1679

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d'octobre 1678 (tome IV).

2014
Source : Extraordinaire du Mercure galant, Claude Blageart, quartier d'octobre 1678 (tome IV).
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition), Alexandre De Craim (Édition numérique), Vincent Jolivet (Édition numérique) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Extraordinaire du Mercure Galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV). §

[Avant propos] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 1-2.

JE ne vous diray rien, Madame, pour vous préparer au plaisir que vous devez recevoir de ce Quatriéme Extraordinaire. Il suffit que vous vous souveniez qu’il est composé des Ouvrages de quantité de Gens d’esprit qui m’ont fait la grace de me les envoyer & de Paris & des Provinces, & que je n’y ay aucune pars que celle de vous en faire un Recueil.

[« Ce qu’on m’a fait voir écrit sur le Mercure d’Octobre »] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 2-5.

Je commence par ce qu’on m’a fait voir écrit sur le Mercure d’Octobre.

J'Attendois le Mercure avec impatience,
J'aspirois à le voir dans tout son enjoûment :
Il vient m’entretenir ; helas ! que sa présence
    Me donne de contentement !
    Il ne parle plus de vacarmes,
    Il éloigne le bruit des Armes,
Il renonce aux Combats pour annoncer la Paix.
    Le plus grand Prince de la Terre
La donne à l’Univers pour combler nos souhaits,
Apres avoir esté le foudre de la Guerre.
Les Muses de Soissons en goûtent les douceurs,
Et l’on ne peut juger par leur galant Idylle.
La netteté des Vers, & l’agrément du stile,
Font voir que leur ouvrage est celuy des Neuf Sœurs.
    Toutes les Muses heroïques
Accompagnent LOUIS dans les Destins tragiques
Qu'il a fait ressentir à ses fiers Ennemis ;
Et celles dont l’esprit est doux & pacifique,
    Chantent ce Prince magnifiques
Qui se fait un plaisir d’estre de leurs Amis.
L'ombre de Charles-Quint se fait assez connoistre,
Elle est d’un bel Esprit le chef d’œuvre achevé ;
    Jamais rien ne fut mieux trouvé,
Et jamais fiction ne mérita mieux d’estre.
    L'infidelité des Ruisseaux
    Est naturellement écrite,
Et je crains à la fin que Tyrcis ne me quitte,
S'il continuë à boire de leurs eaux.
Les Lettres qu’on écrit sur l’Enigme en figure,
    Me prédisent ce changement.
Si la prédication semble estre une avanture,
Il faut vous la prouver, écoutez un moment.
Memnon* figure mon Amant.
    Pourveu que la lumiere dure,
    Il marquera fidellement.
Mais las ! si par malheur quelque nüage sombre
Obscurcit le Soleil, le couvre de son ombre,
    Memnon perdra son mouvement,
    Tout de mesme de mon Amant.
Fredinie, de Pontoise.

A Mademoiselle D. B. §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 5-9.

Les Pieces qui suivent portent leur recommandation par elles-mesmes, & je n’ay point à prévenir vostre jugement en leur faveur.

A Mademoiselle

D. B.

En luy envoyant un petit Amour de cire aux Etrennes.

NE refusez pas à ce petit Amour, belle Iris, la retraite qu’il va chercher dans vostre Maison. Il y auroit de la cruauté de le laisser morfondre à vostre porte, luy qui va tout nud, & dans un temps où les mieux fourrez ont bien de la peine à se garantir du froid. Au reste c’est l’Hoste du monde le plus agreable & le moins incommode. Il ne vous coustera guére à nourrir. Il ne vit que de carresses, de baisers, de petits mots tendres, d’esperance, & mesme quelquefois de soûpirs, quoy que ce soit une viande assez creuse pour luy. Quand vous serez mélancholique, il sçaura le moyen de vous égayer. Il vous dira cent jolies choses. Il en sera encor de plus plaisantes, comme de sauter dans son Arc, avec une adresse qui n’est pas moindre que celle de ces Singes qui sautent dans un cerceau à la Foire Saint Germain. Il fera aussi des tours de passe-passe, & il joüera des Gobelets dans son Carquois qui luy sert de Gibeciere. Il occupe si peu de place, que vous pourrez le loger avec tout son équipage dans un Cabinet d’Allemagne, & son Apartement sera assez spacieux & assez commode, pourveu qu’il ait un demy-pied de tour. Ah croyez moy, belle Iris, c’est un avantage tres-grand d’avoir ainsi un Amour à ses gages ; & sur tout une Personne qui comme vous, veut donner de l’amour à tout le monde sans en prendre, a bien besoin qu’un Amour dépende d’elle, car autrement l’Amour ne l’épargneroit pas : mais il n’ose rien entreprendre sur sa Bienfaitrice. Vous pouvez juger de là, que je vous fais un present qui pourra m’estre funeste, puis qu’ayant cet Amour sous vostre puissance, vous luy commanderez ce qu’il vous plaira, & que j’ay tout sujet d’estre persuadé que vous ne luy commanderez rien à mon profit. Il n’osera vous desobeïr dans la crainte que vous ne le fassiez jeûner, ou que vous ne luy retranchiez les douceurs dont il a accoûtumé de se nourrir. Tout ce que j’espere donc en cette occasion, est que considerant quelquefois les petits services qu’il vous rendra, vous vous souviendrez peut-estre que celuy qui vous l’a donné est vostre, &c.

Alcidon.

Edit de l’Amour §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 9-21.

Edit de l’Amour.

    L'Amour Maistre de l’Univers,
    Par la grace de la Nature,
    A tous ceux qui liront ces Vers,
    Salut & galante avanture.
    Tout le monde connoist assez,
    Sans qu’il soit besoin de le dire,
    Les abus qui se sont glissez
    En divers lieux de nostre Empire.
    Nous avons diferé cent fois
    D'y remedier par nos Loix,
Tantost persuadez qu’au milieu des allarmes,
    Du tumulte, & du bruit des armes,
On n’entendroit pas notre voix,
Et tantost occupez à vaincre par nos charmes,
Certains cœurs refusans de nous payer nos droits.
    Mais parce que sur tout en France,
Comme dans le Climat que nous aimons le plus,
Et l’ordinaire lieu de nostre résidence
Il nous est important de regler ces abus,
Qu'avoit des derniers temps introduit la licence ;
    Apres que pendant plusieurs jours
    Nous avons eu sur cette affaire
    L'avis de Vénus nostre Mere,
    Et de nos Freres les Amours ;
    Enfin dans nostre Cour pleniere,
Seant avec les Jeux, les Graces & les Ris,
    Nous avons reglé la maniere
Dont nous voulons qu’on aime en l’Empire des Lys.

I.

Celuy qu’auront charmé les attraits d’une Belle,
Devra pour observer quelque forme avec elle,
Faire parler ses soins dans les commencemens ;
Mais s’il veut qu’on réponde à son ardeur extréme,
    Ils n’en parleront pas longtemps,
    Sans qu’il en parle aussi luy-mesme.

II.

    S'abandonner à la langueur
    Dans une passion naissante,
Est un moyen mal-propre à s’introduire au cœur ;
    La joye est plus insinuante.
C'est pourquoy nous voulons que les nouveaux Amans,
    Malgré la regle des Romans,
    Prennent desormais cette voye.
Mais lors que de leurs soins ils verront qu’on fait cas,
Certains alors de ne déplaire pas,
Qu'ils fassent succeder la langueur à la joye ;
Qu'ils fassent entrevoir quelques chagrins legers,
    Enfin qu’ils parlent, & qu’on croye
    Qu'ils ne parlent point aux Rochers.

III.

La coûtume d’écrire autrefois établie
    Par quelques timides Amans,
Qui n’osoient teste-à-teste avoüer leurs tourmens,
Nous voulons desormais qu’elle soit abolie.
Quand d’une vaine peur un Amant alarmé
    N'ose dire en face qu’il aime,
Il trahit son devoir, il se trahit luy-mesme,
    Et n’est pas digne d’estre aimé.

IV.

Ce ne sont ny les soins, ny le respect extréme,
    Ny les soûpirs ny les pleurs mesme,
    Qui font croire qu’on est Amant :
    Pour bien persuader qu’on aime,
    Il ne faut qu’aimer seulement.

V.

Du reste on ne doit pas s’attendre
Que nous nous arrestions à vouloir éclaircir
Comme il faut declarer une passion tendre ;
On auroit plus de peine à n’y pas réüssir,
    Qu'on n’en auroit à s’y bien prendre.
Qu'en ce point donc chacun suive son propre sens,
    Assuré par l’Amour luy-mesme,
Qu'il est bien mal aisé de dire que l’on aime,
    Et de le dire à contretemps.

VI.

Si l’aveu qu’un Amant aura fait de sa flâme,
    Fâche, ou semble fâcher sa Dame,
Qu'il témoigne en avoir une extréme douleur,
    Mais qu’en son ame il la modere,
    Comme il doit juger qu’en son cœur
    Elle modere sa colere.

VII.

Ce n’est pas toutefois qu’il faille que l’Amant
Ait si peu de chagrin du courroux de sa Belle,
Qu'il se montre insensible à ce qui viendra d’elle,
    Soit fierté, soit déguisement.
Se vouloir appliquer à faire une conqueste,
    Et garder toute sa froideur,
C'est avoir bien plutost un dessein dans la teste,
    Qu'une passion dans le cœur.

VIII.

Qu'il luy témoigne donc qu’il se fait un supplice
De sa moindre froideur, de son moindre caprice,
Et qu’il craint sa colere à l’égal du trépas,
    Mais que quelquefois il agisse
    Comme s’il ne la craignoit pas.
    C'est une maxime eternelle,
    Que si jamais il ne fait rien
    Pour se mettre mal avec elle,
    Jamais il ne s’y mettra Bien.

IX.

    Mais de tout ce qu’il pourra faire,
    S'il veut apprendre à bien juger,
Qu'il consulte les yeux qui sçeurent l’engager,
    C'est dans les yeux de la Bergere
    Qu'on connoist l’Heure du Berger.
C'est là qu’on peut sçavoir comme il faut qu’on profite
    Des bons mouvemens qu’elle aura ;
L'Heure en chiffres d’amour dans ses yeux est écrite,
    Et qui sçait bien lire, lira.

X.

    Que si par une ardeur discrete
    On vient à conquerir un Cœur,
Et que par une heureuse & derniere défaite
    On ait en habile vainqueur
    Rendu sa victoire complete ;
Que sans se relâcher de sa premiere ardeur,
On se fasse toûjours un souverain bonheur
    De la conqueste qu’on a faite.
    Un Ennemy qu’on a réduit
    Donne sans doute de la gloire ;
Mais en vain on remporte une illustre victoire,
Si par sa negligence on en corrompt le fruit.

XI.

Quelque bien qu’on puisse estre avecque sa Maistresse,
Nous voulons que l’on garde un certain procedé
    Plein de soin, de délicatesse,
    Où toûjours avec la tendresse
    Le respect soit accommodé.
C'est par là qu’un Amant dans le cœur s’insinuë,
Et c’est aussi par là qu’il faut qu’il continuë,
S'il ne veut que bientost on cesse de l’aimer.
Veut-on d’un bel Objet entretenir la flame ?
    Il faut la nourrir dans son ame
Par les mesmes moyens qui sçeurent l’allumer.

XII.

Aussi pour exciter tout le monde à bien faire,
    Nous desavoüons hautement
    Toute espece d’attachement
    Qui n’aura point ce caractere.
    Lors que la Maistresse & l’Amant
    Tombent dans le relâchement
    D'une honteuse nonchalance,
    Ou que le seul emportement
    A formé leur intelligence
    Alors pour parler promptement
    Du commerce qu’ils ont ensemble,
Ce n’est plus en effet l’Amour qui les assemble,
    Ce n’est qu’un fol amusement.

XIII.

    S'il faut qu’un Démeslé survienne,
    Comme il ne manquera jamais,
    Que toûjours l’Amant se souvienne
De chercher le premier à refaire sa paix.
On peut ou part dépit, ou par délicatesse,
Contre les autres Gens tenir jusqu’à la mort ;
    Mais il faut contre sa Maistresse
    Croire toûjours que l’on a tort.

XIV.

Souvent pour réchauffer une ardeur languissante,
    Un peu d’absence fait grand bien ;
Mais lors qu’elle est trop longue, ou devient trop frequente,
    Le remede alors ne vaut rien.
    Enfin pour dire davantage,
    Il est dangereux d’estre absent,
    Car il est plus d’un cœur volage,
Qui pareil au miroir, ne conserve l’image
    Que tant que l’Objet est present.

XV.

    Comme souvent la jalousie
Trouble de nos Sujets la Paix & le bonheur,
Et que nous n’avons rien qui nous soit plus à cœur
Que de bien assurer la douceur de leur vie,
    Nous leur recommandons à tous
D'éviter, s’il se peut, de devenir jaloux.
    C'est tout ce que nous pouvons dire,
Car enfin là-dessus que pouvoir ordonner,
Si loin d’avoir quelque chose à prescrire,
Nous ne sçavons pas mesme un conseil à donner ?

XVI.

    Si quelqu’un bien traité des Belles
    Fait des faveurs qu’il obtient d’elles
    Un trophée à sa vanité,
    Qu'il soit par tout si maltraité,
    Qu'il ne trouve que des cruelles.
Publier les bienfaits qu’on reçoit de quelqu’un,
    C'est, suivant l’usage commun,
De la reconnoissance une marque tres-claire ;
    En amour, c’est une autre affaire,
On la fait mieux paroistre à les dissimuler.
Enfin l’ingratitude est ailleurs à se taire,
    En amour elle est à parler.

XVII.

    Ceux qui joüant la Comédie
    Sous le personnage d’Amans,
    En tous lieux content des tourmens
    Qu'ils n’ont ressentis de leur vie,
Ont encouru par là nostre couroux entier,
    Et nous voulons qu’en conséquence
    Tous nos Sujets qui sont en France
    Leur courent sus sans nul quartier.

XVIII.

    Les Graces, ces Filles charmantes,
S'estant plaintes à nous que depuis deux mille ans
    Les Poëtes & les Amans
    En sont d’eternelles Suivantes :
    Nous, considerant meûrement
    Que sans elles rien ne peut plaire,
Et que nous ne regnons que par leur ministere,
    Nous defendons expressément
    A tout Poëte, à tout Amour,
De les traiter jamais d’une telle maniere,
    Et voulons que doresnavant,
    Au lieu de demeurer derriere,
    Elles passent toûjours devant.

XIX.

    Nous voulons que ces Ordonnances,
    Reglemens, Status, & Defences,
S'observent desormais dans l’Empire François,
    Comme d’inviolables Loix,
    Sans qu’on puisse aller au contraire ;
    Car tel est nostre bon plaisir.
    Que si quelqu’un trop temeraire
    Contrevient à nostre desir,
    Pour voir son audace suivie
Du plus grand chastiment qui puisse estre exprimé,
    Qu'il soit Amant toute sa vie,
    Et qu’il ne soit jamais aimé.

Fiction sur l’origine de l’Horloge de Sable, traitée par métamorphose §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 22-38.

Fiction

sur l’origine de

l’Horloge de Sable, traitée

par métamorphose.

A Mademoiselle ***

SUr les bords de la Mer Egée, assez proche de la Ville d’Athenes qui estoit alors troublée de factions populaires, Psammette, jeune Seigneur d’un grand mérite, & d’un génie aussi subtil qu’il en fut jamais, s’estoit fait une paisible retraite d’une Maison de Campagne, où l’étude des merveilles de la Nature faisoit sa principale occupation. Lors qu’il y pensoit le moins, une affaire de la derniere importance le tira de son cher Desert, & l’obligea d’aller à Athenes. Comme tout Solitaire qu’il estoit il n’avoit rien de sauvage, & qu’au contraire il estoit civil & commode, il vescut à la Ville comme y doit vivre un galant Homme ; & quand ses affaires luy en donnoient le loisir, il voyoit tout ce qui méritoit d’estre veu. Il y avoit alors à Athenes deux Nimphes qui effaçoient toutes les autres. Leur esprit répondoit à leur beauté ; elles avoient un extrême brillant, & une merveilleuse délicatesse, & cependant elles estoient si sinceres, qu’on voyoit, pour ainsi dire, tout ce qui se passoit dans leur cœur : mais ce qui estoit extraordinairement surprenant & un veritable prodige, c’est qu’elles se ressembloient si parfaitement de traits, de teint, de taille, de manieres, d’esprit & d’humeur, que les Siecles passez n’ont jamais veu, ny la Posterité ne verra peut-estre jamais, une ressemblance si achevée. L'une s’appeloit Lamprose, & l’autre Phanerie. Psammette les vit pour la premiere fois toutes deux ensemble. Il fut surpris & charmé, & il les aima dés ce moment autant que l’on peut aimer, mais également, & sans plus de panchant pour l’une que pour l’autre. Il leur témoigna sa passion avec les mesmes ardeurs, & leur rendit les mesmes services & les mesmes assiduitez. Les Nimphes de leur costé eurent pour luy toute l’estime qu’il pouvoit desirer, & il fut assez heureux pour s’appercevoir dans la suite, que cette estime estoit quelque chose de plus fort que ce qu’on sent pour les Gens qu’on ne fait simplement qu’estimer. Un jour qu’il vouloit entretenir Lamprose de son amour, elle l’interrompit en luy reprochant qu’il en contoit tout autant à Phanerie. Estant vertueux & sincere, il n’eut garde de le nier. Je ne prétens, luy dit-il en vous aimant l’une & l’autre, que l’honneur de vous servir, & cependant j’ateste les Dieux qu’il n’y eut jamais d’amour ny plus ardent, ny plus tendre que le mien. Je ne voy entre vous aucune raison de présence ; mais tout ce que je voy m’entraîne necessairement vers toutes deux, & je sens bien que j’y seray éternellement & également attaché, & que je ne seray jamais à pas une autre. A bien considerer les choses, poursuivit-il, ce n’est point un partage. C'est n’aimer qu’un mesme objet. Ainsi ne condamnez point un procedé, qui par une merveille aussi étrange que vostre parfaite ressemblance, est en moy tout à la fois un effort d’amour, d’équité & de raison, & apres tout un decret inviolable des Dieux immortels. Lamprose ne répondit à ce discours de Psammete que par quelques soûpirs. Quelque temps apres Phanerie luy ayant fait le mesme reproche, il luy fit aussi le mesme aveu. La jalousie augmentoit cependant au cœur de nos Belles, & un jour qu’ils estoint tous trois ensemble, & que Psammete agissoit avec la mesme égalité ; Mais Psammete, luy dit Phanerie, vous voyez que l’une & l’autre nous ne manquons pas d’Amans, qui nonobstant cette ressemblace dont vous prétendez faire valoir vos raisons, s’attachent seulement à l’une de nous sans qu’ils s’adresse jamais à l’autre. Ce que vous me dites, répondit Psammete, n’a rien qui détruise mes raisons, au contraire c’est ce qui me justifie entierement. La détermination de ces Amans vous fait autant d’injure que mon égalité vous rend de justice. Ils vous distinguent parce qu’ils ne voyent en l’une ou en l’autre qu’une partie de vos grandes qualitez, & qu’elles ne font impression sur eux qu’à leur maniere, c’est à dire tres-imparfaitement. Il y en a beaucoup qui leur échapent ; ainsi vous devez croire que ce qu’ils reconnoissent en l’une, ils le trouvent à dire en l’autre ; mais s’ils voyoient toutes vos perfections comme je les voy, il faudroit de necessité qu’ils fissent tout ce que je fais. Ces trois Illustres Personnes estoient de belles & de grandes Ames qui agissoient de bonne-foy, & qui se rendoient sans peine à la raison ; ce qui fit que la fidelle égalité de Psammete ne fut plus contredite, & que les Nimphes s’y accoûtumerent. De cette sorte ils vivoient assez heureux dans une intelligence qui leur faisoit goûter une partie des plus solides plaisirs de l’amour, sans en ressentir jamais les chagrins, lors que le Peuple d’Athenes se vit malheureusement partagé en deux factions, ausquelles toutes les autres s’estoient réünies. La Maison de Lamprose estoit dans l’une, & celle de Phanerie dans l’autre. Il arriva que la premiere de ces Factions emporta le dessus en peu de temps. Que croyez-vous que fit Psammete dans une si embarassante occasion ? Une chose qui vous surprendra sans-doute. Il ne hesita [sic.] pas un moment à se précipiter, pour ainsi dire, vers Phanerie, & à luy tenir compagnie tres-fidelle. Lamprose en fut touchée, & ne put s’empescher de luy en témoigner du dépit. Psammete avec son ingenuité ordinaire, luy donna encor, ou du moins prétendit luy donner de bonnes raisons. Vous sçavez, luy dit-il, que les Loix de Solon defendent absolument de demeurer neutre, & nous obligent indispensablement à prendre party dans de pareilles occasions. Ce que je fais n’en est pourtant qu’une simple démonstration, mon cœur est toûjours également à vous deux, & vous voyez mesme que pour ce qui est de vous je ne vous perds jamais de veuë ; je ne donne ma presence & mes soins apparens à Phanerie plútost qu’à vous, que parce qu’elle est aujourd’huy dans l’abatement & dans l’affliction. Ce seul point d’inégalité qui est presentement entre l’une & l’autre, & qui ne change rien de tout ce que vous estes par vous mesmes, est la raison de la mienne qui ne fait aussi aucun changement au dedans de moy ; & enfin ces soins exterieurs sont si peu de chose, que vostre gloire & vostre élévation vous en doivent consoler de reste. A ce compte-là, répondit Lamprose, l’on ne pouroit donc esperer le retour de cette presence & de ses soins, que par une révolution qui me mettroit à la place de Phanerie, & elle à la mienne ? Cela pourroit bien estre, répondit-il, & je vous prie d’attendre au moins jusques-là à me condamner d’inconstance. La tendresse de nos Nimphes pour Psammete leur faisoit preferer son amour à tous les avantages de la fortune. C'est pourquoy ce discours donna de la crainte à Phanerie, & de l’esperance à Lamprose. L'effet suivit bien-tost apres ; & comme la Faction humiliée vint à l’emporter à son tour sur celle qui avoit prévalu d’abord, & que ces révolutions arriverent ensuite plusieurs fois, Psammete fit toûjours compagnie à celle des deux qui se trouvoit dans le party inferieur. De tels changemens estant toûjours l’effet de la constante égalité de Psammete, Lamprose & Phanerie luy rendirent justice, & témoignerent d’estre satisfaites de luy sur ce point ; mais ce qui leur tenoit au cœur estoit cette précipitation à faire retraite ; elle marquoit à leur sens de la dureté ; elles avoient, comme je vous l’ay dit, beaucoup de délicatesse, & elles estoient pour les longs Adieux. Psammete de son costé n’avoit pas peu de chagrin de celuy que causoit à de si cheres personnes, cette fatalité par laquelle il se sentoit entraîné dans ces sortes de rencontres. Le déplaisir qu’ils eurent des malheurs continuels de leur Partie, les fit résoudre tous trois d’avoir recours aux Dieux, & de remettre leurs destinées entre leurs mains. Ils allerent pour cet effet à un petit Temple qui n’estoit pas éloigné, & qui comme beaucoup d’autres, mesme comme celuy de Delphes, n’estoit en ce temps-là qu’une petite Hutte de feüillée & de bois, consacrée aux Divinitez des lieux. Celuy-cy estoit dedié à Minerve & aux Heures. Psammete, comme vous pouvez-bien penser, y alla de compagnie avec celle des deux Nimphes qui n’estoit pas de la Faction dominante. Ils firent leurs prieres avec ardeur, & voicy comme il plût aux Déesses d’en disposer. Psammete fut insensiblement changé en Sable, & les deux Nimphes en deux Urnes de Cristal, chacun retenant ainsi quelques-unes des qualitez qu’ils avoient eües pendant la vie. Le petit Temple mesme doucement détaché & réduit a une juste proportion, fut abandonné à ces Illustres Métamorphosez en récompense de leur vertu & de leur pieté, celle des Athéniens en ayant déja préparé un plus solide à nos Déesses, lesquelles pour avoir fait ce don, ne laissent pas d’y présider encor, puis que les Heures y rendent leurs Oracles à l’honneur de la Sagesse & de la Science. Cette vicissitude à laquelle nostre Héros & nos Heroïnes avoient esté sujets, sembla à ces mesmes Déesses quelques chose de si rare, qu’elles ne voulurent point la faire cesser : mais faisant reflection sur le déplaisir de Lamprose & de Phanerie au sujet du trop prompt départ de Psammete, elles luy reglerent un temps certain pour faire ses Adieux. L'utilité qui revient de la connoissance de cet espace de temps, est le prix dont ils reconnoissent celuy de qui la main favorable & officieuse, se porte à les consoler tous trois par de reciproques retours ; & quoy qu’il arrive quelquefois que l’une des Nimphes possede longtemps Psammete, il est toûjours vray qu’un revers qui ne manque pas d’arriver donne le mesme avantage à l’autre. De sorte que tout bien compensé, il se trouve que les équitantes Déesses ont eu soin de maintenir l’égalité que Psammete avoit si fidellement observée. Je souhaite, Mademoiselle, que cette Fable puisse vous plaire ; que s’il vous restoit quelque scrupule sur la bonté des raisons de Psammete, songez s’il vous plaist à cet Illustre Amant qui s’est enfin acquis un droit legitime sur vostre coeur, & rendez graces au Ciel de ce qu’avec tant de perfections il ne vous a point donné de semblable, &c.

Cette Fable est de Mr Gardien, Secretaire du Roy.

[Deux Sonnet, l’un de Mr  le Marquis de Vienne du Comté de Tonnerre, et l’autre de l’Hermite de Sincey proche Chauny] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 38-40.

Mr  le Marquis de Vienne du Comté de Tonnerre, a fait le premier des deux Sonnets qui la [la Fable précédente] suivent. L'autre est de l’Hermite de Sincey proche Chauny.

Sonnet.

Malgré mes vœux & mes sermens,
Iris, je suis prest à me rendre ;
Amarillis veut entreprendre
De voler un de vos Amans.
Sur mon cœur dans quelques momens
Vous n’aurez plus droit de prétendre :
Sans vous il ne peut se défendre
Contre des appas si charmans.
En vain pour vous estre fidelle
Il tâche à resister contr'elle
Toute la constance s’abat,
Mais si pour soûtenir sa gloire
Vous vous meslez dans le combat,
Je vous répons de la victoire.

Sur l’Indiference.

Sonnet.

Tout m’est indiférent, rien ne me touche plus.
J'adorois autrefois les beautez de Silvie,
Bacchus me sçeut oster cette amoureuse envie,
Mais je fuis maintenant & l’Amour & Bacchus.
Je trouve dans les Vers un langage confus,
La Dance me déplaist, la Musique m’ennuye,
La Chasse est un travail incommode à ma vie,
Et le Cours ny le jeu ne me sont pas connus.
De mon sort, cher Damon, voy les divers caprices,
Qui ne me laisse plus icy bas de delices ;
La seule Indiférence a droit de me charmer.
Mais que dis-je ? ô l’état & bizarre & pénible !
Je ne puis pas pour elle estre mesme sensible,
S'il faut pour elle encor me résoudre d’aimer.

Feste Galante §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 41-56.

Feste Galante.

A Rheims.

Je n’eus pas plûtost reçeu vostre dernier Extraordinaire, que j’allay rendre une visite à Madame de... . Apres les premiers complimens je luy presentay vostre Livre. Elle l’ouvrit, & tomba sur la Feste galante que vous proposezI. Le dessein luy en plût. Elle témoigna mesme qu’elle vouloit y travailler ; si-bien que le lendemain retournant chez elle, elle me lût ce qu’elle avoit écrit sur cette matiere. J'obtins d’elle la permission d’emporter son Papier, & d’en transcrire ce qui suit.

Tandis que tout le monde esotoit attentif à ce que la Renommée publioit touchant les derniers Exploits de nostre Invincible Monarque, l’Amour s’affligeoit de ce qu’on n’en devoit pas esperer si-tost la Paix. Il la vit pourtant quelque-temps apres, lors qu’une lumiere fut assez forte pour penetrer son bandeau. Il voulut sçavoir d’où partoit cette lumiere. Il leva ce voile qui luy cache les yeux, & reconnut la Paix. Aussi-tost transporté de joye il vola vers elle. Il l’aborda au milieu des acclamations publiques, & en suite il la conduisit dans un Palais enchanté. N'en doutez point, luy dit-il, je n’ay pas moins de joye de vostre arrivée, que les Mortels en peuvent avoir. Si vous l’agréez, je signaleray le plaisir que j’en ressens par une Feste où j’inviteray toutes les Divinitez. La Paix ayant témoigné y consentir, l’Amour ordonna à des Zéphirs d’aller prier les Dieux de se trouver aux divertissemens qu’il préparoit, & employa le reste de sa suite tant à ajoûter de nouveaux ornemens à son Palais, & à le rendre pompeux & brillant, qu’à accommoder un Festin propre & magnifique. Les Zéphirs s’estant acquitez des ordres qu’ils avoient reçeus, assurerent l’Amour que pas-une Divinitez ne manqueroit à se rendre à la Feste, à l’exception de Mars & de la Gloire. Ils disoient que la Gloire s’en defendoit sur ce qu’elle n’abandonne point Loüis le Grand, & que Mars s’estant retiré avec la Discorde dans le Palais de l’Envie, estoit résolu à n’en point sortir. Ce Dieu de la Guerre, ajoûterent les Zéphirs, est tellement chagrin de ce que son regne se passe, qu’il n’est plus capable que d’estre un Trouble feste. L'Amour content de n’avoir rien à desirer davantage, se disposa à recevoir les Dieux autant bien qu’il luy seroit possible. Dés qu’ils furent arrivez il commanda qu’on servist sur Table de l’Ambrosié déguisé de plusieurs manieres. Tout y estoit régulier. Il n’y avoit qu’une chose où l’Amour ne démentit point son caractere, & montra que comme un Enfant il luy échape toûjours de badiner. Il s’estoit plû à donner à Jupiter & à Junon des Fauteüils de couleur de Prince ; à Cybelle, un de feüille-morte ; à Saturne, un de couleur d’Olive. Plutus estoit le seul qui en avoit un de drap d’or. Cerés en avoit un de couleur de paille ; Neptune un de couleur perse ; la Fortune un de couleur de gorge de Pigeon. Le Blanc estoit pour la Vertu ; le bigarré pour Mercure ; Bacchus avoit le rouge ; Pluton & Prosperine le noir ; Vulcain le jaune ; Apollon une couleur tirant sur l’or pâle ; Pan & Diane la couleur de bois ; Vénus le gris de perle ; Momus un Broccard de la couleur de son Bonnet, c’est à dire de couleur verte, & l’Amour s’estoit reservé la couleur de chair. Quant au Dieu Termes il estoit debout à l’extremité de la Table, & Silene avoit sa place au Buffet. Aussi-tost qu’on fut assis, Momus remarqua que Mars estoit absent. Il nous manque aujourd’huy disoit-il, un Rodomont qui n’a rien que de fier, & qui est ennemy de la joye. Jupiter voyant que Vulcain vouloit encherir sur ce que Momus avançoit, & que cela iroit trop loin, prit le party de Mars, & soûtint qu’on ne pouvoit trop estimer un Dieu qui avoit rendu Loüis le Grand si glorieux, puis que la Fortune elle-mesme avouëroit qu’elle n’a eu aucune part aux Actions de ce Héros, & que tout estoit dû à ses belles qualitez. Jupiter ajoûtoit à cela, que comme il ne se faisoit pas toujours connoistre aux Hommes par son Tonnerre, ainsi ce Conquérant qui est né pour la Paix aussi bien que pour la Guerre, se signaleroit autant à l’avenir par sa clemence, que jusqu’à-present il s’estoit signalé par sa valeur ; & puis montrant l’Aigle Impériale, dans l’Impossibilité de nuire elle seule aux Lys, seroit bien-tost contrainte de recevoir la Paix, il adressoit ces Vers au Roy.

