1682

Mercure galant, mai 1682 [tome 5].

2017
Source : Mercure galant, mai 1682 [tome 5].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial), Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale) et Vincent Jolivet (Informatique éditoriale).

Mercure galant, mai 1682 [tome 5]. §

[Avant-propos] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 1-5.

 

Quand le Roy, en héritant du plus florissant Royaume du monde, n'auroit pas trouvé le titre de Tres-Chrestien attaché à sa Couronne, ce qu'un pieux zele luy fait entreprendre tous les jours, ne luy auroit pas moins acquis cette glorieuse qualité, que ses Actions inimitables luy ont fait mériter le surnom de Grand. Le dessein de ce Monarque a toûjours esté que la Chapelle de Versailles fust le Lieu le plus magnifique de ce somptueux & brillant Palais ; & comme un Ouvrage d'une parfaite beauté ne peut s'achever en peu d'années, & qu'il a toûjours fait voir que rien ne luy couste lors qu'il s'agit de faire éclater sa pieté, il a bien voulu en faire construire une autre qui passera toûjours pour tres-belle, & qui cependant ne sera que la Nef de celle à laquelle il a ordonné qu'on travaillast. J'ay plus à vous dire, & ce que je vous diray vous surprendra encor d'avantage. Le Roy entretient douze Missionnaires dans cette Chapelle, avec six Enfans de Choeur. Il leur a donné des Ornemens, de l'Argenterie, & genéralement tout ce qui peut estre à leur usage ; le tout d'une grande propreté, & d'une richesse proportionnée. J'aurois adjoûté d'un tres-bon goust, si vous ne sçaviez qu'ayant une entiere connoissance de toutes choses, ce Prince ne confie le soin de tout ce qu'il fait faire qu'à des Personnes dont l'intelligence égale le zele. Ces Missionnaires doivent faire tous les jours le Divin Service comme on le fait aux Paroisses, c'est à dire, que pendant tout le matin ils diront des Messes, & chanteront Vespres l'apresdînée. Ce qu'ils feront davantage, c'est que dans le temps qu'il n'y aura point d'Office, deux d'entre eux seront toûjours en prieres devant l'Autel. Outre la Grand'Messe qu'ils disent tous les Dimanches & les autres jours de Festes, il y a Salut avec Exposition ; & tous les soirs on fait une Priere, & en suite l'Examen qu'un Missionnaire lit. La Reyne s'y trouve presque toûjours. [...]

[Cerémonies observées à la Benédiction de la grosse Cloche de l'Eglise de Paris] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 9-38.

 

Le jour precédent, le Roy qu'on ne voit pas moins infatigable pour les actions de pieté, que pour celles qui conduisent à la gloire, avoit assisté à une Benédiction d'une autre nature. Ce fut à celle de la grosse Cloche de l'Eglise de Paris. Cette Cloche a esté faite pour remplir la place de celle qui avoit esté benie sous le nom de S. Jacques, & qu'un Comte de Montaigu avoit donnée avant l'an 1400. Elle a plus de huit pieds de diamétre, neuf pieds de hauteur sur vingt-cinq pieds trois pouces de tour par le bas, & dix pouces d'épaisseur. Son poids est de trente-deux milliers, qui est le double de la precédente. Elle estoit dans l'Eglise, immédiatement au dessous du petit Clocher, vis-à-vis la Porte du Choeur. On l'avoit posée depuis quelques jours sur une Baze quarrée, au milieu d'une plate-forme de deux pieds & demy de hauteur, & qui s'étendoit depuis l'Autel de la Vierge, jusqu'à celuy qui est de l'autre costé, à une égale distance de la Porte du Choeur. Les quatre faces de cette Baze estoient ornées de Festons d'or et d'argent sur un fond de velour bleu. Le Prie-Dieu du Roy, couvert d'un marche-pied de Velours violet, sur lequel il y avoit des Carreaux pour la Famille Royale, estoit placé vis-à-vis l'Autel de la Vierge. A costé de la Balustrade de ce mesme Autel, on avoit dressé une Crédence, sur laquelle estoient quatre Chandeliers d'argent, le Livre des Epistres, & celuy des Evangiles, le Benistier, les Vases des saintes Huiles, la Navete avec des Parfums, un Bassin avec du Coton, un autre Bassin avec une Eguiere & une Serviete, une Soûcoupe remplie de quatre petits morceaux de Pain coupez en long, & quelques Linges pliez. De l'autre costé du Prie-Dieu du Roy, par dela la Cloche, on avoit mis deux Fauteüils, & plusieurs Sieges-plians. L'espace entre la Porte du Choeur & la Cloche, se trouva remply de Bancs préparez pour le Chapitre ; & vis-à-vis de la Cloche, dans le mesme endroit, il y avoit un Fauteüil pour Mr l'Archevesque de Paris, avec deux Sieges-plians, l'un pour Monsieur l'Abbé Coquelin, chancelier de Nostre-Dame, qui devoit servir de Diacre, & l'autre pour Monsieur l'Abbé Parfait, Chanoine de la mesme Eglise, à qui l'on avoit remis les fonctions de Sous-Diacre.

Le Roy & la Reyne estant partis de la délicieuse Maison de S. Cloud, qui appartient à Monsieur, se rendirent à Nostre-Dame le Mercredy 29. de l'autre mois, environ à onze heures du matin. Ils estoient accompagnez de Monseigneur le Dauphin, de Monsieur, de Madame, & de Mademoiselle d'Orleans. Je ne puis vous exprimer la joye que le Peuple de Paris eut de voir le Roy. Si on la mesure à la grandeur de ce Prince, on jugera bien que rien ne peut l'égaler. Leurs Majestez trouverent trois Compagnies des Gardes Françoises, & trois des Gardes Suisses, en haye, depuis S. Germain le Vieil, jusques au Parvis de Notre-Dame, & dans l'Eglise, il y avoit une haye des Cent Suisses, & une autre des Gardes du Corps. Mr l'Archevesque en Camail & en Rochet, assisté de son Clergé, reçeut le Roy & la Reyne à la Porte de l'Eglise, & leur présenta la Vraye-Croix, qu'ils adorerent & baiserent à genoux. Ils leur présenta aussi de l'Eau-benîte, sans leur avoir fait aucun compliment, & les conduisit à leur Prie-Dieu, d'où ils entendirent la Messe. Sitost qu'elle fut finie, ils le quitterent, pour venir au Lieu où leurs Fauteüils avoient esté mis. Toute la Famille Royale se plaça en suite selon son rang, ainsi que vous pouvez voir par la Planche que je vous envoye. Mr l'Archevesque s'estant revestu dans la Sacristie de ses Habits Pontificaux pendant qu'on disoit la Messe, en sortit accompagné d'un Diacre, d'un Sous-Diacre, & des autres Officiers, & vint se placer sur l'Estrade dans le Fauteüil qu'on luy avoit préparé. En suite s'estant levé, & la Mitre luy ayant esté ostée, il commença la Cerémonie. Quoy qu'on appelle Parrains & Marraines, ceux qui imposent le Nom dans celles de cette nature, c'est une erreur de penser que la Benédiction des Cloches soit un Baptéme ; mais comme l'Eglise consacre à Dieu par des Benédictions & des Onctions, les Temples, les Autels, les Vases, & les autres choses qui sont destinées au culte extérieur de nostre Religion, la raison veut qu'on benisse aussi les Cloches, puis qu'elles contribuënt à ce culte, & que les Fidelles entendant leur son, s'assemblent dans les Eglises pour rendre à Dieu ce qui luy est deû. On se sert d'Aspersions, d'Onctions, & de Prieres, pour en faire la Benédiction ; & mesme par des figures de l'Ancien Testament, l'Eglise marque l'esprit de cette Cerémonie. Elle invite aussi les Personnes les plus élevées à y concourir au nom de tous les Fidelles, afin d'apprendre aux Chrestiens que s'ils s'assemblent dans un mesme Lieu, pour rendre à leur Créateur ce qu'ils luy doivent, ils sont encore plus obligez de le servir dans l'union d'un mesme esprit, & dans les purs sentimens d'une charité parfaite. Quand à l'imposition du Nom, qui fait appeler Parrains & Marraines ceux qui sont priez de le donner, comme l'Eglise consacre les Temples & les Autels sous l'Invocation des Saints, & quelquefois mesme sous les titres des mystéres, & des divers noms que l'Ecriture donne à Dieu, elle en use de mesme dans la Benédiction des Cloches ; & cette invocation jointe aux prieres & aux autres cerémonies dont elle se sert, nous donne lieu d'espérer que dans les occasions pressantes, Dieu voudra bien nous accorder sa protection, quand excitez par le son des Cloches nous l'implorerons contre les orages & les tempestes, & contre la malignité des puissances de l'air.

Mr l'Archevesque s'estant levé, comme je l'ay dit, commença le Pseaume Deus misereatur nostri, pendant lequel luy & le Clergé se tinrent debout & découverts. Ce Pseaume convient fort à l'esprit de cette Cerémonie, puis qu'il doit estre entendu de la vocation de toutes les Nations à l'Evangile, & que cette vocation est représentée, & comme renouvellée par le son des Cloches, qui appellent & assemblent les Fidelles dans les Eglises pour assister aux Divins Offices. Apres cela, Mr l'Archevesque fit la benédiction de l'Eau sur le Benîtier que l'Exorciste luy présenta. On demande à Dieu dans la Priere qui est destinée à cette Benédiction, qu'au bruit de la Cloche benie par l'Aspersion, les Ennemis invisibles des Hommes se retirent, que les tempestes & les orages finissent, & que les sentimens de religion & de pieté augmentent dans le coeur des Fidelles, afin que la vertue de leur obeïssance, & la force de leur prieres, ils se joignent aux Chœur des Anges et des Esprits bien-heureux, pour entrer dans l'union de l'Eglise triomphante pour le Sauveur du monde qui en est le Chef. Cette Priere estant achevée, Mr l'Archevesque & les Assistans s'assirent, & le Sous-Diacre chanta une Leçon tirée du dixiéme Chapitre du Livre des Nombres, où Moïse rapporte le commandement que Dieu luy fit de faire batre au marteau des Trompetes d'argent pour assembler le Peuple, regler la marche, & les mouvemens diférens de l'Armée, annoncer les Festes, & solemniser les Sacrifices. L'Eglise fait servir les Cloches à une Milice plus sainte, & à des Misteres & des Sacrifices incomparablement plus augustes, dont ceux de la Loy de Moïse n'ont esté que la figure. Apres la Leçon, le Sous-Diacre se mit à genoux, & reçeut la Benédiction de Mr l'Archevesque. Puis s'estant levé, il alla demander à Leurs Majestez sous quel Nom Elles vouloient que la Cloche fust benie. Le Roy l'appella Emanüel-Loüise-Therése. Si tost que ces noms luy eurent esté donnez, Mr l'Archevêque en sonna trois coups. Le Roy & la Reyne ayant fait la mesme chose, on luy osta de nouveau sa Mitre, & il entonna une Antienne. Ensuite ayant reçeu l'Aspersoir de la main du Diacre, il le trempa dans le Benistier, & commença les Aspersions, faisant une fois le tour de la Cloche. Elles furent continuées par le Diacre & le Sousdiacre, & l'un & l'autre essuya la Cloche avec les Servietes préparées. Pendant cela, le Choeur chantoit en plein-chant le Pseaume Afferte Domino Filÿ Dei. Ce Pseaume est un récit du bruit que la Puissance de Dieu fait entendre sur les Eaux, quand il veut remplir ses Ennemis de frayeur, en mesme temps qu'il fait joüir son Peuple d'une paix profonde. Le mesme Pseaume marque la Vocation des Gentils à la Grace de l'Evangile. Apres qu'il fut achevé, on dit l'Antienne, pendant laquelle Mr l'Archevesque lava ses mains ; & le Diacre luy ayant présenté le Vase des saintes Huiles ouvert, il en fit une Onction en croix sur la Cloche avec le pouce, à l'endroit où est une Croix en relief. Puis il dit une Oraison, par laquelle l'Eglise demande à Dieu, que comme l'ancienne Loy il a commandé à Moïse qu'il fist faire des Trompetes pour servir à son Culte, & dans les necessitez publiques, il luy plaise aussi dans la Loy nouvelle joindre le mouvement de la Grace à l'impression que le son des Cloches sera dans l'ame des Fidelles, afin que leur foy augmente par la Grace du Saint Esprit, que les tempestes & les orages cessent, que les Puissances de l'air, dont Nostre-Seigneur a triomphé par la Croix, soient mises en fuite à la veuë de celle qui est marquée sur la Cloche, & que les Démons soient vaincus par le Sauveur du Monde, au Nom de qui toute Creature fléchit le genoüil dans le Ciel, dans la Terre, & dans les Enfers. Cette priere finie, Mr l'Archevesque reprit sa Mitre, & essuya avec du coton l'endroit de la Cloche où il avoit fait l'Onction, & son pouce avec la mie de pain préparée. Puis estant debout & découvert, il entonna une seconde Antienne, & le Choeur chanta le Pseaume Exultate Deo, pendant lequel Mr l'Archevesque fit avec les mesmes saintes-Huiles sept Onctions en croix avec le pouce sur le dehors de la Cloche, dans les lieux marquez. Il en fit quatre autres avec le saint-Chresme au dedans de la Cloche, aux endroits aussi marquez, à l'exemple de ce qui se faisoit dans l'Ancien Testament, où Dieu avoit ordonné à Moïse de consacrer les Vases du Tabernacle, avec le Chrême, dont le Grand Prestre estoit consacré. Par le Pseaume qu'on chanta pendant que l'on fit ces Onctions, le Prophete invite le Peuple d'Israël à se servir de Trompetes, & de toutes sortes d'Instrumens de Musique, pour rendre grace à Dieu de l'avoir délivré de la captivité d'Egipte. Cette captivité représente celle où le peché nous assujetit ; & la liberté que Dieu donna à son Peuple, est la Figure de celle qu'il donne à ses Enfans, & des graces dont il les comble dans la Loy nouvelle. Le Pseaume en renferme la prédiction, & elles sont figurées par les onctions dont se sert l'Eglise. Apres l'Antienne, Mr l'Archevesque debout & découvert, chanta une autre Oraison, par laquelle l'Eglise demande à Dieu, que comme en présence de l'Arche, il renversa les Murailles de Jéricho au bruit des Trompetes, de mesme il luy plaise dissiper les forces des Puissances invisibles, & reprimer la violence des Démons, lors que les Chretiens excitez par les Cloches luy demanderont ses Graces, qui sont figurées par les Onctions. Mr l'Archevesque ayant entonné une troisiéme Antienne, & estant assis & couvert, le Diacre luy présenta l'Encensoir, & le Sousdiacre la Navete, dans laquelle il y avoit de l'Encens, de la Myrrhe, & des Pastilles. Il prit de tout ce qui estoit dans la Navete, & le mit dans l'Encensoir sans benir. Cependant le Choeur chanta en Musique le Pseaume Laudate Dominum in sanctis ejus, & le Diacre mit l'Encensoir sous la Cloche. Les Peres de l'Eglise ayant comparé aux parfums les loüanges que nous donnons à Dieu, c'est avec raison qu'on se sert de leur odeur en benissant les Cloches qui invitent à le loüer, & que l'Eglise chante en mesme temps le Pseaume que je viens de vous marquer, puis qu'il engage toutes les Creatures à employer toutes sortes d'Instrumens de Musique, pour rendre à Dieu le tribut des loüanges que les Fidelles luy doivent. L'Antienne qui suivit ce Pseaume estant achevée, Mr l'Archevesque chanta une Oraison, que l'Eglise adresse au Sauveur du Monde. Elle demande par cette Oraison, que de mesme qu'il appaisa la tempeste dont la Nacelle où il estoit endormy estoit menacée, il ait la bonté de secourir son Peuple dans ses besoins, afin que par sa puissance les Démons soient confondus, que les Fidelles soient fortifiez dans la Foy, & que comme dans l'ancienne Loy, Dieu jettoit souvent la terreur parmy les Ennemis de son Peuple par des bruits qu'il leur faisoit entendre, & qu'il s'estoit engagé de le secourir quand il se serviroit des Trompetes qu'il luy avoit ordonné de fabriquer, de mesme il luy plaise au bruit de ce Signal, conserver les Chrêtiens & tout ce qui leur appartient, & les défendre des insultes de leurs Ennemis. Cette Oraison fut suivie d'un Evangile selon Saint Mathieu, que le Diacre alla chanter sur le Pupitre que l'on avoit préparé. Dans cet Evangile le Sauveur du Monde parle à ses Disciples du Jugement dernier, & dit que les Anges se serviront de Trompetes, c'est à dire, d'un bruit qui ne peut estre mieux exprimé que par celuy des Trompetes, pour faire assembler les Elûs de toutes les Parties du Monde ; & si Origene a dit que les Trompetes de l'Ancien Testament ont esté la figure de celles du Jugement dernier, on peut dire que les Cloches le représentent aussi, puis qu'elles rassemblent les Fidelles dans les Eglises, comme les Trompetes rassembleront tous les Hommes au jour du Jugement. Mr l'Archevesque finit la Cerémonie par la Benédiction solemnelle. Le Roy & la Reyne la reçeurent à genoux. Apres la Benédiction, ce Prélat descendit de la Plate-forme par le milieu de la Nef, sans reconduire le Roy, parce qu'il estoit conduit pontificalement. Il laissa le soin au Chapitre de voir monter Leurs Majestez en Carrosse. Elles partirent tres-satisfaites de la Musique de Mr Mignon.

