1681

Mercure galant, août 1681 [tome 9].

2017
Source : Mercure galant, août 1681 [tome 9].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, août 1681 [tome 9]. §

[Avant-propos contenant un Eloge du Roy, en Prose & en Vers envoyé de Rome, & composé par la Solitaria del Monte Pinceno] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 1-19.

Je croy, Madame, qu’il me seroit difficile de commencer cette Lettre d’une maniere plus agreable pour vous, qu’en vous faisant part de ce qu’une des plus spirituelles Personnes de vostre Sexe m’a écrit de Rome. Je vous envoye son Billet. Il vous fera voir que toute la Terre partage avec vous les sentimens d’admiration que vous avez pour Sa Majesté.

À Rome ce 4. Juillet 1681.

Vostre secours m’est aujourd’huy necessaire, Galant Mercure. Le glorieux Nom que vous portez en teste, me fait juger que vous avez quelque accés aupres du plus grand Roy du Monde, puis que son illustre Dauphin veut bien vous honorer de sa protection. C’est ce qui m’oblige à m’adresser à vous pour vous rendre complice de ma temérité. Toute l’Europe estant occupée à loüer les grandes Actions de cet auguste Monarque, il n’est pas juste que Rome seule demeure dans le silence, pendant qu’il applique tous ses soins à détruire l’Herésie, & à procurer de jour en jour de nouveaux Triomphes à l’Eglise. Comme il ne dédaigne pas de voir quelquefois vos Lettres, faites qu’il puisse sçavoir ce qu’on pense icy de ses merveilleuses qualitez. Vous ne devez pas refuser cette grace à une Etrangere, qui n’a point encor pris de Protecteur en France, & qui veut vous devoir tout.

La Solitaria del Monte Pinceno.

Ce qui suit, estoit ajoûté à ce Billet.

AU ROY.

Grand Roy, dont l’Univers admire la puissance,
Qui joignez au courage une rare prudence,
Et qui faites douter par vos Faits inoüis,
 Laquelle est plus grande en Loüis,
 Ou la Valeur, ou la Clémence ;
Ma Muse jusqu’icy tremblante à vostre aspect,
 N’osoit parler, pour avoir trop à dire,
Et demeurant pour Vous dans un humble respect,
 Faisoit des vœux pour vostre Empire.
***
Qui n’en feroit pour Vous, pour un Prince si grand,
 Si puissant, si vaillant, si juste,
 Dont le Titre le moins auguste
 Est le Titre de Conquérant ;
Qui sur tous ses Sujets répand en abondance
 Les dons de sa magnificence,
Qui les comble de biens, & les rend fortunez,
Et qui fait envier le bonheur de la France
 Aux Peuples les plus éloignez ?
***
Princes qu’il a vaincus, suivez ses beaux exemples,
 Vous devez tout à sa bonté.
 La plus fameuse Antiquité
À de moindres Héros a consacré des Temples ;
Loüis pouvoit ranger vos Peuples sous ses Loix ;
 Heureux vos Peuples mille fois,
 S’il eust voulu s’en rendre Maître.
Sa Valeur pouvoit tout, son Bras estoit armé,
Ce Prince estoit vainqueur, il a cessé de l’estre ;
 Mais enfin, qui l’a désarmé ?
 Sont-ce vos efforts, vos intrigues,
Et de tant d’Alliez à ses pieds abatus ?
Princes, il faut céder ; par des coups impréveus,
Loüis a renversé vos impuissantes Ligues,
Il s’est vaincu Luy-mesme, il vous a pardonné,
C’estoit le seul moyen d’appaiser cet orage ;
Si la Paix vous a pû garantir du naufrage,
 C’est un bien qu’il vous a donné.
***
 Ah, Grand Roy, quelle est vostre gloire !
Vous faites moins pour Vous, que pour vos Ennemis.
Vostre rare valeur vous les avoit soûmis,
Et vous abandonnez le prix de la Victoire.
Pourquoy vous exposer, courir tant de hazards,
 Forcer les plus puissans Ramparts,
Et faire pour vos jours trembler toute la France,
Si Vainqueur vous cédez le fruit de vos travaux,
Et content d’avoir pû vaincre tant de Rivaux,
La gloire à vostre cœur tient lieu de récompense ?

Cette gloire n’est-elle pas assez affermie ? Toute la Terre ne connoist-elle pas assez le pouvoir de vostre Bras ? Et d’ailleurs, pourquoy rendre en un moment, ce qui vous a cousté si cher ? Avez vous combatu pour vos Ennemis ? C’est un effet, dit-on, de vostre Royale bonté, qui veut triompher aussi-bien que vostre valeur ; mais, Sire, permettez-moy de croire autrement ;

 C’est plutost une prévoyance,
 Je connois quelle en est la fin.
 Vous voulez que vostre Dauphin
Augmente, comme Vous, la gloire de la France.
 Si cette rapide valeur,
 Qui fait que tout devient vostre conqueste,
Suivoit les mouvemens de vostre illustre cœur,
Ce cher Fils sans espoir d’estre jamais Vainqueur,
De quels Lauriers un jour couvriroit-il sa teste ?

En effet,Sire, où V.M. voudroit-elle qu’il trouvast des Ennemis à combatre ? Si vostre valeur se les soûmettant tous, les retenoit sous les Loix, cet illustre Dauphin, sur qui tout l’Vnivers a présentement les yeux attachez, & dont il attend les mesmes miracles, que vous faites éclater aujourd’huy, pourroit avec plus de raison que ne fit autrefois Aléxandre, se plaindre de cette valeur qui vous rend invincible, & pleurer vos Conquestes, lors que toute la France est occupée à en témoigner sa joye par des réjoüissances publiques. Vous avez trouvé le moyen de le consoler,Sire, & de vous faire en mesme temps une nouvelle matiere de triomphe, en rendant des Provinces entieres à vos Ennemis. Ainsi l’on peut dire avec justice, que bien loin de vous regarder Vous-mesme dans cette Paix, que vous avez imposée à toute l’Europe, vous n’avez consulté que vostre gloire, & celle de cet illustre Fils. Vostre bonté ne s’est pas arrestée là. Il falloit luy choisir pour Epouse une des plus vertueuses Princesses du Monde, & dont la Renommée publiast de jour en jour de nouveaux prodiges. Ce n’estoit pas assez pour devenir la Belle-fille du plus grand Roy de la Terre, d’estre sortie d’un Sang Royal, & d’une Famille qui a donné tant de Roys, & d’Empereurs à l’Europe, si les perfections de l’esprit & du corps, ne se rencontroient également dans sa Personne. Puisse le Ciel benir mille fois cet auguste Mariage, & en faire sortir une longue suite de Héros, imitateurs des vertus deLoüis le Grand.

Mais ce n’est pas seulement la Maison Royale qui ressent les bienfaits de V.M. Tous vos Sujets y ont part, & cette bonté qui vous fait prendre la défence de leurs intérests contre ceux de V.M. mesme, & prononcer en leur faveur contre les Droits de vostre Couronne, trouveroit peu de croyance dans les Païs Etrangers, si la Renommée n’avoit pris soin depuis longtemps de nous informer de jour en jour des nouveaux miracles de V.M. Quelle gloire, Sire, de faire vous seul la félicité de tant de Peuples ! À peine avez vous gagné cent mille francs, que par une libéralité inoüye, vous les destinez au Public. La Fortune, qui dispensoit autrefois ses Trésors mal-à-propos, s’est enfin repentie de son aveuglement.

 Oüy, c’est maintenant qu’on peut dire
 Que la Fortune ouvre les yeux.
Constante à vous servir on la voit en tous lieux
Se soûmettre en Esclave aux Loix de vostre Empire ;
 Incapable de bien user
 De tant de biens qu’elle possede,
 Avec justice elle vous cede
 L’avantage d’en disposer.

On peut connoistre le mérite d’une Famille par les graces dont V.M. l’honore. Celle d’Estrées en a reçeu depuis peu de temps des marques si publiques & si glorieuses, qu’elle se trouve présentement au comble de la gloire. Toute la Terre admire avec beaucoup de raison le juste discernement du plus grand & du meilleur de tous les Roys, & prend part aux avantages d’une Maison, dont tous les Païs Etrangers ont éprouvé l’esprit, & le courage. Rome se peut vanter d’avoir chez elle un Cardinal, & un Ambassadeur, tous deux illustres par cent belles actions, & dont la conduite à bien ménager les intérests de la France, est connuë de toute l’Europe. Les Mers tremblent au seul Nom de ce brave Maréchal d’Estrées. Il a trouvé le secret de dompter leur orgueil, & leur furie ; de mettre en fuite, vaincre, & brûler des Flotes Ennemies jusques dans leurs Ports ; de forcer en peu de jours des Chasteaux, & des Places capables de résister plusieurs mois à des Generaux moins expérimentez, & moins vaillans que luy ; de prendre des Isles entieres, & de porter la terreur des Armes de V.M. jusques dans le Nouveau Monde.

Ce sont ces illustres récompenses, ces biens, & ces dignitez dont V.M. honore tant de Familles, qui font connoistre que le vray mérite ne peut demeurer caché à ses yeux, & que le faux n’est pas capable de l’ébloüir ; & c’est de V.M.Sire, qui a esté donnée du Ciel à la Terre pour la combler de biens, & dont on voit que des Actions éclatantes marquent toutes les journées, qu’on peut dire, comme autrefois de nostre Titus, qu’Elle est les délices du Monde. Le Ciel ne peut refuser à V.M. ses plus saintes benédictions, lors qu’Elle s’applique avec un soin particulier à étendre les droits de son Empire en détruisant l’Herésie, & retirant du précipice tant de milliers d’Ames qui courent aveuglement à leur perte. C’est ce qui nous oblige, Sire, à faire à Dieu de continuelles Prieres pour V.M. & à luy souhaiter toutes les prospéritez que sa pieté mérite.

Oüy, Grand Roy, que le Ciel favorable à nos vœux,
 Daigne prolonger vos années,
Et que vos Descendans en comptent les journées
 Par des triomphes glorieux ;
Qu’à vous rendre Vainqueur tout aide & tout conspire,
Que l’on voye à vos pieds vos plus fiers Ennemis,
 Et que tout l’Univers soûmis
 Reconnoisse un jour vostre empire.

[Feste des Chevaliers, Archers, & Pistoliers de la Ville de Péronne, rétablie par Lettres Patentes de Sa Majesté ; & tout ce qui s'est passé pendant plusieurs jours qu'a duré cette Feste] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 19-45.

La Paix ayant donné lieu de renouveler les Exercices du corps qui sont le plus en estime ; les Chevaliers, Archers, & Pistoliers de la Ville de Péronne, ont crû devoir rendre le Bouquet que ceux de S. Quentin leur avoient donné en 1671. & dont ils n’avoient pu encor s’acquiter par l’embarras des Armées. Apres avoir obtenu des Lettres Patentes de Sa Majesté pour ce rétablissement, ils avertirent par des Lettres circulaires tous ceux qui s’exercent au Jeu de l’Arc dans les Villes de Picardie, Champagne, Soissonnois, Artois, Flandres, & autres, de se trouver à la Feste dont ils fixerent le jour au 29. de Juin dernier. Ainsi le 28. du mesme Mois, les Hautbois & les Tambours ayant donné de fort grand matin le signal de l’Assemblée, les Chevaliers de Péronne se rendirent tous à cheval sur les huit heures à la Porte de leur Jardin. Ce Lieu que les guerres avoient ruiné entierement, est devenu en six mois un des plus beaux de la Ville par les soins qu’ils en ont pris. Il est situé au milieu de deux Ruisseaux qui coulent dans l’enceinte de ses Murailles. Au dessus de la Porte sont gravées les Armes de Sa Majesté, & au dessous celles de Péronne, relevées en or. Le Vestibule est tout remply de peintures. À main gauche est Mutius Scevola se brûlant le bras pour se punir d’avoir manqué Porsenna, l’Ennemy de sa Patrie, avec ces mots, Quid non pro Patria ? À la Porte de la Chambre sont ces autres mots, Claris assueta trophæis, pour marquer que la Ville de Péronne ne s’est pas acquis moins de gloire par les Armes, que par la fidelité qu’elle a toûjours euë pour son Souverain. Cette Chambre est spatieuse, & peinte par tout de Trophées d’Armes, de Pistolets, de Carquois, de Fleches, & d’Arcs. D’un costé est une Fille qui tient une Palme d’une main, & un Bouclier de l’autre. Une Fleche, un Arc, & un Pistolet sont peints sur ce Bouclier, avec ces paroles, Vtroque simul clarescere pulchrum. Vis-à-vis d’elle est un Chevalier Romain, tenant une Epée & une Rondache, sur laquelle sont ces mots, Turpe referre pedem. Il y a quantité d’autres Devises de cette nature. Le Jardin est séparé en trois Allées, toutes trois plantées d’Arbres à perte de veuë. Celle du milieu est bornée par deux grands Buts, faits en Pavillon, & couverts d’Ardoise, qui font un tres-agreable aspect parmy la verdure de ces Arbres. À costé de l’un est le Jeu de Pistolet, orné de plusieurs Peintures. Une Perspective borne l’Allée, à costé de l’autre, & la fait paroistre dans un grand éloignement. Les Chevaliers, dont j’ay commencé de vous parler, estant arrivez devant ce Jardin, montez tous à l’avantage avec des Housses, & des Chaperons de Pistolets, remplis de Broderie d’or, & de Dentelle d’argent, marcherent en tres-bon ordre, au milieu de la grande Place d’Armes de la Ville. Mr Aubé qui en est Mayeur, estoit à leur teste, comme Capitaine-Lieutenant de la Compagnie. C’est un Gentilhomme de mérite, qui s’acquita dignement de cet Employ. Il estoit vétu d’Ecarlate, & avoit son Baudrier, ses Gands, & sa Housse, garnis d’une Frange d’or tres-riche. Le reste des Officiers de la mesme Compagnie ; sçavoir, Mr Boïtel, ancien Eleu en l’Election, Sous-Lieutenant ; Mr Vinchon, Enseigne ; & Mr Reynard, Cornete, faisoient admirer leur propreté. Quarante Chevaliers qui les suivoient, habillez tous de la mesme sorte, avoient chacun une Plume blanche, & une tres-grande quantité de Rubans verds sur eux & sur leurs Chevaux. C’estoit la Livrée de leur Jardin. Ils traverserent la Ville en cet équipage avec leurs Hautbois, & leurs Tambours, & allerent hors les Portes recevoir les Compagnies des Chevaliers Etrangers. Celle de Soissons parut la premiere. On détacha Mr Cahieu Maréchal des Logis, pour la reconnoistre ; ce qui ayant esté fait, la Compagnie de Péronne marcha jusqu’à un demy quart de lieuë de la Ville, où ayant trouvé les Chevaliers de Soissons, Mr Aubé mit l’Epée à la main ainsi que ceux de sa Suite, & en salüa le Capitaine, luy témoignant l’obligation qu’on leur avoit d’estre venus honorer la Feste. En suite toute la Compagnie passa devant celle de Soissons qu’elle salüa de l’Epée nuë, revint avec elle dans la Ville au son des Hautbois & des Tambours, & la conduisit dans le Logis qui luy estoit préparé, apres qu’elle eut fait un tour dans la Place d’Armes. Ceux de Soissons estoient à peine logez, que le Guet ordinaire de la Ville, entretenu par les Echevins pour avertir de ce qui se passe à la Campagne, vint donner avis qu’on voyoit paroistre d’autres Compagnies. Celle de Péronne marcha aussi-tost, toûjours en bon ordre, & fut à peine sortie, qu’elle découvrit les Chevaliers de la Ville de S. Quentin. Ils estoient au nombre de quatre-vingts, tous tres-bien montez, & avoient Mr le Président Vallois à leur teste. Ils furent reçeus, conduits, & logez avec les mesmes honneurs que ceux de Soissons. La Compagnie de Montdidier arriva un peu apres, ayant Mr Dargenlieu pour Capitaine. On luy rendit les mesmes honneurs qu’aux deux premieres, & on en usa de la mesme sorte pour les Chevaliers des autres Villes voisines, la reception desquels dura jusqu’à neuf heures du soir. Apres qu’on les eut logez, ceux de Péronne se rendirent à leur Jardin, où un superbe Repas servit à les délasser. Le lendemain 29. toutes les Bandes averties par les Tambours, se trouverent à la Messe qui fut celebrée pour l’ouverture des Prix. Chaque Compagnie y alla Tambour batant, & Enseigne déployée ; & ceux de Péronne s’y firent voir dans de nouvelles parures. Sur les quatre heures de ce mesme jour, tous se rendirent au lieu d’Assemblée. La Compagnie des Canonniers & Arquebusiers de la Ville, commandée par Mr Vaillant son Capitaine, s’estoit mise sous les armes, au nombre de quarante, armez de Mousquets & de Bandolieres, & ayant chacun une Plume verte & blanche. On leur avoit confié le Bouquet que rendoient les Chevaliers de Péronne. Les Fleurs qui le composoient estoient d’une soye si vive, que les veritables n’eussent pû les effacer. Jamais Ouvrage ne fut travaillé si artistement. Vous n’aurez pas de peine à le croire, quand je vous diray que la Reyne se l’est fait montrer plusieurs fois chez les Dames Religieuses de la Ruë du Bouloir, qui ont bien voulu y donner leurs soins. Ce Bouquet estoit posé sur un Piedestal de deux pieds de haut, tout doré, & orné de quatre Statuës aussi dorées, dans les quatre coins. Ces Statuës estoient deux Nymphes, ayant des Palmes dans une main, & un Cœur dans l’autre, & deux Amours qui tenant chacun un Arc, sembloient estre prests à en décocher les Fleches sur ces Cœurs. Quatre Hommes vétus des Livrées du Jardin, portoient le Bouquet. Parmy les diverses Compagnies des Chevaliers, celle de Villers-Cotrets, quoy qu’en petit nombre, se fit distinguer par une parure égale. On ne vit jamais plus de propreté. Aussi n’estoit-elle composée que d’Officiers de la Maison de Monsieur, qui est un Prince qui ne se sert que de Gens choisis. Toutes les Bandes firent le tour de la Ville dans un tres leste Equipage, chacune prenant son rang selon que le sort l’avoit reglé. Lors qu’on fut devant la Porte de Mr de la Brouë, Lieutenant pour Sa Majesté dans la Place, les Officiers de la Compagnie de Péronne, luy allerent reïterer la priere qu’ils luy avoient déja faite de tirer le coup du Roy, & d’estre de la Collation préparée en leur Jardin. Il se mit aussi-tost en marche à leur teste, précedé par tous les Gardes de Mr d’Hoquincour, Gouverneur de Péronne, & suivy du Major, & de tous les Officiers de la Garnison. Ils trouverent une premiere Collation qui leur fut offerte par les Echevins lors qu’ils arriverent à l’Hôtel de Ville. On la présenta aussi à toutes les Bandes. Je ne vous dis point combien on vuida de Verres à la santé de Sa Majesté. Pendant ce temps, les Arquebuses à croc qui sont dans le Béfroy de la Ville, tirerent sans intervale, & l’on fut surpris de voir plus de quarante Drapeaux, posez aux Fenestres de ce mesme Hôtel par chaque Corps des Mestiers. Les Bandes estant revenuës au lieu d’où elles avoient commencé leur marche, chacun retourna chez soy, à la réserve des Officiers, qui avec Mr de la Broüe & ceux de sa Suite, entrerent dans le Jardin. Il tira le coup du Roy comme on l’en avoit prié, & mangea en suite avec tous les Conviez. La Collation se trouva servie au milieu d’une des Allées de ce Jardin. Rien n’y manqua pour la rendre magnifique, & les Hautbois d’un costé ; & les Violons de l’autre, firent pendant ce Régal une harmonie des plus agreables. Le lendemain tous les Députez des Bandes s’assemblerent au mesme Lieu, où ils reglerent le tirage au sort, & les Prix au nombre de trente-deux. (On y employe deux mille Ecus que les Chevaliers fournissent.) Cela estant fait, Mr Aubé plaça les Pantons en présence de ces mesmes Députez, au bruit des Hautbois, & de plus de trente Tambours. Chacun ensuite tira à son rang, mais en divers jours. Celuy des Chevaliers de Péronne estant venu, ils parurent tous en Vestes de Brocard, ou de toile de Hollande tres-fine, chamarrées de Dentelle & de Pierreries, avec des Toques de Satin couvertes d’une infinité de Rubans. Comme ils n’eurent point leur ordinaire succés au premier Panton, ils s’en firent un sujet de divertissement pour eux, & pour tous les autres. Ainsi ils parurent le lendemain avec des Habits de Drap noir, couverts de Crespe, & marcherent dans la Place, leur Drapeau plié, le bout en terre, leurs Tambours voilez de noir, & batant d’une maniere tres-lente & toute lugubre. Mr Landon, Président en l’Election, qui les précedoit, portoit, quoy qu’en plein midy, une Chandelle allumée dans une Lanterne. Un autre tenoit une Lunete d’approche pour chercher le Noir, qu’ils n’avoient pû trouver au Panton. La plaisanterie fut fort approuvée. Cependant tous fatiguez qu’ils estoient de toutes les Festes qu’ils avoient esté obligez de faire, ils ne laisserent pas de gagner cinq Prix. Le premier de tous, fut remporté par un Chevalier de Chauny. C’estoit une Epée de vermeil. Vous pouvez juger de sa valeur par le second, qui estoit un Bassin d’argent de trois cens Ecus. Le Vendredy 4. de Juillet, on distribua ces Prix en présence de tous les Députez ; & le Bouquet ayant esté destiné d’un consentement general à la Compagnie de Mondidier, pour le rendre dans deux ans, il luy fut porté le lendemain par les Chevaliers de Péronne, précedez de leur Officiers tous à pied, & armez d’un Pistolet dont ils firent plusieurs décharges. Ceux de Mondidier marquerent beaucoup de joye en recevant ce Bouquet, dont ils se chargerent par un Acte, & régalerent en suite les Chevaliers de Péronne, & les Canonniers, avec une entiere magnificence. On compta plus de 80. Personnes à ce Repas. J’ay oublié de vous dire que depuis le commencement de la Feste, il y eut Bal tous les soirs en trois ou quatre Maisons. Celuy que Mr Aubé donna le Mardy premier du Mois, estoit general pour toutes les Dames tant de la Ville que des environs. Mademoiselle Aubé sa Sœur, qui est une Personne bien faite & d’un grand mérite, en fit les honneurs, & s’en acquita avec l’entier applaudissement de l’Assemblée. Il fut suivy d’une tres-belle Collation. Le mesme Mr Aubé donna un magnifique Repas à Mr de la Broüe, aux Officiers de la Garnison, aux Echevins, & aux Officiers des Compagnies Etrangeres. Il fut servy à cinq services, de tout ce qu’on peut trouver de rare & d’exquis, & accompagné d’une Symphonie admirable de Musique, de Violons, & de Hautbois. Le Jeudy au soir 3. du mois, on eut le plaisir d’un tres-beau Feu d’artifice. Les Cerémonies de la Feste furent terminées par le départ des Chevaliers de Mondidier, que ceux de Péronne conduisirent hors de leur Ville, marchant en bon ordre, & faisant des décharges continuelles. L’honneur qu’ils se sont acquis dans cette rencontre, a donné une telle émulation à toutes les Villes de ces Provinces, que dans l’ardeur de faire revivre un Jeu si noble, les plus considérables de chacune s’empressent à s’y faire recevoir. Ceux de Roye achetent une Maison afin d’y faire un Jardin ; ce qui donne lieu de croire qu’il n’y aura point à l’avenir une plus celébre Feste, que celle du Prix general de l’Arc.