Illustre Conquérant, dont la brillante gloire
A des plus grands Héros effacé la mémoire,
Cette charmante Paix qu’on reçoit de ta main,
Desormais te rendra l’amour du Genre humain,
Malgré les vains efforts d’un impuissant Empire.
C'est peu qu’il soit encor l’ennemy de tes Lys ;
Que peut-il, si son Aigle, & sa foudre, & son rire,
Manquent d’un Jupiter, ou plutost d’un LOUIS ?

Toute l’Assemblée s’étendit ensuite sur l’Eloge du Roy, jusqu’à ce qu’on deservit l’Ambroisie, & que la Paix vuida les fruits de sa Corne d’abondance. Chaque Dieu en prit sa part, & Jupiter se récria qu’il y avoit lieu de dire qu’ils estoient obligez à ce grand Monarque, de ce qu’eux-mesmes goûtoient les fruits de la Paix, & que desormais le Ciel & la Terre tiendroient de luy leur felicité. Quelques-temps apres les Dieux se leverent de table, & passerent dans un Salon où les Muses qui y avoient esté conduites par Apollon, donnerent un Concert d’Instrumens qui fut trouvé admirable. L'Echo s’estant multiplié en mille endroits du Palais, contribuoit à rendre le Concert plus beau & plus divin. Apollon se distinguoit par la douce harmonie de son Luth. Enfin les Dieux tomberent d’accord qu’ils n’avoient jamais rien entendu de si mélodieux. Apollon peu satisfait de ce premier divertissement, voulut encor donner celuy de la danse à l’Assemblée. Il se mit à la teste des Muses, & selon sa coûtume il dansa avec elles en rond, c’est à dire qu’il commença les Branles au son du Flageolet, du Hautbois, de la Flute douce, & de la Musete, dont joüoient Pan, les Sylvains, & les Faunes. Lors que les Branles furent finis, les Zéphirs originaires d’Espagne, danserent la Sarabande avec une grace sans égale. Au divertissement de la Danse succeda un Opéra, qui avoit pour sujet l’Union des Titans assûrez de leur perte, y demandoient grace à Jupiter, & l’obtenoient. C'estoit afin que l’application en fust plus juste aux Puissances de l’Europe liguées contre la France, lesquelles reconnoissant que si la Guerre continuoit, leur ruine seroit certaine, se trouvant heureuses de recevoir la Paix des mains de Loüis le Grand. La Simphonie de cet Opéra ne pouvoit estre que surprenate, puis que des Sireines que Vénus avoit envoyées à son Fils, y chantoient ; & que l’Amour estant de tout Païs, avoit à son service des Zéphirs de chaque endroit où l’on excele à joüer de quelque Instrument ; Car s’estoit un Zéphir Italien qui y joüoit de la Guitarre ; un Espagnol, des Castagnetes ; un Turc, de la Flute douce ; un Allemand, de la Trompette ; un Anglois, de la Viole ; un Ecossois, de la Cornemuse ; un Basque, du Tambour ; un Suisse, du Fiffre ; & un François du Luth. Sur la fin de l’Opéra les Acteurs s’adressérent à la Paix, afin qu’elle rétablist le repos sur la Terre, & que ce repos devinst éternel. Cette Piece qui durant sa représentation avoit eu des loüanges muetes par l’admiration qui parut sur le visage des Dieux, s’en attira une infinité de leur bouche, puis qu’ils avoüerent tous d’une voix qu’on ne pouvoit mieux terminer une Feste aussi agreable. L'Opéra finy, ils retournerent chacun dans leur Empire, à la reserve de Saturne que l’Amour & la Paix retinrent, afin qu’ayant le temps à eux, ils regnassent plusieurs années icy bas.

Lors qu’à la troisiéme visite j’eus remis entre les mains de la Dame le Papier qu’elle m’avoit presté, je luy dis que je ne doutois point qu’elle n’eust trouvé aisément l’origine de l’Horloge de Sable. Saturne, me répondit-elle, qui selon ma fiction, reste dans le Palais de l’Amour, m’a fait songer que c’estoit apparemment luy qui avoit inventé cette Horloge. Vous sçavez, ajoûta-t-elle, que sa Femme Cybelle a aimé Atis, & qu’Atis se montrant insensible aux attraits de cette Déesse, a esté métamorphosé en Pin. Comme le Temps reduit toutes choses en poudre, il est à croire que cet Arbre n’aura pas eu un autre sort que celuy qu’eut Sangaride. L'Amour qu’Atis a senty pour cette Belle, aura esté de ces Amours qui ne s’éteignent jamais. Le feu de cet Amour aura causé un perpetuel mouvement à la poudre de cet Arbre, & n’aura pas moins agité le Sable avec laquelle elle aura esté meslée & confonduë. Saturne voyant ce Sable propre à remonter au lieu dont il seroit descendu, & luy estant de la derniere consequence que les momens soient reglez ; aura composé cette Horloge. Peut estre qu’il la pose sur sa teste afin qu’on remarque qu’il n’y a rien d’élevé que cette Horloge, & qu’on ne croit pas que Cybelle luy ait joüé quelque mauvais tour : car j’ay de la peine à me persuader que c’est pour avoir incessamment l’Horloge en veuë, puis que ses yeux sont au dessous de son front. Il échapa encor d’autres plaisanteries que je ne vous raporteray point, parce que je m’imagine que le mieux est de quitter la Fiction, & d’en venir à la verité qui est que je suis vostre, &c.

De La Salle,

S r de Lestang.

Stances à Monsieur *** §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 56-59.

Ne jugez pas des Stances qui suivent par ce qui leur sert de commencement. Il est peu de Personnes nouvellement sorties des Etudes, qui ayent des sentimens aussi bien reglez qu’on les trouvera dans cet Ouvrage. Il est du Fils d’un Maistre des Comptes de Paris. Je ne vous dis rien des Vers. Je suis assûré que vous serez satisfaite de leur netteté, & de leur force.

Stances

A Monsieur ***

Damon, cher compagnon d’étude,
Qu'un heureux choix fit mon amy,
C'est donc aujourd’huy Saint Remy,
Ce jour aux Ecoliers si rude ?
Te souvient-il que l’An passé,
Avec un regret insensé,
Nous quittions les Champs & la Chasse ?
Que nous nous faisions un tourment
De retourner dans une Classe,
Pour nous batre à coups d’Argument ?
Il faut joüer un autre Rôle ;
Il faut chanter d’un autre ton,
Quitter Aristote & Platon,
Pour suivre l’épineux Barthole.
Il faut sur un fatras de Loix,
Dont Justinien a fait choix,
Gesner ses yeux & sa pensée ;
Et comme un Senateur nouveau,
D'une grande Robe plissée
Balayer souvent le Barreau.
Nous avons quelque conjecture,
Qu'un jour cette Robe au Palais
Fatiguant la main d’un Laquais,
Se garantira de l’ordure.
Mais ce n’est qu’à vingt & sept ans
Que nos desirs seront contens :
Ce terme est long, je le confesse.
Pour le rendre moins ennuyeux,
Occupons nostre esprit sans cesse,
Et travaillons à qui mieux-mieux.
Les plus grands plaisirs de nostre âge
Deviennent enfin languissans,
Lors que nous en saoulons nos sens
Par un continuel usage.
Estre tous les jours faineans,
Ne rechercher que du bon temps,
C'est rechercher l’inquiétude ;
Et nous goustons mieux le plaisir,
Quand deux ou trois heures d’étude
En ont engendré le desir.
D'un enragé Sardanapale
Les plus voluptueux transports,
Ne produisent que des remords
Qui rongent une Ame brutale.
Ce sont autant d’affreux Vautours,
Qui d’un cœur renaissant toûjours
Se font une féconde proye ;
Au lieu qu’un travail vigoureux
Produit une solide joye
Dans le fond d’un cœur genéreux.
Plus nous écoutons la paresse,
Et plus nous voulons l’écouter ;
Rien n’est si fort à redouter
Que le faux jour de la mollesse.
Damon, ce grand vice abattu,
Suivons les pas de la Vertu,
Et prenons-la pour nostre guide.
Ménageons le temps desormais ;
De mesme qu’un torrent rapide,
Il coule, & ne revient jamais.

Madrigal §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 60.

J'adjoûte à ces Stances, un Madrigal sur une matiere qui vous surprendra. On a trouvé en Allemagne certains Navets extraordinaires qui avoient la forme de Filles. Vous avez pû en entendre parler, puis que le Journal des Sçavans nous en a donné la figure. C'est là-dessus qu’on a fait ces Vers.

Madrigal.

    Un Astre propice aux Amans
A versé sur la terre une douce influence.
    Loüé soit Dieu de l’abondance,
    Les Filles naissent dans les Champs.
    Aprenez, Beautez orgueilleuses,
Qu'enfin vous devenez plus communes que nous.
    Ne faites plus les prêcieuses,
Nous avons des Navets qui sont faits comme vous.

Sur le sens des Enigmes du Mercure du Mois d’Aoust, reçeuës à Madrid le dernier jour de Septembre §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 61-64.

Sur le sens des Enigmes du Mercure du Mois d’Aoust, reçeuës à Madrid le dernier jour de Septembre.

Si l'on en croit le sentiment
De la Lorraine Espagnolete,
L'on trouvera qu'assurément
L'une est l'Horloge, & l'autre l'Espinete.
Et voicy son raisonnement.
***
L'Espinete a le corps de bizarre figure,
Mais quels que soient ses ornements divers,
Elle plaist moins par sa parure,
Qu'elle ne fait par ses concerts.
Tout ce qu'on appelle ame & langue chez elle,
N'est pas le mesme que dans nous ;
Ses cordes sont d'acier jusqu'à la chanterelle,
C'est ce metal qui fait ses charmes les plus doux ;
Mais sans la plume, l'Epinete
Deviendroit aussitost muete.
***
L'Horloge nuit & jour travaille assidûment,
Et bien plus régulierement
Que le meilleur ouvrier ne sçauroit jamais faire ;
Mais une Aiguille est necessaire
Pour ménager son mouvement,
L'Aiguille le regle, & sans elle
Qui lui sert de femelle,
Elle travailleroit fort inutilement.
On a soin de monter l'Horloge,
Quand elle est chez les Grands, ou bien dans un Convent ;
Mais lors que le Bourgeois la loge,
Elle est sujete à reposer souvent.

Sur la Lettre en chiffre du second Extraordinaire, à son Autheur.

Ma foy, Monsieur, tous vos Loüis
Qui valent tant en France,
N'ont point de cours en ce Païs ;
Malgré leur faux brillant, & leur belle apparence,
Mes yeux ne sont point ébloüis.
***
J'ay d'abord reconnu sans peine
Leur aloy, leur peu de valeur,
Et c'est à leur fausse lueur
Que la Clef m'a paru certaine.
L'E c'est la Clef, le Loüis d'or est nul,
Le Tambour est un V, les S sont des Roses ;
Et suivant mon juste calcul,
Les figures de tant de choses
Ne peuvent rien signifier,
Que ce que l'on va voir au bas de ce papier.

Les Nulles qui sont au devant de chaque E, empescheront de me descouvrir.

Mais ce Défy n'a pas eu lieu pour
La Lorraine Espagnolete.

[Réponses aux énigmes] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 64-76.

Je vous envoye plusieurs Explications sur les Enigmes du Mois d’Octobre, qui estoient le Cœur & la Nefle. Beaucoup de Personnes ont expliqué celle du Cœur sur l’Amour.

I.

Vous avez beau l'enveloper,
Je découvre l'Amour au travers du nüage.
Quand on a comme moi vescu dans l'esclavage,
On n'est que trop certain de ne s'y pas tromper.
***
L'amour que Berize a fait naistre,
Par des coups si pesans a troublé mon repos,
Que mon cœur accablé ne sçauroit méconnaistre
Le cruel autheur de ses maux.
***
Vous le peignez si bien qu'on ne peut s'y mépendre.
On le prend rarement, sans s'en laisser surprendre.
C'est un capricieux qui rit de tous nos soins,
Qui bien souvent se fait longtemps attendre,
Et qui vient quelque fois lors qu'on y songe le moins.
***
Il a toûjours de grands besoins,
Rien ne suffit à ses désirs avides,
Il fuit le jour & les témoins ;
Des espoirs mal fondez, ou des soupçons timides,
Le rendent teméraire & tremblant tour-à-tour :
Mais pourquoy faire ici ce détail inutile ?
Hélas, est-il si difficile
De connoistre l'Amour ?

    MrBrossard, Conseiller au
Presidial de Bourg en Bresse.


II.

Le fidelle Berger l'esprit en desarroy,
Ne pouvoit contenter une jeune Bergere,
Qui badinant sur la Fougere,
Luy demandoit le nom de nostre Esclave Roy.
***
Il en rougissoit de colere,
Quand la Belle d'un ton humain
Luy dit : peut-estre que demain
Vous pourrez mieux me satisfaire.
***
Cependant songez-y dans vostre serieux,
Et ne demeurez pas en si noble carriere.
Ah, reprit le Berger, je connois le Compere ;
Belise, vous estes sa Mere,
C'est l'Amour, je le vois qui paroist dans vos yeux.

III.

De nostre Cœur si bien caché
Je voudrois sçavoir le mystere ;
Je me trouve fort empesché
Comment deviner cette affaire.
Mais apres avoir bien cherché,
Je vous diray sans vous déplaire,
Quoy qu'il soit couvert & discret,
Qu'enfin j'ai trouvé le secret
          De vostre Cœur.

    Les Reformateurs de Bretagne


IV.

Dans cette Enigme surprenante,
Malgré ces tours mystérieux,
Comme dans les yeux d'Amarante,
Amour, je te connois pour le plus grand des Dieux.

    Tournex, du Village de Goux.


V.

Vostre Cœur & le mien, charmante Celimene,
Sont deux Cœurs, & cela me gesne :
Mais malgré mon sort rigoureux,
Et toute vostre resistance,
J'ose espere que ma confiance
N'en fera qu'un de tous les deux.

    L'Amant de la Cousine d'Argentan.


VI.

Ah que j'ay de plaisir dans une Solitude,
Où l'esprit dégagé de toute inquiétude,
S'attache à des Objets qui peuvent le charmer !
Je reconnois l'Amour, sans sentir ses allarmes ;
Et si dans mon Desert il vient porter ses charmes,
Tost ou tard, ma raison sçaura le desarmer.

    Le Solitaire de Pontoise.


VII.

L'Amour, ce jeune Enfant, dont la mine effrontée
Se cache dessous son bandeau,
Vint l'autre jour dans ce Hameau
Sous une figure empruntée.
Ce folastre avoit épuisé
Mille & mille secrets pour ne le pas paroistre ;
Mais quoy qu'il fust bien déguisé,
Avec un peu de peine on sçeut bien le connoistre.
D'abord pourtant on se trompa,
Chacun examina ce bizarre assemblage,
Et chacun crût que c'estoit l'équipage
De quelque Compagnon du Sorcier Agrippa.
À son ténébreux voile on trouvoit force bréches ;
Mais pour nous embarasser mieux,
Il n'avoit point de bandeau sur les yeux,
Point d'arc, point de flambeau, de carquois, ny de fleches.
Cependant on vouloit sçavoir ce que c'estoit,
Chacun mettoit son esprit à la gesne,
Et lors que d'un costé quelqu'une le tastoit,
L'autre à le dévoiler mettoit toute sa peine.
La jeune Iris disoit, c'est quelque Vendangeur
Qui vient icy pour nous surprendre.
Climene répondoit, gardons de nous méprendre,
Je voy briller ses yeux d'une amoureuse ardeur,
Sur nous il jette un regard tendre,
Et quelqu'une a gagné son cœur.
Enfin l'Amour parla, l'Amour se fit entendre,
Et cet Enfant aimable & doux
Nous dit, prenez bien garde à vous ;
Souvent je prens ceux qui pensent me prendre.
Je suis né Roy des Cœurs, j'aime peu les Témoins,
Mes Favoris font de tout un mystere ;
Quelquefois je ne couste guére,
Et quelquefois aussi je couste bien des soins.
Je suis ce doux trompeur qui se glisse dans vos ames
Qui sçais vaincre vos cœur par d'invincibles flames,
Soumets vos volontez par mes plus doux appas,
Et triomphe de vous quand vous n'y pensez pas.
On ne peut mettre enfin de borne à mon Empire,
Et j'étens mon pouvoir sur tout ce qui respire.
Comme à ce qu'il disoit il donnoit un beau tour,
On voulut penétrer ses effets & ses causes,
Et consultant son cœur, bien mieux que toutes choses,
Chacun dit que c'estoit l'Amour.

    Le Secretaire des Vendangeuses de Courbevoye.


VIII.

Mon Cœur a beau faire le brave,
Et se vanter qu'il est né Roy,
Il faut qu'il vive vostre Esclave,
Et qu'il subisse vostre loy.
Quoy que petit, il en vaut bien un autre,
Et merite bien d'estre pris.
Gardez le donc, adorable Cloris,
Et le joignez avec le vostre.

     D'Ablouville.


IX.

Belle Iris vous avez envie
Que je déchiffre le vray sens
Des Enigmes ; ouy, j'y consens :
Mais avant, rendez moy la vie,
Et finissant vostre vigueur,
Recevez sans mépris ce Cœur
Sur qui vous avez tout empire.
Entre nous que tout soit commun,
Enfin qu'à l'avenir l'un pour l'autre on soûpire,
Et que nos Cœurs unis ne fassent jamais qu'un.

X.

Viens voir, Mome, dans le Mercure
Le Cœur en sa propre nature,
Au vif il l'a représenté.
Tu n'as pas besoin de fenestre,
Et pour le voir & le connestre,
Il ne faut pas à l'Homme entr'ouvrir le costé.

    Rault, de Roüen.


XI.

Dans une Enigme du Mercure
J'ay trouvé par écrit un Cœur ;
Mais un Cœur de cette nature
N'est guere au goust de mon ardeur.
Ah ! j'aimerois bien mieux, à le dire sans feinte,
Avoir trouvé le Cœur d'Aminte.

    Feüillet, Avocat à Chartres.


XII.

Amans infortunez, que des peines cruelles
Tourmentent nuit & jour,
Pour quelque Cœur ingrat ennemy de l'Amour,
Venez vous consoler des rigueurs de vos Belles,
Cette Enigme par son vray sens
Vous veut offrir un Cœur sensible à vos tourmens.

     Le petit Ascagne.


XIII.

Le cœur de la Nesle est tout dur,
Un chacun sçait qu'il se partage.
Le mien ne fut jamais volage,
Il ne vit que pour vous, il est tendre, il est pur.
Charmante Iris, si le vostre est de mesme,
Assemblons les, nous ferons bien.
N'est ce pas un plaisir extréme,
Quand deux Cœurs sont unis par un charmant lien ?

    L'Amant Fidele, d'Argentan.


XIV.

À moins que la Nesle & Sylvie
N'amolissent leur dureté,
Elles n'on aucune bonté,
Et n'excitent point nostre envie :
Mais du moment que la Belle & ce fruit
Ont quitté leur rudesse,
Et pris de la tendresse,
Ha, l'on voudroit les avoir jour & nuit.

    Feüillet, Avocat à Chartres.

Explication de l’Enigme en figure. §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 76-77.

Explication de

l’Enigme en figure.

Daphné vers qui mon cœur a toûjours du penchant,
M'avoit assuré d’estre en ce Boccage sombre,
Au temps que le Soleil servit dans son couchant,
    Mais je n’y trouve que son Ombre.

Bonnet, de Vaux.

[Lettre de Venise sur l’origine des mouches galantes et autres] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 77-90.

Venise ne mérite pas moins de privilege que Madrid ; & quoy que la Lettre que j’en ay reçeuë, traite encor de l’origine des Mouches galantes, je suis assuré que vous ne la pourrez lire qu’avec plaisir, puis que vous y trouverez la confirmation de ce que je vous ay dit il y a quelques mois à l’avantage d’une Illustre de vostre Sexe, qui est l’admiration de tous les Sçavans.

A Venise le 12. Sept. 1678.

Vous m’avez fait des Affaires au Senat. Les Partisans d’Espagne m’ont reconnu dans vostre Lettre Extraordinaire d’Avril. Ils se persuadent que je suis d’intelligence avec vous, & mes meilleurs Amis me conseillent de n’estre François qu’in Petto : Mais je ne peux me résoudre à prendre ce party, & puis que vous avez bien voulu me mettre au rang de ceux qui paroissent en public sous vos auspices, il est juste que je réponde à vos honnestetez, & que je satisfasse à la civilité & à la reconnaissance. Me voilà en beau chemin, & je me trouverois fort disposé à vous expliquer les sentimens que j’ay pour vous, si vostre modestie ne s’opposoit aux premieres pensées qui viennent sur un si agreable sujet. Je les suprime, Monsieur, puis que vous le souhaitez, & je passe à vostre Question galante. Pour entrer en matiere, je dis que Madame de Cleves me désole dans la confidence qu’elle fait au Prince de Cleves, de la forte passion qu’elle a pour le Duc de Nemours. En effet les suites d’une déclaration de cette nature ne peuvent estre que tres-dangereuses. Helena-Lucrecia Cornara, Fille de l’Illustrissime Monsieur Cornaro, est de cette opinion, & elle l’a soûtenuë dans une celebre Compagnie, avec tant d’esprit & de vivacité, qu’elle s’est fait admirer de tous ceux qui ont eu le plaisir de l’entendre. Cette sçavante Fille est l’ornement de son Sexe, & la merveille de nostre Siecle. Elle parle cinq ou six Langues, comme si elles luy estoient naturelles, & l’action qu’elle a faite depuis peu de jours à Padoüe doit convaincre ses envieux, que les Eloges que je luy rends, sont infiniment au dessous de ses belles connoissances. Vous pourrez luy faire justice, & convenir avec moy que cette Sçavante peut pretendre à un aplaudissement universel, si vous voulez vous donner la peine d’examiner ce qu’elle a composé en Italien sur l’origine des Mouches Galantes. J'en ay fait une version Françoise pour en faciliter l’intelligence aux Curieux.

L'origine des Mouches Galantes est si naturelle, qu’elle se peut prouver par l’Histoire, sans avoir recours aux Fables, & aux Fictions. Auguste estant entré en triomphe dans Rome apres la Bataille d’Actium & les Victoires qu’il remporta sur les Enfans de Pompée, voulût que le bonheur de ses Peuples fust sa passion dominante. L'illustre Mécene son Favory appuya ces beaux sentimens, & ces grands Hommes y travaillerent avec tant d’application & de succés, qu’ils s’attirerent l’amour des Romains, & la véneration des Etrangers. Les Romains charmez des vertus d’Auguste, luy donnerent le titre de Pere de la Patrie. Ils appellerent Mécene leur Defenseur & leur Protecteur ; & les Etrangers surpris des conquestes du fameux Agrippa, Lieutenant des Armées d’Auguste, se soûmirent à l’Empire Romain. Agrippa porta ses armes victorieuses aux extrémitez de la terre, comme Anchise l’avoit prédit à Enée avant la fondation de Rome. Les Indiens se rendirent tributaires, & ils envoyerent des Ambassadeurs à Rome avec des présens magnifiques. Auguste prit pour luy des Eléphans, & des Armes à l’Indienne. Il donna des Perles & des Pierres prétieuses à Livie ; & Julie Fille d’Auguste, si recommandable sous le nom de Corinne dans les Amours du charmant Ovide, se contenta de quelques Bracelets extrémement rares, de Parfums, & d’un Perroquet qui parloit Indien, & qui faisoit mille boufonneries. Ce Perroquet mourut peu de jours apres l’arrivée des Ambassadeurs. Julie en fut penétrée de douleur ; & Ovide qui estoit tres sensible à tout ce qui touchoit sa Princesse, fit une Elegie sur la mort de son Perroquet, qui fut estimée de tous les beaux Esprits de Rome, & qui me paroist inimitable. Les Ambassadeurs des Indes crûrent consoler Julie de la perte qu’elle avoit faite, en luy presentant quelques Insectes semblables à des Mouches, que les Indiens appelloient Mukas. Les Romains les ont appellées depuis Muscas par corruption, & ce sont nos Mouches à present. Ces Insectes rendoient une odeur tres-suave ; & celuy qui servoit de Truchement aux Ambassadeurs, dit agreablement à Julie que des Beautez Indiennes s’en appliquoient au visage, pour relever la blancheur de leur teint. Julie ne pût se tenir de rire de cette nouveauté, qu’elle tourna en plaisanterie. Cependant elle résolut de se servir de ces Mouches galantes pour surprendre Ovide dans une visite qu’elle attendoit de luy. Ovide la trouva plus charmante en cet état qu’elle ne luy avoit jamais paru, soit qu’effectivement un nouvel éclat à Julie qui passoit pour la plus réguliere Beauté de la Cour d’Auguste, soit qu’Ovide qui estoit naturellement volage, trouvast des charmes dans ce changement. Quoy qu’il en soit, Ovide dit cent jolies choses sur la malice de Julie. Julie se tira d’affaire avec un enjouement qui enchantoit Ovide ; & feignant qu’elle ne s’en rapportoit pas entierement à ses yeux, quoy qu’ils fussent tres délicats, elle consulta son Miroir, qui luy fit avoüer que cet agreable Cavalier estoit la sincerité mesme. Ovide poussa la galanterie plus loin, & ayant demandé à Julie si ces Mouches n’avoient point de vertu secrete, elle l’assura qu’elles estoient d’un prix inestimable pour leur odeur. Ovide voulut en juger, & s’approchant de Julie, il en fit une si douce expérience, qu’il tomba tout transporté de joye entre les bras de cette obligeante Princesse. Elle trouva l’avanture si singuliere, qu’elle engagea Ovide à faire une Métamorphose sur les Mouches galantes qui avoient donné lieu à ce qui venoit d’arriver. Il est à croire qu’Ovide qui rendoit tous les jours des hommages éclatans à Julie, se surpassa luy-mesme pour faire ce qu’elle desiroit de luy. L'Histoire dit qu’il intitula cet Ouvrage, la Déesse des Cœurs, & qu’il le presenta à Julie. Julie le fit voir à Auguste, qui y remarqua quelques libertez qui choquoient couvertement le respect qu’un Chevalier Romain devoit avoir pour la Fille d’un Empereur ; ce qui fut cause qu’Auguste résolut d’exiler Ovide. Mécene fit tous ses efforts pour appaiser l’Empereur, mais il demeura ferme dans sa résolution. Ovide eut ordre, avant son exil, de suprimer son dernier Ouvrage. Cependant on prétend qu’il en resta quelques Copies à Rome, qui firent connoistre que Julie estoit la Déesse des Cœurs, & que les trois Graces qui l’accompagnoient estoient les trois Mouches dont Julie s’estoit servie. Le malheur des temps nous a ravy ce chef-d’œuvre d’Ovide, & l’espece des Mouches galantes de Julie s’est perduë avec leur odeur. On les contrefait presentement avec de petits morceaux de taffetas gommé, & les Dames s’en servent communement en France. Il n’y a que les Courtisanes qui en portent à Venise, parce que nos coûtumes sont diférentes de celles des François, encor bien que nous suivions leurs inclinations, & que nous aimions leurs galanteries.

Voilà, Monsieur, ce que notre admirable Venitienne dit de l’origine des Mouches, & ses sentimens me paroissent tres-judicieux. Vous voulez bien que je vous découvre les miens sur un œuf de Serpent trouvé en Provence, ou en Languedoc. On m’écrivit de Toulon le mois passé, que ces monosyllabes, ou, pa, re, ma, ne, pa, sont naturellement imprimez sur cet œuf mystérieux. Il y a quatre jours que je m’applique à y donner un sens, sans en avoir pû rencontrer aucun qui y revienne mieux que cette pensée.

Soit que Loüis le Grand ait la Paix ou la Guerre,
Il n’aura point d’égal sur terre.

Vous la trouverez renfermée dans ces paroles.

Ovans, Pacificus, Regum
Maximus, nesciet parem.

La Minerve de Venise* fait voir sa penétration dans une autre pensée, sur les caractères de l’œuf. La Voicy.

Ovo patente, Rei magnae negotiatores, Pacem
Ovanti Parisiorum Regi manifestabunt,
Nectendam Parisiis.

Le lieu où l’oeuf a esté trouvé peut rectifier les conjectures qu’elle en a tirées sur la Paix, puis que l’Olivier qui en est le symbole, vient communément en Provence, ou en Languedoc. Je suis vostre tres, &c.

Fredino.

Fiction sur l’origine de l’Horloge de Sable §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 91-98.

Fiction

sur l’origine de

l’Horloge de Sable.

Il n’y a personne à qui le nom d’Astrée soit connu, qui ne connoisse aussi le Berger Hilas, Berger aussi fameux par ses inconstances, que recommandable par la vivacité de son esprit, & par la facilité qu’il avoit à dire les choses de bonne grace. Une Bergere de son voisinage, dont la main n’estoit pas destinée à porter la Houlette, entreprit de fixer son humeur volage. Sa beauté & son mérite en firent en peu de temps d’un Amant passionné un Epoux fidelle, mais sa fidelité ne dura que quelques jours. La possession de son bonheur luy devint bientost insuportable, & le panchant qu’il avoit à l’inconstance luy fit trouver des charmes dans une autre Bergere, dont les inclinations avoient beaucoup de raport avec les siennes. Son humeur enjoüée & coquette avoit surpris la tendresse du vieil Berger Damon, qui l’avoit tirée de l’esclavage, & d’un nombre infiny de travaux, pour en faire la maistresse de son cœur. L'obligation qu’elle avoit de sa fortune à ce charitable Epoux ne la pût retenir dans son devoir. Elle fut plus sensible aux feux indiscrets d’un jeune Amant, qu’aux sages caresses d’un Mary retenu. Sa nouvelle passion luy fit mesme oublier de garder certaines mesures qu’un reste de bienseance éxigeoit d’elle. Ce ne furent plus que rendez-vous de part & d’autre, & le plus souvent dans la Cabane de l’Epoux qu’elle trahissoit. Ainsi pendant qu’il gardoit ses Moutons, un Loup plus cruel que ceux des Forests, ravissoit je ne sçay comment la plus chere de ses Brebis. Ce commerce ne dura pas longtemps sans que Damon en sçeust toutes les particularitez. On luy aprit que les visites qu’Hilas rendoit à son Infidelle, estoient si fréquentes & si reglées à certaine heure du jour, que les Bergers du voisinage luy avoient donné le nom d’Horloge par raillerie. Il resolut de s’en vanger, & pour cet effet il se rendit à sa Cabane à l’heure qu’on pouvoit appeler fatalement l’heure du Berger, suivy des deux dogues qui avoient souvent mis en pieces des Loups assez furieux. Son dessein estoit de faire exercer leur rage sur le ravisseur de la chere Brebis, & il les avoit animez à se jetter sur le premier qu’il rencontreroient. On ne sçauroit croire quelle fut la surprise de ces deux Amans qui s’estoient retirez dans un Cabinet, quand ils entendirent les menaces de Damon, & les abois effroyables de ses Chiens. Hilas se cacha dans une Armoire qui estoit dans ce Cabinet, & dans laquelle il trouva deux Phioles d’eau de senteur dont il avoit fait present depuis peu à sa Maistresse. Combien de fois, ne se croyant pas assez en assûrance dans ce lieu parfumé, demanda-t-il aux dieux d’estre réduit en état de pouvoir se renfermer dans l’une de ces deux Phioles ? On dit que l’excés de la peur luy fit attirer toutes les bonnes odeurs qui estoient dedans ; & que les Dieux favorables à sa priere métamorphoserent son Corps en un Sable delié, dont le mouvement est le symbole de son inconstance ; qu’ils l’enfermerent comme il l’avoit souhaité dans une de ces Phioles, où sa crainte ne luy donnant presque point de repos, il tâche incessamment de passer de l’une à l’autre, s’imaginant y trouver plus de sûreté ; que l’Armoire où il estoit luy sert encor de Prison ; qu’il y a retenu le nom d’Horloge que les Voisins de Damon luy avoient donné auparavant, & que par ces écoulemens si fréquement reïterez, il sert à faire connoistre ceux du temps. Damon estant entré dans ce Cabinet, foüilla par tout, mais il ne trouva au lieu du Galant qu’il cherchoit, que cette petite Machine qu’il examina de pres. Il soupçonna la Métamorphose mais il ne laissa pas de se contenter de la vengeance que les Dieux en avoient prise, & afin que le crime de son Infidelle ne demeurast pas impuny, il la condamne à faire passer d’heure en heure le Sable d’une de ces Phioles dans l’autre, & à continuer cet exercice jusqu’à son dernier soupir ; ce qu’elle a fait avec une exactitude extréme. On voyoit quelquefois ce Sable qui servoit de regle à toutes ses actions, passer plus promptement qu’il ne devoit, afin d’estre touché d’une main qui luy avoit esté chere, & dans laquelle il s’arrestoit souvent tout court pour avoir le plaisir d’en estre agité d’une maniere agreable. A son exemple plusieurs se servent encor de cette petite Machine pour compasser le temps de leurs actions, & jamais Amant qui attend l’heure du Berger, n’a estimé trop prompt l’écoulement de ce Sable autrefois animé, ny son passage trop lent quand il a esté assez heureux pour avoir trouvé un moment si favorable.

