1681

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII).

2017
Source : Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII).
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Extraordinaire du Mercure Galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII). §

[Avant-propos]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 1-2.

Voicy, Madame, la treiziéme Lettre Extraordinaire que je vous écris, depuis que j’ay commencé à faire un Recueil pour vous des galans Ouvrages que me donne le Public. Je ne doute point que cette Année, dont nous achevons le premier Quartier, ne me soit aussi heureuse pour ces sortes de Recueils, que me l’ont esté les trois precédentes. J’ay d’autant plus lieu de m’en flater, que trouvant accés dans toutes les Cours où l’on entend nostre Langue, ils y sont reçeus assez favorablement pour engager les Etrangers mesmes à travailler sur les matieres que l’on y propose. La Dame, qui sous le nom de la Solitaria del Monte Pinceno, m’a fait la grace depuis plusieurs Mois de me donner des nouvelles de ce qui se passe de plus remarquable à Rome, m’a envoyé ses Réponses sur deux Questions de l’onziéme Extraordinaire ; & comme sa Lettre finit par un Article où vous avez interest, il sera bon que vous la voyiez entiere. C’est par elle que je commence la mienne.

[Lettre de réponses aux questions du dernier extraordinaire]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 3-13.

A Rome ce 18. Dec. 1680.

Je ne sçay, Monsieur, si la peur que me causa le Songe, dont je vous écrivis les particularitez dans ma Lettre du 4. de ce Mois, a esté capable de me faire tomber malade. Quoy qu’il en soit, j’ay esté tourmentée depuis ce temps-là d’une petite fiévre lente, qui ne m’a quittée que depuis deux jours. J’ay pris aussitost la plume pour vous écrire, & répondre à la premiere & à la troisiéme des Questions proposées dans l’Extraordinaire du Quartier de Juillet.

Si un amour secret récompensé de faveurs, est à préferer à un amour d’éclat qui donne de la gloire sans aucun plaisir.

Quiconque a le cœur ambitieux, & se contente d’un bien imaginaire, préferera sans-doute un amour d’éclat, qui donne de la gloire sans aucun plaisir, à celuy qui seroit récompensé de faveurs si on le tenoit secret. Ce n’est pas assez pour un Amant d’estre heureux, dira-t-il, si son bonheur ne paroist aux yeux des autres. Estre crû favorisé d’une Belle, quelque indiférente qu’elle soit, est quelque chose de plus agreable, que de l’estre en effet si personne n’en a connoissance. Un honneste Homme est né pour la gloire, & non pas pour les plaisirs. Il doit au moins conserver une partie de sa liberté à quelque prix que ce soit, & ne pas ramper en Esclave aux pieds d’une Maistresse, & attendre du secret qu’on luy prescrit, & qu’il promet de garder, des faveurs qui ne sont deuës qu’à son amour. Quelle gloire pour un Amant, de faire connoistre qu’il a pû toucher le cœur d’une Belle, & qu’il l’a rendu sensible à sa passion ! Que peut-il faire qui soit plus capable de luy gagner l’estime des honnestes Gens, qu’en faisant voir qu’une Femme d’esprit, dont la vertu luy avoit fait ignorer jusqu’au nom mesme de l’amour, se soit laissé vaincre à son mérite ? Un Homme au contraire dont l’esprit est plus tranquille, & moins ambitieux, préfere aisément des plaisirs solides à ceux qui ne le sont qu’en apparence, & trouve plus à propos de garder le secret, & de mériter par son obeïssance les faveurs qu’on veut bien luy faire, que de se laisser ébloüir à l’ombre d’une gloire imaginaire, & se mettre en danger de s’attirer par son indiscrétion un mal capable de ruiner entierement sa fortune encor mal établie. Il songe que cette fortune peut estre d’autant plus facilement renversée, qu’elle n’est soûtenuë d’aucunes faveurs, & qu’une Maistresse qui n’a rien à se reprocher du costé de son Amant, & dont la vertu a toûjours servy de regle à ses actions, est disposée à changer au moindre sujet qu’il luy en donne. Vous voyez, Monsieur, que l’un & l’autre a ses raisons. Je ne puis prononcer pour aucun d’eux sans me rendre suspecte. On sçait que les Femmes aiment le secret dans leurs plaisirs, & que rien n’est plus capable de leur faire tort que ce qui fait bruit. C’est ce qui doit obliger un Amant qui veut témoigner de la complaisance à sa Maistresse, & venir à bout de toucher son cœur, à ne se point laisser entester d’une vaine gloire, & à préferer d’agreables & secretes faveurs, à un éclat qui ne donnant aucun plaisir, peut causer des suites fâcheuses pour l’un & pour l’autre.

Si pour une liaison de tendresse, il est plus agreable de s’attacher à une Personne de seize ans, qu’à une de trente.

L’Amour se nourrit de tendresse. Cet Enfant aime le jeu, la bagatelle, & se plaist à mille petites badineries, qui ne sont gueres le fait d’une Femme de trente ans. Une Fille qui n’en a que quinze ou seize, est ce qu’il luy faut. C’est un jeune cœur dont tous les mouvemens sont tendres ; qui n’a que son plaisir dans la teste, qui rit, qui chante, qui danse, & dont la mélancolie ne vient jamais alterer la joye. Que peut-on souhaiter de plus agreable pour une liaison de tendresse ? Qui s’attache à ce bel âge, s’attache bien. Un Amant qui cause à cette jeune Beauté les premiers transports de l’amour, outre son plaisir particulier, a la gloire d’avoir triomphé le premier de ce jeune cœur, & de luy avoir enseigné sans peine la chose du monde la plus charmante. Il s’aplaudit de son choix, & de ses petits soins, & goûte dans sa victoire ce que l’amour peut faire sentir de plus délicat. Mais pour toucher le cœur d’une Femme de trente ans, il faut bien d’autre misteres. Il faut souffrir quelquefois de l’indiférence. Il faut essuyer milles chagrins, & souvent celuy de voir un Rival plus favorablement écouté. Il faut enfin se rendre sujet aux caprices d’une Femme qui croit sçavoir beaucoup, parce que son âge luy donne quelque expérience, & qui connoissant tout ce qu’elle a de mérite, prétend faire la fortune d’une honneste Homme en luy donnant place en son cœur, dont les mouvemens n’ont plus toutefois cette délicatesse, & ces transports si necessaires à l’amour. Pour moy je tiens que cet âge est plus propre pour un commerce d’esprit, que pour une liaison de tendresse, puis que celle-cy ne demande aucune expérience, & se satisfait d’un cœur tout neuf ; & que l’autre au contraire a besoin d’un âge plus avancé, qui luy fournisse des lumieres capables de l’entretenir.

Si je n’ay pas pris le bon party, & si mes raisons sont foibles, je suis excusable. C’est l’effet d’une petite maladie. Il est difficile que l’esprit ait de la force quand le corps est affoibly, & particulierement dans une Femme, qui n’a jamais, à ce qu’on dit, beaucoup de solidité.

J’aurois écrit sur la seconde des Questions du mesme Extraordinaire, si j’avois eu plus de temps, & j’aurois conclu infailliblement, que l’on doit aimer l’esprit, avant que de se laisser charmer de la beauté. Je le connois par ma propre expérience, & je fais gloire de vous avoüer que je me sens un panchant tout extraordinaire pour cette belle Dame à qui vous écrivez tous les Mois, & que j’admire la vivacité de son esprit dans plusieurs belles difficultez, qu’elle témoigne vous proposer de la part de ses Amies, mais qui sont assurément les siennes. Une preuve de ce que je soûtiens, c’est qu’un éloignement de plus de trois cens cinquante lieuës, n’empesche pas qu’on ne soit charmé, comme je le suis, de l’esprit d’une Femme, & que le bruit que fait la Beauté, n’inspire pas aussitost de l’amour, mais seulement une simple curiosité de la voir.

On a découvert depuis cinq ou six semaines une Comete sur nostre Horison. Vous la verrez representée dans la Planche que je vous envoye, & qui a esté gravée depuis trois ou quatre jours seulement ; mais ce que l’on a trouvé d’extraordinaire, ce sont trois Œufs de diférentes Poules, dans lesquels on voit distinctement les mesmes Signes que vous pouvez remarquer dans cette Planche. C’est une chose curieuse, & qui mérite l’application de vos Sçavans. Je suis vostre, &c.

La Solitaria del Monte Pinceno.

Sentimens sur tout ce qui est proposé dans le dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 14-29.

SENTIMENS SUR
tout ce qui est proposé dans le dernier Extraordinaire.

Lequel est le plus à plaindre, ou un Mary jaloux, ou la Femme d’un Mary jaloux.
I.

Le Mary peut sans rien craindre,
S’éloigner de sa Femme, & courir en tous lieux ;
Mais elle est toûjours sous ses yeux,
  Et bien plus à plaindre,
  Qu’il n’est malheureux.

Lequel doit estre estimé le plus malheureux, ou l’Aveugle né, ou celuy qui a perdu la veuë.
II.

Que le sort de l’Aveugle est triste & déplorable !
Qu’il me paroist infortuné !
Cependant le plus misérable
N’est pas l’Aveugle né.

Ce que doit faire une Belle qui est pressée de se déclarer par deux Amans, dont l’un a beaucoup d’amour & peu de mérite, & l’autre beaucoup de mérite avec peu d’amour.
III.

L’Engageante Vacesmonde
Pourroit trouver dans le monde
Mille Amans comme il luy faut ;
Elle dira le contraire,
Mais c’est sa vertu severe
Qui leur trouve du defaut.

De l’Origine de la Chasse.
IV.

A Parler comme il faut de ce noble Exercice,
Aimé par tout avec justice,
Qui pourroit l’avoir inventé,
Si ce n’est le plaisir, ou la necessité ?

De la Superstition, & des Erreurs populaires.
V.

Depuis la chute des Anges reprouvez, ces Misérables animez de rage contre leur Créateur, luy déclarerent une guerre immortelle ; mais voyant bien qu’avec tous leurs efforts ils ne pouvoient donner aucune atteinte à sa parfaite félicité, ils chercherent du moins à se faire des compagnons dans leur effroyable malheur. Adam avoit esté creé à l’image de son Créateur, & ce premier Homme toûjours heureux dans l’état d’innocence, auroit ignoré jusqu’aux termes de peine, de douleur, & de tourmens, si le Diable par sa noire malice ne l’eust obligé à pecher contre son Maître & son Bienfaicteur, & en le rendant coupable, ne luy eust fait mériter la mort eternelle.

Il est à croire que l’Imposteur s’applaudit de cet avantage que Dieu voulut bien luy permettre de remporter, & qu’il eut alors quelques legers sentimens de plaisir ; mais qui pourroit s’imaginer sa confusion, lors que Dieu prononça que la semence de la Femme briseroit la teste du Serpent ? Si-tost qu’il eust oüy ces paroles, sa haine & sa fureur redoublerent contre l’Homme, & le regardant comme l’unique but où devoient porter tous ses traits, il n’est rien depuis qu’il n’ait tenté, & qu’il ne tente encor tous les jours, pour le faire tomber dans le précipice. C’est luy qui poussa le détestable Caïn à tromper ses mains parricides dans le sang du juste Abel son Frere. C’est luy qui par les feux impurs qu’il alluma dans le cœur des Habitans de Sodome & de Gomorre, attira sur eux la colere du Ciel, & causa leur ruine & leur desolation entiere. Mais pourquoy vouloir entrer dans le détail de tous les maux qu’il a faits ? Ne suffit-il pas de dire que c’est luy qui a détourné les Hommes du service du vray Dieu, pour luy substituer celuy des Idoles & des fausses Divinitez ? D’où viennent ces épaisses tenebres qui empeschent tant de Nations de reconnoistre ce vray Dieu, dont la création de l’Univers presche si hautement l’essence & la perfection, si ce n’est du Prince des tenebres ? On apprend par les Relations des Indes, qu’il tourmente d’une maniere rigoureuse & cruelle les Peuples de ce Païs-là, & que leurs austeritez passent toute imagination. Celles des Religieux Turcs, quoy que moindres, sont neantmoins étonnantes, le Pere du mensonge persuadant à ces pauvres Aveugles que la vraye pieté consiste dans ces sortes de choses, & que c’est par là seulement qu’ils peuvent s’acquérir le bonheur de l’autre vie.

La Religion des Payens estoit toute extérieure, & pleine de mille superstitions, dont presque toutes les erreurs populaires tirent leur origine. Ils s’arrestoient scrupuleusement au vol des Oyseaux, à leur chant, au marcher de plusieurs Bestes, & faisoient conscience d’en tuer & d’en manger. L’on épargne aujourd’huy les Rossignols & les Hirondelles, parce qu’on s’imaginoit autrefois que des Femmes avoient esté changées en ces Oyseaux, & l’on s’abstient de la chair de plusieurs Animaux par la mesme raison.

Si une Pie vient de son fatiguant caquet importuner quelqu’un, ayant la teste tournée de son costé, elle luy apporte, dit-on, de bonnes nouvelles, autrement elle luy en apporte de méchantes. La rencontre d’une Belette qui traverse le chemin, est d’un sinistre présage. Celle d’un Serpent qui le traverse sans qu’on le puisse tuer, marque que l’on a des Ennemis sous la haine desquels on doit succomber. La veuë d’un Corbeau étonne ; celle d’un Hybou épouvante ; le cry d’un Orphraye fait frémir d’horreur. De treize qui seront à une mesme Table, quelqu’un mourra dans l’année ; mais de vingt-six, il n’en mourra aucun, parce sans-doute que le nombre en est une fois aussi grand. Il ne faut pas oublier icy la Saliere renversée, la Chemise donnée à l’envers, les Songes, la foy qu’on y ajoûte, & l’explication qu’on leur donne. Je ne par le pas des Songes particuliers & divins, mais seulement des ordinaires, lors que l’imagination rappelle dans l’esprit les idées des objets du jour, & de ceux qui ne sont que de simples effets de la crainte & de l’espérance.

Toutes ces erreurs, & beaucoup d’autres semblables, ne devroient jamais faire aucune impression dans l’esprit des Chrestiens, mais ils devroient se desabuser principalement de celle qu’ils ont de vouloir des objets sensibles d’adoration dans une Religion toute de foy, si simple & si pure. Les Docteurs parlent, preschent, & crient contre cet abus ; le Peuple naturellement superstitieux, ne peut s’en défaire, & tres-exact dans la pratique des choses extérieures, la plûpart vaines & inutiles, il néglige les essentielles, la Foy, la Charité, l’Espérance, l’Esprit, & la Verité.

De l’Origine des Bagues.
Fable.
VI.

Je t’aime plus que ma vie,
Disoit Tyrcis à Sylvie,
Et tu voudrois me changer
Pour un barbare Etranger ?
Ha ! luy répond la Bergere,
Je ne fus jamais legere ;
Si je disposois de moy,
Jamais nul autre que toy
N’auroit mes vœux, ny ma foy,
Mais j’obeis à mon Pere.
Je n’ay donc plus rien à faire,
Repliqua ce pauvre Amant
Tout remply d’accablement,
Qu’à déplorer ma misere.
Chasse & bannis de ton cœur
Toute amoureuse langueur.
Berger, interrompit-elle,
Aime-moy comme ta Sœur,
Et d’une amitié fidele
Je te promets tout le zele
Qu’inspire une vive ardeur.
C’est à peu pres le langage
Que tenoient ces Malheureux,
Lors que Damon vint vers eux ;
Ce Pere avare & peu sage,
Qui vouloit le mariage
De sa Fille avec Crantor,
Homme rustique & sauvage,
Et dont le seul avantage
Estoit d’avoir beaucoup d’or.
Ma parole est engagée,
Et ne peut estre changée,
Dit-il au jeune Tyrcis
Qu’il voit rongé de soucis.
Chagrin, déplaisir, tristesse,
Pleurs, soûpirs, amour, tendresse,
Tout est inutile & vain,
Pour suivit cet Inhumain.
Il emmene la Bergere
Apres ce cruel discours,
Et toûjours rude & severe,
Il la livre en sa colere
A Crantor en peu de jours.
Elle devient la victime
D’un Jaloux, d’un Furieux ;
Elle n’ose ouvrir les yeux,
Qu’il ne l’accuse d’un crime.
De l’amour qu’eut son Amant,
Il parle, gronde, murmure,
Et compte pour une injure
Ce premier engagement.
Tous les Hommes du Village
Viennent à luy faire ombrage,
Il met ses meilleurs Amis
Au rang de ses Ennemis.
Enfin le cœur plein de rage,
Voulant avoir l’avantage
D’estre un Jaloux sans pareil,
Il luy choisit pour demeure
Un Chambre où le Soleil
N’éclaire pas un quart-d’heure.
Mais il n’est pas satisfait
De cette rigueur extréme,
Et raisonnant en luy-mesme,
Qui peut répondre, & qui sçait,
Dit-il, si quand je repose,
Celle que je tiens enclose
Ne va point adroitement
Chercher quelque jeune Amant ?
Alors il pense & repense
A l’arrester seûrement,
Et pratiquant la science
D’un habile Serrurier,
Il luy fait faire un Collier,
Avec une grosse Chaîne,
Qu’il attache par un clou ;
Et puis sans beaucoup de peine,
Il met ce Collier au cou
De l’innocente Sylvie,
Laquelle il tient asservie
Sous un joug si rigoureux,
Qu’il n’est point de Malheureux
Qui ne plaigne la misere
De cette pauvre Bergere.
Le bruit courut en tous lieux
De cette étrange folie
Qu’à l’envy chacun publie ;
Et lors que quelque Berger
Avoit dessein d’engager
Un Fille au mariage,
Et que pour luy rendre hommage
Il vouloit s’humilier ;
Je ne veux point de Collier,
Luy disoit la Fille sage.
C’estoit là tout le langage
Que l’on luy voyoit tenir.
Mais afin qu’à l’avenir
L’on ne pust disconvenir
Qu’une Fille qui s’engage
Se soûmet à l’esclavage,
On résolut d’une voix,
Que celuy qui d’une Dame
Pour l’épouser feroit choix,
Au lieu d’un Collier infame,
Luy mettroit dans l’un des doigts
Quelque Annelet d’importance,
Et qu’elle, en reconnoissance
D’une entiere obeïssance,
Le recevroit de sa main
Comme de son Souverain.

Si l’Eau minérale, en quelque maniere qu’elle soit prise, est utile ou dangereuse.
VII.

L’Eau vive d’une Fontaine,
Et fort agreable au goust,
Est bien meilleure & plus saine
Que celle dont l’odeur nous cause du dégoust.

Seguiniere-Poignant.

Avanture tragique d’un Singe §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 30-33.

AVANTURE TRAGIQUE D’UN SINGE.
Ce 13. Janvier 1681.

Si vous avez jamais sçeu, Monsieur, par quelque funeste expérience, combien la perte de ce qu’on aime est touchante, vous jugerez aisément de ma douleur par l’affection que vous sçavez que je portois à mon Singe, qui semble avoir voulu en mourant enlever tous mes plaisirs, puis que sans compter ceux dont sa mort me prive, il a entraîné avec luy la perte de ce Vin delicieux dont je vous ay tant de fois entendu faire l’éloge, & qui seul auroit pû me consoler de l’absence de ce divertissant Animal. L’Avanture est trop plaisante (pour tout autre que pour moy) pour ne vous en pas faire le détail. Si vous n’estes depuis six semaines demeuré enfermé dans les Poëls d’Allemagne, vous n’ignorez pas que la froidure extraordinaire qui a couvert la terre d’une si grande abondance de neiges, glacé les Rivieres, & fait mourir les Hommes & les Animaux dans la Campagne, a obligé tout le monde à chercher quelque lieu qui le pust garantir des injures de la saison. Vous jugez assez que dans ce commun danger, je ne fus pas négligent à chercher un azile à mon petit Animal. Ma Cave me sembla propre pour ce dessein. Mais, ô malheur ! Ce qui en apparence devoit faire son salut & sa conservation, causa sa perte & sa mort ; car il n’eut pas plutost observé la maniere dont ma Servante tiroit le Vin du Tonneau (& peut-estre luy donna-t-elle quelque mauvais exemple) que le drôle voulut l’imiter ; mais il beut tant qu’il en créva, & s’ensevelit dans le reste du Vin qui luy coula sur le corps. Jusqu’à present j’avois crû vray le Proverbe que l’on cite ordinairement aux Yvrongnes, qu’il faut boire en Beste ; mais la mort de mon Singe, me fait voir que les Bestes boivent quelquefois plus qu’elles ne doivent, aussi-bien que les Hommes. Si vous avez encor quelque reste d’amitié pour la Personne du monde qui vous honore le plus, venez au plutost me consoler de mes pertes. Vostre conversation sera toûjours le seul refuge que je chercheray dans mes afflictions, & j’oubliray & mon Singe & mon Vin, dés le moment que je pourray vous dire en vous embrassant, que je suis de tout mon cœur, vostre, &c.

[Madrigaux sur les énigmes précédentes]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 89-91.

On m’a seulement envoyé quatre Madrigaux sur les Enigmes du Mois de Decembre, dont les Mots estoient la Petite-oye, & les Enseignes.

I.

Il faut pour cette Enigme un esprit bien profond.
Pour moy, bien loin je la renvoye.
Helas, comment pourrois-je en découvrir le fond ?
Je ne puis en venir jusqu’à la Petite-oye.

F. Ha… du Mesnil, de Chambrais en Normandie.

II.

Aux desirs du Public Mercure s’accommode.
On souhaitoit sçavoir la mode :
Il a sur les Habits parlé fort galamment ;
Et tant il donne avis de tout obligeamment,
Pour en trouver l’Etoffe avec la Petite-oye,
Dans ses Enigmes il envoye
Jusqu’à l’Enseigne du Marchand.

La Blondine Guerin

III.

Pourquoy devenir si chagrine,
Pour avoir d’une Enigme en vain cherché le sens ?
Mercure, qui selon sa coûtume raffine,
En a caché le Mot, Nanon, dans vos Rubans.

L’Hermite de Sacé, pres Pontorson.

IV.