Traduction de la 14. Ode du 2. Livre d’Horace §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 45-52.

Si vostre Amy que vous me peignez entierement possedé par les beaux Meubles, & qui semble vouloir faire autant de Palais qu’il a de Maisons, est capable de soufrir une moralité un peu fâcheuse pour ceux à qui rien ne manque, faites luy voir, je vous prie, la Traduction que je vous envoye de l’Ode d’Horace, qui commence par, Eheu fugaces Postume, postume, &c. Elle est du Fils d’un Auditeur des Comptes de Dijon, dont vous avez veu plusieurs Ouvrages.

TRADUCTION DE LA
14. Ode du 2. Livre d’Horace.

De tes attachemens si tu veux te guérir,
Postume, souviens toy que tu vis pour mourir.
Les plus beaux de tes ans passent avec vîtesse,
Et tu sens ralentir l’ardeur de ta jeunesse ;
Ton culte envers le Ciel, ton encens, ny tes vœux,
Ne pourront t’exempter d’une triste vieillesse,
Ils n’arresteront pas le temps qui fuis sans cesse,
Et qui sans t’épargner vient blanchir tes cheveux.
***
Dûsses-tu chaque jour immoler cent Victimes
Sur les Autels du Maistre des Enfers,
Dont le pouvoir, par des droits légitimes,
Pour punir des Géans tous les crimes divers.
Déja depuis longtemps les retient dans les fers ;
Rien ne pourra fléchir son cœur inéxorable,
C’est une Loy pour tous inévitable,
Qu’il faut que chacun à son tour,
Pauvre, Riche, Berger, Monarque,
Passe confusément sans espoir de retour
Dans la fatale Barque.
***
En vain pour prolonger le cours de nos années
Qui dans un certain temps par les Dieux sont bornées,
Nous voudrons éviter les funestes hazards
De Bellone & de Mars.
En vain l’art d’un Pilote, & le vent favorable,
Conduiront sur les flots d’une Mer redoutable
Nostre Navire jusqu’au Port ;
En vain pour éloigner la mort qui nous étonne,
Nous craindrons dans l’Automne
D’un vent rude & mortel l’impétueux effort.
***
Il faut souffrir les coups de la Parque fatale,
Il faut payer un jour le tribut à Caron,
Voir le Cocyte errant, & le triste Achéron,
Habiter de Pluton la Demeure infernale,
Où parmy les horreurs d’une obscure Prison,
La Race Danaïde, & l’orgueilleux Typhon,
L’infortuné Sisyphe, Ixion, & Tantale,
Souffrent cruellement
De leurs crimes commis le juste châtiment.
***
Il faut quiter tes Maisons de Campagne,
Tes Meubles somptueux, tes superbes Palais,
Abandonner, & perdre pour jamais
Ton Epouse charmante, & ta douce Campagne,
Toy d’un Tout si parfait la fidelle Moitié,
Que la Mort à ses yeux ravira sans pitié.
***
Il faut quiter ces Lieux pleins de delices
Qui sont à tes vœux si propices,
Ces Parterres, ces Bois, ces Jardins toûjours verds,
Où malgré les rigueurs d’une saison cruelle,
Flore souvent se renouvelle,
Et conserve un Printemps au milieu des Hyvers.
***
Ces Lys, ces Oeillets, & ces Roses,
Que tu vois avec soin dans tes Jardins écloses,
Mais qui ne durent qu’un matin,
Sont de tes foibles jours une vive peinture,
Et tu n’auras qu’un semblable destin.
Ces Arbres, ces Gazons, & ces Lits de verdure,
Qui semblent ne changer jamais,
Quand tu satisferas aux Loix de la Nature,
Perdront leurs plus charmans attraits,
Et deviendront pour toy de funestes Cyprés.
***
Un Héritier viendra, dont la folle dépense
Dissipera les Biens qui luy seront donnez ;
À table on luy verra répandre en abondance
Sur tes Planchers de marbre & de peinture ornez,
Tes Vins délicieux, qu’on avoit destinez
Pour les jours de réjoüissance,
Et qu’avec tant de soin & tant de vigilance
Tu tenois sous cent clefs dans ta Cave enfermez,
Comme les plus exquis & les plus estimez.

[Baptéme d’une jeune Juifve fait à Mets avec grande cerémonie] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 53-56.

Le 20. de l’autre mois, il se fit une fort grande Cerémonie à Mets pour le Baptéme d’une jeune Juifve âgée de douze ans. Monseigneur le Dauphin & Madame la Dauphine, qui voulurent bien luy servir de Parrain & de Marraine, firent l’honneur à Mr Bazin Intendant de Justice des trois Eveschez de Mets, Thoul & Verdun, & Frontiere d’Allemagne, & à Dame Marie le Page son Epouse, de les choisir pour la tenir en leur place. Toutes les Ruës par où l’on passa pour se rendre dans l’Eglise Cathédrale, estoient tenduës de Tapisseries. Plusieurs Hautbois & Trompetes alloient les premiers, & précedoient les Officiers & Archers de la Ville en marche tres-bien reglée. Ils estoient suivis de quantité de petites Filles vestuës de Toile d’argent, habillées en Anges, avec des Cierges, & couronnées de Fleurs. Derriere elles marchoit la jeune Juifve qui alloit recevoir le Baptéme, vestuë de Moire d’argent, avec des Fleurs sur la teste, & quantité de Perles & de Diamans. Les Dames de la Propagation l’accompagnoient, avec les Nouvelles Catholiques ; & les Curez de toutes les Paroisses de la Ville, dont les Banieres alloient devant, fermoient cette Marche. Mr l’Archevesque d’Ambrun, Evesque de Mets, fit cette Cerémonie, pendant laquelle la grosse Cloche, qui ne sonne jamais que par l’ordre de la Ville, sonna plusieurs fois. Il faut soixante Hommes pour cela. Il y eut grande Musique, & on tira le Canon. Cette Fille fut nommée Anne-Marie Chrêtienne, ainsi que Madame la Dauphine l’avoit ordonné. On distribua une somme d’argent à tous les Pauvres qui se présenterent, & cette maniere de Feste fut terminée par un grand Soupé, où Mr de Seve Premier Président se trouva avec la plus grande partie de Mrs du Parlement, & des Dames de la Ville.

Conseils des-intéressez à la Jeune Iris §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 56-79.

Le Cavalier que vous avez veu si galant dans vostre Province, & qu’on vous a dit estre en solitude, a choisy pour sa retraite le Lieu du monde le plus agreable. C’est une Maison tres-bien située, qu’on peut appeller un petit Bijou. Les Apartemens n’en sont pas fort grands, mais tout y est propre, & d’une commodité admirable. Ce qui l’a sur tout déterminé à la préferer à beaucoup d’autres qu’on a voulu luy faire acheter, c’est la beauté du Jardin. On m’a fait voir une Lettre qu’il écrivoit en commun à cinq ou six Dames, pour les inviter à l’aller voir. Il les en prioit par le mérite qui suit ce qu’on fait pour les Reclus ; & comme si l’agrément de son humeur n’eust pas suffy pour les attirer, il leur envoyoit la Veuë d’une Fontaine ornée de Jets d’eau, au bord de laquelle il les assuroit qu’on faisoit souvent de fort galantes conversations. Il est aisé de connoistre par ce bel endroit de sa Maison, qu’une Solitude pareille à la sienne n’est pas difficile à suporter. Aussi ne l’est-elle que de nom, puis qu’il est rare qu’on l’y laisse seul. La maniere aisée dont il reçoit ses Amis, fait qu’on s’empresse à le visiter, & l’on revient toûjours tres-content de ces sortes de Parties. Il s’en fit une il y a huit jours, de Gens choisis de l’un & de l’autre Sexe, qui eurent tout lieu d’estre satisfaits de luy. Il leur donna un fort grand Repas ; & quand la chaleur du jour fut un peu diminuée, il convia cette belle Troupe à venir prendre le frais à la Fontaine dont je viens de vous parler. On y servit la Collation aux Dames, qui furent surprises de l’effet que produisoient les Jets d’eau au milieu des Arbres qui sont tout autour. Elles se promenerent en suite dans les Allées du Jardin ; & le hazard ayant fait que le Cavalier demeura un peu derriere avec une fort jolie Personne, Fille d’une de ces Dames, la plus enjoüée de toutes se détournant, luy dit agreablement que le nom de Solitaire qu’il se donnoit, n’empeschoit point qu’il ne s’attachast toûjours aux Belles. Il répondit avec le mesme enjouëment, qu’apres les longs & divers voyages qu’il avoit faits dans le Païs de Galanterie, il n’estoit plus propre que pour le conseil ; qu’à la verité il croyoit y avoir quelque talent, à cause du grand usage qu’il avoit du monde ; & que peut-estre les Leçons qu’il donneroit ne seroient pas inutiles, pourveu qu’on voulust soufrir qu’il parlast sincérement. Il n’y eut personne qui en mesme temps ne s’ofrist à l’écouter. Il demanda quelques jours pour examiner ce qui convenoit à chacune d’elles, & dégagea sa parole par diverses Lettres qu’il leur fit porter à toutes. Comme aucune de ces Dames n’a voulu montrer la sienne, je ne vous puis dire de quelle nature estoient les conseils qu’il leur donna. Apparemment ils avoient raport à leur caractere. L’une est coquete, l’autre ambitieuse, la troisiéme prude, & la derniere un peu surannée. Vous jugerez là-dessus de ce qu’il pût leur écrire. La jeune Personne qui avoit esté la cause de l’engagement qu’il s’estoit fait, eut aussi sa Lettre en particulier. Je vous en envoye une Copie. L’innocence de son cœur qui est encor libre, n’a pû permettre qu’elle en ait fait un secret. Voicy en quels termes elle estoit conçeuë.

CONSEILS DES-INTERESSEZ, À LA JEUNE IRIS.

Il y a des Meres qui ne veulent pas que l’on prononce le mot d’amour devant leurs Filles. C’est une précaution un peu scrupuleuse, & qui peut-estre a quelque chose de bien dangereux. Malheur à celles qui n’ont connu l’amour que quand elles l’ont senty. Voila ce que cherchent la plûpart des Galans, de jeunes Innocentes. Dieu sçait quels ragousts ils se figurent à leur donner les premieres leçons. Pour moy, je veux, s’il se peut, les prévenir aupres de vous, & vous apprendre ce que vos Amans vous apprendroient. Si mes enseignemens vous plaisent moins que ne feroient ceux qu’ils vous donneroient, en récompense ils vous coûteront moins aussi.

Vous entrez dans le monde, aimable Iris, sçachez les diférentes mesures qu’il faut prendre avec les diférens caracteres de Galans, ausquels vous vous verrez exposée. Vous trouverez toutes les Ruelles & toutes les Chambres semées de ces fades Protestans, de ces infatigables Diseurs de douceurs, devant qui un visage un peu jeune, & des yeux un peu passables, ne sçauroient paroistre, sans estre aussi-tost attaquez d’un nombre infiny de fleuretes. Leurs admirations ne vous font quartier sur rien. Vous ne pouvez faire un pas, ny dire un mot qui ne vous attire un orage de loüanges. Leurs yeux radoucis vous suivent par tout. J’ay veu de jeunes Personnes qui s’accommodoient de ces Gens-là. Les premieres douceurs qu’on entend, sont d’ordinaire fort bonnes de quelque part qu’elles viennent, & les gousts qui ne sont pas encor formez, sont sujets à en estre un peu avides. Je ne croy pas que vous ayez besoin de leçon là-dessus ; mais en tout cas, s’il vous en faloit une, écoutez ces sortes de Galans deux ou trois fois, cela suffira pour vous en desabuser. J’ay veu aussi de jeunes Personnes d’une autre humeur, qui estoient fatiguées de ces Doucereux éternels, jusqu’à le leur dire, Gardez vous bien de prendre cette métode avec eux. Cela ne sert qu’à leur faire redoubler, & qu’à irriter encor leurs éloges. Ils croyent que tout ce qui vous tient, c’est la difficulté d’ajoûter foy à ce qu’ils vous disent, & qu’en vous le redisant d’une maniere plus forte, ils vous persuaderont. Ce n’est pas là le moyen de vous délivrer de leurs visites. Gouvernez-vous plus finement. Convenez avec eux des loüanges qu’ils vous donneront. Mettez-vous de moitié à vous admirer vous-mesme. Prévenez quelquefois leurs fleuretes, mais tout cela d’une certaine maniere qui fasse voir un agreable mépris pour eux, & non pas une sote estime pour vous ; & je vous répons que quelque esprit qu’ils ayent, vous les verrez fort embarassez.

