1680

Mercure galant, mai 1680 [tome 7]

2015
Source : Mercure galant, mai 1680 [tome 7].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 34-35.

Cependant vous agréerez ces Paroles mises depuis peu en Air. Mr Laurancin les a notées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Printemps ne reviens plus, doit regarder la page 35.
Printemps, ne reviens plus ; je soufre trop de peine
     Quand je voy les Prez renaissans.
Ils me font souvenir qu’en ce malheureux temps
J’eus le cruel refus du cœur de Célimene.
     Mais helas ! si par ton retour
L’Ingrate devenoit sensible à mon amour,
     Printemps, viens dés ce jour.
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[Régal donné par le Roy à Versailles] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 81-89.

Je remis le Mois passé à vous parler du second Repas que Sa Majesté donna à Madame la Dauphine dans son Chasteau de Versailles, parce que je n’en avois pas encor le Dessein, & que j’avois résolu de vous l’envoyer gravé, afin de vous mieux représenter ce que j’avois à vous dire sur ce sujet. Rien ne fut plus magnifique que ce Repas. Je n’explique point ce qu’il eut de somptueux. Il est aisé de le deviner, apres qu’on a sçeu que c’estoit le Roy qui le donnoit ; mais il n’en seroit pas de mesme de la Table, dont l’extraordinaire construction avoit quelque chose de fort nouveau. Elle estoit dans le Sallon de la Ménagerie. Vous sçavez qu’il est tout remply de Tableaux qui ont du raport au Lieu. Les uns vous font voir des Animaux, & les autres semblent vous offrir des Fruits & des Fleurs. Ce Salon est octogone. Il a sept Croisées dans les sept Pans, & son entrée est dans le huitiéme. La Table qu’on avoit dressée dans le milieu, estoit à sept Pans, à chacun desquels répondoit une Croisée. Une Balustrade qui est au bord, & qui regne tout autour de la Ménagerie, faisoit le plus agreable effet du monde pour ceux qui estoient à table, puis que chacun avoit une Croisée devant soy, qui donnoit une entiere liberté à la veuë ; & une autre derriere, qui luy servoit à joüir du frais. On avoit laissé la Table ouverte vis-à-vis de l’entrée du Sallon. Cette ouverture estoit de la largeur d’un des Pans. Ainsi plusieurs Personnes pouvoient entrer de front dans un espace demeuré vuide à l’endroit qui auroit fait le milieu de la Table, si elle eust esté de la maniere ordinaire ; & ces mesmes Personnes servoient sans incommoder aucune des Dames qui avoient l’honneur d’estre de ce superbe Repas. Jettez, s’il vous plaist, les yeux sur le Plan de cette Table. Vous y trouverez aussi celuy du Sallon, & mesme de l’endroit par où l’on y entre. L’imagination la plus vive a souvent besoin d’un pareil secours pour mieux comprendre les choses, & les paroles représentent toûjours moins que ce que fait voir un Dessein gravé.

Le Roy a encor donné d’autres Repas à Versailles. Je ne vous en parle point, quoy qu’ils ayent tous esté d’une magnificence digne de la grandeur de ce Prince ; mais je ne puis m’empescher de vous dire en peu de mots quels ont esté les plaisirs d’une Promenade qu’il a faite au mesme Lieu. C’est un détail qui vous paroistra galant, puis que les Divertissemens y succederent ce jour-là les uns aux autres, & qu’ils s’en trouvoient toûjours de nouveaux qui surprenoient agreablement. La beauté de plusieurs endroits du petit Parc de Versailles, leur a fait donner à tous des noms diférens, selon les choses qu’ils représentent. Voicy ce qu’on trouva par ordre du Roy, en se promenant dans ceux que je vay marquer.

     Aux trois Fontaines, les Trompetes à droit, en entrant du costé du Marais.

     Au Marais, la Collation, & les Hautbois dans le Bois derriere la Table, qui est éloigné de l’entrée.

     Au Theatre, les Violons à droit dans le Bois derriere la Palissade.

     A la Montagne, les Hautbois dans le Bois derriere une des cinq Allées, le plus pres de la Montagne que l’on pût.