Mercure est doublement galant,
Dans ce Mois je vous l’enseigne.
Voyez sa Petite-oye ; ayant l’heureux talent
De la prendre à la bonne Enseigne,
Mercure est doublement galant,
Dans ce Mois je vous l’enseigne.

M. ou le Poulet perdu recouvert de la Belle Mouton d’Alençon.

Elegie §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 92-96.

ELEGIE.

Aimable & belle Olympe, apres huit ans d’absence,
Je revoy malgré moy le lieu de ma naissance ;
Ce Païs que l’on vante en mille endroits divers,
Où l’on n’a jamais veu que de charmans Hyvers ;
Ce Païs où l’on vit dans une Paix profonde,
Où les Femmes se font aimer de tout le monde ;
Enfin dans ce Païs tout remply d’agrément,
Je ne trouve qu’ennuy, que peine, que tourment.
Freres, Parens, Amis, tout icy m’embarasse,
Les plus rares Objets m’y paroissent sans grace,
Et depuis le moment que le Ciel en courroux
M’obligea, chere Olympe, à m’éloigner de vous,
Il n’est point de plaisir, il n’est point de remede,
Qui puisse soulager le mal qui me possede.
Tout ce que la langueur, le chagrin, & l’ennuy,
Ont de plus rigoureux, je le sens aujourd’huy.
Mes peines, mes transports, augmentent à toute heure,
Sans cesse je soûpire, & sans cesse je pleure,
Et si je n’espérois de vous revoir un jour,
Je mourrois en ces lieux de douleur, & d’amour.
Puisse venir bientost, cher Objet que j’adore,
Ce jour qui doit finir l’ennuy qui nous devore !
Puisse venir bientost ce jour si souhaité,
Où nous pourront tous deux avec sincérité,
Par de muets discours, dans les bras l’un de l’autre,
Moy vous nommer mon cœur, vous m’apeller le vostre !
Où nous pourrons tous deux, tendrement transportez,
Sans craindre vos Parens, unir nos volontez !
Mais, helas, ces cruels, sans pitié, sans tendresse,
A nos justes desirs s’opposeront sans cesse,
Et ce jour attendu depuis pres de trois ans,
N’arrivera peut-estre encore de long-temps.
Dans ce funeste état, que résoudre ? que faire ?
Faut-il toûjours pleurer ? faut-il toûjours nous taire ?
N’oserons-nous, helas, jamais nous déclarer,
Et toûjours en secret faudra-t-il soûpirer ?
Non, non, dés ce moment cessons de nous contraindre,
Il est temps de parler, il ne l’est plus de feindre ;
A ces ingrats Parens n’avez-vous pas rendu
Cent fois plus de respect qu’il ne leur estoit dû ;
Jusques-là que craignant leur injuste colere,
Il faut, me dites-vous, Amant tendre & sincere,
Pour plaire à nos Tyrans, vous éloigner d’icy ?
J’obeïs, je pleuray, vous pleurastes aussy.
Que tu nous fais souffrir, fatale complaisance !
Olympe, croyez-moy, plus d’égards, plus d’absence,
Cherchons les vrais moyens de devenir heureux,
Ordonnez que je parte, & voila tous mes vœux.
Je voleray soudain sur les Rives de Loire,
Et là de tous nos maux nous perdrons la mémoire,
Pour ne songer jamais qu’aux plaisirs infinis
Que reçoivent deux cœurs quand ils sont bien unis.

Balamier, de la Ville d’Usés.

Réponses aux trois premières Questions du dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 108-120.

REPONSE AUX TROIS
premieres Questions du dernier Extraordinaire.

A MADAME ***

Vous voulez, Madame, que je réponde aux Questions proposées dans le dernier Extraordinaire, & l’ordre que vous m’en donnez suffit pour me le faire entreprendre avec joye. Je ne prétens point que mes Réponses passent pour des Décisions & pour des Jugemens souverains & sans appel. Je vous les envoye comme des choses indiférentes dont vous croirez ce qu’il vous plaira. Voicy ce que l’on propose d’abord. Lequel est le plus à plaindre, ou un Mary jaloux, ou la Femme d’un Mary jaloux.

Pour moy, je ne hésiteray point à dire que c’est le Mary. Si la Femme est coquete, & si elle a l’humeur portée à la galanterie, quelques précautions que ce jaloux Mary prenne pour mettre son honneur en seûreté, quelques soins qu’il apporte à tenir sa Femme étroitement enfermée, & à ne luy donner que tres-peu de liberté, elle sçait gagner, soit par de belles promesses, soit par des présens considérables, les Domestiques les plus dévoüez au service de leur Maistre, faire tenir des Lettres à son Galant, ménager des rendez-vous, & se consoler avec luy des mauvaises heures qu’il faut qu’elle passe avec son Bouru. Si au contraire la Femme est vertueuse, sa vertu luy sert de consolation, & son devoir dont elle a toûjours suivy les regles les plus austeres, luy donne une secrete joye qui luy fait oublier en quelque façon les chagrins que luy cause la jalousie de son Mary. Mais un Jaloux ne goûte jamais aucunes douceurs. Tout est poison, tout est amertume pour luy. Il ne passe point de bonnes heures, il ne passe pas mesme d’heureux momens. Il ne cherche qu’à troubler son repos. Il se fait des Monstres effroyables d’une bagatelle, & souvent d’un rien. La complaisance de sa Femme qui devroit luy rendre l’esprit tranquille, est ce qui l’allarme davantage. Il croit que ses caresses ne sont que feinte, que sa tendresse est concertée, & que toutes ses manieres sont remplies d’une dissimulation qu’elle met en usage pour l’éblouir. Enfin il est son propre Bourreau. Il invente tous les jours de nouveaux suplices pour se tourmenter soy-mesme, & si fait naître en son cœur des feux qui le brûlent, qui le devorent, & qui le consomment enfin entierement.

Je croy, Madame, que si la pitié qu’on a d’ordinaire pour les Personnes de son Sexe qui sont dans le malheur, vous empesche d’estre de mesme sentiment que moy sur la premiere Question, vous pourrez bien ne pas agir de la mesme maniere touchant la seconde, où l’on demande, Lequel doit estre estimé le plus malheureux, ou l’Aveugle né, ou celuy qui a perdu la veuë. On les suppose tout deux à l’âge de raison, & le dernier dans cet âge de raison quand il est devenu aveugle.

Vous pourrez, dis-je, Madame, estre de mon sentiment, quand je vous auray fait connoistre que celuy qui a perdu la veuë, est plus malheureux que l’Aveugle né ; car pour sçavoir si quelque chose est un bien, il faut en avoir gousté les plaisirs. L’Aveugle né n’a jamais gousté les plaisirs de la veuë. Il n’a jamais discerné de quelle utilité elle estoit aux Hommes. Il est né, il a vescu dans l’aveuglement. Jamais il ne s’est trouvé dans un autre état, & c’est ce qui luy fait croire qu’il n’y en a point de plus heureux. Mais celuy qui a perdu la veuë apres en avoir joüy, est ensevely dans une douleur profonde de se voir privé d’un grand bien, dont il semble n’avoir connu parfaitement tous les avantages, que pour en trouver la perte plus amere, & plus sensible. Quel chagrin n’a-t-il pas quand il vient à considerer qu’il a besoin de tout le monde, & qu’il ne peut presque rendre aucun service à qui que ce soit ? Quelles rigueurs ne trouve-il pas dans son destin, estant exposé aux injures des Brutaux, à l’insolence des Domestiques, & quelquefois mesme aux railleries froides des mauvais Plaisans ? Apres s’estre mêlé dans tous les plaisirs, apres avoir vécu longtemps à la Cour, ou parmy le grand monde, enfin apres avoir gousté toutes les douceurs de la vie, quelle amertume ne ressent point cet Homme quand il s’en trouve separé, & quand il n’a plus, au lieu d’une compagnie nombreuse, qu’une solitude cruelle & insuportable ? Comme il ne quitte le monde que par contrainte, plus il est éloigné de son commerce, plus ce commerce luy paroist doux & avantageux. Il a peu d’esperance, beaucoup de chagrins, des douleurs infinies. Il est agité de mille passions différentes. Le souvenir des biens qu’il a perdus le desespere, & luy cause des peines cruelles, qui souvent ne finissent qu’avec sa vie.

Si l’illustre Monsieur de ** n’estoit point vostre Epoux, s’il n’estoit encor que vostre Galant, si j’estois son Rival, & que vous vinssiez me demander mon sentiment sur la troisiéme Question ; comme je serois seûr de conclure contre moy en concluant pour l’Amant qui auroit plus de mérite, je ne manquerois pas de vous dire que le plus amoureux est préferable aux autres. J’étalerois toute ma rhétorique pour vous prouver qu’il n’est point de plaisir égal à celuy d’estre aimée passionnément, & je vous dirois,

Adorable Philis, dans ce siecle barbare
Où la constance est rare,
Doit-on considérer, quand on fait un Amant,
S’il joint un vray mérite à beaucoup d’agrément ?
***
Pourveu qu’il ait un cœur tendre, discret, fidelle,
Pourveu qu’il sçache bien aimer,
Pourveu qu’il ait beaucoup de zele,
Philis, belle Philis, cet Amant doit charmer.

Mais, Madame, comme une amitié pure, sincere, sans mélange, & bien reglée, est l’unique nœud qui nous attache, je vous répondray que je conseillerois à une Belle qui se verroit pressée de s’expliquer par deux Amans, dont l’un auroit beaucoup d’amour & peu de mérite, & l’autre beaucoup de mérite & peu d’amour ; je luy conseillerois, dis-je, de se déclarer en faveur de celuy qui auroit beaucoup de merite, non pas ouvertement, mais en luy faisant connoistre que s’il estoit plus passionné, si ses soins estoient plus empressez, si l’on estoit plus persuadé de sa fidelité & de sa passion, si l’on estoit assuré qu’il voulust prendre un engagement de cœur solide & veritable, on pourroit bien risquer quelque chose, & s’engager mesme dans la suite. Car quoy qu’on dise, Madame, qu’il est bien doux de se voir, aimée tendrement, vous m’avoüerez qu’il est bien plus avantageux d’avoir pour Amant un Homme de mérite, qui soit un peu moins passionné, ne fust-ce que pour avoir la gloire de passer dans le monde pour une Personne qui sçait faire un digne choix : Joignez à cela, qu’un Homme qui a du mérite, se picque presque toûjours d’aimer constamment. Si dans la suite du temps il reconnoist des defauts dans la Personne qu’il aime, s’il n’y trouve plus tout ce que d’abord il y avoit veu d’agreable, ses soins ne diminuent pas pour cela, & il trouve tant de marques de bonté dans la préference que la Belle luy a donnée sur ses Rivaux, que quoy qu’il fasse il n’est jamais content de luy-mesme, & ne croit point avoir assez fait pour luy en marquer sa reconnoissance. Mais un Homme sans mérite, comme il ne connoist point les délicatesses de l’amour, souvent sa passion tient de la brutalité, & presque toûjours de l’emportement. Comme il ne cherche en aimant que sa propre satisfaction, que son plaisir particulier, si-tost que ce qui luy donnoit cette satisfaction, ou ce plaisir, s’évanouit, si-tost que la Belle vient à perdre ses charmes, il perd là tendresse qu’il avoit pour elle. Ses empressemens diminuënt, & il abandonne honteusement une Personne qui l’avoit choisy comme un Amant dont les premieres assiduitez l’avoient charmée, dans l’esperance qu’elles dureroient toûjours.

Voila, Madame, quels sont mes sentimens sur les trois premieres Questions. Pour les autres, je les laisse à décider à ceux qui se feront un plaisir de l’entreprendre ; car quoy que j’aime la Chasse, je ne me suis jamais attaché à en chercher l’origine. Je traite tous les Superstitieux de ridicules, de visionnaires, & d’esprits chimériques, & enfin sur le chapitre de la Medecine, quand on devroit me faire passer pour criminel de leze-Faculté, je vous avoüeray que je suis un peu impie, & que je n’y crois que de bonne sorte. Je suis, Madame, vostre, &c.

Le Rat du Parnasse, du C.S. Mederic.

[Lettre de De Lignières à Madame ***]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 121-125.

La Lettre qui suit a esté écrite à une Princesse plus considérable encor par ses belles qualitez que par son rang. Le nom de l’Autheur que vous trouverez au bas, porte une recommandation fort avantageuse.

A MADAME ***

Si le Ciel me rendoit une heureuse jeunesse,
J’oserois vous aimer, adorable Princesse ;
En toute humilité mon sacrifice offert,
Loin d’estre rebuté, pourroit estre souffert ;
Car on sçait que jamais une Dame n’abhorre
Le fou respectueux de quiconque l’adore.
Malgré tous vos appas je commande à mon cœur,
Qu’il ne soit seulement que vostre Admirateur,
Mais un Admirateur qui vous vante sans cesse ;
Pour vos perfections ma Muse s’intéresse ;
Elle aime à publier que dans tous les Climats,
Dans ceux où le chaud regne, & dans ceux des frimats,
Il n’est point de beauté que la vostre n’efface.
Dés que vous paroissez, on vous cede la place ;
On vous voit surpasser les Objets les plus beaux,
Comme nostre Grand Roy, les plus fameux Héros,
Et vos yeux éclatans, en triomphes fertiles,
Gagnent autant de Cœurs, qu’il a conquis de Villes ;
Nostre Prose & nos Vers ne finiroient jamais,
Sur les Faits de LOUIS, & vos divins attraits.

Je suis ravy, Madame, que mes Vers ayent l’honneur de vous plaire, & d’apprendre que vous ne trouverez pas mauvais que Mercure Galant les expose aux yeux du Public ; mais vous ne desirez pas estre nommée, & vous voulez paroistre incognito. Ce m’est un déplaisir mortel, que vostre Nom ne soit pas à la teste de ce petit Ouvrage. Mes Vers en seroient illustrez, Mercure Galant auroit topé avec plaisir aux loüanges que je vous aurois données, & il auroit enchery dessus, car il est éloquent & bon Panégiriste. Permettez d’ailleurs, Madame, que ma joye éclate, & que je me vante hautement que je ne suis pas malhabile, d’avoir fait des Vers qui soient au gré d’une Princesse jeune, bien faite, & toute pleine d’esprit. Il n’est pas aisé de contenter les Dames. On a toûjours quelque chose à refaire, & elles ne donnent pas moins de peine aux Poëtes, qu’à leurs Tailleurs, à leurs Cordonniers, & à tous les Ouvriers qui travaillent pour elles. On m’a dit qu’il n’y avoit qu’un mot seulement qui vous déplaisoit dans mes Vers. Des Connoisseurs les ont leus & releus. La faute ne leur a point sauté aux yeux. Il a fallu que je la leur aye marquée. Aussitost on s’est rangé de vostre costé, & l’on a critiqué le mot, en loüant vostre justesse & vostre délicatesse. Je passe condamnation, & suis avec tout le respect qui vous est deû, Madame, vostre tres-humble & tres-obeïssant Serviteur,

De Lignieres.

A un Amy, qui peignoit merveilleusement bien des Fleurs en miniature, & qui faisoit mal des Vers §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 165-166.

A UN AMY,
Qui peignoit merveilleusement bien des Fleurs en miniature, & qui faisoit mal des Vers.
EPISTRE.

Laissez les Vers, faites des Fleurs ;
Au lieu d’encre, usez des couleurs ;
Apollon n’est point à vos gages,
A Flore rendez vos hommages ;
Le premier vous hait, il vous fuit ;
L’autre vous aime, elle vous suit.
A rimer vous n’estes pas maistre.
Pour peindre, le Ciel vous fit naistre ;
Peignez nuit & jour desormais,
Mais aux Vers ne touchez jamais.
Soit justice, soit fantaisie,
La Peinture & la Poësie,
Quoy que Sœurs, ne s’accordent pas
A trouver en vous des appas.
Ces vieilles, mais belles Déesses,
Dont vous vous faites des Maîtresses,
Ont encore assez de talent
Pour avoir chacune un Galant.
C’est bien assez d’en servir une,
N’allez point lasser la Fortune ;
Elle a fait de reste pour vous,
Paix-donc ; croyez-moy, filez doux
Pour un Chrestien quelle infamie,
De tenter la Polygamie !
Si pour un Turc ce n’est que jeu,
En France cela sent le feu.
Comme un Amant adroit & sage,
Satisfait de vostre partage ;
A la Peinture nuit & jour
Faites donc vostre unique cour.
Plus qu’aucun la Belle vous aime,
Plus qu’aucune aimez-la de mesme,
Laissez à sa Sœur ses Amans
Luy pousser les beaux sentimens.
Il n’est rien en vous qui luy plaise ;
Peignez, peignez tout à vostre aise,
Et sans plus mettre au jour des Vers,
Remplissez de Fleurs l’Univers.

Delongis, Avocat à Lyon.

L’Amant aveugle. Madrigal §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 167.

L’AMANT AVEUGLE.
MADRIGAL.

  Vous voir, ou vous entendre,
C’est assez pour estre charmé,
Et je croy, belle Iris, que le cœur le moins tendre
Ne pourrois, sans estre enflâmé,
  Vous voir, ou vous entendre.
Pour moy, qu’une-trop sombre nuit
Priva du doux plaisir d’admirer tous vos charmes.
Je me voy toutefois réduit
  A vous rendre les armes ;
Vostre entretien seul m’a charmé.
Et c’est ce qui me fait comprendre,
Qu’on ne peut, sans estre enflâmé,
  Vous voir, ou vous entendre.

De la Chasse §

Extraordinaire du Mercure Galant, janvier 1681, Quartier de janvier, [tome 13], p. 167-259.

Avant que de vous mener à Aranjuez, qui est une des plus considérables Maisons du Roy d’Espagne, il faut encor vous en faire voir deux autres qui sont aux environs de Madrid. La premiere en est à une lieuë & demie, & s’appelle Casa Real de la Zarzuela. Je ne m’arresteray point à vous en faire la description. Vous vous la ferez aisément vous-mesme, en vous attachant à regarder cette Planche.

La Chasse fait le divertissement de tant de Gens, que le Traité que vous allez voir ne peut manquer de Lecteurs, chacun cherchant toûjours à s’instruire de ce qui est le plus de son goust. Mr Germain est l’Autheur de ce Traité. C’est un Ecclesiastique de Caën, qui a ramassé avec beaucoup d’étude & d’esprit tout ce qu’on peut dire sur cette matiere.

DE LA CHASSE.

Quoy que la Chasse soit quelque chose d’assez connu dans le monde, & qu’il n’y ait point de Contrée sur la terre où il ne se rencontre des Gens qui en fassent leur occupation, il est certain neantmoins qu’il en est beaucoup, & de ceux-mesmes qui s’en meslent le plus, qui seroient assez embarassez si on les vouloit obliger à dire ce que c’est en effet que cet Exercice, quelles en sont les especes, quelle origine il a euë, & qui sont ceux que l’on en reconnoist pour les premiers Inventeurs. J’avouë qu’en ce dernier point il y a grande diversité d’opinions parmy les Autheurs qui ont écrit sur cette matiere.

Xénophon, qui selon Eusebe vivoit dans la 95. Olympiade, veut dans le commencement de son Cynégitique, que les premiers Inventeurs de la Chasse ayent esté les Dieux, & particulierement Apollon & Diane, disant que la Chasse est une invention & un don venu de leur part, dont ils honorérent particulierement Chiron Prince de Thessalie, Homme celebre pour sa sagesse & pour son adresse toute singuliere à toutes sortes d’Exercices, lequel fleurissoit vers l’an du monde 2770. Quelques-uns veulent que ce Chiron fust un Centaure, Fils de Saturne & de Phyllire Nymphe Thessalienne, Fille de l’Ocean, qui ayant acquis beaucoup de réputation par sa prudence & son industrie à toutes sortes d’Arts, fut choisy pour Précepteur des plus grands Princes de son siecle, parmy lesquels on compte Hercule, Meleagre, Castor & Pollux, Achille, Thesée, Jason, Pâris, & plusieurs autres. Outre qu’il estoit parfaitement bien versé dans les Sciences d’Astrologie & de Medecine, il n’excelloit pas moins dans la Musique & les Instrumens, que dans l’exercice de monter à cheval, & de chasser à toutes sortes de Bestes, & mesme aux Lions, de la moëlle desquels il substentoit quelquefois ses Nourrissons.

Eusebe, cité par Polidor Virgale, Lib. 3. de Invent. rerum, cap. 5. dit que les Phéniciens furent les premiers qui s’aviserent de la chasse, tant aux Bestes qu’aux Oyseaux, & de la pesche mesme des Poissons. Jean de Saresbery 4. Policrat. cap. 4. & Pierre de Blois Epist. 56. rapportent l’invention de cet Exercice aux Thébains. Corneille Agrippa, Lib. de vanit. scient. c. 77. est de leur sentiment, & dit que les Thébains l’apprirent aux Phrygiens ; ceux-cy aux Athéniens, qui l’enseignerent en suite à tous les autres Peuples de la Grece.

D’autres particularisent davantage, & selon eux, Persée Fils de Jupiter & de Danaé Roy d’Argos, fut le premier qui alla à la chasse des Chevreüils. Castor monta le premier à cheval pour courir le Cerf. (C’est ce que marque Stazin dans son Histoire de Chypre en Vers Grecs.) Pollux connut aussi le premier par les Limiers la trace des Bestes courantes. Méleagre, Fils d’Oenée Roy de Calydon, inventa les Epieux contre les Sangliers & autres sortes de Bestes féroces. Hyppolite, Fils de Thesée, & d’Hyppolite Reyne des Amazones, les Toiles, les Pans, & les Retz. Et enfin Orion, procréé selon la Fable, de l’urine de Jupiter, de Neptune, & de Mercure, s’avisa de dresser des Meutes de Chiens.

