1679

Mercure galant, mai 1679 [tome 5]

2015
Source : Mercure galant, mai 1679 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

Avant-propos touchant la Paix d’Allemagne. §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 1-14.

Je commence, Madame, par où j’ay finy ma derniere Lettre. On a publié icy la Paix, & c’est la troisiéme dont je vous auray parlé depuis huit mois. Je vous ay fait remarquer combien de gloire nostre invincible Monarque s’estoit acquis par les deux premieres. Ce grand Prince n’en reçoit pas moins de cette troisiéme. Si vous voulez examiner avec qui elle vient d’estre faite, vous trouverez que ce n’est pas seulement avec un Empereur tres-puissant, & maistre de deux Royaumes, la Bohëme & la Hongrie, que les autres Empereurs n’ont pas toûjours possedez, mais encor avec les Electeurs de l’Empire. Si ces Electeurs n’ont point le titre de Roys, ils ne laissent pas d’estre redoutables par leurs forces ; & comme il n’y a aucun d’eux qui ne puisse mettre une Armée sur pied, c’est la mesme chose pour la gloire de Loüis le Grand. La Paix dont je vous apprens aujourd’huy la Publication, & qui ne passe que pour une seule Paix, a esté concluë en mesme temps, avec une multitude, pour ainsi dire, de Puissances Souveraines d’Allemagne, avec des Villes libres & liguées, avec des Evesques Souverains & tres-riches, & avec quantité de Princes qui estant maistres chez eux, avoient armé, & joint leurs Troupes ensemble, pour combatre celles du Roy. Ainsi ce n’est pas avec un Royaume que cette Paix a esté ratifiée, mais avec une Nation entiere, belliqueuse, aguerrie de tout temps, & dont tous les Souverains estant unis, comme nous venons de les voir, auroient pû attaquer une des Parties du Monde, & peut-estre mesme le Monde entier. Ce grand Corps si difficile à faire mouvoir, avoit remué. L’éclat de la gloire de nostre Auguste Monarque, luy avoit blessé les yeux. Il avoit agy, & s’estoit servy de la conjoncture de deux grandes Puissances que ce Prince avoit en mesme temps sur les bras. Nous attaquions la Hollande. Vous sçavez que cette Republique s’estoit élevée à un si haut point de grandeur, qu’avant cette guerre, elle avoit crû pouvoir estre l’Arbitre des Roys. Ses Richesses, & les Forces qu’elle a sur Mer, & sur Terre, sont assez connuës. L’Espagne s’estoit presque aussi-tost déclarée pour elle. Je ne vous dis rien de la vaste étenduë de cet Empire. Les divers Royaumes qui le forment dans l’un & dans l’autre Monde, font connoistre la puissance du Prince qui les possede. Voila quels Ennemis le Roy avoit à combatre, lors qu’il fut attaqué par toute la Nation Allemande, avec laquelle nous venons d’entendre publier la Paix ; mais comme les circonstances rendent souvent les choses plus glorieuses, il est bon d’en ajoûter de nouvelles à ces premieres. On avoit traversé cette mesme Paix à Cologne il y a déjà quelques années. Les Conférences en furent rompuës, & on y arresta Mr le Prince de Furstemberg. Tout cela n’a servy qu’à retarder les effets de la genérosité de Loüis le Grand, qu’à luy donner plus de gloire , & enfin qu'à luy faire conquérir des Places en assez grand nombre pour en accorder quelques-unes à la tranquillité de l’Europe, & s’en reserver de considérables. Les mesmes qui avoient empesché la Paix de Cologne, & qui ne la vouloient pas recevoir des bontez du Roy, avant que de voir leurs Païs ruinez, n’ont pû se défendre de l’accepter apres avoir esté batus en mille rencontres, & soufert tous les Hyvers une fâcheuse guerre chez eux-mesmes, causée par leurs propres Troupes qui se disputoient des Quartiers d’hyver. C’est une marque qu’elles n’incommodoient guére nos Provinces. Ainsi l’on peut dire que si ce grand nombre de Souverains a reçeu la Paix, c’est parce qu’ils n’estoient plus en état de faire la Guerre. La Publication de cette Paix a esté faite en présence de Mr de la Reynie, qui a pris le soin d’y faire observer les cerémonies accoustumées. Il a ce droit comme Lieutenant de Police, & c’est ainsi qu’il a plû au Roy de le régler. Je ne vous répete point ce qui se pratique en ces sortes d’occasions. Je vous en ay déja fait le détail. Il faut vous apprendre seulement que dans cette derniere Publication il y avoit dix Hérauts d’Armes, qui marchoient devant le St le Lievre, Roy d’Armes de France du titre de Montjoye Saint Denys. Ces Hérauts estoient les Sieurs de Chaume du titre de Normandie ; des Granges, dut titre d’Alençon ; Vernat, du titre de Picardie ; Billon de Loyes, du titre d’Angoulesmes ; le Blanc, du titre de Xaintonge ; de Selle, du titre de Dauphiné ; le Roy, du titre de Roussillon ; Lucas, du titre de Lyonnois ; d’Aubigny, du titre de Charolois ; & Charpentier Poursuivant d’Armes, faisant la fonction de Héraut du titre de Touraine. Ils sortirent de l’Hôtel de Ville, deux à deux, & dans l’ordre que je vous viens de marquer, précedez de huit Tambours, & de douze Trompetes de la grande Ecurie du Roy. Les Réjoüissances publiques éclaterent dés le lendemain. Le Te Deum fut chanté. On alluma des Feux dans toutes les Ruës ; & Messieurs de Ville en firent faire un d’Artifice, dont vous pouvez voir le dessein en jettant les yeux sur la Planche que j’ay fait graver. La principale Figure élevée au milieu de ce Feu, sur son piedestal, represente Apollon tenant sa Lyre d’une main, & une branche de Laurier de l’autre. La Paix qui vient d’estre faite est representée par une Figure d’Iris, ou de l’Arc en Ciel ; & la troisiéme qui semble ne pouvoir estre separée des deux autres, fait connoistre que rien ne pourra des-unir les Princes qui ont signé les derniers Traitez. J’ay oublié de vous dire que tandis qu’on travailloit à cette Paix avec l’Empereur, elle avoit esté concluë & ratifiée avec toute la Maison de Brunsvic, & avec l’Evesque de Munster. Ce sont des Princes puissans, & capables de fortifier beaucoup un Party. Il ne reste plus que l’Electeur de Brandebourg à comprendre dans le Traité. Il a demandé du temps sur quelques difficultez qui l’arrestent, & il y a grande apparence que ma Lettre ne partira point avant que je vous fasse sçavoir la résolution qu’il aura prise.

[Madrigal aux Plénipotentiaires, sur le sujet de la Paix.] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 14-16.

C‘est au nom de ces Peuples, & de ceux qui ne joüissent pas encor de la Paix, que Mr l’Abbé Mallement de Messange adresse la Plainte qui suit aux Plénipotentiaires de Nimegue.

Cent Peuples comme nous ayant senty la haine
    Du plus grand de tous les Héros,
    Joüissent déja du repos
    Que leur donne une Paix certaine.
Vous, qui tenez de luy le pouvoir souverain,
Depuis que vous avez nos intérests en main,
Que n’avez-vous finy l’excés de nostre peine ?
N’avons-nous pas sujet de nous plaindre de vous,
Puis que vous nous laissez exposez au couroux
    D’un Héros devant qui tout tremble ?
Quoy donc, ne sçauriez-vous d’une commune voix
        Pacifier tout-à-la-fois
Ceux qu’il a vaincus tous ensemble ?

Les Fleurs. Fable §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 16-25.

La gloire du Roy n’occupe pas seulement les Muses Françoises, elle fait parler les Italiennes, ; & Mr Fredino de Venise, dont je me souviens que je vous ay déja fait voir une Lettre, a composé en sa Langue une Fable fort ingénieuse qui vous apprendra l’avantage que peut prétendre le Lys sur les autres Fleurs. Comme il me fait la grace de me la promettre, vous l’aurez dans le premier Extraordinaire. Cependant il m’en envoye la traduction qu’il m’assure avoir esté faite tres-fidellement. Je vous en fais part. Elle est de Mr l’Abbé Gradenigo Bibliotéquaire de S. Marc dans la mesme Ville. Vous n’aurez pas de peine à connoistre que les Aquilons, & les Autans, représentent les Princes du Nort, & que le Duc de Lorraine est le Héraut qui flate l’Impériale. Flore, dans la pensée de l’Autheur, est la Reyne Christine de Suede.

Les Fleurs.

Fable.

LE Printemps triomphoit & les Zéphirs paisibles
    Trouvoient mille & mille plaisirs
    A caresser des Fleurs, à pousser des soûpirs :
    Les Fleurs n’estoient pas insensibles,
Et l’Amour favorable à leurs communs desirs,
Faisoit tout le bonheur des Fleurs & des Zéphirs,
    Quand une Fleur ambitieuse,
(C’estoit l’Impériale, elle a fait du fracas)
    Vint troubler la Paix glorieuse
Qui faisoit estimer les Fleurs, & leurs Etats.

***
Elle apprit aux Zéphirs qu’un Héros redoutable
    Luy disoit souvent des douceurs,
    Qu’il méprisoit toutes ses Sœurs,
Et que pour elle seule il paroissoit traitable ;
Que ce Héros charmé de ses vives couleurs,
La vouloit élever à l’Empire des Fleurs,
Et qu’il luy préparoit dans un sejour aimable,
Une Feste nouvelle, & de nouveaux honneurs.

***
Les Zéphirs qui cherchoient à luy donner le change,
    L’interrompoient à tout moment ;
Ils entassoient loüange sur loüange,
    Et compliment sur compliment.
    L’un, d’une maniere obligeante,
    Disoit que sa tige éclatante
    Avoit dequoy charmes les Cœurs.
L’autre, qui s’amusoit à badiner, à rire,
    Tâchoit par de feintes langueurs
D’exprimer un amour, que l’on ne peut décrire.

***
    Ils y réüssirent tres-bien,
L’Impériale crût qu’ils estoient fort-sincéres,
Et sans-doute ils auroient avancé leurs affaires,
En recherchant un second entretient :
Mais comme ils soûpiroient pour des Fleurs plus aimables,
L’Impériale apres de vains discours,
Se vit enfin réduite à chercher du secours
    Chez des Peuples impitoyables.

***
    Les Aquilons & les Autans
Qui cherchoient à troubler les Fleurs & le Printemps,
Entrerent dans la Ligue ; ils y seroient encore,
    Et l’on verroit la belle Aurore
    Languir, & redoubler ses pleurs
    Pour la Republique des Fleurs,
    Si les soins genéreux de Flore
N’eussent donné remede à de si grands malheurs.

***
    On ne parloit donc que de guerre,
Quand les cruels Autans, & les fiers Aquilons,
Troublerent les Zéphirs au milieu des Valons,
Et le riant Printemps qui regnoit sur la Terre,
L’Impériale crût accabler de ses coups
Les Fleurs qui refusoient de luy rendre les armes ;
Mais ses emportemens, & ses transports jaloux,
Firent contre les Fleurs ce qu’avoient fait ses charmes :
    Les Fleurs triompherent toûjours,
    Elles n’eurent que de la gloire,
Et l’on les vit passer de victoire en victoire,
Sans que l’Impériale en arresta le cours.

***
Vous en fustes témoins, Aquilons indomptables ;
    Et vous, Autans audacieux,
    Vous reconnustes que les Dieux
    Estoient en tout temps favorables
Aux Fleurs que vous tâchiez d’oprimer en tous lieux.
    Mercure vint exprés des Cieux
Pour assembler les Fleurs dans une belle Salle,
    Où tout ce que la Terre étale
    Et de rare & de prétieux,
    Frapoit heureusement les yeux.

***
    Flore, leur aimable Déesse,
    Parût dans le mesme moment,
Et dit qu’elle quitoit un sejour fort charmant,
Pour rétablir la paix, les jeux & la tendresse,
Dans l’Empire des Fleurs qu’elle aimoit cherement.

***
    Un Autan, Favory d’Eole,
Se leva d’un air brusque, & prenant la parole,
Il s’écria qu’entre mille autres Fleurs
    Il admiroit l’Impériale.
Il dit que cette Fleur n’auroit jamais d’égale,
Qu’elle enchantoit les yeux par ses belles couleurs,
    Que son mérite estoit extréme,
    Et que tout le pouvoir supréme
Ne pouroit l’engager à vivre avec ses Sœurs,
Si par une conduite aussi juste que sage,
    Elles ne luy rendoient hommage.

***
Un Zéphir qui sçavoit bien mieux faire sa cour,
    (Pour s’attirer la bienveillance)
Commença son discours par la reconnoissance
Que les Fleurs témoignoient à Flore, à son amour.
    Il conjura Flore à son tour
    De vouloir se donner la peine,
Avant que de revoir le bienheureux sejour,
De nommer une Fleur qui dût estre leur Reyne.

***
Flore choisit le Lys entre toutes les Fleurs,
    Et les soûmit à son empire ;
La fiere Impériale en versa quelques pleurs,
Cependant il falut obeïr sans rien dire,
Et (de peur de tomber dans de nouveaux malheurs)
    Eviter de deux maux, le pire.

[A quelque chose le malheur est bon, Histoire] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 29-57.

Comme la mort laisse souvent des Procés, on est icy sur le point d’en intenter un pour le partage d’une assez grande Succession, que l’imprudente conduite d’une Mere a mis en état d’estre disputé. Ce qui donne lieu à cette dispute, est aussi surprenant qu’extraordinaire. Il faut vous l’apprendre en peu de mots.