Il y a dans le monde une infinité de jeunes Gens aussi remplis de bonne opinion d’eux, qu’ils l’ont mauvaise des Femmes. Une seule avanture qu’ils auront euë, peut-estre en des Lieux où il n’y avoit pas beaucoup à combatre, leur fait tirer des conséquences genérales pour tout le reste du Sexe. Ils connoissent les Femmes, disent-ils, ils sçavent les prendre par leur foible. Ils ont appris par expérience, que quelques beaux dehors qu’elles montrent, rien ne tient, quand on a l’art de bien attaquer. Vous les reconnoîtrez à un air de confiance qui regne sur tout ce qu’ils disent, à de certaines manieres hautes qu’ils ont retenuës de leurs conquestes, au peu de largesse qu’ils font de leur prétieuse estime. Ils sont persuadez qu’une complaisance aveugle gagne les Femmes. Ils s’y étudient, mais c’est une complaisance feinte, au travers de laquelle vous démeslez aisément qu’ils se répondent qu’elle ne leur sera pas inutile. Recevez leurs protestations avec froideur, vous ne voyez point qu’ils en soient beaucoup touchez. Ils se tiennent sûrs que vous n’agissez que par grimaces. S’ils se trouvent teste-à-teste avec vous, vous ne leur remarquez point cette agreable timidité qui est le caractere des veritables Passions. Point d’embarras à expliquer ce qu’ils pensent. L’honneur qu’ils prétendent faire en se déclarant, les fait d’abord entrer en matiere. Ils se plaignent d’un air sec & forcé, & avec des exagérations terribles ; & ce qui ne manque presque jamais, ils vous comparent aux autres Maîtresses qu’ils ont euës, bien moins cruelles que vous, car ils croyent (& cela est quelquefois vray aupres d’une certaine espece de Femmes) que les exemples des faveurs qu’ils ont obtenuës de quelques-unes, peuvent beaucoup sur les autres, qu’une premiere bonne fortune en attire une seconde, & que telle se laisse vaincre à la réputation d’un Amant, qui ne se seroit peut-estre pas laissée vaincre à l’Amant mesme. Si jamais quelques-uns de ces Gens-là vous tombent entre les mains, vangez bien severement sur eux tout vostre beau Sexe. Ecoutez-les pour les mal-traiter, mais d’ailleurs évitez-les autant que vous le pourrez. Que toute vostre conduite avec eux soit extrémement resserrée. Songez qu’il faut leur refuser les apparences autant que les choses mesmes. Un Billet qui les mettra d’une Partie de jeu ou de promenade, est fort innocent. Cependant ne le hazardez point avec eux. Ils en montreront l’écriture à mille Gens, à qui ils refuseront de le lire. Souvent quand ils sont teste-à-teste avec vous, ils ne veulent que l’honneur d’y estre surpris. Ils affectent de vous rendre des soins en public ; & cependant ils disent par le monde en termes genéraux, qu’ils ne sont pas Gens à perdre leur peine. Enfin il est tel Homme qu’il vaudroit mieux aimer, que d’estre seulement aimée d’un de ceux-là.

Que j’aurois de choses à vous dire sur les Amans que vous pourrez avoir, qui seront au dessus de vous par leur rang & par leur naissance ! Rejettez bien loin la dangereuse vanité d’avoir tous les jours à vostre Porte un Carrosse à Manteau Ducal. Ces sortes d’Amans sçavent vous faire une espece de honte des résistances que vous leur faites, en les traitant de manieres Provinciales, ausquelles ils opposent celles de la Cour ; & peut-estre y a-t-il eu des Femmes qui leur ont accordé des graces considérables, par la seule crainte de faire croire qu’elles ne sçavoient pas assez bien vivre. Rendez à la qualité des Gens ce qu’elle demande précisément, & gardez-vous bien d’aller au dela. Autrement vous leur feriez concevoir de trop hautes espérances. Tenez-vous au dessous du Duc, si c’est un Duc qui cherche à vous voir, mais infiniment au dessus de l’Amant.

Un des plus dangereuses especes de Gens que vous puissiez rencontrer à vostre entrée dans le monde, ce sont ceux qui s’attacheront à vous pour vous donner des conseils, & pour prendre en quelque façon le soin de vostre conduite. Ils ont de l’acquis, ils décident. Un jeune Femme est bien-aise de les trouver d’abord pour Protecteurs de son mérite lors qu’elle commence à paroître, & de tirer d’eux les lumieres dont elle a besoin. Peu à peu on leur laisse prendre sur soy un ascendant qui se fortifie toûjours. Quand on voudroit secoüer le joug, on ne le peut plus. Ils ne manquent point de vous décrier le reste des Hommes. Ils tâchent ou à vous rendre suspects ceux qui leur feroient ombrage aupres de vous, ou à les écarter par leurs propres assiduitez. Ils vous broüillent avec tous leurs Ennemis ; & quand ils ont fait de vostre Maison une Solitude telle qu’ils l’entendent, ils se déclarent Amans, ou plutost ils usent de leur droit, en vous commandant de les aimer. Prévenez cette indigne servitude, non pas en ne recevant point de conseils, (profitez-en, sans vous assujettir trop à ceux qui les donnent,) mais en ne souffrant pas qu’il s’établisse chez vous sur ce prétexte aucune sorte de domination ; & ne fust-ce que pour l’empescher, négligez quelquefois de bons avis, quand ce ne sera pas sur des matieres trop importantes.

Voila, ce me semble, les principaux caracteres contre lesquels vous avez à vous tenir sur vos gardes. Si vous profitez de mes Leçons, que vous devez croire entierement des-intéressées, puis que je ne suis ny en état, ny en âge de prétendre à vostre cœur, au moins ne serez-vous en péril d’aimer que quand vous rencontrerez un Homme qui soit veritablement aimable ; mais comme en ce cas je n’aurois guére de conseils à vous donner contre luy, je veux vous apprendre comment il doit estre fait, afin que vous ne vous y laissiez pas tromper. C’est une peinture que je vous feray la premiere fois.

[Ce qui s’est passé aux Eaux de Pyrmont, entre les vingt-sept Abesses qui s’y sont trouvées] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 80-99.

Si nostre spirituel Solitaire tient ce qu’il promet, il sçait quelles qualitez sont essentielles à un galant Homme, & il en fera sans-doute un agreable portrait. Ce qu’il a écrit aux Dames, dont je vous ay dit que l’une est prude, & l’autre coquete, ne sera peut estre pas toûjours si caché, qu’il n’en échape quelques Copies. Si elles me tombent entre les mains, vous les aurez aussitost. Il pense si juste, que tout ce qui vient de luy mérite d’estre gardé. Cependant je vous envoye une Planche qui me paroist avoir du raport avec ce qu’on dit de la Fontaine, qui fait un des ornemens de sa nouvelle Maison. C’est la veuë de celle qu’on appelle des Tritons dans le beau Jardin d’Aranjuez. Elle a bien de quoy contenter les yeux. Aussi beaucoup de ceux qui l’ont veuë, la préferent-ils à toutes les autres.

Je vous appris la derniere fois la Reception qui avoit esté faite à la Reyne Mere de Danemark à la Cour de Hanover, & qu’elle en estoit partie pour aller à Pyrmont, dans le dessein d’y prendre des Eaux. Elle y arriva le Samedy 18. de Juin, selon le vieux stile, & le 28. selon nous. Madame l’Electrice Palatine s’y rendit une heure apres, & vint salüer la Reyne sa Mere. Les Danois qu’on ne voyoit jamais à ces Eaux qu’avec des Fourrures, y ont paru cette fois avec des Habits chamarrez, & brodez d’or & d’argent. En fort peu de jours la Cour y devint fort grosse, & peut-estre ne verra-t-on de longtemps tant de Princes Souverains assemblez en mesme Lieu. Pendant le sejour que Sa Majesté a fait à Pyrmont, il y a eu jusques à vingt-sept Altesses. En voicy les noms.

Monsieur le Prince Royal de Danemark.

Monsieur l’Electeur, & Madame l’Electrice de Brandebourg.

Madame l’Electrice Palatine.

Messieurs les deux jeunes Princes de Brandebourg.

Madame la jeune Princesse de Frisland.

Monsieur le Duc, & Madame la Duchesse de Zell.

Monsieur le Duc, & Madame la Duchesse de Hanover.

Messieurs les deux jeunes Princes de Hanover.

Messieurs les deux Princes de Holstein.

Monsieur le Prince d’Eysenach.

Madame la Princesse de Zell.

Madame la Princesse de Hanover.

Monsieur le Landgrave de Cassel.

Mesdames les Landgraves de Cassel la Mere & la Fille.

Madame la jeune Princesse de Mekelebourg.

Monsieur le Prince & Madame la Princesse d’Anhalt.

Trois Princesses d’Anhalt.

Les noms employez dans cette Liste ne désignent aucun rang entre ce grand nombre d’illustres Personnes. Elles n’en ont pû convenir entr’elles ; & pour éviter dans les Assemblées toutes les disputes de préseance, elles s’en sont rapportées au Sort, qui tour-à-tour leur a fait changer de place.

Le Dimanche 19. (je suis toûjours le vieux stile employé dans mes Mémoires) la Reyne passa tout le jour en devotion selon sa coûtume, & fut complimentée de la part de Mr l’Electeur de Brandebourg par Mr de Galdebeek son Grand Chambellan. Madame l’Electrice de Brandebourg, les deux Princes de cette Maison, & plusieurs autres Seigneurs, luy envoyerent aussi faire compliment, & elle reçeut ceux de Mr le Comte de Valdek, à qui la Comté de Pyrmont appartient.

Le 20. Sa Majesté fit appeller tous les Medecins, pour consulter si elle devoit prendre des Eaux.

Le 21. Elle commença à en boire, suivant ce qui avoit esté résolu, & continua d’en user pendant deux jours ; mais comme elle s’en trouva incommodée, elle les quita.

Le 24. Feste de S. Jean, fut encor pour elle un jour de devotion.

Le 25. cette Princesse rencontra Madame l’Electrice de Brandebourg aupres de la Fontaine.

Le 26. qui estoit Dimanche, fut employé à ses devotions ordinaires.

Le 27. Madame l’Electrice de Brandebourg, accompagnée de Mr le Landgrave de Cassel, la vint visiter avec une Suite magnifique.

Le 28. la Reyne alla voir Madame l’Electrice de Brandebourg, & Madame la Landgrave de Cassel.

Le 29. Sa Majesté fut traitée à Lude par Mr l’Electeur de Brandebourg. Mrs les Ducs de Zell & de Hanover prétendoient qu’il leur devoit rendre visite le premier, à cause qu’il estoit arrivé à Pyrmont avant eux ; mais s’estant trouvé attaqué de goute, ces Princes y accompagnerent la Reyne de Danemark, & virent cet Electeur, comme estant menez par cette Princesse. Peu de temps apres on se mit à table. Sa Majesté voulant donner lieu à ces Souverains de se voir sans contestation pour les rangs, proposa de faire tirer les Places aux Billets. Voicy comment le Sort les régla dans ce Repas.

1. Place. Mr le Prince Philippe de Holstein.

2. Madame la Duchesse de Hanover.

3. Mr l’Electeur de Brandebourg.

4. Madame l’Electrice Palatine.

5. Mr le Duc de Zell.

6. Mr le Duc de Hanover.

7. La Reyne Mere de Danemark.

8. Madame l’Electrice de Brandebourg.

9. Madame la Princesse de Zell.

10. Mr le Prince de Saxe-Eysenach.

11. Madame la Princesse de Meklebourg.

12. Mr le Prince Philippe de Brandebourg.

13. Madame la Princesse de Hanover.

14. Mr le Prince George.

15. Madame la Duchesse de Zell.

16. Mr le Prince de Hanover.

17. Mr le Duc de Holstein.

Le 30. on se divertit au Jeu chez la Reyne de Danemark.

Le 1. Juillet, cette Princesse traita toute la Maison de Brandebourg & celle de Brunsvic. La Table estoit de vingt-deux Couverts.

Le 2. Mr le Duc de Zell donna un magnifique Repas à la Reyne & à toutes les Altesses.

Le 3. Mr le Duc de Hanover traita à son tour cette illustre Compagnie.

Outre les Altesses qui se sont trouvées à Pyrmont, & qui estoient à la mesme Table lors qu’elles se sont traitées, il y avoit souvent d’autres Tables de cent Personnes de qualité de l’un & de l’autre Sexe.

Les quatre jours suivans se passerent aussi agreablement que les premiers ; & le 8. les Princes, les Cavaliers, & les Dames, voulant divertir la Reyne par la nouveauté d’une Mascarade, prirent des Chariots de Poste, avec du Foin & de la Paille, & monterent dessus comme des Gens qui venoient aux Eaux. Les uns estoient déguisez en Chartiers. Les autres, parmy lesquels estoit Mr le Prince Royal, parurent en gros Marchands Hollandois venant des Indes. Mr Ilten représentoit un Opérateur, avec Mr le Prince de Holstein. Mr le Prince Fréderic-Auguste de Hanover avoit un Habit de Femme ; & les Dames qui furent de cette Partie, se mirent ainsi que luy, en Bourgeoises de Campagne. Toute cette illustre Troupe passa devant les Fenestres de la Reyne, qui leur donna à souper, & le Bal en suite.

Le 9. on fit venir des Sauteurs, des Marionetes, des Joüeurs de Flûtes, & d’autres Instrumens, avec des Chanteurs.

Le 10. on fit une Loterie de deux mille Ecus, où il fut permis à tout le monde d’aller prendre des Billets. Mr le Duc de Hanover donna aux Comédiens deux cens Ecus qu’il y avoit mis, & ils aimerent mieux les prendre en espece, que de les risquer, sur l’espérance d’avoir les gros Lots.

Le 11. la Reyne de Danemark traita toutes les Altesses, & partit ce mesme jour, apres avoir fait distribuer une grande somme d’argent aux Pauvres, qui estoient accourus en foule à Pyrmont. Elle alla coucher à Hamelin, & le lendemain à Hanover. Pendant quelques jours qu’elle y a passez, voicy l’ordre qu’on a suivy pour la Table. On se prenoit par la main dans la Chambre de la Reyne, d’où l’on sortoit en une longue file, chaque Cavalier tenant une Dame. On tournoit ainsi autour de la Table ; & quand elle estoit entourée on prenoit place où l’on se trouvoit, sans qu’on s’attachast à observer aucun rang. La Reyne mesme qui voulut estre de cette Suite, n’avoit quelquefois qu’une des dernieres places. Treize Altesses mangeoient toûjours avec elle, sçavoir, Mr le Prince Royal de Danemark, Madame l’Electrice Palatine, Mrs les Ducs de Zell & de Hanover, Mesdames les Duchesses leurs Femmes ; Mrs les deux Princes de Holstein, Mr le Prince d’Eysenach, avec Mrs les deux Princes aînez de Hanover, & Mesdames les Princesses de Zell, de Hanover, & de Meklebourg. On y a donné trois Représentations de l’Opéra Italien d’Alceste, & dancé deux fois le grand Balet intitulé le Charme de l’Amour, Voir cet article qui relate la représentation du Charme de l'amour.que l’on avoit augmenté de quelques Entrées. Je vous en fis la description dans ma Lettre du Mois d’Avril, & l’accompagnay des Vers qui ont esté faits sur cette matiere. La Reyne de Danemark s’est fort divertie à ce Balet. On en prépare un nouveau, tout champestre & qui doit estre dancé dans la Campagne à la clarté des Flambeaux. Je vous feray part du détail qu’on m’en promet.

La Saliere, et le Sucrier. Fable §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 99-114.

Mr Gardien, Secretaire du Roy, est Autheur de la Fable qui suit. Elle est de pure invention, & remplie d’allusions aussi fines que naturelles. La morale en peut estre utile à bien des Gens.

LA SALIERE, ET LE SUCRIER.
FABLE.