[Sonnets] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 38-45.

 

Vous me demandez qui a remporté le Prix des Bouts-rimez, proposez depuis deux mois par ce sçavant Maistre de Musique. Il n’a point encor esté donné. Si ceux que Sa Majesté a nommez pour Juges, prononcent avant que je finisse ma Lettre, je vous envoyeray le Sonnet victorieux. En voicy cependant quatre sur les mesmes Bouts-rimez. Le premier est de Mr Gardien ; le second, de Mademoiselle Frédin de Pontoise ; le troisiéme, de Mr Philibert d’Antibe ; & le quatriéme, de Mr Astier, Prieur d’Avignon.

A LA GLOIRE DU ROY,
Sur les vains Projets des autres
Puissances jalouses de sa grandeur.

Vous qui toûjours vaincus avez l’orgueil du Pan,
Et la malignité qu’on voit dans la Guenuche,
Quand vous seriez encor plus diables que Satan,
Il faut devant LOUIS estre aussi doux que Pluche.
***
De mesme qu’un Lion sans peine abat un Fan,
Et qu’il ne faut qu’un Cocq pour détruire une Ruche,
Ce Roy vous perchoit tous avant la fin de l’An,
Et seriez-vous de fer, il seroit une Autruche.
***
Avec son amitié tout bonheur vous est hoc ;
Se le rendre ennemy, c’est faire un mauvais troc ;
Songez qu’impunément on ne luy fait point niche.
***
Vos projets dont il sçait & le Pour & le Par,
Vous profiteroient moins que des terres en friche.
Demeurez en repos, point de Mais, point de Car.

AU ROY.

Pour parler de LOUIS, faut-il que le Dieu Pan
Entre dans un Sonnet avec une Guenuche ?
L’Eloge d’un Héros quadre-t-il à Satan,
Et peut-on accorder la Cuirasse & la Pluche ?
***
Ah ! ce dessein me rend plus timide qu’un Fan,
Plus ardente cent fois que l’Abeille en sa Ruche,
Plus triste qu’un Joüeur sur qui l’on fait har-lan,
Et plus âpre qu’un Maure à poursuivre une Autruche.
***
Cependant ç’en est fait, & le Sonnet m’est hoc ;
Grand Roy, de veus pour Mars je ne ferois pas troc,
Il faut qu’en vous voyant tout Conquérant dé-niche.
***
Vous estes obey, si-tost qu’on voit De-Par…
Vos Sujets par vos soins ne laissent rien en friche,
Et vous revérent plus que Carthage Amil-car.

AU ROY.

Ta Majesté, Grand Roy, confond l’orgueil du Pan,
Ta prudence se rit des tours d’une Guenuche,
Ta pieté détruit l’Idole de Satan,
Et ta valeur rend tout plus souple que la Pluche.
***
Tes Sujets sous tes Loix vivent plus gais qu’un Fan,
Ton Royaume est pour eux une abondante Ruche,
Ils y goûtent en paix le Miel pendant tout l’An,
Et sont toûjours parez des plumes de l’Autruche.
***
Si tu veux conquérir, l’Univers nous est hoc.
Quel Peuple ne voudroit faire cet heureux troc,
De chasser les Tyrans pour te mettre en leur Niche ?
***
L’Ennemy n’a qu’à voir Nec pluribus im-par,
Il laisse ses Remparts & ses Terres en friche,
Et bien souvent, Grand Roy, tu vaines par un seul Car.

SUR LA GRANDEUR
DU ROY.

Jupiter cederoit au pouvoir du Dieu Pan,
Les charmes de Vénus à l’air d’une Guenuche,
Les Anges de Lumiere aux Enfans de Satan,
Et l’éclat de la Pourpre à la plus vile Pluche,
***
Le plus fier des Lions au plus timide Fan,
La douceur du Nectar à celle d’une Ruche,
Mille Siecles entiers au plus court Mois de l’An,
Enfin le vol de l’Aigle à celuy d’une Autruche,
***
Plutost que les desseins de LOUIS ne soient hoc,
Qu’il ait pour s’agrandir besoin de faire troc,
Qu’il ne soit de la Gloire adoré dans sa Niche,
***
Que tout ne soit soûmis à son seul mot De-Par,
Qu’on trouve des Etats qu’il ne réduise en friche,
Quand de son bon Plaisir il fera voir le Car.

[Quatrain] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 45-46.

 

Pour engager tous les beaux Esprits à travailler, l’espoir d’acquérir une Médaille du Roy estoit une douce amorce. Cependant il s’est trouvé une aimable Fille que cet avantage n’a pû toucher. Elle s’en est expliquée par ces quatre Vers.

Un cœur comme le mien ne veut point de Médaille,
Sans le Souverain Bien tout me paroist un mal.
 Promettez-moy l’Original,
 Si vous voulez que je travaille.

Le Rossignol. Fable §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 53-60.

 

La Fable que vous allez voir pourra estre utile à bien des Amans. Elle m’a esté envoyée sous le nom de la Muse naissante de Poitiers.

LE ROSSIGNOL.
FABLE.

Dans un agreable Bocage,
Au temps que les beaux jours
Ramenent les Plaisirs, les Jeux, & les Amours,
 Et que tout rit dans le Village,
Un Rossignol voyant, sans Fâcheux, sans Jaloux,
 Le Berger avec sa Bergere,
 Qui tour-à-tour sur la Fougere
Goûtoient d’un tendre amour les charmes les plus doux,
Crût qu’il devoit aussi faire des amouretes.
Qui m’empesche, dit-il, d’estre heureux comme vous ?
Je n’entens pas mal les fleuretes ;
Et puis, quand on se mesle une fois d’en conter,
 On trouve aisément des Coquetes
Qui veulent bien nous écouter.
***
 Aupres d’une jeune Hyrondelle
 Le Rossignol alla faire sa cour,
 Et ses soûpirs en moins d’un jour
  Firent croire à la Belle
 Que pour elle il brûloit d’amour.
 En effet, il sentoit dans l’ame
  Je-ne-sçay-quel panchant
 Qui le remplissoit tout de flâme.
Pour luy la Belle avoit un charme bien touchant,
C’est qu’elle n’estoit pas comme les Inhumaines,
 Qui se font un plaisir charmant
 De faire languir un Amant.
Mais à luy résister elle eust perdu ses peines,
 Le Rossignol estoit galant,
Il avoit en amour un merveilleux talent,
Et pour peu qu’il voulust attaquer la plus fiere,
 Il se tenoit seûr de luy plaire.
***
Bientost dans ce riant Sejour,
Les Festes & les Promenades,
Les Rendez-vous, les Serénades,
Firent éclater son amour ;
Et ce tendre Amant nuit & jour
Caché sous de jeunes feüillages,
Apprenoit ses tendres ramages
A tous les Echos d’alentour.
Mais helas ! cette voix charmante
Dont il faisoit tout son appuy,
Bien loin de remplir son attente,
Fut bientost funeste pour luy.
***
 Un matin que la belle Flore
Recevoit dans son sein les larmes de l’Aurore,
 Et que tout brilloit dans les champs,
Un Berger attiré par les aimables chants
Dont nostre Rossignol selon son ordinaire
 Remplissoit ce Lieu solitaire,
 Fit aussitost entendre un Flageolet
 Dont le son avoit dequoy plaire.
Je ne sçay s’il joüa Sarabande, ou Balet,
 Mais l’Oyseau demeura muet.
Qui diable, disoit-il, tâche à me contrefaire ?
 Apparemment c’est un Rival.
Ah l’Importun ! que je luy veux de mal,
Et que je hay sa voix, ou sa Musete !
 Ce n’est pourtant qu’une Mazete,
Et je pourrois luy donner des leçons.
En mesme temps le Rossignol peu sage
 Entonne cinq ou six Chansons,
 Et s’efforce par son ramage
D’égaler du Berger les tons doux & touchans.
 Tous ses efforts sont impuissans,
 Le petit Animal se lasse,
Tandis que le Berger qui redouble son jeu
 Se divertit de sa disgrace.
 Cependant l’Oyseau plein de feu,
 Enflé d’une nouvelle audace,
 Tâche encor d’avoir le dessus,
  Animé par sa Belle ;
 Mais tous ses chants sont superflus.
Comme le Cygne, alors que son destin l’appelle,
 Et qu’on le voit prest d’expirer,
  Bien loin de soûpirer,
 Pousse sur les bords du Méandre
 Une voix amoureuse & tendre ;
Ainsi le Rossignol accablé de langueur,
Ramasse pour chanter un reste de vigueur,
 Et fait entendre un Air fort agreable ;
Mais la voix luy manquant, le petit Misérable
 Tombant sans force & sans chaleur,
N’eut pas mesme le temps de plaindre son malheur.
***
 Jeunes cœurs qui cherchez à plaire,
 Apprenez à vous ménager.
Ces efforts que l’Amour vous oblige de faire.
 Ne se font jamais sans danger.
 Les soins & la belle dépense
 Peuvent fléchir une Beauté,
 On abat par là sa fierté ;
Mais si l’on veut aimer, c’est un trait de prudence,
 De conserver sa bource & sa santé.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 71-101.

 

