemens où l’or & les pierreries sont prodiguées, est une chose commune parmy ceux de cette Ville, où tout le monde se pique d’estre somptueux.

[Mariage de Marquis Pallavicini] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 57-60.

Cela vous paroistra par les présens qu’un Illustre Génois a faits en se mariant depuis quelques mois. Il est de la Maison des Pallavicini, Neveu du Cardinal de ce nom, & a épousé la Princesse de Venafro, Fille de la Princesse Rossane, à laquelle il envoya ce qui suit.

Une Corbeille de Filigrane, avec douze Bourses, & trois mille Ecus d'or.

Une autre Corbeille dans laquelle il y avoit un tres beau Colier de perles ; deux Bracelets à deux tours de perles semblables à celles du Colier ; une Paire de Pendans d'oreilles de diamans, avec deux perles tres-grosses faites en poire ; & deux autres Bracelets de diamans.

Trois Bassins remplis de seize Habits de draps d'or, avec de superbes broderies ; & deux autres, l'un de dentelles d'or, d'argent & de soye, & l'autre de Points d'Angleterre & de Venise. Je ne vous parle point des autres Bassins pleins de Rubans, de Coifes, d'Eventails, & de Gants de toutes les sortes, outre cinq Chapelets de pierres prétieuses, & quantité de Médailles d'or & d'argent. Il envoya un Tableau de mille écus à la Princesse Rossane. Le Carosse qu'il a donné à la Princesse sa Femme, est estimé dix mille écus, & l'on fait monter jusqu'à vingt mille la dépense qu'il a faite pour orner un des trois Appartemens qu'il a fait meubler dans son Palais. Il y a quantité surprenante d'argenterie. Tout cela, dit-on, luy couste cent soixante & dix mille écus. La Princesse Rossane luy a envoyé une Canne dont la pomme est toute garnie de diamans, & la Princesse sa Femme une fort belle Montre enrichie aussi de diamans avec son Portrait.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 60-62.

Je ne doute point que la magnificence des Nopces qui se sont faites à Frescati, n’ait répondu à ce que la richesse des présens en a fait attendre. C‘est une Feste dont je vous laisse imaginer la beauté. Comme apparemment elle ne s’est pas faite sans symphonie, elle me fait souvenir de l’engagement où je me suis mis avec vous de vous envoyer tous les mois des Airs nouveaux. En voicy un de la composition de Mr Goüet Maistre de Musique des Dames Religieuses de Lonchamp. On m’a dit que les Paroles estoient de Mr de Lignieres.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ma raison veut que je me vange, doit regarder la Page 62.
Ma raison veut que je me vange.
La jeune Caliste me change,
Je sçay qu’un autre Amant luy plaist ;
Mais cette Bergere est si belle,
Que toute infidelle qu’elle est,
On me verra mourir pour elle.
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[Epistre en Vers] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 65-75.

Je ne vous puis encor envoyer l’Elegie du jeune Marquis. Il me la refuse sur le prétexte d’y vouloir mettre la derniere main. À vous dire ce que j’en croy, le nom d’Autheur l’épouvante, & il craint qu’on ne luy fasse un crime d’avoir fait des Vers. Il est vray qu’il seroit à souhaiter que ceux qui n’en font que de méchans y renonçassent ; mais il me semble que pour estre de qualité, il n’en doit pas estre plus honteux de faire paroistre qu’on a de l’esprit. Je pourrois nommer quantité de Personnes considérables par leurs Dignitez & par leurs Emplois, sans en excepter mesme les Princes, qui se connoissant du talent pour la Poësie, n’ont point dédaigné de l’exercer. Ils n’avoient pas le scrupule qui arreste & nostre jeune Marquis, & un fort galant Homme que je connois. Il aime les Vers, en fait de tres-beaux, & voudroit s’abandonner à son génie, mais il est d’une naissance qui luy fait appréhender qu’on ne regarde cet amusement comme une occupation indigne de luy. C’est là-dessus qu’il a fait la Piece que vous allez voir.

À MONSIEUR**
EPISTRE.

Rare & charmant Esprit dont les sçavantes veilles
Tous les jours au Public donnent tant de merveilles ;
D’un rigoureux bon sens fidelle Sectateur,
Toy qui connois si-bien le veritable honneur,
Souffre que mon chagrin, sans que rien le retienne,
Appelle ta raison au secours de la mienne.
L’Art de faire des Vers, cet Art doux & charmant,
À l’Esprit attaché s’exerce innocemment,
N’est-il venu des Cieux que pour la Populace,
Et n’a-t-on jamais vû de Nobles au Parnasse ?
Dés mes plus jeunes ans charmé de ce mestier
J’y perdis en secret de l’Encre & du Papier,
Je n’estois pas instruit des loix de la Grammaire,
J’aymois déja les Vers & je brûlois d’en faire.
L’heureux temps arriva, souhaité tant de fois,
Où du Vers des Latins on m’expliqua les loix.
Fier alors de sçavoir ajuster un Dactile
Je n’esperois pas moins que d’égaler Virgile ;
Me flatant d’effacer la gloire de son nom,
J’îmitois de ses Vers la cadence & le son,
Et j’avois sur le plan de sa vaste Enéide,
Commencé les travaux d’Alexandre & d’Alcide.
Heureux sans le chagrin d’un maudit Precepteur
Qui ne put approuver mon indiscrete ardeur,
Il m’en blâma souvent, la verge & la férule
Reprimeront souvent ma verve ridicule.
Ces maux, ny de plus grands que j’ay depuis soufferts,
Ne m’ont jamais rendu moins ardent pour les Vers.
Ma Muse begayante estoit encor Latine
Quand je vis par hazard Bajazet de Racine.
Je le lus & relus, je m’en laissay charmer,
Je gonflay nostre Langue & je voulus rimer.
Je quittay la Province, & pour former ma veine
Je suivis Apollon sur les bords de la Seine.
Le Monde cependant a blasmé mes desseins,
J’ay servy de matiere à mille contes vains,
Chacun de mon étude ou se rit ou s’offence.
Vieillissez, me diton, plûtost dans l’ignorance,
Que de joindre aux beaux noms qu’ont porté vos Ayeux
De Poëte & d’Autheur le titre injurieux.
Dy moy donc, maintenant que tu sçais mon histoire,
Si je me deshonore en cherchant de la gloire,
Si suivant un panchant que le Ciel m’a donné,
Je soüille par mes Vers le sang dont je suis né.
L’ingénieux Horace & le fameux Virgile
Qu’éloignoit de la Cour leur naissance servile,
Se virent par leurs Vers estimez & cheris,
Et du Maistre du Monde, & de ses Favoris.
Rome entiere oublia leur indigne naissance.
Plus d’un Roy supliant brigua leur connoissance,
Implora leur credit, & se fit un honneur
D’avoir de tels Patrons aupres de l’Empereur.
Ovide ne crut point mesme dans sa vieillesse
Que le titre d’Autheur fist tort à sa Noblesse,
Ny qu’un jour tant de Vers confiez au Papier,
Pussent le dégrader du rang de Chevalier.
Ceux parmy les Césars dont on voit que l’Histoire
Avecque plus d’éclat a consacré la gloire,
Pour monter au Parnasse & pour faire des Vers,
Se déroboient souvent au soin de l’Univers ;
Auguste le faisoit, le Grand Jule luy mesme
A parmy ses Ecrits laissé plus d’un Poëme.
Enfin nous avons veu ce fameux Cardinal
Dont le vaste genie à l’Espagne fatal,
Fit voir en abaissant l’Autriche trop hautaine
Un cœur plus que Romain sous la Pourpre Romaine.
Accablé qu’il estoit de mille grands Emplois,
À rimer cependant s’amuser quelquefois,
Afin qu’aucun respect ne genast les suffrages,
Sous des noms empruntez il montra ses Ouvrages,
Et ne fit qu’imiter ce fameux Dictateur
Par qui Rome en Afrique établit sa grandeur,
Dont les Vers tant de fois adoptez par Terence
Ont contre cet Autheur armé la médisance,
Et fait dire aux jaloux qu’avec tout son Esprit
Sans le Grand Scipion Terence eust moins écrit.
Tant d’Exemples fameux dont on feroit un Livre,
Semblent rendre innocent l’employ que je veux suivre ;
Mais sur un faux éclat je puis avoir jugé,
Et les choses peut-estre & les temps ont changé.
Prononce sur ce point, je t’en fais seul Arbitre.
Ton avis quelque jour me servira de Titre,
S’il est vray que la loy d’un cruel point d’honneur
Ait au Noble interdit le mestier de Rimeur,
J’y renonce, & je vais dans quelque Mestairie
Passer en Campagnard ma languissante vie.

