1681

Mercure galant, juin 1681 [tome 6].

2017
Source : Mercure galant, juin 1681 [tome 6].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, juin 1681 [tome 6]. §

[Procession faite à Versailles le jour de la Feste-Dieu, avec la description du Reposoir] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 3-11.

Vous vous souvenez, Madame, de plusieurs Articles, qui en diférentes occasions vous ont fait connoistre la pieté de ce Grand Monarque. Elle a paru de nouveau avec éclat, par les Malades qu’il toucha le jour de la Pentecoste, apres avoir fait ses devotions, & par les marques de soûmission & de respect qu’il donna à Dieu publiquement le Jeudy 5. de ce mois, jour de la Feste du plus auguste de tous nos Mysteres. Vous sçavez quelle est la solemnité des Processions qui se font par tout pour la celébrer. Celle de Versailles estant preste à sortir de la Paroisse qui est dans la Ville neuve, Sa Majesté s’y rendit pour l’accompagner, suivie de toute la Cour, qui estoit nombreuse & magnifique. Tous les Pages de la Chambre, avec ceux de la Grande & Petite Ecurie, les Cent Suisses, & les Gardes du Corps, portoient chacun un Flambeau de cire blanche. On en compta pres de mille. Les Pages du Roy sont en si grand nombre, qu’on ne doit point s’étonner de celuy que je vous marque. Les Peres de la Mission, les Recolets, & les Aumôniers de toute la Maison Royale, assisterent à cette Procession, qui passa devant la Pompe, & s’y arresta. Mr Denys, Fontenier de Sa Majesté, avoit pris le soin d’y faire dresser un Reposoir d’une façon extraordinaire. C’estoit une Feüillée toute remplie de Cascades d’eau, & de Rocailles. La Procession passa de là dans l’Avantcourt du Chasteau, & en suite dans la Court, toutes deux tenduës des plus belles Tapisseries de la Couronne. Tous les Balcons & toutes les Fenestres, jusqu’au comble du Chasteau, estoient parez de Tapis de Perse à fonds d’or & d’argent. On avoit placé le Reposoir au bas du grand & magnifique Escalier dont je vous ay parlé plusieurs fois. Il est d’une forme qui fournit dequoy faire quelque chose de tres-somptueux dans les rencontres de cette nature, sans qu’il y faille adjoûter beaucoup d’embellissemens. Aussi n’y employa-t-on que ce que demandoit l’ordre de cet Escalier. De grands Vases d’argent, remplis de Plantes de Fleurs, avoient esté mis sur les Piédestaux de marbre qui accompagnent les Balustres de bronze doré. On en avoit posé de semblables sur les Corniches & aux autres endroits où de pareils ornemens pouvoient convenir. L’Autel estoit sur la premiere hauteur du Degré, vis-à-vis de la Fontaine. Un Parement de Drap d’or, d’une beauté surprenante, faisoit admirer le devant de cet Autel, dont le Tabernacle qu’on avoit percé à jour, estoit orné de Rubis, d’Emeraudes, & de Diamans. Une Couronne de trois pieds de diametre en faisoit le Dôme. Elle estoit toute de Pierreries, & jettoit un feu si ébloüissant, qu’on avoit peine à en soûtenir l’éclat. Les Cascades de la Fontaine paroissoient au travers du Tabernacle, & rien n’estoit plus agreable à la veuë que cette Eau & les Pierreries que les lumieres faisoient briller. Il y avoit de grands Guéridons, avec de grandes Torcheres aux deux costez de l’Autel, ainsi que sur les extrémitez des marches de l’Escalier. La Musique de la Chapelle du Roy estoit placée sur le haut. Il seroit fort malaisé de trouver un lieu plus avantageux pour l’Harmonie. Aussi les Instrumens & les Voix y furent-ils entendus avec grand plaisir. Il n’y eut aucun desordre, & tout parut ce jour-là digne de la Cour d’un Roy Tres-Chrestien. La Procession estant sortie du Chasteau, passa devant les superbes Ecuries de Sa Majesté, qui estoient tenduës jusques à la Ville neuve de riches Tapisseries. Ce Prince la remena jusques à l’Eglise, ayant eu la teste nuë pendant trois heures, sans s’estre mesme servy de Parasol contre l’ardeur du Soleil. Il entendit la Grand’ Messe à la Paroisse, où tous les soirs de l’Octave il est venu au Salut.

[Prieres & Cerémonies faites à Vendosme pour obtenir de la pluye] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 16-25.

Les Cerémonies publiques dont je viens de vous parler, me font souvenir de celles qui ont esté faites à Vendosme pour obtenir de la pluye. Une secheresse extraordinaire de plus de deux mois, ayant donné lieu de craindre pour tous les Biens de la terre, on eut recours aux prieres ; & le moyen le plus infaillible qu’on trouva pour mériter qu’elles fussent exaucées, ce fut de faire porter processionnellement la Sainte Larme que le Sauveur du monde répandit sur le Lazare. Cette prétieuse Relique est gardée avec grand soin dans l’Abbaye des Religieux Benedictins de la Trinité de Vendosme, où elle fut apportée l’an 1042. par son Fondateur Geoffroy Martel, Comte d’Anjou & du Vendômois. C’estoit un Présent que luy avoit fait Michel Paphlagon Empereur de Constantinople, en reconnoissance du Secours qu’il avoit donné à Catalus son Gouverneur en Sicile, dans la défaite qu’il y fit des Sarrasins, qui estant sortis d’Afrique en grand nombre, s’estoient rendus maîtres de toute l’Isle. Les miracles continuels qu’elle fait en soulageant ceux qui sont en péril de perdre la veuë, la mettent dans une extréme venération. Aussi observe-t-on beaucoup de formalitez quand on la porte dans une Procession genérale, ce qui ne se fait jamais qu’en de tres-pressantes necessitez. La menace d’une fort grande disete ayant étonné tout le Païs, les Magistrats & les Echevins s’assemblerent en la Maison de Ville le Mercredy 27. de l’autre mois, d’où s’estant rendus en Corps à l’Abbaye, ils exposerent au Supérieur les vœux empressez que faisoient les Peuples. Ce qu’ils demandoient leur fut accordé. On résolut de faire une Procession par toute la Ville, dans laquelle la Sainte Larme seroit portée avec les cerémonies & précautions accoûtumées pour sa seûreté ; & le Dimanche suivant, Feste de la Trinité, ayant esté choisy pour cela, les Religieux jeûnerent au pain & à l’eau jusques à ce jour, pendant que Mr de Remilly Bailly du Vendômois, & Maire perpétuel de la Ville, donna tous les ordres necessaires pour cette Solemnité. Il manda les Curez de quatre-vingts seize Paroisses de la Campagne, fit avertir les Compagnies des Corps de la Ville, disposa les Bourgeois à prendre les armes, & n’oublia rien de ce qui pouvoit contribuer à la pompe de la Feste. Le jour en estant venu, on fit batre le Tambour, au bruit duquel chacun se rendit sous son Drapeau. La Procession sortit dans cet ordre.

Toutes les Baniéres des Paroisses, tant de la Campagne que de la Ville, marchoient à la teste chacune à la file, au milieu d’une double haye de Bourgeois rangez sous les armes. Les Croix suivoient de la mesme sorte, puis les Capucins & les Cordeliers en deux rangs. Apres eux paroissoient tous les Curez revestus de Chapes, ainsi que soixante Religieux de l’Ordre de S. Benoist, qui formoient deux lignes. Le Prieur tenant la Sainte Relique, marchoit sous un Dais de Velours cramoisy en broderie d’or, porté par les Echevins de la Ville. Ils estoient précedez de plusieurs jeunes Enfans vestus en Anges, qui jettoient des Fleurs dans les Ruës, qu’on avoit ornées de Tapisseries. De chaque côté du Dais estoient huit Bourgeois proprement vestus, ayant chacun une Pertuisane. La Procession finissoit par les Magistrats de la Ville, les Officiers des Grands Jours, & ceux de l’Election, avec leurs Habits de cerémonie. La Milice Bourgeoise qui les suivoit, faisoit des décharges à tous les Reposoirs qu’on avoit dressez en beaucoup d’endroits, afin d’y poser la Sainte Larme. C’estoit là que la Musique chantoit de fort beaux Motets, & que les Harpes, les Luths, & les Violons, faisoient un agreable concert avec les Hautbois & les Musetes. Au retour on chanta le Te Deum dans l’Eglise de la Trinité, qui est une des plus belles Eglises de France. Ce que vous admirerez, c’est que le temps ayant paru fort serein jusques à huit heures du matin, une pluye douce tomba dans l’instant que la Procession commençoit sa marche, & continua jusqu’au lendemain. Les Procés verbaux que l’on conserve de toutes les autres de cette nature, justifient que cet effet n’a jamais manqué. Il y a douze ans qu’on fit la derniere.

[Galanterie sur un Envoi de Fleurs & de Fruits] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 36-43.

Comme il n’est ny âge, ny profession qui ne permettent la galanterie, quand elle est reglée sur la bienséance, un Abbé de Lyon, dont la naissance égale l’esprit, & qui s’est souvent acquis l’approbation publique par des Discours remplis d’éloquence, ayant fait présent à une Dame de ses Amies d’un Bassin de Fleurs, & de Fruits, l’accompagna de ces Vers. Le tour fin & délicat qu’il leur donne, vous est connu par d’autres Ouvrages que vous avez veus de luy sous le nom du Druy de Lyonnois. Ce dernier n’est tombé entre mes mains que par un larcin qui a esté fait à la Dame.

SUR UN ENVOY DE
Fleurs & de Fruits.
A MADAME D.S.

Par mille attraits charmans qu’en vous Nature assemble,
Iris, vous faites tous les jours
Naître mille petits Amours,
Si mutins quelquefois, qu’ils se broüillent ensemble.
Il n’est rien en cela de trop mystérieux,
La Discorde souvent se met parmy les Dieux.
Mais voicy chose plus nouvelle.
Deux Déesses pour vous sont en forte querelle,
Et chacune dans vostre cœur
Prétend à la place d’honneur.
Flore par ses odeurs se vante de vous plaire,
Pomone avec ses Fruits de flater vostre goust ;
Toutes deux se font une affaire
Pour vous de se pousser à bout.
Pomone avec dédain dit l’autre jour à Flore,
Vrayment j’en suis d’avis, Déesse des Parfums,
 Dont les appas sont si communs,
Et qu’un peu d’ardeur évapore,
Qu’on vous laisse usurper sur moy le cœur d’Iris.
 Sur quoy fondez-vous l’espérance
 Du dessein que vous avez pris ?
L’éclat de vostre teint n’a qu’un peu d’apparence,
Vostre haleine au matin sent un peu l’Ambregris,
 Vos regards ont quelques soûris ;
 Mais apres tout, quand on y pense,
De vos douces senteurs la plus grande abondance
 Est un régal à juste prix.
Vos atours, vos présens, toute vostre dépense,
 Ne mérite que du mépris.
A ces mots Flore impatiente,
Ne pouvant plus soufrir ce discours orgueilleux,
D’un ton & fier & dédaigneux,
Dit à la Nymphe médisante,
Il sied bien de vous voir Mere des cruditez,
 Insulter à mes qualitez.
 Quel aveuglement vous possede,
 De m’oster pres d’Iris le rang que l’on me cede ?
Pouvez-vous sans mes soins aspirer à son cœur ?
 Que feroient vos Fruits sans la Fleur ?
Lors qu’Iris vous reçoit, me blâmer de la sorte,
 C’est abuser de ses bontez.
 Le plus grand titre qu’elle porte,
 Est d’estre la Fleur des Beautez ;
 Mais remettons nostre querelle
 Au temps que nous serons pres d’elle.
De son choix seulement dépend nostre bonheur,
 Et n’établissons rien sur le fond du mérite
 Pour la conqueste de son cœur.
***
Ainsi l’Amant qui médite
De toucher une Beauté,
Avec jugement évite
La plainte & la vanité,
Et jamais il ne profite
Que par sa fidelité.
Cependant, belle Iris, décidez de la chose.
Estes vous pour la Pomme ? estes-vous pour la Rose ?
Si vous secondez mes vœux,
Vous serez pour toutes deux.
Au moins faites quelque caresse
Aux petits Rejettons que ma main vous adresse.
Allez, mes Fleurs ; allez, mes Fruits,
Vous estes assez bien instruits.
Ne faites rien qui dégenere
De la bonté de vostre Pere.
Allez, mes Fruits ; allez, mes Fleurs,
Pour cette belle Iris unissez vos douceurs,
Et composez une Ambrosie
Qui jamais ne la rassasie.
Mais quand elle vous baisera,
Vous sentira, vous mangera,
N’ayez jamais la hardiesse
D’en vouloir à son cœur, d’espérer sa tendresse,
Je sçay bien ce qu’elle en fera,
Le fidelle Acante l’aura.

[Régal fait par M. Stradion, Chanoine du Chapitre de Mayence, aux Dames de la Cour de Hanover] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 62-69.

J’ay veu des Lettres qui portent que le 18. de l’autre mois, Mr Stradion Chanoine du Chapitre de Mayence, donna une magnifique Collation dans son Jardin, aux Dames de la Cour de Hanover, que l’envie de voir cette Capitale de l’Electeur de ce nom, avoit amenées des Bains de Wisbaden avec quelques Cavaliers. Madame la Duchesse de Hanover, & la Princesse sa Fille, y estoient incognito. Deux jours apres, l’une & l’autre accompagna Mr le Duc de Hanover, qui vint à Mayence avec douze Carrosses à six Chevaux. Mr l’Electeur en ayant reçeu avis, partit à dix heures du matin, & alla au devant d’eux à une demy-lieuë au dela du Pont du Rhin, avec un Cortege de seize Carrosses, tous aussi à six Chevaux. Si-tost qu’ils se furent joints, le Duc, la Duchesse, & la Princesse leur Fille, mirent pied à terre, & apres les complimens réciproques, monterent avec l’Electeur dans son Carrosse. On entendit dans le mesme temps la premiere Salve de tout le Canon de la Ville. La seconde fut tirée quand ils arriverent sur le bord du Rhin ; & la troisiéme, à leur entrée dans la Ville, qu’ils traverserent au milieu de la Bourgeoisie, & des Soldats en haye sous les armes. Mr l’Electeur conduisit d’abord ses illustres Hostes dans l’Apartement qu’on leur avoit préparé, & les y ayant laissez jusqu’à ce qu’on eut servy, il les revint prendre pour le Dîné qui les attendoit. Il y eut vingt-quatre Personnes à table, sans aucun Chanoine, parce que le Grand Maréchal de la Cour de Hanover vouloit estre assis au dessus du Doyen, qui ne veut céder le pas à aucun Comte. Ceux qui prirent place, estoient Mr Fauger Envoyé de France, Mr le Comte de Holac, & les Seigneurs & Dames du Duc & de la Duchesse. Ce Régal fut de quatre Services, chacun de quarante Plats. La Musique tant de Voix que d’Instrumens, ne cessa point pendant le Dîné, non plus que les Timbales & les Trompetes, & on tira trois coups de Canon à chaque santé qu’on but. Sur les sept heures du soir, Mr le Duc de Hanover, & les deux Princesses, prirent congé de l’Electeur de Mayence, qui les remena jusqu’au bord du Rhin, où ils entrerent dans un grand Navire fort ajusté. Ils descendirent jusqu’à Bieberich, monterent là en Carrosse, & retournerent coucher à Wisbaden. Le lendemain, ce Duc envoya plusieurs Présens aux Officiers de l’Electeur, sçavoir, un Cofret d’argent de treize marcs, au Grand Maréchal ; un petit Cofret avec une grande Coupe d’argent, au Maréchal de la Cour ; deux Coupes ou Tasses avec deux grands Gobelets, au Grand Véneur qui l’avoit servy à table ; un grand Gobelet avec une douzaine de petits, à Mr Bieken qui avoit servy Madame la Duchesse ; deux Chandeliers & deux Salieres, à Mr de Waesberg qui avoit servy Madame la Princesse ; un Bassin avec l’Eguiere, à l’Ecuyer-Tranchant ; & d’autres Présens en Richedalles, aux quatre Offices, aux Musiciens, aux Valets-de-pied, aux Trabans ou Hallebardiers, aux Gardes, aux Canonniers, aux Fourriers, au Maistre d’Hôtel, &c. Ainsi tout le monde eut part à ses libéralitez.