Quoy que les Belles semblent estre nées pour pouvoir tout sur les Hommes, il est quelquefois dangereux pour elles de se prévaloir injustement de cet avantage. Vous l’allez connoistre par l’Avanture dont j’ay à vous faire part. Un Cavalier s’estant rencontré un jour dans une Assemblée avec une jeune Veuve, plus brillante encor par son esprit que par sa personne, se plût si fort à l’entretenir, que l’estant ensuite allé voir chés elle, insensiblement il s’en fit une habitude. La Dame estoit de ces Femmes agreables, dont les manieres flateuses ont je-ne-sçay-quoy d’insinuant, qui gagne le cœur de tous ceux qui les approchent. Pour peu qu’on l’eust veuë, on brûloit d’envie de la revoir, & quand quelqu’un estoit fait de sorte que sa conqueste luy pust faire honneur, elle se servoit de moyens si engageans pour l’amener où elle vouloit, qu’il estoit presque impossible qu’on luy échapast. Parmy un assez petit nombre de Gens de mérite dont elle soufroit que sa Cour fust composée, le Cavalier estoit celuy qu’elle recevoit avec de plus fortes marques d’une veritable estime. Aussi méritoit-il bien qu’on le distinguast. Rien ne luy manquoit de ce qui fait l’honneste Homme, & dans quelque lieu qu’il eust voulu se rendre assidu, on se fust fait un plaisir de ses fréquentes visites. La Dame le ménagea par des complaisances si remplies d’honnesteté, que comme elle luy parut la plus aimable de toutes les Femmes, il devint en peu de temps le plus amoureux de tous les Hommes. Sa passion ne fut point muette. Il la fit paroistre dans toute sa force, & il assura tant de fois la Dame qu’il ne vivoit, & ne vouloit vivre que pour elle seule, qu’elle en fut persuadée. Cependant elle avoit sa politique qui l’engageoit quelquefois à luy marquer de la défiance. Pour luy faire voir combien elle estoit injuste, il la prioit aussitost de luy donner des Articles à signer, & de prendre jour pour le mariage. Il estoit fort riche, & le party eust accommodé toute autre qu’elle ; mais ce n’estoit pas ce qu’elle vouloit. Elle avoit du Bien de son costé, & trois ans de mariage luy avoient appris que l’Homme du monde le plus amoureux, cesse d’estre Amant aussi tost qu’il est Mary. Une épreuve si fâcheuse l’avoit dégoûtée du Sacrement, & le seul plaisir de se voir aimée, estoit ce qu’elle cherchoit dans l’engagement qu’elle laissoit prendre. Ainsi le Cavalier eut beau dire qu’il estoit prest d’épouser. La Dame se contenta de tirer parole, qu’il n’auroit jamais d’autre Femme qu’elle, & quand il la pressoit de conclure, elle avoit toûjours des raisons pour diférer. Toutes ces remises augmentant sa passion, il redoubla son attachement, mais ce fut en vain qu’il luy en donna de nouvelles marques. L’effet qu’elles produisirent, fut tout opposé à celuy qu’il attendoit. Elles luy firent connoistre qu’il ne pouvoit plus se dégager, & comme elle se tint seûre d’un entier triomphe, elle voulut en joüir sans plus se contraindre. Ainsi elle retrancha une partie de ces complaisances qui avoient aidé à l’assujetir, & cessa de s’observer sur un défaut qui luy estoit naturel, & qu’elle sçavoit cacher, quand elle cherchoit à plaire. Elle estoit sujete à des inégalitez d’humeur, desespérantes pour ceux qui l’aimoient, & le Cavalier en fit une rude épreuve. Il y avoit des momens, où elle tomboit dans une froideur que tout son amour ne pouvoit vaincre, Plus il s’en plaignoit, plus elle affectoit de paroistre indiférente, & ce qu’il trouvoit de plus cruel, c’est qu’elle vouloit luy faire croire, qu’elle avoit toûjours agy de la mesme sorte, & que ses plaintes venoient de ce qu’il changeoit d’humeur. Le lendemain c’estoient des honnestetez qui le rengageoient plus fortement ; mais ses affaires n’en estoient pas en meilleur état. Elle ne résolvoit rien pour le temps du mariage, & retomboit si souvent dans ses inégalitez, qu’à la fin le Cavalier craignit de la mal connoistre. Dans cette crainte il voulut sçavoir plus précisement quels sentimens elle avoit pour luy, & crut que le moyen le plus seûr d’en venir à bout, estoit de la voir moins assiduëment. Cette conduite alarma la Dame. La peur qu’elle eut de le perdre luy fit sentir que l’amour avoit pris sur elle plus de pouvoir qu’elle n’avoit crû. Le relâchement du Cavalier sembla luy donner un nouveau mérite, & toute remplie de ce qu’il valoit, quoy qu’elle n’eust aucune pensée de l’épouser, elle connut que sa veuë estoit necessaire à son bonheur. Apres qu’il eut passé quelque temps sans que ses visites fussent ny aussi longues, ny aussi fréquentes qu’à l’ordinaire, elle se plaignit de son peu d’empressement. Cette plainte estoit ce qu’il avoit souhaité. Il luy témoigna que ses froideurs le mettant au désespoir, il estoit contraint de la voir plus rarement, pour luy épargner les justes reproches que luy faisoient ses chagrins. Elle prit alors son air flateur, & en luy disant qu’il se connoissoit bien peu en tendresse, s’il s’alarmoit de la voir éprouver sa fermeté, elle donna tant d’ardeur à son amour, qu’il l’assura par mille nouveaux sermens, que quoy qu’elle fist, l’avantage de luy plaire seroit à jamais sa plus forte passion. Le Cavalier gousta pendant quelques jours toutes les douceurs que l’amour attache à un veritable raccommodement, mais elles furent de courte durée. La Dame qui crut avoir reconnu son foible, s’embarassa peu de le ménager. Elle demeura persuadée que trois paroles flateuses réveilleroient sa tendresse, quand ses froideurs l’auroient fait languir, & cette assurance qu’elle se donna trop imprudemment, la fit de nouveau s’abandonner au panchant capricieux qui la rendoit inégale. C’estoit aujourd’huy un enjouëment merveilleux, & le jour suivant, une réverie insuportable. Le Cavalier, pour ne se point démentir, soufrit sa bizarre humeur sans luy faire aucune plainte. Il examina ce qui pouvoit en estre la cause, & n’eut pas de peine à s’apercevoir qu’elle l’avoit en vain rejettée sur l’épreuve qu’elle prétendoit avoir voulu faire de sa passion. Plus il s’attacha à l’étudier, plus il reconnut qu’elle suivoit son tempérament, & que c’estoit un défaut dont une longue habitude l’empeschoit de se défaire. Quoy que ce défaut luy fist de la peine, il ne laissoit pas de la prier en de certains jours heureux, de vouloir fixer un temps pour le mariage dont elle avoit sa parole. Il réïtera tant de sois cette priere, qu’elle luy dit un jour fiérement, qu’un Amant soûmis, & qui s’aimoit moins que sa Maistresse, n’éxigeoit jamais, & tâchoit de meriter. Cette réponse acheva de luy faire ouvrir les yeux. Il ne doura plus qu’elle ne cherchast à l’amuser, & le dégoust que ses inégalitez luy faisoient avoir pour elle, affoiblissant peu à peu son amour & son estime, il résolut de rompre un commerce, qui ne servoit qu’à l’embarasser. Pour en venir infailliblement à bout, & n’estre plus exposé à estre la dupe de ses faux retours, il prit un engagement secret avec une fort belle Personne, qui joignoit à la naissance beaucoup de mérite, & un bien considérable. Cette passion le guérit de la premiere. Comme il n’estoit plus touché de la Dame, vous pouvez croire qu’il diminua ses soins. Elle crut d’abord le rappeller quand elle voudroit, & s’alarma peu de sa négligence. Les premieres plaintes qu’elle luy en fit, furent mesme assez legeres. Elle vouloit le voir revenir par l’indispensable necessité qu’elle suposoit en luy, de faire tout son bonheur du plaisir d’estre aupres d’elle ; mais quand elle vit qu’il continuoit à se relâcher, elle s’emporta à des reproches plus aigres, & ces reproches n’ayant rien produit, elle employa tant de Gens à s’informer de ce qu’il faisoit, & dans quels lieux il alloit, qu’enfin elle fut instruite de son changement. Jugez quel coup de foudre pour elle. Non seulement elle découvrit qu’il aimoit ailleurs, mais qu’il y avoit un Contract signé, & qu’on devoit faire dans fort peu de jours la cerémonie des Epousailles. Cette nouvelle mit la Dame au desespoir. Malgré son aversion pour le Mariage, elle aimoit le Cavalier, & le dépit de le perdre mit sa raison dans un si cruel desordre, que pleine d’impatience, elle alla chez luy dés ce mesme instant, pour apprendre de sa bouche ce qu’il falloit qu’elle crust. Il luy avoüa l’engagement où il s’estoit mis, & prétendit que par les retardemens qu’elle avoit toûjours apportez à son bonheur, il estoit assez dégagé de sa parole. Il adjoûta qu’elle ne l’avoit jamais aimé, & que si elle prenoit quelque plaisir à le voir, c’estoit seulement parce qu’il aidoit à la divertir. Elle se servit des termes les plus flateurs pour luy faire croire qu’il jugeoit mal de ses sentimens, & pour le convaincre de la sincere tendresse qu’elle avoit pour luy, elle l’assura que dans un mois toutes les affaires qui la retenoient seroient terminées, & qu’alors il prendroit jour pour ce qu’ils s’estoient mutuellement promis. Il répondit qu’elle l’amusoit depuis trop longtemps pour luy donner lieu de se reposer sur cette assurance ; & enfin, soit qu’elle fust résoluë à se vaincre en sa faveur pour ne pas ceder à sa Rivale, soit qu’elle voulust seulement l’obliger à rompre pour mieux triompher de luy, elle luy dit qu’il fist venir un Notaire, & que dés le lendemain elle seroit preste à l’épouser. Cette offre qui l’eust charmé autrefois, ne put le rendre sensible. Il demeura dans sa premiere froideur, & luy répondit sans s’émouvoir, que dans l’état où estoient les choses, on luy demandoit inutilement ce qui n’estoit plus en son pouvoir. La Dame outrée de cette réponse, fut sur le point de luy sauter au collet, & si vingt fois il n’eust retenu sa main, peut-estre eust-il couru quelque risque. Le reste du jour se passa en plaintes, tantost tendres, tantost emportées. Le Cavalier qu’on traitoit de perfide & de parjure, convenoit du crime qu’on luy reprochoit, & s’excusant seulement sur ce qu’on l’avoit force à estre infidelle, il irritoit d’autant plus la Dame, que les choses obligeantes qu’elle luy disoit de temps en temps, estoient autant de perdu pour elle. La nuit s’approchant, il la pria de le laisser en repos. Une si cruelle marque d’indiférence la toucha si vivement, qu’elle sortit presque hors d’elle-mesme. Apres l’avoir regardé avec des yeux tout pleins de colere, elle luy dit d’un ton résolu, qu’elle estoit sa Femme ; que la parole qu’ils s’estoient cent fois donnée, les engageoit l’un à l’autre ; qu’elle vouloit bien que tout le monde le sçeust, & que quoy qu’il fist, elle ne sortiroit point qu’elle n’eust les assurances qui luy estoient necessaires. Le Cavalier, qu’un pareil éclat n’accommodoit pas, luy dit mille choses pour luy remettre l’esprit. Elle n’en voulut écouter aucune, & il fut enfin contraint de faire venir un Officier de Justice, qui par son autorité pust faire finir l’embarras où il estoit. L’Officier vint en habit décent. La Dame recommença devant luy ses reproches & ses plaintes ; & dans la fureur où la mettoit son ressentiment, l’apostrophant quelquefois comme s’il eust deû répondre de la perfidie de son Infidelle, elle sembloit preste à s’emporter contre luy aux dernieres violences. L’Officier luy fit connoistre, que quand rien n’estoit écrit, on ne forçoit point les Gens à se marier ; & luy repétant toûjours que si ses prétentions estoient légitimes, elle avoit la voye ouverte pour les soûtenir, il luy fit si bien entendre raison, qu’apres qu’elle eut contesté pendant plus d’une heure, elle résolut de s’en retourner chez elle. Ce ne fut pourtant qu’à condition que le Cavalier la remeneroit, parce qu’elle avoit à luy faire voir des Lettres contre lesquelles elle prétendoit qu’il auroit peine à tenir. Le Cavalier promit de l’accompagner, pourveu que ce fust en Carrosse diférent, afin qu’elle pust reprendre un peu de tranquillité ; ce qu’elle ne pourroit faire, s’ils alloient ensemble, puis que ses reproches continuëroient, rien n’ayant encore esté capable de les luy faire cesser. Elle accepta le party, & monta dans son Carrosse. Le Cavalier, avec l’Officier aupres de luy, marcha devant dans le sien. Apres qu’ils eurent passé quelques Ruës, le Carrosse du Cavalier s’arresta, & la Dame mit aussitost la teste hors de la Portiere pour sçavoir ce que c’estoit. On luy dit qu’on faisoit descendre l’Officier qui demeuroit à vingt pas de là dans un détour où l’on estoit arrivé, & en effet elle vit un Homme en robe, à la lueur du flambeau. Comme sa présence luy estoit peu necessaire pour le dessein qu’elle avoit, elle fut bien-aise qu’il s’en retournast. On continua d’avancer vers son Quartier ; & quand elle se vit dans sa Ruë, elle se tint en état de descendre la premiere, ce qu’elle fit aussitost qu’on fut devant sa Porte. Elle courut au Carrosse du Cavalier, pour le prendre par la main, & empescher qu’il ne s’échapast ; mais quelle fut sa surprise, quand au lieu de son Amant, elle apperçeût l’Officier ! Cet Officier s’estoit défait de sa Robe, & l’avoit donnée au Cavalier, qui sous ce déguisement s’estoit tiré des mains de la Dame. Il luy dit, en luy avoüant la tromperie, qu’il croyoit luy avoir rendu un bon office, puis que dans l’état où elle estoit, il valoit mieux qu’elle agist par ses Amis que par elle-mesme. Sa réponse fut un emportement de rage qu’on ne sçauroit exprimer. Elle se jetta sur luy, le prit au collet, & ramassant tout ce qu’elle avoit de force, elle luy sit éprouver par plusieurs coups redoublez ce que c’est que la fureur d’une Femme qui ne se possede plus. On l’arracha de ses mains, & malgré ceux qui la retenoient, elle continua de fraper avec tant de violence, qu’à la fin n’en pouvant plus, elle se laissa tomber entre les mains d’une Fille qui estoit venuë luy ouvrir la Porte. On la mena dans sa Chambre, & ce ne fut pas sans beaucoup de peine. Elle se coucha sans presque sçavoir ce qu’elle faisoit ; & un transport qui suivit une grosse fievre dont elle fut sur l’heure attaquée, donna des indices d’une dangereuse maladie. Huit jours se passerent sans que sa raison revinst. Cet égarement fut favorable aux desseins du Cavalier, qui se maria sans aucun obstacle. Elle auroit peut-estre fait un second éclat, si la cruelle agitation que le premier luy avoit causée, ne l’eust mise hors d’état de s’abandonner à sa jalousie. On m’a dit qu’apres plus d’un mois de fievre, elle commence à quitter le Lit, & que l’on n’a point encor voulu luy apprendre le mariage du Cavalier, quoy qu’elle en demande souvent des nouvelles.

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 101.

L´Air nouveau qui suit est d´un des plus sçavans Hommes que nous ayons en Musique. Mr Daubaine a fait les Paroles.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Nous nous estions promis une amour eternelle, doit regarder la page 101.
Nous nous estions promis une amour eternelle,
Et nous avons tous deux cessé de nous aimer.
On ne sçauroit cependant me blâmer,
L'ingrate Iris est seule criminelle.
J'ay soûpiré longtemps sans pouvoir l'enflâmer,
Et je n'ay pû devenir infidelle
Que longtemps apres elle.
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Satyre §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 102-109.

 

Je croy, Madame, que ce sera vous faire plaisir que vous donner Perse habillé à la Françoise. Un Homme de qualité dont je vous ay fait voir plusieurs Fables sous le nom du Berger Fidelle des Accates, s’est servy de ses pensées dans la Satyre que je vous envoye. Elles sont tirées de celle qui commence par Hunc Macrine diem. Il a voulu n’y employer que des noms Romains, pour en mieux garder le caractere.

SATYRE.

Enfin apres deux ans de services rendus,
De chagrins essuyez, & de soins assidus,
Tu vois le jour, Macrin, choisy par ton Amante
Pour estre le témoin de sa fierté mourante ;
Le jour, dis-je, où l’Hymen secondant ces desirs,
Doit te faire goûter les plus tendres plaisirs.
Par quelques grains d’Encens rends-toy l’Amour propice,
Et ne te pique pas d’un plus grand sacrifice.
Tu ne veux pas, Macrin, par des dons prétieux
Acheter la faveur, & l’oreille des Dieux.
Tu ne veux pas aussi leur faire des prieres
Qui soient à la Pudeur comme à leurs Loix contraires.
Laisse à nos Citoyens cette espece de vœux
Qu’on ne sçauroit former sans en estre honteux.
On dit souvent aux Dieux dans le temps où nous sommes,
Ce que l’on n’oseroit dire au dernier des Hommes.
Combien de fois Pison au pied de leurs Autels
Leur a-t-il fait l’aveu de ses feux criminels,
Et les a-t-il priez de se rendre complices
Du succés qu’il voudroit qu’eussent ses injustices ?
Son Frere que tu sçais estre aussi fou que luy,
Leur fait part en secret de son mortel ennuy.
Quoy qu’il aye en partage une pudique Epouse,
La Nature l’a fait d’une humeur si jalouse,
Que constant à la suivre, il croit à tout moment
La voir s’abandonner aux transports d’un Amant.
Dans ses soupçons jaloux il souffre davantage
Qu’un Forçat qui se voit à deux doigts du naufrage.
Mais, dy-moy, que crois-tu que demande à Pallas
Cette Mere qui tient son Enfant dans ses bras ?
Ecoute-la. De grace, invincible Déesse,
Dit-elle, à cet Enfant accordez vostre adresse,
Vostre cœur, vostre esprit, vostre fierté, vostre air ;
Faites qu’avec César il aille un jour du pair,
Qu’il fasse mieux en Vers que Virgile & qu’Homere,
Et qu’il suive en un mot les traces de son Pere.
Voila quels sont ses vœux. Cotta, ce débauché,
Dont le visage est pâle, & le corps desseché,
Apres avoir commis toute sorte de crimes,
Tâche de recouvrer, à force de victimes,
La santé, maintenant l’objet de ses desirs,
Qu’il prodiguoit jadis à d’infames plaisirs.
Cléopatre prétend par ses chants de loüange
Obtenir de Bacchus une bonne vandange ;
Et sa Fille Barsine, au visage fleury,
Demande sans remise à l’Amour un Mary,
Tandis que sa Cadete importune Cythere
De vouloir luy prester ses agrémens pour plaire.
Si mon Pere mouroit, dit Narcisse tout-bas,
Pour vous, grands Dieux, pour vous que ne ferois je pas ?
Tous les jours sans manquer je vous en rendrois graces
Par le sang épanché de deux Genisses grasses ;
Et si mon vieux Cousin, dont j’attens les grands Biens,
Alloit voir ses Ayeux aux Champs Elysiens,
Avant qu’on eust porté ses cendres dans la Tombe,
Je vous ferois humer l’odeur d’une Hécatombe.
Ah Chien, ame de bouë, esprit simple & borné,
Qu’à ramper pour jamais le sort a condamné,
Penses-tu que les Dieux au comble des delices
Soient si fort affamez de tes grands sacrifices ;
Que pour quelques Moutons brûlez sur leurs Autels,
Ils vendissent les jours des malheureux Mortels ?
Non, tu juges mal d’eux ; ils sont trop équitables
Pour livrer l’Innocence aux présens des Coupables.
Offre-leur, si tu peux, avec d’humbles transports,
Ce que n’égalent point les plus riches Trésors,
C’est à dire, un cœur net, une droiture d’ame,
Un esprit innocent, des mœurs exempts de blâme,
Une haute sagesse, un veritable honneur,
Enfin une vertu sans faste & sans rigueur.
Voila quels sont les dons qui leur sont agreables,
Et qui pourroient les rendre à tes vœux favorables.