[Défense de la cause d’un Mari qui veut abandonner son épouse car elle l’avait trompé en le charmant avec de faux cheveux] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 98-110.

Je vous ay fait voir dans ma troisiéme Lettre Extraordinaire la Defense de la Belle qu’un Viellard vouloit abandonner apres l’avoir épousée, parce qu’il s’estoit apperçeu que les beaux cheveux qui l’avoient charmé, n’estoient point à elle. On a répondu pour le Viellard, comme je vous avois dit qu’on s’y préparoit, & voicy de quelle maniere on défend sa Cause.

Pour le Mary.

Si le crime de faux a toûjours esté en horreur parmy les Hommes, & si les Plagiaires & les Trompeurs ont esté punis de tout temps fort severement, à plus forte raison doit-on condamner la mauvaise foy de cette Femme, qui dans le commerce le plus important de la vie, & dans le Contract le plus saint, au lieu d’une parfaite sincerité, n’aporte que l’artifice & la dissimulation. Qui l’eust pensé qu’un front si doux, & un visage si modeste, eussent soustenu sans rougir des attraits empruntez, & que sa coëffure au lieu de la nature, luy eust fourny de faux appas pour surprendre la liberté du Vieillard ?

Il a donné dans le Panneau,
Filets blondins ont pris l’Oyseau.

La Chevelure ayant esté donnée pour ornement à l’Homme ou une Femme sans cheveux, est sans ornement. Ils ne sont d’aucune autre utilité que pour embellir le visage. & comme la bouche sert à parler, la langue à s’exprimer, les yeux à voir, les mains à agir, & les pieds à marcher, les cheveux ne sont que pour orner. C'est pour cette raison que les Femmes dés le berceau du monde, ont cultivé leurs Chevelures avec soin. Elles en faisoient une partie de leur parure & de leur vestement, & de la maniere qu’on nous les dépeint, elles en estoient couvertes jusqu’aux talons. J'ay trouvé dans un ancien Rabin, que les Peignes furent les premiers de tous les Instrumens qu’elles mirent en usage, & qu’elles se servirent d’abord des Arrestes d’un certain Poisson semblable à la Solle, mais dont les ossemens estoient plus solides & plus durs. C'est par cette raison qu’on luy donne en Hebreu un nom qui signifie ordre ou arrangement. On en fit enusite avec des Ecailles de Tortuës, & avec les dents du premier Elephant qui mourut, qu’on nomma de l’Yvoire, & que l’on coupa avec la Scie dont Thubal Caïn fut Inventeur aussi-bien que de tous les autres Instrumens de fer. Nos Européens, chez qui ces Animaux ne sont si ordinaires, en firent depuis avec des cornes assez communes en ce Païs, & avec des racines d’Arbres. Ce fut avec des plus beaux d’écaille de Tortuë & de dents d’Elephant que la teste blonde de la belle Semiramis, une des premieres & des plus grandes Reynes de l’Univers, fut peignée. Lors qu’on luy vint dire que les Bactriens qui l’assiegoient dans Babilone, vouloient donner un Assaut general à cette Capitale du Monde, cette Reyne, toute échevelée, se fit amener un Cheval, & sans se soucier du desordre de ses cheveux, poussa droit aux Ennemis. Elle leur parut terrible en cet état : mais je suis sûr qu’elle ne parut pas moins aimable, & que la victoire qu’elle obtint sur eux fut autant un effet de sa beauté que de sa valeur, puis qu’on raporte que parmy les Prisonniers qu’elle fit en cette occasion, il y en avoit autant de volontaires que de bonne guerre. Nictoris, Dinamis, Amestris, toutes ces vaillantes Reynes qui l’imiterent depuis, ne paroissoient en public que les cheveux épars, en memoire de cette mémorable journée ; & quand elles les vouloient reduire sur les loix de la coëffure aux autres tours ordinaires elles en laissoient voir la plus grande partie, comme on remarque encor aujourd’huy par les descriptions que l’on fait de la Coëffure Assirienne, la plus belle & la plus superbe qui fut jamais. Aussi il y eut une Loy en ce Païs qui défendit de mettre sur le Trône des Assiriens, un Prince ou une Reyne qui n’auroit pas de beaux cheveux, & ils sacrifioient au contraire à Vénus, Déesse tutelaire de Babilone, & de qui Semiramis tiroit son origine, les cheveux des Hommes & des Femmes de tous les Païs qu’ils avoient conquis par les armes. Cet amour des cheveux passa dans les Nations voisines chez les Perses, chez les Egyptiens, & chez les Juifs ; & si la Fille de Pharaon captiva le plus sage de tous les Rois, la gloire en est deuë à une seule boucle de ses cheveux, & non aux charmes de son visage, puis qu’il écrit luy-mesme que cette boucle n’estoit pas sur son front, mais bien au derriere de sa teste. Cette inclination passa encor chez les Grecs, & les Thraces, où la perte des cheveux a toûjours esté reputée une marque d’esclavage & d’ignominie. On sçait que les Dames de Troye se couperent les cheveux en signe de deüil apres la perte de cette déplorable Ville, & que la Mere d’Enée ne trouva point de meilleur moyen de le rendre agreable à la Reyne Didon, qu’en ajustant curieusement la Chevelure de ce cher Fils quand il fut prest d’entrer dans Carthage. César, le grand César, qui descendoit en droite ligne de ce Prince Troyen, avoit comme luy la Chevelure si belle qu’il a laissé son nom à toutes les belles Testes qu’on appelle à cause de luy Césariées. Il en avoit un soin si particulier, qu’il n’y touchoit que du bout du doigt, & il trompa par là la prévoyance de Caton qui ne pût pas s’imaginer qu’un Homme qui avoit tant de peur de mêler les rangs des boucles de sa teste, fust capable de troubler un jour la République. Cependant il en fut le Tyran. Il la renversa toute, & cette Republique périt avec ses cheveux, puis qu’il devint chauve par punition du Ciel. C'est ce que ses Soldats luy reprocherent en plein Triomphe où il estoit permis de dire toutes les veritez, criant, Voila le Galant Chauve. Les anciens Romains avoient leurs Chevelures en si grande recommandation, qu’on a donné parmy eux le nom de Cincinnatus & de Cinna aux plus grands d’entr'eux, parce qu’ils avoient de belles Testes & bien bouclées ; & Berenice cette aimable Reyne des Juifs, qu’un Empereur Romain emmena de son Païs, & qui posseda les affections & le cœur de ce Prince, n’auroit jamais fait cette conqueste sans le charme inexplicable de ses beaux cheveux, qui ont eu l’avantage d’estre consacrez dans le Ciel, & dont on a fait une Constellation ; honneur qui n’estoit deferé qu’aux choses dignes d’une memoire eternelle. Mais pourquoy chercher parmy les Nations étrangeres des témoignages de ce qui est de tout temps en veneration chez nous ? Une partie de nostre Gaule n’a-t-elle pas esté nommée autrefois Cheveluë à cause des belles Testes de nos Ancestres ; & lors que les François secoüerent le joug des Romains, ne laisserent-ils pas croistre leurs cheveux en signe de liberté ? N'avons nous pas un de nos Roys de la premiere Race qui les avoit longs & beaux par excellence, Clodion que nos anciens Croniqueurs ont nommé le Chevelu ? Enfin cette coûtume est passée jusqu’à-nous d’aimer naturellement les cheveux, & de les nourrir avec soin. La Nature mesme a donné aux Animaux les plus nobles cette espece de beauté, comme aux Lions, & aux Chevaux, qui semblent se glorifier de la longueur de leurs crins ; & les Naturalistes raportent que les derniers ne s’aprivoisent qu’apres qu’ils leur ont esté coupez. Ils en ont moins de fierté, & se soumettent au joug, aux mors & au cavesson. Mais quand ce sentiment ne nous seroit pas commun avec les plus nobles Animaux, & avec tous les Peuples de la Terre, il suffit d’estre en France pour avoir de l’inclination pour les cheveux. On voit par les peines que nos Dames se donnent à se les conserver, quelle estime elles en font ; les leur oster a toûjours passé pour un suplice des plus honteux. Ainsi ce n’est pas sans sujet qu’un Mary demande qu’il luy soit permis d’abandonner une Femme qui l’a trompé par de faux cheveux, & qui manque de la plus honorable, & de la plus charmante qualité que l’on puisse desirer dans une Personne de son Sexe.

Quatre essais de traduction de l’Inscription en latin qui se lit sur la Pompe du pont Nre Dame §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 110-115.

Vous devez avoir entendu parler d’une contestation qui s’est émeuë, pour sçavoir si la langue Latine avoit quelques avantages sur la Françoise en matiere d’Inscriptions. Force habiles Gens soûtiennent que cette derniere ne cede à l’autre en aucune sorte ; & pour le prouver, ils se servent de quatre Traductions de six Vers Latins que Mr de Santeüil Chanoine de S. Victor, a faits à la priere de la Ville, sur la Pompe du Pont Nostre-Dame. Ils y sont gravez en lettres d’or, & mériteroient la récompense qui fut donnée autrefois à Sannazar pour les six qu’il fit sur Venise à la sollicitation du Doge de cette fameuse Republique. Soufrez, je vous prie, que je fasse icy grace au Latin contre ma coûtume, en vous envoyant les six Vers de Mr de Santeüil. Il est necessaire que vous les voyiez, non seulement pour décider la Question dont il s’agit, mais pour en juger une autre. Quatre Personnes d’esprit ont traduit ces Vers. On voudroit sçavoir laquelle de ces Traductions est la plus fidelle & la mieux tournée. Prononcez. Ce que vous direz là-dessus sera un jugement décisif.

Inscription

Qui se lit sur la Pompe

du Pont Nre  Dame.

Sequana, cum primùm Reginæ allabitur Urbi,
Tardat præcipites ambitiosus aquas.
Captus amore loci, curfum obliviscitur, anceps
Quò fluat, & dulces nectit ubique moras.
Hinc varios implens fluctu subeunte canales,
Fons fieri gaudet, qui modo flumen erat.

I. Traduction.

Eprise des beautez d’un sejour si charmant,
    Je coule bien plus lentement.
Je m’arreste par tout , & mon ode incertaine
    Semble mesme oublier son cours.
Ainsi ces longs Canaux, où je coule sans peine,
Font qu’avec joye, apres mille détours,
De Fleuve que j’estois, je me change en Fontaine.

II. Traduction.

Aussitost que la Seine en sa course tranquille
Joint les superbes Murs de la Royale Ville.
Pour ces lieux fortunez elle brûle d’amour,
Elle arreste ses flots, elle avance avec peine,
Et par mille Canaux se transforme en Fontaine,
Pour ne sortir jamais d’un si charmant sejour.

III. Traduction.

Que le Dieu de la Seine a d’amour pour Paris !
Dés qu’il en peut baiser les rivages chéris,
De ses flots suspendus la descente plus douce
Laisse douter aux yeux s’il avance, ou rebrousse.
Luy-mesme à son Canal il dérobe ses eaux,
Qu'il y fait rejallir par de secrettes veines ;
Et le plaisir qu’il prend à voir des lieux si beaux,
De grand Fleuve qu’il est, le transforme en Fontaines.

IV. Traduction.

A l'aspect de Paris, ce Fleuve ambitieux,
De retarder ses flots dans ces superbes lieux,
Par des sentiers divers s’écarte & se détourne.
Dans ce double panchant, on presente à ses Eaux
Une route innocente, & des chemins nouveaux ;
Il y court, & charmé du plaisir qui l’entraîne,
Il se croit trop heureux de devenir Fontaine.

Fiction sur l’Horloge de sable §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 116-118.

Fiction

sur l’Horloge

de Sable.

Un Avare ayant amassé le plus qu’il luy fut possible de grains de ce Sable d’or, qui est commun sur les Rives du Pactole, estoit dans un fort grand embarras, pour en tenir compte exact, car il n’y avoit pas d’apparence de le compter, comme on fait aujourd’huy l’or ou l’argent. Il en échapoit de ses doigts, & il en mettoit souvent deux ou trois grains, en croyant n’en mettre qu’un. Ce fut luy qui s’avisa de ce double Globe de crystal, qu’il sépara par une ouverture si petite, qu’il n’y avoit qu’un grain de Sable qui pust descendre du Globe d’enhaut dans celuy d’enbas ; & afin de ne se point tromper, il pouvoit en le renversant, réïterer sa suputation, pour estre plus assuré si elle estoit juste. Mais voicy un nouvel embarras ; Il n’y avoit point de nombre dans l’Arithmétique pour calculer ce nombre infiny de grains de Sable, & il devoit craindre qu’en multipliant il n’y eust de la confusion. Enfin, apres y avoir longtemps resvé, il s’imagina que ce seroit une chose plus commode d’en faire la suputation, en prenant garde combien il en passoit chaque heure du jour ; car le nombre des heures n’estant que de vingt-quatre, il auroit bientost fait son compte. Cette pensée réüssit plus qu’il ne croyoit, puis qu’elle a servy depuis à compter les heures du jour. En effet, il y a peu de Cabinets d’étude, où l’Horloge de Sable ne soit en usage, pour une autre espece d’avarice, qui est la seule qui soit honneste, & qui consiste à faire profiter toutes ses heures, sans craindre que cette usure ne soit pas permise.

A la Ruë de Bretagne, à

la Pomme de Calvile,

ou de Discorde.

[Six Lettre ou discours en six chapitre de Mr l’Abbé de la Valt, sur l’usage des Fictions] §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 119-152.

Les six Lettres que je fais suivre sont de Mr l’Abbé de la Valt, dont vous avez tant estimé les Remarques sur les Enigmes en Vers & en Figures. C'est proprement un Discours separé en six Chapitres, qu’il m’a fait l’honneur de m’adresser. Le Titre vous en fait connoistre la matiere.

Sur l’usage

des Fictions.

Lettre I.

Condamner genéralement tout l’usage des Fictions, c’est, Monsieur, bien de la severité. Le fameux Autheur des Satyres en juge avec beaucoup plus de reserve. Il est vray qu’il n’approuve pas que nous fassions agir dans nos Vers les Anges, les Prophetes, les Saints, & Dieu mesme, comme les Anciens intéressoient à leurs Poëmes toutes leurs Divinitez. Il semble que c’est prophaner nos mysteres, leur donner un air de Fable, & que nostre Religion est trop sainte, pour estre employée dans des Ouvrages de pur ornement. Cette reflexion, Monsieur, ne s’est point presentée à beaucoup d’Illustres Autheurs, qui ont crû pouvoir se servir du Systheme de leur Religion pour égayer leur Poësie, Ils se sont laissez conduire par les grands exemples d’Homere & de Virgile, sans crainte d’en estre trompez. Vous condamnerez donc aussi, si vous le voulez, & la Jerusalem, & la Pucelle, & Constantin, & tant d’autres. Pour ce qui est des Fictions Payennes, que l’on mesleroit dans un Sujet Chrestien, Sannazar l’a fait, & on le fait tous les jours ; mais c’est encor une faute qui est remarquée dans l’Art Poëtique, ce chef d'œuvre de nostre Siecle. C'est estre, dit on, folement idolâtre. En effet, il semble qu’il n’y a rien de moins régulier que de voir cette bizarre disproportion de Personnages. Car enfin dans tous les Poëmes, excepté le tragique, le Poëte paroist avec les Acteurs qu’il introduit, de sorte que c’est une veritable confusion de voir un Poëte Chrestien se mesler luy & ses mysteres avec des Divinitez Payennes. Mais lors que le Sujet est prophane, pourquoy n’oser pas employer, pour l’embellir, les ornemens de la Fable ? C'est honorer la verité, que d’aimer tout ce qui a son air. Feindre en Poëte, ce n’est pas, comme le vulgaire croit quelquefois, un art de mentir, mais d’exprimer ce que la verité a de plus propre pour plaire à l’Esprit. Ces Fictions sont des manieres délicates de la peindre & de l’insinuer dans l’ame. J'espere vous faire voir dans la Lettre suivante, qu’à prendre ses Fictions en ce sens-là, il est difficile de ne leur donner pas quelque rang au nombre des plus agreable & des plus utiles ornemens du Discours.

Lettre II.

Je puis vous assurer, Monsieur, que l’Autheur qui écrivit il y a quelques années une belle Elegie Latine contre l’usage des Fables, y modere sa critique par la mesme execption dont j’ay commencé de vous parler. Il veut bien que Neptune, les Tritons, Jupiter, & les autres noms destinez à la Poësie, y entrent pour animer ses expressions, & leur donner de la vie & de la force. Il auroit fait tort à la gloire que son illustre Frere merite par ses beaux Vers de condamner des ornemens qui sont une partie considérable de leur beauté. De plus, les Philosophes, les Sages comme luy, se sont permis dans leurs discours & dans leurs instructions mesmes, l’allégorie, la métaphore, & les autres figures, qui ne subsistent que par les Fictions. Il sçait bien que le style le plus saint en reçoit quelquefois. J'ay pris souvent plaisir avec luy de lire de fort beaux endroits de S. Gregoire de Nazianze, & de quelques autres Peres, où les Vertus, les Vices, les Passions, la Paix, la Guerre, ont une ame, un corps, & des traits, qui les distinguent, avec des mouvemens qui leur donnent part aux évenemens dont on parle. Mais il est vray qu’il ne prétend pas que les Divinitez Payennes entrent dans la composition du Poëme, pour y prendre interest aux actions qui se passent, ou pour en avoir la conduite. Il borne l’usage de leurs noms aux figures qui servent seulement à l’expression. Il consent qu’on les employe comme des termes ausquels nous n’avons pas droit d’oster de certaines significations que les Anciens leur ont données. Je puis bien vous nommer ceux dont je vous parle, qui sont Monsieur de Santeüil de S. Claude, & Monsieur de Santeüil de S. Victor. Celuy-cy qui aime avec passion les Poêtes, ne pût suporter qu’on donnast des bornes si étroites à leurs Fictions. Il crût que son Frere, qui les vouloit éloigner des affaires de la Poësie, leur faisoit un tord aussi considérable que Platon leur avoit fait autrefois, en les chassant des sa Republique. Il y eut entr'eux une contestation sérieuse. On choisit un Arbitre, qui est presentement un des plus illustres Prélats du Royaume. On broüilla mesme le sujet de la querelle. C'est ce qui arrive presque toûjours dans les contestations. Je fis en ce temps-là un voyage à la Trape, & je n’ay pas sçeu ce qui fut prononcé par Monseigneur l’Esveque de Troyes, qui estoit en ce temps-là Mr l’Abbé de Chavigny. Ce seroit neantmoins l’endroit le plus important de la dispute dont je vous fait le recit ; car mesme il y a du plaisir & de l’honneur pour ceux qui aiment les belles Lettres, de se souvenir qu’un Docteur d’une si profonde érudition, ne les a pas jugées indignes de quelques-uns de ses soins. Mais le Public peut lire la condamnation de Mr de S. Claude dans l’Art Poëtique. On y déclare que dans une prophane & riante peinture, on peut faire un bel usage des Fictions. On leur donne part à la conduite du Sujet. On fait juger que cette liberté de s’arrester au vray-semblable, est une consolation à l’Esprit, qui dans l’état où nous sommes, ne trouve pas la verité, ou l’ayant trouvée, n’a rien qui l’aide à la reconnoistre. Mais puis que vous voulez que je donne quelque chose du mien, j’y consens, & ne vous demande temps que juqu’à demain.

Lettre III.

Je ne suis point surpris, Monsieur, que de fort honnestes Gens ayent esté dans le mesme sentiment que Mr de S. Claude, & qu’ils n’ayent pas voulu que les Fictions Payennes fussent reçeuës dans nulle Poësie. Ces Messieurs se trouvent si bien de leur maniere sincere, que cela leur fait haïr tout ce qui s’en éloigne. Ils ne pardonneroient pas au monde l’usage des complimens, qui sont les Fictions de la vie civile, & la Fable de la conversation, si l’on peut exprimer ainsi ce que j’en pense. Toute figure seroit interdite, si un peu de refléxion ne modéroit l’ardeur qu’ils ont pour la verité. Ils considerent donc que les Hommes estant les maistres de leurs expressions, ils peuvent user des termes qu’il leur plaist, que ce seroit une injustice de leur oster le droit de nommer les choses, comme elles ont esté nommées autrefois, que personne ne peut estre trompé par les termes figurez, qu’ils sont d’une institution publique qui les unit avec la verité ; mais ils ne veulent point donner cours à des Fictions chimeriques, telles que sont les Payennes, à des contes vagues, à des images fausses, qui ne representent rien de réel. En verité, Monsieur, ce sentiment est si digne des Gens d’honneur, qu’il n’est pas possible de n’en estre pas fort content. Mais on peut aimer la verité, & ne haïr pas les Fictions. Voicy comme j’entens cette maxime. C'est que dans les narrations des avantures les plus fabuleuses de l’Antiquité, & que l’on fonde sur ce que les Anciens ont crû, ou ont écrit, on peut s’instruire aussi-bien que dans l’Histoire la plus constante. C'est un sens que l’on peut donner à ces paroles d’Aristote, que la Poësie n’est pas moins amie de la Sagesse & de la Verité, que l’Histoire. Celle-cy nous apprend ce qui s’est passé dans la vie des Hommes. On apprend par le moyen de l’autre ce qui s’est passé dans leurs opinions. Il me semble, Monsieur, que ce n’est pas une chose moins utile de s’instruire de ce que les Hommes ont pensé, que de ce qu’ils ont fait ; & comme l’injustice des actions n’empesche pas qu’on ne les apprenne, & qu’il y a un bon usage que l’on peut faire des exemples du Vice, comme un autre que l’on peut tirer des exemples de la Vertu ; de mesme l’extravagance des opinions Poëtiques sur la nature immortelle de Dieu, & les portraits extraordinaires qu’ils faisoient de leurs Demy-Dieux, n’empeschent pas que ces portraits & ces opinions n’ayent esté, & pour peu que l’on ait envie de faire des refléxions morales, qu’ils ne puissent servir d’exemple & de conviction de l’excès horrible où la folie des Hommes peut porter leur esprit. Ainsi on prend fort à propos le sujet des Spectacles d’aujourd’huy, du Systheme de la Poêsie ancienne. Nous pouvons en user avec autant de liberté, qu’aux siecles d’Euripide, ou de Seneque. Andromede, Psyché, Medée, peuvent paroitre au milieu de nous, & toutes les Fictions dont on les embellira, peuvent plaire, sans aucun préjudice de la verité. La Peinture peut s’en servir sans scrupule. Tout cela tient lieu d’une Histoire Poëtique. Mais de plus, si les Anciens n’ont pas esté assez extravagans pour entendre litteralement la mythologie de leurs Dieux, si ces absurditez litterales n’estoient que pour le Peuple, qui n’a jamais pû s’en passer ; enfin si l’on n’introduit ces Fictions anciennes que pour representer la Verité par plusieurs images, elles peuvent nous tenir lieu de la Theologie, de la Politique, & de la Morale des Anciens. Il n’y a qu’à les penétrer un peu, & s’en faire une clef, comme d’un Chiffre mystérieux. Si l’on veut en avoir un modele, il y en a un exellent au Traité d’Isis & d’Osiris, qui est dans les Œuvres du sage Plutarque. Vous voyez, Monsieur, que sans m’éloigner de la belle disposition dans laquelle est Mr de S. Claude, avec ses Amis que j’honore toûjours beaucoup, il y a des moyens de ne desaprouver pas les Fictions Payennes dans un Ouvrage qui ne soit pas consacré par la sainteté de nos Mysteres. Cependant il faut y garder quelques mesures, & c’est de quoy je vous parleray une autre fois.

Lettre IV.

Comme je vous écris, Monsieur, sans avoir aucun Livre, la belle Biblioteque de l’Aurore de cette Ville m’estant devenuë inaccessible pour quelques interests particuliers, où la bienséance & l’honnesteté m’obligent de prendre part, je ne sçay pas si je cite fort juste en vous disant que c’est le Varron François (vous sçavez bien que j’entens parler du docte Monsieur Ménage) qui nous aprend qu’il n’y a pas un seul mot dans nostre Langue, dont on ne puisse faire un bon usage. Pour ce qui est de la maxime d’Horace, que les plus belles choses cessent de l’estre, quand elles ne sont pas en leur place, j’en suis plus certain ; & c’est sur ce pied là, Monsieur, que n’estant distrait icy par aucune galanterie, & prenant plaisir quelquefois à resver en Philosophe, j’ay consideré que les bonnes ou les mauvaises mesures que l’on prend dans l’usage des Fictions, gastent ou embellissent les Ouvrages où elles sont employées. Je puis justifier ce que je vous avance par un exemple qui n’est pas indigne de vostre curiosité. Il est vray que c’est une disproportion que l’on a condamnée, de mêler les Fictions Payennes, & de les faire entrer dans un Sujet de Religion. Cependant y a-t-il rien de plus beau que celles du sixième Livre de Constantin, du sçavant Pere Mambrun Jesuite ? On y trouve une invention merveilleuse. Crispe y paroist dans un sommeil profond. Il y est transporté par un songe au Temple de l’Amour. Il le voit, il y assiste aux Sacrifices. Il en voit tous les mysteres, que l’Amour luy explique. Toutes les avantures de la Fable ancienne y sont traitées en peu de Vers. Tout cela n’a rien qui ne soit d’un Maistre. Car enfin toutes ces choses ne sont que des songes ; & que ne leur permet-on pas ? Mais ces songes n’arrivent qu’à ceux qui ont dormy sur le Parnasse, comme Hesiode ; ou pour parler plus juste, qu’à ceux qui y ont veillé longtemps. Ce seul exemple fait voir que l’art d’un Maistre met toutes choses en œuvre, que tout est permis à celuy qui ne se permet rien contre la raison, & qu’il ne faut souvent qu’un tour d’imagination pour rectifier tout un Ouvrage, ou pour le perdre. Si les égards que je dois à la complaisance generale que vous avez pour vos Amis, ne me défendoient de condamner personne, je vous nommerois de fort jolies Pieces, qui ont esté défectueuses par la negligence que l’on s’est permise de ne pas donner un assez bon caractere à des Fictions d’ailleurs fort ingénieuses. Je vous diray seulement qu’il me souvient toûjours de la comparaison de Plutarque, & que je ne sçaurois estimer ces toiles d’Araignées qui sont étenduës en l’air, sans appuy, sans soûtien, & que le vent dissipe aisément. Je parle de ces vagues & vaines Fictions que quelques-uns produisent d’eux-mesmes, & qui n’ont aucune signification solide ; qui ne contiennent ny métaphore, ny allégorie, & qui ne sont soûtenuës d’aucune imitation de l’Antiquité. C'est un conte en l’air ; c’est l’imagination particuliere d’un Homme, à laquelle je ne dois pas prendre plus de part qu’à tous les autres Phantômes dont il luy plaist de s’entretenir. Ainsi, Monsieur, quand quelques-uns de mes Amis se divertiront à feindre quelque chose, je les avertiray toûjours de representer dans leurs Fictions quelque verité, & de n’esperer pas que l’on aime leurs Fables, si elles n’ont rien de solide. Je vois bien, Monsieur, que je vous dis presentement une Lettre sur l’Art des Fictions, dont je vous promets de m’acquiter au premier jour.

Lettre V.

Je vous prie, Monsieur, de n’attendre pas de moy que je m’engage à traiter de l’Art de toutes les Fictions. Je n’écris pas avec plaisir ce que l’on a dit avant moy. Il y a des Poëtiques si excellentes, que l’on peut bien vous y renvoyer, sans craindre que vous n’en soyez pas fort content. Celle qui a paru depuis quelques années avec les fameuses Satyres, est quelque chose de si parfait, que l’on peut s’y arrester, sans qu’il soit necessaire d’aller jusqu’à l’Epistre aux Pisons de l’ingénieux Horace, ou au Traité d’Aristote. Afin que rien ne manquast en ce genre-là au Parnasse François, Apollon a inspiré le plus agreablement du monde Monsieur de la Fontaine de donner au Public des Apologues, des Fables, dont les exemples peuvent supléer à tous les préceptes. Mais je crains bien que ces excuses qui devroient me dégager de la promesse que je vous ay faite, ne vous contentent pas. Il faut donc vous adjoûter, qu’estant fortement persuadé qu’il n’y a rien qui plaise davantage à l’Esprit, que ce qui est vray (car la connoissance & la verité sont l’une pour l’autre) toute la beauté d’une Fiction est comme celle d’un Portrait, dont la perfection consiste à bien ressembler à l’Original. Nous faisons icy ce qui se pratique en amour durant l’absence. On se console par le Portrait d’une belle Personne, dont on est éloigné par les diférentes rencontres de la vie. On ne la voit plus ; on n’a pas cet agreable plaisir que la présence inspire ; mais plus on sent de chagrin & d’inquiétude d’un éloignement dont la fortune ou le devoir nous sont souvent une necessité, plus on appelle à son secours le charmant souvenir de sa Maistresse, & on se sert avec quelque satisfaction de tout ce qui peut nous aider à retrouver en quelque maniere les douceurs de sa présence. C'est ainsi, Monsieur, qu’estant fort éloignez de la verité, qui merite toute nostre estime, & cette forte inclination qui nous porte à la desirer ; c’est ainsi, dis-je, que pour nous consoler de son absence, ses Portraits nous charment, & les Fictions sont sans doute des extraits & des copies de la Verité. Si l’on pénetre un peu cette pensée, & que l’on découvre toutes les instructions qu’elle renferme, je suis fort persuadé que l’on verra qu’il n’y a point de Fiction, où une certaine unité d’action, de temps, de lieu, & d’autres circonstances, ne soit fort necessaire. Si j’écrivois à une Personne moins intelligente que vous, je ne me servirois pas, Monsieur, de ces termes ; du moins je les expliquerois. Mais vous n’avez pas besoin d’explication, & je marque seulement icy ce qui est au dela de ce que l’on dit communément ; car je sçay bien que de la maniere dont vous estes, on ne sçauroit pousser les choses trop loin. Ainsi je n’ay qu’à conclure de ces principes incontestables, que la moindre irrégularité gaste toute une Fiction. Que doit-on penser de certaines disproportions grossieres, qui offensent la justesse du discernement ? Cependant on en voit souvent de ces disproportions, non seulement dans les Ouvrages des Poëtes, où il seroit peut-estre plus difficile de les reconnoistre, mais dans ceux des Peintres, où elles sautent aux yeux. Vous estes à Paris, Monsieur, & si vous voulez y prendre garde, il y a peu de beaux Tableaux dans les Eglises, qui soient exempts de ce défaut. Je connois un de mes Amis, qui en a fait une liste, où les choses me parurent si extraordinaires, que je le priay de me permettre de les voir moy-mesme, avant que de croire que l’on eust osé insulter aux yeux de tout le Royaume avec tant de temerité ; Mais je sors des bornes où je doit me renfermer, en entrant un peu dans la Satyre. Je n’ay neammoins nommé personne. J'ay desiré seulement, que puis que la Poësie & la Peinture sont des imitations de la Verité, que le premier soin des Poëtes & des Peintres soit d’éviter de certaines contradictions, qui ne peuvent estre que fort desagreables à des yeux un peu fins. Apres tout je veux bien entrer demain dans vos sentimens, & vous faire l’éloge de quelques Fictions qui ont paru depuis peu. Leur exemple sera plus utile que des preceptes, & vous, dis-je, qui aimez à considerer plûtost les choses par ce qu’elles ont de bon, que par ce qu’elles ont de mauvais.