Un Officier de Cour Souveraine mort depuis douze ans, avoit laissé un Fils & deux Filles, avec plus de cinq cens mille livres de Bien. C’estoit dequoy les faire élever selon leur naissance. Sa Veuve en prit soin, & n’oublia rien de ce qui pouvoit contribuer à rendre son Fils honneste Homme. Il achevoit alors ses études ; & comme son inclination se trouva plus portée pour les Armes que pour la Robe, il se donna tout entier à apprendre ses Exercices, & prit party dans les Troupes si-tost que la guerre fut déclarée avec la Hollande. Les Filles estoient beaucoup moins âgées que luy. L’Aînée n’avoit que dix ans. Elle estoit blonde, avoit les traits assez réguliers, & quoy qu’elle fust moins belle que sa Cadete, elle ne laissoit pas d’avoit ce je-ne-sçay-quoy qui frape les yeux. Joignez à cela beaucoup de douceur dans ses manieres, & une vivacité d’esprit admirable. Ces avantages estoient à considérer ; mais pour son malheur, elle estoit boiteuse, & ce defaut parut si grand à sa Mere, qu’elle résolut de luy faire naistre l’envie du Convent. C’est une injustice assez ordinaire. On donne à Dieu ce qu’on trouve le moins propre au monde, & peu de Meres se défendent d’en user ainsy. Celle dont je vous parle fit connoistre à son Aînée, que pour apprendre beaucoup de choses que les Filles ne doivent point ignorer, il falloit qu’elle allast passer une année aupres d’une Abbesse sa Parente qui en auroit soin ; que sa Sœur prendroit sa place pour le mesme temps apres qu’elle l’auroit retirée, & que rien ne pouvoit estre plus avantageux pour l’instruction de l’une & de l’autre, que les exemples de vertu qu’on leur donneroit. Cela fut dit d’un ton absolu. La Fille n’estoit pas d’un âge à resister. Il falut partir, & elle se laissa conduire au Convent où l’on vouloit qu’elle entrast, à vingt ou vingt-cinq lieuës de Paris. L’Abbesse luy fit toutes les carresses imaginables. On s’empressa à la divertir, & force Pensionnaires de son âge qu’elle trouva, l’empescherent de s’ennuyer. Mais on eut beau luy fournir d’agreables amusemens. Ils ne pûrent luy faire oublier qu’on devoit mettre sa Sœur en sa place ; & son année de clôture n’eut pas plutost expiré, qu’elle demanda si on ne se préparoit point à l’amener. On diféra l’échange sur quelque prétexte, & on fit si bien, que trois ans se passerent au lieu d’un, sans qu’on exécutast rien de ce qu’on luy avoit promis. Au contraire, on commença à luy parler plus sérieusement qu’on n’avoit fait jusque-là, du peu de solidité des choses du monde. C’estoit assez luy en dire. Comme elle avoit l’esprit extrémement avancé, elle raisonna sur la morale qu’on luy debitoit, & comprit qu’on ne l’avoit enfermée dans un Convent que pour la sacrifier à sa Cadete. Elle résolut dés-lors de n’en estre point la dupe, se tint sur ses gardes contre tous les pieges qu’on luy tendoit, & loüant le bonheur de celles qui avoient la force de se détacher de tout pour prendre le Voile, elle prioit toûjours qu’on ne luy demandast rien de positif, jusqu’à ce qu’elle fust en âge de se mieux connoistre qu’elle ne faisoit. Cependant plus on luy parloit des avantages de la clôture, plus elle en prenoit d’aversion. Ses Compagnes, & peut-estre quelques Religieuses à qui on avoit fait venir la vocation par remontrances, l’affermissoient dans le dessein de lever le masque, & elle n’eut pas plutost atteint l’âge de quinze ans, qu’elle déclara non seulement qu’on ne la verroit jamais guimpée, mais qu’on l’obligeroit tres-fort de la faire sortir du Convent. L’Abbesse qui connoissoit l’importance de la vocation qu’on luy souhaitoit, se contente de luy demander six mois, pendant lesquels elle prendroit son entiere résolution, avec assurance que si apres ce temps, elle avoit encor ce mesme dégoût pour le Convent, elle obligeroit sa Mere à la retirer. Les six mois passerent. La Demoiselle demeura inébranlable, & l’Abbesse crût sa conscience intéressée à la retenir dans un lieu d’où elle témoignoit une extréme impatience de sortir. La necessité de la reprendre fut un coup desespérant pour la Mere. Sa Cadete estoit devenuë toute belle. Cette Mere en avoit fait son Idole, & prétendoit la marier comme Fille unique, sur ce qu’elle avoit déja publiée que son Aînée renonçoit au monde, & qu’elle estoit sur le point de prendre l’Habit. Elle avoit mesme des veuës qui alloient plus loin. On avoit commencé la guerre. Son Fils estoit à l’Armée, & tous les jours dans l’occasion d’estre tué. Ce malheur dont elle n’auroit pas eu de peine à se consoler, rendoit sa Cadete un party tres-considerable, & elle ne pouvoit soufrir qu’une Boiteuse vinst renverser les projets qu’elle faisoit pour l’établissement de cette Cadete. Cependant l’Abbesse ne voulant plus garder son Aînée, il falut qu’elle songeast à la mettre ailleurs, & elle ne pût rien imaginer de plus favorable à ses desseins, que de l’envoyer chez une de ses Tantes, Sœur de son Pere, mariée en Languedoc, à qui elle avoit déja écrit pour la préparer à la recevoir. C’estoit l’éloigner, & se tenir toûjours en état de faire croire d’elle ce qu’elle voudroit. La Demoiselle consentit volontiers à ce voyage, & crût trouver plus de douceur aupres de sa Tante, qu’aupres d’une Mere qui l’aimoit si peu. Elle y alla sans avoir veu cette injuste Mere ; & apres quelques années qu’elle passa assez agreablement dans cette Province, elle tomba dans une maladie si dangereuse, qu’on fut obligé d’en donner avis. La Lettre portoit que les Medecins desesperoient de sa guérison, & que les premieres nouvelles qu’on en recevroit, seroient apparamment celles de sa mort. La Mere ne manqua pas de le publier, & elle attendoit impatiemment l’arrivée du premier Courrier, quand un autre Lettre qu’elle reçeut, luy apprit que son Fils avoit esté tué à la Journée de Cassel. Elle en eut de la douleur ; mais comme c’estoit un mal sans remede, elle feignit de n’en rien sçavoir, & dit à tous ses Amis qu’on luy venoit de mander que son Aînée estoit morte en Languedoc. On le crût, & sa Cadete qu’on vit en deüil dés le lendemain, confirma le bruit qu’elle eut l’adresse d’en faire courir. Les Relations de la Bataille qui furent envoyées quatre jours apres, firent voir le nom de son Fils dans toutes les Listes des Morts. Elle trouva des larmes pour le pleurer, & donna de grandes marques d’affliction ; mais le deüil que sa Fille avoit pris de bonne-foy, parut estre d’abord pour son Aînée, & on commença de la regarder comme l’unique Heritiere de cette Maison. Elle estoit persuadée elle-mesme qu’elle n’avoit plus ny Frere ny Sœur, sa Mere luy ayant caché que son Aînée avoit esté assez heureuse pour se tirer de la maladie qu’on avoit crû qui l’emporteroit. Le Bien estoit fort considérable, la Demoiselle tres-belle, & vous jugez bien qu’avec de tels avantages elle ne manqua pas de Soûpirans. Enfin un Marquis aussi riche que bien fait, fut préferé à tous ses Rivaux, & il épousa cette charmante Personne dans les derniers jours du Carnaval. La Mere qui n’avoit rien tant souhaité que ce Mariage, en eut une joye qui ne se peut exprimer, mais elle ne joüit pas longtemps du plaisir de voir sa Fille Marquise. Elle fut frapée d’apopléxie douze jours apres, & mourut sans pouvoir rien dire de la tromperie qu’elle avoit faite à son Gendre. Le Marquis ne se trouva pas fort malheureux d’avoir si-tost une double Succession à recueillir. Il en vantoit l’importance à un de ses Amis qui revenoit de Province, quand cet Amy luy apprit qu’il n’en devoit prétendre que la moitié, l’autre appartenant à une Sœur qui avoit esté envoyée assez jeune en Languedoc, & qui ayant sçeu la mort de sa Mere, se préparoit à luy venir demander le partage qui luy estoit deû. Le Marquis fort étonné de cette nouvelle, voulut sçavoir de sa Femme ce qu’il falloit qu’il en crust. La jeune Marquise l’assura que la Sœur dont on luy parloit, estoit morte, qu’elle en avoit pris le deüil un peu avant que son Frere eust esté tué, & qu’il ne devoit pas appréhender qu’on la fist revivre. L’Amy répondit qu’il ne pouvoit croire qu’on se fust fait un plaisir de le tromper ; qu’estant en Languedoc depuis trois semaines, on l’avoit mené chez la Tante de la Marquise ; qu’il y avoit entretenu une Demoiselle fort bien faite, qui se disoit son Aînée, & que c’estoit là qu’il avoit appris le Mariage dont il venoit les féliciter. La Marquise luy demanda aussitost ce qu’il avoit remarqué de la taille de cette Sœur ; & quand il eut dit qu’elle estoit des médiocres, mais fort bien prise, le Marquis se mit à rire, & luy persuada qu’on s’estoit diverty à luy faire piece, parce que sa Femme n’avoit jamais eu qu’une Sœur boiteuse. Cette circonstance laissa l’Amy sans replique. La Demoiselle qu’il avoit entretenuë comme Sœur de la Marquise, avoit la taille si droite, qu’il ne douta point qu’on ne l’eust joüé. Il en témoigna beaucoup de joye, puis que le divertissement qu’on s’estoit donné à ses despens, tournoit à l’avantage du meilleur de ses Amis. Cependant la Succession estoit assez importante pour attirer la Demoiselle à Paris. Elle y arriva avec sa Tante, au nom de laquelle on vint demander si la Marquise pouvoit estre veuë. La Marquise qui avoit souvent entendu parler du mérite de cette Tante, la reçeut de la maniere du monde la plus honneste ; mais elle fut fort surprise, quand apres une heure de conversation, la Demoiselle qui l’accompagnoit se déclara pour estre sa Sœur. Le Marquis estoit présent. Comme il avoit observé la Demoiselle en entrant, & qu’elle marchoit fort droit, la déclaration ne l’étonna point. Il fit une réponse galante, & ne commença de prendre son sérieux, que quand elle dit que pour n’estre plus boiteuse, elle n’en estoit pas moins la Sœur de sa Femme. La verité est, que dans le dernier Hyver, qui a esté un des plus rudes que nous ayons eu depuis fort longtemps, elle s’estoit rompu la jambe en se laissant tomber sur la glace. On n’en avoit rien écrit à sa Mere, qui ne s’en seroit pas beaucoup mise en peine, & qui d’ailleurs n’avoit voulu détromper personne de sa fausse mort. Cependant ce malheur luy avoit esté si avantageux, qu’en remédiant à l’accident de sa jambe, on estoit venu à bout de la faire marcher droit. Cela sembloit tenir un peu du prodige ; & les nouveaux Mariez qui ne croyoient, ny ne vouloient point avoir de Sœur, traiterent de conte ce qu’on leur en dit, & se montrerent fort disposez à se maintenir dans le droit entier des Successions que la Demoiselle demandoit à partager. La Dame qui l’avoit amenée, se contenta de leur dire qu’elle leur donnoit huit jours pour luy faire sçavoir ce qu’ils résoudroient. Elle adjoûta que sa Niéce estoit preste à se marier à un Homme des plus qualifiez & des plus puissans de la Province ; qu’il l’avoit accompagnée à Paris, & qu’il ne manquoit pas d’Amis pour luy faire rendre la justice qui luy estoit deuë. Ils se separérent assez froidement, & chacun prit conseil de son costé sur ce qu’il estoit à propos de faire. La nouvelle de cette Fille vivante s’estant répanduë dés le lendemain dans toute la Parenté, tout le monde luy rendit visite. Quoy qu’on ne l’eust point veuë depuis l’âge de dix ans, & que ses traits fussent plus formez, ils ne laissoient pas d’estre encor les mesmes. Ainsi personne n’eut peine à la reconnoistre. Le changement de sa taille estoit la seule chose qui embarassoit ; mais ce qu’on disoit de sa chûte, & de l’heureux effet qu’elle avoit produit estoit facile à justifier. C’est ce que la plûpart des Parens firent entendre au Marquis. Il n’aimoit point le Procés, & par l’avis de ceux en qui il se confioit le plus, il demanda quelque temps pour envoyer sur les lieux faire les Informations qu’il jugeroit necessaires. Voila l’état où sont aujourd’huy les choses. Il attend le retour de quelques Amis intelligens qui sont allez pour luy en Languedoc, & la résolution qu’il prendra dépend de ce qu’ils auront appris des Personnes des-intéressées.

[Feste de la Naissance de Madame Royale] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 57-77.

Les Festes publiques ont toûjours esté regardées comme de glorieuses marques de la grandeur d’un Etat. En effet, rien ne fait si bien connoistre la magnificence & la galanterie d’un Souverain, le bon ordre de ses affaires, & la bonté qu’il a pour ses Peuples. Les Empereurs Romains, & ceux qui ont gouverné ce vaste Empire avant eux, n’ont rien épargné pour la somptuosité des Spéctacles. Il y en a eu fort souvent en France ; & sans parler de ces grands & magnifiques Opéra, qu’on n’appelloit alors que Balets, l’Histoire est pleine d’une infinité de Carousels qui ont esté faits en diférentes occasions de réjoüissance, & nous en avons veu trois sous le seul regne de Loüis le Grand. Quant aux superbes Balets dont j’ay commencé de vous parler, si on en veut sçavoir le nombre, on les peut presque compter par les années de nostre auguste Monarque. Mais ce qui a dû surprendre toute l’Europe, ç’a esté de voir que ses magnificences ayent toûjours reçeu quelque éclat nouveau, sans que la guerre qui ruine ordinairement les Etats, ait apporté le moindre changement dans les siens. Au contraire, il semble qu’à mesure que la gloire de ce Prince a augmenté, toutes sortes de bonheurs soient venus dans son Royaume. Ses grandes Armées pouvoient en épuiser les Vivres & les Finances. Cependant l’abondance n’a pas laissé d’y regner toûjours ; & l’on ne s’y est apperçeu qu’on estoit en guerre, que par les Réjoüissances publiques, par les Feux de joye, & par les Nouvelles continuelles de la prise des plus fortes Places des Ennemis, dont les plus considérables nous sont demeurées. Il estoit difficile que toutes ces choses n’arrivassent, le Roy estant servy par des Ministres dont le zele & l’exactitude n’ont rien d’égal que leur extréme fidelité. Si les grandes Festes sont si glorieuses à un Etat, parce qu’elles sont des marques de son abondance, de sa tranquilité, & du bon & heureux Gouvernement du Souverain, la Cour de Savoye peut se vanter qu’il ne luy manque aucun de ces avantages, estant certain qu’il y en a peu dans l’Europe qui pussent l’emporter sur elle en toute sorte de magnificences. Je vous en ay entretenüe déja plusieurs fois, & le plaisir que vous ont donné ces Articles, me fait juger de celuy que vous recevrez en apprenant ce qui s’est passé cette année à la Feste de la Naissance de Madame Royale. Vous vous souvenez que je vous ay dit qu’elle arrive toûjours l’onziéme d’Avril. Cette Princesse fut éveillée ce jour-là par les Salves du Regiment des Gardes, de ceux de Savoye, & Piémont Ducal, & de toute l’Artillerie de la Ville & de la Citadelle. Elle alla ensuite s’acquiter des devoirs ordinaires de sa pieté, dans l’Eglise de S. Jean où est le S. Suaire, & où elle offrit selon sa coûtume, autant de Pistoles qu’elle a d’années. Les Galeries qui font la communication du Château au Palais Royal, & du Palais Royal à la Tribune de cette Eglise, luy servirent de passage ; le tout paré des Meubles de la Couronne, qui sont aussi riches qu’il y en ait dans l’Europe. Les Regimens de Savoye, & Piémont Ducal, estoient dés le matin en Bataille dans la Place du Château, & celuy des Gardes dans la Place devant l’Eglise de S. Jean pendant la Messe. On la chanta en Musique, de la composition de Mr Lallouëte. C’est un Eleve du fameux Mr de Lully. Il est aisé de connoistre par tout ce qu’il fait, qu’il a pris le bon goust de ce grand Homme. Quoy qu’on soit accoûtumé en Savoye à la douceur de la Musique Italienne, & à ce qu’elle a de sçavant, on ne laissa pas d’admirer celle de ce jour-là, & d’avoüer qu’on ne pouvoit rien entendre de plus beau. Les Arquebusiers estoient fort propres, & rangez en deux hayes dans la Nef de l’Eglise ; les Suisses de la Garde en rond au bas du degré de la Tribune ; une partie des Archers des Gardes du Corps au bas de l’autre degré & l’autre partie autour de Leurs Altesses Royales. Ces Archers composent une Troupe de cent Gardes, qui doivent tous estre Gentils-hommes, & Savoyars. On n’en reçoit aucun autre. Au retour, Madame Royale reçeut les complimens de toute la Cour, & dîna en public avec Son Altesse Royale, Madame la Princesse Maurice, Mr le Prince de Carignan, & Mr le Chevalier de Savoye. Le Repas fut magnifique. Les Violons dans un bout de la Salle où l’on mangeoit, & les Hautbois à l’autre bout, répondoient par Echo aux Trompetes qui estoient dans la Salle des Gardes, & faisoient le plus agreable Concert qu’on puisse entendre. Apres que Leurs Altesses Royales eurent dîné, elles allerent se promener au Valentin, & rentrerent dans la Ville sur les six heures du soir. La belle & grande Place de S. Charles par laquelle on devoit passer, estoit occupée d’un costé par le Regiment de Piémont Ducal. Le retour de cette charmante Cour, ressembloit à une Entrée de Triomphe. Le Carrosse de Leurs Altesses royales estoit precédé de plus de vingt autres, environné & suivy des Princes & Seigneurs à cheval, au nombre de plus de deux cens, tous avantageusement montez, & dans une parure tres-magnifique. Plus de cent autres Carrosses marchoient apres eux. La nuit vint quand on fut rentré dans le Château, & l’obscurité en fut bien-tost dissipée par un grand Feu d’artifice, élevé sur une Terrasse qui fait une des faces de la Place de ce Château, & qui luy donne communication avec le Palais de Madame la Princesse. Il representoit le Temple de Janus, qui ayant esté fermé pour les Peuples de Savoye, par la sage & merveilleuse conduite de Madame Royale, pendant que toute l’Europe estoit en guerre, paroissoit encor dans le mesme état, & sembloit les avertir de l’éternelle reconnoissance qu’ils devoient avoir de ses bontez. Le Bal succeda au Feu. Les Dames qui sont belles & en fort grand nombre, s’y trouverent dans un éclat merveilleux. Leur ajustement estoit des plus riches, & pour couronner la magnificence, on servit une superbe Collation dans vingt-quatre grands Bassins remplis des raretez les plus exquises. Chaque Bassin avoit son dessein particulier. C’estoit une espece de Sculpture & de Miniature tout ensemble, faite avec du Sucre & des Fruits. Toutes ces diférentes Piéces offroient aux yeux quelque chose de si achevé, qu’on faisoit scrupule de les rompre pour satisfaire son goust, tant elles sembloient propres à estre conservées pour la parure d’un Cabinet. Tout cela se fit par les ordres de Monsieur le Duc de Savoye, qui régaloit Madame Royale. Je ne vous dis rien de la dépense des Princes & des Seigneurs qui se trouverent à cette Feste. Vous serez persuadée qu’elle alla plus loin, quand je vous auray appris qu’ils changerent trois fois d’Habit, ayant paru le matin en Gens de Cour, l’apresdînée en Cavaliers qui doivent monter à cheval, & le soir au Bal, en Manteau. Tous ces diférens Habits estoient si bien entendus & si brillans, qu’on auroit eu peine à dire lequel des trois faisoit éclater plus de richesse & plus de galanterie. Jugez des Dames par là. Mr le Cardinal Portocarrero qui passoit à Turin, pour s’en retourner de Rome en Espagne, fut témoin de toutes ces magnificences. Il les admira. Mais il fut surpris de tout ce qu’il vit de pompeux & de galant. Il ne le fut pas moins des Présens que Leurs Altesses Royales luy firent. Il y avoit en effet dequoy en estre étonné, puis qu’il ne faisoit que passer par cette Cour, qu’il y estoit incognito, & qu’il n’y avoit traité aucunes affaires ; mais il avoit vû Madame Royale, & c’estoit assez pour recevoir des marques de son estime. J’aurois encor à vous entretenir de cette galante Cour, en vous parlant de la Reception de Mr l’Evesque de Fossan, dans l’illustre Académie des beaux Esprits, que cette grande Princesse a établie dans son Palais, mais j’en attens les particularitez pour vous apprendre ce qui se passe dans ces sortes de Cerémonies, comme j’ay fait à l’égard de l’Académie Françoise qui se tient au Louvre. Cependant il ne sera pas hors de propos, apres un Article de Feste publique, de vous éclaircir touchant ce que vous souhaitez sçavoir du Wirtschaf, dont il est parlé dans la description des divertissemens qui furent donnez à Madame la Princesse de Meklebourg pendant son sejour à la Cour d’Hanover. La Relation que je vous en envoyay dans ma Lettre du mois de Mars, porte que c’est une maniere de Mascarade inpromptu. Le mot est Allemand composé de deux, qui signifient en cette Langue Compagnie de l’Hoste. Ainsi le Wirtschaf doit être regardé comme le divertissement d’un apres-soupé d’Auberge, & c’est de là qu’il tire son origine. Tous ceux qui se trouvent logez ensemble, proposent tout d’un coup de se déguiser. On fait des Billets dans lesquels on écrit autant de noms de Mestier qu’il y a de Personnes qui doivent estre du Wirtschaf. On choisit ordinairement les Emplois les plus vils & les plus plaisans. Les Billets se meslent dans un Chapeau, & chacun s’habille selon le Mestier qui luy est écheu. Cela fait ordinairement un mélange fort divertissant. Les Personnes du plus haut rang ne dédaignent pas cette sorte de Mascarade ; & quand la Princesse de Danemark fut mariée au Duc de Holstein, il y eut un Wirtschaf, dans lequel le sort des Billets changea le Roy en Seigneur Polonois, la Reyne en Coupeuse de Bourse, le Prince de Danemark qui regne aujourd’huy, en Garçon Barbier qui vouloit raser le monde, le Duc de Holstein en Marchant de toile, l’Ambassadeur de Hollande en Capitaine de Vaisseau, & ainsi des autres.

