Mercure galant, avril 1682 [tome 4].
Mercure galant, avril 1682 [tome 4]. §
[M. Laurenzani, Maistre de Musique de la Reyne, fait chanter dans la Chapelle du Roy un Pseaume de sa composition] §
Comme ce qui s'est passé sur la fin du dernier Mois n'a pû entrer dans ma Lettre precédente, parce que la rencontre des Festes de Pasques m'obligea de vous l'envoyer quatre jours plutost qu'à mon ordinaire, je ne dois pas oublier quelques Articles dont cette seule raison m'a fait diférer à vous faire part. Mr Laurenzani, Romain, Maistre de la Musique de la Reyne, fit chanter dans la Chapelle du Roy un Pseaume, qui apres avoir plû à ce grand Prince, qui se connoît en tout mieux que personne, fut admiré de toute la Cour. Sa Majesté l'ayant entendu deux fois de suite avec beaucoup de plaisir, l'entendit encor une troisiéme dans une autre occasion, où Madame la Dauphine témoigna y en avoir pris un tres-grand. Dans ce mesme temps, cette Princesse fit chanter chez elle une Dame Romaine, qu'on appelle Donna Anna Carriata. Le Roy s'y trouva, & fut charmé de la beauté de sa voix. On luy connut beaucoup de sçavoir dans la Musique, & cela ne parut pas seulement à son chant, qu'elle accompagne admirablement du Clavessin, mais aussi à la maniere dont elle l'accorde avec la Lyre, Instrument si renommé chez les Anciens, & qui estoit presque inconnu en France.Pour la lire italienne, voir Marin Mersenne, L'Harmonie universelle, livre 4, p. 204-207, 215-216 Il est merveilleux pour accompagner les Airs languissans & passionnez. Sa Majesté a voulu l'entendre plus d'une fois, & a toûjours témoigné en avoir reçeu une satisfaction entiere. Si un talent si digne d'estre estimé, luy fait donner beaucoup de loüanges, la beauté de son esprit ne luy en attire pas moins. Il n'y a rien qui ne plaise en elle, & j'ay oüy dire à des Gens bien connoisseurs, que plus on la voit, plus on luy trouve de mérite. Elle a de la naissance, & beaucoup d'agrément dans sa personne ; & de la maniere dont on en parle, j'espere avoir dans fort peu de temps à vous en écrire des choses agreables, qui vous renouvelleront le plaisir que vous avez de voir le veritable mérite reconnu.
Air nouveau §
Les Airs nouveaux que je continuë à vous envoyer, me viennent toûjours d´une bonne main. Ainsi, Madame, je ne doute point que vous ne soyez contente de celuy-cy.
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Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Aupres de vous je souffrois chaque jour, doit regarder la page 48.Aupres de vous je souffrois chaque jourTout ce que fait souffrir un malheureux amour.Je succombois sous le poids de mes chaînes,Mais le sort d'un Absent est le pire de tous.Ah, belle Iris, quand reviendront les peinesQue je souffrois aupres de vous ?
[Prise de Possession de l'Abbaye de Villers-Canivet, par Madame de Souvré] §
Je vous appris il y a huit ou dix mois, que l'Abbaye de Villers-Canivet estant demeurée vacante par la mort de Madame de Marle, le Roy en avoit gratifié Madame de Souvré, qui estoit Religieuse à Vignals. [...]
Son humilité a paru avec éclat, dans le refus qu'elle a fait de tous les honneurs que la Ville de Falaise luy a voulu rendre. Tous les Corps de cette Ville s'estoient préparez pour aller au devant d'elle, lors qu'elle viendroit prendre possession à Villers, & Mr le Chevalier de Corday, Lieutenant de Roy, avoit dessein de la salüer de toute son Artillerie ; mais il ne pûrent sçavoir quel jour elle avoit choisy pour celuy de son Entrée. En effet elle partit de Vignals incognito le Lundy matin 2. de Mars, accompagnée seulement de Madame de Tessé, Abbesse de ce Lieu, de Madame de Froulé sa Soeur, & de six autres Religieuses, & arriva trois heures apres à Villers. Cette Abbaye est dans le Diocese de Séez, à une lieuë de Falaise. C'est un agreable Lieu, qui a d'un costé des Bois taillis & de futaye en assez grand nombre, avec de forts beaux Etangs; & de l'autre, une tres-belle campagne. L'Eglise est aussi fort belle. Villers-Canivet est une Baronnie. L'Abbesse en possede encor une autre, & présente à plusieurs beaux Benéfices. Madame de Souvré pouvoit faire son Entrée, sans que personne en fust averty ; mais elle ne pouvoit prendre Possession sans qu'il y eust des témoins. Ainsi elle invita les Personnes les plus qualifiées du voisinage pour le Lundy 5. de Mars. Comme cette Abbesse estoit de l'Ordre de S. Benoist. & que Villers est de celuy de Cisteaux, on commença la Cerémonie par la prise de l'Habit de S. Bernard. Le P. Dom Rossy, Religieux & Vicaire General de ce dernier Ordre, apres avoir commencé solemnellement une Messe du S. Esprit jusques au Credo, alla à la Grille recevoir ses Voeux. Il luy fit là un fort beau discours sur sa Dignité, & ensuite benit son Habit, qui luy fut donné par Madame l'Abbesse de Vignals, & par Madame de Corday, Prieure de Villers, de la mesme sorte que si elle n'eust jamais fait de prosession. La Messe estant achevée, Mr du Trische, Grand Vicaire, & Official de Mr l'Evesque de Séez, qui estoit alors mourant, s'avança jusqu'à la Grille, où il la complimenta. Cela estant fait, il alla la prendre au dedans accompagné de Mr de Rossy, & de plusieurs Personnes de qualité de l'un & de l'autre Sexe. Il la conduisit jusqu'au Pied du grand Autel, où il y avoit un Tapis de Velours violet, & plusieurs Carreaux de mesme parure. Elle se mit à genoux, & apres le Veni Creator chantant, elle fit publiquement sa Profession de Foy, qu'elle signa sur l'Autel, & qu'on fit aussi signer à Mr le Comte d'Aubigny, & à Mr de Corday, comme Témoins. Mr le Grand Vicaire luy fit prendre ensuite Possession par le toucher de l'Autel, apres quoy il la remena dans le dedans, où luy ayant fait tirer la Cloche, il la conduisit dans sa Chaise Abbatiale. Ce fut là que la Prieure, & toutes les autres Religieuses, allerent la salüer comme leur Abbesse, pendant qu'on chantoit le Te Deum, & que les Vassaux de l'Abbaye, qui s'estoient mis sous les armes, réïteroient au dehors leurs décharges de mousqueterie. [...]
