1679

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12]

2015
Source : Mercure galant, novembre 1679 [tome 12].
Ont participé à cette édition électronique : Anne Piéjus (Responsable d'édition), Nathalie Berton-Blivet (Responsable d'édition) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

Le libraire au lecteur §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], np.

Comme le Mercure va dans toutes les Provinces de France, & dans toutes les Cours Etrangeres, j’ay prié l’Autheur de me permettre d’y parler de l’Almanach en Figures que je doy vendre au premier jour. Il n’est plus temps d’en cacher les nom, & je croy que vous serez bien-aise d’apprendre que toute la Comédie de la Devineresse y sera représentée. La Muse de la Comédie est au haut, qui se divertit à plusieurs Esprits folets sous diférentes figures. Ils tiennent divers Cartouches, dans lesquels on voit toutes les Scenes de spéctacle de cette Piece. Les plus excellens Peintres, & les meilleurs Graveurs, ayant esté employez pour faire les Desseins de cet Ouvrage, & pour le graver, on n’en doit rien attendre que d’agreable & de curieux.

[Voyage de M. de Guilleragues Ambassadeur pour le Roy à Constantinople] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 14-40.

Je passe à un autre Article d’Ambassadeur. Je vous ay déja mandé que Mr de Guilleragues estoit party pour Constantinople. Un Gentilhomme qui l’accompagne, a donné icy des nouvelles d’une partie de son Voyage. On m’a fait part de sa Lettre, & j’en ay tiré la Relation que je vay vous faire.

Le Lundy 11. de Septembre, cet Ambassadeur s’embarqua à la Rade de Toulon, avec Madame l’Ambassadrice sa Femme, Mademoiselle de Guilleragues sa Fille, & toutes les Personnes de sa Suite. Mr le Marquis de la Porte les prit dans son Bord. Il estoit Amiral de la petite Flote qui se mit à la voile le lendemain, composée d’un Vaisseau de guerre, de trois Vaisseaux Marchands, d’une Fluste, d’une Tartane, d’une Polacre, & de deux Barques. C’êtoient neuf Voiles en tout. Mr le Commandeur d’Ervieux, que sa Majesté envoye Consul à Alep, s’embarqua aussi avec Mr de Guilleragues. Le Vendredy 15. sur les quatre heures du soir, ils découvrirent la Coste de Sardagne à leur gauche, & le lendemain à deux heures du matin, l’Isle de S. Pierre qui en dépend. Sur les six heures ils passerent à une lieuë pres d’un Ecueil nommé la Vache, derriere lequel il y en a un autre appellé le Veau, d’où le Cap San Giacomo n’est pas éloigné, non plus que le Golphe de la Palme. Le reste du Samedy ils continuerent leur route jusqu’à midy, que le mauvais temps les força d’en prendre une contraire pour aller relâcher à Caillery ; ce qu’ils firent le Dimanche 17. à dix heures du matin. On salüa la Ville de sept volées de Canon, & le salut fut rendu à Mr l’Ambassadeur, que le Président envoya complimenter. Caillery, Madame, si par hazard ce nom vous est inconnu, est la Capitale & la derniere des Villes du Royaume de Sardagne. La Forteresse en est peu considérable. Il y a une Eglise qu’on peut dire belle. Quoy qu’elle ait un Archevesque, les Chanoines Officians ne laissent pas d’y estre en Rochet & en Camail. La Gabelle ne doit jamais avoir esté établie à Caillery, puis que le Sel y est en aussi grande quantité dans les Ruës, qu’estoient autrefois les bouës à Paris. Les Perdrix n’y valent que dix sols la paire, les Pigeons & les Poulets, que deux ; & comme les Femmes y découvrent tout leur sein, il y a lieu de penser qu’elles ne sont pas sujetes à de grands scrupules. La figure des Hommes tant jeunes que vieux, a quelque chose de fort plaisant. Ils sont tous vestus de noir, & portent de longs Manteaux jusqu’aux pieds, un Poignard ou Stilet à leur ceinture, & à leur costé une longue Epée à l’Espagnole. La forme de leurs Chapeaux est en Pain de Sucre. Le Lundy 17. Mr de Guilleragues, & tous ceux qui l’accompagnent, se remirent à la voile sur le midy à la veuë de quatre Vaisseaux de guerre François, qui avoient relâché à la Plage de Caillery le jour precédent. Le Mardy 19. sur les trois heures & demi du soir, ils perdirent de veuë les Costes de Sardagne, & les revirent le Vendredy 22. à midy, à cause que le gros temps les contraignit d’aller relâcher au Cap de Poule en Sicile. A peine eurent-ils découvert les Costes, qu’ils revirent du costé d’Afrique. Le Dimanche 24. ils apperçeurent de loin la Montagne du Plomp de Barbarie, les anciens Restes de Cartage ; d’Utique aujourd’huy Biserta ; de Bona, autrefois Hippone, dont S Augustin estoit Evesque ; de Portofarino, & du Cap Bona, & naviguerent sur l’endroit de la Mediterranée où l’on pesche le Corail. Le mesme jour, ils découvrirent l’Isle de la Pontelarie. Les Femmes y cultivent la terre, tandis que les Hommes vivent en faineans, traînant la Rapiere en qualité de Mortepayes, pour conserver la Citadelle au Roy d’Espagne. C’est une Place qui n’est pas mal située, mais elle est peu forte. Le Lundy 25. ils perdirent cette Isle de veuë, & enfin ils apperçeurent celle de Gory le Mercredy 27. sur les deux heures du matin. On la nomme le Jardin des Corsaires. Elle n’est qu’à trente milles de Malte, où l’on arriva sur les deux heures apres midy à l’un des Ports, car il y en a sept également beaux. Mr de la Porte fit tirer force coups de Canon en y abordant, & on luy répondit de la Ville. Monsieur, Madame, & Mademoiselle de Guilleragues, furent logez au Palais d’un Neveu de Mr le Grand-Maistre, qu’on traite là d’Eminence, & qui les fit régaler à ses dépens. Il y eut douze Couverts à la premiere Table, & vingt-quatre à la seconde. Dés que Mr l’Ambassadeur fut arrivé, Mr le Grand Maistre le fit visiter par le principal Grand-Croix de ses Officiers. Il a 72 ans, s’appelle Nicolas Cotoner, & est Majorquin, & par conséquent né Sujet du Roy d’Espagne. Il entra le Mois passé dans la dix-septiéme année de sa Grand’Maîtrise, en laquelle il succeda en 1662. à son Frere Raphaël, qui ne fut Grand-Maistre que trois ans. Le lendemain au matin sur les neuf heures, Mr de Guilleragues accompagné du Neveu de cette Eminence, & suivy d’un fort beau Cortege, se rendit en son Palais, & salüa Mr le Grand-Maistre dans son Lit. Quoy qu’il y allast à pied, il ne laissoit pas d’avoir cinq de ses Carrosses derriere luy, sçavoir, celuy du Corps attelé de six Chevaux, un autre attelé de quatre Mules, & les trois autres de deux chacun. L’entreveuë fut de demy-heure, apres laquelle il luy présenta tous les Gentilhommes de sa suite. L’apresdînée, Mr le Grand-Maistre rendit visite à Madame l’Ambassadrice, sans voir voulu recevoir la sienne qu’elle luy avoit fait offrir, parce que ce n’est point la coûtume à Malte que les Femmes aillent voir les Hommes.

Le Vendredy 29. la Feste de S. Michel fut solemnellement celebrée dans l’Eglise de Saint Jean. Mr le Grand-Maistre s’y trouva avec tous les Grand’Croix, revétus de leurs Habits de cerémonie. Ce sont des Manteaux de Taffetas noir, qui vont jusqu’aux pieds. Ils ont sur l’épaule droite, en forme de Bourlet, un Tissu de Canetille, où toute la Passion est representée. Le Vicaire ou le Grand-Prieur de l’Ordre, qui est immédiatement apres le Grand-Maistre, officia pontificalement à la Messe. Il y eut une excellente Musique. Les Chanoines, dont le nombre est grand, estoient au Chœur en Rochet & en Camail, ainsi que les Dignitez de l’Eglise. Mr le Grand-Maistre estoit placé à la gauche de l’Autel, au milieu d’un Balustre de Marbre, sous un Dais, & sur une Chaise beaucoup plus élevée que celle de Mr le Grand-Prieur, qui a sa place vis-à-vis de luy, au costé droit de l’Autel. Derriere la Chaise de cette Eminence, estoient dix-huit Pages vestus de la Livrée qui est fort simple. Ce n’est qu’une petite Serge grise & claire. On ne peut rien voir de mieux tourné que le Maître-Autel de cette Eglise. Il est magnifiquement paré. Deux grandes Figures, toutes d’argent, & de la hauteur d’un Homme, y font un ornemement tres-considérable. On chante l’Epistre sur l’une, & l’Evangile sur l’autre. Douze Chandeliers d’argent tres-beaux & deux autres d’une hauteur & d’une grosseur prodigieuse, ne contribuent pas peu à son embellissement. La Croix en est d’or massif, & toute garnie de Pierreries exquises. La Nef est dorée. Toutes les Chapelles le sont aussi depuis le haut jusqu’au bas, & il y a des Peintures merveilleuses, mais particulierement aux Chapelles des sept Auberges, qui sont, Provence, Auvergne, France, Italie, Allemagne, Aragon, & Castille. Les Connoisseurs admirent sur tout un Tableau de S. Pierre en prison, qui se voit dans cette Eglise. Il est de l’incomparable Michel-Ange. Ce nom suffira pour vous en faire connoistre le prix.

Il y a un Evesque à Malte. Il est Grand-Croix, & Espagnol, mais il n’est Evesque que des Maltois, sans qu’il ait aucun pouvoir sur les Chevaliers, ny dans S. Jean qui est leur Eglise, où le Grand-Prieur de Malte officie avec la Crosse & la Mitre. Le Grand-Prieur d’aujourd’huy est de Provence, & se nomme Vianis. Il a un Frere Prieur ou Vicaire de la Métropolitaine d’Aix. Quand l’Evesché est vacant, le Grand Maistre presente, le Roy d’Espagne nomme & le Pape confere.

Quelques-jours avant que Mr de Guilleragues arrivast à Malte, le Grand Commandeur, qui est le premier de tous les Commandeurs, s’estoit batu en duel avec un autre qui est Grand-Croix. Quoy qu’ils eussent plus de soixante & dix-huit ans chacun, ils se batirent avec un si furieux acharnement, que s’il ne fust survenu quelques Chevaliers, leur combat n’auroit peut-estre finy que par la mort de l’un & de l’autre. Ils arriverent bien à propos, car il n’est permis à aucun autre de separer des Grands-Croix, ny des Chevaliers qui se batent.

Le mesme jour que Mr l’Ambassadeur alla visiter Mr le Grand-Maistre, Mr le Commandeur d’Ervieux luy fit demander Audiance par son Grand Ecuyer qui est Grand-Croix, & l’obtint sur l’heure. Il en fut reçeu avec tous les honneurs qu’il méritoit. Mr le Grand-Maistre l’entretint toûjours debout, malgré sa goute, & l’embrassa en sortant, avec des marques tres-particulieres d’estime. Je ne sçay, Madame, si vous connoissez assez cet illustre Commandeur. Il est de Marseille, d’une Famille aussi noble qu’ancienne, mais originaire de Lombardie. Il donna ses premieres années à l’étude, se rendit sçavant dans la Peinture & dans la Musique, & Mr d’Ervieux son Pere ayant esté assassiné en soûtenant l’interest du Roy pendant les Guerres Civiles, il quitta la France, & alla voyager en Italie, en Grece, en Turquie, & dans tous les Lieux de la Terre-Sainte, à laquelle il a rendu longtemps de fort grands services en qualité de Procureur General. Il y apprit les Langues Espagnole, Italienne, Grecque, Turque, Arabe, Persanne, & Hebraïque ; fut fait Chevalier du S. Sepulcre à Jerusalem, assista le Patriarche au Mont-Liban dans ses fâcheuses affaires, retablit les Carmes au Mont-Carmel d’où ils avoient fuy plusieurs fois, & leur procura la Paix par l’amitié que les Arabes & leur Prince Turabey avoient pour luy. Apres avoir employé quinze ans à tous ses voyages, il revint en France, d’où il fut envoyé à Tunis par ordre du Roy. Il y rétablit le Consul & le Commerce, fit executer le Traité de Paix que feu Mr le Duc de Beaufort y avoit fait, délivra 318. Esclaves François, reçeut de grands carresses du Roy, & de tous les Princes du Païs, & retourna à Marseille avec un aplaudissement genéral. Ce fut alors qu’il s’attacha à la Cour. Il servit le Roy sous Mr de Lionne dans les Négotiations Etrangeres ; & toutes les fois que Sa Majesté eut à traiter avec Soliman Ambassadeur du Grand Turc, Elle parla par sa bouche. Il fut ensuite envoyé à Constantinople pour estre présent avec nostre Ambassadeur au renouvellement d’Alliance qu’on fit avec Sa Hautesse. Le Roy l’avoit destiné à estre Ecuyer ordinaire de Madame Marie-Thérese de France sa Fille, mais elle mourut pendant son voyage. Il fut fait Commandeur de l’Ordre Royal du Mont-Carmel, & de S. Lazare de Jerusalem à son retour, & renvoyé en Afrique. Il y appaisa la Milice mutiné, en luy montrant la Croix de son Ordre, & soûtint si avantageusement la gloire du Roy, qu’il en mérita l’estime de toute la Cour. Enfin les services qu’il a rendus à Marseille & aux autres Villes maritimes de Provence, dans les diverses Négotiations qu’il a faites chez les Turcs & chez les Barbares, en Europe, en Asie, & en Afrique, les ayant obligées à le demander plusieurs fois au Roy & aux Ministres pour le Consulat d’Alep, Sa Majesté l’a nommé depuis quelques mois pour y aller représenter sa Personne. Il est attendu en ce Païs-là avec une extréme impatience, non seulement des François, qui espérent tout de ses soins pour leur Commerce, mais des Venitiens, Hollandois, Génois, & autres, qui l’ont tous choisy pour leur Protecteur.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 40-43. D'après le Mercure, les airs Vous demandez des vers, Vous avez de l'esprit, Je suis prêt de revoir, Premier objet de ma tendresse, Pendant que vous donnez, Reine aussi belle que bonne sont dus au même auteur. Or l'article Mercure permet d'attribuer l'air Vous demandez des vers à Bertrand de Bacilly qui serait donc aussi l'auteur des autres airs cités.Cet article fait allusion à cette contrefaçon et voir cet article dans le Mercure

