1682

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1].

2017
Source : Mercure galant, janvier 1682 [tome 1].
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Mercure galant, janvier 1682 [tome 1]. §

[Sacre de M. l'Evesque de Carcassonne] §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 77-81.

 

On a eu nouvelles que Mr l'Abbé de Grignan, nommé d'abord par le Roy à l'Evesché d'Evreux, & depuis à celuy de Carcassonne, a esté sacré le 21. de l'autre mois, en présence d'un nombre infiny de Gens de marque qui s'estoit rendus de toutes parts au Lieu où se devoit faire la Cerémonie. Mr l'Archevesque d'Arles, Oncle de celuy dont je vous parle, (c'est le cinquiéme Prélat de cette illustre Famille donné à l'Eglise depuis soixante ans,) avoit souhaité qu'elle se fist dans sa Métropolitaine, comme dans le Poste le plus convenable & le plus avantageux qu'on pust choisir pour luy donner de l'éclat ; mais par des raisons particulieres, elle fut faite à Grignan, & ce fut pour luy une fort grande consolation, de voir consacrer Evesque Mr son Neveu dans le mesme endroit où il y a cinquante-deux ans qu'il reçeut luy-mesme l'honneur de ce Caractere. L'Eglise de Grignan qui est tres-belle & tres-agreable, fut ornée d'un Triple rang de la plus riche Tapisserie que l'on puisse voir, & ceux qui prirent soin de l'orner ainsy, n'oubliérent rien pour parer l'Autel, qu'on vit éclairé d'un nombre incroyable de lumieres. La Cerémonie du Sacre fut commencée à neuf heures du matin par Mrs les Evesques de Vayson, de S. Paul, & d'Orange, en présence de Mr l'Archevesque d'Arles, & de Mr l'Evesque de Viviers, tous deux les plus anciens Prélats du Clergé de France, & elle dura jusques à deux heures apres midy. Il y eut une excellente Musique par les soins de Mr le Comte de Grignan, qui s'y connoissant parfaitement, fit ramasser les plus belles Voix des environs, & les Instrumens qui la pouvoient le mieux assortir. Aussi l'assemblage s'en trouva-t-il si heureux, que tout le monde avoüa qu'on ne pouvoit rien entendre dont le concert eust plus de justesse. Tout ce grand monde qui estoit venu à cette Feste, fut traité chez luy au sortir de là avec une entiere magnificence. [...]

[Institution des Ordres de Chevalerie, & de Saint-Michel & du Saint-Esprit ; avec ce qui s'est passé à la Reception de Monseigneur le Dauphin dans ces deux Ordres] §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 100-146.

Le Jeudy, premier jour de cette année, Monseigneur le Dauphin fut fait Chevalier du Saint Esprit, avec les Cerémonies accoûtumées ; car quoy que la Croix & le Cordon bleu luy eussent esté apportez en 1661. par les Officiers de l'Ordre (ce qui se pratique pour tous les Enfans de France si tost qu'ils sont nez) ce Prince n'estoit pas encor Chevalier, personne ne naissant avec ce Titre ; en sorte que tous nos Roys ont reçeu l'Ordre de Chevalerie. Ils le reçoivent ordinairement le lendemain de leur Sacre, par les mains de celuy qui les a sacrez. Ainsi Mr le Cardinal de Joyeuse, Archevesque de Rheims, le confera au Roy Loüis XIII. & notre auguste Monarque l'a reçeu de Mr l'Evesque de Soissons, premier Suffragant de Rheims, pendant la vacance du Siege, ou en l'absence de l'Archevesque. Cet Ordre a esté institué par Henry III. Roy de France & de Pologne, qui voyant naistre plusieurs factions dans son Etat, jugea necessaire de serrer plus étroitement le nœud de l'obeïssance naturelle de ses Sujets, en faisant des Chevaliers, qu'il attacheroit à luy par une chaîne si forte, que rien ne seroit capable de les détourner de leur devoir. Dans ce dessein il créa l'Ordre du Saint Esprit, qui fut approuvé du Pape. La premiere Cerémonie en fut faite dans l'Eglise des Augustins de Paris le premier de Janvier 1579. & le Nonce y assista au nom de Sa Sainteté. En instituant cet Ordre, dont les Statuts sont compris en 93. Articles, ce Monarque déclara qu'il l'érigeoit en memoire de ce qu'il avoit plû à Dieu de le conserver en la possession d'une seule Foy Catholique, Apostolique & Romaine, au milieu des contraires & diverses opinions qui estoient alors répanduës de tous costez ; & de ce que par l'inspiration du Saint Esprit, tous les cœurs de la Noblesse Polonoise s'étoient unis avec les Etats de ce Royaume & ceux du Grand Duché de Lithuanie, afin de l'élire pour leur Roy, le jour de la Pentecoste, Feste remarquable pour ce Prince, puis que le droit successif l'avoit appellé ce mesme jour à la Couronne de France. Il ordonna que cet Ordre, dont luy & ses Successeurs Rois de France seroient Chefs, Souverains & Grands Maistres, seroit composé de cent Chevaliers, parmy lesquels il y auroit quatre Cardinaux, quatre Archevesques ou Evesques, choisis entre les plus vertueux du Clergé, un Grand Aumônier, un Chancelier, un Trésorier, un Greffier, & Roy d'Armes ; Que par Actes autentiques les Chevaliers feroient Preuve tout au moins de trois Races de Noblesse ; Qu'ils porteroient la Croix de Velours jaune orangé sur le costé gauche de leur Manteau, faite en forme d'une Croix de Malte au milieu de laquelle il y auroit une Colombe figurée en broderie, & aux angles, des Rais & des Fleurs de Lys d'argent. Cette Croix de Velours jaune orangé, a esté faite depuis en broderie d'argent ; Qu'ils porteroient une Croix d'or émaillé penduë au col à un Ruban bleu ; Que le grand Collier de l'Ordre seroit aussi d'or, fait à Fleurs de Lys, avec trois Chifres entrelassez de nœuds. Ces Chifres étoient la Lettre H, pour Henry III. la Lettre L, pour Loüise de Lorraine, sa Femme ; & un autre, dont le mistére est demeuré inconnu. Henry IV. ayant osté ces deux derniers Chifres, fit mettre en leur place des Heaumes, Timbres, & autres Trophées d'Armes entrelassez, d'où naissent des Flâmes & Boüillons de feu. Sous le Regne de Loüis XIII. on voulut entremêler la lettre L au lieu de la lettre H, qui fût pourtant conservée par la résolution d'un Chapitre, pour le respect qu'on porta au Fondateur. La Devise de cet Ordre, qui excelle sur tous ceux des autres Monarques & Princes Chrestiens, a ces paroles pour ame : Deo duce & auspice ; Ce qui fait connoître que ceux qui la porteront doivent esperer un heureux succés de leurs entreprises, sous les auspices du Saint Esprit. Mr de Sainte Marthe rapporte qu'au Couronnement de Loüis de Tarente, Roy de Sicile, & de Jeanne I. du nom sa Femme, qui se fit le 25 de May 1352. jour de la Feste de la Pentecoste, ce Roy institua un Ordre de Chevalerie en l'honneur du Saint Esprit, dont les Chevaliers portoient pour Devise un Nœud d'or, qui devoit estre attaché à la poitrine, en signe d'une cordiale fidélité.

Tous les Chevaliers Commandeurs entourent leurs Armoiries du Collier du Saint Esprit, & de celuy de Saint Michel, qui est en dedans & le plus proche de l'Ecu. Les Prélats associez à l'Ordre, ne mettent autour de leurs Armoiries qu'un Ruban bleu, duquel pend la Croix, parce que les Trophées d'Armes ne sont pas propres à l'Etat Ecclesiastique. Les quatre Grands Officiers, sçavoir, le Chancelier, le Prevost, Grand Maistre des Cerémonies, le Trésorier, & le Secretaire, sont Cammandeurs, & mettent le grand Collier autour de leurs Armoiries. La Croix est de huit pointes, contournées de quatre Fleurs de Lys, & chargée en cœur d'une Colombe au vol étendu contre bas, pour représenter le Saint Esprit. Je croy, Madame, que vous apprendrez avec plaisir le nombre des Chevaliers qui vivent présentement. Mr le Duc de S. Simon & Mr le Marquis de S. Simon, sont de la Création de 1633. Voicy ceux qui restent de la derniere Promotion.