Lettre VI.

Il y a dans les agreables Livres des Jardins, que le Pere Rapin a composez, plus de belles fleurs, Monsieur, que dans les Parterres les plus celebres. Et mesme, à vray dire, il s’en faut beaucoup qu’il y ait rien au monde de plus fleury que les charmantes descriptions dont il a embelly son Ouvrage. Ce n’est pas seulement le sujet dont il traite qui le fait parler ainsi. C''est que sa Muse orneroit des épines aussi-bien que des roses, & qu’il est vray que les fleurs ne reçoivent pas de l’Astre qui les peint des couleurs plus vives, que de ce digne Successeur de l’incomparable Virgile. Puis-je, Monsieur, vous nommer un lieu plus agreable, pour y prendre plaisir à chercher les Fictions les plus ingénieuses du monde ? C'est là que l’on peut en prendre sûrement des modeles. Elles sont toutes tirées d’apres nature. Ce sont des copies fidelles des plus beaux traits de la Morale. La Fable ancienne y est amenée avec tant d’art, qu’il semble que les Grecs n’ont rien inventé d’agreable, que pour embellir ces Jardins. Il ne faut pas que l’on se persuade que ces jeux d’esprit, ces honnestes divertissemens, qui servent de recreation aux grands Hommes, comme est celuy dont je vous ay parlé, & qui preparent mesme leur style aux Sujets les plus importans ; il ne faut pas, dis-je, que l’on croye qu’ils se presentent indifferemment à toutes sortes d’esprits semblables à ces Sylphes, à ces Salamandres, à ces habitans de l’Air, dont on parle icy plus qu’en lieu du monde, la connoissance que l’on en a estant plus proche de sa source, puis que le fameux Nostradamus est d’une petite Ville de cette Province. Il faut s’estre purifié l’ame, pour avoir de ces apparitions. Elles n’arrivent jamais, qu’apres s’estre formé longtemps le goût des belles Lettres, & avoir eu quelques familieres conversations avec les Muses. Si l’on voyoit souvent dans vostre Mercure, Monsieur, des Fictions aussi ingénieuses que celles de Mr de Fontenelle, on entreroit plus aisément dans l’estime que l’on doit à ces galans Ouvrages, & il arriveroit sans-doute, que l’idée s’en formeroit communément & d’une maniere fort juste dans les esprits. On verroit apres cela avec plaisir de fort jolies Fictions sur les Sujets qu’il vous plaira de proposer. On n’entreprendroit pas d’en écrire, sans avoir quelque connoissance de la Fable. On auroit recours aux Anciens. On s’instruiroit. Je n’ose presque vous dire qu’il y a assez de Gens qui se font tort à eux-mesmes. Ils croyent qu’il n’y a qu’à deviner au hazard quelque Enigme, & à se servir de la complaisance generale que vous avez pour tout le monde. Ils peuvent bien se flater aussi de quelque succés dans les Fictions ; mais il est difficile de donner ces sortes d’avis, & de troubler la joye que l’on a de se faire un commerce avec vous. Il y a déjà quelqu’un qui ne manquera pas de se vanger sur les Lettres que je vous écris. Il est neammoins de l’honneur de nostre Siecle, Monsieur, & des Provinces du Royaume, que l’on n’expose pas mal à propos ses Ouvrages à une infinité de Gens qui ont beaucoup moins de complaisance & d’honnesteté que vous. Je vous avoüe que j’ay crû contribuer en quelque chose sur les Enigmes, & sur les Fictions. Car enfin il y a lieu d’esperer, ou que l’on prendra la peine de s’en bien instruire, si on veut vous en envoyer, ou que vous n’aurez pas celle d’en recevoir beaucoup de mauvaises. Il est vray neammoins, Monsieur, que la passion de vous rendre service a encor plus de part à ce que je vous écris, que l’interest public.

A Aix ce Decembre.

[Sur une nouvelle façon de Cadran Solaire (avec devises) inventée par Mr l’Abbé Mallement de Messange] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 152-171.

Mr l’Abbé Mallement de Messange a trouvé une nouvelle façon de Cadran Solaire, par le moyen de laquelle on peut faire toute sorte de Cadrans sur une mesme sorte de Plan, quelle qu’elle soit ; au lieu que par la façon commune on n’en peut faire que d’une sorte, dêterminée & contrainte pour chaque sorte de Plan.

On a admiré autrefois l’art d’assembler en une mesme pierre plusieurs faces où l’on pust tracer plusieurs sortes de Cadrans, une sorte sur chaque face. On en a fait l’embellissement des Jardins, dans les Palais, & dans les Maisons de plaisance ; & Mr l’Abbé Mallement dont je vous parle, a trouvé l’art d’en faire presque une infinitê tous diférens sur un mesme Plan.

Par le moyen de cette façon d’Horloge, lors que le Soleil luira, on verra dans une Chambre un Cadran bien fait contre les Vitres, marquer l’heure dans la derniere justesse ; & dés que le Soleil cessera de luire, le Cadran disparoistra entierement, sans qu’il y en reste la moindre marque.

Presque en tous les Cadrans qu’on fait de cette maniere, on peut mettre l’axe & le style ou par dessus ou par dessous le Cadran, & mesme d’une maniere entierement contraire à la situation de l’axe du monde ; au lieu que l’ancienne façon l’observe si religieusement, qu’elle n’ose s’en écarter d’une minute. On peut mesme en faire quantité sans ligne d’heures, & sans aiguilles, & l’heure se trouvera toûjours juste dans le mesme endroit.

Enfin, dans la façon commune, les lignes des heures sont toûjours fixes, & ce qui les détermine est errant ; au lieu qu’icy les lignes des heures sont errantes, & ce qui les détermine est fixe ; & si l’on veut, tout est mouvement contre le mur, l’axe & les heures se promenent, & font divers tours sur la muraille.

L'Autheur de cette Invention, surpris avec toute la terre des prodigieuses Actions de nostre invincible Monarque, & voyant que tous les Arts & toutes les Sciences luy doivent l’éclat où elles sont aujourd’huy, a formé un Dessein de ces Cadrans à la gloire de cet incomparable Héros. Il represente une Minerve tenant son Bouclier, sur lequel la lumiere du Soleil peint des Devises, qui selon la suite des heures du jour, representent la suite de la Vie du Roy. Ce Cadran est sans lignes d’heures & sans aiguilles. Les Devises ont toutes le soleil pour corps, & ne se voyent pas toutes à la fois sur le Bouclier, mais elles se succedent les une aux autres, suivant le rang qu’elles tiennent dans la Vie du Roy.

J'en ay fait graver le Dessein que je vous envoye. Examinez toutes les Devises qui le forment, & souvenez-vous que ce Cadran estant un Cadran Solaire, il ne commence à marquer qu’à six heures du matin, & qu’ainsi vous devez regarder cette sixiéme heure comme la premiere. Je viens à l’explication de ces Heures.

La premiere qui est marquée VI. dans le Cadran, est un Soleil qui en naissant dissipe les nuages dont il est envelopé. Ces paroles luy servent d’ame, Nascens nubila dissipat. Le Roy dés sa plus grande jeunesse a dissipé les troubles qui s’estoient élevez dans son Royaume par l’emportement inconsideré de ses Sujets que les Etrangers animoient à la révolte. Plusieurs Batailles qu’il gagna dans ce temps-là luy firent surmonter tous les obstacles que les Armées ennemis formoient contre luy.

Comme un Soleil naissant dans des nuages sombres
Dégage sa clarté de la nuit & des ombres,
Et parmy les débris des humides prisons
Qui formoient un obstacle à sa vive lumiere,
    Etale en sa vaste carriere
L'éclat victorieux de ses nouveaux rayons.
Ainsi LOUIS dégagea sa jeunesse
Du funeste embarras de cent troubles émeus ;
Et parmy les débris des Ennemis vaincu,
Aux yeux de l’Univers qui l’admiroit sans cesse,
    Fit briller d’un éclat nouveau
    Les triomphes de son Berceau.

La seconde marquée VII. qui est un Soleil répendant ses rayons de toutes parts, avec ces paroles, Proprio Lumine cuncta videt, represente le temps auquel le Roy commença à prendre le maniëment des Affaires, & à voir tout par Luy-mesme.

Comme l’Astre du Jour par sa propre lumiere
    Voit ce qui se passe en tous lieux,
LOUIS, sans emprunter de lumiere étrangere,
Connoit tout par Luy-mesme, & voit tout par ses yeux.

La troisiéme marquée VIII. est un Soleil qu’un Aigle regarde. Ces mots en font l’ame, Aquilam recreat. Rien ne sçauroit mieux representer le secours que le Roy donna à l’Empire, en chassant les Turcs de la Hongrie, & les contraignant à demander instamment la Paix, tous insolens qu’ils estoient de leur victoire, apres avoir pris quantité de Places fortes sur l’Empereur. Les Troupes que le Roy y envoya sous la conduite de Messieurs de Colligny & de la Feüillade, les batirent au Pont de Kermen, & les défirent au Passage de la Riviere de Raab, proche S. Godard.

Lors que LOUIS porta pour la premiere fois
Contre les Otomans ses armes triomphantes,
    A la faveur de ses Exploits,
    L'Empire réduit aux abois
    Ranima ses forces mourantes,
    Et luy doit encor aujourd’huy
    Celles qu’il arme contre Luy.

La quatriéme marquée IX. fait connoistre l’amour du Roy pour la Justice, & l’obligation que luy a la France du Code nouveau qu’il a bien voulu prendre soin de luy donner. C'est un Soleil au dessous duquel sont des Balances, avec ces mots, Habet hoc signa inter cœtera fignum.

    Ce Symbole de la Justice
Que l’on compte parmy les Signes du Soleil,
S'applique mieux encor au Héros sans pareil
Dont les justes Edits ont abatu le vice.

La cinquiéme marquée X. est un Soleil dans des nuages, où l’on voit paroistre des pointes de Foudre. Ces paroles, Fulmina præparat, ont un juste raport avec ces grands desseins pour la guerre que le Roy a fait enfin éclater contre la Hollande.

Pour réduire à la fois mille Peuples en poudre,
    LOUIS justement irrité,
    A plus souvent lancé la Foudre
Que l’ardeur du Soleil ne l’allume en Eté.

La sixiéme marquée XI. fait voir un Soleil qui répand ses feux sur trois côteaux élevez devant luy. Ces paroles sont autour, Obicibus calor increscit. Le Roy a rendu inutiles tous les efforts qu’a faits la Triple Alliance pour empescher ses Conquestes.

Si lors que le Printemps ranime la Nature,
Trois Côteaux élevez sur un triple Valon
Opposent au Soleil qui combat l’Aquilon
Leurs panchans émaillez de fleurs & de verdure ;
Ils reçoivent sur eux tout l’effort de ses coups,
Bientost ce riche émail disparoist à la veuë,
Et dans leur sein brûlé la chaleur retenuë
Forme un Foyer ardent d’un lieu charmant & doux.
Ainsi lors que LOUIS poursuivoit la victoire,
Trois Peuples orgueilleux s’opposant à sa gloire,
Ont ressenty l’effet de son juste couroux.
    Ses armes sur eux arrestées
Ont consumé les Biens qui les rendoient si fiers,
    Et de leurs plus riches Contrées
    Ont fait les plus tristes Deserts.

La guerre que le Roy a faite aux Hollandois, est marquée dans la septieme heure qui a XII. pour chiffre, par un Soleil sechant des Marais, avec ces mots, Siccat pludes.

Peuples marécageux, grillez dans vos Roseaux,
Avant que le Soleil eust dissipé vos eaux,
Vous voulustes, dit-on, l’arrester au passage,
Et poussiez jusqu’à luy vos cris de tous costez,
    Mais helas ! à vostre dommage
Ses vifs rayons se sont trop arrestez
    Sur vostre pauvre marécage.

La huitiéme marquée I. a pour corps un Soleil luisant sur des Arbres sans feüilles, & ces paroles pour ame, Frigora non timet. Le Roy a vaincu la Nature mesme ; & les plus rigoureuses saisons n’ont pû mettre obstacle à ses desseins.

    Comme la nége & les frimats
Qu'en Hyver le Soleil rencontre sur ses pas,
N'interrompent jamais sa rapide carriere,
L'Hyver n’arreste point le plus puissant des Roys,
Et l’horreur des glaçons aux Héros si contraire,
N'interrompt point le cours de ses fameux Exploits.

La neuviéme marquée II. fait connoistre que le Roy a émeu toute l’Europe par la guerre qui a donné lieu à la Triple Alliance qui s’est formée contre Luy. C'est un Soleil luisant sur un Globe, autour duquel on lit ces paroles, Quæ Regio non sensit ?

Si le Soleil par tout fait sentir sa chaleur,
LOUIS fait éclater son nom & sa valeur
Du Levant jusqu’aux lieux où la nuit prend sa source,
    Et du midy jusque à l’Ourse.

La Dixième marquée III. est un Soleil au dessus duquel on découvre un Arc-en Ciel. Ces mots en sont l’ame, Iraa format. La Paix que le Roy a donnée à toute l’Europe est representée par cette Devise.

    Cette belle & celeste Iris,
Ce Symbole de Paix qu’enfante la Lumiere,
    Reconnoit le Soleil pour Pere,
    Et la Paix reconnoit LOUIS.

L'onziéme marquée IV. fait connoistre la confiance que les Peuples pacifiez doivent avoir à la parole de Loüis le Grand. Ces paroles, Solem qui dicere falsum Audeat, sont autour d’un Soleil, dont un Cadran Solaire reçoit les rayons.

Peuple, puis que LOUIS prest à vous mettre en cendre,
    Se laisse vaincre à vos soûpirs,
Et par une bonté que vous n’osiez attendre,
Accorde enfin la Paix à vos ardens soûpirs ;
Qu'un repos qu’établit sa Royale parole
Ne soit jamais troublé par la crainte frivole
Que d’un semblable coup il veüille vous fraper.
    S'il promet la Paix à la Terre,
    On ne doit pas craindre la Guerre,
    Le Soleil ne sçauroit tromper.

La douziéme marquée V. qui est un Soleil au dessus duquel sont des Moissons, avec ces Mots, Omnia fœcundat, nous répond de l’abondance que le Roy va procurer à ses Sujets par la Paix qu’il a eu la bonté de leur donner.

Celuy quy ne sçait pas que le flambeau du Monde
    Cause par sa chaleur féconde
    La fertilité des Guérets,
    Peut ignorer quelle abondance
    LOUIS va donner à la France,
Apres qu’à l’Univers il a donné la Paix.

La treizième & derniere heure marqué VI. avec un Soleil sur l’Ocean, & ces paroles, Pervius Oceanus, fait voir que la Paix établira le Commerce.

    Nos Vaisseaux aimez de Thétis
Vogueront sur les flots poussez, d’un doux Zéphire,
Et le nom du Soleil chéry dans cet Empire
Y sera moins connu que le nom de LOUIS.

Tous ces Vers sont de l’Autheur du Cadran dont je viens de vous expliquer les derniers. Vous en avez déja veu d’autres Ouvrages que vous avez estimez. Il n’ont point paru sous son nom, parce qu’il m’avoit esté caché jusqu’icy. C'est luy qui a fait le Madrigal des deux Marys, l’un trop jeune, & l’autre trop vieux, qui est dans ma Lettre du dernier Mois. Le Menüet employé dans celle du Mois précedent, qui commence par Ne croyez pas, jeune Bergere, est aussi de luy, ainsi que le Sonnet, Grand Roy, quand tu mettrois le monde sous ta Loy, avec le Madrigal sur le mesme sujet, qui le suit immédiatement, & un autre sur le mal de dents. Ces trois dernieres Pieces sont dans le Mercure de Septembre. Je pourrois vous en nommer d’autres, mais je les laisse pour venir à ce qu’il a fait pour l’essay des Cadrans Solaires, dont j’ay commencé de vous parler. Il en a fait un dans une Maison Religieuse dediée au S. Esprit. La lumiere du Soleil peint contre le mur, une Colombe environnée de rayons, au bout desquels sont les chiffres des Heures, peints aussi par la Lumiere. Le Rayon qui a au bout le chiffre de l’heure qui doit estre marquée par le Soleil, se trouve toûjours le long d’une raye noire peinte au dessous, & allant de gauche à droite, ce rayon cede sa place à l’heure qui vient apres luy. Le mur represente un Ciel ouvert, avec un Liston volant, où ces paroles se lisent, Si ma lumiere vous regle, vous ne vous tromperez point.

Depuis ce temps-là, il en a fait deux portatifs. Dans le premier, le rayon de l’heure presente se trouve toûjours au bout du bec de la Colombe ; & dans l’autre qui est un Soleil, l’Image du Roy est peinte au bas, marquant les heures avec le bout de son Sceptre. Les rayons du Soleil obeïssent, & viennent se rendre tour à tour au point qu’il leur marque. Ces paroles sont écrites au dessous, Imperat Astris. Quæ Tellis parere neget ?

Il en a encor fait deux autres. Le premier est un Dauphin environné de rayons, avec ces mots, Recturus Terras oritur Sol alter ab undis ; & le dessein du second s’applique à un Grand Ministre qui a des Etoiles dans ses Armes. On en voit une qui par dessus les cinq rayons, en a encor quantité d’autres qui l’environnent, avec ces paroles, Simillima Soli.

[Fiction sur l’origine de Horloge de Sable] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 171-174.

Fiction.

L'Amour dans les premiers Siecles (car il a esté de tout temps comme de tous lieux) estant un jour descendu en Terre, pour voir de plus prés les effets de son pouvoir, rencontra une tendre Bergere aupres d’un aimable Berger. Ce petit Dieu qui fait son unique plaisir des coups qu’il donne, ne voulut pas perdre ceux qu’il avoit résolu de porter dans le sein de quelque Mortel. Il tira toutes ses flêches à brûle pourpoint, comme on dit, sur ce malheureux Berger qui se sentit alors si fort embrasé du feu qu’il nourrissoit dans son cœur depuis longtemps, qu’en un moment il se trouva réduit tout en cendres. L'Amour surpris de l’accident du Berger, ramassa ces cendres, & les ayant enfermées dans son Carquois qui étoit déja vuide de flêches, il s’assit aupres de la Bergere pour la consoler. Comme ce Carquois estoit transparent, quoy que solide, il s’aperçeut que les cendres qui estoient encor toutes brûlantes, & pleine de passion, rouloient toûjours du costé de la Bergere. Cette merveille obligea le Dieu d’Amour d’ordonner en memoire d’un Amant si digne de n’estre jamais oublié, que l’insensibilité des plus fieres Bergeres, ne dureroit à l’avenir pour celuy qui auroit ce Carquois, qu’autant de temps qu’il en falloit pour voir passer ces cendres d’un costé à l’autre. C'estoit environ l’espace d’une heure. On prit de là occasion d’appeller certains momens fortunez, l’heure du Berger. L'Horloge où l’heure si favorable à beaucoup d’Amans se trouvoit toûjours, s’est conservée pendant tous les Siecles dorez, & ça esté seulement dans ceux qui les ont suivis, que la perte d’un gage si precieux a donné lieu à cet autre Horloge de Sable, où l’on ne rencontre que rarement cette heure desirée par toute la Terre.

    Le Berger des Rives du Tarn.

[Réponses aux énigmes dont celui de la Lettre en chiffre] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 174-182.

Les Enigmes proposées dans ma Lettre du mois d'Octobre estoient toutes deux sur l'Esprit. En voicy quelques Explications.

I.

L'Enigme la moins difficile
Me mettoit à bout autrefois :
Mais aujourd'huy je suis habile,
J'en devine deux à la fois.
Que dis-je deux ? je n'en vois qu'une,
Mesme but, mesme sens, je n'en suis pas surpris,
Et voir rencontrer deux Esprits
Est une chose assez commune.

II.

Ah pour le coup, Galant Mercure,
On trouvera le Mot, sans y resver deux fois,
Et les Enigmes de ce Mois
Ne donneront point la torture.
Comment, dit-on par tout, se moque-t-il des Gens ?
Il croit cacher l'Esprit dans ce qu'il nous propose.
Voyez, la belle Enigme ! helas depuis deux ans
Il ne nous fait voir autre chose.

    Les Dames de Bourg.


III.

On me l'avoit toujours bien dit,
Qu'il n'estoit point d'Ouvrage à comparer au vostre.
Dans vostre dernier livre on trouve plus d'Esprit
Qu'on n'en avoit encor trouvé dans aucun autre.

    De la Marthe, Avocat au Parlement.


IV.

Ces Enigmes, sans contredit,
Font voir que leurs Autheurs n'ont pas perdu leur peine,
Car en quelque sens qu'on les prenne,
L'une & l'autre est pleine d'Esprit.

    Mad. Noman-Anori, de Poitiers.


V.

Cette Enigme est particuliere
Pour le tour & pour la maniere ;
Plus on la voit, plus on la lit,
Et plus on y trouve d'Esprit.

     De Blegry.


VI.

Si vos Enigmes en figure
Echapent à mon jugement,
Vous me permettrez bien, agreable Mercure,
De vous dire mon sentiment
Sur celles dont les Vers m'ont fait une peinture.
On a beau les examiner,
Et pour les expliquer prendre une peine extreme,
Si l'on ne connoist l'Esprit mesme,
On ne pourra les deviner.

    Valcherie, de Pontoise.


VII.

Une lumiere vive & pure
Pourroit avec facilité
Des deux Enigmes du Mercure
Percer toute l'obscurité.
Mais où prendre cette lumiere ?
Lisons les Vers de bout en bout.
Un feu tout divin les éclaire,
On y trouve l'Esprit par tout.

    Le Mauvileu, de Chauven.


Ces mesmes Enigmes ont esté expliquées en Espagne par la spirituelle Personne qui se cache sous le nom de la Lorraine Espagnolete. Vous avez déja veu quelque chose d'elle au commencement de cette Lettre, & voicy ce que j'en reçois encor presentement.

Madrid 14. Decembre 1678.

Explication des Enigmes du Mercure du mois de Novembre, reçeuës à Madrid le 9. Decembre 1678. sur les deux Enigmes en Vers.

Pour expliquer sans contredit
Les deux Enigmes de Novembre,
Il faut se réveiller l'esprit
Par un trait du jus de Septembre ;
Et pour lors l'on dira, sans passer pour Devin,
L'un est le bel Esprit, & l'autre est le Vin.

Sur l'Enigme de Méduse.

L'Autre jour en restant à l'Enigme en figure,
Que nous propose le Mercure,
Par ce Bouclier fatal qui tranforme les Gens,
Je sentois la vigueur d'une bize piquante,
Qui par sa force penétrante
M'ostoit, en me glaçant, l'usage de mes sens.
Ha ! pourquoy tant resver ? Méduse c'est la Bise,
M'écriay-je pour lors, en m'approchant du feu,
Car depuis qu'elle m'a surprise,
Si je ne suis de marbre, il s'en faut peu.

Explication de la Lettre en Chifre de
l'Extraordinaire du troisiéme
Quartier de Janvier.

Vous aurez peine à trouver mon secret,
Dans son Billet chifré dit le Galant Mercure :
Mais il a beau de l'E varier la figure,
Comme fait un Chifreur discret,
Cette précaution n'est point une défaite
Pour la Lorraine Espagnolete.

Cette mesme Lettre en chifre a esté ainsi expliquée par Mr Miconet Avocat à Chalons sur Saone.

Ce n'est pas aux plus fins Esprits
Que s'adressent les Mots sous ces chifres écrits.
Mais vous les proposez à lire
À ceux qu'à déchifrer vous prenez soin d'instruire,
Qui comme moy peut-estre ont l'esprit fort distrait,
Et c'est à nous que la Lettre veut dire,
Vous aurez de la peine à trouver mon secret.

Plusieurs autres ont dévelopé le mistere des diverses espèces de Monnoye qui cachoient ces mots, & ce sont Messieurs Robbe ; Seubert ; Aimés Fils, de Beziers ; De Bollain, Capitaine au Regiment de Picardie ; De Lange de Monmiral, Gentilhomme d'Orange ; Dantoine, Avocat ; Des Barres ; Descussolles ; Puichereau, Medecin de Corbigny en Nivernois ; Le Cœur, de Rouën ; Les Inséparables de Rouën ; Les Inséparables Cloistrées ; L'Esclave des Belles de la Ville de Dieppe ; Le Berger des Rives du Tarn ; Le fidelle Berger des Rives de Seine ; Les trois Enjoüez de Tours ; & les Medecin solitaire de Tarascon en Provence.

[Lettre en chiffre] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 182-184.

Je vous envoye une nouvelle Lettre à déchifrer. Vous n'y verrez aucunes figures. Elle est toute composée de Chifres qui ne font qu'un seul Alphabet, quoy qu'ils parroissent tous diférens. Ainsi il n'y en a aucun qui n'ait sa marque particuliere pour faire connaistre la lettre dont il tient la place, & il ne s'agit que d'en trouver le secret. Tant ce que je vous diray pour vous en faciliter la connoissance, c'est que tous les Chifres finis par un point sont autant de lettres, soit qu'il n'y ait qu'un seul Chifre, soit qu'il y en ait plusieurs. Les deux points font la séparation des mots. On doit l'Invention de ce Chifre à Mr de Monmiral, Gentilhomme d'Orange.


LETTRE EN CHIFRE

21. 19. 235. 45. 789 : 812. 81. 354.
895 : 765. 15. 33. 432. 294. 527.
85. 372. 822. 95 : 4. 55. 823. 946 :
505. 358. 65 : 7. 35. 987. 768. 81.
337. 17. 9. 95 : 81. 66. 5. 76. 61.
29. 712. 25 : 8. 85. 7. 919 : 425.
328 : 343. 5. 65. 819. 928 : 89. 91.
213. 81. 49. 818 : 12. 121. 81. 293.
95 : 54. 6. 65 : 523. 35. 726. 831.
427. 313. 375. 75 : 24. 35. 829.
936. 782. 85 : 29. 324. 985. 85.
776. 75. 821. 889. 15 : 3. 65. 327 :
224. 31. 987. 29. 25. 728. 35 : 34.
31. 238. 484. 303. 738 : 122. 39.
323. 989. 65. 716. 25. 834. 985 :
738. 15. 27. 342. 45 : 515. 21. 728.
237. 3242 : 43. 35. 304. 9281 : 631.
330. 29 : 31. 39. 295. 85. 342. 988.

À Madame de *** sur les Indices qu’on peut tirer de la maniere dont chacun forme son écriture §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 184-198.

Il ne me suffit pas de vous donner des chiffres à démesler, il faut vous apprendre comment on peut connoistre les Gens par la maniere dont ils forment leurs caracteres lors qu’ils écrivent. Cette science n’est pas de moy. Vous en trouverez les Regles dans cette Lettre qui m’est tombée depuis peu entre les mains.

À Madame

de * * *

sur les Indices qu’on peut tirer de

la maniere dont chacun forme

son écriture.

Vous m’avez engagé si honnestement, Madame, à vous mettre par écrit quelques Remarques que j’ay faites sur la maniere de connoistre les Gens par leur écriture, que je n’ay pû me dispenser de le faire. Voicy donc quelles sont mes conjectures. Si elles ne répondent pas tout à fait à vostre attente, peut-estre que la nouveauté ne vous en déplaira pas.

Je supose premierement, que l’on peut connoistre les personnes par leurs caracteres, en établissant d’abord, que les mains suivent naturellement le mouvement du cœur qui en est le principe.

Je supose en second lieu, que ceux qui écrivent ne changent point leur caractere, ou que s’ils le changent c’est par accident ; ce qui arrive d’ordinaire, ou parce que l’encre & les plumes dont ils se servent sont mauvaises, ou bien à cause de la situation du lieu où ils se rencontrent, mais qu’ils reviennent toûjours à leur premier caractere, & à la maniere d’écrire qui leur est la plus naturelle. Cela suposé,

Je distingue trois sortes d’écritures, l’une qui est grande, l’autre médiocre, & la troisiéme qui est petite. Outre cette division generale, j’en fais une particuliere, & je sous-divise celle qui est grande en deux, l’une fort chargée d’encre & desagreable à la veüe, & l’autre plus nette, plus lisible, & plus hardie. Je dis plus hardie, car si l’écriture n’estoit seulement que bien peinte, & fort égale par tout, c’est une marque presque infaillible, non seulement à l’égard de ce caractere, mais mesme à l’égard de tous les autres qui sont si bien peints & si façonnez, que ceux qui fardent ainsi leur écriture (si nous en exceptons ceux qui font profession de la montrer dans les Regles) n’ont pas beaucoup d’esprit, ou que s’ils en ont, il est tout au bout de leur doigt ; & comme une parure trop affectée dans les habits marque une foiblesse dans les Hommes encor plus que dans les Femmes, de mesme une peinture trop recherchée dans l’écriture est un vain amusement qui ne faut partir que d’un petit esprit & d’un foible génie.

Je divise encor le caractere médiocre en deux, l’un qui est grossier & chargé d’encre, & l’autre qui ne l’est point, mais celuy-cy peut estre consideré en deux manieres, ou comme fort hardy, bien net, bien lié, & assez lisible, ou comme fort inégale, point lié, fort mince, & peu lisible.

Pour le dernier caractere, qui est le petit, je ne le divise point, estant presque toûjours plus noir & plus chargé d’encre, qu’autrement.

Je viens maintenant au jugement que l’on peut faire de ces trois caracteres. A l’égard du premier, qui est grand & chargé d’encre, il est assez ordinaire que ceux qui écrivent de cette maniere, n’ont guére d’attention à ce qu’ils font, & qu’ils en sont divertis par quelque passion qui leur occupe l’esprit ; & comme celle de l’amour, & le plaisir mesme brutal que l’on se fait de bien manger & de bien boire, offusque plus les sens, & trouble davantage l’imagination, je dis que ceux qui écrivent de cette maniere aiment ou le Vin, ou la bonne chere, ou la galanterie. Je croy, Madame, qu’il n’est pas necessaire de vous prouver cecy par d’autres conjectures. Vous jugez bien qu’une personne qui est déreglée dans sa conduite, l’est aussi dans sa maniere d’écrire, & qu’une autre qui est accoûtumée à tremper ses doigts dans des sauces, n’est guére plus propre dans son écriture.