La Saison qui commence à rendre la Campagne desagreable, en fait revenir la plûpart des Belles. Les Amans en font éclater leur joye. Vous le pouvez connoistre par ce Rondeau mis en Air, dont je vous envoye les Notes gravées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je suis prest de revoir les beaux yeux de Silvie, doit regarder la page 41.
Je suis prest de revoir les beaux yeux de Sylvie,
     Revenez, transports amoureux,
     Voicy le comble de mes vœux,
Voicy le temps le plus doux de ma vie.
Je suis prest de revoir les beaux yeux de Sylvie,
     Ah, que mes jours seront heureux !
     Ah, que mon sort sera digne d’envie !

Cet Air est du mesme Autheur qui a fait ceux de ma Lettre du dernier Mois. Cela fait bien voir que s’il a discontinué depuis quelque temps de donner au Public son sçavant & agreable Journal, ce n’a pas esté manque de génie & d’invention, soit pour les Paroles, soit pour le Chant, mais seulement parce qu’on luy avoit contrefait celuy de toute l’Année 1678. C’est dont il a crû n’avoir point de plus seûr moyen de se garantir, qu’en me donnant ses Ouvrages. L’avantage que mes Lettres ont d’estre leuës dans toute l’Europe, y doit faire trop connoistre ses Airs, pour ne pas oster au Contrefaisant l’envie de les défigurer comme il a fait jusqu’icy par des impressions peu correctes. Il y en a quelques-unes qui ont esté jusqu’à vous, & qui vous ont empeschée de découvrir l’excellence des Originaux dans l’imperfection des Copies.

images/1679-11_040.JPG

[Vers envoyez à un Amant qui vouloit se marier] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 43-50.

C'est sur l’Original mesme que j’ay pris celleII que je vous envoye de quelques Vers dont le tour me paroist fort naturel. Ils sont de Mr de Blerigny, Gentilhomme d’aupres de Gisors. On me promet quantité de jolies Pieces de sa façon. Je ne doute point que cette premiere ne vous fasse souhaiter les autres. Elle est adressée à un Amy qui avoit dessein de se marier.

A Monsieur
de La S.

En quoy Philis a-t-elle offencé vostre amour,
Depuis que son mérite a sçeu toucher vostre ame,
          Pour luy joüer l’indigne tour
          Que vous préparez à sa flâme ?

***
          Vous ne sçauriez sans estre ingrat,
Ne luy pas conserver un cœur tendre & fidelle,
          Et cependant avec éclat
          Vous cherchez à changer pour elle.

***
Un reproche pareil vous doit inquiéter.
          Si vous avez peine à comprendre
          Ce qui vous le fait mériter,
          Il m’est aisé de vous l’apprendre.

***
À l’aimable Philis il n’est rien, dites vous,
Qu'à jamais vostre amour avec plaisir n’immole,
     Et vous voulez vous faire son Epoux,
Est-ce là le moyen de luy tenir parole ?

***
          Soûmis, ardent, passionné,
À vanter ses attraits vous mettez vostre gloire ;
Mais je sçay ce que c’est qu’un Vainqueur couronné
          Qui joüit trop de sa victoire.

***
Ne vous y trompez point ; à peine aurez-vous dit
Le redoutable mot qui pour toûjours engage,
Qu'ennuyé de loüer sa beauté, son esprit,
          Vous tiendrez un autre langage.

***
De sa possession les charmantes douceurs
Dont le flateur espoir vous occupe sans cesse,
          En faisant finir vos langueurs,
          Affoibliront vostre tendresse.

***
Du seul bien qu’aujourd’huy vous pouvez estimer,
          Vous vous ferez une habitude ;
Et dés que le devoir vous forcera d’aimer,
          Le mestier vous paroistra rude.

***
L'amour, tant qu’il est libre, enchante nos esprits,
Et nous fait de ses maux une agreable affaire ;
          Mais il perd beaucoup de son prix,
          Si-tost qu’il devient nécessaire.

***
          Plein du transport le plus charmant,
          Dans les graces qui luy sont faites,
          On le voit sans empressement
          Pour se faire payer ses debtes.

***
Qu'il soit maistre du bien qui l’a fait soûpirer ;
Ce qu’il se voit permis n’a plus dequoy luy plaire,
Et quand pour obtenir il n’a qu’à desirer,
          Ses desirs ne le pressent guére.

***
          Pour trouver un sensible appas
Dans ce qu’à vaincre un cœur son industrie essaye,
Il veut en obtenant pouvoir n’obtenir pas,
          Qu'on luy donne, & non qu’on le paye.

***
En possedant Philis, de vos plus chers desirs
          Vous verrez l’attente remplie ;
Mais vous en pouvez-vous promettre des plaisirs
          Qui durent toute vostre vie ?

***
          Trop content, & moins amoureux,
Pouvant tout en tout temps sur cet Objet aimable,
          À force de vous voir heureux,
          Vous vous trouverez misérable.

***
Vous ne sentirez plus ces vifs empressemens
Qu'un tendre je vous aime avant l’Hymen vous cause ;
          S'il fait le charme des Amans,
          Pour les Marys c’est peu de chose.

***
Philis a deû vous plaire, elle peut tout charmer ;
Mais quelque fort pouvoir qu’elle ait pris sur vostre ame,
          Si vous voulez toûjours l’aimer,
          Ne la prenez jamais pour Femme.

[Avanture de l’Epée] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 50-73.

Ceux qui sont le plus persuadez du dégoust que le Mariage peut causer, ne laissent pas fort souvent d’y estre pris. On ne veut aimer qu’autant que l’amour est necessaire pour faire une agreable liaison, & on aime insensiblement plus qu’on ne croit. Ce qui est arrivé depuis un mois à un Cavalier que l’inconstance mesme n’a pû guérir, en est une preuve. L’incident qui a servy à luy faire faire sa paix avec la Belle qu’il avoit quittée, est fort surprenant. En voicy l’histoire. La Belle dont il s’agit est une Veuve d’un fort grand mérite. Le Cavalier avoit longtemps soûpiré pour elle, & à force d’assiduitez & de soins, il l’avoit enfin réduite à l’aimer, & à luy avoüer qu’elle l’aimoit. L’Amant trop heureux commença à ne plus sentir son bonheur. Sa passion s’affoiblit, ses empressemens diminuerent, & quelques égards qu’il eust encor pour la Dame, elle s’aperçeut bientost que ce n’estoit plus qu’honnesteté. Elle chercha la cause de ce changement, & la découvrit. Le Cavalier voyoit une jeune Brune, & l’ayant veuë d’abord sans dessein, il s’en estoit laissé tellement charmer, qu’ayant cessé d’estre maistre de sa raison, il estoit devenu aveugle pour ses defauts. La Dame ne pût soufrir ce nouveau commerce. Il refusa de le rompre, & faisant passer sa passion pour un simple effet d’estime, il s’abandonna aux mouvemens de son cœur. Les plaintes & les reproches font rarement renaître l’amour. Le Cavalier fut appellé ingrat & parjure, & quelque honte qu’il s’en fist luy-mesme, il demeura parjure & ingrat. On eut beau luy dire qu’on ne le verroit jamais, rien ne fut capable de l’ébranler. Il traita de tyrannie le sacrifice qu’on luy demandoit, & plus on voulut prendre d’empire sur luy pour le faire renoncer à la belle Brune, plus il redoubla son attachement. Ce n’est pas ce qu’il n’eust regret de perdre la Dame. Il en connoissoit tout le mérite, & si ses soins divisez eussent pû luy plaire, il eust esté ravy de la conserver ; mais ne pouvant obtenir qu’elle s’accomodast du partage, il aima mieux se laisser chasser, que de luy rendre la justice qu’elle exigeoit. L’aimable Veuve eut une douleur extraordinaire de la trahison du Cavalier. Elle ne médita d’abord que vangeance. Le dessein en éclata, & quand il la fit prier de luy permettre toûjours quelques visites, non seulement elle n’en voulut soufrir aucune, mais elle s’emporta jusqu’à dire qu’il devoit prendre garde à ne se trouver jamais où elle seroit, parce qu’elle se sentoit capable de le poignarder. Le Cavalier ne s’étonna pas fort de cette menace. Il la regarda comme un premier éclat de colere qui ne feroit que du bruit, & n’y trouvant rien de dangereux, il suivit le panchant qui l’entraînoit avec d’autant moins de reserve, que l’éloignement de la Dame sembla luy en donner une plus entiere liberté. Sa colere n’avoit pû triompher de son amour, & pour s’épargner des Images qui la blessoient, elle estoit allée passer l’Eté dans une Maison de campagne. Le Cavalier vit la belle Brune autant qu’il voulut, mais ce ne fut pas avec la correspondance qu’il en attendoit. Il luy avoit fait un grand sacrifice ; elle luy en avoit promis un semblable, & il n’y eut pas moyen de luy faire tenir parole. Elle conserva tous ses Amans, & sa conduite luy fit bien-tost voir qu’en luy demandant son cœur, elle avoit moins estimé la douceur de l’acquerir que le plaisir de le dérober à sa Rivale. Ce fut alors que moins ébloüy de sa beauté, il ouvrit les yeux sur ses defauts. Il ne luy trouva qu’un esprit présomptueux, & toutes ses manieres luy parurent tellement d’une Coquete, qu’il connut mieux que jamais de quel prix estoit le bien qu’il avoit perdu. Ils se broüillerent presque aussi-tost, & le Cavalier se repentit mille fois d’avoir esté infidele. La faute estoit faite, & il n’estoit pas facile de la réparer. Rien de plus honneste que la jeune Veuve ; mais en mesme temps rien de plus fier. S’il eust esperé d’en estre quite pour quelques soûmissions, il s’y seroit résolu ; mais il voyoit de cruels mépris à essuyer, & en s’exposant à les soufrir, il n’avoit aucune assurance de faire sa paix. D’assez forts chagrins que luy causa la belle Coquete, ayant achevé de l’en dégoûter, il quita la Ville, & alla chercher à la Campagne un de ses plus particuliers Amis pour qui il n’avoit point de secret. C’estoit un jeune Marquis qui n’estoit point encore marié, & qui connoissant le mérite de la jeune Veuve, avoit toûjours condamné l’injustice de son Amy. Il estoit tard quand le Cavalier arriva. Il sçeut en entrant qu’il y avoit grande Compagnie de l’un & de l’autre Sexe chez le Marquis, & s’informa qui estoient les Dames. La Veuve estoit de la Troupe. Elle avoit une Terre à deux ou trois lieuës de là, & comme le Marquis & elle se voyoient souvent, elle s’estoit mise de la partie. Vous jugez bien que le Cavalier ne se hazarda pas à se montrer. Il y avoit trop à risquer pour luy, & quand le racommodement auroit pû se faire, il n’avoit pas besoin de tant de témoins. Cependant il s’agissoit de passer la nuit. Elle estoit déja trop avancée pour aller ailleurs. Le Marquis fut averty. Il vint recevoir le Cavalier, qui ayant appris que la Compagnie qu’il avoit chez luy, y devoit encor rester trois jours, résolut de partir le lendemain de fort grand matin. Le Marquis trouva à propos qu’il s’éloignast sans se faire voir. Il luy dit qu’il avoit encor parlé de luy à la Veuve ce jour-là mesme, & qu’elle avoit marqué tant d’emportement dans ses réponses, qu’il doutoit fort que son répentir la pust toucher. L’appréhension qu’il eut qu’on ne le cherchast s’il demeuroit plus longtemps avec son Amy, l’obligea de le quiter. Il luy fit servir un assez leger Repas pour mieux garder le secret, & ne pouvant que luy donner place dans son Lit, parce que tous les autres estoient occupez, il le laissa dans sa Chambre, & alla rejoindre la Compagnie. Le Cavalier mangea peu, & se coucha un moment apres. Il y avoit déja plus d’une heure qu’il cherchoit à s’endormir, quand il apperçeut de la lumiere, & entendit marcher dans sa Chambre. Il ne voulut point parler. On s’approcha de son Lit fort doucement. On en tira les Rideaux, & à peine eut-il détourné les yeux sur la Personne qui les ouvroit, que reconnoissant la Dame qu’il avoit crû éviter, & luy voyant une Epée nuë à la main, il fit un grand cry qui luy attira bien-tost du secours. Ce cry surprit tellement la Dame, qu’elle demeura comme immobile. Son étonnement estoit bien plus juste que celuy du Cavalier. Elle ne s’attendoit à rien moins qu’à le rencontrer dans cette Chambre. Il faut vous dire ce qui l’y avoit amenée. On prétend qu’une Epée nuë mise sous le chevet d’un Homme qui n’est point marié, a la vertu de le faire resver la nuit à la Personne qu’il doit épouser. La jeune Veuve, & une de ses Amies, que l’oisiveté de la Compagnie mettoit en état de badiner, résolurent d’en faire l’épreuve sur le Marquis, & ce fut la Veuve qui se chargea du soin de placer l’Epée. Elle s’estoit glissée adroitement dans sa Chambre dans le temps qu’il estoit le plus attaché aupres des Dames, & elle s’applaudissoit déja de l’heureuse exécution de son entreprise, quand frappée de la veuë du Cavalier, & ne pouvant presque en croire ses yeux, elle baissa tout d’un coup l’Epée qu’elle avoit avancée d’abord vers le chevet. Le Cavalier qui avoit tout lieu de s’imaginer qu’estant avertie de son arrivée, elle n’estoit venuë ainsi l’Epée à la main que pour se vanger de sa perfidie, crut qu’un mouvement de pitié la retenoit, & voulant profiter de son desordre, il luy dit les choses du monde les plus touchantes, sur ce que se connoissant indigne de vivre, il n’apporteroit aucun obstacle à sa mort, si elle pouvoit expier son crime. Le Marquis suivy de toute la Compagnie qui estoit chez luy, entra dans ce mesme temps. Ils venoient sur le cry du Cavalier. Quelque Domestique l’avoit entendu, & estoit venu leur dire ce qui se passoit. La Dame avoit encor l’Epée à la main. Ils sçavoient tous à quelles menaces elle s’estoit emportée, & cette Epée nuë ne permettoit point de douter de son dessein. Quoy que l’infidelité du Cavalier fust genéralement condamnée, on estoit partagé sur la vangeance. Les Hommes disoient que ce seroit vouloir dépeupler le Monde, que de punir de mort tous les Infideles ; & les Dames prétendoient se faire un si grand effort en recevant les vœux d’un Amant, qu’on ne pouvoit estre de mauvaise foy avec elles sans mériter les plus rudes peines. Il n’estoit pas temps de vuider la Question. Cependant l’Amie qui avoit conseillé l’épreuve de l’Epée nuë, rioit de toute sa force de voir l’effet qu’elle avoit produit, sans qu’on pust sçavoir ce qui l’obligeoit à rire. D’un autre costé le Cavalier repentant tâchoit toûjours de fléchir la Dame, & comme l’occasion estoit assez favorable, il luy parla d’une maniere si tendre, qu’il n’y eut personne qui ne s’interessast pour luy. Des contretemps si peu attendus mirent un trouble incroyable dans l’esprit de la jeune Veuve. Chacun luy parla. Elle écouta sans répondre, & laissant enfin tomber l’Epée, elle se tira de la Chambre toute interdite. Les Dames ne la voulurent point quiter. Le Cavalier en avoit trop fait pour n’achever pas. Il s’habilla promptement, & se faisant mener par le Marquis dans l’Apartement où elle s’estoit retirée, il courut se jeter à ses genoux, tira son Epée, & luy marqua tant d’amour en luy demandant la mort qu’elle sembloit s’estre résoluë à luy donner, que vaincuë par les prieres de ce qu’elle avoit là d’Amies, & plus encor par un reste de tendresse qu’elle n’avoit pû s’arracher du cœur, elle consentit à luy pardonner, pourveu qu’un entier attachement luy fist mériter l’oubly de sa perfidie. Il ne luy en put donner de plus fortes assurances, qu’en la conjurant de faire dresser des Articles de Mariage. Il y a quinze jours qu’ils furent signez, & ç’a esté depuis la signature de ces Articles que la jeune Veuve a crû devoir s’expliquer sur l’incident de l’Epée. La chose avoit si avantageusement réüssy pour le Cavalier, qu’il ne put l’apprendre sans admirer combien le hazard termine d’affaires, dont quelquefois de longues poursuites ne pourroient venir à bout. L’épreuve qu’on avoit eu dessein de faire luy donna quelque lieu de plaisanter. Il fit le jaloux, & demanda en riant à l’aimable Veuve, si elle avoit souhaité que le Marquis révast à elle la nuit. Le Mariage se doit faire au premier jour, & il y a grande apparence qu’il sera fait avant que ma Lettre soit achevée.

