1680

Mercure galant, avril 1680 [tome 6]

2015
Source : Mercure galant, avril 1680 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Suite des Réjoüissances faites à Naples, pour le Mariage du Roy d’Espagne] §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 34-43.Voir aussi cet article du Mercure de mars 1680 pour le début de la relation de ces réjouissances.

Madrid n’a pas esté le seul lieu de la domination du Roy d’Espagne, où l’on ait donné ces sortes de Festes à l’occasion de son Mariage. On en a aussi fait à Naples, apres la superbe Cavalcade dont vous avez veu la description dans ma lettre du dernier Mois. Ces diverses Réjoüissances y ont precedé un Carrousel, dont le Spéctacle charma un nombre infiny de Spectateurs le Dimanche dix-huit Fevrier. Toute la Noblesse qui en composoit les Quadrilles s’estant assemblée dans la Court du Saint-Esprit, la Marche commença de là par la Ruë de Tolede vers le Palais, dans l’ordre qui suit. Deux Trompetes & deux Tambours du Prince de Piombino, qui faisoit la fonction de Maréchal de Camp de la Place, alloient les premiers revétus de sa Livrée. Elle estoit d’Ecarlate, avec une Broderie or & argent. Deux Pages en suite aussi richement vétus, & deux Aydes de Camp apres eux, précedoient le Prince que je viens de vous nommer. Il avoit un Habit d’une magnificence extraordinaire, & estoit suivy de quantité d’Estafiers, dont la propreté attiroit les regards de tout le monde. Apres qu’ils estoient passez, on voyoit paroistre la premiere des deux Quadrilles de Mr le Marquis de los Velez Viceroy de Naples, conduite par le Marquis de Taracene. Sa Livrée estoit Violete or & argent, & sa Devise, deux Palmes qui se rencontrant formoient un Arc, au dessous duquel on voyoit le Fleuve Sebete assis, avec ces mots, Con eterna union Amor li stringe. Cette Quadrille, ainsi que toutes les autres, consistoit en deux Trompetes, deux Tambours, deux Ecuyers qui portoient les Lances, six Estafiers menant des Chevaux de main, deux Parrains, & six Chevaux vétus des couleurs du Drapeau de la Quadrille, avec de tres-belles Plumes, & quantité de Gens de Livrée. La seconde Quadrille de Mr le Viceroy, suivoit celle-cy. Le Prince de Vegiano-Sangro la conduisoit. Son Drapeau estoit couleur de Musc, argent & or, & le corps de sa Devise, une Branche de Laurier, avec une autre de Vigne où pendoient des Grapes. Ces paroles luy servoient d'ame, Gloriosa secondidad. Le Prince de Bellosguardo-Pignatelli menoit la troisiéme Quadrille, qui estoit celle du Marquis Serra. Sa couleur estoit incarnat & argent. Un Foudre qui s'échapoit hors des Nuës faisoit sa Devise, avec ces mots, Eris plende & offende. La Quadrille du Prince de Castiglione paroissoit la quatriéme. Elle avoit le Marquis de Casalbero Caracciolo pour Chef, & or & verd pour couleur. Sa Devise estoit une Montagne qui jettoit du feu, & ces mots pour ame, Quel che si nasconde è fuoco. Apres marchoit la Quadrille du Prince d'Acquaviva, ayant bleu & argent pour couleur, & pour Devise un Fleuve rapide, précipitant ses eaux dans la Mer. Ces Paroles faisoient allusion à son nom, Tributario del Mare è l'Acquaviva. Cette Quadrille précedoit celle du Prince de la Bagnara, qui estoit menée par le Prince de la Valle Picolomini. Blanc, or & argent estoit sa couleur, & il avoit pour Devise un Soleil paroissant dans l'Orison avec ces mots, I rai n'addita di piuvago Sole. La Quadrille qui la suivoit estoit celle du Duc d'Andria Carrasa, conduite par le Prince Chiusano Carrasa, ayant pour couleur Fleur de Pesché & or. Ces paroles ; Siempre la misma, au dessous d"un Phénix que le Soleil réduisoit en cendres, faisoient sa Devise. Cette magnifique Marche estoit fermée par la Quadrille du Marquis de Trevico Loffredo, dont la couleur estoit jaune, or & argent, & la Devise, un vent Aquilon avec ces mots, Nil velocius. Le Comte de Potenza la conduisoit. Apres que toutes ces Quadrilles furent entrées dans le Camp, on commença à rompre les Lances. Le Marquis de Fuscaldo Grand Justicier du Royaume, le Prince de Forino, & le Comte de Conversano, estoient Juges de l'adresse des Combatans. La Course de Bague succeda au Carrousel, & le Duc de Madaloni ayant remporté beaucoup de Prix dans les divers Jeux où l’on s’exerça, il en régala la Vicereyne, & les autres Dames. La Feste s’estant terminée avec un applaudissement general, toute la Noblesse se rendit dans la Salle de Mr le Viceroy, où les Cavaliers des Quadrilles firent tous ensemble un tres-beau Bal à l’Impériale ; apres quoy ils dancerent deux à deux avec les Dames. Cela fait, Mr le Marquis de los Velez commença le Bal de la Torche. Il la mit en suite entre les mains de la Marquise de Corleto, & la Dance fut continuée de cette sorte jusqu’à neuf heures du soir. 