[Histoire de l’Ordre de la Liberté des Cœurs] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 92-106.

Heureux qui peut conserver la liberté de son cœur ! Je vous ay déja mandé qu’il s’estoit étably un Ordre nouveau sous ce titre. Voicy ce qui luy a donné lieu.

HISTOIRE
DE l’ORDRE
DE LA LIBERTÉ DES COEURS

Il y avoit déja longtemps qu’un petit nombre de Cœurs disputoient obstinément leur Liberté contre l’Amour, résolus de la defendre jusqu’au bout, & de repousser ses plus dangereuses attaques.

Hélas ! dans quels perils un jeune cœur s’engage
    Quand il ose tant resister ?
Car si l’Amour peut un jour l’emporter,
Point de quartier, on met tout au pillage.

Comme ces Cœurs fatiguez par les Assauts continuels de l’Amour, avoient beaucoup perdu de leurs forces, ils furent obligez de demander du secours à quelques autres Cœurs qui n’estoient point soûmis à l’Amour, ou qui s’estoient affranchis de l’obeïssance qu’ils luy avoient quelque temps jurée ; car ils sçavoient bien que s’ils se rendoient, leur genereuse resistance ne seroit pas un merite pour eux aupres de l’Amour, & qu’elle ne serviroit qu’à leur en attirer un traitement encor plus fâcheux.

D’un cœur indifferent la plus belle action
    Prés de ce Vainqueur ne sert guere,
    Il a peu de discretion,
    Quand il a pouvoir de tout faire.

Dés qu’ils furent fortifiez par l’arrivée de leurs Troupes auxiliaires, l’Amour eut du dessous, & fut contraint de lever le Siege ; mais ces Cœurs qui n’ignoraient pas que leur Ennemy pourroit bien revenir à la charge, & qui avoient dessein de se mettre en estat de luy resister toûjours, jugerent à propos de faire entr’eux une liaison étroite qui les engageât tous à leur défense commune. Ils n’en trouverent point d’autre moyen que d’établir un Ordre Militaire qui portât le nom de la Liberté, pour faire souvenir ceux qui en seroient honorez, de l’obligaiton où ils estoient de se defendre sans cesse contre l’Amour. L’Ordre fut donc appellé Ordre de la Liberté des Cœurs. Ils prirent pour Devise des Chaînes rompuës, & au dessus de la Devise était écrit Liberté, qui fut pris pour le Cry de guerre. Cela fit, on songea à établir un Grand-Maistre. Les Avis furent partagez. Les Hommes & les Femmes pretendoient également à la Grande-Maistrise. Les Hommes disoient que les Dames n’estoient gueres propres à conserver la Liberté dans un Cœur.

    Quand un Dame a dequoy plaire,
    Elle a beau crier, liberté,
    Ses yeux nous disent le contraire,
Et l’on écoute moins sa voix que sa beauté.

Mais les Dames leur répondoient.

Si de vos Cœurs la tendresse est extreme,
Et si nos yeux ont pouvoir de charmer,
Nous ne pouvons empecher qu’on nous aime,
Mais nous pouvons nous empécher d’aimer.

Les Hommes repliquoient à cela.

Le cœur le plus farouche enfin devient traitable,
    Un peu d’amour l’a bien-tost adoucy,
        Et dés que l’on se croit aimable,
        On croit devoir aimer aussi.

Si les Hommes eussent eu moins de panchant à prendre de l’amour, que les Dames à en donner, la plus grande partie des voix auroit esté de leur costé, mais la facilité qu’ils ont à aimer n’estant pas moins dangereuse pour la Liberté, que le plaisir que les Dames se font d’estre aimées, l’on ne pût résoudre à qui l’on donneroit la Grande Maistrise. Pour sortir de cette affaire, on trouva un milieu, qui fut que les Hommes & les Dames possederoient alternativement cette Charge. Si-tost que l’Election fut achevée, on fit les Regles qui suivent.

REGLES DE L’ORDRE
de la Liberté des Cœurs

I. Comme la fin que l’Ordre s’est proposée, est de faire une guerre continuelle à l’Amour, il est necessaire d’avoir une grande quantité de Chevaliers en état de combatre. On recevra pour cet effet tous les Cœurs de ceux de l’un & de l’autre Sexe, de quelque âge, condition & qualité qu’ils soient, excepté ceux qui auroient atteint la soixantiéme année, parce que tous ces Cœurs qui sont sur le retour, ne font profession d’estre libres que faute de pouvoir estre amoureux, & de tels Chevaliers ne seroient gueres capables d’augmenter la puissance de l’Ordre.

Les Sentimens d’un Cœur sexagenaire
    Sont foibles contre la beauté,
    Les jeunes Cœurs n’écoutent guere
    Ce qu’il dit pour la Liberté.

II. On y recevra la Jeunesse dés sept ans.

    La liberté doit faire son possible
Pour entrer dans un Cour dés ses plus jeunes ans,
    Car pour le rendre amoureux & sensible
    L’Amour prend toûjours bien son temps.

III. On fera un Novitiat à la discretion du Grand Maistre ; mais le temps de l’épreuve ne pourra estre moindre d’un an, car il n’est pas si facile de bannir l’Amour que le pensent ceux qui par dépit reclament la Liberté.

    La Maladie est obstinée,
        On n’en guérit pas aisément ;
Pour prendre de l’amour il ne faut qu’un moment,
    Pour s’en défaire il faut plus d’une année.

IV. Les Freres & les Sœurs pourront se marier si bon leur semble.

Le Mariage en un seul jour
Eteint la plus ardante flâme.
Pourveu qu’on n’aime que sa femme
On est seur d’estre sans amour.

V. Les Chevaliers ne pourront faire de Combats seul à seul avec les Sujets de l’Amour, sur peine d’estre chassez de l’Ordre.

Dans les combats publics on se tire d’affaire,
    Le succés en peut estre heureux,
    Mais pour le Cœur le plus severe
    Un teste à teste est dangereux.

VI. Ils ne toucheront point aux dépoüilles des Ennemis, au contraire elles leur seront renduës au méme état qu’elles auront esté prises.

    Il ne faut point qu’on se hazarde
À garder rien de ce qu’on aura pris.
    Petits presens, tendres écrits,
    Sont d’une dangereuse garde.

Voila quelles sont les principales Regles de cet Ordre. Comme on se relâche facilement, je ne sçay s’il n’aura pas besoin d’estre reformé de temps en temps. À la verité d’aimables Sœurs avec des Freres qui ne le sont pas moins, ne sont gueres propres à faire la guerre avec l’Amour ; neantmoins il suffit qu’ils ayent eu la force d’établir un Ordre Militaire destiné à ce seul employ, pour faire croire qu’ils en auront assez pour le maintenir.

[Vers sur un Bouquet] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 117-118.

Il se fait toûjours force Galanteries en matiere de Bouquets. Envoicy un envoyé à une Belle par le Fils d’un Auditeur des Comptes de Dijon. Je vous ay déja fait voir de ses Vers.

BOUQUET.

Allez, heureuses Fleurs, où ce jour vous convie,
    Ne retardez pas un moment.
Pour aller sur le sein de l’aimable Sylvie,
    Il vous faut de l’empressement.
Que vostre sort est doux ! qu’il est digne d’envie !
Vous ne pouvez avoir de plus charmant séjour.
Les Zephirs enjoüez vous baiseront sans cesse.
Vous aurez avec vous les Graces & l’Amour,
        Les Ris & la Jeunesse,
    Qui dans l’excés de leur tendresse
    Vous caresseront tour à tour.
Heureux, si comme vous je pouvois quelque jour,
Joüir du beau destin qui pour vous s’interesse !
Mais, Fleurs, je vous retiens, allez le temps vous presse.
Portez à cette Belle avecque vos couleurs,
Les Hommages profonds du plus tendre des cœurs.

[Autres Vers sur des Fleurs] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 119.

Je ne dois pas oublier ces autres Vers qui ont esté faits à Rennes, sur ce qu’une aimable Personne avoit mis dans son sein des fleurs qu’elle venoit de cüeillir.