     A la Salle du Conseil, les Trompetes à gauche en entrant dans le Bois du costé de l’Encelade & de la Renommée.

     A l’Encelade, les Violons & les Hautbois derriere les Berceaux dans le Bois du costé de la Renommée.

     A la Renommée, la Musique dans le Pavillon à droit en entrant, & à l’entour du Pavillon les Hautbois & les Violons.

     Sur le Canal, dans un ou deux Bateaux, la Musique, les Hautbois, & les Violons.

     A Trianon, les Trompetes sur le haut du Fer à Cheval.

     Dans le Sallon de Trianon, le Soupé.

     Apres que l’on eut gousté tous ces diférens plaisirs, on retourna à S. Germain, & ce fut une nouvelle Promenade faite au frais, qui termina les divertissemens de cette belle Journée. 

[Feste de S. Quentin] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 89-102.

 Les avantages que toute la France tire de la Paix, ont fait rétablir à S. Quentin un Divertissement public, qui avoit esté interrompu depuis quinze ans par les fâcheux embarras où la guerre exposoit la Picardie. L’origine de cette Feste est fort ancienne. Voicy par où elle a commencé.

De tout temps, sur la fin du Carnaval, la plus considerable Jeunesse de S. Quentin montoit à cheval pour une Course qui se faisoit à un demy quart de lieuë de la Ville. Une Couronne faite de Satin, avec une legere Broderie d’or & d’argent, en estoit le Prix. Comme les réjoüissances dont ce Divertissement estoit suivy, alloient souvent à de grands excés, à cause de la licence du Carnaval, il y a environ trente ans qu’n Chanoine de l’Eglise Collégiale, appelé Mr Rozet, cherchant à joindre la pieté au plaisir, légua en mourant une Couronne d’argent, à la charge que la Course qui se feroit pour la disputer, seroit fixée au second de May, qui est le jour de la Feste de S. Quentin, Patron de la Ville, & que celuy des Chevaliers qui l’auroit gagnée, iroit la porter le lendemain au Chanoine Trésorier, pour estre mise sur le Chef du Saint. Ce Testament fut executé pendant quinze années ; mais les malheurs de la Frontiere ayant augmenté, à cause des guerres continuelles, on négligea une si noble coûtume. Enfin les bontez du Roy nous ayant donné la Paix, les plus distinguez des jeunes Gens proposerent de renouveler la Feste. Ce dessein fut approuvé du Maire & des Echevins, & il n’y eut personne qui n’y applaudist. Ainsi le second jour de May approchant, tous ceux qui en devoient estre, songerent à un Equipage galant, & chercherent les meilleurs & les plus vîtes Chevaux qu’ils pûrent trouver dans la Province. Ce jour arrivé, ils se rendirent le matin à l’Hôtel de Ville, fort propres, & montez superbement. Mr Lescot, Conseiller au Baillage, estoit à leur teste. Là, ayant reçeu du Maire la Couronne qui devoit estre le prix de la Course, ils la firent porter devant eux à la Procession genérale à laquelle ils assisterent, & la remirent en suite dans la Maison de Ville, où elle demeura exposée jusques à trois heures apres midy. Alors les mesmes Chevaliers vinrent la reprendre au son des Timbales & des Trompetes, & l’ayant ainsi conduite dans l’Eglise Collégiale où ils entendirent Vespres, ils la reporterent de nouveaux à l’Hôtel de Ville. Elle y fut remise entre les mains du Maire qui les attendoit. Le Maire la présenta au Capitaine. Le Capitaine la donna au Sergent à Masse, choisy pour la porter dans la Marche, & ils la commencerent aussi tost, apres avoir tourné jusques à trois fois autour d’une haute Croix de pierre qui s’éleve en Pyramide à degrez dans le milieu de la Place. La fierté des Chevaux, chargez la plûpart de Housses brodées d’or & d’argent, répondoit à l’air noble & à la bonne mine des Chevaliers. Un monde infiny se trouva au Lieu marqué pour la Course. Si-tost qu’ils y furent arrivez, ils se rangerent tous sur une ligne à un des bouts de la Carriere, qui estoit de trois cens cinquante pas. C’estoit un plaisir de les voir prester l’oreille au signal qui devoit les faire partir ; mais c’en fut un bien plus grand de les voir, apres ce signal donné, voler tous à l’autre bout avec une rapidité surprenante. Ils coururent trois fois de la mesme force, les deux premieres pour des Couronnes de Laurier, appellées Couronnes des Dames, & la troisiéme pour la Couronne d’argent. La premiere fut gagnée par Mr Botté, la seconde par Mr Margerin, & Mr Bellot gagna la derniere. Mrs Rohart, Cousin, de Valois, Muyau, Josselin, Dorigny, & Noy, les disputerent avec beaucoup de vigueur, & furent à peine devancez de cinq ou six pas. Les Courses faites, les Chevaliers reprirent leurs rangs, & rentrerent dans la Ville. Quatorze Violons qui les attendoient aux Portes, se joignirent à leurs Trompetes & à leurs Timbales, & les menerent comme en triomphe dans toutes les Ruës. Sur les huit heures, ils se rendirent à un Festin magnifique qu’ils avoient fait préparer. Le lendemain au matin, la Couronne fut portée à l’Eglise au son des Violons & des Trompetes. Celuy qui l’avoit gagnée, la présenta au Chanoine Trésorier, qui la mit sur le Chef de Saint Quentin. L’apresdînée, les Chevaliers voulant encor divertir les Dames, prirent le dessein de courir la Bague. A peine ils l’eurent formé, qu’il fut sçeu par tout. Chacun voulut avoir part à ce nouveau divertissement, & on se trouva en foule au Lieu destiné à cet Exercice. Tous les Chevaliers coururent avec beaucoup d’adresse & de grace, & Mr Bellot qui avoit esté Roy de la Couronne, emporta encor le Prix. Ils rentrerent en suite dans la Ville avec grande pompe, & remirent leur Capitaine & leur Roy chez eux, comme ils avoient fait le jour precédent. Le soir, apres qu’ils eurent soupé ensemble, ils donnerent le Bal aux Dames. On y servit une magnifique Collation toute en Pyramides ; & pendant huit jours, ce ne fut, pour ainsi dire, qu’un Festin & qu’un Bal continuel.

