1680

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14].

2015
Source : Mercure galant, novembre 1680 [tome 14].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Édition numérique).

[Lettre en Prose & en Vers, touchant une Chasse aussi singuliere que galante, faite à Auxerre le jour de la S. Hubert] §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 26-45.

Comme la Chasse est le divertissement des Particuliers ainsi que des Princes, il s’en est faite une à Auxerre, pour solemniser la Feste de S. Hubert, qui mérite que vous en sçachiez les circonstances. Je ne puis mieux vous les expliquer qu’en vous faisant part de la Lettre mesme qui m’en a esté écrite. Voicy ce qu’elle contient.

     À Auxerre ce 10. Nov. 1680.

La Saint Hubert est une Feste celebrée par tout, mais je doute que ce soit un jour aussi solemnel ailleurs, qu’il l’est pour les Auxerrois, qui le destinent tous les ans à la réjoüissance publique. Il n’y a personne qui n’y prenne part, & depuis les plus simples Habitans jusqu’aux plus considérables, chacun selon son génie ou son pouvoir, se prepare à faire les choses agreablement longtemps avant que ce jour arrive. Une Chasse fait le sujet de ce divertissement general. Elle l’emporte d’autant plus sur beaucoup d’autres, que la maniere dont elle se fait la rend toute singuliere. Les Chasseurs n’y portent, pour toutes armes, qu’un gros Baston ou Massuë, & ils sçavent le jetter si à propos, qu’on connoist par la grande quantité de Gibier qu’ils rapportent, qu’il y en a peu qui leur échape. Ces Chasseurs sont toûjours en tres-grand nombre, & en on a compté cette année plus de dix-huit cens. Ils se separent en diverses Compagnies qui se font d’elles-mesmes, sans qu’il y ait aucune regle pour les ordonner. La liberté qu'on leur laisse de se partager comme il leur plaist, n'empesche pas qu'elles n'ayent toutes beaucoup d'application à se faire distinguer les unes des autres, soit par la galante maniere de s'habiller, soit par les diférentes couleurs qu'elles prennent. Ces Compagnies sortant de la Ville trop matin, ne paroissent pas à leur départ avec la beauté qu'elles ont à leur retour. Joignez à cela que les Dames qui vont au devant d'elles le soir, magnifiquement vestuës, ne contribuënt pas peu à en relever l'éclat. La Bourgeoisie mesme se met ce jour-là dans une propreté admirable. Ainsi le chemin, du costé que la Chasse doit rentrer, se trouvant bordé de monde, & sur tout de Personnes du beau Sexe, dans l'espace de plus d'un grand quart de lieuë, les Chauffeurs qui doivent passer devant cette charmante Assemblée, n'oublient rien de ce qui leur en peut attirer de favorables regards, & c'est entr'eux à qui paroistra le plus. Cependant comme il est presque impossible pendant une longue Chasse, de garder une certaine contrainte que la propreté demande, ils s'arrestent tous à une demy-lieuë de la Ville pour se mettre en ordre, & dissiper un peu leur fatigue. Pendant ce temps, les Compagnies estant assemblées, chacune convient du rang qu’elle doit avoir. Les unes marchent au bruit des Tambours & des Trompetes, & les autres au son des Fifres, des Musetes, & des Hautbois, de sorte que tous ces Instrumens qui sont là en tres-grand nombre, font entendre de tous costez une mêlodie extraordinaire par la confusion de leurs sons. Dans le temps que l’on faisoit alte cette année comme l’on a de coûtume, douze Demoiselles des plus belles, & des plus aimables de la Ville, monterent à cheval en habit de Chasseresses, & ayant joint une Compagnie de douze jeunes Chasseurs, avec un Dard à la main, elles se mirent dans leur mesme rang. Vous jugez bien que quelques considerables que fussent les préparatifs qu’ils avoient faits, ce fut pour leur Troupe un brillant surcroist de magnificence. Voicy de quelle maniere cette Compagnie se distingua parmy plus de trois cens autres toutes fort lestes. Apres qu’on en eut veu passer environ deux cens, on apperçeut six Trompetes à cheval, vestus d’un Tafetas gris de lin (c’estoit la couleur de la Compagnie) avec six Tambours, six Fifres & six Hautbois, dont le concert succedoit agreablement aux fanfares des Trompetes. Trente pas derriere, estoient nos vingt-quatre aimables Chasseurs de l'un & de l'autre Sexe, marchant deux à deux, montez sur des tres-beaux Chevaux, & tout garnis de Rubans gris de lin. Ils s'estoient rangez à droit & à gauche d'un Char, tiré par quatre petit Chevaux blancs enharnachez de Rubans aussi gris de lin, & ornez d'un nombre presque infiny de nœuds de mesme couleur. Deux Mores vestus de blanc avoient soin de conduire ces Chevaux. Le Char estoit une maniere de Piedestal à cinq façades, sur lequel on avoit élevé un Trophée des Dards de ces belles Chasseresses, & des Massuës des Chasseurs, toutes diféremment peintes. Un petit Amour couché nonchalamment au pied du Trophée, sembloit y avoir joint son Carquois, son Arc, & ses Fleches, pour se donner tout entier au plaisir de garnir de rubans une Perdrix qu'il avoit entre les mains. Au bas du Trophée, estoit le Gibier que les Chasseurs avoient pris. On le voyoit attaché avec quantité de Rubans. Des cinq Façades de ce Piedestal on n'en découvroit que trois, parce qu'un riche Tapis gris de lin & blanc, tomboit sur les deux de devant où estoit assis l'Amour. Cet Amour estoit peint de la mesme sorte dans une des Façades à costé, sans Arc ny Carquois, & ayant une Perdrix entre les mains. Ces Vers estoient au dessous.