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 50-51.

Voicy un Printemps de l’illustre Mr de Bassilly, qui en a fait les Paroles, aussi-bien que l’Air. Vous voyez, Madame, qu’il continuë à me donner ses Ouvrages, & que mes Lettres contiennent la suite du Journal des Nouveautez du Chant, que les impressions peu correctes qu’on en faisoit, luy avoient fait interrompre.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Trop cruelle saison, doit regarder la page 50.
          Trop cruelle saison,
               Qu’avec raison
          Je crains tes charmes,
     Et qu’ils me vont couster de larmes,
Puis que je sçay que ton fatal retour
Me va ravir l’Objet de mon amour ! 
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[L’avarice punie, Histoire] §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 51-76.

On n’entend par tout qu’Amans plaintifs, & cependant quelques peines que puisse causer l’engagement, on aime mieux se mettre en péril d’en prendre, que se résoudre à fuir le beau Sexe. L’esprit est d’un grand secours pour en estre bien reçeu ; mais pour l’estre toûjours agreablement, il faut faire de la dépense dans l’occasion. Autrement on traite les Gens d’avares, & c’est une qualité qui n’a jamais plû aux Dames. Un Cavalier d’une des plus considérables Villes de Provence, en a fait l’épreuve depuis deux mois. Il voyoit les Belles, leur disoit cent jolies choses, & pourveu qu'il ne luy en coustast que de la Prose & des Vers, il n'y avoit point d'Homme plus libéral. Mais dés qu'on luy proposoit quelque Partie de plaisir, il n'estoit jamais en pouvoir d'en estre, à moins qu'il ne vist que le Payant se fust déclaré. Sans cela, on luy serroit en vain le bouton de pres. Il n'entendoit point la langue, & toûjours prompt à ouvrir son cœur sur les tendres sentimens, il n'y avoit pas moyen qu'on le mist d'humeur à ouvrir sa bourse. La connoissance qu'on avoit de son caractere, donnoit souvent lieu de s'en divertir, & ce fut par là que cinq ou six Dames qui alloient dîner à leurs despens à un quart de lieuë de la Ville, pour joüir du plaisir de la Promenade, l'ayant apperçeu de loin dans le temps qu'elle montoient en Carrosse, voulurent avoir le plaisir de se faire refuser, en le priant de leur tenir compagnie. La plus enjoüée d'entr'elles se chargea de la parole, & dit agréablement au Cavalier qui les aborda, qu'elle se sentoit pour luy certaines dispositions de cœur tres-favorables, dont il pouvoit profiter en prenant place aupres d'elle. Il voulut sçavoir où l'on alloit. La Belle luy répondit au nom de toutes les Dames, qu'il n'avoit à se mettre en peine de rien, qu'elles luy vouloient donner à dîner aux environs de la Ville, & qu'il ne devoit pas craindre de s'ennuyer le reste du jour. Le party, quoy qu'agreable, n'accommoda point le Cavalier. Il comprit les conséquences du Repas offert, & eut à son ordinaire un engagement qu'il ne pouvoit rompre. Ainsi tout ce qu'elles pûrent obtenir, fut qu'il se tireroit d'affaires avec toute la promptitude possible, & qu'il iroit les réjoindre sur la fin de leur Dîné, au lieu qu'elles luy marquoient. La défaite leur fut aisément connuë. Elles en rirent ensemble, & parlant du Cavalier tant que leur petit Voyage dura, elles résolurent de se vanger du refus. Chacune promit de chercher comment, & ce fut une espece de défy entr'elles à qui en viendroit plutost à bout. Cependant elles arriverent à un Lieu de Campagne assez agréable, & se promenerent quelque temps pendant que le Dîné s'appresta. Ne soyez point suprise, Madame, de m'entendre parler d'une Promenade faite il y a déja deux mois. Vous devez vous souvenir, qu'on ne s'apperçoit presque point en Provence de la rigueur de l'Hyver, & que dans les mois de Decembre & de Janvier, qui sont pour nous les plus rudes de l'année, on a quelquefois besoin en ce Païs-là de se mettre à couvert de la chaleur. Cinq ou six Hommes des plus galans de la Ville ayant eu avis de cette Partie, vinrent où estoient les Dames, & les trouvant hors de table, commencerent une conversation genérale qui n'alla pas loin. Le Cavalier qui entra un peu apres, la réduisit bientost au particulier. Il s'alla mettre aux