[Sur le livre l’Art de Prescher]* §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 115-116.

 

Quoy que les Prédicateurs soient éloquens naturellement quand ils ont beaucoup de zele, on n’a pas laissé d’établir des Regles dont ceux qui commencent peuvent tirer de grands avantages. On les doit aux soins de Mr du Port, Prestre, Protonotaire Apostolique, & Docteur en Droit Civil & Canon, qui a donné diverses Méthodes pour faire des Sermons, des Panégyriques, des Homélies, des Prônes, de grands & de petits Catéchismes, avec une maniere de traiter la Controverse selon les maximes des Saints Peres. Son Livre est intitulé l’Art de Prescher, & se vend chez le Sr Robert de Ninville, Ruë S. Jacques, à l’Ecu de France & de Navarre, & chez le Sr Charles de Sercy, à la grande Salle du Palais, à la Bonne-Foy couronnée.

Dialogue d’Iris & de Tircis §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 116-126.

 

Il n’est pas facile également de donner des Regles pour la Poesie. La Nature est en cela au dessus de l’Art. Cependant, quoy qu’on ne se croye aucun talent pour faire des Vers, il est certain qu’il ne faut souvent qu’aimer pour devenir Poëte. Le Dialogue que vous allez voir en est une preuve. Un Cavalier estant encor dans sa premiere jeunesse, eut accés chez une Dame dont la beauté le toucha. Il luy conta des douceurs, luy écrivit de tendres Billets, & pour luy mieux peindre sa passion, il fit habitude avec les Muses. Elles luy aiderent à exprimer une partie de ce qu’il sentoit. Insensiblement ses soins plûrent à la Belle, qui paya ses complaisances par l’éloignement de quelques Gens éclairez qui eussent pû condamner un attachement si peu attendu. Le jeune Amant, fier de son triomphe, le voulut pousser plus loin. Soit que son tempérament fust d’estre jaloux, soit que le sacrifice trop prompt que luy avoit fait la Dame luy fist craindre qu’elle ne le sacrifiast à son tour, il la réduisit à ne voir personne, & fut pour elle un Espion si exact, que si un coup d’œil luy échapoit, il sçavoit incontinent qui estoit l’Heureux sur qui ce coup d’œil estoit tombé. Il ne manquoit pas de faire ses plaintes. La Belle sçavoit comment se justifier, & le raccommodement suivoit toûjours le divorce. Vous le connoistrez par les derniers Vers du Cavalier sur un diférent de cette nature.

DIALOGUE
D’IRIS & DE TIRCIS.

IRIS.

Apprens-moy, cher Tyrcis, pour soulager ta peine,
Quel transport inquiet agite ton esprit ;
Tes Troupeaux, par hazard, s’écartant dans la Plaine,
Causoroient-ils le soin qui te rend interdit ?

TIRCIS.

Le soin de mes Troupeaux n’a rien qui m’inquiéte.
Un mal plus important, dont je sens la rigueur,
 Dans un si grand trouble me jette,
Qu’il montre malgré moy ce que soufre mon cœur.
Quand de mes premiers feux je t’adressay l’hommage,
Tout sembloit me parler de ta fidélité.
Helas ! qui l’auroit crû, que ton humeur volage
Me dust punir un jour de ma crédulité ?
Ne dy point que j’ay tort de te croire légere,
 En vain tu voudrois me cacher
 Ce que mes yeux n’ont pûme taire ;
Un autre que Tircis à ton amour est cher,
Un autre que Tircis enfin a sçeu te plaire,
 Lycidas a sçeu te toucher,
 Et ce choix n’est plus un mystere.

IRIS.

Par où présumes-tu, dy-moy, que ce Berger,
Se rangeant sous mes Loix, pust me rendre infidelle ?
Penses-tu que pour luy je voulusse changer
Une amour que ma foy t’a jurée eternelle ?
Mais je ne blâme point un reproche si doux.
Que je me plais à voir le trouble de ton ame !
Oüy, Tircis, un Amant, s’il ne devient jaloux,
Ne ressent dans son cœur qu’une légere flâme.
Tu sçauras, pour calmer ton amoureux soucy,
Qu’hyer au soir Lycidas tout plein de ce qu’il aime,
 Se promena longtemps icy,
En contant aux Echo sa passion extréme.
Il m’apperçeut enfin, & vint m’entretenir.
Il me dit que bientost son aimable Sylvie,
En couronnant ses feux, consentoit à finir
Les ennuis qui troubloient le bonheur de sa vie.
Tout transporté d’amour, il me baisa la main,
Me conta des douceurs, & me traita de Belle.
Voila ce qui t’alarme, & qui t’alarme en vain ;
Mais l’Amour entre nous vuidera la querelle.

TIRCIS.

Quoy donc, il m’est permis d’accuser le hazard
D’un crime où mon Iris n’avoit aucune part ?
Pardonne, si mon ame un peu trop allarmée
A d’abord écouté des soupçons odieux ;
Lors qu’on tremble de perdre une Maîtresse aimée,
Si l’on a mesme cœur, on n’a point mesmes yeux.
La raison se confond, on s’aveugle, on s’emporte,
Sur la moindre apparence on croit tout ce qu’on craint,
Et dans ce triste état plus la tendresse est forte,
Plus d’un vif desespoir on a le cœur atteint.
Cependant, si ton cœur sensible à ma priere,
Ecoutoit les transports qui m’entraînent vers toy,
Peut-estre relâchant de ta vertu severe,
Tu punirois ma faute en acceptant ma foy.
Déja depuis longtemps tu connois mon martyre,
Te plairas-tu sans cesse à me désespérer ?

IRIS.

Non, Tircis, c’en est fait, je ne puis m’en dédire,
Si tu n’aimes que moy, cesse de soûpirer.

TIRCIS & IRIS
ensemble.

Unissons desormais nos desirs & nos chaînes ;
Que l’Amour s’intéresse à contenter nos vœux.
Banissons loin de nous les chagrins & les peines,
Et qu’Iris & Tircis soient à jamais heureux.

[Nouveau Livre d’Architecture] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 127-132.

 

On a donné au Public depuis peu de jours un Livre d’Architecture, qui représente les Plans, Elevations, & Profils, des Temples, des Portiques, des Arcs de triomphes, des Theatres, Amphitheatres, & d’une partie des Thermes ou Bains bastis par les anciens Romains, du temps que la belle Architecture estoit dans sa plus grande perfection. Paladio, Serbio, l’Abacco, & Mr de Chambray, avoient déja donné des Desseins de quelques-uns de ces Edifices ; mais outre qu’ils y ont changé beaucoup de choses, ils n’en ont pas fait les mesures justes, & se contre disent entr’eux. Cela fut cause que Mr Colbert, qui a toûjours appliqué ses soins à faire fleurir les beaux Arts en France, envoya Mr Desgodets à Rome en 1674. pour examiner les Livres de ces Autheurs, & les confronter avec les Edifices dont ils traitent, afin de connoistre lequel d’eux on pouvoit suivre ; mais il fut pris en Mer par les Turcs, qui le menerent à Alger, où ils le retinrent avec dix neuf autres François, jusqu’à ce que le Roy eust fait un échange d’un pareil nombre de Turcs. Mr Desgodets estant enfin arrivé à Rome, se disposa à travailler suivant l’intention de Mr Colbert ; mais ayant reconnu qu’aucun des Autheurs qui ont traité des Edifices antiques, ne les a décrits de la maniere qu’ils sont, il les a tous dessinez & mesurez avec la derniere exactitude, & en a observé jusqu’aux moindres particularitez. Ces Desseins ayant esté approuvez à son retour par Mr les Architectes de l’Académie Royale, Mr Colbert luy ordonna de les faire graver, pour en composer un Infolio accompagné d’Explications, tel qu’il se vend à Paris chez le Sr Jean-Baptiste Coignard, Imprimeur du Roy, Rue S. Jacques à la Bible d’or. Cet Infolio contient 140. Planches tres-bien dessinées, & gravées par les meilleurs Maistres. La beauté de l’impression répond à cette gravûre, celuy qui le débite s’en estant donné le soin. C’est luy qui entr’autres choses, a imprimé le Vitruve de Mr  Perrault, qui est un Ouvrage accomply, & qui luy a fait obtenir la qualité d’Imprimeur ordinaire de Sa Majesté.

Le Biset, et le Pigeon. Fable §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 133-136.

 

Il est souvent dangereux de se hazarder à voir les Belles, sur tout lors que des raisons d’interest & de fortune font une necessité de l’éloignement. L’avanture du Biset en est un exemple. Vous la trouverez dans les Vers qui suivent. Ils sont de Mr de Richebourg, Avocat au Parlement de Toulouse. Son esprit vous est connu par les Ouvrages galans que vous avez déja vûs de luy.

LE BISET,
ET LE PIGEON.
FABLE.

Des Bisets sejournant en un Lieu cultivé,
Avec un Pigeon gras l’un d’eux fit connoissance ;
 Chacun en sçait la diférence,
Le Biset est sauvage, & le Pigeon privé.
Il suivit ce Pigeon, quittant sa compagnie,
 Pour un jour ou deux seulement
Le Pigeon luy fit voir dans son Appartement,
Qu’il estoit à son aise, & qu’il passoit sa vie
Parmy la bonne chere, & fort joyeusement ;
  Et, pour luy faire grace entiere,
 Il le mena dans une autre Voliere,
  Où ce Biset trop curieux,
 En contemplant une jeune Colombe,
 Sent tout d’un coup que son ame succombe
  Au doux éclat de ses beaux yeux.
 Cette Colombe est innocente & belle,
  Et vaut mieux qu’une Tourterelle,
 Ayant l’accueil encor plus gracieux.
Que j’envie, ô Pigeon, dit-il, ton avantage !
Que n’ay-je plus longtemps un si doux entretien !
O malheur, que je sois un Oyseau de passage !
 Que je m’aprivoiserois bien !
Que ne veut-elle d’un Sauvage ?
Ma liberté ne tient à rien.
Mais son ame fut desolée,
Quand l’heure vint de suivre sa volée.
 Il fallut donc quitter ce Lieu ;
Mais ce qui redoubla tout-à-fait sa tristesse,
 C’est qu’en cet excés de tendresse,
 Il partit sans luy dire adieu.
C’est hazard s’il ne meurt, dans le mal qui le presse.
***
 Un cœur se doit mettre en défense,
 Quand il connoist qu’une trop longue absence
Luy ravira l’Objet dont il se sent toucher.
Cette necessité le doit remplir d’alarmes.
Quand on perd cet Objet, que de cris ! que de larmes !
Le mal est sans remede, il n’en faut point chercher.
Mais quand une Beauté brille de tant de charmes,
 D’aimer, helas ! qui se peut empescher ?

Madrigal §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 136-137.

 

Rien n’est plus naïf que la Réponse du Païsan dans le Madrigal que j’adjoûte à cette Fable. Si l’on y entend malice, ce n’est pas sa faute. Ce qu’il a dit, il l’a dit tout bonnement ; on doit l’expliquer de mesme.

MADRIGAL.

 Ah, que voila de beaux Enfans,
Disoit certain Seigneur au gros Colas leur Pere !
 Qu’ils sont sains, gaillards, & puissans !
Dy-moy, que faites-vous, vous autres Paysans ?
Nous autres, Gens de Cour, nous ne sçaurions en faire,
Qui soient comme cela robustes, gros, & gras ;
 Et les nostres sont au contraire
 Si fluets & si délicats,
Qu’on est toûjours pour eux en des craintes extrémes.
 Et qu’y ferion-non, dit Colas ?
Parguié, Monseu, je les faison noumesmes.

[Tout ce qui s'est passé à l'Observatoire & aux Invalides, le jour que Leurs Majestez y ont esté] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 159-164.

 

[...] Sa Majesté devant aller à l'Hôtel des Invalides apres avoir vû l'Observatoire, la Cour s'estoit partagée, & il y avoit une partie des plus considérables Seigneurs qui l'attendoient à ce magnifique Hôtel. Parmy eux estoient Monsieur le Prince de Conty, Mr le Duc du Maine, Mr le Duc d'Elbeuf, Mr de Lislebonne, Mr le Prince de Commercy, Mr le Duc de Boüillon, Mr le Comte d'Auvergne, & huit Maréchaux de France. Mr le Marquis de Louvoys s'y estant rendu deux heures avant le Roy, envoya exprés à l'Observatoire pour estre précisément averty du moment de sa venüe. ce fut environ à cinq heures & demie que Leurs Majestez y arriverent, accompagnées de Monseigneur le Dauphin, de Monsieur, de Madame, de Mademoiselle, de Mademoiselle d'Orléans, de Madame la Princesse de Conty, & d'un grand nombre de Seigneurs & de Dames du premier rang. Le Roy descendit de Carrosse devant les deux Pavillons qui sont à l'entrée de l'Avantcourt de l'Hôtel, & il y trouva deux cens cinquante Hommes sous les armes mis en deux rangs, au travers desquels il passa jusques dans la Court Royale, qu'on peut regarder comme la plus belle, & la plus réguliere de l'Europe. Seize cens Hommes, tant Officiers que Soldats invalides, y estoient rangez en bataille, mais sans arme. Mr le Marquis de Louvoys, & Mr de S. Martin Gouverneur de cet Hôtel, qui avoient pris le devant, conduisirent Leurs Majestez dans les lieux les plus remarquables de cette Maison. Elles en considérerent la beauté pendant prés de deux heures, & se rendirent ensuite à l'Eglise, où Mr Joly, Supérieur Genéral de la Maison de S. Lazare, leur présenta la Croix à baiser, pendant que le Sr le Begue Organiste du Roy, qui estoit venu exprés, touchoit l'Orgue avec cette belle maniere qui charme toûjours tous ceux qui l'entendent. On leur fit voir trois morceaux de Tapisserie façon de Perse, qui furent trouvez tres-beaux. Ils representent divers trophés, & ont esté faits par des Invalides. La Cour passa au sortir de là, dans l"Apartement des Prestres de la Mission, que l'on y a établie pour la direction des consciences de ceux qui habitent cet Hôtel. En y entrant, le Roy apperçeut encor Monsieur Joly qui en est le General, & Sa Majesté luy dit fort obligeamment qu'Elle estoit ravie de le rencontrer par tout, & que c'estoit une marque de sa vigilance.