MONSIEUR.

Monsieur le Prince.
Monsieur le Duc.
Monsieur de Verneüil.
Mr l'Archevesque d'Arles.
Mr l'Evesque de Mets.
Mr l'Archevesque de Paris.
Mr l'Archevesque de Lyon.
Mr l'Archevesque d'Auch.
Mr le Duc de Chaunes.
Mr le Duc de Luynes.
Mr le Mareschal Duc de Villeroy.
Mr le Duc de Créquy.
Mr le Duc de Navailles.
Mr le Duc de Roquelaure.
Mr le Duc de Nevers.
Mr le Duc de S. Aignan.
Mr le Duc du Lude.
Mr le Marquis de Vardes.
Mr le Comte de Béringhen.
Mr le Duc de Montausier.
Mr le Marquis de Polignac.
Mr le Marquis de Pompadour.
Mr le Marquis de Gamache.
Mr le Maréchal d'Estrades.
Mr le Comte de Guitaut.

PRINCES Etrangers.

Le Roy de Pologne.
Mr le Prince de Mekelbourg.
Mr le Prince de Somnine.
Mr le Duc Sforce.
Mr le Duc de Bracciano.

Mr le Marquis de Bethune fut fait Chevalier, quand Sa Majesté envoya l'Ordre au Roy de Pologne, auquel [ce] Marquis le confera.

Les Statuts portent, que deux Commandeurs de l'Ordre accompagneront le Novice qu'on doit recevoir. Le Roy nomma Monsieur, & Monsieur le Duc, pour accompagner Monseigneur le Dauphin. Ce Prince s'estant rendu dans la Chapelle du Chasteau de S. Germain, y communia par les mains de Mr le Cardinal de Boüillon, à qui la qualité de Grand Aumônier de France donne celle de Grand Aumônier des Ordres du Roy. Sa Musique s'y fit entendre pendant la Messe. Elle estoit de la Composition de Mr Charpentier, dont je vous ay si souvent parlé. Mesdemoiselles Pieche y firent paroistre leurs belles voix à leur ordinaire. Les devotions de Monseigneur le Dauphin estant achevées, il retourna dans son Appartement, & prit l'Habit de Novice. On luy donna des Chausses troussées de toile d'argent, en Bas de Soye, & des Escarpins aussi de toile d'argent, avec la Mulle de Velours noir. Sa Toque estoit de mesme Velours, ayant tout autour un Cordon de Diamans, & le bord retroussé d'un Bouquet de gros Diamans, qui attachoit plusieurs Plumes blanches, au milieu desquelles estoit une Aigrete de Héron. Il avoit un Capot de la mesme étoffe, doublé d'une toile d'argent trait, & bordé d'une dentelle d'argent. Quantité de Diamans d'un grand prix couvroient le Collet. Si-tost que Monseigneur le Dauphin se fut revêtu de cet Habit, Mr de Mesmes, President à Mortier, Prevost & Grand Maître des Cerémonies de l'Ordre, tenant son Bâton, & precédé de Mr du Pont Héraut, & Mr Desprez Huissier du mesme Ordre, vint prendre ce Prince, & le conduisit à la Chambre du Roy. Aussi-tost Sa Majesté fit entrer dans son Cabinet les Commandeurs & les Grands Officiers, que le Héraut, par l'ordre de ce Président, avoit avertis de se rendre en l'Appartement du Roy, à dix heures du matin. On tint Chapitre, & l'on arresta que Monseigneur le Dauphin seroit receu Chevalier. En mesme temps le Roy commanda que l'on fist entrer ce Prince. Mr de Mesmes l'ayant amené, il se mit à genoux devant le Roy ; & Sa Majesté ayant tiré son Epée, l'en frapa sur chaque épaule, en disant : Par S. Georges & par S. Michel, je te fais Chevalier. On employe le nom de S. Georges en cette Cerémonie, parce qu'il est l'ancien Patron de tous les Chevaliers. Et pour S. Michel, je croy, Madame, que vous sçavez que c'est un Ordre qu'il faut recevoir avant que d'entrer dans celuy du Saint Esprit. Loüis XI. l'institua à Amboise le premier d'Aoust 1469. à cause que les François honoroient particulierement Saint Michel, comme l'Ange tutélaire du Royaume. En effet, on ne pouvoit mieux choisir pour confondre l'arrogance des Anglois, qui portoient des Dragons dans leurs Enseignes. Le Collier de l'Ordre de Saint Michel a eu deux formes differentes. C'estoit au commencement une espece de Cordon noüé d'Eguilletes, & entouré de Coquilles, semblables à celles que portent les Pelerins, qui vont visiter le Lieu dedié en Normandie à ce Saint Archange ; mais François I. qui avoit une devotion particuliere à Saint François d'Assise, changea les Eguillettes de ce Cordon en une Cordeliere tortillée, telle qu'on la porte aujourd'huy meslée avec les Coquilles de la premiere Institution. On tient que Loüis XI. la fit en memoire du Roy Charles VII. son Pere, qui honoroit Saint Michel, comme le Gardien Tutelaire de la France. Si l'on en croit Monstrelet dans son Histoire, il apparut combatant pour les François au Siege d'Orleans en 1428. ce qui obligea ce Roy d'en faire peindre l'Image sur l'un de ses Etendars. Les Statuts de l'Ordre furent compris en soixante & six Articles, dont l'un portoit qu'il seroit composé de trente-six Gentils-hommes de Nom & d'Armes, sans reproche, qui auroient le Roy pour Chef, & qui seroient obligez de laisser tout autre Ordre, excepté d'Empereurs, de Roys, ou de Ducs. Ces paroles, Immensi tremor Oceani, furent la Devise de celuy-cy, & semblent vouloir marquer que les François ayant vaincu les Anglois sur terre en plusieurs occasions importantes ; peu de temps avant l'Institution de cet Ordre, ne seroient pas moins redoutables sur mer à l'avenir, estant protégez par Saint Michel.

Loüis XI. est le premier qui ait entouré ses Armoiries d'un Collier d'Ordre. Quoy qu'il y eust depuis fort long-temps des Ordres de Chevaleries en France, nul de nos Roys avant luy, n'en avoit adjoûté les marques à ses Blasons. L'usage des Colliers ou Chaînes d'or mises au col des Chevaliers, n'êtoit pas pourtant une nouveauté, puis que les Assyriens, les Egyptiens & les Perses, en avoient porté pour Symbole de leur Noblesse. L'Ordre de Saint Michel a esté en tres-grand honneur pendant quatre Regnes ; mais par le malheur des temps, il perdit son lustre, & pour être devenu trop commun, il couroit risque d'estre aneanty, si Henry III. ne l'eust relevé en l'attachant à son nouvel Ordre du Saint Esprit.

La premiere Cerémonie qui avoit rendu Monseigneur le Dauphin, Chevalier de Saint Michel, estant achevée, on se rendit à la Chapelle dans l'ordre qui suit. Mr Desprez, Huissier de l'Ordre, marchant à la teste, estoit suivy de Mr du Pont Heraut, & l'un & l'autre précedoit Mr le Président de Mesmes, Prévost & Grand-Maistre des Cerémonies de l'Ordre, qui avoit à sa droite Mr le Marquis de Seignelay, & à sa gauche Mr le Marquis de Chasteauneuf, tous deux Secretaires d'Etat. Le premier est Grand Trésorier de l'Ordre, & le second en est Secretaire. Mr le Marquis de Louvois, Ministre & Secretaire d'Etat, Chancelier de l'Ordre, paroissoit en suite, & estoit suivy des Chevaliers, marchant deux à deux.