pieds de la Belle, dont il avoit reçeu le matin une si avantageuse déclaration, & chacun à son exemple ayant choisy celle qui luy plaisoit davantage, ce ne furent que des teste-à-teste pendant quelque temps, dans une Compagnie de douze Personnes. La Belle enjoüée reçeut d'un air fort riant tout ce que le Cavalier luy dit de flateur ; & quoy qu'elle déclarast que pour la toucher il falloit se soûmettre à des épreuves de complaisance un peu difficiles, comme il n'estoit question que de donner des paroles, il promettoit tout, & enchérissoit encor sur les devoirs empressez qu'elle sembloit exiger. Tandis qu'il luy debitoit mille agréables folies, il s'apperçeut qu'elle estoit resveuse, & luy en ayant demandé la cause, il sçeut qu'elle venoit de se souvenir que deux de ses Amies attendoient réponse d'elle sur une affaire également importante à toutes les trois, & que l'embarras de n'avoir avec elle qu'un petit Laquais incapable de s'acquiter d'une commission de cette nature, luy causoit la resverie où il la voyoit. Le Cavalier la tira de peine, en luy offrant un grand Laquais fort intelligent, dont il la pria de se servir. La Belle accepta cette offre. Le Laquais fut appellé, & reçeut commandement exprés de son Maistre de faire avec diligence tout ce que la Dame luy ordonneroit. Alors elle se leva, mena le Laquais à la Porte de la Salle, & luy dit tout bas ce qu'elle voulut. Le Cavalier le voyant partir, luy cria encor de loin, qu'il n'oubliast rien de tout ce que la Dame luy avoit dit, & continua aupres d'elle son personnage de Protestant d'une maniere tout-à-fait galante. Cela parut tellement, que la plûpart crûrent que c'estoit une veritable affaire de cœur. Quelques-uns en firent la guerre à la Dame. Elle entendit raillerie, & la conversation en devint fort enjoüée pendant plus d'une heure. On parloit d’aller faire une promenade de Jardin avant que de remonter en Carrosse, quand on entendit des Violons. Un Régal si peu attendu surprit les Dames. Les Violons estant entrez en joüant, s’allerent placer à un des bouts de la Salle. On ne manqua pas de leur demander qui les envoyoit. Ils furent muets, & laisserent à chaque Dame le plaisir de croire que c’étoit pour elle qu’ils estoient venus. On demeura quelque temps à se regarder, sans que personne commençast le Bal. Tous les Hommes contestoient qu’ils n’avoient aucune part à la Feste ; & enfin pour ne pas perdre l’occasion de se divertir, puis qu’elle s’offroit, la Belle enjoüée prit une Femme à qui elle servit d’Homme. La difficulté qui arrestoit les Danceurs, estant levée par cette démarche, on fit un Bal régulier. Le Cavalier fut pris des premiers, & contribua plus qu’aucun autre aux nouveaux plaisirs que fournit la Dance. À peine y avoit-on employé une heure, qu'on servoit une magnifique Collation de toute sorte de Confitures seches & liquides. Ce fut alors qu'on crût tout de bon qu'il y avoit du dessein. Le Régal estoit d'un fort galant Homme, & méritoit bien d'estre avoüé. Il fut pourtant inutile d'en chercher l'Autheur. On se mit à table sans qu'on le connust, & les Dames s'en témoignant obligées en genéral, mangerent toûjours à bon compte. Les Hommes vouloient demeurer derriere pour les servir ; mais elles les obligerent à prendre place aupres d'elles, & dirent qu'estant tres-certain qu'un d'entr'eux donnoit la Feste, il estoit juste qu'on luy en fit les honneurs, du moins incognito, puis qu'il se vouloit cacher. Le Laquais du Cavalier ayant paru dans le temps que les Dames avoient commencé de se mettre à table, la Belle estoit allée luy parler, & avoit dit en suite tout haut à son Maître, qu'on ne pouvoit estre plus contente qu'elle l'estoit de sa diligence à faire les choses. Le Cavalier eut place aupres d'elle, & prit tres grand soin de luy choisir ce qui estoit le plus de son goût. Je ne vous dis rien du degast des Confitures. On mangea les unes. On pilla les autres, & les Hommes mesme sortirent de table chargez de butin. Ce ne fut pas sans que l'on eust bû diverses Liqueurs. Le Cavalier les aimoit, & comme elles le mirent de belle humeur, il chanta plusieur Chansons le Verre à la main, & porta solemnellement la santé de