[Monseigneur apprend à chanter] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 102-104.

 Quoy que la joye que cause la Paix, ait fait songer à rétablir cette Feste, celle qu’on a du Mariage de Monseigneur y a fort contribué. Ce jeune Prince quise montre toûjours galant pour Madame la Dauphine, étudie tout ce qui est de son goust pour y conformer le sien ; & comme il a remarqué que c’estoit luy plaire que d’aimer le Chant, cette Princesse ayant & beaucoup de voix & grande méthode, il a de luy-mesme formé le dessein d’apprendre à chanter. Il ne l’eut pas si-tost conçeu, qu’il l’exécuta ; & ce qui vous paroistra incroyable, il entra si bien dans ce qu’il y a de diférence de ton d’une Note à l’autre, que dés la seconde Leçon il chanta à Livre ouvert un Air assez difficile. Jugez, Madame, combien des lumieres si étenduës attirent l’admiration de Madame la Dauhine, qui est tout esprit.

[Cerémonies de l’Enterrement de M. le Duc de Hanover] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 122-145.

Je vous ay marqué dans ma Lettre du mois de Mars, qu’on faisoit de grands préparatifs à Hanover pour la Pompe des Funérailles du Duc de ce nom, dont on avoit raporté le Corps d’Ausbourg. Il faut vous en faire le détail. Le 30. de l’autre mois, qui estoit le jour qu’on avoit fixé pour cette Pompe, Monsieur le Prince & Evesque d’Osnabrug partit de Hanover sur le midy, avec les Princes ses Fils, précedé & suivy d’une tres grande quantité de Carrosses, tous à six Chevaux. Une Compagnie de Gens, portant de larges Pertuisanes dorées, à manches couverts de noir, environnoit son Carrosse, tiré par six Chevaux noirs, enharnachez, caparaçonnez, & houssez de noir à Housses traînantes. Deux autres Compagnies marchoient devant, l’une de Gens cuirassez depuis les pieds jusques à la teste, & l’autre de Gensdarmes en Casaques noires, & de ses Gardes du Corps en noir, montez sur des Chevaux blancs, d’une mesme parure, tous l’Epée nuë à la main. Ce Prince se rendit à Hernausen avec cette Escorte. Hernausen, Madame, est une Maison Ducale qui n’est qu’à un quart d’heure de Hanover. Le Corps y estoit arrivé le jour precédent avec un grand Train de Gentilshommes & une Compagnie de Gensdarmes. Il venoit du Chasteau de Calemberg, où il estoit demeuré en dépost dans l’Eglise depuis qu’on l’avoit apporté d’Ausbourg. Je vous ay parlé dans une autre Lettre des honneurs que le Magistrat de cette Ville luy avoit fait rendre quand il en estoit party. Si-tost que Monsieur l’Evesque d’Osnabrug fut à Hernausen, tout ce grand Cortege qui l’avoit suivy, forma divers rangs, & se mit en marche. On s’avança vers la Ville, où à l’entrée, quantité d’autres Personnes qui avoient ordre de se trouver au Convoy, attendoient le Corps. On l’avoit mis sur un Chariot drapé de noir, & tiré par huit Chevaux. Un grand Poësle de Velours, croisé de Toile d’argent, couvroit le Cercueil qui estoit de vermeil doré. Au dessus estoit un Dais aussi de Velours, avec le mesme ornement du Poësle. Lors qu’il fut