Sur la droite estoient Mrs les Marquis de Gamache & de Beringhen, & Mrsles Ducs de Saint Aignan, de Créquy, & de Luynes ; & sur la gauche, Mr le Marquis de Bethune, & Mrs les Ducs de Montausier, du Lude, de Navailles, de Chaunes, & de Saint Simon. Son Altesse Serénissime Mr le Duc estoit seul sur la droite. Son Altesse Royale marchoit apres aussi seul & Monseigneur le Dauphin ensuite. Sa Majesté les suivoit, précedée de deux Huissiers de sa Chambre avec leurs Masses d'or, derriere lesquels à gauche, & un peu devant le Roy, estoit Mr le Marquis de Tilladet, Capitaine des Cent Suisses. Mr le Cardinal de Boüillon estoit un peu derriere à sa droite, en Camail & en Rochet. Mr le Duc d'Aumont, Premier Gentilhomme de la Chambre, & Mr le Duc de la Rochefoucault, Grand-Maistre de la Garde-Robe, marchoient le premier à la droite, & le second à la gauche de Mr le Maréchal de Lorge, Capitaine des Gardes du Corps, qui suivoit Sa Majesté. Les Gardes du Corps qui s'estoient mis sous les armes dans la Salle, formoient une double haye dans la Court & sur l'Escalier, avec les Cent Suisses, dont les Tambours & les Fifres se firent entendre à la teste de la Marche. Sa Majesté estant arrivé dans la Chapelle, se plaça sur un Fauteüil à son Prié-Dieu. Monseigneur le Dauphin, Monsieur, & Monsieur le Duc, eurent des Pliants. Celuy de Monseigneur le Dauphin, qui estoit couvert de Velours violet à Fleurs-de-Lys d'or, avoit esté mis devant le Prié-Dieu, du costé droit. Monsieur fut placé un peu derriere le Fauteüil du Roy, & Monsieur le Duc derriere Monsieur. Les Chevaliers se placerent sur des Bancs que l'on avoit préparez à droit & à gauche.

Le Roy ne fut pas plutost assis, que Mr de Mesmes salua l'Autel. Les autres Grands Officiers ayant devant eux leur Huissier & leur Heraut, allerent ensuite faire les revérences à Sa Majesté & à la Reyne. Cette Princesse estoit dans une Tribune, d'où elle vist la Cerémonie. Ils saluërent aussi tous les Chevaliers, & ce salut fut un avertissement à la Compagnie, que l'on alloit commencer l'Office. Mr l'Archevesque d'Auch, Commandateur, & Prélat de l'Ordre, revestu de ses Habits Pontificaux, ayant entonné le Veni Creator, la Musique du Roy le continua. Cet Hymne estant achevé, ce Prélat salua l'Autel, donna l'Eau-Benite à Sa Majesté, & commença la Messe. Les Grands Officiers firent à l'Offerte de nouveaux saluts à l'Autel, au Roy, à la Reyne, & aux Chevaliers, & s'êtant rangez ensuite, Mr de Mesmes toûjours précedé par l'Huissier & le Heraut, vint faire un autre salut au Roy, pour l'avertir d'aller à l'Offrande. Il fit aussi une revérence à Monseigneur le Dauphin, & une à Monsieur, pour avertir l'un & l'autre d'accompagner Sa Majesté. Le Roy apres avoir salué l'Autel & la Reyne, & s'estre tourné vers les Chevaliers à droit & à gauche, alla à l'Autel précedé par Mr de Mesmes, & accompagné de Monseigneur le Dauphin & de Monsieur. Sa Majesté baisa la Patene, & ayant receu le Cierge & l'Offrande des mains de Monseigneur le Dauphin, qui les avoit pris de celles de Mr de Mesmes, elle les presenta à Mr l'Archevesque d'Auch, qui officioit. La Poignée du Cierge estoit de Velours violet tané, à Fleurs-de-Lys d'or, & l'Offrande d'autant d'Ecus d'or que le Roy a d'années. Sa Majesté ayant fait de nouvelles revérences, fut reconduite à son Prié-Dieu, & après l'Agnus Dei, Mr le Cardinal de Boüillon luy présenta la Paix à baiser. Il l'avoit prise des mains du Sous-Diacre. La Messe estant achevée, les Officiers recommencerent leurs revérences, & Mr de Mesmes en fit une particuliere au Roy, pour l'avertir de monter sur un Trône qu'on avoit dressé pres de l'Autel, du costé de l'Evangile. Ce Trône estoit élevé de plusieurs marches sous un Dais de l'Ordre donné par Henry III. de Velours violet en broderie. Les Armes de France y sont my-parties avec celles de Pologne. Sa Majesté apres avoir fait aussi les saluts, monta sur ce Trône, où elle s'assit dans un Fauteüil, & se couvrit. Dans ce mesme temps les Officiers apres avoir fait la revérence à Monseigneur le Dauphin, saluërent Monsieur & Monsieur le Duc, pour les avertir de l'accompager au Trône, où il alloit recevoir l'Ordre du Saint Esprit. Ce Prince, ayant salué l'Autel, le Roy, la Reyne, & les Chevaliers, monta sur le Trône, où il se mit à genoux sur un Carreau de Velours violet à Fleurs-de-Lys d'or, ayant Monsieur à sa droite, & Monsieur le Duc à sa gauche. Mr le Cardinal de Boüillon estoit derriere le Roy ; Mr de Louvois à la droite, avec le Livre des Evangiles ; Mr le Marquis de Seignelay à costé de Mr de Louvois, tenant le Collier de l'Ordre, & le Cordon bleu avec une Croix ; Mr de Mesmes à la gauche du Roy ; Mr de Chasteau-neuf aupres de r de Mesmes, tenant l'Acte du Serment que Monseigneur le Dauphin devoit faire ; & Mrs du Pont & Desprez au bas des marches du Trône. Ce Prince ayant les mains sur le Livre des Evangiles, leût à haute voix ce Serment, & le signa apres l'avoir leû. Il est conceu en ces termes dans le trente-sixiéme Article des Statuts de l'Ordre. Je ne vous puis dire s'il y eut quelque chose de changé pour Monseigneur le Dauphin.

SERMENT ET VŒU

des Commandeurs de l'Ordre du Saint Esprit.

Je jure & vouë à Dieu, en la face de son Eglise, & vous promets, SIRE, sur ma foy & honneur, que je vivray & mourray en la Foy & Religion Catholique, sans jamais m'en départir, ny de l'union de nostre Mere Sainte Eglise, Apostolique & Romaine ; Que je vous porteray entiere & parfaite obéïssance, sans jamais y manquer, comme un bon & loyal Sujet doit faire ; Que je garderay, défendray, & soûtiendray de tout mon pouvoir, l'honneur, les querelles, & droits de Vostre Majesté Royale envers tous & contre tous ; Qu'en temps de Guerre, je me rendray à vostre suite, en l'équipage de Chevaux & d'Armes que je suis tenu avoir par les Statuts de cet Ordre ; & en Paix, quand il se présentera quelque occasion d'importance, toutes & quantes-fois qu'il vous plaira me mander, pour vous servir contre quelque Personne qui puisse vivre & mourir, sans nul excepter, & ce jusques à la mort ; Qu'en telles occasions je n'abandonneray jamais vostre Personne ou le lieu où vous m'aurez ordonné servir, sans vostre exprés Congé & Commandement signé de vostre propre main, ou de celuy aupres duquel vous m'aurez ordonné d'estre, sinon que je luy auray fait aparoir d'une juste & légitime occasion ; Que je ne sortiray jamais de vostre Royaume, spécialement pour aller au service d'aucun Prince Etranger, sans vostredit commandement ; & ne prendray pension, gages, ou état, d'autre Roy, Prince, Potentat, & Seigneur que ce soit, ny m'obligeray au service d'autre Personne vivante que de Vostre Majesté seule, sans vostre expresse permission ; Que je vous revéleray fidellement tout ce que je sçauray cy-apres importer vostre Service, l'Etat, & conservation du présent Ordre du Saint Esprit, duquel il vous plaist m'honorer ; & ne consentiray, ny permettray jamais, en tant qu'à moy sera, qu'il soit rien innové ou attenté contre le service de Dieu, ny contre vostre Autorité Royale, & au préjudice dudit Ordre, lequel je mettray peine d'entretenir & augmenter de tout mon pouvoir. Je garderay & observeray tres-religieusement les Statuts & Ordonnances d'iceluy. Je porteray à jamais la Croix cousuë & celle d'or au col, comme il m'est ordonné par les Statuts ; & me trouveray à toutes les Assemblées des Chapitres genéraux toutes les fois qu'il vous plaira me le commander ; ou bien vous feray présenter mes excuses, lesquelles je ne tiendray pour bonnes, si elles ne sont approuvées & autorisées de Vostre Majesté, avec l'Avis de la plus grande part des Commandeurs qui seront pres d'Elle, signé de vostre main, & scellé du Scel de l'Ordre, dont je seray venu retirer Acte.