[Livre nouveau] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 73-75.

Je ne puis vous parler de Mariage sans me souvenir de celuy pour lequel vous m’avez mandé ces derniers jours, qu’un de vos Amis avoit besoin de quelque Expédition en Cour de Rome. S’il veut estre parfaitement éclairé sur cette matiere, il n’a qu’à lire le Livre que Mr Pelletier Avocat en Parlement, & pourvû d’un des Offices de Banquier Expéditionnaire, vient de donner au Public. Il y trouvera plusieurs modeles d’Actes, avec le prix que chaque Expédition doit couster, suivant le Tarif arresté du Conseil du Roy. Ce qu’il y a de fort commode quand on les passe chez Mr Pelletier, c’est qu’il envoye à Rome tous les Lundys & tous les Mardys au matin, & que ses envoys y arrivent aussitost que ceux du Vendredy précedent. Rien ne peut estre plus avantageux pour les affaires pressées. Son Livre se vend chez le Sieur Blageart dans la Court neuve du Palais, & a pour titre, Instruction tres-facile & necessaire pour obtenir en Cour de Rome toute sorte d’Expéditions, les mettre à exécution, les sçavoir lire, &c. Si cet avis est inutile pour vous, beaucoup de vos Amis, seront peut-estre bien-aises de le recevoir.

[Festes données par un Cavalier d’Avignon] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 92-105.

Il s’est peu fait de Festes galantes, ny pour Mariage, ny pour aucune autre occasion de réjoüissance particuliere, qui égalent celle qu’un Cavalier d’Avignon donna l’onziéme de Septembre à une Belle, par le seul dessein de la divertir. Il fit avancer deux grands Bateaux du costé de la Ville que je viens de vous nommer. Ils estoient couverts de feüillages d’Orangers & de Citronniers, avec quantité de Fleurs de toutes sortes rangées en Festons & en Chiffres, qui representoient les noms de la Belle, & du Cavalier qui la régaloit. Les Banderoles estoient d’un Taffetas blanc & incarnat, & ces mystérieuses couleurs avoient du raport avec la blancheur & la vivacité du teint de cette aimable Personne. Toutes les Dames furent conduites par autant de Cavalier dans douze Carrosses qui les menerent jusqu’au bord de la Riviere. Elles entrerent dans les deux Bateaux, & partirent au bruit de quelques Pieces de campagne, escortées de quatre autres Bateaux qui portoient chacun quelque plaisir diférent. Il y avoit un Concert de Voix & d’Instrumens dans le premier. Le second estoit remply de Flustes, de Hautbois, & de Trompetes qui joüoient alternativement. On avoit mis des Violons dans le troisiéme ; & dans le dernier, c’estoient plusieurs Trompetes marines, qui répondant aux autres Trompetes, faisoient sur l’eau le plus agreable effet du monde. Douze Carrosses attendoient cette belle Compagnie à l’autre bord pour la mener à une Maison de plaisance, où un magnifique Déjeuné se trouva servy. Apres ce premier Régal, les Dames remonterent en Carrosse, & allerent dans un Bois à un quart de lieuë de là. Des Chevaux & une grande Meute de Chiens les y attendoient. Elles estoient toutes en Habit de Chasse, avec des Perruques & des Chapeaux couverts de Plumes. Chaque Cavalier portoit les mesmes couleurs que la Dame pour laquelle il s’estoit déclaré dans cette Partie. La Maîtresse avoit un Habit des mieux entendus. C’estoit une Moire couleur de Cerise, brodée d’argent ; la Jupe de mesme, avec des Plumes blanches & couleur de Cerise. Son Cheval estoit enharnaché d’une Moire incarnate, avec de la broderie d’argent. Toutes les Boucles estoient du mesme métal. Il portoit sur sa teste une Aigrete blanche, garnie de Plumes de mesme couleur, meslées avec d’autres, couleur de Cerise. Tous les Cavaliers avoient leurs Chevaux enharnachez, avec une propreté admirable. Les Aigretes & les Plumes qui leur servoient d’ornement, estoient des mesmes couleurs des Dames. Le Cerf fut couru, & on ne peut rien adjoûter aux marques de force & d’adresse qu’elles donnerent en le poursuivant. La Chasse finit sur les deux heures, à cause de l’excessive chaleur. On revint dîner. Il y eut quatre Tables de douze Couverts à six Services chacune. Vous pouvez croire que rien n’y manqua, soit pour la bonté des Viandes, soit pour la délicatesse des Entremets. Le Fruit répondit au reste, & tout ce qu’on peut faire d’Eaux glacées à Avignon, fut prodigué à toutes les Tables sur la fin de ce Repas. La Musique & les Instrumens qui avoient diverty les Dames en passant le Rhône, furent mis dans quatre Chambres qui ouvroient dans la Salle du Festin. Aprés le Dîné, les Cavalier remonterent à cheval pour courir la Bague. Celuy qui donnoit la Feste, emporta la Course pour les Dames ; & un autre reçeut de la Belle à qui les honneurs estoient deférez dans cette Partie, une faveur de Rubans couleur de Cerise & blancs. C’estoit le prix destiné au Victorieux. A ce divertissement succeda la représentation de l’Inconnu, avec tout ce qu’on y peut mesler d’agrémens en Province. De jeunes Gentilshommes en danserent les Entrées, & on n’oublia rien de ce qui pouvoit donner de l’éclat à cette galante Piece. On servit en suite un Soupé aussi magnifique qu’avoit esté le Dîné. Les Violons, les Flustes, & les Hautbois, s’y firent entendre, & cette belle Compagnie fut à peine sortie de table, qu’elle alla voir un Feu d’artifice qui avoit esté préparé sur le milieu d’un Etang. Quantité de Fusées volantes precéderent l’embrasement de la principale Machine, qui fit un tres-bel effet. Apres ce plaisir, on alla prendre celuy du Bal. Il fut poussé jusqu’au jour, & interrompu deux heures apres qu’on l’eut commencé, par une Collation de toutes sortes de Confitures & de rafraîchissemens qu’on apporta dans douze Bassins. Le lendemain les Dames dormirent si tard, & se trouverent si lasses d’avoir trop dansé, qu’au sortir du Lit elles aimerent mieux entendre un Concert de Voix & d’Instrumens, que d’aller à une seconde Partie de Chasse qui avoit esté arrestée le soir precédent. Le Dîné qui fut servy aussitost apres, ne fut pas moins beau que les deux premiers Repas. On laissa passer la plus grande chaleur du jour, & on retourna à Avignon dans les mesmes Carrosses & dans les mesmes Bateaux qui avoient déjà amené les Dames. Elles rentrerent chacune chez elles pour changer d’Habit. Le Cavalier donnoit le soir un fort grand Bal dans la Ville pour terminer toute cette Feste, & elles crûrent y devoir paroistre avec une nouvelle parure. La dépense qu’il faisoit, méritoit bien le soin qu’elles prirent. Elle est grande, & on en seroit surpris, si elle ne luy estoit pas ordinaire ; mais jamais Homme ne fut plus libéral pour le beau Sexe, & comme il est extrémement riche, son plus grand plaisir est d’employer une partie de son Bien à divertir & à régaler les Dames. On ne peut trop estimer une si généreuse inclination. Que sert le Bien aux Avares ? Est-ce en avoir, que de n’oser en joüir ? Faisons tels amas qu’il nous plaira. La mort nous contraint de tout quiter, & il n’y a rien d’assuré contr’elle.

La Vache et l’Ours. Conte §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 120-125.