à la Porte de la Ville, tout le Canon des Ramparts tira, & en mesme temps, les Princes & ceux de leur Suite, descendirent de Carrosse. Une partie des Gardes du Corps à cheval, précedez par un Timbalier & par six Trompetes sonnant fort lugubrement, prirent les devans, & vinrent se ranger sous les Fenestres du Palais, où Madame la Duchesse d’Osnabrug estoit placée sur une Terrasse pour voir la Cerémonie dont les Dames n’estoient point. La jeune Princesse sa Fille, & Monsieur le Prince de Beures, Parent de la Maison de Brunsvick, estoient avec elle.

     Ces gardes rangez firent place à trois cens Enfans vestus de noir, avec de grands Manteaux qui traînoient à terre. Ces Enfans chantoient les Cantiques usitez en de pareilles occasions, & estoient précedez par trois Hommes revestus de mesme, portant trois Croix noires, & par d’autres portant des Bâtons noirs armoiriez. Le Clergé suivoit, avec les Ecoliers, Régens, Docteurs, Ministres, & le Surintendant des Eglises Luthériennes. En suite marchoient les Gentilshommes de la Maison de Monsieur l’Evesque d’Osnabrug, tous deux à deux les Envoyez des Villes & Etats des Princes de la Maison de Brunsvick, au nombre de douze de chaque Etat, & de vingt-quatre de celuy de Hanover, & enfin tous les Officiers de la Cour qui n’avoient point de fonction dans cette Cerémonie.

Tout ce monde en longs Manteaux noirs, estoient suivy de quantité de Chevaux de main, enharnachez, caparaçonnez, & à Housses traînantes, croisées de Toile d’argent, & armoiriées des diférentes Pieces des Armoiries de la Maison de Brunsvick & de Lunebourg. Ces Chevaux menez par un Gentilhomme de chaque costé, estoient entremeslez de Drapeaux & Etendarts de mesme façon, c’est à dire noirs & armoiriez des mesmes Pieces, & portez par des Gentilhommes à longs Manteaux. Il y avoit plusieurs Hérauts d’armes revestus de riches Cottes d’armes aussi armoiriées, & distinguant les divers Païs de cette illustre Maison. Tout cela estoit précedé par des Trompetes & par des Timbales, rendant, comme je l’ay déja dit, un son fort lugubre. Les Etendars des Comtez, & autres Seigneuries, incorporées dans le Païs de Brunsvick & Lunebourg, avec l’ancienne Baniere Royale de Saxe, eurent à peine passé, qu’on vit paroistre deux Gentilshommes avec leurs Escortes, portant les Armes du feu Duc de Hanover, l’un à cheval ayant des Armes dorées, & l’autre à pied, dont les Armes estoient de fer bruny. Comme cette Marche se faisoit fort lentement, les Peuples que le bruit de ce Spectacle avoit attirez de toutes parts, pouvoient à loisir en observer l’ordre ; & si tant de pompe leur donnoit sujet de l’admirer, ce qu’elle avoit de lugubre leur estoit en mesme temps une cause de douleur. Mr de Podewis Lieutenant General qui commande la Milice, marchoit gravement, portant la Couronne Ducale, enrichie d’une prodigieuse quantité de Diamans & de Pierres précieuses. Il estoit accompagné de plusieurs Officiers Generaux, & précedé par celuy qui portoit l’Anneau & les Sceaux de l’Etat.