l’Autheur de cette Feste. Il estoit fort tard quand elle finit. On parla de remonter en Carrosse, & une des Dames ayant témoigné quelque crainte de verser à cause que la nuit estoit fort obscure, l'aimable Enjoüée luy dit qu'il y avoit apparence que celuy qui les avoit si bien régalées de toutes manieres, auroit eu le soin de se précautionner de lumieres pour le retour. En effet, on vit plus de deux douzaines de Flambeaux allumez en un moment. On les distribua à tous les Laquais, & ce fut un jour fort éclatant dans la nuit. La précaution ayant fait donner de nouvelles loüanges au Régalant, la Belle enjoüée déclara que comme un secret pesoit naturellement aux Femmes, il estoit impossible qu'elle cachast davantage que tout le Régal estoit une galanterie du Cavalier, qui avoit voulu commencer par là à luy faire connoistre sa passion. Les Dames, quoy que fort persuadées qu'il n'en estoit rien, voulurent soûtenir la plaisanterie, & aplaudissant malicieusement au Cavalier, elles dirent qu'il leur faisoit voir que la maxime estoit vraye, qu'il ne falloit qu'estre Amant pour estre prodigue. Le Cavalier plaisanta comme elles, & leur répondit, que si elles vouloient revenir au mesme lieu dés le lendemain, il s'engageoit à prendre de nouveau les mesmes soins pour les régaler de la méme sorte. La Belle adjoûta (toûjours avec enjoüement) qu'il estoit d'un galant Homme de vouloir cacher ce qu'il faisoit d'obligeant à tout autre qu'à la Personne à qui il cherchoit à plaire ; mais que pour sa gloire, elle se sentoit obligée de découvrir qu'il n'avoit refusé le matin de venir dîner avec elles, qu'afin de donner ses ordres pour le Régal ; qu'il avoit fait préparer un grand Soupé ; que luy en ayant fait confidence en arrivant, elle n'avoit pû soufrir toute la dépense qu'il vouloit faire pour elle, & qu'ayant aussitost contremandé les Services de Viande & d'Entremets, elle avoit seulement consenty qu'on apportast le Dessert. Le Cavalier ne s'émût point de la raillerie. Il estoit accoûtumé à essuyer de plus fâcheuses attaques sur cette matiere, & comme il avoit beaucoup d'esprit, il ne se déconcertoit de rien. Tout le monde se disposant à partir, il prit la main de la Dame, se mit en mesme Carrosse, & la remenant chez elle, il ne la quita qu'apres une nouvelle conversation toute d'esprit sur leur prétendu engagement. La Belle luy dit que s'il vouloit qu'il durast, il prist garde sur toutes choses qu'il luy avoit particulierement donné parole de vouloir de bonne grace tout ce qui pourroit la satisfaire, & que les effets luy feroient bientost connoistre s'il avoit parlé de bonne foy. L'avertissement donna du soupçon au Cavalier. Il refléchit sur ce grand Repas qu'elle prétendoit avoir réduit au Dessert, & son Laquais emprunté luy faisant craindre ce qui ne luy estoit point encor tombé dans l'esprit, il ne fut pas si-tost arrivé chez luy, qu'il voulut sçavoir de quelles commissions on l'avoit chargé. Le Laquais surpris de cette demande, répondit qu'il n'avoit pas perdu un moment pour luy envoyer des Violons, & faire apprester la Collation qu'on avoit servie. Ces mots furent un coup de tonnerre pour le Cavalier. Il entra dans une colere épouvantable, & quoy que le Laquais le fist souvenir qu'il luy avoit commandé deux fois de faire au plutost tout ce que souhaitoit la Dame, il vouloit qu'il fust obligé de deviner qu'en matiere de Collation & de Violons, il ne devoit pas luy obeïr à luy-mesme quand il recevroit de pareils ordres de sa propre bouche. Le desespoir d'avoir esté pris pour Dupe, luy fit passer une fort méchante nuit. Le lendemain il reçeut compliment des Violons & de ceux qui avoient fourny le Régal, & quoy qu’ils luy pûssent dire, il les renvoya sans vouloir payer. Mes Mémoires portent qu'on ne voyoit pas qu'il s'en pust défendre, son Laquais ayant tout ordonné de sa part, & qu'on estoit résolu de se servir contre luy des voyes de rigueur, s'il continuoit à n'entendre pas raison. Je n’ay rien sçeu davantage, si ce n’est que les Dames de la Promenade se sont fort diverties de l’avanture, & que la Belle enjoüée doit craindre le ressentiment du Cavalier, s’il peut trouver jour à luy faire piece.