Dans une Office d’importance,
Sur une superbe Crédence,
Parmy cent Vases prétieux,
Régnoit une grosse Saliere,
À qui malgré sa mine fiere,
Un Sucrier voisin faisoit fort les doux yeux.
Au retour du Buffet, au sortir de la Table,
Ce beau Peuple d’argent devenu sociable,
Pour charmer les ennuis de sa captivité,
Passoit à discourir les entieres journées,
Pestant assez souvent contre les Destinées,
C’est l’employ du chagrin & de l’oisiveté.
Un jour nostre Galant s’adressant à la Belle,
Luy dit en soûpirant ; Il le faut avoüer,
 Charmant Objet de la Gabelle,
 On ne peut assez vous loüer.
Que vostre sort est beau ! qu’il est digne d’envie !
Vous donnez aux Mortels le trésor de la vie,
Ce Sel si prétieux, du Ciel le Favory,
 Jadis symbole de sagesse,
 Aujourd’huy source de richesse,
Et qui depuis cent ans fait bien le renchery.
De sa piquante humeur, quoy que l’on puisse dire,
Il n’est point à mon gré de commerce plus doux ;
 C’est luy dont vous tenez l’empire
 Que l’on vous donne parmy nous.
Chez ces mesmes Mortels il a mesme efficace ;
Par le Sel on s’éleve, avec luy l’on peut tout ;
Et sans luy, tel qui tient une premiere place,
 Comme le reste de sa race,
 Se verroit encore au bas bout.
Quand vous estes unis, ce n’est qu’avec prudence,
Ce n’est qu’avec respect qu’on doit vous approcher ;
Chez vous du bout du doigt on n’ose le toucher ;
Et pour l’avoir de vous, il faut baisser la Lance.
À vostre seûreté tout le monde prend part.
 S’il vous arrive par hazard
 De faire un faux pas, chacun tremble ;
 Et soit scrupule, soit raison,
 Venez-vous à verser, il semble
 Qu’on va voir tomber la Maison.
Mais voyez des Humains quelle est la frénesie.
Ils trouvent dans mes flancs le Nectar, l’Ambrosie ;
Cependant ces Ingrats me placent dans un coin ;
Comme un chétif Valet on m’apelle au besoin ;
 L’on m’empoigne, l’on me culbute ;
J’ay beau tomber, l’on méprise ma chute ;
Mesme l’on prend plaisir à voir couler mes pleurs,
Et je suis en un mot un vray Souffre-douleurs.
 O Dieux, que n’ay-je l’avantage
De faire de ce Sel le debit & l’usage !
Il pourroit seul tous mes desirs combler,
 Par l’honneur de vous ressembler.
La Nymphe luy répond ; Je vous suis obligée ;
Mais avec tous ces biens que vous exagerez,
Amy, je ne suis pas si fort avantagée
 Que vous vous le figurez.
J’en conviens avec vous ; se voir sur le Pinacle,
 Peut flater nostre ambition ;
 Mais estre en eternel spectacle,
 Et ne servir jamais qu’à la correction,
 Ne se peut sans causer mortification.
De Sel n’estoit alors tout-à-fait dégarnie
La Saliere, parlant ainsy ;
Mais elle n’en eut grain, quand suivant sa manie
Elle adjoûta le discours que voicy.
Cher Hoste, & Confident du Prince des Epices,
Qui des Palais friands fait les grandes delices,
N’estes-vous pas cent & cent fois heureux ?
 N’est-ce pas vous, Monsieur le Doucereux,
 Qu’on garde pour la bonne bouche ?
 Je vous trouve un joly Garçon,
De vous plaindre si fort de ce que l’on vous touche,
 Sans faire beaucoup de façon.
 Quoy ? pour quelques tours d’estrapade,
Ne comptez vous pour rien changement, promenade,
Et l’honneur de passer par de fort belles mains ?
Allez, n’accusez plus la rigueur des Humains.
Quel seroit mon bonheur d’estre ce que vous estes,
 Et de faire ce que vous faites !
Ah, dit nostre Eventé, que le courroux du Ciel
Change plûtost mon Sucre en Fiel.
Voila de ces deux testes foles
Les beaux raisonnemens, & les discours frivoles,
Dont le Destin, pour les punir tous deux,
Prit sujet d’exaucer leurs vœux.
Un jour, apres débauche entiere,
Il arriva que l’Officier
Mit du Sucre dans la Saliere,
Et du Sel dans le Sucrier.
Afin que vous & moy nous trouvions nostre compte,
Vous voulez bien, Lecteurs, que ce soit du Sel blanc ;
Car à vous le dire tout-franc,
Le gris n’est pas propre à ce conte ;
Mais revenons-y promptement,
Avançons vers le dénoüement,
Et voyons au Repas, quand l’heure en fut venuë,
L’effet que produisit cette étrange béveuë.
Le premier qui crût avoir pris
Du Sel pour saler sa viande,
D’un goust si diférent se trouvant bien surpris,
Cria, que la Saliere estoit une friande,
Qu’elle s’estoit renduë aux douceurs d’un Galant.
Mais que la continence est un rare talent !
 Où trouver Femelle si prude
 Que l’amoureuse passion,
 Malgré sa fierté, son étude,
Ne livre tost ou tard à la tentation ?
Un autre apres semblable épreuve
Feignit de l’excuser, disant qu’elle estoit Veuve,
Et que sans crime elle avoit convolé,
Mais il fut bientost controllé
Par un tiers, qui d’un front austere
Assura qu’elle avoit grand tort,
Et que le Sel n’estant pas mort,
Elle avoit commis adultere.
Par cent autres brocards, qu’il falut essuyer,
Jugez si la Pauvreté eut dequoy s’ennuyer.
Enfin toute confuse & toute contristée,
À l’Office elle est reportée,
Pour la réduire à son premier employ,
Dont si mal-à-propos elle enfraignit la Loy.
Avec le Fruit, on sert un Plat de Créme ;
Pour la sucrer, on prend nostre Galand ;
Mais le Malheureux n’y répand
Avec son Sel, qu’une amertume extréme.
Là le plus diligent est le plus-tost trompé ;
On ne s’en vante pas, on tousse, on crache, on mouche ;
J’ay mal à la luete ; oüay, j’avale une Mouche.
Plutost créver, qu’un seul l’eust échapé.
On aime mieux faire la mine
De tout Animal qui rumine,
Jusqu’à ce qu’on ait veu le dernier attrapé.
C’est la métode charitable,
Par tout ailleurs, comme à la table ;
Et tel souffriroit en secret
Sur son des six bons coups de foüet,
Pour le malin plaisir, de voir sur quelque épaule
Appliquer seulement deux ou trois coups de gaule.
Finissons la digression,
Et quittons la refléxion.
Enfin l’éclat de rire au silence succede ;
Aux Brûlots avalez, bien boire est le remede ;
Puis, sans perdre de temps, on travaille au Procés
De cet Audacieux qu’on accuse d’excés.
Qui l’auroit crû, dit-on, de cette ame traîtresse ?
 Ah qu’un Rustre peu complaisant
 Est quelquefois moins malfaisant
 Qu’un Jan-doucet qui nous caresse !
D’autres plus rigoureux le traitent d’Imposteur,
Disent que c’est un Séducteur,
Qu’il a corrompu la Saliere,
Ou du moins qu’on ne peut nier
Que ce ne soit un Faussaunier,
Et que la preuve en est entiere.
Le dernier Opinant le prit d’un ton plus doux,
Et dit ; Seigneurs, vous sçavez tous,
Que la premiere faute est toûjours pardonnable.
 Epargnez donc ce Misérable,
Il a failly moins par malignité,
 Que pour la curiosité.
 Afin pourtant qu’il s’en souvienne,
Et que d’oresnavant la crainte le retienne,
 Donnons à ce joly Mignon,
 Pour surveillant, pour compagnon,
Le bon Vinaigrier, dont l’humeur satyrique,
 Comme vous sçavez, mord & pique ;
Que placé devant luy, sans cesse à son aspec
 Il en craigne les coups de bec.
L’avis fut trouvé bon, & l’Arrest s’exécute.
Depuis ce temps, le pauvre Condamné,
Sur un Buffet bien ordonné,
À ce Censeur toûjours se trouve en bute.
Pour la grosse Saliere, elle ne paroist plus ;
Apres s’estre épuisée en regrets superflus,
Elle-mesme elle s’est punie,
Elle-mesme elle s’est banie ;
Et l’on dit que l’excés de ses vives douleurs,
Tous les jours la fait fondre en pleurs.
Elle nous a laissé de petites Bâtardes ;
Ces foibles Avortons, ces Salieres camardes,
De honte sous les Plats vont si bien se cacher,
Qu’à toute heure il les faut chercher.
Cette Fable peut nous apprendre,
Qu’il faut se bien connoître, avant que d’entreprendre ;
Et peut encor nous avertir,
Qu’il ne faut jamais pervertir
Les talens que du Ciel nous avons en partage ;
Autrement, pour conclusion,
Au Prochain nous causons dommage,
À nous-mesmes confusion.

À la Belle Cloris des Ambarriens §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 126-144.

La Violete s’est broüillée tout de nouveau avec le Muguet. C’est ce que vous apprendra la nouvelle Lettre que je vous envoye du Berger Fleuriste.

À LA BELLE CLORIS DES AMBARRIENS.

Ah, Madame, qu’il est bien vray ce qu’on m’écrivit il y a quelque temps, en ces termes !

Quand l’amour est au point de son accroissement,
On prend en bonne part ce que fait un Amant,
Dit-il, mesme une injure, il semble qu’il encense ;
 Mais quand par un fâcheux retour
La haine regne aux Lieux où commandoit l’amour,
 Qu’alors on a de défiance !
 Un bon avis passe pour trahison,
 Un bon remede pour poison ;
On croit qu’il n’en vient rien, qui ne soit une offence.

Vous allez voir, aimable Cloris, une assez grande preuve de cette verité, dans cette Relation de l’Empire des Fleurs, que j’ay reçeuë d’une Lumiere de mes Amies. La voicy.

L’un des premiers jours de cet Eté, une Roze à cent feüilles ayant assemblé le Muguet & la Violete, avec neuf autres Fleurs, pour un petit Régal qu’elle leur vouloit donner sur les belles Rives de la Jense, elles s’y virent sans témoignage de mécontentement, & partagerent en paix avec leurs Compagnes, les divertissemens de cette journée. Comme j’estois de cette Feste, j’en puis parler avec certitude.

Flore nostre grande Princesse,
Les Graces ses Dames d’atour,
Les doux Zéphirs sa petite Noblesse,
Les Jeux, les Ris, qui sont les Seigneurs de sa Cour,
Estoient aussi conviez par la Roze,
Et parmy nous passerent tout le jour ;
Mais la Feste manqua de la meilleure chose,
On n’y vit point l’Amour.

Le hazard voulut que sur le soir, chacune de nous ayant pris party, le Muguet & la Violete se trouverent seuls, dans un petit Pré assez agreable. Ils garderent d’abord le silence ; puis le rompirent par la loüange de nos Sœurs champestres qui les environnoient ; & passant en suite de ce discours à d’autres, ils tomberent insensiblement sur leurs propres affaires.

Ainsi les poursuivans de la vive étincelle,
Nos petits Moucherons
Avant que de s’approcher d’elle,
Font quelques tours aux environs,
Puis se viennent enfin brûler à la Chandelle.

Le Muguet se plaignant des propos choquans que la Violete avoit tenus de luy, chez l’Iris ; & la Violete, du peu d’état que le Muguet témoignoit faire d’elle, depuis plusieurs mois. Il luy dit que les nouvelles connoissances qu’il avoit de sa Coqueterie, estoient de grands sujets de rebut. Elle luy répondit qu’un rebut qui estoit mal fondé, devoit luy tenir lieu de vangeance ; & enfin apres s’estre poussez de cette sorte pendant quelque temps, elle demanda sur quelle preuve il luy reprochoit sa Coqueterie, ajoûtant qu’il n’avoit qu’à parler & à parler sans déguisement. Le Muguet se défendit de venir à cette explication.

Il connoissoit la Verité.
Il sçavoit que c’est une Belle,
Qui quelquefois a de la cruauté.
Il la trouvoit dans cette humeur cruelle
Sur le sujet, dont il estoit tenté
De s’expliquer d’un air fidelle.
Il ne sçauroit mentir, il a de la bonté,
Il craignoit de déplaire ;
Restoit donc à se taire.

C’estoit son intention, & elle dura assez longtemps ; mais enfin il se rendit, tant il fut pressé par la Violete ; & la genéreuse espérance qu’elle sçauroit profiter de ce qu’il diroit, en prenant du moins mieux garde à elle à l’avenir, que par le passé, n’aida pas peu à luy ouvrir le cœur & la bouche. Apres donc luy avoir fait entendre que si elle avoit de la peine à recevoir son discours en bonne part, elle devoit penser qu’il ne tiroit à aucune conséquence, puis qu’il luy parloit sans témoins. Il luy raconta avec sa franchise ordinaire, tout ce qu’il avoit reconnu & jugé de son intrigue avec la Fleur de Pescher. La Violete n’écouta pas ce récit sans confusion. Les remarques & les penétrations du Muguet, la surprirent tout-à-fait ; & comme elle ne sçeut que luy répondre pour sa défence, elle se déchaîna contre luy d’une maniere terrible.

Tout ce qu’en bravant Terre & Cieux,
L’insolente Mégere
Peut faire éclater de colere,
Parut avec excés, au geste & dans les yeux
De la brûlante Violete ;
Et tout ce que l’on sçait de plus injurieux,
Au prix des mots nouveaux que dit cette Coquete,
N’est que douceur & que fleurete ;
Jamais transport ne fut si furieux.

Je l’ay appris d’une Fleur champestre cachée derriere un buisson, qui observoit cette Emportée, sans qu’elle s’en apperçeust. Cet orage ne se borna pas à une gresle d’injures. Elle défendit pour jamais au Muguet, l’entrée de sa retraite ; le menaça de l’insulter en toute sorte de Compagnies ; protesta de le broüiller mortellement avec le Violier ; & jura enfin ses grands Dieux, qu’elle hazarderoit encor sa réputation, & mesmes sa vie, pour se vanger de luy. Si le Muguet fut surpris d’une tempeste si extraordinaire, je le laisse à penser ; mais il le fut beaucoup d’avantage, lors qu’estant allé chez elle cinq jours apres, malgré sa défence, pour luy demander pardon de l’avoir mise en colere, persuadé qu’il devoit cette honnesteté à son Sexe, elle recommença les mesmes discours, avec la mesme fureur.

La récidive est étonnante ;
Mais il est plus encore étonnant que le temps,
Qui sçait calmer la plus grande tourmente,
N’eust rien diminué de ses transports ardens.
 J’ay fait mon devoir, j’en suis quite,
Luy dit-il en prenant congé ;
De toutes les façons je me sens dégagé,
 Voicy ma derniere visite ;
 Violete, adieu pour jamais.
Elle luy répondit, Point d’adieux, point de paix.

Il ne fut pas difficile au Muguet de se consoler de ce procedé, dans les dispositions où il estoit pour la Violete. Ce qu’il en jugea, fut que cette fine & mistérieuse Fleur crévoit de dépit, de voir que son jeu avoit esté découvert, & que les apparences qu’elle bravoit estoient soûtenuës par de trop fâcheuses évidences.

Le mensonge est compté pour une bagatelle,
On en accorde aisément le pardon ;
Mais pour la verité on prend un autre ton ;
Son atteinte est mortelle,
Elle frape le cœur, & reste au souvenir,
  On n’en peut revenir.

Cette raison des grandes émotions de la Violete, redoubla dans le Muguet la trop juste aversion que luy donnoit sa coqueterie, & le fit résoudre à se bien défendre, si elle entreprenoit de l’attaquer. Ce jour-là mesme, & les deux suivans, ils se trouverent de régal ensemble au pied du Mont charmant. Le silence fut gardé de part & d’autre dans les deux premieres rencontres ; mais dans la troisiéme, la Violete parla, & fit paroistre son ressentiment par des éclats qui luy échaperent. Le Muguet les soûtint avec une honneste hardiesse, & ne craignit point de faire connoistre à toute la Compagnie qu’ils estoient broüillez. Cette Compagnie dont j’estois, n’estoit composée que de leurs Amis. Aucun neantmoins ne se mit en peine de les raccommoder.

Nous avions une joye extréme, mais secrete,
De voir ouvertement
L’empire de cette Coquete
Diminué de cet Amant,
Et desirions à leur rupture,
Un éclat de cette nature,
Afin que leur honneur, engagé d’interest,
À l’entretenir comme elle est,
Finist par là leur avanture.
Nous eûmes ce plaisir, nous souhaitons qu’il dure.

Toutes les apparences y sont. La nuit sépara les deux Fleurs ennemies. Elles ne se sont point reveuës depuis ce temps-là. La Violete garde la solitude dans l’attente du Violier, & a le loisir de digérer ses chagrins ; mais le Muguet va toûjours son train, parle tout haut de son dégagement comme d’un grand bien, & veut mesme que tout nostre Empire sçache qu’il préfere la haine de la Violete à son amour, parce qu’en le haïssant elle aura des sentimens particuliers pour luy ; au lieu qu’en l’aimant, cette Coquete n’en auroit que des genéraux, dont il n’est pas d’humeur à se contenter.

Voila, belle Cloris, une nouvelle qui vous donnera de la joye, si vous continuez à prendre part au bonheur du Muguet. On le menace de la Fleur de Napelle. Vous en connoissez le redoutable pouvoir ; mais il ne craindra rien, si vous souhaitez qu’il vive.

 Le Ciel l’a sauvé de l’orage,
Pour le faire à vos pieds un jour finir son sort ;
 Et c’est dans ce glorieux Port
Qu’il brave la Coquete avec toute sa rage ;
Mais quand bien sans remise il recevroit la mort
Par la malice industrieuse De cette Furieuse,
Il trouveroit son sort bien doux,
Puis qu’il mourroit estant à vous.

Il en seroit de mesme, Madame, si je courrois le mesme hazard, puis que je suis avec la mesme passion, Vostre Serviteur,

Le Berger Fleuriste.

[Divertissemens à la Cour de Hanover, avec le Balet champestre qu’on y a dancé […]] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 144-187.Voir cet article et cet article qui relatent ces mêmes divertissements de Hanovre.

J’ay eu des nouvelles de la Cour de Hanover plutost qu’on ne m’en faisoit attendre. Le Balet champestre que je vous ay dit qu’on y préparoit, a déja esté dancé, & la Reyne Mere de Danemark s’y est extrémement divertie. Vous voyez par là que Mr le Duc de Hanover n’a rien voulu épargner pour recevoir agreablement cette Princesse. Cependant, quelque envie qu’on ait de réüssir, la grande dépense ne fait pas toûjours le succés des choses. Il faut qu’il y ait de l’invention, & de l’esprit dans les Divertissemens, & que l’exécution en soit aussi juste, que le dessein en est bien conçeu. Tout cela s’est rencontré dans la Chasse de Diane. C’est le nom qu’a eu ce Balet champestre. Mr la Barre-Matéi, qui l’a composé entierement, à l’exception de la Musique, l’a tenu prest en si peu de temps, qu’on ne peut trop estimer la facilité de son génie. On m’apprend qu’il est l’Autheur de l’autre Balet qui a pour titre, le Charme de l’Amour, & qui a tant plû à la mesme Reyne de Danemark. Aussi a-t-elle dit plusieurs fois en le voyant, qu’aucun Opéra ne l’avoit jamais si bien divertie. Le jour qu’on avoit choisy pour cette nouvelle Feste, estant arrivé, Sa Majesté, accompagnée de toute la Cour de Hanover, se rendit au grand Jardin de Leiné, où le plaisir de prendre le frais du soir l’avoit engagée à la promenade. On y avoit fait dresser une fort belle Feüillée, & apres un magnifique Soupé qui y fut servy, on n’eut pas plûtost veu la Reyne se lever de table, que le costé de cette Feüillée qui estoit en face, s’ouvrit tout à coup, & laissa voir un Théatre dans le fond duquel parut une grande Plaine, bornée par un Bois, & bordée d’Arbres depuis ce Bois jusques au Théatre. La Perspective, quoy que naturelle, estoit assez surprenante, tous ces vrays Arbres semblant se planter en un moment, à la maniere d’une Décoration qu’on eust fait paroistre. En mesme temps que cette ouverture eut esté faite, on découvrit dans le milieu de la Plaine quatre Lutins qui sortoient de terre. Un grand Fantôme volant s’estant arresté au milieu de ces Lutins, forma avec eux une Dance aussi inquiete que confuse, comme de Personnes poussées par quelque Puissance secrete, & plus forte qu’elles. Ce n’estoit rien autre chose que les Ombres de la Nuit qui fuyoient devant l’Aurore. Mr le Prince de Holstein estoit l’une de ces Ombres, avec Mr le Comte de Montalban ; Mr Oefner, Fils du General Major de ce nom ; & Mr de Wobeser, Capitaine-Lieutenant. Le Sr Jemmes, Maistre du Balet, représentoit le grand Fantôme volant. Un nombre incroyable de lumieres, dont on vit la Plaine éclairée en un moment, dissipa d’abord ces Spectres, qui se perdirent à mesure que l’Aurore & le Point-du-jour, brillans de leurs propres feux, s’éleverent peu à peu jusque sur le Theatre.

Pour Mr le Prince de Holstein, représentant une Ombre.

Que je paroisse en Ombre, & dans l’obscurité,
Je ne sçaurois cacher la splendeur de mon estre,
Et l’éclat de ma qualité
Me découvre par tout, & me fait reconnoistre.

À peine ces deux Astres furent-ils montez sur le Théatre, qu’on découvrit dans le plus proche endroit de la Plaine, comme par un effet de leur présence, un Chifre tout lumineux, qui formoit le Nom & la Couronne Royale de Sa Majesté. Ce nom est Sophie-Amélie. Pendant que les yeux estoient divertis par ce Spéctacle, la voix des deux Astres charma les oreilles. Voicy les Vers qu’ils chanterent pour Prologue du Balet.