[Galenterie d’un Inconnu] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 78-84.

J’adjoûte à ces Articles de Divertissemens & de Festes, la galanterie d’un Particulier. Une belle Dame, des plus spirituelles du Royaume, & qui a un talent admirable pour la Poësie, reçeut il y a quelques jours un Paquet, apporté par un Laquais sans livrée, qui feignant d’en attendre la réponse, s’échapa, apres l’avoir donné à un de ses Gens. La Dame l’ouvrit, & y trouva un Eventail d’un prix fort considérable, representant le Triomphe de Bacchus en miniature, avec cette Lettre en Vers.

A l’aimable
Iris.

QUand vous passez vos jours dans le sacré Vallon,
    Songez-vous à ce que vous faites ?
Deux Enfans sont jaloux du bonheur d’Apollon.
Lors qu’on est, disent-ils, faite comme vous estes,
    Doit-on toûjours faire sa cour
    Au brillant Dieu des Chansonnettes ?
    Ils s’en plaignirent l’autre jour
Au Destin, qui promit de finir leur querelle.
Iris, ne traitez point cecy de bagatelle,
    De ces deux Enfans, l’un s’appelle
    Bacchus, & l’autre c’est l’Amour.
Consolez-vous, Divinitez puissantes,
    Leur disoit le Destin tout-bas,
Si la charmante Iris préfere à vos appas
L’honneur d’estre comptée au nombre des Sçavantes,
    C’est qu’elle ne vous connoist pas.
    Hé, comment s’en faire connoistre,
    Répondit Bacchus irrité ?
Je ne puis approcher cette fiere Beauté ;
    D’abord qu’elle me voit paroistre,
    Qu’on le jette par la fenestre,
    Dit-elle, & qu’on ne laisse pas
    La moindre trace de ses pas.
    Helas ! ma fortune est pareille,
    Dit languissamment à son tour
L’aimable Enfant qu’on nomme Amour,
Iris me hait autant que le Dieu de la Treille.
L’Ingrate n’a pour moy qu’un outrageant mépris,
J’employe en vain les Jeux, les Graces & les Ris,
    Pour apprivoiser la Cruelle ;
    Ny mon Flambeau, ny mes traits d’or,
    A qui, dit-on, rien n’est rebelle,
Malgré mes soins, n’ont pû me faire encor
Obtenir l’heureux droit d’estre reçeu chez elle.
    La Nature qui me doit tout,
Me faisoit espérer qu’elle en viendroit à bout ;
    Mais bien loin de m’estre fidelle,
Elle ne porte Iris qu’au plaisir de rimer,
    Dans le temps qu’il faudroit aimer.
Il faut, dit le Destin, que vostre douleur cesse.
    Du blond Phébus ne soyez plus jaloux,
Jeunes Dieux, apprenez que celuy de Permesse
Peut dans un mesme cœur demeurer avec vous.
Paroissez chez Iris suivis de tous vos charmes ;
Que les profonds respects, que les soins assidus,
Les timides regards, les soûpirs, & les larmes,
    Soient de l’Amour les seules armes ;
Que pour accoútumer Iris avec Bacchus,
Il soit accompagné de toutes ses bacchantes,
    Du moite Element triomphantes.
    Mais de peur d’effrayer Iris,
Qu’il triomphe à ses yeux seulement en peinture,
Et pour cette galante & fameuse avanture,
    Servez-vous tous deux de Tircis.
A ces mots il se teut, & sur nostre Hémisphére
    L’un & l’autre Dieu descendit.
    Chacun d’eux chez moy se rendit,
    Et le beau Prince de Cythére
    Me presse du soir au matin,
    D’accomplir l’ordre du Destin.
Mais, adorable Iris, quoy qu’il me puisse dire,
Je n’ose vous montrer ses transports, son espoir.
Tout ce qu’en ma faveur le Sort a sçeu prescrire,
    Se termine à vous faire voir
    Triompher le Dieu de la Tonne,
    Dans l’Eventail que je vous donne.
Iris, avec bonté, daignez le recevoir.

Bouquet §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 109-111.

Je ne doute point, Madame, qu’une si exacte description1 ne vous represente parfaitement ce que tous les Curieux ont veu icy avec grand plaisir. Elle est de l’Autheur mesme de la Caleche qui fut presentée au Roy par Mr le Duc de Vivonne le 15. de l’autre Mois. Sa Majesté en parut fort satisfaite. La magnificence de cet Ouvrage le rendoit assurément tres-digne d’estre offert à un Grand Roy. En voicy un d’une autre nature. C’est un Madrigal envoyé à une belle Dame le jour de sa Feste par une de ses Amies. Mr Galoubie de Clermont en Auvergne, en a fait les Vers.

Bouquet.

NOs Parterres n’ont rien qui soit digne de vous.
En vain, aimable Iris, je les ay courus tous,
Les Fleurs à peine y commencent de naistre ;
    On n’y voit point encor paroistre
    Flore, ny ses vives couleurs,
    Sa paresse me desespere.
Recevez cependant le plus constant des cœurs ;
    Une amitié tendre et sincere
    Est bien plus rare que des fleurs.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 112.

Le Printemps a esté paresseux cette année à venir chasser l’Hyver. Voicy des Paroles qu’un fort galant Homme a faites sur son retour. Elles ont esté mises en Air par Mr de Montigny du Havre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par L’Amour folâtrant l’autre jour, doit regarder la page 112.
L’Amour folâtrant l’autre jour
    Avec la Bergere Lysete,
        Chantois sur sa Musete
Du doux Printemps l’agreable retour.
    Mais une tendre Chansonnette
    N’a rien qui puisse l’engager.
    Que peut l’Amour avec Lysete,
    Sans un Berger ?
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[Le Mort Vivant, Histoire] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 115-141.

Quoy qu’il n’y ait rien de plus affligeant que de mourir, ce n’est pas toûjours un mal sans remede, quand on demeure en état de ne se pas laisser enterrer. Vous m’en croirez quand vous aurez leû ce qui suit.

Un Cavalier logé fort commodément, & faisant une tres-belle dépense, menoit une vie des plus agreables avec ses Amis. Il estoit d’une humeur fort enjoüée, & n’avoit point de plus grand plaisir que de faire de ces pieces ingénieuses, qui passent plutost pour des traits d’esprit, que pour des injures. Quelques-uns le condamnoient de son trop d’attachement à plaisanter ; mais il avoit cela d’estimable, que s’il railloit, il entendoit raillerie, & qu’il ne se fâchoit point qu’on fist contre luy ce qu’il se divertissoit à faire souvent contre les autres. Un de ses Parens y avoit passé ; & comme l’affaire dont il s’estoit laissé rendre la dupe, avoit fait éclat, ce Parent luy avoit hautement déclaré qu’il se divertiroit de luy à son tour, & qu’il en entendroit parler avant qu’il fust peu. Le Défy fut accepté. Le Cavalier se tint sur ses gardes, & continuant toûjours à plaisanter, il reprocha plusieurs fois à son Parent, qu’apres l’avoir menacé, il n’estoit guére impatient dans sa vangeance. L’occasion ne s’en estoit pas encor trouvée favorable. Voicy celle qui se presenta quelque temps apres. Le Cavalier se plaignit un jour d’une légere indisposition devant cinq ou six de ses Amis. On luy conseilla de prévenir un plus grand mal par quelques Remedes de précaution. Il crût cet avis, & résolut de ne voir personne le lendemain. Son Parent fut un de ceux qui le porterent à songer à luy. Ce jour de retraite facilitoit le succés de ce qu’il avoit prémedité. Le jour suivant, ce Parent alla chez un Crieur sur le midy, suposa que le Cavalier estoit mort le matin d’apopléxie, & luy donna un mémoire de ses qualitez, de sa demeure, & de sa Paroisse, avec ordre de faire imprimer quatre cens Billets d’Enterrement qu’il envoyeroit le soir à tous ses Amis, dont il luy laissa la liste. Il sortit en le priant d’avoir soin qu’on vinst tendre le lendemain le dessous de la Porte du prétendu Mort, adjoûtant qu’il ne falloit point de Tenture dans l’Eglise, parce qu’on vouloit faire l’Enterrement sans aucun éclat. Le Crieur qui se fit payer comptant, prit charge de tout. Les Billets furent portez, & ne surprirent pas moins qu’ils affligerent ceux qui les reçeurent. Le Cavalier estoit estimé, & une si prompte mort dans une assez grande jeunesse, toucha les moins sujets à se chagriner ; mais personne ne le regreta tant qu’un Abbé, qui depuis longtemps avoit lié avec luy une amitié tres-étroite. Il l’avoit veu le jour précedent, luy avoit conseillé comme les autres de se précautionner par quelques Remedes, & tomba le soir dans un étonnement inconcevable, quand rentrant chez luy, on luy donna le Billet d’Enterrement. Il déplora la triste condition des Hommes, qui ne se peuvent jamais répondre d’un seul moment ; parla des belles qualitez du Cavalier, de l’union qu’ils avoient ensemble, & finit ses lamentations, en disant qu’il se trouveroit bien embarassé s’il estoit permis aux Morts de revenir, parce qu’ils s’estoient promis un jour en riant, que le premier des deux qui mourroit, donneroit de ses nouvelles à son Amy. Cependant le Cavalier avoit passé tout le jour chez luy. Les Remedes l’avoient soulagé ; & comme il s’estoit endormy d’assez bonne heure, il se leva le lendemain de fort grand matin. Son premier soin fut d’aller rendre visite à son cher Abbé. Il trouva la porte de la Ruë ouverte, & la familiarité qu’il avoit dans cette Maison luy donnant droit de monter sans estre conduit, il entra dans la Chambre où l’Abbé couchoit, s’aprocha du Lit, tira le rideau avec fracas, & cria en le tirant qu’il estoit honteux de dormir si tard. Ce bruit éveilla l’Abbé. Il avoit eu le prétendu Mort toute la nuit dans la teste, & le voyant devant luy à son réveil, il ne douta point que ce ne fust son Fantôme qui venoit luy rendre compte de l’état où il se trouvoit. La frayeur le prit. Il fit plusieurs cris, & perdit l’usage de la parole. Le Cavalier qui ne comprenoit rien à cet accident, courut au degré, appella ses Gens, & fut fort surpris de les entendre crier à leur tour si-tost qu’ils eurent jetté les yeux sur luy, sans qu’aucun d’eux l’osast approcher. Il leur demanda tant de fois ce qui les rendoit ainsi interdits, qu’à la fin il y en eut un qui se hazarda de son costé à luy demander s’il estoit vray qu’il ne fust point mort. Il comprit par là qu’on avoit semé quelque méchante nouvelle de luy, mais il ignoroit sur quel fondement, & il n’estoit pas temps de s’en éclaircir. Le mal de l’Abbé pressoit. On le secourut. Il ouvrit les yeux, & voyant ce qu’il avoit pris pour un Fantôme, agir à l’ordinaire, au milieu de tous ses Gens, il commença de se rassurer. Il fut question d’aprofondir l’avanture. On apporta le Billet d’Enterrement. Le Cavalier rit de se trouver mort dans le temps qu’il estoit le plus disposé à vivre, & apres avoir inutilement raisonné sur ce qu’il voyoit, il s’imagina qu’on enterroit quelqu’un de son nom, qui avoit donné lieu à cette méprise. C’estoit pourtant quelque chose d’assez difficile à concevoir, que les Qualitez, la Ruë, & la Paroisse, se trouvassent les mesmes pour deux Personnes ; mais enfin il estoit tres-assuré qu’il se portoit bien, & cette assurance luy servoit d’une grande consolation contre le Billet. Il sortit ; & toutes les Personnes de sa connoissance qu’il rencontroit, venant l’embrasser, & luy demandant avec surprise qui estoit l’impertinent Mort qui s’estoit avisé de prendre son nom pour les affliger, il se confirma dans la premiere pensée qu’il avoit euë. Ce qu’il y eut de plaisant, c’est qu’estant chez luy, il trouva la Servante qui luy ouvrit en grande colere. Un Homme envoyé par le Crieur, estoit entré en quelque façon malgré elle. Il avoit planté une Echelle sous la Porte, & tenant le bout d’une piece de Drap noir, il vouloit commencer à tendre comme il luy avoit esté ordonné. La Servante s’y opposoit de toute sa force, & luy arrachoit le Drap, en luy demandant s’il estoit fou. L’autre s’estoit contenté de luy jetter un Billet d’Enterrement, afin qu’elle vist pour qui la cerémonie se faisoit. Ce Billet estoit inutile pour la Servante qui n’avoit jamais appris à lire. Sur cette contestation arriva le Cavalier. L’Homme du Crieur s’adressa à luy, pour se plaindre qu’on luy faisoit perdre du temps, & que l’heure du Convoy arriveroit tout-à-coup. Le Cavalier qui vit que c’estoit sa Porte qu’on envoyoit tendre, commença à s’appercevoir de la piece. Il n’en marqua rien à l’Envoyé du Crieur, luy dit qu’il n’avoit qu’à travailler, & le pria seulement de tenir la Porte fermée, jusqu’à ce que son Maistre vinst luy-mesme donner ordre au reste. Cependant comme il n’avoit point à douter qu’il n’eust quelques Amis assez charitables pour luy vouloir rendre les derniers devoirs, il laissa un Portier pour les envoyer tous dans la Salle ; & afin de les recevoir en Mort d’importance, & qui sçavoit vivre, il y fit porter un Pasté de Lievre, quelques Jambons, & force Bouteilles de Vin. On osta en mesme temps le jour des Fenestres, & la Salle ne demeura éclairée que par des Flambeaux. La lueur n’en estoit pas assez forte pour laisser voir tout d’un coup la Table couverte, ny le visage du Cavalier qui en prétendoit faire les honneurs. Ainsi trois des plus zélez estant venus d’abord de compagnie entrerent dans cette Salle, comme dans un lieu lugubre, où il n’y avoit qu’à soûpirer. Jugez de la surprise qu’ils eurent, quand le Cavalier s’avançant vers eux, leur dit fort piteusement qu’ils voyoient un pauvre Mort qui ne pouvoit se résoudre à s’aller confiner pour toûjours dans l’autre monde, sans avoir pris congé d’eux le verre à la main. Ils reconnurent plutost sa voix, qu’ils ne distinguerent son visage, les lumieres estant toutes sur la Cheminée. On les en tira aussitost pour les mettre sur la Table, où ils ne sçavoient que penser de voir un Pasté qui les attendoit. Ils auroient pris le prétendu Mort pour un Fantôme, s’ils ne luy eussent veu faire toutes les actions d’un Vivant. Il mit le couteau dans le Pasté, en coupa des tranches, demanda du Vin, but à la santé de ses Amis, et les pria de se réjoüir. Ses Amis se regarderent d’abord sans luy répondre, mais enfin ils burent & mangerent comme le Mort. Il leur dit de la maniere du monde la plus plaisante, que la cerémonie de son Enterrement ne pressoit pas, qu’il en reculeroit l’heure autant qu’ils voudroient, & qu’ayant provision de bon Vin, il seroit ravy qu’ils en voulussent boire jusqu’au soir. Ils luy demanderent ce que signifioient les Billets distribuez, & le dessous de sa Porte tendu de noir. Il leur protesta qu’il n’en sçavoit rien, & qu’il attendoit le Crieur pour s’en éclaircir. Autres Amis, & nouvelle Comédie. Le rang des Personnes qui entroient, régloit le compliment qui leur estoit fait par le Cavalier ; & la surprise de trouver un Mort de si bonne humeur, se terminoit chaque fois à prendre un verre, & à rire avec luy de ce qu’on l’enterroit sans qu‘il en sçeust rien. Enfin on vint dire que le Crieur arrivoit. On le fit entrer comme les autres. Il estoit en Habit de fonction, & ne connoissant point le Cavalier, il ne pouvoit cacher son étonnement de voir tant de réjoüissance chez un Mort. C’est ce qui luy estoit nouveau. Il vouloit sortir, & on avoit peine à luy faire entendre raison sur une razade qu’on luy présentoit, quand le Cavalier luy dit que la fatigue d’aider à faire descendre un Corps, demandoit des forces, & qu’il luy conseilloit de se servir de l’occasion. Le Crieur qu’on mit dans la necessité de demeurer, s’humanisa, puis qu’on le vouloit, & surpris de voir tant de gayeté dans un si lugubre rencontre, il demanda quel Homme estoit le Défunt, qu’on témoignoit regreter si peu. Le Cavalier fut prompt à répondre, & dit que c’estoit un bon Vivant, qui ayant promis à ses Amis de les régaler mesme apres sa mort s’il le pouvoit, faisoit ses efforts pour ne leur pas manquer de parole. Cette réponse n’éclaircit point le Crieur, qui pressé de dire par quel ordre il avoit fait distribuer les Billets, fit le portrait de celuy qui luy avoit parlé le jour précedent adjoûtant qu’il ne pouvoit en dire le nom, mais qu’il luy etoit fort connu de visage, & qu’apres luy avoir donné le Mémoire d’un Cavalier mort subitement, il s’estoit reposé des Billets & de la Tenture sur ses soins. Ce fut là le dénoüement de la piece. Le Cavalier reconnut son Parent à cette peinture, & s’estant fait apporter du papier, il luy écrivit ce Billet.