Le Corps suivoit sur le Chariot dont j’ay commencé de vous parler. Rien n’y manquoit de tout ce qu’un grand Appareil de deüil peut faire voir de plus triste. Il estoit traîné par huit Chevaux, dont les Housses de Velours pendoient jusqu’à terre. Autant de Gentilshommes menoient ces Chevaux, & ce Spéctacle arrachoit des larmes aux plus insensibles. Huit Colonels, ou Lieutenans Colonels des Troupes de l’Etat, soûtenoient le Dais qui avoit esté élevé au dessus du Cercueil ; & les quatre coins du Drap qui couvroit ce mesme Cercueil, estoient portez par des Genéraux Majors. Six Maréchaux qui donnoient les ordres, & plusieurs Pages portant des Flambeaux de cire blanche, armoiriez aussi-bien que les Bâtons des Maréchaux, precédoient ce Chariot. Quantité de Gentilhommes portant aussi des Flambeaux, marchoient à costé avec des Trabans, dont les Pertuisanes estoient renversées. On voyoit en suite Mr l’Evesque d’Osnabrug, précedé de Mr de Platen Grand Maréchal de la Cour, & de deux des premiers Officiers de sa Maison. Il estoit environné de ses Trabans, ayant de larges Pertuisanes dorées. Deux Gentilshommes de la Chambre luy portoient la queuë. Tout proche, marchoient les jeunes Princes Maximilien & Charles ses Fils, ayant leur Gouverneur à costé gauche un peu derriere, & chacun un Gentilhomme à porter leur queuë. Apres eux estoient les Conseillers du Conseil d’Etat, du Conseil Aulique de la Régence de Grubenhague, du Consistoire Ecclesiastique, les Assesseurs de la Cour Provinciale, les Secretaires, & autres Officiers de la Chancellerie. Une Compagnie de Gensdarmes à cheval, une autre de Cuirassiers, & le reste de la Compagnie des Gardes du Corps, avec leurs Trompetes & Timbales, fermoient cette magnifique Marche. 

On fit le trajet de la Ville jusqu’à l’Eglise Ducale, la Bourgeoisie estant sous les armes, & les Ruës bordées de Soldats en haye. Les Cuirassiers se rangeoient des deux costez de la Ruë de l’Eglise, à le veuë du Palais Ducal, ce qui faisoit un tres-bel effet. Mr l’Evesque de Titianopolis, Vicaire Apostolique, revestu de ses Habits Pontificaux, avec six Abbez mîtrez, & suivy de son Clergé, qui estoit de quelques Prestres séculiers & de Capucins, vint recevoir le Corps à la Porte de l’Eglise, & le conduisit dans la Chapelle ardente que l’on avoit préparée, & qui estoit de toute la hauteur de l’Eglise, ornée de Sculptures, de Figures, d’Emblêmes, d’Inscriptions, & d’une infinité de Cierges. Il y eut Musique par de tres-habiles Maistres Italiens ; en suite dequoy, ce Prélat fit ce qui estoit de son ministere.