Belles Fleurs qu’en mourant vous me donnez d’envie !
L’incomparable main qui vous cause la mort,
Vous donne pour Tombeau le beau Sein de Sylvie.
Ah, belle Fleurs, que n’ay-je un mesme sort !
D’un semblable Tombeau j’aurois l’ame ravie,
    Et quand je serois mort,
Pour mourir mille fois je reprendrois la vie.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 120-121. Attribution à Brossard d'après J. Duron (L'oeuvre de Sébastien de Brossard (1655-1730). Catalogue thématique) qui cite les propos du compositeur (F-Pn/ ms. lat. n.a. 520, f. 114) : « Air notté et paroles de M.r Robsard de Fontaines. C'est le nom de Brossard retourné et déguisé. J'étois alors avec une charmante compagnie a Fontaines aux Roses près de Paris ou cette bagatelle m'échappa et fut envoyée au Mercure sous ce déguisement. J'avois mes raisons pour en user alors ainsi. »

Une mort de cette nature, à condition de revivre toutefois & quantes, seroit assurément préferable aux langueurs continuelles de ces malheureux Amans qui veulent souffrir sans qu’on le sçache, & qui n’ont autre soin dans leurs plaintes que de recommander la discretion aux Forests. Ecoutez celles d’un Berger que l’absence accable. L’Air & les Paroles sont de Mr Robsard de Fontaines.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je ne viens plus dans ces Deserts, doit regarder la Page 121.
    Je ne viens plus dans ces Deserts
Inviter les Oyseaux à faire des Concerts ;
    Je cherche l’ombre & le silence,
Pour me plaindre en secret des rigueurs de l’absence.
Helas ! si je vous dis mes tourmens amoureux,
Vastes Forests, solitaires Retraites,
Au moins promettez moy que vous serez discretes,
Et cachez les ennuis d’un Berger malheureux.
images/1678-08_120.JPG

[Lettre à la plus aimée et à la plus ingrate Personne du monde] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 121-132.

Les uns sont tourmentez par l’absence, & les autres par le changement. La Lettre d’un Amant desesperé que je vous envoyay il y a trois mois, a esté tellement de vostre goust, qu’en ayant recouvré une seconde du mesme stile, je croy devoir vous en faire part. Elle n’a point d’autre Subscription que,

POUR LA PLUS AIMEE
& la plus Ingrate Personne
du monde.

Vous avez enfin connu ma tendresse ; mon cœur vous en a parlé ; mes yeux vous l’ont fait entendre ; mes soûpirs vous l’ont exprimée ; mes assiduitez vous en ont convaincuë ; vous m’avoüastes hyer que vous m’aimez, & vous m’amvez dit aujourd’huy qu’il faut cesser de se voir. Quel changement ! quelle inconstance ? Est-ce là cette foy qui devoit toûjours durer ? est ce la cet amour qui ne devoit jamais finir ? Ne sçavez-vous aimer qu’un jour, volage, & n’en donnez-vous pas des preuves moins violentes ? Ay-je merité par une extréme passion un traitement aussi injuste, & ne devez-vous pas une plus douce récompense à mes soins & à mes empressemens ? C‘estoit seulement pour mieux penétrer dans les veritables sentimens d’un Cœur que vous ne possedez que trop, que vous m’avez flaté des apparences trompeuses d’une amitié sincere. Vous l’avez veu ce Cœur amoureux & enflâmé. Il vous a plû sans déguisement, & vous l’accablez de la nouvelle d’un si funeste séparation. Quels sont vos projets ? quelles sont vos irrésolutions ? ou plutost quelle destinée est la mienne, & quel est mon aveuglement ? Quand ma passion ne commençoit que de naistre, vous m’avez commandé de l’étoufer. Il estoit en mon pouvoir de le faire ; elle ne l’emportoit pas encor sur ma raison. Quand vous m’avez veu disposé à vous obeir, vous vous y estes opposée. Vous avez rallumé cette passion par des espérances trompeuses. Vous l’en avez nourrie ; & quand enfin elle est à son dernier période, que tout conspire contre moy, que mon cœur & mon esprit sont d’intelligence avec vous pour me perdre, vous dites, Inhumaine, qu’il faut cesser de se voir. Helas ! qu’il est facile à une Amante déguisée de tromper un Amant passionné. Je rappelle aujourd’huy l’air indiférent & la maniere tiede dont vous m’avez découvert vostre feu. Ah que j’estois aveugle de ne pas connoistre à ce peu d’empressement les secrets de vostre trahison. Trahison ! Non, j’ay tort de vous accuser. Vous n’estes point coupable d’une si noire perfidie. En effet, quelle gloire auriez-vous de passer pour une habile Fourbe ? Vous m’avez parlé de bonne foy. J’ay veu en vous ces manieres tendres qui touchent & qui persuadent, & j’aurois esté injuste si je fusse demeuré insensible à la chose du monde lap lus douce & la plus charmante. Oüy, je n’en sçaurois douter ; vous m’aimez toûjours, quoy que vous m’ayez dit, & ce n’est que pour mettre mon amour à l’êpreuve que vous m’avez commandé de ne vous plus voir ; car enfin on n’annonce point une si fâcheuse nouvelle avec aussi peu de précaution, & d’un ton aussi moderé que vous avez fait. Eh, au nom de tout ce que vous avez de cher, ne me donnez plus de ces cruelles atteintes, elles sont mortelles pour moy. Si vous vous souvenez du moment de chagrin que vous me fistes, & que vous remarquastes dans le Carrosse, vous jugerez aisément par là de mon agitation. Une parole me changea. Pensez, je vous suplie, au trouble que me doit causer ce que vous venez de me dire. Mais que fay-je, malheureux ! Je cherche encor à me flater. Je m’égare dans ma passion. Mon amour me trahit, apres avoir manqué de prévoyance. Il n’est que trop vray, Cruelle, que vous ne m’aimez plus, ou pour mieux dire, que vous ne m’avez jamais aimé. Il ne m’en faut pas de preuves plus convaincantes. Me bannir d’aupres de vous est un ordre qui ne me laisse pas lieu d’en douter. Hé bien, j’y consens. Ma raison vient à mon secours, je chercheray à me guérir. Vostre exemple ne me sera pas inutile. Je feray mes plus puissans efforts pour vous arracher de mon cœur, chere Perfide. Mais helas je les feray en vain ; car que peut-on sur un cœur qui n’est point à soy ? Rendez-le moy donc au moins, Infidelle, ce cœur entier comme vous l’avez reçeu, & n’y laissez aucun caractere de la plus grande & de la plus belle passion qui fut jamais. Est-ce là, ma raison, le conseil que tu me vient offrir ? Lâche & foible raison, laisse-moy mon amour, tout malheureux qu’il est. On ne demande point un cœur qu’on a volontairement donné. On n’oublie jamais ce qu’on a aimé éperdûment, & c’est une lâcheté dont la seule pensée me tient lieu d’offence. Oüy, belle Ingrate, dans l’extremité où vous m’avez réduit, je veux vous aimer éternellement, mais d’un amour tendre, respectueux, sincere ; & si c’est un crime de vous aimer & de vous voir, vous ne me verrez plus. Mon obeïssance me coûtera cher ; il y va de ma vie, je mourray misérable mais je mourray pour vous, & vous vivrez satisfaite.

[Prise de possession du Grand Prieuré de France, par M. le Chevalier de Vendosme] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 132-142.

