1678

Mercure galant, novembre 1678

2014
Source : Mercure galant, Claude Blageart, novembre, 1678
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11]. §

À Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], non paginé.

MONSEIGNEUR, Je ne me lasse point d’admirer avec toute la France, le merveilleux progrés que vous faites dans tout ce que vous entreprenez. J'ay souvent parlé de vostre adresse dans vos Exercices. J'ay parlé de la force & de la vigueur avec laquelle vous en soûtenez le travail, & quoy que j’en puisse dire, je sens bien que mes expressions sont foibles, & que tout ce que je pense est infiniment au dessous de ce qu’on doit attendre du Fils de Loüis le Grand. Ce glorieux Titre enferme tout, & je croy ne pouvoir mieux faire, MONSEIGNEUR, que de vous repeter en Vers, ce que je viens de prendre la liberté de vous dire en Prose. Permettez-moy pour cela de me servir d’un Sonnet dont on a rendu le Mercure dépositaire, & dont je laisse la gloire à son Autheur en faisant connoistre son Nom.

FRANCE, depuis longtemps toûjours si triomphante,
Que de biens, que d’honneurs, que de Lauriers nouveaux,
Ton Dauphin qui se forme au métier des Héros,
Ne te sème-t-il pas dans sa Valeur naissante !
Il y fait déja voir une force étonnante,
Et tous ses coups d’essay sont si grands & si beaux,
Que ce jeune Lion dés ses premiers travaux,
Porte en tout l’Univers l’allarme & l’épouvante.
S'il exerce un Coursier, c’est d’un air qui surprend.
Tout charme en sa Personne, il n’est rien de si grand ;
Ce qu’il fait, promet plus que ne fit Alexandre.
Tous ses Exploits seront des Exploits inoüis.
Quels miracles aussi ne doit-on pas
D'un Demy-Dieu formé du Sang du Grand LOUIS ?

Jourdain.

Je suis avec le plus profond respect,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, & tres-obeïssant Serviteur, D.

[Recommandation concernant les envois d’ouvrages pour le troisième Extraordinaire] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], non paginé.

Ceux qui ont travaillé à quelques Ouvrages sur les matieres proposées dans le Troisiéme Extraordinaire, sont priez de les envoyer incessamment. La Saison va devenir rigoureuse, & les Ouvriers, & sur tout les Graveurs, ne pourront travailler qu’avec peine. On prie aussi ceux qui par le moyen de leurs correspondances reçoivent des Nouvelles de Perse, de la Chine, du Japon, des Indes, du Mongol, & d’autres Païs Etrangers dont on ne parle jamais dans les Gazettes, d’en faire part à l’Autheur du Mercure, à l’adresse marquée chez le Sieur Blageart son Imprimeur. Les Nouvelles qu’on demande des Païs Etrangers, peuvent estre de leurs Guerres presentes, de leurs Révolutions, Ceremonies, de tout ce que font leur Rois, & generalement de toutes sortes de Nouvelles de la nature de celles que l’on met de toute l’Europe dans le Mercure.

[Avant propos] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 1-17.

On a eu raison, Madame, de vous assurer qu’il n’y a rien d’égal à la joye que les Hollandois continuënt à faire paroistre de la Paix. Ils en goustent d’autant mieux la douceur, que depuis l’année mil six cens soixante & douze, ils ont éprouvé tout ce que la guerre a de rigoureux. Les justes sujets que le Roy avoit eus de se plaindre de leur conduite, leur avoient attiré ses armes de tous costez. Vous vous souvenez que plus de trente de leurs plus fortes Places furent prises presque dans le mesme temps qu’ils les virent attaquées. Tout trembloit, jusque dans leurs Provinces les plus reculées. Amsterdam ne se croyoit plus en seûreté, & Mr le Duc de Luxembourg avoit esté assez avant pour se rendre maistre de la Haye, si un dégel qui survint ne luy en eust fait manquer l’entreprise. Les Etats se voyant perdus, & manquant de forces contre celles du redoutable Ennemy qu’ils s’estoient fait, eurent recours à l’argent. C'est un seûr moyen pour faire agir bien des bras. Comme il ne manque presque jamais, il leur réüssit. Vous le sçavez, & cela est connu de tout le monde. Les offres qu’ils firent de fournir la plus grande partie des frais de la Guerre, engagerent plusieurs Puissances à se declarer contre le Roy. L'éclat de sa gloire avoit causé de la jalousie, & on ne doit pas s’étonner si on prit avidement cette occasion de s’unir, pour mettre quelque obstacle à ses conquestes. Il se forma une Ligue d’Alliez. Leurs armes furent jointes pour arrester les progrés d’un Conquérant à qui rien n’avoit encor resisté ; mais si les Hollandois réüssirent à luy susciter des Ennemis, ils ne vinrent pas à bout d’empescher qu’il ne triomphast toûjours également. Ces Ennemis s’estoient déclarez sans aucun autre sujet de se plaindre, que celuy que leur pouvoit donner son trop de mérite ; & dans toutes leurs entreprises, ils furent aussi malheureux qu’ils estoient injustes. Il n’est point besoin d’entrer dans un détail dont toute l’Europe est instruite. Les Hollandois rebutez de cette longue suite de disgraces qui accabloit leurs Alliez, & qui ne leur laissoit pas le temps de respirer, songerent à l’unique moyen qu’ils avoient d’en trouver la fin. Ils voyoient leurs Peuples dans l’impuissance de payer plus longtemps les taxes qu’on estoit obligé de faire plusieurs fois sur eux pendant chaque année, & d’ailleurs ils s’ennuyoient de fournir inutilement de l’argent qui ne servoit qu’à donner de nouveaux sujets de triomphe à leur Ennemy. Les importantes conquestes qu’il faisoit dans chaque Campagne, l’approchoient d’eux par un endroit d’où rien ne le pouvoit faire reculer, puis que les Places qu’il prenoit de jour en jour devenant Frontieres de ses Provinces, en pouvoient tirer tous les secours dont elles auroient eu besoin. Ces diverses considerations sur lesquelles ils réflechirent, les déterminerent à chercher la Paix. Le Roy n’eut pas plütost appris la disposition où ils estoient de la recevoir, qu’il en voulut bien regler les conditions. Elles leur furent offertes. La bonté que ce grand Prince fit voir par là qu’il conservoit encor pour des Peuples qui avoient esté ses Amis, fut aussi remarquable qu’elle devoit estre peu attenduë. Les Hollandois en témoignerent de la joye, & trouverent tant de modération pour un Vainqueur dans ces conditions proposées, qu’ils n’en refuserent aucune. C'est peu dire. Ils en furent si satisfaits, qu’ils firent mesme l’Eloge du Roy en les recevant. Il avoit esté leur Protecteur avant la Guerre, & l’état de leurs affaires domestiques leur faisoit voir qu’ils avoient encor besoin de luy, pour empescher qu’on ne donnast atteinte à la liberté qui leur est si chere. Je vous ay appris tout ce qui s’est passé depuis la conclusion de cette Paix, mais vous ne sçavez peut-estre pas les marques éclatantes qu’ils ont données de leur sincerité à la souhaiter inviolable. Ils ont fait batre une Médaille, sur la Face droite de laquelle on voit sept Flêches qui representent les sept Provinces-Unies. Elles sont liées avec un Lys, dont trois fleurs paroissent au dessus. Les paroles qui sont sur le lien font connoistre que rien ne les sçauroit des-unir. Celles de la circonference marquent que la France & la Hollande joignent leurs Lys & leurs Armes. Toute la capacité du Revers de la Médaille est occupée par une Inscription environnée d’une branche d’Olivier. Cette Inscription donne à entendre que cette Paix si agreable à tous les Peuples est venüs du Ciel. Cela se raporte à ce que je vous ay dit dans quelqu’une de mes Lettres, que la Paix vient toûjours de Dieu ; que quand il en veut faire un présent aux Hommes, il la fait descendre dans le cœur des Roys, & qu’il a choisi celuy de Loüis le Grand pour le porter à en répandre les fruits sur toute l’Europe. Vous pouvez voir tout ce que je viens de vous expliquer dans cette Planche. Elle represente le Revers aussi bien que la Face droite de la Médaille, & j’ay fait graver l’un & l’autre afin que vous en puissiez mieux comprendre toute la beauté. Par ces Monumens aisez à multiplier, & sur lesquels le temps n’a point de pouvoir, on peut juger de la veritable joye que la Paix a causée aux Hollandois, & avec quelle forte passion ils desirent la voir durable. On ne dira point, apres le soin qu’ils prennent de faire parler les Métaux, que ces grandes réjoüissances qui ont esté faites en Hollande, sont de celles que les Peuples font quelquefois inconsidérement en faveur d’une nouveauté, sans avoir examiné s’ils ont un juste sujet d’en estre contens. La Paix a également charmé tout le monde, & on le connoist, puis que dans le temps que toutes les Villes témoignent à l’envy leur extréme satisfaction par leurs acclamations, & les Feux de joye, ceux qui gouvernent expriment sur l’or, l’argent & le bronze, l’estime qu’ils font de la prétieuse amitié que le Roy a daigné leur rendre. On a eu raison de faire entrer dans le corps de la Medaille l’impossibilité qui se va trouver à des-unir la France & la Hollande. Apparemment elles ne se des-uniront point d’elles-mesmes, & quel Ennemy assez puissant viendroit à bout de les y forcer ? Toute l’Europe liguée n’a pu rien contre la France, & elle pourroit encor bien moins sans les Hollandois, puis qu’avec tout l’argent qu’ils ont fourny, les Alliez semblent n’avoir pris les Armes que pour payer des Contributions, se faire batre, & perdre des Villes.

Le demeslé de Bellonne, et de la Paix [vers de Mr Roux] * §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 16-23.

Nous ne pouvons nous plaindre que la Guerre nous ait causé de grands maux, puis que nos Armées ont toûjours esté chez les Ennemis : mais si vous voulez voir la peinture des avantages qu’apporte la Paix dans les lieux où les Troupes avoient accoûtumé de camper, vous la trouverez dans les Vers que je vous envoye. Ils sont de Mr Roux, dont vous avez déja veu d’autres Ouvrages. Il sera difficile que celuy-cy ne vous plaise, ayant je ne sçay quoy de naturel & de dégagé qui est particulier aux Cavaliers, & qui ne se rencontre pas toûjours dans ce que font ceux dont la principale occupation est d’écrire.

Le demeslé

de Bellonne,

et de la Paix.

Bellonne.

    Lorsqu’avec un juste couroux,
Sur les pas de Loüis je conduis la Victoire,
Rivale Paix, vos sentimens jalous
Viennent troubler mes progrés & ma gloire.
    Au temps des Grecs & des Romains,
Avec moins de chagrin je souffrois vos outrages.
Mes armes n’estoient pas en de si bonnes mains,
Et je n’animois point de si dignes courages.
Vous vous ennuyez donc de rester dans les Cieux
    Avec ces bons Héros antiques,
Qui parmy les douceurs de la Table des Dieux
Vous regaloient toûjours d’un trait de leurs Croniques ?
Ceux qu’on voit icy bas chargez de mes Lauriers,
S'offencent du repos qu’offrent vos Oliviers.
    Depuis qu’aux Combats je préside,
Que j’inspire aux Mortels une ardeur intrépide,
Que je regle par tout les interests des Grands,
    Et que je fais des Conquérans,
Je n’en ay point trouvé de plus infatigable
Que l’Auguste Loüis qui fait honte à la Fable,
    Et qui par des faits immortels,
A toûjours soûtenu l’honneur de mes Autels.
Ses ordres & son bras ont rendu ma puissance
    Plus formidable que jamais.
    Cependant, trop jalouse Paix,
Vous m’empeschez d’avoir de la reconnoissance,
    Quand par cent Triomphes divers
Je veux à son pouvoir soûmettre l’Univers.

La Paix.

Qui l’a pû conquerir, peut s’en dire le Maistre ;
Mais l’Hercule François sçait borner ses travaux,
    Et le Ciel l’a fait naistre
Pour donner à la Terre un assuré repos.
Que le carnage donc cede aux Festes Galantes ;
    Inhumaine, retirez-vous.
Laissez dans ces Climats regner un air plus doux,
Les mains des Arts n’y seront plus tremblantes,
Les infertiles Champs y deviendront Vergers,
Les Loups y feront seuls tout l’effroy des Bergers,
Les Echos qu’alarmoit l’aigre son des Trompettes
Redirons seulement les accords des Musetes.
Où campoient les Soldats, là paistront les Troupeaux ;
Où les Tentes estoient on verra les Hameaux.
Ces Herbages cheris des Zéphirs & de Flore,
Ne seront plus foulez, ne seront plus sanglans,
Ils ne seront trempez que des pleurs de l’Aurore,
Et naistront à leur gré plusieurs fois tous les ans.
Le Laboureur dans ses Herbes naissantes,
Verra sans plus trembler l’espoir de son Grenier ;
Où l’on a jusqu’icy moissonné le Laurier,
Le Soleil meûrira des moissons abondantes,
Le tumulte & l’effroy se verront abbatus,
    Les innocentes Delices,
    Et les tranquilles Vertus,
Chasseront pour toûjours les Soucis & les Vices,
    Et les Hommes pourront encor
Gouster les vrais plaisirs que donnoit l’âge d’or.
Loüis fait son bonheur d’accroistre l’abondance,
D'abolir les abus, de vanger l’innocence,
De voir fleurir sous luy les Muses & les Arts.
Il est mon Apollon conne il est vostre Mars.
Le repos des Humains est tout ce qu’il desire,
Voila l’heureuse fin de ses travaux divers
Allez, retirez-vous ; il possede un Empire
    Qui vaut mieux que tout l’Univers.

[Madame la Duchesse de Lesdiguieres accouche d’un Garçon] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 34-36.

Vous vous souviendrez sans doute de ce que je vous dis il y a quelque temps d’une Nourrice, qui ayant esté retenuë par Madame la Duchesse de Lesdiguieres, en mourut de joye. Si elle eust eu une seconde vie, elle l’auroit infailliblement perduë en la voyant depuis peu accouchée heureusement d’un Garçon. Cette agreable nouvelle ne fut pas plûtost répanduë dans l’Hostel de Lesdiguieres, que tous les Domestiques sortirent dans la Ruë en dansant, & rendirent tout le Quartier témoin de leur joye en la faisant éclater au son de plusieurs Instrumens. Ces marques de réjoüissance durerent toute la nuit. Le lendemain il y eut un Feu d’artifice dans les formes avec des figures. Ces témoignages d’un zele affectionné dans des Domestiques, furent recompensez par une somme considérable que Mr le Duc de Lesdiguieres prit soin de leur faire distribuer.

[Mort de M. du Boulay] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 36-39.

On se réjoüit de la naissance de beaucoup d’Enfans ; cependant ils ne naissent que pour mourir, les plus heureux apres avoir joüy quelque temps, ou des honneurs, ou de la réputation qu’acquiert le mérite, sont obligez de quitter la place. Celle de Mr du Boulay qui est mort le 16. de l’autre Mois ne sera pas aisée à remplir. L'Université de Paris a perdu en luy son ancien Docteur, son Greffier, son Historiographe, & un de ses plus Illustres Professeurs en éloquence, qu’il a enseignée fort longtemps avec beaucoup d’applaudissement, & de succés, dans le College de Navarre. Ce sçavant Homme a maintenu la gloire de ce grand Corps, & defendu ses interests en toutes rencontres, par ses conseils, par ses soins infatigables, & par un grand nombre de doctes Ecrits, mais principalement par le travail immense de six gros Volumes In fol. de son Histoire qu’il a donné au Public. Comme toutes les Personnes d’un mérite extraordinaire ne manquent jamais d’Envieux, quelques Particuliers tâcherent d’abord de troubler ce bel Ouvrage, & voulurent en empescher la continuation ; mais tous leurs efforts furent inutiles, & apres que les Commissaires nommez par Sa Majesté eurent examiné son dessein & le travail qu’il avoit déjà fait, ils luy estoient dûs, & l’encouragerent à le poursuivre, comme estant à la gloire de l’Etat, à l’avantage de l’Université, & tres-utile au Public.

[Mort de M. le Noir, Sieur de Madame] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 39-40.

La mesme Université vient aussi de perdre Mr le Noir Sr de Maulou, Directeur du College de Boissy, fondé par Mr Chartier. Le nom de ce dernier est si connu dans Paris, qu’il n’est pas besoin d’en rien dire. Mr le Noir dont je vous apprens la mort, estoit un Homme d’une pieté singuliere, sçavant & fort curieux. Il a laissé une tres-belle Biblioteque. On a commencé de la mettre en vente il y a déjà quelques jours. Pour ce qui regarde sa naissance, il estoit Fils d’un Controlleur General de la Maison de la Reyne Marguerite, qui descendoit d’un Thomas de Rochefort, Chancelier de Monsieur le Duc d’Anjou, depuis Roy de France sous le nom de Henry III. La Direction du College de Boissy luy estoit tombé par l’alliance de sa Maison avec celle des Chartiers.