A l’égard du grand caractere qui est plus net, selon la conjecture que j’en ay faite, il marque beaucoup d’amour propre & de timidité, & mesme de l’avarice, si les lettres ne sont pas bien liées ; mais quand elles le sont, c’est alors une marque de vanité, de luxe, & d’ambition dans les Hommes comme dans les Femmes ; & la raison de cecy est, que pour lier ainsi ces grandes libertés de main, & que l’esprit soit mesme plus dans cette action qui est continuée, & dans ces traits qui se font sans lever la plume. Or comme l’esprit n’est jamais plus tenu que quand il est occupé de luy-mesme, je dis que c’est une marque de vanité, parce que ceux qui sont vains se plaisent à faire figure dans le monde, & à se répandre au dehors ; de mesme que ceux qui font ces grands traits, sont bien aises que leur caractere brille aux yeux de ceux à qui ils écrivent ; au lieu que ceux qui n’ont pas leur caractere si lié, ont toûjours peur de prendre une lettre pour une autre, ce qui est une marque de délicatesse, & par conséquent d’amour propre, qui ne va guére sans avarice.

Je passe au caratere médiocre. Quand il est un peu chargé d’encre, qu’il est bien formé & fort hardy, il marque un esprit défiant, interessé, & laborieux, Je fonde cette conjecture sur ce que ce caractere est plus commun aux Gens d’affaires, & aux Marchands, qui ont pour l’ordinaire toutes ces qualitez. Je dis quand l’écriture est bien formée ; car si elle ne l’estoit pas, & que les lettres fussent assez détachées les unes des autres pour faire paroistre l’écriture languissante, ce seroit alors une marque de mélancolie, & par conséquent d’amour pour les Arts, comme sont la Musique, la Peinture, & l’Architecture.

Le caractere médiocre qui est fort net, fort hardy, & bien lié, marque ordinairement de l’esprit & de la politesse. Il marque aussi de la bonté, de la liberalité, & de l’amour pour les Lettres. Cette conjecture peut n’estre pas toûjours veritable. Neantmoins l’experience nous fait voir que ceux qui ont l’esprit poly, écrivent d’ordinaire avec plus de netteté que les autres, ce qui ne se rencontre guére sans quelque littérature, & de là l’on conjecture qu’ils sont moins attachez au bien que les autres, & qu’ils ont l’ame plus liberale, n’y ayant rien (si l’on s’en rapporte à Ciceron) qui marque tant la bassesse d’un Esprit, que d’aimer les richesses.

Le caractere médiocre qui est inégal, point lié, mince, & peu lisible, marque un Esprit bizare, chagrin, fourbe, & paresseux. Pour entendre cecy, il faut remarquer que ceux qui écrivent de cette sorte, ou déguisent ainsi leur écriture, pour n’estre pas si bien entendus, ou ne le forment pas assez pour n’avoir pas bien appris à écrire, ou pour ne pas enfin s’en vouloir donner la peine. Si c’est pour déguiser leur caractere qu’ils écrivent de cette maniere, ils ne sont pas moins déguisez au dedans d’eux mesmes, & voicy les conséquences que j’en tire. S'ils sont déguisez dans l’intérieur, ils ont des veuës pour tromper le monde ; il faut qu’ils soient mal dans leurs affaires, ou qu’ils soient naturellement malins. S'ils sont mal dans leurs affaires, ils sont pour l’ordinaire bizares & chagrins, & prennent en mauvaise part tout ce qu’on leur dit, selon la pensée de Térence. Que si c’est à cause qu’ils sont d’un méchant naturel, il faut, selon le langage de l’Ecriture, qu’ils ayent un cœur double, & par conséquent qu’ils soient fourbes & menteurs. Enfin si c’est à cause qu’ils ne veulent pas se donner la peine de mieux écrire, c’est toûjours une marque de paresse, & de là il est facile de tirer d’autres conséquences de cette nature. S'ils sont paresseux, ils doivent estre mal-propres ; ils aiment le jeu, & toutes les choses ausquelles l’oisiveté incline. S'ils sont bizares & chagrins, ils sont peu sociables. S'ils sont mal dans leurs affaires, ils sont jaloux & envieux du bonheur d’autruy.

Il ne reste plus que le petit caractere dont nous n’avons point encor parlé. Je dis donc que comme ce caractere est propre aux vielles Gens qui sont naturellement avares & défians il est assez ordinaire que ceux qui s’en servent sont aussi fort défians & fort avares. Ajoûtez à cela, que comme l’on juge souvent des grandes choses par les petites, c’est une conséquence presque infaillible que ceux qui serrent ainsi leur écriture, & ménagent un morceau de papier, sont aussi ménagers & serrez dans les autres choses ; & de là il est facile de tirer quantité d’autres inductions, en examinant toutes les qualitez que l’on attribuë aux Vieillards. Ce que je dis de ce dernier caractere doit s’entendre de tous les autres, où les circonstances bien démeslées, & l’adresse de ceux qui examinent les écritures, font toute la finesse de cet Art.

voilà, Madame, en quoy consiste toute ma science sur les caracteres. J'en aurois fait un mistere à une autre Personne qui auroit moins de lumieres que vous n’en avez ; mais dans cette science, comme dans toutes les autres, il y a longtemps que je suis convaincu que rien n’échape à vostre penétration.

Conseils sur un mal d’Amour §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 199-203.

Conseils

sur un mal

d’Amour.

Vous me demandez des Conseils. Je veux bien vous en donner, mais je crains que vous n’en profitiez pas. Vous estes prévenu, Tirsis, de ces sortes de préventions qui ne nous laissent guére la liberté de gouster les raisons qui vont à les détruire.

Je connois bien que vostre cœur
Prend trop de plaisir dans ses chaînes ;
Il est dans une douce erreur,
Et n’a pour plaisirs que ses peines.

Apres cela, Tirsis, voyez, je vous prie, à quoy vous m’engagez. J'auray peut-estre la honte d’avoir entrepris inutilement de vous guérir, mais n’importe. Je me sens un si grand panchant à vous obliger, que je compteray toûjours mes interests pour rien quand il s’agira de travailler pour les vostres. Une seule chose m’embarasse. J'apprehende que vous ne soyez de l’humeur de la plûpart des Gens qui consultent leurs Amis plutost pour les faire entrer dans leur foiblesse, que pour en tirer un veritable secours.

Souvent l’on se plaint d’un martire
Dont on ne voudroit pas guérir ;
Et quoy que l’on nous puisse dire,
On croit qu’il est doux d’en mourir.

Si ce sont là vos veritables sentimens, comme j’y vois beaucoup d’apparence, les remedes ne vous serviront de rien ; car enfin, Tirsis, il est presque impossible de guérir un Malade, quand il ne veut pas y contribuer. Mais pour peu que vous voulussiez vous aider, je ne desespererois pas de réüssir dans mon dessein, puis que je connois déja la nature de votre mal.

Un Medecin qui ne sçait rien,
Guérit cent maux sans les connoistre ;
Connoissant le vostre assez bien,
Je vous en guérirois peut-estre.

En effet, Tirsis, je vois par les regles de mon Art, que vostre fievre est continuë, avec des redoublemens causer par des soupçons jaloux, des craintes, & des depits. Il me semble que c’est assez bien raisonner de vostre mal, pour vous engager d’avoir de la confiance en moy, & que vous ne devez pas balancer à vivre de la maniere que je vay vous prescrire.

Venez dans nostre Solitude,
Vous vous en trouverez fort bien ;
L'air de Paris ne vous vaut rien,
Il nourrit vostre inquiétude.

Je ne doute pas que ce remede ne vous paroisse violent ; mais dans l’état où vous estes, il ne faut point flater vostre mal. Ce seroit l’entretenir, & il seroit à craindre qu’il ne devinst incurable. Voyez, Tirsis, si vous aimez mieux avoir toûjours l’ame penétrée de quelque nouveau chagrin, que souffrir un peu, pour joüir apres d’une tranquilité qui selon moy fait tout le bonheur de la vie.

L'Amour est plein d’impatience,
Rien ne peut remplir ses desirs ;
Prenez deux grains d’indiférence,
Elle a de tranquiles plaisirs.

Croyez-moy, Tirsis, abandonner-vous entierement à ma conduite, & je vous répons que vous serez bientost le plus heureux & le plus indiférent de tous les Hommes.

Fable sur l’Horloge de Sable §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 204-213.

Fable

sur

l’Horloge de Sable.

Traitée Simplement par l’invention, & comme elle peut avoir esté trouvée.

Malgré l’inimitié qui estoit entre les Familles de Philemon & de Baucis, ce Berger sçeut toucher le cœur de cette Bergere. Ils s’aimerent tendrement, & la contrainte ne servit qu’à augmenter leur amour. Il est vray qu’elle les obligeoit à le cacher avec de grandes précautions. Philemon obtint un jour de sa Maîtresse la faveur de pouvoir en liberté l’entretenir de sa passion. Ils choisirent pour cela un Bois où l’ombre regnoit eternellement. Le rendez-vous fut donné pour une heure entiere, qui estoit celle dont Baucis pouvoit disposer. Ses Parens estant ordinairement engagez pendant ce temps-là à quelques occupations indispensables, nos Amans se rendirent au lieu désigné. Leur entretien y fut fort tendre, & ce ne fut qu’avec peine qu’ils se quiterent, quoy que leur conversation eust duré bien au dela de l’heure dont ils avoient esté maistres. Ce retardement de Baucis luy fit chez elle une grand affaire, & le Berger ne pouvoit plus en obtenir de semblables assignations. Quelques promessent qu’il luy fist de ne la point retenir plus qu’il ne falloit, elle connoissoit son foible là-dessus, aussi bien que celuy du Berger ; & la crainte de se méprendre à l’heure dans un lieu où le Soleil ne pouvoit la leur faire connoistre, estoit toûjours la cause de ce refus. Philemon en estoit extrémement affligé. Il resvoit un jour profondement à son malheur aupres d’une Source qui se trouvoit couronnée d’un tertre sablonneux, lors qu’un de ses Moutons en bondissant vint à détacher avec son pied un caillou qui servoit comme de barriere à une petite veine de sable. Ce leger accident interrompit sa resverie. Il porta doucement sa veuë sur les objets qui estoient autour de luy, & l’attacha enfin sur celuy-cy. Il se mit encor à resver, mais non pas si fort, qu’il ne remarquast que ce sable avoit commencé à s’écouler au moment qu’une certaine hauteur qui n’estoit pas loin, avoit esté éclairée du Soleil, & qu’il avoit finy au point que les rayons de ce bel Astre avoient atteint le tertre au dessous duquel estoit cette Fontaine. Le progrés du Soleil depuis le premier de ces lieux jusques à l’autre, estoit connu depuis longtemps de nôtre Berger pour la marque de la durée d’une heure. L'on sçait assez que de tout temps les Gens de la campagne ne se trompent guere à ces sortes de remarques, & qu’ils sçavent fort bien y apporter les diférences necessaires selon la diversité des saisons. Cette observation luy fit naistre une pensée. Il mit ce monceau de sable dans une coquille assez grande, au bas de laquelle il fit auparavant un petit trou, & luy ayant donné la pente necessaire, il fut ravy de voir que le temps de l’écoulement de son sable avoit répondu à peu pres à celuy d’une heure qu’il avoit mesurée à la faveur du Soleil, & par quelque espace de terrain, comme je viens de vous le dire. Cette premiere épreuve l’encouragea à en faire d’autres, qui enfin se trouverent justes, & sur lesquelles ayant rafiné, il en perfectionna l’invention avec deux petits Vases de verre, & un petit bastiment de bois, comme nous les voyons aujourd’huy. Bien content de ce succés, il fit entendre à Baucis le secret qu’il avoit trouvé, & l’utilité qu’ils en pourroient tirer pour l’oster d’inquietude dans leurs entreveuës. Y a-t-il quelque chose que la curiosité venant au secours d’un amour mutuel n’obtienne d’une Maistresse ? Celle de Philemon consentit à renoüer leurs conversations au mesme lieu. Jamais ils ne passoient mieux le temps qu’à cette heure favorable, & l’on pourroit dire qu’en quelque façon, ils le voyoient luy-mesme passer sensiblement, mais toûjours trop viste à leur gré. Ils eurent quelquefois assez de loisir pour retourner l’Horloge, & pour voir finir le Sable une seconde fois, & vous pouvez croire qu’ils n’y manquerent pas. Ils s’en servirent le plus qu’ils leur fut possible, toûjours avec le chagrin du depart, mais aussi toûjours avec grande satisfactions pour Philemon de voir Baucis hors de crainte. Enfin par un bonheur qu’ils n’avoient osé esperer, l’inimitié de leurs Parens vint à cesser, & leur hÿmenée fut le gage de cette reconciliation. Ils vécurent dans une parfaite intelligence jusqu’à un âge fort avancé, & furent un rare exemple d’une amitié conjugale, comme on le voit dans Ovide. Mais pour revenir à nôtre Sable, si-tost que le Mariage eut uny ces deux Amans, ils négligerent cette petite machine qui leur avoit rendu de si bons services. Un de leurs Amis qui se plaisoit au Cabinet & à la Lecture, s’en accommoda tres-utilement. Depuis ce temps-là les Personnes studieuses s’en servent plus que tous les autres ordinairement pour leur travail ; & si ceux d’entr'eux qui sont galans, vouloient l’avoüer, cet Horloge leur est encor de quelque usage pour le temps de leurs divertissemens. Ainsi l’invention du Berger se trouve favorable en toutes manieres à l’Homme de Lettres.

Car le plus sage & le plus prude
A ses plaisirs à ménager ;
Et l’heure d’un Homme d’étude
Peut estre celle du Berger.

Cette Fable est encor de Mr Gardien Secretaire du Roy, dont vous avez déja veu une premiere sur le mesme sujet, traitée par métamorphose. Il merite assurément beaucoup de loüanges, ayant l’esprit galant & vif, & beaucoup d’érudition. Sa galanterie paroist dans les Enigmes du Champignon & du Cœur, qui sont toutes deux de luy, & dont la derniere a esté trouvée admirable. Rien n’approche de la facilité qu’il a toûjours euë à trouver le sens de celles que je vous ay proposées dans mes Lettres, je parle des Enigmes en figure aussi bien que des autres qui sont en Vers, aucune de ces premieres ne luy ayant encor échapé.

Discours sur les Devises, Emblesmes, et Revers de Médailles §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 214-268.

Pour son érudition, les Fables que vous avez veuës de luy vous en ont déja rendu témoignage*, & vous en allez trouver un nouveau & bien convainquant dans le Discours qu’il a fait sur les Devises, les Emblêmes, & les Revers de Médailles. Je l’adjoûte icy, ne doutant point que vous ne le jugiez tres-digne de la curiosité de tous ceux qui voudront estre pleinement instruits sur cette matiere.

Discours

sur les Devises,

Emblesmes,

et Revers de Médailles.

Puis que vous desirez de moy, Monsieur, un Discours sur les Devises, sur les Emblêmes, & sur les Revers de Medailles, dans lequel on puisse connoistre leurs proprietez diférentes, je vais en faire sans façon un abregé, où je mettray simplement ce que ma memoire m’a fourny la-dessus, & ce que j’en ay retrouvé dans nos Autheurs que je viens de repasser legerement pour vous donner cette satisfaction. J'y mesleray trés-peu du mien, & encor je pretens que ce soit avec une parfaite soumission aux lumieres de ceux qui peuvent estre plus éclairez que moy sur ces matieres.

Les Devises, les Emblêmes, & les Armes, & tout ce qui s’apelle en Latin Insignia, ont esté dans une grande confusion chez les Anciens, non seulement pour leurs noms, mais encor pour leurs diférences, avec peu ou point de distinction, eu égard à celles qu’elles ont reçeuës dans la suite, soit parce qu’ils les employoient toutes à une mesme fin, soit que ces distinctions ayant esté seulement trouvées depuis, & tirées de leurs usages. Il y a apparence que dans l’Antiquité les Armes & les Devises n’estoient qu’une mesme chose, & qu’il n’y avoit que les Personnes de qualité qui s’en fissent honneur. Euripide & Æchile au recit du siege de Thebes, nous raportent les Noms & les Devises des sept Héros qui se posterent à l’opposite des sept Portes de cette Ville-là pour en faire les attaques. Le plus emporté de tous estoit Capanée, qui avoit juré de prendre la Ville en dépit de Jupiter mesme, & qui avoit en son Ecu pour Devise, l’un de ces Poëtes dit, un Geant portant une Ville sur ses épaules ; & l’autre veut que ce fust un Homme portant un flambeau allumé dans sa main, avec ce mot. Je reduiray la Ville en cendres. L'on peut dire à l’égard des Armes & des Devises, qu’elles ont longtemps erré avec les Chevaliers Errans sans avoir une forme certaine, jusqu’à ce que les Hommes de Lettres, qui quelquefois sont bons aussi pour les Armes, ont pris soin de leur donner cette forme, & de les rendre parfaites. Comme la Devise est beaucoup plus difficile que l’Emblême, & que le Revers, & qu’elle veut par consequent un discours plus étendu, je vay commencer par elle.

De la Devise.

Ce que nous apellons Devise, les Italiens l’apellent Impressa, qui signifie Entreprise, pour montrer qu’elle tire son origine de quelque trait d’esprit, dont les Anciens se servoient pour donner à entendre quelque entreprise considerable qu’ils meditoient, & c’est pourquoy dans ses commencemens le temps futur luy estoit toûjours donné. Les Autheurs qui ont traité cette matiere, l’ont estimée tres-difficile, & peut-estre la plus difficile qu’on puisse entreprendre pour y réüssir. Un d’entre-eux dit nettement, que quelque application d’esprit qu’on apporte à inventer une Devise, il n’est pas en nostre pouvoir de trouver comme nous le voudrions aucune chose qui soit digne, ny de celuy qui la veut porter, ny de l’Autheur qui la compose ; que c’est proprement l’effet du bonheur d’une cervelle bizarre & échauffée. Un grand faiseur de Devises a dit d’une Personne Illustre qui en a fait aussi une grande quantité, que les trois parts n’en valoient rien, & celuy qui cite ce Critique luy reproche à luy-mesme le défaut qu’il reprend.

La Devise est un signe qui n’est point naturel, mais trouvé heureusement par l’esprit de l’Homme.

Selon l’intention de ses premiers Inventeurs, elle regardoit seulement une chose que quelqu’un entreprenoit de faire, & jamais une chose faite.

Ce signe doit estre composé de paroles & de figures, deux parties essentiellement necessaires, & partant la Devise est d’une seule espece.

Il doit y avoir deux sens, le Literal & le Metaphorique. Le premier est l’aplication immediate & toute simple du mot à la figure ou figures. Le second est l’application de ce sens par metaphore à la Personne pour qui la Devise est faite.

L'invention en est moderne, & Italienne. Il faut pour bien faire une Devise, se comformer à l’usage le plus communement observé par les Académies. On s’en peut servir aux Medailles, aux Ecus, aux Batîmens, & generalement où l’on veut. Elle a esté trouvée pour representer plus au vif, avec plus d’efficace, & plus d’agrément, quelques pensées rares & singulieres. Sa fin est mieux representée avec la peinture à cause de la couleur.

Sa matiere est la figure qui s’apelle ordinairement le corps. A l’égard de la forme les Autheurs la définissent diversement : mais sans nous embarrasser dans leurs diférens sentimens, j’estime que c’est la ressemblance metaphorique, & un juste raport de ce qui paroist avec la chose que l’on veut donner à entendre.

Il n’est pas necessaire d’y faire trouver un raport general de toutes les particularitez ou proprietez de la figure ou figures aux proprietez de la chose signifiée ; si cela se pouvoit elle en seroit beaucoup plus complette, mais il suffit de la propriete specifique, & qui sert à l’effet principal que l’on se propose. Par exemple, du Soleil, si ma pensée est de quelque chose à laquelle sa lumiere puisse ou doive avoir raport, voilà le necessaire. Si le raport de la chaleur s’y trouve aussi encor mieux.

Nous avons dit que c’est un signe ou un symbole, parce que la signification n’en est pas naturelle ; Qu'il est composé de figures & de paroles, pour distinguer la Devise des autres symboles qui ne consistent qu’en seules figures, ou en seules paroles ; Que la figure & les paroles sont ses deux parties essentielles, parce que la Devise, pour estre bonne, doit estre faite de telle maniere, que la figure seule ny le mot seul ne puissent en expliquer la pensée, & que cette explication ne se fasse que par la conjonction de tous les deux ; Que ce symbole fait son effet par le moyen de similitude metaphorique, pour marquer la matiere de la Devise, & son estre formel. Et c’est pour cette raison qu’il n’est pas ordinairement permis d’exprimer la pensée avec la proprieté des paroles, ny par de certains termes comparatifs, & autres, comme nous dirions en parlant du Mot.

La Devise doit estre fondée sur quelque proprieté veritable de la chose figurée, pour en bannir autant qu’il se peut l’Allegorie & les Chimeres.

Pour les Chimeres, elles n’y sont jamais recevable ; mais il y a des occasions où il est presque impossible de se dispenser de l’Allégorie que l’usage a donnée à certaines figures, comme sont la Palme, le Laurier, l’Olive, l’Arc en Ciel, &c.

La pensée doit estre désignée par le Mot, & cette désignation en est une partie essentielle, sans laquelle on ne peut jamais faire une bonne Devise.

Le Sujet de la pensée peut estre pris de l’état, des affections, des desseins de la Personne pour qui la Devise est faite. La Figure estant, comme il a esté dit, la matiere de la Devise, elle reçoit plus ou moins de perfection accidentelle, mais non pas essentielle de la qualité de cette Figure, selon qu’elle est plus ou moins noble. Par exemple, celle du Soleil, d’une Couronne, ou de quelqu’autre chose de relevé, donnera quelque avantage à une Devise sur celle qui n’auront pour Figure qu’une Pierre, un Fleau, & d’autres choses communes ou viles. J'entens, si ces deux Devises sont également regulieres ; car si la derniere l’estoit davantage, elle seroit toûjours preferable à l’autre.

Il peut y avoir une, deux, & plusieurs Figures dans la Devise ; mais lors qu’il y en a plusieurs, il faut qu’il y ait un si bon ordre, ou si vous l’aimez mieux, une si bonne ordonnance entr'elles, qu’elles concourent toutes à une mesme fin.

La Devise ne reçoit & n’admet pas toutes sortes de Figures, mais bien celles qui se prennent de la Nature & de l’Art, pourveu qu’elles ne soient pas inconuës ou trop obscures, parce que nous prenons ces Corps comme signes démonstratifs de nos pensées, & si les Figures ne se peuvent au moins faire connoître par les couleurs, il faut les rejetter entierement des Devises.

Les Corps qui sont tirez des Armes que portent ceux pour qui les Devises sont faites, les rendent plus nobles & plus excellentes, comme le sont aussi celles qui ont quelque allusion aux noms ou surnoms des Personnes.

L'on y peut quelquefois employer quelques Figures historiques ou fabuleuses de quelque fameux Autheurs, quoy que la Devise soit tres-differente de l’Emblême, pour la forme, pour la fin, pour les paroles, & pour les figures ou matiere. Neantmoins telles Figures qui servent aux Devises, peuvent quelquefois servir aussi aux Emblêmes ; & reciproquement telles qui serviront aux Emblêmes, pourront bien estre employées aux Devises, parce que les Emblêmes reçoivent generalement toutes sortes de Figures, mesme les Figures humaines, celles purement de caprice & d’invention, sans excepter celles des choses impossibles, mais les Devises ne les reçoivent pas non plus que les Portraits, quand bien ils seroient de choses tirées de la Nature ou de l’Art, parce que les Portraits comme tels, ne representent pas immédiatement la nature & la proprieté de la chose, mais seulement ses traits exterieurs.

Les Figures humaines d’aucune sorte, ny mesme en habit ou situation extraordinaire, comme l’ont voulu quelques Autheurs, ne peuvent entrer dans la Devise, parce qu’il n’y auroit plus de metaphore, quant à la signification & à la representation, ainsi que le demandent les vrayes Devises, & aussi d'autant que la signification litterale estant celle qui s’entend toûjours la premiere & avant la metaphorique, l’on pourroit croire qu’on n’auroit voulu signifier autre chose que la mesme Personne, & la mesme action qui seroient figurées. Par exemple, le Roy qui surmonte de grandes difficultez, par un Alexandre qui trancheroit le Nœud Gordien, on s’arresteroit simplement à Alexandre & à son action representez par cette Figure. J'avouë que ces raisons sont subtiles, & pour ainsi dire subtilisées : mais enfin c’est par elles que les Autheurs plus récents l’ont emporté sur plusieurs autres qui les ont precedez, & qui trouvoient fort à dire que l’on bannist de la Devise la Figure humaine qui est si noble & si excellente, quand celles des plus vils animaux y sont reçeuës.

Toutefois les Figures de quelques parties du corps humain, comme une main ou un bras, se reçoivent dans les Devises, non comme signes significatifs, ou sujet, ou matiere, mais comme soûtiens, & comme occasions efficientes, pour l’ornement & accomplissement de la Figure, ou de son action ou proprieté, pour mieux la representer & faire connoistre. Par exemple, une main qui tiendra des balances ou un bras armé d’une épée qui frapera quelque chose, & ainsi du reste.

Quand il y a plusieurs Figures, celle-là doit estre estimée la principale, qui aura la principale propriété qui s’explique dans la Devise, & il faut la dépeindre avec l’acte qui puisse le mieux exprimer ce que l’on veut demontrer ; & comme les seules Figures ne sont pas la Devise, les paroles y sont necessaires, non seulement pour la signification & declaration, mais parce qu’elles sont de l’essence de la Devise pour la détermination du corps, dont elles doivent declarer quelque proprieté ; ce qui se fait, afin que comme cette proprieté est le fondement de la pensée, on puisse prendre la chose conformement à l’intention de celuy qui fait la Devise, & non pas une qualité pour une autre, moins encore la mauvaise, s’il y en a, pour la bonne.

Les paroles s’appellent le mot ou l’ame. Mot en Italien signifie une expression courte & remplie d’esprit, & en effet le mot de la Devise doit avoir ces deux qualitez.

Cette briéveté put estre gardée avec un Vers entier, pourveu qu’il n’y ait point de paroles superfluës.

L'ordinaire est de faire le Mot d’un demy Vers ou de moins, d’un Fragment de Vers dont le meilleur est la fin d’un Exametre Latin.

Il n’est pas absolument necessaire que le Mot soit ainsi d’un Vers entier ou rompu, quoy que la mesure du Vers y donne assurément de la grace ; mais quand la pensée le vaut bien, il ne faut point faire de scrupule de sacrifier le Vers à la Prose, pourveu que la briéveté & le brillant s’y rencontrent toûjours.

On peut obmettre exprés quelques paroles, mais peu, & laisser au Lecteur à les supléer. Cette obmission estant adroitement pratiquée, donne une merveilleuse grace.

On peut inventer le Mot, ou le prendre d’ailleurs, & principalement des Poëtes qui ont excellé.

On a liberté entiere de faire entrer des Verbes dans le Mot, ou de s’en abstenir. Si l’on y met des Verbes, il faut qu’ils soient toûjours de temps present ou de temps futur ; le present explique avec plus de vivacité, & l’estre actuel est plus noble & plus expressif, & represente plus au vif. Le futur convient mieux à l’origine de la Devise, & pour signifier quelque dessein de celuy qui la porte ; mais les Verbes du passé ne sont point conformes à l’Usage des Académies, à moins d’une grande convexité avec le temps present. Exemple de la Devise du Feu sortant d’un caillou, qui a pour mot exilit quod delituit. Il en sort ce qui a esté caché, pour signifier une Personne qui par quelque évenement considerable, montre ce qu’il avoit long-temps tenu secret en son cœur.

Il faut que les Verbes que l’on employe dans le Mot soient toûjours indicatifs, qu’ils démontrent seulement sans jamais commander ny instruire, cette condition estant du propre de la Devise, au contraire des Emblêmes qui sont pour enseigner.

Dans le Mot on fait ordinairement, qu’il parle en troisiéme Personne, c’est la maniere la plus commune : quelquefois on fait parler la Figure en premiere Personne, & c’est quand elle parle de soy-même, comme dans la Devise du Feu, dans lequel est une Salamandre, nutrisco & extinguor, je nourris & j’en suis éteint ; & en seconde Personne, quand il y a plusieurs Figures, & que l’on fait parler l’une d’elles à l’autre, ou aux autres, comme de la Perle, qui dit au Soleil, tu splen dorem, c’est toy qui me donnes l’éclat, & il ne faut jamais pervertir cet ordre ; comme par exemple d’une flâme à qui l’on feroit dire d’elle mesme comme font certaines Personnes, tu brûles & tu éclaires, ou de qui l’Autheur diroit le mesme aussi en seconde Personne, ce qui ne vaudroit rien, & il faudroit dire, je brûle & j’éclaire, ou bien, elle brûle & elle éclaire. Il faut bien se souvenir, que l’office du Mot est d’expliquer d’abord & immédiatement la proprieté de la Figure, & non pas la pensée de l’Autheur de la Devise, laquelle pensée ne s’explique que par le sens metaphorique, & c’est pourquoy il faut prendre garde à ne pas faire un Mot qui soit metaphorique luy-mesme, comme par exemple, le pied de la Montagne, le Soleil des Rois, &c.

Quand la proprieté de la Figure est trop claire, quelques-uns trouvent bon de la marquer avec des paroles plus generales, comme de la Licorne, au lieu de dire, elle chasse les venins, on doit dire, elle chasse les choses nuisibles ; ce que toutefois j’estime plus de conseil que de precepte, & même pourvû que cela se puisse faire sans luy faire perdre de son énergie, en quoy l’exemple allegué pourroit pecher.

Il ne faut pas que le Mot nomme aucune des Figures qui sont dans la Devise, c’est une regle des plus generales, c’est à dire que s’il y a une Palme ou une Epée, il ne faut pas qu’il y ait dans le Mot, ny Palma ny Ensis, parce que le sens metaphorique en seroit, sinon détruit tout à fait, du moins grandement alteré, & c’est pour cette mesme raison qu’il faut éviter dans le Mot les termes de celuy-cy, celle-là, qui, lequel, laquelle, d’icy, de-là, & autres semblables, à moins que l’excellence de la pensée ne semblast, pour ainsi dire, l’exiger, afin de donner au Mot & à la Pensée plus de poids & plus de force, comme ex his gratissima quereus, dans une Devise pour Henri IV. renouvellée pour le Roy en l’année 1650. pour faire entendre la clemence de ces Princes, en preferant le salut des Citoyens signifié par la Couronne de Chesne, à l’éclat de leurs autres Couronnes. Il est vray que cette Devise tient plus de l’Emblême que de la Devise, estant instructive & allégorique.

Le Mot ne doit pas estre commun ny trop general, point ambigu ny équivoque par la diversité des significations que certaines paroles peuvent avoir.

Il faut aussi éviter l’équivoque qui peut estre causé par un simple changement de ponctuation.

Il faut semblablement s’abstenir de toute figure & de tout mot de sinistre augure.

La Devise est un jeu d’esprit, mais elle doit garder des bienseances honnestes, ne point taxer les propres vices de celuy pour qui elle est faite, ny ceux du prochain. Quelques Autheurs approuvent neanmoins d’insulter à autruy par Devise, ce que je tiens entierement deraisonable. Je sçay bien qu’une telle Devise pourra estre excellente selon toutes les autres regles, mais celle de l’honnesteté y estant violée, c’est assez ce me semble pour donner l’exclusion à une Devise avec ce seul defaut.

Il ne faut pas que le Mot puisse estre entendu, comme n’estant proferé que par la Personne pour qui se fait la Devise, sans l’avoir esté auparavant par la Figure ou Figures. Par exemple, faire dire à la Personne, je ne suis pas ainsi, ou plust à Dieu que je fisse telle chose, qui seroit figuré dans la Devise, ny que le Mot exprime l’occasion ou rende la raison de l’action, de l’effet, de l’opération, ou d’autre chose que l’on prend pour Devise ; & c’est pourquoy les termes de parce que, d’ainsi, & autres semblables, en sont rejettez comme répugnans à la perfecion.

