1679

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1].

2015
Source : Mercure galant, janvier [tome 1], 1679.
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

A Monseigneur le Dauphin §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], non paginé.

A Monseigneur le Dauphin

        Si dans la Paix ou dans la Guerre
        LOUIS ne fait rien que de grand,
Et si l’heureux succés de ce qu’il entreprend,
Le rend si formidable aux Princes de la Terre ;
        S'il est seul digne d’enseigner
        Le grand & bel Art de Régner,
Enfin si sa conduite en miracles féconde,
        Le fait regarder aujourd’huy
        Comme le plus grand Roy du monde,
Prince, combien est grand un Fils digne de luy !

De Hauteville

Epistre

Ce Madrigal, MONSEIGNEUR, renferme un Eloge qui répond parfaitement à ce qu’on voit tous les jours éclater de grand, & d’extraordinaire dans Vostre Auguste Personne, & j’ay peine à croire que le Panégyrique le plus étendu pust faire concevoir davantage. Aussi n’ajoûteray-je rien à cette pensée. Je vous diray seulement, MONSEIGNEUR, que comme le Mercure ne cherche à se conserver l’accés favorable qu’il trouve, & dans toute la France, & dans les Cours Etrangeres, que pour avoir l’avantage de continuer à y publier les merveilles de vostre Vie, il va redoubler ses soins dans cette nouvelle Année, pour n’estre pas tout à fait indigne de la protection dont vous l’honorez. Sa fortune ne peut qu’estre fort glorieuse , si vous avez la bonté de le regarder toûjours du mesme œil que vous avez fait, & je n’auray rien à souhaiter tant que vous agréerez la respectueuse protestation que je fais d’estre toute ma vie avec une entière soûmission.

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble & tres obeissant Serviteur, D.

Avis §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], non paginé.

Avis

Plusieurs estans persuadez que les Extraordinaires ne sont que des abregez de ce qui est contenu dans les trois derniers Volumes du Mercure qui les précèdent, on a esté prié de faire connoistre dans le premier Volume de chaque Mercure qui suivra chaque Extraordinaire, les matieres qui composeront ces mesmes Extraordinaires qui auront precedé le Mercure qui en parlera. On verra par là que dans ces Livres qui paroissent au commencement de chaque Quartier de l’Année, il n’y a pas une ligne tirée de ceux qui se distribuënt le premier jour de chaque Mois. On en va juger par les Ouvrages que contient le quatriéme & dernier Extraordinaire qui a paru le 15. jour de Janvier.

Il est dedié au Roy. L'Epistre n’est point de la maniere ordinaire. Elle est au milieu de toutes les Conquestes du Roy, gravées par M. le Paultre, representées au naturel, & environnées de Devises & d’Inscriptions. Le Volume contient

Un Eloge en Vers de plusieurs Pieces faites par les meilleurs Autheurs, & imprimées dans le Mercure.

Un Edit d’Amour, de dix-neuf Stances.

Une Feste galante donnée par l’Amour, au sujet de la Paix.

Des Stances Morales faites par le Fils d’un Auditeur des Comptes.

Huit Fictions diférentes sur l’origine de l’Horloge de Sable, traitées par métamorphose & par invention. La huitiéme en Vers par un Académicien d’Arles.

Une Lettre galante qui accompagnoit un petit Amour de cire donné pour Etrennes.

Deux Lettres galantes de Madrid.

Une Lettre de Venise, où l’on voit l’origine des Mouches galantes, & les sentimens de la sçavante Mademoiselle Cornaro, sur la confidence de Madame de Cleves à son Mary.

Six Lettres pleines d’érudition, de M. l’Abbé de la Valt, sur l’usage des Fictions.

Une Lettre sur les indices qu’on peut tirer pour connoistre l’Esprit, sur la maniere dont chacun forme son écriture.

Une nouvelle Lettre en chiffre.

Des Madrigaux sur divers sujets, & des Sonnets sur l’Amour & sur l’Indiférence.

Deux Discours à la loüange des Cheveux, pour répondre à la Satire contre les Cheveux qui estoit dans le troisiéme Extraordinaire.

Quatre Traductions en Vers François, des Vers Latins de M. de Santeüil, qui se lisent sur la Pompe du Pont Nostre-Dame.

Plusieurs Madrigaux servant d’explication aux Enigmes du Coeur, de la Nefle, de l’Esprit, de la Mouche galante, de la Calote, & de quelques Enigmes en figure.

Un Cadran Solaire en taille-douce, d’une nouvelle invention, dans lequel treize des principales Actions de Sa Majesté sont marquées par autant d’effets du Soleil.

Une Galanterie en forme de Conseil, sur un mal d’amour.

Plusieurs Ouvrages en Vers à la gloire du Roy.

Une nouvelle Histoire Enigmatique.

L'Histoire des Amours de Grisette, Chate de Madame des Houlieres, contenuë en huit Pieces de Vers composées par les plus beaux Esprits du Siecle.

Un Discours sur les Devises, Emblêmes, & Revers de Medailles.

Quarante-deux Revers de Medailles à la gloire du Roy, gravées dans une seule Planche, & tous expliquez dans l’Extraordinaire par autant d’Articles séparez.

Plusieurs Questions proposées pour le cinquiéme Extraordinaire, qui sera le premier de l’Année 1679. les quatre premiers faisant l’Année complete de 1678.

Tous les Ouvrages de ce quatriéme Extraordinaire se montent à plus de cent cinquante Pieces tant de galanterie que d’érudition.

Ce grand nombre d’Ouvrages diférens fait voir que les Extraordinaires sont des Recueils de tout ce que l’on peut s’imaginer, & où l’on peut avoir recours, suivant les matieres dont on veut estre éclaircy.

On ne proposera pas seulement au Public des Questions galantes pour tous les Extraordinaires, mais encor tous les Sujets qui seront envoyez, où l’érudition pourra paroistre.

[Ceremonies particulieres observées aux Publications de Paix] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 9-13.

Je viens à la Publication de cette Paix qui fut faite icy avec les cerémonies acoustumées, quelques jours apres que la Ratification eut esté receuë. La marche fut fort étenduë, estant composée de Messieurs du Châtelet, du Corps de Ville, & de tous les Officiers & Archers de ces deux grands Corps, aussi bien que des Fifres, Hautbois, Tambours, & Trompetes de la grande Ecurie du Roy. Ce sont les Hérauts qui publient la Paix. Ils sont sept, du Titre de Touraine, Normandie, Angoulesme, Picardie, Roussillon, Xaintonge, & Charolois. Le Roy d’Armes est du Titre de Mont-joye S. Denys, & marche seul apres les autres Hérauts, ce rang estant le poste d’honneur. Il ne publie jamais la Paix, & fait seulement ce que je vay vous apprendre. Quand on est arrivé aux lieux où les Publications se doivent faire, il ordonne aux Trompetes de sonner trois Chamades avec les Clochettes d’Armes de Sa Majesté, lesquelles finies, il oste sa Toque, & la tenant à la main, il crie trois fois, De par le Roy. Cela fait, il remet l’ordre de Sa Majesté entre les mains d’un Héraut d’Armes, & lui dit à haute voix ; Vous Héraut d’Armes de France du Titre de *** faites vostre Office. Le Héraut prend l’ordre & fait la publication, laquelle finie, le Roy d’Armes oste sa Toque & crie trois fois Vive le Roy, ausquels cris le Peuple ne manque jamais de répondre. Le Roy d’Armes ordonne ensuite aux Trompetes de sonner des Fanfares. Apres quoy les Proclamations se font dans la Court du Palais, & aux lieux accoûtumez par chacun des Hérauts alternativement. Ils sont revétus de Cotes d’Armes, avec des Toques garnies de plumes, des Trousses, & des Brodequins, & un Caducée à la main : leurs Chevaux sont caparaçonnez de Tabit violet frangé d’or.

[Réjoüissances faites à Paris] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 13-17.

Quelques-jours apres qu’on eut publié la Paix d’Espagne, on fit les réjoüissances ordinaires en ces sortes d’occasions. Le Canon se fit entendre dés le matin. On chanta le Te Deum, où toutes les Compagnies assisterent ; & le soir on fit un Feu devant l’Hôtel de Ville, & ensuite on en alluma dans toutes les Ruës. Il y en eut un d’Artifice que Mrs les Prevost des Marchands & Echevins avoient fait dresser. Il representoit le celébre Temple de Janus, soûtenu de plusieurs piliers. Ce Dieu estoit élevé sur un pied-destal au milieu de cette grande Machine, tenant d’une main les Clefs du Temple, & de l’autre un Sceptre. Ce Temple avoit plusieurs Portes, & deux degrez, & régnoient tout autour. Quatre Figures propres au sujet, qui faisoient l’ornement des quatre coins. On reconnoissoit Thétis & Cerés, aux deux premieres. L’une marquoit le Commerce de Mer ; & la seconde sembloit promettre que pendant la Paix elle rendroit la fertilité aux Campagnes que la Guerre avoit empeschez de cultiver. On voyoit Mercure dans l’un des deux autres coins. Une Bourse qu’il tenoit, faisoit connoistre le fruit que nous devons retirer du Commerce de Terre & de Mer. La quatriéme Figure representoit les Arts Libéraux. C’estoit une Femme qui tenoit une Paletre & des Pinceaux d’une main, & de l’autre un Globe & des Instrumens de Mathématique, pour montrer que la Paix rétablit les Sciences & les Arts. Le reste estoit orné de Peintures, de Festons, & de Trophées, comme vous pouvez voir dans la Figure gravée de ce Feu que je vous envoye.

[Réjoüissances faites à Grenoble pour la naissance de M. le Comte de Sault] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 17-52.

Je quitte les réjoüissances genérales pour vous entretenir des particulieres. Je vous ay parlé dans une de mes dernieres Lettres de celles qui furent faites icy à l’Hôtel de Lesdiguieres pour la naissance de l’Heritier de cette Illustre Maison. Vous sçavez dans quelle considération elle est en France, & particulierement dans le Dauphiné, dont Mr le Duc de Lesdiguieres est le Gouverneur. À peine la nouvelle de la naissance de ce premier Fils fut-elle sçeuë à Grenoble, que toute la Ville s’empressa de faire une Feste. C’est la Capitale de cette Province. Les Habitans en sont fort civils ce qui est cause que la politesse y regne universellement. Ainsi les Etrangers y admirent un abregé de la Cour à plus de cent lieuës de Paris. Ils sont charmez des honnestetez qu’ils y reçoivent, & sur tout des Personnes de qualité de l’un & de l’autre sexe, qui y sont en aussi grand nombre qu’en aucune Ville de France. On y trouve des Sçavans dont la réputation s’étend en plusieurs endroits de l’Europe. Le Parlement y exerce la Justice avec une si parfaite intégrité qu’on y court en foule des Provinces les plus éloignées ; & nostre auguste Monarque, à la connoissance duquel rien n’échape de ce qui regarde le bien general ou particulier de son Royaume, est si bien instruit de cette intégrité, qu’il y renvoye plusieurs Affaires de la plus grande importance. Cette Ville a un Prélat dont le zele extraordinaire est d’un exemple & d’une édification merveilleuse. Il est Frere de Mr le Camus Premier Président à la Cour des Aydes, & de Mr le Lieutenant Civil, qui porte ce nom. La visite de son Diocese est une de ses plus assiduës occupations. Il y fait des fruits surprenans par sa pieté, & on n’a pas moins d’admiration pour sa vertu que de respect pour sa dignité. A regarder la Province en general, on peut dire qu’il n’y a point de Peuple plus fidelle au Roy, ny qui ait plus de venération pour ceux qui en exercent l’Autorité. Elle est frontiere à l'Etat de Savoye, & voisine de l'Italie. Les obligations qu'elle a à la Famille de Mr le Duc de Lesdiguieres sont grandes. Le Connestable de ce nom la défendit plusieurs fois contre les invasions des Espagnols & de la Savoye, qui avoient uny leurs forces pour profiter des troubles que la Religin causoit en France sur la fin du dernier Siecle. Henry le Grand qui avoit de l'estime pour sa valeur & pour sa prudence, & qui mesme l'honoroit d'une bienveillance particuliere, trouva toûjours en luy une fidelité inébranlable, non seulement en la garde de cette Frontiere, & de toute celle de Provence, mais encor en tout ce qui regardoit les interests de ce Grand Monarque. Ce fut luy qui par sa vigilance & par le crédit qu'il avoit dans ce Païs-là, dont il estoit originaire, vint à bout de découvrir & de renverser en mesme temps divers desseins que le Party de la Ligue avoit formez. Il en fut récompensé par l'Epée de Connestable dont Sa Majesté l'honora, & par le Gouvernement de la Province, qu'il avoit sçeu si bien garder au dedans & au dehors. La Ville de Grenoble luy estoit déja obligée en particulier des soins de son agrandissement & de ses embellissemens. Mr le Mareschal de Créquy son Gendre, Ayeul de Mr le Duc de Lesdiguieres, de Mr le Duc de Créquy, & de Mr le Mareschal de Créquy, seconda cet illusre Connestable par son incomparable bravoure, avec le zele & le succés que l'Histoire nous apprend. Mr le Duc de Lesdiguieres son Fils, dernier mort, qui a gouverné la mesme Province jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans, luy a fait ressentir les effets de sa prudence & de sa fidelité pour le Roy pendant les malheureux troubles qu'on appelloit Guerres de Paris. La France estoit alors un Corps dont il y avoit peu de parties qui ne fussent infectées de la contagion de ce mal ; mais ce sage Gouverneur sçeut toûjours si bien penétrer les obscuritez du temps, que rien ne luy ayant pû faire perdre le bon Party de veuë, il maintint perpétuellement la Province dans l'état heureux du devoir & de la tranquillité. Nostre invincible Monarque l'a loüé durant sa vie & apres sa mort. On ne sçauroit demander une plus glorieuse preuve de son mérite. Celuy de Mr le Duc de Lesdiguieres son Fils vous est connu, & il n'y a personne qui ne sçache l'attachement qu'il a pour le Roy, & sa fermeté inébranlable pour son service. J'aurois trop à vous dire, si je vous parlois des marques d'adresse & de courage qu'il a données sous le nom de Comte de Sault, dans les Carrousels, en Hongrie, au Passage du Rhin, & ailleurs. Il a épousé l'unique Heritiere de l'Illustre Maison de Rets. C'est une Dame qui pendant le sejour qu'elle a fait à Grenoble en 1676. & en 1677. a charmé toute la Ville par sa pieté, par sa douceur, & par ses autres grandes qualitez. Le Dauphiné fut uny à la Couronne en 1343. par le don qu'en fit Umbert Dauphin de Viennois, à Philipe de Valois, à la charge que tous les Fils aînez de France porteroient le nom de Dauphin. Cette Province est d'autant plus redevable à la Maison de Lesdiguieres, que c'est elle qui luy a formé les véritables mœurs Françoises. L'avantage est grand, puisqu'on peut dire qu'estre François, est aujourd'huy un bien incomparablement plus grand que ne fut autrefois celuy d'estre né Romain. Vous jugez bien, Madame, que ceux de Grenoble estant du caractere dont je vous les ay dépeins, ne manquerent pas de donner tous les témoignages possibles de joye, si-tost qu’ils eurent appris que Madame la Duchesse de Lesdiguieres estoit accouchée d’un Fils. Dés le soir du jour que cette nouvelle fut reçeuë, les Capitaines des Quartiers parurent avec une partie de la Milice. On eut de la peine à contenir les Bourgeois. Tous vouloient s’armer. Neanmoins il n’y en eut que sept à huit cens, qui allerent faire une Salve devant l’Hôtel de Mr le Duc de Lesdiguieres. Plusieurs Boëtes & Petards que les Officiers du mesme Hôtel avoient fait ranger sur les terrasses du Parterre, répondirent à cette Salve ; & la nuit estant venuë, toutes les Fenestres furent éclairées par des Flambeaux. Il y eut des Feux d’artifice en divers endroits, & on n’oublia rien de ce qui pouvoit faire connoistre l’extréme satisfaction que toute la Ville ressentoit. Le lendemain, la plus grande partie de ce qu’il y avoit de Personnes de qualité à Grenoble, fut conviée à disner par ces mesmes Officiers. Le Repas fut magnifique, & les santez de Mr le Duc de Lesdiguieres, de Madame la Duchesse, de Mr le Cardinal de Rets, & du jeune Comte de Sault, y furent beuës avec de grands cris de réjoüissance. Ce jour-là & les suivans, l’Hôtel fut ouvert à tout le monde qui s’empressoit pour apprendre des nouvelles de cette heureuse naissance. Pendant plus de trois semaines, personne ne vouloit consentir qu’il fust un jour de travail. Tout estoit Feste pour les Artisans. Les Violons, les Fifres, les Hautbois, les Musetes, & plusieurs autres Instrumens, retentissoient dans tous les Quartiers ; & en quelque lieu qu’on allast, on n’entendoit parler que de divertissemens & de plaisirs.