Monsieur le Chevalier de Vendosme a presentement le Grand-Prieuré de France. Il en a pris possession depuis quelques jours, & les Cerémonies en ont esté faites avec beaucoup de solemnité. Je ne vous dis rien de sa naissance. Le Nom qu’il porte la fait connoistre, & personne n’ignore qu’il a l’avantage d’estre sorty de l’auguste Sang de Henry IV. Il s’en est montré digne par toutes ses actions, & a fait voir une valeur surprenante dés ses plus jeunes années, puis qu’il est encor fort jeune, & qu’il s’est signalé dé le Siege de Candie par mille marques qu’il y donna d’un courage extraordinaire. Il n’y a rien qui le puisse estre davantage que ce qu’il fit en s’attachant à combatre un Soldat des plus robustes. Il ne le quita point qu’il ne luy eust arraché ses armes ; & à le voir dans un âge si peu avancé, on eust dit que c’estoit David qui attaquoit Goliat. La suite de ses Actions n’a point démenty les premieres ; & dans toutes les Campagnes où il s’est trouvé avec le Roy depuis le commencement de cette Guerre, il a répondu à ce qu’il est né par tout ce qu’on peut attendre de la plus intrépide valeur. Il n’avoit voulu faire prier personne d’assister à la Cerémonie de sa prise de possession du Grand Prieuré de France. Cependant le jour où elle se devoit faire estant arrivé, l’Assemblée ne laissa pas d’estre tres-nombreuse, & l’Eglise toute remplie. Il fut reçeu à la Porte du Temple par les Officiers de la Justice du mesme Lieu, & complimenté par le Bailly, qui le vint trouver jusqu’à son Carrosse. Mr le Chevalier de Vendosme en descendit pour entendre sa Harangue. Elle consistoit en de grands témoignages de joye de ce que les Fleurs de Lys venoient fleurir dans le Temple pour la troisiéme fois, & de ce qu’on le voyoit dans la mesme Dignité que Mr d’Angoulesme & Mr de Vendosme son grand Oncle avoient possedée. Quelque temps apres, cet Illustre Chevalier se rendit dans l’Eglise, revestu d’une Robe de tafetas noir. Il s’avança vers le grand Autel, se mit à genoux, tira son Epée, & la présenta au Prieur qui avoit l’Aube, l’Etole, & la Chape, & estoit assisté des Religieux Chanoines de cette Eglise. Le Prieur benit l’Epée suivant la coûtume, & la rendit en suite à Mr le Chevalier de Vendosme, en luy disant, outre les paroles essentielles, qu’il la prist pour s’en servir contre les Ennemis de la Foy. L’Epée fut remise dans le fourreau, & cela fait, le Prieur commença la Messe. L’Epistre estant dite, Mr le Chevalier de Vendosme partit de la Place où il estoit, & se présenta à genoux devant Monsieur le Bailly d’Harcourt, en présence de plusieurs Commandeurs & Chevaliers, pour recevoir l’Ordre de Chevalerie. Il le reçeut avec les cerémonies ordinaires ; en suite dequoy il retourna en sa place. La Messe finie, il fit ses vœux. On le revestit de l’Habit de l’Ordre, & apres qu’il eut esté embrassé par tous les Commandeurs & Chevaliers qui etoient présens, on le conduisit dans le Refectoire des Religieux, où s’estant assis à terre, Monsieur le Bailly d’Harcourt luy donna un morceau de pain, avec un peu de sel & un verre d’eau, & luy dit que l’Ordre ne luy permettoit pas autre chose. Il faut vous dire, Madame, afin de ne vous laisser aucun embarras, que Mr le Bailly d’Harcourt est celuy que vous avez entendu appeler Chevalier d’Harcourt. Il n’est pas besoin que je vous parle des Actions extraordinaires qu’il a faites sur Mer en plusieurs rencontres. Elles cous sont connuës, mais vous ne sçaviez peut-estre pas qu’elles luy avoient fait meriter d’estre Grand-Croix & Bailly. Cette premiere Cerémonie estant achevée, Monsieur le Chevalier de Vendosme quita sa Robe & le Manteau à bec, & fut conduit dans l’Eglise par Mrs les Commandeurs de Machaut & Davernes. En y entrant, pour marque qu’il prenoit possession du Grand Prieuré, il reçeut l’Eau-benite du Prieur, qui luy présenta les Clefs de l’Eglise. Il alla baiser en suite le Grand Autel, sonna la Cloche, fut mené à la Place des Grands Prieurs, & un peu apres, dans l’Hostel Prioral dont on luy présenta les Clefs. Il y fit allumer du feu, & aucune des Cérémonies qui s’observent dans une veritable prise de possession, ne fut oubliée. Ce fut alors qu’il fut reconnu de tout le monde pour Grand Prieur. Il retourna à l’Eglise, où s’estant remis en sa place, il ordonna qu’on chantast le Te-Deum, pendant lequel il fut encensé par le Prieur, & apres luy, les autres Commandeurs & Chevaliers. Il ne se peut rien adjoûter à la joye qu’ils marquerent tous de voir cette Dignité possedée par un Prince d’un si grand merite.

La Ressemblance, Histoire §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 149-171.

Nous avons veu autrefois joüer les Menechmes. Cette Piece n’a rien de plus surprenant que l’Avanture qui suit.