Apres que Monseigneur le Dauphin eut signé l'Acte de son Serment, Mr Guitonneau, Premier Valet de Garderobe, luy osta le Capo, & le Roy luy mit le Cordon bleu, en luy disant, Recevez de nostre main le Collier de nôtre Ordre du Benoist Saint Esprit, au nom du Pere, du Fils, & du Saint Esprit. En suite Sa Majesté luy mit le Manteau & le Collier de l'Ordre. Monseigneur le Dauphin salüa le Roy en se relevant, & apres luy, Monsieur, Monsieur le Duc ; & les Officiers firent le mesme salut. Cela estant fait, les Officiers salüérent pour la derniere fois l'Autel, le Roy, la Reyne, & les Chevaliers, & la Marche fut la mesme pour reconduire le Roy dans sa Chambre, qu'elle avoit esté pour venir à la Chapelle. Apres que Sa Majesté y fut entrée, Mr de Mesmes précedé encor du Héraut & de l'Huissier, reconduisit Monseigneur le Dauphin jusqu'en son Appartement.

Vous vous connoissez trop bien en Musique, pour n'étre pas satisfaite de l'Air nouveau que je vous envoye. Il est d'un de nos plus grands Maistres, & nous n'aurez pas de peine à vous en appercevoir, quand vous en aurez parcouru les Notes.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Apres un rude assaut nous avons la victoire, doit regarder la page 146.
Apres un rude assaut nous avons la victoire,
Bacchus s'est déclaré pour nous.
Bannissons les soucis, ne pensons plus qu'à boire,
Mon cœur, il n'est rien de si doux.
Pour éteindre une belle flâme,
Qu'Amour allume dans nostre ame
Par tout ce qu'il a de plus fort,
Ah, qu'il faut faire un grand effort !
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[Lettre écrite de Valenciennes] §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 164-176.

 

Il s'est fait une grande Feste à Valenciennes, dont je ne puis mieux vous apprendre le détail, qu'en vous envoyant la Lettre qui m'en a instruit. Elle est d'un Gentilhomme qui s'y est trouvé.

 

A MADAME DE ***

A Valenciennes ce 11. Janvier.

 

Il est juste, Madame, que je tâche à mériter la bonté que vous avez de me faire part des divertissemens de vostre Ville, en prenant le soin de vous apprendre ce qui se passe dans la nostre. Mr de Magalotti, qui en est Gouverneur, distingué en tant de lieux, & par tant d'endroits, est celuy qui nous a procuré tous les plaisirs dont j'ay à vous parler.

La veille des Roys, voulant donner, comme il fait souvent, des marques de sa magnificence, il invita chez luy à un grand Repas plusieurs Personnes choisies de l'un & l'autre Sexe. Vingt Femmes de qualité rendirent la Feste aussi agréable que brillante, & autant d'Hommes tous Marquis, Comtes, Vicomtes, Barons, ou Officiers aux Gardes, y parurent avec éclat.

Jamais on ne vit tant de jeux,

Tant de grandeur, tant de délicatesse,

Tant de beauté, ny tant de politesse

Que l'on en vit dans ces beaux Lieux.

 

Tout y estoit parfaitement bien ordonné. Les Dames en descendant de Carrosse, trouvoient un Ecuyer de bon air, (car on n'en voit point d'autres dans la Maison de ce Gouverneur) qui leur donnoit la main pour les conduire jusqu'à la Porte de la première Salle de l'Apartement d'en-bas où il se trouvoit luy-mesme pour les faire passer dans une seconde, éclairée d'un grand nombre de Bougies, & de là dans sa Chambre où l'on voit quantité d'excellens Tableaux dont elle est ornée. Tous les Gens priez s'estant rendus chez ce Gouverneur, il jugea qu'il falloit, pour éviter les cerémonies qui troublent assez souvent la joye dans des Assemblées de cette nature, que chacun tant les Hommes que les Femmes, tirast son rang au Billet. Il en fit en mesme temps apporter qu'il avoit fait mettre dans une tres-belle Bource. Lors que chacun eut son numero, il fut question de faire un Roy, & de tirer pour cela de nouveaux Billets, dont un seul estoit écrit. Le sort tomba sur Mr le Marquis de M... qui choisit pour Reyne, Madame la Comtesse de .... . C'est une Personne toute pleine de merite, & qui le pourroit disputer pour la beauté avec tout ce qu'il y a de Femmes. Il luy fit présent d'un Bouquet de Fleurs admirables.

Apres cette Cerémonie, l'on monta dans un autre Appartement qui estoit du moins aussi orné que celuy que l'on venoit de quitter. Toutes les Chambres estoient remplies de lumieres, & tenduës des plus belles Tapisseries qu'il y ait dans toute la Flandre, que ce Gouverneur a fait faire exprés pour les lieux, & d'apres les Desseins de M le Brun. Je ne puis mieux vous marquer que par ce nom, que ce doit estre quelque chose de fort beau. Avant que d'entrer au lieu où la Compagnie devoit manger, on passa par une fort grande Salle, où il y avoit deux magnifiques Buffets garnis de toute sorte de Vaisselle d'argent, dont la quantité estoit surprenante. On se rendit de là dans la Chambre préparée pour le Repas. Deux grandes Tables de vingt-trois couverts y estoient dressées, & l'on avoit attaché un numero sur chaque Serviette, de sorte que sans faire de façon, chacun prit sa place, selon celuy qu'il avoit tiré. On observa seulement de donner les deux premieres au Roy & à la Reyne. Je n'entreray point, Madame, dans le détail du Repas, que vous jugez bien qui répondit à la grandeur d'ame de celuy qui le donnoit. Je vous diray seulement que les Viandes estoient tres-délicates, que Flore & Pomone se dépoüillèrent de toutes leurs richesses pour cette superbe Feste, & que jamais on ne vit ensemble tant de Fleurs & tant de Fruits. A peine commençoit-on à manger, qu'on fut agréablement surpris par l'union de plusieurs Haut-bois & Flutes-douces, qui meslant quelquesfois des Airs tendres aux Airs Champestres, charmerent cette belle Compagnie par les uns & par les autres. Si tost qu'on se fut levé de table, toutes les Femmes passerent dans la Salle du Bal, qui estoit éclairée d'une infinité de Lustres. Les Violons qu'on y avoit placez en grand nombre, les reçeurent en joüant les Ouvertures des derniers Opéra. Le Parquet, la Boiserie, & la Scupture de cette Salle, sont admirables. L'or & l'argent dont les Dames estoient toutes couvertes, brilloient merveilleusement aux flambeaux. Elles firent l'ornement du Bal, & les Hommes y dancerent d'un air à se faire reconnoistre pour ce qu'ils estoient. Enfin, Madame, rien n'y manqua & je ne sçay si Paris, tout grand qu'il est, en pourroit fournir un plus accomply. Il y vint beaucoup de Masques de Tournay, de Condé, de Bouchain, & d'autres lieux, tous Gens de fort grande qualité.

 

Chacun dans ces momens auroit bien pû parler

Du feu qui le faisoit brûler ;

Mais helas ! dans ces lieux l'onde est inexorable,

Le plus fidelle Amant est le plus miserable,

Il faut qu'il soit toûjours discret,

Et que de ses soûpirs il se fasse un secret.

 

Je fus aussi mal-heureux que tous les autres ; & quoy que j'aime beaucoup depuis qu'il a plû à Sa Majesté de m'attacher dans ce Païs, je ne pus gouster d'autre bien, que celuy de voir ce que j'aime sans pouvoir l'entretenir. Le Bal fut interrompu par six Officiers du Gouverneur qui entrerent, les uns chargez de fruits, & les autres de liqueurs. Quelque temps apres, le Bal fut continué, & dura jusques à cinq heures du matin, que toute la Compagnie se rendit à la Chapelle de Saint Pierre sur la Place, pour entendre la Messe, que Mr Magalotti fit dire par son Aumônier. N'avoûrez-vous pas apres cela, que le Gouverneur de Valenciennes est un des plus galans Hommes qu'il y ait au monde, & qu'on est trop heureux de pouvoir vivre dans la Place qu'il commande, ou dans son voisinage ? Je suis, Mamade, vostre tres &c.

[Conversion de M. et Mme. de Strada] §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 210-212.