Chanson §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 43-45.

C’est dans la pensée de vous en procurer un tres-grand [plaisir], que je vous fais part d’une nouvelle Chanson de Mr Gouët. Elle est à quatre Parties. Je ne vous en envoye pas souvent de semblables. L’harmonie estoit autrefois le remede dont on se servoit le plus pour la guérison des Malades, & ainsi je croy vous pouvoir parler de Musique apres vous avoir parlé de Medecins.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Il n’est point de Printemps que sur le teint d’Iris, doit regarder la page 44.
Il n’est plus de Printemps, que sur le teint d’Iris ;
L’Hyver a fait mourir les Roses & les Lys
    Que le Zephir & Flore
    Tous les ans font éclore.
Iris, la seule Iris, cet Objet que j’adore,
    Malgré la neige & les glaçons,
Nous fait voir le Printemps dans toutes les Saisons.
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[On appuye souvent le bonheur de ceux à qui l’on cherche à nuire, Histoire] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 45-79.

Ces Printanieres Iris sont bien dangereuses pour ceux qui ont le cœur trop sensible. L'avanture que je vous vay conter en est une preuve. Je ne change rien dans les circonstances, & des Témoins tres-dignes de foy vous en certifieront la verité.

Un Gentilhomme de Normandie, n’ayant qu’un Fils qu’il devoit laisser heritier de cinquante mille livres de rente, mettoit tous ses soins à le rendre aussi honneste Homme qu’il estoit né heureux du costé de la Fortune. Le Cavalier avoit toûjours eu de tres-favorables dispositions à devenir ce que son Pere souhaitoit qu’il fust. Il estoit bien fait, avoit de l’esprit, disoit les choses d’une maniere fine & aisée, & il ne luy manquoit qu’un certain air qu’on ne sçauroit acquerir dans les Provinces, & que la pratique du monde ne manque point de donner. Il vient à Paris, y trouve des Amis, en fait de nouveaux ; & comme c’est particulierement aupres du beau Sexe que les jeunes Gens se polissent, il cherche accés chez les Dames dont le merite fait bruit. Son bien, sa naissance, & l’âge de vingt-deux ans, qui doit estre compté pour un grand charme, luy facilitent l’entrée par tout où il demande à estre reçeu. On le voit avec plaisir. Les Meres qui ont des Filles à marier le souhaitent. C'est à qui l’aura. On le caresse de tous costez. Son bonheur le charme. S'il parle, il est applaudy. Ses douceurs sont agreablement écoutées, & il n’y a point de Belle qui par ses complaisances ne tâche de s’en attirer un redoublement de soins. Il en donne de particuliers à une jeune Personne qui ayant encor plus d’esprit que de beauté, n’oublie rien pour en faire autre chose que son Amant. L'avantage qu’elle rencontre dans ce party, la met au dessus de certains scrupules qui l’arresteroient pour tout autre. Les trop exactes formalitez luy peuvent estre nuisibles. Elle parle pour luy donner lieu de s’expliquer, & fait pour cela toutes les avances que la retenuë de son Sexe luy peut soufrir. Le Cavalier trouve de l’agrément dans son humeur. Sa conversation luy plaist, & ce qu’il luy dit de flateur, luy laisse esperer ce qu’elle souhaite. Cependant comme il n’est pas moins bien reçeu ailleurs que chez elle, tout ce qu’il luy fait paroistre d’obligeant n’est qu’un commencement d’amour qui n’a point de suite. Ce qu’il voit est toûjours ce qui l’occupe le plus. Tout luy plaist, & pour trouver trop à s’attacher, il demeure sans aucun attachement. Cette spirituelle Prétendante est obligée de s’éloigner de Paris. Des affaires indispensable appellent sa Mere à la Campagne. Rien ne la peut dispenser d’estre du Voyage, & elle est forcée de partir sans autre assurance d’estre aimée que celle que luy donne la confiance qu’elle prend en ce qu’elle vaut. Grand chagrin de ce qu’on ne s’oppose point à son depart. Il ne faudroit pour cela qu’une déclaration en forme, mais on ne se haste point de la faire, & elle n’obtient que des promesses de souvenir, qu’on ne refuse jamais à celles qui ont un peu de merite. Le Cavalier luy écrit trois ou quatre fois, & luy fait croire qu’il s’apperçoit fort de son absence, tandis qu’il s’en console agreablement avec d’autres Belles. Ce commerce cesse par un embarras de cœur qui l’occupe enfin tout entier. On le mene chez une Fille de qualité que son Pere, retenu dans une Ville frontiere par un Employ tres-considérable, avoit mise sous la conduite d’une Grand’Mere. Elle faisoit bruit, & par sa beauté, & par l’enjoüement de son humeur, qui luy attiroit force Protestans. Le Cavalier est charmé de l’une & de l’autre. Il trouve plus qu’on ne luy a dit. Il regarde, il admire, & cette admiration luy donne une stupidité impréveuë dont il ne peut se tirer. Il veut montrer de l’esprit par ce qu’il veut plaire, mais il a beau vouloir dire d’agreables choses. Il n’acheve rien de ce qu’il commence, & son embarras est si fort qu’il cherche inutilement à le cacher. La Belle s’applaudit de ce desordre. Le Cavalier estoit en réputation d’avoir de l’esprit ; & comme ses yeux luy parloient, elle avoit assez pris l’habitude de ce langage pour entendre ce qu’ils s’empressoient de luy expliquer. Ainsi il n’y eut jamais rien de plus éloquent pour elle que la stupidité qu’il se reprochoit ; & les paroles les mieux choisies ne luy auroient pas tant plû que le trouble dont il croyoit avoir à rougir. Elle avoit du bien, mais non pas assez pour ne se pas faire une fortune considérable des cinquante mille livres de rente du Cavalier. Il revient le lendemain apres avoir passé la nuit dans des agitations qui luy font connoistre qu’il a de l’amour. Il en trouve la Belle si digne, qu’il ne sçauroit plus partager ses soins. On le reçoit avec joye. L'accueil qu’on luy fait le rend moins timide. Il parle, & fait entendre en termes galans qu’il est des occasions de surprise où il ne doit pas estre honteux de manquer d’esprit. On feint de ne pas comprendre ce qu’il veut dire, afin qu’il s’explique plus clairement. Il le fait, & pendant cinq ou six jours de visites assiduës, les affaires de cœur sont toûjours un article privilegié qui soûtient la conversation. Comme il ne parle point encor d’épouser, on affecte un peu de froideur, mais de celle qui engage plus qu’elle ne rebute. On n’est pas toûjours visible. On feint des affaires qui obligent de sortir. Le Cavalier se plaint de ce qu’il en soufre. On revient plutost par complaisance pour luy, & enfin sans se déclarer, on luy laisse deviner qu’on l’aime. Il en montre une joye dont rien ne peut approcher. La Belle se fâche de ce qu’il veut trop penétrer dans ses sentimens. Les nouvelles protestations qu’il luy fait l’apaisent ; & quand elle croit l’avoir rendu assez amoureux pour ne devoir plus craindre qu’il luy échape, elle luy fait voir ce que de plus longues assiduitez ont d’incompatible avec ce qu’elle doit à la bienseance du monde, & à sa propre vertu. Le Cavalier ne balance point à la relever de ses scrupules. Il parle de Sacrement, & demande seulement le temps de l’arrivée d’un Parent qui doit venir de jour en jour à Paris, & qui gouvernant absolument l’esprit de son Pere, en obtiendra pour son Mariage le consentement dont il a besoin. C'estoit le seul party qu’il avoit à prendre dans l’empressement de sa passion. En effet il estoit trop riche pour pouvoir esperer d’estre heureux par une autre voye, mesme aupres de celles qui ont le plus de panchant à s’humaniser. Les faveurs se reservent ordinairement pour ceux qui ne sont considérables que par leur mérite. Comme ils n’ont que leur cœur à offrir aux Belles, ils ne les trouvent pas toûjours rigoureuses, & cet avantage les récompense quelquefois de l’injustice que la Fortune leur fait. Le Cavalier ne s’est pas plutost declaré, qu’on luy permet de rendre visite à toutes les heures du jours. C'est par là qu’il commence d’estre malheureux. Il aime avec une si violente passion, qu’il voudroit que sa Maistresse fist tout son bonheur de le voir, comme il fait tout le sien du plaisir de l’entretenir ; mais l’humeur de cette belle Personne qui se fait de la joye de tout, la laisse incapable de refuser aucune sorte de divertissement. Elle est seûre de sa conqueste, & quelque estime qu’elle ait pour le Cavalier, comme l’amour a eu moins de part à l’engagement qu’elle a tâché de luy faire prendre, que la considération de sa fortune, elle ne peut se contraindre assez pour luy donner son entiere complaisance. Ainsi elle reçoit visite à son ordinaire, soufre qu’on luy conte des douceurs, se montre enjoüée avec tout le monde, & agit d’une maniere si libre, que ceux qui la voyent ne peuvent deviner qu’elle ait un Amant choisy. Le Cavalier s’en chagrine. Il croit n’estre point aimé, mais il est trop pris pour estre en pouvoir de rompre ses chaînes. Il dissimule, & jaloux de l’enjoüement de sa Maistresse qui cherche par tout à se divertir, sans se mettre quelquefois en peine de ce qu’il devient, il ne sçait si c’est indiférence ou mépris, & dans ce cruel embarras il soufre tout ce qu’une jalousie de gloire & d’amour peut faire soufrir. Le suplice est rude, & il se hazarde enfin à s’en expliquer. La Belle qui croit que c’est un premier pas de maistrise qu’il est dangereux de luy laisser faire, reçoit ses plaintes fort fiérement. Il juge de sa fierté selon les sentimens de chagrin dont il est déja prévenu, & entre tout-à-coup dans un si grand saisissement de douleur, qu’il perd en mesme temps & la connoissance & la parole. On le saigne. Il revient à luy, & tombe presque aussitost dans des convulsions qui font appréhender pour sa vie. Leur violence fait courir au Medecin. Il trouve cet accident dangereux, & dit qu’on ne le peut transporter chez luy sans le hazarder. Comme on avoit interest à le conserver, on se résout à luy donner une Chambre dans cette Maison. Cet obligeant témoignage de bonté luy fait souhaiter de vivre. Cependant on tâche de tenir la chose secrete. La médisance est prompte à parler, & on est bien aise de ne luy pas donner lieu de faire des contes. Le Cavalier appelle ses Gens, leur donne ordre de dire au Maistre de son Auberge qu’une Partie de plaisir le doit arrester à la Campagne pendant quelques jours, & les fait loger dans un quartier éloigné, en attendant le temps de sa guérison. La Belle dont l’imprudence avoit causé ce malheur, ouvre les yeux sur les avantages qu’elle a pensé perdre ; & la maladie de son Amant luy est une si forte preuve de son amour, qu’elle en est touchée, & en prend pour luy tout de bon. Ce sont des soins continuels pour le soulager. Ils sont plus pour luy que tous les remedes, & il semble que sa fiévre soit obligée de ceder à l’envie qu’on a de le voir guéry. Tandis qu’on y travaille de tout son pouvoir, la jeune & spirituelle Personne dont je vous ay parlé revient à Paris. Le silence que le Cavalier gardoit avec elle depuis quelque temps, luy avoit fait haster son retour. Elle envoye aussitost à son Auberge, & surprise qu’on ne luy puisse dire où il est allé, elle employe toute sorte d’adresse pour le découvrir. On luy dit qu’il avoit rendu des visites assez assiduës à la Belle qu’il aimoit sans qu’on puisse luy apprendre aucune particularité de cet amour. Elle met des Espions en campagne. On va dans cette Maison ; & comme les Domestiques aiment à parler, ils font entendre par quelques paroles inconsidérées qui leur échapent, que le Cavalier y est enfermé, & qu’il n’en sort point. Grand desespoir de la Demoiselle. Elle fait confidence de ce qu’elle a sçeu à un Adorateur de sa Rivale, qui ayant appris la mesme chose sans qu’on luy eust rien dit de la maladie du Cavalier, adjoûte, soit qu’il le crust, soit qu’il l’inventast par jalousie, que les cinquante mille livres de rente avoient ébloüy l’aimable Personne dont ils se plaignoient tout deux ; que sur le prétexte de quelques visites trop assiduës du Cavalier, on l’avoit arresté chez elle, pour la luy faire épouser de force ; & que quatre Hommes armez l’y gardoient à veuë, jusqu’à ce qu’il se fut résolu à ce qu’on vouloit de luy. Le conte est reçeu, parce qu’il flate l’Amante jalouse. Elle se veut croire toûjours aimée, & que la seule prison du Cavalier l’empesche de luy donner des marques de sa tendresse. Dans cette pensée, elle songe à luy procurer sa liberté. Je vous ay parlé d’un Parent qu’attendoit le Cavalier. Elle découvre qu’il est à Paris, & qu’il, s’informe par tout de ce que peut estre devenu celuy dont elle croit encor posseder le cœur. C'estoit un Homme sage & d’autorité, & qui exerçoit depuis plusieurs ans une des premieres Charges de la Province. Elle luy écrit, luy marque le lieu où il trouvera le Cavalier dont il est en peine, exagere la violence qu’on luy fait pour l’obliger à un Mariage qui ne luy plaist pas, l’assure qu’il est gardé jour & nuit à veuë, abaisse le merite de la Demoiselle qu’on veut qu’il épouse, & luy fait un point d’honneur de repousser hautement l’injure qu’un si lâche procedé fait à sa Famille. Quoy que son Billet fasse impression, ce sage Parent ne va pas si viste. Il trouve de la vraysemblance à la chose. Le Cavalier est fort riche. On n’est pas toûjours prudent à son âge. Il ne paroist point. On luy aura tendu quelque piege, & d’un Amant qui a peut-estre fait quelques protestations un peu plus fortes, on peut en vouloir faire un Mary. Tout cela luy paroist assez croyable, mais on est quelquefois surpris dans des choses qui semblent encor plus assurées ; & comme la Demoiselle qu’on luy nomme est de qualité, il croit qu’il peut agir avec trop de circonspection dans une affaire de cette importance. Il s’adresse au Magistrat, luy montre le Billet qu’il a reçeu, luy demande du secours en cas de besoin, se fait accompagner de quelques Gens de Justice, & les ayant laissez aux environs avec ordre de ne point avancer s’il ne les appelle, il va où est son Parent, & prie qu’il puisse entretenir la Maistresse de la Maison. On le fait monter. Sa Robe de Magistrature (car comme je vous ay déja dit, il avoit une des premieres Charges de sa Province,) sa suite & son équipage, sont des marques du rang qu’il tient. Il entre où est la Grand’Mere, voit la Belle qui luy tenoit compagnie, & se persuade d’autant plus qu’on luy a dit vray, qu’il la trouve luy-mesme toute aimable. Apres les premiers complimens de civilité, il parle de son Parent, dit qu’on en est en peine dans sa Famille, & que n’en ayant pû apprendre aucunes nouvelles depuis six jours qu’il est à Paris, il leur en vient demander sur ce qu’il a sçeu qu’elles luy faisoient quelquefois grace de le recevoir. On luy répond en termes qui ne luy donnent aucun éclaircissement ; & comme on veut sçavoir à qui on parle, on tourne si bien les choses, qu’on l’engage à se nommer. À peine s’est il fait connoistre pour celuy que le Cavalier attendoit, qu’on luy marque une extréme joye. Il en est surpris. Mais il l’est beaucoup davantage, quand la Grand’Mere, sans s’expliquer avec luy, le prend par la main, & le prie de vouloir bien se laisser conduire. Elle luy fait traverser un fort grand Apartement, & le mene dans une Chambre propre, mais reculée, où il trouve le Cavalier au lit, gardé seulement par les charmes de la Belle, & par un reste de fiévre qui laissoit encor sur son visage les marques de l’extremité où sa maladie l’avoit réduit. Jugez de l’étonnement où il fut de trouver les choses si éloignées de ce qu’on luy avoit voulu faire croire. Le Cavalier luy conta tout ce qui luy estoit arrivé, les soins qu’on avoit eûs de luy dans cette Maison, les raisons qui avoient obligé de cacher qu’il y fust demeuré malade, & l’amour passionné qu’il avoit pour la belle Personne en faveur de laquelle il le conjuroit d’obtenir le consentement de son Pere. Les Dames trouverent à propos de se retirer, afin qu’il pust s’expliquer plus librement, & que la franchise de leur procedé aidast à faire connoistre qu’on l’avoit toûjours laissé maistre de ses sentimens. Son Parent touché de ce qu’il luy dit, & convaincu d’ailleurs par ses yeux des charmes de sa Maistresse, ne pût faire cas d’un peu d’inégalité de bien, dont le desavantage estoit reparé par beaucoup de naissance & de merite. Ainsi il n’eut pas de peine à luy promettre d’employer tout ce qu’il avoit de credit aupres de son Pere. Il l’a fait, & avec tant de succés, que le Mariage se doit achever au premier jour. La Belle en reçoit les complimens de tous costez au grand déplaisir de sa Rivale, qui en cherchant à luy nuire, a avancé son bonheur.