Je ne pourrois porter que d'inutiles armes.
Mon Arc, mes Fleches, mon Carquois,
Ne peuvent causer à la fois
En tant de jeunes cœurs de si fortes alarmes,
Que ces Belles font par leurs charmes.

Dans la Façade suivante, on voyoit ce mesme Amour qui regardoit attentivement deux Colombes, qu'un Chasseur venoit de percer d'un mesme Trait. Ces vers se lisoient au bas.

Ah, pourquoy les cœurs des Humains
Ne sont-ils pas aussi fidelles ?
Mes blessures sont moins mortelles,
Et des coups bien plus beaux partiroient de mes mains.

Dans la troisiéme paroissoit encor ce petit Dieu, & un Chien-courant qui s'élançoit ardemment sur un Lievre, avec ces paroles.

Quand avec une égale ardeur
Je poursuis quelquefois un cœur,
Amans, ne craignez point une fin si cruelle.
Je n'ay jamais plus de douceur,
Que quand du cœur le plus rebelle
Je me suis rendu le vainqueur.

Vingt-quatre Violons fermoient cette marche. On alla dans cet ordre jusqu’à une Maison où les Dames descendirent. Les jeunes Chasseurs qui avoient esté avertis de leur dessein, y avoient fait préparer tout ce qui estoit necessaire pour les recevoir. Ils leur ofrirent le Bal qui leur fut donné dans une Salle, tenduë d’une tres-belle Tapisserie. Huit Lustres, & un tres-grand nombre de Bras dorez l’éclairoient. La Dance dura fort longtemps, & ce divertissement fut terminé par une tres-belle Collation que servirent douze jeunes Garçons, en Habits blancs, bordez par tout d’un galon gris de lin. Ce fut une profusion surprenante de Confitures seches, & Liquides, avec des Liqueurs de toute sorte. Un Bassin entr'autres fut trouvé fort singulier. On y découvrit un Lievre à l'abry d'un Oranger presque tout blanc de ses Fleurs, qui répandoient une douce odeur dans toute la Salle. Le Gazon d'où sembloit sortir le pied, estoit couvert d'une mousse de soye sous laquelle on appercevoit un autre Lievre à moitié caché. Tout estoit si bien imité sur le naturel, que quelques Dames furent étonnées d'abord de ce que ces Animaux ne fuyoient pas au bruit qu'on faisoit. Il fut question de les ouvrir, & en les ouvrant, on trouva deux tres-excellens Pastez. On s'attachoit encor à les regarder, lors que le petit Amour qu'on avoit veu dans le Char, parut au bout de la Table. Il estoit vestu d'un Tafetas couleur de chair qu'on auroit crû collé sur son corps & n'avoit ny Carquois, ny Arc. Apres qu'il eut jetté ses regards sur toutes les Dames, il prit ainsi la parole.