 

Mr l'Evesque de Clermont a reçeu depuis dix ou douze jours l'Abjuration de Mr & de Madame de Strada, à laquelle ce vigilant & pieux Prélat travailloit depuis long temps. Ils estoient tous deux nez dans l'Héresie, Mr de Strada, Seigneur de Serlieve à une lieuë de Clermont, estant originaire de Flandre, & Madame de Strada de la Famille des Fabrices. Les bonnes qualitez de l'un & de l'autre les faisoient fort estimer dans la Province, & ils n'estoient connus de personne qui ne souhaitast leur conversion. Ainsi ce fut une joye universelle de les voir enfin assez penétrez des lumieres de nostre Foy, pour abjurer l'Erreur de Calvin. La Cerémonie se fit dans l'Eglise Cathédrale de Clermont avec une affluence de monde incroyable. Mademoiselle de Strada leur Fille suivit leur exemple, ainsi qu'une Fille de leurs Domestiques. Mr l'Evesque leur fit un Discours qui attira les larmes de tous ceux qui l'entendirent. Le Te Deum fut chanté en suite solemnellement, & tout le monde sortit avec une satisfaction extraordinaire.

Air nouveau §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 275.

Voicy des Paroles de Mr de Monbrun, qui ont esté mises en Air par un fort habile Maistre. Je vous en ay déja envoyé de sa façon.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Charmans & paisibles Bocages, doit regarder la page 275.
Charmans & paisibles Bocages,
Je sens quelque repos parmy vos noirs ombrages,
En me plaignant d'un feu malheureux & discret.
Mais dûssiez-vous charmer toute sa violence,
Sans vostre profond silence,
Vous ne sçauriez pas mon secret.
images/1682-01_275.JPG

[Divertissemens de la Cour & de Paris] §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 278-288.

 

L'Opéra d'Atys a esté pendant ce mois un des principaux divertissemens de la Cour. Madame la Dauphine ne l'avoit point encor vû ; & comme pour luy donner ce plaisir, on a refait la plûpart des choses necessaires à cette représentation, la dépense n'a guere esté moindre pour le rétablir, qu'elle eust pû l'estre pour un Opéra nouveau ; mais Sa Majesté n'y regarde pas. Quand on ne distribuë rien qu'avec prudence, on a des fonds suffisans pour tout. Atis a reçeu de grands embellissemens en Entrées. Mademoiselle de Nantes a dancé dans celle de la suite de Flore. Cette Princesse représentoit une petite Nymphe, & estoit au milieu de deux autres de sa grandeur. Quatre petits Zéphirs augmentoient encor la beauté de cette Entrée. L'un estoit representé par Mr le Comte de Guiche. Six grands Danceurs de la mesme suite formoient des Arcades de differentes Figures, avec des Festons de Fleurs, sous lesquels les Nymphes & les Zéphirs dançoient & s'entrelassoient. Rien ne plaisoit tant que ce Spectacle. Dans le second Acte Monseigneur le Dauphin dançoit une Entrée d'Egyptiens. Il estoit accompagné de Monsieur le Prince de la Roche-sur-Yon, de Mr le Comte de Vermandois, de Mr le Comte de Brione, & de Mr de Mimeurs. Dans la mesme Entrée estoient meslées cinq Egyptiennes, représentées par Mademoiselles de Lislebonne, de Tonnerre, de Commercy, de Loubes, & de Laval. Cette derniere dançoit au milieu des quatre. Monseigneur le Dauphin représentoit un Dieu marin dans le quatriéme Acte, & estoit suivy des mesmes Seigneurs que je viens de vous nommer. Mr le Comte de Guiche dançoit comme luy en Dieu marin dans la mesme Entrée, avec deux petits Ruisseaux & deux petites Fontaines. Les Dames dont je vous ay dit les noms en estoient aussi, vestuës en Divinitez marines. Madame la Princesse de Conty devoit dançer avec elles dans les deux Entrées de Monseigneur le Dauphin, mais elle tomba malade, avant que l'on commençast les représentations d'Atys. Cette Princesse est présentement guerie de sa fiévre ; & comme elle est generalement aimée, la joye qu'on a euë du retour de sa santé a esté generale. Outre le divertissement de l'Opéra, la Cour a pris celuy du Bal & celuy de la Comédie Françoise & Italienne, pendant trois ou quatre jours de chaque semaine ; & le Roy, & Monseigneur le Dauphin, ont souvent esté à la Chasse. Comme elle est une image de la guerre, & qu'un excercice pénible entretient le corps dans la fatigue, & l'endurcit aux injures des temps les plus incommodes, il ne faut pas s'étonner si Sa Majesté ne perd point l'habitude de chasser.

Quant aux divertissemens de Paris, l'Académie Royale de Musique a fait succeder le Triomphe de l'Amour à Proserpine. Le Tarquin, Piece nouvelle de Mr Pradon, a paru sur le Theatre François, & le Baron d'Albykrac qu'on y a remis, sans qu'on l'eust joüé depuis douze ans, a fort diverty de nombreuses Assemblées. Il y a eu pendant tout ce mois quantité de Bals qui ont attiré beaucoup de Masques. On en a donné quelques-uns de jour, mais les plus considérables se sont faits de nuit, suivant l'usage ordinaire. Celuy de Mr de Mannevillete, Secretaire des Commandemens de Monsieur, a esté du nombre. Il en donne un tous les ans à Leurs Altesses Royales, avec autant de magnificence que de politesse. Elles prirent ce divertissement le vingt & un de ce mois. Les Haut-bois y estoient meslez aux Violons. Messieurs les Princes de Conty & de la Roche-sur-Yon, & Mr le Comte de Vermandois, vinrent exprés de Saint Germain pour se trouver à cette Feste, où la plus grande partie des Princes & Princesses, & tout ce qu'il y a de Personnes de la plus haute qualité & de Femmes bien faites à Paris, s'y rendirent aussi bien que plusieurs Ambassadeurs. La foule y estoit si grande, que quelque bon ordre que donnassent à la Porte les Suisses de Son Altesse Royale, & les Gardes de ce Prince dans les autres lieux, les six Pieces de plein-pied, dont le principal Appartement est composé, furent remplies d'une infinité de Gens de marque, dont la pluspart demeurerent jusques à cinq heures du matin. Monsieur se retira su les onze heures, parce que Madame devoit aller le lendemain courre le Cerf avec le Roy. Il y avoit dans la Galerie, qui est la derniere Piece de l'Appartement, vingt-quatre Bassins de tout ce qu'on peut servir de plus rare, & et de plus exquis en pareille occasion. Leurs Altesses Royales loüerent fort la maniere dont on avoit ordonné tout ce qui formoit ce grand Régal, qui estant donné avec joye, n'estoit pas moins bien entendu que magnifique.

[Tout ce qui s'est passé dans le Voyage de l'Ambassadeur de Maroc, depuis Brest jusques à Paris, & depuis son arrivée ; avec ce qu'il a dit de plus remarquable touchant tout ce qu'il a vû en France] §

Mercure galant, janvier 1682 [tome 1], p. 291-340.Cet article traite aussi de la visite de l'ambassadeur du Maroc.

 