[Tout ce qui s’est passé à l’Observatoire & aux Invalides, le jour que Leurs Majestez y ont esté] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p.164-165.

[...] Il avoit assisté le jour précedent à la Benédiction de la Chapelle du Chasteau de Versailles, dont Leurs Majestez avoient voulu voir toute la Cerémonie. Le Roy demeura pres d’une demie heure dans cette Chambre, à considerer deux Invalides manchots qui imprimoient des Livres d’Eglise avec des Caracteres de Cuivre. Ce Prince les trouva si beaux, & sur tout les Lettres capitales, où l’or y est tres artistement, & solidement appliqué, qu’il ordonna que l’on en fit de semblables pour la Chapelle du Chasteau de Versailles.

[Tout ce qui s'est passé à S. Cloud pendant le sejour de Leurs Majestez] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 175-190.

[...] Le Roy retourna à S. Cloud au sortir des Invalides, & pendant son sejour dans cette délicieuse Maison, il fit deux voyages à Paris, plusieurs à Versailles, & alla à la Chasse au Cerf, au Loup, & à l'Oiseau ; & à la Promenade dans les Jardins de S. Cloud. On y portoit Madame la Dauphine en Chaise, à cause de sa grossesse. On n'a pû se promener aussi souvent que la Cour l'eust souhaité, parce que le commencement du Printemps a esté fort pluvieux. Cependant la beauté du Lieu & son heureuse situation, n'ont pas laissé de faire passer de tres-beaux jours. Voicy comment. Toute la Cour avoit liberté entiere de s'assembler où elle vouloit. Ainsi les Apartemens, la Galerie, & le Sallon de ce beau Palais, estoient pour elle des Allées de promenade. Du milieu de ce Sallon, on découvre d'un côté une enfilade de Chambres magnifiquement meublées, & remplies de Lustres, de Cabinets, de Porcelaines, & de quantité de beaux Ouvrages d'argenterie. De l'autre côté, on voit la belle Galerie peinte par Mr Mignard. Je vous en ay envoyé la Description. Toutes les Croisées des Apartemens qu'on voit du Sallon, offrent la veuë dela Ville de Paris en perspective, aussi bien que de la Seine, qui en coulant devant ce Château, luy sert comme de Canal. Ces mesmes objets arrestent les yeux, lors qu'on est au bout ou à l'un des costez de la Galerie, & de l'un & de l'autre on a le plaisir de voir la Court, qui estoit alors toute environnée de Vases de Porcelaines remplis de Fleurs. Les Fenestres de l'autre côté de la Galerie, donnent sur une Terrasse qui estoit aussi toute remplie de Fleux & de Vases. Adjoûtez à tout cela, les Tapis verts de la Campagne, la bigarure des Personnes qui passoient dans cette Court, la dorure de la Galerie, & du Sallon, & le coloris de leurs peintures, & vous n'aurez pas de peine à comprendre que toutes ces choses jointes aux Habits superbes des grands Seigneurs & des Dames, devoient produire un tres-agreable amas de diférentes couleurs. C'estoit dans ces beaux endroits que les Personnes du rang le plus distingué, se promenoient avec autant de plaisir qu'elles en eussent reçeu dans le plus charmant Jardin. Vous jugez aisément combien l'on y en prenoit, quand je vous diray que quoy qu'ordinairement tout le monde se leve fort tard à la Cour (je ne parle point du Roy qui travaille toûjours dés le matin) tous les Seigneurs & les Dames s'y trouvoient souvent parées deux ou trois heures avant le temps de la Messe. Il y avoit dans la Galerie plusieurs Tables de Joüeurs. Ainsi les uns s'occupoient au Jeu, les autres à regarder, & les autres à se promener avec les Dames. Le vilain temps mesme sembloit en quelque façon contribuer au plaisir. Lors qu'il arrivoit de ces violentes pluyes qu'on appelle ondées, non seulement on avoit la joye d'en ressentir la fraîcheur, sans en soufrir d'incommodité, mais le spectacle estoit tres-divertissant de voir courir ceux qui en estant surpris tout à coup, cherchoient quelque lieu couvert pour les éviter. Qui n'auroit pa crû par toutes ces choses, & par le nombre infiny de Fleurs qu'on avoit placées de toutes parts qu'on se promenoit dans les Allées, où d'épais feüillages empeschoient les Gens d'estre moüillez. Des Officiers de Son Altesse Royale estoient à toute heure dans le Sallon, pour donner à boire à ceux qui avoient besoin de se rafraîchir. Je ne vous dis rien des Meubles qui remplissoient les Apartemens de cette belle Maison. Il y a un an que je vous en fis une ample description. Figurez-vous tout ce qui peut estre de plus somptueux ; vous n'imaginerez rien qui ne soit au dessus de la magnificence de Monsieur. Le Roy ayant donné congé à toute sa Musique, celle de Monseigneur le Dauphin servoit seule pendant la Messe, à laquelle le Sieur Frison chantoit tous les jours. Cette Musique avoit pour accompagnement les Sieurs Converset & Martinot, & le Sieur Garnier pour Organiste. On dit qu'elle est composée de la Famille des Piesches, parce que l'on compte cinq Personnes dans cette Famille qui en sont, sçavoir deux Filles, & trois Garçons. On n'a rien chanté dans la Chapelle, pendant le sejour que Leurs Majestez ont fait à S. Cloud, qui n'ait esté de la Composition de Mr Charpentier. Il est si connu, & je vous en ay parlé si souvent, que c'est tout ce que je vous en diray aujourd'huy. Mr le Begue fit entendre un jour à la Messe une Simphonie, que les Violons de Monsieur joüoient par Echo, avec l'Orgue. Elle fut trouvée fort belle. Les mesmes Violons de Son Altesse Royale, joüoient pendant les Repas. C'estoit tous les jours une affluence de monde extraordinaire. Vous sçavez, Madame, avec quelle passion les Parisiens souhaitent de voir leur Prince. La proximité du Lieu les attirant, celuy où dînoit le Roy estoit toûjours plein d'un nombre infiny de Personnes, que Sa Majesté avoit la bonté de souffrir, encor qu'elle en fut incommodée. Ceux qui remplissoient ordinairement cette Table, estoient le Roy, le Reyne, Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame, Mademoiselle, Mademoiselle d'Orleans, & Madame la Princesse de Conty. Ce n'estoit point Monsieur qui traitoit ; mais sa Table où ce Prince ne mangeoit pas, ne laissoit pas d'estre magnifiquement servie pour toutes les Dames qui vouloient y prendre place. Monsieur le Chevalier de Lorraine en tenoit une autre pour les Hommes. Vouv vous imaginez bien qu'elle estoit tres-délicate. Outre ces deux Tables, toutes celles de la Maison de Sa Majesté estoient à Saint Cloud, aussi bien que la Table d'honneur de la Reyne. C'est une Table qui passe pour une des plus propres, & des mieux servies. Elle est toûjours tenuë par le Premier Maistre d'Hôtel ordinaire, & il y a douze Couverts, qui sont pour ceux de la Cour que l'Officier qui la tient convie à y manger avec luy, car on y va rarement sans estre prié. Jugez si tant de Tables estant ouvertes à S. Cloud, pour toutes les Personnes de l'un & de l'autre Sexe qui alloient y faire leur Cour, on pouvoit manquer d'y estre bien régalé. Trois sortes de Divertissemens ont occupé tous les soirs, sçavoir la Comédie Italienne, la Françoise, & le Bal. Les Comédiens François ont représenté Nicomede, Oedipe, & Polieucte, de Mr de Corneille l’aîné ; Venceslas, de feu Mr de Rotrou ; Britanicus, & Phedre, de Mr Racine ; le Geolier de soy-mesme, D. Bertrand de Cigaral ; & le Baron d’Albikrac, de Mr de Corneille le jeune. Tout ce qu’ont joüé les les Italiens a extrémement diverty, & l’inimitable Arlequin a toûjours paru de belle humeur. Il me seroit impossible de vous bien marquer jusqu'où a esté la joye que Monsieur a ressentie, de voir chez luy tant d'illustres Hostes. Il aime le Roy avec passion, & ce seul mot vous en dit assez. Comme tout rioit dans cette belle Maison, on peut assurer que malgré le vilain temps, on y a trouvé les beaux jours avant que la Saison les eust donnez. Toute la Cour au sortir de là alla dans un Lieu, où l'on n'en sçauroit manquer, puis que ce Lieu est Versailles. Ses merveilles augmentant tous les jours, ce Chasteau peut passer avec justice pour le plus beau, & le plus brillant Palais qui soit au monde.

Lettre du Berger Fleuriste, à la Belle Cloris §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 190-196.

 

La fidelité est une vertu que vous estimez. Ainsi vous ne pouvez lire qu’avec plaisir les assurances qu’en donne un Amant dans cette Lettre.

LETTRE
DU BERGER FLEURISTE,
A LA BELLE CLORIS.

Quoy donc, belle Cloris, apres avoir quitté
  L’injuste défiance
 Que vous aviez de ma constance,
 Vous douteriez de ma fidelité ?
Eh, de grace, prenez un peu plus d’assurance
 En vos appas, à leur puissance,
 En la grandeur de mon amour.
Je souffre assez des rigueurs de l’absence,
 Sans adjoûter l’Aigle au Vautour,
 Pour redoubler ma cruelle souffrance.
***
 Sçachez que mon cœur est pareil
 Au Ciel, qui ne veut qu’un Soleil ;
 Au Trône, qui n’a qu’une place ;
 Au Temple, ou plutost à l’Autel,
 Qui ne porte en sa dédicace
 Que le seul nom d’un Immortel.
***
 Ne redoutez donc point la presse,
  Le partage, ny l’embarras ;
 Il ne connoist que vous pour sa Maîtresse,
Vous estes son Soleil, sa Reyne, & sa Déesse ;
Et je le sens si plein de vos charmans appas,
Qu’en vain d’autres Beautez y porteroient leurs pas.
Aussi puis-je assurer que celles que j’ay veuës
Depuis vostre départ, hors de ces tristes lieux,
 Ce n’est que de ces mesmes yeux
 Que l’on regarde des Statuës,
Dont un Sculpteur habile a formé les attraits,
Que l’on peut admirer, mais qu’on n’aima jamais.
***
L’amour, belle Cloris, m’attache à vostre empire
 Avec des liens si puissans,
 Qu’il captive jusqu’à mes sens ;
 Et que tout ce que je desire,
En songe, hors du songe, aux Ruelles, au Cours,
  Vous regarde toûjours.
***
Pour peu que vous pensiez, belle & jeune Merveille,
 A cette espece sans pareille
 D’amour & de fidelité,
Vous laisserez pour moy croistre vostre bonté ;
Car enfin les desirs vont en si grande foule,
Que pour les bien régler, il faut un grand pouvoir ;
 Hors de son rang toûjours quelqu’un s’écoule
Vers le premier Objet qui le veut recevoir,
 Et trahit ainsi son devoir.
***
Pourtant aucun des miens n’abandonne sa route,
Ils prennent tous plaisir à s’adresser à vous.
Recevez-les donc bien, traitez-les d’un air doux ;
Tant de fidélité vaut bien qu’on les écoute.
 Ils vous diront d’une commune voix
Par leur empressement, parlant tous à la fois ;
***
Beauté, dont les appas obligent au silence,
Pour n’en pouvoir assez exprimer la grandeur.
 Nous tenons de vous la naissance,
Et nous venons à vous, tout fiers de cet honneur.
 Mettez-nous en lieu d’assurance
 Au fonds de vostre aimable cœur ;
Et si vous nous voulez estre plus favorable,
 Trouvez bon que chacun de nous,
Poussé de son ardeur, y forme son semblable,
 Et qu’en suite nous allions tous
 Dire au Berger qui nous envoye,
 Prens courage, & reprens ta joye.
 Cloris, estime sa beauté
Plus puissante sur toy que le temps, que l’absence,
Et que tout ce qui peut attaquer ta constance,
Et ne doutera plus de ta fidelité.
Crois-la de mesme & constante & fidelle,
Malgré tous les Amans que Paris & la Cour
  Amenent chaque jour
 Luy témoigner le feu qu’ils ont pour elle.
***
Eh, de grace, Cloris, en faveur d’un amour
 Si soûmis, si tendre, & si sage,
 Que mes desire ne soient pas sans retour,
Et qu’ils viennent chargez d’un si joly message.

Epithalame §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 202-206.

 

Il s’est fait un Mariage entre deux Amans, qui apres de longs obstacles, ont eu la joye de se voir unis. Un de leurs Amis, qui a les sentimens aussi délicats, que l’esprit galant, leur donna ces Vers le lendemain de leurs Nôces. Ils portent leur recommandation par eux-mesmes, & il me seroit inutile de vous les vanter.

EPITHALAME.

La Fortune à la fin vous caresse en ce jour,
A de foibles ennuis sa haine s’est bornée ;
Apres avoir senty les peines de l’amour,
Vous goustez les douceurs d’un aimable hymenée.
***
Oubliez maintenant les craintes & les soins
Qu’un desir d’estre heureux dans vos cœurs a fait naître ;
Jeunes Epoux, vous pouviez plutost l’estre,
 Mais vous l’eussiez esté bien moins.
***
 En vain quand on aime on s’empresse
 De voir un long tourment finy ;
 Ce n’est pas tout que d’estre uny,
 Il faut l’estre par la tendresse.
***
Une douce union couste quelques soûpirs,
Deux cœurs soufrent d’abord en se chargeant de chaînes ;
Mais que l’Amour enfin réponde à leurs desirs,
 Alors à ces extrémes peines
 Succedent d’extrémes plaisirs.
***
L’on ne se souvient plus alors de son martire,
L’on n’entend plus se plaindre & l’un & l’autre Amant,
 Et c’est de plaisir qu’on soûpire,
 Si l’on soûpire encor en ce moment.
***
Aux vœux de vostre Epoux donnez-vous donc entiere,
 Adorable & jeune Beauté ;
Loin de vous à présent toute severité,
 Il n’est plus le temps d’estre fiere,
 C’est beaucoup de l’avoir esté.
***
 Et vous, Berger tendre & fidelle,
Oubliez au milieu de vos contentemens
Ce que vous a cousté le cœur de cette Belle ;
L’on ne peut mériter par trop d’empressemens
 Le rang que vous tenez pres d’elle.
***
 Mais n’allez pas croire tous deux,
 Que dans l’Hymen les soucis & les craintes
Donnent comme en amour quelque ardeur à vos feux ;
 Sçachez qu’on cesse d’estre heureux
 Dés les moindres sujets de plaintes.
***
 Si vous voulez estre unis à jamais,
 Que vostre tendresse redouble.
 A des Amans il faut un peu de trouble,
 A des Epoux il faut beaucoup de paix.

[Sentimens de la Duchesse d’Estramene] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 206-209.