[Feste des Arquebusiers de Rheims] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 69-73.

Il est des Festes de toute nature. Les unes se font avec beaucoup de magnificence, & les autres n’ont pour but que de réjoüir les Spéctateurs par les grotesques Figures qu’on y fait paroître. Celle que font tous les ans les Arquebusiers de Rheims, est de ce genre. Ils vont tirer un Oyseau, où tous à l’envy font voir leur adresse ; & le lendemain ils se divertissent publiquement par quelque Marche plaisante, qu’ils appellent Farce. Voicy ce qui s’est passé dans la derniere. Elle fut faite le 3. de ce mois. Un Trompete de la Ville faisoit à cheval l’ouverture de cette Marche. Il estoit suivy de deux Connestables de la Compagnie des Arquebusiers, & ceux-cy, de quatre Hommes montez sur des Asnes, & vestus en Païsans. Apres eux venoient dix ou douze des mesmes Arquebusiers, ayant des Pantalons de toile jaune depuis les pieds jusques à la teste, & des Couronnes de feüilles de Vigne. Les Ceintures & Bandolieres qu’ils portoient, estoient composées de ces mesmes feüilles. Ils tenoient de gros Bastons ; & dançoient devant un Char, tout couvert aussi de feüilles de Vigne, & attelé de six Bœufs. Un des plus gros Hommes qu’on eust pû trouver, y représentoit Bacchus. Il tenoit d’une main une Bouteille d’environ douze Pintes de Vin, & un grand Verre de l’autre. Plusieurs autres Pantalons entouroient ce Char, ayant chacun une Bouteille à la main. En suite paroissoient dix ou douze Hommes habillez en Cuisiniers, portant comme un Berceau de bois peint de diférentes couleurs. On y voyoit un grand feu dans de longues Poëles de fer, avec deux Broches tres-abondamment garnies, qu’un Tournebroche qu’on y avoit appliqué faisoit tourner lentement. Plusieurs Hommes déguisez en Patissiers, portant des Pastez & de grands Gasteaux, suivoient cette importante Machine. Leurs Bandolieres estoient garnies d’Echaudez, qu’ils distribuoient à leurs Amis. Ils firent le tour de la Ville dans ce plaisant équipage, & terminerent la Feste par un Repas, où la grande Bouteille du gros Bacchus fut souvent vuidée.

[Suite de l’Histoire des Fleurs] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 73-88.

L’Histoire des Fleurs vous est connuë. Les spirituelles & galantes Lettres du Berger Fleuriste, vous ont appris leurs amoureux démeslez. Si vous voulez en sçavoir la suite, vous n’avez qu’à lire ce qu’il adresse.

A LA BELLE CLORIS
des Ambarriens.

Vous me demandez, belle Cloris, s’il n’y a rien de nouveau dans les Avantures de la Violete & du Muguet, dont vous desirez d’estre éclaircie. Il m’est facile de vous donner cette satisfaction. Ma curiosité a par bonheur devancé la vostre, & j’ay sçeu des Primeveres depuis quatre jours, que le changement de ces deux Fleurs est si grand, qu’on n’y peut rien adjoûter ; car enfin elles ont passé d’une extrémité à l’autre, & tourné leur amour en haine.

 Changement difficile à croire
 Entre deux Fleurs de bonne volonté,
 Qui dans l’amour mettent toute leur gloire
 Et toute leur felicité.
Pourtant, belle Cloris, on conte ainsi l’histoire,
Et je me rends garand que c’est la verité.

Les dernieres nouvelles de leur Empire nous disoient bien que le Muguet avoit un grand panchant à cette révolution de passions, parce qu’apres nous avoir appris qu’il avoit aimé la Violete pour sa beauté & pour sa douceur, & cessé de l’aimer pour sa grande coquetterie, elles nous apprenoient qu’il feignoit de l’aimer encor par raison de politique, malgré l’aversion qu’il avoit pour elle. Mais le moyen qu’un cœur demeure longtemps en cet état ?

Une feinte en amour est un trop lourd fardeau.
On a beau faire, on a beau dire.
L’Objet le plus doux, le plus beau
Qui soit dans l’amoureux Empire,
S’il déplaist, devient un martire.

Voicy donc, belle Cloris, ce qui en est arrivé, suivant le fidelle recit des Primeveres. Apres que le Muguet eut fait pendant quelques mois l’expérience de cette verité, l’ennuy & le chagrin s’emparerent de son esprit, & estant plus forts que la politique, le disposerent peu à peu à s’affranchir de la contrainte où il vivoit, & à ne plus avoir d’assiduitez pour la Violete.

Plus je la vois (dit-il) plus j’en ay de dégoust ;
Car comme je me tais de sa coquetterie,
La Friponne en triomphe, elle y prend plus de goust,
 Et croit que j’ignore sa vie.
C’est trop dissimuler, c’est trop de flaterie ;
 A quoy bon faire tant d’honneur
 A ce qu’on trouve indigne de son cœur ?

Ces raisons le porterent à executer le dessein de rupture ouverte qu’il avoit conçeu. Il se retira volontairement dans une Serre. Il y passa l’Hyver, & n’alla presque plus chez le Violier, qui n’en fut pas trop fâché. Il n’en fut pas de mesme de la Violete. Sa Cour diminuoit d’un Galant. Elle s’en plaignit, elle en gronda, mais on ne se mit guére en peine de l’appaiser. Des affaires importantes appellerent dans la suite le Violier au grand Jardin de Flore. Il fallut s’éloigner. Il y alla, & il y est encor. La negligence du Muguet s’augmenta par cette absence.

Il ne sortit plus de sa Serre,
Pas mesme au retour du Printemps.
 Fleur la plus sage de la Terre,
 Belle Immortelle, dés ce temps
 Vous avez quitté le Parterre,
Tout y souffroit de vostre éloignement.
Dieux ! combien le Muguet en versa-t-il de larmes ?
 Son unique soulagement
N’estoit que de penser à vos aimables charmes,
 Il y pensoit à tout moment.

Aucuns devoirs cependant n’estoient rendus de sa part à la Violete. Ce procedé marquoit de l’oubly, de l’indiférence, ou du mépris. Elle en redoubla sa colere contre luy, & vint mesme deux fois dans sa Retraite pour luy en faire des reproches, & pour essayer de le ramener à elle par la force de ses attraits, qu’elle mit tous en campagne, & par le souvenir des douceurs qu’ils avoient goûtées ensemble.

Qu’avez-vous, luy dit-elle, & quel fâcheux ombrage
 Vous a rendu d’une humeur si sauvage ?
 Avez-vous oublié les plaisirs innocens
Dont tant de fois l’amour a contenté nos sens ?
Seriez-vous un ingrat ? un parjure ? un volage ?
Je suis dans mon Réduit en pleine liberté,
 Vous sçavez quelle est ma bonté.
 Faut-il vous dire davantage ?
Si vous n’en profitez, vous n’estes guére sage.

Le Muguet luy fit des soûmissions pour se défaire d’elle ; mais comme il est trop sçavant dans l’Art des Coquetes, pour ignorer qu’elles veulent toûjours tout gagner, & qu’elles ne veulent jamais rien perdre, il n’attribua les démarches de celle-là qu’à cette raison generale & interessée, & ne luy tint guére de compte de ses pas ny de ses remontrances.

Lors qu’on sçait qu’une Belle accorde des faveurs.
Au premier des Amans qui luy dit des douceurs,
 Leur attrait a peu de puissance.
 S’il gagne les nouveaux venus,
 Si-tost qu’ils se sont reconnus,
 Adieu l’estime & la reconnoissance.
***
On ne veut en amour point de communauté,
Le bonheur le plus grand y perd sa qualité,
 Dés qu’on voit qu’il entre en partage.
On veut en avoir seul toûjours tout l’avantage ;
Et sans ce glorieux & charmant préciput,
 Amour, faveurs, vous estes au rebut.

Comme le Muguet sçavoit l’usage que la Violete faisoit des siennes, il ne fut point touché de leur offre. Il l’alla pourtant voir, mais il fit cette visite avec une autre Fleur. La Violete le reçeut froidement sur cette circonstance, & luy témoigna qu’elle n’estoit pas satisfaite de ce devoir. Elle s’attendit donc à un autre. Le temps luy fit voir que son attente estoit vaine. Elle en eut du dépit. La patience luy échapa, & la vangeance s’emparant enfin de son ame, elle se déchaîna d’une telle maniere contre le Muguet, que tout le Parterre en fut surpris & scandalisé.

O Dieux ! que ne peut point une Fleur emportée ?
Feu, flâme, foudre, & traits de cruauté,
 Sortent de son ame irritée.
Elle invente, elle impose avec temérité,
 Et choque en tout la verité.
N’en doutons point, il faut que la Coquetterie,
Soit Fille du Mensonge & de l’Effronterie.

L’Iris, ancienne Amie du Muguet, l’avertit des discours outrageans que la Violete tenoit de luy. Il en écouta le raport avec étonnement, mais aussi avec modération. Elle en colere, dit-il, il faut l’excuser, & ne la pas croire. Ce peu de mots fut toute sa défense. Il n’y a rien adjoûté jusqu’à ce jour, par le respect qu’il doit au Sexe de cette Fleur, & par la considération des premieres bontez qu’elle a euës pour luy. Tout le Parterre l’a loüé de cette conduite peu ordinaire, a blâmé celle de la Violete, & a declaré qu’une tendresse & des faveurs qu’on accorde à tout venant, méritoient d’estre payées de mépris. Voila, belle Cloris, ce que j’ay sçeu des Primeveres, & ce que vous avez desiré d’apprendre de moy.

 Ainsi vous voyez le Muguet
 Epuré de l’amour coquet,
 Ne pensant plus à la Coquete,
 Ou n’y pensant qu’avec dédain ;
Mais comme sans amour son ame s’inquiete,
Et que contre ce Dieu le plus fier s’arme en vain,
Permettez-luy d’aimer, renonçant à toute autre,
 Les Fleurs d’un teint comme le vostre,
 Ou de mourir sur vostre sein.
***
 Vous y mettez souvent la Violete,
 Epargnez-luy des sentimens jaloux.
 Belle Cloris, je suis son Interprete.
 Je sçay que tout ce qu’il souhaite,
J’en jure par vos yeux aussi brillans que doux,
 Est de vivre ou mourir pour vous.

C’est aussi, Madame, la plus forte passion de vostre, &c.

Air nouveau §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 88-89.Le nom de l'auteur des vers est révélé plus loin dans la livraison (Mercure, juin 1681, p. 233) : Dans l´endroit de l´Air de Mr de Pulvigny, j´ay oublié de vous dire que les Vers qu´il a notez sont de Mr le Comte de Rocquebrune.

Les Vers qui suivent ont esté notez par Mr de Pulvigny. Un Amant s’y plaint. Vous n’en serez pas surprise. C’est le langage ordinaire de tous ceux qui aiment.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Petits Oyseaux de la Saison nouvelle, doit regarder la page 89.
Petits Oyseaux de la Saison nouvelle,
Il vous suffit d’estre amoureux.
Vous ne redoutez point ny Jaloux, ny Cruelle,
Le retour du Printemps vous rend toûjours heureux.
Je soufre, helas, pendant toute l’année.
Et les rigueurs, & les Jaloux.
Pourquoy n’avons-nous pas la mesme destinée ?
Faut-il que le Printemps ne soit fait que pour vous ?
images/1681-06_088.JPG

[Entrée de M. l’Evesques de Châlons à Châlons] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 89-102.