Les Chevaliers du Jeu de l’Harquebuse parurent sous les armes un des derniers jours du Mois de Novembre. Jamais on n’avoit veu dans leur Compagnie ny tant de parure, ny un si grand nombre d’Hommes. Mr du Savel Gentilhomme de mérite, qui en est Capitaine, mit cette Compagnie dans un tres bon ordre. Il la fit marcher au son des Hautbois, des Musetes, & d’autres Instrumens, qui s’accordant avec le bruit des Tambours, faisoient un effet tres agreable. Il y avoit d’autres singularitez de Mousquets à croc montez sur deux Affuts en forme d’Orgues de guerre, & des Sauvages qui donnoient beaucoup d’éclat à cette marche. Ils formerent deux Bataillons dans la Place de S. André, où ils firent plusieurs décharges, & le soir ils vinrent faire la derniere sur le grand Pont de l’Isere, où Mr le Clerc, un des Officiers des Pénonnages, avoit fait dresser un petit Feu d’artifice, qui termina agreablement les réjoüissances de cette Journée.

Le 30. du mesme Mois, la grande Feste se fit. Comme personne ne vouloit se reprocher d’avoir esté paresseux dans une si belle occasion, les onze Pénonnages de la Ville se trouverent de grand matin sous les armes. Leurs Officiers sont des Gentilshommes, & d’autres Personnes considérables de la Ville. Mr Baudet, qui a un Frere & un Fils Conseillers au Parlement, en est le plus ancien Capitaine, & fait la fonction de Colonel avec le mesme honneur qu’il s’est acquis en plusieurs autres Emplois. Toutes ces Compagnies se rendirent hors de la Ville, où elles furent rangées en bataille par Mr de la Frey, Major, & par Mr le Clerc, qui outre sa fonction d’Officier de Pénonnage, faisoit encor celle d’Ayde-Major. Les Plumes, les Echarpes, & autres parures brilloient de tous costez. Chaque Compagnie avoit sa couleur particuliere. La premiere, le gris de lin ; la seconde, le bleu ; & les autres, le vert, le violet, le rouge, le jaune, &c. Comme quelques-unes estoient composées de trois ou quatre cens Soldats, cette uniformité faisoit un tres-bel effet dans un si grand nombre. Ces onze Compagnies prirent leur marche, ayant leur Colonel à leur teste. Chaque Officier ordonnoit à ses Tambours la baterie que bon luy sembloit, comme celle des Mousquetaires du Roy, la Dragone, la Rovargue, ou la marche ordinaire. Celle des Mousquetaires de concert avec les Hautbois, produisit un effet bien nouveau, qui fut de faire danser les Dames, soit par la préoccupation de la joye, ou par la gayeté de la baterie. Mr Aubin Enseigne du Quartier de la nouvelle Enceinte, qui est une des plus belles Compagnies de la Ville, portoit un Drapeau qui attiroit les regards de tout le monde. Il estoit parsemé de Fleurs de Lys d’or, & enrichy de plusieurs autres ornemens ; & comme ce Drapeau estoit fort grand, il pria une jeune Fille tres-bien faite, & de fort bonne Famille, d’en vouloir porter le bout. Elle estoit vestuë en Pallas. Il n’y avoit rien de plus riche que sa parure. La modestie qu’elle faisoit éclater sur son visage, avoit un je ne sçay quel mélange de fierté, qui en representant celle du Soldat, faisoit connoistre que la vertu le devoit toûjours accompagner. On avoit un empressement incroyable pour la voir, & pour sçavoir le mistere de l’Employ qu’elle avoit bien voulu accepter. Cette nouveauté fut surprenante, quoy qu’en usage chez quelques Peuples de nos Alliez, à l’imitation desquels cette belle Personne consentit sans peine à faire paroistre son zele, dans une occasion de joye aussi publique que celle où toute la Ville s’intéressoit. Ce qui acheva de charmer les Spectateurs, fut un Char de Triomphe, traîné au milieu de la mesme Compagnie. Il estoit peint & orné de plusieurs Couronnes, Fleurons, & Bouquets, haut de quatorze pieds, large de neuf & demy, & long de dix-huit. Un Enfant qui representoit le jeune Comte de Sault, y estoit assis, ayant à ses costez deux autres Enfans, habillez, l’un comme l’Amour, & l’autre comme Mars, & à ses pieds estoit la Force abatuë figurée par un Lyon couché. Le siege de l’Enfant avoit un Aigle & un Cygne pour supports, avec ces paroles.

Propre à l’Amour, & vaillant à la Guerre.

Dans ce mesme Char estoient neuf autres Personnes magnifiquement vêtuës à la Romaine. Elles representoient les neuf Muses, & joüoient toutes de quelques Instrument, dont la diversité faisoit une tres-agreable mélodie. Plusieurs Hommes vétus en Sauvages, qui sont les Armes de Mr le Duc de Lesguidieres, tiroient ce superbe Chariot.

Dans une autre Compagnie, il y avoit un Athlete armé à la Romaine, portant un Bouclier & l’Epée nuë, comme s’il eust invité au combat tous les Braves qu’il rencontroit. Il marchoit immédiatement avant le Drapeau.

Pendant que toute cette Milice se rangeoit dans les Prairies de la Porte de Bonne, les Officiers de l’Hôtel de Lesdiguieres tenoient Table ouverte, & l’apresdinée il y eut de leur part une Fontaine de Vin à trois tuyaux, qui coula tout le reste du jour. Les Compagnies s’estant mises en ordre, elles vinrent faire leurs décharges devant cet Hôtel, & passerent ensuite devant le Logis de Mr le Président de S. André, qui a esté Ambassadeur à Venise, & à qui le Roy a commis le Gouvernement de la Province en l’absence de Mr le Duc de Lesdiguieres, & de Mr le Comte de Tallard qui en est Lieutenant General. Ces honneurs rendus, elles allerent se poster dans la Place du Breüil, avec la Compagnie de la Jeunesse, commandée par le mesme Mr du Savel dont je vous viens de parler. Il estoit magnifiquement vétu, & fort-bien monté, ainsi que Mr Pellat Lieutenant de cette Compagnie, & les autres Officiers.

Le soir on fit joüer un Feu d’artifice, construit par Mr du Clot, Ingénieur de la Ville. Le Bâtiment estoit octogone, ouvert par huit endroits, rehaussé par un tour de balustrades, & surmonté par un Soleil luisant. L'Inscription qui estoit au Frontispice faisoit connoistre que les Consuls de Grenoble souhaitoient au jeune Comte de Sault la gloire, & les grandes qualitez d'Achille. Aux autres endroits on voyoit peintes diverses Actions de ce fameux Grec, telles qu'Homere les a décrites. Elles estoient accompagnées de plusieurs autres Inscriptions Grecques, Latines, & Italiennes, qui les appliquoient à la gloire future du jeune Compte de Sault. Il y avoir six Emblêmes en six endroits diférens. Le premier estoir un Enfant dans le berceau, aupres duquel les Parques filoient le tissu de sa vie, avec ce Vers au dessus.

Veridicos Parcae cœperunt edere cantus.

Trois autres Vers Latins estoient au dessous, qui faisoient connoistre qu'il venoit de naistre un Achille qui n'auroit point son égal, & dont toute la Terre parleroit un jour. Un Aigle à vol étendu, regardant avec mépris une Colombe perchée sur un Arbre, faisoit le second Emblême, avec ces mots.

Non imbellem Progenerant Aquilae Columban

Le troisième estoit une Carriere, au bout de laquelle il y avoit une Couronne de Lauriers, & ces paroles au dessous.

Virtuti gloria merces.

La figure du Pantheon, qu'on voyoit dans le quatriéme estoit accompagnée de ces mots.

Nullum numen abest, si fit prudentia.

Dans le cinquiéme, estoit representé un grand Lyon combatant un Eléphant en presence d'un Lyonceau, avec ce Vers.

Disce, puer, virtutem ex me, verumque laborem.

Le sixiéme faisoit voir une épaisse Forest, d'où un Créquier sortoit pardessus les autres Arbres. On y lisoit ces paroles.

Crescent illae, crescentis, honores.

Ces Emblemes aussi bien que les Inscriptions, estoient de la composition de Mr l’Horier, Avocat de la Ville. De cette Machine (si l’on peut appeler ainsi cette maniere de Bâtiment) sortirent plusieurs Fusées en diverses figures au commencement de la nuit. Ce Spectacle dura plus d’une heure. La clarté que ces Fusées répandirent, dissipa les tenebres des environs, & le bruit qu’elles firent retentir dans les airs fut si grand, que plus de cinquante Tambours qui batoient incessamment, avoient de la peine à se faire entendre.

La Milice qui environnoit le Feu dans la spacieuse Place du Breüil, augmenta ce bruit par la décharge de sa Mousqueterie, & s’estant rangée chacune sous son Drapeau apres que tout fut achevé, elle se retira à la lueur des Flambeaux, qui avoient esté mis avec profusion à toutes les Fenestres de la Ville. Il y eut des Quartiers où les Femmes receurent les Compagnies qui en estoient, le Pistolet à la main, qu’elles tirerent à leur arrivée. Les plaisirs durerent toute la nuit, & les Officiers de l’Hôtel les continuerent le lendemain, en régalant magnifiquement un tres-grand nombre de Personnes de Qualité, tant de la Ville que des environs.

Voilà, Madame, ce que la douceur du Gouvernement de Mr le Duc de Lesdiguireres a produit. Tout le Dauphiné a pour luy un zele incroyable, & cette Feste en est une marque.

La Vieille et le Ducat, Fable. §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p.  53-59.

La Vieille et le Ducat,

Fable.

            Un Ducat, des plus beaux Ducats,
Avoit gagné le cœur d’une vieille Dragonne.
Que l’or gagne des Coeurs, ce n’est pas nouveau cas,
            Il ne doit surprendre personne.
***
            La Vieille aimoit uniquement
Du prétieux métal la couleur éclatante,
            Et jamais tendresse d’Amante
            Ne fit plus souffrir un Amant.
***
            Par un excés de jalousie,
Le Ducat, malheureux à force d’estre aimé,
Sous double & triple clef, dans un Coffre enfermé,
            Passoit obscurement sa vie.
***
            La Dame l’alloit visiter,
Il est vray, tous les jours de plus en plus charmée ;
Mais ses soins n’avoient rien qui pust le contenter ;
Rarement d’un Blondin une Vieille est aimée.
***
Par ces mots à la sienne il se plaint de son sort.
Quoy, sans cesse en prison, toûjours dans l’esclavage ?
Moins captif est l’Oyseau dans sa petite cage,
Que je ne le suis, moy, sous ce maudit ressort.
***

        Pourquoy défendre qu’on me voye ?
        Ay-je commis quelque noir attentat ?
Suis-je un Empoisonneur ? Ay-je trahy l’Etat ?
Enfin de ma prison que veut-on que je croye ?

***
            On ne sçauroit me reprocher
            Que de faire trop l’agreable ;
Mais estre aux yeux de tous poly, bien fait, aimable,
Est-ce un crime à vouloir qu’il me couste si cher ?

***
            Que je pers de belles conquestes,
            De beaux emplois, de grands honneurs !
Mon or pourroit briller sur de Royales Testes,
Et servir d’ornement aux Conquérans des Coeurs.

***
            Je pourrois (ô Ciel quelle gloire !)
Avoir place au Palais du plus puissant des Roys,
Et de ce grand Héros chery de la Victoire,
Aux Siecles à venir apprendre les exploits.

***
D'un honneur sans pareil la perte irréparable,
Redouble les ennuis de ma captivité ;
Et je mourrois icy dans mon oysiveté,
            Si de mourir j’estois capable.

***
            La Vieille à cela, pas un mot.
Aux plaisirs du Ducat elle ferme l’oreille ;
Mais un jour n’ayant rien à mettre dans son Pot,
La faim chassa l’amour, & ce n’est pas merveille.

***
Elle prend son ingrat, Vous serez satisfait,
Luy dit elle, un Orfevre aura soin de vous plaire.
Le Ducat, de l’Orfevre estoit bien le vray fait,
            Car il avoit dorure à faire.

***
Sur l’Enclume aussitost ce beau Roy des Métaux
Souffre d’un Fer pesant la cruelle Torture.
Il avoit murmuré dans sa retraite obscure ;
On l’en fait repentir à grands coups de marteaux.

***
Pour redoubler encor son suplice & sa honte,
Le Feu succede au Fer, & le Blondin fondu,
Plus noir que Steropés, & moins poly que Bronte,
            Dans le Mercure est confondu.

***
Jamais un Criminel fut-il traité de mesme ?
Les plaintes à ce coup seroient mieux de saison.
            Le Ducat, dans sa peine extréme,
Regrete, mais trop tard, sa Vieille, & sa prison.

***
Ainsi nous plaignons-nous d’estre trop à nostre aise.
            L'ambition flate & séduit ;
            Elle n’offre rien qui ne plaise,
            Mais souvent ce qui plaist nous nuit.

***
Heureux qui peut en paix, sans se faire connoistre,
            Loin des honneurs vivre & mourir :
            Lorsque nous cherchons à paroistre,
            Nous cherchons toûjours à souffrir.

[Ce qui s’est passé à la Cour de Savoye à la derniere Feste du Sapate] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 60-76.