 

Enfin, Madame, vous avez leû la Duchesse d’Estramene, & je ne suis point surpris d’apprendre de vous que vous l’avez leuë avec plaisir. Elle est remplie de pensées si vives, & de sentimens si délicats, qu’il est impossible qu’on n’en soit touché. Comme le vray n’est pas toûjours vray-semblable, ceux qui examinent ce Livre de pres, croyent d’autant plus qu’il y a eu une Mademoiselle d’Hennebury qui s’est renduë malheureuse par le scrupule d’une vertu trop exacte, qu’il semble impossible d’imaginer tout ce qu’elle pense, à moins qu’on ne l’ait senty ; car comme il n’est pas naturel de faire entrer la raison dans le party qui nous arrache à ce qui nous plaist, ils disent que s’il n’y avoit eu une Personne assez extraordinaire pour estre tombée veritablement dans ces sortes de scrupules, la veuë genérale de ce qu’on doit à sa gloire n’eust pû les faire inventer. Quelques-uns prétendent connoistre une partie des Intéressez. Vous jugez bien qu’ils ne mettent pas la Scene en Angleterre. Quant à l’Autheur, je ne puis vous en rien dire avec certitude. Il y a des Gens qui trouvent les choses si finement pensées dans ce Livre que quand l’Avis qui est au devant, ne leur feroit pas connoistre qu’il est d’une Dame, ils croiroient par cette délicatesse d’esprit & de cœur si particuliere à celles de vostre Sexe, & que l’on voit répanduë dans tout cet Ouvrage, qu’une Dame y auroit part. C’est un secret que je tâcheray de déveloper.

[Lettre touchant la Duchesse d’Estramene] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 209-234.

[...] Cependant vous devez vous en tenir à ce que marque le fragment de Lettre. C’est là dessus que l’on s’est reglé dans celle qu’on m’a adressée pour l’Autheur de la Duchesse d’Estramene, & dont je vous envoye la Copie. Celuy qui l’écrit s’est rencontré avec vous dans plusieurs remarques. Il m’a donné une adresse pour luy faire tenir la Réponse qu’il espere que la Dame luy fera, si elle souhaite apprendre ses sentimens sur la Seconde Partie de son Livre. Cela me fait croire que je pourray vous en faire part le mois prochain. Je me persuade que vous attendrez impatiemment cette suite de sentimens, puis que c’est sur tout cette Seconde Partie qui vous charme. Je puis vous dire d’avance que je suis témoin des larmes que la conversation du Duc d’Olsingam mourant, & de la Duchesse d’Estramene, a coûtées à de beaux yeux. C’est un endroit que tout le monde trouve inimitable. Mais le Galant Inconnu dont j’ay la Lettre à vous faire voir, vous en dira plus que moy, si on le fait s’expliquer sur cette Partie. Voicy ce qu’il a écrit sur la Premiere.

A LA SPIRITUELLE
INCONNUE,
Qui nous a donné la Duchesse
d’Estramene.

Je fuis bien-aise que les cinq ou six lignes qui sont au devant de vostre Livre, nous apprennent qu’il est party de la main d’une Dame. Tout ce qui justifie l’inclination naturelle que nous avons pour ce beau Sexe, me fait plaisir, & rien ne la justifie tant que la finesse de l’esprit, & la délicatesse des sentimens. Ces deux choses-là brillent si fort dans vostre Ouvrage, qu’il faut, ou que ce soit la Duchesse d’Estramene elle-mesme qui ait écrit son Histoire, ou que le Portrait de la Duchesse d’Estramene soit tiré d’apres vous, Il est impossible que vous n’ayez pas senty tout ce que vous dites qu’elle a senty, & que vous n’ayez pas inspiré une passion pareille à celle du Duc d’Olsingam ; car les peintures que vous faites sont si vives, qu’elles ne peuvent estre un pur effet de l’imagination. Les Autheurs sont trop heureux, quand ils peuvent comme vous se faire aimer dans leurs Ouvrages. Cependant ils ne songent presque jamais qu’à se faire estimer, mesme au hazard d’en estre hais, témoin les Satiriques. L’Histoire que vous nous donnez m’assure autant de la droiture & de la bonté de vostre cœur, que si je vous avois vû faire les plus belles actions du monde ; & l’estime qu’elle me fait concevoir de vostre esprit, va jusqu’à vostre Personne. Si vous voulez bien que je vous expose mes scrupules sur vostre Ouvrage, le plus grand que j’aye, est que vous vous estes un peu trop peinte dans Mademoiselle d’Hennebury. Il ne falloit point, ce me semble, luy donner tous les raffinemens de vostre vertu, & vous deviez en faire une Personne un peu moins extraordinaire que vous. Je l’aime tendrement, cette Mademoiselle d’Hennebury, & quand je la voy malheureuse, je suis au desespoir. Encor si c’estoit la faute de la Fortune, je me consolerois ; mais ce n’est la faute que de son trop de vertu, & cela me met en colere contre elle. Le scrupule qu’elle a apres la mort de sa Mere, sur ce que le Duc d’Olsingam veut l’aller demander à la Reyne d’Angleterre, est d’une délicatesse achevée. J’avouë qu’il me surprit, & me fit plaisir à la premiere lecture ; & j’en serois charmé, s’il n’estoit point la cause de tous les malheurs qui sont arrivez à cette aimable Personne. Voyez ma bizarrerie. Si ce trait-là ne produisoit rien, il m’en plairoit davantage. Que craignoit-elle dans le fonds ? Il n’y avoit qu’à dire à la Reyne, que Madame d’Hennebury estoit morte sur le point de luy demander son agrément pour le Duc d’Olsingam. Le Comte d’Hennebury devoit se charger de cette affaire, & la gloire de sa Sœur n’y estoit interessée en façon du monde. Mais le Duc d’Olsingam luy-mesme, pourquoy se rendoit-il à ce scrupule ? Je trouve qu’il ressemble trop à sa Maîtresse. Il est trop vertueux. Ne devoit-il pas craindre que s’il diféroit à déclarer ses prétentions, la Reyne ne disposast de Mademoiselle d’Hennebury en faveur d’un autre ? Et que fust-il devenu, apres que la Reyne auroit eu une fois formé des desseins contraires aux siens ? Je voy d’icy, Madame, que vous estes bien mal contente de mon cœur, & de la grossiereté de mes sentimens. Que voulez-vous ? Je tiens le party de la raison autant qu’un autre ; mais il me semble que c’est bien assez qu’elle l’emporte dans les choses essentielles ; encor luy en sçait-on bien du gré. Elle peut faire naistre des scrupules sur les petites choses, je luy accorde encor ce point, mais il faut que l’amour décide. Le mélange des foiblesses de l’amour, & des efforts de la raison, & les victoires alternatives de l’un & de l’autre, voila ce qui fait toûjours un effet agreable. Je ne conçois pas bien quelle est la délicatesse de Mademoiselle d’Hennebury, de ne vouloir point écrire au Duc d’Olsingam. Elle ne veut point, dit-elle, s’exposer à l’infidelité ou à l’indiscrétion des Confidens. Elle a raison ; mais il ne s’agit point de cela. Elle n’a qu’à écrire par le moyen de son Frere, qui est le meilleur Amy du Duc d’Olsingam. Ce Frere autorise leur passion. Rien n’est plus régulier que le procedé qu’elle tiendra ; & d’où vient que ce Duc d’Olsingam qui l’aime éperdûment, ne trouve pas pour la persuader, des raisons que je trouve bien, moy ? Vous dites qu’il estoit soûmis, & des-interressé ; mais je vous répons qu’il estoit Amant.

L’expédient dont se sert Mademoiselle d’Hennebury, pour ne plus retomber dans l’embarras où l’Ambassadeur d’Angleterre l’avoit jettée, est tout-à-fait fin ; mais peut-il réüssir ? Je doute que l’on pense moins à une Personne qu’on aime, pour ne vouloir pas y penser. On se souvient à chaque moment, de ce qu’on prend tant de soin d’oublier, & ce soin mesme en fait souvenir. D’ailleurs elle ne vouloit pas occuper son cœur du Duc d’Estramene. Elle n’en vouloit tout au plus occuper que son esprit, & les pensées de l’esprit sont-elles une puissante diversion à celles du cœur ? Enfin l’attachement du Duc d’Estramene aupres d’elle, luy devoit estre suspect. Il sembloit avoir quitté son premier caractere. Il ne parloit plus que du plaisir des unions les plus étroites. Elle devoit craindre de donner au Duc d’Olsingam un Rival, qui eust pû luy faire des affaires par le crédit qu’avoit Madame d’Hilmorre à la Cour d’Angleterre, & c’estoit une conduite bien dangereuse que de donner sujet au Duc d’Estramene de croire qu’elle ne le haïssoit pas. Il est vray qu’elle avoit appris à Madame d’Hilmorre l’engagement où elle estoit avec le Duc d’Olsingam ; mais estoit-ce une raison pour croire que le Duc d’Estramene n’osast devenir amoureux d’elle, mettre sa Mere dans ses interests, & traverser l’amour d’un Rival ?

Souffrez, Madame, que je ressemble à ces Gens, que trop de zele emporte quelquefois jusqu’à leur faire quereller leurs Amis avec violence, sur les choses où ils se sont fait tort à eux-mesmes. Je vous ay déja dit que j’aimois avec tendresse Mademois elle d’Hennebury, & c’est pourquoy il faut que je la gronde sur la conduite qu’elle tient, & qui luy est si préjudiciable. Apres qu’on s’est expliqué à elle sur le dessein de luy faire épouser le Duc d’Estramene, & que son Frere & son Amant sont revenus à Paris, que n’apprend-elle à son Frere l’état où elle se trouve ? Que ne se jette-t-elle entre ses bras, pour tirer de luy le secours dont elle a besoin ? Que ne luy découvre-t-elle les agitations de son cœur ? Que ne luy demande-t-elle ses avis pour se conduire sûrement ? Enfin pourquoy luy parle-t-elle comme une Personne toute résoluë à épouser le Duc d’Estramene ? Je cherche en faveur de Mademoiselle d’Hennebury, toutes les raisons imaginables qui peuvent justifier son procedé. Je me dis que son Frere ignoroit la passion du Duc d’Olsingam, & d’elle ; mais il paroist qu’il la sçavoit, & par tout ce qu’avoit dit Madame d’Hennebury mourante, & parce qu’estant à l’Armée avec le Duc d’Olsingam, il avoit voulu mander à sa Sœur, dans quel desespoir elle avoit jetté cet Amant par ses scrupules, & ses ménagemens trop délicats. Je me dis qu’elle ne vouloit pas du moins parler elle-mesme à son Frere, de la tendresse qu’elle avoit dans le cœur, mais elle en avoit bien parlé à une de ses Femmes. Elle avoit toûjours vécu avec ce Frere dans une intelligence si parfaite. Il aprouvoit, il favorisoit sa passion pour le Duc. Enfin elle estoit en état de tout confier à une Personne & moins chere, & moins sûre que le Comte d’Hennebury. Jugez apres cela si je pardonne à vostre Héroïne de se marier comme elle fait, avec autant de précipitation que si elle eust épousé un Homme qu’elle eust aimé le plus violemment du monde. Elle n’attend ny son Frere, ny le consentement de son Frere. Et pourquoy passer par dessus des formalitez si essentielles ? Pour se rendre malheureuse.

Voila ce que c’est, Madame, que d’avoir trop bien sçeu faire entrer les Gens dans les intérests de Mademoiselle d’Hennebury. On la chicane sur ce qu’elle ne s’aime pas assez elle-mesme. L’heureux defaut que celuy-là ! & que ceux à qui on peut le reprocher sont aimables ! Ils ont ces sentimens épurez, & ce procedé noble & des-intéressé qui charme dans Mademoiselle d’Hennebury. Que de grandeur d’ame, & que de tendresse ! Que d’amour, & que de vertu ! Elle sent tout ce qu’une Personne extrémement passionnée peut sentir ; mais elle agit comme la Personne du monde la plus maîtresse d’elle-mesme.

Ce qui m’a le plus satisfait dans vostre Ouvrage, c’est que je l’ay trouvé fort profond dans une sorte de science qui est genéralement assez inconnuë, je veux dire dans la science du cœur. Combien peu de Gens sont capables d’en déveloper les replis ! Combien de sentimens sont ignorez de ceux qui les ont, à moins qu’ils n’ayent fait une étude particuliere d’eux-mesmes ! On s’imagine que pour écrire des choses agreables, il n’y a qu’à parler d’amour & de tendresse, de quelque maniere que ce soit. Point du tout. Il faut démesler finement ce qui se passe dans le cœur, & nous y faire voir des choses que nous n’y voyions pas. Que vous sçavez bien ce secret, Madame ! Que le cœur est bien entendu dans vostre Duchesse d’Estramene ! J’y reconnois à chaque moment mes propres sentimens, qui avoient échapé à ma connoissance. J’ay eu le dépit qu’avoit Mademoiselle d’Hennebury de voir d’autres Personnes bien faites que celle que j’aimois. J’ay eu la foiblesse qu’elle avoit de ne pouvoir tenir contre des discours artificieux où il paroissoit un peu de genérosité, & d’égard pour mes intérests. J’ay eu comme elle de l’étonnement d’avoir fait de certaines choses que j’avois faites avant que d’y estre résolu, & dont l’exécution me paroissoit au dessus de mes forces, & je vous ay l’obligation, Madame, de sçavoir que j’ay eu tous ces sentimens.

Ne vous paroistrois-je point trop bizarre, si je vous disois que je louë & blâme en mesme temps vostre Ouvrage, de ressembler à la Princesse de Cléves ? Il en a les beautez délicates, l’exactitude du stile, cet art si difficile de dire precisément sur chaque chose ce qu’il faut, de ne toucher une pensée qu’une fois, & de la toucher assez, de faire entendre plus qu’on ne dit, d’attraper un Esprit qui consiste plus dans les choses que dans les paroles, enfin d’estre agreable, & de parler toûjours raison. Ce n’est pas que je n’eusse quelques scrupules à vous proposer sur de certaines expressions que j’ay peine à croire Françoises ; mais je ne m’arreste pas trop volontiers à ces choses que je tiens peu importantes, & je ne vous parle icy que du stile en genéral. Quand vos personnages parlent dans la passion, ils ne sortent point du naturel, & cependant ils parlent fort spirituellement. Quel discours que celuy de Mademoiselle d’Hennebury malade à sa Confidente, & cent autres ! Je n’ay point veu de traits qui partissent d’une meilleure main. Tout cela a l’air de la Princesse de Cléves ; mais aussi ce qui en a un peu trop l’air, c’est le caractere de Madame d’Hennebury, & sa mort, qui tiennent beaucoup & du caractere, & de la mort de Madame de Chartres. Je ne pousseray point mes refléxions jusqu’à la Seconde Partie ; je le feray, Madame, si vous avez la bonté de me faire sçavoir que vous trouvez bon qu’un Inconnu vous dise ses sentimens avec tant de liberté. Je n’ay eu cette hardiesse qu’afin de passer aupres de vous pour un Admirateur moins suspect de vostre Ouvrage. Je ne doute point que son succés ne vous détermine dans peu à nous apprendre vostre nom. Je l’attens, Madame, avec impatience, & je me suis déja fait un portrait de vous, auquel je m’assure que vous ressemblez.

Je croy, Madame, que je puis vous mettre du nombre de ceux qui souhaiteroient que le Public voulust se donner la peine d’écrire de cette forte sur tous les Livres nouveaux, c’est à dire, sans aigreur & avec honnesteté. Les Autheurs apprendroient par là ce qu’on en pense ; & si les Juges des-intéressez qui écriroient, les convainquoient de quelques defauts, soit pour le stile, soit pour la conduite de leurs Ouvrages, ils prendroient le soin de s’en corriger une autre fois.