Un Article si lugubreIII doit estre suivy de quelque chose de réjoüissant, qui puisse effacer les tristes images qui en demeurent presque toûjours. Rien ne me paroist plus capable de vous les faire bannir, que l’agreable Conte que je vous envoye. Il est du mesme Autheur dont je vous en ay déjà fait voir quelques-uns.

La Vache
et l’Ours.
Conte.

          Dans un Canton de la Provence,
          Arrosé des eaux de Durance,
          Un jour un Berger amoureux,
          Ayant apperçeu sa Bergere
          Seule à l’écart sur la Fougere,
Profita, pour la voir, de ce moment heureux ;
          Mais auparavant il attache
Une Genisse blanche, autrement une Vache,
          Qu'il menoit paître tous les jours.
          Il l’attache, dis-je, à la Porte
          D'une Maison à quatre Tours,
          Autrefois assez belle & forte,
Mais qui pour lors n’estoit qu’une Taniere d’Ours,
          Et plein du feu qui le transporte,
          Il vole où gisent ses amours.
Laissons-le s’expliquer sur les maux qu’il endure,
Nous ne sommes pas Gens à garder le manteau.
          Ainsi retournons au Chasteau
          Pour y voir une autre avanture.
          Un Ours énorme que la faim
Avoit contraint d’aller le matin à la Chasse
          Du Cerf, de la Biche, ou du Daim,
En revenoit le soir confus, la teste basse,
          Le ventre vuide, sans vigueur ;
          Mais dés qu’il eut veu la Genisse,
          Il sentit grande joye au cœur.
          J'en mangeray sur mon honneur,
          Dit-il, grand Pan, sois-moy propice ;
D'un regard favorable, & d’un œil de douceur,
          Envisage le sacrifice
Que je vay de ce pas offrir à ta Grandeur.
          Apres qu’il eut fait sa priere,
          Il relança cet Animal
Dans l’antique Chasteau qui luy sert de taniere ;
          Mais sa mine sauvage & fiere
          Luy fit plus de peur que de mal,
          Car dés l’instant qu’il se prépare
          À faire un hachis de son corps,
          La Vache, sans luy dire gare,
          Se sauve, & gagne le dehors.
Le licol qui la tient, tire apres soy la Porte.
          Ainsi l’Ours reste pris sans vert,
          Et la Fugitive à couvert
          De la fureur qui le transporte,
          Se rit de luy de cette sorte.
          Dieu vous gard, Monsieur l’affamé,
On dit icy (voyez quelle est la médisance)
          Que vous vouliez de vostre panse
Faire à mon pauvre corps un sepulcre animé.
          Cela n’est pas hors d’apparence.
          Mais vous eussiez esté blâmé
          De me tenir là renfermé,
          Sans en avoir de moy licence.
          Le Berger apres ce discours
Vient, apprend l’avanture, & met en pieces l’Ours.
Vous Filoux, dont l’esprit incessamment s’occupe
À chercher dans le jeu le moyen de piper,
Apprenez que celuy qui pense nous duper,
          Souventefois est pris pour dupe.

[Dessein d’un Tableau donné au grand Bureau des Pauvres] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 129-136.

Les continuelles victoires qu’ilIV a remportées sur ses Ennemis, font le sujet d’un magnifique Tableau, donné depuis peu par Mr Aubert, Bourgeois de Paris, au grand Bureau des Pauvres. Le dessein est de son invention, & le Sr le Monnier, l’un des plus excellens Peintres de l’Académie, luy a presté sa main pour l’exécuter.

On voit sur une toile longue de neuf à dix pieds, & haute de cinq à six, un grand Sallon d’une noble Architecture. Les illustres Conquérans dont les Grecs & les Romains ont fait leurs Héros, sont placez dans le Pourtour. On y a joint Charlemagne, Henry le Grand, & enfin ceux de nos Roys dont les belles actions approchent le plus des miracles de nostre auguste Monarque.

Au milieu de ce Sallon est un Piedestal de diférens Marbres. Il y a au pied un Faisceau de Flêches rompuës qui représente les Provinces-Unies, des Boucliers brisez, sur lesquels le Lyon d’Espagne, & l’Aigle de l’Empire sont peints, & la Toison d’Or humiliée sous un Fer victorieux.

Sur ce Piedestal trois Génies, qu’il est aisé de connoistre pour les simboles de la Sagesse, de la Valeur, & de la Liberalité, placent le Portrait du Roy, & semblent vouloir dire par leurs actions, que c’est à Loüis le Grand que cette place estoit réservée avec justice, puis que le Ciel, pour le bonheur & la gloire de la France, a assemblé dans son auguste Personne, toutes les admirables qualitez de ces divers Conquérans. C'est ce que signifient ces Paroles qui sont gravées en lettres d’or, sur une Table de Marbre du Piedestal.

Tot numina in uno.

La Renommée paroist à costé. Elle tient d’une main sa Trompete & son Drapeau déployé, & de l’autre, elle montre le Portrait du Roy aux quatre Parties du Monde qui sont à droit & à gauche, en posture de Personnes touchées en mesme temps de frayeur, d’admiration, & de reconnoissance. Ces quatre Vers sont dans le Drapeau de la Renommée, & expriment ce que semble dire son action.

Peuples, ne vantez plus le sang des Demy-Dieux
Et de la Grece antique, & de la vieille Rome ;
Louis vous fait bien voir par ses Faits glorieux,
Que toute leur vertu brille dans un seul Homme.

Deux autres petits Génies qui sont dans le bas du Piedestal, semblent avoir esté envoyez à ces quatre Parties du Monde, pour leur expliquer ce que signifient ces Armes brisées, ces Boucliers, & les autres simboles qui font l’ornement de ce Piedestal. Leur action est toute parlante, & il n’y a aucune de ces Figures qui n’anime la Victoire à mettre sur la teste du Roy la Couronne qu’elle tient. Un Dessein si ingénieux méritoit de ne vous estre pas inconnu. Voicy ce que Mr Monchamps Avocat au Grand Conseil, a adressé à Mr Aubert, apres avoir vû ce Tableau.

Tu n’as pas eu raison de placer ce Héros
Au milieu des Césars & du Grand Aléxandre ;
Leurs Exploits n’ont servy qu’à troubler le repos,
Qu'à desoler la Terre, & la couvrir de cendre.
Louis a mieux connu la solide valeur,
Mieux qu’eux il a trouvé le chemin de la Gloire,
Par ses Faits étonnans il a fait voir son cœur,
Et qu’il a sçeu comme eux enchaîner la Victoire.
Mais comme Luy les Grecs & les Romains,
Apres qu’il a vaincu sur la Terre & sur l’Onde,
Quand il a pû conquérir tout le Monde,
N'ont pas donné la Paix, & desarmé leurs mains.

Epitaphe pour la Belle Mademoiselle *** §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 159-160.

Voicy ce qui a esté fait depuis peu de jours pour mettre sur celleV d’une fort aimable Personne.

Epitaphe
pour la Belle
Mademoiselle ***

          Ny la vertu, ny les appas,
          Ne pûrent sauver du trépas
La belle Amarillis que couvre cette Pierre.
          Le Ciel la prit dans son Printemps,
          N'ayant pas jugé que la Terre
Fust digne de porter ce Trésor plus longtemps.

Cette Devise a esté faite aussi pour la mesme. Une Fusée qui s’éleve & qui se creve dans l’air, avec ces paroles, Quæsivit cœlo lucem.

A Iris. Sonnet §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 160-162.

J'ajoûte un Sonnet sur la Maladie du temps. Il a esté envoyé à une Belle enrhumée, qui fait gloire de ne rien aimer.

A Iris.
Sonnet.

J'eus un ennuy si fort à la triste nouvelle
De ce Rhume insolent qui déborda sur vous,
Qu'il fallut, pour calmer ma souffrance mortelle,
Que l’Amour employast ce qu’il a de plus doux.

***
Ne te plains point, dit-il, Iris est criminelle,
Et son Rhume est l’effet de mon juste courroux ;
Tant qu’à mes douces Loix elle sera rebelle,
Il faut que de ma haine elle sente les coups.

***
Voila ce qu’il me dit ; dois-je vous le redire ?
Non, Iris, car enfin que sert à mon martire
Que vous soyez sensible aux plaintes d’un Amant ?

***
Si mon cœur plein d’amour ne peut toucher le vostre,
J'ay du moins dans mes maux quelque soulagement,
Quand je vous voy d’humeur à n’en point aimer d’autre.

Le Pigeonneau. Fable §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 171-174.

Pardonnez-moy ma sincérité. Je ne suis pas le seul de mon sentiment, & la Fable que je vous envoye vous fera connoistre que d’autres que moy condamnent dans la Jeunesse, cette trop prompte démangeaison de s’exposer en public.

Le
Pigeonneau.
Fable.

     Un Pigeonneau depuis dix jours éclos,
          Ne pouvant regarder sans peine
          Les Pigeons voler dans la Plaine,
          Tandis qu’il estoit en repos,
Assembla ses Amis (car son joly plumage
          Le faisoit admirer de tous.)
Il leur dit, Chers Pigeons, me voicy dans un âge
Où se faire connoistre est un grand avantage.
          Si je sortois, qu’en dites-vous ?
          Je me sens bien, j’ay l’aisle forte,
Et je ne pense pas qu’aucun sur moy l’emporte.
Chacun luy conseilla d’attendre quelque temps,
Il ne répondit rien. Dés qu’ils furent aux champs,
Consultant ses desirs qu’il prend pour de la force,
Il veut quitter le Nid, bat de l’aisle, s’efforce ;
Mais à peine dans l’air se fut-il éprouvé,
          Que la peur jointe à la foiblesse,
          Le fit tomber avec plus de vîtesse
Que ses premiers efforts ne l’avoient élevé.
Jeunes Gens, qui remplis d’une ardeur teméraire,
          Dans la Chaire, ou dans le Barreau,
Hazardez à vingt ans ce qu’à peine on peut faire
Dans l’âge le plus meûr, voila vostre Tableau.

[Cadran galant]* §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 174-175.

Je vous envoye un Cadran galant qui a esté fait pour une Dame d’un fort grand mérite, & d’une qualité tres-distinguée. Les paroles Italiennes qui sont en demy-cercle au dessus de la teste de l’Amour qui tient le Cadran, & que vous trouverez expliquées par les Vers que j’ay fait graver dans cette Planche, conviennent fort à la beauté de la Dame, qui en plaisant trop aux yeux, cause de fâcheux desordres dans le cœur. Ainsi peu de Gens ont le plaisir de la voir, qu’ils ne passent en suite de méchantes heures.

[L'Amant liberal, Histoire] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 175-190.