Air nouveau §
L´Air nouveau qui suit est fort estimé des Connoisseurs. Je ne doute point que vous ne soyez de leur sentiment.
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Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Ah que vostre retour, Printemps, doit regarder la page [216].Ah, que vostre retour, Printemps, me rend jaloux !Vous formez trop de rendez-vous,Vos Fleurs & vos feüillagesSont pour moy de cruels ombrages.Je fais ce que je puis dans le mal que je sens,Pour trouver dans nos Bois Climene ;Elle m'évite, l'Inhumaine,Pour rendre mes Rivaux contens.Helas ! je vay mourir de l'excés de ma peine,Tout me trahit, jusqu'au Printemps.
[Persée, Opéra nouveau] §
On a commencé enfin de représenter Persée ; & ce Sujet, traité autrefois admirablement par Mr de Corneille l'aîné, qui en a fait une Tragédie en Machines sous le titre d'Andromede, paroist depuis quinze jours sur le celebre Theatre de l'Académie Royale de Musique. Je ne vous parleray point de la disposition, ny du tour aisé des Vers de ce nouvel Opéra. Je vous diray seulement qu'il est de Mr Quinaut. Vous sçavez que par un art qui luy est particulier, il donne toûjours à cette sorte d'Ouvrages des agrémens qui surprennent, & que la matiere semble ne luy fournir pas. Il a remply à son ordinaire dans ce dernier, ce que tout le monde attendoit de luy ; & quand il auroit voulu se cacher, on l'auroit connu sans peine à des traits si éclatans. Mr de Lully n'a pû resister à l'impatience du Public, qui souhaitoit avec d'autant plus d'ardeur voir cet Opéra, que n'ayant point esté représenté pour le Roy comme la plûpart de ceux qu'il donne, c'estoit un Spéctacle tout nouveau. Ainsi son Académie a esté ouverte presque en mesme temps que les deux autres Theatres. Comme tous les Vols n'estoient pas achevez, ils n'ont pû donner d'abord un entier plaisir, mais ils vont présentement d'une fort grande justesse. Outre les Entrées qui sont tres-belles, rien n'a paru jusqu'icy d'un si grand goust qu'un Arc de triomphe, & l'entrée d'un Temple, qui fait le fond de la Décoration du cinquiéme Acte. On a crû voir un autre Theatre, ou du moins qu'on l'avoit beaucoup élargy. Tout cela est dû à Mr Berrin, dont je vous ay parlé plusieurs fois. Je ne vous dis rien de ce qui regarde Mr de Lully. Plus il travaille, plus il se fait voir inimitable. Les vrais Connoisseurs admirent sur tout la Symphonie de ce dernier Opéra. Monseigneur le Dauphin, & Leurs Altesses Royales, honorerent de leur présence la premiere Représentation qui en fut donnée le Samedy 18. de ce mois.
[Le fils de M. Forcray, prodige de la basse de viole] §
Cette matiere me fait souvenir d'un petit Prodige qui surprend tous ceux qui le connoissent. Le Fils de Mr Forcray ayant eu l'honneur dés l'âge de cinq ans de joüer devant le Roy de la Basse de Violon, Sa Majesté en fut si contente, qu'Elle ordonna qu'on luy fist apprendre à joüer de la Basse de Viole. C'est un Instrument tres-difficile. Cependant il a si bien profité des Leçons qu'il a reçeuës, qu'à présent qu'il est âgé de sept à huit ans, il trouve peu de Personnes qui le puissent égaler. Toutes les fois qu'il s'est présenté au Dîné du Roy depuis quelque temps, il y a joüé pendant le Repas avec beaucoup d'aplaudissement de Leurs Majestez. Rien n'est plus extraordinaire dans un âge si peu avancé ; & ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que son Pere est le seul qui luy ait servy de Maître, quoy qu'il ne jouë pas de la Viole, & qu'il sçache seulement la Musique.