Toutefois laissant à part le témoignage de ces Autheurs, & de quelques autres plus fabuleux que veritables, il faut dire que la Chasse est encor plus ancienne qu’ils ne disent, puis qu’il est vray qu’elle est aussi vieille que le monde ; Caïn, le second de tous les Hommes, en ayant esté le premier Chasseur, puis qu’il fut le premier qui massacra les Hommes & les Bestes. Lamech, un de ses Descendans, & son semblable en humeur & en cruauté, s’adonna aussi au mesme exercice vers l’an du monde 700. Nemroth, sixiéme Fils de Chus, petit-Fils de Noé par son Pere Cham, qui vivoit l’an du monde 1750. suivit la mesme occupation, & c’est le premier que les Saintes Pages appellent un puissant Véneur devant le Seigneur, Erat robustus Venator coram Domino, Gen. 10. & apres luy Esaü Fils d’Isaac, qui vivoit l’an du monde 2200. & c’est tout ce que l’on peut apporter de plus ancien & de plus certain touchant l’origine de la Chasse.

Quant à sa division, son partage le plus general se peut faire en trois especes, dit Platon, selon les trois genres d’Animaux qui peuplent les trois principaux Corps élémentaires, ou les trois Régions de l’Univers. Est enim venatio Animalium, vel aquatilium, vel volucrum, vel terrestrium, Plato 7. de Leg. c’est à dire, les Oyseaux en l’air, les Bestes sur la terre, & les Poissons dans l’eau ; lesquelles trois especes d’Animaux se prennent ordinairement par trois sortes de Chasses, sçavoir, les premiers par la Volerie, les seconds par la Venerie, & les derniers par la Pesche. Je ne parle icy que des deux premieres sortes de Chasses, laissant la derniere, qui n’en porte le nom qu’improprement, & qui n’a que tres-peu de raport aux deux autres.

Pour la Volerie, il n’est pas aisé de dire en quel temps précisément elle a commencé d’estre en usage parmy les Hommes ; car quoy qu’elle soit aujourd’huy en si grande vogue chez toutes les Nations un peu civilisées, il semble toutefois qu’elle ait esté presque inconnuë, ou au moins tres-peu en pratique chez les Anciens. On le conjecture en ce que ny Aristote, ny Pline, que nous reconnoissons pour les deux Autheurs qui ont traité le plus à fond de la nature & des proprietez des Oyseaux de proye, n’ont point parlé du moyen, ny de la maniere que les Hommes ont employée pour les instruire & les dresser à cette sorte d’exercice ; & l’on ne trouve point d’Autheur qui en dise quelque chose, & qui soit plus ancien que Jules Firmique, qui vivoit du temps de l’Empereur Constantin, Fils de Constantin le Grand, car c’est le premier qui ait touché cette matiere, comme on le peut voir dans son cinquiéme Livre, chap. 8.

Il est bien vray que Pline dans le dixiéme de son Histoire naturelle, ch. 8. dit que dans certaine Contrée de la Thrace, au dessus d’Amphipolis, ou Cédropolis selon Aristote, (que l’on croit estre Chrysopolis, Ville située entre la Thrace & la Macédoine, ou Albanie,) les Oyseaux de proye faisoient par le seul instinct de la Nature, & sans y avoir esté instruits, une espece de chasse aux autres Oyseaux, se joignant pour cela de compagnie avec les autres Habitans de ces lieux ; car pendant que ceux-cy batoient les Buissons pour en faire sortir les Oyseaux, ceux-là rodoient par dessus, afin d’empescher qu’ils ne s’envolassent ; & la Chasse estant finie, on ne manquoit pas d’en laisser la part aux Oyseaux qui y avoient contribué. Cet Autheur ajoûte, que lors que la saison & le temps estoient propres pour chasser, ces Oyseaux ne manquoient point d’en venir avertir les Chasseurs par un cry particulier, & par un certain batement d’aîles, qui leur apprenoit qu’il y avoit du Gibier en campagne. Pline n’en seroit pas fort croyable, si la mesme chose ne se lisoit dans Aristote au Livre qu’il a fait des Choses merveilleuses qui se rencontrent dans la Nature ; mais ny l’un ny l’autre de ces Autheurs ne dit point que ces Peuples se donnassent aucun soin de dresser ces Oyseaux, ny de les instruire à la chasse des autres.

Nous voyons cependant quelque apparence de l’usage de cet exercice dans quelques endroits des Saintes Lettres, comme dans le 17. Chapitre du Lévitique, où l’on remarque ces paroles, Si venatione, atque aucupio ceperit feram, vel avem ; ce qui donne quelque conjecture que dés le temps mesme de Moïse, les Hébreux se servoient d’Oyseaux de volerie pour chasser ; & cela se peut encor confirmer par un Passage du Prophete Baruch, chap. 3. où parlant des occupations & des divertissemens des Princes & des grands Seigneurs de son temps, il dit entr’autres, qu’ils prenoient leurs plaisirs à chasser aux Bestes de la Terre, & à faire voler les Oyseaux du Ciel ; Vbi sunt Principes Gentium, & qui dominantur super Bestias, quæ sunt super terram, qui in avibus cœli ludunt ?

Quoy qu’il en soit, Pierre de Creicence dans son dixiéme Livre de l’Agriculture, chap. 10. attribuë l’invention de la Volerie à je-ne-sçay quel Roy, sans dire de quelle Contrée, qu’il nomme Daucus, ou Dacus, disant que ce fut le premier qui la mit en usage parmy les Hommes. Corneille Agrippa, au Livre que j’ay déja allegué, fait Ulisse Inventeur de la haute Volerie, & dit que pour cet effet il apporta en Grece apres la prise de Troye, des Faucons, Autours, & Laniers, & autres sortes d’Oyseaux qu’il avoit instruits à la chasse des autres, afin que ce divertissement recreust un peu l’esprit de ceux d’entre les Grecs qui avoient perdu leurs Parens ou leurs Amis pendant la guerre. Albert Leandre en son Histoire d’Italie, dit que celuy qui l’a mise le plus en vogue, ç’a esté Fréderic I. surnommé Barberousse, Empereur d’Occident. Et Calenutius dans son Histoire Napolitaine, chap. 4. attribuë cette gloire à Henry I. aussi Empereur d’Occident.

L’on compte quatre especes principales d’Oyseaux de volerie, sçavoir, le Faucon, le Gerfaut, le Sacre, & le Lanier. Les autres Oyseaux moindres, sont l’Eprevier, l’Autour, l’Emerillon, le Falquet, le Hobereau, &c. dans toutes lesquelles especes les femelles s’appellent Formes, & les mâles Tiercelets. On distingue aussi de trois sortes de Volerie, haute, moyenne, & basse.

Pour la Venerie, elle comprend universellement toute sorte de Chasses de Bestes à poil, soit fauves, soit noires. Pour lesquelles Chasses on se sert de plusieurs sortes de Chiens, que l’on distingue communément en Dogues, Liniers, Levriers, Chiens courans, Bassets, Epagneux, & autres especes. L’on estime entr’autres une espece de Chiens courans que l’on a en France, & que l’on appelle Baux ou Greffiers, lesquels sont (dit-on) descendus originairement d’un certain Chien blanc venu de Barbarie, nommé Soüillard, dont on fit présent à Madame Anne de France, Fille de Loüis XI. grande Chasseresse. On dit que ces sortes de Chiens ne courent qu’apres les Cerfs, mais qu’ils courent toûjours, & ne se lassent jamais.

Quoy que l’exercice de la Chasse n’ait pas toûjours esté si en vogue chez les Anciens, qu’il l’a esté depuis, & l’est encor aujourd’huy parmy toutes les Nations du monde ; il est pourtant certain qu’il a esté de tout temps fort en usage chez les trois plus celebres Peuples de la terre, qui sont les Perses, les Grecs, & les Romains.

Pour les premiers, il ne faut que lire ce qu’en rapporte Justin dans le premier Livre de ses Histoires, & particulierement dans la Vie d’Astyage & de Cyrus, tous deux Roys de Perse, & ce qu’en écrit Corneille Tacite, Livre 2. des Annales, ch. 1. où parlant de Vonone Roy des Parthes, il dit qu’il estoit méprisé de ces Peuples, parce que contre la loüable coûtume de ses Prédecesseurs, il n’alloit que fort rarement à la Chasse, qu’il estoit fort peu curieux de Chevaux, n’aimant qu’à se faire porter en Litiere, & dédaignant les façons de vivre du Païs. Xénophon, Livre 8. dit que la Chasse estoit la plus grande occupation & le principal exercice où s’adonnassent non-seulement les Roys de Perse, mais encor à leur exemple, tous les Nobles & les Seigneurs du Royaume ; & Muret dans son Commentaire sur Tacite, dit que les anciens Parthes, qui ne faisoient qu’un mesme Peuple avec les Perses, y estoient tellement adonnez, qu’ils ne mangeoient presque point d’autres viandes que celles des Bestes qu’ils avoient prises à la Chasse ; Cum Parthi prope assidui in venatione esse soleant, neque alijs ferè carnibus vescantur, quàm ferarum quas venando ceperunt.

L’inclination de ces Peuples pour la Chasse, se remarque encor en ce qu’ils avoient basty sur une haute Montagne, appellée Sambulos, un Temple à l’honneur d’Hercule, qu’ils revéroient comme le Dieu des Chasseurs, où ils celébroient tous les ans une Feste solemnelle, avec un grand concours de Peuple qui s’y rendoit de toutes parts. Pendant cette Feste, ce Dieu prétendu avertissoit en songe les Prestres du Temple de faire seller bon nombre de Chevaux, d’attacher à leurs Selles des Carquois remplis de Fleches, & puis de les laisser aller ainsi équipez sans aucun Guide dans la prochaine Forest. Ces Bestes y ayant couru quelque temps, s’en revenoient d’elles-mesmes vers leurs Maistres, sans avoir plus aucunes Fleches dans les Carquois ; ce qui estant fait, ceux qui estoient de la Feste, couroient à leur tour dans la Forest, où ils ne manquoient pas de trouver toutes sortes de Bestes de venaison, comme de Cerfs, de Dains, & de Lievres, tuez à coups de Fleches, mais en si prodigieuse quantité, qu’ils en rapportoient des Chariots tous pleins. C’est ce que rapporte le P. Pierre de S. Romuald, Thr. Chronol. Tome 1. sans citer les Autheurs sur la foy desquels il debite une si merveilleuse Histoire.

Les Perses ne sont pas moins affectionnez présentement à la Chasse qu’ils l’estoient dans ce temps-là, comme on le peut voir dans leurs Histoires ; mais ils ne s’adonnent à aucune avec plus de passion qu’à celle du Cerf, du Leopard, du Gazal, du Tygre, de l’Ours, & autres Animaux féroces, à la poursuite desquels, dit le Sr Herbert dans son Voyage de Perse & des Indes, Livre 2. ils se piquent de faire voir leur courage, & l’adresse qu’ils ont à manier l’Arc & à lancer le Javelot ; estant d’ailleurs fort curieux de leurs Oyseaux de Volerie, & employant l’or & des pierreries en quantité, à en garnir les Leurres, Jets, Vervelles, & Chaperons.

Les Grecs ne se sont pas moins rendus recommandables dans l’exercice de la Chasse, que les Perses. On peut voir là-dessus Aristote en son Histoire des Animaux, Livre 9. chap. 36. Ælian, Livre 2. chap. 8. Plaute dans ses Comédies, & Martial en plusieurs lieux de ses Epigrammes. Homere dans le 4. Livre de son Odyss. dit que Thelémaque, Fils d’Ulisse, se faisoit quelquefois voir dans les Assemblées publiques des Princes & des Seigneurs de la Grece, accompagné de 120. Chiens de chasse ; & il rapporte encor la mesme chose de Scamandre Fils d’Hector & d’Andromaque, dans le Livre 5. de son Iliade.

Pour ce qui est des Romains, outre le témoignage de Pline le jeune dans le 9. Livre de ses Epistres, de Seneque dans la 99. des siennes, il ne faut qu’écouter Virgile, qui dans le 8. Livre de l’Eneïde, dit que lors de la naissance de Rome, ils ne vivoient que de ce qu’ils prenoient à la Chasse.

Du temps de nos premiers Ayeux,
Lors que Rome n’estoit encore qu’en bas âge,
Les Genéraux Latins n’exerçoient leur courage
Qu’à des emplois laborieux.
Eloignez des molles delices,
Qui les ont à la fin entraînez dans les vices,
La Chasse estoit leur élément ;
Et pour tant de ragousts dont fument nos Cuisines,
Leur plus ordinaire aliment
Estoient la Venaison, les Fruits, & les Racines.

Cicéron, Lib. 2. de Nat. Deor. dit que c’estoit la coûtume chez les Romains, de s’adonner à la Chasse dans le temps de Paix, afin de s’y façonner au mestier de la Guerre, Venatione ferarum nos exercemus ad similitudinem bellicæ disciplinæ.

Quand la Paix, de nostre Milice
Arrestant les travaux guerriers,
L’empesche pour un temps de cueillir des Lauriers,
La Chasse fait son exercice :
C’est par cet Art laborieux,
Qu’apprenant à dompter les plus sauvages Bestes,
Elle va s’instruisant à faire les Conquestes,
Qui rendent nostre nom par tout si glorieux.

Les mesmes Romains ont fait assez voir le plaisir qu’ils prenoient à cet exercice, par ce superbe Colysée, ou vaste Parc, plûtost qu’Amphitheatre, qu’ils firent construire dans l’enceinte de leur Ville, & dans l’espace qui est entre les deux Portes, qu’on nomme présentement de S. Laurent & de S. Agnés. Ils y nourrissoient toutes sortes de Bestes sauvages, que l’on faisoit amener à grands frais de tous les Cantons de la Terre, pour en faire des Chasses publiques dans les Spectacles que les Consuls, ou les Empereurs, donnoient pour le divertissement du Peuple. On y voyoit quelquefois de ces Bestes en si grande quantité, que les Historiens raportent entr’autres, que lors que Pompée le Grand fit son Festin, & ses Jeux, à son second Consulat, il donna le divertissement d’une Chasse de six cens Lions, & une autre fois, de quatre cens dix Pantheres, avec un Rinoceros ; Sylla le Dictateur, de cent Lions ; Jules César, de quatre cens ; Auguste, de quatre cens vingt Tygres ; Scaurus, de cent cinquante avec un Crocodile ; Lucius Metellus apres la défaite des Carthaginois en Sicile, de cent quarante-deux Elephans ; César à son troisiéme Consulat, de vingt, contre cinq cens Hommes de pied ; & une autre fois lors qu’il dédia le Temple de Vénus Victorieuse, de vingt chargez chacun d’une Tour de bois, avec trois Hommes dans chaque Tour pour leur défence, contre cinq cens Hommes de cheval & autant de pied ; Domitius Oenobarbus, de cent Ours avec autant de Véneurs de Numidie, & plusieurs autres Chasses semblables, que l’on peut voir dans l’Hist. Nat de Pline Liv. 8.

Mais non seulement les Perses, les Grecs & les Romains, se sont adonnez à l’exercice de la Chasse, mais les François encor s’en sont fait de tout temps un divertissement particulier. Pour les Anciens, il ne faut que lire Ammian Marcellin, dans son Hist. des Gaules. Et ç’en est, ce me semble, une preuve assez autentique que ce que raporte Monumétensis, cité par du Fouilloux dans sa Vénerie ; sçavoir, que l’an du Monde 2920. Brutus, Fils de Silvius, Roy d’Albe la Grande, ayant quitté son Païs pour avoir tué par mégarde son Pere, estant à la Chasse, se retira en Grece avec une Troupe de jeunes Volontaires qui le suivirent ; par l’aide desquels & à force d’armes, il retira les Troyens d’entre les mains des Grecs, qui les retenoient Captifs depuis le sacagement de leur Ville, desquels ayant assemblé un grand nombre, il les obligea par Serment de ne jamais retourner en leur Patrie, qui ne leur pourroit plus estre qu’un sejour de douleur, apres la perte que leurs Peres y avoient faite de leurs biens & de leur vie, & les amena ensuite par Mer, avec une grande Meute de Levriers & Chiens courans, jusques dans la Manche Britanique, où estant il vint aborder en la Province Armorique des Gaules, qu’il conquit en peu de temps, & la nomma de son nom, Bretagne. De sorte que sur la foy de cet Autheur, qui raporte cette avanture dans ses Annales de Bretagne, l’on peut dire que dés lors les Peuples de France s’adonnoient à l’exercice de la Chasse, & que les Levriers & Chiens courans furent en usage chez eux, peu de temps apres la ruine de Troye.

Mais si la Chasse estoit dés ce temps en vogue parmy ces Peuples, elle a non seulement continué d’y estre dans les siecles suivans, mais elle y a toûjours augmenté en recommandation, comme l’expérience nous le montre tous les jours. Pétrarque, qui vivoit il y a pres de 400. ans, dit que les François estoient estimez les plus grands Chasseurs de tous les Peuples de l’Europe, & que quoy que cet exercice eust esté jadis l’occupation particuliere des Romains, il étoit devenu dans la suite des temps le divertissement le plus singulier des François, comme il se voit, disoit-il, par l’expérience. Et pour ne rien dire, poursuit-il, des Roys de cette Nation, dont toute la vie n’a esté proprement qu’une Chasse continuelle, il est certain que celuy qui regne encor aujourd’huy (c’est du Roy Jean qu’il entend parler, parce qu’il vivoit de son temps) & qu’on peut appeller le plus grand de tous les Princes d’une si florissante Monarchie, employe à chasser tout le loisir que la guerre luy peut donner ; & tout proche mesme qu’il est du cercueil, il semble qu’il veüille par cet exercice se refaire de la lassitude, & des incommoditez de la vieillesse. Ce qui doit sembler étrange, principalement en un Roy sçavant, & qui n’est point ennemy de l’étude ; mais on dit qu’il tient en cela de la Race, & de la Nation.

Ce que ce sçavant Homme dit des François, se dit aussi par Buchanan, dans son Histoire d’Ecosse Livre 4. à la gloire de sa Nation, assurant que la Chasse a toûjours fait la principale, & la plus ordinaire occupation des Ecossois. C’est ce qu’il répete encor, mais d’une maniere pompeuse dans l’Epitalame, ou le Poëme Latin qu’il fit en l’honneur du Mariage de François II. Roy de France, avec Marie Stüart Reyne d’Ecosse. Voicy à peu prés de quelle maniere il parle.

Percer les plus sombres Forests ;
Grimper les plus hautes Montagnes,
Courir les plus vastes Campagnes
Sans route, ny chemin, au travers des guérets ;
Passer à nage les Rivieres,
Franchir Fossez, Buissons, Bruyeres,
A pied comme à cheval, jour & huit, en tout temps ;
De la Chasse en un mot suivre les exercices,
Et de l’oisiveté fuir ainsi les delices,
Ce sont des Ecossois les plus doux passe-temps.

Giorgenits Livre 2. Chap. 2. Titre de la Chasse, dit qu’il n’y a point de Nation sous le Ciel, qui prenne plus de plaisir à cet exercice que les Turcs ; en sorte qu’il n’y a Forest, Rocher, ou Montagne, où ils ne se fassent passage, pour poursuivre par tout la Proye qu’ils auront une fois fait lever. Cela est confirmé par B. de Vigenere dans ses Illustrations sur l’Histoire de Calcondyle, où il dit qu’il n’y a Gens au Monde plus grands Chasseurs que les Turcs ; & que le Grand-Seigneur entretient pour la Chasse seule une tres-grande quantité d’Officiers, qui ont sous eux un nombre prodigieux de Véneurs, & de Fauconniers, dont les plus considérables sont, le Sermenbachi, ou Grand-Veneur, qui a sous luy mille Piqueurs à cheval, & autant de Valets de chiens à pied, qui menent chacun une lesse de deux Levriers. Le Tagarzibachi qui commande sur les Braques & Chiens courans, lequel a sous luy mille Janissaires, chacun desquels en gouverne & conduit deux ou trois couples. Et pour la Fauconnerie, il y a le Doganzibachi, ou Grand. Fauconnier, qui a sous luy mille Fauconniers entretenus, qui portent ordinairement chacun deux Oiseaux sur le poing. Ce qui fait une excessive dépense, moindre toutefois que celle que ce mesme Autheur dit que faisoit Bajazet I. qui entretenoit d’ordinaire sept mille pieces d’Oiseaux, avec des Fauconniers à proportion, & jusqu’au nombre de six mille Chiens.

Les Tartares sont cependant encor plus grands, & plus courageux Chasseurs que les Turcs, car outre qu’ils nourrissent un nombre infiny de Chiens pour cet exercice, ils ont encor l’industrie d’y dresser des Lions, des Tigres, & des Loups Cerviers, avec lesquels ils chassent aux grosses Bestes. Le Grand Cham qui est leur Empereur, donne ordinairement aux plus grands Seigneurs de sa Cour, aux Princes du Sang, & à ses Freres mesmes, les principaux Offices qui regardent la Fauconnerie, & la Vénerie, comme les plus nobles & les plus considérables Dignitez de l’Empire, sous la dépendance desquelles est une effroyable quantité de Véneurs, & de Fauconniers, avec encor une plus grande quantité de Chiens & d’Oiseaux. Ce Prince est si jaloux de ce plaisir, qu’il défend sur de tres-rigoureuses peines à tous ses Sujets, de quelque hautes qualité qu’ils puissent estre, de faire voler l’Oiseau, ny courir les Chiens, plus pres de cinquante lieuës du lieu où il se trouve, ny de chasser en aucun lieu du Royaume depuis Mars, jusqu’en Octobre, afin que le Gibier puisse peupler & se nourrir pendant ce temps-là.

Ce que l’on dit des Tartares, se doit dire aussi des Moscovites leurs voisins, & par proportion de toutes les autres Nations presque de toute la Terre, n’y en ayant point qui ne fasse son plaisir de cet exercice, qui pour estre si universel parmy les Hommes (ce qui seul pourroit suffire à le rendre recommandable) n’est pas cependant approuvé de tout le monde ; car il se trouve biens des Gens qui en condamnent l’usage, quoy que le nombre soit beaucoup plus grand de ceux qui le croyent licite & honorable.