Vous m’avez surpris en me demandant des nouvelles de ce qui s’est passé à Turin le dernier Mois touchant le Sapate. C’est avoir bonne memoire que de vous estre souvenuë que je vous appris il y a un an, que cette Feste arrivoit toûjours le cinquième de Decembre. La Lettre qui suit va vous apprendre en quoy elle a consisté cette année, mais elle ne vous apprendra pas pourquoy on luy a donné le nom de Sapate, & vous m’embarassez fort quand vous voulez que je satisfasse là-dessus votre curiosité. Je m’en suis informé à bien des Gens, à qui ce mot n’est pas plus connu qu’à moy ; & si vous me permettez de vous expliquer mes conjectures, je vous diray que cette Feste tirant son origine d’Espagne, & une des conditions qu’elle impose estant que les présens qu’on veut faire soient mis en lieu où celles à qui on les fait ne doivent pas s’attendre de les trouver, il se peut que ceux qui en ont inventé la galanterie, ayent fait mettre d’abord quelques Bijoux dans les Souliers des Dames à qui ils avoient dessein de plaire, & que les ayant trouvez le matin en se chaussant, elles ayent donné le nom de Sapate à cette Feste, du mot çapato, qui signifie Soulier en Espagnol. Souvenez-vous, s’il vous plaist, que ce n’est qu’une simple conjecture que je vous explique. Elle obligera peut-estre ceux qui sçavent l’origine de ce que vous me demandez, à me faire part de leurs lumieres. Je les recevray avec beaucoup de plaisir, & vous laisse lire, en les attendant, ce qui a esté écrit de Savoye sur cet Article.

LETTRE

DE

Mr DE L’ESCHERAINE,

Secretaire du Cabinet de

L. A. Royales,

à Mr l’Abbé d’Estrées.

MONSIEUR,

Il est juste de vous rendre compte de temps en temps de ce qui se passe dans nostre Cour, & ce soin me regarde plus particulierement que personne, puis que j’ay une connoissance plus particuliere de la venération que vous avez pour nostre incomparable Souveraine, & de la part qu’elle vous donne à son estime. Je vous avoüe pourtant, Monsieur, que je sens quelques répugnance à vous faire la rélation du dernier Sapate. Celle que vous reçeûtes l’année passée, fut d’un prix qui vous fera trouver peu de goust à tout ce qui ne sera pas de la mesme main. Je veux bien neanmoins risquer quelque chose pour obeïr à l’ordre que M. R. m’a donné de vous écrire, & pour ne pas perdre une occasion favorable de vous renouveler mes tres-humbles services.

Vous n’avez pas oublié, Monsieur, que l’usage du Sapate nous est venu d’Espagne, avec l’Infante Catherine, Femme de Charles-Emmanüel premier. M. R. Chrestienne de France l’a continué, & on le continüe encor aujourd’huy ; car il suffit qu’une coustume ait esté une fois introduite dans nostre Cour, pour y estre toûjours observée, si elle va à la grandeur, au plaisir, & à la politesse. Tant de Filles de Roys, qui sont entrées dans cette Maison Royale, y ont apporté chacune quelque maniere de Festes galantes. Elles nous ont toutes plû, & nous avons fait un mélange du François, de l’Espagnol, de l’Italien, qui n’a rien de barbare, & qui réüssit admirablement bien pour la galanterie, & pour la magnificence. Je m’engage trop avant, Monsieur, je ne dois vous parler que du Sapate de Lundy dernier, cinquième de ce mois. La Feste commença sur les six heures du soir, par celuy que S. A. R. donna à son Auguste Mere. Il l’aborda dans son Cabinet, & luy presenta un paquet en forme de Lettres, où elle trouva des Sonnets, & des Epigrammes assez galamment tournez sur le sujet. Mr Pastorel en est l’Autheur ; c’est un ancien Poëte de nostre Cour, dont les Ouvrages ont souvent eu l’approbation des Mrs de l’Académie Françoise. En lisant ces Poësies, on entra dans la Chambre de M. R. & quoy qu’on ne se fust pas étudié à cacher le Sapate, selon la coutume, elle ne laissa pas d’estre surprise, voyant son Alcove fermée par un magnifique Balustre d’argent, qui estoit chargé de quatre grands Bassins, remplis de Gands d’Espagne, d’Evantails, de Rubans, de Bas de soye, & de quantité d’autres Bijoux, que M. R. distribua elle-mesme aux Dames. Elle découvrit en faisant ces liberalitez une Agraffe de Diamans, estimée trois mille Pistoles. Mais à mon sens, ce qui valut encor mieux, fut la maniere tendre, honneste, & reconnoissante, dont nostre jeune Prince excusa la petitesse de son present. M. R. luy en avoit aussi destiné un proportionné à son âge, & conforme au dessein qu’elle a de mesler à ses divertissemens des instructions capables de cultiver les semences de gloire & de vertu qui croissent avec luy. Comme elle luy donna l’année passée des Tentes, elle a voulu luy faire voir celle cy une Armée. On avoit dressé une Table haute de trois pieds, qui occupoit la moitié de la largeur, & toute la longueur de la Galerie des Peintures du Palais de S. Jean que vous connoissez . L’on y conduisit S. A. R. feignant que c’estoit le passage pour aller à la Comédie. Le bruit des Trompettes, des Timbales, & des Tambours, formerent à l’entrée une harmonie, qui ne déplut pas à l’humeur vive de nostre jeune Maistre. Il fut encor plus agreablement surpris, selon son goust, quand il découvrit le long de la Galerie, sur une espece de hauteur couverte de mousse, les Troupes de sa Maison campées à un bout & rangées en bataille à l’autre sur une ligne. Le Campement estoit tres-bien entendu, & disposé en tout, selon les Regles. La Tente de S. A. R. estoit au milieu de celles de ses Officiers, entre deux gros d’Infanterie, & la Cavalerie sur les deux Aisles. Trois Pavillons fort propres en faisoient la face, & celuy du milieu renfermoit une Veste de peau d’Espagne, avec les Boutons de Diamans, & une Bourse pleine de Pistoles. C’estoit une partie essentielle au Sapate d’un jeune Prince genereux, comme le nostre, qui a l’inclination du monde la plus liberale. On n’y avoit pas oublié le Parc des Vivres, non plus que celuy des Munitions, & de l’Artillerie. Cette petite Armée estoit en tres-bon ordre. Toutes les figures estoient venuës de Paris, armées & vestuës fort proprement, selon les couleurs & les parures des Compagnies, & des Régimens, comme vous les avez veuës estant icy. Je vous assure qu’il n’estoit rien de plus joly que cette petite Armée, composée de petits Hommes, & de petits Chevaux. Apres qu’on l’eust considerée à loisir, & que S. A. R. s’en fut diverty à son gré, on passa dans la grande Salle des Provinces, magnifiquement ornée, & éclairée de quantité de Lustres. Leurs AA. RR. s’y placerent sous un Dais, où les Comédiens François representerent la Berenice de Mr Racine. Leur action ne diminua rien de la beauté de cette Piece. Un Concert de la composition de Mr Lalouëtte, digne Eleve de Mr de Lully, en fut comme le Prologue ; & une somptueuse Collation de vingt quatre Bassins de toutes sortes de Confitures, & de Fruits, servit d’Intermede entre le premier & le second Acte. M. R. donna cette Comédie au lieu de l’Opéra, dont nous n’aurons la premiere Representation que dans huit jours. Estant retournée dans son Appartement, elle y trouva le Sapate de Madame la Princesse. C’estoit quantité de Peaux, & de Gands d’Espagne, cachez entre deux Toilettes qui couvroient son Deshabillé. La Feste finit par là, & chacun se retira fort satisfait de ce qu’on avoit veu, & de ce qu’on avoit oüy. Je vous conjure, Monsieur, de l’estre un peu plus de moy, que vous ne le serez du méchant stile de ma Relation ; car si je ne sçay pas écrire avec beaucoup de justesse, j’ay l’avantage d’estre avec beaucoup de passion, Monsieur, Vostre, &c.

à Turin le 10. Decembre 1678.

Air sur la Paix §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 77-78.

L'Air qui suit est sur la Paix. C'est une matiere qui exerce également la Musique & la Poësie. Les Paroles sont de Mr Chesnon de Tours. Mr Loyseau, Organiste de S. Martin de la mesme Ville, les a notées.

AIR SUR LA PAIX.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Canons, Tambours, Trompetes & Mousquets, doit regarder la page 71.
Canons, Tambours, Trompetes & Mousquets,
Vous refusez de celebrer la Paix,
Et vous croyez qu’il est de vostre gloire
                D'estre muets,
Hors d’un Combat, ou bien d’une Victoire.
Canons, Tambours, reprenez vostre employ,
            Festez la victoire du Roy,
            LOUIS a terminé la Guerre ;
            Mais c’est vaincre toute la Terre,
Que la forcer de recevoir sa Loy.
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Lettre de l’Amour, à Mad. de B*** §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 105-113.

J'ay à vous faire voir une chose assez extraordinaire. C'est une Lettre par laquelle l’Amour demande grace, luy qui est si peu accoûtumé à prier. Il est vray que c’est un Amour qui se pique d’estre raisonnable, & qui sçait apparemment qu’il ne trouveroit pas son compte à faire le fier avec la Belle qui est l’objet de ses soins. La Lettre est de Mr le Coq de Boisrivey.


Lettre

de l’Amour,

à Mad. de B***

            Aimable Iris, je suis l’Amour,
        Mais un Amour dont vous estes la Mere.
        C'est un secret que je ne puis plus taire,
            Et qu’il faut que je mette au jour.
            Je ne crois point vous faire injure,
            N'y qu’estant Amour de six ans,
            Et par conséquent de bon sens,
Je doive vivre encor avec vous de mesure.

***
            Vous ne pouvez plus desormais
            Feindre de ne me pas connoistre ;
            Car si l’on consulte vos traits,
On ne poura douter que je tiens de vous l’estre.
Vous ne rougirez point de me l’avoir donné ;
Car quoy que vous m’ayez comme une fausse Mere
            Ingratement abandonné,
        Je ne suis pas un Amour du vulgaire ;
Et pour vous faire voir comme je me crois fait,
Je vais ingénûment vous faire mon portrait.

***
            Je suis tendre, ardent, plein de zele,
            Respectueux, sage, fidelle,
        Prudent, discret, honneste, genéreux ;
            Et quoy que d’un genre amoureux
            J'ay peu de part à la folie
            Dont presque on nous accuse tous.
            Il est vray que tout comme vous
        Je panche un peu vers la mélancolie ;
J'ay le tempérament assez paisible & doux.
            On m’accuse d’estre jaloux ;
        Mais, charmante Iris, quand on aime,
            Je crois que chacun est de mesme.

***
        De la Raison, il est aisé de voir,
(Si jamais des Amours elle fut le partage)
            Que j’en ay, graces à mon âge,
            Autant que l’on en peut avoir.
            Pour de l’esprit, je veux m’en taire ;
            Si j’en ay, je tiens de ma Mere.
            Vous en avez infiniment,
            Et moy (dit-on) passablement.
        Apres cela, me pouray-je promettre
D'apaiser, belle Iris, vostre longue rigueur,
            Et de posseder vostre cœur ?
            Car c’est où bute cette Lettre.

***
Ne me repliquez point que je suis odieux,
            Vous me l’avez trop fait connoistre,
            Puis que jamais devant vos yeux
            Vous ne m’avez laissé paroistre,
            Et me chassiez comme un pernicieux.
Oüy, dés mes premiers jours, ingrate sans seconde,
            Vous me donniez à tout le monde,
            Et récompensiez de mépris
            Les Malheureux qui m’avoient pris.

***
Qu'on avoit bien raison de ne me garder guere !
            Car qui donne un pied seulement
            A l’amour d’une telle Mere,
            Ne s’en défait pas aisément :
        Et cependant l’infortuné Lisandre,
            Qui contoit sur vostre amitié,
Me prit, mais à dessein d’estre quitte pour rendre,
            S'il ne pouvoit vous toucher de pitié.

            Vostre cruauté fut extréme,
            Et luy fit plus de mal qu’à tous ;
            Pour me vouloir mettre bien avec vous,
            Il se pensa perdre luy mesme.
            Soit qu’il vous aimast tendrement,
Ou bien qu’il se laissast amuser d’espérance,
            J'acquis sur luy tant de puissance,
Que jamais on ne vit de plus parfait Amant.
Mais helas j’aperçois par son inquiétude,
            Et par un autre traitement,
            Que ce dangereux changement
            Provient de vostre ingratitude.
            Lisandre ne m’écoute plus ;
            Celle que j’eus peine à seduire,
Cette fiere Raison, va gagner le dessus,
            Et s’efforce de me détruire.

***
            De grace, ne le soufrez pas,
            Ou vous me causez le trépas.
            Oüy, belle Iris, ma mort est seûre,
Et ne me croyez point de ces folets d’amours
            Dont on dit que la vie est dure,
            Et qui renaissent tous les jours ;
Helas, quand je mourray, ce sera pour toûjours.

***
        Quoy, pourriez vous sans nulle cause
        Laisser mourir un Amour si constant ?
            Dans un âge qui promet tant,
Et dans l’état enfin de faire quelque chose ?
            Ne me rendez plus malheureux,
Pour un moment cessez d’estre insensible,
            Un Fils est-il si dangereux ?
            Et l’Amour est-il si terrible ?

***
            Hé bien, si je fais tant de peur,
            Ne me donnez point vostre cœur ;
        Et le changez à celuy de Lisandre.
            Belle Iris, foy d’honneste Amour,
            Je vais vous signer dés ce jour
            Que je n’ay plus rien à prétendre,
            Enfin voilà mon sentiment,
            J'aurois bien osé vous le dire ;
            Mais quand cela se peut écrire,
            On s’explique plus nettement.

***
Il ne me reste plus, pour finir cette Lettre,
            Qu'à vous prier de me permettre
D'estre, charmante Iris, jusqu’à mon dernier jour,
Vostre tres-humble Fils & Serviteur, L'Amour.

Mr l’Abbé de Grançey, Janvier 1679.

[Les Belles dupées, Histoire] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 120-140.

J'ay interrompu ma Lettre pour lire des Memoires de Province qu’on m’a apportez. Quoy que ce qu’ils contiennent soit fort extraordinaire, on m’assure qu’on n’adjoûte rien à la verité. La chose s’est passée dans une des plus celebres Villes de France. Voicy ce que c’est.