[Extrait d’une Lettre écrite par un Evesque aux Peres Capucins du Louvre] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 82-89.

Je ne vous repete point ce que je vous ay dit plusieurs fois des connaissances particulieres que ces Peres [Capucins] ont dans la Medecine. Vous sçavez le bruit qu’ils font dans le monde, & le grand nombre de Malades qu’ils ont guéris. Des succés si avantageux leur acquierent beaucoup de gloire, mais ils les exposent en mesme temps à l’injurieuse censure des Jaloux. Il est impossible de n’en point avoir quand on est d’un mérite extraordinaire. Ceux que blesse la haute reputation de ces charitables Peres, veulent croire qu’il ne doit mourir personne qui se soit servy de leurs Remedes ; & si de cent il en est un seul que la violence du mal emporte, ils en rejetent la faute sur eux, comme s’ils estoient dans l’obligation de rendre immortels ceux qu’ils entreprennent de traiter. Ils font courir des bruits sourds qui les décrient. Ces bruits se répandent. Chacun parle sans sçavoir s’il a sujet de parler. Plusieurs soûtiennent des faussetez, dans la pensée de ne rien dire que de vray. Ils repetent ce qu’ils ont entendu dire. D'autres font la mesme choses apres eux ; & comme la verité mesme s’altere en passant d’une bouche dans une autre, ils rencherissent sur les raports qui leur ont esté faits. Les crédules se laissent persuader, & trompent ceux qui les écoutent, parce que croyant ce qu’ils disent, ils l’assurent de bonne-foy. On ne songe point à chercher les veritables Auteurs de ces bruits, pour s’éclaircir avec eux. Ils se perdent dans la foule. On ne les connoit plus. Ils écoutent ce que les autres leur racontent, comme s’ils ne l’avoient pas inventé, & joüissent de leur malice en feignant de n’avoir aucun interest à la soûtenir. Voilà ce qui arrive ordinairement dans une aussi grande Ville que Paris, où la confusion des Peuples empesche aisément que la verité de beaucoup de choses ne soit connuë ; & c’est ce qui est arrivé apres la mort de Mr Carpatry à l’égard des Peres Capucins du Louvre. Ils ont soufert ce qui a esté dit contr'eux avec toute l’humilité que doivent avoir des Personnes de leur robe & de leur caractere ; & ils garderoient encor le silence, si une Lettre d’un Evesque de leurs Amis ne les avoit forcez de le rompre. Ce Prélat leur marque, Qu'il ne peut avoir autant d’estime & de considération qu’il en a pour eux, sans les plaindre des excessives fatigues que leur doit causer le soin continuel qu’il font des Malades ; Qu'il est cependant surpris d’apprendre les injustices qui leur sont faites ; Qu'il sçait que leurs Envieux publient que ce n’est pas à des Capucins d’exercer la Medecine ; Qu'il voudroit qu’on eust fait sçavoir à ces Jaloux inconsidérez que cet employ est de droit Ecclesiastique, & qu’il n’appartient qu’aux Prestres d’en faire la fonction, par le motif de charité qui les anime, sans en esperer d’autre récompense que celle de plaire à Dieu en soulageant le Prochain ; Que c’est pour cela que tous les Evesques portent un Saphir dans leur Anneau Pastoral, pour les faire souvenir qu’ils doivent assister les Pestiferez, & les guérir par la vertu que la Nature a renfermée dans cette Pierre prétieuse ; Qu'il vient de sçavoir qu’on a fait courir des bruits desavantageux contre leurs Remedes à l’occasion de Mr Carpatry, & de la maladie de Monsieur le Duc de Chartres, & qu’il les prie de luy donner l’éclaircissement de ces bruits avec leur sincerité ordinaire.

Reponse des Peres Capucins du Louvre, à la Lettre de M. Evesque de * §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 89-133.

Je vous envoye la Réponse qu’ils ont faite à ce Prélat1, ne doutant point que vous ne vous fassiez un plaisir d’apprendre la verité de ce qui a fait depuis peu l’entretien de Paris & des Provinces.

Reponse

des Peres Capucins

du Louvre,

À la Lettre de M. Evesque de *

Monseigneur,

Tout le monde veut sçavoir ce qui se passe, mais tout le monde ne le veut pas par le mesme motif. Il y en a qui font la recherche de ce qu’ils ignorent, par le seul desir de sçavoir la verité, & ce sont des Esprits bien faits. D'autres le font pour s’en divertir, & ce sont des Gens oysifs qui ne cherchent pas pour trouver, c’est à dire pour profiter, mais seulement faute d’un meilleur employ. D'autres sont pires. Ce sont les malicieux, qui ne veulent sçavoir les choses que pour en corrompre la verité, ou pour publier ce qui la détruit quand ils l’ont déja trouvée corrompuë. Vous n’estes, Monseigneur, ny des seconds, ny des derniers ; aussi ne voudrions-nous pas si mal employer le temps, que le passer à écrire cette Lettre, si vous aviez rang parmy ces sortes de Génies. Comme l’expérience nous a fait mille fois connoistre le zele que vous avez pour la verité, nous ne doutons point qu’elle ne soit le motif qui vous a obligé de nous faire l’honneur de nous écrire. Nous sommes d’ailleurs persuadez que vostre Esprit est d’un rang trop élevé pour se laisser surprendre à l’opinion, & donner dans le sens de ceux qui ayant une mauvaise Cause à defendre, ne produisent pour l’appuyer que des faussetez & des supositions malicieuses, sans prendre garde qu’une Ame prudente éloignée du caprice, & revenuë de la bagatelle, peut facilement découvrir leur ridicule dessein.

C'est donc, Monseigneur, pour satisfaire à ce que vous desirez sçavoir, que nous vous dirons que feu Mr Carpatry, qui s’estoit acquis la gloire de bien servir Monseigneur de Louvois, par l’attachement particulier qu’il avoit pour ce vigilant Ministre, n’y avoit pas fait un fond d’une parfaite santé. La vie sedentaire qui est commune aux Gens qui s’appliquent avec autant de fidelité qu’il faisoit aux affaires de son Maistre, y estoit tout-à-fait contraire. Il auroit pû cependant vivre encor plusieurs années, si sa complaisance pour des Amis ne l’eust pas fait consentir à un divertissement de Chasse, dont l’excés consterna la Nature, jusqu’à luy procurer une fievre double-tierce, qui l’obligea de nous venir voir, & de nous prier de l’assister dans sa maladie, en cas qu’elle continuast ; nous marquant d’une infinité de Lettres, que la confidence de son Maistre luy avoit fait tomber entre les mains, & qui assureroient que nos Febrifuges avoient fait des merveilles dans les Armées, luy donnoient la confiance de s’en servir, si sa maladie augmentoit. Le refus que nous luy fismes de le visiter, ne le rebuta point. Au contraire ; dés le lendemain au matin il envoya Madame sa Femme, accompagnée de Mr du Chesne Medecin du Roy, pour nous demander la mesme chose. Comme elle nous vit fermes à la refuser, elle nous fit donner un Ordre de Monseigneur de Louvois. Il fallut ceder à l’autorité d’un Ministre qui ne violente jamais les inclinations, puis qu’on se fait toûjours un fort grand plaisir de luy obeïr. Nous allâmes donc voir ce Malade, qui le souhaitoit avec tant d’ardeur, quoy qu’il fust assez inutile, puis que Mr du Chesne, comme nous luy dîmes, avoit de nostre Febrifuge entre ses mains, par ordre de Monseigneur de Louvois, & qu’il pouvoit luy en donner s’il le jugeoit à propos. Il le fit. Le Remede ne manqua pas de faire son effet. Le Malade sua abondamment pendant les trois jours qu’il en prit ; & si la Nature eust esté aussi fidele à seconder le Remede, que le Remede avoit de vertu, on doit croire qu’il n’auroit pas esté moins efficace sur Mr Carpatry, qu’il l’a esté sur tant de milliers d’autres, dont le Roy est informé aussi bien que tout le Public. Toutes les dispositions mesme y paroissoient déja par le raport du Malade, qui disoit toûjours de loüer la bonté du Remede, qui fut cause qu’il ne ressentit jamais aucun mal de teste, ny aucune chaleur d’entrailles. Il protestoit souvent qu’une seule saignée l’avoit bien plus échaufé. Son visage mesme avoit toûjours conservé un certain air qui auroit fait croire qu’il estoit peu malade. Cependant sa foiblesse qui s’estoit fait connoistre auparavant par un depost qui se faisoit sur ses jambes, qu’il avoit ouvertes depuis long-temps (quoy qu’on ne nous en eust pas avertis) augmenta si fort pendant que les forces du Malade diminuoient, que la vie qui estoit déjà languissante, & qui n’envoyoit plus au cerveau les esprits qui sont le bon sens, donna des marques qu’elle l’abandonnoit par un délire qui ne luy laissa que quelques intervales dont nous voulumes profiter, pour lui faire donner tous les Sacremens, qu’il reçeut avec une pieté exemplaire. Ce témoignage d’un parfait Chrestien, qu’il rendit par nos soins, & par la connoissance de l’état où il estoit, détruit la calomnie qui nous impute d’avoir dit à Madame de Louvois qu’il estoit hors de danger quoy qu’il demeure constant qu’il y avoit plus de huit jours que nous n’avions eu l’honneur de la voir.

Cependant la maladie augmentant toûjours, nous retournâmes au Louvre pour preparer un dernier Remede, que nous apportâmes le lendemain ; mais comme nous vîmes qu’on l’avoit saigné deux fois, & qu’on se preparoit à une troisiéme saignée pour le disposer à trois prises d’Emetique, qui luy furent données en suite, nous crûmes que le party de remporter nostre Remede estoit le meilleur, & qu’il estoit inutile de le donner. Nous ne vous disons point, Monseigneur, la qualité de cette Essence. Vous la sçavez déja. Elle est la mesme qui sauva la vie à Mr de Bonnecorse, ce bel Esprit en Poësie, qui est encor au Caire d’Egypte Consul pour sa Majesté. Il vous en fit l’histoire lors qu’il vous envoya les Livres Arabes que vous luy aviez demandez. Il suffit pour confirmer sa vertu, que nous vous disions que l’ayant remportée chez nous, Mr Bachelier de Clotomont avec qui nous estions en Egypte, & qui avoit appris de Mr de Bonnecorse mesme cet effet prodigieux arrivé en sa personne par ce Remede, nous le demanda pour Mr Husson Secretaire du Roy, son Amy, qui estoit aussi mal que Mr Carpatry. Il le luy porta. Sa fievre cessa dés le moment qu’il l’eust pris, & à quelques jours de là il s’en alla à la Campagne dans une parfaite santé. Il en peut rendre témoignage. Il avoit la mesme maladie que Mr Carpatry. Il avoit pris deux ou trois fois de nostre Febrifuge sans en guerir. Son mal ayant quelque chose de plus malin que les fievres ordinaires, demandoit aussi un Remede plus efficace.

Au reste, quand il seroit vray que nous eussions dit à Madame Louvois que Mr Carpatry estoit hors de danger, il falloit nous laisser continuer jusqu’au bout, avant que de critiquer nos Pronostics, qui n’auroient pourtant esté assez justes ; car il est constant qu’il se portoit mieux le jour qu’on nous fait parler, que le lendemain que les Medecins l’entreprirent. Cependant ils ne croyoient point que sa maladie dust estre mortelle, quoy qu’il fust plus mal. Ce Paradoxe paroist convainquant, puisqu’ils n’auroient pas esté assez faciles pour se commettre à la cure d’un Homme qu’ils auroient crû incurable ; si ce n’est qu’on voulust dire malicieusement qu’ils avoient peur que nous ne le tirassions d’affaire, ou que voulant vous en faire un capital, ils cherchoient à le mettre en état de ne pouvoir estre soulagé ; car il faudroit conclure l’un ou l’autre, mais le dernier ne sçauroit estre inseré contr'eux, puis que la raison fait voir qu’ils n’auroient pas voulu risquer leur bonheur sur un Homme tout-à-fait incurable, dont nous aurions pû ensuite leur donner le blâme. Il faut donc dire qu’ils ont crû qu’il estoit en état d’en revenir, & qu’ils ont eu dessein de nous aider dans cette cure ; & par consequent quand nous aurions dit le jour precedent que Mr Carpatry n’en mourroit point, nous aurions esté mieux fondez qu’ils ne le furent le lendemain ; ce qui fait paroistre le peu de reflexion de celuy qui faisoit ce reproche de soy, déja faux. Mais quand nous demeurerions d’accord d’avoir dit à Madame de Louvois que Mr Carpatry n’en mourroit pas, peut-estre aurions-nous dit vray, si personne que nous ne s’en fust meslé. Car il a paru par le Remede que nous avions fait pour luy, qu’il auroit pû prolonger ses jours, s’il eust esté assez heureux pour le prendre, puis que l’effet en a esté si efficace sur Mr Husson.

On nous trouvera toûjours de bonne foy ; ce qui ne sera peut-estre pas si régulier de la part de nos Jaloux, qui pourroient souhaiter que Mr Husson retombast malade, & mesme qu’il mourust, comme il peut arriver à un Homme de son âge : mais cet accident ne détruiroit point l’essence de nostre Remede, & ne feroit rien non plus sur l’esprit d’un Homme integre, qui doit estre convaincu qu’un Remede qui guerit une maladie, ne rend pas un Homme immortel, quand mesme ce seroit la Saignée, le Sené, ou la Rhubarbe.

Enfin, Monseigneur, Mr Carpatry mourut apres avoir esté saigné trois fois, & pris trois fois du Vin Emetique. Les larmes que sa mort a fait répandre ne sont pas assez efficaces pour laver la calomnie, qui ne dit pas que les Medecins ne l’ont pû sauver, mais que les Capucins du Louvre l’ont tué. Cela surprend le Public. Sa surprise n’est pas sans fondement. L'Antiquité qui nous donne les Ouvrages d’un Michel-Ange, ne s’étonnoit point quand ce grand Peintre suivoit la délicatesse de son Pinceau, & qu’il faisoit ces vives Peintures qui font l’admiration des Curieux, & l’ornement du Cabinet des plus grands Princes. Mais elle auroit esté surprise, si cette main délicate se fust appliquée à faire des Lanternes, & elle auroit pû dire avec quelque étonnement, que son Mestier n’estoit pas celuy d’un Lanternier, mais celuy d’un Peintre. Ainsi si le Public est surpris d’entendre dire que les Capucins du Louvre ont tué Mr Carpatry, c’est que leur Mestier est de guerir, comme ils en ont donné des marques depuis six mois par des milliers de cures qui demeurent incontestables. Parmy un grand nombre des Guéris, on leur veut imputer la mort de Mr Carpatry, parce qu’il a pris de leurs Remedes, & qu’il n’est pas ordinaire de voir mourir ceux qui s’en sont servis. Sur ce fondement nous devons l’avoir tué. Cela s’est dit ; mais il est difficile de juger qui l’a dit, & comment il peut avoir esté dit ; car pour rendre cette accusation authentique, il faudroit qu’elle eust esté faite par les Medecins. Or il paroist sans replique qu’ils ne peuvent estre de ce sentiment, puis qu’ils ont tenu une conduite qui prouve tout le contraire. Cela fait voir que ce sont leurs seuls Ennemis qui ont fait courir ce bruit qui paroist estre contre nous, & qui dans la verité est contr'eux, au sentiment de tout Homme bien sensé, & incapable de prévention. Car qui ne croiroit qu’un Medecin seroit le plus ignorant ou le plus criminel Homme du monde, si jugeant qu’un Malade seroit en péril pour avoir pris des Remedes chauds, il venoit à luy donner par dessus le plus échauffant de tous les Remedes, comme est le Vin Emetique ? Cependant cela s’est fait de l’avis de cinq Medecins, & apres cela on crie que les Capucins luy ont mis le feu dans le corps, & que pour l’en guérir on luy donne de l’Emetique.