Ceux qui reprouvent l’usage de la Chasse, disent premierement, que cet exercice inspire la cruauté aux Hommes, & les rend sanguinaires. C’est le sentiment de Corneille Agrippa, Lib. de Vanit. Scient. cap. 77. Il l’appelle pour cela un Art cruel & tragique, où l’on se fait un plaisir de sang & de carnage, & où par une volupté plus que barbare, on se repaist le cœur & les yeux du desastre & de la mort des pauvres Animaux, qui ne l’ont aucunement méritée ; un exercice tout-à-fait détestable, & qui n’a pû estre inventé que par des Monstres de cruauté sous la figure d’Hommes, comme l’ont esté Caïn, Lamech, Nembrot, Ismaël, Esaü, & autres leurs semblables.

Cet exercice leur paroist d’ailleurs blâmable, en ce qu’il semble n’estre fait que pour porter dommage à autruy, & que les Chasseurs menent une vie qui a beaucoup de raport à celle des Larrons, ne s’y trouvant, disent-ils, autre diférence, sinon que les Chasseurs sont des Voleurs honnestes, au lieu que les Larrons sont des Chasseurs infames. Et de fait, Aristote se sert du mesme mot Grec, pour signifier la Chasse & le Larcin. C’est pour cela, continuënt ils, qu’Esaü estant Larron, parce qu’il estoit Chasseur, fut odieux au Seigneur, comme le dit l’Ecriture ; & que le présent qu’il fit au Patriarche Isaac son Pere, ne luy servit de rien pour obtenir le droit de primogéniture, ny sa benédiction, parce qu’estant un présent de chasse, c’estoit un présent de larcin, qui ne pouvoit estre agreable à Dieu ; & par conséquent les Chasseurs représentez par Esaü, ne sçauroient, non plus que luy, estre en état de luy plaire.

Ils adjoûtent que l’usage de la Chasse est condamné par les Peres de l’Eglise, comme il paroist entr’autres par S. Jerôme dans l’explication du Pseaume 90. par S. Gregoire dans le 5. Livre de ses Morales, & par S. Ambroise sur le Pseaume 118. qu’il faut bien que l’Eglise trouve que cet usage soit pernicieux & criminel, puis qu’elle l’interdit sous de grosses peines à tous ses Ministres, & qu’elle excommunie mesme ceux qui s’y adonnent ; ce qui paroist par une tres-grande quantité de Conciles ; & qu’enfin pour connoistre que Dieu mesme l’a en horreur, il ne faut que regarder les funestes accidens où il a souvent permis que soient tombez ceux qui s’en sont fait une occupation ordinaire ; surquoy l’on nous fait une longue énumeration de quantité d’illustres Malheureux que la Chasse a fait périr ; & confondant la Fable avec l’Histoire, on nous rapporte les tristes exemples des celébres Chasseurs du furieux & renommé Sanglier de Calydon, qui causa la mort à un grand nombre des plus braves Seigneurs de la Grece, avant que de pouvoir estre abatu par le genéreux Meleagre, qui eut seul la gloire d’en venir à bout à coups d’Epieu ; encor fut-ce une gloire bien triste pour luy, puis qu’elle luy cousta la vie, comme le raconte Ovide dans le 8. de ses Metamorphoses. La Chasse fut encor funeste au Prince Hyppoméne petit-Fils de Neptune, & à la belle Atalante, l’un & l’autre ayant esté devorez par deux Lions qui les surprirent dans la Caverne où la lassitude de cet exercice les avoit fait retirer pour prendre un peu de repos. Elle le fut à Procris Fille d’Erictée Roy d’Athenes, qui fut tuée innocemment par son Mary Céphale, qui croyoit tirer son Arc contre une Beste sauvage. Elle le fut au bel Adonis, qui y eut le ventre déchiré par les défences d’un Sanglier, qu’il attaqua témerairement, contre les avertissemens que Vénus luy avoit donnez, de ne se point commettre avec ces sortes de Bestes. Enfin la Chasse fut fatale au malheureux Actéon, lors que chassant dans la Forest de Mégare, & rencontrant sans dessein la chaste Diane qui se baignoit avec ses Nymphes dans la Fontaine du Val de Gargaphe, il fut métamorphosé en Cerf par cette Déesse, & devoré en suite par ses propres Chiens.

Actéon, pour avoir osé
Jetter une œillade prophane
Sur la nudité de Diane,
En Cerf fut métamorphosé.
Sous cette hideuse apparence
Ses Chiens perdant la connoissance
De leur infortuné Seigneur,
Sur luy tout-à-coup se jetterent,
Et par une horrible fureur,
A belles dents le déchirerent.

Voila une partie des infortunes que la Fable nous marque estre arrivées aux Chasseurs ; mais si celles-là sont rejettées, nous dit-on, parce qu’elles n’ont que l’apparence de la verité, il n’est pas malaisé d’en trouver d’aussi funestes dans l’Histoire, de la certitude desquelles on ne sçauroit raisonnablement douter. Ne lisons-nous pas que Sylvius Roy des Albains, rencontra sa mort à la Chasse, y ayant esté tué par son Fils Brutus, pensant lancer son Javelot contre un Cerf qu’ils poursuivoient ? A. Bouchard, Annales de Bretagne, Livre 1. chap. 3. Que Mempricius, un des premiers Roys de la Grand’Bretagne, fut déchiré & mangé des Loups, pour s’estre écarté de ses Gens à la Chasse, Annales d’Angleterre. Que Nicias, un autre Roy dont parle Elian, sans dire de quelle Nation, courant apres un Cerf, écarté pareillement de son monde, tomba dans une Charbonniere ardente, & y fut brûlé tout vif, quelque effort que fissent ses Chiens de le retenir par ses habits avec les dents, afin de le sauver, Ælian Livre 1. ch. 9. Que Basile I. surnommé le Macédonien, Empereur d’Orient, fut tué par un Cerf, qui luy planta un de ses andoüilliers dans le ventre, lors qu’il pensoit l’enferrer de son Epieu, Histoire Romaine. Que Theodebert Roy de Mets, s’estant mis derriere un Arbre pour assener un Taureau sauvage avec son Epieu, ce furieux Animal s’élançant contre cet Arbre, y donna un coup de teste si rude, qu’il le mit par terre, ainsi que ce pauvre Prince, qu’un éclat blessa si violemment, qu’il en mourut le mesme jour, Agathias Histoire de l’Empire de Justinian. Que Loüis, surnommé de Baviere, prétendu Empereur d’Occident, courant apres un Ours dans une Forest d’Allemagne, proche de Munich, tomba de son Cheval, se rompit la jambe, & son sang s’estant trop échaufé par cette course, il fut saisy d’apopléxie, & mourut au mesme lieu, Histoire Romaine, Livre 26. An. 1347. Que Jean, dit le More, Empereur de Constantinople, décochant une Fleche empoisonnée sur un Sanglier, s’en blessa un peu à la main, & tomba mort aussitost, Fulgos Livre 9. Que Grimoald Roy des Lombards, décochant de mesme une Fleche contre une Beste à la chasse, s’ouvrit la veine du bras, dont on luy avoit tiré du sang depuis peu, & que ce sang ne se pouvant étancher, le fit mourir sur le champ, Fulgos ibidem. Qu’Astolphe Roy des mesmes Lombards, fut tué à la Chasse par un Sanglier ; Que Foulques Roy de Jérusalem, tomba si rudement de son Cheval en courant un Liévre, qu’il se rompit le col, Histoire de France Belleforest, Livre 2. & 3. Que Robert II. Fils de Guillaume le Conquérant, Roy d’Angleterre & Duc de Normandie, chassant dans une Forest de cette Province, fut étranglé par une Ronce qui se lia autour de son col, & l’étoufa ; l’Abbé Robert en son Cronicon. Que Guillaume le Roux, pareillement Roy d’Angleterre & Duc de Normandie, chassant dans la neuve Forest proche de Vvincestre, fut tué par un de ses Favoris, d’un coup de Fleche qu’il pensoit tirer sur un Cerf qu’ils poursuivoient, Du Moulin Histoire de Normandie. Qu’enfin Charles IX. Roy de France, s’avança la mort par les trop violens & continuels exercices de la Chasse, qui altererent & corrompirent la substance de ses poulmons, Histoire de Mathieu Livre 6. sans parler d’une infinité d’autres, à qui la Chasse n’a pas esté plus heureuse, & qui ont éprouvé à leurs dépens que c’est un exercice qu’il est rare de suivre longtemps sans malheur, & sans infortune ?

Ce sont à peu prés les principales, & les plus fortes raisons qu’aportent ceux qui veulent réprouver entierement l’usage de la Chasse, comme odieux à Dieu, nuisible au prochain, & pernicieux pour l’ordinaire à ceux qui s’en meslent. Il en est d’autres qui ne le traitent pas à la verité si rudement, mais qui ne laissent pas d’y trouver beaucoup à redire. Le docte Petrarque est de ce nombre, & voicy comme il en parle dans ses Entretiens sur la bonne & mauvaise fortune, Dialogue 32. La Chasse, dit-il, est un exercice qui n’est propre qu’a ces Gentilshommes du bas ordre (Seminobilium ultimi ordinis exercitium) que la faineantise & la défiance, compagnes de la lâcheté, détournent des plus grands emplois ; comme la honte & la superbe, les éloigne des plus petits. Ainsi n’estant propres à rien qui soit honneste, ils demeurent dans les Bois, non pas pour y mener une vie solitaire, car ils sçavent bien qu’ils sont aussi mal propres à cela, qu’à la politique ; mais pour vivre de compagnie avec les Chiens & les Oiseaux ; ce qu’ils ne feroient jamais, s’ils ne leur estoient unis par quelque sorte de ressemblance. Que si ces sortes de Gens ne s’adonnent à cet exercice qu’à dessein d’y prendre du plaisir, ou seulement pour passer plus facilement le temps, l’un ou l’autre les rendant également fous, s’ils y trouvent par hazard le contentement qu’ils y cherchent, ils ne s’établiront pas par là, en réputation de Gens d’esprit & de magnificence. Car apres tout, quelle gloire y a-t-il, je ne dis pas seulement pour des Princes, mais pour des Personnes nobles ou seulement libres, de se plaire à une occupation purement méchanique, & tout-à-fait servile ?

Petrarque fait bien voir par ce discours qu’il ne tenoit pas la Chasse pour un exercice noble, mais qu’il estoit du sentiment de Saluste, qui dans sa Préface de la Conjuration de Catilina, disoit que c’estoit un Art servile & mécanique ; & de fait il paroist qu’il estoit estimé tel de son temps chez les Romains, la plûpart des Nobles de cette florissante République n’y occupant que leurs Esclaves, aimant mieux employer leur valeur & leur adresse à la chasse des Hommes, & à la conqueste des Villes & des Provinces, que de s’occuper à la poursuite & à la prise des Bestes. Et c’est peut-estre de la qu’ils ont exclus cet exercice du rang des Arts libéraux, pour ne luy donner, selon quelques-uns, que le second lieu entre les Mécaniques, ou mesme selon d’autres, n’en faire que la seconde portion de l’Agriculture, qu’ils divisent en trois parties, la Bergerie, la Chasse, & la Pesche.

M. de la Hoguete n’est guére plus favorable à cet Art que l’a esté Pétraque, car dans son Testament, ou le Livre des Conseils fidelles d’un bon Pere à ses Enfans, chapitre 7. il dit qu’il n’ose conseiller le divertissement de la Chasse, pour avoir en soy quelque venin caché ; car encor bien, dit cet Autheur, que cet exercice rende l’Homme actif, vigilant & laborieux, il y a je-ne-sçay-quel poison qui s’y mesle, & qui semble en quelque sorte enchanter, & abrutir mesme celuy qui s’y adonne par trop. Outre que si les apparences en sont chastes, honnestes, & innocentes, comme on se figure l’estre l’imaginaire Divinité qui y préside, (il veut dire Diane que les Chasseurs Payens ont reconnuë de tout temps pour leur Déesse & leur Protectrice,) son effet est stérile, & n’engendre non plus qu’elle. Adjoûtez, que celuy qui a la mesme passion de ce fameux Chasseur de l’Antiquité, s’expose à sa mesme infortune ; car souvent apres avoir bien chassé, il trouve à la fin que l’Idole de son plaisir est une chose bien nuë, & que tout le fruit qu’il en retire, c’est qu’il devient quelquefois, comme la Beste qu’il chasse, la proye de ses propres Chiens ; & manque d’avoir assez de revenu ou d’œconomie pour en nourrir le grand nombre que sa folle passion le pousse d’y entretenir, il y consume la plûpart de son vaillant, & réduit quelquefois par là à une extréme disete, il se voit effectivement devoré par ses Chiens.

Cependant, quoy qu’en disent ces trop severes Censeurs d’un Exercice approuvé par une infinité de Gens raisonnables, il est certain que l’usage en est non-seulement permis & licite, mais de plus qu’il est honorable & utile pour ceux qui sont d’état & de condition à le suivre, n’y ayant point d’honneste Homme qui ne s’y puisse occuper avec honneur, pourveu que l’occupation qu’il y donne se puisse accommoder avec sa Profession, que cet exercice ne nuise point à sa santé, & qu’enfin il ne soit point un empeschement à d’autres affaires plus importantes ; car on ne sçauroit nier qu’il ne contribuë beaucoup à exciter le courage, & à façonner un Homme au mestier & aux ruses de la guerre, dont la Chasse est comme une espece d’Ecole & d’Académie. C’est le nom que luy donne le Prince des Philosophes dans le premier Livre de ses Politiques, chap. 4. Venationes sunt quasi quædam bellorum progymnasmata : his nempè quibusdam quasi tyrocinijs à ferarum cæde ad necem hominum animus inardescit, atque inflammatur. C’est pourquoy le divin Platon dans plusieurs endroits de son 7. Livre de sa République, ne cesse de le recommander aux Gens de guerre, & particulierement aux jeunes, qui ne sont pas encor tout-à-fait expérimentez dans les ruses & les pratiques de la Milice ; leur disant que la Chasse a cela de propre, qu’elle rend un Homme plus vigoureux, & plus adroit à l’exercice des Armes, plus robuste à en suporter tous les travaux, parce qu’elle endurcit le corps à la fatigue, & forme l’esprit à tous les stratagémes, qui font souvent mieux réüssir à la guerre, que la force & le courage. Tous ces avantages sont rapportez plus au long par Jull. Pollux dans son Onomasticon, dédié à l’Empereur Commode, & par plusieurs autres Autheurs.

Cambyse, Roy des Perses & des Medes, & Pere du Grand Cyrus, en estoit bien persuadé, puis qu’au raport de Xénophon, il avoit grand soin d’y exercer ses Soldats, & de s’y exercer luy-mesme, lors qu’ils n’estoient point occupez à la guerre, afin, dit cet Autheur, de les former, par la chasse des Bestes, & par les plus laborieuses & industrieuses pratiques de ce noble exercice, à tout ce qu’ils auroient à faire en temps de guerre pour attaquer, pour surprendre, & pour vaincre plus facilement leurs Ennemis.

Ce que ce grand Prince pratiquoit & faisoit pratiquer à ses Soldats pour les former de plus en plus à l’exercice de la guerre, fut soigneusement observé à son exemple tant par l’invincible Cyrus son Fils, que par les autres Monarques qui sont venus apres luy, comme on le peut voir dans les Vies des Hommes Illustres de Plutarque, où cet Historien nous apprend entr’autres, que le Conquérant du Monde, le grand Aléxandre, ne passoit presque aucun jour de loisir sans s’exercer à la Chasse ; Que Pélopidas, ce renommé Capitaine general de la Grece, apprit luy-mesme, & en suite à ses Soldats, par le moyen de la Chasse, tout ce qui le rendit depuis si redoutable en la guerre ; Que Philopémen en fit de mesme, & une infinité d’autres Princes & grands Capitaines, qui n’ont pas esté moins genéreux Soldats, que fameux Chasseurs. Cela fait voir que Pétrarque n’a pas jugé de la Chasse fort sainement, quand il a dit qu’elle n’estoit que l’occupation des Lâches & des Faineans ; ny Mr de la Hoguete non plus, quand il a avancé que hors la personne du grand Cyrus, d’un grand Chasseur il ne se fit jamais un grand Conquérant, puis qu’il est certain que l’on a veu dans toutes sortes de temps quantité de Roys & de Princes, qui n’ont pas laissé d’estre tout-ensemble & grands Chasseurs, & grands Capitaines. Il seroit facile de le justifier par le raport des Historiens anciens & modernes.

Mais n’en avons-nous pas une preuve éclatante
Dans le plus auguste des Roys ?
LOUIS, le Grand LOUIS, pour chasser quelquefois.
En a-t-il l’ame moins vaillante ?
Si la Chasse succede à ses travaux guerriers,
Peut-elle flétrir ses Lauriers,
Ou le rendre moins invincible ?
Et n’est-il pas toûjours également Héros,
Egalement fier & terrible,
Soit qu’il ait la Cuirasse, ou le Cor sur le dos ?

Quant à ce que disent les Peres, qu’on ne voit point dans les Saintes Lettres de Chasseur qui n’ait esté méchant, on peut répondre que ce n’est pas une regle si genérale, qu’elle ne souffre son exception, & particulierement dans la personne du plus juste de tous les Roys de l’Ancien Testament, c’est David, que l’on ne sçauroit nier avoir esté Chasseur, pour peu qu’on lise ce qu’il avance de luy-mesme dans le premier Livre des Roys, chap. 17. Cependant il n’a pas laissé pour cela d’estre Saint, & cela n’a point empesché que Dieu ne l’ait appellé l’Homme selon son cœur. D’ailleurs, s’il est vray que son Fils, le plus sage de tous les Hommes, ait voulu gouster de tous les plaisirs & de tous les divertissemens qui leur sont propres, comme il en fait luy-mesme l’aveu, il est à croire qu’il n’a pas dédaigné celuy de la Chasse. (Du moins ne sçauroit-on disconvenir que tous les jours sa Table Royale ne fust servie de Viandes de venaison, & particulierement de Cerf, de Chevreüil, & de Buffle, comme il est expressément marqué dans le 4. Chapitre du 3. Livre des Roys.). Et pour cela l’on ne peut pas dire qu’il en fust ny moins sage, ny moins agreable aux yeux du Seigneur.

Car pour répondre à ce que prétendent les Ennemis de la Chasse, que Dieu a cet exercice & ceux qui le suivent, en horreur, on peut dire que le contraire paroist en ce que Dieu semble mesme l’avoir autorisé, lors que dés le commencement du monde, & dans la Loy de Nature, il dit à Adam, & apres le Deluge à Noé, & en leurs personnes à tous leurs Descendans, qu’ils seroient les maistres des Poissons de la Mer, des Oyseaux du Ciel, & de tous les Animaux qui marchent sur la Terre ; & que dans le temps de la Loy écrite, parmy les Préceptes moraux qu’il dicta à Moïse, pour estre observez par les Enfans d’Israël, où toutes les choses qui leur estoient ou permises, ou défenduës, sont spécifiées, lors qu’il y est fait mention des Viandes dont il leur estoit loisible d’user, celles de Venaison & des Bestes qu’ils auroient prises à la Chasse, y sont nommément marquées comme permises ; c’est dans le 17. du Lévitique. Et qu’enfin, si la Chasse estoit criminelle devant Dieu, il n’est pas à croire que le S. Patriarche Isaac eust eu tant de tendresse pour son Fils Esaü, parce qu’il estoit Chasseur, par préference à Jacob, qui ne l’estoit pas, ny qu’il eust mangé aussi souvent qu’il faisoit du Gibier qu’il luy apportoit d’ordinaire de la Chasse, l’Ecriture marquant expressément l’un & l’autre dans le 25. & 27. Chap. de la Genese. On peut adjoûter, que bien loin d’abhorrer cet Exercice, Dieu semble luy donner sa benédiction, comme il paroist dans le Pseaume 131. au Verset qui porté. Viduam ejus benedicens benedicant, ou selon les Interpretes, au lieu de ce terme viduam, il faut lire, conformement à l’Hébreu & au Grec, venationem, suivant la judicieuse remarque du docte Perérius Jesuite, sur le 25. Chap. de la Genese.

Que si l’on objecte que les effets ne semblent pas répondre à cette divine benédiction, veu les malheurs & les infortunes arrivées tant de fois aux Chasseurs, on peut répondre que ces accidens se peuvent aussi bien rencontrer dans l’usage des autres exercices de la vie des Hommes, que dans celuy-cy ; & que cela arrivant également dans les uns & dans les autres, on ne les doit pas toûjours prendre pour des effets de la colere & de la punition de Dieu ; outre que si la Chasse a esté funeste pour quelques-uns, elle a esté heureuse pour quantité d’autres, tant pour le bonheur temporel, que pour tout ce qui touche le salut. Car pour ne dire que peu de chose de l’un & de l’autre de ces avantages, ne sçait-on pas au regard du dernier, qui est le plus important, que le genéreux Martyr S. Eustache estoit Chasseur, & que les Bois & la Chasse, dit S. Jean Damascene, Lib. 3. de Imaginib. furent le sujet de sa conversion à l’Evangile ? C’est pourquoy Métaphraste dit que ce grand Saint avoit bien lieu de se réjoüir dans le Ciel d’avoir esté Chasseur sur la terre, puis que la Chasse avoit esté pour luy un instrument de grace, un moyen de sainteté, & une voye qui l’avoit conduit à la gloire immortelle. L’heureuse avanture qu’il y eut est trop connuë pour la rapporter icy.

S. Hubert, Seigneur d’Aquitaine, & Evesque de Liege, fut aussi appellé à la Foy par une avanture semblable à celle de S. Eustache ; car l’Histoire de sa Vie fait foy, qu’estant un jour à la Chasse, qui faisoit son plus ordinaire exercice, le Sauveur du Monde luy apparut sous la figure d’un Crucifix sur la teste d’un Cerf qu’il poursuivoit ; & l’ayant terrassé, comme un autre S. Paul, de Payen qu’il estoit, il en fit un fidele Chrestien, & l’appella de l’occupation de la Chasse, aux fonctions de l’Episcopat, Baron. Annal. Tom. 8. C’est en memoire de cette heureuse vocation, qu’à Tréveres en Flandres, dont ce Saint est Patron, les Chasseurs du Païs, qui le reconnoissent pour leur Tutelaire, ne manquent point de celébrer tous les ans au jour de sa Feste une Chasse solemnelle à son honneur, où tous les Seigneurs & Gentilshommes, tant de Flandres que d’ailleurs, se trouvent en grand nombre. Pendant qu’on fait cette Chasse, il est permis à tous, de quelque condition qu’ils soient, de chasser librement à toutes sortes de Bestes, tant pour le profit que pour le plaisir ; la coûtume de tous les Nobles estant de luy dédier les prémices & la dixme de la Chasse qu’ils ont faite ce jour-là. Feste & Assemblée qui se fait non-seulement en ce lieu, mais encor dans tous les Cantons de France, où l’on fait profession de cet Exercice.