[Réponse de la Dame au Cavalier] §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 230-232.

Reponse de la dame

au CavalierI.

          Songez-vous à ce que vous faites,
     Lors que d’un air aussi fin qu’obligeant,
          En me renvoyant mon argent,
Vous comptez vostre cœur pour une de vos debtes ?

          Bornez vostre reconnoissance ;
          Tout ce que j’ay fait me paroist
          D’une si petite importance,
          Que je ne vois point d’aparence
Qu’un cœur pour un tel soin à se donner soit prest ;
          D’ailleurs, je ferois conscience
De mettre mon argent à si gros interest.

Un si foible service à rien ne vous engage,
Le rendre, est seulement ce que j’ay prétendu.
N’allez pas vous piquer de grandeur de courage,
La genérosité l’est plus du bel usage ;
Ce que je vous prestay, vous me l’avez rendu,
En ce siecle en doit-on demander davantage ?
          Ah ! l’on est plus heureux que sage,
Lors que l’argent presté n’est pas argent perdu.

Grace à la probité qui vous est naturelle,
     On ne court point ce danger avec vous ;
          Mais malgré ce que j’ay veu d’elle,
          Malgré l’estime mutuelle
     Que la Bassete a fait naître entre nous,
Comme il est des Filoux de diférente espece,
     Et qu’en amour presque tout est permis,
          En vain vous vous estes promis
     D’avoir de moy tendresse pour tendresse.
          Au seul nom d’amour je frémis,
Et pour fuir les chagrins qui le suivent sans cesse,
          Demeurons quitte, & bons amis.

[Comédies nouvelles] * §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 230-234.

La Bassete qui a donné occasion de faire ces Vers, me fait souvenir de deux Comédies nouvelles qui doivent paroistre bientost sous ce mesme titre, sur les deux Theatres François qui sont à Paris. Plusieurs Personnes veulent se persuader que celle qui doit estre représentée par la Troupe de Guenegaud, part du mesme endroit d’où nous est venuë la Devineresse, & ils le croyent par cette seule raison que la Bassete est encor une matiere du temps. Ils font tort par là aux Autheurs de cette Piece, à qui il n’est pas juste d’en oster la gloire. J’espere qu’il me sera permis de vous les nommer, si-tost qu’elle aura paru. Tout ce que je vous en puis dire aujourd’huy, c’est qu’un Gentilhomme de Bourges y a bonne part. Quant à la Bassete que nous promet l’Hostel de Bourgogne, elle est de Mr de Hauteroche, Autheur du Crispin Musicien, qui vous a autrefois si bien divertie. 

Air nouveau §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 241-242.

Je vous envoye un second Printemps, qui vous fera voir ce que je vous ay dit déjà, que les Amans se plaignent toûjours. Je ne vous puis dire ny qui a fait les Paroles, ny qui les a mises en Air.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Printemps, dequoy me servez vous, doit regarder la page 241.

Air nouveau.

          Printemps, dequoy me servez vous ?
En vain vous étalez une beauté supréme,
          Mon cœur ennuyeux à soy-mesme
          N’en est pas moins sensible aux coups
          De la perte de ce qu’il aime.
Vous avez beau m’offrir vos plaisirs les plus doux,
Je rediray toûjours dans mon malheur extréme,
          Printemps, dequoy me servez-vous ?
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[Paroles à mettre en air] * §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 242-243.Voir l'article du Mercure de juin 1680

Ces autres Paroles sont de Mademoiselle Castille, dont vous en avez déjà veu de fort-agreables. Elles sont aisées & naturelles, & mériteroient bien qu’on les mist en Air.