L'arrivée de l'Ambassadeur de Mula Ismael Roy de Maroc, a fait trop de bruit icy, pour n'avoir pas esté sceuë dans vostre Province. Ce Roy est Frere de Muley Arrid, si connu en France sous le nom de Tafilete. C'est ainsi qu'on appelloit le Royaume de son Pere. Cet Etat est assez grand. Il fait partie de l'ancienne Numidie, nommée aujourd'huy Biledulgerie, & est situé entre Fez & la Mer Mediterranée. Ce Roy Tafilete, l'un des plus grands Conquerans d'Afrique, faisant faire un jour le Manege à son Cheval, donna de la teste contre une branche de Figuier. Ce coup fut mortel, & il en mourut quelques temps apres. Lors qu'il fut prest d'expirer, il mit son Epée qui est la marque de la Royauté, entre les mains de Mula Ismael son Frere luy disant que ses deux Fils dont l'un n'avoit que quatre ans, & l'autre trois, estoient incapables de soûtenir le poids du Royaume, & qu'il prévoyoit que tous les Païs qu'il venoit de conquerir se revolteroient apres sa mort. Ce qu'il avoit prédit est arrivé. Les Peuples prirent les armes, & Mula Ismael s'étant mis à la teste des Negres & de quelques autres Troupes, se vit obligé de conquerir de nouveau les Royaumes de Fez & de Maroc, les Souverainetez de Tetoüan, de Salé, d'Arcassa, & une partie du Royaume de Sus. Les actions qu'il a faites dans ces diverses Conquestes, avec la valeur & la prudence d'un grand Capitaine, ont esté beaucoup plus grandes que celles qui ont donné tant de reputation au Roy Tafilete. Ces Royaumes sont peuplez de Gens ramassez de diverses Nations, dont les principaux sont Maures, issus des anciens Sarrasins. Outre ces Maures qui demeurent dans les Villes, il y a deux autres sortes de Peuples, les uns appellez Barbares, les autres Arabes. Les Barbares habitent sous des Maisons couvertes de chaume dans les grandes Montagnes d'Atlas, qui traversent tout le Païs ; & les Arabes ou Alarbes tiennent la Campagne, & sont divisez par races. Le Chef, ou l'Ancien de la Race, est le Commandant, & s'appelle Chef ou Capitaine. Ils passent toute leur vie sous des Tentes faites avec de la laine & du poil de Chevre, & habitent dans des Plaines par Adoüars. Un Adoüar est un assemblage de quarante ou cinquante Tentes élevées en rond. Une Race, selon qu'elle est devenuë nombreuse, aura quelquefois jusqu'à cinquante Adoüars. Ils sont là avec leurs Femmes, leurs Chameaux, Chevaux, Moutons, Vaches, & autres Bestiaux, consumant tous les fourrages vingt lieuës aux environs, apres quoy ils levent leurs Tentes, & vont établir leur Camp en un autre endroit où il y a du fourrage. Ils sont par bandes de cinq ou six milles hommes sous un Commandant, qui selon les ordres qu'il reçoit du Roy, les fait marcher à la Guerre, & c'est là la meilleure Cavalerie de toute l'Afrique. Mula Ismael qui regne aujourd'huy, a encor nouvellement conquis la Mamorre. C'est une Place qui appartenoit aux Espagnols, située sur le bord de la Mer Oceane. Ce Prince âgé seulement de trente-cinq ans, seroit tres-digne d'estime, s'il n'estoit pas cruel. Lors qu'il est chagrin, il tuë quelque fois de sa propre main jusques à vingt Negres de ses Esclaves. Il ne fait pas moins éclater sa cruauté contre ses Sujets, qui se distinguent par des grandes actions. Il suffit qu'il les soupçonne d'étre capables de se revolter pour n'épargner pas leur vie. Il est de la race de Mahometh surnommé Cherif, & en a son cachet le nom écrit en Langue Arabe, ainsi que celuy du Sauveur du monde, que ces peuples noment Cidy Naissa, & qu'ils connoissent seulement pour un grand Prophete. Il y a encore dans ce Cachet le nom de Mahomet qu'ils appellent Mahamet, & celuy de Dieu. Leur Loy leur défend d'avoir d'autres Armes, & il ne leur est pas permis de prendre aucune figure de quelque façon que ce puisse estre. Ils prétendent estre les seuls qui suivent la veritable Religion de Mahomet, & disent qu'elle a esté commencée par nostre Seigneur, qu'ils font le premier de tous les Mores, & celuy qui ordonna le premier de l'habit qu'ils portent. Ils n'ont ny or ny argent, ni soye, & ne sont vestus que d'une étoffe de laine, qui leur entoure deux ou trois fois tout le corps, depuis les pieds jusques à la teste.

Ils appellent cet habillement une Hoque, & elle doit toûjours estre blanche. Ils observent aussi religieusement leur Loy pour leur manger que pour leurs habits, & ne se nourrissent d'aucunes viandes que des Bestes qui ont esté tuées par un Maure. Ce Maure presente la gorge de la Beste qu'il veut tüer du costé de la Meque, & apres avoir dit, Mon Dieu, voila une Victime que je vay vous immoler ; je vous supplie que ce soit pour vostre plus grande gloire que nous la mangions, il luy coupe la gorge. Quand ils veulent faire leur Sala ou prieres, ce qu'ils font cinq fois par jour avec grande exactitude, ils se lavent les pieds & les jambes jusques au genoüil, & les mains & les bras jusques au coude ; puis s'estant assis à terre la face vers le Soleil Levant, ils invoquent leur Cidy Mahamet, & ensuite Cidy Bellabec, qu'ils disent estre Saint Augustin, & ainsi plusieurs autres ; car ils ont du moins une douzaine de Saints, & à chacun de ceux qu'ils invoquent, il se jettent contre terre, & la touchent de leur front. Ils mettent mesme Cidy Naissa parmy leurs Saints. C'est le nom que je vous ay déja dit, qu'ils donnent au Sauveur du monde. Ils le croyent né d'une Vierge, & conçeu par le Soufle de Dieu, mais ils ne peuvent comprendre que ce Soufle soit le Saint Esprit, & par consequent qu'il y ait trois Personnes qui ne fassent qu'un seul Dieu.

Mula Ismael, apres avoir reduit Tanger à l'extremité, comme les nouvelles publiques vous l'ont appris, & fait avec les Anglois une Paix tres-glorieuse, resolut d'envoyer un Ambassadeur au Roy, sur ce que l'Escadre de six Vaisseaux commandez par Mr le Chevalier de Chasteau-renaud, que Sa Majesté a toûjours tenus devant ses Ports, avoit ruïné tout son commerce ces deux dernieres années, & dans ce dessein il nomma Hardgi Mehema Thummim, Gouverneur de Tetoüan pour venir en France. Cet Ambassadeur, qui est le premier qui soit jamais sorty de Maroc pour aller parler de Paix dans aucune Cour, s'embarqua sur le Vaisseau que commandoit Mr de la Barre dans l'Escadre de Mr de Chasteau-renaud, & vint prendre terre à Brest, où il resta quelque temps, en attendant les ordres du Roy, qui estoit alors à Strasbourg. Il semble qu'un Homme qui vient d'un Païs sauvage, & où la guerre n'a point cessé depuis quarante ans, ne doive avoir rien que de farouche. Cependant quand il auroit toûjours demeuré dans la Cour la plus polie, il n'auroit pas les manieres plus honnestes, ny l'esprit plus délicat. Il commença à faire paroistre sa galanterie dans un Bal que luy donna Madame de Süeil, Intendante de Brest, & il est en suite venu à Paris par les Villes de Vennes, Nantes, Angers, Verdun, Blois, & autres ; & par tout on l'a régalé d'un Bal, où les Dames les mieux faites se sont trouvées. Dans toutes ces Villes, il a fait une Reyne de Maroc, & une Ambassadrice, disant que la beauté des Dames de France avoit tant fait de bruit dans son Païs, que le Roy son Maistre l'envoyoit en Ambassade afin d'en demander une. On a tous les jours entendu de luy des galanteries nouvelles qui l'ont fait chérir à l'envy de tout le beau Sexe. Une Dame qu'il avoit faite Reyne de Maroc, témoignant estre jalouse, & luy reprochant qu'il contoit sans cesse des douceurs à une autre qu'il avoit nommé Ambassadrice, il luy répondit sans s'embarasser. Vous estes la Reyne. Je ne dois plus que vous admirer & me taire, & continua d'entretenir cette Ambassadrice. Une autre Dame fort spirituelle, blâmant l'inconstance de ceux de son Païs, qui prenoient un si grand nombre de Femmes ; Si elles estoient faites comme vous, dit-il, nous n'en prendrions jamais qu'une. Par tout où il s'est trouvé, il a condamné l'usage de doter les Filles pour les marier, disant à la plus jolie, qu'il donneroit des millions pour l'épouser.

Le Dimanche 4. de ce mois, il fut conduit à l'Audience du Roy par Mr de Bonneüil, Introducteur des Ambassadeurs, qui estoit venu le prendre icy dans l'Hostel des Ambassadeurs Extraordinaires. Il fit une profonde inclination à Sa Majesté, luy présenta des Lettres du Roy de Maroc, qui êtoient écrites en Arabe, & luy fit ce Compliment. Empereur de France Loüis XIV le plus grand de tous les Empereurs & Roys Chrestiens qui ont jamais esté, & qui seront, l'Empereur mon Maistre ayant entendu parler des grandes choses que Vostre Majesté a faites dans l'Europe, comme d'avoir à la teste de ses Armées conquis des Royaumes, gagné un grand nombre de Batailles, & comme un Lyon, vaincu tous ses Ennemis, portant par tout la terreur & l'effroy au travers de toutes sortes de dangers ; toutes ces grandes Actions ont tant donné d'admiration & d'estime à l'Empereur mon Maistre pour Vostre Majesté, qu'il a crû qu'aux Conquestes de Sus, de Fez, de Tafilete, de Maroc, de Ris, de Arbouzenes, de Tétoüan, de Salé, & d'Alcassa, & à la gloire d'un grand nombre de Batailles qui l'ont rendu le plus grand & le plus vaillant de l'Affrique, il falloit adjoûter, pour achever de le rendre content & glorieux, la Paix avec Vostre Majesté, & c'est pour cela qu'il m'envoye icy son Ambassadeur vous la demander.