Ma derniere Lettre vous a appris que Mr de Noailles Evesque & Comte de Châlons, avoit pris séance au Parlement comme Pair de France. Le Lundy 19. de May, ce digne Prélat partit de Paris, & estant arrivé le 20. à Estoges, premier Bourg de son Diocese, il descendit au Chasteau, où il fut traité magnifiquement par Mr le Comte & Madame la Comtesse d’Estoges. Il y trouva Mr l’Abbé Cuisotte, Archidiacre de Vertus, Syndic & Chanoine de la Cathédrale, accompagné des Curez des environs, qui le harangua ; ce que firent apres luy, au nom de la Ville, Mr du Sorton Trésorier de France, & Mr Bauger Conseiller au Présidial, députez par le Conseil. Ce sont des Personnes d’un mérite singulier, qui remplirent cet employ avec beaucoup de succés. Mr de Châlons s’avança le 21. jusques à Athy, où il estoit attendu dans le Château par Mr Lallemant de Lestrée, Seigneur de ce Lieu, Grand-Maistre des Eaux & Forests de France au Département d’Orleans, & Lieutenant de Ville de Châlons. Ce fut là que les premiers Complimens luy furent faits de la part du Chapitre de la Cathédrale. Le lendemain 22. il partit d’Athy, distant de Châlons de quatre lieuës. A peine eut-il marché un quart-d’heure, qu’il apperçeut deux cens Hommes, tous de bonne mine, & tres-bien montez, qui environnant son Carrosse, luy témoignerent par la bouche de Mr Truc de S. Feurjeux, Lieutenant General Criminel, & Conseiller de Ville, leur Commandant, l’impatience où chacun estoit de son arrivée. Le Discours & la Réponse furent tres-dignes de ceux qui les firent. A l’entrée du premier Faux-bourg de Châlons, deux Bataillons d’Infanterie, chacun de mille Hommes, détachez sous vingt Capitaines de Quartier, & commandez par Mr Deû Conseiller au Présidial & au Conseil de Ville, reçeurent ce Prélat si souhaité. On fit les Salves accoûtumées, apres lesquelles on s’avança jusques au second Fauxbourg, toute la Cavalerie & Infanterie se tenant toûjours dans un tres-bon ordre. Tout le Clergé qui sortit en Chapes hors les Portes de Châlons, vint dans le mesme Fauxbourg jusques à l’Eglise de S. Sulpice, où ce Prélat s’alla revestir de ses Habits Pontificaux ; apres quoy il entra processionnellement dans la Ville au bruit des Cloches, du Canon, des Trompetes, des Tambours, & des acclamations de tout un grand Peuple. S’estant rendu à la Porte de la Cathédrale dans le mesme ordre que je viens de vous marquer, il y fut harangué en Latin par Mr de Bar, Doyen du Chapitre. Il entra en suite dans l’Eglise, qui estoit tres-bien parée. La Musique y chanta le Te Deum, apres qu’il l’eut entonné. Ces Cerémonies estant achevées, il quitta ses Habits Pontificaux, & fut conduit au Palais Episcopal. Il y en a peu en France d’aussi étendus pour le logement. Vous en serez convaincuë, quand je vous diray que le Roy, la Reyne, Monseigneur le Dauphin, & Madame la Dauphine, y avoient chacun de tres-grands Apartemens, qu’ils occuperent trois jours, dans l’occasion du Mariage, sans parler des autres Lieux destinez pour les Offices. Le mesme jour, le Présidial en Corps, & toutes les Compagnies, le complimenterent dans son Palais ; & le lendemain, le Conseil aussi en Corps, luy vint présenter, suivant l’ancien usage, un fort beau Calice de vermeil doré, enrichy de Figures historiques d’un admirable travail. En suite tous les Bourgeois s’abandonnerent à la joye qu’ils ressentoient de se voir sous la conduite d’un Evesque que sa pieté & ses grandes qualitez ne rendent pas moins illustre que l’éclat de sa naissance. Le 25. jour de la Pentecoste, qui est la Feste de la Ville, ce Prélat officia. Vous pouvez juger du nombre infiny de Peuple de l’un & de l’autre Sexe, qui se trouva dans la Cathédrale. Les Solemnitez qu’on fait ce jour-là sont assez particulieres. Apres que les Vespres ont esté chantées, on descend plusieurs Chasses où sont les Reliques des Evesques de Châlons que l’on a canonisez, & on les expose au milieu du Chœur jusqu’au lendemain Lundy qu’elles sont portées par toute la Ville dans une Procession genérale. Tous les Ordres des Religieux, qui sont en grand nombre, se trouvent à cette Procession. Elle part à huit heures du matin, & va dans tous les Convents prendre les Chasses qu’on a aussi descenduës le jour précedent. Celle où est le Corps de S. Memie, premier Evesque & Apostre de Châlons, est précedée de toutes les autres. La Procession ayant fait un fort grand tour, on les apporte dans la Cathédrale, où elles sont mises sur des Tréteaux élevez de sept ou huit pieds, en sorte qu’on puisse passer dessous. On les y laisse exposées depuis midy que la Procession rentre, jusqu’au lendemain Mardy. Le soir du Lundy, on allume une fort grande quantité de Cierges, & apres le Te Deum solemnellement chanté par la Musique, on laisse plusieurs Religieux à la garde des Reliques, qui attirent toute la nuit une affluence de monde incroyable. Le lendemain, on fait une seconde Procession dans le mesme ordre. Mrs du Conseil assistent en Corps à l’une & à l’autre, & sont suivis de plusieurs Archers, qui empeschent la confusion que pourroit causer la foule. Je ne vous dis rien des superbes Reposoirs qu’on fait en beaucoup de Lieux, pour y poser les Saintes Reliques. Les Chasses qu’on a prises dans les Convents, y ayant esté remises, on rapporte celles de la Cathédrale, qui sont de vermeil doré, & aussi bien travaillées qu’on en voye en aucun Lieu. Mr de Noailles ayant assisté il y a un mois à ces deux Processions, fut cause que la foule y redoubla, chacun estant accouru des environs pour voir cet illustre Evesque. S’il est magnifiquement logé à la Ville, il l’est de mesme dans sa belle Maison de Sarry, qui n’est qu’à une portée de Mousquet de cette charmante Promenade que tout le monde admire pour sa grandeur, & qu’on appelle le Jard. Elle est dans une situation avantageuse, bâtie à l’antique, & entourée de Fossez d’eau vive, aussi-bien que le Jardin, qui est extrémement grand. Cette eau est un Bras de la Riviere de Marne.

[Requestes de Monsieur le Duc de S. Aignan à Monseigneur le Dauphin] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 105-111.

Avoüez, Madame, que peu de Personnes se hazarderoient à une entreprise de cette nature, & que pour ne pas s’applaudir soy-mesme quand on y a réüssy, il faut avoir une extréme modestie. Celle de Mr le Duc de S. Aignan vous a privée d’une lecture agreable, en luy faisant suprimer quelques Vers inpromptu fort galans, en Réponse à d’autres de Mr le Marquis de Dangeau, tantost sur le sujet du Ballet, tantost sur la Loterie du Roy. La mesme chose seroit arrivée cette fois sur le sujet de la Course de Bague & des Testes, si malgré le soin qu’il a pris d’empescher qu’il n’en courust des Copies, il n’estoit tombé entre mes mains une Requeste que ce Duc fit sur le champ, pour suplier Monseigneur le Dauphin, qui l’avoit choisy pour estre de sa Quadrille, de le dispenser de cet honneur, à cause du temps qu’il avoit passé sans faire cet Exercice, au lieu duquel il a esté choisy pour estre Juge du Camp dans ces Courses ; ce qui n’a pas empesché que s’estant exercé en son particulier pour s’éprouver, il ne l’ait fait avec son adresse ordinaire. Voicy les Vers de sa Requeste.

A MONSEIGNEUR.
REQUESTE.

C’est à Vous, digne Fils du plus Grand Roy du Monde,
Que touché d’une peine à nulle autre seconde,
D’un visage assez triste, & d’un œil abatu,
J’ose enfin m’adresser en ces Vers inpromptu.
De deux contraires maux, Seigneur, je sens l’atteinte,
Je brûle de desir, & je tremble de crainte,
Et cette incertitude où je me vois plongé
Ne peut jamais finir qu’avec vostre congé.
L’honneur de vostre choix demande un cœur sincere,
On compte assurément sur ce qu’on m’a veu faire.
Ce n’est pas que toûjours une noble vigueur
Ne soûtienne assez bien la fierté de mon cœur.
Mais quoy ? pourray-je avoir cette infaillible adresse
Qu’un usage fréquent a mis en la Jeunesse,
Et pourray-je, Seigneur, avec si peu de temps
Remettre en quinze jours un repos de quinze ans ?
En ces occasions quand j’ay cherché la gloire,
Mon Bras s’est honoré de plus d’une victoire ;
Mais si je ne suis pas ce qu’autrefois je fus,
Je vous verray trompé, Seigneur, & moy confus.
J’ay, si vous le voulez, une grande ressource ;
Vous pouvez me nommer pour Iuge de la Course,
Pour Maréchal de Camp, pour ce qu’il vous plaira,
Hors d’estre Combatant, tout Nom me conviendra.
Mais si je trouve en Vous un Prince inéxorable,
Et si je n’obtiens rien qui me soit favorable,
Outré de desespoir, je m’en vais déclarer
Que ce n’est point au Prix que je veux aspirer ;
Que je courray fort mal, & que je fais mon compte,
Qu’où l’on cherche l’honneur, je trouveray la honte,
Que vous serez par moy foiblement secondé.
D’ailleurs, n’obtenant point ce que j’ay demandé,
S’il faut absolument combatre, ou vous déplaire,
Vienne alors sur mes Bras tout le Party contraire,
De la necessité je fais une vertu,
Aucun ne paroîtra qui ne soit abatu.
Oüy, le plus dangereux va connoître à sa honte,
Que comme on ne voit rien que le Roy ne surmonte,
Quand son auguste Fils a fait choix d’un Guerrier,
On le voit en tous lieux couronné de Laurier.

[Histoire] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 111-130.

Il y a des actions qui seroient d’un grand mérite, si on les faisoit dans la pureté d’intention qui accompagne ce qui part d’un bon principe. C’est par ce defaut d’intention bien reglée que beaucoup de Gens se privent de tout, sans qu’il entre aucune ombre de vertu dans ce qui les fait renoncer à la vanité & aux plaisirs. Vous l’allez connoistre par ce que j’ay à vous dire. Un Provincial, à qui son Pere avoit laissé de grands Biens, vivoit dans une reforme que les plus zélez auroient peine à suivre. Il n’estoit d’aucun divertissement, ne mangeoit jamais avec personne, aimoit la frugalité, jeûnoit une partie de l’année, & dans l’horreur qu’il avoit du luxe, il se contentoit d’un Tour de Lit à la Païsanne, & de quelques Meubles proportionnez à cette simplicité. Comme il avoit seulement le tres-necessaire, vous pouvez juger qu’il eust esté un grand Saint, s’il eust mené ce genre de vie pour accommoder les Pauvres de son superflu. Ce n’estoit pas là ce qui luy touchoit le cœur. Un Cofre fort dont il faisoit ses delices, l’occupoit entierement. Il le visitoit à toutes les heures, & rien ne luy plaisoit tant que de repaître ses yeux de la veuë de l’or qu’il luy donnoit en dépost. L’avidité d’amasser toûjours, le rendoit inéxorable. Fermages, Rentes, si-tost que le terme estoit écheu, l’Exploit estoit seûr pour les Debiteurs, sans que les plus prompts à s’acquiter se pûssent défendre d’avoir un Procés, qu’il alloit poursuivre en quelque Lieu que ce fust, avec un art de chicane qui n’estoit sçeu que de luy. Il y trouvoit d’autant plus son compte, que les despens qu’on taxoit à son profit passoient de beaucoup les frais du voyage. Le galant Homme le faisoit toûjours à pied, & s’il falloit dîner en chemin, il portoit dequoy éviter l’Hôtellerie. Ainsi les moyens qu’il employoit pour faire payer ses Creanciers, luy valoient autant que son Bien mesme, & il ne prestoit aucune somme, qu’il ne fist multiplier en fort peu de temps. Cependant la tentation le prit de se marier. Il découvrit une demy-Demoiselle, d’âge tres-nubile, qui outre l’argent comptant, avoit l’espérance de plusieurs Successions. Il la demanda, & fit conclure l’affaire avec d’autant moins de peine, que son extréme laideur & sa taille contrefaite ne donnoient aucune envie de courir sur son marché. Il toucha la somme qui luy fut promise, & acheta avec grand chagrin une Tapisserie de Bergame, un Lit d’une fort vilaine Etofe de la Porte de Paris, deux Fauteüils, & quatre Chaises, avec un Miroir, & une Table sans Guéridons. Le tout estoit de revente, & servit à faire une Chambre de parade pour y recevoir la future Epouse. Comme il se crût ruiné par cet achapt, il se garda bien de faire un Festin de Nôce. Les Parens furent priez de se trouver à l’Eglise, & la Cerémonie estant achevée, chacun retourna chez soy. Il n’y eut que le Beaupere & la BelleMere que le Marié traita. Vous pouvez croire que ce fut à juste prix. Ils ne pûrent s’empescher de luy faire remontrance sur l’étroite épargne dont on l’accusoit. Il répondit qu’on estoit dans un temps trop malheureux, pour pouvoir faire des dépenses inutiles, & qu’un Homme sage devoit se mettre en état de n’avoir jamais besoin de personne. L’irréguliere structure du Corps de la Mariée n’empescha point sa fécondité, & en trois ans il fut Pere de deux Filles. La crainte qu’il eut d’une nombreuse Famille qu’on ne peut entretenir sans qu’il en couste beaucoup, luy donna bientost la vertu de continence. Il fit le Devot, prêcha la chasteté à sa Femme, & luy conseilla de l’imiter dans le dessein qu’il prenoit d’expier par là les pechez de sa jeunesse. Soit qu’elle eust honte de luy marquer des necessitez qu’il ne sentoit pas, soit qu’elle eust commis quelque peché de pensée (car pour l’effet sa déplaisante figure y avoit mis ordre, & jamais personne ne s’estoit avisé de la tenter,) elle consentit à vivre avec luy de la maniere qu’il le souhaita. Ainsi les deux Filles furent le seul fruit de son Mariage. L’aînée eut à peine atteint quinze ans, qu’ayant trouvé un Couvent où l’on promit de la recevoir pour une somme assez médiocre, il l’y fit entrer sans avoir sçeu d’elle à quoy sa volonté la portoit. Comme on l’avoit élevée sans aucune connoissance des plaisirs du monde, l’amour de la Guimpe la toucha si fort, qu’ayant pris l’Habit quinze jours apres, elle n’aspira qu’à faire Profession. Le temps en estant venu, il ne restoit plus qu’à compter l’argent, quand il luy survint une espece de langueur, qui mit son Pere en de cruelles alarmes. Il appréhenda qu’elle ne mourust, non pas pour l’affliction qu’il en auroit euë, (de pareilles pertes n’estoient rien pour luy,) mais il luy fâchoit de payer mal-à-propos ; & dans cette crainte, la Novice eut beau presser. Deux mois se passerent sans qu’il voulust prendre jour, & il ne le prit que sur un apparent retour de santé qui la fit croire tout-à-fait guérie. Il eut grand regret à ouvrir sa Bource, & pour surcroist de chagrin, la Religieuse ne vescut que douze jours apres avoir fait ses Vœux. Ce fut pour luy un sujet de desespoir qu’on ne sçauroit exprimer. Il alla trouver l’Abbesse, luy dit qu’on l’avoit trompé ; que la Profession de sa Fille ne pouvoit estre valable, ayant esté faite dans un temps où sa maladie luy troubloit l’esprit ; qu’on luy avoit déguisé le péril où elle estoit pour attraper son argent ; que c’estoit un vol qu’on luy faisoit, & qu’à moins qu’on ne luy restituast ce qu’on ne pouvoit retenir sans injustice, la damnation estoit infaillible pour tout le Couvent. Peu s’en fallut que sur ces raisons il ne fist Procés aux Religieuses. Pour ne plus courir le mesme péril de perdre, il résolut de garder son autre Fille, qui commençoit à estre en état de luy épargner l’entretien d’une Servante. Beaucoup de Gens songerent à elle, parce qu’on sçavoit qu’elle auroit beaucoup de Bien, mais il refusa tous les Partys qui se présenterent ; & comme il ne quita point l’habitude de plaider, apres quantité d’affaires qui par les despens gagnez l’indemniserent au double de la perte prétenduë que le Couvent luy avoit fait faire, il vint à Paris il y a deux mois pour un reglement de Juges qu’il eut à poursuivre. Son premier soin fut de découvrir un Lieu où il pust manger quand & comme il voudroit. Il s’y logea, & à la maniere dont il estoit habillé, il n’eut point de peine à se faire prendre pour un Misérable. Huit jours apres il fut attaqué de fiévre. L’exacte diete qu’il essaya, auroit pû guérir tout autre, mais il s’y estoit tellement accoûtumé, que ce remede luy fut inutile. Apres avoir tâché quelque temps de vaincre le mal par la fatigue, il fut enfin obligé de garder le Lit, & les accés de sa fiévre estant devenus plus violens, on luy fit venir un Apoticaire Religieux qui sçavoit de grands Secrets, & qui valoit mieux qu’un Medecin. Ce qui luy plût davantage, c’est que ses visites ne luy devoient rien coûter. Cet Apoticaire Conventuel assura en le voyant, qu’il ne vivroit pas encor deux jours. On alla aussitost chercher un Prestre. Il se confessa, & quand il eut fait tous les devoirs d’un Chrestien, on luy demanda s’il n’avoit aucune affaire qu’il voulust regler. Il fit écrire quelque Instruction pour trois ou quatre Procés qui luy restoient à faire vuider, & souhaita qu’on le fist porter où ses Ancestres estoient enterrez. Le Prestre luy dit que la chose estoit aisée, qu’on mettroit son corps en dépost dans la Paroisse, & qu’en suite on pourroit le transporter selon les ordres qu’il auroit donnez. Il voulut sçavoir combien ce dépost luy coûteroit. Les droits luy en furent expliquez ; & comme il trouva qu’il faisoit trop cher mourir à Paris, il fit donner quelque chose au Prestre, & pria son Hôte de luy faire accommoder quelqu’un des Fourgons qui ce jour-là mesme retournoient en son Païs, l’assurant que le grand air contribuëroit à sa guérison. L’Hôte qui craignoit d’estre chargé de son corps, s’il mouroit chez luy, alla promptement luy en chercher un qui le vint prendre deux heures apres. Jugez de l’étonnement de ceux qui aiderent à le tirer de son Lit, quand le Conducteur de ce Fourgon l’ayant reconnu, dit tout haut que la voiture n’estoit guére douce pour un Homme riche de plus de cent mille Ecus. Il marcha le plus doucement qu’il luy fut possible, & eut fait à peine la premiere lieuë, que le Malade se trouva réduit à l’extrémité. On le fit descendre au premier Village, où il expira le soir, apres avoir témoigné qu’il mouroit content, puis qu’il s’estoit tiré de Paris. Il est des Avares qui s’épargnent tout pendant leur vie, mais il en est peu qui regretent la dépense qu’on doit faire apres leur mort. Le cas est fort singulier. On a trouvé cent soixante & cinq mille livres dans le Cofre fort qui a esté ouvert depuis peu avec les formalitez requises. Joignez à cela plus de six mille livres de rente en fond. La Demoiselle, que cette Succession rend un Party tres-considérable, aproche de vingt-cinq ans. Elle a du teint, la taille assez belle, & si l’usage du monde luy manque, ayant autant de Bien qu’elle en a, force honnestes Gens brigueront l’employ de luy donner des leçons.