               Ah, qu’ils sont courts,
                    Les beaux jours
          D’une Fleur printaniere !
C’est ainsi que s’enfuit la saison des Amours.
Hastez-vous donc d’aimer, ô jeune Beauté fiere,
Hastez-vous, on n’est pas jeune & belle toûjours.

[Feste donnée par M. le Maréchal Duc de Vivonne] §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 254-261.

Il faut vous faire part d’une Feste, qui a esté donnée depuis peu à Madame la Comtesse de Grignan, dont vous avez tant de fois entendu parler sous le nom de la belle Mademoiselle de Sévigny. Elle estoit allée à Marseille, & souhaitoit avec passion voir le Chasteau d’If. Mr le Duc de Vivonne, qui n’a pas moins de galanterie que de bravoure, ne l’eut pas si-tost appris, qu’il fit équiper la Reale de tout ce qui estoit nécessaire pour rendre cette promenade plus agreable. Ses cent Pavesades, Banderoles, & Banieres à Fleurs de Lys d’or, furent arborées sur les Masts & sur les Bords. On tapisssa la Poupe au dedans d’un Damas cramoisy à Fleurs violetes, & les Soldats sous les armes attendirent le signal de leur Officier. Tout s’exécuta suivant les ordres donnez. Si-tost que Madame de Grignan eut mis le pied sur la planche de la Galere, les Trompetes & les Timbales commencerent à résonner, les Canons tirerent, & les Soldats firent leur premiere Salve. La Reale fut salüée en passant de quatre coups de Canon par les vingt-sept autres Galeres, & arriva au Chasteau d’If à deux heures apres midy. Madame la Comtesse de Grignan, & toutes les Dames qui l’accompagnoient, entrerent dans le Sallon qui avoit esté préparé pour les recevoir. Elles y trouverent une Table à vingt Couverts, qui fut aussitost servie de quatre grands Bassins & de dix Plats. On les releva cinq fois. Les Hautbois & les Violons divertirent tour-à-tour cette aimable Compagnie pendant tout le temps qu’elle fut à table. A ce superbe Repas succeda une Représentation sans machines, de l’Opéra de Bellérophon. La Symphonie en fut admirable. Elle estoit conduite par le fameux Mr Besson le Pere, dont la capacité & le talent pour la Musique se font admirer dans les Concerts de Violons, qu’il donne tous les Jeudis chez Mr de Laffons. Dés que l’Opéra fut achevé, les Dames rentrerent dans la Galere, & arriverent au Port à la lueur de plus de deux mille Lampyons, qu’on avoit attachez sur les cordages des Mâts, & sur les bords de cette Galere, & qu’on alluma sitost qu’il fut nuit. [énumération des personnes qui étaient présentes].

[Tenebres] §

Mercure galant, avril 1680 [tome 5], p. 323-325.

La Musique de Sa Majesté a excellé à son ordinaire pendant les jours de Tenebres, dont l’Office a esté fait dans la Chapelle du Vieux-Chasteau de S. Germain. Leurs Majestez, Monseigneur, & Madame la Dauphine, y ont assisté. Cette Musique est si bien exécutée, & composée par de si habiles Maistres, que le Monde entier auroit peut-estre beaucoup de peine à fournir autant d’habiles Musiciens qu’il y en a chez le Roy. Nous avons eu aussi une tres-belle Musique à Paris dans les mesmes jours, & l’on a couru en foule à la Sainte Chapelle & à l’Abbaye aux Bois. Ce qu’on entendit à la Sainte Chapelle, estoit de Mrs Chaperon, la Lande, & Laloüete ; & à l’Abbaye aux Bois, de Mr Charpentier. Je ne vous fait point icy de détail de la Cerémonie de la Cene. Comme le Roy la fait tous les ans, & qu’elle est toûjours la mesme, il est impossible que vous n’en soyez instruite. Je vous diray seulement que Mr l'Abbé des Alleurs y a presché cette année avec l'applaudissement de toute la Cour. Le Compliment qu'il fit à Sa Majesté charma tout le monde. Vous sçavez que le Pere Bourdalouë Jesuite a presché devant Elle tout le Caresme. Sa réputation est si bien & si justement établie, que le plus glorieux éloge qui luy puisse estre donné, c'est qu'il presche toûjours également bien.