Témoin celles dont le Mercure
Nous a déja fait tant de fois
La galante & riche peinture
Dans ses Lettres de chaque Mois ;
Entr’autres celle qu’il raconte,
Faite par un illustre Comte,
Qui mérite que l’Avenir
En conserve le souvenir.
Car outre la galanterie,
Qui cette Feste accompagna,
A l’honneur du Saint, l’on créa
UnOrdre de Chevalerie,
Où la Noblesse du Canton,
Des Dames aussi-bien que les Hommes, dit-on,
Sous la genéreuse conduite
D’un General plein de mérite,
Voulut s’enroller à l’envy.
Cet enrollement fut suivy
De l’élection des Offices ;
De l’Abbé, du Grand Commandent,
Du Prieur, & du Sousprieur,
De l’Examinateur, & Maistre des Novices.
Il fut dit entr’autres Statuts,
Que tous ceux qui seront reçûs
Dans cet Ordre nouveau, s’entend de noble Race,
Quatre fois l’an se rendront tous,
Et ce sur peine de disgrace,
En bel équipage de Chasse,
Où l’on aura marqué le rendez-vous ;
Que chaque Chevalier, aussi propre que leste,
Aura son Cor d’argent d’un Ruban attaché,
Pour la marque de l’Ordre, au lieu le moins caché
Du Justaucorps, ou de la Vosse,
Et que nul ne pourra prétendre d’estre admis,
Que l’Officier à ce commis
N’ait fait auparavant enqueste,
Pour sçavoir si le Postulant
Dont on a reçeu la Requeste,
D’un Chasseur veritable a le noble talent ;
Apres quoy, payant les Epices,
On luy donnera place au nombre des Novices,
Pour faire enfin Profession
A la premiere occasion.

La Chasse fut encor heureuse pour le regard du salut, au Fils de l’Empereur Frederic, puis qu’elle luy servit d’occasion de renoncer au monde, & de fonder la Chartreuse de Sylve en Dauphiné, où ce Prince quittant la Pourpre, prit l’Habit de Religieux, & y vescut & mourut saintement. On n’en peut décrire l’Avanture avec plus de pompe que l’a fait Mr Perrin dans sa Chartreuse, ou sainte Solitude. Voicy de quelle maniere il en parle.

Lors que Frederic Empereur
Vangeoit une illustre folie, 1
Et que sa barbare fureur
Inondoit toute l’Italie ;
Dans ce Royaume separé.
Unsien Fils s’estoit retiré.
Lassé de guerre & de carnage,
Et vivoit comme confiné
En cet endroit du Dauphiné.
Qu’il choisit pour son apanage.
***
Pour éviter en ce loisir
De s’emporter dans les delices,
La Chasse estoit tout son plaisir.
Et ses plus fréquens exercices ;
Tous les Echos estoient troublez
Des Cors & des cris redoublez,
Et l’on entendoit ces Contrées
Bien loin retentir des abois
Des Chiens échapez dans les Bois
Apres les Bestes rencontrées.
***
Unjour, comme dans les Forests,
Voisines de ces blanches Croupes,
De course, de cris, & de traits,
Il suivoit les fuyantes Troupes ;
Il vit dans un fonds entassez
Douze Cerfs en harde amassez,
Hauts de stature & de ramage,
Et de qui la blanche toison
Excedoit sans comparaison
Celle du Cygne en son plumage.
***
Aussitost les Chiens détachez,
A travers Buissons & Fougere,
De fureur au butin lachez,
Attaquent la Troupe legere ;
Mais ils la pressent vainement,
Elle s’écarte en un moment,
Et se mesle parmy les branches,
Comme dans le sombre de l’air
La prompte flâme d’un éclair
Confondroit ses lumieres blanches.
***
Jusques à trois diverses fois
Le Prince revient à la Chasse,
Trois fois au mesme endroit du Bois
Il les apperçoit & les chasse ;
Mais toûjours en vain & sans fruit
La Meute ardente les poursuit ;
Ils sont pareils à ces Phantômes,
A ces Spectres mal affermis,
Qui devant nos yeux endormis
Promenent leurs frêles atômes.
***
Confus de cet évenement,
Et du prodigieux spectacle,
Il reconnut sensiblement
La divinité du miracle ;
Et lors en son ame il comprit,
Qu’un celeste & divin Esprit
Luy désignoit par ces mysteres,
Qu’il devoit en ce mesme lieu
Fonder & consacrer à Dieu
Douze de ces bons Solitaires.
***
Dés l’heure, sans plus s’opposer
A ce mouvement salutaire,
Dans ce lieu mesme il va poser
Les fondemens d’un Monastere,
Qu’il nomme Sylve, de ces Bois,
Et sous l’austerité des Loix
Ayant sa grandeur asservie,
Renfermé dans cette Prison,
Au service de la Maison
Passe le reste de sa vie.

Si la Chasse a esté si avantageuse à ces illustres Personnes pour les mettre dans les voyes de leur salut, elle ne l’a pas moins esté à quantité d’autres pour établir leur fortune temporelle. L’exemple de l’Empereur Henry III. est trop illustre, pour ne le pas apporter icy, sur la bonne-foy de Naueler & de Bernard Corius, de la maniere à peu pres qu’ils nous l’ont laissé dans la Vie de ce grand Prince. Leopold, Comte de Razu en Allemagne, fuyant la colere de l’Empereur Conrad II. fut obligé de se retirer avec la Comtesse sa Femme qui estoit enceinte, dans la Forest noire. Son azyle fut la Cabane d’un pauvre Bucheron, où apres avoir sejourné quelque temps, sans estre connu de personne, il arriva que l’Empereur estant un jour allé à la Chasse dans cette mesme Forest, poursuivit une Beste avec tant d’ardeur, qu’il s’écarta de ses Gens. La nuit qui survint, le contraignit à demander le couvert dans la mesme Cabane, où Leopold faisoit sa retraite. Ce Comte en estoit pour lors absent pour quelques affaires. Cette mesme nuit, la Comtesse, que l’Empereur avoit prise pour la Femme du Bucheron, accoucha d’un Fils ; & dans le moment que cette infortunée Fugitive accouchoit, Conrad fit un songe, pendant lequel il crût entendre une voix qui luy dit. Conrad, il t’est né un Successeur. Ce Prince estant éveillé, apprend avec beaucoup de surprise, que son Hostesse prétenduë venoit de mettre un Garçon au monde. Ce fut assez pour luy faire croire que cet Enfant pourroit bien estre celuy que la voix luy avoit voulu marquer pour son Successeur. Sur ce soupçon, il part des le point du jour pour chercher ses Gens, qu’il rencontra presque aussitost, la peine où ils estoient de la perte de leur Maistre, les ayant épandus de tous les costez de la Forest pour en avoir des nouvelles. Il conte son avanture à deux de ceux en qui il se confioit le plus, & leur ordonne d’aller sur l’heure au mesme lieu d’où il venoit de partir, d’enlever l’Enfant du Bucheron, & de le faire mourir. Ceux-cy moins inhumains que leur Maistre, s’estant saisis de l’Enfant, au lieu de le tuer comme il leur avoit ordonné, le vont cacher dans le creux d’un Arbre ; & afin que l’Empereur ne doutast point qu’ils ne se fussent acquitez de cette cruelle commission, ils luy présenterent à leur retour le cœur d’un Animal, que la Providence leur fist rencontrer. A peine a-t-on exposé l’Enfant, que le Duc de Sueve, qui chassoit dans la Forest, passe par le mesme lieu. Il entend les cris de cette petite Creature, s’approche de l’Arbre où elle estoit, la prend entre ses bras, & charmé de sa beauté, la fait emporter dans son Palais. Comme il n’avoit point d’Enfans, il fait prendre soin de son éducation, & cet Enfant croissant en mérite aussi-bien qu’en âge, il l’adopte pour son Fils, & luy donne le nom de Henry. Sous ce nom il est produit à la Cour, où ses belles qualitez donnent bientost de la jalousie. L’Empereur, à qui on apprend qu’il n’est que le Fils adoptif du Duc, se met dans l’esprit qu’il pourroit bien estre le Successeur que la voix nocturne luy avoit désigné. Sur ce soupçon, il résout de s’en défaire, & sous le prétexte de quelque affaire importante, il le dépesche vers l’Impératrice sa Femme, qui estoit pour lors à Spire, avec une Lettre qui entr’autres choses contenoit ces termes. Si la conservation de ma vie vous est chere, faites mourir le Porteur de cette Lettre secretement, pour des raisons que je vous diray. Henry, qui ignoroit, comme Urie, qu’il portast l’Arrest de sa mort, le met soudain en chemin pour aller trouver l’Impératrice, & ne pouvant arriver le mesme jour, il va loger à deux ou trois lieuës de Spire, dans une Maison qui apartenoit au Grand Doyen de la Cathédrale, à qui il conte que l’Empereur l’envoyoit sans qu’il sçeût pourquoy. Le Doyen qui estoit fort curieux, forme aussitost le dessein de s’éclaircir du sujet de son voyage, & la nuit pendant qu’il dort, il prend sa Lettre, la lit, & concevant une horreur extréme du procedé de Conrad, comme il avoit pour Henry une estime singuliere, & qu’il estoit tres-adroit en toutes sortes d’écritures, il efface subtilement les mots qui portoient l’Arrest de sa mort, au lieu desquels, d’un caractere parfaitement contrefait, il écrit ceux-cy, Donnez promptement, & sans bruit nostre Fille en mariage à ce Porteur ; apres quoy ayant refermé la Lettre fort proprement, il la remet en la poche de Henry, qui le lendemain la rend à l’Impératrice. Cette Princesse luy fait épouser sa Fille dés le jour suivant, ravie que l’Empereur eust fait un si digne choix. Jugez dans quelle surprise se trouva Conrad, quand il connut que les moyens qu’il avoit pris pour perdre Henry, n’avoient servy qu’à le conserver. Il sçeut non-seulement que c’estoit le mesme Enfant dont il avoit ordonné la mort au moment de sa naissance, mais encor qu’il estoit le Fils du Comte de Razu ; & admirant les secrets ressorts de la Providence qui avoit si bien renversé tous ses desseins, il confirma le Mariage de Henry & de sa Fille, & fit bastir dans le mesme lieu de la Cabane une superbe Abbaye, que l’on appella Visane. Voila de quelle maniere la Chasse fut heureuse pour ce Prince.

Elle ne le fut pas moins à Henry I. Empereur d’Occident, qu’on surnomma l’Oyseleur, pour le singulier plaisir qu’il prenoit a la Fauconnerie, puis que ce fut dans le temps qu’il estoit occupé à ce noble Exercice, qu’on luy porta la nouvelle de son élection à l’Empire ; en memoire duquel bonheur, on dist qu’il continua tant qu’il vescut d’en faire son principal divertissement, sans diminuer rien du soin des affaires de son Etat, Histoire Romaine, Tome 2. Joignez à cela ce que Gregoire de Tours raconte estre arrivé à Gontran Roy d’Orleans, Fils de Clotaire. Ce Prince, dit cet Autheur, estant un jour allé chasser dans une Forest de la Touraine, lassé d’avoir couru une partie du jour, se reposoit sur le bord d’une Fontaine d’où couloit un petit ruisseau, le long duquel estant couché, il se laissa surprendre au sommeil. Pendant qu’il dormoit la bouche ouverte, son Ecuyer en vit sortir une petite Beste blanche comme la neige, qui courant de tous côtez le long du ruisseau, paroissoit avoir envie de passer à l’autre bord. Cet Ecuyer voulant luy aider, mit son Epée de travers. Elle s’en servit comme d’une Planche, courut au pied d’une petite Montagne voisine, & entra dans une Caverne qui y estoit, d’où sortant un peu apres, elle reprit son mesme chemin, & rentra dans la bouche du Roy. Dans ce mesme temps les Chiens & les Véneurs qui arriverent, ayant éveillé ce Prince, il en marqua du chagrin, disant qu’on l’avoit tiré d’un songe fort agreable, dans lequel il luy sembloit avoir passé une Riviere sur un grand Pont de fer, & que de la estant entré dans une Caverne, il y avoit découvert un grand Trésor. L’Ecuyer voyant le raport que le songe du Roy avoit à la vision qu’il avoit euë, la luy raconta ; surquoy le Roy ayant conferé avec les plus avisez de son Conseil, il fist par leur avis creuser dans le mesme lieu où l’Ecuyer avoit veu entrer la petite Beste blanche, & l’on y trouva la verité de son songe, c’est à dire un Trésor inestimable. La mesme Caverne, dit-on, paroist encor aujourd’huy, & s’appelle la Mothe du Trésor.

On peut conclure de là, que la Chasse est un Art vrayment Royal, puis que les plus grands Monarques se sont fait de tout temps une espece d’honneur de s’y occuper, & qu’à leur exemple quantité de Reynes & de Princesses en ont fait le plus ordinaire de leurs divertissemens ; jusques-là qu’il s’en est trouvé des nostres qui ont voulu avoir aussi-bien qu’eux, des Grands Véneurs parmy les Officiers de leur Maison, témoin ce que raporte du Tillet au regard des Reynes Anne & Claude de Bretagne, deux genéreuses Héroïnes, qui ne prenoient pas moins de plaisir à chasser, que le faisoit autrefois la vaillante Zénobie, cette incomparable Reyne des Palmiréniens, laquelle au raport de Trébellius Pollio, perçoit avec une vigueur infatigable les Forests les plus épaisses, & d’un courage intrépide chassoit avec le Roy Odenat son Mary aux Bestes les plus féroces ; & ce que fist apres elle Marie de Bourgogne, Femme de l’Empereur Maximilian I. & une infinité d’autres.

Outre qu’on ne peut pas dire qu’un Art ne soit veritablement Royal, en faveur duquel les Roys mesme n’ont point crû qu’il fust indigne de leur supréme grandeur, de composer des Livres, & de dresser eux-mesmes les regles & les manieres de le bien pratiquer. C’est ce qu’ont fait entr’autres, Dornadille IV. Roy d’Ecosse, qui vivoit il y a pres de deux mille ans, & qui, selon le raport de Baleus Sudovolca, dans son Livre des Ecrivains de Bretagne, prit la peine de composer un beau Traité de la Chasse, & de toutes les Loix qu’il y falloit observer. Ses Sujets les trouverent si judicieuses, qu’ils les ont toûjours religieusement gardées, & les gardent encor aujourd’huy. L’Histoire Romaine nous apprend la mesme chose de Frederic I. Empereur d’Occident ; & celle de France en dit autant d’un des plus sçavans & des plus laborieux de nos Roys. C’est Charles IX. qui nous a laissé un excellent Livre sur cette matiere, intitulé, la Chasse Royale, dans lequel il a surpassé de fort loin, dit Belleforest, tout ce que les autres ont écrit avant luy sur ce Royal Exercice. Il l’aimoit, dit Mathieu Livre 6. avec une passion si forte, qu’il en méprisoit le sejour des Villes, appellant les Maisons, les Sepulchres des Vivans, & disant souvent que pour s’adonner avec plus de liberté à cette genéreuse occupation, il eust volontiers agreé d’estre condamné à demeurer toûjours dans les Bois.

[Explications en vers des énigmes précédentes]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 259-268.

Les Enigmes du Mois de Janvier, dont les Mots estoient la Bassete, & le monosyllabe On, ont donné lieu à ces Explications.

I.

L’on me croit de vos Favoris,
Mercure ; mais pour moy que faut-il que j’en croye ?
J’ay deviné deux Enigmes de prix,
Les Enseignes, la Petite-oye,
Et parmy les Trouveurs l’on ne m’a point compris.
Vous m’ostez quelquefois cette innocente joye,
J’en suis chagrin, j’en suis surpris.
En Figure, en Vers comme en Prose,
Une Enigme éclatante est pour moy quelque chose,
Et j’aurois perdu mon argent
Au traistre Jeu de la Bassete,
Que j’en estimerois le coup moins affligeant
Que ce silence negligeant
De vostre galante Gazete.

Gardien.

II.

De vostre Enigme d’abord
On découvre le mistere.
Je croy la chose fort claire,
Vous me direz si j’ay tort.

De Lisle, Trésorier ancien des Gardes du Corps du Roy.

III.

Seigneur Mercure, en bonne-foy,
N’appréhendez-vous pas que quelqu’un vous arreste ?
Quoy, vous osez malgré l’Edit du Roy
Introduire encor la Bassete ?

Le Prieur Pelegrin.

IV.

Sans fatiguer mon pauvre Esprit
Sur cette Enigme trop obscure,
Je vay l’expliquer, je vous jure,
Presque aussi-bien que celuy qui la fit.
J’en sçay le Mot, On me l’a dit.

Le mesme.

V.

J’ay reconnu d’abord la dolente Bassete ;
Puis songeant aux affronts qu’a soufferts mon gousset,
D’un maudit assassin qui tous les jours me guete,
Et qu’on nomme le Lansquenet,
Pourquoy pour un Edit, ne fait-il pas retraite,
Ay-je dit ? & quel grand méfait
A pû commettre la pauvreté,
Que cet Enragé-là n’ait fait ?
***
Mais la seconde a mis mon esprit à la gesne,
Elle m’a fait ronger mes doigts,
Et contr’elle pester cent fois ;
Je renonçois enfin à ma recherche vaine,
Quand On m’a fait tirer de peine.

Le Nouveau Bourgeois de la Rochelle.

VI.

Pendant ce Carnaval chacun se divertit,
On n’entend qu’Instrumens, Violons, & Musetes ;
Mais dans l’Enigme en Vers le Mercure avertit
Qu’un grand Prince défend le Jeu de la Bassete.

De P. le J.

VII.

On va dans tous les lieux, On est de tous les temps,
Et ce cher Enfant de la France
Est un Mot aujourd’huy d’une telle importance,
Qu’en nostre Langue il tient les premiers rangs.
Mesme sans consulter si c’est avec prudence,
Souvent il dit tout ce qu’il pense,
Et parle librement des Petits & des Grands.
 On sçait, On connoist toutes choses,
Des diférens effets On pénetre les causes,
On pratique le mal, On pratique le bien,
Bref, On fait toûjours tout, & l’Homme ne fait rien.

Mad. F. Bouvard, de Chartres.

VIII.

L’autre jour la belle Lisete
Disoit à son Amant,
Quittons le Mercure Galant,
J’aime le Jeu de la Bassete,
Le temps le veut, il nous y faut joüer.
LOUIS, luy répond-il, en a fait la défence
Dans une nouvelle Ordonnance,
On ne sçauroit trop l’en loüer ;
Car bien des Gens seroient réduits à la Besace,
Qui parmy les Aisez trouvent encor leur place.

Le Chev. de Lampsicourt.

IX.

Vous voulez que je vous explique,
Belle & jeune Philis, l’Enigme de ce Mois ?
Cette Reyne du Jeu, que le plus grand des Roys
A fait bannir ainsi qu’une Publique,
Est la Bassete assurement,
Qui méritoit trop bien ce juste châtiment.

L’Amant Inconnu de la belle Philis de Roüen.

X.

Voulez-vous tout sçavoir ? voulez-vous tout écrire ?
Desirez-vous tout faire, & voulez-vous tout dire ?
 On sçait ce grand secret,
 On est sage & discret.
Allez à son Ecole,
 On peut vous l’enseigner,
On ne demande rien, On ne veut rien gagner,
Non pas mesme un Obole.
On est trop genéreux, & ne veut rien de vous,
On sçait tout, & ce n’est que pour l’apprendre à Tous ;
Mais quoy qu’On sçache bien toutes sortes de Langues.
Et quoy qu’en tout langage On fasse des Harangues,
On ne sçauroit parler qu’en langage François ;
Car parlant autrement, Allemand, Ecossois,
Anglois, Italien, Espagnol, ou Boheme.
Quittant sa propre Langue, On se perdroit luy-mesme.

Formentin, d’Abbeville.

XI.

D’une Enigme estre l’Interprete,
C’est, ce me semble, un jeu fort engageant.
Et l’on n’y perd pas son argent
Comme à celuy de la Bassete.

Seffrie de S. Joseph.

XII.

L’Enigme que tu viens de lire,
N’oblige pas longtemps l’esprit à s’appliquer ;
Il est aisé de l’expliquer,
Car c’est tout ce qu’On voudra dire.

Caudron, d’Abbeville.

XIII.

Mercure, je vous mets souvent dans ma Cassete,
Mais vous chercherez giste ailleurs pour cette fois ;
Si je vous y souffrois avecque la Bassete,
Seroit-ce, comme je le dois,
Obeïr au plus grand des Roys ?
Non, puis que ce Prince admirable
A fait donner contre elle Arrest si sagement,
Ce seroit me rendre coupable,
D’en garder un Jeu seulement.

Philonice.

XIV.

On croit, On dit, On fait, On écrit mille choses,
On est Ambassadeur, Monarque, Magistrat,
On est Homme de guerre, On est Home d’Etat,
On invente à son gré mille métamorphoses.
***
On sçait tout, On par tout se promene & s’applique,
On fait fracas au monde, On brille de renom,
On se fait consulter, On dit qu’en dira-t-On ?
Mercure, cependant vostre Enigme On explique.

L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy.

XV.

Philis, qu’en vous voyant mon ame est satisfaite !
De vous oüir chanter que le plaisir est doux !
Trop content de vous voir, & de parler à vous,
Je ne puis regreter le Jeu de la Bassete.