Belles, qui parmy vous me menez triomphant,
Et qui par vostre appuy soûtenez mon empire,
Faites que sous mes loix tendrement on soûpire,
Quittez vostre fierté, ne suis un tendre Enfant
Qui n'aime rien tant qu'à voir rire.
***
Les traits dont je me sers, je le prens de vos yeux.
On m'en a fait de justes plaintes.
Ces traits sont des plus dangereux;
Et si vous négligez d'en guérir les atteintes,
Ils feront bien des Malheureux
***
Ne suivez pas la fausse politique
De quelques critiques Amours;
Ce seroit aimer à l'antique,
De vouloir qu'on soufre toûjours.
***
Un oeur qu'une Beauté s'attire,
Ne se donne qu'à la douceur.
Et souvent, sans pouvoir fléchir vostre rigueur,
Peu s'en faut qu'à vos pieds un pauvre Amant n'expire!
Quelle gloire avez-vous de l'injuste martire
Dont je vous voy payer la plus fidelle ardeur?
Belles, si vous voulez assurer mon empire,
Il faut laisser attendrir vostre coeur.

Il semble que les Dames ayent entré veritablement dans les sentimens de cet Amour. Car depuis on n'a entendu parler que de propositions de Mariage agreablement reçeuës. Enfin la nuit s'avançant, il falut se separer. Ce ne fut pas sans que les Chasseurs eussent fait d'amples remercîments au aimables Chasseresses, de l'éclat qu'elle avoient bien voulu donner à leur Compagnie. Voilà, Monsieur, ce qu’avoit à vous apprendre vostre tres, &c.

LE MUET.

Chanson §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 45-47.

Les agreables Parties ne se peuvent faire sans le beau Sexe. Ainsi on ne doit pas s’étonner si l’éloignement des Belles bannit le plaisir des Lieux qu’elles ont quitez. Voyez les plaintes qu’en fait la Chanson qui suit. C’est la seconde que je vous envoye, notée par Mademoiselle d’O. La premiere que vous vistes d’elle il y a deux ou trois moisI, vous a déjà fait connoistre le rare génie qu’elle a pour la Musique.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Nos Bergers, nos Troupeaux, ces lieux, doit regarder la page 46.
          Nos Bergers, nos Troupeaux, ces lieux,
          Tout seche éloigné de vox yeux,
          Nos Plaines ne sont plus fleuries.
          L’on n'entend plus parler d’amour ;
          Et quand vous serez de retour,
Vous ne verrez ny Fleurs, ny Boutons, ny Prairies.
          L’air enflâmé de nos soúpirs
          A fait négliger aux Zéphirs
          Le foin de nos tristes Campagnes.
          Venez par des charmes nouveaux
          Donner le calme à nos Hameaux,
Si vous voulez encor y trouver des Compagnes.

Ces Vers ont un tour aisé, qui me feroit dire que c’est la Nature mesme qui les a dictez, si Mr de Linieres ne soûtenoit qu’on en peut faire sans Art. Ce sentiment est contraitre à l'opinion établie depuis longtemps, qui veut que si l'étude fait les Orateurs, la Nature seule ait droit de faire les Poëtes. […]

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[Ce qui s’est passé par les Académistes de l’Académie de Bernardi, touchant le Fort qu’ils attaquent tous les ans.] §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 65-79 [extrait p. 65-66].

Il ne faut pas s’étonner si la Noblesse de France paroist si habile dans le métier de la Guerre dés ses premieres Campagnes. On n’y peut estre mieux instruit qu’elle l’est dans les Académies, & sur tout dans celle de Mr Bernardi, où l’on fait tous les Exercices Militaires que peut souhaiter un Gentilhomme, qui, au sortir de l’Académie veut se signaler dans les Armées de son Prince. Je vous ay déja parlé d’un Fort que Mr Bernardi fait attaquer tous les ans. Voicy ce qui s’est passé la derniere fois dans cette Attaque. Le Lundy seiziéme jour de Septembre, quatre-vingts Académistes, tres-bien armez, sortirent au son des Fifres, Tambours, Trompetes & Hautbois, & se rendirent aupres des Chartreux. (C’est le lieu où estoit construit le Fort.)