On m’a parlé depuis quelques jours d’un Homme aussi galant que spirituel, qui n’en a presque jamais que de bonnesVI. Rien ne luy manque. C'est le vray moyen de vivre heureux. Son plus grand plaisir est de voyager. Il voit les Belles dans toutes les Villes où il passe, & il se montre toûjours prest à les régaler. Si quelque Dame luy touche particulierement le cœur, il n’épargne ny présens pour s’acquérir son estime, ny agréables Parties pour la divertir. Ce n’est pas seulement en amour qu’il est libéral. Il est ravy d’obliger toutes les Personnes de mérite, & il ne peut voir un honneste Homme dans l’embarras, sans luy offrir dequoy l’en tirer. Une genérosité si peu commune surprend tous ceux qui en ressentent l’effet ; & comme le bruit s’en est assez répandu, voicy ce qu’on m’assure qu’il a produit depuis quelques mois. Une Dame de Province, demeurant dans une des meilleures Villes de France, à trente lieuës de Paris, découvrit que le Cavalier dont je vous parle y devoit passer. Ce qu’elle avoit entendu dire de ses manieres, luy donna envie de le voir ; & comme elle estoit assez bien faite pour pouvoir croire qu’elle luy plairoit, elle résolut de l’engager avant qu’il fist connoissance avec d’autres Belles. La précaution dont elle usa la fit réüssir dans ce dessein. Elle avoit pris si bien ses mesures par des Espions interposez, que le Cavalier luy rendit visite si-tost qu’il fut arrivé. Il la trouva toute aimable, & pendant un mois qu’il demeura dans la Ville, il eut pour elle toute l’assiduité qu’elle souhaitoit. Ce ne furent que festes & que plaisirs. La dépense estoit un sujet de joye pour le Cavalier, & la Dame ne luy avoit pas si-tost proposé quelque Divertissement, qu’il le faisoit préparer avec une somptuosité extraordinaire. C'estoit beaucoup, mais ce n’estoit pas ce qu’elle vouloit. Un Procés fort important qu’elle devoit poursuivre à Paris, la pressoit d’y donner ordre. L'argent luy manquoit, & comme le Cavalier estoit le plus obligeant Presteur du monde, elle s’assuroit de le faire aller au devant de ses besoins, en luy disant quelquefois que le Mestier de plaider estoit ruinant, qu’on ne venoit à bout des Procureurs & des Avocats qu’en les payant largement, qu’il y avoit mesme des ressorts qu’il estoit impossible de faire mouvoir dans les affaires sans qu’il en coûtast, & qu’on estoit dans un temps où l’on avoit grande peine à toucher une partie de son revenu. Le Cavalier reçeut la harangue, & n’y répondit qu’en promettant à la Dame une Lettre de recommandation pour un de ses plus particuliers Amis qui luy feroit avoir raison de ses Juges. Ce procedé la surprit. Il luy avoit fait de si fortes protestations de services, qu’estant aussi genéreux qu’on le disoit, elle n’avoit point douté qu’il ne dust l’entendre. Cependant comme elle ne pût se résoudre à luy parler plus ouvertement, elle le laissa partir sans en avoir reçeu autre chose que la Lettre de faveur, qu’il luy donna cachetée. Il la pria d’en prendre grand soin, l’assurant qu’elle seroit satisfaite de son Amy. La Dame partit elle-mesme quelques jours apres, & se rendit à Paris, où le Cavalier devoit luy donner de ses nouvelles, en attendant qu’il y vinst luy-mesme appuyer ses intérest. Elle y trouva son Procés distribué, & le besoin qu’elle eut de crédit aupres de son Raporteur, la fit se hâter de rendre la Lettre. Elle alla chercher celuy à qui elle s’adressoit, & entra dans une Maison d’apparence qui luy fit juger qu’il n’estoit pas du commun. On la pria de monter ; & l’honnesteté avec laquelle l’Amy du Cavalier la reçeut, luy fut une preuve de la considération qu’il avoit pour luy. Il leût la Lettre, & sans attendre le compliment que la Dame se préparoit à luy faire, il la pria de luy permettre d’entrer dans son Cabinet. Elle ne comprenoit rien à cette maniere d’agir, & si elle fut surprise de ce qu’il la quitoit sans luy rien dire, son étonnement fut beaucoup plus grand, quand il revint un Sac à la main. Il en tira force Loüis d’or qu’il mit sur la Table, & commençant à compter, il pria la Dame de prendre garde s’il comptoit juste. La priere luy paroissant un peu libre, dans une chose où elle ne devoit avoir aucun intérest, elle feignit de ne pas l’entendre, & mit le Compteur sur le chapitre du Procés qui l’amenoit. Il comptoit toûjours, & ne cessa point qu’il n’eust fourny mille Loüis d’or. La vision n’estoit pas desagreable. Il en fit un Sac, & dit à la Dame qu’ils estoient à elle, & qu’elle n’avoit qu’à les emporter. La Dame luy demanda raison de tout ce mistere. Il répondit qu’il suivoit son ordre, & faisant prendre le Sac à un de ses Gens, & donnant la main à la belle Dame, il la ramena dans son Carrosse, & y fit porter les mille Loüis. Ils valoient bien une sollicitation de Raporteur. Aussi la Dame ne songea-t-elle plus à luy en parler. Il vouloit que les mille Loüis fussent à elle, & comme il le vouloit fort obstinément, elle se résolut à y consentir. En la quitant, il luy rendit un Billet qu’il avoit reçeu pour elle du Cavalier. Voicy ce qu’il contenoit.

Faites mouvoir tous les ressorts nécessaires pour gagner vostre Procès. Payez largement Procureurs & Avocats, j’auray toûjours de l’argent pour y fournir ; & les mille Loüis d’or qu’on doit vous avoir donnez, répondront de ma parole. Ce service n’est pas fort considérable. C'est à vous à voir si vous m’estimez assez pour en vouloir recevoir de plus importans.

Les termes de ce Billet firent connoistre à la belle Dame que le Cavalier l’avoit entenduë quand elle luy avoit parlé de son Procés. Elle vit bien que la seule envie de faire les choses plus galamment l’avoit empesché de s’expliquer alors avec elle ; mais si une honnesteté si engageante luy donnoit sujet de le souhaiter toûjours pour Amy, elle ne pouvoit concevoir comment quantité de libéralitez de cette force dont elle estoit informée, ne le mettoient pas hors d’état d’estre prodigue. Elle en parla à tous ceux qu’elle sçavoit qui le connoissoient, & il n’y en eut aucun qui ne luy dist qu’il avoit la Pierre Philosophale. Ils l’assurérent qu’il s’estoit vanté souvent à eux d’un Secret qui ne le laisseroit jamais manquer de rien, & adjoûtérent que les excessives dépenses qu’il avoit faites, l’auroient cent fois accablé, s’il n’avoit des ressources inconnuës. Cette assurance dût plaire à la Dame, qui s’en estant fait aimer, ne peut tirer que de tres-grands avantages de ce commerce. Elle l’entretient par Lettres fort exactement, & vous jugez bien qu’elle en écrit peu qui ne pressent le retour du Cavalier.

[Plusieurs Maistres donnez à Mademoiselle] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 213-217.

Je passe à un Article que je sçay qui vous plaira, par l’estime que vous avez toûjours euë pour l’illustre & fameux Mr Lambert. Monsieur l’a choisy pour apprendre à chanter à Mademoiselle. Il falloit ce grand Homme pour perfectionner la belle voix de cette jeune Princesse, & pour mettre le comble à ses rares & extraordinaires qualitez. On peut les nommer ainsy, puis qu’on n’a encor veu aucune Personne sçavoir tant de choses à son âge, & les sçavoir si bien qu’elle fait. Mais on n’a pas lieu d’en estre surpris. Le génie de cette Princesse est si beau, qu’on diroit que tout ce qu’elle fait luy est naturel. Elle parle Italien comme François, sçait parfaitement l’Histoire, les Intérests des Princes, la Géographie, & le Blason, danse avec un air charmant, touche le Clavessin de mesme, & possede assez la Musique pour chanter à Livre ouvert. On ne devoit pas moins attendre des Hommes choisis qui ont travaillé à son éducation. Mr des Airs pour la Danse, feu Mr Hardel & Mr d’Anguelberg pour le Clavessin, & Mr Clement pour la Musique, sont ceux qui ont esté employez à luy montrer ces beaux Arts. Mr l’Abbé Testu a pris soin du reste, & a trouvé de si belles dispositions dans son esprit, qu’on peut dire qu’il n’a eu aucune peine à luy faire part de ses lumieres. Tout cela n’est rien à l’égal de l’honnesteté & de la douceur de cette Princesse. Tous ceux qui ont l’honneur de la voir en sont charmez, & trouvent que sa naissance, quelque auguste qu’elle soit ne peut qu’égaler les avantages de sa Personne.

[Galanterie en Vers] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 217-226.

Il y en a de trop grandsVII pour moy à entretenir le commerce que vous avez bien voulu que nous ayons étably, pour ne pas chercher à vous le rendre agreable par toute sorte de nouveautez. Les Vers que vous allez voir peuvent entrer dans ce rang, puis qu’ils n’ont pas mesme esté vûs de la Personne à qui ils s’adressent, & qu’elle ne découvrira qu’ils sont faits pour elle, que quand le hazard luy fera tomber cette Lettre entre les mains. On me les a donnez dans ce dessein. Elle a infiniment du mérite, & quoy qu’elle se doive reconnoistre quand je vous diray qu’elle est blonde, jeune, belle, & d’une conversation aisée, qu’elle a l’esprit vif & délicat, & que sans avoir jamais quitté la Province elle n’en a point les defauts, je suis assuré qu’elle ne sçaura que c’est son Portrait que je vous fais, que quand je vous auray appris ce qui a donné lieu aux Vers que je vous envoye. Un Cavalier qui retournoit à Paris, estoit allé prendre congé d’elle, & comme elle avoit occasion d’y venir passer l’Hyver, il luy fit promettre qu’elle ne le négligeroit pas. On parla ensuite de plusieurs choses. Quelques questions galantes furent proposées, & enfin la Belle demanda au Cavalier, à quelle sorte de Gens il appliquoit le reproche de n’estre ny Chair ny Poisson. Il luy dit en peu de mots ce qu’il en pensoit, & s’estant souvenu avec plaisir de cette aimable Personne depuis qu’il ne la voit plus, il a crû ne luy pouvoir mieux prouver qu’il pensoit à elle dans son absence qu’en faisant ces Vers.

A Mademoiselle
de G***

          Vous demandez ce qu’on peut estre,
          Quand on n’est ny Chair ny Poisson ;
          Je vous le diray sans façon,
          Autant que je le puis connoistre.

***
Gens qu’on appelle ainsy, selon moy, ce sont ceux
          Qui s’exposant aux yeux des Belles,
Lors que de tous costez on leur ofre des vœux,
          Ne se sentent point aupres d’elles.

***
Par exemple, un Flandrin qui seroit assez sot,
          S'il vous trouvoit seulete à l’ombre,
          Pour passer sans vous dire mot,
          Devroit estre mis de ce nombre.

***
          Il est vray que mal-aisément
On pourroit rencontrer Flandrin de cette espece.
Quelque affaire qu’on ait, paroissez un moment,
          Aussitost toute affaire cesse.

***
          Vous parler est l’unique bien
          Qu'alors la raison nous propose ;
          Et l’Homme de tous le plus rien,
          Devient pres de vous quelque chose.

***
De ce prompt changement on le doit estimer ;
          Vous estes belle, jeune, & blonde,
     Et pour vous voir, & ne pas s’enflâmer,
          Il faut estre de l’autre Monde.

***
Pour moy qui de tout temps spéculay sur l’amour,
          Si je n’en eus pas la pratique,
Avec vous volontiers, y pouvant trouver jour,
          Je déployerois ma rhétorique.

***
De mes refléctions peut-estre ay-je tiré
          D'assez fidelles connoissances ;
          L'Amour, tout bien considéré,
          N'est pas la moindre des sciences.

***
          Il a certains je-ne-sçay-quoy
Dont l’assaisonnement veut une longue étude.
Eprouvez si l’on peut s’en rapporter à moy,
La fatigue pour vous ne sera pas fort rude.

***
Vous connoistrez mon zele à vous donner leçon,
Et si vous m’honorez d’une faveur secrete,
Je seray là-dessus muet comme un Poisson,
Mais ma joye en transports ne sera pas muete.

***
La Beauté méritant tous nos soins, tous nos vœux,
Chair & Poisson en moy se joindront pour la vostre,
          Et loin de n’estre aucun des deux,
          Je seray pour vous l’un & l’autre.

***
Poisson pour ne rien dire, & Chair pour bien sentir
Tout ce qu’un bel Objet peut inspirer de flâme,
          J'auray peine à me garantir
De vous abandonner l’empire de mon ame.

***
S'il falloit qu’il vous plust (car enfin que sçait-on ?)
Nous pourrions l’un & l’autre aller loin en tendresse.
Ne vous répondez point d’une vertu tygresse,
L'Amour chante bien haut, quand il a pris son ton.

***
          Charmé de vous voir toute aimable,
          Je n’aurois des yeux que pour vous ;
Et peut-estre un amour discret, ardent, durable,
Auroit pour vous toucher des charmes assez doux.

***
          Vous riez, & quand je m’applique
À vanter le pouvoir de vos jeunes appas,
Ce que de vous à moy ma Muse vous explique,
Dites la verité, vous ne l’attendiez pas.

***
Quoy que plus d’un Amant chaque jour vous proteste,
Mon cœur mérite bien... Adieu, dans quelque temps,
Selon vostre promesse, icy je vous attens ;
Lors que vous y serez, on vous dira le reste.

***
Cependant si ces Vers qui vous parlent pour moy,
N'ont point ce tour galant qui donne goust à lire,
          Du moins, belle Iris, ils font foy
          Qu'on pense à vous sans vous le dire.

[Suite du Voyage de la Reyne d’Espagne] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 226-257.