Le lendemain, il officia pontificalement, assisté de quatre Abbez mîtrez. Un Capucin Allemand prononça l’Oraison Funebre en présence du Prince Régent, de Madame la Duchesse d’Osnabrug, & de toute la Cour ; & apres luy, un Prestre monta en Chaire, & fit le recit de ce qu’on appelle Personalia, qui est un Abregé de la vie & des actions les plus mémorables de celuy pour qui se fait la Cerémonie. Le Corps fut enfin descendu dans la Chapelle qui avoit esté choisie par le Défunt pour le lieu de sa Sepulture, ce qui se fit au bruit de l’Artillerie & des Salves. Cela fait, la Compagnie retourna au Château, où Mr de Grotte Premier Ministre d’Etat du feu Duc, fit un excellent Discours sur la perte d’un si grand Prince, & sur l’avenement de Mr l’Evesque d’Osnabrug son Frere. Ce Prince donna un magnifique Repas aux Principaux de cette Assemblée qu’il fit manger à sa table. Tout le reste de la Noblesse, des Officiers, & des Etrangers, fut traité & défrayé pendant quatre jours. Les préparatifs de cette grande Cerémonie ayant attiré une infinité de Curieux, ils demeurerent tous d’accord, qu’on n’avoit jamais rien veu de semblable en ce Païs-là, pour la pompe, pour l’ordre, & pour la quantité de Noblesse. Il ne faut pas s’étonner de ces grands apprests, Mr l’Evesque d’Osnabrug, aujourd’huy Duc de Hanover, estant un Prince tres-genéreux, & qui ne fait rien qu’avec une magnificence digne du haut rang qu’il tient. On le peut voir par les dépenses de cette Pompe Funebre, qui ont esté de plus de cent mille écus. La considération qu’il a euë pour les Officiers du feu Duc son Frere, est une marque de l’estime qu’il fait de sa mémoire. Ils ont esté presque tous retenus à son service. Les deux plus considérables sont Mrs de Grotte & de Witzendorf. Il a donné au premier, qui est un des plus habiles & des plus intelligens Ministres de nostre temps, la qualité de son Ministre d’Etat, avec de grosses Pensions, & le Gouvernement du Duché de Grubenhague. Il a aussi donné au second, de tres-fortes Pensions, & l’a conservé dans son ancien Poste de l’administration des Finances. Mr le Baron de Platen, son Premier Ministre, a esté autrefois envoyé de sa part en cette Cour, & depuis dans plusieurs autres. Il a remporté beaucoup de gloire de ces Emplois, où il a toûjours servy son Maistre avec un zele qui répondoit à sa confiance.

Les Spéculatifs ont fait de grandes reflections sur une Cloche de Sainte Croix, qui se cassa lors que le feu Duc sortit de Hanover pour aller en Italie, & qui ayant esté refonduë, s’est cassée une seconde fois quand le Corps a esté à la Porte de la mesme Ville pour y entrer.

[Fille d’Honneur de Madame reçeuë pour occuper la premiere Place qui doit vaquer] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 204-206.

Mademoiselle Desco, Sœur du Marquis de ce nom, a esté reçeuë Fille d’Honneur de Madame, pour occuper la premiere place qui vaqueroit. Elle luy fut présentée au commencement de l’autre mois par Madame la Maréchale du Plessis sa Dame d’honneur. Elle a beaucoup de naissance, & est d’une Maison alliée à celles de la Rochefoucaud, de Vitry, de Nangis, & de plusieurs autres des plus illustres. Mr le Marquis Desco son Frere, commande le Regiment d’Artois. Madame sa Femme est Fille de Madame la Comtesse de Brégy, si estimée de toute la Cour pour son esprit & par son mérite. Quant à Mademoiselle Desco, elle est de tres-belle taille, a le teint fort beau, & tous les traits du visage doux & agreables, sçait l’Italien, chante aisément, danse de bon air, & aime la Symphonie avec une passion qui ne se peut concevoir. Elle jouë fort bien du Clavessin, du Theorbe, & de la Guitarre. 

[Divertissemens de Bourbon] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 276-277.

Je passe à d’autres Nouvelles. Les Eaux de Bourbon continuënt toûjours à estre en vogue, quoy qu’on en ait trouvé de nouvelles que diverses cures ont renduës fameuses. Il y a présentement grande compagnie. Mr de Louvoys en prend, aussi-bien que Mr le Maréchal de la Ferté, Mr de la Vrilliere Secretaire d’Etat, Madame la Duchesse de Brissac, Madame la Comtesse de Tonaycharente, Madame de Langlée, Mesdemoiselles de Rubel, Mademoiselle de Phelippeaux, Mr de Coulanges Maistre des Requestes, Mr de Pommereüil, & plusieurs autres Personnes considérables de l’un & de l’autre Sexe. Tous les plaisirs s’y rencontrent, les Violons, les Parties de Jeu, la bonne chere, & enfin tout ce qui peut divertir agreablement d’illustres Malades, qui ont assez de santé pour chercher la joye.