Trois Dames, toutes trois mariées, & qu’une longue amitié rendoit presque inséparables, ne cherchoient qu’à passer agreablement leur temps. Elles avoient de l’esprit, recevoient des Soûpirans, & se laissoient volontiers conter des douceurs, pourveu que les Gens se montrassent propres à quelque chose. La bonne chere estoit leur passion dominante, & un Repas bien ordonné avoit de grands charmes pour les mettre de belle humeur. Ainsi il estoit dangereux de leur faire quelque avance sur cet article, si on n’avoit dessein d’estre pris au mot. Elles prévenoient mesme le plus souvent ceux qui avoient de la complaisance pour elles ; & pour peu qu’ils parussent avoir dessein de les régaler, elles témoignoient si adroitement la disposition où elles estoient de le soufrir, que c’estoit toûjours une affaire faite. L'une d’elles ne lioit jamais une Partie de cette nature, qu’elle n’y appellât les deux autres ; & comme elles estoient trois, unies d’interest pour ce commerce, il alloit le mieux du monde, & elles se trouvoient dans des Festes continuelles. Un jour qu’elles revenoient ensemble d’une visite, elles rencontrerent un jeune Cavalier qui avoit échapé jusque là à leurs attaques. Elles s’en firent une honte, & en l’appellant, elles résolurent de le presser si vivement, qu’il ne pust se dispenser de se mettre en frais. Apres les premieres civilitez, à peine eut-il demandé à quoy elles avoient dessein d’employer le reste du jour, que la plus hardie répondit pour toutes qu’elles en estoient embarassées, & qu’il estoit en pouvoir de les tirer de cet embarras, en leur donnant la Collation. Les termes estoient significatifs. Il falloit répondre précisement, & le Cavalier qui estoit honneste, ne balança point à leur dire, qu’il se feroit un fort grand plaisir de ce qu’on luy proposoit ; mais que n’osant les mener chez luy, à cause d’un Pere sur l’âge qu’aucune visite de Femmes n’accommodoit, il craignoit fort que la Maison d’un Traiteur, qui estoit la seule qu’il avoit à leur offrir, ne les dégoustast d’une Partie qui luy devoit estre si agreable. Les Dames qui prirent cela pour une défaite (elles n’avoient peut-estre pas tort d’en juger ainsi) ne voulurent point laisser échaper l’occasion. Leur panchant l’emportat sur le scrupule. Elles accepterent le party, & dirent au Cavalier qu’il les conduisist. Un moment de resverie que cette résolution luy causa, acheva de leur faire croire qu’il ne leur avoit parlé d’un Traiteur, que pour trouver moyen de se dégager ; & comme elles agissoient du mesme esprit, & qu’elles s’imaginerent bien qu’il ne leur seroit pas aisé d’en obtenir un second Régal, elles se mirent de concert pour profiter largement des avantages de cette journée. Le Cavalier qui voulut se tirer de bonne grace de ce mauvais pas, les mena chez un Traiteur de sa connoissance, qui estoit le plus fameux de la Ville. Il ordonna une Collation fort honneste, & les fit entrer dans une Chambre tres-propre. Tandis que la Collation se préparoit, une de ces Dames, avoüée des deux autres, sortit de la Chambre sur quelque prétexte, & alla donner des ordres nouveaux qui furent si bien executez, que rien n’a jamais esté servy ny avec plus de profusion, ny avec de magnificence. Ce furent des Bassins en pyramides de tout ce qui peut faire un tres-splendide Dessert. Les Confitures seches tenoient leur place aupres des liquides, & on apporta de toutes fortes de Liqueurs en abondance. Le Cavalier qui n’avoit songé qu’à se tirer d’affaires honnestement, fut fort surpris de se voir si libéral lors qu’il y pensoit le moins. Les Dames remarquerent que tant de dépense ne luy plaisoit pas ; & pour joüir avec plus de joye du trouble que luy causoit la veuë de tant de Bassins, elles s’écrierent sur la magnificence du Régal, & luy demanderent si c’estoit les traiter en Amies, que de les faire servir avec tant de somptuosité. Ces paroles furent accompagnées d’un soûrire malicieux qui acheva de choquer le Cavalier. Il vit bien qu’on prétendoit le prendre pour dupe ; & se resolvant tout-à-coup à repousser la piece par une autre piece, il se mit de la plus belle humeur où il eust jamais esté. Il mangea, il but, il chanta, & dés qu’une des Dames temoignoit souhaiter quelque chose, il l’envoyoit chercher aussitost. Les Bassins furent abandonnez au pillage, & chacune d’elles fit un magazin de Confitures seches pour l’emporter. Cependant l’heure approchant où ce qu’elles devoient à leurs Marys les obligeoit de se séparer, il fut question de sortir. Le Cavalier les quita pour aller compter avec le Traiteur ; & tandis qu’il arrestoit la somme avec luy, & qu’il disoit tout exprés fort haut qu’il y avoit de l’excés, il entendit les Dames sur l’Escalier qui faisoient de tres-grands éclats de rire. Il baissa alors la voix, sépara la somme en quatre parts, en paya une, & apres avoir dit au Traiteur que les Dames acquiteroient les trois autres, il sortit sans se mettre en peine de leur dire adieu. Elles l’attendirent longtemps, & voyant que c’estoit inutilement, elles crûrent que le chagrin de se voir dupé l’avoit obligé à estre incivil. Ainsi elles se préparerent à s’en retourner sans escorte ; & comme elles prenoient leurs gands & leurs coifes, elles reçeurent le compliment du Traiteur. Jamais rien ne les surprit tant. Elles se persuaderent d’abord qu’il se moquoit d’elles, & prétendirent que les Femmes ne payoient jamais où il y avoit des Hommes ; mais il leur dit si déterminément qu’il n’avoit reçeu que la quatriéme partie de la somme arrestée par le Cavalier, & qu’il ne les laisseroit pas sortir si elles n’achevoient de le satisfaire, qu’elles se regarderent longtemps sans sçavoir à quoy se déterminer. Par malheur, aucune des trois ne s’estoit munie d’argent. Il n’y avoit que le crédit qui les pust tirer d’embarras. Elles se nommerent pour l’obtenir ; mais le Traiteur fut inéxorable, la somme estoit grosse pour des Femmes, & il falut que l’une d’elles se résolust à laisser un Diamant de vingt Loüis qu’elle avoit au doigt. Vous pouvez croire qu’elles ne sortirent pas avec la mesme joye qu’elles avoient marquée en entrant, & qu’elles pesterent de bonne sorte contre le Cavalier qui leur avoit fait la piece. Il y en eut pourtant une qui ne pût s’empescher de dire qu’elles se l’estoient attirée, & qu’il n’estoit jamais plaisant à un galant Homme de passer pour dupe. Elles retournerent chacune chez elles. Le Mary de celle qui avoit laissé son Diamant, remarqua le soir qu’elle ne l’avoit point au doigt, & demanda ce qu’il estoit devenu. Elle répondit qu’une de ses Amies l’avoit pris en badinant, & qu’elle la viendroit voir le lendemain pour le raporter. L'Amie ne vint point. Le Mary se mit de méchante humeur, dans la pensée que le Diamant estoit perdu ; & comme la Dame ne se trouva pas en pouvoir de le dégager parce que ses Amies furent paresseuses à luy envoyer de l’argent, elle en essuya quelque gronderie. Pendant ce temps, ce Mary grondeur s’estant trouvé avec trois ou quatre de ses Amis, l’un d’entr'eux qui leur devoit un Repas, les mena au mesme lieu où les Dames s’estoient régalées à leurs dépens. Un peu apres qu’ils furent à table, le Traiteur estant entré pour quelque chose qu’on luy demandoit, celuy qui donnoit la Feste vit une Bague fort propre, & d’un grand brillant, au bout de l’un de ses doigts. Il la demanda pour l’examiner ; & tous les autres ayant jetté les yeux dessus, le Mary la reconnut, s’en saisit, & soûtint que c’estoit un Diamant qui luy avoit esté volé depuis quatre jours. Le Traiteur monta sur ses grands chevaux, dit qu’il n’estoit point un Voleur, & demanda avec grand bruit que son Diamant luy fust rendu. La contestation fut grande ; & pour rendre justice au Traiteur qui crioit toûjours au meurtre, il fut question de sçavoir par quelle avanture une Bague qui paroissoit estre de Femme, luy estoit tombée entre les mains. Il conta la chose comme elle s’estoit passée ; & ne connoissant point le Mary, il nomma les Dames qui luy avoient laissé le Diamant, aussi-bien que le Cavalier qui les avoit amenées. Il ajoûta, qu’en attendant qu’on l’eust retiré, il avoit crû estre en droit de s’en parer pour l’interest de l’argent qui luy estoit deû. Le Mary fut fort surpris d’apprendre que sa Femme estoit meslée dans l’affaire. Il entendit raillerie avec ses Amis, rit le premier de la piece que le Cavalier avoit faite aux Belles, paya le Traiteur, & emporta le Diamant qu’il croyoit perdu.

[Réjoüissances faites au Chasteau de La Tour d’Aigues pour la naissance de M. le Comte de Sault] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 171-174.

Ce que je vous ay dit de la Feste de Grenoble, n’a pas terminé les réjoüissances qui se sont faites pour la naissance d’un premier Fils de Mr le Duc de Lesdiguieres. Aussi-tost que le Gouverneur du Château de la Tour d’Aigues en eut la nouvelle, il fit faire un grand Feu de joye dans la Place de ce Château : l’artifice en estoit admirable. Pendant qu’il joüoit les Trompetes, les Cloches, les Tambours, & le Canon, se faisoient entendre de tous costez. Le Château estoit éclairé d’un nombre infiny de flambeaux, qui de loin le faisoit paroistre tout en feu. Plusieurs personnes des environs accoururent pour joüir de ce spectacle. Apres que le Feu eut cessé, le Peuple commença de marquer sa joye par ses danses, & dans ce temps on vit sortir du Château un Bacchus assis sur un tonneau de Vin, dans un Char traîné par deux Sauvages, & precedé de quatre Trompetes. Ce char s’arresta dans la Place, & le Bacchus versa du Vin à tous ceux qui en voulurent, tandis qu’un Char de mesme structure rouloit par la Ville ; ce qui dura jusqu’au lendemain midy. Deux Seigneurs Anglois qu’on avoit invitez à cette Feste ; prirent leur part de cet agreable divertissement. Il fut suivy d’un magnifique Repas où plusieurs Santez furent buës, chacunes au bruit de trois décharges de tout le Canon.

[Régal fait par M. de Mesme à Messieurs les Ambassadeurs de Hollande] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 179-181.

On a fait icy un accueil tres-favorable aux Ambassadeurs de Hollande, & la joye de les voir a éclaté en diférentes rencontres. Ils ont mangé chez plusieurs Personnes de la plus haute Qualité, & Mr le Président de Mesme les a traitez avec une tres-grande magnificence. Il y eut quatre Services de neuf Plats chacun. Ceux qui furent invitez à ce Repas, estoient Mr de Strasbourg, Mrs les Marquis de Soyecourt & de Bouflers, Mr Courtin, Mr le Chevalier Tamboneau, & Mr de Vassinard, Gentilhomme Hollandois d’un grand mérite. Il y avoit aussi des Dames, & ce furent Mesdames les Marquises de Gouverné & de Doré, & Mesdemoiselles de Poussé & de Doré. Les Hautbois, les Flutes douces, & les Violons, le tout au nombre de quarante, formerent un agreable Concert & les Ambassadeurs s’en retournerent fort satisfaits & du Régal, & de la maniere dont le tout s’estoit passé.

A Monseigneur le Dauphin, sur la Paix que le Roy a donné à l’Europe. Madrigal. §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 181-183.

Vous jugez bien, Madame, que dans ces sortes de Festes on n’oublie pas à parler de ce qu’on doit aux bontez du Roy, qui dans le temps où il estoit le plus en pouvoir de vaincre, s’est fait une gloire particuliere de travailler au repos de toute l’Europe. Voicy un Madrigal qu’a fait là-dessus Mr le Président Nicole de Chartres, fameux par un tres-grand nombre de Vers aisez & galans, qu’il a donnez au Public.


A Monseigneur

le Dauphin,

sur la Paix que le Roy

a donnée à l’Europe.

Madrigal

            Fils du plus Grand Roy de la Terre,
Si LOUIS fait ceder les fureurs de la Guerre
            Aux douceurs d’une heureuse Paix
Qu'il accorde à l’Europe apres tant de souhaits,
            Admirez sa tendresse extréme.
Pour épargner le sang de ses fameux Guerriers,
Prest de se signaler par de nouveaux Lauriers,
Ce Vainqueur met sa gloire à se vaincre soy mesme.

Sur la Paix. Madrigal. §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 183-184.

Mr Ferret, d’Amiens, s’est servy tres-ingénieusement de cette mesme pensée dans le Madrigal suivant.


Sur la Paix.

MADRIGAL.

            C'est en vain que de toutes parts
            On chante que la Paix nouvelle
Donne à mon Roy le pas au dessus des Césars,
Et comble son grand Nom d’une gloire immortelle.
            Pour moy je suis tout convaincu
    Que cette Paix à sa gloire est nuisible ;
Car puis qu’en la donnant, Luy-mesme il s’est vaincu,
            Qui voudra le croire invincible ?

[Devises de M. Clement, & de M. Perrault] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 184-187.

Quoy qu’on n’ait rien veu faire au Roy qui ne puisse tenir lieu de prodiges, il est certain que la Paix est un de ses plus grands Ouvrages. Il n’y a rien de plus juste que la Devise qu’elle a fait faire à l’Illustre Mr Clement, composée d’un Arc en Ciel, avec ces mots, Solis opus. Tout le monde en parle, & on a raison de l’admirer ; mais ce qui vous surprendra, c’est que ce mesme Arc en Ciel, & ce mesme Solis opus, ayent esté employez par Mr Perraut en 1673. pour une Devise sur les Bastimens. Sa pensée estoit que comme il n’y a que le Soleil qui puisse produire ce beau Méteore de l’Arc en Ciel, il n’y avoit aussi que le Roy qui pust entreprendre des Bastimens d’une magnificence pareille à celle du Louvre. Il est vray que dans cette année on avoit élevé le modele d’un Arc de Triomphe à la porte S. Antoine, & que cet Arc pouvoit estre figuré par l’Arc en Ciel de la Devise. Deux grands Hommes qui se sont rencontrez dans la mesme pensée sur deux Sujets diférens, nous font connoistre que si le bon sens conduisoit toûjours l’esprit, nous ne verrions pas cette insuportable diversité de resveries mal digerées, qui font le suplice des Gens raisonnables.

[Réjoüissances faites pour la Paix au Havre de Grace, à Chartres, & à Epernon] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 187-193.

Je ne puis quiter l’Article de la Paix sans vous parler des réjoüissances qui ont suivy sa Publication dans toutes les Villes. Je me contenterois de vous dire en genéral qu’elles ont esté grandes par tout, si on n’avoit fait qu’allumer des Feux ; mais comme dans la plûpart de ces réjoüissances on a employé des Machines où l’invention & la magnificence ont eu part, je croy avoir autant de Festes galantes à vous conter, que j’ay de choses diférentes à vous apprendre sur cette matiere ; & je ne doute point que la diversité de tant de Spectacles qui ont tous eu leurs beautez particulieres dans chaque Ville, ne vous remplisse l’esprit d’idées agreables.