Consolation à une Aimable Veuve §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 130-131.

Pour la Veuve, il y a grande apparence que le Madrigal qui suit n’a pas esté fait pour elle.

CONSOLATION
à une aimable Veuve.

J’apprens que vostre Epoux est mort,
La Machine sans-doute a manqué d’un Ressort.
De grace, n’allez pas, Cloris, vous mettre en teste,
Qu’en parlant de Machine, on parle d’une Beste ;
Quand on est vostre Epoux, & qu’on meurt, on a tort.
Quoy qu’il en soit, le Défunt n’est plus vostre,
Et pour vous consoler, il en faut prendre un autre.

[Remerciement]* §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 131-132.

Un galant Homme guéry d’un mal d’yeux par une Eau que luy avoit envoyé une belle Dame, luy fit ce Remercîment.

Puis que vostre Eau, Philis, m’a r’ouvert la paupiere,
Que je recouvre la lumiere
Par vos soins obligeans & doux,
Je ne veux desormais avoir d’yeux que pour vous.

[Nouvelle Lettre en Proverbes] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 141-147.

L’aimable Inconnuë qui a montré tant d’esprit dans sa Lettre en Proverbes à Mr Guyonnet de Vertron, s’est fait un Adorateur, qui cherche par moy à luy rendre hommage. Je vous fais part de la Déclaration d’amour qu’il luy envoye. Il s’est servy du mesme langage qui luy a fait admirer la facilité de son génie.

A LA BELLE QUI A
écrit si spirituellement en Proverbes.

MADEMOISELLE.

Je ne diray pas si vous l’estes, car je ne doute point que vous ne la soyez, & mesme gros comme le bras. Mademoiselle donc, puis que Mademoiselle y a. Quoy que je n’aye pas esté à la Place Maubert pour apprendre à faire des Complimens, je m’en vay pourtant tâcher à me mettre sur mon bien dire, pour vous en faire un bien tissu & bien cousu, s’il est possible. Vous direz peut-estre en le voyant, que je fonds en raisons comme un Caillou au Soleil, que je suis un habile Homme pour tourner quatre Broches, que j’ay l’esprit fin comme une Dague de plomb, que je suis un Animal indécrotable, & enfin que je veux faire comme les grands Chiens qui pissent contre les murs. Mais quand vous diriez toutes ces choses, cela ne me déchireroit pas ma Robe. C’est pourquoy vaille que vaille, & vienne qui plante. Ce sont des Choux. Je feray, comme dit l’autre, tout du mieux que je pourray, & vous diray, sans chercher midy à quatorze heures, que depuis que j’ay leu vostre Lettre, je suis plus amoureux de vous que ne l’est un Gueux de sa Besace, que je me mettrois en quatre, que je ferois de la fausse Monnoye pour vous, & qu’enfin vous pouvez faire de moy comme des Choux de vostre Jardin. Oh que le Décorum est bien gardé dans vostre Lettre ! Oüy, vous estes la crême des beaux Esprits. Vous dites d’or. Vous l’entendez, vostre Pere en vendoit, & l’on voit bien que vous avez prêché sept ans pour un Caresme au Royaume des Proverbes ; mais soin, le Diable s’en mesle. J’avois tout-à-l’heure un bon mot sur le bord des levres, & je ne le sçaurois dire. Cela s’appelle estre entre deux Selles le cul à terre. N’importe, puis que ce mot s’en est allé, je n’ay pas envie de courir apres ; car aussi-bien, doit-il estre déja loin, s’il court toûjours. Pardonnez donc, Mademoiselle, cette petite incongruité. Souvenez-vous qu’il n’y a si bon Chartier qui ne verse, & qu’il n’est point de plus empesché que celuy qui tient la queuë de la Poësle. Si ce compliment ne vous semble pas bon, vous y ferez une sauce. Si vous n’estes pas contente, vous prendrez des Cartes. Qui dit ce qu’il sçait, & donne ce qu’il a, n’est pas obligé à davantage. Bon-jour, Bon-soir, il n’est pas tard. Adieu sans adieu, la journée n’est pas passée. Je suis, Mademoiselle, vostre tres-humble Serviteur, quand vous ne le voudriez pas.

Le Rat du Parnasse, du Cloistre S. Mederic.

[Avanture] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 147-150.

Il est survenu un Diférent dont la cause est fort plaisante. Un vieux Garçon estant mort depuis deux mois dans une assez grande Ville, on apposa le Scellé chez luy, en présence de diférens Heritiers qui partageoient sa Succession. Une Dame qui n’y avoit que la moindre part, s’y trouva comme les autres. Les Officiers de Justice estant sortis, elle voulut s’en aller, & chercha un petit Chien qu’elle avoit laissé courir. Le Chien ne se trouva point. Elle visita toute la Maison, & l’entendit enfin aboyer dans un Cabinet où il s’estoit laissé enfermer. Malheureusement le Scellé estoit à ce Cabinet. Grand embarras pour la Dame. Elle aimoit son Chien, & le vouloit remporter. Ses aboyemens luy touchant le cœur, elle alla trouver celuy qui avoit mis le Scellé. Il dit qu’il ne pouvoit rien sans ordre. La Dame insista. Il écrivit, dressa son Procés verbal, le porta au Juge qui donna son Ordonnance, & le petit Chien fut tiré de sa prison. Tout cela ne pût se faire sans frais. La Dame en offre sa part, & c’est le sujet de la dispute. Ses Coheritiers soûtiennent qu’elle doit les porter tous, & non la Succession, ceux qui la partagent n’ayant aucun interest à ce qui s’est fait pour la liberté du Chien.

[Enigmes en Tableaux expliquées au College de Clermont] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 150-162.

Le 15. de ce mois, on expliqua dans le College des Jesuites de Paris, les Enigmes que l’on avoit exposées publiquement depuis deux jours, selon la coûtume de ce College.

Le Tableau de Rhétorique, peint par Mr Hallé, représentoit Mercure qui apportoit à Enée l’ordre de quiter Carthage, & de s’embarquer pour l’Italie. Apres deux Sens diférens qui furent donnez à cette Enigme (ce qui arriva aussi pour les deux autres) Mr de Vermont, second Fils de Mr Lambert de Torigny, Président de la Chambre des Comptes, fit connoistre à l’Assemblée que le veritable estoit la Gazete. La maniere noble & dégagée dont il dit les choses, luy attira l’admiration generale. Son Sens estoit beau, grand, & agreable.

Mr Corneille avoit peint le Tableau de la Seconde. L’Histoire d’Esculape lors qu’on l’apporta d’Epidaure à Rome sous la forme d’un Serpent, y estoit représentée. Aupres du Serpent, paroissoit un Homme couché & languissant, accompagné de plusieurs Figures. Apollon brilloit dans une nuée. Le Remede Anglois estoit le vray Mot de cette Enigme. Mr l’Abbé le Tellier, & Mr le Commandeur de Louvoys son Frere, l’expliquerent avec une grace & une justesse qui ne laissoient rien à desirer. Ils ont un air fin & spirituel, qui fit fort goûter tout ce qu’ils dirent. Leur Sens, proportionné à leur caractere, estoit d’une composition pleine d’esprit & tres-délicate. Je croy, Madame, que leur nom suffit pour vous les faire connoistre, & qu’il n’est pas besoin que j’ajoûte qu’ils sont tous deux Fils de Mr le Marquis de Louvoys, Ministre & Secretaire d’Etat, & Petits-Fils de Mr le Chancelier.

Le Tableau de la Troisiéme, peint par Mr Sevin, représentoit le petit Moise, que deux Dames de la Suite de la Fille de Pharaon tiroient hors du Nil pour le présenter à la Princesse dont le Palais paroissoit dans le Tableau. Cette Enigme fut expliquée sur l’Imprimerie Royale, qui estoit son veritable Sens, par Mr de Bartillat, Fils aîné de Mr Jehannot de Bartillat, Brigadier des Armées du Roy, & Colonel d’un Regiment de Cavalerie, & Petit-Fils de Mr de Bartillat, Garde du Trésor Royal. Un agrément qui luy est particulier, joint à une maniere vive & naturelle de dire les choses, le fit écouter avec beaucoup de plaisir. Son Sens estoit remply d’érudition, d’applications heureuses, & de tres-belles remarques. Ces quatre Messieurs sont Pensionnaires du College de Clermont, & avoient proposé ces trois Tableaux, chacun pour leur Classe.

Monsieur le Duc de Bourbon, qui fait ses Etudes dans ce College, honora de sa présence la grande & illustre Compagnie qu’attira cette Action. Tous ceux qui parurent sur le Theatre, prirent occasion de leur Mot pour faire compliment à ce jeune Prince, qui dans un âge peu avancé, fait déja paroistre un esprit tres-penétrant, un génie propre aux plus grandes choses, & un mérite qui ne le distingue pas moins que sa haute qualité.

Le Pere René-Jean, Religieux du Petit Convent des Augustins, qui en prêchant le dernier Caresme à Lile, avoit fait connoistre qu’il estoit profond Theologien, fit voir dans l’occasion dont je vous parle, que son talent pour la Chaire ne l’empeschoit pas de faire briller dans des Actions moins sérieuses le beau feu d’esprit qui luy est si naturel. Il expliqua ces trois diférens Tableaux, mais d’une maniere qui ne laissa point douter que le vray Sens de chacun ne luy fust connu. Les Vers François qu’il mesla dans ses Explications, satisfirent fort toute l’Assemblée. Il fit la premiere sur le Compliment, & adressa ces paroles au Roy, qu’il trouvoit représenté dans la personne d’Enée, à qui Mercure parloit.

Invincible LOUIS, en vain nostre éloquence
S’efforce d’exprimer nos justes sentimens.
La grandeur de ton Nom, l’éclat de ta puissance,
Surpassent tous nos Complimens.
Il faudra desormais, pour publier ta gloire,
Qu’un Messager des Dieux raconte ton Histoire.

Il ajoûta ce Quatrain.

Tout le monde dira de moy,
Que j’ay fait Compliment au Roy ;
Mais on plaindra mon avanture,
D’avoir eu seulement cet honneur en peinture.

L’Apollon qui paroissoit au haut du second Tableau, luy donna occasion de l’expliquer sur ce Grand Monarque. Il prit le Malade pour le Calvinisme agonisant sous son Regne, & fit une tres-juste application de chaque Figure, quoy que plus morale que physique.

Il expliqua la troisiéme Enigme sur le Jet d’eau, prenant la Fille de Pharaon pour Thétis ; & les deux Dames qui élevoient Moïse, pour l’Art & pour la Nature. Il dit là-dessus,

Ce qui fait un Jet d’eau,
N’est pas l’eau toute pure.
Il faut que l’Art s’unisse avecque la Nature,
Pour suspendre en l’air un Ruisseau.

Les diférens Animaux que le Peintre avoit fait paroistre dans le Tableau, luy firent faire une fort agreable description des diférentes Figures qu’on fait former aux Jets d’eau. Ces Vers y furent meslez.

Lors que d’un bel Objet l’Art veut flater nos sens,
Et donner à nos yeux des plaisirs innocens,
Il forme dans le cours d’un Element fluide
La figure d’un Corps solide.
On voit floter en l’air un Serpent, un Oyseau,
Un Satyre, un Mouton, une Nape, un Rond d’eau.
Tantost dans le Bassin d’une claire Fontaine,
Un Syrene tombe aupres d’une Syrene,
Et l’on est étonné comment un Animal
Dans le Bronze ou le Plomb, en forme un de Cristal.

Il dit ceux qui suivent, sur le Palais qui paroissoit dans le Tableau.

Thétis, pour l’ornement d’une Maison Royale,
Devant un Cabinet, ou devant une Salle,
Pousse d’un Jet impétueux
Un Onde qui charme les yeux ;
Et d’un fond infertile, où l’ingrate Nature
N’avoit jamais mis goute d’eau,
On entend saillir un Ruisseau
Dont la chute & le cours causent un doux murmure.

[Description du Canal qui joint les deux Mers, avec la premiere Navigation qui vient d’estre faite sur le mesme Canal] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 162-247.D'après P. Chauveau (Dictionnaire des lettres françaises. XVIIe siècle, Paris, Fayard et Librairie générale Française, 1996, p. 750), Mr Lepul premier consul de la ville [i.e. Castelnauday] est Charles Le Pul.