Un Cavalier, appellé pour une affaire importante à plus de six-vingts lieuës de Paris, faisoit voyage avec un jeune Abbé dont il devoit épouser la Sœur à son retour. Elle estoit belle, il l’aimoit passionnément, & ne s’en estant éloigné qu’avec beaucoup de chagrin, il faisoit de grandes journées pour estre plutost en pouvoir de s’en raprocher. Apres trois ou quatre jours de marche, ils arriverent dans une Ville où ils furent surpris de se voir salüer par beaucoup de monde qui leur estoit inconnu. Ils crûrent que c’estoit une civilité qu’on rendoit en ce lieu-là aux Etrangers ; & sans en chercher d’autre cause, ils descendirent dans la premiere Hostellerie qu’ils rencontrerent. Ils laisserent le soin de leur Chevaux à leurs Gens, & monterent dans une Cahmbre, où ayant demandé à souper, l’Hostesse vint sçavoir un moment apres ce qu’ils vouloient qu’on leur préparast. À peine eut-elle jetté les yeux sur le Cavalier, qu’elle fit un grand cry de joye, & luy dit qu’elle n’avoit rien à luy donner ; qu’il falloit qu’il allast loger chez sa Femme qui avoit esté inconsolable depuis trois ans qu’il estoit party ; qu’elle avoit fait écrire par tout pour tâcher d’avoir de ses nouvelles ; que celuy qu’il croyoit avoir laissé mort, se portoit le mieux du monde, & qu’il n’y avoit eu rien de plus innocent que la partie de Promenade où il l’avoit surprise avec luy. Le cavalier qui ne comprenoit rien à ce qu’on luy disoit, regardoit l’Abbé. L’Abbé se divertissoit de l’Avanture, & feignoit d’entrer dans les sentimens de l’Hostesse, comme luy ayant dit sur le chemin, qu’il ne devoit point passer par ce lieu-là, s’il n’estoit dans le dessein de se reconcilier avec sa Femme. L’Hostesse adjoûta beaucoup de choses à ce qu’elle avoit déja dit, & le tout fit comprendre au Cavalier qu’il ressembloit au Mary dont il estoit question ; que ce Mary soupçonnant sa Femme de galanterie, s’estoit fait une affaire avec quelque Amant ; qu’il l’avoit blessé, & que la crainte des poursuites d’une Partie trop puissante l’avoit obligé de fuir sans qu’il eust fait sçavoir à sa Femme de quel costé il estoit tourné. L’Abbé continuoit à faire sa joye de cette rencontre, & demandant des nouvelles de la Dame à l’Hostesse, il apprit le nom de deux Enfans qu’elle avoit, & d’autres secrets fort importans à sçavoir pour le Cavalier, s’il luy eust pris envie de passer pour ce qu’il n’estoit pas. L’Hostesse qui crût que la froideur avec laquelle il luy répondoit, estoit causée par quelque reste de jalousie, s’obstinoit si fort à ne luy vouloir point donner à souper, que pour venir à bout d’elle, il fut obligé de luy promettre qu’il iroit voir sa Femme le lendemain, prenant pour prétexte du retardement, le besoin qu’il avoit de la nuit pour resver à une réconciliation de cette importance. Il croyoit estre quite de cette persecution quand la Dame entra elle-mesme, vint embrasser le Cavalier avant qu’il eust le temps de jetter les yeux sur elle. Une fort aimable Personne l’accompagnoit. Elle embrassa le Cavalier à son tour, & il se vit traiter de Mary & de Frere dans le mesme temps. Quelques-uns de ceux qui l’avoient salüé dans la Ruë, les estoient venus avertir de son arrivée ; & comme la Dame croyoit luy avoir donné quelque lieu de se plaindre de sa conduite, il n’est point d’avances qu’elle n’eust faites avec joye pour se remettre bien avec luy. Ainsi elle ne diféra point à venir où elle apprit qu’il estoit. Elle joignit les pleurs aux embrassemens les plus touchans ; & le Cavalier qui estoit civil, & qui eust bien voulu la desabuser, ne sçavoit comment se défendre de ses carresses. Elle avoit beaucoup d’agrément dans sa personne, le teint vif, la taille bien faite, & les privileges de Mary que luy assuroit le personnage qu’il ne tenoit qu’à luy de joüer, estoient de grandes amorces pour un Homme qui n’eust pas esté préoccupé. Mais la Sœur de l’Abbé qu’il devoit épouser à son retour, avoit fait de trop fortes impressions dans son cœur pour le laisser capable de s’oublier. Cependant la Dame faisoit toutes les instances possibles pour l’obliger à venir chez elle. La jeune Sœur du Mary qui l’avoit accompagnée, conjuroit l’Abbé de joindre ses prieres aux siennes, afin de faire cesser un divorce qui n’avoit déja que trop éclaté. Elle estoit toute belle, avoit de l’esprit, & sans les conséquences du raccommodement, l’Abbé auroit esté fort aise de s’arrester quelques jours dans un lieu où il auroit eu toute liberté de la voir. Tout ce qu’il pût répondre fut, que si le Cavalier l’eust voulu croire, il auroit esté descendre tout droit chez la Dame, mais que le passé luy tenoit encor un peu au cœur ; & en mesme temps comme il cherchoit toûjours à se divertir, il demanda des nouvelles des deux Enfans dont l’Hostesse luy avoit appris le nom. Toutes ces choses qui avoient du raport avec l’Histoire du Mary, & qu’il sembloit que l’Abbé ne pouvoit avoir sçeuës que du Cavalier, le mettoient hors d’état d’estre crû, quand il auroit dit qu’il n’estoit pas ce qu’on le pensoit. L’Abbé se réjoüissoit de son embarras. La froideur du Cavalier ne rebutoit point la Dame. Elle croyoit l’avoir meritée, & tâchoit de la faire cesser par ses tendresses. Enfin comme elle voulut venir à un éclaircissement qu’il luy auroit esté inutile d’ écouter, il crût se tirer d’affaire, en l’assurant qu’il ne se souvenoit plus de ce qui les avoit tant de fois broüillez, & la priant de luy laisser faire un voyage de huit jours qui luy estoit de la derniere importance ; apres quoy il reviendroit la trouver pour vivre avec elle dans toute l’union qu’elle pouvoit souhaiter d’un Mary qui l’avoit toûjours aimée. La Dame luy dit en soûpirant, qu’elle ne pouvoit l’empescher de faire tel voyage qu’il luy plairoit, mais qu’elle ne le quiteroit point jusqu’à son depart, & que puis qu’il n’y avoit pas moyen de le tirer de l’Auberge, elle y souperoit avec luy. Le Cavalier y consentit avec joye, & ordonna qu’on servist tout ce qu’on pourroit trouver de meilleur. Le Party accomodoit tous les deux. La Dame le regardoit comme un commencement de reconciliation qui luy faisoit esperer qu’en soupant elle gagneroit davantage, & le Cavalier en avoit plus de temps à chercher comment il viendroit à bout de la convaincre qu’il n’estoit pas son Mary. L’Abbé estoit le plus content de tous. Outre ce qu’il trouvoit de plaisant dans la continuation de l’Avanture, il avoit la joye d’entretenir une fort aimable Personne qui n’avoit pas moins d’esprit que de beauté. Le Soupé fut servy. On se mit à table, & le Cavalier ayant commencé à couper la viande, la Dame fit un haut cry, & quita brusquement la place qu’elle avait prise. La Demoiselle se leva comme elle, & luy ayant demandé le sujet de l’étonnement qu’elle faisoit remarquer, la Dame luy parla à l’oreille, & apres qu’elle luy eut fait regarder ce qui l’avoit mise dans la surprise où on la voyoit, elles voulurent toutes deux sortir de la Chambre. Le Cavalier les arresta. L’abbé se joignit à luy, & il fut question de dire ce qui les obligeoit d’en user ainsy. La Dame n’osoit presque lever les yeux sur le Cavalier. Elle luy avoit fait des carresses qui l’obligeoient de rougir, & il ne sçavoit que juger de son silence quand la Demoiselle qui le regardoit attentivement, commença de dire qu’il n’y auroit eu personne qui n’y eust esté trompé. Ces paroles luy firent connoistre qu’on ne le prenoit plus pour le Mary. Il luy ressembloit si fort pour tous les traits du visage, qu’aucune des deux ne seroit sortie d’erreur, s’il n’eust pas montré sa main. Le Mary avoit perdu un doigt qu’on luy avoit esté obligé de luy couper ; & soit que le Cavalier n’eust point osté ses Gands avant le Soupé, soit qu’il y eust quelque obscurité dans la Chambre, la Dame ne s’estoit apperçeuë qu’il avoit la main entiere que dans le commencement du Repas. Une autre qu’elle auroit eu la mesme surprise & le mesme chagrin de s’estre laissée tromper. La tromperie estoit neantmoins fort innocente du costé du Cavalier. Aussi luy parla-t-il d’une maniere si honneste, qu’elle avoüa qu’il n’avoit pas tort. Les civilitez de l’Abbé acheverent de calmer son trouble, & il luy fut impossible de refuser aux prieres de l’un & de l’autre la grace qu’ils luy demanderent de demeurer à souper. Comme l’Avanture estoit fort extraordinaire, elle servit d’entretien le reste du soir ; & l’Abbé, tout Abbé qu’il estoit, ne pût s’empescher de plaisanter sur le péril où des traits si ressemblans auroient exposé la Dame, si un mal honneste Homme avoit eu les avantages dont le Cavalier avoit fait scrupule de profiter. La fidelité qu’il devoit à une Maistresse dont il estoit fortement aimé, luy servoit de préservatif contre une tentation de cette nature. Il avoit d’ailleurs un Témoin qui luy pouvoit nuire, & il n’y auroit pas eu de seûreté pour luy à faire un faux pas. L’heure de se séparer estant venuë, le Cavalier remena la Dame chez elle. L’Abbé donna la main à la jeune Sœur ; & ce qu’il y eut de particulier, c’est que les deux Enfans estant accourus à la porte, prirent le Cavalier pour leur Pere, & le forcerent à les embrasser. Il les carressa, revint à l’Auberge, & rit quelque temps avec l’Abbé de l’embarras où l’auroit mis l’obstination de la Dame, si l’incontestable marque d’un doigt coupé ne l’eust point chassée. Il partit le lendemain d’assez bon matin, mais ce ne fut pas sans trouver quelques Creanciers du Mary qui l’attendoient dans la Ruë. Il les paya tous en ostant son Gand. L’accident du doigt perdu estoit connu de toute la Ville, & il ne falloit rien autre chose que montrer sa main pour faire connoistre qu’il n’estoit pas celuy qu’ils cherchoient.

[Conte en Vers] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 171-174.

Voila, Madame, ce qu’on m’assure estre vray dans toutes ses circonstances. Le Cavalier ne vous sçauroit estre inconnu, & je vous satisferay sur son nom quand il vous plaira. J’ay receu un nouveau Conte de celuy dont vous en avez déja veu quelques-uns. Leur stile naïf vous a plû, & j’espere que vous ne serez pas moins contente de ce dernier, que vous l’avez esté des premiers.

CONTE.

Chaque Peuple a ses Loix ; le luxe dans Athenes
    Estoit puny, point de dépenses vaines.
        Sur tout point de pompeux habits,
        Solon en défendoit l’usage ;
Il sçavoit que le luxe amollit le courage.
Dans les Spectacles mesme il n’estoit pas permis
        D’estre en Robe d’étofe teinte,
        D’abord l’amende, & souvent pis.
À l’Intendant des Jeux un jour on porta plainte
Qu’un Homme en cet habit venoit a’estre surpris,
        Et de cette sage Ordonnance
        Il alloit subir la rigueur,
        Lors que quelques-uns par bonheur
Du Bourgeois accusé connoissant l’indigence,
    Fort justement dirent à haute voix
    Qu’il ne pouvoit avoir enfraint les Loix,
    Et d’aucun luxe au fond estre coupable.
On éclaircit la chose ; il estoit veritable
Qu’un certain Riche ayant veu ce Bourgeois
    À demy-nu tout comme un miserable,
    De cette Robe un peu trop remarquable
    Luy fit present, & luy ne s’en servit
        Que faute de plus simple habit.
        Ne donnons point dans l’apparence
Quand nous voyons hors d’œuvre un Blondin se guinder,
        Et loin de nous persuader
Que son air fastueux marque son opulence,
        Concluons en son indigence,
        Et disons d’un semblable esprit,
C’est justement ce Grec qui n’ayant qu’un habit
N’en peut changer selon la bien-seance.