[Régal donné par Monsieur dans sa Maison de S. Cloud] §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 295-327.

Si mille choses d’éclat ne vous avoient pas appris, ainsi qu’à toute la France, que Monsieur est un Prince aussi galant qu’il est magnifique, vous croiriez sans-doute que le détail que j’ay à vous faire de la derniere Feste de Saint Cloud seroit un recit exageré ; mais, Madame, vous connoissez mieux que moy combien ces deux qualitez sont naturelles à Son Altesse Royale, & il suffit que je vous nomme S. Cloud, en vous parlant d’une Feste, pour vous faire concevoir tout ce qui est digne d’un Frere de Loüis le Grand. Madame la Dauphine n’ayant point encor veu cette délicieuse Maison, Monsieur forma le dessein d’y faire un Régal à Leurs Majestez, quand Elles y ameneroient cette Princesse. Le jour estant pris (ce fut le 9. de ce mois) le Roy arriva à Saint Cloud sur les quatre heures. Il estoit dans le Carrosse de la Reyne, où estoient aussi Monseigneur, Madame la Dauphine, & Madame la Princesse de Conty. En arrivant, toute cette auguste Compagnie alla chez Madame, où Madame la Dauphine continua d’admirer la belle veuë qu’elle avoit découverte le long de l’Apartement de cette Princesse. On passa en suite dans celuy de Monsieur, qu’on trouva meublé tres-superbement. Il estoit enrichy de Peintures & de Tableaux d’un fort grand prix ; & outre les Meubles qui ornoient toutes les Chambres, il y avoit par tout de tres-riches Cabinets, couverts de Pots ou de Vazes, la plûpart d’argent ou de vermeil doré. Les plus agreables Fleurs de la Saison remplissoient ces Pots. La propreté, la galanterie, & la magnificence de toutes ces Chambres, ayant esté admirées, le Roy passa dans la Galerie. Vous sçavez, Madame, qu’on la regarde comme une merveille, & qu’elle a esté peinte par le fameux Mr Mignard de Rome. On l’appelle ainsi, quoy qu’il soit François, à cause du long sejour qu’il a fait en Italie. Ce grand Ouvrage est assurément un chef-d’œuvre de Peinture. Ce seroit icy le lieu de vous en faire la description, si d’autres Articles ne m’obligeoient à la remettre jusqu’au mois prochain. Comme les chaleurs de cette journée avoient esté assez grandes, on apporta à Leurs Majestez des Eaux glacées que toute la Cour trouva admirables. On dansa un peu apres. Cette maniere de Bal où il n’y eut point de Branle, dura une heure & demie. Monseigneur prit Madame la Dauphine. Madame la Dauphine prit Monsieur. Monsieur alla prendre Madame la Princesse de Conty. Madame la Princesse de Conty prit Monseigneur, & Monseigneur prit Madame. Ceux qui danserent en suite, furent, du costé des Hommes, Messieurs les Princes de Conty & de la Roche-sur-Yon, Mrs les Comtes d’Armagnac & de Brionne, Mr le Chevalier de Lorraine, Mr les Ducs de la Trémoüille & de Gramont, Mr le Marquis de Biran, Mr le Comte de Tonnerre, Mr le Marquis de Gondrin, & Mr le Chevalier de Chastillon. Du costé des Dames, Mesdames les Duchesses de Foix, de la Trémoüille & de Mortemar, Madame la Marquise de Segnelay, Madame de Grancé, & Mesdemoiselles de Laval, Chasteautiers, Potier, & Clisson.