Vous voyez bien, Monseigneur, la suite de ce raisonnement sans vous l’expliquer. Vostre Grandeur excusera peut estre les Auteurs de ce bruit, en disant que les cinq Medecins n’ont pas signé l’Ordonnance de l’Emetique, & qu’ainsi une partie d’eux opinoit à le rafraîchir, & concluoit par consequent, que nous l’avions échauffé ; mais nous répondons à cela, que tout fait pour nous, car c’est une conviction que les Medecins n’estoient pas tous d’accord, & que dans l’opposition des sentimens qui estoient partagez, la realité du Fait a esté meûrement examinée ; apres quoy la pluralité a esté pour nous, & a conclu qu’il n’estoit point êchaufé. Mais suposé que cela ne fust pas, cette Ordonnance (quoy que non signée de tous) nous donne droit, quand mesme nous ne l’aurions point : Car l’on sçait que dans les consultations des Medecins, la pluralité détermine la Nature à estre ce qu’ils ordonnent, c’est pourquoy on execute ce qui est prescrit par le nombre prévalant, comme estant reconnu réellement tel, mesme au péril de la vie, qui ne reçoit point de suplêment, tant est constante en Medecine la dêcision de la pluralité, & ideo numerantur, sed non ponderantur suffragia.

Pour conclure, Monseigneur, la pluralité ordonne un Remede chaud. Jugez donc s’il n’est pas de fait que Mr Carpatry n’estoit point en danger pour avoir esté échaufé par nos Remedes.

Les Auteurs de ce bruit offencent bien encor davantage les Medecins, en publiant une chose qui pourroit estre vraye de la part de l’Emetique, mais qui de toute impossibilité ne peut estre un effet de nos Essences. Ils disent imprudemment, quoy qu’à nostre avantage, que Mr Carpatry ayant esté ouvert, on luy a trouvé les boyaux gangrenez. Cela peut estre, nous n’en sçavons rien : mais que la chose soit ou ne soit pas, tout est êgalement injurieux aux Medecins, & nous donne gain de Cause. Car s’il est vray que les boyaux de ce Mort fussent gangrenez, & que nostre Remede n’en ait pû estre la cause, à quoy la voudrez-vous attribuer, si ce n’est à l’Emetique, qui du sentiment de ceux qui l’ordonnent, est êchaufant, caustique, & brûlant ; & ainsi en divulguant cet incident, on accuse les Medecins, & non pas nous. Si d’autre-part on veut dire que les Medecins nous donnent le tort de cette mêchante suite, ils sont trop prudens pour vouloir passer pour des temeraires, & trop sçavans pour vouloir se declarer ignorans. Temeraires, de vouloir que la gangrene soit causée par des Essences qui guerissent de la gangrene, bien mieux que l’Esprit de Vin qu’ils ordonnent pour la guerir, & dans lequel les Chirurgiens conservent les Monstres morts qu’ils tirent des Corps des Femmes, quand ils arrivent dans la Nature. Outre qu’il est encor vray, selon les bons Philosophes, que l’essence abstraite des choses est de la nature du Ciel, dont la pureté est si simple, qu’elle ne participe presque plus de ce qui fait les accidens, & les qualitez diferentes du froid ou du chaud. Ils ne voudroient non plus passer pour ignorans dans les Principes de la Medecine & de la Chimie ; car ils sçavent bien que les Essences de la nature de nostre Febrifuge, ne descendent jamais dans les boyaux. Ce sont des Remedes qui ne sont point sujets aux digestions, estant si volatils & si penétrans, qu’ils passent presque à l’instant par les pores de l’estomach, & transpirent jusqu’à la circonsference. C'est par là que ces Essences font suer avec tant d’efficace, qu’elles resolvent & emportent en passant ce qu’il y a d’impuretez & d’excrémens febrilles dans l’habitude du Corps, qui se trouve guery le lendemain pour l’ordinaire, quand il n’y a point de maladie compliquée. C'est un étrange Monstre que la Jalousie. Sans reflechir à quoy que ce soit, elle se précipite en mille extravagances, & ne se nourrit que du seul plaisir des autres, en se le voulant approprier. Si ces Critiques peu prudens avoient mis de nos Essences, ou quelque Esprit volatil, dans une Phiole de verre, bien bouchée, & qu’ils portassent cet Esprit dans un lieu chaud, comme l’estomach d’un Homme, ils verroient tant-s’en faut que cet Esprit descendist en bas comme dans les boyaux, qu’au contraire il s’éleveroit en vapeurs qui sortiroit de la Phiole, si le Verre avoit des pores comme l’estomach de l’Homme, sans qu’il restast rien qui pust tomber au fond. Ce sont des expériences irréprochables, que la jalousie jointe à l’ignorance, ne se donne pas le temps d’examiner. Comment se peut-il donc faire que les Essences qui ne peuvent descendre dans les boyaux, y ayent causé la gangrene, qu’elles y auroient guerie, si par un impossible elles l’y avoient esté trouver ? Enfin s’il faut donner une preuve que ces Essences n’ont que le degré de chaleur qu’il leur faut, nous vous dirons qu’elles guerissent les Eresipelles & les Brûlures, que les Medecins traitent tous par des Refrigerans. Mais nous avons une démonstration plus celebre dans la guerison de Monsieur de Chartres, dont Vostre Grandeur nous commande de l’informer. On sçait que ce petit Prince âgé d’environ quatre ans, avoit pris plusieurs fois du Vin Emetique par la bouche, & en Lavemens. On sçait (& Madame mesme l’a veu) que la violence de ce Remede, apres des convulsions réiterées, sans qu’il le pust rendre, l’avoit réduit en deux heures dans une létargie entiere, sans poulx, sans respiration, & sans mouvement ; les yeux ternes & livides comme de la corne ; aucun signe de vie ; on le croyoit mort. Ce n’estoit pas de froid, s’il s’en faut raporter à l’opinion des Medecins, qui disent que l’Emetique échaufe. Cependant si c’est de chaleur causée par la violence de ce Vin, comment l’effet qui parut pouvoit-il arriver, si nos Essences sont chaudes ? Comment un Remede chaud n’a-t-il pas achevé ce que la chaleur de l’autre avoit si fort avancé ? Comment enfin cette Ame qu’une ardeur devorante chassoit de son corps, , fut-elle rapellée par un Remede brûlant ? Ce que nous luy donnâmes, n’estoit autre chose que l’essence de Vipere que nous faisons seuls, jointe à une teinture minerale qui ne se nomme que par les effets, puis que dans un instant elle luy redonna la vie, avec le poulx, la respiration, le mouvement, la voix, & la connoissance, & calma ces terribles convulsions qui faisoient desesperer de ses jours. Il demeura ainsi en repos plus d’une demie heure, poussant quelques nausées qui faisoient paroistre l’efficace du Remede, qui apres avoir fortifié la Nature, vouloit expulser l’Emetique : mais apres ce peu de bon temps on luy redonna de cet Emetique par la bouche, & en Lavemens, & aussitost les convulsions le reprirent comme auparavant. Cependant nostre Remede eut assez de force pour soûtenir entre deux Emetiques, un plus grand poids que celuy qui avoit déjà fait succomber la Nature ; si bien qu’apres neuf heures de temps, ce petit Prince les rendit heureusement, & fut guery.

C'est une circonstance si notable, qu’il est inoüy qu’un Homme, quelque robuste qu’il soit, ait jamais gardé l’Emetique quatre ou cinq heures sans en créver, & cependant Monsieur de Chartres l’a soûtenu neuf heures, apres quoy il la rendu, & n’en est point mort.

Est-ce-là une Essence chaude ou froide, qui soûtient & tempere la violence d’un Remede caustique & boüillant ? On dira que c’est du Vipere, qui est crû un des plus chauds Médicamens du monde ; & nous dirons qu’il n’y a que nous qui sçavons ce que c’est, & que les autres en doivent juger par ses effets. Il faut donc estre plus moderé dans sa malice, & ne pas condamner ce qu’on ne connoist point, si l’on ne se veut declarer temeraire, ce qui est le caractere des Ignorans. Car enfin on doit à ce Remede froid ou boüillant, la vie d’une Personne aussi chere à l’Etat que celle de ce petit Prince, dont Madame qui y estoit presente, & les Medecins mesmes, nous ont rendu un témoignage glorieux, en nous en remerciant le lendemain, aussi-bien que Monsieur, de qui nous avons reçeu cet honneur que nous a acquis ce Remede, qui, quoy qu’il ne soit pas le mesme que celuy des Fievres, est pourtant de la mesme nature.

Que ceux qui nous blâment réussissent également, & nous les loüerons sans les regarder avec jalousie. Qu'ils guerissent autant de monde que nous avons fait, & qu’il meure entre leurs mains un Mr Carpatry, qui n’est pourtant pas mort entre les nostres, & nous dirons qu’ils font des miracles, quoy qu’ils ne ressuscitent pas les Morts. Voilà, Monseigneur, ce que Vostre Grandeur a voulu sçavoir de nous. S'il arrive de semblables incidens, nous prendrons soin de l’en informer, estant avec tout le respect que nous luy devons, vos tres-humbles, &c.

Quand je donne des Pieces aussi importantes que cette Lettre, on doit faire refléxion que ce n’est point moy qui parle. Ce sont des Articles de Defense qu’on me communique. Je les rapporte dénüé de tout interest. Le Public les examine. C'est à luy de conclure, & à moy de luy laisser l’entiere liberté de son jugement.

[Vers à M. Colbert Président à Mortier] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 137-145.

On continuë de faire à Nimegue force Conférences pour la Paix, & il y a grand sujet d’espérer que nous l’aurons bientost genérale. Voicy des Vers sur celle qui est déja faite, adressez à Mr Colbert, qui y soûtient toûjours avec beaucoup de zele & d’éclat la qualité de Plénipotentiaire. Vous sçavez que le Roy l’a honoré de la Charge qu’avoit Monsieur de Novion, avant qu’il fust Premier Président.

À Monsieur

Colbert,

President à Mortier.

    Revenez, nos plaisirs,
    Loüis est de retour ;
    Ne craignez plus le bruit des Armes,
    Des Trompettes, ny du Tambour,
    La Paix fait cesser nos allarmes.
Et si doresnavant nous répandons des larmes,
Ce seront des larmes d’amour.
Assez & trop longtemps l’inhumaine Bellonne
A troublé de nos Bois le calme & le repos ;
Assez & trop longtemps du recit de nos maux
    Tout ce grand Univers résonne ;
Il est temps de goûter le loisir que nous donne
L'invincible Loüis, le plus grand des Héros.
    Malgré l’envie & la rage,
    Ses obstinez Ennemis,
    Par l’effort de son courage,
    À la fin luy sont soûmis.
    Contre luy, l’Aigle étonnée
    N'ose plus faire d’effort,
    Et le Lyon dans son Fort
    Craint la mesme destinée.
    Tremblant il voit de toutes parts
    Que Loüis dans sa moindre course
Comme un Fleuve en fureur s’éloignant de sa source,
    Abat ses plus fermes Rampars ;
Qu'il porte la terreur dans ses gras Päturages ;
Qu'il n’est rien assez fort pour fermer les Passages ;
    Que tost ou tard il cedera ;
    Que le premier coup de tempeste
    Qui tombera dessus sa teste,
    Est celuy qui l’écrasera.
    Enfin une Ligue envieuse
    Du bonheur de ses grands succés,
    Concevant mille vains projets,
    Se croit déja victorieuse.
    Mais ses desseins mal concertez
Sont à peine produits, qu’on les voit avortez ;
    Ils la laissent embarassée
S'égarer sans repos de pensée en pensée.
    De mesme que ces feux errans
    Que dans les nuits les plus sereines,
Lors que la chaleur regne, on voit au gré des vents
    Voltiger au milieu des Plaines,
    Leur éclat n’est qu’une vapeur
    Qui n’a ny force ny chaleur ;
    Et comme un moment la voit naistre,
    Un moment la voit disparoistre.
Trop foibles Ennemis d’un si vaillant Héros,
Vous voyez ce qu’il peut pour punir l’arrogance ;
Finissez, finissez vos orgueilleux propos,
    Et recouvrez à sa clemence.
    Il est prest à vous pardonner ;
    Et ce qui doit vous étonner,
Ce Vainqueur si puissant content de sa victoire,
N'a point d’autre interest que celuy de la gloire.
    Mais pour vous, genéreux Loüis,
    Que ce trait de vostre clemence
Se répande aussi loin que va vostre vaillance,
Et le bruit éclatant de vos Faits inoüis.
    Ministre de ce grand Ouvrage,
    Colbert, qui dans tous vos Emplois
Servez utilement le plus puissant des Roys,
    Recevez ces Vers pour hommage.
    Sa gloire est vostre unique objet,
    Ma Muse en a fait son sujet,
    Dans le seul dessein de vous plaire.
Peut-estre qu’elle a pris son vol un peu trop haut ;
Mais si chanter son Nom c’est estre teméraire,
Qui ne tombe aujourd’hui dans le mesme defaut ?
Sa gloire va par tout, la Terre en est remplie.
Il n’est Peuple barbare, il n’est Desert affreux,
    Qui dans sa langue ne publie
De l’Auguste Loüis le Nom victorieux.
Mais sur tout c’est icy que d’un air doux & tendre
Mille Chantres fameux, mille Apollon nouveaux,
Enflent pour luy leurs Chalumeaux ;
Leur Concert est charmant, venez, venez l’entendre.
Puis que vos soins nous ont acquis la Paix,
Venez du Grand Loüis partager les bienfaits,
    Apres une si longue absence.
Il vous offre un repos selon nos justes vœux
Dessus les Fleurs de Lys, parmy nos Demy-Dieux.
    C'est une digne récompense
    De vos services glorieux ;
Joüissez en longtemps pour le bien de la France,
    Et le secours des Malheureux.

[Tout ce qui s’est passé à l’Académie Françoise le jour que.M. L'Abbé Colbert y fut reçeu] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 145-186.