Vous vous souviendrez s’il vous plaist, Madame, que dans ma Lettre du dernier Mois nous laissames la Reyne d’Espagne à Bordeaux. Il faut vous entretenir de la suite de son voyage. Le zele que les Habitans de cette grande Ville firent paroistre dans cette rencontre, fut si agreable à cette Princesse, qu’elle y demeura huit jours, pendant lesquels, elle donna deux fois le bal aux Dames, monta à cheval pour se faire voir au Peuple, & prit souvent le divertissement de la Chasse. Elle partit de Bordeaux le Mercredy dix-huitiéme de l’autre Mois, & alla coucher à Castres. Le Jeudy dix-neufviéme, elle arriva à Bazas. Les Bourgeois s’estoient mis sous les armes pour la recevoir, & elle trouva toutes les Ruës de son passage tapissées. Le Vendredy, elle se rendit à l’Eglise Cathédrale pour y entrendre la Messe. Mr l’Evesque de Bazas la harangua à la Porte de l’Eglise, à la teste de son Chapitre. Il avoit ses Habits Pontificaux. L’apresdinée cette jeune Reyne se divertit à la Chasse, & se servit des Chiens de Mr le Marquis de Bougy. Elle partit de Bazas le Samedy vingt-uniéme, fort satisfaite des honneurs qui luy avoient esté rendus, & alla coucher à Roquefort. Ce fut là qu’elle eut nouvelles que toute sa Maison l’attendoit sur la Frontiere. On luy donna des Lettres de Madame la Duchesse de Terranova, choisie par le Roy d’Espagne pour estre sa Camerera Mayor, & de Mr le Duc d’Ossonne son Grand Ecuyer, arrivez à Iron dés le 17. Le lundy 23. elle vint coucher à Tartas, apres avoir couché le Dimanche au Mont-Marsan. Les Magistrats la reçeurent à la Porte de la Ville, présentez par Mr de Saintot Maistre des Cerémonies. Mr de Nolibois, Avocat & premier Jurat, porta la parole, & dit à la Reyne, Qu’il y avoit cette diférence entre les Princes du Sang auguste de Loüis le Grand, & le reste des Roys de la Terre, qu’il y en avoit beaucoup parmy les derniers qui tiroient toute leur grandeur de leur Couronne, au lieu que les autres honoroient le Trône par leur mérite ; Que cette verité paroissoit dans l’empressement extraordinaire qu’un des plus puissans Monarques du Monde avoit eu de partager son Sceptre avec Elle, toute la France demeurant d’accord qu’en luy soûmettant son cœur, il avoit plus consideré sa vertu que l’éclat de sa naissance. Il acheva en disant, Qu’il estoit obligé d’imiter les plus celebres Peintres de l’Antiquité, qui ayant à représenter quelque chose de fort élevé, donnoient ordinairement plus à penser, qu’ils ne peignoient dans leurs Tableaux.

La Reyne reçeut ce Compliment avec l’air doux & majestueux qui l’accompagne, & alla au bruit du Canon, & entre une double haye de Bourgeois rangez sous les armes, au Lieu qu’on avoit preparé pour son Logement. Comme il n’estoit que trois heures quand elle arriva, on luy servit d’abord à dîner. Madame la Princesse d’Harcourt, Madame la Maréchale de Clerambaut, & Madame la Marquise de S. Chamond, furent de sa Table. Elle dîna en public pour se laisser voir à tout ce qu’il y avoit de Personnes considérables dans la Ville. Apres le Dîné Mr de Saintot luy présenta les Officiers du Présidial. Mr de Chambre Lieutenant Genéral parla pour la Compagnie. Il fit voir Que cette Grande Princesse devoit faire la durée de la Paix entre la France & l’Espagne, puis qu’elle avoit esté choisie pour en estre le lien. Il la suplia ensuite de ne pas oublier la France, d’y porter quelquefois ses pensées, & que la Riviere de Bidassoa qu’elle alloit bientost passer, ne fust pas pour nous un Fleuve d’oubly.

Apres la Harangue, la Reyne ayant sçeu que parmy les Demoiselles de la Ville qui estoient dans son Antichambre, il y en avoit quelques-unes dont le talent pour la voix & pour la danse estoit estimé, donna ordre qu’on les fist entrer. Mademoiselle de Nolibois, Fille du premier Jurat, chanta plusieurs Airs qui furent écoutez avec plaisir, & on donna de grandes loüanges à Mademoiselle de la Peyre pour les Ménüets qu’elle dansa. La Reyne soupa sur les dix heures du soir, & ne reçeut personne à sa table. Sa Chambre estoit remplie de Personnes de qualité, tant de la Ville que de la Campagne. La beauté de Madame de Chauton s’y fit remarquer, & Madame de Carcen mesla tant d’esprit à l’enjoüement qu’elle a naturel, qu’il n’y eut personne qui ne luy applaudit sur son mérite. Cependant l’honnesteté qu’eut la Reyne pour toutes les Dames qui demanderent permission de la voir, ayant donné lieu à toute la Ville de s’étendre sur ses grandes qualitez, Mr du Camp Dorgas fit ces Vers qui luy furent leûs par Madame la Prince d’Harcourt.

Auguste & charmante Princesse,
En naissant vous donnez la Loy,
Vous avez le cœur d’un Grand Roy
Dans vostre plus tendre jeunesse.

***
Tout le monde charmé, s’écrie avec ardeur
Que la Vertu chez vous surpasse la naissance.
On voit CHARLE aujourd’huy partager sa puissance,
Mais CHARLE ne sçauroit partager son bonheur.

***
Vous n’avez plus, Espagne, à craindre de tempestes,
Plus sujet d’envier nos étonnans Exploits ;
     Vous nous ostez par vostre choix
     Ce qui vaut mieux que nos Conquestes.

***
France, ses qualitez faisoient vostre entretien,
Arrestez la douleur que sa perte vous donne.
     Si vous vous privez d’un grand bien,
Vous augmentez l’éclat d’une illustre Couronne.

Les mesmes Personnes qui avoient dansé & chanté l’apresdînée devant la Reyne, luy donnerent le mesme divertissement quand elle eut soupé, & la belle Candine de Sainte Croix, Sœur du Baron de ce nom, y joignit celuy de l’entendre joüer de la Guitarre. Le lendemain elle se leva à sept heures, & estant montée à cheval une heure apres, elle alla entendre la Messe. Mr de Chambre Archiprestre, venérable par son mérite & par l’âge de quatre-vingt ans, la reçeut à la Porte de l’Eglise, à la teste de don Clergé. Il luy dit, Qu’il n’avoit plus lieu de se plaindre de sa vieillesse, puis que le Ciel luy accordoit une grace qui luy estoit plus prétieuse que n’auroit pû estre le retour de ses premieres années ; qu’il avoit eu le bonheur de voir toute la Maison Royale, & que le dernier honneur qu’il recevoit de paroistre devant une si grande Princesse, luy feroit quiter la vie sans regret, sçachant qu’il ne pourroit plus rien voir de si achevé & de si grand. Il ajoûta, que ses grandes qualitez l’ayant couronnée, sa vertu alloit briller dans un Royaume où la Religion & la Pieté régnoient avec grand éclat ; & que quelque fine que fust la politique des Espagnols, sa prudence leur donneroit des lumieres qui leur avoient toûjours esté inconnuës. La Messe finie, elle remonta à cheval, & estant sortie de la Ville une heure apres au bruit du Canon, elle prit la route de Dacqx. Mr le Marquis de Poyane, Gouverneur de cette derniere Ville, alla au devant d’elle jusqu’à un petit Village appelé Pontome, deux lieuës en deça de Dacqx. Il estoit à la teste d’une tres-leste Noblesse, & suivy d’un équipage de Chasse qu’il avoit amené pour la Reyne, comme elle luy avoit témoigné le souhaiter lors qu’il eut l’honneur de la salüer à Bordeaux. On courut le Lievre dans une vaste Campagne, & cette Princesse s’y divertit fort. Le mesme Mr du Camp dont je viens de vous parler, fit ces autres Vers sur cette Chasse.

La vertu de LOUIS surprend toute la Terre ;
     Ce Héros couvert de Lauriers
     Dans le cours d’une longue Guerre,
     A surpassé tous les Guerriers.

***
Dans tous ses mouvemens on voyoit la Victoire,
     Le plus cruel Hyver ne l’arresta jamais,
Et quand il pouvoit tout, au milieu de sa gloire,
     Il a voulu donner la Paix.

***
Mais c’est peu que LOUIS à l’Europe charmée
Fasse dans ses bontez trouver un seûr appuy ;
En redonnant le calme à l’Europe alarmée,
Il joint à ce bienfait un don digne de luy.

***
Par un auguste Hymen, Princesse incomparable,
Il vous fait le lien de cette heureuse Paix.
L’Espagne ayant en vous une Reyne adorable,
Que peut-il aujourd’huy manquer à ses souhaits ?

***
Outre que la Beauté par un noble partage
          Vous fait briller de mille appas,
Si la force est un bien que le Sexe n’a pas,
          Vous possedez cet avantage.

***
          J’admire cette jeune ardeur
          Qui vous fait courir à la Chasse,
          Et qu’au milieu de la Grandeur,
          La peine mesme vous délasse.

***
          Souvent dans ses temps de loisir
Diane dans les Bois faisoit voir son adresse,
     L’Antiquité dans ce noble plaisir
          Nous peint cette aimable Déesse.

***
Laissez-nous cet honneur, fameuse Antiquité,
Cachez les fictions dont vostre Fable est pleine,
Tout ce qu’a pû chez vous une Divinité,
          Nous le voyons dans une Reyne.

La Reyne d’Espagne fut reçeuë à Dacqx avec tous les honneurs qui luy estoient deûs ; & apres y avoir passé tout le Mercredy 25. elle en partit le Jeudy, & arriva le soir à Bayonne. On luy avoit préparé un Dais qui luy fut présenté par les Jurats à la Porte de la Ville. Elle y entra au bruit du Canon du Château, & de celuy de tous les Vaisseaux qui estoient alors dans le Port. Celuy de la Ville leur répondit ; & les Jurats apres l’avoir haranguée, la conduisirent au Chasteau où elle devoit loger. Ils y firent porter les Présens accoûtumez, & eurent tout lieu d’estre satisfaits des marques de bonté qu’elle leur donna. Le Vendredy 27. elle alla entendre la Messe à l’Eglise Cathédrale, & fut complimentée par Mr l’Evesque de Bayonne, revestu de ses Habits Pontificaux. Elle vouloit dîner en public, comme elle avoit fait dans beaucoup de Villes, mais le grand nombre de Gens accourus de tous costez pour la voir, luy fit changer de dessein. Parmy tant de Curieux, il se trouva plusieurs Espagnols qui luy baiserent tous la main sans aucune distinction. Ils s’estoient habillez à la Françoise, pour plaire à leur Reyne, & avoient de petites Dentelles d’or & d’argent sur leurs Habits, avec des Cravates d’une grandeur & d’une longueur extraordinaire. Comme on prend toûjours plaisir à inventer, quelqu’un s’avisa de faire courir le bruit que le Roy d’Espagne fort amoureux, venoit à grand’haste sur la Frontiere. Il y en avoit mesme qui adjoûtoient qu’il amenoit un Evesque pour y épouser la Reyne, & ce conte fit une si forte impression sur certaines Gens, qu’un petit Espagnol blond ayant paru un soir à un Bal qui fut donné chez cette Princesse, ils le prirent pour le Roy, & eurent beaucoup de peine à se laisser détromper. Apres deux jours passez à Bayonne, la Reyne alla à S. Jean de Luz, & y arriva le Dimanche 29. Elle y fit faire un Inventaire de ses Pierreries, que l’on fait monter à six cens mille Ecus. Quelques-uns ont dit qu’il devoit estre signé par Mr de los Balbasés, par Mr le Duc d’Ossonne son Grand Ecuyer, & par Mr le Marquis d’Astorga Grand-Maistre de sa Maison mais vous pouvez ne pas croire ce que je ne sçay point avec certitude. Ce qui est tres-assuré, c’est qu’on fit un plus long sejour à S. Jean de Luz, qu’on n’avoit dessein de faire à cause des diférens qu’il y eut entre Mr le Prince d’Harcourt, & Mr de los Balbasés, qui vouloient tous deux avoir la droite dans la cerémonie de la Délivrance de la Reyne. Pour accommoder ce diférent, il fus arresté que la Reyne seroit dans un Fauteüil, Mr l’Ambassadeur à sa droite, & Mr le Prince d’Harcourt derriere elle ; & que lors que les Espagnols entreroient, Mr de los Balbasés cederoit la droite à Mr le Prince d’Harcourt, qui délivreroit la Reyne. Elle passa cinq jours à S. Jean de Luz, & y fut traitée avec une si grande magnificence dans le dernier Repas que les Officiers du Roy luy firent servir, que ce qu’on dit qu’il coûta est presque incroyable. La profusion y fut entiere, & on donna tout en pillage aux Espagnols, qui estoient venus jusque-là en fort grand nombre. Enfin le Vendredy 3. de ce mois, elle arriva dans une Maison qui luy avoit esté préparée sur le bord de Bidassoa. (C’est une Riviere qui sépare la France d’avec l’Espagne.) Si-tost qu’elle y fut, Mr le Marquis d’Astorga son Major-Domo Mayor passa la Riviere. Mr de Saintot le prit à la sortie du Bateau ; & le mena dans la Chambre de la Reyne. Il la trouva dans un Fauteüil sous un Dais. Mr le Prince d’Harcourt se mit à sa droite dés qu’il parut. Madame la Princesse d’Harcourt estoit à sa gauche, & Madame la Maréchale de Clerambaut sa Dame d’honneur, derriere sa Chaise, avec Madame de Grancé sa Dame d’atour. Aussitost Mr le Marquis d’Astorga se jetta à ses pieds, luy baisa la main, & eut à peine achevé son compliment, que la Reyne le fit couvrir. C’est un privilege des Grands d’Espagne. Mr le Prince d’Harcourt se couvrit en mesme temps, & apres une civilité que luy rendit ce Marquis, il luy dit que le Roy luy avoit commandé de luy remettre la Reyne d’Espagne entre les mains. La cerémonie s’en fit par l’Acte de Délivrance que Mr de Chasteauneuf Conseiller au Parlement de Paris, leût en François. L’employ estoit glorieux pour luy. Vous ne devez pas estre surprise qu’il luy ait esté donné, apres ce que je vous ay dit de sa naissance & de son mérite dans une de mes premieres Lettres. Ce mesme Acte fut leu en Espagnol par Dom Alonso Carnero Secretaire d’Etat d’Espagne. Cela fait, Mr le Marquis d’Astorga demanda à la Reyne s’il luy plaisoit de partir. Avant qu’elle entrast dans le Bateau qu’on luy tenoit prest, elle reçeut les premiers devoirs de Madame la Duchesse de Terra-nova, sa Camérera Mayor, qui l’attendoit sur le bord de l’eau. Cette Duchesse luy rendit les mesmes respects que luy avoit rendus Mr le Marquis d’Astorga, & entra seule avec elle dans son Bateau, apres luy avoir presenté plusieurs Dames Espagnoles. Mr le Prince & Madame la Princesse d’Harcourt passerent en mesme temps. La Reyne trouva toute sa Maison à Iron. Vous voulez bien, Madame, que je m’y arreste avec elle, & que j’attende sur cette Frontiere les instructions dont j’ay besoin pour vous apprendre les particularitez de sa Marche jusqu’à Burgos, où l’on a eu avis que le Roy d’Espagne est arrivé, & de là jusqu’à Madrid, où il n’y a point à douter qu’on ne luy prépare une magnifique Entrée.