Je commence par les Habitans du Havre de Grace, qui ayant l’ordre de Mr le Duc de S. Aignan leur Gouverneur, de rendre cette Publication la plus solemnelle qu’ils pourroient, n’oublierent rien pour satisfaire dignement à un si juste devoir. Le jour qui préceda celuy qu’on avoit choisy pour cette Céremonie, ils firent allumer des Feux par tout, & attacher des Flambeaux à toutes les Fenestres, & aux Masts de leurs Navires, & le lendemain ils se trouverent à la Porte de la principale Eglise, les Echevins à leur teste, accompagnez de Tambours, Trompetes, Hautbois, Fifres, Flustes douces, & Violons. Une Fontaine de Vin coula tout le jour jusqu’à minuit. Elle sortoit d’un Piedestal, sur lequel estoit élevée une Statuë de Pallas, ayant à ses pieds une Salamandre, qui fait partie des Armes de la Ville. Cette Statuë estoit environnée de Palmes & de Lauriers ausquels on avoit attaché quantité de Citrons & d’Oranges, avec ces mots au dessous, Pax aeterna. Le Feu qui avoit esté preparé, fut allumé le soir au bruit des acclamations du Peuple ; des décharges du Canon, & de la Mousqueterie de la Garde des Habitans. Je dis des Habitans, car le Roy s’assure tellement sur leur fidelité, qu’il leur laisse à eux-mesme le soin de garder leur Ville. En suite le Premier Echevin traita splendidement tous les autres, & le Bal termina les réjoüissances de cette Journée.

    Elles n’ont pas été moins grandes à Chartres. Les Fontaines de Vin ont coulé en plusieurs Quartiers. Il y a eu deux Feux principaux, dont l’un fut allumé devant la belle Eglise de Nostre Dame, en présence de tout le Clergé. La Musique qui s’y fit entendre, & qui peut passer pour une nouveauté en pareil rencontre, augmenta la joye des Habitans. L'autre Feu se fit devant l’Hostel de Ville au bruit des Trompetes & des Canons. Tous les Bourgeois estoient sous les armes, & toutes les Rües furent illuminées pendant la nuit. Il y eut un magnifique Repas à l’Hostel de Ville.

    La mesme Cerémonie s’est faite à Epernon avec grand éclat. On y a distribué plusieurs Tonneaux de Vin au Peuple.

[Réjouissances faites à Bourges pour la publication de la paix avec l’Espagne] * §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 193-196.

Plusieurs autres Villes ont accompagné la Publication de la Paix, des mesmes témoignages de joye ; mais rien n’est plus galant que ce qui s’est fait à Bourges. Pendant qu’on chantoit le Te-Deum dans la Cathédrale, où assisterent tout le Clergé, l’Intendant, le Présidial, les Officiers de Ville, & les autres Compagnies, toute la Bourgeoisie estoit sous les armes, & formoit quatre Bataillons au devant du grand Portail de l’Eglise. Au milieu de ces Bataillons on voyoit un Char de Triomphe couvert de Laurier, & environné de Devises. Il y avoit un Tonneau de Vin au milieu de ce Char, d’une grosseur extraordinaire ; & de chaque costé du Tonneau, deux Hommes magnifiquement vestus, l’un à la Françoise, & l’autre à l’Espagnole. Ils s’embrassoient de temps en temps, se touchoient dans la main en signe d’amitié, & buvoient à la santé l’un de l’autre au bruit des décharges de toute la Mousqueterie. Toutes ces Troupes défilerent en suite avec la Maréchaussée, & se rendirent dans la Place de Bourbon, où l’on avoit preparé un Feu que Mr l’Intendant & les Magistrats allumerent. Ces réjoüissances durerent toute la nuit.

[Lettre en Prose & en Vers de M. de Berigny] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 196-218.

Comme il s’en est fait de particulieres à Caën, vous les apprendrez par une Relation particuliere que j’en ay reçeuë. Elle est de Mr de Berigny. Vous avez déjà veu de luy de fort galantes Descriptions de quelques Festes, qui vous doivent persuader que vous ne regreterez point le temps que vous employerez à la lecture de celle-cy.

LETTRE

DE Mr DE BERIGNY,

Conseiller au Presidial

de Caën,

Sur les Réjoüissances qui s’y sont faites pour la Publication de la Paix.

Quoy que nous soyons éloignez de la Cour, & que toutes les magnificences que l’on peut faire icy n’approchent point de celles de Paris, qui est le centre de la Galanterie & de la Richesse, nous avons pourtant publié la Paix avec des solemnitez si publiques & si galantes, que j’ay crû que vous ne seriez pas fâché d’en apprendre les particularitez. Vous sçaurez donc que cette Ville, qui n’est pas moins interessée à la gloire de nostre Grand Monarque, qu’elle est féconde en beaux Esprits, n’a voulu rien épargner pour donner des marques de son zele à Sa Majesté, & faire éclater la joye que nous avons de voir ses glorieuses Conquestes couronnées par une si heureuse Paix. Mr Meliand nostre Intendant, dont le merite & la magnificence sont connus de tout le Royaume, n’oublia rien de tout ce qui pouvoit rendre cette Publication plus fameuse, tant par les Repas magnifiques qu’il a donnez à nos Dames, que par les réjoüissances publiques dont il regla luy mesme les céremonies.

Apres avoir donné ses ordres necessaires
            Pour la pompe d’un si beau jour,
Il voulut que les Jeux, les Plaisirs, & l’Amour,
            Prissent la place des Affaires,
Et que pendant deux jours on joüist du repos
Que vient de nous donner nostre auguste Héros.

 

Le destin des belles choses estant de durer peu de temps, Mr Meliand trouva cette solemnité trop considérable, pour soufrir qu’elle eust le mesme sort, & que le mesme jour en vist le commencement & la fin. Ayant donc ordonné que pendant deux jours on cesseroit tout commerce, & qu’on ne les emploiroit qu’en réjoüissances publiques, le premier se passa en Repas somptueux, & l’on en donna mesme au milieu des Ruës, où l’on voyoit couler le Vin de tous costez. Apres que les Officiers de la Ville conduits par nostre Lieutenant General, & précedez de nos Trompetes, eurent fait une superbe Cavalcade, ils se rendirent à l’Hostel de Ville, qu’on avoit orné de Tableaux, de Festons, d’Emblêmes, & de Trophées, qui marquoient les glorieuse Actions de nostre invincible Héros qui y estoit représenté à cheval.

On voyoit sous ses pieds la Reyne de la Guerre,
Bellone, qui ne craint ny Dieux ny Souverains,
            Recevoir des fers de ces mains,
Et respecter en luy l’Arbitre de la Terre.

***
D'autre costé la Paix couronnant ce Héros,
            Sembloit au nom de tout le monde
            Luy rendre grace du repos,
Qu'il venoit d’établir sur la terre & sur l’onde.

***
La Déesse à cent voix publiant ses Combats,
Y faisoit remarquer ses plus grandes Victoires,
            Et mieux que toutes nos Histoires,
Elle mesme y peignoit la valeur de son Bras.

***
            La Déesse de l’Abondance
Dans un superbe Char tiré par les Amours,
Nous faisoit esperer que desormais la France
            N'alloit avoir que de beaux jours.

***
            Enfin ce n’estoient que Trophées,
            Et qu’Emblêmes où le Dieu Mars
Peignoit du Grand LOUIS les glorieux hazards,
Et de ses Ennemis les Ligues étouffées.

Ce jour s’estant passé dans les divertissemens les plus galans, la nuit eut aussi ses plaisirs, & l’on donna le Bal en plusieurs Maisons, où nos Dames, que l’on sçait estre des mieux faites du Royaume, firent également paroistre leur beauté & leur adresse à la Danse. Pendant cette nuit les Ruës furent éclairées d’une infinité de Flambeaux, à la clarté desquels tout le Peuple prenoit sa part de la joye publique ; mais comme tous ces divertissemens n’estoient que le prélude du grand Régal que Mr Meliand avoit donné ordre qu’on préparast pour toutes les Personnes de qualité, & qu’il devoit donner le lendemain au soir, avec un Feu d’artifice des plus beaux qui puissent estre inventez, je ne m’arresteray point à vous dire les particularitez de toutes les cerémonies que l’on fit pendant ce jour. Je vous diray seulement que ce soir on chanta le Te-Deum dans nostre principale Eglise, où Monsieur de Bayeux nostre Evesque officia avec sa majesté & sa piété ordinaire, & où tout ce que nous avons de belles Voix se signalerent. Ce Te-Deum estant finy, on alluma le Feu de joye au bruit de nostre Canon, & de la Mousqueterie de nos Bourgeois qui estoient sous les armes, au nombre de sept à huit mille ; apres quoy on se rendit à l’Hostel preparé pour le Soupé. Quoy que ses Apartemens soient d’une grandeur magnifique, on en avoit preparé plusieurs, un seul n’estant pas assez grand pour contenir tant de Personnes de marque. Celuy qui estoit destiné pour les Dames, estoit superbement meublé & éclairé d’une quantité de Lustres dont l’éclat & celuy des Vases qui servoient d’ornement aux Bufets, faisoient un effet admirable ; mais quoy que cet éclat surprist les yeux, il fallut qu’il cedast à celuy de la beauté de nos Dames. Quoy qu’elles soient generalement belles, & que la magnificence des Habits n’adjoûte rien à leur beauté naturelle, à la voir si enjoüées,

On eust dit que la Paix en suspendant les Armes,
            Leur eust donné de nouveaux charmes,
                Et que l’espoir
                De revoir
            Les objets de leurs flâmes,
            Avoit rallumé dans leurs ames
            Un feu plus glorieux,
            Que celuy dont leurs yeux
Brilloient pendant le temps que le Dieu de la Guerre
Sembloit avoir banny les Amours de la terre.

 

Le commencement de ce Repas fut le plus tranquille que l’on puisse voir, par le respect qu’on devoit aux Belles & aux Personnes qui en estoient ; mais comme les plaisirs les plus grands ne sont pas les plus longs ny les plus paisibles, & qu’il ne faut que le moindre incident pour troubler la plus grande joye, celle-ci ne pût se passer sans quelque petit desordre.

Ce furent Bacchus & l’Amour
Qui se firent mille querelles.
Ces deux petits Jaloux troublerent tour à tour
            Nos Galans & nos Belles,
Et voulant présider tous deux à ce Régal,
            Causerent un desordre égal.
Mais la suite n’en fut ny triste ny sanglante,
Et quoy que bien des coeurs en parussent blessez,
Ils ne s’en tinrent pas toutefois offencez,
Et tout ce démeslé n’eut qu’une fin galante.

***
            Bacchus, comme Dieu des Festins,
De ce fameux Repas prétendoit seul la gloire,
Et que ce jour n’estant destiné que pour boire,
L'Amour ne devoit pas y mesler ses chagrins ;
Que c’estoit à luy seul de présider aux Tables ;
Que ses Liqueurs estoient mille fois plus aimables
            Que tous les charmes de l’Amour,
Et que dans ce Repas dont il estoit le maistre,
            Personne ne devoit paroistre,
S'il ne vouloit le suivre, & luy faire la Cour.

***
D'autre costé l’Amour, comme le Dieu des Ames,
Soûtenoit qu’ayant droit de régner dans les Cieux,
Il pouvoit bien aussi commander dans ces lieux ;
Que ce pompeux Régal estant fait pour les Dames,
Personne ne devoit brûler que de ses flâmes,
            Et qu’estant le Fils de la Paix
Dés le moment qu’il n’estoit plus de guerre,
C'estoit à luy de régner sur la terre,
Et que l’on n’y devoit adorer que ses traits.
***
Le party du Dieu des Bouteilles
Faisant le plus de bruit, d’abord fut le plus grand.
Chacun s’y fit valoir, chacun y tint son rang,
Les plus serieux mesme y firent des merveilles.
Le bruit des Trompetes, des Voix,
Des Violons & des Hautbois,
Se meslant à celuy du Verre,
Anima si bien tous les cœurs,
Que tous se signalant dans cette douce guerre,
Voulurent s’aquerir le titre de Vainqueurs.
Ce bruit fit tant d’éclat, que les Nymphes de l’Orne
Sortant d’entre les bras de leur Dieu froid & morne,
            Quitterent leur lit de cristal
            Pour venir voir ce grand Régal,
            Et pour oüir nos Serenades.
Mais Bacchus de tout temps ennemy des Nayades,
        Ferma la porte à ces Reynes de l’eau,
            Et de crainte que leur présence
            Ne troublât un Repas si beau,
Il les fit retirer mesme avec violence.

***
            L'Amour qui n’aime pas le bruit,
Quoy qu’il dust présider à cette belle nuit,
N'avoit pendant ce trouble encor osé rien dire ;
Mais voyant que Bacchus usurpoit son Empire,
            Et luy déroboit ses plaisirs,
Il regagna les coeurs par ses tendres soupirs,
            Et rapellant les moins fidelles,
On vit tous les Galans par un heureux retour
            Se ranger aupres de leurs Belles,
Et Bacchus interdit resta seul à son tour.
***
Pour renverser toutes les Tables,
L’Amour n’eut qu’un signe à donner.
Ces Pompes que la Joye avoit fait ordonner,
Ces Fruits en pyramide, & ces mets délectables
Dont la profusion & dont l’ordre charmant
Satisfaisoit les yeux par leur seule abondance,
Disparurent en un moment,
Pour faire place au Dieu qui préside à la Dance.

Pendant qu’on se disposoit pour le Bal, Mr Meliand qui veilloit à toutes choses, crût que ce n’estoit pas assez que les Personnes de qualité eussent leur part de la joye, & qu’il falloit encor que le Peuple y participast. Ainsi il donna ordre que l’on défoncast plusieurs Pieces de Vin dans nostre Place Royale, où tout ce Peuple estoit accouru en foule pour voir le Feu d’artifice, qu’on eut à peine la liberté de faire joüier, à cause de l’embaras & du bruit que fit d’abord cette grande affluence de monde ; mais

            Ces rumeurs estant apaisées,
            On vit voler mille Fusées
            Où les Chifres du Grand LOUIS
            Brilloient avec tant d’adresse,
            Et mesme avecque tant de vîtesse,
        Que tous les yeux en furent ébloüis.

***
            En voyant s’élever de terre
            Tant de Feux brillans & divers,
            Qui perçoient jusque dans les airs,
On eust dit qu’ils alloient leur déclarer la guerre.

***
Les Astres étonnez de voir ces Feux nouveaux,
Et d’entendre le bruit de mille Serpenteaux,
            Qui sembloit imiter la Foudre,
            Furent quelque temps à résoudre,
            Pour éviter ce combat furieux,
S'ils devoient se cacher, ou descendre des Cieux.

***
La Reyne de la Nuit n’osa mesme paroistre,
Et cedant son Empire à ces Feux éclatants,
            Reconnut dans ce temps
Que de tout l’Univers LOUIS estoit le Maistre,
Et qu’elle ne pouvoit troubler sans attentat
Les honneurs qu’on rendoit à ce Grand Potentat.

Ce plaisir estant finy, on commença le Bal.

Ce fut là que l’Amour, ce fut là que nos Dames
        Firent briller bien d’autres flâmes.
Ce fut là que leurs yeux enchaînant tous les coeurs,
            Se firent mille adorateurs.
            Chacune pendant cette Feste
            Fist quelque nouvelle conqueste,
Et par mille plaisirs enfin le Dieu d’Amour
            Couronna ce beau jour.

[Réjoüissances faites à Abbeville sur le sujet de la Paix] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 219-225.