Si l’Eau charme tous les jours la veuë par ses Cascades, & par les autres embellissemens qu’elle preste aux plus superbes Maisons, elle n’a jamais servy à une plus noble & plus utile Entreprise qu’à celle du Canal de Languedoc, qui joint les deux Mers, & sur lequel la premiere Navigation vient d’estre faite. Le succés en est d’autant plus extraordinaire, qu’on l’avoit toûjours regardé comme impossible ; & quoy que dans tous les Siecles passez on en ait connu les avantages, on n’avoit osé l’entreprendre, par les grandes difficultez qui se rencontroient à faire réüssir un Ouvrage de niveau dans un Païs coupé de Montagnes, & mesme par celles de trouver des eaux assez élevées, & en assez grande abondance, pour pouvoir fournir aux Canaux qu’il faudroit faire. Mais le bonheur du Regne de Sa Majesté, sous la puissance duquel il n’est plus rien dont on ne vienne aisément à bout, a fait surmonter tous ces obstacles. L’extréme application de Mr Colbert pour tout ce qui peut faire fleurir le Commerce, y a fort contribué. Voicy de quelle maniere la chose fut entreprise. Feu Mr Ricquet, natif de Beziers, Homme d’un génie heureux, & d’une pénetration tres-vive, sçachant qu’autrefois on avoit eu le dessein de la Communication que nous voyons enfin achevée, résolut de n’épargner ny soins ny recherches pour découvrir les moyens de l’exécuter. La connoissance que divers Emplois dans la Province luy avoient donné de tout le Païs, luy fit voir d’abord que la seule Route qui conduit du Haut au Bas Languedoc, le rendoit possible, parce qu’à droit & à gauche il y a des Montagnes d’une hauteur excessive, sçavoir, les Pyrenées d’un costé, & de l’autre, la Montagne noire, qu’aucun travail ne sçauroit couper. Il comprit aussi, apres avoir tout examiné avec une entiere exactitude, qu’il n’y avoit qu’un seul endroit où les eaux qui conduisent à l’Ocean devoient joindre celles qui conduisent à la Mer Méditerranée. Cet endroit est une petite Eminence appellée Naurousse, d’où il y a deux Vallons qui naissent. L’un a sa pente du Couchant au Levant, & est arrosé par une petite Riviere qui descend dans celle de Fresques. La Riviere d’Aude, qui reçoit cette derniere au dessous de Carcassonne, se rend d’un costé par son Canal naturel dans l’Etang de Vendres, qui communique avec la Mer Méditerranée, & est conduite de l’autre par un Canal artificiel jusques à Narbonne, d’où elle se va perdre dans la Mer mesme. L’autre Vallon qui du Levant descend au Couchant, est traversé par les eaux de la Riviere de Lers. Elle entre dans la Garonne au dessous de Toulouse ; & ces deux petites Rivieres, l’Aude & le Lers, ayant leurs sources à la teste des deux Vallons, à un demy-quart de lieuë ou environ l’une de l’autre, Mr Ricquet n’eut point à douter que si elles estoient assez grandes pour y établir une Navigation, on pourroit faire approcher à une fort petite distance les Bateaux dont on se serviroit sur l’une & sur l’autre. La difficulté ne consistoit qu’en deux Points. Il s’agissoit de sçavoir si sur l’Eminence de Naurouse dont je viens de vous parler, on pourroit faire un Bassin & un Canal à droit & à gauche, pour descendre d’un costé à la Source de la Riviere de Lers, & de l’autre à celle de la Riviere de Fresques qui entre dans l’Aude ; & si, suposé que ce Bassin se pust faire, il seroit possible d’assembler des eaux, & de les y amener en assez grande abondance pour remplir ces deux Canaux, & les rendre propres à la Navigation. Pour s’en éclaircir avec certitude, il visita toutes les Montagnes voisines, chercha les hauteurs des Sources de plusieurs Rivieres que l’on y voit naître, parcourut tous ces Païs qu’il considera exactement, & en nivela & renivela le Terroir tant de fois, qu’il trouva enfin qu’il seroit aisé d’assembler les eaux de six petites Rivieres qui sortoient de ces Montagnes. Ces Rivieres arrosent la Plaine de Revel, & d’autres Contrées du Laurageois, & s’appellent Alsau, Bernasson, Lampy, Lampillon, Rieutort, & Sor. Il trouva mesme qu’en pratiquant un Canal qui côtoyeroit les Montagnes, on en feroit descendre les eaux jusqu’à l’Eminence de Naurouse, qu’il regarda comme le Point de partage, où l’eau se distribuëroit pour aller à droit & à gauche (c’est à dire vers l’Ocean & vers la Mer Méditerranée) remplir les Canaux qu’on auroit faits pour la Navigation. Toutes ces épreuves ayant convaincu Mr Ricquet, il fit à Mr Colbert la proposition de l’Entreprise. Ce zelé Ministre en parla au Roy ; & pour connoistre si elle pouvoit réüssir, il fut jugé à propos de faire une tentative par le moyen d’une petite Rigolle. On la commença dans la Montagne noire, au dessus de la Ville de Revel, & elle fut conduite si heureusement, qu’elle porta à Naurouse l’eau de ces Rivieres.

Le succés de cette Epreuve sembla répondre de celuy de l’Entreprise. On travailla tout de bon, & ce qui n’estoit qu’une Rigolle, devint un Canal de profondeur & de largeur suffisante pour le transport des eaux necessaires. Il fut ouvert pres de la Forest de Ramondens, un peu au dessous de la Source de la Riviere d’Alsau. Voicy le cours qu’on luy a donné. Apres qu’il a descendu jusqu’aux deux petits Ruisseaux de Comberouge & de Coudiere, il prend la Riviere de Bernasson, avec un autre Ruisseau du mesme nom, un peu au dessous. En suite il reçoit les Rivieres de Lampy & de Lampillon, & le Ruisseau la Costere, & porte toutes ces Eaux dans la Riviere de Sor au dessus des Campmases, petit Village proche la Forest de Crabesmortes. Tout ce chemin est fort sinueux, & a de longueur dix mille sept cens soixante-une toises. Pour faire entrer l’eau de ces Rivieres dans la Rigolle, il a fallu les barrer par des Digues de pierre bien cimentées. Leur hauteur est telle, qu’où l’eau deviendroit trop abondante, elle peut les surnager, & se répandre dans ses Canaux naturels. Comme on a cherché à donner de l’eau à ces mesmes Rivieres, apres que les Bassins de communication en seroient fournis, on a fait à la Rigolle plusieurs décharges, que dans le Païs on appelle Escampadous.

La Riviere de Sor estant enflée de toutes ces eaux, les porte la longueur de trois mille quatre cens quarante-neuf toises, jusqu’au pied de la Montagne, où on les arreste par une Digue semblable aux premieres, pour les faire entrer dans un autre Canal, qui n’est pourtant que la continuation de la Rigolle. Ce Canal serpente le long des Côteaux jusqu’à Naurouse, durant l’espace de 19378 toises.

Je vous ay marqué que le succés de la communication des deux Mers avoit paru infaillible, en faisant venir dans le Bassin construit sur cette Eminence, une quantité suffisante d’eau pour fournir aux deux Canaux qui la devoient établir. La crainte qu’on eut de n’en point tirer assez de toutes les petites Rivieres que la Rigolle reçoit, & sur tout pendant l’Eté, que la plûpart sont à sec, fit chercher dans la Montagne un Lieu propre à faire un Reservoir d’eau si considérable, qu’il pust en tout temps supléer à leur defaut. Ce Lieu fut trouvé. C’est un Vallon, un quart de lieuë au dessus de la Ville de Revel. On l’a nommé de S. Feriol, à cause d’une Métairie de ce nom qui en est proche. Comme le Ruisseau d’Audaut le traverse entierement, ce fut de son eau, & de celles des pluyes & des neiges qui sont fort fréquentes dans cette Montagne, qu’on prétendit le pouvoir remplir. Ce Vallon qui a 760 toises de longueur fut 550 de largeur, est fort étroit à la teste. Il s’élargit au milieu, & est resserré au pied, par l’approche de deux Montagnes qui le bornent de l’un & l’autre costé, & qu’on a jointes ensemble pour former un Etang, & y retenir l’eau par une Chaussée. On peut l’appeller une troisiéme Montagne, tant elle a de hauteur & d’épaisseur. La Planche que vous trouverez en cet endroit, vous fera voir la figure de ce Reservoir. J’ajoûte icy l’explication des lettres que vous y voyez marquées.

A A Vallon de S. Feriol.

B B Teste du Vallon, serrée entre deux Montagnes.

C C Largeur du Vallon, & Montagnes à droit & à gauche.

D Ruisseau d’Audaut qui passe par le milieu du Vallon.

E Chaussée faite au pied du mesme Vallon, pour arrester l’eau, & former l’Etang.

La Chaussée dont j’ay commencé de vous parler, a 61 toises de largeur. La baze de ce grand Ouvrage est un Corps solide de Maçonnerie, fondé & enclavé de toutes parts dans le Roc. Il n’a qu’une petite ouverture par dessous en forme de Voûte, & à rez de terre, qui sert de passage à l’eau de ce Reservoir. Comme on s’est assujetty à suivre le Ruisseau d’Audaut qui coule dans le Vallon, afin que l’eau passant par un lit qui luy est naturel, & n’ayant aucune violence à soufrir, ne cause aucune ruine, on a donné neuf pieds de largeur à ce Passage, douze de hauteur, & 96 toises de longueur en allant en ligne courbe. Un gros Mur est élevé sur le corps de cette Maçonnerie, laquelle excede de quelques toises la hauteur de la Voûte, ou Aqueduc. Il prend depuis la teste de la Digue, & va jusqu’au pied à droite ligne. Dans l’épaisseur de ce Mur est une autre Voûte en forme de Galerie. Elle a son entrée vers le pied de la Chaussée ; & sa hauteur, aussi-bien que sa largeur, est pareille à celle de la premiere. La Galerie qui se rétressit insensiblement au fond, n’a qu’une toise de largeur, & une & demie de profondeur à la teste de l’Ouvrage. Elle est moins longue que l’Aqueduc, parce qu’elle est tirée à droite ligne, & non pas en ligne courbe. Ainsi elle n’a que 67 toises, au lieu que l’Aqueduc en a 94. Elle répond par haut, c’est à dire à la teste de la Chaussée, perpendiculairement à l’orifice de cet Aqueduc, & par bas elle est à côté & à main gauche de son embouchure. Ces Travaux ayant esté faits & disposez de la maniere que je viens de dire, on a en suite basty trois gros Murs de traverse, qui allant d’un bout de la Chaussée à l’autre, sont fondez sur le corps de la Maçonnerie qui fait la baze du Travail. Ils sont aussi, non seulement enlacez avec la maçonnerie de la Galerie, laquelle ils traversent en forme de Croix, mais encor ancrez & enchassez à droit & à gauche dans les Rochers des deux côteaux du Vallon. Le premier Mur, placé à la teste de la Chaussée, est de douze pieds d’épaisseur à l’extrémité, estant beaucoup plus large au bas, à cause du Talus. Il n’a que sept toises de hauteur, & huit à dix de longueur. Le second, qui est le plus élevé des trois, a 118 toises de longueur, quinze pieds d’épaisseur, & seize toises deux pieds de hauteur. Il est placé à peu pres au milieu de la Chaussée, à la distance de 33 toises du premier, & peut estre prolongé jusqu’à 299 toises & plus, s’il est besoin de l’élever davantage. Le troisiéme, qui est éloigné de 31 toises du second Mur, fait le pied de la Chaussée, & a la mesme hauteur & longueur que le premier, avec huit pieds d’épaisseur. Des deux Voûtes dont je vous ay fait la description, celle d’en bas sert pour l’écoulement des eaux du Magazin ; & celle de dessus, pour aller ouvrir ou fermer le passage à ces mesmes eaux par le moyen de deux Trébuchets de bronze posez horizontalement dans un tour qui a le nom de Tambour, & qui est attaché au premier Mur appellé Interne. Au troisiéme Mur, que l’on nomme Externe, sont les ouvertures de ces deux Voûtes.

Quant au Bassin de Naurouse, qui est le lieu où les eaux de la Montagne noire, & du Reservoir de S. Feriol, sont apportées par le Canal de dérivation, auquel j’ay donné le nom de Rigolle, on l’appelle le Point de partage, à cause que c’est de là que l’eau se distribuë à droit & à gauche dans les Canaux qui conduisent aux deux Mers. Sa figure est un Octogone ovale, dont le grand Diametre est de 200 toises, & le petit de 150. revestu de pierre de taille. Ce Bassin reçoit les eaux de la Rigolle par l’un de ses Angles, & les distribuë par deux Canaux sortans de deux autres Angles. L’un qui va vers l’Ocean, gagne le Vallon de Lers, & se rend dans la Garonne. Il a dix-huit Ecluses, tant doubles que simples, qui font 27 corps d’Ecluses dans l’espace de 28142 toises. Ce sont quatorze lieuës de France. L’autre Canal qui va vers la Méditerranée jusques à l’Etang de Thau, a quarante-six Ecluses, tant doubles, triples, quadruples, qu’octuples. Il contient en longueur 99443 toises, qui font pres de cinquante lieuës de France. Il y a encor deux autres Canaux. Le premier a esté fait pour décharger le Bassin quand il y aura trop d’eau ; & comme il seroit inutile de la répandre dans les Canaux qui servent à la Navigation, on la fera perdre par ce Canal de décharge dans la Riviere de Lers. Le second, qui ne tient point au Bassin, a son issuë à la Rigolle, pour faire écouler les eaux sales & boüeuses qu’elle pourra amener, afin que l’Etang ne recevant que des eaux claires & nettes, ne soit point sujet à se remplir de bouë, & à se combler, comme font les autres Etangs, qu’il faut nettoyer, & approfondir de nouveau de temps en temps. Ce Bassin est un Ouvrage trop beau, pour me contenter de vous en parler. Il faut vous le faire voir, du moins autant qu’on le peut, par le moyen de la Planche que je vous envoye. Les lettres de l’Alphabet, qui y sont meslées en divers endroits, marquent ce qui suit.

 

A Bassin de Naurouse, Point de partage.

B B B B Quay du Bassin.

C C C C Escaliers pour descendre au Bassin.

D Ecluse qui porte l’eau de la Rigolle au Bassin.

E Ecluse pour descendre dans le Canal du côté de l’Ocean.

F Ecluse pour descendre dans le Canal du côté de la Mer Méditerranée.

G Ecluse pour la vuidange du Bassin.

H Epanchoir de la Rigolle pour emporter les Sables.