Le Mot ne doit pas estre, ny trop clair ny trop obscur, & il faut qu’il soit autant proportionné au corps qu’à la pensée de la Devise.

On le peut faire en toutes Langues, mesmes en Hebreu, si l’on veut n’estre entendu que de ceux qui sçavent cet Idiome.

Jusqu’icy ce sont les regles, que les Autheurs estiment pour la pluspart les plus necessaires. En voicy encor quelques-unes, qu’ils ne nous proposent que pour donner plus de grace & plus de beauté à la Devise.

Que les Figures en soient belles & agreables à la veuë, & les couleurs aussi quand la Devise est en peinture.

Que les choses figurées paroissent comme dans l’action & dans le mouvement, parce que de cette sorte elles expriment mieux & plaisent davantage.

Que les Figures ne soient point de choses fabuleuses, ny d’Animaux qui ne soient pas bien connus. La premiere de ces conditions n’est pas receuë generalement par tout, & quelques Académies ont un Usage tout contraire.

Que la Devise soit modeste, point altiere, superbe ny presomptueuse . Ce que j’estime devoir s’entendre seulement de celles des Particuliers. Mais pour un Héros, pour un grand Prince, pour un Conquérant, je croy qu’un peu de fierté y sied tres bien.

Une grande beauté de la Devise est qu’elle ait, pour ainsi dire, du merveilleux, pourveu qu’il ne procede pas de l’obscurité ny de quelque proprieté cachée, ou de paroles peu intelligibles, car cela la rendroit mauvaise : mais que ce merveilleux, c’est à dire à mon sens ce qui fait la surprise qu’elle peut causer, consiste en l’invention, en l’application, & en l’expression.

Que dans les Devises qui se font pour les Académies, la signification ou l’acte de la Figure ou Figures, fasse voir quelque rapport & correspondance avec le nom de l’Académie.

Que dans les Devises generales des Colleges, j’entens de Societez, d’Académies, & d’autres Compagnies, il se voye une union de plusieurs choses à une mesme fin, afin de mieux exprimer l’assemblage, la societé, l’uniformité des pensées, en un mot l’unanimité de plusieurs Personnes.

Que le Mot ne soit point composé d’attributs, qui appartiennent naturellement à l’Homme, comme le sont les termes de Vertu, de Vice, de Justice, d’Art, de Science, & autres semblables. J'avouë que cet avertissement m’a surpris d’abord ; mais ayant fait reflexion de la Figure humaine, il ne m’a plus donné d’inquietude.

J'obmets encor quelques autres Remarques qui m’ont semblé trop obscures, & mesmes superfluës. Les Italiens sont presque inépuisables sur ces matieres. C'est une chose surprenante de voir combien de Volumes ils ont écrit sur cette petite Production d’esprit, qui paroist de si peu d’importance à ceux qui ne la connoissent pas. Cependant il est certain que tous ceux qui se sont meslez d’en donner des Loix de leur autorité, y ont tres-souvent contre venu eux-mesmes, soit qu’ils s’en soient apperçeus ou non ; ainsi je ne voudrois pas soûtenir absolument qu’une Devise qui n’auroit pas generalement toutes les conditions que je viens de rapporter, ne pust estre bonne ; mais en tout cas le plus que l’on pourra les observer, servira beaucoup à en faire qui approchent davantage de la perfection, à quoy l’on doit toûjours aspirer autant qu’il se peut en toutes sortes d’Ouvrages. Passons maintenant à l’Emblême.

De l’Emblesme.

Ce mot vient d’un Verbe Grec, qui signifie inserer, & en quelque façon entre mesler : ainsi à prendre les choses à la lettre, tout Ouvrage de rapport à la Mosaïque, est un Emblême, estant composé de choses entre-meslées. Les Anciens appelloient ainsi certains Cercles & Ornemens gravez ou de relief aux bords, aux pieds, & au milieu de leurs Vases & autres Ouvrages. Quelques Autheurs parlant de l’Emblême au sens que nous l’entendons icy, l’ont appellé un discours artificiel & metaphorique ; à quoy il faut ajoûter qu’il consiste en figures & significations morales, dont la fin principale est d’instruire.

Quant à la maniere de l’Emblême, ce sont les Figures, lesquelles peuvent estre de corps pris de la Nature, de l’Art, de la Fable, de l’Histoire, de l’Exemple, des Sentences, & des Proverbes.

Les Figures peuvent estre monstrueuses, fantastiques, capritieuses par nature ou par invention, entieres ou par parties seulement. Les Emblêmes du Silence, des Corneilles, de la Vigne, sont tirez de la Nature : celles du Luth & du Navire, le sont de l’Art. Elles le peuvent estre des Fables, & mesmes (selon quelques Autheurs) les Fables & les Apologues ne sont autre chose que des Emblêmes ; celuy de Brutus qui se tuë est de l’Histoire. La Figure d’un jeune Homme qui a deux aisles attachées au bras gauche, & un poids à la main droite qui l’empesche de s’élever, est un Emblême de caprice. La representation d’un Etyopien que l’on lave, est un Emblême de Proverbe.

Encor que toutes sortes de Figures veritables ou controuvées soient la matiere de l’Emblême, ce n’est à proprement parler que leur action, & en tant qu’elles operent un tel fait particulier, de la particularité duquel se tire la pensée & l’enseignement de ce que nous devons sçavoir par le sujet qui nous est representé, pour vivre civilement & moralement.

Quoy qu’ordinairement l’Emblême soit de plusieurs figures,, il peut neantmoins estre d’une seule, nonobstant ce qu’en a voulu dire un Autheur qui a blâmé Alciat pour en avoir fait d’une seule ; ce Critique s’attachant trop scrupuleusement à l’origine du Mot, en voulant qu’il y ait necessairement composition de plusieurs choses inserées l’une avec l’autre.

La forme de l’Emblême est peu diférente de celle de l’Exemple, & consiste à tirer d’un fait ou d’une action particuliere qui y est figurée, une instruction morale. L'Exemple est seulement pour la preuve d’une chose vrayment réelle. L'Emblême est un enseignement qui se tire de cet Exemple, & qui peut servir à instruire generalement de toutes choses.

Les paroles n’y sont pas necessaires, puis que l’on fait des Emblêmes sans paroles, mais ils en sont plus obscurs.

Les paroles, quand il y en a, servent pour la signification non pas du corps ou figure de l’Emblême, ou de la proprieté ou action de la Figure immédiatement connuë dans la Devise, mais au contraire elles sont d’abord l’expression de la pensée, & l’application mesme de l’Emblême.

Dans les Emblémes, l’Autheur par soy-mesme explique avec les paroles ce que les Figures representent, & d’abord il marque la moralité, comme estant la fin & le but qu’il prétend. Par exemple, deux Vases, l’un de terre, & l’autre de cuivre, qui vont au courant de l’eau ; le Renard qui regarde une tres-belle Teste de Sculpture ; & l’Asne qui porte le Simulacre que l’on adore, nous aprennent qu’un mauvais Voisin nous peut faire du mal, que l’esprit est beaucoup plus à estimer que la beauté, & que l’on rend honneur à telles Gens pour leur employ, & non pour eux-mesmes quand ils sont sans mérite.

Pour les Fables, la pensée & l’instruction en sont la conclusion ; mais dans les Emblêmes cette pensée & cette instruction sont proposées d’abord pour argument, & prouvées par telle action ou par tel exemple qui y sont figurez.

La fin principale de l’Embléme, suivant l’étimologie du Mot, a esté d’orner des Vases, des Murailles, des Temples, etc. On a étendu depuis cette fin à enseigner & signifier quelque instruction, & c’est pour cela que l’Embléme a toûjours quelque moralité, car ceux qui sont sans moralité ne meritent à mon sens que le simple nom d’Images.

Cette moralité peut estre pour le general ou pour le particulier, cela est libre. Il est pourtant plus ordinaire de la faire generale. Quelques-uns tiennent que quand l’instruction s’applique à une Personne particuliere, ou seulement aux Personnes d’une certaine profession, il faut se servir de termes impératifs ; & l’application generale, qu’il est bon de parler moins déterminément & en adoucissant ; comme par exemple, sur l’Embléme de la Balance qui signifie la Justice, de dire à une Personne particuliere, ou aux Juges, Hoc fac & vives, Fay cecy, & tu vivras ; & en parlant à tous les Hommes, qui fera telle chose vivra. Je trouve en cela trop de rafinement ; & outre que ce singulier est aussi propre que le pluriel à signifier tout le Genre humain, j’estime que la Vertu a toûjours droit de parler à l’impératif à tout le monde. On attribuë à l’Embléme le temps à venir, non pourtant de necessité, estant encor capable du present ; mais il rejette naturellement le passé, duquel s’il se sert, ce n’est que par recit de quelque action passée, pour nous instruire de celles que nous avons à faire au present & à l’avenir.

Un sçavant Homme a estimé que l’instruction & la moralité n’estoient pas le propre de l’Embléme, & qu’il ne diféroit de la Devise que parce que celle-cy a une pensée particuliere pour estre aussi appliquée particulierement à quelque Personne, & que l’Embléme a pour l’ordinaire une pensée universelle & independante d’individus déterminez. C'est ainsi qu’il s’explique ; mais ce Sçavant est, comme je croy, le seul de cette opinion. Il a tous les autres contre luy, aussi bien que l’usage, suivant lequel ils veulent tous que la moralité soit le propre de l’Embléme, & que par conséquent les plus clairs & qui s’entendent le mieux d’abord, sont toûjours les meilleurs.

Du Revers des Medailles.

Le Revers est inséparable de la Medaille, & s’appelle ainsi, parce qu’il est derriere l’Image de celuy dont on veut dépeindre les beaux Faits par la maniere de Revers.

Il regarde le plus ordinairement le temps passé ; il fait voir les choses avenuës avec des Figures qui servent simplement à en faire la démonstration.

Dans la Medaille & dans le Revers, l’Image peut estre la propre Image de la Personne, ou de quelqu’autre par lequel on la represente.

L'Image & le Revers se font avec ou sans Inscription, & les paroles n’y font point d’autre office que de déclarer ou l’image, ou le Revers, ou celuy qui a fait la Medaille, ou l’occasion qui a donné lieu de la faire. Ainsi les Revers se peuvent former de figures d’Hommes, de Femmes, de Provinces, de Villes, de Temples, de Ponts, d’Animaux, & generalement de toutes sortes de corps ; Pareillement de Victoires, de Batailles, & de semblables autres opérations qui se peuvent entreprendre & executer par les Hommes.

Le Revers reçoit non seulement le sens historique, mais quelquefois encor l’hieroglyphique & le moral ; mais pourtant toûjours avec relation à la Personne dont l’Image est ordinairement sur la Medaille, & à la gloire duquel elle est fabriquée.

Par ce qui vient d’estre dit, il est aisé de connoistre en quoy les Revers qui sont purement suivant l’usage ancien, qui ne connoissoit point les régularitez de la Devise, en sont diférens. Mais aujurd’huy, & depuis que l’invention en a esté trouvée & reglée, elle y est tres-bien reçeuë, & une fort bonne Devise peut aussi servir d’un fort bon Revers, en y observant la juste relation à la Medaille. Quelques Autheurs n’y reçoivent guére d’Emblémes que ceux qu’ils appellent démonstratifs & sans instruction ; mais puis qu’on y admet le sens moral, j’estime que l’instruction n’en doit pas estre bannie, pourveu qu’elle s’y fasse d’une maniere noble, sans paroles de préceptes, mais seulement par la force de l’Exemple & de la relation de ce qui est figuré, à la vertu de la Personne, ou à l’excellence de la chose, qui est le sujet de la Medaille.

Les paroles, quand on s’en sert dans le Revers, doivent à mon sens, estre en petit nombre, avoir quelque emphase, & dire beaucoup en peu de mots. J'entens pour y donner plus de grace, car je sçay bien que dans plusieurs Revers d’anciennes Medailles des Empereurs, on n’y voit point d’autres Inscriptions que longues, & qui contiennent simplement leurs titres, de Dictateurs, de Grands Pontifes, ou la raison & l’occasion des Medailles connuës, pour avoir assuré ou fait nettoyer les chemins & autres semblables. Il y en a quelques autres de Rome renaissante, pour avoir sauvé les Citoyens ; la Paix d’Auguste, & d’autres de cette nature qui ont des éloges courts. Ce sont ceux qu’il faut imiter comme de tres-bons modelles.

Je ne voy rien qui puisse empescher d’y employer quelque beau fragment de Vers, ou un Vers entier aussi-bien que la Prose, soit que le Revers se fasse d’une Devise, ou de Figures humaines à l’antique. Nous avons de beaux Revers modernes de cette sorte, & si l’Antiquité ne nous en donne point d’exemple, nostre âge le peut donner à ceux qui viendront apres.

Nous avons dit que le temps passé est le plus propre pour le Revers des Medailles, ce qui n’empesche pas que le present & mesme l’avenir, n’y puissent avoir quelque part par maniere de continuation, en ce que l’action passée qui y est figurée peut démontrer une vertu du Prince, laquelle il est en volonté d’exercer encor au temps present & à l’avenir ; mais cette fin n’est qu’accidentelle, & en tant qu’elle regarde un acte de vertu.

Personne n’ignore que les Empereurs pour immortaliser leurs grandes Actions, & le Senat, les Provinces, les Villes ayant reçeu d’eux quelque faveur, ont fait battre des Medailles avec des Revers pour en conserver la memoire.

La Liberalité, la Magnificence, l’Abondance, la Felicité, les Harangues faites aux Soldats, la Paix, la Sagesse, la Prudence, la Consecration, & sur tout la Victoire, ont esté de tout temps le sujet des Medailles, & les grandes Actions, & Faits Heroïques, le seront aussi toûjours.

De toutes les choses qui contribuent à la beauté, & à l’excellence des Medailles anciennes, j’en remarque principalement quatre. La noblesse & l’élegance des figures, l’usage des hieroglyphes quelquefois sans figures humaines, & quelquefois inserez avec elles. La beauté & l’emphase des paroles, & l’abreviation de certains mots, & quelquefois leur réduction à de simples lettres. Comme par exemple avec R. CC. Ils donnoient à entendre la liberalité d’un Empereur qui avoit fait remise au Peuple d’un Impost qu’on appelloit le deuxcentiéme denier.

La plûpart des Connoisseurs estiment que les Monnoyes & les Medailles de l’Antiquité ont esté les mesmes choses à raison des poids & des volumes des unes & des autres, & l’on croit qu’il n’y a eu de diférences que touchant la fin, & l’usage que les Monnoyes ont esté fabriquées pour dispenser & pour estre employées au Commerce ; que les Medailles y pouvoient bien estre propres aussi pour leur valeur en or, argent, ou métal, mais qu’elles n’ont point esté frapées à cette fin, mais seulement pour memoire des belles Actions des Empereurs, & que ce pouvoit estre des presens qu’ils faisoient à leurs Parens, à leurs Amis, aux Capitaines, Senateurs, Chevaliers, Soldats, & aux Peuples ; qu’ils en faisoient largesse lors de leurs Elections, & de leurs Triomphes, de leurs Ligues, & de leurs Alliances, comme il se pratique encor aujourd’huy aux grands Evenemens, & aux Actions les plus dignes de remarque. Les Anciens en mettoient aussi pour memoire dans les Sepulchres, & dans les Urnes mortuaires, dans les fondemens des Temples, & des autres Edifices publics. La Coûtume a cessé à l’égard des Sepulchres, mais elle s’est toûjours observée pour ce qui est des Edifices de grande consideration.

Les Monnoyes estoient seulement pour la dépense, & fabriquées avec l’Image du Prince d’un costé ; dans l’autre l’on figuroit pour l’ordinaire le signe public Insignia de la Ville, ou bien son Dieu tutelaire ; quelque Fleuve ou Temple considerable ; ou enfin quelqu’autre figure par laquelle ils vouloient que leur Monnoye fust connuë, & distinguée de celle des autres Villes, & mesme souvent la Ville y faisoit mettre son nom.

Ce que je viens de dire des Revers, doit ce me semble suffire pour les bien faire ; car pour parler en general de la matiere des Medailles, c’est un fonds inépuisable d’érudition pour les Sçavans. Ils y trouvent en abondance dequoy faire des leçons pour la connoissance des Antiquitez, de l’Histoire, de la Chronologie & Topographie, des Familles Anciennes & Illustres, des Titres & Dignitez des Empereurs, comme aussi de l’Histoire des Animaux, des Plantes & de leurs proprietez, & sur tout de la Morale pour l’exemple des Vertus. Enfin ils y font voir une Enciclopédie, & un enchaînement de toutes les Sciences. Apres quoy bien loin de trouver à dire que tant de grands Hommes se fassent avec ardeur un si grand plaisir de la recherche, & de l’étude des Medailles, j’estime qu’au contraire ils en meritent beaucoup de loüanges, puis que c’est en effet une des plus utiles, des plus nobles, & des plus engageantes de toutes les honnestes voluptez.

[Pièces sur la Paix : un Rondeau un Madrigal et deux Sonnets] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 268-274.

Vous ne serez pas fâchée de voir encor quelques Pieces sur la Paix. La premiere est un Rondeau fait dans le temps qu’on eut appris que le Roy avoit la bonté de la vouloir donner à toute l’Europe.

Au Roy.

Rondeau.

Donnez la Paix, grand Roy, telle que l’on voudra,
A vos seules bontez l’Europe la devra.
Vainqueur des Ennemis à qui vous ferez grace,
Vous pouvez par pitié leur ceder quelque Place,
Et vous mettre au dessus de ce qu’on en dira.
Vous en triompherez par ce grand Opéra,
A la Posterité leur honte paroistra.
Remply de vostre gloire, & bravant leur audace,
                Donnez la Paix
Laissez à ses fureurs devorer Caprara
La jalouse Angleterre au dépit qu’elle aura,
Et que leur vain complot de vostre cœur s’efface.
Pour vous faire admirer enfin de Race en Race
Aux vœux de l’Univers, criant Nec plus ultra,
                Donnez la Paix.

Sonnet.

Cent Souverains liguez contre Vous, Puissant Roy,
Apres avoir uny leurs forces dispersées,
Se promettoient de voir vos Armes repoussées,
Quand vous portiez chez eux la terreur & l’effroy.
Déja les bords du Rhin subissoient vostre Loy,
L'Empire y regrettoit ses Aigles effacées,
Et sur mille Ramparts vos Palmes entassées
Exigeoient des Vaincus, & l’hommage & la foy.
Mais lors que vous domptiez l’orgueil de tant de Princes,
Que vostre Bras vainqueur desoloit leurs Provinces,
Que tout cedoit au cours de vos heureux succés ;
Pour couronner, Grand Roy, tant d’illustres Conquestes,
Vous suspendez ces coups qui menaçoient leurs testes,
Et la Foudre à la main, vous leur donnez la Paix.

L'Abbé Flanc.

Madrigal.

Politiques fameux, Esprits de Cabinet,
Qui vous vantez de tout, quand vous n’avez rien fait,
C'est en vain qu’à Madrid vous chantez la Victoire,
LOUIS vous a donné la Paix comme Vainqueur,
Et c’est plutost le sujet de sa gloire
    Que le fruit de vostre valeur.
Il cede en Conquérant, pour terminer la Guerre,
    C'est le plus grand de ses bienfaits :
Celuy qui faisoit seul trembler toute la Terre,
    Pouvoit seul luy donner la Paix.

Au Roy.

Sonnet.

C'est icy, Grand Héros, c’est icy que ta gloire
Monte au plus haut degré qu’elle ait jamais esté.
Cette Paix que tu fais, ce genereux Traité,
Pourroit seul de l’oubly garantir ta memoire.
La Hollande estoit preste à grossir ton Histoire,
L'Espagne alloit flechir sous ton autorité,
Et par un pur effet de generosité
Tu domptes ton courage, & retiens la Victoire.
Alexandre avoit beau conquerir l’Univers,
Faire éclater son Nom en mille endroits divers,
Et montrer en tous lieux une valeur extréme.
Aujourd’huy ses Exploits ne sont plus inoüis,
Et puis qu’il n’a pas sçeu triompher de soy-mesme,
Il restera toûjours au dessous de Loüis.

Valette, d’Uses.

[Fiction, sur l’origine de l’Horloge de Sable] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 274-278.

Fiction.

Un aimable & jeune Berger, appelé Tirsis, devint éperdûment amoureux de deux Bergeres à la fois. Elles estoient belles, & se ressembloient tellement, qu’on avoit de la peine à les distinguer l’une d’avec l’autre. Philis & Céliméne (c’estoit leur nom) aimoient uniquement le Berger ; mais ce volage ne pouvant fixer ses desirs en faveur d’aucune separément, les rendoit fort malheureuses, & ne se donnoit aucun repos.

Il alloit incessamment
De l’une à l’autre Bergere,
Pour appaiser son tourment,
Et tâcher de satisfaire
Et l’une & l’autre Bergere.
Mais comment l’eust-il pû faire ?
Il ne voyoit qu’un moment
Et l’une & l’autre Bergere.

Car si-tost qu’il estoit aupres de Philis, il la quittoit pour courir à Célimene, & dés qu’il avoit veu Célimene, il s’échapoit d’elle pour retourner à Philis. Chacune luy demandoit un cœur entier, & versoit des larmes pour l’obtenir. Il en versoit luy-mesme de ne pouvoir rendre aucune des deux heureuse, & d’estre toûjours malheureux luy-mesme.

Enfin lassez tous trois des rigueurs de l’Amour,
    Il déploroient le malheur de leur vie ;
Cêlimene & Philis vouloient perdre le jour,
    Tirsis avoit la mesme envie.

On adoroit alors Jupiter, Neptune, Mercure, Apollon, & chacun sçait combien on les croyoit faciles & pitoyables. Ils voulurent bien exaucer ces trois Infortunez. Momus qui se moquoit presque toûjours de tout ce que les autres Dieux faisoient, approuva neanmoins ce dessein. Mais puis que ces misérables, dit-il, ne doivent trouver la fin de leurs peines que dans la mort, faisons une Machine qui soit de quelque usage, & qui fasse connoistre à la Posterité l’extravagance de leur passion. Sur cet avis on les changea en une Horloge de Sable. Les deux Phioles de verre representent les Bergeres. Elles se ressemblent parfaitement, sont toûjours prestes à recevoir le Sable, qui fut autrefois leur Amant, & chacune semble vouloir le retenir. Le Sable n’est pas si-tost dans l’une, qu’il s’écoule dans l’autre. Mais pourquoy m’arrêtay-je à faire voir ce raport ? Momus le crût tres juste, il s’en applaudit, & on le loüa d’avoir bien rencontré.

De la Seguiniere-Poignand.

[Autre Fiction, sur l’origine de l’Horloge de Sable] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 278-280.

Autre Fiction.

Tout est siecle aux Amans. Vous sçavez que cette maxime est en bon lieu au Païs de Tendre. On ne compte point les heures comme autrepart. Une absence n’a jamais moins duré qu’une année, ne fust-elle que d’un jour. Ainsi l’Amour estoit embarassé, & il n’avoit point d’Horloge qui pust contenter les Amans. Qu'ils comptent donc les atomes de cette cendre (dit-il en prenant celle qui estoit restée d’un cœur que l’on venoit de luy offrir en sacrifice, & qu’il enferma dans un Cristal) & s’ils ne sont pas contens encor, qu’ils la tournent d’un costé, & puis d’un austre. Il y en a assez pour supporter tous leur siecles, quelque durée que leur passion leur puisse donner. Depuis ce temps-là on ne se servit plus au Temple de l’Amour que de ces Horloges, d’autant plus qu’elles ne sont point indiscretes comme les autres, & qu’elles ne vous troublent pas mal à propos par un son temeraire.

A la Ruë Portefoin, pres les Enfans rouges.

Histoire Enigmatique. §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 280-292.

Histoire

Enigmatique.

Deux Rois d’une tres-ancienne Famille, continuent à se faire la guerre depuis plusieurs Siecles. Ceux qui ont écrit leur Genealogie, ne demeurent pas d’accord de leur origine. Il y en a qui croyent qu’ils ont pris naissance parmy les Romains : Quelques-uns estiment qu’on les a veus naistre en Grece, & qu’ils ont commencé à se faire connoistre au fameux Siege de Troye : D'autres soûtiennent avec plus de vray-semblance, qu’ils sont sortis de Perse, & qu’ayant passé par l’Arabie, ils sont enfin venus en Europe. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils sont nez pour la guerre, & que leur querelle ne finira qu’avec les derniers Rois de leur Race. Ils sont Freres, & ont épousé leurs Sœurs. Les plaisirs qui tout pacifiques qu’ils sont, troublent fort souvent le monde, ont fait naistre la guerre qu’ils se font : Elle ne les empesche pas de demeurer ensemble, ce qui est cause que leurs Gens se broüillent souvent, sans qu’il en arrive neanmoins aucun desordre ; car quoy que selon quelques Critiques leur nom ne soit pas fort honorable, ils ne laissent pas de se faire la guerre avec beaucoup d’honneur. Ils ne se batent jamais qu’en Bataille rangée, & ils observent religieusement les Loix qu’ils se sont imposées, tant pour l’ordre de la Bataille, que pour le mouvement de leurs Troupes. Le jour du Combat estant pris, on choisit le Champs de Bataille dans un lieu fort uny, & egalement avantageux aux deux Partis. Les deux Souverains s’y trouvent en personne, & leurs Gens qui portent leurs couleurs pour se reconnoistre dans la meslée, se rangent aussi-tost auprés d’eux. Chacun prend le Poste qui luy est destiné, & les deux Armées estant en presence, les Chefs s’envoyent faire des civilitez, & se déferent l’un à l’autre l’honneur de commencer l’attaque : mais comme leurs Troupes qui sont égales en nombre, ne veulent point avoir d’autre avantage les unes sur les autres, que celuy qu’elles tâchent d’acquerir par leur valeur, on remet ordinairement au sort à décider de ce premier diférent. C'est la seule part qu’ils y laissent prendre à la Fortune ; car comme ils combattent bien moins pour le prix qui est destiné au Vainqueur, que pour la gloire de vaincre, le hazard ne dispose jamais de la Victoire. Elle est toûjours le fruit de la prudence, & de la bonne conduite des Chefs.

    Tel LOUIS toûjours invincible,
Sur la terre & sur l’onde êgalement terrible,
Sans craindre du hazard les caprices divers,
Par sa seule valeur fait trembler l’Univers,
Et du Belge étonné la rapide conqueste,
Mille & mille Combats qui par tout font du bruit,
    Qu'est ce autre chose que le fruit
    Et de son Bras & de sa Teste ?

L'Infanterie qui a l’avant-garde, & qui doit par consequent lier le Combat, va droit aux Ennemis, & frape à droite & à gauche. Elle est neanmoins plus propre à soûtenir une attaque qu’à la commencer, parce qu’elle est lente dans sa marche, & ne recule jamais, au lieu qu’elle ne sçauroit donner sans sortir de ses rangs, ce qui fait qu’elle a beaucoup de peine à se soûtenir, & qu’il est presque impossible de la rallier quand elle est une fois en déroute ; aussi ne s’avance-t-elle pas beaucoup, & s’il arrive que quelque Soldat entreprenne de passer à travers les Lignes des Ennemis, sa bravoure n’est jamais sans recompense, quand il a le bonheur de réüssir & de s’aller poster à l’extrêmité du Terrain qu’ils occupent. Il change aussi-tost de condition, on l’ennoblit, on luy fait les mesmes honneurs qu’à la Reine, & il joüit des mesmes Privileges. Certains Fantassins plus grands que le reste des Pietons, marchent ordinairement à leur secours. Ils vont tantost viste, tantost lentement, & quoy qu’ils ne soient pas estimez les plus sages de l’Armée, ils ne laissent pas de rendre de tres bons services. La Cavalerie est en petit nombre ; elle ne va que par saillies, & donne toûjours en caracolant. Sa charge est neanmoins fort dangereuse, parce qu’elle passe sur le ventre à tout ce qu’elle rencontre pour aller attaquer le Roy, & ne manque jamais de l’ébranler quand elle peut le joindre ; ce qui luy fait faire des mouvements tres nuisibles. L'honneur du Combat consiste à empescher que le General ne tombe entre les mains des Ennemis ; voila pourquoy il ne s’éloigne jamais du Corps de Bataille, & ne marche qu’avec beaucoup de gravité. On a tant de respect pour luy, qu’on n’oseroit l’attaquer en personne sans l’en avertir. Les deux Reines ne se trouvent pas au Combat pour en estre seulement les spectatrices ; elles ont la meilleure part à la gloire du triomphe. Il est vray qu’on soufre peu qu’elles s’éloignent de la Personne du Roy, de peur de quelque surprise ; car leur conversation est d’une tres-grande consequence pour toute l’Armée : mais elles ne laissent pas de faire des courses, & de se trouver dans la meslée où elles font un terrible fracas. Leur défaite est pour l’ordinaire suivie de celle de leurs Troupes, & il est tres-dificille qu’un Party qui a perdu sa Reine dans le Combat, en puisse sortir victorieux, si le mesme choc n’a enlevé celle de ses Ennemis. Les deux Commandans ont chacun deux Forts pour se mettre à couvert, quand leurs Troupes sont affoiblies par la longueur d’un Combat opiniastré ; & lors qu’ils y sont une fois retranchez, il est difficile de les forcer. Ces Forteresses estoient autrefois portées par des Elephans, car elles ont cecy de singulier, qu’elles avancent ou reculent selon le besoin qu’on en a ; & quand elles peuvent s’ouvrir un passage pour aller aux Ennemis, elles se rendent tout à fait redoutables. Quoy que le Champ de Bataille soit en rase Campagne, & qu’il n’y ait ny Bois ny Valons pour favoriser les embuscades, on ne laisse pas d’en faire, & elles sont d’autant plus dangereuses qu’on les dresse à découvert. Les Soldats qui y sont postez paroissant derriere les autres dans des lieux où ils semblent inutiles, viennent tout d’un coup à la charge lors qu’on s’y attend le moins. Je vous ay fait remarquer que le hazard ne contribuoit rien au gain ou à la perte de la Bataille ; mais quoy qu’elle dépende absolument de l’experience des Chefs, il y a neammoins des momens si heureux pour un Party, & si malheureux pour l’autre, qu’on voit quelquefois finir dés la premiere attaque un Combat qui devroit durer des journées entieres. Il est de la prudence d’un bon Capitaine de ne pas négliger ce moment fatal.

    C'est ainsi qu’un Amant fidelle,
Qui ne doit qu’à ses soins les faveurs de sa Belle,
    Ne laisse pas de ménager
    L'heure favorable au Berger.

Dés qu’un des Partis a sçeu profiter du moment dont nous parlons, on recommence à se battre tout de nouveau avec beaucoup plus de chaleur qu’auparavant ; les uns animez du desir de se vanger d’une si honteuse défaite, & les autres enflez de la gloire d’une victoire si precipitée. On voit souvent que les Troupes combattant avec une valeur égale, les deux Chefs restent dans le Champ de Bataille dépoüillez de toutes leurs forces. Alors il ne peuvent pas décider seuls leur querelle, parce qu’il ne leur est jamais permis de se porter des coups eux mesmes, ny de s’approcher dans l’action. Quand il arrive donc que toutes leurs Troupes sont hors de combat, on se rend les prisonniers de part & d’autre, & on recommence la Bataille ; mais si elle finit par la défaite d’un des Partis, les Spectateurs qui en attendent le succés dans un profond silence, donnent des louanges au Vainqueur, & se réjoüissent de sa Victoire, ou s’affligent de la perte du Vaincu, selon l’interest qu’ils prennent à l’un ou à l’autre. Les Troupes se retirent aussi-tost pesle-mesle, & vont loger ensemble sans conserver aucun ressentiment de ce qui s’est passé dans la chaleur du Combat.