Ce Compliment fut fait en Arabe, & interpreté au Roy par le Sieur Dipi, Interprete de Sa Majesté. Elle reçeut cet Ambassadeur fort agreablement, luy dit qu'Elle chercheroit toutes les occasions de luy faire plaisir, & nomma Mr Colbert de Croissy, Ministre & Secrétaire d'Etat, pour écouter ses propositions. Il fut traité au sortir de là, avec toute sa Suite, par les Officiers de Sa Majesté. Il est impossible d'exprimer l'admiration qu'il témoigna de la personne du Roy. Il dit lors qu'il fut dans l'Antichambre, Qu'il avoit veu plusieurs Portraits de ce grand Monarque, & qu'il les feroit effacer tous, s'il avoit du pouvoir, n'y ayant aucun de ces Portraits qui approchast de la grandeur qu'il avoit remarquée dans son air ; Qu'il méritoit d'estre le Souverain de toute la Terre, & qu'il souhaitoit qu'il n'y eust que deux Rois, celuy de Maroc dans toute l'Afrique, & Sa Majesté dans toutes les autres Parties du Monde. Le lendemain il entretint le Roy à son dîné ; & Sa Majesté s'estant informée comment il avoit trouvé Brest, & les autres lieux par où il avoit passé, il répondit, qu'il n'avoit jamais rien veu de si beau que les Vaisseaux de Brest ; que leur nombre, leur extraordinaire grandeur, les Canons & les Magazins, luy avoient donné une idée tres-haute de Sa Majesté ; mais que ce qu'il avoit le plus admiré, & qu'il ne pouvoit se lasser de voir, c'estoit l'ordre merveilleux par lequel toutes choses estoient si commodément placées pour les Armemens, que d'une seule parole Sa Majesté pouvoir faire armer dans ce Port cinquante Vaisseaux en quinze jours ; Que le nombre de Canons, de Bâtimens, & toutes les grandes dépences, estoient des biens de la Fortune, mais que ce bel ordre partoit de la teste. Il disoit cela en portant son doigt au front. Quant à la beauté des Villes qu'il avoit veuës depuis Brest jusqu'à Paris, il dit à Sa Majesté, qu'il avoit marché pendant quinze jours dans la mesme Route, ayant toûjours rencontré sur son chemin des Jardins & des Maisons qui continuoient la mesme Ville. Ce qui l'obligeoit à parler ainsi, c'est la desolation de son Païs, que les Guerres ont tellement ruiné, qu'on y marche quelquefois trois jours de suite sans trouver une Maison. Il adjousta, qu'il avoit veu dans tout son voyage autant de civilité & d'honnesteté aux François, que la reputation qu'ils ont par tout leur en donne, & qu'il ne s'étonnoit pas si l'avantage d'avoir un Roy si puissant, les rendoit fiers & redoutables à leurs Ennemis. Tout cela fut dit en Espagnol, & expliqué à Sa Majesté par Mr de Rémondis, qui s'acquita de cette conversation d'une maniere tres-spirituelle. Ce Gentilhomme avoit eu ordre du Roy à Brest d'accompagner cet Ambassadeur, & il ne l'a point quitté depuis ce tems-là. Ainsi il le suivit dans les Conferences qu'il eut quelques jours apres avec Mrs de Croissy & de Seignelay, & y ménagea avec beaucoup d'adresse & d'esprit ce que ces Messieurs luy confierent touchant le Traité de Paix. Ceux qui ont leu l'Histoire de Provence, sçavent ce que c'est que les Maisons de Rémons & Rémondis. Il y en a quatre de mesme nom, & trois principalement d'une Noblesse tres-ancienne qui ont differentes armes. Mr de Rémondis dont je vous parle, porte d'or à trois Aiglons de sable & trois faces d'azur. Ses services sont connus. Il a esté sept ans dans les Mousquetaires, & fut blessé à Mastric. Sa Majesté luy parla de sa blessure, qu'Elle sçavoit bien qu'il avoit receuë en se distinguant, & luy dit obligeamment qu'Elle prendroit soin de luy. Il a servy dans la Guerre de Sicile, où les marques qu'il donna de valeur & de bravoure luy acquirent une estime generale. Il s'est trouvé à la prise de Valenciennes, & se signala si bien dans cette journée, que le Roy le fit Lieutenant de Vaisseau, & l'a fait depuis Capitaine & Major du Levant. Tous ceux de cette Maison sont dévoüez au service depuis fort long-temps, & l'on y compte presentement quatre Freres. Mr le Chevalier de Rémondis, qui fût tué à Mastric apres avoir chassé les Ennemis du Bastion Dauphin dans le temps que Mr le Prince d'Orange assiegoit la Place, estoit le cinquiéme. Il avoit fait dans toutes les autres occasions tout ce que peut faire un Brave, & estoit premier Capitaine dans le Regiment de Jonsac.

Le Lundy cinquiéme du mois, l'Ambassadeur de Maroc vit à Saint Germain l'Opéra d'Atis. Il en marqua beaucoup de surprise, & ayant passé ensuite sur le Théatre pour s'en retourner par un endroit où il y eust moins de foule, on luy montra Mrs Lully, Vigarany & Berrin, qui estoient en semble. Apres qu'on luy eut appris que l'un avoit fait la Musique, l'autre les Machines, & que le dernier avoit eu soin des habits qu'il avoit trouvez si beaux, il leur dit à tous, que sans les connoistre il leur avoit souhaité de longues années pour le service du Roy. Il a veu aussi le Triomphe de l'Amour, dans l'Académie Royale de Musique ; & ce Spectacle étonna si fort tous ceux de sa suite, que l'un d'entr'eux ne vouloit point regarder ce qui se passoit sur le Theatre, disant qu'il y avoit de la Magie. Ils n'admirerent pas moins les Eaux de Saint Cloud, qui leur parurent un enchantement, en sorte que leur surprise eût peine à cesser.