L’Amant de la charmante Mad. la Grange de Roüen.

Sentimens sur les Questions du dernier Extraordinaire §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 286-295.

SENTIMENS SUR LES
Questions du dernier Extraordinaire.

I.

Tyrcis est devenu jaloux
De sa jeune & nouvelle Epouse,
Et la Belle de son Epoux
Est devenuë aussi jalouse.
On demande lequel des deux
Est en ce point plus malheureux ?
Je les trouve tous deux à plaindre,
Mais un Epoux a tout à craindre
Lors qu’il sçait que sa Femme a fait un Favory ;
Car tel est l’usage du monde,
Une Femme jamais ne répond d’un Mary,
Mais il faut qu’un Mary d’une Femme réponde.

II.

Aveugle né, consolez-vous,
D’estre toûjours dans les tenebres ;
On ne voit icy-bas que des Objets funebres,
Et les plus Clairs-voyans ne sont que des Hibous.
Ils ne peuvent souffrir l’éclat de la lumiere,
Le jour leur devient odieux ;
Vostre esprit éclairé, bien d’une autre maniere,
Voit ce que nous voyons, & le comprend bien mieux.
Et vous qui vous plaignez comme un autre Tobie,
Que vous avez perdu les douceurs de la vie,
En perdant l’usage des yeux,
Vous pouvez voir encor par la Philosophie
Tout ce que la Nature a de plus curieux.
Vostre ame desormais ne sera plus émeuë
De ces Objets fâcheux qui choquoient vostre veuë,
De ces fausses Beautez dont les charmes trompeurs
Enchantent la raison, & corrompent les mœurs.
C’est ainsi qu’un Aveugle sage
Se console par sa vertu.
La veuë est un bien inconnu
A qui n’a pas cet avantage ;
Et quiconque en joüit, doit estre prévenu
Qu’il ne faut presque rien pour en perdre l’usage.

III.

Pour répondre en fort peu de mots
A l’engageante Vacesmonde,
Qui sans-doute d’un grand Héros
Est l’Héroïne sans seconde ;
Voicy quel est mon sentiment
Sur le doute qui met son esprit en balance.
Je suis pour la tendresse & la perséverance.
Quand on n’aime que foiblement,
Les belles qualitez sont de peu d’importance,
Car le mérite d’un Amant
Est de se faire aimer, & d’aimer tendrement.

IV.

C’est des Phéniciens, s’il en faut croire Pline,
Que la Chasse & la Pesche ont pris leur origine ;
Mais chacun sçait que les Hébreux
Ont chassé longtemps avant eux,
Et que Caïn meurtrier de sa Race
Est le premier qui se plût à la Chasse.
Je ne condamne point cet innocent plaisir,
Que l’on peut appeller une guerre sauvage,
Où dans le sang & le carnage
Un Homme courageux contente son desir.
Mais lors qu’on en corrompt l’usage,
Ce divertissement n’a rien que de brutal,
Et souvent l’Homme le plus sage,
En devenant Chasseur, devient un Animal.

V.

Que le Peuple ignorant est une étrange Beste !
Il est ensemble impie & superstitieux,
A se persécuter il est ingénieux,
Rien ne le desabuse, il ne croit que sa teste.
Il vit toûjours en crainte, & dans l’aveuglement,
Et de tous ses malheurs l’Autheur & le Prophete,
Il mérite le châtiment
Que son esprit crédule attend de la Comete.

VI.

Comme je me sens peu capable
D’inventer sur la Bague une nouvelle Fable,
Je vais sans affectation
Poursuivre le panchant où ma Muse est portée,
Rimer icy la Fiction
Qu’on raconte de Promethée.
Tandis que ce grand Homme au Caucase attaché,
Par un cruel suplice expiroit son peché,
Et des Dieux irritez appaisoit la colere,
Voicy comme il sortit d’affaire.
Jupiter amoureux de la belle Thétis,
Cherchoit un jour à satisfaire
Avec elle ses appétits ;
Les Parques aussitost (Femmes pour l’ordinaire
Parlent toûjours de quelque affaire)
Conclurent sur ce point qu’il en naîtroit un Fils
Qui seroit plus grand que son Pere.
Promethée écoutant par hazard leur devis,
A Jupiter en donne avis,
Et luy découvre le mistere.
Ce Dieu sur sa tendresse ayant fait un retour,
A Thétis ne fist plus la cour,
Et craignit la mesme infortune
Qu’il avoit fait sentir à son Pere Saturne.
Ce qui nous apprend en ce jour,
Que de quelque ardeur qu’on se pique,
Il n’est point de si forte amour
Qui ne cede à la Politique.
Mais enfin Jupiter aussi bon que puissant,
Voulut estre reconnoissant
D’un avis de cette importance.
Envers ce Criminel il usa de clemence,
Fist cesser son suplice, & rompit ses liens,
Et le combla de mille biens
Au dela de son espérance ;
Mais à condition qu’il feroit un Anneau
De la Pierre du Mont, & du Fer de sa Chaîne,
Qu’il porteroit au doigt comme un gage nouveau
De son bienfait & de sa peine ;
Et depuis ce temps-là les Bagues ont esté
Dans tous les lieux du monde, une marque certaine
Ou de reconnoissance, ou de fidelité.

VII.

Aussitost que Noé par un bonheur insigne
Eut trouvé le secret de cultiver la Vigne,
Et de rendre commun ce Jus délicieux,
Qui fait la volupté des Jeunes & des Vieux,
L’Eau honteuse s’enfuit, & se cacha sous terre ;
Elle ne coula plus qu’à l’ombre des Roseaux ;
Et le Fontenier qui l’enserre
Et l’arreste dans ses Canaux,
Reconnoist malgré ses travaux,
Que toûjours à regret elle embellit le monde,
Et cache avec plaisir & sa source & son onde.
Mais elle se vange bien mieux,
Lors que s’attribuant une vertu nouvelle,
L’Homme accablé de maux, quitte le Vin pour elle,
Et va la chercher en tous lieux.
Elle estoit autrefois & saine & necessaire,
Mais il n’en estoit pas content ;
Elle devient apres par un effet contraire,
Plus nuisible que salutaire,
Et c’est lors qu’il en boit d’autant.

De Boisgrimot.

Dés que la troisiéme de ces Questions fut proposée par l’engageante Vacesmonde, qui a demandé Ce que doit faire une Belle pressée de se déclarer par deux Amans, dont l’un a beaucoup d’amour & peu de mérite, & l’autre beaucoup de mérite & peu d’amour, on m’envoya cette Réponse au nom de Mr d’Arlay la B.

La Peste & le Buveur soûpirent pour Mélite,
Et de ces deux plaisans Pasteurs,
Le premier plein d’amour n’a pas un grand mérite,
L’autre plein de mérite a de tiedes ardeurs.
Tous deux pressent pourtant cet Objet adorable
De répondre à leurs vœux.
Que faire pour estre équitable ?
Attendre, ce me semble, à contenter leurs feux,
Que la Peste soit plus aimable,
Ou le Buveur plus amoureux.

[Clé d’une lettre codée]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 296-307.

La seconde Planche que je vous envoye, vous ofre la Veuë de l’autre Maison Royale d’Espagne que je vous ay dit estre aux environs de Madrid. Elle n’en est éloignée que de deux lieuës, & s’appelle Casa Real del Prado. Vous pourrez examiner à loisir ce qu’elle a de remarquable.

Je viens à la Lettre du Spirituel Berger des Rives du Tarn, qui sous un sens découvert en cache un autre que personne n’a pû découvrir. Il y avoit en cela une espece d’impossibilité, parce qu’elle est écrite sur trois Alphabets, tous trois transposez, & qui répondent à nostre Alphabet commun. La Lettre qui suit contient ces trois Alphabets, & donne la Clef de tout le secret.

Sur les Bords du Tarn, ce 19. Mars 1681.

Je vous envoye, Monsieur, le déchifrement de la Lettre du 24. Septembre dernier, contenuë dans le douziéme Tome de vostre Extraordinaire. Les avis donnez dans cette Lettre, avec l’explication des deux précedentes, qui est dans le mesme Tome, en auront sans-doute facilité l’intelligence, puis que cette Lettre, aussi-bien que celle du onziéme Tome, avoit esté faite à l’imitation de celle de Mr de Vienne-Plancy. Ces trois Lettres se trouvant ainsi à peu pres semblables, le déchifrement de l’une aide à celuy de l’autre. Toute la diférence qu’il y a, consiste aux Alphabets. Celle que vous aviez donnée, Monsieur, estoit chifrée sur l’Alphabet ordinaire. Pour ce qui regarde celle de Mr de Plancy, avant d’estre chifrée, les lettres en avoient esté transposées sur l’Alphabet renversé ; & pour celle-cy, avant aussi d’estre chifrée, les lettres en ont esté transposées sur trois diférens Alphabets reglez par la date de la Lettre du 24. 7bre 1680. lesquels trois chifres, suivant la maxime de la Lorraine Espagnolete, font 6, 7, & 15, qui est le contrechifre & marque des trois Alphabets employez dans cette Lettre, desquels le premier est fait en telle maniere, que la sixiéme lettre qui est F, se trouve mise en la place de la lettre A ; & la douziéme qui est M, au lieu de B ; & la dix-huitiéme qui est S, au lieu de C ; & ainsi consécutivement de six en six, continuant apres Z, à recommencer par A, qui dans le second tour ou second compte se trouve la vingt-quatriéme lettre, & par conséquent au lieu du D, & ainsi en continuant toûjours à compter jusques à ce que les vingt-trois lettres se trouvent toutes employées. Le second Alphabet est fait de mesme, à la réserve qu’on compte de sept en sept. Ainsi G, qui est la septiéme lettre, est mise pour A ; la lettre O, qui est la quatorziéme, pour B ; & ainsi des autres ; & par mesme moyen le troisiéme Alphabet se trouve ainsi composé de ses lettres de quinze en quinze. Ainsi P, qui est la quinziéme lettre, se rencontre au lieu de la lettre A ; & la lettre G, qui en continuant à compter se trouve la trentiéme, est mise pour B ; & continuant ainsi jusques à ce que les Alphabets soient entierement remplis, ils se trouvent tels qu’ils sont ainsi représentez.

Ces Alphabets ainsi rangez, on prend, pour commencer à déchifrer, les premiers mots de la Lettre du Marchand, qui sont

J, a, y, r, e, c, e, u, d, e, v, o, u, s, &c.

Apres on ramasse les chifres de la mesme Lettre, dont les premiers sont

18. 1. 4. 23. 15. 21. 2. 2. 22. 23. 14. 3. 18. 21. &c.

En suite on compte dans l’Alphabet ordinaire, joignant le premier chifre à la premiere lettre en cette maniere. La dix-huitiéme lettre apres I, est D ; la premiere apres A, est B ; la quatriéme apres Y, est C ; la vingt-troisiéme apres R, est R elle-mesme, & ainsi des autres ; ou bien, comme vous l’avez remarqué dans l’Explication de vostre Lettre, on joint la lettre I, qui vaut 9, avec le chifre 18, ce qui fait 27 ; & à cause qu’il n’y a pas ce nombre de lettres dans l’Alphabet, on oste de 27 le nombre de 23, & reste 4, qui donne dans l’Alphabet ordinaire la lettre D, qui est la mesme que le précedent compte avoit donnée ; & continuant par l’un ou par l’autre de ces deux comptes, il se trouvera que les mots de la Lettre du Marchand expliquez par les chifres de la mesme Lettre, donneront premierement ces lettres,

d, b, c, r, u, a, g, y, c, e, l, r, p, q, &c.

Lesquelles lettres sont les premieres de celles qui avoient esté transposées sur les trois Alphabets cy-dessus, dans lesquels cherchant, sçavoir dans le premier Alphabet transposé, la lettre D, qui est la premiere transposée, on trouvera qu’elle répond dans l’Alphabet ordinaire à la lettre Q, qui est la premiere du sens caché, & cherchant la lettre B dans le second Alphabet transposé, on trouvera qu’elle répond dans l’Alphabet ordinaire à la lettre V, qui est la seconde du sens caché, & continuant, on trouvera que la lettre C du troisiéme Alphabet transposé répond à la lettre O dans l’Alphabet ordinaire, qui est la troisiéme lettre du sens caché. En suite la lettre R du premier Alphabet transposé (car il faut recommencer du troisiéme au premier, toutes les lettres estant alternativement prises d’un Alphabet apres l’autre ;) la lettre R, dis-je, du premier Alphabet répond à la lettre Y de l’Alphabet ordinaire, qui est la quatriéme du sens caché, & qui jointe aux trois précedentes, font le premier mot du sens caché, qui est Quoy ; & continuant par le mesme déchifrement, on trouvera que les mots de la Lettre du Marchand, qui estoient tels, J’ay reçeu de vous, Monsieur, diverses sommes, &c. avec les chifres qui y estoient adjoûtez, marquent les mots suivans. Quoy que nous soyons dans un Siecle où rien n’empesche les François, on ne laisse pas de leur présenter un Chifre, qui pourroit bien pendant quelque temps arrêter les plus curieux. Chacun de ces mots estoit separé par les articles de la recepte & de l’employ des sommes contenuës dans la Lettre du Marchand, chaque article marquant un mot ; ce qui en devoit faciliter le déchifrement. Ce qu’il y avoit encor à remarquer, c’est que dans les premiers mots de la Lettre J’ay reçeu de vous, &c. il n’y avoit pas tant de lettres dans le sens à découvert, comme il y en a dans le sens caché ; mais pour remedier à cela, la derniere lettre du sens à découvert, qui est S, avoit esté redoublée autant de fois que le nombre des chifres surpasse celuy des lettres du sens à découvert, lesquels chifres surpassant jusqu’au nombre de cinq les lettres du sens à découvert, cette mesme lettre S avoit esté multipliée autant de fois, afin de pouvoir avec cette mesme lettre, & les cinq derniers chifres, trouver les dernieres lettres du mot curieux, qui est le dernier du sens caché. Je m’assure que ce qui vient d’estre dit, avec ce qui a déja esté marqué pour les précedentes Lettres, donnera un assez grand éclaircissement pour le déchifrement de celle-cy.

Le Berger des Rives du Tarn.

Lettre dans laquelle un sens parfait est caché sous un autre sens parfait §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 307-317.

Ces sortes de Chifres, quoy que merveilleux entre deux Particuliers qui en ont la Clef, & qui s’en peuvent servir utilement, sont trop dificiles pour le Public, qui non-seulement n’en peut presque jamais trouver le secret, mais qui a besoin d’une trop forte application, quand sur l’éclaircissement qui luy est donné, il veut déchifrer les Lettres qui luy ont esté proposées, la diversité des Alphabets estant une chose qui l’embarasse toûjours. Il est mesme extrémement difficile que les Autheurs de ces Lettres, en changeant ainsi toûjours d’Alphabet, ne se trompent quelquefois dans le juste raport de chaque chifre, & il m’a paru en examinant celle-cy, qu’il y en a quelques-uns manquez. Je pourrois m’estre moy-mesme trompé, en m’embarassant particulierement sur ces mots, plaira l’examiner, & trouvant six chifres au lieu de cinq, plus qu’il n’y a de lettres dans le sens à découvert ; ce qui broüille tout, à cause du changement des Alphabets ; mais enfin il seroit à souhaiter que ceux qui m’ont fait la grace de m’envoyer de Mets, d’Alençon, & d’autres lieux, de ces Chifres difficiles, qu’ils nomment eux-mesmes indéchifrables, voulussent bien se donner la peine d’en inventer d’autres sur un Alphabet unique, afin qu’on eust le plaisir de n’en pas chercher inutilement la Clef, ou que du moins l’explication qu’ils en donneroient fust fort aisée à estre comprise. C’est par là que le nouveau Chifre que je vous envoye est aussi agreable qu’ingénieux. Il est de Mr Miconet de Châlons, qui supose qu’un Receveur écrit ainsi à son Maistre.

Lettre dans laquelle un sens parfait est caché sous un autre sens parfait.

MONSIEUR,

Je me feray toûjours un tres-grand plaisir d’obeïr exactement à tout ce que vous me ferez l’honneur de me commander.

Vous me demandez un compte succint de ce que j’ay reçeu & dépensé pour vous, & suivant vos ordres, l’année derniere. Le voicy aussi court & succint que vous le pouviez souhaiter, puis que pour le rendre tel, je vous rapporte seulement les sommes que j’ay reçeuës, & les noms de ceux de qui je les ay reçeuës, sans vous dire au long pourquoy elles vous sont deuës, vostre Manuel & vos Rentiers vous en instruisant assez.

Premierement, j’ay reçeu de vostre Fermier d’Argenteuil le 11. de Mars 800 l. Plus du mesme le 7. d’Avril 130 l. & encore dudit Fermier le 11. dudit mois 180 l.

Le 26. du mesme mois j’ay reçeu de Milly 18 l. de rente fonciere.

Le 3. de May je reçeus de Grillet 230 l. & 9 sols de cense.

Le 10. je reçeus du Sr de Marigny 10 l. pour censes & rentes.

Le 2. de Juin je reçeus du Sr d’Autricourt 150 l. pour arrerages.

Le 5. je reçeus 32 l. de Dubuisson en déduction de plus.

Plus 28 l. 7 s. de Gallet pour plusieurs années de cense.

Le 21. je reçeus du Sr de Montfort 200 l. pour 8 années de la rente fonciere qu’il vous doit sur sa Maison.

Plus de Guillot 7 s. 4 deniers de cense.

Le 1. de Juillet 150 l. du Sr d’Arson pour arrerages.

Le 11. je reçeus 110 l. du Fermier de Poissy, 160 l. d’arrerages du Sr de Serinville, & 8 s. 2 deniers de cense de Pegilly.

Le 20. je reçeus 90 l. du Sr Jacquet. Plus 10 l. 10 s. 5 den. de Bussilly, & 11 l. 16 s. 5 den. de Carlet.

Le 24. je reçeus de Mr de Roussignac 2700 l. qu’il vous devoit, & luy rendis son Billet.

Le 2. d’Aoust 500 l. 10 s. de Mad. de Gerbigny.

Le 12. je reçeus 200 l. de Mr de la Martiniere, & 20 l. de la Palisse.

Le 13. de Septembre 30 l. de Richard.

Le 8. d’Octobre 9 l. 13 s. du Sr Berger.

Le 26. je reçeus 200 l. du Fermier de Poissy.

Le 3. de Novembre 10 l. de Jannin, & 23 l. 2 s. 1 den. de Bricourt pour censes & rentes.

Le 20. je reçeus encore 90 l. du Fermier de Poissy.

Le 9. Decembre 60 l. 10 s. du Sr Castin en déduction.

Le 23. dudit mois 38 l. 12 s. 3 den. de cense de plusieurs Particuliers.

Le 7. de Janvier de la présente année 1800 l. du Fermier d’Argenteuil, & 7 l. 10 s. de Chauvet.

Le 7. de Fevrier 450 l. du Sr Bouchard.

Et le 9. de Mars 22 l. 18 s. 10 den. du Sr Georget.

Voila, Monsieur, un état fidele & exact de tout ce que j’ay reçeu pour vous ; voicy en suite ce que j’ay fourny & dépensé par vos ordres.

Le 9. de Mars de l’année derniere je fis toucher à Mr vostre Fils 2700 l. par Lettre de change suivant vos ordres du 19. de Fevrier.

Le 6. d’Avril je comptay 200 l. à vostre Tailleur pour un Habit de Drap d’Angleterre qu’il vous avoit envoyé.

Le 31. de May 260 l. au Tailleur de Madame, à laquelle j’envoyay le 9. de Juin les Etoffes, Points & Dentelles contenus en son Memoire, en valeur de 1200 l. avec une Garniture de gris-de-lin de 50 l.

Le 9. de Juillet je vous envoyay 1000 l. par vos ordres du 30. de Juin.

Le 7. de Septembre je comptay 1100 l. à Mr de Gassilly par vos ordres du 16. d’Aoust.

Le 29. de Decembre je donnay à Mr vostre Fils le cadet 390 l. suivant vos ordres sans date.

J’ay encore déboursé 160 l. tant pour les Mercures que pour plusieurs autres Livres nouveaux que j’ay envoyez à Madame suivant ses ordres.

Je vous laisse, Monsieur, le soin de suputer à quoy monte la recepte, & à quoy la dépense, pour reconnoistre si je suis en reste ou non ; & vous prie de continuer à m’honorer de vos commandemens, par la prompte execution desquels je tâcheray toûjours de vous convaincre que je suis, &c.

Cette Lettre contient un Avis secret qu’un Amy, sous le nom d’un Receveur ou d’un Homme d’affaires, donne a un de ses Amis, du dessein que l’on a pris de l’arrester sur les faux raports que ses Ennemis ont fait de luy au Prince. Il n’y a que ces premieres lignes, Je me feray toûjours un tres-grand plaisir d’obeïr exactement à tout ce que vous me ferez l’honneur de me commander, qui cachent l’Avis secret. Tout le reste est inutile, à la reserve des chifres employez dans le Compte suposé, lesquels chifres valent leur valeur ordinaire & naturelle ; c’est à dire que 12 vaut douze, 38 trente-huit, 7 sept, &c. mais tous les zero sont inutiles. Ainsi 20 ne vaut que deux ; 80 ne vaut que huit ; 2700 que vingt-vingt-sept ; 500 que cinq, & ainsi du reste. Il faut excepter le chifre 50, qui vaut effectivement cinquante, & non pas cinq.

[Explication de l’histoire énigmatique]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 317-322.

Le vray Mot de l’Histoire Enigmatique du dernier Extraordinaire, estoit le Neant, ou Rien. Il est le premier principe de toutes choses, puis que tout a esté fait de Rien. Il n’y a guere de mot qu’on répete plus souvent que celuy de Rien. On ne sçauroit expliquer sa nature, qu’en disant que c’est le Neant, c’est à dire un Non-Estre, ou la privation de l’Estre. Il n’y avoit rien avant la création de tout ce grand Espace, ou le Monde a esté fait. Selon les Cartésiens, on ne sçauroit plus trouver de Vuide dans la Nature, (le Vuide est la mesme chose que Rien,) bien que selon les Gassendistes il y ait de petits Vuides presque par tout. Plusieurs Riens ne font jamais qu’un Rien. Les Zero en chifre, qu’on peut appeller ses Cousins germains, n’ont aucune valeur d’eux-mesmes, quoy qu’ils augmentent celle des nombres apres lesquels ils sont mis.