[Lettre d’une Dame qui écrit les Avantures de son Amie] §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 79-122 [extraits p. 80-86].

On est fort obligé aux Peres, des soins qu'ils prennent de ce qui regarde la belle éducation ; mais je ne sçay si l'autorité que leur donne la Nature, doit estre aussi absoluë que la plûpart se le persuadent. Du moins, est-il des rencontres, où il seroit bon qu'elle fust bornée, tous les états qui engagent pour toûjours estant d'une si grande importance, qu'il est fort rare que nous évitions d'estre malheureux quand on dispose de nous malgré nous-mesmes. Vous en trouverez un exemple remarquable dans la Lettre que je vous envoye. Elle est d’une Dame qui écrit si juste, que vous perdriez beaucoup, si vous appreniez d’un autre que d’elle, ce qui est arrivé à une de ses Amies, morte depuis peu. C'est moins le recit d'une Avanture particuliere, qu'un abregé de toute sa vie. Il seroit à souhaiter que cette Dame se fust étenduë un peu davantage, des Incidens aussi singuliers que ceux qu'elle marque ne pouvant estre trop bien éclaircis.

Lettre

de Madame G***

à Monsieur V***

J’ay bien d’autres Enigmes à développer que la vostre, Monsieur. Elle est courte & bonne, & celle qui se présente à mon esprit est tres-facheuse, & n'a pas moins d'étenduë que l'Eternité. Le mot est la Mort, & c'est celle d'une de mes intimes Amies que je viens d'aprendre. Vous l'avez veuë par hazard, & je vous en ay parlé mille fois, mais je ne croy pas vous en avoir assez dit, & son histoire est trop singuliere pour ne vous en faire pas une fidelle Relation, & tres-veritable dans toutes ses circonstances. Comme vous estes Phisionomiste, vous pourrez d’abbord exercer vostre Art sur son Portrait. C'est par où je commenceray à vous parler de cette Amie, que j'aimois aussi tendrement qu'elle m'aimoit. C’estoit une claire Brune qui avoit le teint blanc & uny, la forme du visage ovale, les cheveux extrémement noirs & frisez naturellement, les yeux petits, mais si brillants & si pleins de feu, qu'il estoit impossible de les voir que l'on n'en fust ébloüy. Rien n'aprochoit de la beauté que sa bouche. Ses dents blanches & bien arrangées, faisoient connoistre la bonne disposition de son Corps. Elle avoit la gorge belle, les bras ronds, les mains admirables & une si grande liberté en toute sa personne, qu’il suffisoit de la voir pour juger de son adresse à la Dance. Sa taille estoit médiocre, & son embonpoint proportionné à sa hauteur. Pour son agrément, c'est ce que je ne sçaurois vous representer, n'ayant jamais veu de Belle qui plust si genéralement qu'elle faisoit. Elle avoit l'esprit fin, penétrant & agreable, & l'eut toûjours si formé, que dés l'âge de huit ans, on estoit surpris de l'entendre raisonner. Elle estoit gaye & chagrine, complaisante & inégale, enjoüée & mélancolique, genéreuse, bonne, glorieuse, & fiere. Elle vouloit estre aimée de l’un & de l’autre Sexe, chantoit bien, touchoit de mesme le Luth, & quand elle avoit quelque chagrin, son Luth & sa voix luy servoient si parfaitement à l’exprimer, qu’elle ne manquoit jamais de faire des conquestes en cet état. Si de cette extremité elle passoit dans ses gayes humeurs, on estoit en doute lequel on devoit le plus aimer, ou de sa joie, ou de sa tristesse.

[Opéra de Proserpine] §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 191-195.