Les Habitans d’Abbeville n’ont pas esté moins zelez à faire éclater leur joye pour la Paix d’Espagne, qu’on l’a esté dans les Villes que je viens de vous nommer. Outre les réjoüissances publiques, il s’en est fait une particuliere chez Mrs du Bureau des Fermes Royales, qui ont toûjours fait des divertissemens chez eux pour les conquestes de Sa Majesté. On avoit dressé un Theatre au bout de leur Court, sur le bord d’un bras de la Riviere de Somme. Il estoit en façon de Pyramide, & couvert de tous costez de tant de Festons, qu’on l’eust pris de loin pour une veritable verdure de Printemps. Toute la Machine, depuis le bas jusqu’en haut, estoit semée de Fleurs-de-Lys d’or, éclairées de cent Lances à feu, au dessus desquelles paroissoit un grand Soleil qui jettoit du feu en tournant, avec cette Devise, Sol Super Lila Solus.

Aux deux costez du Theatre, deux Muses jettoient fort loin une grosse flame, & l’on voyoit une Fontaine au milieu, qui changeoit de jets de temps en temps, sans qu’on pût s’apercevoir d’où elle venoit. On fit joüer plusieurs Pots-à-feu, avec quantité de Petards diférens qui faisoient un bruit continuel, & on tira un tres-grand nombre de grosses Fusées volantes, sans compter toutes les petites qui partant toutes ensemble, formoient un tres-agreable Spectacle. Il y en eut quelques-unes, qui venant à la rencontre les unes des autres de diférens endroits sur des fils d’archal, divertirent fort l’Assemblée par une espece de combat qu’elles firent en l’air pendant tout le temps qu’elles durerent. Le Portrait du Roy estoit sur une élevation au milieu de la Court, environné de plus de cent lumieres, avec ces Vers écrits en lettres d’or.


Rien ne peut sans LOUIS briller en aucun lieu,
Il est plus éclatant que ce qui l’environne.
On reconnoit en Luy les traits d’un Demy-Dieu,
Et ce qu’on voit de grand, c’est luy seul qui le donne.

 

Pendant qu’on faisoit joüer le Feu d’artifice, les Trompetes & les Violons se répondoient, & Bacchus qui regnoit dans toute la Court assez spatieuse, & remplie d’un tres-grand nombre de Spectateurs, faisoit fort souvent crier, Vive le Roy, avec des acclamations soûtenuës à l’envy de toutes parts. Vis-à-vis du Theatre, il y avoit une Table fort propre, & qui estoit plus éclairée par les belles Personnes qu’on y voyoit, que par les lumieres, quoy qu’il y en eust quantité. Ce fut de là que les Dames prirent le divertissement du Feu d’artifice. Ensuite il y eut un Bal qui dura toute la nuit, avec une superbe Mascarade. Madame la Marquise & Mr le Chevalier de Mailly s’y trouvèrent, avec Madame la Comtesse de Fontenelle, Mr le Marquis de Nel Colonel du Regiment de Condé, & Mademoiselle de Nel sa Sœur, dont la grace & l’enjoüement se firent également admirer. Sur la fin du Bal on tira encor quelques Fusées volantes qui terminerent la Feste.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 225-226.

Voyez, Madame, comme la Paix a mis toute la France en joye. Celle qu’on fait ordinairement éclater dans le temps des Roys, en a redoublé, & ces paroles nouvellement mises en Air vous l’apprendront.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Quelle Musique agreable, doit regarder la page 225.
            Quelle Musique agreable
                Retentit dans les airs ?
Je croy que comme nous tout le monde est à table,
        Qu'on mange, qu’on boit, qu’on fait des Concerts ;
            L'accord en est admirable.
        Ah qu’il est doux ! qu’il est aimable.
            Chacun y chante comme il doit.
            Homme, Femme, Garçon & Fille,
                Tout s’égosille
                A crier le Roy boit.
images/1679-01_225.JPG

[Description de la Marche faite à N. Dame pour la Benediction des Drapeaux du Regiment des Gardes] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 234-239.

Ce mesme jour, premier de l’Année, on fit icy une Cerémonie d’autant plus surprenante, qu’elle n’estoit pas attenduë. Elle fut si magnifique, qu’on n’auroit pas laissé d’en estre surpris, quand mesme on l’auroit publiée deux mois auparavant. Cette Cerémonie fut faite pour la Benediction des Drapeaux du Regiment des Gardes. Voicy de quelle maniere ils furent conduits à Nostre-Dame.

Le Tambour Major estoit à la teste de soixante autres qui marchoient quatre à quatre. Mr  d’Artagnan Major du Regiment des Gardes, paroissoit en suite, & précédoit les quatres Aydes-Majors, qui sont Mrs de Traversone, Defragny, Cavaillet, & Varenne. Ils estoient suivis de soixante Sergens, qui marchoient quatre à quatre de front. On voyoit en suite trente Officiers à cheval, marchant deux à deux, & portant chacun un Drapeau. Trente Sergens venoient encor apres eux, dans le mesme ordre que les premiers. Trente autres Tambours les suivoient, & cette Marche estoit fermée par quatre Officiers Garçons Majors, qui sont Mrs d’Artagnan, Malicy, Cheviré, & Lusancy. Tous les Officiers estoient magnifiquement vestus, & avoient des Juste-à-corps si couverts de broderie, qu’à peine la couleur de l’Etofe pouvoit-elle estre distinguée. Tous les Tambours estoient vestus de bleu. Leurs Habits estoient couverts d’un galon de la Livrée du Roy du premier jour de l’Année, car vous sçavez qu’elle change tous les ans, & que bien que le fonds soit toûjours bleu, le galon n’est jamais fait de la mesme sorte. Entre ces galons il y en avoit un d’argent, & ces Habits estoient garnis de boutons à queuë. Leurs Tambours estoient peints & dorez, & l’on voyoit sur chacun les Armes de leurs Capitaines. Les Sergens avoient des Cuirasses, avec des filets d’or, & des Juste-à-corps d’écarlate, galonez d’argent. Les revers de leurs manches estoient de velours de plusieurs couleurs, selon celles des Compagnies dont ils estoient. Ils avoient tous des Plumes blanches ; & les Etrangers qui les virent passer avec tant de pompe, en furent tellement surpris, qu’ils avoüerent que les François estoient seuls capables de cette magnificence. Cependant on a pris si peu de soin d’informer le Public de cette superbe Marche, que si je ne vous en entretenois, on n’en sçauroit peut estre jamais rien.

[Galantes Etrennes données à Paris] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 240-247.

C'est icy le lieu de vous apprendre quelques particularitez des Etrennes. Le premier Jour de l’Année est solemnel par là pour beaucoup de Gens. Les Amans y font des Présens à leurs Maistresses, & il y en a toûjours quelques-uns où l’on voit briller l’esprit & l’invention, par la maniere galante dont ils sont faits. Celuy dont je vous vay parler est du nombre. Un Amant fort passionné pour une Belle, voulant luy faire un Présent plus considérable qu’elle ne devoit l’attendre de luy, & craignant que le prix ne l’obligeast à faire difficulté de l’accepter, fit prendre l’équipage d’un Crocheteur à un Homme intelligent, & luy mit sur le dos une Caisse mal emballée, afin qu’on crust plus facilement qu’elle estoit envoyée de loin. Le faux Crocheteur laisse la Caisse. Elle s’adressoit au Pere ; mais elle en renfermoit une seconde, sur laquelle le nom de la Belle estoit écrit. De cette seconde Caisse adressée à la Demoiselle, on tira une tres-grande Manne toute matelassée, dans laquelle on trouva d’un costé un Manchon de veritable Marte Zibeline, avec un gros Noeud de Ruban or & argent ; une Paire de Gands garnis de la mesme Marte ; plusieurs autres Paires de Gands de senteur ; autant de Paires de Bas de soye d’Angleterre ; trois Paires de Jartieres de broderie plate, avec de la frange ; & un tres-grand nombre de Pieces de Ruban de toute sorte de largeurs & de diférentes couleurs. J'oubliois à vous dire que les bouts de la premiere Paire de Jartieres estoient brodez d’or ; ceux de la seconde, d’argent ; & ceux de la troisiéme, or & argent. Dans l’autre bout de la Manne, il y avoit une Ecritoire, dont la serrure, la clef, & les plaques de dessus, estoient de vermeil, aussi-bien que le Cornet, le Poudrier, & les manches du Canif & du Poinçon. Il y avoit encor dans la mesme Ecritoire des Tabletes de chagrin, garnies d’or ; & deux Cachets, dont l’un estoit d’or, & l’autre d’argent. Chaque Cachet avoit sa Devise. On voyoit sur le premier un Coeur qui s’ouvroit, & d’où sortoit un Amour avec une fléche à la main. Ces paroles luy servoient d’ame.


Je ne m’ouvre que pour vous.

La graveure du second Cachet representoit une Montre, avec ces paroles autour.


Mes mouvements sont cachez.

Un petit Coffre se fit remarquer à costé de l’Ecritoire. Il estoit tout garny de Filigrane, & enrichy de Rubis. On trouva dedans deux petits Coussinets de senteur, avec des Chifres relevez de Perles, & deux Bources qui n’estoient pas moins riches. Il y avoit un cent de Jetons de Filigrane d’argent dans l’une, & l’autre estoit remplie de cinquante Fiches de la mesme matiere. Les unes estoient longues, les autres faites en triangle, & quelques-unes quarrées.

Vous croirez sans-doute que ce Présent a esté fait, ou par un Homme de la premiere qualité, ou par quelqu’un de ces riches Financiers qui se font un plaisir de la dépense. Cependant il est d’un Bourgeois de Paris, & s’est fait à la Ruë S. Denys. Je croy le devoir publier pour la gloire de la France. Je n’y ay rien ajoûté, & la chose est publique en ce quartier-là. Les Citoyens Romains qui s’estimoient tant autrefois, n’estoient peut-estre ny plus galans, ny plus en état de bien s’acquiter des choses, que les François, qui ont l’avantage de vivre sous le Regne de Loüis le Grand.

[Autres1 données à Dijon] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p.  247-252.

Ce n’est pas seulement à Paris que l’Amour inspire la libéralité. Il la fait régner dans les Provinces ; & les Etrennes qu’envoya un jeune Cavalier de Dijon à sa Maîtresse le premier jour de l’Année, vous feront connoistre que la galanterie est de tout Païs. Elles consistoient en une Agraffe, une Busquiere, & des Boucles de Souliers de Diamans. Tout cela estoit dans une Boëte, autour de laquelle on avoit peint les Chifres du Cavalier & de la Belle, en miniature. Ces Chifres estoient entrelacez ensemble, avec ces mots écrits en petites lettres d’or, qui servoient comme de bordure.


Quando còsi sarano î cûori ?

Les Vers suivans estoient sous la Boëte.


Je ne puis regarder d’un oeil indiférent
Mon Chifre avec celuy de la Belle que j’aime,
        N'y m’empescher de dire en soûpirant,
Helas ! quand verrons-nous nos cœurs unis de mesme ?

Il y avoit une Devise sur la mesme Boëte, qui representoit un More adorant le Soleil ; ce qui faisoit allusion au nom & aux armes du Cavalier. L'ame de cette Devise estoit,


Adoro chi mi arde.

Sous la Devise, c’est à dire au fonds du couvercle de la Boëte, on lisoit ces Vers.


Je sens que j’aime, Iris ; mais pour pour bien l’exprimer,
        C'est trop peu que le mot d’aimer.

Dans la Boëte, au dessus des Pierreries, on trouva ces autres Vers.


            Pour renouveller tous les ans
            Sa flâme, & ses empressemens,
        Voicy le jour où chaque coeur étale
Tout ce que peut l’Amour inspirer aux Amans ;
Mais, belle Iris, pour vous, vous sçavez qu’en tout temps
            Ma tendresse est toûjours égale.

Les deux qui suivent estoient dans le papier qui envelopoit l’Agraffe de Diamans.


Encor que nostre éclat nous rende prêtieux,
Il cedera toûjours à celuy de vos yeux.

Le Billet qui estoit avec la Busquiere, contenoit ceux-cy.


        Que nostre sort, belle Iris, sera doux !
Et que nostre bonheur va faire de jaloux !

Ces derniers se trouverent dans l’envelope des Boucles de Souliers. Ils faisoient parler les Diamans.


Vous n’avez pour charmer aucun besoin de nous ;
            Mais quoy que tout soit beau chez nous,
Et doive s’attirer conqueste sur conqueste.
            Peut-estre qu’avec tant d’appas
            Sans nous vous ne brilleriez pas
            Depuis les pieds jusqu’à la teste.

[Vers pour M. le Marquis de Chappes & Mademoiselle de Vantadour] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 259-261.

Le mesme jour Mr le Marquis de Chappes, Fils de Mr le Duc d’Aumont, fut prié d’assister à la premiere Messe du R. Pere de Mine, Augustin du Grand Convent, en qualité de Parrain. Il choisit pour Marraine Mademoiselle de Vantadour, Fille du Duc de ce nom ; & comme ils sont presque de mesme âge, & tous deux fort accomplis, cela donna occasion à quelqu’un qui estoit dans l’Assemblée, de faire ce Madrigal.


            A Vous voir, Illustres Enfans,
            Déja si beaux & si charmans,
Il n’est point de bonheur qui soit égal au vostre.
La Nature a pris soin de vous rendre parfaits,
            Et pour comble de ses bienfaits,
            Elle a fait vos coeurs l’un pour l’autre ;
            Vous avez ce qu’il faut tous deux
            Pour rendre des Mortels heureux,
            Le bien, les honneurs, la naissance,
La beauté, de l’esprit & du corps pour charmer,
            Des vertus pour se faire aimer,
Et mille qualitez au dessus de l’Enfance.
Vous pouvez mesme encor vous aimer tendrement,
            Et sans obstacle & sans mistere.
        Heureux Enfans, ah vivez seulement,
C'est l’unique souhait que pour vous on peut faire.

Le Triomphe de l’Amour §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 272-284.

Un Article de Triomphe peut suivre celuy des Guerriers que je viens de vous nommer. Il est vray que ce Triomphe est d’une autre espece que ceux dont ils ont esté les témoins. Voyez en la description dans la galante Piece qui suit.


Le Triomphe

de l’amour.

L'Amour avoit enfin poussé le coeur de la belle Iris jusqu’à un endroit où il ne pouvoit plus reculer, & d’où il faloit qu’il descendist insensiblement dans le Palais du Vainqueur.

        Un jeune Coeur fait d’abord resistance,
        Mais il s’émeut, il s’ébranle à la fin ;
        Et quand il est une fois en chemin,
        De quelques pas chaque jour il avance.
Cependant on va loin en allant pas à pas,
On touche presque au but que l’on n’y songe pas.
        L'Amour alors presse encor davantage ;
Et comment s’opposer à ce doux Ennemy ?
        Beaucoup de Coeurs ne font pas ce voyage,
        Mais pas-un Coeur ne le fait à demy.

L'Amour fit dire à ses petits Freres les Amours, qu’il arrivoit vainqueur d’Iris, & leur ordonna de luy faire une Entrée triomphante. On n’en fait pas de semblables à tous les Amours qui reviennent avec des prises ; cet honneur est reservé à leur aîné. Mais il ne prend pas souvent la peine de le mériter, car il se repose presque toûjours sur ses Cadets du soin d’augmenter son empire, & il ne s’employe que dans les grandes occasions.