 

On me promet d’autres Planes, tant du Canal & de la Rigolle dans toute leur étenduë, que des endroits séparez. Le Cap de Sette est un des plus importans. Pour faire la communication des Mers, rien n’estoit plus favorable que la Riviere de Garonne, qui donne un passage libre & commode dans l’Ocean. Il n’en estoit pas de mesme des Rivieres qui vont à la Méditerranée le long des Côtes de Languedoc. Celle d’Aude n’avoit jamais porté de Bateaux que depuis Narbonne, & d’ailleurs elle ne donne entrée à la Mer que par les Etangs de Bages & de Vendres, & par des endroits où toute la Rade est si basse, qu’il est impossible d’y établir aucun Port. Toutes ces Côtes furent exactement visitées, & enfin on ne trouva que le seul endroit du Cap de Cette qui eust un fond suffisant pour les Vaisseaux de cinq à six cens Tonneaux. L’établissement d’un Port y fut soudain résolu. Cette est un Promontoire dans le voisinage de la petite Ville de Frontignan, où croist ce Vin Muscat qu’on estime tant. Cette Montagne, quoy qu’assez peu haute, ne laisse pas de paroistre fort élevée, à cause que tout ce qui l’environne est plat. Elle a d’un costé la Mer ; de l’autre, les Etangs de Thau, de Maguelonne, & de Petaut, bornez par les Plaines du Bas Languedoc ; & à droit & à gauche, la Plage qui est entre la Mer & ces Etangs. Cette Montagne pousse dans la Mer une longue pointe. D’un autre côté la Mer qui avance, fait un ventre dans la terre, dans lequel on a trouvé ce fond suffisant dont je viens de vous parler. Les Bords qui sont le long de la Plage, tenant de la Plage mesme, sont remplis de Sable comme toutes les autres Côtes de Languedoc au circuit du Golphe de Leon. Le Cap est plus enfoncé, & il y a tout autour depuis vingt jusqu’à vingt-quatre pieds d’eau. Il me reste à vous apprendre ce qu’a de commun le Port de Cette avec les Canaux de la communication des Mers. Vous avez pû remarquer par ce que j’ay déja dit, que le long des Côtes de Languedoc sont plusieurs Etangs que sépare de la Mer une petite Langue de terre. Ces Etangs n’ont d’eau que ce qu’ils en peuvent recevoir des Graux. On appelle Graux les Passages que s’ouvre la Mer, quand elle est forte, à travers la Plage. Ils changent au gré du vent, & donnent communication des Etangs à la Mer. Cela ne pouvant servir qu’à de petits Bastimens, à cause qu’il n’y a point assez de fond, ny en la plûpart des Etangs, ny aux Graux, ny en plusieurs endroits de la Mer où ils aboutissent, il fallut, pour rendre cette communication parfaite, chercher les moyens de la rendre propre pour toute sorte de Vaisseaux. Le plus grand & le plus profond de tous ces Etangs, appellé l’Etang de Thau, se trouvant heureusement au voisinage du Cap de Cette, ce fut celuy qu’on choisit pour venir à bout de cette Entreprise. Il est de grande étenduë, & a vingt-cinq & trente pieds de profondeur en beaucoup d’endroits. On y navige aussi seûrement que commodement, & dans le besoin il pourroit servir de Port. D’un côté on y a fait aboutir les Canaux qui viennent de Naurouse, & qui communiquent à l’Ocean, & de l’autre on y a joint un Canal qui en traversant la Plage, se rend dans la Mer Méditerranée. Ce Canal qui est profond de deux toises, en a seize d’ouverture, huit de base, & environ huit cens de longueur.

Voila, Madame, de quelles parties est composé ce fameux Ouvrage qui a tant de fois exercé le raisonnement des Incrédules. Il fut commencé en 1666. apres que Mr Riquet eut répondu du succés. C’est luy qui en a conduit tous les Desseins, & à qui la gloire est deuë de l’achevement de tous les Travaux qu’il a fallu entreprendre. Comme il restoit peu de chose à faire pour les voir parfaits, il avoit lieu d’espérer que le premier Essay du Canal ne se feroit point sans qu’il y reçeust les justes loüanges qu’on luy préparoit de toutes parts. Cependant, quelque digne qu’il en fust, sa mort l’a privé du plaisir de les entendre. Elle est arrivée au commencement d’Octobre de l’année derniere, & c’est là-dessus que Mr de Cassan a dit dans son Epitaphe,

Cy gist qui vint à bout de ce hardy Dessein
De joindre des deux Mers les liquides Campagnes,
Et de la Terre ouvrant le sein,
Aplanit mesme des Montagnes.
Pour faire couler l’Eau, suivant l’ordre du Roy,
Il ne manque jamais de foy,
Comme fit une fois Moïse.
Cependant de tous deux le destin fut égal.
L’un mourut prest d’entrer dans la Terre promise ;
L’autre est mort sur le point d’entrer dans son Canal.

Il y a déja quelques années que l’on avoit eu des preuves de l’utilité de ce Canal dans ses deux parties opposées, sçavoir, depuis Toulouse jusqu’à Castelnaudary, & depuis Beziers jusques à l’Etang de Thau. Mais si l’on navigeoit dans ces deux espaces, il restoit encor le plus grand à faire, depuis Castelnaudary jusques à Beziers. C’estoit celuy qui en liant les deux autres, devoit perfectionner toute l’Entreprise. Il fut enfin achevé au mois d’Avril dernier ; & le Roy en ayant eu la nouvelle, envoya ses ordres à Mr Daguesseau Intendant de Languedoc, pour visiter le Canal à sec, & y faire mettre l’eau en suite. C’est ce qu’il a fait depuis Cette jusqu’à Toulouse, avec tous les soins qu’on pouvoit attendre de sa vigilance. D’abord qu’il estoit passé par quelque endroit, on travailloit à fermer les Bréches, & à arrester le cours des Rivieres qui devoient fournir de l’eau pour le remplissage du Canal. Il estoit accompagné dans cette Visite du Pere de Mourgues Jesuite, Recteur du College de Roanne, grand Mathématicien ; de Mr de Bonrepos Maistre des Requestes, & de Mr le Comte de Carmain Capitaine aux Gardes, l’un & l’autre Fils de feu Mr Riquet ; de Mr de Lanta Baron des Etats de Languedoc, & de Mr de Lombrail Trésorier de France, tous deux Gendres du mesme Mr Riquet ; de Mr de la Fueille, Inspecteur du Canal ; & de Mrs Andréossy, Gillade, & de Contigny, Controlleurs genéraux, & Conducteurs des Ouvrages. Le Remplissage ayant esté fait, il partit le 15. de May de l’Embouchure de la Garonne, sur une Barque préparée exprés, & le 17. il arriva à Castelnaudary. Cet heureux Essay causa grande joye aux Habitans de cette Province, au nom desquels les Vers que vous allez voir ont esté donnez à cet Intendant. Ils sont du mesme Mr de Cassan, Autheur de l’Epitaphe de Mr Riquet.

SUR LE CANAL ROYAL.

Loüis le Grand, ce digne Roy,
Doit à tous les Mortels Luy seul donner la Loy,
Puis qu’au bruit de son Nom tout Ennemy recule.
Ses Exploits sont toûjours si beaux,
Que l’un de ses moindres Travaux
Vaut les douze Travaux d’Hercule.
***
La Terre n’avoit qu’un endroit,
Où les Mers se joignant dans un petit Détroit,
Il faloit aller loin en risquer le passage ;
Mais par celuy qu’a fait ce Roy,
Nul des Humains ne craint pour soy
Ny le détour, ny le naufrage.
***
Qui peut le croire sans le voir,
Que d’unir les deux Mers il ait eu le pouvoir ?
Cette Merveille aussi n’a rien qui luy réponde.
Le Canal par où vient cette Eau,
Est seul plus utile & plus beau
Que les sept Merveilles du Monde.
***
Cet invincible Souverain
Force ses Ennemis les armes à la main,
Et dans ses hauts projets il force la Nature.
Il dompte ceux-là par le Fer,
Et de l’une & de l’autre Mer
Il rend les bornes sans mesure.
***
Ce Grand Prince en tout ce qu’il fait
Imite le Tres-Haut dont il est le Portrait,
Puis que tout ce qu’il veut s’acheve & se consomme.
Ce Canal dont il vient à bout,
Montre que sa Main qui peut tout,
Tient bien plus de Dieu que de l’Homme.
***
Témoin de nostre zele ardent,
IllustreDaguesseau, glorieux Intendant,
Qui dans le Languedoc estes l’œil de ce Prince ;
Vous voyez qu’en tous ses Etats
Il n’a point de Cœurs ny de Bras
Comme ceux de cette Province.
***
Apprenez à tous les Mortels,
Que s’ils ne dressent pas à ce Roy des Autels,
Ils doivent luy dresser un Temple de Mémoire
Qu’il remplira par ses hauts Faits ;
Aussi ne verra-t-on jamais
Le terme infiny de sa gloire.

Dans le mesme temps que Mr Daguesseau arriva par le Canal à Castelnaudary, Mr le Cardinal Bonzi, Président né des Etats de Languedoc à cause de son Archevesché de Narbonne, se rendit à S. Papoul avec Mrs les Evesques de Beziers & d’Alet, Mr le Marquis de Villeneuve Baron des Etats, Mr de la Maransane Lieutenant de Roy de Narbonne, Mr de Monbel Syndic genéral de la Province, Mr de Pujols Secretaire du Roy aux Etats de Languedoc, & Mr Mariotte Greffier des mesmes Etats. Ils furent traitez splendidement par Mr l’Evesque de S. Papoul, avec lequel ils se rendirent à Castelnaudary le Lundy 19. du mesme mois à huit heures du matin. Mr le Cardinal Bonzi ayant mis pied à terre hors les Portes de la Ville, du côté du Canal, y reçeut les Harangues du Présidial, des Consuls, & des autres Corps de Ville & Communautez Religieuses. Il alla en suite visiter le grand Bassin du Canal avec Mr Daguesseau, qui estoit sorty à sa rencontre ; apres quoy, il vint entendre la Messe à la Chapelle S. Roch, qui est au bord du mesme Canal. Le Pere de Mourgues l’y celebra pour le Roy. Cela fait, il sortit de la Chapelle, & s’avança le long du Canal, avec Mrs les Evesques de Beziers & d’Alet, & Mr l’Intendant, au devant de la Procession, qui estant partie de l’Eglise Collégiale de Castelnaudary, avoit pris sa marche du côté de la Chapelle S. Roch, vers le Lieu où l’on avoit préparé la Barque Royale. Mr l’Evesque de S. Papoul, revestu de ses Habits Pontificaux, & la Mitre en teste, faisoit la Cerémonie, la Ville de Castelnaudary estant de son Diocese. Il estoit précedé de tous les Ordres Séculiers & Réguliers, & suivy des Officiers du Présidial, des Consuls, & des autres Corps de Ville. Mr de Bonzi, & ceux qui l’accompagnoient, ayant rencontré la Procession, se mirent à la teste du Présidial, & la suivirent jusques au Lieu de l’Embarquement. Ce fut là que Mr de S. Papoul donna la Benédiction aux Eaux du Canal, à la Barque Royale, aux autres Barques qui devoient la suivre, & à tout le Peuple tant de la Ville que des environs, accouru en foule pour joüir de ce Spéctacle. La Procession s’en retourna dans le mesme ordre qu’elle estoit venuë, en chantant le Te Deum. Elle entra dans la Chapelle S. Roch, où Mr l’Evesque de S. Papoul quitta ses Habits Pontificaux. Il vint rejoindre de là Mr le Cardinal Bonzi qui l’attendoit dans la Barque préparée, avec les Prélats, Mr Daguesseau, & les Officiers de la Province, dont je vous ay dit les noms. Cet Embarquement se fit au bruit du Canon, de toute l’Artillerie de la Ville, & de mille cris de Vive le Roy. La Barque Royale estoit tapissée par tout, & meublée fort proprement ; & ce qui plaisoit le plus à un nombre infiny de Spéctateurs dont le Canal se trouva bordé, c’estoit de la voir suivie de vingt-trois autres chargées richement pour la Foire de Beaucaire, dont une partie venoit du côté de Bordeaux par la Garonne.

Mr le Cardinal Bonzi avoit donné tant de soins à cette grande Entreprise, qu’il ne faut pas s’étonner s’il voulut luy-mesme se rendre témoin de son succés. Je vous envoye un Sonnet qui fut présenté à cette Eminence, sur le Cours ouvert au Canal Royal. Il a esté fait par Mr Pech, de Narbonne en Languedoc. C’est un jeune Abbé qui promet beaucoup, & qui n’ayant encor que vingt ans, a des connoissances qui passent son âge.

Quel Prodige étonnant ! quel merveilleux Ouvrage !
Par tes soins, Grand Bonzi, Neptune étend ses droits,
Et roulant à longs flots par de nouveaux endroits,
De l’un à l’autre Pôle il se fait un passage.
***
Le timide Nocher ne craint plus le naufrage.
Il suit le cours de l’Onde à l’abry de nos Bois ;
Et la Mer sans fureur unissant ses Détroits,
Des Richesses de l’Inde embellit ce Rivage.
***
Ayant uny les Cœurs, les Esprits, les Etats,
Reglé les Diférens de tant de Potentats,
Tu joins les Bords des Mers, & rens l’Eau plus traitable.
***
Tout l’Univers aussi dans l’admiration,
Publie à haute voix que le Ciel favorable,
T’a donné pour partage un Esprit d’ Union.

J’ay oublié de vous dire que dans la Barque qui devoit remorquer celle où estoit ce Cardinal, on avoit placé des Violons, des Hautbois, & des Trompetes. Ce fut au bruit de ces Instrumens, ainsi qu’aux décharges du Canon & de la Mousqueterie, que cette petite Flote se mit à la voile. Toutes les Ecluses, qui dans cet espace sont au nombre de 59. contenant la quantité de 76645 toises courantes, furent passées avec beaucoup de facilité ; on peut dire mesme en fort peu de temps, quoy que l’on ne fist que de petites journées, à cause des continuelles observations qui arrestoient Mr Daguesseau. Il examinoit tous les Travaux, & faisoit sonder le fond de l’eau d’espace en espace, comme il avoit fait depuis Toulouse. On servit un magnifique Dîné avant qu’on passast la premiere Ecluse ; & le soir, Mr de S. Papoul régala la Compagnie à Villepinte. Le lendemain on alla coucher à Penautier, où Mr de Penautier Conseiller au Parlement de Toulouse donna un fort grand Repas à la mesme Compagnie, qui le jour suivant fut traitée superbement à Pechery par Mr de Monbel.

Le Jeudy 22. on alla à Roubia, & le Vendredy 23. on passa le Pont de Repudre. Il a esté fait à cause d’un Torrent qui vient de côté en cet endroit là. Ce Pont, qui a 68 toises de longueur, sert de passage au Canal. Vous pouvez juger par là de quelle solidité il doit estre. Ce qu’il y a de fort surprenant, c’est de voir de grandes Barques naviger dessus, & y trouver par tout sept pieds d’eau, tandis qu’au dessous le Torrent y en entraîne dix ou douze toises cubes. Pour vous en donner une idée plus forte, imaginez-vous que l’eau de quelque Canal vient passer sur le Pont-neuf pour traverser le Fauxbourg, & que la Seine est le Torrent de Repudre qui roule ses eaux sous ce mesme Pont. On passa en suite sur le Bord de la Chaussée, appellée de Cesse, à cause de la Riviere de ce nom dont elle arreste le cours. Sa longueur est de 112 toises, sa hauteur de cinq, & son épaisseur de quatre & demie. Ce mesme jour on coucha à Capestan, où Mr le Cardinal Bonzi traita tous ceux qui l’accompagnoient, avec sa magnificence ordinaire.