Je mourus hier au matin d’apopléxie, & on m’enterre aujourd’huy, comme vous sçavez. Je serois fâché de vous en dédire, mais j’ay une amitié si tendre pour vous, qu’il m’est impossible de consentir à estre enterré, si je n’ay la joye de vous embrasser auparavant. Je vous attens le verre à la main. Venez sur l’heure, si vous ne voulez chagriner quantité d’honnestes Gens qui s’impatientent de voir retarder l’heure du Convoy.

La lecture qui fut faite de ce Billet, réjoüit fort toute l’Assemblée. On détrompa le Crieur, qui avoit déja commencé à ouvrir les yeux. Quoy qu’on l’eust payé, il se plaignit de ce qu’on l’avoit pris pour dupe. Le Cavalier demanda quelle satisfaction il vouloit qu’il luy en fist, & s’il prétendoit qu’il mourust exprés pour luy faire avoir le plaisir de l’enterrer. L’Autheur de la piece ne s’estant point trouvé chez luy, on y laissa le Billet, & le Cavalier passa le reste du jour à se divertir avec ses Amis. Je n’ay point sçeu comment son Parent s’estoit tiré d’affaire avec luy ; mais je suis persuadé que cette plaisanterie aura de la suite, & que le Mort ne sera pas ressuscité pour luy laisser l’avantage du Défy.

A Iris malade, Madrigal §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 141-142.

On peut dire en quelque sorte d’une fort aimable Personne, qu’elle est aussi ressuscitée depuis peu. Sa beauté la rend fort propre à faire un Heureux ; & comme on luy a toûjours veu donner de l’amour sans qu’elle ait encor paru en prendre, voicy ce que Mr la Tournelle de Lyon a fait pour elle, quand la Fiévre qui avoit presque fait desesperer de sa vie, a diminué.

A Iris malade.

Madrigal.

VOus vous plaignez avec excés
Que dans le fort de vostre accés
Un feu violent vous consume ;
Si vous sentiez pour un moment,
Iris, celuy qu’Amour allume,
Vous vous plaindriez bien autrement.

Contre l’Amour. Sonnet §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 142-144.

L’indiférence de la Belle dont je vous parle, ne sera pas condamnée, si nous en voulons croire ce Sonnet de Mr l’Abbé de Rotrou.

Contre l’Amour.

Sonnet.

SAges, fuyez l’engagement.
Les premiers soûpirs de tendresse,
Par un étrange changement,
Sont les derniers de la Sagesse.

***
Que je plains le sort d’un Amant,
Que se flatant dans sa foiblesse,
Achete un plaisir d’un moment
Par des mois entiers de tristesse !

***
Il est vray qu’estant amoureux,
Et pres de l’objet de ses vœux,
On croit joüir du bien supréme.

***
Mais tous les plaisirs de l’Amour,
Quand un cœur revient à soy-mesme,
Ont un bien funeste retour.

[Festes de Pezenas] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 144-170.

En vous parlant de la Feste qui se fit à Pézenas, pour la Publication de la Paix d’Espagne, je vous entretins de la politesse & du bon goust de ses Habitants. Ce que j’ay à vous en dire aujourd’huy, vous fera connoistre qu’ils sont magnifiques en toutes choses. L’avis qu’ils eurent que le R.P. General de l’Ordre de Saint François devoit passer par leur Ville le Samedy huitiéme d’Avril, fit qu’on se prépara à le recevoir. Outre les riches Tapisseries nouvellement venuës de Paris, qui furent tenduës dans l’Eglise, on fit des avenuës depuis le grand Portail jusqu’à l’entrée du Convent. La distance en est de douze cens pas. Diverses Tapisseries formerent dans le milieu une large Ruë couverte. Un nombre infiny de Lustres de cristal l’éclairoit, & elle estoit jonchée, ainsi que l’Eglise, de toute sorte de fleurs. On entroit dans cette grande Galerie par un Arc de Triomphe remply de mille Figures de carton doré, avec des Devises Latines, Françoises, & Espagnoles. Toutes les Dames de la Ville y estoient assises en attendant l’arrivée de ce General. Il vint sur les cinq heures du soir, & si-tost qu’on eut nouvelles qu’il s’approchoit, toute la Communauté qui estoit de soixante & quinze Religieux, alla au devant de luy jusqu’à l’entrée d’un Pont qui est entre la Ville & le Convent. Le Provincial l’y reçeut, & il fut en suite conduit processionnellement dans l’Eglise par cette belle avenuë. Il passa de là dans une Galerie, parée & éclairée comme l’autre, qui le conduisit jusqu’au Dortoir, & de là, dans une Chambre dont la propreté, ou plûtost la somptuosité, l’étonna. Mr le Chastelain suivy d’un grand nombre de Gentilshommes l’y complimenta. Il avoit esté reçeu à l’entrée au Dortoir, par ce General, qui apres une tres-belle réponse pleine de remercîmens, le remena jusqu’à la porte du Convent. Les Consuls accompagnez de quantité de Bourgeois parurent en suite. Mr Pons premier Consul, le harangua en Latin avec une éloquence merveilleuse. Il répondit en la mesme Langue, & les ayant engagez à un quart-d’heure de conversation particuliere, il les pria, comme il avoit fait le Chastelain & la Noblesse, d’estre du Soupé qu’il avoit sçeu que la Ville luy faisoit l’honneur de luy donner. Il fut servy dans une grande Salle aussi ornée que la Chambre. Elle estoit éclairée de six Lustres, & de quantité de Flambeaux sur les Buffets. Il y eut une si grande profusion de poisson au premier service, qu’il sembloit ne pouvoir estre suivy d’un second. Cependant il fut relevé par deux autres, qui contenoient tout ce que la Mer peut produire de plus rare & de plus exquis. Le fruit répondit à cette magnificence, & rien ne pouvoit estre mieux ordonné. Le Soupé estant finy, on amena ce General sur un grand Balcon, d’où il pouvoit regarder la Ville. Il estoit tapissé, & on avoit mis quantité de grands Vases de fleurs tout autour. Il n’eut pas plûtost paru sur ce Balcon, qu’une longue décharge de Boëtes se fit entendre. Ce bruit fut suivy d’un Feu d’artifice. Un nombre presque infiny de Fusées qui en sortirent de cent endroits diférens pendant trois quarts d’heure, forma un Spectacle tres-divertissans. Le lendemain il partit de Pézenas au bruit des Boëtes, & à la veuë de la plus belle Compagnie de la Ville, apres avoir écouté les plaintes de plusieurs Personnes, & rendu justice sur les choses dont la connoissance luy apartenoit.

Ce mesme jour, c’est à dire, le jour du départ de ce General, Mr l’Abbé de la Plagne chanta sa premiere Messe dans l’Eglise de Saint Jean. Elle estoit tapissée par tout d’une Haute-lisse qu’on ne peut voir sans en admirer la beauté & la richesse. C’est un présent que Mr l’Evesque d’Agde a fait aux Peres de l’Oratoire de Pézenas. Il y avoit pour deux cens mille Ecus d’argenterie sur le Maistre-Autel, avec une prodigieuse quantité de Cierges d’une grandeur excessive ; & comme on avoit fermé toutes les ouvertures de cette Eglise, elle estoit éclairée par six rangs de Lustres, douze à chaque rang, & par un fort grand nombre de Plaques à tous les costez. On avoit dressé deux Amphithéatres pour la Musique, composée des plus belles voix de la Province qu’on avoit fait venir exprés, d’un grand nombre de toute sorte d’Instrumens, & de quantité de Violons. Apres qu’on eut placé tous les Conviez, Mr l’Abbé de la Plagne monta à l’Autel, qui estoit élevé comme un grand Trône. Il y avoit vingt-quatre degrez qui alloient en diminuant, avec une distance de dix pieds de six en six, jonchez de fleurs ainsi que l’Eglise, & couverts d’une tres-belle Tapisserie. Il avoit pour Assistans Mrs les Abbez le Brun, de Bancire, & de Durand. La Messe fut celebrée avec toutes les solemnitez imaginables. La Musique estoit charmante, & il ne se peut rien entendre de plus juste. Sur tout, le Corps qui a accoûtumé de chanter aux Etats, s’y fit admirer. Apres l’Evangile, on fit la cerémonie de l’Offrande. Elle est de l’usage. La libéralité des Conviez y parut. Mrs les Abbez de Guy, Darnaud, de Dullac, de Saint Michel, & plusieurs autres Eclesiastiques, donnerent chacun une Piece de quatre Pistoles. Ils furent suivis de Mr Cellier, Pere de Mr le Marquis de Malavielle, si connu à la Cour, & par son mérite, & par les avantages de sa Personne. Il tenoit la place de Mr Vauquet son Beaufrere qui estoit le Parrain, & qu’une fâcheuse indisposition retenoit chez luy. Il donna trois Pieces de quatre Pistoles, aussi bien que Mr de Cochy, Mr Degna, & Mr Vassal, Baron des Peyrals. Les Dames ne furent pas moins libérales. Madame Vauquet parut la premiere, & apres elle, Madame Cellier sa Sœur, Mesdames de Cochy, Degna, Vassal, de Paulinier, Mesdemoiselles de Sors, de Barral, Cellier, & une infinité d’autres. La Messe finie, Mr l’Abbé de la Plague monta en Chaise, & prêcha sur l’Evangile du jour. Il en établit les Veritez avec une éloquence & une force d’esprit admirable. On se rendit de là chez Mr Vauquet, où un fort grand Repas estoit preparé pour tous ceux qui avoient esté priez de cette Cérémonie. Les Violons joüerent pendant le Dîner, & on ne sortit de Table qu’à l’heure de Vespres. Chacun s’empressa de s’y trouver pour estre à l’arrivée des nouveaux Consuls qu’on fait toûjours ce jour-là. C’estoit le Dimanche de Quasimodo. Voicy de quelle maniere la marche se fit. Quatre Compagnies à cheval, & douze de pied de Bourgeois ou Gens de Métier, partirent de l’Hôtel de Ville dans un ordre merveilleux. Leur équipage estoit fort galant. Ils avoient presque tous des Plumes & des Echarpes, avec une infinité de Rubans de toutes couleurs. La Cavalerie en avoit garny les oreilles & la queuë des Chevaux. Une Compagnie à pied de jeunes Gens de qualité, marchoit apres eux. Ils estoient tres-propres, vétus en Bergers, & avec des couronnes de fleurs sur la teste. On voyoit ensuite Mr le Chastelain à la droite du premier Consul, suivy de plusieurs Personnes de marque, & d’une foule innombrable de Bourgeois & de menu Peuple. Douze Trompetes, douze Tambours, & autant de Violons & de Hautbois, précedoient cette Noblesse. On ne peut rien entendre de plus charmant qu’estoit leur Concert. On vint dans cet ordre à la Paroisse. Les Vespres & le Te Deum y furent chantez par les deux grands Corps de Musique du matin ; apres quoy Mr le Procureur du Roy fit prester le serment de fidelité aux nouveaux Consuls. Cela fait, le Concert des Trompetes, des Tambours, des Hautbois, & des Violons recommença, & toutes les Compagnies défilerent vers l’Hôtel de Ville. Dans cet équipage, qui n’estoit pas moins galant que cavalier, elles allerent rendre leurs devoirs à Mr le Cardinal de Bonzi, arrivé depuis demy-heure chez Mr le Président Dreulet de Toulouse, qui se trouvoit depuis quelque temps à Pézenas avec Madame la Marquise de Montlaur sa Bellemere. Mr de Bonzi, avec qui Mr Dreulet & quantité de Personnes de qualité estoient, les vit passer en reveuë, sur un Balcon fort paré de fleurs. Le Chastelain y monta avec les Consuls, pour luy faire compliment. Ce Cardinal les reçeut avec beaucoup de civilité ; & leur ayant témoigné la satisfaction qu’il avoit de la galanterie de cette Feste, il monta en Carrosse un moment apres pour aller coucher à son Abbaye de Valmagne. Ceux que je viens de nommer se rendirent à l’Hôtel de Ville. Le reste des Cerémonies accoûtumées y fut observé, & ils allerent de là terminer la solemnité du jour par un somptueux Repas, que leur donna Mr Chassein, Intendant pour Mr le Prince de Conty dans son Comté de Pézenas. C’estoit luy qui avoit esté fait premier Consul. Il se trouva une fort grande quantité de Noblesse au Régal qu’il avoit fait préparer ; & afin qu’il ne manquast rien à cette Feste, toutes les Dames furent priées de se rendre le soir chez Madame de Fesquet. C’est une Personne tres-accomplie, qui a une Maison des plus propres, & des mieux meublées de la Ville, & dont la Salle est extrémement commode pour un grand Bal. Elle avoit bien voulu la prester à Mr Chassein. Les Dames y vinrent richement parées, & toutes brillantes de Pierreries. Madame la Chastelaine s’attira l’admiration de l’Assemblée avec ce grand air qui soûtient si noblement sa beauté. Mesdames de S. Martin, Dégraves & de Fontés, quoy que superbement habillées, y parurent encor plus charmantes par elles mesmes, que par la magnificence de leurs Habits. Mesdames Cellier & Vauquet ne se firent pas moins distinguer, & on ne peut estre dans un équipage plus propre, ny plus galant que l’estoient Mesdames de Carlencas, de Vassal, de Paulinier, de Fesquet, de Barres, de Boüet, & plusieurs autres. La Femme d’un Capitaine de Picardie nommé Mr Vert, ne fut pas un des moindres ornemens de cette Assemblée. Elle estoit habillée négligemment, à cause de l’inquiétude où elle est sans cesse pour l’absence de son Mary ; mais cette négligence ajoûtoit quelque chose de si touchant à son air doux & délicat, qu’on peut dire qu’elle ne luy estoit pas desavantageuse. Les Filles faisoient un Cercle à part, toutes dans une magnificence admirable. C’estoient Mesdemoiselles de Pujol, de Barres, de S. Ceries, de S. Martin, de Vairas, de Sors, de Cellier, de Juvenel, de Mounié, de Mafre, de Brunel, de Gua, & de Faurier. Si-tost que ces aimables Personnes furent arrivées, les Violons se placerent, & Mr Chassein s’adressant à Madame la Chastelaine, la pria de vouloir estre la Reyne du Bal. Elle ne put se dispenser d’en faire & d’en recevoir les honneurs. On dança, on dit cent choses agreables, & apres quelques heures employées à se divertir, on passa dans une Chambre, où une magnifique Collation attendoit les Dames. Le Régal fut un Ambigu servy avec toute la propreté imaginable. On mangea longtemps, on rit, on chanta, & quand on se préparoit à se séparer, on vit paroistre douze petits Bergers aussi galamment vétus qu’on le puisse estre. Ils portoient deux à deux une Corbeille remplie de toute sorte de Confitures. Les Belles s’en accomoderent tres-bien, & il ne s’en fit jamais une si grande profusion. On n’eut pas si-tost vuidé les Corbeilles, qu’on en vit une autre dans les mains du petit Chastelain, qui estoit l’un des douze Bergers. Elle estoit petite, mais d’un ornement singulier. Force rubans, de toutes couleurs formoient une agreable varieté pour la veuë, & laissoient entrevoir des Oranges seches confites qui remplissoient cette derniere Corbeille. Il y avoit une Orange pour chaque Dame. Le jeune Berger les présenta à la Reyne du Bal, qui ayant pris celle qui estoit au dessus de la Pyramide, s’aperçeut qu’il en sortoit le bout d’un Papier noüé d’un fort beau Ruban couleur de feu. Son nom estoit écrit sur ce papier. La mesme chose des autres Oranges. Des Rubans de diférentes couleurs, tenoient un Billet attaché à toutes, & le nom de chaque Belle à qui on destinoit ces Oranges, estoit écrit sur chaque Billet. La Reyne du Bal les distribua selon les noms qu’elle vit écrits. Les Billets estoient de fort galans Madrigaux, dont la lecture finit les plaisirs de cette Feste.