Je vous ay parlé du choix que l’Académie Françoise avoit fait de Mr l’Abbé Colbert pour remplir la place de feu Mr Esprit. Le Voyage de Fontainebleau fut cause qu’il diféra le temps de sa Reception jusqu’au dernier jour de l’autre Mois. Cette Cerémonie se fait dans le lieu ordinaire de leurs Assemblées. C'est une Salle du Louvre, dont le principal ornement consiste aux Tableaux des Protecteurs de cette celebre Compagnie qui sont celuy du Roy, & ceux de Mr le Cardinal de Richelieu son Instituteur, & de feu Mr le Chancelier Seguier qui luy a servy de Protecteur apres luy. On y voit aussi celuy de la Reyne de Suede. Lors que cette grande Princesse vint à Paris, elle voulut se trouver à une Seance de l’Académie, & elle fut si satisfaite des sçavantes lumieres que luy découvrirent ceux qui composoient cet Illustre Corps, que pour marque de son amitié, elle leur fit l’honneur de leur envoyer son Portrait. Cette Salle est ouverte à tout le monde chaque fois qu’on reçoit un Académicien nouveau. Ainsi la foule y est ordinairement fort grande, & particulierement quand c’est une Personne distinguée par la qualité. Vous jugez bien par là que l’Assemblée ne pouvoit estre que tres-nombreuse le jour où Mr l’Abbé Colbert fut reçeu. L'envie de vous entretenir de ce qui s’y passa comme témoin oculaire, m’y fit chercher place de fort bonne heure. Je ne vous rediray point ce que je me souviens de vous avoir déja dit, qu’une partie de l’Académie Françoise est composée de Personnes du premier Ordre par leur naissance & par leurs employs, tant dans l’Eglise & la Robe, que dans l’Epée. Si l’autre partie n’est pas d’un rang si élevé, elle ne voit rien, ou ne doit rien voir au dessus d’elle pour ce qui regarde l’Esprit ; 1'Esprit est tellement estimé, que quoy que ces Messieurs soient avec les premiers du Royaume, il n’y a neantmoins aucune distinction entre eux pour les rangs. C'est le sort qui décide tous les trois mois des Charges de l’Académie. Il y en a trois, qui sont celles de Directeur, de Chancelier, & de Secretaire. Je croy, Madame, que vous ne serez point fâchée que je vous instruise de ces particularitez, puis que je vous parle d’un Corps qui est reçeu à l’audiance du Roy avec les mesmes cerémonies que les Compagnies Souveraines. Ce n’est pas aujourd’huy qu’il est en considération. On le peut connoistre par le Livre qui s’est fait il y a déja vingt-cinq ou trente ans, de son Institution, & de ses Statuts. Il porte pour titre, Histoire de l’Académie Françoise, & est de Mr Pelisson qui n’en estoit pas encor. Ses Regles sont, que celuy qui a esté choisy pour remplir une des Places vacantes, doit faire un Compliment à la Compagnie en forme de Remercîment. Comme le Roy en est presentement le Protecteur, & que les grandes choses qu’il a faites, & qu’il continuë de faire tous les jours, donnent lieu de parler de luy dans toutes les Actions publiques, les Académiciens qui sont reçeus font ce Remercîment en peu de paroles, afin d’avoir plus de temps à s’étendre sur le Panegyrique de ce grand Prince. Il en faudroit beaucoup, quand il ne s’agiroit que de l’ébaucher. Celuy qu’on reçoit est assis au bout d’en bas de la Table, parce que n’ayant point encor eu de place dans l’Académie, il semble qu’il ne la doive prendre qu’apres sa Reception. Le Directeur est vis-à-vis de luy à l’autre bout de la Table, seul de toute l’Académie, assis dans un Fauteüil. Les Officiers sont à ses costez, & le reste des Académiciens sur des Chaises autour de la Table. Plusieurs Evesques se placerent derriere ces Illustres Sçavans, le jour que je viens de vous marquer. Il y avoit avec eux un grand nombre de Personnes de la premiere Qualité. Le reste de la Salle estoit remply indiféremment de toute sorte de Gens dont beaucoup se peuvent vanter d’un mérite genéralement reconnu. Mr l’Archevesque de Paris, Mr Colbert, & Mr l’Abbé son Fils, estant entrez, ce dernier eut à peine pris sa place, que sans se donner le temps de respirer apres avoir traversé une grande foule, il commença son Compliment. Je l’entendis & j’en fus charmé. Vous perdez sans doute beaucoup de ce que ma mémoire ne m’est pas assez fidelle, pour me donner lieu de vous faire un exact rapport des belles choses qui furent dites. J'en croy sçavoir l’ordre, mais les termes m’ont échapé, & c’est dans les termes que consiste la perfection d’une Piece d’éloquence. Ce que je vous vay dire de celle-cy, ne laissera pas de vous en donner de grandes idées, & de vous aider à concevoir, ce qu’elle pouvoit estre dans la bouche de Mr l’Abbé Colbert, qui la prononça avec autant de fermeté que de grace. Il dit d’abord, Qu'il avoit beaucoup de joye de se voir admis dans l’Illustre Corps de l’Académie, mais qu’en mesme temps son peu de mérite luy donnoit une juste crainte de ne pouvoir remplir dignement la place de celuy dont elle le faisoit successeur ; Qu'il croyoit pourtant qu’elle n’avoit pas fait choix de sa Personne sans avoir usé de discernement. Il adjoûta pour expliquer sa pensée, Que la gloire qu’ils s’estoient tous acquise dans l’Empire des belles Lettres, ne pouvoit plus recevoir d’augmentation ; Qu'ils avoient choisy jusque-là assez de Gens d’un mérite déja étably, qui pouvoient leur communiquer leurs lumieres ; Qu'ils ne devoient plus songer à l’avenir qu’à former des Disciples qui en profitant de celles qu’ils leur donneroient, pûssent soutenir l’éclat qui rendoit leur sçavante Compagnie si recommandable ; & que comme il ne doutoit point que ce fust dans cette veuë qu’ils avoient jetté les yeux sur luy, il esperoit qu’avec tant d’habiles Gens le temps luy seroit d’un grand secours pour le faire devenir ce qu’ils avoient dessein de le rendre. Il dit ensuite, Qu'il pouvoit au moins se vanter d’avoir toutes les qualitez requises dans un bon Disciple, puis qu’il ne manquoit ny de docilité ny de soûmission, & qu’il commençoit mesme d’en donner des marques, en se soûmettant à des Loix qui luy imposoient la necessité de se produire d’abord en la presence de tant de Grands Hommes, qu’il auroit eu besoin d’écouter longtemps avant que d’oser parler devant eux, ne se sentant pas un mérite assez fort pour s’y hazarder, s’il luy avoit esté permis de se taire ; Qu'il sçavoit qu’il auroit dû faire l’Eloge de l’Académie, & du Cardinal de Richelieu son Instituteur, qui ayant toute la confiance de son Maistre, & par là toutes les Affaires de l’Etat & de la Religion, qui estoient alors tres-grandes, se délassoit dans l’Académie, ou avec les Ouvrages des Académiciens, de ses grandes & sérieuses occupations ; Qu'il auroit dû loüer feu Mr le Chancelier de Seguier, premier Protecteur de cette celebre Compagnie, & qui pendant trente-trois années avoit posedé la plus importante Charge de Justice avec une conduite & une prudence qui n’avoient rien d’égal que son zele ; mais qu’en regardant Loüis le Grand, Loüis l’Invincible, Loüis le Conquerant, aujourd’huy leur Auguste Protecteur, l’éclat de sa gloire qui l’occupoit tout entier ne luy laissoit point détourner les yeux sur d’autres Objets. De là, il entra insensiblement dans tout ce que ce Monarque a fait depuis la Guerre commencée en 1672. Il parla du Passage du Rhin, & dit, Que ce Fleuve tout rapide qu’il est, n’avoit pû arrester les Armes de ce grand Prince ; Que malgré l’obstacle que devoit former à ses desseins l’opposition de ce Rampart, il n’avoit pas laissé d’entrer chez les Ennemis ; Qu'il avoit pris d’abord trente de leurs plus fortes Places, & que les Digues des Hollandois n’estant pas suffisantes pour retenir ce torrent de valeur, ils s’estoient veus contraints de rompre ces mesmes Digues ausquelles l’Art & la Nature avoient travaillé depuis plus de cent ans. Il parla en suite de toutes les Victoires du Roy pendant cette Guerre, & fit voir de quelle maniere il avoit joint par tout la prudence & la conduite, au courage & à la valeur. Il dépeignit les deux Conquestes de la Franche-Comté dans des saisons rigoureuses, où ce Prince estoit exposé à toutes les injures du temps. Il parla de ce que sa présence avoit fait faire au Regiment des Gardes, dont les Soldats montez les uns sur les autres, avoient forcé la Citadelle de Besançon à se rendre ; entreprise dans laquelle de grands Capitaines avoient échoüé. Il fit connoistre que chaque année, chaque mois, chaque jour, cet incomparable Monarque avoit triomphé, & s’étendit sur la description de la prise de Valenciennes. Il en fit une peinture admirable, & sur tout de la frayeur que ce Peuple devoit avoir en se voyant sur le point d’estre abandonné à tout ce qu’une Ville prise d’assaut doit attendre d’un Soldat vainqueur, & naturellement insolent. Il finit cette peinture, en faisant voir de quelle maniere le Roy estoit obey, & que par sa clemence qui empescha le pillage, il avoit trouvé dans la Victoire quelque chose de plus beau que la Victoire mesme. Apres avoir parlé de toutes les Conquestes de cette années-là, il passa à celles de l’année suivante. Il dit, Qu'au milieu de tout l’Hyver, malgré des Desesperez qui estoient jusque-là demeurez neutres, & qu’on sçavoit estre sur le point de se déclarer, le Roy avoit esté attaquer un des plus forts Ramparts des Ennemis. Il parla en suite de la Paix qu’il a donnée, & fit voir la Beauté & la genérosité de cette Action qui couronnoit toutes les autres ; apres quoy il fit, en disant, Qu'il n’appartenoit qu’à Messieurs de l’Académie de parler dignement des merveilles de cet Auguste Monarque ; & que pour luy, il se contentoit de les admirer.

Quel plaisir pour vous, Madame, si vous aviez entendu ce Panegyrique, dont ce que j’en ay pû recueillir n’est qu’une ébauche toute imparfaite ! La modestie de Mr l’Abbé Colbert à ne se regarder que comme Disciple dans l’Illustre Corps où il avoit esté si genéralement souhaité, charma toute l’Assemblée. Jamais on n’en a tant fait paroistre avec de si justes sujets de vanité. Mais on n’en doit pas estre surpris. Les exemples de sa Famille qu’il a tous les jours devant les yeux, luy ont fait voir que la modestie n’est pas incompatible avec le mérite, & que si c’est une qualité que beaucoup de grands Hommes ont négligée, elle n’est pourtant pas indigne d’entrer parmy celles qui font les grands Hommes. Je passe à ce que le Directeur de l’Académie luy répondit de sa part. Le Sort qui décide tous les trois mois de l’élection des Officiers, avoit rendu justice au mérite de Mr Racine, en le mettant dans ce Poste glorieux, & plus glorieux encor ce jour-là par l’avantage qu’il eut de parler devant une si belle & si illustre Assemblée. Cet avantage est grand quand on est assuré qu’on ne peut dire que de belles choses, & qu’on na pas lieu de douter que tous ceux qui écoutent n’en soient convaincus. Voicy donc ce que répondit Mr Racine. Si ce ne sont pas les mesmes paroles, c’en est à peu pres le sens. Il dit d’abord, Que le hazard l’avoit mis dans une place où son mérite ne l’auroit pas élevé : Et s’adressant à Mr l’Abbé Colbert, il le remercia au nom de l’Académie & des belles Lettres, de l’honneur qu’il avoit bien voulu leur faire, & répeta mesme, Que l’Académie tenoit à honneur de l’avoir dans son Corps. Il adjoûta, Que les Portes en estoient ouvertes au mérite, & que connoissant le sien, elle luy avoit voulu épargner la peine de solliciter. Il le loüa en suite sur le Cours de Philosophie qu’il avoit enseigné, & de ce qu’ayant rassemblé l’ancienne & la moderne, & suprimé des termes barbares, pour faire connoistre de solides veritez, il avoit fait voir Aristote, dont jusqu’icy on n’avoit veu que le Phantôme. Il adjoûta à cette loüange celles qui estoient deuës à toutes les Actions qu’il avoit faites en Sorbonne. Il dit, Que jusque-là l’Académie l’avoit admiré, mais que l’ayant entendu prescher depuis avec toute la délicatesse de la Langue, elle avoit jetté les yeux sur luy, personne ne pouvant estre plus propre à celébrer les surprenantes merveilles du Roy qui les accabloient de trop de matiere. Il tomba de là sur les Conquestes de Sa Majesté, & dit, Que ce ne seroit pas l’Académie qui feroit vivre les Actions de ce grand Monarque, mais qu’elles estoient si éclatantes & si extraordinaires, qu’elles rendroient leurs Ouvrages immortels. Il parla de la Paix qui est encor plus glorieuse au Roy que la Guerre, & dit, Qu'il l’avoit donné en un moment, les diférens Interests ne pouvant s’accorder à Nimegue ; mais qu’il n’osoit entreprendre de donner à cette Action les loüanges qu’elle méritoit, apres ce qu’en venoit de dire Mr l’Abbé Colbert, dans le discours duquel on avoit connu non seulement son éloquence, mais la passion qu’il avoit commune avec tous ceux de sa Famille, pour le service de Sa Majesté. Il prit là-dessus occasion de loüer le zele que toute cette Maison a pour le Roy à l’exemple de son Chef. Il dit, Que ce Chef Illustre avoit Enfans, Freres & Neveux, qui dans leurs divers Emplois n’oublioient rien pour le seconder ; Que parmy eux on trouvoit des Testes & des Bras qui s’employoient avec une égale ardeur pour la gloire de cet Auguste Monarque ; Qu'on en voyoit dans le Conseil, dans les Armées, & sur les Mers ; & que la Navigation qui jusque-là ne nous avoit pas esté tout-à-fait connuë, commençoit à rendre la France redoutable depuis que Monsieur Colbert y donnoit ses soins. Il finit, en disant à Mr l’Abbé son Fils, Qu'il trouveroit dans tous ceux qui composoient le Corps de l’Académie, ce mesme esprit & ce mesme zele pour le Roy qu’il voyoit si genéralement répandu dans sa Maison ; & que le Dictionnaire qui paroissoit une matiere aussi seche qu’épineuse, leur devenoit agreable, parce que toutes les syllabes estoient autant d’instrumens qui serviroient à porter la gloire du Roy jusque dans la posterité la plus éloignée.

Les applaudissemens, qu’on donna tout haut à ce discours furent grands, & firent voir que chacun ne connoissoit pas moins que Mr Racine, les veritez qu’il venoit de dire de la Maison de Mr Colbert. Le bruit que causa la joye que toute l’Assemblée en ressentit estant cessé, le mesme Mr Racine, comme Directeur de l’Académie, demanda aux Académiciens s’ils avoient quelque chose à lire. Cette demande se fait toûjours dans leurs Actions publiques. Il n’y a qu’eux qui ayent ce droit de lecture. Ils la font assis, couverts, & le papier à la main.

Mr l’Abbé Cotin commença par un Discours de Philosophie. Il le fit sur ce que Mr l’Abbé Colbert qu’on recevoit ce jour-là, estoit un tres habile Philosophe. Il n’en lût qu’une partie, son âge ne luy laissant pas assez de voix pour se faire entendre dans une si grande Assemblée.

Mr Quinaut lût en suite deux petits Ouvrages de Vers. Il y en avoit un sur la modestie de Mr Colbert qui suit toute sorte de loüanges, & qui n’aime à entendre que celles du Roy. Il finissoit par une tres-belle pensée qui faisoit connoistre que si ce zelé Ministre ne pouvoit soufrir que les loüanges de son Maistre, l’admirable Panegyrique que venoit de faire un autre luy-mesme, avoit dû luy donner une extréme joye. Le second Ouvrage de Mr Quinaut estoit tout entier à l’avantage de Mr l’Abbé Colbert, sur ce que dans le bel âge il avoit uny les belles Lettres au profond Sçavoir.

Apres qu’il eut achevé, Mr l’Abbé Furetiere fit rendre quelques Vers sur plusieurs endroits de la Vie du Roy, pour servir d’Inscriptions à un Arc de Triomphe, dont il a fait le dessein il y a déja quelque temps.

Un Dialogue de la Paix, & de la Victoire, fût lû par Mr Boyer. Il est plein de loüanges pour le Roy, & reçeut de grands applaudissemens.

D'autres Vers de Mr Corneille l’aîné sur la Paix, furent écoutez avec beaucoup de plaisir. On y remarqua de ces grands traits de Maistre qui l’ont si souvent fait admirer, & qui le rendent un des premiers Hommes de son Siecle.

Mr le Clerc lût apres luy diférens Ouvrages de Poësie, & s’acquit l’approbation de cette grande Assemblée, tant par la maniere dont il les recita, que par leur propre beauté. La fin de l’un marquoit à l’avantage du Roy, que si cet Invincible Monarque n’avoit pas conquis le Monde, il avoit fait voir qu’il avoit esté en pouvoir de le conquérir. Il s’estoit rencontré avec Mr Quinaut dans un autre sur la modestie de Mr Colbert, qui luy faisoit rejeter toute autre loüage que celles du Roy. Il en lût un troisiéme dont la derniere pensée estoit qu’on devoit regarder le Siecle de Loüis comme celuy des merveilles. Cette pensée tomboit sur Mr l’Abbé Colbert dont l’esprit est un prodige à son âge, & qui en a donné des marques sur toute sorte de matieres, que les plus éclairez ne donnent souvent qu’apres de longues années. Il finit ce qu’il avoit à faire voir par la lecture d’une Paraphrase de l’Exaudiat. Mr Charpentier parla le dernier ; & comme la matiere des Ouvrages qui se lisent publiquement dans ces jours de Réception n’est jamais fixée, il fit entendre une Traduction qu’il a faite du Miserere. Elle est resserrée en peu de Vers, & fut extrémement applaudie. J'aurois pû vous envoyer une partie de ces Pieces, mais j’ay tant de choses à vous apprendre ce Mois-cy, qu’elles rendroient ma Lettre trop longue. Il suffit que vous en ayant marqué les principales pensées, je vous aye donné lieu de juger de leur beauté. Il y a une reflexion à faire. Plusieurs de ceux que je vous viens de nommer, se sont attachez à vanter la modestie de Mr Colbert dans leurs Ouvrages, & ils ne peuvent l’avoir fait sans qu’ils ayent reconnu que cette vertu est particuliere à ce grand Ministre. On ne se rencontre jamais dans une mesme pensée, que sur des veritez incontestables. À dire vray, les loüanges ne semblent estre que pour ceux dont on peut ignorer les actions ; mais celles des grands Hommes que Sa Majesté employe dans les Affaires les plus importantes de l’Etat, sont trop en veuë, pour estre cachées à personne ; & comme elles parlent d’elles-mesmes, & que l’heureux succés de tous les desseins du Roy, fait connoistre l’exactitude, le zele, les soins, & la prudence de ceux qui le servent, on chercheroit inutilement à les loüer autant qu’ils méritent ; ce ne seroit qu’apprendre au Public ce qu’il sçait déja. Mr Charpentier ayant achevé de lire, toute l’Assemblée sortit, fort satisfaite des belles choses qu’elle avoit entenduës ; & comme elle en estoit toute remplie, les applaudissemens résonnoient de tous costez en faveur des Illustres de l’Académie.