[Mort de Madame la Presidente de la Proustiere] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 237-238.

[...] Ainsi Mr de la Proustiere son Mary a eu la douleur de la voir mourir dans ses plus belles années. L’ancienne noblesse de la Famille de ce Président, son application à rendre exactement la justice, son propre mérite, ses grandes lumieres dans toute l’étenduë des belles Lettres, la connoissance qu’il a de l’Histoire ancienne & moderne qu’il peut justifier par un trésor infiny recherché des plus rares & plus belles Médailles, dont il a si soigneusement enrichy sa Bibliothéque, & mille autres qualitez qu’il possede avec distinction, ne sont ignorées de personne.

[Histoire] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 240-255.

 

Si le Mariage est le tombeau de l’Amour, comme le prétendent ceux qui en médisent, l’éloignement, quand il dure trop longtemps est une chose qui luy est encor beaucoup plus funeste. Ce que je sçay qui est arrivé depuis quelques mois vous en convaincra. Un Marchand tres opulent, ayant commerce dans les Parties les plus reculées du monde, fut obligé pour quelques affaires de grande importance, de faire un voyage aux Indes. Il luy fâchoit fort de se séparer pour un an ou deux d’une jeune Femme, aimable & bien faite, qu’il avoit épousée depuis six mois. Il l’aimoit avec beaucoup de tendresse, & les complaisances qu’elle avoit pour luy, la rendoient digne de tout son attachement. Elles estoient telles, que pour peu qu’il l’eust pressée, elle auroit pris volontiers la résolution de le suivre, mais il y alloit de ses intérests qu’elle demeurast ; & d’ailleurs il se seroit crû inexcusable de l’exposer aux fatigues & aux périls de la Mer, pour la seule voye de l’avoir aupres de luy pendant un voyage, qui selon les apparences ne devoit pas estre de longue durée. Ainsi il partit sans elle, accompagné d’un autre Marchand des plus riches de la Ville, qui trafiquoit comme luy aux Indes, & avec lequel li avoit lié dés son plus bas âge une amitié fort étroite. Rien n’égala la douleur que luy fit sentir ce cruel départ. Sa Femme le tint longtemps embrassé, les yeux tout baignez de larmes, & il falut l’arracher d’entre ses bras à demy évanoüye, pour finir ce triste adieu qui auroit toûjours duré, si l’on n’eust usé de violence. Le voyage fut heureux. Ils arriverent aux Indes sans avoir couru de fort grands risques, & s’appliquerent tous deux avec un extréme soin, à terminer promptement toutes les affaires qui les avoient amenez. Cependant ils eurent beau se servir de diligence. Trois ans entiers se passerent sans qu’ils pussent revenir. Ils écrivoient à tous leurs Amis & à leurs Correspondans, par tous les Vaisseaux qu’ils voyoient partir, & chaque année on avoit de leurs nouvelles. Enfin le temps si souhaité du retour arriva pour l’un & l’autre. Ils s’embarquerent, & la plus grande partie de leur navigation se fit avec un vent assez favorable ; mais sur le point d’arriver, ils furent battus d’une furieuse tempeste, qui les obligea de relâcher à une Rade d’Irlande. Ce retardement chagrina fort le Marchand. Il pensoit sans cesse au plaisir qu’il goûteroit en voyant sa Femme ; & pour se le rendre plus sensible, il s’avisa d’un moyen qui devoit coûter des pleurs à cette aimable Personne, mais qui luy causant ensuite une extréme joye, promettoit de nouveaux charmes à leur mutuel amour. Ce moyen fut de luy faire écrire qu’il estoit mort à Goa apres une longue maladie ; & afin que cette nouvelle parust moins douteuse, il écrivit luy-mesme un Billet, dont le caractere mal formé marquoit un Homme mourant. Par ce Billet, qui fut seulement de cinq ou six lignes, il témoignoit à sa Femme que se voyant prest de quiter la vie, il luy donnoit ses derniers momens pour l’assurer qu’il n’emportoit en mourant que le seul regret de ne luy pas dire le dernier adieu. Son Amy, qu’il avoit prié d’écrire, adressa la Lettre à un Religieux de sa connoissance, le priant de la porter, & de disposer la Veuve selon sa prudence, à souffrir sa perte avec résignation. Il écrivit encor à quelques Amis, ausquels il donnoit avis de cette mort, & toutes ces Lettres estoient dattées de Goa. Elles passerent assez promptement en France, & toute la Ville où demeuroit le Marchand, fut bientost instruite de cette nouvelle. L’écriture estoit connuë, & il n’y avoit aucun sujet de douter. La Femme pleura, cria, se desespera, mais la suite fit connoistre que c’estoient des pleurs qu’elle donnoit à la bienséance bien plûtost qu’à la douleur. Il y avoit déja plus d’un an qu’un Cavalier fort bien fait, venu par hazard dans la mesme Ville, employoit beaucoup de soins à la consoler dans sa solitude, & le plaisir qu’elle prenoit à le voir, ne l’engageoit pas à souhaiter qu’on revinst si-tost des Indes. Elle avoit du bien, elle estoit jeune, & le Cavalier qui avoit touché son cœur, sçeut si bien se prévaloir de l’impression qu’il y avoit faite, qu’il la disposa sans peine à un second Mariage. Le plaisir de se voir la Femme d’un Gentilhomme, apres l’avoir esté d’un Marchand, estoit une chose qui la flatoit agreablement. Il ne s’agissoit que de convenir du temps. Pour ne point donner occasion au murmure, elle demanda le terme d’un an ; mais le Cavalier pressa si fort, que son amour l’emporta sur ses foibles resistances. Ainsi malgré le Qu’en dira-t-on, elle consentit à ce qu’il voulut, & son prétendu Veuvage ne fut que de six semaines. La voila remariée, & justement dans le temps que le Vaisseau qui ramenoit son Mary, partoit d’Irlande, apres y avoir esté retenu prés de deux mois par un vent contraire. La Ville où le Marchand avoit pris naissance, estoit un peu éloignée du Port où il débarqua. Il y arriva de nuit, & se fit d’avance un fort grand plaisir de la surprise qu’il alloit causer à tout le monde. Une Servante qui luy vint ouvrir la porte, l’ayant reconnu, fit un cry épouvantable. Sa Femme qui estoit seule alors dans la Salle, voulut sçavoir ce que ce cry vouloit dire, & l’appercevant, elle en fit un autre, qui en un moment attira tous ceux qui estoient dans la Maison. En mesme temps elle se laissa tomber sur un siege toute morte de frayeur, & ne doutant point que son Mary ne fust revenu de l’autre monde, pour luy reprocher son peu d’amour. Elle perdit la parole, & c’estoit pour des Valets un assez grand embarras de voir un Mort & une Mourante. Le Principal Commis du Marchand accourut comme les autres. C’estoit un Homme assez ferme, & qui n’avoit jamais eu de credulité pour les Esprits. Aussi connut-il bientost que ce qu’il voyoit n’étoit point un Spectre. Le peu de joye qu’il montra, & quelques paroles chagrines qui luy échaperent, ayant surpris le Marchand, il demanda ce qui estoit arrivé chez luy pendant son absence. Une Servante que la présence de ce Commis avoit rassurée, luy dit bonnement qu’il n’avoit guére eu raison de mander qu’il estoit mort, puis que sans cela sa Femme ne se seroit point remariée. Ces paroles furent pour luy un coup de tonnerre. Il en demeura tout accablé, & dans l’état pitoyable où il fut réduit, on ne sçavoit lequel avoit le plus besoin de secours, du Mary ou de la Femme. Elle revint, & s’abandonna aux larmes. Pour luy, il fut entraîné par son desespoir. Il aimoit sa Femme avec passion, & par sa faute il la voyoit depuis dix ou douze jours entre les bras d’un autre Mary. Joignez à cela que sa promptitude à prendre d’abord un second engagement luy faisoit connoître qu’elle ne l’avoit jamais aimé. Toutes ces choses luy renverserent l’esprit. Il eut des égaremens qu’une grosse fiévre qui le surprit, n’aida pas fort à diminuer. Il n’y resista que quatre jours, & mourut sans avoir fait autre chose que soûpirer, & dire sans cesse qu’il méritoit son malheur. Le Cavalier, que des ordres à donner avoient fait aller à une Terre, en revint le jour qu’on l’enterra. Jugez combien il eut de surprise d’un retour si peu croyable, & combien de joye en mesme temps de ce que la mort l’avoit suivy de si prés.

[Ce qui s’est passé à l’Académie Françoise touchant le dernier Prix proposé pour des Bouts-rimez] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 255-256.

 

Mr le Duc de S. Aignan estoit la Personne illustre qui avoit voulu cacher son nom en proposant une Médaille d’or du Portrait du Roy pour Prix du meilleur Sonnet qui seroit fait sur les rimes de Jupiter & de Pharmacopole. Mrs de l’Académie Françoise se voyant choisis pour Juges, déclarerent qu’aucun de leur Corps ne seroit reçeu à prétendre au Prix. Cet illustre Duc qui n’a jamais rien eu de plus cher, que de travailler pour la gloire de son Maistre, se crut obligé de leur découvrir, non seulement que c’estoit luy qui donnoit cette Médaille, mais qu’il croyoit avoir droit de concourir avec ceux qui travailleroient sur ces Bouts-rimez.

[Divers Sonnets sur les Bouts-rimez de Pan & de Flageolet] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 256-284.

[...] Mrs de l’Académie ne trouvant pas à propos de changer de sentimens, il leur envoya cet Impromptu.

Arbitres du Sçavoir, beaux & charmans Esprits,
Qui portez du Laurier l’immortelle Couronne,
Donc pour estre d’un Corps qui n’eut jamais de prix,
Je vas estre privé de celuy que je donne ?
Je n’ay point hazardé le Portrait d’un Grand Roy,
Qu’avec beaucoup d’espoir qu’il reviendroit à moy.
Brûlez donc mon Sonnet, si ce n’est rien qui vaille ;
Mais s’il est le meilleur, rendez-moy la Médaille.

 

Quelques jours s’estant passez sans que ces Mrs eussent décidé la chose, Mr le Duc de S. Aignan vint à l’Académie, & fit le Discours qui suit à ceux qu’il y trouva assemblez.

MESSIEURS,

L’avantage d’avoir une place dans vostre illustre Corps, m’a toûjours paru si grand, que j’ay eu peu d’attachement jusqu’icy à en rechercher d’autres. Aussi ne me serois-je pas avisé de faire un Sonnet, & de donner un Prix, si mon principal dessein n’avoit esté de donner lieu à de beaux Génies de travailler à la gloire du Roy, & en suite de tâcher à vous plaire.

Je m’estois persuadé que la gloire que je pourrois acquérir, contribuëroit en quelque façon à la vostre ; mais je voy bien, Messieurs, que je me suis trompé. Il faloit vous consulter avant que d’entreprendre, & ne hazarder pas comme j’ay fait cette mesme gloire, au lieu de l’augmenter. Mais oserois-je vous demander, Messieurs, sans manquer à la déference que je veux toûjours avoir pour vos sentimens, s’il n’y a point un peu de dureté à ce que vous voulez me faire souffrir ? Vous agissez contre mes intentions avant que de m’avoir fait connoistre les vostres. Vous recevez avec bonté un Sonnet & une Médaille ; le premier pour disputer un Prix, & l’autre pour en servir ; & dans le mesme temps où vous disposez de l’un, vous ordonnez que l’autre me soit inutile.

Vous pouviez, Messieurs, les refuser tous deux comme une chose peu conforme à cette grave & austere sagesse que j’admire & que je crains ensemble en quelques-uns de vostre Compagnie. Vous pouviez vous contenter des sçavans & brillans éloges que vous donnez souvent au Grand Roy dont j’ay mis le Portrait entre vos mains, sans décider absolument que cet auguste Prix ne seroit jamais dans les miennes.

Quand on prend la liberté de s’adresser à vous pour vous suplier de vouloir estre les Juges de quelques Ouvrages, les conditions ne doivent-elles pas dépendre de celuy qui les donne, & la grace que vous luy faites en les acceptant, doit elle le priver de l’effet de vostre justice ?

Je veux bien, Messieurs, me croire indigne de la victoire où j’aspire ; mais au moins permettez-moy de combatre, & ne m’ostez pas les armes des mains, quand vous les laissez à tant d’autres. Ne sera-ce pas un assassinat, si me voyant attaqué d’un si grand nombre, vous ne voulez pas que j’aye rien à opposer à tant d’Ennemis ? I’ay préferé ce Tribunal à tous ceux qu’il m’estoit libre de choisir. Ne permettez pas qu’un repentir soit la récompense de mon choix & de mon estime.

En verité, Messieurs, vostre réputation est trop bien établie pour laisser croire à personne que vous ayez dessein de favoriser quelqu’un de vostre Corps ; mais vostre justice ne cessera-t-elle point de l’estre, si vous refusez des conditions raisonnables ?

Vous sçavez, Messieurs, celles que j’ay mises dans mon Sonnet. Pourrez-vous donner le Prix à ceux qui en manqueront, & qui ne seront point de ce caractere ? Je travaille peut estre pour un autre plutost que pour moy, quand je vous demande que la qualité d’Académicien n’empesche pas de prétendre au Prix. Un autre de vostre Corps a écrit aussibien que moy, & c’est un dangereux Concurrent ; mais bien qu’il soit en possession de se faire redouter, je l’estime plus que je ne l’appréhende ; & l’émulation est plus propre à enflâmer mon courage, qu’à le refroidir.

J’aime donc mieux prendre le hazard d’estre vaincu par un Homme éclairé, que si vous donniez lieu d’accuser vos lumieres. Tout ce qui me viendra de vous, Messieurs, sera reçeu avec respect & sans murmure ; mais pensez bien je vous suplie, à ce que vous direz, pour éviter à ce que l’on pourra dire ; & sans considerer ma personne à qui vous ne devez rien, songez à ce que vous devez à vous-mesmes.

 

Lors que ce Duc eut achevé ce Discours, il se retira pour les laisser opiner, apres avoir assaisonné ce grand sérieux de ce Madrigal.

Je vous trouve toûjours dans la mesme rigueur,
Mais je ne veux pourtant vous faire aucun reproche ;
Et comme j’ay du Roy le Portrait dans mon cœur,
Il faudra me passer de l’avoir dans ma poche.

 

La Séance de l’Académie fut longue apres son départ. Il y eut divers sentimens, & enfin ces Messieurs furent d’avis que les quinze Sonnets choisis & réservez de pres de cent soixante, fussent remis entre les mains de Mr le Duc de S. Aignan, qui nommeroit des Juges pour décider de la bonté des Sonnets, & donner le Prix de la Médaille du Roy à celuy qui auroit fait le meilleur ; ce que ce Duc ayant accepté, il reprit le sien. Depuis ce temps-là, il a prié Messieurs d’Ubaye, de Favre-Fondamente, & de Vertron, tous trois de l’Académie Royale d’Arles dont il est Protecteur, de donner le Prix, auquel il a cessé de prétendre, par les mesmes raisons qui ont apparemment empesché Messieurs de l’Académie Françoise de recevoir leurs Confreres en cette concurrence. Je vous envoye le Sonnet que ce Duc a retiré. Il vous fera voir que c’estoit avec justice qu’il prétendoit disputer le Prix, & que celuy qui gagnera la Médaille, aura peut-estre eu quelque peine à en faire un aussi bon.