L’AURORE.

Répandons dans ces Lieux la lumiere & le bruit
Do la splendeur du Nom de l’auguste Amélie.
Cette Terre déja remplie
  Ne soufre plus de nuit.
  Que le jour se rallume
  Plutost que de coûtume,
  Fuyez, Ombres, Sommeil.
  Une grande Journée
Est depuis longtemps destinée
À nous donner cet Objet sans pareil.

LE POINT-DU-JOUR.

Tandis que le Ciel nous employe
À redonner icy le jour,
Cette Reyne y répand la joye
Par son heureux retour.
Quitez, Bergers, vostre demeure,
Voicy vostre Heure.

Tous deux ensemble.

Ah, que le Point-du-Jour.
Est propre pour l’Amour,
Et qu’un Berger qui veille
Est pres du doux moment,
Que celuy qui sommeille
Laisse perdre en dormant !

LE POINT-DU-JOUR.

Diane est déja dans ces Bois,
Qui de son Dard & de sa Voix
  Donne la chasse
  À ce qui passe.
Peut-elle bien goûter le plaisir d’un beau jour,
Et n’avoir point d’amour ?

Tous deux ensemble.

Ah, que le Point-du-Jour, &c.

Apres qu’on eut chanté ce Prologue, Mr le Prince Fréderic-Auguste de Brunsvick, Mr le Prince de Saxe-Eysenach, & Mr le Raugrave Palatin, représentant trois Bergers, commencerent à paroître avec Madame la Princesse de Meklebourg, Madame de la Chevalerie, & Mademoiselle de Grote, vestuës en Bergeres.

I. ENTREE.

Les trois Bergers & les trois Bergeres que je viens de vous nommer, se réjoüissant de la prise d’un Loup, dont la teste estoit portée devant eux, dancerent au son des Musetes, & se donnerent des marques de leurs mutuelles inclinations.

Pour Mr le Prince Frederic-Auguste de Brunsvick, représentant un Berger.

Chacun luy rend respect, à la Cour, en Province,
Il se déguise en vain sous l’Habit de Berger ;
Et le Sujet, & l’Etranger,
Le prennent toûjours pour un Prince.

Pour Madame la Princesse de Meklebourg, représentant une Bergere.

Si cette jeune & charmante Bergere
Avoit dessein de s’engager,
Elle pourroit icy se choisir un Berger ;
  Mais cette belle Fiere,
À ce qu’on voit, ne pense guére
Qu’elle est en âge d’y songer.

Pour Mr le Prince de Saxe-Eysenach, représentant un Berger.

Il a bon air, de l’esprit, du courage.
Peut-on trouver dans tout le voisinage
Un Berger plus galant, plus aimable, & mieux fait ?
À sa parole il joint toûjours l’effet,
Et pour se faire aimer en faut-il davantage ?

II. ENTREE.

Endimion éveillé de grand matin, par la passion qu’il a pour la Chasse, & courant les Bois à son ordinaire, trouva cette Troupe, à laquelle il se mesla, dançant au milieu des Bergers & des Bergeres.

Pour Mr le Prince George-Loüis de Brunsvick, représentant Endimion.

À faire l’amour & la guerre,
Ce jeune Endimion n’est jamais endormy.
Sans-doute on le verroit remuer Ciel & Terre,
Pour quelque belle Nymphe, ou contre un Ennemy.

III. ENTREE.

Deux Passans, représentez par Mr Bousch Colonel des Gardes, & par Mr Veyhe Lieutenant-Colonel des Gardes, apres s’estre un peu reposez au frais, se préparerent à reprendre leur chemin, & à continuer leur voyage.

IV. ENTREE.

Trois Voleurs, qui estoient Mr de Grote Gentilhomme de la Cour, Mr le Baron de Mellin Enseigne, & Mr de Pluviane Capitaine d’Infanterie, arresterent ces deux Passans, les volerent, & partagerent le Butin entr’eux.

V. ENTREE.

Une Troupe de Sauvages & de Satyres, faisant une Battée pour Diane, surprirent les trois Voleurs, qui ne songeant qu’à se conserver la vie par la fuite, laisserent par terre le Butin qu’ils venoient de partager. Mr Bulau Capitaine-Lieutenant des Gardes du Palais, Mr Ohr Enseigne des Gardes du Palais, & Mr de Roden Capitaine d’Infanterie, représentoient les Sauvages ; & Mr du Mont Capitaine d’Infanterie, Mr de Wizendorff Gentilhomme à la Cour, & Mr Brugen Lieutenant, les Satyres.

VI. ENTREE.

Un Singe, représenté par Mr de Folleville, entra dançant & sautant, trouva la Bource & l’argent qu’avoient laissé les Voleurs, & apres l’avoir ramassé, alla s’asseoir sur le tronc d’un Arbre, où il divertit fort toute l’Assemblée, par les grotesques postures qu’il fit en regardant cet argent.

VII. ENTREE.

Deux Gueux & deux Gueuses l’ayant apperçeu dans cet état, s’approcherent de cet Arbre. Le Singe, qui leur vit tendre la main, leur jetta de cet argent, & témoigna prendre grand plaisir à l’empressement qu’ils eurent de le ramasser. Mrs Rekau & d’Elts, estoient déguisez en Gueux ; & Mrs de Grote & de Chazeron, en Gueuses. Ce sont Gentils-hommes du Païs.

VIII. ENTREE.

Deux Ours qui parurent, firent fuir les Gueux, & commencerent leur Dance, pendant laquelle, le Singe qui, tournoit toûjours la Bource en fit tomber tout l’argent par terre. Ce fut avec tant de bruit, que le Singe épouvanté en prit aussitost la fuite. Ce bruit ne fit qu’animer les Ours, qui allerent droit à un Bucheron que le hazard amena. Le Bucheron se mit à couvert de leur fureur, en se couchant devant eux, & faisant le Mort. Les Ours luy mangerent des Rayons de Miel qu’il apportoit, & vinrent tendre l’oreille aupres de sa bouche, pour écouter s’il ne respiroit point encore. Mrs Dragoni & Rhemen, Gentilhommes, les représentoient.

IX. ENTREE.

Tandis que les Ours observoient le Bucheron, quatre Maures qui survinrent, lancerent leurs Dards sur eux. Ces Bestes féroces se sentant blessées, se tournerent aussitost pour se vanger de leurs Ennemis, mais elles s’enfuyrent à la veuë des Chiens. Les Maures qui s’atacherent à les poursuivre, estoient Mr d’Osterling Lieutenant-Colonel d’Infanterie, Mr Gohr Capitaine d’Infanterie, Mr le Drossart de Bar, & Mr Possadorffsky Ecuyer-Tranchant de la Cour.

X. ENTREE.

Le Bucheron délivré des Ours, se leva tout plein de joye, & la fit paroistre par l’agilité avec laquelle il dança. Il estoit représenté par Mr de Bonnefond Capitaine d’Artillerie, & d’une Compagnie de Grénadiers.

XI. ENTREE.

Deux Charbonniers ayant rencontré le Bucheron, se réjoüirent avec luy, en buvant dans sa Bouteille. Ces deux Charbonniers estoient Mr Ilten Major d’Infanterie, & Mr le Chevalier de Sinville Capitaine au Regiment des Gardes.

XII. ENTREE.

Les Maures rentrerent, faisant apporter les Ours percez de leurs Javelots, & étendus comme morts sur des Brancards. Tandis qu’en dançant ils marquoient la joye que leur donnoit leur capture, les Ours commencerent peu à peu à lever la teste, & prirent la fuite. Les Maures surpris de ce reste de vigueur, se mirent tout de nouveau à les poursuivre. Le fond du Theatre se referma apres qu’ils furent sortis.

XIII. ENTREE.

L’Amour, qui prend toute sortes de figures pour s’accommoder aux diférentes inclinations des Hommes, ayant résolu de s’assujetir Diane & Endimion, qu’il avoit trouvez toûjours infléxibles, parut vestu en Chasseur, ne doutant point qu’il ne vinst à bout de toucher leurs cœurs dans quelque heureuse rencontre qu’il se promettoit de faire naître à la Chasse.

Pour Mr le Prince Christian de Brunsvick, representant l’Amour déguisé en Chasseur.

Est-il contre mes traits quelqu’un qui se défende ?
Bien que je sois un fort petit Chasseur,
Pourtant mon adresse est si grande,
Que je frape toûjours au cœur.

XIV. ENTREE.

Deux jeunes Chasseurs, ayant veu fuir quelques Nymphes de Diane, dont ils estoient amoureux, vinrent marquer le chagrin que leur donnoit la précaution de ces Inhumaines à éviter leur rencontre.

Pour Mr le Prince Maximilien de Brunsvick, représentant un Chasseur.

Ny tant d’ardeur, ny tant de promptitude,
Ne rendent parfait un Chasseur.
Je fais beaucoup par mon étude,
Mais je fais plus encor, quand j’y joins ma douceur.

Pour Mr le Prince Charles de Brunsvick, représentant un autre Chasseur.

À la Chasse en amour, quoy qu’on ait du talent,
On ne fait pas toûjours tout ce qu’on se propose ;
Mais un jeune Chasseur comme moy vigilant,
Attrape toûjours quelque chose.

XV. ENTREE.

Six Dryades ou Nymphes des Bois, chargées de Bouquets de toute sorte de Fleurs, entrerent dançant au son des Hautbois. Elles se réjoüissoient d’avoir appris que Diane venoit visiter leurs Demeures solitaires. Ces six Dryades estoient, Mademoiselle Gehle l’aînée, premiere Fille d’honneur de Madame la Duchesse de Hanover ; Mademoiselle de Zersen, Fille d’honneur de cette mesme Princesse ; Mademoiselle Gehle la jeune, Fille d’honneur de Madame la Princesse de Hanover ; Mademoiselle d’Asseburg, Mademoiselle d’Alvensleven, & Mademoiselle de Flemming, Fille de Mr le General Major Flemming. Plusieurs Cors, & autres divers Instrumens de Vénerie, ayant marqué l’endroit de la Chasse, les Trompetes & Timbales firent entendre leurs bruits de réjoüissance qui annonçoient la prise du Cerf. Les Dryades averties par là de l’arrivée de Diane, coururent au devant d’elle pour la recevoir.

XVI. ENTREE.

Un Satyre, qui avoit accoûtumé de faire dancer les Nymphes de la Déesse, au son d’un Violon, dont il joüoit d’une maniere fort agreable, entra en dançant luy-mesme, & chanta ces Vers en suite, pour les inviter à venir rendre leurs hommages à la Reyne.

Sortez de ce Bocage,
Et venez rendre hommage
À la Divinité
Qui le remplit de majesté.

Le Sr Jemmes, Maistre du Balet, représentoit ce Satyre.

XVII. ENTREE.

Quatre Nymphes de la Suite de Diane, deux Bergers, & deux Chasseurs, ayant entendu leur Maistre de Dance, accoururent à sa voix, & chanterent ces Paroles.

NYMPHES de Diane, BERGERS, & CHASSEURS, ensemble.

Que nos Prez & nos Champs, nos Vallons, nos Côteaux,
Nos Forests, nos Bocages,
De leurs Fleurs & de leurs feüillages,
Luy fassent des Lambris nouveaux.
Que mille & mille Oyseaux,
Par leurs tendres ramages,
Luy rendent leurs hommages
Du haut de ces Ormeaux.
Si la Reyne se plaist à nos douceurs sauvages,
Ah, que nos Chants & ces Lieux seront beaux !

I. NYMPHE.

Nous nous repentirons un jour
De nostre beau temps qui se passe.
Donnerons-nous tout à la Chasse,
Et jamais rien à nostre Amour ?

II. NYMPHE.

Si Diane a le cœur de glace,
Le devons nous avoir aussy ?
Non, j’aime mieux céder ma place
À la plus severe d’icy.

III. NYMPHE.

Helas ! si Diane à son tour
Aux vœux d’un Dieu pouvoit se rendre,
Et que son cœur devinst plus tendre,
Quel bonheur pour toute sa Cour !

IV. NYMPHE.

Toute tendresse
N’est que foiblesse.
  La fermeté
Fait nostre liberté.
Ne rien aimer comme nostre Déesse,
C’est du chagrin estre toûjours Maîtresse.
  Sans la rigueur,
On garde mal son cœur.

I. NYMPHE.

Bergers, Nymphes, Chasseurs, qui courez au hazard
Où l’excés d’ardeur vous appelle,
Croyez-vous que l’Amour ne prendra point de part
À l’innocent plaisir d’une Chasse si belle ?
On doit à ce Chasseur faire un meilleur party,
Quand le Cœur qu’il poursuit vient si-tost nous apprendre,
Qu’en fuyant il s’est repenty
De ne s’estre pas laissé prendre.

Un Concert de Theorbes, de Clavessins, de Basses de Viole, & de Violons, accompagna le chant de ces Nymphes par plusieurs reprises.

XVIII. ENTREE.

Apres que ces Chants furent finis, les Nymphes se retirerent avec le Satyre au fond du Theatre, qui s’ouvrit au son des Trompetes & des Timbales, & fit voir toute la Chasse de Diane dans la Plaine, éclairée par un grand Palais lumineux qui brilloit dans l’éloignement. Cette belle Troupe environnée de plusieurs Gens à cheval, s’avança, & monta sur le Théatre dans l’ordre qui suit.

Dix Trompetes, & deux Timbaliers, tous richement vestus à la Grecque, & montez sur des Chevaux blancs en Housses d’or, marchoient pompeusement en sonnant une marche de triomphe, entremeslée de mille fanfares, & d’une agreable symphonie, & allerent se perdre dans les aîles du Théatre. Une Meute de Chiens conduite par des Chasseurs, arriva au son des Cors, & fit la mesme marche que cette Cavalerie. En suite, quatre Nymphes joüant de la Flûte douce parurent de front. Le Satyre se mit au milieu, & accompagna leur mélodie de son Violon. Les quatre Nymphes qui estoient déja sur le Théatre, suivirent ces premieres dans le mesme ordre, & s’estant avancées toutes jusques au bord du Théatre, elles se partagerent des deux costez, laissant voir le superbe Char de Diane, traîné par deux Cerfs, & entouré des Dryades, des Chasseurs, & des Bergers. Ils prirent place ainsi que les Nymphes sur les aîles du Théatre. Les Satyres & les Sauvages demeurerent derriere le Char, ayant devant eux quatre Hautbois qui répondoient à la Symphonie des Flûtes. On découvroit dans la Plaine des Trompetes, & des Timbales à cheval, qui s’avançoient avec les Arbres de la Perspective, joüant le mesme Air que joüoient les autres. Diane brilloit sur ce magnifique Char au milieu de toute cette Troupe, ayant l’Amour à ses pieds, & à ses costez deux de ses Nymphes. Si-tost qu’elle en fut sortie, le Char disparut, & cette Déesse se trouvant au milieu de ses deux Nymphes, dança avec elles, pour marquer la joye qu’elle recevoit de la présence d’une grande Reyne, à qui elle donnoit le plaisir de voir tout l’appareil de sa Chasse. Les Dryades jettoient des Fleurs devant elle, & tout le Théatre en resta semé. Apres que Diane eut finy sa dance, elle se retira dans le fond avec ses Nymphes ; & les Flûtes, accompagnées du Violon recommencerent leur Symphonie, à laquelle il fut répondu par les Hautbois.

Pour Madame la Princesse de Hanover, représentant Diane.

Est-ce Diane, ou bien la Reyne des Amours,
Que l’on voit triompher au milieu des plus belles ?
C’est quelque chose encor de plus ravissant qu’elles,
Puis que c’est vous, Merveille de nos jours.
À Diane, à Vénus, c’est honneur, ma Princesse,
Lors que vous les représentez,
Et que vous surpassez l’une & l’autre Déesse
En sagesse, en mérite, en vertus, en beautez.

XIX. ENTREE.

L’Amour, représenté par Mr le Prince Christian de Brunsvick, dança un Ménüet au son des Violons, & se retira aupres de Diane.

XX. ENTREE.

Endimion entra par le costé droit du fond du Théatre, & voyant Diane si belle aupres de l’Amour, fit connoistre par sa dance qu’il estoit charmé de son mérite, apres quoy il s’avança vers cette Déesse.

XXI. ENTREE.

Diane partit à l’abord d’Endimion, & commença une Dance avec ses deux Nymphes & les six Dryades, témoignant toutes ensemble leur indiférence pour l’Amour, & leur extréme joye de la présence de la Reyne.

XXII. ENTREE.

Un Prince d’Ibérie que Mr le Prince Fridéric-Auguste de Brunsvick représentoit, entra dans ce mesme temps, pour prendre part à la Chasse de Diane, & se réjoüit, comme tous les autres, de cette illustre Assemblée.

XXIII. ENTREE.

Un Païsan, qui estoit le Sr Jemmes, admirant cet Etranger, & le voyant dancer avec tant de grace, tâcha de le contrefaire, & réjoüit fort tous les Spectateurs par ses postures grotesques. Apres cette Entrée, les Violons, les Flûtes douces, les Hautbois, les Musetes, les Trompetes & Tymbales, dans des distances proportionnées à la force de leur harmonie, quelquefois ensemble, & quelquefois par reprises, firent un rare concert, tandis qu’un Feu d’artifice fut allumé tout à coup dans le milieu de la Plaine, & par cent merveilleuses figures en l’air, finit cette Feste d’une maniere aussi surprenante qu’agreable.

Toutes les Lettres que j’ay veuës d’Hanover marquent, qu’encor que ce Balet promette beaucoup sur le papier, l’exécution y mesle des agrémens, qu’un simple récit ne sçauroit faire comprendre. Si Messieurs les Princes y ont paru avec beaucoup de magnificence, & de bonne grace, Madame la Princesse de Hanover y a esté admirée. Quoy que sa beauté n’eust pas besoin d’estre relevée par l’éclat des Pierreries, elle en avoit pour un million qui tiroient un nouveau lustre de sa bonne mine. Toute l’illustre Assemblée qui estoit alors à Hanover, en devoit partir quelques jours apres pour se rendre à Zell, où l’on préparoit aussi de grands Divertissemens. J’espere qu’on voudra bien me faire la grace de m’en envoyer le détail. On n’en peut attendre qu’un fort grand plaisir, la Cour de Zell estant tres-galante.

Air nouveau §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 187-188. Attribution possible à Lambert grâce au XXV Livre d'airs de differents Autheurs [...] (Paris, C. Ballard, 1682), ainis qu'aux sources manuscrites F-Pc/ Rés. 584 et F-Pn/ Rés. Vma. ms. 958.