Paroles sur l’Ouverture de l’Opéra de Bellérophon §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 182-185.

Je suis ravy qu’on vous ait fait entendre, comme vous me le mandez, l’ouverture de l’Opéra de Bellérophon. Quoy que tous les Airs que Mr de Lully a faits dans cet Opéra pour les Violons, soient admirables, celuy-là est particulierement estimé. Comme apparemment vous l’aurez retenu pour le chanter, je vous envoye des Vers qui ont esté faits sur cet Air, par une Personne de qualité.

Paroles sur
l’Ouverture de l’Opéra de Bellérophon.

    Soûpirez, mais sans espérer,
Mon cœur, c’est à présent assez de l’adorer.
        Si vostre amour
        Paroist au jour,
        Disposez-vous
        A son couroux.
        Sa jeune pudeur
        Craint vostre ardeur,
        Et fréquemment
Luy peint un Ennemy dans un Amant.
Laissons couler quelque Printemps ;
        Avec le temps
Le feu caché qui dans son ame dort,
        Sera plus fort.
L’Amour est seûr comme la mort,
    Et ne perd point ses droits
De tout asservir à ses Loix.
C’est vainement qu’une Beauté
    Affecte la fierté,
    Et s’arme de severité.
Il sçait par un subtil poison
    Combatre la Raison,
Et la Nature a des ressors
Qui soûmettent l’Esprit au Corps.
Sortez, soûpirs, mais sans bruit,
Voyons meurir ce beau fruit,
Et laissons venir l’odeur
        A cette Fleur.
Ce que nous aurons attendu
Ne sera pas un temps perdu,
Et la mesure des plaisirs
        Suit les desirs.

[Arrests donnez à Vincenne contre plusieurs Empoisonneurs, avec plusieurs Remarques curieuses sur ce sujet] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 185-206.

La nouvelle Chambre établie à Vincennes pour le crime du Poison, a commencé à donner des marques de la promptitude de sa justice par la punition de plusieurs Coupables. La penétration des Juges à découvrir la source du mal, jointe à la vigilance qu’ils y apportent, leur en fera sans doute couper la racine. Rien n’égale la surprise avec laquelle tout le monde a vû la conviction d’une partie des Accusez par leur suplice. C’est une preuve que les Empoisonneurs ont esté rares de tout temps en France, puis qu’on ne s’étonne point de ce qu’on voit arriver ordinairement. Cependant ce n’est pas d’aujourd’huy qu’on parle de Poison chez les autres Nations. On en a vû de tristes effets à Rome au commencement du cinquiéme siecle de sa Fondation, c’est à dire, un peu apres que Manlius Torquatus eut fait couper la teste à son Fils, pour avoir combatu contre ses ordres. Voicy ce que Tite-live en dit dans le huitiéme Livre de sa premiere Décade, selon la Traduction de Mr de Ryer.

L’Année qui suivit fut honteuse & déplorable, ou par l’intempérance de l’air, ou par la malice humaine, sous le Consulat de Marcus Claudius Marcellus, & de C. Valerius, qui est surnommé dans les Annales, tantost Flaccus, & tantost Potitus ; mais cela est de peu de conséquence, & je souhaiterois plutost (comme tous les Autheurs n’en demeurent pas d’accord) qu’il fust faux qu’on eust empoisonné ces Consuls, dont la mort deshonnora cette année. Il faut toutefois dire la chose ainsi qu’elle a esté rapportée, pour ne pas rendre suspects les Autheurs qui en ont parlé, & que mon silence ne fasse pas croire que j’aye méprisé ce qu’ils ont dit. Comme les plus Grands de la Ville mouroient de mesme maladie, & presque tous de la mesme sorte, une Fille Esclave vint trouver Q. Fabius Maximus qui estoit Edile, & luy dit qu’elle luy découvriroit la cause de ce mal public, à condition qu’il luy donnast sa parole que son témoignage ne luy nuiroit point. En mesme temps Fabius en alla avertir les Consuls, qui en firent leur raport au Sénat, & d’un commun consentement le Sénat accorda à cette Esclave la seûreté qu’elle demandoit. Alors elle leur découvrit que ce qu’on croyoit une peste, estoit un effet de la malice des Femmes ; que les Dames Romaines préparoient tous les jours des Poisons ; & que si on la vouloit faire suivre, on découvriroit la verité de ses paroles. On suivit donc cette Esclave. L’on surprit quelques Femmes qui faisoient cuire des Poisons, & l’on trouva quantité de drogues cachées que l’on apporta dans la Place. On y fit aussi amener vingt Dames Romaines chez qui on les avoit trouvées. Il y en eut deux de Maison Patricienne, l’une appellée Cornelie, & l’autre Sergie, qui voulurent soûtenir que ces médicamens estoient des remedes pour la santé ; mais parce que la Délatrice leur soûtenoit le contraire, on leur ordonna de boire ces breuvages pour la convaincre d’une fausse accusation. Elles prirent quelque temps pour en conférer ensemble ; & apres avoir fait un peu éloigner le Peuple, & qu’aux yeux de tout le monde elles eurent fait sçavoir aux autres Femmes la résolution qu’elles avoient prise, il n’y en eut pas une qui y resistast. Eles bûrent ces breuvages, & moururent toutes par leur propre crime. On se saisit en mesme temps de leurs Complices, qui en découvrirent quantité d’autres, & l’on en punit cent soixante & dix. Il ne s’estoit point parlé jusque-là de poison, ny d’empoisonnemens dans Rome. Aussi considéra-t-on cela comme une chose prodigieuse, & qui estoit plutost un effet de quelque rage, que d’une malice prémeditée.

Ce ne fut qu’en ce temps-là qu’on commença d’ordonner des peines contre ceux qui se servoient de Poison. L’usage en fut si commun chez de certains Peuples, que plusieurs Femmes ayant esté convaincuës d’en avoir donné à leurs Marys, on y établit une Loy par laquelle toutes celles qui leur survivoient, estoient obligées de se laisser brûler vives dans le mesme bucher où l’on consumoit leurs corps. On prétendoit que la crainte d’une si cruelle mort, les engageroit à prendre soin de conserver leurs Marys. Cette coûtume s’observe encor aujourd’huy vers l’Indostan ; & le celebre Mr Bernier en raporte des exemples fort récens dans ce qu’il a fait imprimer de ses Voyages.

Les peines des Empoisonneurs ont esté diverses selon les Royaumes. Les Perses leur brisoient la teste contre une pierre. Le témoignage de Plutarque y est exprés. Il rapporte dans la Vie d’Artaxerxe, que Parisiatis sa Mere ayant fait empoisonner Statira sa Bru, par l’entremise d’une de ses Dames d’honneur nommée Gigis, ce Prince relégua sa Mere à Babylone ; & l’égard de Gigis, il voulut qu’on luy fist mettre la teste sur une pierre plate, & qu’on la luy écrasast avec une autre. Ceux de basse condition, au raport du Jurisconsulte Marcian, estoient attachez en croix, & ce fust ainsi que l’Empereur Galba fit mourir un Curateur qui avoit empoisonné son Pupille afin de s’emparer de son bien. On faisoit perdre la teste aux plus notables, & on en exposoit quelques-uns aux Bestes. Ce crime est si exécrable, que beaucoup soûtiennent qu’il suffit de la volonté pour estre puny, quoy qu’elle n’ait point esté suivie de l’effet. Cela doit s’entendre apparemment, quand le Poison ayant esté préparé, ceux à qui on le destinoit se sont garantis heureusement de le prendre.

La Femme qui empoisonne son Mary, est punissable du feu. En 1585. une jeune Femme de Paris nommée Marie le Juge, petite Fille d’un Marchand, s’estant défaite de son Mary par poison pour un soufflet, fut penduë, & brûlée en suite.

Les Empoisonneurs ne sont pas seulement punis de mort, mais encor ceux qui vendent ou distribuent des Poisons. On lit dans le troisiéme Volume de Monstrelet, qu’en 1462. Jean Constein Sommelier du Duc Philippes de Bourgogne, fut pris & mené à Ripemonde, pour avoir voulu empoisonner le Comte de Charolois seul Fils légitime de son Maistre. Il s’estoit adressé à un pauvre Gentilhomme Bourguignon, nommé Jean d’Ivy, pour luy acheter du Poison en Piémont. La trahison fut connuë, & on leur coupa la teste à l’un & à l’autre.

Le venefice peut estre divisé en deux especes. L’un est du simple Poison employé pour faire mourir quelqu’un, & l’autre quand l’invocation du Démon donne de la force à quelque venin caché. C’est par là que le Parlement de Paris ne punit pas les Sorciers comme Sorciers, mais seulement comme Empoisonneurs, parce que tout le mal qu’ils font n’est que l’effet des venins que leur fournit le Démon pour exercer leurs méchancetez. Ainsi les Sorciers comme Empoisonneurs sont punis de mort, & sur tout du feu, aussi-bien que ceux qui répandent du venin dans les Lieux publics. Nous en avons un exemple dans la quatriéme Partie des Annales d’Aquitaine de Bouchet. Il dit que du regne de Philippe le Long, les Lépreux ayant pris de l’argent des Juifs qu’on avoit chassez de France, empoisonnerent les Puits, & les Fontaines de tout le Royaume. Quantité de personnes en moururent, & sur les informations qu’on en fit, plusieurs Lépreux pris à Narbonne & ailleurs furent brûlez.

Pendant que Philippe II. regnoit en Espagne, il s’y trouva un Homme qui composoit du Poison d‘une telle force, que ceux, sur langue de qui il en mettoit un moment, mouroient toûjours quelques jours apres. Il se disoit Astrologue, & au lieu que les autres qui se meslent de prédire l’avenir regardent les mains, il vouloit voir & toucher la langue. Il trempoit un doigt dans ce Poison pour ceux qu’il avoit dessein de faire mourir, & ne le trempant point pour les autres, il leur prédisoit plus ou moins de vie, selon la maniere dont il les touchoit. La prompte mort des Empoisonnez justifioit ses prédictions, & elles se trouvoient si justes, qu’on ne doutoit point qu’il n’eust des connoissances extraordinaires. Il se servit du mesme poison contre un Neveu du premier Medecin du Roy. C’est ce qui causa sa perte. Le Medecin qui connoissoit la bonne constitution de son Neveu, ne put le voir mourir ainsi tout à coup, sans croire que ce n’estoit pas un accident naturel. On arresta le faux Astrologue, & l’accusation fut si vivement poussée, qu’il fut contraint d’avoüer son crime. Il l’expia par un suplice des plus cruels, l’interest public demandant qu’on en fist un grand exemple.

Je finis cet Article par où je l’ay commencé, c’est à dire, en faisant encor parler Tite-Live. Voicy ce qu’il dit dans le dixiéme Livre de sa quatriéme Décade. Cependant on apporta des Lettres de la part du Préteur C. Menius à qui la Sardaigne estoit escheuë, & à qui l’on avoit donné la commission d’informer des empoisonnemens à dix milles aux dehors, & aux environs de Rome. Il mandoit qu’il avoit déja condamné trois mille personnes, & que neanmoins on faisoit tous les jours de nouvelles délations ; que partant il falloit qu’on le déchargeast de cette commission, ou qu’il renonçast au Gouvernement. On peut voir par là que le Poison a esté de tout temps en usage à Rome. Il est certain qu’il n’y faisoit pas moins de bruit il y a fort peu d’années, qu’il fait presentement à Paris. Plusieurs Femmes furent penduës sur la fin du Pontificat d’Alexandre VII. & sous celuy de Clement IX. Elles distribuoient un breuvage appellé Aquetta de Sicilia. Il estoit comme de l’eau la plus claire, & ne faisoit aucune impression sur les corps. Ainsi on avoit beau les ouvrir apres la mort. On n’y voyoit rien qui fist connoistre ce qu’on soupçonnoit.

Sonnet. §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 206-208.

Tous les Poisons, quoy que dangereux, ne sont pas toûjours à éviter. Il en est d’agreables qu’on fait prendre par les yeux, & c’est de ceux-là que parle Mr Cousinet dans le Sonnet que je vous envoye. Il est Fils du Maistre des Comptes de Paris qui porte ce nom.

Sonnet.

Vous condamnez, Philis, la fureur exécrable
De ces Monstres affreux qu’on retient en prison,
Pour estre convaincus du crime de Poison ;
Cependant envers moy vous en estes coupable.

***
Mais ce crime est si beau, qu’il vous est pardonnable,
Je ne vous blâme point de vostre trahison,
Vous avez un secret hors de comparaison ;
Plus vous m’empoisonnez, plus je vous trouve aimable.

***
Ce Poison m’est si doux, que je veux m’en nourrir ;
Quand on en est atteint, on n’en veut point guérir,
Il se glisse par tout, il n’épargne personne.

***
On en prend tost ou tard, & chacun a son tour ;
Si vous estiez d’humeur d’en prendre quelque jour,
Souffrez que ce soit moy, Philis, qui vous en donne.

[Réjouissances faites en Franche-Comté sur la Paix d’Allemagne] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 208-211.

Il y a tant de gloire à estre au Roy, que les Peuples de la Franche Comté semblent ne pouvoir trop faire éclater la joye qu’ils ont d’estre demeurez François. Ainsi le 12. de ce Mois, le Te deum fut chanté à Besançon en réjoüissance de la Paix ratifiée avec l’Allemagne. Les deux Chambres du Parlement qui consistent en quarante Conseillers & trois Présidens, y assisterent en Corps. Mr de Montauban Lieutenant de Roy, n’ayant pû s’y trouver à cause de sa maladie, celuy de la Ville prit sa place avec Mr de Chavelin Intendant de la Province. Les Chanoines y estoient dans leurs Habits de cerémonie avec leurs Soutanes violetes. Les Officians estoient mitrez. Sur le soir la Garnison de la Ville monta la Citadelle. Mr le Chevalier de Montaut qui en est Gouverneur, fit faire trois Salves Royales de soixante Pieces de Canon, & l’Infanterie fit aussi sa décharge dans le mesme temps. Toutes les Fenestres estoient éclairées d’un flambeau avec des lanternes où les Armes du Roy paroissoient. Les Canons des Bastions des dehors firent aussi trois Salves. Tout le Monde cria Vive le Roy dans les Montagnes de Chaudanne qui sont à demy-lieuë de la Ville ; & dans celle de Brezille, il y eut des Feux de quarante charetées de bois. On en fit aussi dans tous les Carfours, & les Habitans donnerent du Vin à tous les Soldats qui en voulurent.

[Réjoüissances faites à Montoire sur le mesme sujet] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 211-218.