Nous sommes au temps où les Divertissemens de l’Hyver commencent. Ainsi l’Opéra de Proserpine, qui fut celuy de Leurs Majestez il y a un an, & dont je vous parlay lors qu’il parut à la Cour, a esté donné icy au Public depuis quinze jours. Je ne vous répete point qu’il est digne de Mr Quinault Auditeur des Comptes, qui en est l’Autheur ; que la Musique y a fait admirer le rare talent de Mr Lully, & que l’un & l’autre ont acquis beaucoup de gloire par cet Ouvrage. Je vous diray seulement que les Décorations & les Habits n’estant point les mesmes qui ont servy chez le Roy, tout ce qu’on a veu dans ces nouvelles représentations est neuf, & d’une fort grande magnificence. La Societé qui s’estoit faite dans l’établissement des Opéra entre Mr Lully & Mr Vigarany estant finie, Mr Berrin, Désignateur ordinaire du Cabinet de Sa Majesté, est celuy qui s’est meslé des Machines, & qui a donné les desseins de toutes les Décorations qui font l’ornement de celuy-cy. Je vous ay souvent parlé de luy. C’est un Homme d’un génie universel. Vous ne vous étonnerez plus apres cela, si l’on fait tant de bruit du somptueux Palais de Plutus, & de la charmante Décoration des Champs Elisées, & si l’on dit hautement qu’on ne peut rien voir de plus galant, de mieux entendu, ny de plus superbe. Ces Décorations ont esté peintes par Mr Rousseau, l’un des plus habiles Hommes que nous ayons pour toutes les choses de cette nature. On ne se récrie pas moins sur la surprenante richesse des Habits, & sur la maniere dont ils sont faits. Tout le monde en est charmé. Je vous dirois inutilement qu’ils sont du mesme Mr Berrin. Vous sçavez qu’il ne se fait rien de beau en France touchant les Habits, qui ne soit sur ses Desseins, & que sa Charge estant d’y travailler pour le Roy, à quoy il est entierement occupé, il oblige beaucoup ses Amis, lors qu’il veut bien leur donner les momens dont il dispose.

[Les fous divertissans] §

[] Mercure galant, novembre [tome 14], 1680, p. 195.

Les Comédiens François ont représenté dans le mesme temps les Fous divertissans, de Mr Poisson. C’est une Piece en trois Actes, avec des Chansons, & des Entrées.

Air nouveau §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 234-235.

Voicy une nouvelle Chanson de Mr de Bassilly, dont je vous en envoye tous les mois depuis un an. Son nom est un grand éloge pour tous ses Ouvrages.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par, Chacun dit dans le Village, doit regarder la page 234.
          Chacun dit dans le Village,
          Que la Bergere qui m’engage,
De toute autre Beauté surpasse les appas ;
          Mais en vain ce discours me flate,
          C’est bien la plus aimable, helas !
               Mais c’est la plus ingrate.
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[Réjoüissances faites à Hanover, à l’occasion du Serment de fidélité que les Etats du Païs ont presté au Duc de ce nom] §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 235-247.

Il y a eu de grandes réjoüissances à Hanover, à l’occasion du Serment de fidelité que les Etats du Païs ont presté à Mr le Duc de Hanover, Evesque d’Osnabruc, leur nouveau Maistre. Le Mardy 22. de l’autre mois, la Noblesse s’estant rendüe au Palais, en si grand nombre qu’à peine les Salles, Chambres, Antichambres & Galleries, pouvoient suffire à la contenir, préceda ce Prince, qui marcha jusqu’à une Salle tres-spatieuse, tous les Gentilshommes de sa Cour bordant le passage de la grande Gallerie par où il devoit passer. Aussitost qu’il fut entré, avec les Princes ses deux Fils aînez, il alla s’asseoir sous un grand Dais préparé pour cette Cerémonie. Alors les Principaux du Païs s’estant avancez, luy presterent le Serment dans les formes ordinaires ; apres quoy, toute la Noblesse en genéral levant la main, fit la mesme chose, en prononçant tous ensembles les paroles qu’on leur lisoit, pour les répeter. La Cerémonie se termina par un excellent Discours du Chancelier à l’avantage du Prince, & de toute son auguste Maison. Ce Discours finy, on alla se mettre à table. Mr le Duc de Hanover prit les Principaux avec luy, & avec les deux Princes ses Fils. Le reste des Nobles se plaça à douze ou quinze Tables qui estoient dans la grande Salle ; & comme il s'y trouva beaucoup plus de monde qu'il n'en eust falu pour les remplir, on fut obligé d'en dresser encor cinq ou six dans d'autres Chambres, pour ne renvoyer personne. Ce Repas dura depuis une heure apres midy jusques au soir.