Cette Explication est de Mr de Ville-Chalver, qui a inventé cette Histoire Enigmatique. Mr Bouchet ancien Curé de Nogent le Roy, l’a expliquée sur le Cahos par les Vers qui suivent.

Ce pompeux embarras de la marche des Grands,
Ces Chevaux, ces Mulets, ces Sommiers, ce Bagage,
Ces Pages, ces Laquais, ce Train, cet Equipage,
Cette confusion de Valets diférens ;
***
Cette bruyante ardeur de Gens suivans la Cour,
Qui par leur mouvement excitent la poussiere,
Qui dérobe aux derniers l’obligeante lumiere
Que donnoit aux premiers l’Astre qui fait le jour ;
***
L’impénetrable abysme où se trouvoit le Monde,
Avant que son Autheur par sa vertu féconde
Eust formé ce grand Tout, & mis tout en repos ;
***
Mercure industrieux, tout cela nous indique
Que vostre Histoire Enigmatique
Nous a ramené le Cahos.

Les trois Madrigaux que j’adjoûte icy, sont de Mr de Masseville de Coutance.

Lors que nostre esprit s’applique
Sur cette Histoire Enigmatique,
Comme pour démesler quelque Nœud Gordien,
Il ne se trouve enfin qu’une Ombre phantastique ;
Car la tenant, l’on ne tient Rien.

AUTRE.

C’estoit un vieux Rêveur que défunt Epicure,
Car il ne fut jamais de Vuide en la Nature ;
Il en faut excepter pourtant
Certain agreable Neant
Que l’on trouve dans le Mercure.

LA DISPUTE DES DEVINEURS.

Cette Enigme est l’Amour. Non, c’est la Quintessence.
Vous estes fous tous deux, je pense,
Le sens de l’Enigme est un Chien.
Voicy l’autre qui fait l’Homme d’intelligence.
Ah ! Messieurs, brisons-là, finissons l’entretien.
Il faut rompre le Jeu lors que l’on s’entr’offence ;
Et d’ailleurs à quoy bon tant contester pour Rien ?

Cette mesme Histoire a esté encor expliquée sur le Neant, ou Rien, par Madame de la Tuste & par Mrs Gardien, Blanchard de Chasteauroux, Hutuge d’Orleans, & le Bon Clerc de Châlons sur Saône.

Enigme en prose §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 322-325.

Au lieu d’une nouvelle Histoire de cette nature, je vous envoye une Enigme en Prose, dont Mr de Vienne-Plancy est l’Autheur.

ENIGME EN PROSE.

Je suis François pour la vie ; & suis neantmoins comme les Italiens & les Espagnols, presques toûjours vétu de noir.

Deux principales parties forment mon estre, comme le tien (Lecteur.) L’une est simple ; & l’autre, composée. La simple a quelque chose de commun avec l’Ange ; & la composée a quelque chose des quatre Elémens.

Ne me croy pas de nouvelle & de basse extraction. Je suis né dans un Palais, & sur la Pourpre il y a longtemps ; mais quelque temps qu’il y ait, je ne pense pas que je meure si-tost.

Je ne te dis rien de mon Pere, tu ne le connois peut-estre pas ; il est d’un autre Païs que moy, & bien que je sois plus grand que luy, je ne laisse pas de luy ressembler extrémement. Il n’a pas un trait que je n’aye ; mais à la verité j’en ay qu’il n’a pas.

Ne t’étonne point d’apprendre que je sois de l’un & de l’autre Sexe ; je tiens davantage de l’Homme que de la Femme. Ce qui te surprendra, sans doute, c’est de sçavoir que j’ay trois parties de mon corps faites comme un Monstre ; la teste, le col, & le ventre renversez dans l’estomach, une jambe de Gruë, & une queuë de Renar.

Ne te va pourtant pas imaginer sur cette figure, que je sois une chose fort extraordinaire & fort épouventable, il n’est rien de plus commun que moy.

On me voit en mille endroits, & presque toûjours avec plaisir. J’entre dans la plûpart des conversations galantes du Païs où j’ay pris la naissance, & mon employ est d’y faire connoistre un Pere & une Fille, qui font grand bruit dans le monde.

Il est vray que les petits Enfans me montrent au doigt, & que les jeunes Personnes du beau sexe ne me regardent ordinairement qu’avec émotion ; mais il n’en est pas de mesme des grandes, & des esprits forts.

Que te diray-je davantage, Lecteur ? Comme je donne souvent de l’exercice aux Echos & aux Presses, je me trompe fort si je ne t’en donne aussi un peu à me deviner, quelque habile Devin que tu sois.

[Sur les question de l’Extraordinaire d’Octobre 1680]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 326-336.

Sur la premiere Question de l’Extraordinaire d’Octobre 1680.

Si l’on veut plaisanter sur cette Question, il y aura assez de folies à imaginer ; mais à la traiter sérieusement, l’on n’y pourra trouver qu’une verité, qui est que l’Epouse d’un Mary jaloux sans sujet, est digne de grande compassion, & luy de beaucoup de blâme ; & que réciproquement l’Epoux d’une Femme qui tient une conduite gauche, est bien à plaindre, & elle grandement à blâmer.

SUR LA SECONDE.

Cette mesme pensée sur la diférence de ces deux Aveugles, m’est venuë en écrivant sur la Question, lequel des cinq Sens contribuë le plus à la satisfaction de l’Homme. Il semble d’abord que la perte d’un bien, doive estre beaucoup plus sensible à qui l’a autrefois possedé, que la privation de ce bien, à qui n’en a jamais joüy, & qui mesme ne le connoist pas. Aussi ne ferois-je point de difficulté de fonder mon avis sur ce raisonnement, si l’on suposoit ce défaut de connoissance tellement absolu dans nostre Aveugle né, qu’il n’y eust en luy quoy que ce soit capable d’y reveiller deux mouvemens des plus naturels à l’Homme, par l’un desquels il souhaite toûjours de pouvoir découvrir ce qui luy est caché, & par l’autre, s’il ne desire pas tout-à-fait de s’élever sur tous les autres Hommes, du moins ne peut-il qu’avec peine se reconnoistre leur inférieur, principalement dans les choses qui sont du partage commun de tout le Genre-humain. C’est donc avec justice que dans la présente Question, l’on supose l’âge & l’usage de raison dans ces deux Affligez ; car s’ils estoient l’un & l’autre assez stupides pour ne point faire de réfléxion sur leur état, ils seroient dans une égale indolence, & il n’y auroit point de discution à faire, ou si l’un d’eux seulement estoit de ce caractere obscur, il ne s’agiroit plus de les comparer ; mais en nous les donnant tous deux pour vûs d’un bon entendement, j’estime que celuy qui a vû est moins à plaindre, en ce que s’il n’a plus la faculté de voir par le sens extérieur, au moins il conserve dans le sens intérieur les idées de tout ce qu’il a vû, & par elles une connoissance intellectuele des choses qu’il ne voit plus. Dans cet état qui le laisse maistre d’un trésor, qui ne luy peut estre enlevé que par la mort, ou troublé par le délire, il fait à chaque occasion l’aplication necessaire de ces idées, aux objets qui se présentent à ses autres sens, & qu’il se trouve obligé de démesler, soit pour ses besoins, soit pour ses plaisirs ; & quelque défectuosité qu’il puisse rencontrer dans ce second usage, il ne laisse pas d’en tirer beaucoup de consolation & de soulagement ; mais l’Aveugle né, me paroist dans la plus importune de toutes les indigences, & je le tiens d’autant plus à plaindre que plus il aura de délicatesse d’esprit. Il sentira toûjours qu’il ne connoist pas assez ce qui luy manque pour pouvoir en tirer quelque satisfaction, & qu’il ne le connoist que trop pour en souffrir un chagrin continuel, non seulement de se sçavoir privé d’un si grand bien, & de ne pouvoir jamais en faire la moindre épreuve ; mais encor de se reconnoistre en cela disgracié, & maltraité de la bonne Mere Nature, qui semble n’estre devenuë Marastre que pour luy.

SUR LA TROISIESME.

L’Amour se vante assez qu’il est luy-mesme son propre mérite, sa mesure, & sa récompense. Voulez-vous estre aimé ? Aimez, nous chante-t-il chez les Poëtes ; Cherchez-vous à gagner un cœur ? L’amour se paye par amour, nous fait-il entendre par la voix qui fait les proverbes, je veux dire par la voix commune. Voila en apparence de beaux privileges ; mais qui par malheur pour beaucoup d’Amans, & par bonheur pour quelques autres, souffrent exception en bien des rencontres. Avec ces prétendus avantages, & ces droits ainsi fondez, tandis qu’il marchera seul, & que la bonne fortune ou la vertu ne luy tiendront pas compagnie, il n’avancera guére ses affaires. Ne voyons-nous pas que mesmes chez les sots & chez les foibles, il faut qu’au moins il soit secondé du faux brillant, ou du caprice ? Mais que s’il veut triompher par tout, & principalement aupres des Personnes de cœur, & de bon sens, il ne le peut qu’estant accompagné d’un grand mérite. Helas, disoit un jour la charmante Uranie apres avoir longtemps défendu son cœur, quel moyen de te résister, Amour, pour foible que tu sois, quand tu es soûtenu de probité, de valeur, d’honnesteté, & de bonne grace ? A dire la verité, l’amour dans une Personne de peu de mérite, est comme un feu dans une matiere grossiere & terrestre, qui pour grand qu’il soit, ne donne guére plus de flâme que de fumée ; c’est un or meslé, & chargé de tant de crasse, que pour l’en dégager, la dépense égale presque le profit ; c’est un Diamant qui sera, si vous le voulez, assez épais, mais mal taillé & plein de gendarmes. Au contraire dans une Personne d’un mérite excellent, ce feu qui agit sur une matiere tendre & déliée, rend une flâme claire & nette. Cet or, bien qu’en petite quantité, est un or tout épuré & prest à mettre en œuvre ; ce Diamant qui ne sera que d’un poids & d’un volume médiocres, est neantmoins si bien taillé, si fin, & si brillant, qu’il ne manquera pas de faire honneur à une belle main qui s’en voudra parer. Je conseille donc à la Dame qui se trouve pressée de se déterminer, de ne point balancer en son choix, & de preferer pour sa gloire, & pour sa plus grande satisfaction, la Personne en qui se rencontre un grand mérite avec moins de tendresse, à l’Homme d’un mérite mince, avec son gros amour. Et ne peut-il pas en effet estre si gros cet amour, qu’il ne pourra plus croistre, & qu’à la continuë il deviendra pesant, s’endormira à toute heure, & ne sera plus bon à rien ? Là où nous avons sujet d’esperer que nostre petit amour estant bien traité, croîtra avec le temps, que se sentant un Enfant de bonne maison, il sera toûjours galant, civil, complaisant, & ne fera point rougir nostre Belle, pourvû qu’elle ne le néglige pas. Car enfin, quoy qu’assurément l’amour, à parler en general, soit un bon Etuviste & fort propre à décrasser ceux qui luy passent par les mains, l’expérience neantmoins nous fait voir qu’il est bien plus aisé à une belle Personne, doüée d’ailleurs de grandes qualitez, de donner de l’amour à un galant Homme, que de faire venir du mérite à celuy qui n’a point encor sçeu en faire une bonne provision.

Fiction sur l’Origine des Bagues §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 336-350.

Fiction sur l’Origine des Bagues.
A MADAME ***

Puis que ce n’est pas la verité de l’origine des Bagues que vous voulez sçavoir, mais seulement une Fable que vous demandez sur ce sujet, & encor une Fable d’invention, je ne vous diray rien de tout ce qui s’en voit chez les Autheurs, non plus que de Prométhée dont la Statuë ayant un Anneau de fer au doigt, en memoire de celuy dont il fut attaché sur le Mont Caucase, a donné lieu à l’usage des Bagues dont se servirent premierement les Roys, puis les Senateurs, en suite les Chevaliers, & enfin les Personnes de toutes conditions indiféremment, à la réserve des Esclaves à qui cet ornement fut longtemps défendu, peut-estre parce que les Anneaux de leurs Chaînes n’estoient que trop suffisans pour les charger. Ce que je vay vous dire icy, ne se trouve point ailleurs, & je l’ay tiré d’un vieux Manuscrit que m’a communiqué un Grec qui se dit estre né en Cypre.

Cette Isle si renommée où la Mere des Amours aborda peu de temps apres celuy de sa naissance, fut toûjours depuis son plus ordinaire sejour en Terre, lors qu’elle s’y venoit délasser de la pompe du Ciel. C’est là que plus qu’en aucun autre lieu du Monde, elle se plaisoit à recevoir des offrandes & des adorations. Ce fut aussi dans cette Isle bienheureuse, qu’apres avoir remporté en Phrigie le Prix de la Beauté sur les deux Déesses ses concurrentes, elle voulut en perpétuer la mémoire par une Feste annuelle, dont elle daigna bien prescrire elle-mesme les circonstances. Voicy une partie du détail de ce qui s’y observoit pour satisfaire à ses ordres. Pendant toute une année, les Prestres & les Prestresses de son superbe Temple de Paphos, faisoient faire par toute l’Isle la recherche de ce qu’il y avoit de plus beau entre les Belles, dont le temps de l’Himenée estoit proche. De ce nombre l’on en tiroit les trois, dont la beauté se trouvoit surpasser sans contestation celle de toutes les autres ; & le jour destiné à la Cerémonie estant venu, elles estoient amenées au Parvis de ce Temple magnifique. Là, pendant que se tenant debout elles faisoient leurs Vœux & leurs Prieres à la Déesse, devant son Image qui estoit encor plus belle, & plus parfaite, que la Vénus Eléphantine que vous voyez dans Philostrate ; Les mesmes Ministres de cette Divinité postez dans une espece de Tribune peu élevée, & qui estoit à une distance raisonnable, s’appliquoient à examiner soigneusement de l’œil, tout ce que dans ces trois belles Personnes ils pouvoient remarquer s’éloigner, ou approcher le plus de la perfection ; & apres en avoir conferé ensemble, ils rendoient leur jugement en faveur de celle qui avoit esté trouvée la plus belle. Dans ce conseil on donnoit entrée à trois Amans, pris du nombre de ceux qui s’estoient déclarez pour chacune de ces belles Filles ; & comme il estoit toûjours tres-grand, l’empressement à se présenter l’estoit aussi ; mais le sort décidoit entr’eux de cet avantage. Ils n’avoient point de voix délibérative dans cette Assemblée, mais seulement la liberté de faire remarquer tout ce qui relevoit la beauté de leurs Maistresses ; il est à croire que la Déesse avoit eu ses raisons pour l’ordonner de la sorte. Lors que le jugement estoit rendu, ces trois belles Personnes sans en sçavoir le résultat, estoient mises chacune séparément dans quelques Chambres des Prestresses ; & les deux qui n’avoient pas eu le mesme avantage, avoient au moins celuy d’estre magnifiquement conduites à deux autres Temples des plus celebres de l’Isle, pour y recevoir de grands honneurs. La Déesse qui est la douceur mesme, & l’ennemie de tout chagrin, en avoit ainsi disposé, afin qu’au jour de sa plus grande Feste toutes ces trois Personnes qui y avoient fait une figure si considérable pour son service, eussent sujet de se loüer de ses bontez. A l’égard de celle qui avoit obtenu la preference, elle passoit le reste du jour dans le Temple à faire conjointement avec la Grand’Prestresse les fonctions de cette Charge, & apres en avoir reçeu la Couronne, & la Pomme, qui avoient servy à l’Image depuis la derniere Feste, la Belle estoit remenée avec pompe à sa demeure ordinaire, où elle apportoit avec ces glorieuses marques un honneur éternel pour toute sa Maison. Ce beau jour estant donc venu, au temps que Doralise, & deux autres Nimphes, furent choisies comme les trois plus belles de toute l’Isle, Philemon qui estoit éperduëment amoureux de Doralise, ne manqua pas de se présenter à la Tribune, & il eut en effet le sort favorable pour y estre admis à soûtenir les interests de l’Objet de sa passion. Ce ne fut pas sans beaucoup de joye, non plus que sans beaucoup d’inquiétude, qu’il vit souvent les Juges incliner en faveur de cette Belle, & quelquefois aussi s’arrester trop à son gré à quelques petits scrupules, que comme vous pouvez bien penser, il traitoit en son ame d’absurdes & de frivoles. Il estoit dans cette agitation, lors que, soit apres une réfléxion assez digerée, soit par un pur effet d’une amoureuse témerité, il proposa un expédient qui de quelque part qu’il luy fut inspiré, eut tout le succés qu’il en pouvoit attendre. Hé, sacrez Ministres, leur dit-il, comment pouvez-vous balancer un moment avec de si bons yeux, & à la veuë de cette Image de nostre celeste Souveraine ? Ne voyez-vous pas qu’entre cette Figure, & Doralise, il n’y a point d’autre diférence, sinon que l’une est une Copie inanimée de nostre divine Cipris, & que l’autre en est une vivante & si parfaite, que l’on pourroit la prendre pour l’Original ? Considerez, considerez, je vous prie, dans l’une, & dans l’autre, l’égalité de la taille, les mesmes traits de visage, la mesme beauté du col & de la gorge, la mesme proportion & le mesme tour de leurs beaux bras, & de leurs belles mains ; approchez l’une de l’autre, mesurez & voyez si je vous en impose. Alors la Prestresse qui présidoit à ce Conseil, & tout le reste des Juges, donnerent loüange à l’Amour qui avoit inspiré un moyen si propre à les déterminer. L’on fit avancer Doralise, & ses deux Compagnes, & à la faveur de certains Joncs qui se trouvent d’une beauté singuliere en cet endroit, l’on fit sur chacune des trois l’expérience des belles proportions de cette Image sacrée, & leur rapport ne se trouvant parfait qu’en Doralise, le Prix de la Beauté luy fut adjugé ; mais le jugement n’en fut prononcé que peu de temps apres qu’on les eut fait retirer au Temple. Doralise reçeut avec de grands applaudissemens les honneurs attribuez à cet avantage ; & de plus la Prestresse en luy mettant la Couronne sur la teste, & la Pomme à la main, luy fit présent des Joncs qui avoient servy à décider de sa gloire. Elle l’exhorta mesme à en porter doresnavant quelques-uns sur sa Personne, pour servir de marques éclatantes des graces qu’elle avoit reçeuës de la Déesse. Je vous laisse à penser, Madame, si la Belle fut fâchée de trouver dans un commandement de cette autorité, un si légitime prétexte à son ambition, & un si favorable moyen de sauver l’amour propre à l’ombre de la religion & de l’obeïssance. Elle se mit au col, & aux bras, les Joncs qui avoient servy à en faire la comparaison ; & dans le dessein que sa tendresse aussibien que sa reconnoissance luy firent prendre, de rendre bien-tost Philemon heureux, elle voulut recevoir de luy à l’un de ses doigts, un des Joncs qui en avoient marqué le beau tour. Philemon luy mit à celuy des doigts, qui depuis en a esté apellé l’Annulaire, le mesme Jonc qui y avoit esté appliqué ; il crût l’avoir fait au hazard, comme il l’avoit fait sans choix, mais il en fut desabusé, & reconnut bien que l’Amour s’estoit encor meslé de cette avanture, quand il eut appris que ce doigt a une correspondance particuliere avec le cœur, siege de la joye & de l’amour. Ce fut entre ces deux aimables Personnes le gage de leur foy mutuelle ; les autres Amans les imiterent en cet usage, qui s’est rendu commun aux deux Sexes, & qui a passé à toute sorte de Personnes ; & quoy que ces Anneaux ayent changé de matiere, ils n’ont point changé de nom, & on les apelle encor aujourd’huy des Joncs lors qu’ils sont simples, & plus conformes à leur premier état. Dans la suite des temps, l’art, le luxe, & la politesse, ont beaucoup ajoûté à l’invention ; on les fait des plus riches métaux ; on y joint les Portraits des Personnes les plus chéries ; on y grave des Chifres ingénieux, propres ou à garder le secret des choses que l’on y veut tenir cachée, ou à autoriser l’execution des volontez que l’on veut estre connuës ; enfin on les charge de Pierres les plus prétieuses ; & le symbole de la bonne foy, est presque toûjours comme dés son commencement un instrument de la vanité. Vous ne me demandiez, Madame, que l’origine des Bagues, me blâmerez-vous de vous y avoir aussi fait trouver celle des Coliers, & des Bracelets ? J’ay crû n’en devoir point faire à deux fois, & que vous auriez assez d’indulgence pour ce petit excés, en faveur du panchant que vous avez pour les Fables. Hélas que n’en avez-vous un peu pour de certaines veritez que l’on pourroit vous dire, ce me semble, avec autant de respect, mais tout d’un autre air que celle par où je finis à la maniere ordinaire, en vous assurant que je suis plus que personne, &c.

Gardien.

[Explications en vers des énigmes précédentes]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 350-381.

Je vous manday la derniere fois que les vrays Mots des deux Enigmes en Vers, proposées dans ma Lettre de Fevrier, estoient les Cordes d’un Instrument de Musique & la Bourse. Il me reste à vous envoyer les noms de ceux qui les ont trouvez. Les Madrigaux que vous allez voir, vous en apprendront une partie.

I.

L’Enigme des Sœurs est bizarre,
A la chercher j’ay perdu mon Latin ;
Et s’il se faut pendre à la fin,
Je prends des Cordes de Guitarre.

Le Comte d’Orbref.

II.

Mercure est un esprit subtil,
Des nouveautez il est la source,
Homme galant, & si civil,
Qu’il offre à tout Paris sa Bourse.

Le mesme.

III.

Mercure en diverses façons
Sur les Cordes d’un Luth frédonnoit à merveille ;
Mais le Drôle avec ses Chansons
Cherchoit plus à toucher la Bourse que l’oreille.