Menuet §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 186-187.

On se regle souvent sur les Saisons pour les Airs qu’on fait. C’est ce qui a donné lieu à Mr du Parc de faire celuy-cy sur celle où nous sommes. Divertissez vous à le chanter aupres du feu, si vous ne voulez pas y écouter ceux qui vous diroient avec plaisir que vous estes belle & aimable.

MENUET.

Avis pour placer les Figures : le Menüet qui commence par Ne croyez pas, jeune Bergere, doit regarder la page 187.
    Ne croyez pas, jeune Bergere,
Que l’Hyver ait banny les plaisirs de ce lieu.
    On fait l’amour aupres du feu,
    Aussi bien que sur la fougere.
images/1678-11_186.JPG

Proposition de Mariage entre un Linot et une Linote. À Madame R. §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 187-193.

J'adjoûte à cette Chanson une ingénieuse Galanterie qui ne sçauroit manquer de vous plaire. Vous avez le goust trop bon, pour n’estre pas satisfaite & de l’enjoüement des pensées, & de la facilité du stile.

Proposition

de Mariage

entre

un Linot

et une Linote.

À Madame R.

    J'ay dans ma Chambre une Femelle
    Jeune, amoureuse, tendre & belle,
    Qui voudroit bien se marier.
Je connois son envie à son petit bec pâle.
    Sçachez un peu de vostre Mâle
    S'il ne veut point s’aparier.
Si vous voulez sçavoir & son bien & son âge,
    Je vay vous le dire en un mot.
    Elle a six mois, pas davantage.
    Tout son bien est un petit Pot
    Fait d’une coque d’Escargot,
    Avec une petite Cage.
    Au reste elle fut toûjours sage,
    Et malgré de certains Esprits
    Le trop licentieux langage,
    Elle n’eut jamais de Petits.
    L'Oyseleur qui me l’a venduë,
    M'a fait voir qu’elle est descenduë
    D'une fort honneste Maison,
    Et que sa Race est répanduë
    Au dela de nostre horizon.
    Il m’a fait toute son histoire,
    Et si j’avois de la memoire,
    Je pourrois bien vous repéter
    Tout ce qu’il a sçeu m’en conter.
    Comme en ce Païs chacun cause,
    Et que de peu l’on fait grand chose,
    Il ne faut pas vous alarmer,
    Si l’on dit qu’elle sçeut aimer,
    Car il est vray, je le confesse.
    Un jeune Oyseau de même espece
    À la faveur d’un Air nouveau,
    Jetta dans son petit cerveau
    Quelque semence de tendresse.
    Elle le tint le bec dans l’eau ;
    Mais l’emplumé Godelureau
    Qui la persécutoit sans cesse,
    Voulant la derniere faveur,
    La trouva Femelle d’honneur,
Et ne pût l’obliger à manquer de sagesse,
    Dont il eut tres-grand mal au cœur
Ecouter un Amant, rire de sa fleurete,
    C'est le vray tour d’une Coquete,
Mais comme elle estoit jeune, elle ne sçavoit pas
    Qu'il faloit éviter ce pas,
    Et que par la Coqueterie,
    Hommes, Oyseaux, tout se décrie.
Du depuis un Serin verd comme un Perroquet,
    Jeune, badin, joly, coquet,
    Superbe, & fier de son plumage,
De quelques tendres tons embellit son ramage,
    Pour l’envoyer de son caquet ;
    Mais elle luy fit bien connoistre
    Que ce qu’il faisoit pour paroistre,
    Son air, son chant, & sa façon,
    N'estoient qu’une pure Chanson
    Qui n’ébloüissoit point sa veuë,
    Et qu’elle ne seroit émeuë,
    Ny ne soufriroit plus d’Amant,
    Que par un établissement,
    C'est à dire pour mariage.
    Depuis elle a fait davantge.
    Quand elle a vescu dans les Bois,
    Dans les Jardins, à la Campagne,
    Elle a sçeu faire un sage chois
    D'une irreprochable Compagne.
    On la vit s’éloigner toûjours
    De la libertine Fauvete,
    Dont on connoit l’historiete,
    Pour passer la plûpart des jours
    Chez l’Hirondelle ou l’Aloüete.

Cette Piece est de Mr Corps de Troyes en Champagne, qu’une disgrace impréveuë tient presentement arresté dans la Conciergerie. Il est aisé de voir à la liberté d’esprit que luy laisse sa prison, qu’il ne sçauroit estre que malheureux. Ceux qui ont quelque chose à craindre dans un lieu, ou il ne peuvent éviter un Jugement Souverain, n’ont jamais la tranquillité qui est necessaire pour imaginer un Ouvrage aussi galant que celuy de ce spirituel Prisonnier.

[Reception faite en France à Monsieur & à Madame la Duchesse de Saint Pedro & à Madame la Marquise de Quintana] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 201-210.

Madame la Duchesse de San-Pedro, & Madame la Marquise de Quintana, accompagnées de Mr le Duc de San Pedro, Mary de la premiere, ont passé par cette ville pour prendre la route d’Espagne. Elles sont Filles de Mr le Marquis de los Balbazes premier Ambassadeur de sa Majesté Catholique à Nimegue, & qui doit succeder à Mr de Villa-Hermosa au Gouvernement des Païs-Bas apres la Paix genérale. La derniere est une jeune Personne de seize ou dix-sept ans, qui a esté mariée à Vienne par Procureur, & qui s’en va trouver en Espagne le Marquis de Quintana son Mary. C'est un jeune Seigneur âgé de dix-neuf à vingt ans, de grande qualité, & fort riche. Ces deux Mariez ne se sont jamais veûs que par les Portraits qu’ils se sont envoyez l’un à l’autre. L’Epoux viendra au devant de la jeune Marquise sa Femme, jusqu’à Saint Jean de Luz , & quand on l’aura mise entre ses mains, le Duc & la Duchesse de San Pedro doivent revenir à Nimegue, aupres de Mr le Marquis de los Balbazes. Ces Dames ont reçeu à Valenciennes, à Cambray, à Peronne, à Gentilly, & dans toutes les Villes & lieux de l’obeïssance du Roy où elles ont passé, tous les honneurs qui sont deûs à leur naissance & au mérite de leurs Personnes. Elles ont esté salüer Leurs Majestez à Versailles, & quoy qu’elles attendissent beaucoup de l’honnesteté du Roy, elles l’ont trouvé civil pour elles au delà de ce qu’elles se l’estoient promis. Apres avoir veu tout ce qu’il y a de beau à Versailles, elles vinrent à Paris, où elles se donnerent le divertissement de l’Opéra. La galanterie Françoise ne les surprit point. Elles avoient déjà commencé à connoistre la France à Nimègue, car la galanterie regne par tout où il y a des François. Comme ils la communiquent à toutes les autres Nations, ils sont cause que cette Ville, où les Ministres de tant de Souverains sont assemblez est devenuë une Ville de plaisirs & de Parties agreables, par les Régals qui s’y sont donnez, & qui continuënt à s’y donner toutes les Semaines. La société que ces agreables Parties ont fait lier, n’a pas peu contribué à établir de l’amitié & de l’union entre la plûpart des Ambassadeurs & Ambassadrices. Madame Colbert, qui ne se fait pas moins distinguer par la magnificence qui accompagne tout ce qu’elle fait, que par son admirable conduite, à donné lieu à ces Divertissemens. Quelques autres Dames Ambassadrices, & particulierement celles d’Espagnes & de Dannemarc, l’ont imitée. Ainsi les Assemblées de divertissement ont alternativement continué chez elles tous les jours de chaque Semaine, par le Jeu, par le Bal, & par des Collations magnifiques. Il s’en donna une le 22. du Mois passé chez Mr Colbert. Où il parut de si grandes démonstrations de joye de la plûpart des Ambassadeurs & Ministres qui s’y trouverent, que ces marques extraordinaires de satisfaction jointes aux Santez qui s’y bûrent, firent dés lors esperer que la Paix de France, d’Espagne, & de Hollande, seroit bientost suivie de la genérale. Les Ambassadeurs, qui dans le Cabinet ont si bien executé les ordres de leurs Maistres, n’ont pas moins de part à cette Paix, que ceux qui en exposant leur sang, & en gagnant des Victoires, l’ont fait souhaiter à nos Ennemis. On peut mesme dire que Madame Colbert, par les Divertissement que les autres Ambassadrices ont donnez à son exemple, a commencé d’unir des Ministres que des intérest bien diférens tenoient divisez, & que pendant que Mr Colbert son Mary travailloit avec une entiere application à la grande Affaire de la Paix, elle travailloit de son costé à entretenir entre les Parties l’intelligence qui leur estoit necessaire pour traiter agreablement. Les Ambassadrices ne se divertissoient pas seules, les Ambassadeurs estoient quelquefois de la partie, & se délassoient dans ces illustres Assemblées de leurs pénibles & presque continuelles occupations.

[Le Mariage impromptu, Histoire] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 218-232.

Il s’est fait depuis peu une Cerémonie, dont la fin a esté toute contraire à ce qu’on s’en estoit promis. Le Cas est particulier, & vaut bien que je vous en fasse un Article. Je ne vous diray rien que de vray. La chose s’est passée à Troyes, & il vous sera aisé d’en estre éclaircie. Une jeune Demoiselle, ayant pris le Voile blanc dans un Couvent de la Ville que je vous nomme, estoit sur le point de faire ses vœux. Elle y avoit esté mise Pensionnaire dés l’âge de huit ou neuf ans, & suivant la coûtume des Filles qui dans leurs premieres années ont presque toutes quelque tentation de se faire Religieuses, elle en avoit eu quelque envie comme les autres. Une Guimpe qu’on luy avoit donnée quelquefois luy avoit paru la plus jolie chose du monde ; & comme dans ces jours qui n’estoient que de divertissement pour elle, on ne luy parloit ny de mortification, ny de penitence, elle s’estoit laissée gagner aux charmes de la nouveauté, & avoit crû qu’on l’applaudiroit toûjours sur l’agréement qu’elle recevoit cet ajustement emprunté. Sa Mere luy demandoit de temps en temps ce qu’elle avoit dessein d’estre. Vous jugez bien qu’elle répondoit en baissant les yeux, Religieuse. La Mere s’accommodoit assez de cette réponse. Elle avoit une autre Fille que cette Vocation prétenduë laissoit heritiere d’une assez grande Succession. Elle devenoit là un Party considérable, & l’ambition jointe à un peu plus de panchant que cette Mere avoit toûjours eu pour elle, luy faisoit entretenir sa Cadette dans la résolution de prendre l’Habit. Le temps vint. Cette Cadette eut quinze ans. On s’informa si elle avoit le don de perseverance, & soit que son cœur ne luy eust encor rien dit pour le monde, soit qu’elle craignist sa Mere qui témoignoit souhaiter qu’elle y renonçâst, elle persiste dans ses premiers sentimens, prit le Voile, & le prit d’un air si-content qu’on ne douta point qu’elle ne fust inspirée d’en-haut. Peut-estre le crût-elle d’abord elle-mesme. Tout ce qu’on luy ordonnoit luy plaisoit. Elle s’en acquitoit avec une gayeté extraordinaire, mais elle ne sçavoit pas qu’à moins d’estre veritablement appellée, on s’ennuye bien-tost de faire toûjours la mesme chose, & qu’il en est, qui quoy que tres-bonnes Religieuses, sont réduites quelquefois à souhaiter un peu de diversité pour se délasser l’esprit, ne fust-ce que l’Enterrement de quelque Ancienne qui ayant assez vescu (car en ce lieu-là on ne souhaite point la mort du prochain) leur donne lieu par les devoirs qui luy sont rendus, de s’employer à quelque autre chose, qu’à ce qu’elles sont obligées de faire régulierement tous les jours. La Belle dont je vous parle ne fut pas plûtost Novice, que sa Sœur trouva un Party fort avantageux. On la maria sur le pied d’unique heritiere. Elle vint voir la Novice qui commença de trouver qu’un Point de France valoit bien la Guimpe qu’elle se voyoit. Il y a toûjours je ne sçay quoy de brillant dans une nouvelle Mariée qui sauta aux yeux de cette jeune Personne. Elle n’en dit rien, mais malheureusement pour son Aînée, elle avoit une Compagne dont le Frere luy avoit déjà compté des douceurs avant qu’elle eust pris l’habit. Il estoit bien fait, de condition égale à la sienne, persuasif quand on l’écoutoit ; & si elle luy avoit paru aimable dans ses habits négligez du monde, il trouva sa beauté si augmentée par le Voile, qu’il commença tout de bon à se déclarer. La Sœur qu’il avoit dans le Couvent, avec la Novice, luy facilitoit les moyens de luy parler, & il tourna si bien l’esprit de la Belle, que s’estant rendu maistre de son cœur, il la contraignit à ne luy en pas faire un secret. Ils se voyoient fort souvent, & s’écrivoient quand il ne leur estoit pas permis de se voir. Jugez du chagrin de la Novice. Elle avoit fait un grand pas. Sa Mere estoit d’humeur à ne luy pardonner jamais. Le temps de la Profession aprochoit toûjours, & elle ne pouvoit plus estre heureuse, qu’en épousant celuy qu’elle aimoit. Son Amant l’enhardissoit à se défaire de la crainte qui l’empeschoit de parler. Elle luy promettoit merveilles ; mais dés qu’elle estoit avec sa Mere (car son Pere ne vivoit plus) ses résolutions s’évanoüissoient, jusque-là, qu’elle luy laissa arrester le jour de la cerémonie de ses Vœux à un mois de là, & n’eut pas la force de s’y opposer. Son Amant fut au desespoir de cette nouvelle, & il auroit couru risque de n’estre jamais heureux, si une fievre tres-violente n’eust enfin emporté la Mere en quatre jours. C'estoit le seul obstacle qui arrestoit la Novice. Cette mort la rendoit maistresse de ses volontez & de sa personne, & elle commença de donner des assurances plus positives à son Amant, qui continua pourtant de trembler quand il la vit obstinée à laisser assembler ses Parens pour la cerémonie dont on avoit arresté le jour. Elle le pria de se trouver proche de la Grille, & de ne s’inquiéter de rien. Il y vint tremblant, mais si propre, que comme on sçavoit qu’il voyoit quelquefois la Novice, on luy dit qu’on ne devoit pas estre surpris qu’il voulust faire honneur à sa Feste. L'Assemblée fut grande. On fit tout ce qui précede la solemnité des Vœux, & enfin il fut question de venir à la Novice pour luy faire déclarer le dessein où l’on croyoit qu’elle fust encor. Mais à peine luy eut-on dit, que demandez-vous ? que d’une voix ferme, & sans balancer, Voila, dit-elle, ce que je demande. Elle montra son Amant en disant ces mots, & protesta qu’elle le prenoit pour Mary, comme elle sçavoit qu’il vouloit la prendre pour Femme. Jamais il n’y eut un pareil étonnement. Tout le monde se regardoit. L'Amant charmé de la fermeté de sa Maistresse, fit paroistre tant de reconnoissance, & parla d’une maniere si pleine d’amour aux Parens de cette aimable Personne, qu’ils ne pûrent se dispenser de luy estre favorables. Ainsi quelques jours apres, ils s’assemblerent tout de nouveau pour une Cerémonie bien diférente de celle qu’on n’acheva point, puis que ce fut pour les Nôces des deux Amans. Elles se firent du costé du Marié avec une magnificence digne de l’avantage qu’il trouvoit dans l’heureux succés de son amour.

[Tout ce qui s’est passé au Parlement le lendemain de la S. Martin, avec les Harangues de la Cour des Aydes] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 232-252.