Le lendemain Mercredy, dés le matin, toute la Ville ayant pris les armes au son des Tambours, Fifres, & Hautbois, passa par Bataillons devant la grande Porte du Palais, Enseignes déployées, & en tres-bon ordre. Chacun de ces Corps alla se poster, l’un devant l’Eglise, l’autre à la grande Place d’armes, quelques autres à celle du Marché, & devant l’Hostel de Ville, & le reste borda les Ruës du passage. Sur les dix heures, S. A. S. alla de son Palais à la grande Eglise, dans un magnifique Carrosse à six chevaux. Toute la Noblesse de la Campagne marchoit devant en longue file, & celle de la Cour immédiatement devant le Carrosse. Toute sa Maison estoit en grande cerémonie, & la teste nuë. Les Pages environnoient le Carrosse, & les Gardes du Corps suivoient. Ce Prince fut placé sur une Tribune au bout de l’Eglise, sous un magnifique Dais, les Gentilshommes de la Cour à sa droite, & les Nobles du Païs à sa gauche. La Musique, les Orgues, & les Violons, entonnerent aussitôt des Pseaumes, & le Ministre prescha fort éloquemment sur le devoir des Sujets envers leur Prince. Cela fait, on marcha dans le mesme ordre jusques à l’Hôtel de Ville, à la Porte duquel les Bourguemestres & tout le Sénat, reçeurent S. A. S. Les Ruës estoient tapissées, & remplies d'Arbres plantez de part & d'autre, & les Escaliers depuis le haut jusqu'au bas, couverts d'un Drap rouge, qui faisoit une espece de Tapis de pied assez agreable. Mr le Duc de Hanover ayant esté conduit avec les deux Princes dans une grande Salle, toûjours sous un Dais, y fut harangué par le Syndic de la Ville ; & en suite les Bourguemestres, tout le Sénat & le Clergé, presterent Serment comme avoit fait la Noblesse. De là il parut sur un Balcon, appuyé sur un Carreau de Velours en broderie, & du haut de ce Balcon, on prononça le Serment de fidélité au Peuple qui le répeta confusément en levant les mains, & y ajoûtant mille cris de joye. Tout cela se fit au bruit des continuelles salves du Canon, & des Bataillons postez sur les avenuës. Apres que cette Cerémonie fut achevée, le Corps de Ville alla chez Madame la Duchesse de Hanover, où le Bourguemestre l'ayant haranguée, luy présenta un Cofre de vermeil doré. Il ofrit aussi un fort beau Bassin à la Princesse sa Fille aînée, & quelque Piece d'argenterie à chacun des Princes. Ensuite on conduisit Madame la Duchesse à l’Hôtel de Ville dans un Carrosse à six Chevaux, précedé de douze Gentilshommes à pied, & environné de plusieurs Pages & Gardes. Elle estoit accompagnée de la Princesse sa Fille, & des Dames les plus qualifiées de la Cour. Dés qu’elle fut arrivée, on servit une magnifique Table à trente-deux Couverts, où Leurs Altesses Serénissimes furent placées avec les principaux de l’Etat, & plusieurs Dames. Les Plats estoient si chargez, & d'une telle grandeur, qu'il falloit quatre Hommes pour les porter. Les Bourguemestres, les Sénateurs, & les Premiers de la Ville, servoient cette Table. Plusieurs autres furent servies dans la grande Salle pour les Gentilshommes & les Dames de la Cour. Il y en eut encor dix ou douze de plus de cinquante pieds, pour le Clergé, pour les principaux Officiers des Troupes, & d'autres Personnes considérables. Autant de fois qu’on buvoit à la Table du Prince, les Trompetes & les Timbales donnoient le signal, & le Canon faisoit tout autant de salves. Les Violons François conduits par le Sieur Farinel, ne contribuerent pas peu à inspirer la joye pendant ce Régal. Il dura depuis deux heures jusqu’à huit ; & quand on se fut levé de Table, toute cette belle & illustre Compagnie retourna au Palais dans le mesme ordre qu’elle estoit venuë, apres qu’on eut allumé une quantité prodigieuse de Flambeaux pour en éclairer la marche. Le Jeudy, troisiéme jour de la Feste, S.A. traita les Bourguemestres & tout le Sénat. Le Banquet dura à l'ordinaire, une partie du jour & de la nuit.