Je voudrois, Madame, pour vostre entiere satisfaction, vous pouvoir fournir les Notes de quelqu’un des Airs qu’on a chantez au Balet, dont je viens de vous marquer toutes les Entrées. A ce défaut je vous envoye des Paroles fort agreables qu’un habile Maistre a mises en Air depuis peu de jours.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si je puis bannir de mon cœur, doit regarder la page 188.
Si je puis bannir de mon cœur
L’Ingrat qui cause ma langueur,
Qu’il n’espere jamais de part en ma tendresse.
Que dis-je ? helas, je sens qu’en ce moment
Mon foible cœur, qui pour luy s’intéresse,
Me fera rompre mon serment.
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[Réponse de Monsieur … à l’Illustre Madame de Saliez, Viguiere d’Alby, sur son Projet pour une nouvelle Secte de Philosophes, en faveur des Dames] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 188-200.

Vous estes entrée dans le sentiment de tout le monde, sur ce qui regarde le galant Projet de Madame la Viguiere d’Alby. Il ne peut estre connu sans luy attirer beaucoup de Disciples. Il s’en offre un qu’il y a grande apparence qu’elle acceptera. La Lettre qui suit vous fera juger de son mérite.

REPONSE DE MONSIEUR *** À L’ILLUSTRE MADAME DE SALIEZ, VIGUIERE D’ALBY,
Sur son Projet pour une nouvelle Secte de Philosophes, en faveur des Dames.

Je commenceray ma Lettre par les mesmes termes que vous employez pour finir la vostre. Je croy, Madame, que Solon, ny aucun de ces Philosophes qui ont travaillé pour établir le repos des Hommes, n’ont jamais esté si fameux que vous le serez un jour, si vostre Projet s’execute, comme il y a beaucoup d’apparence. En effet, il n’y a rien de mieux imaginé que cette nouvelle Secte. Les Loix en sont également agreables, & solides ; la fin en est utile, & glorieuse. Que je me tiendrois heureux, Madame, puis que vous voulez bien que nostre Sexe ait part à cet avantage, d’estre du nombre de vos Sectateurs ! Je le suis déja par inclination ; & comme je cherche à vivre commodement, vos regles s’accordent fort avec mon humeur. Je vous assure que si vous me faites la grace de me recevoir parmy vos Disciples, j’écouteray vos Leçons avec assiduité, & observeray toutes vos Maximes. Cependant si ce n’est point estre téméraire que de donner son avis sur le nom de vostre Secte, avant qu’on y soit reçeu, je pense que celuy des Immortels seroit convenable à vostre idée, & que vostre Devise ayant pour corps la fleur de ce nom, & pour ame ces mots, à l’épreuve des temps, seroit reçeuë de tout le monde raisonnable. Car enfin, Madame, il faut laisser les Sots dans leurs sotises. Ils ne s’en deferoient pas pour tout ce qu’on leur diroit. Nous ne parlons que des Sages, mais de ces Sages sans severité, de ces Sçavans sans présomption, de ces Juges sans préoccupation, en un mot de ces Esprits bien reglez, de l’un & de l’autre Sexe. Oüy, Madame, sans vous flater, vous relevez infiniment le vostre, que l’injustice, & la jalousie des Hommes insensez s’efforce encor aujourd’huy d’abattre, mais fort inutilement. Car sans citer icy les Muses, les Sybiles, les Prestresses, les Vestales, les Amazones, les Graces, & les Vertus, qui prennent leurs noms, leurs habits, & leurs manieres des Femmes (comme on le voit parmy les Divinitez du Paganisme) il suffit de dire à vostre avantage, que si elles gouvernoient des Empires, si elles faisoient des Loix, si elles présidoient aux Conseils, si elles conduisoient des Armées, si elles professoient les beaux Arts, comme elles ont fait autrefois, nous verrions une infinité d’Héroïnes, & particulierement en France, qui effaceroient, ou du moins qui égaleroient les Hommes illustres en toutes ces choses. Ah, Madame, que ceux qui seront vos Disciples, auront à juste titre ce beau surnom, aussi-bien que celuy d’Immortels, inséparable de l’autre ! Je ne crains point de le dire hautement. Je souhaite avec passion l’honneur d’estre de vostre nouvelle Secte ; & comme la brigue ne sçauroit avoir d’accés aupres de vous, je m’expose à un refus. Cependant je vous envoye mon Portrait au naturel. Vous pouvez juger par luy s’il doit estre reçeu. Au reste, Madame, je vous avoüe de bonne foy que si je n’ay pas expliqué tous mes défauts, j’ay aussi un peu diminué de mes bonnes qualitez. Comme la prudence en est une, elle m’engage à vous cacher à présent mon nom, pour m’épargner la honte & la raillerie que me causeroit un refus ouvert. Mercure, ou la Renommée, vous apprendront bientost qui je suis, si sur ce Portrait vous me croyez digne de l’honneur ou je prétens.

LE PEINTRE DE SOY-MESME.

Je suis officieux sans intérest, discret sans peine, jaloux sans envie, contrariant sans opiniâtreté, curieux sans imprudence, propre sans affectation, libre sans libertinage, prompt sans me laisser emporter à l’excés de la colere, railleur sans estre médisant, flateur sans fourberie, laborieux sans contrainte, bon amy, amant inconstant & commode, froid aux inconnus, ouvert aux personnes que je connois, présomptueux par amusement, mélancolique par tempérament, sage par nature, enjoüé par art, malheureux par la fatalité de ma destinée, cependant heureux par imagination, patient par politique, Orateur par hazard, Poëte par caprice, Epicurien par exemple, Autheur par complaisance, Aprobateur par raison, Censeur par amitié, Comédien quand il faut, c’est à dire, sérieux, triste, ou gay dans les rencontres, reconnoissant par justice, libéral par inclination, bon & civil par habitude. Au reste j’ay plus de mémoire que je n’en voudrois. J’ay mesme plus d’imagination que de sçavoir, ce qui fait que je me plains souvent de mon esprit, & jamais de mon cœur, où si j’estois Stoïcien je placerois l’ame ; car sans vanité, je suis tout cœur. Pour l’autre qui est ma Personne, à tout prendre & en gros, je parois plus beau que laid, & plais davantage de loin que de prés ; mais heureusement pour moy, vous estimez peu la beauté du corps, & je trouve que vous avez tres-grande raison de ne point faire de cas d’une fleur si passagere. La veritable Philosophie, ou pour mieux dire, vostre Secte, ne doit s’attacher qu’à la beauté de l’esprit. J’oserois ajoûter pour dernier trait à mon Tableau, que je parle mieux que je n’écris, & que je suis plus aimé des neuf Sœurs que des Graces. Enfin, Madame, je le serois des unes & des autres, si j’avois l’avantage de vous plaire, & si vous me faisiez l’honneur de m’admettre dans vostre Académie, pour y apprendre le secret d’estre au dessus des caprices de la fortune, de l’envie, & de la médisance, & le bel art de vivre en repos, éloigné des contraintes, que l’erreur & la coûtume ont établies dans le monde, qui est la fin de vostre Secte incomparable, & celle que je recherche avec empressement. Si vous m’honorez d’une réponse, je l’attendray par le Mercure Galant.

À Paris ce 18. Aoust 1681.

[Galanterie sur un Bouquet] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 200-203.

Un Bouquet, envoyé à une Belle le jour de sa Feste, a donné occasion aux Vers que vous allez voir. Une Boëte à mouches luy fut portée dans une Corbeille, avec un petit Miroir de vermeil doré. Cette Devise se trouva gravée sur la Boëte, Se rejoindre ou mourir, & cette autre sur le Miroir, La douceur m’attire. Il n’est pas difficile de deviner quel estoit le corps de ces deux Devises, qui sont fort connuës dans le monde. Le Laquais qui apporta le Présent, dit qu’il estoit envoyé de la part de trois Personnes des meilleurs Amis de cette Belle. C’est là-dessus qu’on a fait ces Vers. Voyez si l’Autheur vous en paroistra sincere.

Trois Amans, me dit-on, vous ont avec chaleur
Envoyé des Présens ; l’un veut par la douceur
Vous attirer à luy ; l’autre veut se rejoindre ;
De l’autre je ne sçay si la demande est moindre,
Mais a présent, Iris, en les observant tous,
Je trouve que tous trois s’aiment autant que vous.
Pour moy, sans m’aveugler d’une vaine manie,
Je mesure mon vol à mon petit génie,
Et plus sage qu’eux trois, je me connois si bien,
Que je vous offre tout, & ne demande rien.

[Histoire] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 203-237.

Mille incidens singuliers nous font tous les jours connoistre ce que peut l’amour, quand il entreprend de réüssir ; mais je doute fort qu’il ait jamais rien causé de si surprenant que l’Avanture dont je vay vous faire part. Un Cavalier jeune & riche, que quelques affaires avoient appellé dans une des plus considérables Villes du Royaume, s’y promenant un soir dans un Lieu public avec une Dame de ses Parentes, jetta les yeux d’assez loin sur trois Personnes fort propres, qui venoient à leur rencontre, & qui en passant, s’arresterent un moment pour demander à la Dame ce qu’elle avoit fait depuis quelques jours. L’une de ces trois estoit une Brune de fort belle taille, ayant le teint vif, des yeux noirs tout pleins de feu, la bouche petite, les dents d’une blancheur surprenante, & je-ne-sçay-quoy de si riant dans tout le visage, que les plus indiférens s’en seroient laissé charmer. La Dame, qui estoit de ses Amies, la congratula sur son brillant, & luy dit qu’on voyoit bien que l’Amour luy-mesme prenoit soin de sa beauté. La Belle répondit avec esprit ; & apres l’adieu, le Cavalier qui l’avoit fort observée, demanda qui elle estoit. Il apprit de sa Parente, qu’elle devoit épouser dans fort peu de jours un Gentilhomme de la mesme Ville, qui ayant passé dix ou douze années en Languedoc, où il avoit eu diférens Emplois, estoit de retour depuis quelque temps ; qu’elle avoit de la naissance, du bien médiocrement, mais beaucoup d’honnesteté, & un agrément d’humeur qui surpassoit tous ses autres charmes. Un quart-d’heure apres, les mesmes Personnes parurent encor. On fit avec elles une seconde conversation ; & le Cavalier, sans sçavoir pourquoy, pria sa Parente en la quitant, de le mener chez la Belle. La Partie se fit le lendemain. Il vit cette charmante Personne, & le tour aisé de son esprit luy plut tellement, qu’il sentit un trouble dont sa raison ne fut point maîtresse. C’estoit un Gentilhomme bien fait, qui au sortir de l’Académie avoit pris employ quand Sa Majesté déclara la guerre aux Hollandois, & qui depuis ce temps là n’avoit eu de passion que pour la gloire. La Paix qui le mettoit en état d’estre sensible à l’amour, luy avoit déja inspiré quelque pensée de faire un choix qui le satisfist. Ainsi voyant dans la Belle mille qualitez touchantes, il envia malgré luy le bonheur de son Amant. Si les choses n’eussent pas esté si avancées, il auroit pû se flater d’obtenir la préference. Son bien, l’ancienne noblesse de sa Maison, & le mérite particulier de sa Personne, avoient dequoy le faire écouter par tout ; mais il ne restoit presque plus de temps jusqu’au jour du Mariage ; & ce qui fit son plus grand chagrin, l’Amant de la Belle ayant paru, il vit entr’eux de si tendres marques de correspondance, qu’il desespera de pouvoir gagner un cœur que l’amour avoit touché. Cependant il fut si fort possedé de sa passion naissante, qu’il ne pût soufrir le bonheur de son Rival. Il résolut d’y apporter quelque obstacle, & en cherchant les moyens d’y réüssir, il se souvint du sejour que ce trop heureux Amant avoit fait en Languedoc. C’estoit assez pour faire trouver de la vraysemblance dans ce qu’il imagina. Il écrivit un Billet sans nom, & l’envoya par un Inconnu chez le Pere de la Belle. Ce Billet portoit qu’on se croyoit obligé de l’avertir que celuy qu’il choisissoit pour son Gendre, estoit marié secretement à Toulouse, & qu’il luy seroit aisé de le découvrir, s’il prenoit du temps pour s’en informer. L’Amant qui vit le Billet, protesta avec raison que c’estoit une imposture, & il le fit avec des sermens si persuasifs, qu’on n’auroit peut-estre pas diferé son Mariage, si le lendemain on n’eust reçeu deux autres Billets qui marquoient la mesme chose. Ces avis réïtérez mirent le Beaupere en inquiétude. Ils pouvoient estre l’effet d’une jalousie secrete, mais la prudence vouloit qu’il ne les négligeast pas. Il consulta ses Amis ; & pour n’avoir rien à se reprocher, il voulut attendre à faire la Nôce qu’il fust éclaircy de la verité. La chose estoit juste, & quelque chagrin qu’en reçeust l’Amant, il fut obligé d’y consentir. Comme il n’avoit point à craindre qu’on pust prouver ce qui n’estoit pas, les assurances d’amour que luy donnoit tous les jours la Belle, le consoloient du retardement. Le Cavalier, feignant d’entrer dans ses intérests, vint enfin à bout de s’insinuer dans son esprit. Il le plaignoit de la calomnie, & l’accompagnant quelquefois chez sa Maîtresse, il montroit tant de chaleur à soûtenir son party, que la Belle mesme l’en estima davantage. Il estoit reçeu comme Amy de son Amant ; & s’il cherchoit à luy plaire par l’agrément qu’il donnoit à la conversation, il se gardoit bien de luy rien dire qui pust faire découvrir les sentimens de son cœur. Il ne laissoit pas de travailler en secret pour luy. Son Valet de Chambre, Confident de son amour, avoit pratiqué une Femme fort bien faite, qui estant née à Toulouse, pouvoit le servir utilement. Il l’estoit allé chercher à vingt lieuës de là, & l’avoit si bien instruite, qu’il ne restoit plus qu’à la faire agir. Elle estoit hardie, avoit de l’esprit, & l’argent qu’on luy donnoit accommodant ses affaires, on peut juger avec quelle ardeur elle s’acquita du rôle qu’elle entreprit de joüer. On luy fit d’abord connoistre l’Amant dont elle devoit se dire la Femme ; & quand elle eut bien examiné tous ses traits, elle alla trouver la Belle qu’elle entretint en particulier. La trahison de son prétendu Mary, qui les trompoit l’une & l’autre, fournit un ample sujet à la fausse Histoire qu’elle debita. Elle y joignit des circonstances si particulieres & si vray-semblables, que la Belle, quoy que prévenuë d’amour, n’y trouva rien de suspect. Je ne vous dis point ce qui se passa alors dans son cœur. Son juste ressentiment contre un Perfide qui vouloit sacrifier sa gloire à sa passion, n’y laissa d’abord entrer que des mouvemens de colere & de vangeance. Rien ne luy sembloit assez cruel pour punir un Homme qui avoit si lâchement abusé de sa tendresse ; mais en mesme temps qu’elle s’apprestoit à le haïr, elle estoit comme forcée d’écouter encor l’Amour ; & si elle s’estimoit heureuse que les Billets qu’on avoit reçeus eussent retardé son Mariage, la rupture qu’elle voyoit necessaire, ne laissoit pas de la chagriner. Tandis que toutes les deux se plaignoient de leur malheur, celuy qu’elles en nommoient la cause vint rendre visite à son ordinaire, & entra sans avertir au Lieu où elles estoient. La Belle éclata en le voyant. Il écouta ses reproches, & n’y pouvant rien comprendre, il resta presque immobile, sans faire autre chose que la regarder. La Languedocienne voulant profiter de sa surprise, luy dit que son desordre ne l’étonnoit point, & que la trouvant où il ne l’attendoit pas, il avoit sujet de demeurer interdit. Ces paroles le mettant dans un nouvel embarras, il demanda qui estoit la Dame, & ce fut alors qu’elle commença la Scene qu’on luy avoit fait étudier. Elle la joüa d’une maniere admirable, & les plaintes qu’elle fit furent si touchantes, qu’elle eust convaincu les plus incrédules, de la perfidie qu’elle suposoit. L’Amant qui ne l’avoit jamais veuë, luy parla d’abord sans s’emporter ; mais l’effronterie qu’elle eut de luy soûtenir qu’elle estoit sa Femme, ne luy laissa plus garder aucunes mesures. Il la traita d’insensée, & plus il offrit de prouver son innocence, moins la Belle crût qu’il fust innocent. Son Pere survint pendant tout ce bruit. Il en apprit le sujet, & une Femme venuë pour reclamer son Mary apres les avis reçeus d’un Mariage secret, ne le laissa plus douter que ces avis ne fussent sinceres. Il assura la Languedocienne qu’il ne nuiroit point à ses intérests, & prit son party contre l’Amant qu’il accabla de reproches d’avoir voulu épouser sa Fille, estant déja marié. Vous pouvez vous figurer ce que répondit l’Amant. Comme l’innocence donne de la fermeté, il se plaignit de ce qu’on pouvoit le croire capable d’une lâcheté si criminelle ; & regardant l’Inconnuë qui continuoit à l’appeller son Mary, il la menaça des peines dont son impudence la rendoit digne. Elle n’en fut point déconcertée. Au contraire faisant couler à propos des larmes, elle se jetta à ses pieds, & le conjura par le tendre amour qu’il avoit eu autrefois pour elle, de ne la point obliger à recourir contre luy à des voyes fâcheuses. Apres la dure réponse que luy attira cette priere, elle sortit en disant que puis qu’il vouloit la voir éclater, elle alloit rendre sa honte publique. Ses pleurs ayant achevé de persuader le Beaupere & la Maîtresse, aucun des deux ne voulut plus écouter l’Amant. Le premier luy défendit sa Maison, & réïtera cette défense bien plus fortement le lendemain, quand on luy signifia celle d’achever le Mariage. C’est ce que portoit une Sentence de l’Official, qui en mesme temps avoit permis à la Dame de faire venir ses Témoins de Languedoc. Ces procédures, quoy que surprenantes, alarmerent peu l’Amant. La verité est si forte, qu’il ne craignit point que l’imposture en pust triompher ; mais ce qui le mit au desespoir, ce fut de se voir banny de chez sa Maîtresse. S’il la suivoit quelquefois quand elle alloit à l’Eglise, elle estoit si prévenuë de la noirceur de son crime, qu’elle refusoit de luy parler. Plein de ce chagrin, & cherchant la solitude, il résolut d’aller passer quelques jours à une Maison de campagne qu’il avoit à quatre lieuës de la Ville, en attendant les Témoins qu’on luy devoit confronter. Le Cavalier à qui il fit part de ce dessein, comme à un Amy qui le voyoit tres-souvent, trouva cette occasion fort favorable pour venir à bout de son entreprise. Il donna ses ordres, & les fit exécuter si heureusement, qu’on ne sçeut rien de ce qui fut fait. L’Amant approchoit du Lieu où il esperoit soulager ses déplaisirs, lors que traversant un petit Bois, il vit tout-à-coup six Hommes masquez qui vinrent à luy, & qui l’arresterent. Il les prit pour des Voleurs, & le nombre luy ostant les moyens de se défendre, il crût qu’il en seroit quite pour donner sa Bource, mais ce n’estoit pas ce qu’on vouloit. On le fit descendre de cheval, & apres luy avoir dit qu’on ne faisoit rien qui ne dust tourner à son avantage, on le mena à cent pas de là, où il trouva un Carrosse à six Chevaux. On le fit entrer dedans. Trois des six Hommes masquez, dont l’un luy banda les yeux, prirent place aupres de luy, & les trois autres servirent d’escorte. On marcha toute la nuit, & le jour estoit déja assez avancé, quand il s’apperçeut que le Carrosse passoit sur une maniere de Pont-levis. On l’en fit descendre un moment apres, & il fut conduit dans une Chambre fort propre, où deux Hommes destinez à le servir, luy osterent son Bandeau. La beauté du Lieu, & la bonne chere qu’on luy fit, furent incapables de le consoler. Il demandoit à toute heure ce qu’on prétendoit de luy, & enfin on luy donna ce Billet d’une écriture de Femme.