[Livre nouveau de M. Spon] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 283-285.

Les Ouvrages de Mr Spon Medecin à Lyon, ont fait tant de bruit, qu’il est difficile que son nom ne soit pas connu dans vostre Province. Son Voyage de Grece & de Dalmatie, a esté fort estimé, aussi bien que ses Antiquitez de Lyon, qui sont remplies de Figures. Il traite les choses tellement à fond, & s’applique avec un soin si exact à les éclaircir, que la lecture de tout ce qu’il fait n’est pas moins utile qu’elle est agreable. Le dernier Livre qu’il a donné au Public, & qui a pour titre, Histoire de la Ville & de Etat de Geneve, est tout remply de Recherches curieuses. Il est divisé en deux Volumes, & se vend à Lyon à la Victoire chez le Sieur Amaurry qui l’a imprimé ; & à Paris, chez le Sieur Blageart, Court-neuve du Palais, au Dauphin ; & chez le Sieur Guignard, Ruë S. Jacques, à l’Image S. Basile.

[Remarque sur la langue française] * §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 287-289.

J'oubliay de vous répondre il y a deux ou trois mois, sur le doute que ces mesmes Amies vous engagerent à me proposer touchant ce commencement d’une de mes Lettres, Voila ce que c’est que de vous avoir accoûtumée aux miracles. Elles prétendoient que le second que estoit superflu, & qu’il suffisoit de dire, de vous avoir accoûtumée aux miracles. Elles prétendoient que le second que estoit superflu & qu'il suffisoit de dire, de vous avoir accoûtumée aux miracles. Je vous ay déja priée de ne prendre point party sur mes façons de parler. Les Mémoires qu’on m’adresse ne m’estant jamais rendus que tard, je fais presque toûjours mes Lettres dans les dix ou douze derniers jours du Mois, & elles sont assez longues pour demander plus de temps si vous n’y vouliez rien soufrir que de correct. Il faut vous dire pourtant qu’ayant consulté beaucoup de Particuliers de l’Académie Françoise sur le double que, toutes les voix ont esté pour moy. Ils soûtiennent mesme que l’autre maniere de s’expliquer est vitieuse, & qu’on ne doit jamais s’en servir.

[Les Rubans verts. Conte] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 303-306.

La cherté du Foin & de l’Avoine embarasse bien certaines Gens qui seroient fâchez d’aller à pied, & qui voudroient bien que leurs Chevaux n’eussent point de bouches. Voicy une Galanterie qui a esté faite sur ce sujet. On me la donne comme originale. L'Autheur est accoûtumé à ne dire que des veritez. Vous l’en pourrez croire.

Les Rubans verts.
Conte.

          Soit par principe de santé,
          Ou bien, soit par franche lezine,
     Un Medecin, non pas des mieux monté,
Son Etable sans Foin, & sans feu sa Cuisine,
A sa Mule donnoit de fréquentes leçons
Sur les maux dangereux où trop manger nous jette ;
Mais ses raisonnemens sur l’exacte diete
Estoient pour l’amorcer de foibles hameçons.
          Un jour que la Beste affamée,
Du long jeusne où l’on croit l’avoir accoûtumée
          Craignoit les derniers accidens,
          Passant fort pres d’une Boutique,
Elle y regarde, voit des Rubans verts pendans,
Et les prenant pour Foin, l’ignorante Bourrique
          Donne dessus à belles dents.
Les Rubans sont gâtez ; le Marchand qui s’écrie,
Arreste sans façon Monsieur le Medecin.
Du plaisant diférend qui le rend si mutin
          Il n’est personne qui ne rie.
En vain nostre Docteur veut avancer chemin,
Les Rubans dont sa Mule a crû faire festin,
Font dire que le Foin luy manque en l’Ecurie ;
          On veut qu’il paye ; il paye enfin
     Pour s’épargner plus longue raillerie.
          Ainsi les Avares souvent
          Rognant sur tout dans leur Famille,
          Pour retenir une vetille,
          Laissent aller le gros au vent.

[Mariage de M. le Duc de la Rocheguyon, & de Mademoiselle de Louvoys] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 306-326.

Je vous appris il y a déjà quelque temps que la Mariage de Mademoiselle de Louvoys avoit esté arresté avec Mr de la Rocheguyon. Ce jeune Duc l’épousa le Jeudy 23. de ce mois. Il est Fils de François de la Rochefoucaut VII. du nom, Prince de Marsillac, Grand Maistre de la Garderobe du Roy, Grand Véneur de France, & Gouverneur de Berry, & reçeu en survivance à deux premieres Charges. Mr le Prince de Marsillac son Pere épousa en 1659. Jeane Charlote du Plessis-Liancourt, sa Cousine, Fille unique de Henry du Plessis, Comte de la Rocheguyon, dont elle a laissé François de la Rochefoucaut VIII. du nom, Duc de la Rocheguyon, qui vient de se marier. Son Grand-Pere est Mr le Duc de la Rochefoucaut, si connu par mille belle qualitez & par les lumieres surprenantes de son esprit. Comme ce Duc vit encor, on remarque dans cette Maison une chose qui n'a jamais esté veuë, c'est à dire, le Grand-Pere, le Pere, & le Petit-Fils, tous trois Ducs, & vivans en mesme temps. Cette Maison est une des plus anciennes & des plus illustres du Royaume. Foucaut I. du nom, Seigneur de la Roche en Angoulmois, estoit qualifié de Seigneur tres-noble environ l'an 1026. Sa vertu & sa haute réputation firent tant de bruit, que ses Descendans ont toûjours tenu depuis à honneur d'estre surnommez de son nom. Je ne vous dis rien des diverses Branches de cette Maison, dont on sçait qu'estoit celle de Chastelleraud, & je passe mesme tous ceux qui en sont sortis, & leurs grandes actions, pour venir à François de la Rochefoucaut I. du nom, Chevalier, premier Comte de la Rochefoucaut, Prince de Marsillac, Seigneur de Barbezieux, de Montendre, Montguyon, &c & Chambellan des Roys Charles VIII. & Loüis XII. Il eut l'honneur de tenir sur les Fonts de Baptesme le Roy François I. qui luy érigea l'an 1515. la Baronnie de la Rochefoucaut en Comté. Ce François épousa en premieres Nopces Loüise de Crussol, Fille de Loüis de Crussol Grand Panetier de France, & de Jeanne de Levis. Ils eurent un Fils nommé Antoine, qui fut Genéral des Galeres de France en 1525. à la place d'André Doria. On le fit en suite Chevalier de l'Ordre du Roy, Senéchal de Guyenne, & Lieutenant Genéral au Gouvernement de Paris, & de l'Isle de France. Les plus grandes Charges du Royaume ayant toûjours esté dans cette Maison, Charles de la Rochefoucaut, Comte de Randan, Chevalier de l'Ordre du Roy, Capitaine de cinquante Hommes d'Armes d'ordonnance, servit si utilement à la défense de Mets, qu'en 1552. il fut pourveu de celle de Colonel Genéral de l'Infanterie, apres que Mr d'Andelot eut fait profession publique de la Religion Prétendüe Reformée. Le Roy l'envoya en Ambassade en Angleterre, où il moyenna la Paix avec l'Ecosse. Il fut blessé aux Sieges de Bourges & de Roüen, & mourut de la blessure qu'il reçeut au dernier. Il estoit second Fils de François II. du nom. Comte de la Rochefoucaut, & d'Anne de Polignac Dame de Randan, & épousa Fulvie Pie de la Mirande, Fille puînée de Galeas Pie Prince de la Mirande, & d'Hipolite de Gonsague. De ce Mariage est sorty François, Cardinal de la Rochefoucaut, Sous-Doyen du Sacré College, Grand Aumônier de France, Commandeur de l'Ordre du S. Esprit, Evesque de Clermont, Abbé de Tournus, & de Sainte Geneviéve de Paris, où se voit sa Sepulture. On dit de luy, qu'il n'estoit pas moins illustre par sa pieté, & par son érudition, que par sa Noblesse. Jean-Loüis de la Rochefoucaut, Comte de Randan, Fils aîné de Charles, Comte de la Rochefoucaut, & Frere du Cardina, épousa Isabelle de la Rochefoucaut, Fille puînée de François III. du nom, Comte de la Rochefoucaut, & de Charlotte de Roye, Comtesse de Roucy, sa seconde Femme. Ils eurent pour Fille Marie-Catherine de la Rochefoucaut, Comtesse, puis Duchesse de Randan, Dame d'Honneur de la feüe Reyne Anne d'Autriche, & Gouvernante de Loüis le Grand pendant son bas âge. Elle fut mariée avec Henry de Baufremont, Marquis de Senecey, Chevalier des Ordres du Roy, & Gouverneur d'Auxone & de Mascon. Le premier Duc de cette Maison a esté François V. Bisayeul du nouveau Marié. Il estoit Chevalier des Ordres du Roy, Gouverneur, & Lieutenant General pour Sa Majesté en Poitou. Vous recevriez un Volume & non une Lettre, si je voulois vous parler de toutes les alliances considérables de cette illustre & ancienne Maison. J’en viens à ce qui regarde la nouvelle Mariée. Dire qu’elle est Fille de Mr de Louvois, & Petite-Fille de Mr le Tellier Chancelier de France, c’est dire en deux mots ce qui est au dessus de tous les éloges. Ceux qui viendront apres nous, ne liront jamais de si belle Histoire que celle où ils auront part. Comme tout ce qu'ils ont fait parle, il suffit de les nommer pour les faire connoistre à tout le monde. C'est un avantage qui leur est commun avec peu d'autres. J'ay eu si souvent occasion de vous entretenir de ces grands Hommes, depuis trois ans que j'ay commencé à vous écrire, qu'il n'est pas besoin que je vous repete aujourd'huy les mesmes choses. Elles sont d'une nature à n'estre pas oubliées, & vous trouverez tout ce qu'il y a de particulier sur cette Maison, dans le détail que je vous en fis, quand Sa Majesté choisit Mr le Tellier pour le faire Chef de la Justice. Ainsi je vous parleray seulement de la Maison de Souvré, dont Madame de Louvoys est seule Heritiere. Elle est Fille de Charles de Souvré, Marquis de Courtenvaux, & Petite-Fille de Jean de Souvré II. du nom, Marquis de Courtenvaux, Chevalier des Ordres du Roy, Premier Gentilhomme de sa Chambre, Gouverneur de Touraine, & Capitaine du Chasteau de Fontainebleau.Il avoit épousé Catherine de Neufville, Dame de Pacy, &c. Dame d'atour de la Reyne Anne d'Autriche, Fille puînée de Charles de Neufville, Marquis d'Alincourt, Sieur de Villeroy, Chevalier de l'Ordre, & Gouverneur de Lyon. Rien n'est plus illustre que la Maison de Souvré, soit par elle-mesme, soit par ses alliances, par ses Charges & Dignitez, & par les services qu'elle a rendus à l'Etat. Gilles de Souvré, Marquis de Courtenvaux, Chevalier des Ordres du Roy, & Gouverneur de Touraine, suivit en Pologne Henry de France Duc d'Anjou. Ce Prince estant de retour, le fit Grand Maistre de sa Garderobe, & Capitaine du Chasteau de Vincennes. Il se trouva à la Bataille de Coutras en 1587. & conserva la Ville de Tours dans l'obeïssance du Roy pendant les troubles de la Ligue. Il y reçeut Henry III. avec toute sa Cour au mois de Janvier 1589. & apres la mort de ce Monarque, il rendit des services si considérables au Roy Henry IV. qu'il le choisit pour estre Gouverneur de Loüis XIII. alors Dauphin. Il fut Premier Gentilhomme de la Chambre de ce jeune Roy, qui le fit Maréchal de France l'an 1615. Il mourut en 1626. âgé de quatre cingt quatre ans.Vous voyez, Madame, que la grandeur de cette Maison ne peut estre contestée, & qu’on peut dire en considérant l’alliance qu’elle vient de faire avec celle de la Rochefoucaut, que si dans l’une on voit une Gouvernante de Loüis le Grand, l’on trouve dans l’autre un Gouverneur de Loüis le Juste.