Les Réjoüissances n’ont pas esté moindres à Montoire. C’est une petite Ville du bas Vendomois, située sur la Riviere du Loir dans le plus beau lieu du Païs. Les Garnisons, & les fréquens passages des Gens de guerre l’avoient si fort désolée, qu’aussi-tost que la nouvelle de la Paix avec l’Empereur y fut reçeuë, on crut n’avoir plus de malheurs à redouter. Ce fut une joye universelle. On résolut de la signaler par quelque Feste extraordinaire. Elle fut arrestée au septiéme de ce Mois ; & comme il n’y avoit point de deniers publics pour en faire la dépense, Mr Neilz Magistrat de la Ville, & M Luneau Procureur du Roy, promirent aux Habitans qu’ils la feroient à leurs frais. On éleut les Officiers necessaires pour mettre sur pied quatre Compagnies d’Infanterie & une de Cavalerie, dont le commandement fut donné à ce dernier. L’expérience que les services qu’il a rendus au Roy pendant sa jeunesse luy ont fait acquerir dans les Armes, justifioit le choix qu’on en fit. Il y avoit trois Fleurs de Lys peintes sur le Drapeau de Cavalerie, avec ces paroles en lettres d’or, Lilia olivas ferunt. Sur le midy, les Habitans sous les armes s’estant tous rendus à leur Drapeau, la moindre Compagnie se trouva de cent quatre, tous bien faits, fort lestes, & la Cavalerie montée avantageusement. Ils sortirent dans la Plaine ayant leur Colonel à leur teste, & estant rentrez sur les cinq heures, ils se rangerent dans une Place tres-belle pour sa situation, unie, presque carrée, environnée de beaux Bâtimens, & plantée de plusieurs grands Ormeaux. Au milieu de cette Place qui est environ de deux arpens, estoit un magnifique Bucher, ayant sur son sommet de dix toises de hauteur, un Pavillon semé de Fleurs de Lys, le fond aurore, avec des paroles Latines qui faisoient voir que la Paix estoit l’ouvrage de Loüis le Grand. Devant l’Hôtel du Magistrat de la Ville, il y avoit une Fontaine qui jettoit du Vin de la hauteur de neuf pieds dans un grand bassin garni de lierre. Ce Magistrat estoit à sa porte en Robe, sous un tres-beau Portail. Les Troupes passerent en reveuë devant luy quand elles sortirent dans la Plaine, & elles firent alte au mesme lieu en revenant. Le Colonel & les Capitaines mirent pied à terre, & s’estant approchez de luy sous son Portail, Mr Prégent y prononça un fort beau discours sur la Paix. Le Magistrat luy fit une réponse tres éloquente, & marcha ensuite avec plusieurs Gens de robe qui l’accompagnoient au milieu des principaux Officiers, suivis des Troupes, vers la principale Eglise où tout le Clergé s’estoit rendu, au son des Trompetes, des Tambours, des Hautbois & des Violons. Le Te Deum fut chanté, & au retour de l’Eglise, on vint dans la Place où le Bucher estoit élevé. Mr Neilz y mit le feu, & fut reconduit par toutes ces Troupes, apres mille cris de Vive le Roy, suivis du son des Cloches, du bruit d’une infinité de Petards & de Fusées, & de la décharge de toutes les Armes.

[Cerémonies observées à l’Anniversaire de Loüis XIII] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 218-221.

La rencontre du Dimanche a fait remettre cette année au Lundy 15. de ce mois, l’Anniversaire du feu Roy Loüis XIII. qui se fais tous les ans le 14. de May, dans l’Eglise de l’Abbaye de S. Denys en France avec de fort grandes cerémonies. La Messe y est toûjours celebrée par un Evesque, & elle l’a esté cette année par Mr l’Abbé du Laurens, nommé à l’Evesché de Bellay. C’est luy qui a esté éleu General de l’Ordre de Cluny, dans le dernier Chapitre General qui s’est tenu il y a quelque temps au College qui porte ce nom. Voicy ce qui se passe dans l’Anniversaire dont j’ay à vous entretenir. L’Eglise est toute tenduë de deüil, & il y a deux lez de Velours tout du long du Chœur, où font attachées des Armes de France, avec une fort grande quantité de lumieres. La Messe est chantée par les Religieux tous en Chapes, & par la Musique du Roy. Un grand nombre d’Officiers de Sa Majesté qui reçoivent tous l’ordre de Mr de Saintot, assistent à cette cerémonie aussi bien que les Chanoines & les Récolets de Saint Denys. On choisit douze Pauvres, qui se trouvent avec un Cierge à la main, & on leur donne à chacun une piece d’Etofe, une paire de Souliers, & un Ecu. La Messe finie, l’Aumônier du Roy donne l’aumône à tous ceux qui la veulent recevoir. Ils s’y rencontrent ce jour-là en tres-grand nombre. Mr l’Abbé de S. Vallier, Frere du Capitaine des Gardes de la Porte, a fait cette distribution cette année.

Lettre ecrite de Suede, sur la maladie de sa Majesté Suédoise §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 226-235.

Cette mort a esté suivie de celle de Mr du Mesnil Docteur de Sorbonne. S’il y a de la grandeur d’ame à faire paroistre de la fermeté dans ce terrible passage, on ne peut trop admirer celle qu’a fait éclater le Roy de Suede, dans la maladie dont il est enfin heureusement échapé. La necessité de mourir est assurément fâcheuse pour tout le monde, mais il semble qu’elle devoit l’estre encor davantage pour ce jeune Prince, qui estant né dans le Trône, se voyoit réduit à quiter la vie, en commençant à connoistre qu’il en joüissoit. Voyez dans la Lettre que je vous envoye, avec combien de constance il a envisagé les approches de ce qui fait trembler les plus intrépides.

Lettre
ecrite de Suede,
Sur la maladie de Sa Majesté
Suédoise.

JE ne puis laisser passer cette occasion, sans vous mander l’entier rétablissement de la santé du Roy de Suede, qui a esté si bas, que les Medecins en ont desesperé. Je ne doute point aussi que je ne vous fasse plaisir de vous mander le cours de sa maladie, & les beaux sentimens de ce Prince, lequel tomba malade le 26. de Mars, d’une fiévre qui augmenta de jour en jour jusqu’au 23. Pour cacher sa maladie, Sa Majesté se bottoit, & ne discontinuoit point d’assister aux Conseils ; mais la douleur la pressant d’une maniere à ne le pouvoir plus cacher, Elle avoüa qu’elle se portoit fort mal, & qu’elle se sentoit le cœur attaqué. Ce Prince se mit dont au Lit, & la fiévre venant à redoubler la nuit, accompagnée d’une chaleur intolérable, luy causa une grande oppression & battement de cœur. S’appercevant que sa fin approchoit, il songea à sa conscience, & satisfit à tous les devoirs de sa Religion avec une devotion sans exemple, car c’est un Prince qui a toûjours esté vertueux. En suite il envoya chercher son premier Prédicant, qu’il fit asseoir sur son Lit. Il luy dit qu’il voyoit bien qu’il falloit mourir ; qu’avant que de quitter le monde, il avoit voulu le remercier de tous les soins & peines qu’il avoit prises pour luy, & qu’estant dans l’impuissance de les reconnoistre, il prioit Dieu qui estoit si juste, de le récompenser. Apres cela, il le chargea de choses toutes tendres pour la Reyne de Suede, que je ne pûs pas bien entendre, à cause qu’il s’expliquoit en Suedois. Comme il vit tous ses Officiers & Genéraux autour de luy, il les remercia en termes fort obligeans des services qu’ils luy avoient rendus ; leur dit qu’il se souvenoit fort bien des dangers qu’ils avoient courus dans les Batailles, & qu’apres Dieu il en attribuoit à eux seuls les heureux succés. Il remercia de mesme les Officiers de sa Maison, s’étendit sur l’impuissance où il estoit de récompenser comme il souhaitoit leurs bons services, & leur marqua que c’estoit la chose qu’il regretoit le plus. Il demanda pardon s’il avoit chagriné quelqu’un ; pria ceux qui pouvoient se plaindre de luy, d’avoir égard qu’il estoit Homme comme eux, & qu’il avoit ses foiblesses, les assurant que s’il les avoit offencez, il n’en avoit jamais eu l’intention. Comme la douleur & le mal redoublerent : Il faut que j’avoüe, dit-il, que tout ce que j’ay souffert en cette guerre, n’approche en rien de tout ce que je souffre presentement, & que la guerre qui se fait dans mon cœur est bien plus rude & bien plus cruelle que celle que j’ay faite, & l’Ennemy qui m’attaque, bien plus terrible que tous mes Ennemis ensemble. Il pria Dieu d’avoir pitié & misericorde de luy, luy recommanda son Royaume, repétant plusieurs fois : Ah, pauvre Suede, que tu vas estre malheureuse, si Dieu ne te prend en sa protection ! Il regreta fort de la laisser en guerre, fit ressouvenir tous les Assistans de la maniere qu’il s’estoit attiré cette guerre, & de son bas âge ; qu’il n’y avoit pû apporter les remedes necessaires pour faire tourner autrement les choses. Comme il vit que tout le monde fondoit en larmes, il leur dit : Pourquoy vous affligez-vous ? Je ne suis pas tant à plaindre. Je sens que je suis un Enfant du Pere Eternel. Je n’ay jamais voulu de mal à personne. J’ay gardé ma foy à mes Alliez, & ma parole à mes Peuples. Enfin je n’ay rien à me reprocher. J’y aimé tendrement mes Sujets. Je me suis volontiers exposé pour leur salut. Vous aurez apres moy un Roy sage, mais jamais qui vous aime comme je vous ay aimez. Se ressouvenant que c’estoit l’heure de la priere, il fit entrer le Prédicant qui la vouloit racourcir ; mais il luy dit que ce n‘estoit pas le temps, qu’il n’en avoit jamais eu plus de besoin, & demanda à tous les Assistans de prier Dieu qu’il eust pitié de son ame. Les prieres finies, il s’entretint de la mort, témoignant qu’il ne la craignoit pas. Comme tout le monde le vouloit quitter, à cause que l’effort qu’il faisoit pour parler augmentoit son mal, il les rappella, & leur recommanda de le faire enterrer sans aucune magnificence ; que ce n’estoit pas le temps de faire des dépenses inutiles, qu’il n’avoit jamais aimé le faste, & qu’il desiroit estre enterré comme il avoit vescu. Apres il donna sa main à baiser, & accompagna l’adieu qu’il nous dit, de termes fort touchans & fort tendres. Quelque temps apres il luy prit une sueur qui dura bien deux heures. La douleur qu’il sentoit au cœur diminua. Il s’endormit, & en passa quatorze dans un sommeil fort tranquille. Sa fiévre se convertit en tierce, diminua d’accés en accés, & cessa enfin entierement. Ainsi voila la Suede délivrée d’une grande inquiétude. Imaginez-vous sa joye de voir ce jeune Monarque hors de danger, apres l’avoir veu agonisant.

Avoüez, Madame, qu’un Prince si jeune, qui a de si beaux sentimens, qui aime son Royaume & ses Sujets, qui garde sa foy à ses Alliez, & qui est d’ailleurs tres-brave, méritoit fort d’estre regreté.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 235-236.

La matiereI est triste. Je la quite pour vous faire part d’une seconde Chanson sur le retour du Printemps. Les Paroles sont de Mr l’Abbé Mallement de Messange.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par A la fin ces Deserts ont repris leur verdure, doit regarder la page 235.
A la fin ces Deserts ont repris leur verdure,
Et dans nos Bois mille charmans Ruisseaux
        Accordent au chant des Oyseaux
        Leur agréable murmure.
    Seul accablé d’un ennuy rigoureux
Causé par le mépris d’une Amante parjure,
    Pendant que tout rit en ces lieux,
J’entretiens ces Forests du tourment que j’endure.
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Les Oiseaux. Idille de Madame des Houlieres §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 236-243.

Je n’ay pû encor recouvrer les Vers qu’a faits Mr de Fontenelle, sur ce que Monsieur le Prince ne vit que de Lait. Ils méritent fort l’empressement que vous me témoignez de les voir. On me les promet dans quelques jours, & vous les aurez la premiere fois que je vous écriray. Il en est échapé si peu de Copies, que quoy qu’il y ait déja longtemps qu’ils sont faits, ils pourront estre nouveaux pour la plûpart de ceux qui lisent mes Lettres. Cependant je vous envoye ce que vous m’avez si expressément demandé pour vos Amies. C‘est le dernier Idille de Madame des Houlieres. Comme vous me fistes sçavoir que vous l’aviez veu dés qu’il fut fait, je négligeay de vous en faire un Article en ce temps là. Lisez de nouveau, & admirez. Les Ouvrages de cette Illustre ont des beautez si particulieres, qu’ils ne peuvent estre ny leûs trop souvent, ny conservez avec trop de soin.

Les Oyseaux.

Idille de Madame
des Houlieres.

L’Air n’est plus obscurcy par des broüillars épais,
Les Prez font éclater leurs couleurs les plus vives,
        Et dans leurs humides Palais
L’Hyver ne retient plus les Nayades captives.
Les Bergers accordant leur Musete à leur voix,
    D’un pied leger foulent l’herbe naissante ;
Les Troupeaux ne sont plus sous leurs rustiques toits ;
        Mille & mille Oyseaux à la fois
    Ranimant leur voix languissante,
Réveillent les Echos endormis dans ces Bois.
Où brilloient les Glaçons, on voit naistre les Roses.
Quel Dieu chasse l’horreur qui régnoit dans ces lieux ?
Quel Dieu les embellit ? Le plus petit des Dieux
    Fait seul tant de métamorphoses ;
Il fournit au Printemps tout ce qu’il a d’appas ;
        Si l’amour ne s’en mesloit pas,
        On verroit périr toutes choses.
        Il est l’ame de l’Univers.
        Comme il triomphe des Hyvers
Qui desolent nos Champs par une rude guerre,
D’un cœur indiférent il bannit les froideurs.
        L’indiférence est pour les cœurs
        Ce que l’Hyver est pour la terre.
    Que nous servent, helas ! de si douces leçons ?
    Tous les ans la Nature en vain les renouvelle ;
    Loin de la croire, à peine nous naissons,
    Qu’on nous apprend à combatre contre elle.
    Nous aimons mieux par un bizarre choix,
        Ingrats Esclaves que nous sommes,
Suivre ce qu’inventa le caprice des Hommes,
    Que d’obeïr à nos premieres Loix.
    Que vostre sort est diférent du nostre,
        Petits Oyseaux qui me charmez !
        Voulez-vous aimer ? vous aimez ;
Un lieu vous déplaist-il ? vous passez dans un autre.
On ne connoit chez vous ny vertus, ny defauts,
Vous paroissez toûjours sous le mesme plumage,
Et jamais dans les Bois on n’a veu les Corbeaux
    Des Rossignols emprunter le ramage.
        Il n’est de sincére langage,
    Il n’est de liberté que chez les Animaux.
L’usage, le devoir, l’austere bienséance,
Tout éxige de nous des droits dont je me plains,
Et tout enfin, du cœur des perfides Humains,
        Ne laisse voir que l’apparence.
Contre nos trahisons la Nature en couroux
        Ne nous donne plus rien sans peine ;
    Nous cultivons les Vergers & la Plaine,
Tandis, petits Oyseaux, qu’elle fait tout pour vous.
Les filets qu’on vous tend sont la seule infortune
        Que vous avez à redouter ;
        Cette crainte nous est commune,
Sur nostre liberté chacun veut attenter,
Par des dehors trompeurs on tâche à nous surprendre.
        Helas, pauvres petits Oyseaux,
Des ruses du Chasseur songez à vous défendre,
Vivre dans la contrainte est le plus grand des maux.

[Tout ce qui s’est passé à l’Académie Françoise] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 243-263.