L’Abbé du Four, Grand Archidiacre de Troyes en Champagne.

IV.

Ma Guitarre estoit démontée,
Mercure, depuis quatre mois ;
Mais de vos Cordes rajustée,
J’en ay déja joüé deux fois.

Mad. de Vieillevigne, de Mirebeau.

V.

Mercure est un galant Autheur,
Des Arts il possede la source ;
Mais s’il nous enchante le cœur,
C’est pour nous mieux couper la Bourse.

M. la Marquise des Barrieres.

VI.

La Belle Henriete de Dreux,
Qui ne veut pas par modestie
Qu’on sçache qu’un Esprit heureux
Fait d’elle une bonne partie,
Trouve pourtant toûjours le sens
De chaque Enigme que propose
Le Mercure depuis trois ans,
Sans en dire la moindre chose.
Certain Amy, moins chery d’elle
Qu’il ne l’aime & ne la cherit,
Dans son impatience a dit
Qu’il ne pouvoit voir que la Belle
Eust en partage tant d’esprit,
Sans en apprendre la nouvelle.
Il veut donc qu’on sçache par tout,
Avec le secours du Mercure,
Comme Henriete vient à bout
De l’Enigme la plus obscure,
Et qu’elle a trouvé cette fois
De celles du précedent Mois
L’explication dans leur source,
Celle de l’une justement
Dans les Cordes d’un Instrument,
Celle de l’autre dans sa Bourse.

La Belle Henriete de Dreux.

VII.

Si vous avez bien pû Philis, vous faire aimer
Avec des Instrumens qui sont tous en discordes,
Vous devez espérer de pouvoir tout charmer,
Lors que de vostre Luth vous changerez les Cordes.

Griffon Conseiller au Siege Présidial de la Rochelle.

VIII.

Cher Mercure, ne pleure pas,
De ma Maison j’ay pris la course,
Pour te dire chez toy tout-bas
Que je viens de trouver ta Bourse.

Mad. Chailleu, de la Ruë de la Harpe.

IX.

Le monde n’est guere obligeant,
Je n’ay presque plus de resource
Depuis que je manque d’argent ;
Mercure, il faut rendre la Bourse.

La mesme.

X.

Jadis d’une maniere honneste
Du vigilant Argus vous coupastes la teste,
Au son du Flageollet endormant ses cent yeux.
Pour moy, je n’en ay rien que deux,
Mais gardons-les de pareille avanture.
Quand vous faites sonner si haut le doux murmure
 Des Cordes de vostre Instrument,
Seroit-ce point, Seigneur Mercure,
Pour couper ma Bourse endormant ?

La Jeune Acidalie de Troyes.

XI.

Je suis Dave, & non point Œdipe ;
Si pourtant mon esprit ne me jouë & me pipe,
Je crois avoir atteint au but,
En disant que le Mot est les Cordes d’un Luth.

Leon de la Bruslerie de Châlons en Champagne.

XII.

Mercure, en se joüant, donne de bons avis,
Et certes s’ils ne sont suivis,
Quelle peut estre la resource
De tout Homme qui perd son argent & sa Bourse ?

Le mesme.

XIII.

Si j’ay bien expliqué la Bassete & nostre On,
Sans estre ny Sorcier, ny sorty de la source,
Je puis de ces deux-cy vous dire encor le nom,
Ce sont Cordes de Luth, j’en répons, & la Bourse.

L’Abbé Arnault, Chanoine de Blois.

XIV.

Ah qu’il est dangereux
De vous voir & de vous entendre,
Car pour peu qu’on soit tendre
On ne peut s’en défendre,
Il faut estre amoureux.
En vous voyant, Philis, mon cœur s’enflâme,
Vos traits ne manquent pas de fraper à ce but,
Et quand je vous entends, vous enlevez mon ame,
En pinçant doucement les Cordes de ce Luth.

Allard, de Pontoise.

XV.

S’il est un Dieu Mercure au nombre des Filoux,
Qui dessus nostre argent adresse tous ses coups
Pour nous l’enlever sans resource,
On doit haïr cet Insolent ;
Mais pour le Mercure Galant,
Il ne prend que le cœur, & nous laisse la Bourse.

Le mesme.

XVI.

Craignez, tremblez, Filoux,
Mercure sans resource,
Pour vous détruire tous,
Donne les Cordes & la Bourse.

E. Foyneau, Souchantre de la Cathédrale de Vennes.

XVII.

J’avois longtemps rêvé sur ces Sœurs déguisées,
Et toutes mes pensées
Ne découvroient rien qui me plût,
Quand par une rencontre heureuse
Je les vis dans les mains d’une Dame amoureuse,
Qui charmoit ses ennuis sur les Cordes d’un Luth.

De Monpellier.

XVIII.

Ton imposture,
Galant Mercure,
Sçeut jadis duper les plus fins ;
Mais en vain aujourd’huy tu caches tes larcins,
On voit la Bourse à ta ceinture.

Le mesme.

XIX.

Qu’avez-vous là, Seigneur Mercure ?
Ce n’est pas pour vous faire injure,
Et je ne prétens pas vous accuser de rien ;
Mais ce que vous cachez si bien,
Avoüez-le, n’est-ce pas une Bourse ?
Vous ne fistes jamais de course,
Sans y joüer adroitement des doigts.
Vous souvient-il comme autrefois
Au pauvre Apollon, sans rien dire,
Vous aviez excroqué la Lire ?
Franchement, c’est hazard s’il n’est encor dupé,
Car j’ay peur que sans dire garre,
D’une subtile main vous n’ayez attrapé
Les Cordes de son Luth, ou bien de sa Guitarre.

La Belle Arthenice de Troyes.

XX.

Ah parbleu, la chose est bizarre,
Et Mercure est assez plaisant ;
Des Cordes me manquoient pour monter ma Guitarre,
  Il m’en a fait présent.

XXI.

L’on dit qu’on a volé Mercure,
Luy qui faisoit de si bons coups.
C’est estre subtil, je vous jure,
Que d’avoir pris la Bourse au Maistre des Filoux.

XXII.

Au Jeu ce Carnaval j’ay perdu mon argent,
Je suis au desespoir de me voir sans resource,
De mes plus chers Amis j’ay fait tarir la source,
Tous ceux qui m’ont presté, refusent à présent.
Mercure seul ce Mois me fait don d’une Bourse,
Mais las, pour mon malheur, elle est pleine de vent.
Sont-ce-là pour un Dieu les biens que tu m’accordes ?
Tu fis changer Argus, calme du moins mes sens
Par le son de ta Flute, ou d’autres Instrumens,
Car je n’ay pas le sol pour acheter des Cordes.

L’Albaniste de Roüen.

XXIII.

Apres avoir longtemps rêvé,
Mercure, je n’ay rien trouvé
Que les Cordes d’une Guitarre,
Dont le destin soit si bizarre.

L’Inconnu, d’Argenton-Chasteau.

XXIV.

Au Voleur, au Voleur, arreste, arreste, arreste,
Mercure a pris ma Bourse, helas ! ç’en est donc fait ;
Car quand il a volé, joyeux & satisfait,
Il s’envole bien-haut avec sa conqueste.

Formentin, d’Abbeville.

XXV.

Que chacun à son gré bornant tous ses desirs,
D’une Flute ou d’un Luth se fasse cent plaisirs,
Que toûjours pres d’Iris un Amant plein de vie
Aime à se voir mourir, en dépit de l’envie,
Je le croy bien ;
Mais que d’un tendre Objet le dangereux retour
Ait seul dequoy remplir le cœur le plus bizarre,
Et qu’une pleine Bourse, aussi-bien qu’à l’amour,
Ne donne l’agrément aux Cordes de Guitarre,
Je n’en croy rien.

L’Inconnu de la Belle Mad de Mions de Poitiers.

XXVI.

Ces Sœurs qui parlent & qui chantent,
Ces Sœurs dont les accords nous semblent si charmans,
Et qui sans cesse nous enchantent,
Ne sont que Cordes d’Instrumens.

Plinauts, de Roüen.

XXVII.

Mercure, je suis sans resource,
Car j’ay perdu tout mon argent.
Que peut donc me servir ta Bourse,
Si ce n’est pour mettre du vent ?

Le mesme.

XXVIII.

Plus les Guitarres sont légeres,
Mieux en fait-on sonner les Cordes, dites-vous.
Helas ! mon sort seroit bien doux !
Loin d’envier le bonheur de mes Freres,
Et de les voir d’un œil jaloux,
Si la legereté faisoit valoir ma Bourse,
Je verrois à mes maux une prompte resource,
Et je m’estimerois le plus heureux de tous.

Caudron, d’Abbeville.

XXIX.

Je ne sçay, Mercure Galant,
Si j’ay trouvé le Mot de ta premiere Enigme ;
Mais plus j’y pense, plus j’estime,
Que ces Sœurs que tu dis parler diféremment,
Sont les Cordes d’un Instrument.

Le Secretaire bien nourry, demeurant à Tournay.

XXX.

Pour la premiere fois que je me trouve en course,
Je pourrois bien estre Devin ;
Mercure, mon Amy, pourquoy faire le fin ?
Vostre seconde Enigme a bien l’air d’une Bourse.

Le mesme.

XXXI.

Mercure, sans ouvrir sa Bourse,
Veut trouver des Cordes de Luth ;
Je ne connois rien à son but,
Il a toûjours quelque resource.

Durand le Cadet, de Rhetel en Champagne, Avocat en Parlement.

XXXII.

Quelles sont donc ces Sœurs qui sont toûjours ensemble,
Sans que pas-une se ressemble ?
Ah, je croy les sçavoir, ces Sœurs assurément
Sont les Cordes d’un Instrument.

Le Soleil du Quartier S. Mederic.

XXXIII.

Estant au Palais l’autre jour,
Je sentis une main qui me joüoit un tour.
Sur les pas du Voleur je pris soudain ma course,
Mais il sçeut disparoistre ; ainsi n’en pouvant plus,
Je retournois chez moy, triste, interdit, confus,
Quand Mercure obligeant me vint rendre ma Bourse.

Le mesme.

XXXIV.

Au Voleur au Voleur, Amis, songez à vous ;
Tandis qu’au son des Cordes de Guitarre
Vous vous laissez charmer par quelque ton bizarre,
Ah, vous ne voyez pas l’adresse des Filoux ;
Mais ç’en est fait, le mal est sans resource ;
Mercure adroit & diligent,
A déja pris tout vostre argent,
Et pour vous consoler, il vous laisse la Bourse.

Le Solitaire de la Ruë des Arcis.

XXXV.

Comme on a toûjours dit que les Cordes d’un Luth
Charment par leurs accords les cœurs les plus severes,
Je cherche par le mien, pour finir mes miseres,
A vous charmer, Philis ; c’est mon unique but.

Le Chevalier Solitaire de Rennes.

XXXVI.

Ma foy, Mercure est bien galant,
Et fait de tres-bons coups quand il est en sa course.
Rusé comme un Renard, & fier comme un Roland,
Il surprend les Passans, & leur oste la Bourse.

Boetard, Physicien à Roüen.

XXXVII.

Ce nom de Galant oubliez,
Mercure, ou vous justifiez.
En venir à la piperie,
C’est passer la galanterie.
Vous discourez fort plaisamment
Sur les Cordes d’un Instrument,
En nous contant leur origine ;
Mais nostre Muse est assez fine
Pour penétrer vostre dessein,
Et reconnoistre l’assassin
Du pauvre Argus, car c’est vous-mesme
Qui voulez nous duper de mesme.
Comme à luy vous nous en contez,
Mais on sçait vos subtilitez.
Oüy, vous en voulez à la source
De nostre vie, & c’est la Bourse.

L’Amant malgré luy, Medecin de Montpellier.

XXXVIII.

Ce n’est point une chose rare,
Que Mercure toûjours galant,
Pour nous montrer en tout son merveilleux talent,
Se mesle de toucher des Cordes de Guitarre.

Le Chaste Amant de Poitiers.

XXXIX.

Vous estes, Mercure, un Voleur,
Car chaque Mois à grande course
Vous venez nous couper la Bourse ;
Mais qui n’y seroit pris, agreable Trompeur ?

Le mesme.

XL.

Quiconque a pû trouver & la Bassete & l’On,
L’une défunte, & l’autre un Estre de raison,
Pourroit sans une longue course,
Trouver Cordes de Luth, & Bourse.

Le Nouveau Bourgeois de la Rochelle.

XLI.

Quand vostre voix, Philis, & vostre belle main,
S’exercent sur le Clavessin,
Vous pourriez émouvoir les Souches.
Je me sens enchanté des merveilleux accords
Dont vous faites parler ces diférentes Touches
Par tant d’invisibles ressorts.
Ces Touches sont les Sœurs que le Galant Mercure
Cache si finement sous l’Enigme du Mois ;
Aussi crois-je, Philis, que la premiere fois
Vous en retirastes vos doigts,
De peur de les gaster d’une sale peinture.
Au reste, du vivant du pauvre feu Corbeau,
Qui de ces doux ressorts est & l’Ame & le Pere,
Ces Plumes n’estoient que misere ;
Maintenant leur sort est plus beau,
D’animer sur un Air nouveau
Et les doigts & la voix d’une Beauté si fiere.

L’Amant Inconnu de la Belle Philis de Roüen.

XLII.

Ton corps n’a que la peau, quoy que sans os, sans chair ;
L’on te met aux liens pour te tenir Esclave.
Si par la soye & l’or on te veut rendre brave,
On prend grand soin de te cacher.
Comment donc te trouver, si Mercure sans cesse,
Et les siens avec leur souplesse,
A peine peuvent t’aprocher ?
Mais on ne manque point d’adresse,
Et l’on te possede soudain,
Quand on a la Bourse à la main.

Chontar de Châlons en Champagne.

XLIII.

Mercure, vous courez trop loin,
Et prenez trop de peine à chercher en un coin,
Par vostre adresse naturelle,
Quelque Bourse à couper sans bruit.
Le Mercure Galant en porte une assez belle,
Prenez, il la donne avec fruit.

I. Olivier des Cholets.

XLIV.

Mercure a bien des agrémens,
C’est toûjours Musique nouvelle.
Il a chez luy pour divertir sa Belle.
Des Cordes à monter les plus doux Instrumens.

L’Amant de la Belle Cousine à Madame Estor.

XLV.

Faut-il que je sois sans resource ;
Et quand le Jeu me rend sec, indigent,
Faut-il que j’attrape une Bourse
Où je ne trouve point d’argent ?

Le mesme.

XLVI.

Agreable plaisir, d’enfermer en sa Bourse
Les Croix, les Fleurs de Lys, les Portraits de nos Roys !
Si l’or me rend content, sans offencer les Loix,
Je m’en puis desirer une éternelle Source.
***
Mon ame s’abandonne à de tristes transports,
Lors que ma Bource perd sa tumeur ordinaire ;
Et si le tout est pris par un coup mercenaire,
Je ne souhaite plus que le bonheur des Morts.

Guipin, de Rennes.

XLVII.

Tu touches, cher Amy, si délicatement
Les Cordes tour-à-tour de ce bel Instrument,
Que je trouve, en perdant, une douce resource
Contre le Sort fatal qui m’a vuidé la Bourse.

K.R. de la Ruë de Bouret à Morlaix.

XLVIII.

Filoux, tous vos détours sont vains,
Je sçay vos ruses, vos desseins,
Et me ris de tous vos mysteres.
Ma Bourse estant vuide d’argent,
Je saute devant le Sergent,
Et pour vous, je ne vous crains guéres.

De la Croix de Beauregard, de Tours.

XLIX.

C’est tres-bien deviner, agreable Silvie,
Je n’ay jamais veu de ma vie
Fraper si justement au but,
Que donner dés l’abord sur les Cordes d’un Luth.

Alcidor, du Havre de Grace.

L.

Il faut pour deviner cette Enigme seconde,
Une connoissance profonde ;
Autrement c’est n’avoir rien fait.
Je vous le dis tout franc, je vous vois sans resource,
Si vous ne trouvez dans la Bourse
Ce mot tant recherché dont l’ame est au Buffet.

Le mesme.

LI.

Agreable Mercure, est-il rien sous les Cieux
Si délicat que vous, & si judicieux,
Soit dans tous vos recits, soit en contant fleurete ?
Vous nous avez montré le Jeu de la Bassete,
Et par un noble soin qu’on ne peut trop loüer,
Vous donnez une Bourse à qui vent y joüer.

Gon, d’Amiens.

LII.

Que de tristesse & de chagrin,
Lors que je vois ma Bourse !
Mais par un changement soudain,
Que je ris, quoy que plus timide,
Quand je luy vois le ventre plein !

L’Inconnu d’Argenton-Chasteau.

LIII.

Veut-on des tours adroits ? Mercure en est la source,
Bien fin est qui se peut défendre de sa main.
Tel échape aujourd’huy, qu’il attrape demain ;
Prenez donc garde à vous, il en veut à la Bourse.

L’Abbé de Dommartin en Artois.

LIV.

Mercure à tenir la Bassete,
A fait, dit-on, un grand profit.
Il est adroit, & plein d’esprit,
A rendre une Bourse fort nete.

L’Amant de la petite Incrédule de la Ruë des Chanoines à Vennes.

LV.

Mercure, (qui le pourroit croire ?)
Au milieu de toute la gloire,
Dont l’appuy des beaux Arts le fait par tout joüir,
Fait encor un Mestier infame dans sa course.
Quand on croit avec luy pouvoir se réjoüir,
On l’entend tout-à-coup qui demande la Bourse.

F. Ha… du Mesnil, de Chambrois en Normandie.

LVI.

Mercure, qui jamais n’a manqué de resource,
En tout ce qu’il fait a son but.
Pour attirer les Gens, & leur couper la Bourse,
Il se sert de Cordes de Luth.

Le Solitaire de la Place de Sorbonne.

LVII.

Mercure avec délicatesse
Touche les Cordes de son Luth ;
Et si le Galant a pour but
De fléchir, de gagner le cœur de sa Maistresse,
Par ces doux & charmans accords,
Il y réüssira, j’en répons corps pour corps.

Le Rat du Parnasse, du Cloistre S. Mederic.

LVIII.

L’autre jour il me prit certaine fantaisie
D’aller me divertir à voir la Comédie.
J’y fus, & me trouvay pres d’un fat de Marquis,
Qui m’entretint de beaux Esprits,
De Vers, de Prose, d’Ecriture.
En suite il parla du Mercure,
Et me dit qu’il s’estoit longtemps rongé les doigts
Pour tâcher d’expliquer l’Enigme de ce Mois ;
Mais qu’il se trouvoit sans resource.
Flautin qui l’écoutoit, luy dit fort plaisamment,
Monsignor, Monsignor, donnez-moy vostre Bourse,
Je vais vous l’expliquer, & tout présentement.
Le Fat trouvant son Mot, dit, par bien, que je meure,
Je veux reconnoistre sur l’heure
Le grand plaisir que tu me fais ;
Mais il fut quitte à peu de frais,
Car un peu de Tabac de Rome
Fut le rare présent que fit-ce galant Homme
Au pauvre malheureux Flautin,
Lequel riant tout-bas, le traitoit de Faquin.

Le mesme.

LIX.

Ces Enigmes, Seigneur Mercure,
Les deux en Vers, l’autre en Figure,
Nous marquent par un tour adroit
Vostre conduite en nostre endroit.
Oüy, ces Cordes de Luth, simbole d’Eloquence,
Et cette Bource, & ces Cizeaux,
A vous dire ce que j’en pense,
Nous déclarent assez qu’avec vos Airs nouveaux,
Et tout ce qui nous vient de vostre riche Source,
Probléme, Prose, Vers, Histoire, Fiction,
Vous avez sçeu trouver, pour nous couper la Bourse,
Un galante invention.

Gardien.

LX.

De Mercure évitez l’esprit ingénieux,
Sous ses plus belles Fleurs est un Serpent qu’il cache ;
D’Argus, avec sa Flûte, il n’endormit les yeux,
Que pour luy dérober sa Vache.
Ce Voleur sçait si bien parvenir à son but,
Qu’il ne manque point de resource ;
S’il touche pres de vous les Cordes de son Lut,
Gardez que les Cizeaux n’atteignent vostre Bourse.

La Blondine Guerin de Provins.

LXI.

Mille beautez, Mercure, en vos descriptions,
Emeraudes, Rubis, sans compter l’Escarboucle,
Rose de Diamans, Enseigne, Aigrete, Boucle,
Veste d’or, riche Point avec profusion.
***
L’on y trouve de plus d’innocentes Cometes ;
Ces Œufs mistérieux, prodiges inoüis,
Marquant de celle-là qui s’est jointe aux Planetes,
Qu’elle vient publier la grandeur de LOUIS.
***
Rome a produit ces Œufs, cette Ville choisie,
Ce Centre universel de la Religion,
Contre lequel jamais plus de rebellion,
Puis que LOUIS détruit en tout lieu l’Herésie.
***
Tels Exploits pour le Ciel ravissent le Bon Clerc,
Ils ne sont pas de ceux qui ressentent la Corde,
Comme Bourse, Cizeaux, Cordes à fraper l’air,
Il n’est que de grands maux qu’à ceux-cy l’on accorde.

Le Bon Clerc de Châlons sur Saône.

[Explication de l’énigme en figure de février]* §

Extraordinaire du Mercure galant, quartier de janvier 1681 (tome XIII), p. 381-382.

Vous remarquerez, Madame, que les trois dernieres de ces Explications renferment avec les vrais Mots des deux Enigmes en Vers, celuy de l’Enigme en Figure de Fevrier, dont je ne vous ay encor rien dit. Ce sont les Cizeaux. Les deux Anneaux au bout desquels sont les Taillans, s’y voyent représentez par les deux Geans armez de Coutelas ; & le petit Cloud qui les arreste, est le Nain qui se jette sur les gardes de ces Coutelas. Ce que l’on peut observer en cette Enigme, outre sa simplicité, c’est qu’encore que la figure de la chose signifiée y soit presque à découvert, elle n’en est pas pour cela plus aisée à expliquer.