Récit de Basse §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 175.

Je vous envoye un troisiéme Air que j’ay reçeu de Poitiers. Il est de Mr Bessant.

RECIT DE BASSE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Non, non, disoit un Biberon, doit regarder la Page 175.
    Non, non, disoit un Biberon,
Non, je n’aime point tant l’ombre de ces Bocages,
    Que celle d’un nouveau Bouchon.
    Rien n’y soulage mon chagrin ;
    Oyseaux, vous y chantez en vain.
    Tous vos concerts, tous vos ramages
Ne valent pas le chant d’un seul Crieur de Vin.
images/1678-08_175.JPG

[Sur M. de S. Andiol] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 179-183.

C’est un endroit fort touchant pour vous, & quand je ne m’en serois jamais apperçeu, je le connoistrois au reproche que vous me faites de ne vous avoir point parlé de Mr de S. Andiol, en vous entretenant des beaux Esprits d’Arles. Souvenez-vous cependant que l’Article où vous le croyez oublié, regarde seulement ceux qui composent l’Académie Royale de cette fameuse Ville, & non pas les beaux Esprits d’Arles en general. Il est certain que Mr de S ; Andiol Archidiacre de la Petropole, est d’un mérite tres-singuler, & aussi considérable par sa naissance que par sa profonde érudition. Il est Frere de cet Illustre Marquis de S ; Andiol, qui s’est autrefois si fort disintgué dans les Armées d’Italie, où il a toûjours eu de fort beaux Commandemens. Quoy que ses principales applications ayent esté pour les Sciences solides, il n’a pas dédaigné les belles Lettres, & on ne peut avoir plus de facilité & plus de délicatesse qu’il en fait paroistre dans tout ce qui luy échape de Poësies Latines. C‘est un talent qu’il n’a cultivé que depuis cinq ou six ans qu’il est devenu aveugle. Il a grand commerce avec les Sçavans, & sur tout avec le fameux pere kirker. Il a fait imprimer plusieurs Ouvrages sur diférentes matieres, & on a une extraordinaire impatience qu’il veüille donner au Public un Livre pieux qui est dans les mains de tout le monde, & qu’il a mis en Vers d’Elegie. C’est celuy qui vous a tant plû dans l’admirable Traduction paraphrasée que l’Illustre Mr de Corneille en a fait depuis vingt-cinq ou trente ans. Vous aurez peut-estre veu quelques Dissertations par lesquelles il prouve que le Monument d’Arles qu’on a élevé depuis peu, est une veritable Pyramide, & non pas un Obélisque. Il se fonde sur la tradition ancienne du Païs, sur plusieurs raisons qu’il donne de la diférence de la Pyramide & de l’Obélisque, & sur l’autorité des plus fameux Matématiciens de l’Europe qu’il a consultez sur ce Monument.

À Monsieur le Duc du Mayne. Rondeau §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 183-185.

Il y a longtemps que je ne vous ay fait voir de Rondeau. En voicy un sur un sujet fort particulier. Mr Robbe nourrissoit un petit Loup privé qu’il avoit promis à Monsieur le Duc du Maine ; & comme ce jeune Prince l’attendoit impatiemment, il vint à Paris, & le trouva étranglé dans le temps qu’il croyoit le faire porter à S. Germain. Ainsi il ne pût que donner ce Rondeau au lieu du Loup.

À MONSIEUR
LE DUC
DU MAYNE. Rondeau.

Au Loup fust-il exposé sans quartier,
Le Chien maudit, le barbare meurtrier
Du petit Loup que par mon industrie
J’avois rendu traitable & familier,
Pour augmenter vostre Ménagerie.
***
Hier en passant seul dans ma Gallerie,
J’oüis d’abord comme un Chien abboyer
Dans la Cuisine, & mon Valet crier
    Au Loup.
***
Lors à grands pas descendant l’Escalier,
J’en vis sortir un grand Chien de Meusnier,
La gueule en sang & les yeux en furie ;
J’entray, mais las ! ce Dogue carnacier,
À belles dents avoit osté la vie
    Au Loup.

[Madrigal à M. le Mareschal de Céquy, après la Défaite des Impériaux sur le Pont de Rhinfeld] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 187-189.

Le Madrigal qui suit est aussi de Mr Robbe. Souvenez-vous quand vous le lirez, que c’est le Magistrat de Basle qui parle à Mr le Mareschal de Créquy apres la défaite des Impériaux sur le Pont de Rhinfeld.

MADRIGAL.

En vain, Grand Mareschal, vostre rare prudence
    Veut empescher que nos Bourgeois
    Ne donnent, malgré ma deffence,
Passage aux Ennemis du plus puissant des Roys.
Vous voyez qu’aujourd’huy vostre valeur vous trompe ;
    Il n’est Retranchement, ny Fort,
Il n’est Fossé profond, ny Rampart assez fort,
Il n’est aucun obstacle enfin qu’elle ne rompe.
    Pendant que nous veillons pour vous,
Et que sur nostre Pont nous faisons bonne garde,
Nous regardons dessus, & ne prenons pas garde,
Que ces fiers Ennemis abbatus sous vos coups,
Par monceaux dans le Rhin viennent passer dessous.

Sonnet §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 188-190.

J’oubliay à vous faire voir dés l’autre Mois les deux Sonnets que je vous envoye. L’un est de Mr Valete-d’Usés, sur la rapidité des Conquestes de Sa Majesté ; & l’autre sur la Suspension d’armes qu’Elle avoit accordée aux Hollandois.

SONNET.

Grand Roy, dont la valeur égale la sagesse,
Prince dont le seul nom fait trembler l’Univers,
Si ma Muse paroist trop hardie en ces Vers,
Son zele en est la cause, & non sa hardiesse.
***
Apollon est luy-mesme accablé de foiblesse
Pour vus avoir suivy dans les plus froids hyvers.
Arrestez donc, Grand Roy, tous ces Exploits divers,
Triomphez à loisir, il n’est rien qui vous presse.
***
Quand vous aurez conquis le Monde tout entier,
Que fera vostre bras s’il n’est plus de Laurier ?
Vous languirez, Grand Roy, dans une Paix profonde.
***
Ainsi ne soyez pas si rapide Vainqueur,
Nos Muses cependant reprendront leur vigueur,
Vous vaincrez assez tost s’il vous suffit d’un Monde.

Sonnet §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 191-192.

SONNET.

Qu’on ne me chante plus cette Valeur guerriere,
Ny les faits éclatans de tant de Demy-Dieux,
Tout fléchit sous le bras d’un Roy victorieux,
Qui trace de sa main le plan de sa carriere.
***
L’Hyver le voit toûjours voler sur la frontiere,
Porter par tout l’effroy, surprendre tous les yeux,
D’une boüillante ardeur penetrer en tous lieux,
Tout couvert de Lauriers, de sang & de poussiere.
***
Tant de Peuples armez au bruit de ses Exploits,
Cette Ligue tremblante, & la Flandre aux abois,
Sont d’illustres témoins de l’éclat de sa gloire.
***
Jamais vit-on Vainqueur, apres des coups si beaux,
Arrester pour la Paix le cours de sa Victoire ?
Loüis seul sçait par là couronner ses travaux.

[Réjouissances faites à Jenville en Beauce] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 192-194.

Les premieres nouvelles qu’on eut des ofres que le Roy faisoit pour faciliter la Paix, furent un si grand sujet de joye, qu’on n’attendit point que le temps de la Suspension d’armes fust expiré pour en faire des réjoüissances à Jenville en Beauce. Toute la Noblesse voisine s’y assembla. La feste commença par la Representation d’une Comédie, apres laquelle il y eut un grand Festin. Rien n’y manqua de ce qui le pouvoit rendre agreable. Il fut suivy du Bal. Les Dames y estoient magnifiques. Leur parure donnoit un nouvel éclat à leur bauté, & jamais les yeux n’eurent tant de lieu d’estre satsifaits. On passa la plus grande partie de la nuit à danser, & on auroit continué jusqu’au jour, sans un Feu de joye qui avoit esté préparé. Ce Divertissement fit cesser le Bal. On tira plus de cent Fusées. Elles partirent toutes avec tant de rapidité, qu’elles furent veuës de Chartes & d’Orléans.

[Rondeau] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 194-196.