[Lettre d’un Gentilhomme Allemand, contenant la Reception du Prince d’Orange à la Cour de Hanover] §

Mercure galant, novembre 1680 [tome 14], p. 247-261.

Le Mardy suivantII, Mr le Prince d’Orange arriva à la Cour de Hanover, & y reçeut de fort grands honneurs. Un Gentilhomme Allemand en a fait une assez exacte description, dans une Lettre écrite à un de ses Amis. On l’a traduite en ces termes.

Lettre

d’un gentilhomme

allemand,

Contenant la Reception de Mr

le Prince d’Orange à la Cour

de Hanover.

Son A. S. Mr le Duc de Hanover, qui soûtient si dignement la haute réputation que son auguste Maison s’est acquise, ayant appris le matin du 29. Octobre, que S. A. R. Monsieur le Prince d’Orange estoit party de Zell pour venir à Hanover, se disposa à luy faire une Reception digne de l’un & de l’autre. C'estoit assez qu'il l'eust entrepris, puis qu'il ne fait rien qui ne soit accompagné de magnificence. Ce Prince quitta le deüil pour cette maniere de Feste ; & quoy que l'or & l'argent donnassent beaucoup d'éclat à ses Habits, sa bonne mine, qui le distingue si fort, le faisoit plus regarder qu'aucune autre chose. Toute la Cour, à l'imitation de son Prince, avoit mis ce jour-là des Habits fort éclatans. On ne voyoit que Juste-à corps couverts de Galons ou de broderie or & argent, dont le fond de la plûpart estoit rouge. S.A. sortit sur les deux heures apres midy, pour aller recevoir Monsieur le Prince d’Orange, à une demy-heure de la Ville. Voicy l’ordre de la Marche. Elle commençoit par une Compagnie de Chevaux-Legers d’ordonnance, avec ses Timbales & ses Trompetes, & son Commandant à la teste, & estoit continuée par soixante & dix Chevaux de main de S.A.S. avec des Housses rouges, toutes couvertes de diférentes Broderies. Ceux qui les menoient, avoient des Livrées rouges, chamarrées d'argent ; le tout conduit par le Grand Maistre de l'Ecurie. Quarante Carrosses à six Chevaux suivoient à la file, remplis de tous les Seigneurs & Gentilshommes de la Cour, avec des Habits tres riches. Mr le Baron de Platen, Grand Maréchal de la Cour, fermoit cette File dans un Carrosse tres-magnifique. À quelque distance de là, on vit paroistre un tres-beau Carrosse, environné de Valets de pied & de Gens de cheval. C'estoit celuy de Mrs les Princes Maximilien & Charles, qui avoient leurs Gouverneurs avec eux. Quelques Carrosses dorez marchoient à leur suite ; apres quoy paroissoit celuy de Mr le Duc de Hanover, à fond de Velours rouge, tout couvert de Broderie or & argent. Ce Duc estoit dans le fond, & Mrs les deux Princesses aînez sur le devant, dans une parure si bien entenduë & si éclatante, qu'il eust esté impossible d'y rien adjoûter. Quantité de Pages & de Valets de pied, vestus des riches Livrées que je viens de vous marquer, environnoient ce Carrosse. Il estoit suivy de la Compagnie des Gardes du Corps à cheval, avec leurs Casaques rouges, chamarrées d’argent, ayant leur Colonel à leur teste, précedé de leurs Timbales, & de douze Trompetes. Toute cette superbe Cour s'arresta dans une grande Prairie, bordée d'un Bois à la droite, & continuée à la gauche par une belle & fertile Plaine. Monsieur le Prince d'Orange arriva bientost apres, accompagné de Mrs les Comtes de Nassau, de Flodorff, & de Montpoüillan. Leurs Altesses mirent pied à terre en mesme temps, & apres les premiers Complimens, Mr le Duc de Hanover prit Mr le Prince d'Orange dans son Carrosse, & l'on