            Il est tant de Coeurs tous les jours
Qui se rendent d’abord, ou ne resistent guere,
Qu'on laisse conquerir ceux qui sont du vulgaire
            Au petit Peuple des Amours.
Pour les rares Beautez que le Ciel a fait naistre
            Avec une extréme froideur,
        Le Maistre Amour en est seul le vainqueur,
Car pour les vaincre il faut des coups de Maistre.

Comme les Petits Amours s’estoient depuis quelque temps préparez à cette reception, si tost qu’ils furent avertis, ils ne manquerent pas de venir, & apres avoir témoigné à leur Frere aîné & à Iris la joye qu’ils avoient de les voir arrivez ensemble, ils donnerent ordre à la cerémonie de l’Entrée.

Les Petits Soins parurent d’abord. Leur marche n’estoit pas bien reglée. Ils alloient tantost d’un costé, & tantost d’un autre, & ils avoient un certain air inquiet qui marquoit assez l’empressement qu’ils ont de tout faire.

La tendresse d’abord ne se fait pas connoistre,
Elle choisit son temps pour se montrer au jour ;
Mais dés que Petits Soins commencent à paroistre,
            On voit bientost suivre l’Amour.

Les Soûpirs marchoient en suite. Ils observoient encor moins d’ordre que les Petits Soins. D'abord on les voyoit marcher un à un, & un moment apres ils alloient en foule ; de sorte qu’ils s’empeschoient quelquefois de passer les uns les autres, par l’envie qu’ils en avoient tous.

Dés que l’on souffre en l’amoureux Empire,
Quoy que le mal quelquefois soit pressant,
            Il n’est pas permis de le dire ;
            Mais on prend un air languissant,
        Et l’on explique assez ce que l’on sent,
                Quand on soûpire.

Enfin apres les Soûpirs, on voyoit les Déclarations, qui marchoient assez lentement.

Il faut que dans un Coeur un Amant se prépare
            Un heureux, un facile accés,
            Et que son feu ne se déclare
            Que quand il est seûr du succés.

L'Amour suivoit les Déclarations. Il estoit dans un Char de Triomphe. On voyoit Iris à son costé, ce qu’on devoit trouver assez extraordinaire, puis que c’estoit à elle à paroistre comme vaincuë. Mais l’Amour & Mars n'ont pas les mesmes maximes ; l’un triomphe de ceux qu’il soûmet, & l’autre triomphe quelquefois avec celle qu’il a soûmises. Cela pourtant n’arrive pas toûjours.

Des honneurs du Triomphe une Belle est comblée,
            Quand elle a longtemps tenu bon.
            On ne fait pas tant de façon
Avec les Coeurs que l’on a pris d’emblée ;
            Mais quand à de charmans appas
On est prest d’ajoûter une tendresse extréme,
            Qu'on ne dit point, je n’aime pas,
            Et qu’on ne dit pas non plus, j’aime,
    L'Amour pour achever de conquerir ce Coeur,
Offre de luy ceder la moitié de la gloire,
Il quitte sans regret le beau nom de Vainqueur,
        Pourveu qu’il ait les fruits de la Victoire.

L'Indiférence estoit attachée derriere le Char de Triomphe.

Apres que dans un Coeur a regné l’indolence,
Un sentiment plus doux le remplit à son tour ;
        Quand on n’a plus d’indiférence,
        Aussitost on a de l’amour.

Enfin les Plaisirs fermoient la Marche.

            Ce qu’Amour a de moins tendre
            Est le premier en chemin ;
            Les Plaisirs se font entendre,
            Mais ils viennent à la fin.

A l’entrée de la Place qui est devant la Porte du Palais de l’Amour, on avoit dressé un Arc de Triomphe, qui representoit l’Histoire des Combats d’Iris & de l’Amour. Il y avoit cette Inscription.

A l’Amour toujours victorieux.
La jeune Iris
Qui n’avoit point sa pareille
En beauté, en esprit, en douceur,
Et en insensibilité,
Apres une longue et genereuse
resistance,
A bien voulu
Se rendre a l’Amour.
C'est pour apprendre aux cœurs insensibles
La defaite d’Iris,
Que l’on a dressé cet Arc
de Triomphe.

Apres que l’on eut passé cet Arc de Triomphe, on entra dans la Place, au milieu de laquelle il y avoit un Trophée de Billets doux, de Vers galans, & de petits Présens.

Enfin on arriva à la Porte du Palais, à l’entrée de laquelle les Petits Soins, les Soûpirs, & les Declarations, s’arresterent. Iris, l’Amour, & les Plaisirs, entrerent seuls.

[Réjoüissances pour la Paix faites à S. Omer] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 286-293.

Vous avez veu par ce que je vous ay déja dit des réjoüissances de la Paix, avec quelles acclamations la Publication en a esté faite dans toutes nos Villes. Il faut vous apprendre presentement les témoignages particuliers de joye qu’en ont donné les nouveaux Sujets du Roy. Je parle des Habitans de S. Omer, qui estant devenus François du consentement mesme de l’Espagne, ont fait paroistre dans cette éclatante occasion le zele le plus empressé qu’on puisse marquer à un Souverain aussi auguste que Loüïs le Grand. Leurs sentimens sembloient avoir prévenu les ordres de Mr le Marquis de S. Geniez leur Gouverneur, qui voulut estre present à cette Publication. Il estoit suivy du Lieutenant de Roy, de l’Etat Major, des Officiers de la Garnison, du Clergé, de la Noblesse, & de tout le Magistrat. Le carillon des Cloches se mettoit de toutes parts au son des Trompetes, des Timbales, & des Tambours. Le reste de la Cerémonie fut remis au Dimanche suivant. Elle commença sur les neuf heures du matin. Tous les Officiers de la Garnison se trouverent chez Mr le Gouverneur, pour l’accompagner en l’Eglise Cathedrale, & assister à une grande Messe chantée par trois Chœurs de Musique, à laquelle il avoit esté invité au nom du Chapitre par Mr de Lierre qui en est Doyen. Vous sçavez que Sa Majesté l’a nommé à l’Evesché d’Ypres. Les décharges de l’Artillerie attirerent tant de monde de la Campagne, qu’à peine pouvoit-on passer dans quelques Ruës pour entrer dans la Cathedrale. Elle estoit éclairée depuis le haut jusqu’au bas, d’un nombre infiny de Flambeaux. Mr le Marquis de S. Geniez s’y rendit sur les quatre heures, accompagné de plus de six vingts Officiers. Le Te-Deum fut entonné par Mr l’Evesque d’Ypres, & poursuivy par quatre Chœurs de Musique qui cédoient quelquefois aux Orgues, quelquefois à une Symphonie de toutes sortes d’Instrumens, & quelquefois à un Concert de douze Violons seuls. On alluma le Feu au sortir du Te-Deum. Il y avoit des Fuzées d’une maniere extraordinaire, qui laissoient voir en l’air des Couronnes de Fleurs de Lys. Je ne parle point du bruit des Tambours, des Timbales, & des Trompetes, ny des cris de Vive le Roy, qui durerent autant que le Feu. Je vous diray seulement que la Feste n’en demeura pas là, & qu’apres trois décharges du Canon, des Boëtes, & de toute l’Infanterie, ausquelles la Garnison du Fort de S. Michel, & les Hautponnois, répondirent de leur mieux, on alla souper à la Maison de Ville, où quatre-vingts Personnes furent traitées. Il y avoit plusieurs Tables qui furent magnifiquement servies. Les Santez du Roy, & de toute la Maison Royale, y furent buës avec grand éclat. Ce superbe Festin n’estant que pour les Hommes, Messieurs de Ville voulurent que les Dames qui avoient assisté au Te-Deum, fussent aussi régalées. Ainsi apres le Soupé, ils leur firent donner la Comédie, qui fut suivie d’un grand Bal. Mr le Baron de Berneville, comme Chef du Magistrat en qualité de Majeur, en fit les honneurs. Il s’en acquita fort dignement. Ce Bal fut accompagné d’une Collation tres-magnifique. Il ne finit qu’à trois heures apres minuit. Mr le Gouverneur eut la complaisance d’y demeurer jusques à la fin.

[Autres réjoüissances faites par les R. P. Capucins de la Ruë S. Honoré] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 293-296.

Tout le monde s’intéresse si fortement à la gloire que nostre auguste Monarque s’est acquise par cette Paix, que les Peres Capucins de la Ruë S. Honoré en ont chanté un Te-Deum avec une magnificence digne de leur zele. Il y avoit un Feu dressé dans leur Court, où cinquante Suisses estoient en haye, la méche allumée & le Mousquet sur l’épaule. Ils furent quelque temps en cet état, pendant que le bruit des Trompetes invitoit ceux qui estoient les plus proches de leur Convent, à venir partager leur joye. Cent Capucins sortirent en suite de leur Eglise, marchant deux à deux. Les Trompetes se tûrent alors pour laisser entendre un tres beau Concert de Hautbois, & de Flutes douces. Les Fifres & les Tambours furent aussi employez dans cette Feste. Pendant tout ce temps, les Capucins firent le tour de leur Court ; apres quoy, l’Officiant environné de six grands Flambeaux, alluma le Feu, & entonna le Te Deum. Les Suisses firent aussitost une Salve qui tint lieu d’Instrumens pour la reprise. Un nombre infiny de Fuzées volantes parurent en mesme temps dans les airs. Le Te-Deum finy, les Capucins recommencerent à trois fois les cris de Vive le Roy, & cette Feste finit par une quatriéme décharge des Suisses, qui s’en retournerent tres-satisfaits de ces bons Peres.

[Vers Italiens] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 296-299.

On celebre la gloire de cette Paix en toute sorte de Langues. Voicy des Stances Italiennes qu’elle a fait faire à Mr l’Abbé Mallement de Messange, dont vous avez veu la nouvelle maniere qu’il a trouvée de faire des Cadrans, dans ma derniere Lettre Extraordinaire.


La riconciliazione

de i popoli

Alla gloria immortale

di Luiggi Magno,

Vittore Pacifico.

Stanze libere.

Mentre'l Franco Guerrier può facilmente
Perder affatto la nemica gente,
Miracol di pietade ! in mezzo ardore
De' vinti'l triste dan vince'l vitore.

***
Lasciate hormai, Spagnuoli, i lunghi Sdegni
Concetti contro'l bel Francese regno.
Se i vostri servatori haurete à Sdegno ;
Di quanto odio pur voi sarete degni ?

***
Quelle passate noie
Vostra pur' elezzione state sono ;
Ma le presenti gioie
Del gran LUIGGI son dono.

***
Affin ch'a voi benigno lo sentiste,
Di quante palme hà sprezzato l’honore ?
Cedite al suo gran cuore,
Alqual, per vostro ben’, esso resiste.

***
Cedite alla sua man, ch'egli hà ripressa.
Questo da voi l’honor vostro richiede.
Con gloria si cede
A chi vince cosi la gloria stessa.

***
Venga, per i favori
D'un propizio nemico, ogni odio estinto.
La Guerra i corpi hà vinto ;
Vinca la pace i cuori.

[Bals] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 311-316.

Le Jeu de la Bassette & les Bals ont esté les deux principaux Divertissemens de la Cour, depuis que le Carnaval est commencé. La grandeur de la France paroist dans l’un & l’autre ; dans le Jeu, par les sommes considérables que l’on joüe ; & dans les Bals, par la magnificence des Habits & le nombre infiny des Pierreries, la Cour estant aussi nombreuse que magnifique. Le Roy a fait parqueter la Salle des Opéra à S. Germain, pour les Bals qui s’y donnent tous les Vendredys. Quoy qu’elle soit fort grande, elle ne peut encor suffire à contenir tous ceux qui s’y presentent pour y entrer. Les Hommes estoient vestus à la Cavaliere au premier Bal qui s’y est donné, & dans les suivans la parure y a esté extraordinaire. Nos jeunes Braves accoûtumez à se battre tout l’Hyver, se souvenoient mieux dans ce premier Bal des détours de la guerre, que des pas mesurez de la dance. Cependant le Roy, qui durant les autres Hyvers avoit plus entendu le bruit du Canon que le son des Violons, a dancé dans tous ces Bals avec cette grace pleine de majesté qui est inséparable de toutes ses Actions, & qui a esté le charme des nombreuses Assemblées qui ont le plaisir de le voir. Ces grands Bals seront remis le Mois prochain aux Samedis, à cause des Media noche. Il y a eu trois ou quatre Bals fort considérables chez Mr de Strasbourg au nom de Madame de Fustemberg sa Niece. Monsieur y est venu déguisé, avec Madame. Mr de Strasbourg a aussi donné plusieurs Soupez magnifiques, à l’issuë desquels les Masques ont esté reçeus. Vous sçavez, Madame, que je vous parle tous les ans de la magnificence de Mr de Manevillette, touchant la Collation accompagnée de Violons qu’il donne chaque Carnaval à Leurs Altesses Royales ; tout s’y est passé cette année avec l’éclat ordinaire. Monsieur & Madame ont esté chez luy accompagnez de Mademoiselle, & de plusieurs Personnes de la premiere Qualité, tant à visage découvert que masquées. Leurs Altesses Royales, & Mademoiselle, ont esté aussi au Bal qu’a donné Mr de Pommereüil Capitaine aux Gardes, Frere de Mr de Pommereüil Prevost des Marchands. Elles avoient avec Elles Madame la Comtesse de Maré, Mademoiselle de Grancé, & toutes les Filles d’honneur de Madame. Les Hommes qui les accompagnerent estoient Mr le Chevalier de Lorraine, Mr de la Trimoüille, & Mr le Chevalier de Chastillon. Les Dames parées du Bal furent Mesdames les Duchesses de Boüillon, & de Foix, Madame la Princesse de Fustemberg, Madame la Marquis de Livry, Mesdames de Villacerre, de S. Poüange, de Gargan, & de Verveviete, & Mesdemoiselles Gargan, de Fouqueux, de l’Isle, de Sourdis, & de Pommereüil. Les Hommes estoient Mr le Grand, Mr de Vandosme, Mr le Duc de Villeroy, Messieurs les Princes de Commercy, & de Lignes, Messieurs de Comminges, & de Rhodes. La Salle estoit éclairée d’un grand nombre de Lustres, & ornée de plusieurs Miroirs d’argent. Il n’y avoit de Violons que la seule Troupe de Mr de Pommereüil, qui est admirable, & que le Roy entend quelquefois en Campagne. Il y a eu encor plusieurs autres Bals à Paris, & des Hautbois dans la plûpart pour dancer des Menuets qui sont fort à la mode cet Hyver.

[Explication en Vers de la premiere Enigme] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 317-319.

J'avois commencé à suprimer tous les faux noms dont se servent une partie de ceux qui se divertissent à expliquer les Enigmes ; mais puis que vous me dites qu’on s’en plaint dans vostre Province, il faut faire cesser ce murmure, & laisser joüir les Particuliers du plaisir qu’ils prennent à ne se produire que déguisez. Mr de Saurin a trouvé le vray sens de la premiere du dernier Mois, en l’expliquant ainsi sur la Plume.


Ce Corps inanimé qu’il faut soüiller & fendre,
            Pour s’en servir utilement,
            Est un mistere assurément
            Qui n’est pas facile à comprendre.
        Mais sans resver jusqu’à demain,
Si pour former les traits d’un Billet plein de flâme,
            Vous aviez la Plume à la main,
Ce Corps, belle Philis, ne seroit pas sans ame.