[Correspondance entre Chats] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 292-318.

Les Pieces qui suivent, & que vous ne trouverez pas moins spirituelles qu’enjoüées, sont sur une matiere qui vous surprendra. Madame des Houlieres a une Chatte nommé Grisette, qui merite d’estre distinguée parmy celle de son espece ; car si elle ne raisonne pas tout à fait, elle a tant d’aparence de raison, & donne tant de marques d’un discernement particulier, qu’elle en attire l’admiration de tout le monde. Un jour un Cavalier estant venu rendre visite à cette Dame, se mit à parler de la beauté de sa Chatte, & témoigna qu’il eust bien voulu en faire une alliance avec un Chat d’une autre Dame de sa connoissance, Grisette, dit-on, pria ce Cavalier de faire ses complimens, & d’ofrir sa tendresse au Chat Amant qu’il avoit dessein de luy donner. Ce Chat est à Madame la Marquise de Monglas, & s’appelle Tata. Il fit la réponce qui suit à Grisette.

Tata,

Chat de Madame

la Marquise de Montglas,

A Grisette,

Chatte de Madame des Houlieres.

    J'ay reçeu vostre Compliment.
    Vous vous expliquez noblement,
    Et je vois bien par vos manieres,
    Que vous méprisez les Gouttieres.
    Que je vous trouve d’agrêment !
    Jamais Chatte ne fust si belle,
    Jamais Chatte ne me plût tant,
    Pas mesme la Chatte fidelle
    Dont j’estois autrefois l’Amant,
    Et que j’aimois uniquement.
    Quand vous m’offrez vostre tendresse,
    Me parlez-vous de bonne-foy ?
    Se peut-il que l’on s’interesse
    Pour un Malheureux comme moy ?
    Helas que n’estes-vous sincere !
    Que vous me verriez amoureux !
    Mais je me forme une chimere,
    Puis-je estre aimé ? Puis-je estre heureux ?
    Vous diray-je ma peine extréme ?
    Je suis reduit à l’amitié,
    Depuis qu’un Jaloux sans pitié
    M'a surpris aimant ce qu’il aime.
Epargnez-moy le recit douloureux
    De ma honte & de sa vengeance ;
    Plaignez mon destin rigoureux ;
    Plaindre les maux d’un Malheureux,
    Les soulage plus qu’on ne pense.
    Helas je n’ay plus de plaisirs ;
    Indigne d’estre à vous, belle & tendre Grisette,
    Je sens plus que jamais la perte que j’ay faite,
    En perdans mes desirs ;
    Perte d’autant plus déplorable,
    Quelle est irréparable.

Reponse de Grisette,

A Tata.

    Comment osez-vous me conter
    Les pertes que vous avez faites ?
    En amour c’est mal débuter,
Et je ne sçay que moy qui voulust êcouter
    Un pareil Conteur de fleurettes.
    Ha ! Fy (diroient nonchalamment
    Un tas de Chattes prêtentieuses)
    Fy, mes Cheres, d’un tel Amant ;
Car si j’ose, Tata, vous parler librement,
Chattes aux air panchez sont les plus amoureuses.
    Malheur chez elles aux Matous
    Aussi disgraciez que vous.
Pour moy qu’un heureux sort fit naistre tendre & sage,
Je vous quitte aisément des solides plaisirs.
Faisons de nostre amour un plus galant usage,
    Il est un charmant badinage
Qui ne tarit jamais ma source des desirs.
Je renonce pour vous à toutes les Goutieres,
Où (soit dit en passant) je n’ay jamais esté.
    Je suis de ces Minettes fieres
Qui donnent aux grands airs, aux galantes manieres.
Helas ! Ce fut par là que mon cœur fut tentê.
    Quand j’appris ce qu’avoit contê
    De vos appas, de vostre adresse,
    Vostre incomparable Maistresse,
    Depuis ce dangereux moment,
Pleine de vous autant qu’on le peut estre,
Je fis dessein de vous faire connoistre
    Par un doucereux compliment,
L'amour que dans mon cœur ce recit a fait naistre.
Vous m’avez confirmé par d’agreables Vers
Tout ce qu’on m’avoit dit de vos charmes divers.
    Malgrê vostre juste tristesse,
On y voit, cher Tata, briller un air galant.
Les miens rêpondront mal à leur dêlicatesse,
Ecrire bien n’est pas nostre talent.
Il est rare, dit-on, parmy les Hommes mesme.
    Mais dequoy vais-je m’allarmer ?
    Vous y verrez que je vous aime,
    C'est assez pour qui sçait aimer.

La réputation de Grisette faisant bruit par tout, les Chats du plus grand merite luy en voulurent conter. Voicy les Billets de quelques-uns.

Blondin,

Chat des J....

A sa Voisine

Grisette,

Sur les Rimes de la Piece precédente.

    Je ne veux point vous en conter ;
    Dans le grand fracas que vous faites,
    Je n’ay pas dequoy débuter
Assez bien pour vous plaire, & me faire écouter,
Des Chattes comme vous friandes de fleurettes.
Vous joüez avec moy, mais c’est nonchalamment,
    Vos heures vous sont prétieuses,
    Il vous faut bien un autre Amant ;
Vous miolez, dit-on, trop librement
    Apres les faveurs amoureuses.
    Enfin vos voisins les Matous
    Sont un peu trop sobres pour vous.
Enfin vous affectez dans vos Vers un air sage,
Ce n’est pas en rimant qu’on renonce aux plaisirs,
C'est en ne mettant plus ces plaisirs en usage,
    C'est en quittant le badinage,
    Sans en conserver les desirs.
On se perd bien souvent sans courir les Goutieres ;
Oüy, dans ces lieux d’honneur vous n’avez point esté,
Vous suivez en ce point les prudes & les fieres ;
Mais de tant de Matous de toutes les manieres,
Qu'on vous cherche avec soin, vostre cœur est tenté.
C'est là ce qui vous gaste, à ce qu’on m’a conté,
Et que vous déguisez avec assez d’adresse.
Imitez, imitez vostre illustre Maistresse,
    Qui n’aima jamais un moment.
A son cœur noble & grand, autant qu’un cœur peut l’estre,
L'Amour n’ose esperer de se faire connoistre,
Vous luy ferez pour moy ce compliment.
Pour captiver les cœurs, le Ciel qui la fit noistre,
Luy donna le talent de la Prose & des Vers.
    Elle a mille charmes divers ;
Une tendre langueur, une aimable tristesse,
N'oste rien dans ses yeux d’un air fin & galant ;
Rien ne peut échapper à sa délicatesse.
Le bel Esprit n’est pas son seul talent,
Elle est la complaisance, elle est la bonté mesme ;
    Mais il ne faut pas l’alarmer,
La loüange & l’êclat ne sont pas ce qu’elle aime.
Bienheureux le Matou qu’elle voudroit aimer !

Dom Gris,

Chat de Madame

la Duchesse de Béthune,

A Grisette.

Grisette, sçavez-vous qui vous parle d’amour ?
    Qui vous cherchez depuis un jour ?
C'est un Chat accomply, plus beau qu’un Chat d’Espagne,
Un Chat qu’incessamment la Fortune accompagne,
Qui se fait admirer des Chattes de la Cour.
Voila ce qu’il vous faut, non pas ce Chat sauvage,
Ce Tata, langui au milieu des plaisirs,
Qui ne sçauroit au plus aller au badinage,
Qui ne sçauroit jamais contenter vos desirs,
Et qui mourroit de faim sur un tas de Fromage.
Ce n’est pas, apres tout, qu’il ne puisse amuser,
    Qu'il ne soit propre à quelque chose,
Comme de feu Bertaud on pouroit en user ;
Mais qu’en si beau chemin vostre amour se repose,
Quoy que vous en disiez, on ne vous croira pas.
Pour vous croire une Chatte à si maigres ébats,
    Surquoy voulez-vous qu’on se fonde ?
Sur vos peu de besoins ? Vous vous moquez du monde.
A d’autres ; c’est trop loin pousser le prétieux.
Ce n’est pas avec moy qu’il faut qu’on dissimule,
    Aussi-bien avez-vous des yeux
    A détromper le plus credule.
    Gardez pour ces jeunes Chattons
    Qui ne vont encor qu’à tâtons,
D'une fausse vertu le rusé préambule ;
    Ne tournez point en ridicule
    Ces ah fy, ces airs nonchalans,
Qui cachent quelquefois des desirs violens.
Loin de les condamner, je blâme les manieres
Des Chattes qui d’abord nous disent mia-ou.
Depuis que pour la Cour j’ay quitté les Gouttieres,
Je méprise beaucoup un procedê si fou.
Tout Matou que je suis, j’ay l’ame délicate,
Je veux qu’en certain temps on donne de la patte,
Et je n’aimerois pas qu’on me sautast au cou ;
    Mais de faire la Chatte-mite,
D'affecter comme vous un minois sérieux,
Tandis que nous sçavons qu’Amour vous sollicite,
Et qu’à de certains Chats vous faites les doux yeux,
Je vous le dis tout net, Grisette, j’aime mieux
    Une folle qu’une hypocrite.
Mettez-vous avec moy dessus un autre pié,
Si vous voulez longtemps garder vostre conqueste,
    Je suis un Coureur de Clapié ;
Chat qui prend des Lapins, ne passe pas pour beste.
    Adieu jusqu’au premier Sabat,
C'est là que j’attendray réponse à cette Lettre,
Et que vous connoistrez, si je livre combat,
Que je sçay plus tenir que je ne sçay promettre.

Mitin,

Chat de Mlle Boquet,

A Grisette.

    Grisette, vous faites du bruit,
Non de ce bruit que font durant la nuit
    Les Minetes trop amoureuses ;
    C'est un bruit que la gloire fuit,
Et que font en tout temps les Chattes prétentieuses.
    Ce bruit est venu jusqu’à moy,
    Il a troublé ma solitude ;
Je vivois libre, exempt de l’amoureuse Loy,
    Et je sens de l’inquiétude.
    Il me revient de tous costez
    Que vous avez cent rare qualitez.
On dit que vous avez le regard doux & tendre,
    Et que pour en faire comprendre
La charmante douceur, & le brillant éclat,
    Vous n’avez pas des yeux de Chat.
On dit que la Nature adroite & bienfaisante,
Vous a fait de sa main une Robe luisante
    D'un petit gris beaucoup plus fin
    Que le petit gris de Lapin ;
Que vous sçavez avec cent tours d’adresse
    Chasser les plus fâcheux ennuis,
Faire des jours heureux, & d’agreables nuits
    A vostre sçavante Maistresse.
On vous vois quelquefois d’un manege leger
    Sauter, bondir, & voltiger,
Et quelquefois en galante Minete
Vous dresser sur vos pieds pour atteindre au Miroir,
    Prendre plaisir à vous y voir,
Y consulter vos traits en illustre Coquette,
En Chatte d’importance, & non pas en Grisette.
Vous n’avez rien de brutal & de bas.
On ne vous vit jamais soüiller vos pates
    Innocentes & délicates,
    Du sang des Souris & des Rats.
En amour vous avez les plus belles manieres ;
Vous n’allez point par des cris scandaleux
Promener sur les toits la honte de vos feux,
Ny vous livrer aux Matous des Gouttieres.
    Par un tendre miolement
    Vous expliquez vostre tourment,
Et vous sçavez si bien, dans l’ardeur qui vous presse
    Toucher vostre illustre Maistresse,
    Qu'elle prend soin de vos plaisirs.
Et d’un digne Galant régale vos desirs.
    J'en pourrois dire davantage
    Sur le bruit qu’on fait tous les jours
De vos charmans appas, de vos tendres amours ;
    On n’en dit que trop, dont j’enrage.
J'enrage de bon cœur, Grisette, quand je voy
Tant d’appas, tant d’amour, qui ne sont pas pour moy.
    Je sens que le bruit que vous faites
Allume dans mon cœur des passions secretes,
Que dans tout le Païs des plus tendres Matous
    Nulle autre n’allume que vous.
Mais il est temps enfin de mettre en évidence
    Et mes talens & mes exploits.
    Ma solitude & mon silence
M'ont osté jusqu’icy l’honneur de vostre choix.
    Il faut vous faire ma peinture,
Vous dire que je suis un Chat des mieux appris ;
C'est trop languir dans une vie obscure ;
Et comme enfin la nuit tous Chats sont gris,
    Il faut mettre au jour ma figure.
J'ay la mine assez haute, & l’air fort glorieux ;
    Tant d’éclat brille dans mes yeux,
    Qu'on prend mes ardentes prunelles
    Pour des Astres ou des Chandelles.
Je ne suis point sujet aux facheux accidens
    Où tombent les Chats imprudens,
Ma conduite n’a rien de brutal, de sauvage,
Et je ne fis jamais aucun mauvais usage
    De mes griffes, ny de mes dents.
Quoy que mon sérieux marque trop de sagesse,
Et me donne tout l’air d’un severe Docteur,
    Quand il faut plaire à ma Maistresse,
    Je suis badin, je suis flateur,
    Je la baise, je la caresse,
Et la plus enjouée & brillante jeunesse
    L'est bien moins que ma belle humeur.
Sçavez-vous de quel air discret & raisonnable
    J'ay ma part dans un bon Repas ?
J'apuye adroitement ma pate sur les bras
    De ceux qui sont assis à table.
    Si leur faim est inéxorable,
    Ma faim ne se rebute pas,
    Et d’un air toûjours agreable
    Je tire du moins charitable
    Les morceaux les plus délicats.
Quoy que je sois servy d’une main liberale,
Et que je sois un Chat des mieux nourris,
Je chasse d’une ardeur qui n’eut jamais d’égale ;
Nul Matou mieux que moy ne chasse dans Paris,
Et je prétens qu’un jour mon amour vous régale
    D'une hécatombe de Souris.

Regnault,

Chat des A....

A Grisette.

Je ne tourneray point ma cervelle à l’envers
Pour vous dépeindre icy ma figure parfaite ;
Mais c’est pour vous parler de mes exploits divers
Qu'avec tant de Matous je m’érige en Poëte.
Un autre en doux jargon vanteroit sa défaite ;
Mais moy qui jour & nuit mets des Chattes aux fers,
N'en déplaise aux Matous, je vous apprens, Grisette,
Que je fais des Chatons mieux qu’ils ne font des Vers.

Seconde Lettre

De Tata,

A Grisette.

Grisette, avec raison je suis charmé de vous,
Vous avez de l’esprit plus que tous les Matous ;
Jamais, à ce qu’on dit, Chatte ne fut mieux faite :
    Mais, cecy soit dit entre nous,
    N'estes-vous point un peu coquette ?
Vous pouvez l’avoüer sans paroistre indiscrete,
    Le mal n’est pas grand en effet,
    Et s’il faut tout vous dire, Grisette,
Moy mesme, franchement, je suis un peu coquet,
    Malgré la perte que j’ay faite.
On peut bien sans amour écrire galament,
Quand on a comme vous tant de belles lumieres :
Mais croyez-moy, pour parler sçavamment,
    Sur tout en certaine matiere,
Il faut avoir frequenté les Gouttieres ;
On ne devient pas habile autrement.
    Apres tout c’est une foiblesse
    A nous de n’oser coquetter :
    Sur ce point pourqouy nous flater ?
    Les Matous coquettent sans cesse,
C'est là leur vray talent, à quoy bon le cacher ?
    Il n’est point de Chatte Lucrece,
Et l’on ne vit jamais de prude en nostre espece ;
    Cela soit dit sans vous fâcher.
    Coquettons, cherchons à nous plaire,
    Puis que le sort le veut ainsy ;
En un mot, aimons-nous, nous ne sçaurions mieux faire,
Vous avez de l’esprit, j’en ay sans-doute aussy,
    Je croy que je suis vostre affaire.
Avec moy vostre honneur ne court aucun danger,
C'est un malheur dont quelquefois j’enrage,
Et c’est pour vous, Grisette, un petit avantage ;
Car s’il est vray que vous soyez si sage,
    Je n’aurois pû vous engager
A... vous m’entendez bien : mais changeons de langage,
    Je pourrois vous desobliger.
    Eh bien donc ma chere Grisette,
Etablissons un commerce entre nous ;
Foy de Matou, vous serez satisfaite
    Des respects que j’auray pour vous.

Reponse

de Grisette,

à Tata.

Sur les mesmes Rimes.

    Lors que j’abandonne pour vous
    De charmans, de tendres Matous ;
Quand je pense établir une amitié parfaite,
(Car c’est tout ce qu’on peut établir entre nous)
    Pourquoy m’appellez-vous Coquette ?
    La reprimande est indiscrete,
D'une bizare humeur elle paroist l’effet.
    Est-ce sur le nom de Grisette
Que vous me soupçonner d’avoir le cœur coquet ?
Mon nom ne convient point à l’air dont je suis faite.
    Quoy, pour écrire galamment,
Pour avoir dans l’esprit quelques vives lumieres,
Falloit-il assurer qu’on ne peut sçavamment
    Parler sur certaines matieres,
    Sans avoir couru les Gouttieres ?
Chats connoisseurs en jugent autrement.
Mais quand mesme on auroit quelque douce foiblesse,
Est-ce avec vous helas ! qu’on voudroit coquetter ?
    Vous aimez trop à vous flater,
    Il est temps que vostre erreur cesse,
Elle m’outrage enfin, pourquoy vous le cacher ?
    S'il n’est point de Chatte Lucrece,
Il n’est point de Tarquins, Tata, de vostre espece ;
    Cela soit dit sans vous fâcher.
Quand un Chat comme vous se propose de plaire,
    Il devroit en user ainsy,
    Des jaloux soupçons se défaire,
    Et de ses airs grondeurs aussy ;
    Sans cela, Tata, point d’affaire.
Je ne veux point du tout m’aller mettre en danger
D'entendre tous les jours dire, morbleu j’enrage,
    Il n’en faudroit pas davantage
    Pour me rebuter d’estre sage,
Et souvent par dépit on se peut engager
A quelque bagatelle au dela du langage ;
Cecy soit dit encor sans vous desobliger.
    Adieu, Tata, foy de Grisette,
    Mais de Grisette comme nous ;
    Je ne suis pas plus satisfaite
    De vostre Lettre, que de vous.

La Defense des Cheveux, par M. Bouchet, de Grenoble. Pour le Viellard dont il est parlé dans l’Extraordianire du Mois de Juillet. §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 319-332.

La Defense

des Cheveux,

par M. Bouchet, de Grenoble.

Pour le Vieillard dont il est parlé dans l’Extraordianire du Mois de Juillet.

Le riche Vieillard dont il s’agit, épousant une jeune Fille qui n’a pas de bien, mais qui luy paroist blonde & bien faite, fait fond sur toutes ses bonnes qualitez, comme sur autant de biens qui doivent établir sa Dot. Il se flate en quelque maniere d’un retour de jeunesse, par la societé de cette aimable Personne. Il luy semble déja que ses cheveux de blancs qu’ils sont, vont devenir ce qu’ils estoient dans les premiers temps de sa jeunesse. Enfin la beauté de sa nouvelle Epouse le charme si agréablement, qu’il se croit le plus heureux Mary du monde ; mais le bon Homme se trouve abusé ; elle a l’adresse des Metamorphoses, comme les Dieux de la Fable en avoient le pouvoir ; & au lieu d’une belle Blonde qu’il croit avoir épousée, il se voit malheureusement l’Epoux d’une Femme qui a les cheveux d’une couleur qui le dégouste, & pour laquelle il a naturellement de l’antipatie.

Aprés cela, ne doit-il pas estre recevable dans sa demande, puis que les maux d’un semblable mariage luy procurera, sont plus dangereux que ceux à la consideration desquels les Loix separent tous les jours des Parties mal unies ?

Il est vray que la Loy Divine est expresse sur cela, & qu’il est dangereux de luy donner des bornes ; mais icy elle demeure dans ses droits. Ce n’est pas la Loy Civile qui separe ce que la Divine a uny ; c’est celle de l’une des deux Parties qui par sa mauvaise foy a eu l’audace de faire un tout avec une autre qui ne luy estoit pas destinée, & ce sont ces sortes de mariages dont la division fait dire, que le Ciel ne s’en est pas meslé.

La Loy Temporelle qui tient en terre la place de la Divine, n’est-elle pas alors obligée d’employer son autorité, pour remedier à ces inconveniens dangereux, & de mettre nostre infortuné Vieillard en état de prendre pour Femme celle que le Ciel luy destine ?

Ce n’est point au reste estre de mauvais goust que de souhaiter des cheveux, mais sur tout de ceux dont la couleur ne présage ny malheur ny fâcheuses influences. La Nature qui ne fait rien d’inutile, les fait croistre dans les parties du corps plus ou moins grands, selon l’utilité ou l’ornement qu’elle juge necessaire. On recevroit de notables incommoditez, & l’on seroit défiguré à faire peur, si le poil des sourcils & des cils estoit, ou rasé, ou aussi long que les cheveux de la teste ; & comme celle-cy est la partie la plus noble du corps humain, à l’égard de la santé & de la raison quand elle souffre, toutes les autres parties souffrent avec elle : ainsi cette mesme Nature aussi sage pour la conservation de ses ouvrages, qu’elle est industrieuse pour leur production, a pris soin de la couvrir & de la parer à mesme temps. Il est vray que quelques Personnes qui se resolvent à tout pour leur santé, se font raser la teste, dans l’esperance de se mieux porter ; mais ce petit nombre ne conclut rien contre le general. Pour un qui se sert de ce pretendu remede, mille le rejettent comme un mal qui détruiroit leur santé, s’ils laissoient leur teste exposée à l’injure des Saisons.

Ceux qui font profession de suivre les Conseils Evangeliques, ne condamnent pas absolument les cheveux, en se privant d’un ornement qui pourroit leur inspirer quelque sentiment de vanité. La plûpart portent au menton ce qu’il ostent à leur teste, & par ce changement qui les rend beaucoup plus venerables, afin de la mettre à couvert, ils luy font une espece de niche avec du drap.

Le Monstre allegué par Ambroise Paré qui fut trouvé dans un œuf de Poule, ne peut servir de preuve contraire dans cette occasion ; c’étoit une production contre l’ordre & l’intention de la Nature & de ce Principe, on n’en peut tirer aucune consequence qui soit capable de détruire ce qu’elle produit ordinairement, & regulierement par sa sage conduite, outre que l’Homme & la Femme n’ont eu aucune part à une production si bizarre & si extravagante.

Jules Cesar, dont le seul nom fait l’éloge, se seroit épargné le chagrin qu’il avoit d’estre chauve, si cette qualité eut esté une marque de sagesse ; elle en estoit plûtost une du contraire, à ce que disoient ses Soldats le jour de son Triomphe à Rome, à son retour des Gaules. Citoyens, disoient-ils, prenez garde à vos Femmes, nous amenons un Chauve adultere qui a prodigué dans les Gaules l’argent qu’il avoit emprunté à Rome. Aprés cela doit-on s’étonner si les Perruques sont si fort en usage en France, & si on s’empresse tant de cacher un defaut qui est la punition ordinaire de la débauche ? C'est pour cela que les Loix Civiles qui se conforment à celles de la Nature, & qui sont les marques les plus évidentes de la juste conduite des Souverains, condamnent les Femmes débauchées, punissant par ce chastiment une infamie par une autre infamie.

On rase les Criminels, & par là on leur oste ce qui reste en eux de marque d’honneur & de liberté, avant que de les enchaîner das les Galeres comme des Captifs.

L'Empire des Ottomans qui ne recommande qu’à des Esclaves, n’y souffre point de cheveux, & ne permet la longue barbe au menton qu’à ceux qui par leur merite & leurs emplois, ont acquis quelque autorité sur les autres.

Chez les Romains, Mécenas l’Amy & le premier Ministre d’Auguste, le Protecteur des belles Lettres, le Bien-faicteur des Sçavans, en un mot le parfait modèle de l’honneste Homme, ne méprisoit pas la parure & la propreté des cheveux : Il falloit au contraire qu’il l’estimast beaucoup, puis qu’Horace en l’invitant à manger chez luy, le preparoit particulierement à des Baumes & à des Parfums exquis pour ses cheveux, comme à un régal necessaire, sans lequel il n’eut pas crû le recevoir comme il meritoit d’estre receu. Le reste, disoit ce Poëte, ne passera pas les bornes d’une honneste frugalité.

On ne doit pas estre surpris, que les Peintres representent Diogéne & les autres sans cheveux ; ils sont si jaloux des régles de leur Art qui les applique sans cesse à copier les parties du corps les plus essentielles, qu’ils aiment mieux peindre un Homme sans cheveux, que de manquer à luy faire paroistre les oreilles, & une Femme sans draperies, que de ne pas faire parade de leur adresse, aux dépens mesme de la bien-seance & de l’honnesteté.

Mais quand les Peintres seroient toûjours fidéles (ce qui est assez rare) leur peinture dans cette occasion ne devroit pas estre une Leçon pour les honnestes Gens. Ces anciens Philosophes estoient la pluspart gens chagrins & sauvages, Mysantropes de profession à plus juste titre que Philosophes, & qui par leur conduite sembloit avoir juré divorce avec le genre humain, qui pouvoit voir sans horreur un Diogéne sale & crasseux dans son Tonneau qui étoit sa demeure ordinaire, n’ayant qu’une Ecuelle de bois pour tout meuble. Dans cet état il avoit raison de se faire couper les cheveux ; sans cette précaution, faute d’un Peigne, il s’exposoit à bien des disgraces.

Lequel des deux, à votre avis, croirons-nous qu’il faille imiter, Mécenas, ou Diogéne ? Je suis assuré qu’il n’y a point d’honneste Homme en France qui ne se déclare pour le plus honneste Homme des Romains.

Dire que la prudence est incompatible avec la belle Chevelure, c’est dire qui lors que les jeunes Gens joüissent de la beauté, de la force, de l’heureux succés dans leurs entreprises, parce que la Fortune les favorise ; & de la vivacité de l’esprit, les Vieillards ne peuvent se consoler de la perte de tous ces biens que par un peu de prudence acquise par mille fâcheuses expériences, laquelle les rendant des timides malheureux, s’évanoüit peu à peu à mesure qu’un âge trop avancé les fait revenir à leur premiere enfance.

Les bonnes & les belles qualitez de l’Homme, ne subsistent donc que dans son bel âge qui consiste dans le juste milieu des deux enfances, & c’est alors que la solidité de son jugement, soûtenuë par la vigueur de ses organes, est dans sa plus grande force, & qu’il fait voir en luy un assemblage merveilleux de la beauté & de la bonté, qui est la perfection de sa nature.

De l’Origine de l’Horloge de Sable. A Madame la Marquise de R** a Arles §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 332-344.

De l’Origine

de l’Horloge

de Sable.

A Madame la Marquise de R**

A Arles.

Vous m’avez demandé, Madame, l’origine de l’Horloge de Sable. En verité cette Question est digne d’une Héroïne qui sçait mesurer le temps, & l’employer avec autant de justesse & d’utilité que vous le faites ; car puis qu’il faut le dire, Madame, quelle est la Personne du monde qui sceust jamais en devenir meilleure ménagere que vous, ny en faire un si bon usage ? Agréez, s’il vous plaist, cette petite digression à vostre demande, & cette insulte à vostre modestie ; vous m’avez mis en trop beau chemin, pour m’en tirer sans rendre au Public cet authentique témoignage de vostre sublime vertu, & à vous, Madame, celuy de mon respect & de ma veritable estime ? Quelle est, dis-je, la Personne de vostre rang, & de vostre sexe, qui parmy le nombre infiny des plus hautes perfections de l’ame & du coprs, que vous possedez avec tant d’avantage, se soit fait comme vous une regle inviolable de s’appliquer dès sa plus haute Science, avec une assiduité, & une penétration qui n’eust presque jamais d’exemple. La Philisophie ancienne & moderne, n’a point de secret qui ne vous soit parfaitement connu ; la Mathematique point de partie, jusqu’à l’Algebre mesme, que vous ne penétriez ; & la Morale Chrêtienne & Civile, point de Maxime que vous ne mettiez en pratique d’une maniere surprenante. Il ne faut qu’avoir eu l’honneur, Madame, d’entrer dans ce prétieux Cabinet, où vous passez les plus belles heures du jour & de la nuit, pour estre convaincu de cette verité. On le trouve plus enrichy de vos Ouvrages, que de ceux des plus sçavans Autheurs de tous les Siecles dont il est si pompeusement assorty. Je dis mal, Madame ; sans entrer dans ce sanctuaire de vostre Esprit, il ne faut que meriter l’honneur de vos moindres entretiens sur toute sorte de matieres, pour ne douter jamais que vostre Génie ne soit une des plus rares merveilles de nostre âge, & la plus digne récompense du merite de cet Illustre Epoux à qui le Ciel vous a donnée. Que j’aurois de choses à dire, Madame, & de l’un & de l’autre (moy qui ay reçeu depuis longtemps l’honneur d’un si précieux commerce !) si toute la France n’avoit admiré plusieurs fois les excellens & divers Ouvrages de cette moitié de vous-mesme, sur tout depuis que le plus grand & le plus éclairé des Monarques, en a voulu faire le Secretaire perpetuel de son Académie Royale d’Arles. Mais, Madame, je ne m’aperçois pas que nostre Horloge coule, & que je tiens trop longtemps en halaine vôtre curiosité sur la Question que vous m’en avez faite. Je ne doute point que l’on ne foüille bien avant dans l’Histoire des Temps, pour en découvrir l’origine, & que bien des Gens ne s’empressent pour en tirer quelque éclaircissement, s’ils peuvent par là s’assurer de vous faire plaisir. Je sçay bien que plusieurs veulent qu’on en doive l’invention à l’Egypte, & à certain Anéxandre qui s’amusa durant le temps d’un long exil, à faire couler du sablon d’un long roseau qu’il perça par le bout pour faire couler son ennuy par cet amusement. En tout cas, Madame, la matiere ne luy manqua pas dans un Païs qui s’en trouve si bien muny. D'autres assurent que Julien l’Apostat, qui fut aussi bon Philosophe que sçavant Guerrier, emprunta de Lucien cette Invention, & que celuy-cy la tira de l’application qu’il avoit euë à voir couler dans sa Chambre quelque menu débris qu’une Souris poussoit de sa taniere, ce qui fournit d’idée à son esprit pour mesurer & reparer le temps qu’il avoit employé à cette sorte d’occupation. Je sçay aussi qu’un fameux Amy de Neron & des plus sçavans de sa Cour, nous a parlé fort expressement de cet Alcandre malheureux, qui s’estant veu consumé d’amour pour sa Lisie, fournit par sa cendre de matiere à une Horloge, duquel il a fait une Epigramme si celebre, que tant de beaux Esprits ont si fort estimée, & dont vous avez vû de si belles Traductions. Je n’aurois osé, Madame, apres de telles autoritez vous rien dire du mien, si vous ne m’aviez imposé la necessité de vous faire part de mes recherches, que vous trouverez bon, s’il vous plaist, que je vous communique dans ce langage, que vous avez toûjours trouvé si propre à convaincre la plus forte incrédulité.