Vous sçavez que Mr de Montmort, Doyen des Maîtres des Requestes, mourut il y a environ deux Mois. Il estoit l’un des quarante de l’Académie Françoise. Mr l’Abbé de la Vau, Garde de la Bibliotheque du Cabinet du Roy, Trésorier de S. Hilaire le Grand de Poitier, & Chancelier de l’Université de la mesme Ville, remplit aujourd’huy sa place dans cette celébre Compagnie. L’inclination qu’il a toûjours euë pour les belles Lettres, luy a fait acquerir des connoissances qui le rendoient tres-digne du choix qu’on a fait de luy. Il fut reçeu dans l’Illustre Corps dont je vous parle, le Jeudy quatriéme de ce Mois, & fit un Discours qui luy attira beaucoup d’applaudissemens. Comme les Portes sont ouvertes ces jours de reception, l’Assemblée fut considérable. Elle estoit composée d’un grand nombre de Personnes de qualité, & de gens infiniment éclairez. Monsieur le Duc de la Rochefoucaut s’y trouva. C’est un Juge compétent, dont l’esprit n’est pas moins élevé que la naissance. Mr l’Abbé de la Vau commença par les sentimens de reconnoissance qu’il avoit du choix que Mrs de l’Académie avoient fait de sa Personne pour remplir la place d’un Homme fameux par sa profonde érudition. Il leur dit modestement, Qu’ils avoient suposé en luy quelque mérite, parce qu’ils le voyoient revestu de la Charge d’un Homme de Lettres. Il adjoûta, Que sçachant qu’il demeuroit depuis plusieurs années au Louvre, où ils tiennent leurs Conferences si utiles au Public, ils s’estoient sans doute imaginez qu’il y avoit respiré un air qui ouvre l’esprit, & qui communique une partie des belles lumieres qu’ils venoient si souvent y faire éclater ; semblable à ceux qui en entrant autrefois dans le Temple de Dodonne, joüissoient aussi-tost du don de prophétiser. Il fit ensuite l’éloge de Mrs de l’Académie, parmy lesquels il ne voyoit que de grandes qualitez, soit qu’il les regardast en general, soit qu’en les examinant en particulier il considerast les uns dans les plus hautes dignitez de l’Eglise, & les autres dans les premiers Emplois de l’épée & de la robe. Il dit, Qu‘on ne devroit pas estre surpris de trouver en eux un mérite si extraordinaire, puis que leur établissement estoit l’Ouvrage du grand Cardinal de Richelieu, qui prévoyant ce que nous voyons aujourd’huy, pensoit à épurer & à enrichir une Langue que le Maistre sous qui nous vivons, rend si necessaire à toutes les Nations. Il acheva cet Article en faisant connoistre qu’il ne faloit point une autre preuve du veritable mérite de ce Cardinal, que de voir qu’il estoit impossible de l’oublier dans un Siecle qui faisoit oublier tous les autres Siecles. Apres avoir passé legerement sur Mr le Chancelier Seguier second Protecteur de l’Académie, il vint au Roy qui n’avoit pas dédaigné de prendre cette mesme qualité. Il dit, Que ce grand Prince qui ne peut rien faire de médiocre, apres avoir donné des marques d’une considération particuliere à ceux qui composent cette Compagnie, avoit voulu que le lieu de leurs Assemblées fust dans son principal Palais ; Qu’il faisoit encor pour eux ce que luy seul estoit capable de faire ; Qu’il leur donnoit une illustre & vaste matiere de se servir de ces prétieux Talens qu’ils faisoient tous les jours briller dans leurs Conférences, & qu’en quelque genre qu’ils écrivissent, ils n’avoient qu’à parler de leur inimitable Protecteur pour faire des Ouvrages dont la beauté seroit nouvelle & durable comme les sujets qu’il leur en donnoit. Il parla de ce que Cicéron avoit dit de Scipion, qu’il estoit orné de plus d’une Majesté, sans vouloir pourtant comparer Scipion à Loüis le Grand, qui avec les qualitez de ce Romain avoit toutes celles qui ont fait admirer les plus sages Roys, & les Conquérans les plus illustres. Il fit voir que s’il n’estoit pas permis de faire ces sortes de comparaisons, nous pouvions au moins nous servir de ce que les plus beaux Esprits des Siecles passez avoient dit des plus grands Hommes de leur temps ; Qu’il seroit difficile autrement de donner une veritable idée du Héros de la France ; Qu’il estoit tellement au dessus de tout ce qui nous est connu, qu’on estoit souvent forcé à parler des actions des autres, pour disposer le monde à croire ce qu’il a fait, & nous approcher insensiblement de luy ; Que l’Antiquité n’avoit pû établir ses Dieux sans les faire paroistre sous la figure des Hommes ; Que c’estoit par cette raison qu’il faloit souvent parler des Héros qui ont precédé Loüis, pour tacher de le faire comprendre, & que ce qui estoit une marque de nostre foiblesse, l’estoit en mesme temps de l’extreme élevation de nostre Auguste Monarque. Apres cela il parla en general de ce que le Roy faisoit tous les jours d’extraordinaire pour suivre la grandeur de son génie, jusqu’à entreprendre des choses ausquelles la Nature mesme sembloit s’opposer, comme la jonction des deux Meres ; ce qui avoit pû faire dire avec verité, Qu’il estoit plus puissant que les Destinées. La Paix estoit trop récente pour n’en rien dire. Apres que ce nouvel Académicien eut fait voir que la prudence & le courage du Roy, avoient paru dans les dernieres guerres, pendant lesquelles il avoit eu à combatre seul toute l’Europe, sans qu’un si grand nombre d’Ennemis l’eust pû empescher de remporter tous les jours quelque nouvel avantage, il dit, Qu’il avoit arresté l’impetuosité de ses Conquestes au milieu des flateries de la Fortune, qui n’avoit jamais osé le trahir ; Qu’aux dépens de ses propres Triomphes, il donnoit la Paix au Monde Chrestien ; Qu’il l’avoit luy seul concluë, resoluë, & ensuite imposée, pour ainsi dire, à toute l’Europe, & qu’elle pouvoit estre regardée comme un Ouvrage dont personne ne partageoit la gloire avec luy ; au lieu que dans ces grandes entreprises de guerre qui le faisoient admirer, quoy qu’il y eust la meilleure part, il avoit falu que la sage conduite de ses Capitaines, la bravoure de ses Soldats, & le zele ardent de ses Ministres, luy en eussent assuré l’éxecution. Il prit icy occasion de parler de Monsieur Colbert sans le nommer, parce qu’il est de l’Académie ; & apres avoir dit à ces Messieurs que leur Compagnie luy devoit la meilleure partie de ses avantages, puis que c’estoit par luy qu’ils recevoient souvent des graces du Roy, il s’étendit sur le mérite particulier de ce grand Homme. Il le loüa d’une maniere d’autant plus glorieuse pour luy, qu’on assura qu’il n’en disoit rien qui n’eust esté dit par Sa Majesté. Jugez, Madame, si on peut mieux loüer un Ministre qui aime son Maistre autant que Mr Colbert aime le Roy, que par les choses que son Maître a dites à luy.

Mr l’Abbé le Galois, Directeur alors de la Compagnie, répondit à ce Discours. Cet illustre Abbé est d’une réputation si bien confirmée, qu’il est impossible qu’elle ne vous soit connuë. C’est un Homme universel, & d’une profonde érudition. Mr Colbert a beaucoup de considération pour luy. Il demeure chez ce grand Ministre, qui se plaist à s’entretenir souvent avec luy des Sciences les plus relevées. Il n’est pas besoin de vous en dire davantage pour vous faire connoistre qu’il doit avoir infiniment du mérite. Je vous en donnerois des preuves bien convaincantes, si je vous envoyois entier ce que je ne vous puis faire voir que fort imparfait, mais il ne demeure presque jamais qu’une idée confuse de ce qu’on n’a entendu qu’une seule fois, & le plus fidelle extrait dérobe toûjours beaucoup de la grace des pensées, & de la force de l’expression.

Mr l’Abbé le Gallois établit la Réponse qu’il fit à Mr l’Abbé de la Vau, Sur ce qu’il y avoit de la justice, & de la prudence à l’avoir associé dans leur Corps ; de la justice, parce qu’il le méritoit, comme on pouvoit le connoistre par le beau Discours qu’il venoit de faire ; & de la prudence, parce que les Muses de l’Académie estant dans quelque sorte d’obligation de recevoir les Muses du Louvre, la Compagnie avoit deû chercher à unir les Françoises avec les Grecques & les Latines, dont la Charge que cet Abbé exerçoit le rendoit dépositaire. Il adjoûta en parlant des Langues ; Que la Latine & la Grecque qui estoient en guerre depuis longtemps avec la Françoise, avoient toûjours voulu faire les Panegyrique des Conquérans ; mais que la Langue Françoise, sans se piquer d’autant d’orgueil, pouvoit se vanter d’emporter aujourd’huy l’avantage sur l’une & sur l’autre, puis qu’elle estoit destinée à faire passer jusqu’aux Siecles les plus éloignez les incroyables merveilles de Loüis le Grand. Il s’étendit fort sur la dispute des Langues, dit des choses tres-curieuses sur ce sujet, & à l’avantage de la Françoise ; parla des Romains & de leurs Conquestes, & fit voir que leur Langue estoit comme finie avec leur Domination, mais que la nostre qui alloit publier les surprenantes actions du Roy, regneroit éternellement. Cela luy donna occasion de faire l’éloge de ce grand Prince en peu de paroles. Il finit par la gloire que s‘estoit acquis Auguste en pacifiant toute la Terre ; ce qu’il n’avoit pas fait pour rester oysif, mais pour faire fleurir les beaux Arts. Il en fit une tres-juste application, en disant, Que nous avions un Auguste & un Mécene, & qu’il y avoit lieu d’esperer que nous aurions des Horaces & des Virgiles.

Apres qu’il eut cessé de parler, Mr Boyer lût des Stances, & Mr le Clerc, un Sonnet. Ces deux Pieces estoient sur la Paix. On leur donna les loüanges qui leur estoient deuës, & la Compagnie se sépara.

[M. l’Evesque de Basle fait chanter le Te-Deum pour la Paix d’Allemagne] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 267-268.

Le premier jour de ce Mois, l’Evesque de Basle qui fait sa résidence à Polentruck, fit chanter le Te deum pour la Paix conclue entre la France & l’Empereur. Il donna ensuite un fort grand Repas à plus de cinquante Personnes. On but les Santez de Sa Majesté, de l’Empereur, & du Roy d’Espagne. Cette Réjoüissance finit par le bruit de l’Artillerie, & par les feux des Habitans, à qui on distribua quantité de Vin par ‘ordre de ce Prélat.

[Le Seigneur Paolo Laurenzani achete la Charge d’Intendant de la Musique de la Reyne] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 268-274.

Au reste, Madame, je croy vous donner une nouvelle fort agreable, en vous apprenant que ce grand Musicien appellé Paolo Lorenzani, qui fait tant de bruit à la Cour depuis quelque temps, & dont je vous ay déja parlé une fois, s’est assez bien trouvé de la France pour s’y arrester. Il est Romain, & digne Eleve du fameux Horatio Benevoli, qui fut Maistre de la Musique de Saint Pierre à Rome, & ensuite de feu S.A.R. de Savoye Madame Christine de France. Ce Maistre si renommé estant mort, celuy dont je vous parle retourna à Rome. Il y fut admiré, & n’y manqua pas d’employ. Il avoit celuy de Maistre de Musique de l’Eglise des Jesuites, quand la Cathédrale de Messine perdit le sien. Le Senat envoya à Rome pour choisir le plus digne de luy succeder. On jetta les yeux sur Mr Lorenzani qui estoit dés lors dans une tres-grande réputation. Il vint à Messine, & y prit possession d’un Poste qui en ce temps-là estoit un des plus considérables d’Italie, tant pour la gloire que pour l’utilité qu’on en retiroit. Il l’occupa avec un succés qui luy devoit tout faire attendre de la Fortune & de son merite. Les troubles de Messine survinrent, & quoy qu’estant Romain il n’eust rien à craindre, il prit cette occasion de venir en France pour laquelle il avoit toûjours eu une inclination particuliere, jointe à une extraordinaire passion d’admirer de pres un Roy, dont il avoit entendu dire par tout tant de choses si peu croyables. Son inclination pour les François, estoit accompagnée d’un génie propre à leur plaire dans ses compositions de Musique. Il plut en effet, & le premier Ouvrage de sa façon qu’il fit chanter à la Cour, ne démentit point ce qu’on avoit attendu de luy, & sur sa réputation, & sur ce qu’en avoit dit Mr le Maréchal Duc de Vivonne, dont la délicatesse du goust est connuë. Ce premier Ouvrage fut un Motet dont je croy vous avoir déja parlé. Il satisfit tellement le Roy, qu’apres se l’estre fait chanter six autres fois, & luy avoir fait un présent considérable, Sa Majesté luy fit dire par Mr le Duc de Vivonne, qu’il restast en France, & qu’il travaillast à tout ce qu’il jugeroit à propos. Il obeït avec joye. Il a fait depuis ce temps-là quantité d’Airs qui ont extrémement plû. Ce beau Ménuët qu’on a tant aimé à la Cour, & qu’on y a dancé pendant tout l’Hyver, estoit de luy. La beauté de ses Ouvrages faisant faire des souhaits à tout le monde pour son établissement en France, le Roy luy a fourny une partie de ce qui luy estoit nécessaire pour acheter de Mr Boisset, qui a l’une des quatre Charges de Sur-Intendant de la Musique de la Chambre, celle de la Musique de la Reyne. Cette grande Princesse, voit avec plaisir cet Homme excellent attaché à son service. Tous ceux de sa Maison en ont de la joye, & il n’y a aucun Connoisseur qui ne soit ravy d’apprendre qu’il ne retournera point en Italie. J’espere vous envoyer de ses Ouvrages avant qu’il soit peu.

[Tout ce qui s’est passé à S. Cloud au Regal que donna Monsieur, où se trouva M. l’Ambassadeur d’Espagne] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 290-301.

Quelques jours apres, le mesme Ambassadeur alla rendre visite à Monsieur dans sa belle Maison de S. Cloud, où Monseigneur le Dauphin estoit, pour y tenir avec Mademoiselle, le Fils de Mr le Marquis de Nonan sur les Fonts. Cette jeune Princesse estoit toute couverte de Diamans, qui n’estoient accompagnez d’aucune Pierre de couleur. Elle avoit mesme un Collier de Diamans. La cerémonie du Baptesme se fit dans la Chapelle du Chasteau par Mr l’Evesque du Mans Premier Aumônier de Son Altesse Royale. Il y eut Bal aussi-tost apres, dans la belle & superbe Galerie qui donne tant de gloire au fameux Mr Mignart, & que tous les Connoisseurs regardent avec admiration comme un chef d’œuvre de la Peinture. Toutes les Dames que Monsieur avoit invitées pour prendre les plaisirs de la Saison pendant les huit jours qu’il devoit demeurer à S. Cloud, estoient en Deshabillé, mais si propres & si magnifiques, qu’on ne se peut rien figurer de plus brillant. On n’aura pas de peine à estre persuadé de ce que je dis, quand on sçaura que ces Dames estoient Mesdames les Duchesses de Vantadour, de Foix, & de Gramont, Madame la Princesse de Furstenberg, Mesdames les Comtesses de Maré & de Grancé, & les Filles d’Honneur de Madame. La plûpart des Hommes estoient en Juste-à-corps de Brévet. Je vous ay déja expliqué ce que c’est que ces Juste-à-corps, mais je ne vous ay pas dit que les derniers sont d’une beauté éblouïssante, & que la broderie n’en est pas moins admirable que le dessein. Mr l’Ambassadeur d’Espagne prit beaucoup de plaisir à voir dancer tant d’illustres & belles Personnes. Il estoit vestu de Drap noir à la Françoise, & demeura presque toûjours debout derriere la Chaise de Monseigneur le Dauphin. Le Bal fut suivy d’un grand Ambigu. Il estoit de Poisson & de Fruit. Toutes les Dames furent assises avec Monseigneur le Dauphin. On mena Mr l’Ambassadeur d’Espagne à une autre Table, où il mangea avec les Seigneurs. Le Soupé finy, on passa dans le Sallon pour entendre la Comédie. On représenta l’Avare, & le Deüil. Monseigneur le Dauphin retourna à S. Germain apres la premiere Piece ; & la plus grande partie de la Compagnie s’estant retirée apres la seconde, Monsieur fit Media noche avec les Dames. Deux jours apres, Madame l’Ambassadrice d’Espagne qui avoit fait demander audience à Leurs Altesse Royales, vint à S. Cloud. Elle y arriva sur les six heures du soir, suivie de quelques Cavaliers, & accompagnées de l’Intendant de Mr le Prince de Monaco, qui luy devoit servir de Truchement. Elle monta dans l’Apartement de Madame, où elle fut reçeuë par Madame la Mareschale du Plessis, Dame d’Honneur de cette Princesse, à la teste des Filles d’Honneur, & de leur Gouvernante. Elle fut conduite dans le Sallon, où Monsieur la reçeut, la baisa, & la présenta à Madame qui estoit au Cercle, composé des mesmes Dames que je vous ay déja nommées, & de plusieurs autres, entre lesquelles estoient Madame la Duchesse de Vivonne, & Madame la Princesse d’Elbeuf sa Fille. Cette Ambassadrice fut assise entre les Duchesses de Vantadour & du Plessis. Monsieur voulut luy servir de Truchement ; & comme il parle tres-bien Espagnol, il s’entretint long-temps avec elle. Je croy vous en devoir faire icy le portrait en peu de paroles. Elle a beaucoup d’embonpoint. Ses yeux sont parfaitement beaux, & font voir d’abord l’esprit de celle qui les anime. Elle est extrémement blanche, a le teint vif, la gorge tres-belle, & tous les traits du visages réguliers. Elle estoit vestuë de Drap noir, avec de la Dentelle de soye. Son Corps de Robe estoit échancré, de sorte qu’on luy voyoit le haut de ses épaules, & de l’une à l’autre, une Chaîne de Diamans. Elle n’avoit ny linge ny dentelle autour de sa gorge. Ses Manches courtes & fort larges, estoient bordées avec des Chaînes de Diamans. Du milieu de son sein pendoit une Croix de tres-gros Diamans de six poulces en quarré, & dont les branches en avoient deux de large. Elle paroissoit nuë teste. Ses cheveux qui sont fort noirs, & qui estoient séparez par le milieu, & attachez pres de l’œil avec de beaux Nœuds de Diamans, luy couvroient toutes les épaules. Les bouts qu’on ne voyoit point estoient retroussez par dessous. Le bas de sa Robe n’alloit qu’à fleur de terre, & ses Manches estoient de gazes unies. Apres qu’elle eut esté une petite demy-heure au Cercle, elle témoigna vouloir rendre visite en particulier à Mademoiselle. Cette Princesse passa aussitost dans la Chambre de Monsieur avec quantité de Dames. Madame de los Balbases y fut conduite par Madame la Mareschale Duchesse du Plessis. Mademoiselle la baisa, & la visite se passa debout. Au sortir de là on luy fit voir la Galerie & le Jardin en terrasse. Elle monta en suite en Carrosse pour aller voir le Jardin d’enbas. Elle en admira les eaux, & s’en retourna fort satisfaite de son voyage.