Ceux qui l’ont expliquée sur ce mesme Mot, sont Messieurs le Chevalier de Tury ; Le Coq, d’Orleans ; De Mansec, Sr de Pontdouble ; Sonmans, de Roterdam en Hollande ; La jeune Acidalie, de Troyes ; Le Secretaire des Dames du Quartier de l’Hostel de Ville ; & l’Amant fidelle, ce dernier en Vers. Les autres Mots qu’on luy a donnez sont, la Paroles, les lettres de l’Alphabet, l’Ecriture, une Trompete, un Port de Mer, la fausse Monnoye, un Livre imprimé, & une Bouteille pleine de Vin.

[Explication en Vers de la seconde Enigme] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 319-320.

Le vray Mot de la seconde Enigme est dans le Madrigal suivant. L'aimable Alexandre en est l’Autheur.


            Le Mercure plaist en tous lieux,
C'est pour les beaux Esprits un mets délicieux,
            Et comme tel on le regarde ;
            Mais pour contenter chaque goust,
            Depuis longtemps à ce Ragoust
            Il manquoit un grain de Moutarde.

Enigme §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 325-327.La solution de l'énigme se trouve dans le Mercure du mois de févier

Le Poivre, l’Oignon, & la Roquembole, sont des Mots sur lesquels on a expliqué la seconde Enigme. Je vous en envoye deux nouvelles, dont la premiere est de Mr de Valné Controlleur de la Maison du Roy. Vous en ferez part à vos Amies.


Enigme.

Les Princes & les Grands viennent souvent me voir,
            Et sans manquer à mon devoir,
            Je ne rend vîsite à personne.
            Il ne faut pas qu’on s’en étonne,
        Il est des Roys qui dépendent de moy.
À personne jamais je ne ferme la porte.
            Je suis honneste sur ce point.
    Je vois également des Gens de toute sorte,
Autant que je le puis je n’en rebute point.
            Plusieurs me trouvent admirable.
            Les deux Sexes forment mon Corps.
Lors que je suis chez moy je parois agreable,
Et je suis du commun lors que je suis dehors.
            Je mets le chagrin en déroute,
            Et merite bien qu’on m’écoute.

Autre Enigme. §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 327-328.

Autre Enigme.

            Mon ambition m’est fatale,
        Je joüis peu d’un destin glorieux,
            Et tout le brillant que j’étale
            N'ébloüit qu’un moment les yeux.
Condamnée à périr, sans estre criminelle,
Je cause du plaisir par mon malheureux sort,
            Et toûjours le jour de ma mort
            Est une Feste solemnelle.
            D'abord assez patiemment
            Je soufre un cruel traitement
            Dont le Peuple ne fait que rire.
A la fin si j’éclate, & me plains hautement,
            C'est dans le moment que j’expire.
            Mon trêpas est remply d’attraits,
            Souvent les efforts que je fais
            En mourant, me rendent féconde ;
            Mais je mets des Enfans au monde
            Qui ne me survivent jamais.

[Nom de celuy qui a expliqué l’Enigme en figure] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 328-330.

Promethée en Figure, défendu par Hercule qui tuë l’Aigle qui luy venoit déchirer le cœur, a fait faire beaucoup d’Explications sur la Guerre que nous avons avec l’Empire. Il y en a aussi sur la Victoire, le Canon, le Bled en êpy, le Grain semé, le Dépit amoureux, la Mort, le Cristal, la Reconnoissance, un Homme endormy qu’on êveille, le Sel, l’Eclypse, un Fagot verd, la Force, le Festin des Courtisans, & l’Innocence reconnuë. Le seul Mr de Bonnecamp de Quimper qui l’a expliqué sur le Bouclier, en a trouvé le vray sens. L'usage & l’effet en sont marquez par la posture ou l’on voit Hercule revestu de sa peau de Lyon, & défendant Promethée. On peut mesme ajoûter qu’il en marque la matiere, puis que les Boucliers estoient faits autrefois de peaux & de cuir. Je vous laisse maintenant examiner Phaëton, pour nouvelle Enigme. Chacun sçait que pour avoir imprudemment demandé au Soleil son Pere, la conduite de son Char, & s’estre mal acquité de cet employ, il fut foudroyé par Jupiter. On voit ce temeraire tomber en terre, & la foudre qui semble encor le poursuivre.

[La Troade, Tragédie nouvelle de M. Pradon, représentée au Theatre de l’Hostel de Bourgogne] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 330.

La Troade, Tragédie nouvelle de Mr Pradon, a paru depuis quinze jours sur le Theatre de l’Hôtel de Bourgogne. Leurs Altesses Royales en ont honoré une Representation de leur presence. C'est un avantage que s’attirent ordinairement les Pieces qui font du bruit.

[L'Inconnu, de M. de Corneille le jeune, représenté par la Troupe du Roy au Fauxbourg Saint Germain] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 330-331.

La Troupe du Roy qui joüe au Fauxbourg S. Germain, a reuni pour nouveauté l’Inconnu, de Mr de Corneille le jeune. Cette galante Piece a des agrémens si particuliers, qu’on commence d’y courir en foule, comme on faisoit il y a trois ans. Le cinquième Acte en est changé, & a esté pris d’une autre Piece du mesme Autheur, qui n’ayant aucune part à ce changement, ne doit pas répondre du manque de justesse qui s’y peut trouver.

[Trois Opéras préparez à Venise, & qui se doivent representer tout le Carnaval] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 331.

On préparoit à Venise dés la fin de l’autre Mois trois Opéra qu’on y devoit representer tout le Carnaval. Il y avoit déja plus de six mille Etrangers dans la Ville, venus exprés pour en prendre le divertissement. On m’a promis de me faire sçavoir les beautez des Sujets, des Décorations, & des Machines. J'espere qu’on me tiendra parole, & ne manqueray point de vous en faire un Article.

[Bellérophon, représenté pour la première fois sur le Theatre de l’Académie Royale de Musique] §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 331-332.

On peut se promettre un tres-grand plaisir de ces Spectacles, s’ils approchent de celuy de Bellérophon, qui a esté représenté aujourd’huy pour la premiere fois sur le Theatre de l’Académie Royale de Musique. On peut dire que tout Paris y estoit, & que jamais Assemblée ne fut ny plus nombreuse ny plus illustre. J'entens crier miracle de tous costez. Chacun convient que Mr de Lully s’est surpassé luy-mesme, & que ce dernier Ouvrage est son Chef d’œuvre. Je vous en entretiendray plus amplement dans la premiere Lettre que vous recevrez de moy.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 332-333.

Cet Article de Musique me fait souvenir d’un troisiéme Air nouveau que j’ay à vous faire voir.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Sombres Forests, & vous, tendres Zéphirs, doit regarder la page 333.
        Sombres Forests, & vous, tendres Zéphirs,
Qui fustes les témoins des innocens plaisirs
        Que je goûtois en voyant Célimene,
Devenez aujourd’huy Confidens de ma peine,
Partagez avec moy mon amoureux soucy,
            Célimene n’est plus icy.
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Paraphrase de l’Exaudiat §

Mercure galant, janvier 1679 [tome 1], p. 333-348.

La Paix est un Ouvrage si glorieux pour le Roy, que tout ce qui en parle mérite vostre curiosité. Ainsi quoy qu’une Paraphrase de l’Exaudiat semble n’estre pas du caractere de ce qui doit entrer dans ma Lettre, je ne puis m’empécher de vous l’envoyer. Outre le mérite de Mr le Président Nicole de Chartres qui en est l’Autheur, des considérations tres-puissantes m’obligent à vous faire part de cette Piece. Je ne doute point que vous n’y trouviez assez de beautez pour prendre plaisir à la lire plus d’une fois.

PARAPHRASE
DE L’EXAUDIAT,
Accommodée aux Campagnes de Sa
Majesté, & à la Paix qu’il donne
à l’Europe.

EN VERS LIBRES.

            Seigneur, de qui la Providence,
            Par tant de miracles divers,
            Se répand dans tout l’Univers,
            Et fait éclater ta puissance ;
Arbitre Souverain des Couronnes des Roys,
Qui maintiens la justice, & la vigueur des Loix ;
            Appuy d’un Trône légitime,
            Et qui dans la boüillante ardeur
Des Peuples soûlevez que la Discorde anime,
Affermis son pouvoir, & soûtiens sa grandeur.
***
            Ecoute d’un Prince équitable
Les vœux reconnoissans, & les justes souhaits ;
Soit qu’il fasse la Guerre, ou qu’il donne la Paix,
A ses intentions sois toûjours favorable.
            Seigneur, accorde à ses désirs
Les charmantes douceurs, les solides plaisirs,
            Qui font le bonheur d’un Empire ;
            Tous ses desseins sont genéreux,
La Vertu les fait naistre, & l’honneur les inspire,
Fais que par ton concours ils soient toûjours heureux.
***
            Souviens-toy des purs sacrifices
            Que son cœur te fait tous les jours ;
            Donne-luy ces puissans secours
Dont tu fais les succés si grands & si propices,
            Ne luy refuse point ces visibles faveurs,
            Comble-le de tous les honneurs
Qui consacrent les Roys au Temple de memoire ;
Sois son Guide par tout, sois par tout son appuy,
Et s’il marche aux Combats, commande à la Victoire,
Le Laurier à la main, de marcher avec luy.
***
            Tant que ta Divine sagesse
            Fera réüssir ses projets
Sur le tranquille front de ses heureux Sujets,
Tu verras éclater des marques d’alégresse.
            Nos cœurs pleinement satisfaits
            De tant de signalez bienfaits
Qu'il reçoit tous les jours de ta main magnifique,
Par des transports de joye, & des ravissemens
Où l’extrème plaisir se déploye & s’explique,
Feront voir la grandeur de nos ressentimens.
***
Ces Princes orgueilleux, qu’un superbe équipage
De Chars & de Chevaux enfle de vanité,
Et dont la violence & la temérité
Remplissent l’Univers de deüil & de carnage ;
Ces Vainqueurs insolens, de qui l’impieté
Osant mesme insulter à ta Divinité,
Voyent souvent périr leurs injustes conquestes,
Et ce grand appareil que la Foudre détruit,
Voit flétrir & secher des Palmes toutes prestes
Dont ils s’estoient flatez de recueillir le fruit.
***
L'Invincible LOUIS n’en use pas de mesme ;
Il est persuadé que les progrés heureux
Qui remplissent en foule & ses soins & ses vœux,
            Sont deûs à ton pouvoir supréme.
            Il sçait que c’est à ta bonté
            Qu'il doit toute la majesté
            Et tout l’éclat qui l’environne ;
Et son ressentiment publie à haute voix,
Qu'il ne doit qu’à toy seul la plus belle Couronne
Qui jamais ait brillé sur la Teste des Roys.
***
            Il sçait qu’il doit à ta conduite
Les progrés surprenans de tant d’heureux Exploits,
Qui chez le Belge ingrat ont fait en moins d’un mois
De Triomphes fréquens une incroyable suite.
Il sçait que par ton ordre, & la Meuse & le Rhin,
Surpris du nouveau poids de ses Barques d’airain,
N'oserent soûlever le courant de leurs ondes,
            Et que ces Fleuves ennemis,
Loin de s’en irriter, dans leurs Grottes profondes
Conçeurent du plaisir de voir leurs flots soûmis.
***
            Alors que l’amour de la gloire
            Qui regne toûjours dans son sein,
            Y forma le hardy dessein
De tenter sur Mastrich une illustre victoire,
Dans les sanglans hazards d’un Siege dangereux
            Où ce Monarque genéreux
S'exposoit nuit & jour pour haster sa conqueste,
Il sçait bien que tes soins ne l’abandonnoient pas,
            Et qu’ils écartoient de sa Teste
Les foudroyans Boulets qui portoient le trépas.
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            Dans la périlleuse Campagne
            Qu'il fit de la Franche-Comté,
Où le Doux fut témoin de sa noble fierté,
Qui porta la terreur jusqu’au cœur de l’Espagne,
Au Camp de Besançon, où la Parque en fureur
Etaloit des portraits de carnage & d’horreur,
            Il sçait que tu pris sa défence,
            Et que tu soûmis à ses Loix,
            Apres beaucoup de resistance,
Gray, Dole, & Besançon, pour la seconde fois.
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            Il connoist que Valencienne,
S. Omer & Cambray pris & rendus François,
Sont de tes grands secours éprouvez tant de fois,
Et la marque infaillible, & la preuve certaine.
            Il est persuadé que ces évenemens
            Seront d’eternels monumens
De ton amour qui veille au bien de sa Couronne,
Et que pour soútenir son Empire & ses droits,
Tu pourveus en naissant son auguste Personne
Du plus noble des Cœurs que le Ciel donne aux Roys.
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            Il sçait que les grands avantages
Qui suivent tous les jours nos Armes & nos Lys
Sur les bords effrayez de l’Escant & du Lys,
De ton affection sont les visibles gages ;
Qu'Ypre & Gand investis, attaquez & rendus,
Sont de hardis projets dont les succés sont deus
A la protection que ta bonté luy donne,
            Et que ses succés glorieux
Sont bien moins les effets de son Canon qui tonne,
Que des secours Divins qui luy viennent des Cieux.
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Il sçait que l’embaras de tant de divers Princes
Pour la conclusion d’une profonde Paix,
Venoit du noir chagrin de voir tant de Provinces
Passer au joug des Lys, pour n’en sortir jamais.
Il sçait que ce chagrin que suscitoit l’Envie
Contre l’éclat brillant d’une si belle vie,
Servoit souvent d’obstacle à ces fameux Traitez,
            Et que la gloire de ses Armes
Que tu comblois d’honneurs & de prosperitez,
N'y formoit que des cris, des fureurs & des larmes.
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Il sçait que cette Paix tant de fois souhaitée,
            Dont les douceurs & les appas
            S'épanchans en divers Climas,
Promettent le repos à l’Europe agitée.
Il sçait que ce bonheur qui va charmer les sens
            De tant de Peuples gémissans
            Dans les desordres de la Guerre,
            Est un Ouvrage de tes mains,
            Qui vont répandre sur la terre
Ce bien dont tu peux seul enrichir les Humains.
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            Après tant de reconnoissances,
            Tant de preuves de sa vertu,
            Seigneur, luy refuseras-tu
            De répondre à ses espérances ?
De ton Trône éclatant qui brille sur les Cieux,
            Jette sur luy toújours les yeux,
Par de tendres soúpirs son Peuple t’en convie.
S'il avoit moins de zele, il deviendroit ingrat,
Puis que tous les momens de son illustre Vie
Ne sont sacrifiez qu’aux soins de son Etat.
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            C'est donc à ce Peuple fidelle
A demander pour luy ta grace & ton secours.
Seigneur, beny son Sceptre, & conserve ses jours ;
Beny tous les travaux où son grand Coeur l’appelle ;
            Fay que son Regne florissant,
            D'un bonheur toûjours renaissant
            Eprouve les suites constantes ;
Et comblant de faveurs ses desseins genéreux,
Seigneur, fay réüssir les prieres ardentes
Que forment tous les jours nos soúpirs & nos vœux.

Je suis, Madame, vostre, &c

A Paris ce 31. Janvier 1679.