La Dance ayant finy sur les sept heures du soir, le Roy monta en Caleche, avec la Reyne à sa droite, & Madame la Dauphine à sa gauche. Monsieur estoit à la Portiere droite, & Madame la Princesse de Conty à la gauche. Monseigneur se plaça dans l’autre fond, ayant Madame à sa droite, & Mademoiselle à sa gauche. Plusieurs Caleches suivoient, remplies de toutes les Femmes de qualité, qui eurent l’honneur ce soir-là de souper avec le Roy. Plusieurs Seigneurs de la Cour, tous à cheval, environnoient ces Caleches. On se promena dans tous les Jardins, qu’on trouva d’autant plus beaux, qu’on les voyoit émaillez d’un nombre infiny de Fleurs printanieres. A ce divertissement succeda celuy de voir joüer les Cascades. On se mit à table sur les neuf heures. Elle estoit dressée dans une grande Salle magnifiquement parée du beau Bufet de vermeil doré de Monsieur. Il y a dans cette Salle un tres-beau Tableau de la Bataille de Cassel, gagnée par Son Altesse Royale. Je vous envoye la Figure de la Table que j’ay fait graver. Prenez la peine de jetter les yeux dessus. Vous verrez en un instant ce que je ne pourrois vous apprendre qu’en beaucoup de lignes. Le Roy qui estoit servy par le dedans de la Table (deux Controlleurs servoient à droit & à gauche) avoit à sa droite, Monseigneur, Madame, Mademoiselle, Madame de Lilebonne, & Mesdemoiselles ses Filles, Madame la Princesse d’Harcourt, Madame de Soubise, Madame de Béthune, Madame de Nevers, Madame de Gourdon, Madame la Comtesse d’Estrées, Madame la Marquise d’Efiat, la Gouvernante des Filles de Madame la Dauphine au dessus des Filles, Mesdemoiselles de Tonnerre, de Biron, Laval, Rambure.

A la gauche du Roy, estoient la Reyne, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame la Princesse de Conty, Madame la Princesse de Tarente, Madame la Duchesse de Crussol, Madame de la Trémoüille, Madame la Duchesse de Foix, Madame Colbert, Madame la Duchesse de Mortemar, Madame la Duchesse de Sully, Madame la Duchesse de Gramont, Madame de Thianges, Madame de la Ferté, Madame la Marquise de Ranes, Madame de Grancé, Madame de Marré, & Madame la Marquise de Clérambaut. Madame de la Daubiaye Gouvernante des Filles de Madame, Mesdemoiselles Potier, Chasteautiers, & Clisson, n’ayant pû trouver de place, furent servies dans une autre Chambre. Il y eut plusieurs Tables pour tous les Seigneurs de la Cour, tres-abondamment & tres-proprement servies, entre-autres celle de Monsieur le Chevalier de Lorraine. La Table du Premier Maître-d’Hôtel estoit de vingt-quatre Couverts. Il y eut trois Services fort magnifiques, & cinq pour le Roy, le bout de la Table où estoit Sa Majesté ayant esté relevé plusieurs fois. Je ne vous marque point le nombre de Plats. Vous pouvez les voir en examinant la Planche. On trouva le Fruit fort beau. Chaque Service fut porté par autant de Personnes des Livrées de Monsieur, qu’on servit de Plats, le tout sans confusion. Le Soupé dura une grande heure & demie. Apres quoy toute la Cour passa chez Madame, où l’Hostel de Bourgogne joüa le Mitridate de Mr Racine, avec la petite Comedie du Deüil. Le Lieu qui devoit servir de Théatre estoit préparé dans l’ancien Sallon. Des Paravents d’une tres-grande beauté, entre lesquels estoient des Guéridons d’argent, portant des Girandoles garnies de Bougies, faisoient la Décoration de ce Théatre.[…]

 

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1680 [tome 7], p. 345-346.

Encor deux mots pour un Air nouveau, & je viens aux Modes. Celuy qui suit est de l’Illustre qui m’en donne tous les Mois. Vous en connoistrez aisément le caractere.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Voulez-vous gouster, doit regarder la page 346.
Voulez-vous goûter en aimant
Un plaisir sans tourment ?
Brulez d'une flamme légere,
Et changez souvent de Bergere.
Le changement est le charme des cœurs,
Et des amours comme des Fleurs,
Les plus nouvelles,
Sont les plus belles.
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