Le Samedy 12. de ce mois, Messieurs du Parlement s’assemblerent à la Grand’Chambre selon la coûtume, & sortirent sur les dix heures pour aller entendre la Messe, apres avoir esté avertis que Monsieur l’Evesque de Luçon qui la devoit celébrer Pontificalement, estoit prest. Elle fut chantée par la Musique de la Sainte Chapelle, à laquelle on avoit adjoûté quantité des plus belles Voix de Paris. La Messe estant dite, Monsieur de Novion Premier Président, amena ce Prélat à la Grand’Chambre. Tous ceux qui composent cet auguste Corps le suivirent, & prirent leurs places à l’ordinaire. Apres quoy, Monsieur le Premier Président remercia Monsieur de Luçon. Ce qu’il dit fut court, mais fort bien pensé, & en tres-beaux termes. Mr de Luçon fit son Compliment en suite, & remercia Mr le Premier Président à son tour, de ce qu’il avoit bien voulu le choisir pour faire l’Ouverture du Parlement. Il parla des belles qualitez de Monsieur de Novion ; & comme la matiere est ample, il luy fut impossible de finir si-tost. Il fit voir par le tour fin qu’il donna à ses pensées, qu’il parloit en Homme à qui l’éloquence estoit naturelle. On n’a pas lieu d’en estre surpris. Il est d’une Famille où il y a infiniment de l’esprit, & le nom de Barillon qu’il porte persuadera toûjours aisément de tout ce qui se dira à son avantage. Les Complimens faits, ce Prélat se rendit à l’Hostel de Monsieur le Premier Président, qui dés l’entrée de la Grand’Chambre avoit prié tous ceux de sa Compagnie de venir disner chez luy. Le Repas fut d’une magnificence à laquelle il ne se peut rien adjoûter. Les Harangues ayant esté remises à la fin du mois, je passe à celles qui furent faites ce mesme jour à la Cour des Aydes.

Monsieur le Camus, Premier Président, en fit l’ouverture, suivant l’usage ordinaire, par un Discours plein de grace & d’érudition, & auquel il donna tout l’agrément possible par la beauté de la prononciation. Il fit voir la necessité dans laquelle les Magistrats se trouvoient engagez de s’établir dans un êtat de liberté & d’indépendance, pour pouvoir resister aux prieres, aux menaces, aux larmes, à la misere mesme, quoy qu’elle fust quelquefois injuste ; condamner leurs Amis, absoudre leurs Ennemis, enfin pour rendre la Justice dans toute son étenduë ; à quoy ils devoient se croire d’autant plus obligez, que le plus grand bonheur qui pouvoit arriver aux Juges, c’estoit d’estre les Martyrs de la Justice, apres en avoir esté les Ministres ; & que cette sagesse éminente que l’Orateur Romain disoit estre seule libre, & qui demeuroit toûjours en possession de ses droits dans les êtats heureux ou malheureux de la vie, estoit le veritable partage de la Magistrature. Il adjoûta, Que suivant la pensée d’un ancien Philosophe, l’Homme juste estoit un présent que le Ciel faisoit aux autres Hommes pour leur utilité commune, & qu’il estoit semblable à ces Fontaines qui répandent gratuitement & avec abondance leurs eaux salutaires à tous ceux qui en ont besoin. Il montra en suite Qu'encor que les Magistrats dûssent estre fort libres & indêpendans, cependant il n’y avoit rien de moins libre que les Juges, puis qu’ils ne se pouvoient dispenser, sans commettre une lâcheté criminelle, de suivre avec courage & avec soûmission les mouvemens de leur conscience, & les Protecteurs, comme les Anciens avoient autrefois donné cet avantage à Apollon l’un de leurs Dieux, n’ayant pas voulu commettre le soin d’une chose si prêtieuse à un autre qu’à une Divinité ; Que si un excellent Autheur de l’Antiquité appelloit les Songes qui arrivoient aux grands Hommes, des Oracles naturels, la conscience estoit l’Oracle le plus naturel que pûssent avoir les Juges, puis que c’estoit elle qui les conduisoit dans les routes les plus seûres de la Verité & de la Justice ; & qu’à l’égard des Loix, la soûmission que devoient y avoir les Juges, estoit beaucoup plus noble que l’indépendance imaginaire de ceux qui s’abandonnent aux caprices & aux irrégularitez de leur imagination. Il dit à Mrs les Gens du Roy, Qu'ils estoient semblables à cet Officier des anciens Roys de Perse, qui marchoit toûjours devant eux avec un Flambeau allumé quand ils sortoient en public, & qu’il devoient par leurs lumieres tirées de la disposition des Loix, dissiper les obscuritez des Affaires quand elles paroissoient aux yeux de la Justice. Il finit en exhortant la Compagnie de s’attacher avec une extrême régularité à l’administration de cette Justice, puis qu’un illustre Payen avoit dit autrefois à un grand Empereur que la pureté de la Justice avoit fait les premieres Divinitez.

Mr Ravot d’Ombreval, Avocat General de cette Compagnie, parla en suite, & dit, Qu'autrefois on s’estoit contenté de la simple lecture des Ordonnances, pour remettre devant les yeux des Juges les regles de leur devoir au commencement du travail ; Que les derniers temps avoient rendu cette Journée plus celebre, sans qu’on eust pourtant mêprisé la mêthode d’instruire ces mesmes Juges par la voix du Précepte ; Que rien ne donnoit une plus haute idée de la Magistrature, que quand le Juge estoit regardé comme l’image du Souverain ; Qu'il n’entendoit point parler d’un Juge formé par la seule ambition, mais d’un Juge dont l’entendement êclairé & la volonté invincible à suivre toûjours les sentimens de justice, faisoient un modele de perfection ; d’un Juge sçavant & vertueux, tenant plus de la raison que de la nature, & à qui il ne manquoit rien pour le bonheur des Royaumes, que l’avantage d’estre immortel ; Que l’êclat de la Pourpre, & l’autorité, qui accompagnent une Fonction si auguste, ne rendoient pas les Juges indépendans & maistres absolus de leurs décisions ; qu’au contraire elles estoient les marques & les premiers titres de leur assujettissement à la Loy ; que leur nom mesme les obligeoit d’en posseder parfaitement l’esprit, & d’en faire application à tous les diférens qu’ils décidoient , Que quelques Sages de l’Antiquité avoient appellé la Loy l’ame du juge, parce qu’elle devoit regler toutes ses actions, le dêterminer en tous ses conseils, & luy servir de guide infaillible & assurée dans toutes les difficultez qui l’embarassoient ; & que comme les mouvemens du Corps apres la séparation de l’Ame, ne sont plus les actions d’un Homme, de mesme un Juge qui n’obeïssoit point à la Loy, n’estoit pas un veritable Juge ; qu’il estoit seulement Homme, & mesme quelque chose qui ne méritoit pas un si beau nom ; Que les premiers Legislateurs de Grece & de Rome, pour empescher que dans la suite des temps on ne s’écartast de la Loy, avoient feint qu’ils l’avoient apprise dans plusieurs conférences avec les Divinitez de leur Religion ; & qu’en effet, soit qu’on la considerast dans l’éternité, avant qu’elle fust exposée aux yeux des Hommes, & telle qu’elle estoit en Dieu ; soit qu’on la regardast dans le temps comme le chef-d’œuvre d’une sagesse & d’une prudence achevée, le Juge estoit toûjours obligé de s’y conformer ; Que l’Histoire qui nous apprend que des Royaumes ont esté des siecles entiers sans Loy écrite, bien loin de détruire cette verité, l’établissoit invinciblement, puis qu’elle nous fait connoistre que le Roy &la Loy estoient une mesme chose, & que ses paroles estoient autant de Décisions & d’Arrests . Qu'il ne falloit pas pour cela estre du sentiment de Platon, qui ne permettoit à personne de raisonner sur la Loy ; Que le Juge n’estoit pas réduit à estre seulement le truchement de ses paroles, qu’il devoit estre l’interprete de ses pensées dans les Cas qui sont disposez à l’équité, & qui n’ont pû estre prévenus par le Legislateur ; Que la Morale du Christianisme leur permettoit de juger moins severement ; Que les plus habiles Legislateurs n’avoient pû faire autant d’Articles d’Ordonnances qu’il se presentoit de diférentes especes sur lesquelles le Juge estoit obligé de donner ses décisions ; Qu'il y avoit entre le Juge & la Loy un de ces mariages politiques où elle conservoit toute la supériorité, & où elle empruntoit du Juge le droit de se faire obeïr ; Que sans luy elle seroit dans une impuissance continuelle ; Que sans luy les Hommes qui ont perdu par le peché la simpathie avec le veritable bien, & qui sentent une augmentation de plaisir à faire ce qui leur est defendu, seroient dans un déreglement & un desordre sans ressource ; Que c’estoit un avantage pour un Royaume, lors que la Loy animoit les Juges, & que les Juges estoient l’organe de la Loy ; Que cet avantage se trouvoit en ce Royaume plus parfaitement qu’en aucun autre, & qu’on devoit estre seûr de sa continuation sous un Monarque qui sçavoit parfaitement unir aux vertus d’un Conquérant, les lumieres des Juges les plus éclairez, & qui pourroit dire veritablement ce que Libanius fait dire au plus puissant des Dieux, que la Justice est assise à ses côtez, & qu’elle luy sert autant que la Foudre & le Tonnerre pour gouverner le Monde ; Que c’estoit une grande gloire aux Juges devant qui il parloit, d’avoir un si beau Modelle, puis que l’imitant en sa Justice, ils méritoient l’estime du plus juste de tous les Roys, & s’attiroient en mesme temps le respect & la venération des Peuples ; Que pour luy il se pouvoit dire encor plus heureux, puis qu’ayant le mesme Modelle; il en avoit encor une parfaite Copie en leurs personnes qui le confirmoient dans la résolution qu’il avoit prise de s’unir parfaitement à la Loy.

[Lettre de M. Chapelle à M. le Duc de S. Aignan] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 258-265.

La mesme Feste ayant donné lieu à une autre Chasse2, est cause du plaisir que je vous vay donner par la lecture de deux Lettres dont on m’a fait part. Messieurs les Chevaliers de Lorraine & de Marsan, Mr le Grand-Maistre, Mrs le Marquis de Termes, d’Effiat, & de Manicamp, & Mrs du Boulay, & Chapelle, ayant demandé à Mr le Duc de Saint Aignan sa Maison de la Ferté Saint Aignan prés Chambort, pour y faire la Saint Hubert, ce Duc qui fait son plus grand plaisir d’obliger de bonne grace, leur accorda aussi-tost ce qu’ils souhaitoient. Ils s’y rendirent, & pour luy en marquer leur reconnoissance, Mr Chapelle, dont le bel esprit vous est connu, luy envoya les Vers que vous allez voir, dans lesquels il fait presque par tout allusion à la Chasse d’un furieux Sanglier que Mr de S. Aignan tua autrefois, & dont le Portrait est dans la Salle de cette Maison. Il parle sur la fin d’un autre combat plus périlleux, lors que ce mesme Duc se defendit avec tant de courage & de valeur, contre quatre Hommes qui estoient venus l’attaquer. Cette avanture si glorieuse pour luy, est sçeuë de tous ceux qui ont un peu de commerce dans le monde.

Lettre

De Mr Chapelle,

À Monsieur le Duc de S. Aignan.

    Grand Duc en tout, tout merveilleux,
    Sur tout pour estre assez heureux
    D'avoir, contre ta propre attente,
    Sorty de cent dangers affreux,
    Et non seulement de tous ceux
    Que pour la Païs Mars presente ;
    Mais ce que plus en toy je vante,
    De mille autres Exploits fameux
    Que ta grande Ame impatiente
    De Paix, & non jamais contente,
    Qu'elle n’affronte le trépas,
    D'un noble feu toûjours brulante,
    En tant de périlleux Combats
    Dont le seul recit m’épouvante,
Fit naistre à tout propos, & par tout sous tes pas.
    Qu'avec plaisir la Compagnie
    En qui ton accueil gratieux,
    À Toury redoubla l’envie
    De se voir viste en ces beaux lieux,
    Y contemple de tous ses yeux
    Dés l’abord surprise & ravie,
    Ce Monstre vrayment furieux,
    Qui sans ton Fer victorieux
    Eust par tout sa rage assouvie,
    Et dont l’écumante furie
    Capable de vanger les Cieux,
    Et d’assembler les Demy-Dieux,
À tout autre qu’à toy n’eust point laissé de vie !
    Mais quoy, la Beste d’Erimante,
    Pour qui la Gréce eut le frisson,
    Quelque rude & mauvais Garçon
    Que son Méleagre elle vante,
    Ny tout ce qu’Homere nous chante
    De Phénix & son Nourisson,
    Dont la colere trop constante,
    Et le trop cuisant Marisson,
    Pour la perte d’une Servante,
    Combla de tant de morts le Xante,
    Ne sont de vray qu’une Chanson ;
    Au prix de ce que le Causson
    A veu de ta valeur brillante,
D'une bien plus guerriere & toute autre façon.
    Causson dont l’onde claire & pure
    Tantost brille, & tantost se pert
    Sous l’épaisse & fraische verdure
    Du long & fidelle couvert,
    Qui forme ta belle bordure ;
    Par ta Divinité je jure
    Que jamais rien ne s’est offert
    Au petit talent de nature
    Qui souvant assez bien le sert,
    Pour oser faire une peinture ;
    Rien dis-je tel, que l’avanture,
    Dont fut témoin l’affreux Desert,
    Où mesme encor je sens que dure
    Une horreur dont seul me rassure
    L'aspect toûjours riant & vert,
De ton cours qui de loin m’en trace la ceinture.
    Et n’estoit que la modestie
    Est la grande & digne partie
    D'un Héros à qui l’on écrit.
    Causson, il faut que je le die ;
    Comme jamais le Ciel ne vit
    Rien d’égal à tout ce qu’il fit
    Dans ce bel endroit de sa vie,
Rien aussi n’auroit pû me donner tant d’esprit.

Reponse Impromptu De Monsieur de S. Aignan §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 265-269.

Reponse Impromptu

De Monsieur de S. Aignan.

Aimable & brillant Chapelle,
Enfin suivant mon souhait,
Ta Lettre sçavante & belle
Vient me rendre satisfait ;
Car sans blâmer le génie
De ceux de ta Compagnie,
Dont les talens sont divers,
Si ma raison n’est trompée,
La pointe de leur Epée
Vaut bien celle de leurs Vers.
Ce n’est pas que ta Flamberge
Ne pust prouver ta vigueur,
Et qu’en mon petit Auberge
Elle ne fist voir ton cœur.
Les Sangliers de mes Boccages
Y demeureroient pour gages ;
Mais j’ay de fort grands soupçons,
Que tu crois plus raisonnable
De les percer sur la Table,
Que dans leurs affreux Buissons.
J'en reviens donc à ta Muse,
Et je soûtiendray ce point,
Qu'il faudroit estre bien buse,
Si l’on ne l’estimoit point.
Comme on tient pour des merveilles
Les fruits de tes doctes veilles,
Quand Phébus vient t’embraser ;
Ton humeur libre & galante,
Par mille agrémens enchante
Ceux qui t’entendent jazer.
Tes beaux Vers sont sur mon ame
Dignes d’admiration ;
De Monsieur & de Madame
Ils ont l’approbation ;
D'un prince tout plein d’estime,
De qui l’esprit est sublime,
Ils feront tout l’entretien ;
Mais je suis fort en demeure,
Car cette Ode d’un quart-d’heure
N'y répondra pas trop bien.
Ces Chasseurs dont la naissance
Est égale à la vertu,
Sans-doute auront connoissance
De ce meschant Impromptu.
Dis leur, illustre Chapelle,
Que mon Cœur, mon Alumelle,
Ma Bourse, tous mes Amis,
Mon Gibier, mes Bois, ma Plaine,
Mes Poissons, & ma Fontaine,
Enfin, tout leur est soûmis.
Mais dis de plus, si tu m’aimes,
Au jeune Prince Lorrain,
Qui par des efforts extrémes
Fit rougir les Eaux du Rhin,
Que quand le Destin contraire
Ramena son brave Frere,
Dont chez moy chacun pesta,
Mon ame alors desolée
Ne put estre consolée
Que parce qu’il y resta.
O Chapelle, que j’estime,
Et que j’aime tendrement,
Sois certain que cette Rime
Est faite dans un moment ;
Allonge ta promenade,
Redouble sauce & grillade
Dans mon antique Maison,
Et cependant je vay boire
Ta santé deça la Loire ;
Songe à m’en faire raison.

[Ballade de M. le Marquis de Monplaisir] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 269-272.

Comme les choses qui sont belles d’elles-mesmes ont l’avantage de ne point vieillir, je croy pouvoir mettre icy la Ballade que Mr le Marquis de Mont-plaisir, Lieutenant de Roy d’Arras, tres-considérable pour sa valeur & pour son sçavoir, envoya à ce Duc3, accompagnée d’un Mousqueton qui tiroit sept coups, dont il luy fit present, apres le combat dont il sortit avec tant d’honneur contre quatre Hommes.

Ballade.

Parmy les Bois & la gaye verdure
Où va cherchant souvent mainte avanture,
Ainsi que vous, tout gentil Chevalier,
Lors qui chez vous vous alliez vous ébatre,
Quatre Assassins venans vous défier,
Vous avez fait (dit-on) le Diable à quatre.
En coucher deux roides morts sur la dure,
Arrester l’un d’une grande blessure,
Et metttre encor en fuite le dernier !
Quoy que blessé, comme un Démon se battre !
Dam Chevalier, on ne le peut nier,
C'est assez bien faire le Diable à quatre.
Les Demy-Dieux si fiers de leur nature,
N'eussent pas fait telle déconfiture,
S'il eust fallu tel péril essuyer.
Celuy qui sçeut tant de Monstres abattre,
N'eust pas osé contre deux s’essayer,
Et vous, Seigneur, faites le Diable à quatre.