L’amour que j’ay pris pour vous n’a pû soufrir vostre Mariage. Vous en pouvez connoistre la force par tout ce qu’il m’a fait faire pour empescher qu’il ne s’achevast. La Languedocienne estoit un personnage trop fort pour le pouvoir soûtenir longtemps. Dispensez-moy de vous apprendre mon nom, jusqu’à ce que vostre cœur se soit consulté pour moy. Je suis plus belle que laide, assez jeune encor pour plaire à beaucoup de Gens ; & pour vous faire oublier les ennuis que je vous cause, j’ay cent mille Ecus dont il ne tiendra qu’à vous que vous ne soyez le maître. Si cela vous accommode, vous me connoistrez quand il vous plaira.

Cette bizarre avanture luy fit prendre patience. Il répondit qu’on pouvoit le renvoyer dés ce moment, puis qu’il n’aimeroit jamais que la Personne qu’on prétendoit luy faire trahir ; mais sa déclaration ne le remit point en liberté. Cependant comme on ne pût découvrir ce qu’il estoit devenu, on ne douta point qu’il n’eust pris la fuite. Ce fut la conviction de son Mariage avec la Languedocienne. Aussi dit-elle par tout qu’elle n’avoit plus besoin de faire oüir des Témoins. Elle demeura encor un mois feignant toûjours de l’attendre, & s’en retourna fort satisfaite des Présens du Cavalier. Il n’avoit rien oublié pendant tout ce temps de ce qui pouvoit contribuer à luy acquerir le cœur de la Belle. Il avoit rendu des soins, marqué de fort grandes complaisances ; & quand il l’eut veuë tout-à-fait persuadée que son Amant estoit marié, il demanda à remplir sa place, & n’eut pas de peine à l’obtenir. Le Mariage se fit avec l’applaudissement de toute la Ville, & jamais Amans ne furent si satisfaits. La Belle avoit tant de lieu d’oublier celuy qui avoit causé sa premiere passion, que le Cavalier ne s’apperçeut point qu’elle eust eu pour luy que de l’estime. Comme il luy parut qu’il seroit suspect s’il le faisoit délivrer trop tost, il le laissa encor prisonnier plus de deux mois, apres lesquels il le fit remettre dans le mesme lieu où on l’avoit pris. On observa pour cela les cerémonies de l’enlevement, & il y fut ramené sans qu’il pust sçavoir d’où il revenoit. Les cent mille Ecus qu’on l’avoit cent fois pressé d’accepter, luy avoient fait croire qu’il estoit aimé de quelque Folle dont tout le mérite estoit en argent ; & le refus qu’il en avoit fait estant une forte preuve de son amour, il espéroit en tirer de grands avantages, quand on luy apprit que sa Maistresse estoit mariée. Il courut chez elle tout désesperé, & on l’y reçeut si froidement, que ce fut pour luy un nouveau suplice. Il eut beau dire qu’il s’estoit toûjours conservé pour elle. On luy répondit que pour son honneur il devoit continuer à nier son Mariage, qu’il n’avoit paru que lors que les choses n’estoient plus au mesme état, & que sa fuite avoit trop fait voir que les Témoins de Toulouse n’eussent rien dit à son avantage. Le Cavalier qui pour s’empescher d’estre soupçonné, vouloit paroistre toûjours de ses Amis, s’excusoit aupres de luy sur cette fuite apparente, & quand il parloit de sa prison, on donnoit le nom de Fable à cette Avanture, sans que personne pust croire ce qu’il contoit de l’enlevement. Il demanda que l’on fist paroistre la Languedocienne, & que ces Témoins luy fussent produits. Tout cela ne persuada rien davantage. On n’avoit plus d’intérest à éclaircir cette affaire, & les poursuites cessées ne faisoient pas voir qu’il ne fust point marié. Ses meilleurs Amis ne sçavoient eux-mesmes que s’imaginer des sermens qu’il leur faisoit, tant les apparences luy estoient contraires. Jamais Homme n’eut tant de lieu de se plaindre de sa malheureuse destinée. Il soufroit dans les deux choses qui luy pouvoient estre les plus sensibles ; & si la perte de sa Maistresse rendoit son amour incontestable, sa gloire estoit outragée au dernier point par l’injuste croyance qu’on avoit qu’il fust de mauvaise foy. Cet accablement luy donna un tel dégoust pour le monde, qu’il résolut de l’abandonner. Il demanda à estre reçeu dans un Convent des plus Réformez, & par un nouveau malheur, il vit ses desseins renversez encor de ce costé-là. On luy dit qu’on vouloit croire que la Dame qui l’estoit venuë poursuivre, auroit peine à justifier son Mariage ; mais qu’apres ce qui estoit arrivé, il ne pouvoit disposer de sa personne, qu’il n’eust fait lever l’opposition qu’elle avoit formée. Rien ne luy parut si cruel que ce refus. Il n’avoit à esperer aucun bonheur dans le monde, & il se trouvoit dans l’impossibilité d’y renoncer. Chagrin, abatu, & n’ayant l’esprit remply que de ses malheurs, il se préparoit à un Voyage de Rome, lors qu’il les vit terminez par le mesme Cavalier qui l’avoit réduit en ce triste état. À peine eut-il esté marié six mois, qu’il tomba malade, & si dangereusement, que les Medecins ayant désesperé de sa vie, on fut obligé de l’avertir de mettre ordre à ses affaires. Il fit aussitost venir cet Amant infortuné, & devant plusieurs Témoins il déclara ce qu’il avoit fait pour se rendre heureux à son préjudice, conjurant sa Femme de luy redonner toute sa tendresse, & de l’épouser apres sa mort, puis que sa fidelité l’en rendoit si digne. Il mourut le lendemain, & laissa l’Amant dans de grandes espérances. Comme il a permission de revoir l’aimable Veuve, on ne doute point que quand le deüil sera expiré, elle ne consente avec plaisir à luy tenir compte de ce que l’amour luy a fait soufrir pour elle.

[Esclaves rachetez par les Peres de la Mercy, avec l’origine de cet Ordre] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 237-243.Voir l'article du Mercure de septembre 1681 qui complète cet article.

Jamais les grands biens ne sont mieux goustez, que quand nostre mauvaise fortune nous en a privez longtemps. Pour bien connoistre quelle est la douceur de la liberté, il faut avoir éprouvé les rigueurs de l’Esclavage. Les Captifs que les Peres de la Mercy ont rachetez depuis peu, pourroient nous en dire des nouvelles. Les Processions publiques où ils ont paru sur la fin du dernier mois, nous les ont fait voir si contens de leur retour, qu’il estoit facile de juger que le plaisir d’estre libres leur tenoit lieu de la plus haute fortune. Les Peres que la Congrégation de Paris, & les Provinces de Guyenne & de Languedoc, avoient nommez pour aller aux Royaumes de Fez & de Maroc, s’estoient embarquez à Marseille au mois d’Octobre dernier, avec le Passeport que Sa Majesté leur avoit donné. Ils y arriverent apres avoir essuyé beaucoup de dangers, & fait plusieurs pertes, & racheterent 78 Esclaves pendant les mois de Fevrier & de Mars, une partie du Roy de Fez dans la Ville de Miguenez, & l’autre partie du Gouverneur de Salé, & de quelques Patrons de la mesme Ville. Ils se rendirent en suite à Toutoüan, Ville éloignée de cinquante lieuës de Miguenez, & y racheterent encor un fort grand nombre d’Esclaves, du Gouverneur, & des autres Turcs. Le Roy de Fez avoit consenty qu’ils fussent exemts des droits de sortie, eux & les Chrestiens rachetez. Cependant l’Alcaïde, ou Gouverneur de Toutoüan, qui est une Ville maritime, située aupres du Détroit de Gibraltar, dans le voisinage de Ceute & de Tanger, fit emprisonner ces Peres avec tous ces Malheureux, & les contraignit par ses mauvais traitemens de luy payer pour chacun 26. Piastres, ou Patagons, valant un Ecu. Apres avoir cedé à la force, ils mirent à la voile le 12. de May, & arriverent bientost à la Coste d’Espagne, au Royaume de Grenade, d’où s’estant rendus à la Rade de Marseille le 26. du mesme mois, apres la quarantaine moderée à quinze jours, ils eurent permission d’entrer dans la Ville, & dans celles de Toulon, & d’Aix Capitale de Provence. Ils firent des Processions dans cette derniere avec beaucoup de solemnité. Mr le Cardinal de Grimaldi qui en est Archevesque, & Mr le Premier Président du Parlement de cette Province, furent fort édifiez de voir cette Troupe de zélez Chrestiens rendre mille graces aux Religieux qui leur avoient procuré la liberté. Apres que ce Cardinal leur eut donné sa Benédiction, ils allerent tous à Avignon, où ceux qui estoient de Languedoc, de Guyenne, & de Xaintonge, prirent la route de leur Province. Les autres furent amenez à Paris, & s’estant rendus aux Jacobins de la Ruë S. Jacques, tous les Religieux de l’Ordre de la Mercy allerent les y recevoir, & les conduisirent en l’Eglise de Nostre-Dame. Les trois jours suivans, ils ont esté en Procession, accompagnez des Trompetes de la Ville, dans les Eglises de S. Sulpice, de S. Roch, & de S. Paul.

Au Roy, sur la jonction des Mers §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 256-259.

Depuis que cet Ordre a esté fondé, on compte pres de trente mille Esclaves rachetez par les Peres de la Mercy François & Espagnols, sans vingt-six Voyages que ces mesmes Peres ont fait inutilement, par le malheur qu’ils ont eu d’estre volez en chemin. C’est un péril que va épargner à beaucoup de Gens l’heureuse commodité du Canal de Languedoc. Mr Pech, dont vous avez déja veu un Sonnet, sur ce merveilleux Ouvrage, a fait encor celuy-cy.

AU ROY,
Sur la Jonction des Mers.

Grand & fameux Vainqueur, dont la vertu guerriere
Fait sentir en tous lieux la force de ton Bras,
Et qui seul soûtenant le poids de tes Etats,
Par ta main triomphante en étend la Frontiere.
***
L’Ennemy surmonté perd son humeur altiere,
Tout cede à ta valeur, tout tremble sous tes pas,
Et sage en tes Conseils, vaillant dans tes Combats,
De prodiges divers tu remplis ta carriere.
***
Maintenant tu soûmets Neptune à ton pouvoir,
Et rangeant les deux Mers sous un juste devoir,
Tu joints à l’Ocean l’un & l’autre Bosphore.
***
Ondes, qui vous roulez dans ces nouveaux détroits,
Allez faire sçavoir du Couchant à l’Aurore,
Que la Terre & la Mer ont reconnu ses Loix.

[Les Basses-Loges pres Fontainebleau] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 261-264.

La pieté de ce Prince n’est pas moins considérable que ses autres qualitez. Il la fit encor paroistre le Vendredy 15. de ce mois, Feste de l’Assomption, dans l’Eglise des Carmes des Basses-Loges, pres Fontainebleau. Apres y avoir fait ses devotions, il entendit la Grand’ Messe chantée par les Religieux. Le lendemain, Feste de S. Roch, la Reyne assista au Salut dans le mesme Lieu. Ce n’estoit autrefois qu’une Chapelle, que la feuë Reyne Mere avoit choisie, pour y faire ses devotions ordinaires, quand Sa Majesté estoit à Fontainebleau ; & le Roy voulant seconder les pieuses intentions de cette Princesse, fit bâtir l’Eglise des Basses-Loges en 1661. pour rendre graces à Dieu de l’heureuse naissance de Monseigneur le Dauphin. Ces Basses-Loges ne sont qu’un Hospice dépendant du Convent des Carmes des Billetes de Paris, qui sont de la Province nommée de Touraine, & d’une Réforme particuliere, distincte des autres Provinces des Carmes, par des Constitutions Apostoliques, & par des Lettres Patentes du Roy. Cette Réforme a commencé environ dix-huit ans apres la mort de Sainte Thérese, dans le Convent des Carmes de Rennes.

La Chate, métamorphosée en Femme. Fable §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 294-298.

Le Gentilhomme qui se cache sous le nom du Berger fidelle des Accates, continuë à me faire part de ses Ouvrages. Vous les aimez, & je ne veux pas diférer à vous donner le plaisir de voir l’agreable tour qu’il donne à la Satyre, que je vous ay quelquefois entendu faire contre ceux, dont les grands biens acquis par bonheur font tout le mérite.

LA CHATE, METAMORPHOSÉE EN FEMME.
FABLE.

Des agrémens de l’esprit,
Les foiblesses du cœur tirent leur origine.
Vous le verrez dans la Fable qui suit.
Certain Grec d’assez bonne mine,
Mais fol à plus de vingt carats,
Avoit sans cesse entre ses bras
Une Chate d’humeur badine,
Et grande mangeuse de Rats.
Il l’aimoit de toute son ame,
Cela parut assez un jour
Que dans l’ardeur de son amour
Il pria Jupiter de la changer en Femme.
Ses vœux eurent l’heureux succés
Que s’estoit proposé sa flâme.
La Chate en un moment fut une belle Dame,
De vertu peu farouche, & de facile accés.
Ne croyez pas pourtant que nostre Maniacle
Le fut jusqu’à perdre le temps
À faire au Dieu de longs remercîmens
Sur la faveur d’un si rare miracle.
  Il sauta d’abord au cou
De cette Iris de fabrique nouvelle,
Et sans un maudit Rat qui faisoit sentinelle
À quelques pas de son trou.
Dans ce qu’il sentoit pour elle
Peut-estre eust-il fait le fou ;
Mais dés l’instant que la Belle
Qui n’avoit pas apparemment
Autant d’ardeur que son Amant,
Eut apperçeu ce Trouble-feste,
Elle fondit sur luy si brusquement,
Qu’il n’eut pas le loisir de songer seulement
À faire une retraite honneste.
***
Les grands biens & les honneurs
Ne sçauroient changer les mœurs.
Un Homme que le Sort a tiré de la bouë
Pour l’élever au plus haut de sa Rouë,
Fait toûjours quelque action
Qui découvre à nos yeux sa basse extraction.

[Mariage de M. le Comte du Plessis] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 299-302.

Je finis ma Lettre du dernier mois, en vous apprenant que Mr le Comte du Plessis avoit épousé Mademoiselle de la Valliere. Mr le Curé de S. André des Arcs, fit la Cerémonie de ce Mariage le Jeudy 30. Juillet, à deux heures apres minuit, dans la Chapelle de l’Hôtel de Conty, du consentement de Mr le Curé de S. Germain de l’Auxerrois, Paroisse de la Mariée. Vous jugez-bien que l’Assemblée fut illustre. Voicy les noms de ceux qui la composoient. Monsieur le Prince & Madame la Princesse de Conty, Cousine-germaine de Mademoiselle de la Valliere ; Madame de S. Remy, sa Grand’mere ; Madame la Duchesse de Duras ; Madame la Duchesse de Noüailles, Marquise de Lavardin ; Mr de Béthune, Chevalier des Ordres du Roy ; Mr le Chevalier de Beuvron, Capitaine des Gardes de Son Altesse Royale ; Mr de Choiseüil, Marquis de Praslin, Lieutenant General des Armées du Roy, & son Lieutenant General en Champagne ; Mr le Marquis de Valsemé, Capitaine des Chevaux-Legers de Monsieur, tous deux Cousins germains du Marié ; Mr Hotteman, Intendant des Finances de France ; Mr de Pertuis, Gouverneur pour Sa Majesté de la Ville de Menin en Flandres, & Lieutenant General de ses Armées ; & Mr de Valentiné, Controlleur General de la Maison du Roy Les Mariez estoient dans une fort grande parure. Avant qu’on allast à la Chapelle pour cette Cerémonie, il y avoit eu Comédie, Musique entre les Actes par des Voix de l’Opéra, & un grand Soupé, Monsieur le Prince de Conty ayant voulu que l’on fist la Nôce dans son Hôtel.

[Baptéme de cinquante Négres] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 305-310.L'article du Mercure de septembre 1681 complète cet article.