[Depart de M. l’Evesque de Strasbourg] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 302-305.

Mr le Prince & Evesque de Strasbourg, apres quelques années de séjour à Paris, où vous sçavez qu’on l’a vû paroistre avec une magnificence qui ne laissoit point apercevoir que la guerre fust dans ses Etats, est enfin party pour y retourner, avec autant de satisfaction des bons traitemens qu’il a reçeus de Sa Majesté, qu’il avoit eu de confiance à venir chercher aupres d’Elle les effets glorieux de sa puissante protection, & de sa genérosité, pour ceux qui comme ce Prince s’attachent inviolablement à ses intérests. Quelques jours avant son départ, il traita Mr l’Ambassadeur d’Espagne avec Madame l’Ambassadrice. Mr le Duc de Verneüil, Mr le Prince de Monaco, & Mr le Duc de Crussol, estoient du Régal, ainsi que Madame la Princesse de Furstemberg, Mr & Madame la Presidente de Mesmes, Mr le Marquis d’Alincourt, Mr de la Baziniere, Mr le Comte de Torigny, Madame Tambonneau, & Mademoiselle de la Baziniere. Il y eut une grande Musique, & Bal apres le Soupé. Je ne vous fay point le détail de ce Repas. Il estoit de Mr de Strasbourg. C’est assez dire pour persuader qu’il estoit exquis, fort magnifique & bien entendu. Ce Prince a eu le plaisir de voir donner le Tabouret à Madame de Furstemberg sa Niéce avant son départ.

[Régal donné à M. l’Ambassadeur d’Espagne par M. le Président de Mesmes] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 311-313.

J’ay oublié de vous dire qu’un peu avant que Mr l’Evesque de Strasbourg partist, il avoit esté, aussi bien que Madame de Furstemberg, du magnifique Régal, que Mr le Président de Mesmes a donné à Mr l’Ambassadeur & à Madame l’Ambassadrice d’Espagne. Les autres Conviez estoient Madame la Princesse d’Elbeuf, Madame la Duchesse de Vivonne, Mr le Prince de Monaco, Mr le Prince d’Eysenac, Mr le Baron de Rosvuorm, Mr le Duc de Mortemar, Mr le Chevalier d’Harcourt, Mr de Soyecourt, Mr Courtin l’Ambassadeur, Mr & Madame de Tambonneau, & Mademoiselle de la Baziniere. Il y eut trois grands Services de Rosty, sans compter les Entremets & le Fruit. Les Services estoient de trois grands Plats, de six plus petits, & de huit Assietes hors d’œuvre. Trois concerts de diférens Instrumens divertirent l’Assemblée, & le tout fut digne de la magnificence de ce Président.

[Régal donné par M. le Prince de Monaco] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 313-315.

Il y en a eu de fort grandes en la Feste que Mr le Prince de Monaco donna le 18. de ce Mois à Mesdames d’Armagnac, de Foix, de Vantadour, de la Ferté sa Sœur, de Guiche, de Nangis, & à Mademoiselle de Duras. Elle commença par la representation de l’Iphigénie. Le Soupé suivit. Rien ne sçauroit estre plus somptueux. Mr l’Ambassadeur d’Espagne s’y trouva, avec Mr le Grand, Mr le Maréchal de Humieres, Mrs les Ducs d’Aumont, de Villeroy, & de Foix, Mrs Soyecourt, de Tilladet, de Thury, & plusieurs autres. Apres le Soupé, on eut de nouveau la Comédie, & ce fut l’Ecole des Femmes qu’on joüa. Le Bal succeda à ce divertissement. Madame la Duchesse de Sully y vint, & l’ordre ne fut pas moins admiré par tout que la propreté.

Ambassade du Printemps. Fleurs à Sylvie §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 328-331.

Comme la diversité plaist, & que toutes les Harangues qui ont esté faites au Roy, ne l’ont pas esté en mesme jour, vous trouverez bon que je ne vous parle des autres que dans ma Lettre du premier Mois. Si vostre curiosité en murmure, je vay reparer ce retardement en vous faisant part d’une fort agreable Ambassade. Elle a esté faite au nom du Printemps, qui a député des Fleurs vers une Belle. Vous voyez bien, Madame, que cela sent un Bouquet. Il fut envoyé par Mr M. à Mademoiselle Fumée le jour de sa Feste. C'est une Personne, belle, spirituelle, & de qualité.

Ambassade
du Printemps.

Fleurs à Sylvie.

    DU Roy Printemps nous sommes députées,
Pour venir de sa part vous donner le bon jour,
Et pour vous assurer qu’il n’est point en sa Cour
De Fleurs, dont les beautez en tous lieux admirées
        Puissent vous estre comparées.

***
        Pour confesser la verité,
        Entre les Beautez naturelles,
        Je vous le dis sans vanité,
        Nous pensions estre les plus belles ;
    Mais à l’aspect de vos divins apas
        Il nous faut mettre bas les armes,
    Et demeurer d’accord que vous avez des charmes,
        Dont les nostres n’approchent pas.

***
        Les unes devant vous blanchissent,
        Les autres de honte rougissent,
Et les autres, malgré leur teint si frais, si doux,
        Ont la jaunisse aupres de vous.

***
    Ce Roy de plus nous charge de vous dire,
Que chez vous en tout temps il veut tenir sa Cour,
Faisant sur vostre teint un eternel séjour,
Où jamais les Hyvers n’étendent leur empire.

***
        Mais comme un de vos Serviteurs,
Il ajoûte à ces mots un avis salutaire ;
C'est qu’on dit que vos yeux empoisonnent les cœurs,
Et si vous ne prenez bien garde à cette affaire,
        On vous va voir au premier jour
        Entre les mains d’un Commissaire,
        Dans la Bastille de l’Amour.

[Réjoüissances faites à Mets sur le sujet de la Paix d’Espagne] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 331-335.

La Paix ratifiée avec l’Empereur touche tout le monde, mais plus particulierement les Peuples de Mets, que la situation du Païs tenoit exposez à de grands désordres. Aussi la nouvelle de cette Paix y a t’elle esté reçeuë avec une joye qui ne se peut exprimer. La Publication s’en fit à Mets le Jeudy 18. de ce Mois. Voicy l’ordre de la Cavalcade. Le Prevost Provincial marchoit le premier avec sa Compagnie d’Archers. Il estoit suivy du Prevost des Bandes qui avoit aussi sa Compagnie, & apres eux, on voyoit Mr de Beraut Lieutenant de Roy de la Citadelle, à la teste de la Noblesse, en la place de Mr Givry Lieutenant de Roy de la Ville, arresté au lit par quelque indisposition. Les Messagers, Bannerots, Sergens de Ville & Huissiers du Baillage, qui marchoient ensuite, precédoient les Suisses Hallebardiers, & la Compagnie des Gardes de Mr le Maréchal de la Ferté Gouverneur. Cette Cavalcade estoit fermée par Mr le Roy Commandant, entre le Lieutenant General & le Maistre Echevin, suivy des deux Compagnies du Bailliage & de la Ville. Immediatement devant eux estoit un Héraut bien monté & fort richement vétu d’un Habit à la Romaine, en broderie de Perles & de Pierreries, avec un Bonnet de gaze d’argent couvert de Plumes. Toutes les Troupes estoient en bataille dans les Places où cette Publication se fit, & des Fontaines de Vin coulerent en plusieurs endroits pendant tout le jour. La Cavalcade estant finie à midy, cinquante Personnes des plus qualifiées allerent dîner à l’Hôtel de Ville. Le Festin fut d’une magnificence achevée. Mr de la Grilloniere Maistre Echevin en fit les honneurs au nom du Public. C’est un Gentilhomme de grande naissance, d’un long service dans les Armées, d’un excellent mérite en toutes choses, & qui sçait parfaitement accorder le bien du service de Sa Majesté avec le soulagement des Peuples. Sur les cinq heures du soir, on se rendit à la grande Eglise, où Mr le Roy, & tous les Corps, assisterent au Te Deum chanté par la Musique. Mr l’Archevesque d’Ambrun, Evesque de Mets officioit. A neuf heures, le mesme Mr le Roy, & Mr de la Grilloniere, allumerent le Feu ; ce qui fut accompagné de Feux d’artifice, de trois Salves de Canon, & de la Mousqueterie des Troupes en bataille ; & en mesme temps on alluma d’autres Feux devant les Portes de toutes les Maisons de la Ville & des Flambeaux aux Fenestres.

[Explication en Vers de la premiere Enigme du mois passé] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 335-339.L'énigme se trouve dans l'article du Mercure du mois d'avril 1679. La solution figure dans l'article de l'Extraordinaire du mois d'avril 1679.

    Les Enigmes divertissent toûjours le Public à l’ordinaire. Mr de Grammarais, de Roüen, a expliqué ainsi la premiere du dernier Mois dans son vray sens.

Les plus grands, les plus fiers sont soûmis à vos loix,
Et plusieurs, dites-vous, à vostre seule voix
    Doivent une humble obeïssance.
    Nous n’avons plus de guerre en France,
La Paix que nous devons au plus sage des Roys
    Met nos Troupeaux en assurance.
Nous vous écouterons, Tambour, une autre fois,
    Il est juste que les Hautbois
A leur tour parmy nous obtiennent audiance.

Ce mesme Mot de Tambour a esté trouvé par Messieurs [liste des noms].

[Avanture du Jardin du Palais Royal] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 345-349.

Le Cavalier Philosophe, dont vous me demandez des nouvelles, semble avoir envie de changer d’humeur, & cela par un commencement d’avanture dont je ne puis m’empécher de vous faire part. Vous sçavez qu’il a esté jusqu’icy assez peu galant, & que la passion qu’il a pour les Livres ne l’a jamais laissé sensible à l’Amour, quoy qu’il ait une grande honnesteté, & mesme une complaisance achevée pour le beau Sexe. Il se promenoit ces jours passez dans la grande Allée du Palais Royal avec un Livre pour compagnie. C'estoit un Traité de Mr de la Chambre, intitulé, l’Art de connoistre les Hommes. Comme il y avoit alors fort peu de monde dans le Jardin, il crut pouvoir lire sans distraction. En effet il fit trois ou quatre tours d’Allée sans que personne le vinst interrompre. Mais enfin il aperçeut deux Dames de tres-belle taille qui venoient à luy. Il en avoit une en deüil suivie de quantité de Gens de mesme parure. Il se rangea le plus pres des Buis qu’il pût pour leur laisser plus de liberté de passer. La Dame en deüil l’aborda pour luy demander quel Livre il lisoit. La question le surprit, & pour luy répondre en se taisant, il luy presenta le Livre ouvert. La Dame le prit avec précipitation, & jugeant que c’estoit un Livre Galant, parce que le Chapitre qu’il luy faisoit voir traitoit du mouvement du Cœur, elle luy dit que la matiere estoit propre à un Homme comme luy qui apparemment estoit amoureux. Il soûtint fortement qu’il ne l’estoit point, & la Dame luy ayant opposé qu’on ne cherchoit point à s’instruire des mouvemens du Cœur sans estre amoureux, il répondit qu’il n’auroit pas besoin de consulter les Livres pour sçavoir les mouvemens du sien, s’il estoit ce que la Dame prétendoit qu’il fust, parce que l’amour se faisoit assez sentir de luy-mesme, mais que le Livre qu’elle voyoit n’estoit autre chose que l’Art de connoistre les Hommes, & qu’il s’attachoit à acquérir cette connoissance pour venir ensuite à celle des Dames (si par hazard il devenoit amoureux) parce qu’il ne les croyoit pas aisées à connoistre. La Dame rendit le Livre avec la mesme précipitation qu’elle l’avoit pris, & ayant dit à celle qui l’accompagnoit, Il a raison, il a raison, elle s’éloigna du Cavalier, sans pousser la conversation plus loin. Il fut fort surpris de voir finir si-tost l’avanture. Je ne sçay si la suite luy en plairoit ; mais il va se promener au Palais Royal plus souvent qu’il n’avoit accoûtumé. Il y va mesme quand il croit qu’il y a le plus de monde, & il semble qu’il souhaiteroit estre éclaircy de l’effet que sa réponse a produit sur l’esprit de la Dame qui luy a parlé. J'acheve mes autres Nouvelles en peu de mots.

[Mort de l’Abbé de Casagne] §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 351.

Il y a une nouvelle Place vacante à l’Académie Françoise, par la mort de Mr l’Abbé Casagne, arrivée ces derniers jours.

Ludovico Magno. §

Mercure galant, mai 1679 [tome 5], p. 356-360.

Vous sçavez, Madame, que je me ferois une affaire avec vos Amies, si je mettois plus de trois mots Latins dans mes Lettres. Ainsi j’employe l’Apostille dans celle-cy pour vous faire part d’une Piece qui a esté faite en cette Langue à l’avantage de Sa Majesté. Le nom de l’Autheur est dans la Piece. Il l’a presentée à Mr Colbert. Elle renferme beaucoup de choses qui n’auroient pû estre expliquées en si peu de mots, si elle avoit esté traduite. Cet Article n’est que pour vous seule, & je vous l’envoye extraordinairement, parce que je sçay que rien ne vous touche tant que ce qui regarde la gloire du Roy.

Ludovico Magno.

Patriæ Parenti ;
Animi immensitate ferè divinâ,
Alexandro Magno, & Henrico Magnos
Justitiâ, Justiniano, & Ludovico XIII ;
Celeritate in subigendis Provinciis,
Populis strenuissimis debellandis, & Urbibus inexpugnabilibus expugnandis, Julio Cæsare, & Carolo Magno ;
Sapientiâ, Salomone, & Carolo V Rege ;
Prudentiâ, Adriano Imperatore, & Ludovico XI ;
Victoriis, Clodoveo, & Carolo VII ;
Fœlicitate, Davide, & Philippe Augusto ;
Deliciis orbis, Imperatore Tito, & Francisco I ;
Religione, Henrico II. Imperatore, & Carolo IX ;
Fortitudine, Ludovico VIII. & Henrico II. Rege ;
Constantiâ, Theodosio Magno, & Philippo Valesio ;
Clementiâ, Assuero Persarum Rege, & Carolo VI ;
Humanitate, Antonio Pio Imperatore, & Carolo VIII ;
In tuendâ Religionis integritate, Ludovico VI. & Carolo Comite Valesio Constantinopolitano Imperatore titulato ;
Pace magnificâ, firmâ, fœlici, bonisque omnibus circumfluenti, Roberto, & Philippe III. Regibus ;
Fide perpetuâ, constanti & gloriosâ ergà Reges, Principes & Populos fœderatos, omnibus Romæ Regibus, & Consulibus ;
Semel, iterùm, terque, parce orbi, victoriis, factis ingentibus, prudentiâ, magnitudine Animi, & moderatione partâ, & Jani Templo ter manu suâ clauso, Numa Rege, Tito Manlio Consule, & Augusto Cæsare ;
Omnibus Imperatoribus & Monarchis, Nobilitate, Antiquitate, & Dignitate stirpis, virtutibus bellicis, potentiâ, viribus, Amore Ducum & Militum, liberalitate ergà Duces, Milites, doctos, & viros quâ vis Arte insignes, consilioque præstantiori ;
Ipsismet hostibus stuporem, & admirationem virtutis immensæ moventi ;
Et se ipso majori, pace, gloriæ suæ, triumphis Militaribus, regnique gloriosè dilatandi, heroïce ambitioni, antepositâ, se ipsum invictum omnibus, vincendo & superando ;
Josephus de l’Isle, excellentissimi Ducis Nivernensis primus in Camerâ sua Computorum Consiltarius, nec non Civitatis Nivernensis primarius Ædilis, plurimam salutem communi totius orbis voto exposcit.