retourna à la Ville dans le mesme ordre qu'on estoit party. On y trouva toute la Garnison sous les armes, depuis la Porte jusques au Palais. Toute l'Artillerie & la Mousqueterie se firent entendre dans tout ce passage. Enfin l'on arriva au Palais, où Madame la Duchesse de Hanover, accompagnée de Madame la Princesse sa Fille, des trois plus jeunes Princes, & des principales Dames de la Cour, attendoit Mr le Prince d'Orange dans son Apartement. S.A.R. y estant montée, cette Princesse fit quelques pas hors la Porte de la Chambre, pour aller au devant d'Elle. Ainsi cette entreveuë s'estant faite dans l'Antichambre entre une grande foule de Dames & de Seigneurs, les Princes & les principaux de cette Noblesse entrerent dans la Chambre de Madame la Duchesse. On s'y entretint quelque temps, & de là on conduisit Mr le Prince d'Orange à l'Apartement qui luy avoit esté préparé. Le Soupé fut magnifique, & l'on servit quantité de Tables, avec une profusion surprenante de toutes choses. Le lendemain 30. Octobre, on fit la Reveuë de trois Regimens de Cavalerie, & de trois d'Infanterie, qui estoient en bataille dans la Plaine de Hemhany, qui n'est qu'à une portée de Canon de la Ville. Ces Troupes qui estoient fort lestes, s'acquiterent tres-bien de l'Exercice qu'ils firent devant Leurs Altesses. La Cavalerie fut separée en deux Corps, qui firent leurs décharges l'un contre l'autre. L'Infanterie ne luy ceda en rien, & tout cet Exercice se termina par trois Salves régulieres de toute la Cavalerie & de toute l'Infanterie, qui sembloient n'avoir tiré qu'un seul coup toutes ensemble. Mille Grenades jettées avec beaucoup d'adresse & de promptitude par l'Infanterie, augmenterent le bruit de cette Feste militaire. Elles n'estoient que de gros Carton poissé, & renforcé, mais elles ne s'en firent pas moins entendre. Le 31. on alla à la Chasse du Liévre, & les deux autres jours suivans à une grande Chasse de Sangliers. J'y en comptay cent soixante étendus sur le carreau. Il y en avoit quelques-uns d'une prodigieuse grandeur. On prit aussi environ cinquante Renards, qui furent bernez dans la grande Court du Chasteau par quelques Seigneurs & Gentilshommes de Leurs Altesses. L'apresdînée du dernier de ces deux jours, Monsieur le Prince d'Orange voulut bien se donner ce plaisir avec Monsieur le Prince, aîné de Brunsvic. Ils témoignerent tous deux en prendre beaucoup à faire sauter les Renards en l'air. Le soir Mr le Baron de Platen Grand-Maréchal, & Premier Ministre de cette Cour, traita chez luy Leurs Altesses. La Table estoit longue, & de vingt-quatre Couverts. Elle fut servie d'un Ambigu de Viandes, de Fruits, & de Confitures, ce qui faisoit une agreable confusion de Mets exquis. La délicatesse & la propreté furent remarquées dans ce Repas. Aussi l'esprit de ce Ministre paroist-il en toutes choses. Madame sa Femme est une Dame des mieux faites & des plus intelligentes de l'Allemagne. Les Violons François firent admirer pendant ce Repas les Airs doctes & touchans des Opéra du fameux Lully, ce qui ne fut pas un des moindres divertissemens de cette illustre Assemblée. Monsieur le Prince d’Orange partit le matin du troisiéme jour de Novembre, avec le mesme Cortege & les mesmes Cerémonies qui avoient esté faites à son Entrée. Il a paru tres-content des honneurs qu’il a reçeus, S. A. S. nostre Maistre n’ayant rien oublié de ce qui pouvoit marquer la joye qu’il avoit de voir ce Prince.