Il s’est fait un grand Baptême à Marseille. Je l’appelle grand, à cause de la qualité des Parrains & des Marraines, & du nombre de ceux qui ont esté baptisez. Ce sont cinquante Négres. Chaque Parrain & chaque Marraine en nommerent dix. Mr le Maréchal Duc de Vivonne avoit pour Commere Madame de Mirabeau, Femme d’un Gentilhomme des plus qualifiez de la Ville. L’Habit avec lequel il parut dans cette Cerémonie, estoit des mieux entendus, & aussi galant que magnifique ; mais la galanterie de ce Maréchal n’en demeura pas à l’ajustement. Il envoya un Bouquet à sa Commere, dans une Corbeille fort propre, avec une Toilete tres riche. Madame de Mirabeau est de la Maison de Rochemore. Mr Brodard, Intendant des Galeres, l’un des cinq Parrains, avoit avec luy, pour Marraine de dix Négres, Madame du Puget, Sœur de Mr de Mirabeau ; & Mr de Manse Intendant, avoit Madame de Pontévez. Elle est de la Maison d’Agoust, l’une des plus anciennes & des plus illustres de l’Europe. Mr d’Oppede servit de Compere avec Madame de Montaulieu, Fille de Mr de Manse. La Maison de Montaulieu est d’une noblesse tres-considérable Mr de la Bréteche devoit estre aussi Compere ; mais ne l’ayant pû, faute de santé, Mr de Bréteüil le fut en sa place, avec Mademoiselle de Mirabeau, Fille de Madame de Mirabeau dont je viens de vous parler. Elle est de tres-belle taille, & a beaucoup de jeunesse. La Cerémonie fut solemnelle, & se passa presque entiere dans la grande Place de l’Eglise Cathédrale, où l’on avoit dressé une Tente, sous laquelle on fit abjurer le Culte du Démon aux cinquante Négres. Apres qu’on eut fait ce grand nombre de Baptémes, les Dames allerent au Cours de Marseille, qui est tres-beau, & y firent quelques tours de promenade. Elles se mirent en suite sur l’eau, où les Violons les divertirent jusques à minuit. De là elles se rendirent chez Mr l’Intendant, qui n’estoit point préparé à recevoir cet honneur. Il ne laissa pas de les régaler, & de leur donner le Bal, qu’on ne termina que quand le jour fut prest de paroistre.

[Ce qui s’est passé aux Etats de Nantes] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 323-330.

La Ville de Nantes dont je vous ay dit qu’il est Gouverneur, est présentement un Lieu de plaisirs, par l’Assemblée des Etats, composée de neuf Evesques de la Province, d’un fort grand nombre d’Abbez, Prieurs, Benéficiers, & autres Ecclésiastiques, tous distinguez par quelque Dignité particuliere ; d’une Noblesse, dont la plûpart de ceux qui en font le Corps, se piquent d’estre des plus anciennes & des plus illustres Maisons de Bretagne, & de Gens du Tiers-Etat, qu’un mérite remarquable a fait nommer Députez. Les Principaux y prennent séance dans l’ordre, & selon les qualitez que je vous vay dire.

Mr le Duc de Chaunes à la teste de tous les Etats, comme Gouverneur de la Province.

Mr de la Trémoüille, Prince de Tarente, comme Président de la Noblesse.

Mr de Bauvau, Evesque de Nantes, comme Président du Clergé.

Mr Charette, Senéchal de Nantes, comme Président du Tiers Etat.

Mr de Coëtlogon, Sr de Mejusseaume, Syndic des Etats.

Mr de Haroüys, Trésorier & Receveur General des Etats.

Mrs de la Vieuville & de S. Aignan, Generaux de la Province.

Mr de Caumartin, Conseiller d’Etat, Premier Commissaire de Sa Majesté aux Etats.

Mr Huchete, Seigneur de la Bedoyere, Procureur General du Parlement de Bretagne, Second Commissaire du Roy aux mesmes Etats.

L’ouverture de leurs Séances se fit le Mardy 19. de ce mois dans une grande Salle des Cordeliers de la Ville, & commença par un excellent Discours de Mr le Duc de Chaunes, qui s’attira l’applaudissement de tout le monde, tant par la force des expressions qu’il employa, que par le beau tour qu’il donne toûjours à tout ce qu’il dit. Si-tost qu’il eut cessé de parler, Mr de Pontchartrain, Premier Président du Parlement de Bretagne, prit la parole, & s’étendit d’une maniere tres-délicate sur la grandeur de Sa Majesté, & sur les bontez particulieres qu’Elle fait paroître pour cette Province. Mr de Coëtlogon, Syndic des Etats, finit cette premiere Séance par un troisiéme Discours, aussi juste que poly. Le jour suivant on fit la seconde, qui fut commencée par une Messe solemnelle que Mr l’Evesque de Tréguier celebra. En suite on s’assembla dans la mesme Salle, où Mr de Caumartin, Commissaire des Etats, fit un Discours qui donna une forte idée de sa haute capacité, & de l’expérience qu’il s’est acquise dans les grands Employs que Sa Majesté luy a confiez. Il expliqua les intentions du Roy, & demanda deux millions deux cens mille livres. Ce Don luy fut accordé apres une Délibération generale & unanime de tous les Etats, qui en cela ont fait connoistre à Sa Majesté leur soûmission, & leur prompte obeïssance dans tout ce qui dépend d’eux. Les Assemblées ont continué depuis ce jour-là, & l’on y traite diférentes affaires, qui regardent le bien de la Province. Quant aux plaisirs, chacun semble y vouloir contribuer de son costé, tant par la magnificence des Equipages & des Habits, que par les Festins & la bonne chere. Il y a tous les jours vingt Tables ouvertes, où l’on voit regner la délicatesse avec la profusion. Joignez à cela les parties de Promenade & de Chasse, la Comédie & les Bals, qui font une agreable varieté dans les divertissemens.

[Madrigal sur ce que le Tonnerre a laissé les Armes du Roy entieres en trois endroits du mesme Edifice, apres avoir brisé grand nombre d'autres Ecussons] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 330-332.

On m’a fait voir une Lettre, qui marque une chose fort particuliere du Tonnerre. Il y a un mois ou deux, qu’apres des éclats extraordinaires, il tomba sur le Portail du Pont de Moulins, où il y avoit une Horloge fort propre, & un tres-beau Pavillon couvert d’Ardoise. Il mit tout le Pavillon en feu, fondit le Plomb de la couverture, & brûla une partie de la charpente. Ce qui surprit fort, c’est que ce Portail estant orné de quantité d’Ecussons de diverses Armes, comme du Roy, de la Ville, de Mr le Prince, & de plusieurs autres, il n’y eut que celles de Sa Majesté que le Tonnerre épargna, & cela, en trois endroits du mesme Edifice. Tout le reste fut brisé. Dans ce mesme temps on achevoit un grand Ecusson des Armes de France qu’on met au dessus de ce Portail, à cause de la construction du Pont que l’on fait présentement. Cet Ecusson fut aussi laissé en son entier, & le Sculpteur qui y travailloit, en fut quitte pour la peur. Quelqu’un de la Ville a fait là-dessus ce Madrigal.

L’arbre de Daphné toûjours vert,
À mis pleinement à couvert
Le florissant Ecu du Vainqueur de la Terre.
La Foudre n’a rien pû dessus les Fleurs de Lys ;
Ainsi qui craindra le Tonnerre,
Peut prendre un Parasol des Armes de LOUIS.

[Plusieurs conversions remarquables] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 333-335.

Il s'est fait plusieurs conversions de Personnes considérables, parmy lesquelles celle de Mr le Marquis de Montaut a donné beaucoup de joye à Mr le Maréchal Duc de Navailles son Oncle. Il est d'une des plus illustres Familles de Bearn, & le seul qui porte aujourd'huy le nom de Montaut, par le deceds de Mr le Marquis de Montaut son Cousin.

Mr le Vicomte de Beynac a abjuré comme luy l'Hérésie de Calvin, & a suivy l'exemple de Mr de Beynac son Frere, Mestre de Camp d'un Régiment de Cavalerie. Leur Maison est des meilleures du Perigord.

Dans ce mesme temps Mr le Chevalier de Vialar, Capitaine de Chevaux-Legers dans le Regiment de Gassion, a renoncé aux mesmes erreurs. Il est de la Famille de Mr le Comte de Vialar, & Domy de Bearn.

Mr du Vignau, Gentilhomme de cette mesme Province, n’a pas peu servy à convertir ces deux derniers, apres s’estre converty luy-mesme. C’est un Homme fort éclairé dans les belles Lettres, & pour qui plusieurs Illustres ont une estime tres-particuliere. Quoy qu’il ne soit pas encor avancé en âge, il possede entierement les Peres & l’Ecriture, & il en tire des preuves si fortes, que ceux du Party qu’il a quité, ne sçauroient que luy répondre.

Chanson §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 339-340.

Je vous envoye une seconde Chanson. Il me seroit inutile d’en rien dire à une Personne qui s’y connoist comme vous.

CHANSON.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Si l’Amour quelque jour, doit regarder la page 339.
Si l’Amour quelque jour prétendoit vous surprendre,
Ne vous hazardez pas de vouloir vous défendre ;
C’est en vain qu’on résiste à son divin pouvoir,
En amour il ne faut ny raison, ny devoir.
images/1681-08_339.JPG

[Articles des Enigmes]* §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 340-350.

Je passe à l’Article des Enigmes. L’Inconnu Tyrcis en Bretagne a expliqué la premiere par ces Vers.

Damon s’est plaint à moy ce matin du Mercure.
J’oubliois, m’a-t-il dit, Philis & ses beaux yeux,
Lors que ce Dieu malicieux,
Quand j’y pensois le moins, a r’ouvert ma blessure.
***
Je n’ay pas plutost lû son Enigme nouvelle,
Qu’y trouvant la Rose & le Lys
Ah, me suis-je écrié, trop cruelle Philis,
Ce sont là ces deux Sœurs qui vous rendent si belle.

Plusieurs Personnes ont trouvé ce mesme Mot du Lys & de la Roze. Ce sont Messieurs les Marquis de Grassamont ; Le Chevalier de Rouville ; Gardien, Secretaire du Roy ; Pinchon, de Roüen ; Du Bourg, de l’Hôtel de Soissons, l’Abbé de Béthune, du Quartier S. Mederic ; Davilers, Ruë Simon le Franc ; Léger de la Verbrissonne ; Du Mont, Avocat à Chaumont en Véxin ; Le Chevalier Frédin ; Regnault, de Petit-Pont ; Poirier, de Mer ; Devories, de Mer ; Reynal, Receveur des Gabelles de Domfront ; Soyvot Controlleur General des Finances en Bourgogne ; Des Granges, Avocat à Angoulesme ; Vivien, Chirurgien Major de la Marine à Dunkerque ; Le Fevre le Fils, & Dubois ; De la Ville aux Butes, de la Ruë de la Harpe. Elle a esté expliquée en Vers par Mr Gigés, du Havre ; Jourdain, d’Amiens ; Alcidor, du Havre de Grace ; L. Bouchet, ancien Curé de Nogent le Roy ; D.L. Raguienne, Prieur de Béthune ; De Lépine de Ploërmel ; & par Mesdemoiselles Devories, de Mer ; De Layraud, Lieutenant de Roy à Dourlans ; & Oudon Denise. Le veritable Sens de cette Enigme m’a encor esté envoyé sous les noms suivans. Le Voyageur de Chaumont ; Le Jaloux de sa Femme ; Le Solitaire de Pontoise ; Le Pelerin de S. Jacques ; Le Valet mal monté ; Le Berger Siecle d’amour de Diane des Forests ; Les Degéem réünis ; Le Bon Fils de la Ruë Maubue ; Le Politique dans sa Famille ; Le Faux Financier ; Les deux Amis rivaux sans jalousie ; Le galant Clerc de la Chambre des Comptes ; Le Visiteur des Belles de l’Hostel d’Avaux ; Le beau Faisan du Quartier St. Sauveur ; L’Architecte du Convent de la Raquette ; Le Mécene Girardin ; Le Virgile de Potosy ; Les Engagemens forcez ; L’Infidelle par violence ; Les illustres Commis de la Ruë de Clery ; Le Solitaire Amphibie du Quartier Simon le Franc ; Le Solitaire triennal de l’Hostel de Soissons. Le Solitaire externe de l’Hostel de Vivonne ; Les aimables Solitaires d’Auteüil ; Le Berger Fleuriste ; & le Réveille-matin de la Ruë de la Cossonnerie.

Plusieurs autres ont envoyé des Explications en Vers sous les noms que vous allez lire. Le Reveur du Mont Hélicon, de Châlons en Champagne ; Le jeune Solitaire de la Ruë Maubué ; Le jeune Solitaire de la Ruë des trois Cheminées de Poitiers ; Le Confident du Solitaire de l’Hostel de Soissons ; L’aimable Hebert ; L’inconnu Tyrcis de Dinan en Bretagne ; L’Amant déclaré de la grande Brune de l’Hostel d’Avaux ; L’Albaniste de Roüen ; L’Avanturier nocturne de l’Isle du Palais ; L’Inconstant Misantrope ; Le folâtre Amant de la Ruë Trousse-vache ; Le jeune Heudel ; Les Stérilitez conjugales ; Les galantes Féconditez ; L’aimable Fécondité de la Ruë St. Bon ; Les Traverses domestiques ; La galante Bergerie de Bezons ; La Genérosité sans ostentation ; Sylvie du Havre de Grace ; L’illustre Sophie ; La belle Inconnuë ; La belle Bourgeoise bien aimée ; La jeune Alcidalie ; & la belle Arthénice.

On a expliqué cette mesme Enigme sur le Point-de-France & le Point-d’Angleterre, la belle Taille & le beau Visage, le Soleil & la Lune.

L’Explication de la seconde Enigme, dont le Mot estoit l’Eventail, est dans les Vers que vous allez voir. Ils m’ont esté envoyez par Mr F. Ha… du Mesnil, de Chambrais en Normandie.

Mercure, c’est estre peu fin,
Et prendre mal son temps, pour un Esprit sublime,
De nous proposer cette Enigme,
Alors que tout le monde a l’Eventail en main.

Ce mesme Mot a esté trouvé par Messieurs Gardien Secretaire du Roy ; De Plémont, de la Forest de Lyons en Normandie.

Ceux qui l’ont expliquée en Vers sont, Fanchon le Fevre, de Magny ; Janneton de Lépine, de la Ruë Neuve des Petits-Champs. Les autres Sens qu’on a trouvez sur la mesme Enigme sont, l’Eau, le Livre, le Canal de Languedoc, une Gruë à lever des Pierres, le Parasol, l’Ocean, un Moulin, un Chandelier à plusieurs branches, la Riviere, un Arbre, une Plume, une Fourchete, & un Bateau.

Il me reste à vous nommer ceux qui ont expliqué les deux dans leur vray sens. Mr le Chevalier Chabans ; & le Pensionnaire de la Ruë Aubry-Boucher. En Vers, Messieurs Allard, du Véxin ; Regnier ; F. Ha… du Mesnil, de Chambrais en Normandie ; Le Procureur du Roy de Conches en Normandie ; Hutuge, d’Orleans, demeurant à Mets ; Daubaine ; Rault, de Roüen ; & Bardou, de Poitiers.

Je vous envoye deux nouvelles Enigmes. La premiere m’a esté envoyée de Compiegne ; & la seconde est de Mr de la Grive de Lyon.

ENIGME.

J’estois plus haute en ma naissance,
Que je ne suis présentement ;
Bien que tombée en décadence,
Je suis comme j’estois dans mon commencement.
Par une étrange destinée,
Cinq ans apres que je fus née,
Je perdis quelque peu des forces que j’avois.
Beaucoup souffroient de ma disgrace,
Beaucoup s’en sont plains mille fois ;
Mais que veulent-ils que j’y fasse ?
Je porte la Couronne, & suis sujete aux Loix.

AUTRE ENIGME.

D’un Païs éloigné je tire ma naissance,
J’ay longtemps esté peu connu ;
Mais maintenant par tout je suis le bien venu,
Et l’on m’aime beaucoup en France.
Cette grande amitié m’a causé du malheur,
Car depuis quelque temps j’ay perdu ma franchise ;
Pour mieux joüir de moy, souvent on me déguise,
Et l’on me traite avec rigueur.
Il est vray qu’un Homme bien sage
Ne me doit point mettre en usage,
Parce que je produits de fâcheux accidens.
Aussi pour me punir, on me réduit en cendre,
On me pille, on me met en piece avec les dents ;
Lecteurs, j’en ay trop dit, vous pouvez me comprendre.

[Le Jeu du Monde] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 350-351.

Adieu, Madame, ma Lettre est déja plus remplie qu’à l’ordinaire, quoy qu’il me reste encor assez de matiere pour vous en écrire une seconde. Je réserve tout pour le mois prochain, & vous parleray en ce temps-là de ce qui s’est passé à l’Académie, le jour que les Prix y furent distribuez. J’y joindray une grande Cerémonie qui s’est faite à Chaumont en Véxin. Je vous parleray de l’établissement d’un Jeu de science, appellé le Jeu du Monde, parce qu’il fait acquerir en fort peu de temps les connoissances les plus necessaires au commerce de la Vie.

[Journal general de France] §

Mercure galant, août 1681 [tome 9], p. 351-354.

L’établissement de ce Jeu si utile pour l’esprit, me fait songer à un autre dont on distribuë le Projet sous le nom de Journal general de France. Il est d’une si grande commodité pour les avantages du Public, qu’il est impossible de n’en pas tomber d’accord quand on a lû le Projet dont je vous parle. Quelque utilité qui se rencontre en certaines choses, on peut n’en estre pas convaincu, quand on n’est point dans la liberté de s’en servir, ou de ne s’en servir pas ; mais lors qu’on n’impose là-dessus aucune contrainte, & qu’on se sert volontairement de ce qu’on propose, on ne peut douter qu’il ne soit veritablement avantageux. Ce Journal, qu’on souhaite icy depuis longtemps, ne peut engager personne à luy donner cours par des raisons de plaisir & de curiosité, ny par l’espérance de gains dont le hazard ou le jeu puisse estre la cause. L’utilité en est aussi seûre que réelle, & vous le verrez par le Projet imprimé que je vous envoye. Si l’on souhaite quelque-uns de ces Projets dans vostre Province, il me sera aisé de vous en fournir puis qu’il ne faut qu’en demander au S. Blageart qui les distribuë gratis, n’estant pas juste qu’il en couste rien au Public pour apprendre en quoy ce Journal luy peut estre utile. Comme les merveilles de la Nature ne frapent pas moins dans les petites choses que dans les grandes, on doit également admirer tout ce qui se fait sous le Régne de Loüis le Grand. Depuis ce glorieux Régne il n’est point de commodité que l’on ne trouve à Paris. Cette grande Ville, où l’on croyoit qu’on n’établiroit jamais ny la netteté, ny la seûreté, est devenuë la plus seûre, & la plus nette de tout le Royaume. Les lumieres, dont on prend soin d’éclairer toutes les Ruës pendant l’Hyver, dissipent l’obscurité des plus sombres nuits ; & les Etrangers que nous imitions autrefois, sont à présent contraints de nous imiter. Aussi les Magistrats ne peuvent-ils prendre de fausses mesures sous un Prince aussi éclairé que nostre auguste Monarque. Il connoist ceux qu’il choisit, & les suites font voir qu’il ne se trompe jamais. Je suis vostre, &c.

À Paris ce 31. Aoust 1681.