Si l’espérance qu’on avoit conçeuë de la Paix, a pû donner lieu à de pareilles réjoüissances, que ne doit-on point attendre de la Paix signée ? Jamais le Roy n’a mieux merité le nom de Grand, que par l’effort qu’il s’est fait en faveur des Peuples. Tout le monde en parle, tout le monde l’admire, & c’est ce qui a donné lieu à ce Rondeau.

RONDEAU.

Le nom de Grand est un nom de mistere,
Que chacun craint & que chacun révere,
Qui dit luy seul ce que peut la Valeur,
Qui fait le prix & la gloire d’un cœur,
Qui ne connoist rien d’impossible à faire.
De Jupiter c’est l’illustre salaire,
Pour avoir mis les Titans en poussiere,
De pouvoir joindre au titre de Vainqueur,
    Le Nom de Grand.
Un Roy qui veut toûjours agir en Pere,
Comme Loüis qui s’occupe à défaire
Les Ennemis des Dieux & de l’honneur,
Qui fait la Paix au fort de son bonheur,
A sçeu remplir d’une augustre maniere,
    Le Nom de Grand.

[Avanture d’une Belle morte d’amour] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 218-231.

Une violente passion couste quelquefois la vie. Ce que je vay vous dire en est une preuve. Voicy l’Avanture en peu de mots. Un Cavalier bien fait, galant, spirituel, & dangereux pour les Dames, trouva moyen de se faire aimer d’une Fille de qualité. Elle estoit belle, & avoit assez de bien pour le rendre heureux ; mais ses Parens n’estoient pas faciles, & il falloit prendre de grandes précautions pour ne laisser pas éclater cet amour avant le temps. Ils se virent avec le plus de secret qu’ils pûrent, & se ménagerent si bien, que les soins que le Cavalier rendit à la Belle, furent imputez à la seule complaisance qu’on doit au beau Sexe. Cependant il se rendit si bien maistre de son cœur, que rien ne fut capable de l’en détacher. L’absence mesme qui affoiblit les plus fortes passions, ne fit qu’augmenter celle de cette aimable Personne ; & pendant cinq années qu’elle passa sans le voir, elle eut pour luy tout ce qu’on peut avoir pour ce qu’on aime avec le dernier attachement. Les Lettres adoucissoient leurs chagrins, & ils les soulagoient en se rendant compte de leurs plus secretes pensées. La Belle ne laissoit pas d’accuser quelquefois le Cavalier d’aimer moins qu’il n’estoit aimé. Quoy que le reproche fust obligeant, il estoit injuste ; mais enfin quand les Femmes aiment veritablement, leur tendresse a de certaines manieres de s’exprimer qui l’emportent sur toutes les asseurances que peuvent donner les Hommes, & il semble qu’elles aiment avec plus de force, parce qu’elles ont plus d’art à faire paroistre ce que l’amour leur a fait sentir. La Belle perdit son Pere pendant qu’elle fut éloignée de son Amant, & comme sa Mere l’avoit toûjours fort aimée, elle crût ne risquer rien en priant le Cavalier de Satisfaire l’impatience qu’elle avoit de le revoir. Il accourut, & se servant du prétexte dont il estoit convenu avec sa Maistresse, il la vint trouver dans une Maison de Campagne, où la Mere le reçeut avec beaucoup de civilité. Il y passa quatre jours, pendant lesquels l’amour de la Belle s’accrut avec tant de violence, qu’elle ne se pouvoit plus résoudre à s’en séparer. C’estoit pourtant une necessité absoluë. Outre les affaires qui le rappelloient au lieu qu’il avoit quitté, la bien-séance ne soufroit plus longtemps dans cette Maison. C’eust esté découvrir ce qui l’avoit amené ; & dans l’état où estoient les choses, l’interest de leur amour les obligeoit encor au secret. Ainsi le Cavalier fit ses adieux à la Mere. La Belle ne les voulut point recevoir, & prétendit, comme c’estoit seulement le lendemain qu’il devoit partir, que la nuit luy feroit imaginer quelque prétexte de demeurer encor quelques jours. Le Cavalier qui sentit combien cet adieu luy seroit sensible, jugea à propos de s’en épargner la douleur. Il partit de tres-grand matin sans revoir la Belle. La précipitation de ce depart la surprit si fort, qu’elle fut saisir d’un tremblement qui luy osta la parole. Elle croyoit l’avoir arresté en refusant de luy dire adieu ; & le peu de complaisance qu’il sembloit avoir eu pour elle, luy fit penser cent choses qui la tourmenterent, & qu’elle ne devoit point du tout penser. Elle rappella les reproches qu’elle luy avoit faits de ne luy marquer pas assez d’amour dans ses Lettres, & s’estant mis en teste qu’il ne l’avoit quitté que parce que sa tendresse estoit affoiblie, elle tomba dans une pâmoison qui fit accourir tout le monde à son secours. Sa Mere qui l’aimoit tendrement, se desesperoit. On employa toute sorte de remedes pour la faire revenir, & enfin on en vint à bout. La fievre la prit, & dés le soir mesme cette fievre luy causa un transport qui ne la laissa plus maistresse de sa raison. Elle parla, & le nom du Cavalier repeté cent fois, fit connoistre l’amour qu’elle avoit pour luy. Elle demandoit souvent pourquoy il l’avoit si ruellement abandonnée, & elle n’estoit sensible qu’aux assurances qu’on luy donnoit qu’il arriveroit bientost. On avoit lieu de le croire. La Mere qui auroit tout fait pour tirer sa Fille de l’état dangereux où elle estoit, n’eut pas plutost connu que la cause de son mal venoit de l’éloignement du Cavalier qu’elle envoya apres luy à toute bride. Le Transport cessa. La Belle fut fort surprise d’apprendre ce qui luy estoit échapé. Sa Mere la consola, luy promit de consentir à son Mariage malgré l’inégalité du Bien, & luy fit sçavoir les ordres qu’elle avoit donnez pour faire revenir le Cavalier. Mais toutes ces choses furent inutiles. La fievre ne diminua point, & le saisissement qui l’avoit causée trancha les jours de cette belle personne avant que son Amant fut arrivé. Jugez de son desespoir quand il sçeut la perte qu’il venoit de faire. Il fut tel que la Mere toute accablée qu’elle estoit, ne pût se défendre de le consoler. Elle l’arresta chez elle, & le regardant comme le Mary de sa Fille, elle ne trouvoit de soulagement à ses douleurs, qu’en s’entretenant avec luy du sujet qu’ils avoient tous deux de s’affliger. Il est encor chez elle, cette Dame n’ayant point voulu le laisser partir. Elle le traite comme son Fils, & luy a fait promettre que s’il se resolvoit à se marier, il accepteroit une Femme de sa main. Beaucoup de Belles luy voudroient bien faire oublier son premier amour, mais ce sont des impressions qui ne s’effacent que par un long temps, & la memoire de ce qu’il a perdu luy est trop chere pour le laisser capable de prendre si-tost un nouvel engagement.

[Avanture d’une Nourrice morte de joye] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 230-232.

On meurt de joye comme de douleur. Quoy que la preuve que je vous en vay donner soit d’une Personne dont la condition est tres-mediocre, elle ne laisse pas de faire connoistre la verité de ce que je vous dis.

Madame la Duchesse de Lesdiguieres voyant approcher le temps de ses Couches, arresta une Nourrice il y a quelques jours. Les Medecins l’avoient aprouvée, & les avantages de nourrir le premier Enfant d’une Personne de cette qualité estoient grands. On luy promettoit un employ considérable pour son Mary, & Madame la Duchesse recevoit une petite Fille qu’elle avoit à son service. Un si heureux changement dans sa fortune luy donna un si grand saisissement de joye, qu’elle en mourut dés le lendemain. Cet exemple n’est pas nouveau, & ce qui est arrivé de nos jours à Mademoiselle de Grasset est encor plus singulier. Elle estoit Fille d’un Conseiller de la Cour des Aydes de Montpellier ; & aimoit avec beaucoup de passion un fort galant Homme qui n’en avoit pas moins pour elle. Des raisons de Famille obligerent les Parens de l’un & de l’autre à refuser leur consentement à ce Mariage. Ces obstacles ne servirent qu’à augmenter leur amour. Enfin apres sept années d’épreuves, les Parens s’estant laissez fléchir, on prit jour pour la signature du Contract. La Demoiselle en eut tant de joye, qu’apres avoir écrit Marie de Gras… elle n’eut pas la force d’achever son nom, & mourut la plume à la main.