Envoy.

Un Mousqueton j’ose vous envoyer,
Avec lequel, s’il vous plaist de combattre,
Vous en pourrez, Seigneur, sept défier,
Apres avoir tant fait le Diable à quatre.

[Mariage de M. le Duc de Sforze & de Mademoiselle de Thiange] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 322-344.

Je devois vous parler au commencement de cette Lettre du Mariage de Mr le Duc de Sforze, & de Mademoiselle de Thiange, puis que la Cerémonie s’en est faite dés le 30. du Mois passé ; mais quand on veut décrire les choses avec une entiere exactitude, on a besoin de temps pour en apprendre toutes les particularitez ; ce qui ne se fait point beaucoup de soins, & mesmes sans de grandes recherches. Vous serez aisément persuadée que je n'ay pas negligé d'en faire, en voyant d'abord la Table genéalogique que je vous envoye de la Maison Sforze, qui se peut vanter d'estre depuis plusieurs Siecles une des premieres d'Italie, & dans l'Alliance de la plus grande partie de ses Princes. Vous n'y trouverez que ce qui regarde les Descendans de Masle en Masle. Comme je n'y ay point marqué les Alliances qui ont esté faites par les Filles de cette Maison, parce que cela auroit esté à l'infiny, vous jugez-bien que je me dispense de parler d'un tres-grand nombre de ce qu'il y a de plus considérable en Italie, dont vous devriez voir les noms dans cette Table. Elle ne se laissera pas de vous faire connoistre que Loüis Sforze qui est celuy dont je vous aprens aujourd'huy le Mariage, a des Alliances qui le rendent Cousin issu de germain de Monsieur le Duc. Ce nouveau Marié est bien fait de sa Personne, quoy que dans un âge un peu avancé. Il a l'humeur agreable, & l'esprit droit et solide. Il est Duc d'Onano dans le Patrimoine de S. Pierre, & de Segni dans la Campagne de Rome, Comte de Santa Fior dans le Terroir de Sienne, & Souverain de Castel Arquato en Lombardie, & de la Sforzesca dans le mesme Patrimoine de S. Pierre. Outre toutes ces terres, le Duc Mario Sforze, Pere de celuy d'apresent, possedoit le Duché de Valmontone dans la Campagne de Rome. Il le vendit aux Seigneurs Barberins onze cens mille Ecus Romains. La nouvelle Mariée méritoit les avantages que ce grand Party luy donne. Vous sçavez qu'elle sort des Maisons de Damas, de Thiange, & de Rochechoüart-Mortemar, Maison aussi Illustre par ses puissantes Alliances, que par sa propre grandeur, & par son ancienneté. Ainsi je n'ay rien à vous dire sur cet Article. Mais si la Naissance rend cette nouvelle Duchesse tres-considérable, elle ne l'est pas moins par sa beauté. Elle l'a vive, touchante, & soûtenuë de tant d'agréement, qu'on ne peut la voir sans estre surpris. Joignez à cela mille autres belles qualitez qu'elle ne sçauroit manquer d'avoir, puis qu'elle est Fille de Madame de Thiange. Je vous dis tout en vous la nommant, estant impossible d'entendre parler de Madame de Thiange, sans concevoir tout ce qu'on peut souhaiter de perfections dans une Dame accomplie. En effet il n'y a rien qui ne charme dans cette merveilleuse Personne, dont l'ame est aussi grande que l'esprit, quoy qu'elle ait l'esprit infiniment élevé. Sa beauté ne vous est pas inconnuë, mais c'est un des moindres avantages de la Maison de Mortemar, où l'on trouve tout ce qui peut contenter les yeux les plus difficiles, comme on y trouve d'ailleurs tout ce que la grandeur d'ame a de plus noble, & de plus digne d'estre admiré. La Cerémonie de ce grand & celebre Mariage commença dès le Samedy 29. de l'autre mois. Le Roy, la Reyne, Monseigneur le Dauphin, Monsieur, Madame, Mademoiselle, Mademoiselle de Valois, Mademoiselle d'Orleans, Madame la Grand' Duchesse, Madame de Guyse, Monsieur le Prince, Monsieur le Duc, Madame la Duchesse, Messieurs les Princes de Conti & de la Roche-sur-Yon, Monsieur de Vermandois, & Monsieur le Duc du Maine, se rendirent dans la Chambre du Roy sur les neuf heures du soir. Les Parens s'y trouverent de part & d'autre, avec quantité de Personnes du premier rang ce qui rendit l'Assemblée si nombreuse, que chacun ne pouvant avoir place, on fut contraint d'ouvrir diférentes Portes qui rendent aux autres Chambres, pour détourner la foule, & soulager ceux dont la présence estoit necessaire. Apres qu'on eut ainsi gagné quelque peu d'espace, le Roy & la Reyne prirent leurs places dans deux superbes Fauteüils, au devant desquels il y avoit une Table richement ornée. Mr de Pompone s'avança, le Contract de Mariage à la main, qu'il venoit de prendre de celle du Notaire qui l'avoit passé auparavant. Il estoit suivy du Secretaire du Cabinet de quartier, qui portoit une Ecritoire d'or garnie de tout. Un des Commis de ce Ministre en portoit une d'argent. Le Roy ordonna aussitost qu'on fist avancer les deux Parties. Mr le Marquis de Lavardin parut dans le mesme temps, menant Mademoiselle de Thiange par la main. Ce Marquis avoit esté choisy par Monsieur le Duc Sforze, comme un des plus proches Parens qu'il eust en France pour l'épouser en son nom. Son Habit estoit de velours noir, tout garny de Dentelles & de Rubans tres-riches. il avoit un tres-beau Bouquet de Plumes, & une Epée garnie de Pierreries. Il ne se pouvoit rien voir de mieux entendu, & toute la Cour en tomba d'accord. Avant la Cerémonie, il avoit envoyé à Mademoiselle de Thiange suivant la coûtume, un Bouquet de Fleurs les plus rares, dans une tres-riche Corbeille, & Mademoiselle de Thiange en avoit fait un présent de devotion. Elle estoit vestuë de satin blanc à fleurs, sous une gaze noire claire & aussi à fleurs, avec une grande queuë. Tout cet ajustement estoit enrichy tant par haut que par bas, d'un nombre infiny de Pierreries. Ils s'approcherent ainsi de la Table, & firent une profonde revérence à Leurs Majestez. Le Roy ordonna aussitost à Mr de Pompone de lire le Contract de Mariage à haute voix. Il n'en lût que le commencement, qui contenoit les qualitez des Parties. La lecture entiere en auroit esté trop longue. Il commença ainsy. Au nom de Dieu ; Le tres-haut, tres-puissant, & tres-illustre Prince Loüis Duc de Sforce.... avec toutes les autres qualitez de sa Maison. Cela ne fut lû qu'afin de faire sçavoir à la Compagnie que le Roy traitoit ce Duc sur le pied des Princes Etrangers. Cette lecture estant faite, le Secretaire du Cabinet mit l'Ecritoire d'or sur la Table, & Mr de Pompone en ayant pris la plume, la mit entre les mains de Sa Majesté, qui signa le Contract de Mariage, & apres Elle, la Reyne, Monseigneur le Dauphin, Mr de Lavardin comme Procureur, Mademoiselle de Thiange, & en suite toute la Maison Royale, & les Parens. Mr de Pompone signa le dernier avec une plume de l'Ecritoire d'argent qu'un de ses Commis avoit portée. À cette Cerémonie succeda celle des Fiançailles, qui fut faite par Mr le Comte de Noyon, Pair de France. Le Roy l'avoit choisy pour faire cette fonction, non seulement parce qu'il estoit un des plus proches Parens de Mademoiselle de Thiange ; mais encor par le rang, qu'il tient entre les plus Illustres Prélats de l'Eglise. Les Fiançailles ne furent pas plûtost achevées, que quantité de Pages du Roy aporterent un fort grand nombre de Bassins de Confitures, qui furent répanduës par tout avec profusion. Le lendemain Dimanche, le Roy avec toute l'Assemblée du jour precédent, se rendit entre midy & une heure dans la Chapelle du Chasteau de Versailles, ornée, & gardée extraordinairement, afin d'empescher la confusion. Toute la Cour s'y trouva fort superbement vestuë. Mr de Noyon estoit en habit Pontifical pour dire la Messe, & faire le reste de la Cerémonie. Toutes choses estant ainsi disposées, le Roy ordonna qu'on fist approcher les Fiancez. Mr le Marquis de Lavardin parut avec un Habit tres-magnifique, & diférent de celuy du premier jour. Mademoiselle de Thiange en avoit un de Toile d'argent relevée d'or en fleurons. Il estoit chargé de Perles & de Rubis, au lieu de Diamans qu'elle avoit le jour precédent, & sa queüe mesme qui estoit fort longue en estoit toute remplie. Ainsi elle en avoit pour plus de six millions sur elle. Ils allerent de cette sorte à l'Autel, où ils se mirent à genoux, ayant tous deux un Cierge à la main, avec cette difference que celuy de Mr de Lavardin seul estoit garny de bas en haut d'Ecus d'or qui furent distribuez aux Pauvres, plus par charité que par coutume. La Messe fut chantée par la Musique du Roy, & la Cerémonie finit par une courte & utile remontrance que fit Mr de Noyon aux Mariez. Elle fut admirée de toute cette grande Assemblée, & sur tout du Roy qui se connoist mieux que Personne aux belles choses. Comme on ne peut estre trop exact sur la signature des quatre Témoins necessaires, ou du moins ordonnez, le Roy se fit apporter sur son prie-Dieu, le Registre de la Paroisse. Il le signa, & le fit signer à la Reyne, à Monseigneur le Dauphin, & à Monsieur le Duc. Mr le Mareschal Duc de Vivonne traita superbement une partie des Parens & des Amis qu'on avoit conviez des deux costez, & entr'autres Mr le Marquis Sforce qui a esté un des principaux Négociateurs de ce Mariage, & qui depuis longtemps a fait connoistre à la Cour de France, & son esprit, & son zele pour les divers interests de sa Maison. Madame de Thiange, Madame de Montespan, & la nouvelle Mariée, eurent l’honneur de dîner ce jour-là mesme avec Sa Majesté, ainsi que Messieurs les Princes du Sang. Immediatement apres le Dîner, la Reyne rendit visite à Madame la Duchesse Sforce qui reçeut aussi les complimens de tout ce qu’il y a de plus qualifié à la Cour. Le soir cette nouvelle Duchesse alla rendre ses devoirs à la Reyne, & fut mise en possession de tous les rangs, & honneurs dont joüissent les Princesses Etrangeres. Elle n’oublia pas les liberalitez accoutumées en de pareilles occasions. La journée finit par un Bal dans la nouvelle Salle de Marbre, ornée de Lustres d’argent, & de tout ce qui pouvoit enrichir un Appartement si superbe. Le Roy l’ouvrit avec Madame la Duchesse Sforce.

[Air de M. Charpentier] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 347-348.

Vous ne serez pas fâchée de voir pour la seconde fois un Madrigal que vous avez déja lû avec plaisir, puis que je vous le renvoye mis en Air par Mr Charpentier. Comme ces sortes d’Ouvrages parlent d’eux-mesmes, je vous laisseray juger à l’avenir de leur bonté, & me contenteray de vous en nommer les Autheurs.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah qu’on est malheureux d’avoir eu des desirs, doit regarder la page 347.
Ah, qu’on est malheureux d’avoir eu des desirs,
D’avoir fait de l’amour ses plus charmans plaisirs,
Quand il faut renoncer à l’ardeur qui nous presse !
On ne peut oublier ce qui nous a charmé,
On ne gouverne pas comme on veut la tendresse.
Heureux qui peut haïr ce qu’il a bien aimé.
images/1678-11_347.JPG

[Anne de Bretagne, de M. Ferrier, représentée à l’Hostel de Bourgogne] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 348-349.

Anne de Bretagne, dont l’Hôtel de Bourgogne nous a déja donné quelques Représentations, est la premiere Piece nouvelle qui ait paru au Theatre de cet Hyver. Elle est de Monsieur Ferrier. Les Vers en sont fort aisez, & les pensées naturellement exprimées. Il y a des endroits dans la peinture qu’on y fait de Charles VIII. tres-finement tournez à l’avantage du Roy. Leurs Altesses Royales l’ont esté voir, & en sont sorties fort satisfaites.

[La Secchia rapita, Poëme Italien traduit par M. Perraut] §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], p. 349-350.

On nous vient de donner en nostre Langue un des plus beaux Ouvrages d’Italie, qui n’y avoit point encor esté traduit. C'est la Secchia rapita du Tassoni. Mr Perraut qui en a fait la Traduction, a mis le Poëme Italien d’un costé, afin de ne rien oster à ceux qui l’entendent assez, pour bien gouster toutes les graces de l’Original. Il est digne Frere de Mr Perraut de l’Académie Françoise, & de celuy qui a traduit Vitruve. Nous luy sommes d’autant plus obligez de la peine qu’il s’est donnée, que ce Poëme estant moitié burlesque, & motié sérieux, il y a des endroits fort difficiles à estre entendus. Le sujet en est fondé sur la Guerre qui s’éleva entre ceux de Boulongne & de Modene, au temps de l’Empereur Federic II. On prétend que ce fut à l’occasion d’un Seau de bois, qu’on a toûjours conservé depuis ce temps là dans l’Eglise Cathédrale de Modene. On le voit encor suspendu à la voûte de la Salle avec une chaîne de fer, dont on se servoit pour fermer la Porte de Boulogne, par laquelle les Modénois entrerent quand ils ravirent ce Seau.

À Paris ce 30. Novembre 16794.

Avis pour toûjours §

Mercure galant, novembre 1678 [tome 11], non paginé.

Avis pour toûjours.

On prie ceux qui envoyeront des Memoires où il y aura des Noms propres, d’écrire ces Noms en caracteres tres-bien formez & qui imitent l’Impression, s’il se peut, afin qu’on ne soit plus sujet à s’y tromper.

On prie aussi qu’on mette sur des papiers diférens toutes les Pieces qu’on envoyera.

On reçoit tout ce qu’on envoye, & l’on fait plaisir d’envoyer.

Ceux qui ne trouvent point leurs Ouvrages dans le Mercure, les doivent chercher dans l’Extraordinaire ; & s’ils ne sont dans l’un ny dans l’autre, ils ne se doivent pas croire oubliez pour cela. Chacun aura son tour, & les premiers envoyez seront les premiers mis, à moins que la nouvelle matiere qu’on recevra ne soit tellement du temps, qu’on ne puisse differer.

On ne fait réponse à personne faute de temps.

On ne met point les Pieces trop difficiles à lire.

On recevra les Ouvrages de tous les Royaumes Etrangers, & on proposera leurs Questions.

Si les Etrangers envoyent quelques Relations de Festes ou de Galanteries qui se seront passées chez eux on les mettra dans les Extraordinaires.

On avertit que le Sieur Blageart a presentement une Boutique dans la Court Neuve du Palais, vis-à-vis la Place Dauphine, AU DAUPHIN, où l’on ne manquera jamais de trouver toute sorte de Volumes en telle Reliure qu’on les voudra.

Il donnera tous les Volumes de l’année 1678. & les Extraordinaires à Trentes sols reliez en veau, & à vingt-cinq reliez en parchemin.

Les dix Volumes de l’année 1677. se donneront toûjours à Vingt sols en veau, & à Quinze en parchemin.

On donnera un Volume nouveau du Mercure Galant le premier jour de chaque Mois sans aucun retardement.

L'Extraordinaire du Quartier d’Octobre se distribuëra le 15. Janvier 1679.

On prie qu’on affranchisse les Ports de Lettres, & qu’on les adresse toûjours chez ledit Sieur Blageart, Imprimeur-Libraire, Ruë S. Jacques, à l’entrée de la Ruë du Plastre.

On ne met point d’Histoires qui puissent blesser la modestie des Dames, ou desobliger les Particuliers par quelques traits satyriques.

On a beaucoup de Chansons. Elles auront toutes leur tour, si on apprend qu’elles n’ayent pas esté chantées. C’est pourquoy si ceux par qui elles ont esté faites veulent qu’on s’en serve, ils les doivent garder sans les chanter & sans en donner de copie jusqu’à ce qu’ils les voyent dans le Mercure.