Le douziéme du mois cet Ambassadeur vint à Nostre-Dame, où il fut reçeu au son des Orgues. Il monta sur les Tours, d'où il admira Paris, & dit qu'il y avoit trois Villes l'uns sur l'autre, à cause de la hauteur des Maisons. Il vit ensuite les Tapisseries qui estoient tendües dans le Chœur, & alla de là à l'Observatoire. Il entra d'abord dans l'Appartement de Mr Cassini, où Mr Picard le vint trouver. Il considera les Globes, les Trompetes parlantes, les Figures de la Lune, & des Planetes, & s'arresta quelque temps au Globe celeste, & aux Figures des Sistemes des Planetes qu'on luy expliqua. Il passa ensuite dans la Tour Orientale, où on luy fit voir l'effet d'une fort grande Lunete, & les Instrumens dont on se sert pour les Observations. Il y regarda les Pendules, & admira leur régularité. Au sortir de là, il monta sur la Terrasse, où il demeura longtemps à considerer l'étenduë de Paris, & à regarder divers objets avec des Lunetes. En descendant, on le fit entrer dans la Grand-Salle, & on luy apprit à quels usages on la destinoit. Il vit l'Appartement de Mr Picard, & ne voulut point sortir de l'Observatoire qu'il n'eust aussi veu les Caves. Il y descendit, & alla jusqu'à un endroit où on luy montra de l'Eau que la longueur du temps a petrifiée. Estant dans ces Caves, & se souvenant de la hauteur des Tours de Nostre-Dame, il dit qu'il revoit de monter au Ciel, & qu'il se trouvoit dans les abysmes, & que tout ce qu'il voyoit luy faisoit connoistre qu'il n'y avoit rien dont les François ne fussent capables de venir à bout. Lors qu'il alla voir les Tableaux du Roy au Louvre, il considera long-temps, & avec attention, les Batailles de Mr le Brun. On luy dit qu'elles estoient faites par un François, que Sa Majesté avoit ennobly à cause de son merite & de la beauté de son genie ; ce que cet Ambassadeur n'oublia pas, puis qu'étant allé quelques jours apres aux Gobelins, lors qu'il eut admiré toutes les choses dont je vous ay déja parlé dans la Relation de l'Ambassadeur de Moscovie, il fit compliment à Mr le Brun sur son merveilleux talent, & sur l'honneur que Sa Majesté luy avoit fait. On l'a mené aussi au Palais, où voyant la grande foule qui s'y rencontre toûjours, il dit qu'il commençoit à connoistre ce que c'estoit que Paris. En allant voir la Bibliotheque du Roy, il fut fort surpris du grand nombre de Livres Arabes qu'on luy montra. Parmy ces Livres il trouva un Alcoran. Il le prit, & le porta sur son front, sur ses yeux, & sur sa bouche, avec des marques d'une venération tres-particuliere. Enfin il n'y a icy aucun endroit curieux qu'il n'ait visité, en sorte que tant de magnificence et de grandeur luy a fait dire, Que ce qu'il a veu luy donne une idée de la France pareille à celle que les Mahometans ont de la gloire où ils croyent aller quand il sont morts. Une des choses qui luy a le plus causé d'admiration, a esté l'Exercice des Mousquetaires. Mr de Fourbin qui estoit aupres de luy pendant ce temps, luy demanda ce qui luy sembloit de cet Exercice. Croyez-vous, Monsieur, luy répondit-il, estre aupres de moy dans ce moment ? Vous estes au milieu de ce Bataille à faire vous mesme tous ces mouvemens, estant impossible qu'ils fussent si justes, s'il y avoit plus d'une personne qui s'en meslast. Bien heureux, Monsieur, d'avoir mille bras que vous pouvez remuër à mesme temps. Quelque autres luy ayant demandé, si cet Exercice le divertissoit. Rien n'est si divertissant, leur repliqua-t-il, que de voir manier les armes à ces Braves quand on est de leurs Amis, car il n'y feroit pas bon autrement. Quelqu'un luy voulut expliquer ensuite que ces Messieurs avoient fait de tres-belles actions dans toutes les Guerres, & que ces Compagnies estoient au Roy. Il répondit aussi-tost. Je sçay que ce sont de jeunes Lyons à l'Armée, & que le Roy est leur Capitaine. Son Altesse Royale l'envoya prier d'aller au Bal, par Mr Aubert son Maistre des Ceremonies. Il dit mille choses galantes à toutes les Dames ; & Monsieur luy ayant demandé à une heure apres minuit, s'il ne commençoit point à s'ennuyer, & s'il vouloit sortir ; Je serois bien puny, luy dit-il, si vous me l'ordonniez. Je ne conçois rien de plus sensible que de quiter une si illustre & si belle Compagnie.

Pour achever de vous rendre compte des choses qui le regardent, j'ajoûte ce que l'on a entendu dire au Soupé du Roy. Sa Majesté ayant demandé à Mr de Remondis, si l'Ambassadeur estoit content, sa réponce fut qu'il luy avoit dit, qu'il avoit pleuré lors qu'il apprit qu'il devoit venir en France ; mais qu'il pleureroit beaucoup davantage en la quitant. Et là-dessus le Roy expliqua tout haut, comment il estoit venu Ambassadeur malgré luy, le Roy son Maître luy ayant envoyé dire qu'il luy couperoit le col s'il ne partoit. Sa Majesté demanda encor ce qu'il disoit de Paris ; à quoy le mesme Mr de Rémondis répondit, qu'il estoit au desespoir de ce qu'on ne le croiroit pas chez luy, & qu'il ne pourroit le trouver mauvais, puis que luy-mesme n'auroit pas crû tout ce qu'on luy avoit fait voir, quand mille personnes en auroient voulu soûtenir la verité ; qu'il avoit un Livre où il écrivoit tout ce qu'il voyoit, & qu'il l'appelloit le Livre des Miracles. Le Roy fut fort content de cette réponse, & dit tout haut que cet Ambassadeur avoit de l'esprit. En suite Sa Majesté demanda ce qu'il avoit trouvé des Invalides & du Louvre. Pour les Invalides, répondit Mr de Rémondis, il s'y est promené plus de trois heures, disant que c'estoit là la veritable marque de la grandeur du Roy ; qu'il falloit que tous les Roys du monde vinssent apprendre de Vostre Majesté l'art de gouverner les Royaumes ; & le Gouverneur de Salé, qui est à la suite de l'Ambassadeur, & qui passe pour un Saint en son Païs, m'a serré alors la main, en me jurant deux fois par sa Loy, qu'assurément Dieu veilloit à la conservation de Vostre Majesté. Le Louvre leur a aussi paru d'une beauté admirable. Tous ceux de la Suite de l'Ambassadeur l'ont trouvé trop grand, disant qu'il falloit des Carrosses pour aller d'un bout de la Galerie à l'autre. Mais l'Ambassadeur leur a répondu, qu'il le trouvoit trop petit, & que la Maison de ce Roy ne devoit point avoir d'autres bornes que l'Afrique. Monseigneur le Dauphin demanda à Mr de Rémondis s'il avoit veu l'Arsenal. Il répondit à ce Prince, qu'apres en avoir admiré toutes les Armes, il fut fort surpris d'apprendre qu'il y en avoit pour armer quatre-vingts mille Hommes, & qu'il avoit dit alors, que les Vaisseaux de Brest, les Invalides, & l'Arsenal, faisoient entendre aux plus sourds la grandeur du Roy. J'irois trop loin, si je rapportois toutes les choses qu'il dit tous les jours à une infinité de Gens de la premiere qualité qui viennent chez luy, & qui ne comprennent pas comment un More peut avoir l'esprit si bien tourné & si galant. Il est vray que de tout temps on a estimé la galanterie des Mores. Vous sçavez qu'ils ont esté maistres d'une partie de l'Espagne. Le Chasteau de l'Alhambre de Grénade, y est encor appellé le Palais des Roys d'Afrique. La Veuë de l'Entrée de ce Palais que je vous envoye gravée, vous apprendra combien ils estoient superbes dans leurs Bâtimens. Cette Entrée est celle de l'Apartement qu'on appelle encor de los Leones. C'est une grande Court plus longue que large, dont tout le pavé est de Marbre blanc, & qui est environnée de cinquante deux Colomnes de Marbre d'Egypte. Deux Bassins d'Albastre sont au milieu. Le plus grand est porté sur douze Lyons aussi d'Albastre, qui jettent de gros boüillons d'eau. Aux deux bouts, il y a deux grands Vestibules soûtenus d'une douzaine de Piliers de Marbre, qui avancent d'environ vingt pieds dans la Court. Chaque Vestibule a quatre Jets d'eau. Par là on entre dans de grandes Galeries qui regnent le long des Portiques, & d'où on passe en quantité de Pieces qui sont autour de la Court. Les plus belles sont deux grands Sallons faits en dôme, & ornez d'une tres riche Moresque que les Arabes appellent Comaragies. Elle est d'une maniere de Stuc, où sont moulées mille petites Figures à la Mosaïque, mais d'une Mosaïque relevée en bosse, représentant par des lignes aussi deliées que si elles estoient imprimées sur de la cire, tout ce que l'on voit dans les Tapis de Turquie & de Perse, & dans les plus curieux Cabinets de Pieces raportées ; l'or, l'azur, le blanc & plusieurs autres couleurs, y estant meslées avec tant de varieté, qu'on ne peut les regarder sans que les yeux en soient ébloüis. L'un de ces Sallons s'appelle de las dos Hermanas, ou des deux Sœurs, à cause qu'il est pavé entierement de deux grandes Pierres de Marbre que l'on nomme sans pareilles, & qui remplissent les deux costez depuis une muraille jusqu'à l'autre, à la reserve de l'espace que tient la Fontaine. L'autre Sallon est appellé des Abencerrages, à cause qu'on tient que ce fut dans ce lieu-là que le dernier Roy More de Grénade en fit égorger un si grand nombre. Je resserre pour le mois prochain ce qui me reste à vous dire de l'Ambassadeur de Maroc.