Le Samedy 24. les Barques passerent l’endroit qu’on appelle le Malpas. Il est à une lieuë de Beziers. C’est une Montagne percée en Voûte dans le Roc pendant 85 toises. Sa largeur est de quatre toises, & sa hauteur de quatre & demie. Aux deux côtez il y a une Banquete large de trois pieds pour le tirage des Barques. Il a falu escarper la Montagne aux deux bouts pendant plus de 280 toises, & faire de fort extraordinaires enfoncemens. Au sortir de cette Voûte, sous laquelle il faut que les Barques passent, on est fort surpris, qu’au lieu de se voir dans un Païs plat comme il sembleroit que l’on devroit estre, on se trouve sur la premiere des huit Ecluses accolées, c’est à dire, sur une maniere de Montagne d’eau, d’où l’on découvre des Plaines, des Rivieres, & des Villes, qu’on perd de veuë à mesure que l’on descend ces Ecluses ; & comme elles sont fort proches les unes des autres, il semble que les Bateaux descendent sur des marches de cristal, ce qui paroist un enchantement, & dure environ trois heures. Le Lieu où ces huit Ecluses ont esté faites de suite (& c’est pour cela qu’on les appelle accolées) est un Païsage d’une beauté merveilleuse. Il est presque entierement planté d’Oliviers. La Méditerranée le borde au Levant. Vers le Couchant, ce sont des Montagnes dans un assez grand éloignement. On en a fait encor deux à l’endroit où le Canal a son embouchure dans la Riviere d’Orb, qui coule le long des Murailles de Beziers. Ce nombre d’Ecluses adjoûte une nouvelle beauté à ce Païsage, & par leur structure, & par la chûte des eaux du Canal, qui forment un semblable nombre de Cascades. Quand on a passé les dernieres, il s’en faut peu qu’on ne croye qu’on a changé de Païs. On voit d’autres Villes, d’autres Rivieres, & d’autres Plaines, & sur quelque objet qu’on jette la veuë, elle a toûjours lieu d’estre satisfaite.

La Barque Royale arriva à la veuë de Beziers à dix heures du matin, au milieu d’un grand Peuple, qui remplissant les bords du Canal, faisoit retentir de toutes parts des cris de Vive le Roy. Elle fut salüée d’abord par le Corps des Marchands à cheval, qui firent leur décharge les premiers ; apres quoy on entendit celle de quatre cens Fantassins que les Consuls & Gouverneurs de Beziers avoient fait poster des deux côtez. Ils accompagnerent la Barque jusqu’à la plus haute Ecluse de celles qui se présentent à la veuë de la Ville du côté de Narbonne. On fit là un feu extraordinaire de Boëtes, de Petards, & de Feux d’artifice, auquel le Canon de la Ville répondit. Mr le Cardinal Bonzi, Mrs les Evesques d’Alet, de Beziers, & de S. Papoul, M. Daguesseau, & tous les autres, descendirent en Bateau dans ces huit Ecluses, & à chacune, ils se trouvoient régalez, tantost par des Corbeilles de Fleurs qu’on leur apportoit des Jardins du voisinage, tantost par quelques Présens de Fruits, tantost par des Vers qu’on recitoit à la loüange de Sa Majesté, & tantost par des Concerts de Musique. Voicy un Dialogue qui leur fut chanté à l’Ecluse la plus basse par les Srs de Vezeau & Bornes, deux des plus belles Voix de la Province, dont l’un représentoit le Dieu du Canal, & l’autre, la Nymphe d’Orb. Les Vers sont de Mr Lepul, premier Consul de la Ville. Je vous envoye les premiers notez.

DIALOGUE DU DIEU DU CANAL,
ET
DE LA NYMPHE D’ORB.

LE DIEU DU CANAL.Avis pour placer les Figures : la Chanson qui commence par Depuis peu, dans le sein de ces vastes Campagnes, doit regarder la page 230.

Depuis peu, dans le sein de ces vastes Campagnes,
Je trace une route à mes Eaux ;
Des plus bas lieux, je m’éleve aux plus hauts,
Je franchis les Valons, je perce les Montagnes ;
Et quoy que rien ne soit égal à moy,
Je suis le moindre effet du pouvoir d’un grand Roy.

LA NYMPHE D’ORB.

Dés l’enfance du Monde
J’arrose de mon onde,
Des bords aussi féconds, qu’ils sont délicieux.
C’est le plus doux climat que le Soleil éclaire ;
Et si les Dieux pouvoient se plaire
  Ailleurs que dans les Cieux,
Il se plairoient dans ces Lieux.

LE DIEU.

De l’une & l’autre Mer, je forme l’alliance.

LA NYMPHE.

Mes Eaux servent à vostre cours.

LE DIEU.

Du Roy qui nous unit celébrons la Puissance.

LA NYMPHE.

Je mets toute ma gloire à le chanter toûjours.
  Tous deux ensemble.
Qu’à l’Univers il donne de beaux jours !
L’Ennemy ne craint plus sa marche triomphante,
  Il en fut l’épouvante,
  Il en est les amours.

LE DIEU.

Ah qu’il est élevé sur le reste des Princes !

LA NYMPHE.

Qu’il pourvoit sagement au bien de ses Provinces !

LE DIEU.

Ce Peuple en est charmé.

LA NYMPHE.

  Ces Lieux en son témoins.
 Tous deux ensemble.
BONSI leur donne ses soins.

LE DIEU.

D’un éclat sans pareil sa Pourpre est embellie.

LA NYMPHE.

A ses grandes vertus il doit ses grands Emplois.

LE DIEU.

C’est la gloire de l’Italie.

LA NYMPHE.

C’est le bonheur de l’Empire François.
 Tous deux ensemble.
Il sert à la fois,
Les Dieux & les Roys.
C’est la gloire de l’Italie,
C’est le bonheur de l’Empire François.

Dans l’endroit de l’Air de Mr de Pulvigny, j’ay oublié de vous dire que les Vers qu’il a notez sont de Mr le Comte de Rocquebrune. J’adjoûte un Sonnet, dans lequel on fait parler la Riviere d’Orb.

Avoir le foible cours de mon Eau languissante
A peine me rouler dans le sein de Thétis,
Parmy les Dieux des Eaux dont la France se vante,
On a deû me compter au rang des plus petits.
***
Mais depuis que d’un Roy la Main sage & puissante
A pû joindre les Mers dans l’Empire des Lys,
J’ay changé de destin, & ma course importante
Deviendra le lien des deux Mondes unis.
***
Fleuves, qui remplissez & la Fable & l’Histoire,
Gedez à ce bonheur qui me comble de gloire,
Je suis utile enfin aux desseins de mon Roy.
***
Son Canal dans mon sein se va faire passage,
On voit à mes deux Bords aboutir cet Ouvrage,
Et Neptune à son tour aura besoin de moy.

La belle & illustre Compagnie qui remplissoit la Barque Royale, ayant passé la derniere Ecluse, trouva une espece de Galere armée de Canons & de Forçats, que les Marchands Epiciers, qui ont un grand interest à la commodité du Commerce, avoient préparée pour la recevoir. Ils firent une fort belle décharge, accompagnée de celle du Corps des Marchands à cheval, des Fantassins, & du Canon de la Ville, & apres avoir fait leurs Présens à Mr le Cardinal Bonzi & à Mr Daguesseau, qu’ils salüerent à leur passage de plusieurs coups de Canon, ils les suivirent dans le lit de la Riviere. Les Consuls de Beziers les y attendoient en Robes rouges, dans un Bateau, avec les Violons, & une agreable Simphonie. Leur Bateau, tout tapissé au dedans, & semé de Fleurs de Lys, estoit orné au dehors des Chifres du Roy, avec ses Armes à l’endroit le plus élevé, & au dessous, celles de la Ville. Ils approcherent la Barque de Mr le Cardinal Bonzi, où estant entrez, Mr Lepul, portant la parole en qualité de premier Consul, le complimenta en ces termes.

Vostre Eminence vient de voir un Ouvrage que les Romains, nos anciens Maistres, n’ont osé entreprendre ; que nos Roys les plus puissans n’ont fait seulement qu’imaginer, & que Loüis le Grand a heureusement achevé. Il ne manquoit que ce miracle à son Regne, que ses Conquestes ont rendu si celebre, & que la Paix rend si florissant. C’est un témoignage autentique de sa bonté, aussi-bien que de sa magnificence. Il a surmonté la Nature par le travail pour nostre avantage, & pour sa gloire. Il nous a facilité le Commerce des deux Mers. Il a donné un ornement considérable à cette Ville, une nouvelle Riviere à cette Province, & une Merveille à l’Etat. Comme nous en devons la perfection à vos soins, Monseigneur, nous vous rendons graces de tout le bien que nous en attendons, & sommes avec le dernier respect, Vos tres-humbles & tres-obeïssans Serviteurs.

On se débarqua en suite, & tout ce qui estoit sous les armes fit la troisiéme décharge, que le Canon de la Ville termina. Les Consuls accompagnerent tous ces Messieurs parmy les acclamations publiques, & au son des Violons, à une Maison des Peres Minimes, bâtie sur le bord de la Riviere, où Mr l’Evesque de Beziers leur avoit fait préparer un magnifique Repas. Apres le Dîné ils se séparerent. Mr le Cardinal Bonzi se rendit le soir à son Abbaye de Valmagne ; & Mrs les Evesques d’Alet & de S. Papoul, à leurs Eveschez, où la Feste de la Pentecoste les rappelloit. Mr Daguesseau, avec ceux qui l’avoient accompagné depuis Toulouse, se remit sur le Canal, descendit dans la Riviere d’Heraut pour l’Ecluse ronde, & alla coucher à Agde. L’Ecluse ronde a esté bâtie exprés pour servir à trois Routes diférentes. Ainsi on luy a donné trois ouvertures. L’une fait aller à l’Ocean ; & les deux autres à la Méditerranée, par le Port de Cette, & par un Canal qui se dégorge dans la Riviere d’Heraut qui passe à Agde, & qui entre dans la Mer à une lieuë de là. Le Canal qui va de l’Ecluse ronde à Agde, a 300 toises de longueur. Le lendemain 25. jour de la Pentecoste, Mr Daguesseau ayant remonté par la mesme Ecluse d’où il reprit le Canal, traversa l’Etang de Thau, séparé de la Mer par une Plage de Sable, & alla moüiller au Port de Cette au bruit des Petards & Canonnades des Barques & Bâtimens qui s’y rencontrerent en fort grand nombre, & de la nouvelle Bourgeoisie rangée sous les armes, parmy les acclamations ordinaires de Vive le Roy. Il est impossible de marquer la joye des Peuples pour les avantages que Sa Majesté leur a procurez.

Ce que l’Epreuve qui vient d’estre faite a de tres-considérable, c’est que l’on n’a employé que sept jours depuis Castelnaudary jusqu’au Port de Cette. Si l’on en joint deux pour la Navigation de Castelnaudary à la Garonne, & six pour ceux de la Garonne jusqu’à l’Ocean, tout cela ne fera que quinze jours pour passer d’une Mer en l’autre, ce qui dans la suite pourra s’abréger par les facilitez de la pratique continuelle des Ecluses. Elles sont au nombre de 104. dont plusieurs estant accolées, se réduisent à 65 stations, qu’on peut passer en trente heures. Je laisse à juger par ce détail combien ce Canal sera utile au Commerce du Ponant & du Levant, puis qu’il fera éviter les risques & les avaries de Mer qu’il faut essuyer par le grand Contour, & par le Détroit, pour se rendre à l’Ocean, à Marseille, & à la Riviere de Gennes. Tout cela sera changé au plaisir de passer aussi seûrement que promptement, au milieu de deux des plus belles Provinces de France, abondantes en denrées délicieuses, & remplies de toute sorte de manufactures. L’on a fait de si surprenans Ouvrages pour rechercher & pour conserver les eaux, qu’on espere, avec les autres précautions que la suite fera prendre, qu’on navigera sur le Canal dans tout le cours de l’année ; ce qui se fait rarement mesme sur les plus grandes Rivieres. Le Canal est large de trente pieds, & a de longueur


Depuis la Garonne jusqu’à Castelnaudary, 34934 toises.
De Castelnaudary jusqu’à Beziers, 76645
De Beziers jusqu’à la Mer, 15995
Total de longueur, 127574

qui font à peu pres 64 lieuës de France. Le plus grand sujet d’admiration est, que pendant les plus fortes guerres, la constance & la fermeté du Roy à n’abandonner jamais aucun de ses grands desseins, & l’infatigable application de Mr Colbert, ayent fait continuer une Entreprise d’une si extraordinaire dépense jusqu’à son entiere perfection.

images/1681-06_162.JPG

[Traduction en latin de l’Imitation d’Akempis]* §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 268-269.

Les Gens pieux, à qui la Poësie Latine sert de divertissement, sont fort obligez à Mr Varadier de S. Andriol, Docteur en Theologie, & Archidiacre de l’Eglise d’Arles, qui a mis en Vers Latins l’Imitation d’Akempis, sur les Vers François de Mr de Corneille l’aîné. Cet illustre Aveugle les doit bien-tost donner au Public. Je vous ay déja parlé de luy dans quelqu’une de mes Lettres. C’est un Homme fort estimé de tous les Sçavans. Il traduit avec une facilité incroyable tous les Vers François qu’il se fait lire, & on en a imprimé depuis deux ans un Volume, qui fait attendre impatiemment tout ce qu’on promet de luy.

[L’Art de respirer sous l’eau]* §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 269-270.

L’esprit se faisant connoistre de toutes manieres, Mr de Hautefeüile a fait voir la solidité du sien, par le Traité qui porte pour titre, L’Art de respirer sous l’eau, & le moyen d’entretenir pendant un temps considérable la flâme enfermée dans un petit lieu. Ces deux merveilleux effets paroissent prouvez si nettement, dans ce que l’Autheur en a écrit, qu’il est difficile de ne se pas rendre à ses raisons. On n’a rien à opposer quand l’épreuve les confirme.

[Ouvrages de M. S. Martin de Caën] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 270-272.

Si les découvertes de cette nature sont utiles au Public, ce qui touche la santé doit l’estre encor davantage. C’est à quoy a travaillé Mr de S. Martin de Caën, Docteur en Theologie en l’Université de Rome, Protonotaire du S. Siege, & Seigneur de la Mare du Desert, en nous donnant le Portrait de Mr de Lorme, Premier Medecin de trois de nos Roys. On y voit les admirables effets de ses Remedes. Le mesme doit rendre public au premier jour un Livre, qui contiendra les moyens dont s’est servy ce celébre Medecin pour vivre prés de cent ans, & qui fera voir qu’ils sont fondez sur l’expérience. La santé estant le plus prétieux de tous les biens, je ne doute point que ce Livre ne soit beaucoup recherché, & par luy-mesme, & par le mérite de son Autheur, à qui personne ne refusera d’ajoûter foy. C’est un Gentilhomme de probité, dont vous avez veu souvent le nom dans mes Lettres. Les Gazetes, & le Journal des Sçavans, ont parlé de luy en beaucoup d’occasions.

Le Mulet. Fable. §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 272-276.

Apres tant d’Articles sérieux, il faut chercher à vous réjoüir par quelque matiere un peu égayée. Rien n’est plus à estimer que l’éclat de la Naissance. Elle a des droits respectez par tout, mais aussi rien n’est plus insuportable que de voir certaines Gens dont on connoist l’origine, faire les fiers en toute rencontre de leur prétenduë Noblesse, comme s’ils sortoient d’une Maison où l’on comptast des Gouverneurs de Province, ou des Maréchaux de France. Un galant Homme de S. Geniez en Provence, a voulu les rendre sages par cette Traduction d’une des Fables d’Esope. C’est à eux à profiter de l’avis.