Le Mariage se fit à Saint Roch par Mr Coignet qui en est Curé. La foule y estoit si grande, qu’il fallut avoir des Gardes pour faire trouver de la place aux Conviez. Il est aisé de juger que les Parens & les Alliez de tant de grandes Maisons rendoient l’Assemblée nombreuse. Mademoiselle de Louvois avoit une Robe de Velours noir toute garnie de Diamans, avec une Jupe de toile d’or. Il ne se peut rien de plus modeste qu’estoit l’Habit de Madame de Louvois sa Mere. Il estoit de Velours à fond noir, avec des fleurs aurore ; & sa Jupe de dessous, d’un Satin brodé d’aurore & de noir ; de sorte que n’ayant ny or ny argent, elle ne brilloit que du seul éclat de sa personne. Apres la Cerémonie, on retourna à l’Hostel de Louvois, où tout estoit de la plus magnifique propreté. Il y eut deux Tables servies dans le mesme temps. Chacune estoit de vingt-deux Couverts, & à cinq Services. Les Dames prirent place à la premiere avec les deux Mariez, & les Hommes occupérent la seconde. Le Soupé ne fut pas moins somptueux que le Dîné. Il y eut Musique pendant ce temps-là, & la Comédie suivit. L’Habit de toilette de la nouvelle Mariée estoit à fond d’or & bleu, parsemé de fleurs incarnat entourées d’argent, & d’autres fleurs vertes entourées d’or, avec une Jupe à fond or & argent, chenillée de couleur de feu, & doublée d’une Bourdalouë incarnat & argent. Le lendemain elle prit un Habit brodé d’or avec un petit filet de vert. La doublure estoit d’une Etofe argent & couleur de feu ; les manches de dessous garnies de Diamans ; la Jupe à fond d’argent brodée d’or, & couleur de feu. Le jour suivant, elle changea encor d’Habit, & en mit un tout de Point-d’Espagne sur un Satin bleu & or. Voicy ce qu’a fait Mr Rousseau sur ce Mariage. Il a l’honneur d’estre connu de Mr de Louvois, & luy a dédié depuis peu un Livre de nouvelles Maximes, ou Réflections morales.

A Monsieur le Duc de la Rocheguyon, sur son Mariage. Madrigal §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 326-328.

A M. le duc
de la Rocheguyon,

Sur son Mariage.
Madrigal.

Illustre Rejetton de tant de Demy-Dieux,
     Qui par un heureux assemblage,
     Meslez aux attraits du bel âge,
Les sublimes vertus dont brillent vos ayeux.
Quand le Ciel vous destine une Beauté charmante,
     Qui d’une maniere éclatante
     Fait voir par de divins accords
Les charmes de l’Esprit joints aux graces du Corps,
Il veut de ses faveurs couronner l’abondance,
     Et pour dire encor plus,
     Cette aimable Alliance
Est l’Hymen glorieux de toutes les Vertus.

Mr le Prince de Marsillac traita il y a deux jours dans l’Hôtel de Liancourt, tous ceux qui avoient esté de la Nôce, & plusieurs autres. Ce Repas estoit d’une magnificence achevée.

[Madame la Duchesse de Hanover régalée à Chantilly] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 328-331.

Madame la Duchesse de Hanover a esté régalée à Chantilly au commencement de ce mois par Leurs Altesses Serénissimes. Elle fut menée à la Comédie en arrivant, & on luy a donné le mesme divertissement pendant cinq jours qu’elle a demeuré dans cette délicieuse Maison. On servit plusieurs Tables au sortir de la Comédie. On avoit donné ordre dans le Bourg de traiter à discretion tous les Domestiques & Gens de Livrée de cette Princesse. Je croy, Madame, vous avoir déja marqué qu’elle est Fille de Madame la Princesse Palatine, & Sœur de Madame la Duchesse. Les Régals qui luy ont esté faits à Chantilly, ont continué de la mesme sorte jusqu’à son depart. Il ne seroit pas aisé d’en faire de mieux entendus. Rien ne manquoit dans cette superbe Maison. Elle estoit éclairée tous les soirs d’une infinité de Lustres, & les ornemens y estoient par tout d’une tres-grande beauté. Vous n’aurez pas de peine à le croire. Vous sçavez il y a longtemps que Leurs Altesses Serénissimes ne font jamais rien qu’avec une extraordinaire magnificence. La fatigue ne rebutant point Madame la Duchesse de Hanover, on luy a tous les jours donné le plaisir d’une Chasse diférente.

Chanson à boire §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 332-334. D'après le Mercure, les airs Vous demandez des vers, Vous avez de l'esprit, Je suis prêt de revoir, Premier objet de ma tendresse, Pendant que vous donnez, Reine aussi belle que bonne sont dus au même auteur. Or l'article Mercure permet d'attribuer l'air Vous demandez des vers à Bertrand de Bacilly qui serait donc aussi l'auteur des autres airs cités.

Je ne puis vous envoyer rien de plus nouveau que la Chanson à boire que vous allez voir.

CHANSON A BOIRE.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Premier objet de ma tendresse, doit regarder la page 332.
     Premier objet de ma tendresse,
     Bouteille, vos débris m’inspirent la tristesse.
Helas ! vous n’avez plus que les os & la peau ;
D’un Page & d’un Laquais allez tromper l’attente,
     Faites place à vostre Suivante,
Mon cœur pour ses appas brûle d’un feu nouveau.

Ce Recit de Basse, avec sa Contrepartie, est du mesme Autheur dont je vous ay parlé dans ma derniere Lettre & dans celle-cy. Il a fait imprimer un Recueil de toutes les Paroles des Chansons à boire qui ont paru depuis plus de cinquante ans. C’est un Repertoire tres curieux pour ceux qui voudront se rafraîchir la mémoire de ces Chansons. Il se vend trente sols relié en veau chez les Sieurs de Luyne & Blageart, qui vendent aussi ses huit Livres gravez, & son Traité de l’Art de bien chanter.

images/1679-11_332.JPG

[La Devineresse, Comédie] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 336-339.

Enfin, Madame, la Devineresse, promise depuis si longtemps par la Troupe du Fauxbourg S. Germain, a esté représentée. Les Desintéressez ont trouvé dans cette Piece tout ce que le Titre leur en promettoit, & ils ne se sont pas seulement divertis aux Scenes plaisantes dont elle est remplie, mais ils ont dit hautement que la représentation n’en pouvoit estre que fort utile, puis qu’elle détrompe les Foibles, en leur faisant voir que toutes les Personnes qui se meslent de deviner, ne sçavent rien. Tous les tours d’adresse qu’ont accoûtumé de faire ces sortes de Gens, ou par un Miroir, ou par un Verre plein d’eau, sont des Incidens de la Comédie, aussibien qu’un Corps coupé par morceaux, & une aparition du Diable sorty par un Mur sans y faire d’ouverture, qui sont des choses par lesquelles certains Fourbes ont épouvanté icy bien des Gens il y a quelques années. Ce qui doit convaincre de la fausseté de tout ce que prédisent les Devineresses, c’est que ce sont toutes Femmes de rien, & par conséquent tres-ignorantes. Elles ont des intrigues qui leur font découvrir quantité de choses. Elles en disent beaucoup au hazard, & s’acquiérent ainsi de la réputation à peu de frais parmy les Dupes. Leurs manieres de tromper sont développées la plûpart dans la Comédie qui se jouë présentement, & on ne doit pas estre surpris des grandes Assemblées qu’elle attire, puis qu’elle est fort réjoüissante d’elle-mesme, & qu’elle apprend à se garantir des pieges de tous les Diseurs de bonne aventure.

[Explication de l’Enigme du Fard] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 339-340.

Il me reste à vous parler des Enigmes du dernier Mois. Vous trouverez l’explication de la premiere dans ce Quatrain. Il est de Mr de Pierrepont, Gouverneur de l’Isle de Ré, autrefois Lieutenant des Gardes du Corps.

Mercure m’a paru d’une grande beauté,
          Le Fard chez luy n’a rien gâté
Quand il n’en mettra plus, il sçaura toûjours plaire,
Et pour cela le Fard n’est pas trop necessaire.

[Explication de l’Enigme du Sommeil] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 342-344.

La seconde, qui est le Sommeil, a esté ainsi expliquée par le nouveau Bourgeois d’Abbeville.

          Jamais je n’eus un sort pareil ;
          Ce matin ouvrant la paupiere,
          Et voyant déja la lumiere,
          J'ay voulu chasser le Sommeil.

***
          Il m’accabloit, quoyqu’il fust jour,
          (Voyez ma méchante avanture !)
          Je prens en main nostre Mercure,
          Pour le surmonter à mon tour.

***
          Je me mets en suite à penser
          Sur une Enigme qu’on propose ;
          Sans avoir la paupiere close,
Je trouve le Sommeil que je voulais chasser.
***

Ce mesme sens a esté trouvé par Mademoiselle de Querican, du Fret; & par la Nymphe de Cleranton. Le Cœur, le Temps, l’Enigme, le Feu, l’Horloge, & l’Amour, sont les autres sens qu’on luy a donnez.

Ceux qui ont trouvé celuy de toutes les deux, sont Mr de Mouchy, de la Place Royale ; Des Rochers ; & Mesdemoiselles de Bellefond, demeurant à Beaumont en Normandie, dans le Convent des Religieuses Benédictines ; Blanche Faüre, de Lyon ; Pasquier, & l’Ariane de Sylvie.

Enigme §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 345-347.

Voicy deux autres Enigmes dont vos Amies me diront leur pensée le Mois prochain. La premiere est d’une Dame de Paris demeurant à Mets ; & l’autre, des Réclus de S. Leu d’Amiens.

Enigme.

Sans Pere je suis né, mais d’une illustre Mere,
Qui m’entretint toûjours dans la simplicité ;
Personne n’a douté de sa virginité,
Quoy qu’elle ait accouché de moy sur la Fougere.

***
Aussi n’estoit-ce alors qu’une simple Bergere,
J'héritay de son nom & de sa pauvreté ;
Mais bientost mes Voisins charmez de ma beauté,
En m’emmenant chez eux, me servirent de Pere.

***
J’estoit en bonne odeur, ma vertu fit du bruit ;
L'Etranger, pour m’avoir, employa son crédit,
Mon bonheur se soûtint depuis plusieurs années.

***
Parmy les Gens galants je suis d’un grand secours,
Et lors que je parois en Robe de velours,
J'imprime du respect aux Testes couronnées.

Autre Enigme §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 347-348.

Autre Enigme.

Quelqu’un pourroit me croire un Monstre de Nature,
Mon Pere est grand & haut ; petite est ma figure :
Il aime le grand air ; & moy, comme un Hibou,
Je voy peu la lumiere, & loge dans un trou.
Quoy que je sois utile & beaucoup nécessaire,
Je ne reçois pourtant qu’un traitement severe.
Pour me mettre en état de ne pouvoir tromper,
On me coupe, on m’écorche, on aime à me fraper.
Lors qu’on veut m’enfermer dans ma demeure étroite,
Par mon malheureux sort, sur l’heure on me mal-traite.
Lors qu’on m’en fait sortir, je reçois plus d’un coup ;
Au milieu de mes maux quelqu’un me porte envie,
D'autant qu’en la Prison où je passe ma vie,
En tout temps, jour & nuit, je bois sans estre saoul.

[Explication de l’Enigme en figure] * §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 348-349.

Quant à l’Enigme en figure, un Papillon qui se brûle à la chandelle, ne pouvoit estre mieux représenté que par Icare tombant dans la Mer, pour s’estre approché trop pres du Soleil. C'en est le vray sens, & celuy que Mr Rault de Roüen, luy a donné dans ce Madrigal.

Esprits ambitieux, teméraires Icares,
Qui d’un vol trop hardy montez jusqu’au Soleil,
          Et de cet Astre sans pareil
Ne craignez pas l’éclat, & les vertus si rares,
De vos teméritez voyez l’échantillon ;
Ou si vous en voulez un Portrait plus fidelle,
          Voyez le sort d’un Papillon,
          Quand il se brûle à la chandelle.

[Enigme en figure] §

Mercure galant, novembre 1679 [tome 12], p. 350.

Niobe changée en Rocher par l’excessive douleur que luy causa la mort de tous ses Enfans, est la nouvelle Enigme en Tableau que je vous propose.