    Autrefois dans la Thessalie,
La Femme d’un Faucheur, jeune, propre, & jolie,
Voyant son Mary prest à s’en aller faucher,
Luy dit, Hé ! mon amy, prens soin de me chercher
Du Sablon pour tenir ta Marmite bien nete !
Lors Cliton répondit (il se nommoit ainsy)
    Dans quoy veux-tu que je le mette ?
    Prens cette Guaîne que voicy
(Luy repartit sa Femme.) Or c’estoit une Guaîne
Faite, si vous voulez, ou de Buys, ou de Fresne,
    Dont Cliton ne se servoit plus
    A porter sa Pierre affilante,
Sans laquelle sa Faux n’estoit guere tranchante.
Il n’eust garde en cecy d’user d’aucun refus,
Sçachant combien sa Femme estoit d’humeur diablesse,
Il accepte cet ordre avec grande souplesse,
    Et pour tost agir à son gré,
Il prend la Guaîne, & marche au Pré ;
Rencontrant du Sablon, il choisit du moins sale,
    Du plus fin, & du plus menu,
Que pour rendre plus sec, au Soleil il étale,
Puis il s’en va faucher avecque sa Cabale ;
    Et le temps du Disner venu,
Chaque Faucheur courut s’attabler sous un Chesne.
    Cliton fut un peu détenu
A mettre son Sablon propre & net dans sa Guaîne ;
    Ce qu’ayant fait, il la pendit
    Au bout d’une branche prochaine,
Apres quoy ne songeant qu’à remplir sa bedaine,
Avec ses Compagnons à l’ombrage il s’assit.
Le Disner achevé, qui dure une heure entiere,
(Ne fust-ce qu’à manger des Oignons ou des Aulx)
    Cliton va reprendre sa Faux,
Et regarde en passant sa Guaîne sablonniere ;
Il s’apperçeut des lors que par un bout percé
Son Sablon sur la terre avoit presque passê,
Et le voyant encor comme un filet rêpandre,
    Il luy fut aisé de comprendre
Que ce Sablon subtil ayant mis à couler
L'heure juste employée à manger, ou parler,
L'invention pourroit tres-utile se rendre.
Il rumina longtemps sur cet évenement,
    Et conclut de ce raisonnement,
Qu'aux jours où le Soleil est couvert d’un nuage,
Où le Ciel nebuleux cache tout sous l’ombrage,
Ce Sablon decoulant finiroit les debats
Que l’on voit arriver pour l’heure du repas
Entre les Faucheurs & le Maistre,
Quand l’ombre & le Soleil ne les accordent pas,
    Et que sa Guaîne pourroit estre
    La juste mesure du temps,
    Dont ils pourroient estre contens.
Ainsi le lendemain seconde épreuve faite
Comfirma le succés de cette invention,
    Que Cliton mit apres en réputation,
    La rendant beaucoup plus parfaite ;
    Car au lieu de sa Gaîne, il prit
    Deux Ampouletes abouchées,
    Toutes deux ensemble attachées,
Entre lesquelles deux il mit
    Quelque mince & basse monnoye
    Qu'il perça d’un aigu poinçon,
Pour faire une ouverture, & donner mesme voye
    Au decoulement du Sablon ;
Dés lors le bon Cliton dans toute la Contrée,
Fut appellé de tous, le Mesureur du Temps,
Portant toûjours en main son heure mesurée ;
    Delà dans les Siecles suivans
L'on nous a peint le Temps sous la mesme figure
    D'un Faucheur qui s’en va faucher,
Portant avec sa Faux cette mesme figure
Que ce mesme Cliton sçeut si bien ébaucher.

Voila, Madame, la verité de l’Histoire, & l’entiere assurance que je vous donne d’estre autant que je le dois, Vostre, &c.

Giffon, de l’Académie Royale d’Arles.

[Explications, présentations des Revers de Médailles gravées dans cet Extraordinaire] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 344-375.

Les grandes Actions du Roy fournissent une si ample matiere pour toutes sortes d’ouvrages, qu’on n’écrit presque rien aujourd’huy qui ne regarde ce grand Monarque; On ne doit pas en estre surpris, puis que s’il a merité des loüanges de tout temps, elles doivent redoubler apres la Paix qu’il vient de donner à la plus grande partie de l’Europe. C'est un de ces grands Evenemens qui ont autrefois fait publier tant de Medailles. On en a de Vespasian, de Domitian, & de Tite ; & de plus anciennes, de Tibere & d’Auguste. Ce dernier a donné lieu à trois differentes sur le mesme sujet, & nous en avons une de Néron dont le Revers fait voir un Temple de Janus fermé, qui n’est different de celuy de la Medaille d’Auguste, qu’en quelque chose de la Face du Bâtiment. Cependant quoy que la Paix ait donné lieu à un grand nombre de Medailles, jamais elle n’en a fait publier si justement qu’aujourd’huy. Le Temple de Janus fermé sous Auguste pour la Paix de toute la Terre, & pour la troisiéme fois seulement depuis la naissance de Rome, a quelque chose de fort remarquable ; mais cette Paix Universelle ne fut pas accompagnée de toutes les glorieuses circonstances de celle-cy. Les Peuples épuisez par la longueur d’une Guerre Civile, que Pompée, ses Enfans, ou ceux qui le voulurent vanger, trainerent de Royaume en Royaume pendant tant d’années, estoient alors tranquilles par necessité. Antoine amolly par ses voluptez, & par ses longues habitudes avec Cleopatre, n’arma une partie du Monde que pour assembler des Spectateurs de sa fuite & de sa foiblesse. A peine soûtint il les aprest de la Bataille d’Actium. Brutus, & Cassius n’opposerent à la puissance d’Auguste que des Troupes tumultueusement assemblées. Leur revolte ne tira aucun secours des Peuples Etrangers ; & Auguste eut la liberté de tourner contre eux toutes les Forces de l’Empire qu’il employa ensuite contre Antoine, ce dernier ne s’estant declaré qu’apres avoir contribué à la défaite des autres. Ainsi Auguste n’eut jamais qu’un Ennemy à combatre. La Paix Universelle ne luy cousta que deux Batailles, & ce furent moins ses Armes qui l’établirent, que les Guerres de César & de Pompée, qui avoient abbatu tous les Peuples de l’Univers. Enfin l’on peut dire que l’horreur & la cruauté des Guerres Civiles, la longueur des maux, & la crainte d’y retomber, firent alors cette Paix, & qu’Auguste acheta peu la gloire de fermer le Temple de Janus. Il n’en est pas de mesme aujourd’huy. La Paix est véritablement l’Ouvrage du Roy. Presque tous les Peuples de l’Europe se sont liguez pour s’y opposer. On a vû en mesme-temps armer contre luy douze ou quinze Souverains. Sa gloire luy attiroit de nouveaux Ennemis de jour en jour, & c’estoient autant d’Armées nouvelles, qui se joignoient à celles qu’il avoit déja à combatre. Tant d’Ennemis n’ont pû étonner ce grand Prince. Il a triomphé de tous, & lors qu’il les a enfin réduits à la fâcheuse necessité de n’esperer leur salut que de cette Paix à laquelle ils s’estoient opposez, & qu’ils n’osoient demander, il les a prevenus, & par une genérosité sans exemple, il la leur a offerte à des conditions raisonnables, dans le temps que leurs Affaires desesperées luy donnoient lieu de tout entreprendre. Des Evenemens si extraordinaires ont donné lieu aux quarante-deux Medailles que vous verrez en jettant les yeux sur cette Planche. Comme elle n’est remplie que de Revers, j’ay crû devoir mettre le Portrait du Roy au milieu. On doit supposer qu’il occupe la Face droite de tous ces Revers. Vous ne le trouverez pas de Profil comme on le met ordinairement dans les Medailles, c’est parce que je ne le donne point comme Medaille, mais comme le Portrait du grand Prince, dont les Actions ont fourny la matiere de tous les Revers qu’on voit dans la Planche que je vous envoye. Il m’en reste beaucoup sur la Paix, que je n’ay point employez icy faute de place. Ils auront leur tour dans une autre occasion. J'ay choisy pour cette fois ceux qui ont le plus de raport à la Personne du Roy. Les six premiers sont de Mr Brossard de Montaney, Conseiller au Siege Présidial de Bourg en Bresse. Il faut vous les expliquer tous.

Explication des

42. Revers de cette Planche.

1. Ipse sibi metas posuit.

Le Revers de cette Medaille represente Hercule de Lauriers entre ses deux Colomnes, qu’il planta apres avoir fait admirer ses Exploits à toute la Terre. L'application en est juste à ce que le Roy vient de faire, en imposant luy-mesme des bornes à sa valeur.

2. Impune quis excitet.

C'est un Hercule appuyé & donnant sur sa Massuë au pied d’un Olivier. Gerion est étendu pres de luy. Ce dernier marque la Triple Alliance, & l’on trouve aisement le Roy dans cet Hercule, qu’on ne peut attaquer impunément.

3. Victoris clementia.

On voit une Paix qui retient une petite Victoire. Les mots sont aussi simples que le Felicitas populi, ou Securitas publica des Romains. Cette belle simplicité, qui ne laisse pas de dire beaucoup, est difficile à trouver.

4. Unde labor requies.

C'est une Gloire appuyée sur une Palme, & assise sur des Lauriers. Cela s’entend assez.

5. Et vincit cum dat Olivam.

On voit une Pallas qui d’un coup de Lance fait naistre un Olivier. Pallas fit autrefois ce prodige, lors qu’elle remporta la victoire sur Neptune qui luy disputoit l’avantage de donner le nom à Athenes. Ainsi le Roy estant victorieux lors mesme qu’il accorde la Paix, il peut estre comparé à cette Déesse.

6. Si leu cesserit ardorem minuet.

Un Soleil paroist dans le Zodiaque au Signe du Lyon. Par le premier on connoist assez le Roy. La Hollande & l’Espagne sont dessignées par le dernier. Ce Revers marque que comme le Soleil, aussitost qu’il est sorty du Signe du Lyon, & qu’il a surmonté cet obstacle, suivant l’opinion des Poëtes (ce qui arrive environ le 10. ou 12. d’Aoust) commence d’adoucir la brûlante ardeur de ses rayons ; de mesme lors que la Hollande s’est soûmise aux conditions offertes par le Roy, ce qui est arrivé le 10. du mesme mois, ce magnanime Vainqueur a bien voulu mettre une borne à ses Conquestes.

Les seizes Revers suivans sont du mesme Mr Gardien dont vous venez de lire un sçavant Discours sur les Devises, les Emblêmes, & les Medailles.

7. Unam habeat quæ mille dedit.

Ce Revers represente la Victoire, qui apres avoir mis aux pieds du Roy quantité de Couronnes de Laurier, est couronnée elle-mesme par ce grand Monarque, qui luy donne une Couronne d’Olives pour marquer la Paix.

8. Magnanimitas & Pax Lodoïcis.

La Magnanimité est representée par une Dame couronnée, ayant le Sceptre en main, & un Lyon aupres d’elle. La Couronne qu’elle a sur la teste signifie l’intention & l’esprit toûjours porté à faire des choses magnanimes ; Le Sceptre à sa main, le pouvoir de les executer ; & le Lyon, la generosité & le grand cœur. Elle tient des Balances de la gauche ; dans un des Bassins il y a une seule branche d’Olive. La Magnanimité se sert de son Sceptre pour faire pancher ce Bassin, qui l’emporte sur l’autre, quoy que chargé de Couronnes de Laurier. Ce Revers fait voir que le Roy préfera la Paix aux conquestes qu’il pouvoit faire, donne en cela un grand exemple de magnanimité.

9. Pacat superando.

C'est un Soleil au dessus des Vents, qui cessent de souffler, pour montrer que le Roy donne la Paix au Vainqueur.

10. Fortitudine & Prudentia.

On voit la Paix qui monte dans un Char de Triomphe, aidée de la Force, représentée à sa droite par Hercule, & de la Prudence à sa gauche.

11. Beare quam domare.

Ce Revers est d’un Globe entouré de deux Cornes d’abondance ; le tout posé sur une Pierre quarrée hiérogliphe de la Tranquilité. L'Arc & la Massuë posant à terre, & liez ensemble, pour montrer la cessation de leur employ, font connoistre que le Roy en arrestant le cours de ses Conquestes, préfere le repos du Monde au plaisir de vaincre.

12. Salus vobis, mihi gloria.

Ce n’est qu’une Devise dont le corps est une Mer agitée, sur laquelle flote un Radeau où sont l’Aigle Impérial, & les deux Lyons d’Espagne & de Hollande, qui prennent terre à une Rade qui s’éleve en Promontoire. Il y a un Olivier dans cette Rade, & un Coq qui leur dit, vobis salus mihi gloria, pour montrer que le Roy trouve sa gloire à donner la Paix, puis qu’il estoit en état d’étendre ses Conquestes, & que cette mesme Paix est l’unique salut de ses Ennemis.

13. Adversa voce fugantur.

Ceux qui sçavent que la voix du Coq fait fuir les Lyons, entendent assez le sujet de ce Revers.

14. Silente quiescunt.

Ces mesmes Lyons sont en paix quand le Coq se taist.

15. Inter amica quiescent.

Les Fleches de Hollande sont en bas sur un terrain. Un Château à trois Tours qui representent les Armes d’Espagne, & l’Aigle Impérial, sont au dessus. Le tout est environné d’une Couronne de Lys & d’Olives. Les mots font connoistre que la France les a environnez de toutes parts, & qu’ils ne peuvent estre en Paix que quand ils l’auront pour Amie.

16. Nostris sociare coronis.

On voit un Olivier au milieu d’un Lys à droite, & d’un Laurier à gauche, qui luy disent ces trois mots, pour montrer que le Roy, tout victorieux qu’il estoit, a bien voulu inviter la Paix, & luy donner moyen de paroistre.

17. Melius super addita jungam.

Les trois mesmes Figures paroissent en mesme situation, excepté qu’il part deux branches de l’Olivier, dont l’une se joint avec le Lys, & l’autre avec le Laurier, pour signifier que la Paix assure pour toûjours les Conquestes par ses Traitez.

18. Nullibi pulchrioir ulla.

On voit dans cette Devise l’accomplissement des deux autres. C'est une Couronne meslée de Lys, d’Olive, & de Laurier, posée sur un Socle ou Pierre quarrée, pour faire entendre qu’il n’y a point de Royaume plus heureux que la France, à qui le Roy a donné la Paix par ses Victoires.

19. Martæ & Artæ.

On voit un Olivier noüé par la tige, & environné d’autres nœuds au travers desquels d’une part, & à la main droite, est passé un Glaive, & un Caducée de l’autre. C'est la mesme pensée du Revers réduite en Devise.

20. Ob tributa moderata.

La France presente au Roy des Monnoyes dans un Bassin, dont il luy remet une partie. Les paroles & les six millions des Tailles que le Roy a remis, expliquent assez ce Revers.

21. Vix orta levamen.

Ce Revers fait voir un jeune Olivier bien formé, dont la tige ne sort de terre qu’autant qu’il faut pour appuyer le bout d’un Joug, pour montrer que le Roy n’a qu’à peine assuré la Paix, qu’il en fait sentir du soulagement à ses Peuples.

22. Priscus Regis amor libertas prisca resurgens.

Ce Revers represente le Roy qui rend son amitié à la Hollande, & qui par ce moyen rafermit sa liberté, dessignée par le Bonnet au haut d’une Pique.

23.

Ce Revers contient une Inscription avec des lettres numerales. Il faut de l’application pour trouver l’année qu’elles marquent. J'ay déja expliqué dans une de mes Lettres ce que c’est que les lettres numerales.

Cette Inscriptions est de Mr Miconet, Avocat ; & les six Revers suivans sont de Mr l’Abbé Malement de Messange, Autheur du Cadran Solaire.

24. Hic Tartara, noster Olympum.

Hercule est representé dans ce Revers, & les paroles font voir que si Hercule a cherché de la gloire dans les Enfers, celle de Loüis le Grand, l’Hercule François, est montée jusques dans les Cieux.

25. Ante triplex facies quam solem attingere possit desinet in nihilum.

Le corps de cette Medaille est une Pyramide, representant par ses trois Faces la Triple Alliance, qui avant qu’elle ait pû donner la moindre atteinte au Roy, s’est dissipée d’elle-mesme, ses efforts s’estant terminez à rien.

26. Victus met habebit in ore.

C'est un Lyon vaincu par Samson. Ce Lyon represente la Hollande, qui estant vaincuë par le Roy, changera ses paroles piquantes en paroles d’estime & de respect.

27. Quis vigilantior.

Le Coq qui paroit dans ce Revers, represente la France. Qui dit la France, dit le Roy en cette occasion ; & sa grande vigilance estant connuë, personne ne doit douter de la justesse de ce Revers.

28. Ornatur victi exuviis.

Hercule qui paroist dans ce Revers, est revestu de la peau d’un Lyon. Il represente le Roy enrichy des dépoüilles de l’Espagne, qui a un Lyon pour armes, à cause du Royaume de Leon. Ce mesme Lyon sert d’armes à quelques unes des Villes que Sa Majesté a prises.

29. Creverunt viribus Astri.

C'est une Tige de Lys, au haut de laquelle sont trois fleurs. Elles representent la France, & marquent de quelle maniere le Royaume s’est augmenté par la valeur de Loüis le Grand, representé par le Soleil.

Le Revers suivant est de Mr Robbe. C'est un nom qui ne vous est pas inconnu.

30. Sic Lodoïx inter Reges.

Toute la Terre connoit la puissance du Roy, & il n’y a personne qui ne sçache que cet auguste Monarque ne paroit pas moins au dessus des autres Roys, que le Lys qui est dans ce Revers paroit au dessus des Epines.

Les quatre Revers que vous allez voir sont de Mr Roubin, de l’Académie Royale d’Arles. C'est ce mesme Mr Roubin qui s’acquit tant de réputation par le Compliment qu’il fit au Roy, comme Député de la Ville d’Arles, en luy presentant le fameux Obélisque que cette Ville là a fait élever à sa gloire.

31. Clauditque aperitque.

Le Temple de Janus estant representé dans ce Revers avec une main qui l’ouvre, & qui le ferme, il est aisé de connoistre que cette gloire n’estoit reservée qu’au Roy. Aucun Monarque avant luy ne l’avoit jamais ouvert ny fermé avec tant d’éclat, ny mesme ne s’estoit veu en état de le faire de la maniere qu’a fait le Roy.

32. Nubilus excussis majori luce coruscat.

C'est un Soleil qui paroit plus brillant, apres avoir dissipé trois nuages.

33. Irridet magis ista domus.

On voit le Soleil dans le Signe de la Balance. Les Reglemens que le Roy a faits pour la Justice, marquent assez le soin qu’il a de la faire rendre exactement à ses Sujets.

34. Coelum dabit esse sorenum.

Le Soleil paroit avec un Arc en Ciel. L'application est aisée.

Mr Roubin de qui sont ces quatre Revers, avoit aussi appliqué au Roy, dés le temps qu’il me les donna, ces paroles que l’Ecriture applique au Soleil, Nemo est qui se abscondat a calore ejus, et celle-cy qui ne conviennent pas moins au Roy qu’à ce bel Astre, Cursum mora nulla detardat Comme elles sont déja dans la Planche où est l’Epistre adressée à ce Grand Monarque, j’ay crû ne les devoir point mettre parmy ces Revers, pour ne pas faire voir deux fois la mesme chose.

Le Revers & l’Inscription qui suivent, sont de Mr de Bonnecamp Medecin de Quimper.

35. Tonat atque serenat.

On voit dans ce Revers un Soleil qui dissipe la moitié d’un Nuage qui éclate en Tonnerres & en Eclairs, & qui perce de ses rayons l’autre moitié, pour les faire briller sur la terre. En prenant le Soleil pour le Roy, l’explication de cette Devise est claire.

36.

L'Inscription qui paroit dans ce Revers est d’autant plus belle qu’elle est veritable.

Le Revers suivant est de Mr d’Ablouville.

37. Par lumen utrinque.

C'est un Soleil éclairant un Laurier & un Olivier également. Le Roy estant aussi grand en paix qu’en guerre, cette Devise est tres-juste.

Des cinq Revers dont il me reste à vous parler, Mr de Roux a fait les quatre premiers, & Mr l’Abbé Mallement de Messange, le dernier.

38. Milites amat etiam inutiles.

La Façade du Bastiment des Invalides paroit dans ce Revers, & les paroles font voir que le Roy aime tellement ses Soldats, qu’il a mesme soin de ceux qui sont incapables de le servir.

39. Eadem Sede Imperium & Eloquentia.

La Façade du Bastiment du Louvre occupe ce Revers, pour faire connoistre que le Roy n’a pas dédaigné d’y loger l’Académie Françoise.

40. Et rapidior.

On voit le Rhin dans ce Revers, & les paroles font voir que le Roy est encor plus rapide dans ses Conquestes.

41. Docenda facit & facienda docet.

Un Livre fermé, couvert de Fleurs de Lys, & posé sur un Carreau, represente les Memoires du Roy pour Monseigneur le Dauphin, & nous apprend que ce grand Monarque enseigne ce qu’il faut faire, & qu’il fait ce qu’il enseigne.

42. Mirari non desinet.

C'est un Aigle qui regarde le Soleil. Cet Aigle represente l’Empire, à qui le Roy donne tous les jours de nouveaux sujets de l’admirer.

Apres tant de Medailles pour le Roy, si vos Amis m’en veulent envoyer pour les Ministres & les Genéraux qui l’ont servy si utilement, je vous les feray voir gravées dans ma premiere Lettre Extraordinaire.

[Explications en vers des Enigmes proposées dans la Lettre du Mois de Novembre] * §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 375-388.

Voicy quelques Explications des Enigmes proposées dans ma Lettre du Mois de Novembre. Vous vous souvenez que les Mots estoient la Mouche galante, & la Calote.

**
*

EXPLICATION DE L'ENIGME
de la Mouche par une autre Enigme.


I.

Insensible, sombre, & volage,
Des plus rares Beautez je sçais me faire aimer ;
Il en est peu qui pour charmer
Osent dédaigner mon usâge.
Que l'on me laisse à l'ombre, ou que je sois au jour,
Je sers à donner de l'amour.
Si tost que j'ay reçeu quelque baiser pour gage.
Si l'on ne me connoist apres ce dernier trait,
Je ne parois pas moins que le nez au visage.
Ou qu'une Mouche dans du lait

II.

Volez, belle Mouche, volez.
Mercure vous fournit des aisles ;
Dans chaque Païs les plus belles
Sçavent bien ce que vous valez.
Vous relevez l'éclat par vostre couleur noire,
Des beautez de la Rose, & de celle des Lys.
Les visages par vous de beaucoup embellis,
Font nargue aux Beautez de l'Histoire.
Mais souvent vous aidez à bien faire du mal,
Et sans blesser les lieux où vous estes assise,
Non moins qu'un Basilic, d'un certain air fatal,
Aidant à dérober la plus chere franchise.
Vous piquez les cœurs par les yeux
        Du premier Curieux.

    L'Abbé de la Herveays.


III.

Je suis fasché contre moy-mesme
De mon emportement extrême.
Je prens feu si facilement,
Que la moindre chose me couche ;
Je voy mesme qu'à ce moment
Mon esprit va prendre la Mouche.

Vous vous souviendrez que l'Enigme de la Mouche a esté faite par Madame de Rambey.

IV.

Lors que cette Veuve charmante,
Autant en esprit qu'en beauté,
Fit une Enigme si galante
Au fond de la Franche-Comté,
La matière aussitost s'en offrit aupres d'elle ;
Son Miroir dérobant un moment d'entretien,
Je confesse, dit-il que vous estes tres-besle,
Une Mouche pourtant vous siéroit assez bien.

    Le Mauvileu, de Chauven.


V.

Ceste Enigme est aussi parfaite
Que le bel Esprit qui l'a faite ;
Et quand on songe à ce Trône de fleurs,
Je pense qu'il n'est point de bouche
Qui ne se crût au comble des douceurs,
D'avoir la place de sa Mouche.

    Le Coq de Boisrivey.


VI.

Quoy, tout de bon, est-ce chose certaine,
Que cette Enigme vient de la Franche-Comté ?
À vous dire le vray, j'en ay bien fort douté.
Apres tout, estoit-ce la peine
De nous envoyer de si loin
Une Mouche avec tant de soin ?

    Maillet le Vert, Echevin de Troyes.


VII.

Vostre Enigme me plaist, j'en fait beaucoup d'état ;
Mais au travers d'un Masque où l'on voit tant d'adresse,
Une Mouche a le mesme éclat
Que sur le teint de ma Maîtresse.

    Cousinet, Fils de M. Cousinet
        Maistre des Comptes à Paris.


VIII.

Dans cette Enigme on a décrit
De la Mouche un nouvel usage ;
Elle, qui ne donnoit de l'éclat qu'au visage,
Fait briller dans ces Vers la beauté d l'Esprit.

IX.

Philis, cette Enigme vous touche,
Elle a grand commerce avec vous ;
Et quand vous la placez pres de vostre bouche,
Quoyque ce ne soit qu'une Mouche,
D'un bonheur si charmant vous me rendez jaloux.

    Neriene.


X.

Suivant le cours de la Nature,
L'Hyver chasse la Mouche, ou luy donne la mort.
Mais un plus favorable sort
Regarde celle du Mercure ;
Car l'Hyver & l'Eté, dans toutes les Saisons,
On la voit habiter les plus riches maisons,
Et reposer souvent sur le teint de nos Dames,
Qui s'en font mesme un ornement,
Pour conquérir des Cœurs, ou pour nourir des flâmes
Ou d'un époux, ou d'un amant.

    Germain, de Caen.

SUR L'ENIGME DE
la Calote.

I.

Qui pourrois-tu bien estre, Enigme dont le corps,
Par le moyen d'une main assassine
Estant mis au nombre des morts,
Renferme apres souvent une haute Doctrine.
Toy qui n'avois jadis qu'un sentiment brutal,
Et qu'on voit souvent en ce monde
Habiter la moitié d'une Machine ronde,
Depuis qu'on t'a donné le coup fatal ?
Comment débrouiller ce mystere ?
Ma foy c'est ma Calote ;enfin je l'ay trouvée,
Apres avoir longtemps resvé,
Apres avoir graté ma teste par derriere.

    De Mansec, S. de Pontdouble.


II.

La Calote sied bien à tous Prédicateurs,
Aux Avocats, aux Moines, aux Docteurs ;
Mais une chose fort sote,
C'est un Amant à Calote.

    Delutel.


III.

À chaque Enigme de tout temps
On a veu donner plusieurs sens.
Chacun du sien fait sa Marote,
On se plaist toûjours d'en parler.
Pour moy, je ne le puis celer,
Je suis coiffé de la Calote.

    L'Inconnu, d'Evreux.

Sur les deux Enigmes.

I.

Je ne sçay quel Démon m'anime,
De vouloir expliquer ces Vers ;
Mon pauvre esprit à l'envers,
À force de chercher la rime.
Tâchons pourtant d'y parvenir.
À la fin je la voy venir.
La Mouche à Iris est fort noire ;
La Boëte est sa sombre prison.
Mettons la Plume en l'Ecritoire,
La Calote est pour le Grison.

    L'Abbé de Sacy, de Rouën.


II.

Sur le teint fleury d'une Dame,
Sur la teste d'un vieux Docteur,
De ces Enigmes on voit l'ame.
C'est à dire le sens, ou le mot de l'Autheur ;
La Mouche vient de la bonne Faiseuse,
La Calote est d'une peau prétieuse.

    Miconet, Avocat à Châlons sur Saône.


III.

Si l'une est la Mouche galante,
Autant en emporte le vent.
L'autre est une Enigme importante,
C'est la Calote d'un Sçavant.

    Mad. Fredinie, de Pontoise.


IV.

Philis, vous m'ordonnez en vain
Que ces deux Enigmes j'explique.
Helas quelle Mouche vous pique ?
Defendez-moy plustost de faire le Devin,
Vous me maudiriez dés demain.
Si j'avou l'esprit prophétique,
Je sçaurois tout, Philis, c'est trop pour un Amant
Qui vous chante souvent une plaintive note.
Je laisse cette gloire à ceux dont la Calote
Renferme un plus seür jugement.

    De Lorne.


V.

La belle & charmante Rambay
Nous donne pour son coup d'essay
Dans cette saison une Mouche ;
Pendant qu'un charitable Autheur
Fait present dans ce temps farouche
D'une Calote de Docteur.

    La meilleure Amie du Zéphir.


VI.

Vostre Mercure court & par terre & par eau ;
Et puis qu'il n'est pas né pour garder vostre Chambre,
Vous avez eu raison dans le mois de Novembre,
Où le froid est fâcheux, parce qu'il est nouveau,
De luy bien couvrir le cerveau.
Quoyqu'il ne soit qu'en la fleur de son âge,
La Calote qu'il porte est de fort bon usage ;
Mais je n'aurois pas crû qu'un Courrier comme luy ;
Que chacun en tout lieux écoute sans ennuy,
Portast comme une fille une Mouche au visage.

    Du Champet, de Clermont en Auvergne.


SUR L'ENIGME DU SONGE,
figuré par Euridice & Orphée.

I.

Ce spectre que presente un objet si chery
Aux yeux voilez de ce Mary,
Euridice à son cher Orphée,
N'est autre chose que Morphée.
Qui le vient divertir dans un profond sommeil
Par un agreable mensonge ;
Mais il jouit bien du plaisir de ce Songe,
Puis qu'il perd de nouveau se Femme à son réveil.

    Desfosses, Avocat au Parlement.


II.

Les horreurs de la nuit nous marquent les enfers
Que crût charmer le malheureux Orphée
Quand prenant pour Pluton Morphée,
Il pensa retirer son Amante des fers.
Mais ce n'estoit qu'un pur mensonge,
Luy mesme il le remarqua bien,
Lorsqu'en ouvrant les yeux il n'apperçeut plus rien
Que les tristes effets d'un Songe.

    Le Coq de Boisrivey.


III.II

L'Enigme en figure fait peur,
Et n'a rien qui soit agréable

Questions Proposées §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier d’octobre 1678 (tome IV), p. 389-393.

Je reçois presentement une Lettre, toute belle & toute sçavante du Medalliste de Saumur ; mais je la reçois si tard, que je suis obligé de vous la garder pour une autre occasion, soit du Mercure, soit de l’Extraordinaire. Cependant je vay me servir du conseil que vous me donnez de proposer diférentes Questions, sur lesquelles chacun pourra s’exercer selon son génie. Vous avez raison de dire que quand plusieurs Personnes travaillent sur une mesme matiere, il est difficile que leurs Ouvrages ne se raportent l’un à l’autre en beaucoup d’endroits. Je sçay que la diversité plaist par tout, & particulierement en France. Ainsi j’entre dans vos sentimens, & afin que ma premiere Lettre Extraordinaire soit plus variée, vous demanderez, s’il vous plaîst, à vos Amis, quel party ils prennent sur les Questions qui suivent.

Questions

Proposées.

I. S'il y a plus de gloire à triompher de soy-mesme, qu’à vaincre ses Ennemis.

II. Si quand une Maistresse déçeuë par les apparences, fait à son Amant de violens reproches d’une prétenduë infidelité, & le condamne avec l’emportement ordinaire dans ces sortes d’occasions sans vouloir soufrir qu’il parle ; Si, dis-je, cet Amant accusé injustement doit ceder pour lors par un silence respectueux, & diférer sa justification, ou bien aux dépens d’un peu de desobeïssance, s’empresser avec toute l’ardeur possible de tirer sa Maistresse de l’erreur où il la voit.

III. Si la condition des Femmes est plus commode & plus avantageuse que celle des Hommes.

IV. Si l’on peut haïr ce que l’on a une fois bien aimé.

V. S'il est plus glorieux de vaincre un cœur qui fait gloire d’estre indiférent, ou d’en vaincre un qui est prévenu d’amour pour un autre objet.

VI. Si apres avoir esté trahy d’une Maistresse qu’on a aimée parfaitement, on en peut aimer une autre avec une aussi ardente passion.

Vous demanderez aussi à ces mesmes Amis, d’où ils croyent que soit venuë l’origine de la Peinture, & celle des Coliers de Perles que les Dames portent pour ornement. Je dis des Coliers, & non pas des Perles, car il n’y a personne qui ne sçache cette derniere. Je suis vostre, &c.

A Paris ce 14. Janvier 1679.