LE MULET.
FABLE.

Un Mulet, vray Gascon, qui vivoit doucement
Dans un Herbage sans rien faire,
Se vantoit à chaque moment
De sa noblesse imaginaire.
Je suis né, disoit-il, d’une fiere Jument,
Qui pouvoit contenter par ses tours de souplesse
 Le plus adroit Cavalier.
 Mon Pere estoit un Coursier,
Dont le courage égaloit la vîtesse ;
Je luy ressemble en cela.
Un Chien qui passoit par là,
 (C’estoit, au raport d’Esope,
Un Chien un peu misantrope,)
Luy dit d’un ton goguenard ;
Compere, allez ailleurs debiter ces sornetes,
 Chacun sçait icy qui vous estes.
Feu Messire Baudet, surnommé le Paillard,
 De son vivant passoit pour vostre Pere ;
On m’a mesme assuré qu’il le fut par hazard,
 Et que vous n’estes qu’un Bâtard,
 (Cecy soit dit sans vous déplaire,)
 Sorty d’un infame adultere.
***
O toy qui nous étourdis
De ta noblesse chimérique ;
Toy, dont le Pere jadis
Au Marché tenoit Boutique,
La mesme chose t’attend ;
Un jour tu trouveras quelque maudit Cynique
Qui pourra t’en dire autant.

[La Belle Inconstante. Histoire] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 311-322.

Il n’y a personne qui se puisse croire exempt de Procés, apres celuy qu’on a fait à un Cavalier d’une des plus belles, & plus grandes Villes du Royaume. Une jeune Veuve, dont la beauté & le bien égaloient l’esprit, ne put estre veuë de celuy dont je vous parle, sans qu’il en restast charmé. Son mérite luy attirant tous les jours de nouveaux Adorateurs, il se mit du nombre, & n’oublia rien de ce qui pouvoit luy prouver sa passion. Il prit d’abord un Apartement voisin du sien, & cette commodité luy donnant occasion de la voir à tous momens, il fit si bien par ses soins, que ne pouvant plus résister à sa tendresse, elle luy promit de l’épouser, dés qu’elle auroit terminé quelques affaires qui l’appelloient à Paris. Le Cavalier l’y accompagna, & comme l’amour est ennemy de l’épargne, il luy procura tous les plaisirs qu’elle pouvoit souhaiter. L’Hôtel garny où elle logeoit, estoit remply de Provinciaux de toute espece. Il s’y trouva des Plaideurs, & la conformité de fortune demandant une confidence réciproque, elle leur conta le sujet de son Procés, & apprit d’eux ce qui les faisoit plaider. Parmy ces Provinciaux, estoit un Avanturier, qui quoy qu’il payast assez peu de mine, ne laissa pas de s’insinuer dans son esprit par les offres d’un secours qui luy fut utile aupres de ses Juges. C’estoit un Homme expérimenté dans les Affaires. Il en avoit eu de toutes les sortes, & à force d’employer les subtilitez de la chicane, il estoit venu à bout de se ruiner. Comme il connoissoit le Rapporteur de la Belle, il fut son Solliciteur, & les soins qu’il prit de luy expliquer l’affaire, eurent un succés si avantageux, qu’en fort peu de temps elle gagna son Procés. Jugez de la joye du Cavalier. Il se loüoit du bonheur d’avoir choisy cette Auberge, & plein de reconnoissance pour ce qu’avoit fait l’Avanturier, il le nommoit à toute heure le meilleur de ses Amis. Tandis que la Belle faisoit taxer les dépens, il eut quelques ordres à donner en Normandie. L’Avanturier qui avoit ses fins, & qui ne cherchoit qu’à rétablir sa fortune, ne laissa pas perdre un temps si commode. Il le ménagea si adroitement, qu’ayant ébloüy la Veuve par de certains airs du monde que fait acquérir la longue pratique, il luy promit de la suivre, si elle rompoit avec son Rival. L’absence fortifiant sa legereté, elle luy donna parole de n’aimer jamais que luy. Le retour du Cavalier ne laissa pas de luy causer de l’inquiétude. Elle se feignit malade pendant quelques jours, afin qu’il ne pût s’apercevoir que la froideur qu’elle luy marquoit venoit de son inconstance. Il la remena dans la Province, apres avoir fait mille complimens à son Rival, qui suposa quelque affaire qui l’obligeoit à se rendre au mesme lieu peu de temps apres. C’estoit un prétexte pour aller trouver la Belle. Dix ou douze jours estoient à peine passez, que l’Avanturier partit. Le Cavalier luy fit tout l’accüeil favorable, & l’auroit logé chez luy, si le party l’eust accommodé ; mais le dessein qu’il avoit, ne permettoit pas qu’il acceptast l’offre. La Belle, avec qui la chose estoit concertée, prit occasion d’une bagatelle pour fermer sa Porte au Cavalier. Ce fut un divorce qui l’étonna peu. Quelque emportement qu’elle eust fait paroistre, il crut qu’il seroit de peu de durée, & qu’elle mesme le rappelleroit apres la chaleur des premiers transports. Le succés fit voir qu’il l’avoit fort mal connuë. Elle tint parole à l’Avanturier, conclut en trois jours son Mariage, & l’épousa si secretement, que le Cavalier n’en apprit rien que quand son malheur n’eut plus de remede. Cette tromperie l’irrita si fort, qu’il n’est point d’éclat qu’il ne voulust faire. Ses Amis luy firent ouvrir les yeux sur l’avantage que la Belle en tireroit. Il se rendit à cette raison, & jugea plus à propos de montrer par quelque Feste, que la perte d’une Inconstante ne méritoit pas qu’il s’en affligeast. Ainsi il fit un Régal à quelques belles Voisines, & assembla huit de ses Amis pour dancer le soir. L’Apartement qu’il avoit estant voisin de la Maison de la Belle, elle fut témoin de cette Réjoüissance. Quelque injustice qu’elle eust faite au Cavalier, elle vouloit qu’il la regretast, & ne luy pouvoit sur tout pardonner qu’il eust prié du Régal sa plus mortelle Ennemie. C’estoit une Dame qu’elle haïssoit par des intérests particuliers. Ce qui redoubla son ressentiment, ce fut l’assemblage de quantité d’Instrumens que l’on fit joüer toute la nuit. Quelques-uns estoient champestres ; & comme ils formoient une Musique d’un accord irrégulier, elle donna le nom de Charivary à ce Concert, & prétendit qu’estant Veuve, on ne le faisoit que pour l’insulter. Le Mary entra dans ses sentimens, & voulant comme elle que les divers sons qu’il entendoit fussent un Charivary, que son veuvage luy eust attiré, il se fit un point-d’honneur de luy faire avoir réparation de cette injure. Dés le lendemain il coucha sa plainte, & comme il sçavoit parfaitement le tour de la Procédure, il en donna un si apparent à la prétenduë offence que le Cavalier luy avoit faite, qu’il obtint Decret de prise de corps, non seulement contre luy, mais contre les huit Amis qu’il avoit traitez le soir précedent. La Femme vouloit qu’on y comprist les belles Voisines qui avoient esté de la partie ; mais c’est ce qu’en vain elle demanda aux Juges. Les Parties ont appellé à Paris de ce Decret, & avec quelque chaleur que les nouveaux Mariez fassent leurs poursuites, il y a grande apparence qu’ils n’en tireront aucun autre fruit que de s’estre fait Charivary à eux mesmes, par l’éclat des plaintes qui ont formé le Procés.

[Feste de S. Quentin] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 338-344.

La Feste de S. Quentin, Patron de la Ville de ce nom, y fut celebrée le 2. de l’autre mois avec les cerémonies dont je vous fis part la derniere année. Ainsi je laisse tout ce qui regarde la Procession, pour vous dire qu’apres le Service de l’Eglise, les plus distinguez de la Jeunesse, tous tres-bien montez, & dans un leste équipage, se rendirent au Lieu que Mrs de Ville avoient choisy pour la Course hors la Porte de Cambray. Il estoit environné de tout ce qu’il y avoit alors de beau monde de l’un & de l’autre Sexe, & à Saint Quentin, & aux environs, chacun estant accouru pour joüir de ce Spéctacle. Si-tost que Mr de Chalvoix, qui fait cette année l’exercice de la Charge de Mayeur, & deux Echevins, tous trois Juges de la Course, furent arrivez, les Chevaliers qui en devoient disputer les Prix, allerent se mettre sur une mesme ligne à un bout de la Carriere, qui estoit longue de 350 pas, & large de 150. Les Trompetes & les Timbales qu’on avoit placées d’un costé, & ausquelles répondoient de l’autre, les Violons, les Tambours, & les Hautbois, furent quelque temps un fort agreable divertissement pour la Compagnie. Enfin on n’eut pas plutost donné le signal, qu’ils volerent tous à l’autre bout de cette Carriere. Ils coururent trois fois de la mesme force. Mr de la Mareliere gagna la premiere des deux Couronnes, appellées des Dames ; Mr Botté, la seconde, (il avoit eu la premiere l’année précedente ;) & Mr Desjardins, aussi adroit que bien fait de sa personne, remporta la principale, qui est une Bague que le Mayeur donne. Ces Courses faites, ils rentrerent dans la Ville avec grande pompe, ce dernier ayant la droite, comme nouveau Roy, sur Mr Bellot, qui l’avoit esté il y a un an. Ils firent le tour de la Ville, & des décharges en plusieurs endroits ; la premiere, en passant devant le Logis de Mr Dabancourt Lieutenant de Roy, & Commandant dans la Place en l’absence de Mr Pradel qui en est le Gouverneur ; deux autres, en entrant & en sortant de l’Eglise, où ils allerent remettre la Couronne entre les mains du Trésorier qui les attendoit ; & enfin devant la Maison de leur nouveau Roy, qu’ils remenerent. Ils continuerent ces décharges pendant un Soupé qu’ils avoient fait préparer pour toute leur Troupe, & qui dura jusqu’à trois heures apres minuit. Le Dimanche 4. du mesme mois, jour destiné pour courir la Bague, ils se rendirent à une demy-lieuë de la Ville, dans le mesme ordre & avec le mesme concours de monde qu’il y avoit eu le jour de la Feste. Mr Deslandes remporta le Prix, qui estoit aussi une Bague. Le soir il y eut encor un magnifique Soupé, auquel succeda le Bal qu’ils donnerent aux Dames chez Mr le Mayeur. Mademoiselle de Chalvoix sa Fille qui eut le Bouquet, en fit les honneurs. Il fut suivy d’une tres-belle Collation, que ce Magistrat leur présenta.

[Report des explications touchant les énigmes au volume suivant]* §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 344-345.

Les vrays Mots des deux Enigmes du dernier Mois, & les noms de ceux qui les ont trouvez, feront un Article dans ma Lettre Extraordinaire que vous aurez le 15. de Juillet. Ce qui me surprend, c’est de voir que la seconde n’ait encor esté expliquée dans son veritable Sens, que par une seule Personne, qui a suivy l’opinion de Descartes touchant les Machines de Philosophe. Cette opinion est si connuë, qu’elle devroit peu embarasser.

Enigme §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 345-346.

Voicy deux autres Enigmes, qui estant moins obscures que cette derniere, ne feront pas tant resver ceux qui se plaisent à ce Jeu d’esprit.

ENIGME.

Quoy que je sois fort redoutable,
Tout le monde à l’envy me donne de l’employ.
Je sers au Lit comme à la Table ;
Et si je remplis tout d’effroy,
Lors qu’une fois je me rends intraitable,
Je suis d’un commerce agreable,
Quand on met la regle chez moy,
Pour la discretion, il ne s’en trouve guére
Qu’a la mienne on puisse égaler.
Billet, Lettre importante, ou d’amour, ou d’affaire,
Qu’on m’en fasse dépositaire,
Jamais on n’en entend parler.

Autre Enigme §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 347.

AUTRE ENIGME.

On me voit tous les jours habiter de bas lieux.
Je suis pourtant de tres haute origine.
Souvent caché sans que l’on m’examine
Tant je sçay bien tromper les yeux,
J’amasse quelque temps des armes pour combatre,
Puis tout-à-coup je fais le Diable à quatre.
L’Ennemy que je crains le plus,
N’ayant point lors de forces prestes
Pour arrester mes rapides conquestes,
Par tout en moins de rien j’emporte le dessus.
Dans les maux que je fais je montre une ame dure
Qui fait connoistre la nature
De l’infléxible Pere à qui je dois le jour.
Comme par là ma Mere luy ressemble,
Ils ne s’approchent point que pour se batre ensemble,
Jugez de moy qui suis le fruit de leur amour.

[Demande d’explication au sujet de la fin d’une lettre]* §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 348.

Une belle & jeune Dame est en peine de sçavoir ce que luy veut faire entendre un de ses Amis, par ces mots qui font la fin d’un Billet qu’elle en a reçeu. Adieu, Madame, si je voulois vous dire la centiéme partie de ce que je pense, je n’aurois pas assez de papier. ——— Ce trait vous dira le reste. Elle prie ceux qui s’apliquent à deviner les Enigmes & les Chifres du Mercure, d’avoir la bonté de luy expliquer ce que signifie cette fin de Lettre qu’elle n’entend pas.

[Lettre Galante] §

Mercure galant, juin 1681 [tome 6], p. 348-350.

En voicy une dont le caractere aisé me paroist de vostre goust. Elle est d’un Homme d’esprit, écrite à une jeune Personne qu’on dit qui n’en manque pas.

A MADEMOISELLE D.L.

J’ay bien affaire que vous m’empeschiez de conter la moindre douceur à d’assez jolies Maîtresses que l’on voit icy de temps en temps. Pourquoy faut-il vous avoir toûjours devant les yeux ? Ce qui ne s’adresse point à moy (me dites-vous) autant de perdu. Est-il au monde une plus belle Personne que moy ? Je vous fait l’honneur de vous considerer. Je suis bien aise de vous voir quand vous estes à Paris. Je reçois volontiers de vos nouvelles. Je vous écris quelquefois. Est-il possible, mon pauvre Amy, que cela ne vous tienne pas plus au cœur que tout ce que vous pouvez trouver d’agreable en Province ? Vous ne dites que trop vray, & c’est dont je suis d’avis de me plaindre.

 Depuis que je ressens vos coups,
Je demande en amour trop de délicatesse.
 Si je ne pensois point à vous,
 Je n’aurois jamais de tendresse ;

ou plutost j’en aurois qui ne seroit pas à la verité si bien placée, mais avec laquelle je vivrois peut-estre plus tranquillement. Chose étrange, que nous n’aimions jamais ce qui nous est propre ! Vous seriez cent fois plus difficile à connoistre que vous ne l’estes, & il y auroit la moitié plus de distance entre vous & moy qu’il n’y en a, que je vous regarderois toûjours sans comparaison, & que je serois toute ma vie plus que personne du monde, Vostre tres, &c.