[Motet du Sieur Paolo Lorenzani chanté devant leurs Majestez] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 245-246.

Je ne sçay, Madame, si le nom du Sieur Paolo Lorenzani Romain a esté jusqu’en vostre Province. Il estoit Maistre de Musique à Messine, & a suivy les François à leur retour. Il a chanté un Motet de sa composition devant le Roy. Sa Majesté le trouva si beau, qu’elle se le fit chanter jusqu’à trois fois, & ordonna une somme considérable pour son Autheur, auquel elle a fait chanter ce mesme Motet deux autres fois depuis ce temps-là. Ainsi il a esté entendu cinq fois, & toûjours avec grand applaudissement des Connoisseurs.

Air italien de feu Me l’Abbé de la Barre §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 246-249. D'après le Mercure, cet air a été faussement attribué à Luigi Rossi.

Il est certain que la maniere Italienne a quelque chose de particulier pour la Musique, qui la fait trouver toute agreable. Cela se peut voir par cet Air Italien que le Roy ne pouvoit se lasser d’entendre & qu’on luy a veu admirer toutes les fois qu’il l’a entendu. Vous l’allez trouver icy noté. Il est de feu Mr l’Abbé de la Barre Organiste de la Chapelle du Roy, & assez beau pour faire vivre sa memoire éternellement. Quelques Gens l’ont voulu faire passer pour estre de Luigi Rossy, & ont mesme mis son nom au bas de quelques Copies. Je ne sçay quelle raison les a obligez d’en user ainsi ; mais cet Air estant veritablement de feu Mr de la Barre, ils ne pouvoient porter un témoignage plus glorieux de ses Ouvrages, qu’en leur donnant pour Autheur un des Maistre qui s’est acquis le plus de réputation en Italie. Voicy les Paroles de cet Air.

AIR ITALIEN.
De feu Me l’Abbé de la Barre.

Avis pour placer les Figures : l’Air Italien doit regarder la Page 248.
Dolorosi pensieri,
Oh affligete il mio cor di pene atroci,
Siate pur contro me vié piu feroci.
Piu non bramo piacere,
Bramo sol il mio cor tutte penoso,
Chia perdute il suo ben, non hariposo.
images/1678-08_246a.JPG images/1678-08_246b.JPG images/1678-08_246c.JPG

Enigme §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 346-347.Pour la solution de cette énigme et cet aticle dans Mercure

ENIGMEIV.

Mon Corps de bizarre figure,
Etale quelquefois une riche parure ;
Et quoy qu’avec plaisir il arreste les yeux,
Ce n’est gueres par là qu’il plaist aux Curieux.
De langues j’ay grand nombre, & n’ay point de langage.
Je ne suis point sans ame, & suis inanimé,
Des choses à mon gré je fais changer l’usage ;
Ce terrible Métal dont l’Homme s’est armé,
Qui couste tant de sang & cause tant d’alarmes,
Est l’heureux instrument qui fait sentir mes charmes ;
Et la plume qui sert aux Oyseaux à voler,
Ne me sert qu’à parler.

[Séjour de la Cour à Fontainebleau]* §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 353-354.

Toute la Cour est à Fontainebleau, où elle prend les plaisirs de la Saison. Outre ceux de la Promenade, de la Chasse, du Jeu, & de la Paume, elle a celuy de la Comédie Françoise & Italienne. Le Roy est venu cette semaine à Versailles. Il retourna coucher à Fontainebleau. Ce sont pres de quarante lieuës que ce grand Prince fit dans le mesme jour pour son seul divertissement. On ne doit pas s’étonner apres cela s’il est infatigable, quand il s’agit de la Guerre, & si dans les Saisons les plus incommodes il vole aux Conquestes malgré les plus cruelles injures du temps.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 354-356.

La Paix qui nous va produire tant de biens, a fait faire les Paroles que je vous envoye. Elles ont esté mises en Air par Mr de Riel, connu pour un des plus consommez que nous ayons dans la Musique, & le premier Eleve de Mr Lambert.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Hastez-vous, amoureux Bergers, doit regarder la Page 355.
        Hastez-vous, amoureux Bergers,
        Accourez, timides Bergeres,
    Mars a cessé de fouler nos fougeres,
Et nous vivons icy sans trouble & sans dangers.
    La Paix rend à nos champs leurs charmes,
    Et l’on n’a plus dans cet heureux sejour
        D’autres alarmes
        Que celles que donne l’Amour.
        Résonnez, Clairons & Hautbois,
        Chalumeaux, Flutes & Musetes,
    On n’entend plus ny Tambours, ny Trompetes,
Les aimables Zephirs folastrent dans nos Bois.
    La Paix rend à nos Champs &c.
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[Madrigal] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 356-358.

Si la Paix est toûjours difficile à conclure, quand mesme il n’y a eu Guerre qu’entre deux Rois, on peut dire qu’elle est presque impossible lors que le nombre des Intéressez est grand. Ils ne peuvent avoir tous ce qu’ils souhaitent ; & quand chacun auroit lieu d’estre satisfait à son égard, c’est en gouster imparfaitement la joye, que d’estre obligé de reconnoistre un Vainqueur, & de voir toute la gloire d’un costé. Je vous en diray davantage apres l’échange des Ratifications. Voicy un Madrigal de Mr de Monchamps Avocat au Conseil, adressé à ceux des Conféderez qui refusent de signer la Paix.

MADRIGAL.

Signez sans balancer le Traité de la Paix,
Recevez-la des mains de nostre grand Monarque ;
    Il tient à ses gages la Parque,
    Vos destins suivront ses souhaits.
    De tous costez l’orage gronde,
La Victoire le suit sur la Terre & sur l’onde,
    Il peut tout soûmettre à ses Loix.
Usez bien du moment que sa bonté vous donne,
    Il est content d’une Couronne,
Ne le contraignez point d’en porter encor trois.

[Feste de S. Louis celebrée par Messieurs de l’Académie] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 358-359.

Messieurs de l’Académie Françoise célébrerent la Feste de S ; Loüis le Jeudy 25. de ce Mois, dans la Chapelle du Louvre. Il y eut grande Musique. Mr l’Abbé Desalleurs fit le Panégyrique du Saint avec un Eloge du Roy qui luy attira l’admiration de tout le monde. Ce succés luy est ordinaire. L’Assemblée, quoy que nombreuse, estoit presque toute de gens choisis. Mr l’Abbé Colbert s’y trouva, & commença par là de faire connoistre à Messieurs de l’Académie, combien il tenoit à l’honneur d’estre de leur Corps. Il a esté choisy pour remplir la place de feu Mr Esprit. On croit sa Reception remise apres le retour de fontainebleau. Je ne vous en parleray que dans ce temps-là.

[Livre nouveau]* §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 359.

On a fait une Nouvelle Historique de la Vie de D. Juan d’Autriche, qui estoit Fils naturel de l’Empereur Charles V. & qui gagna la fameuse Bataille de Lépante sous le Regne de Philippe II. Elle fait voir que toutes les inclinations de ce Prince estoient aussi relevées que sa naissance. La lecture de ce Livre est fort agreable. On le trouve au Palais, à l’Ange Gabriel, dans la Gallerie des Prisonniers.

[Sur le mot Porfil] §

Mercure galant, août 1678 [tome 8], p. 362-364.

Quant au mot de Porfil que vous avez trouvé dans ma derniere Lettre, & que vous croyez estre une faute d’impression, je vous avouë que je n’ay point songé à mettre Profil. Si ceux qui ont écrit depuis peu des Fortifications, se sont servis de ce dernier mot, mon oreille s’est accoustumée au premier. Cependant je n’ay pas voulu m’en croire. J’ay déja consulté quelques-uns de nos Maistres sur la Langue, qui tous sur l’exemple de Reguier, de Mr Balzac, & d’autres fameux Ecrivains, n’admettent que le mot de Porfil. Je proposeray la Question de nouveau, & si je suis condamné, je vous l’avoüeray de bonne-foy. La précipitation avec laquelle je suis contraint de vous écrire tous les Mois, me doit faire pardonner beaucoup de choses. Je ne vous dis rien sur les expressions qui vous paroissent trop hardies dans quelques Chansons. Ceux qui en font les Paroles ont plus de talent que moy, & c’est d’eux que je voudrois apprendre jusqu’où peut aller l’élevation que la Poësie nous permet.