BOUTS-RIMEZ
donnez à remplir, sur les diférentes
occupations des Hommes.
SONNET.

L’Astrologue connoist Mars, Vénus, Jupiter,
Mercure est employé chez le Pharmacopole,
La Poudre est au Baigneur, la Lancete au Frater,
On prend du Lait chez Barbe, & du Fruit chez Nicole.
***
L’un jure en Libertin, l’autre dit son Pater,
Ou pour vendre un Cheval au Marché caracole ;
L’Ecolier sur les Bancs s’enrouë à disputer,
Et le Pilote en Mer consulte la Boussole.
***
LOUIS par sa valeur rend son nom immortel ;
Le Courtisan le suit, & renonce au Cartel,
Le Plaideur au Palais sollicite une Affaire.
***
On chasse, on jouë, on dance, on chante, on fait des Vers ;
Mais plaire au plus Grand Roy qui soit dans l’Univers,
C’est le plus beau Mestier qu’on pourroit jamais faire.

 

Comme il n’y a pas d’apparence que Messieurs les Académiciens d’Arles, que Monsieur de S. Aignan a choisis pour Juges, décident du Prix avant la fin de ma Lettre de ce mois, je ne vous manderay que dans l’autre ce qui se sera passé dans ce Jugement.

On difére toûjours à prononcer sur les Sonnets des rimes de Pan & de Guenuche. Apparemment il s’en trouve tant de bons, que le meilleur est difficile à choisir. Parmy ceux qui courent, les deux que je vous envoye sont fort estimez. L’une est de Mr l’Abbé Gautier de Provence, & l’autre de Mr Amoreux de Digne, Avocat au Parlement d’Aix.

A LA GLOIRE DU ROY.
Sonnet.

Estre plus réveré que ne fut le Dieu Pan,
Enchaîner la Fortune ainsi qu’une Guenuche,
Détruire en ses Etats l’Empire de Satan,
Et se faire admirer sous la Pourpre & la Pluche ;
***
Rendre ses Ennemis plus timides qu’un Fan,
Estre plus agissant que l’Abeille en sa Ruche,
Moissonner des Lauriers chique saison de l’An,
Et faire voler l’Aigle aussi bas que l’Autruche ;
***
N’entreprendre jamais rien qui ne luy soit hoc,
Ne vouloir pour la Paix refuser aucun troc,
Au Temple de la Gloire avoir plus d’une Niche ;
***
C’est le Portrait d’un Roy, qui du seul mot De-Par
Rend fertiles les Lieux qu’on vit jadis en friche,
Et se fait obeïr aussitost qu’il dit Car.

SUR LES MESMES
Bouts-rimez.

LOUIS fuyant l’orgueil & le faste du Pan,
Met l’Herésie aux fers comme on fait la Guenuche ;
Il rétablit l’Eglise où commandoit Satan,
Et préfere en Hyver la Cuirasse à la Pluche.
***
L’Ennemy devant luy fuit plus viste qu’un Fan,
Comme une sage Abeille il sçait remplir sa Ruche,
Il est infatigable en tout le cours de l’An,
Et sçait tout digérer beaucoup mieux qu’une Autruche.
***
Il fait tout ce qu’il veut, & sa parole est hoc,
Il prend ce qu’il attaque, & ne perd rien au troc,
La Justice en son cœur est comme dans sa Niche.
***
De l’amour de son Peuple il fait tout son Rem-par ;
Et ce Roy, dont les soins ne laissent rien en friche,
Fait naître mille Vers d’un misérable Car.

 

Cet autre Sonnet, sur un sujet diférent, quoy que sur les mesmes rimes, est de Mr le Président de Silvecane de Lyon.

SUR UN DEPIT.

Quand vous seriez, Iris, plus superbe qu’un Pan,
Plus fine que ne l’est une vieille Guenuche,
Qu’à cela vous joindriez la force de Satan,
Vous tâcheriez en vain à secoüer ma Pluche.
***
Pres de vous je sçay bien qu’un Lyon n’est qu’un Fan,
Qu’il se faut défier du Miel de vostre Ruche,
Mais j’y mettray bon ordre, & veux au bout de l’An
Digérer ma douleur en estomac d’Autruche.
***
La pierre en est jettée, & mon dépars est hoc,
Je change mon destin, & par un heureux troc
Je prétens vous donner, Iris, niche pour niche.
***
J’atteste tous les Dieux, & puis vous jurer Par…
Que vous ne mettrez plus ce cœur fidelle en friche,
Et qu’il est à l’épreuve & du Mais, & du Car.

 

Mr Davoust l’aîné est l’Autheur de ce quatriéme Sonnet. Il l’intitule,

RAGE CONTRE
les Bouts-rimez.

Rime à casser la Flute à Pan,
Vieux marmotage de Guenuche,
Propre à faire enrager Satan,
Vermine, dont Phébus s’é-pluche.
***
Comment diable attraper un Fan ?
Me prenez-vous pour une C-ruche ?
I’irois bien jusqu’au bout de l’An,
Quand j’aurois des jambes d’Autruche.
***
N’attraper rien, cela m’est hoc,
Si de rien je ne fais un troc,
Il faut que d’icy je dé-niche.
***
Adieu, car pour rimer en Par,
Je mettrois ma cervelle en friche,
Je m’en vais à Madagas-car.

 

J’adjoûte quatre Sonnets sur les rimes du Flageolet & du Décalogue. Les trois premiers sont de Monsieur Gardien Secretaire du Roy ; & le quatriéme, de Monsieur de Merville.

SUR UN MARIAGE
prest à se faire.

Muse, en faveur d’Iris, reprens le Flageolet,
Et chante nostre amour conforme au Décalogue.
Elle est ma Tourterelle, & moy son Roytelet ;
Songe à l’Epitalame, & laisse-là l’Eglogue.
***
Le Contract est passé sous Scel du Chastelet,
Mon Train vestu de neuf jusqu’à mon Pédagogue,
Et je n’ay plus qu’un jour à garder le Mulet,
Pour réduire un Parent qui grondoit comme un Dogue.
***
I’auray de tout soucy l’esprit bien écuré,
Quand le conjungo vos que dira le Curé
Aura mis dans mes bras ce miracle des Belles.
***
Léandre pour Héro périt dans l’Hellespont ;
D’un plus heureux succés nostre amour me répond,
Vers la Quasimodo j’en diray des nouvelles.

CAPRICE.

Chantons sur un Rebec, non sur un Flageolet,
Un Ennemy juré des Loix du Décalogue,
Un cruel Publicain, tranchant du Roytelet,
Qui fournit à nos champs triste sujet d’Eglogue.
***
Son Oncle fut quinze ans Recors au Chastelet ;
Son Pere en son Village estoit le Pédagogue ;
Son Ayeul en Auvergne étrillant le Mulet,
Avoit encor le soin de la Porte & du Dogue.
***
Plus de vingt fois sa Mere a chez nous écuré ;
Sa Grand’Mere servit & vola son Curé,
Sa Cousine aujourd’huy fait commerce de Belles.
***
Pour luy, la Rame en main, il courut l’Hellespont ;
A de si beaux Exploits, si le reste répond,
La Greve de sa fin nous dira des nouvelles.

SUR LA MISERE
de la Vie de la Cour.

Aussi souple qu’un Gand, doux comme un Flageolet,
S’écarter à tous coups des Loix du Décalogue,
Encenser le Faquin qui fait le Roytelet,
Sur ses propres chagrins méditer quelque Eglogue ;
***
N’estre pas moins captif que dans le Chastelet,
De l’intérest en tout faire son Pédagogue,
Souvent piquer le Coffre, & garder le Mulet,
Flater jusqu’à l’Huissier aboyant comme un Dogue ;
***
Avoir l’intérieur toûjours mal écuré,
Faute d’un bon commerce avecque son Curé ;
Ne songer qu’à l’Intrigue, à la Fortune, aux Belles ;
***
Voguer sur des Détroits moins seûrs que l’Hellespont,
Reclamer la faveur qui rarement répond,
Voila l’Homme de Cour, & j’en sçay des nouvelles.

L’HEUREUX
Inconstant.

Je sçais me divertir avec un Flageolet,
Je vis passablement suivant le Décalogue,
Chez moy je suis le Maistre, & fais le Roytelet,
Bien ou mal au besoin je compose une Eglogue.
***
Grace à Dieu, je n’ay point d’Affaire au Chastelet,
Je ne suis plus soûmis aux Loix d’un Pédagogue,
J’employe mieux mon temps qu’à garder le Mulet,
Et j’ay de l’appétit autant quasi qu’un Dogue.
***
De soucis amoureux si j’estois écuré,
Et qu’il ne falust pas le secours d’un Curé
Pour stéchir la rigueur d’un miracle des Belles,
***
Je ferois des Ialoux par de la l’Hellespont ;
Mais ce qui sur cela de mon bonheur répond,
C’est que j’ay du panchant pour les amours nouvelles.

[La Matrone d’Ephese, Comedie representée par la troupe Italienne] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 284-290.

 

Les Italiens nous ont donné depuis quinze jours une Nouveauté, qui attire tout Paris. Elle a pour titre la Matrone d’Ephese. Ce sujet, traité plaisamment à leur maniere, pouvoit de luy-mesme avoir un fort grand succés. Jugez de l’effet qu’il doit produire, par l’embellissement qu’ils luy ont donné d’un Personnage de Procureur que jouë Arlequin. C’est une Satyre qui remplit entierement le dernier Acte, & cet Acte est représenté tout en nostre Langue. Il fait voir les injustices dont les Procureurs sont capables, & met dans leur jour tous les tours d’adresse que quelques-uns sçavent employer pour tirer de l’argent des Patties. Cela paroîtra choquant pour ce nombreux Corps, à ceux qui ne feront pas d’abord les refléxions que l’on doit faire. Quoy que dans tous les employs qui font les divers états des Hommes, on découvre tous les jours des tromperies & des malversations ; on peut pourtant assurer qu’il n’y a point de Profession, qui en elle-mesme ait aucun défaut. Jamais on n’en a veu d’établies sur le pied d’en avoir ; autrement les Etats où l’on permettroit des Professions, necessairement accompagnées de défauts, seroient des Etats mal policez. Tout est bon de soy-mesme. Rien n’est plus saint que la Religion ; rien de meilleur qu’un veritable Dévot ; & cependant la Dévotion fait des Hypocrites. Rien n’est plus utile qu’un Procureur qui fait son devoir, & rien de plus ruineux pour les Parties qu’un Procureur, qui n’a que ses intérests en veuë. Ainsi les défauts estant des Hommes & non des Professions ; ceux qui sont naturellement portez au mal, rafinent, chacun selon son employ, sur les moyens d’en commettre, & voila ce qui fait injustement imputer aux Professions, ce qui ne vient que de la mauvaise inclination des Particuliers qui les exercent. On peut connoistre par là, que la Comédie Italienne ne jouë point la Profession de Procureur, mais ceux d’entr’eux qui se distinguent par l’avidité du gain, & à qui cette basse avidité fait faire des choses qui ne sont de leur employ que par usurpation, pour ne pas dire friponnerie. Ainsi cette Satyre produit plusieurs effets fort avantageux. Elle fait que les Procureurs qui se servoient de mille moyens injustes pour attraper de l’argent, changent de conduite, ou parce qu’ils reconnoissent leur faute, ou parce que la connoissance que la Comédie a donnée de leurs tours d’adresse, leur faisant appréhender d’estre surpris, ils n’osent plus les commettre si souvent. D’un autre costé, les Auditeurs qui ont des Procés, profitent beaucoup à la Matrone d’Ephese. L’Acte qui en fait la conclusion, leur apprenant la maniere dont ils peuvent estre trompez, ils prennent garde à s’en garantir. Ceux d’entre les Procureurs à qui l’on ne peut rien reprocher, ont veu cette Comédie avec plaisir, & quelques-uns mesme ont donné des Mémoires contre ceux qu’ils jugent indignes d’estre leurs Confreres. Cela fait connoistre leur intégrité & leur prudence.

[Comedie des Bouts-rimez representée sur le Theatre François] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 290-296.

 

Lundy dernier 25. de ce mois, la Troupe Françoise donna la premiere représention d’une petite Comédie, intitulée les Bouts-rimez. Ce sujet est à la mode, & c’est par cette raison que celuy qui l’a traité a crû le devoir choisir. On ne manque jamais de travailler sur tout ce qui fait du bruit, parce que plus les sujets sont connus, plus ils attirent de monde. Les choses que l’on expose ainsi au Public, n’en sont ny plus relevées, ny plus avilies. Le Theatre veut qu’on charge les actions que l’on représente ; & comme plusieurs sont persuadez qu’il demande de gros traits, & qui frapent vivement, ils croyent que ce qui est le moins vray-semblable, doit faire le plus d’effet. La nouvelle Comédie des Bouts-rimez en est un exemple. On y voit un Bourgeois qui pour Prix des rimes qu’il donne à remplir, propose sa Fille, & dix mille écus. Il a tant de peur que le dessein où il est ne soit ignoré, qu’il le fait publier par les Carfours au son du Tambour. C’est une chose qui n’a nulle vray-semblance. Cependant ceux qui condamnent cet Incident, parce qu’il n’imite point la nature, se trouvent contraints de rire d’une pensée si bizarre. Il y a d’autres endroits, qui estant aussi outrez, sont également divertissans. Il faloit necessairement en user ainsi, pour faire un sujet Comique de cette matiere. Sans cela il ne seroit pas possible que beaucoup de choses, qui d’elles-mesmes n’ont rien de plaisant, eussent dequoy faire rire ceux-mesmes qui y seroient le plus disposez. Proposer des Bouts-rimez qu’on ne peut bien faire sans esprit, & donner des Prix quand on est d’une qualité à le pouvoir faire, & que le Sujet que l’on choisit est digne des loüanges du Public, c’est ne rien faire qui donne ouverture à plaisanter ; mais comme il n’est rien qui n’ait deux faces, & que les Hommes ont l’esprit assez subtil pour pouvoir rendre la verité problématique, on peut trouver du ridicule par tout. Il ne faut que de l’excés pour cela. Il est condamnable dans la vertu mesme, qui n’est parfaite qu’en se prescrivant des bornes. Ainsi la petite Comédie, dont je vous parle, estant une chose tellement outrée qu’elle va jusqu’au dela du vray-semblable, n’est plus qu’un effet de l’imagination de son Autheur. Il a l’esprit vif, & tout plein d’un sel qui se fait sentir. Il a traité son Sujet d’une maniere qui luy en a fait tirer plus qu’il ne sembloit fournir. La Piéce est aussi risible qu’elle est bien joüée ; & si quelques uns cherchent à la condamner, ils ont leurs raisons. Le plus grand nombre l’approuve, & la tient d’autant plus digne d’attirer les Curieux, qu’elle est entierement neuve, & ne ressemble en aucun endroit à la Corneille d’Esope.

[Courses de Bagues & de Testes faites à Versailles] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 296-301.

 

Le Jeudy 21. de ce mois, Monseigneur le Dauphin courut un Défy à la Bague. Il avoit de son costé Monsieur le Duc de Vendosme & Monsieur de Brione ; & de l’autre estoient Monsieur le Prince d’Harcourt, Monsieur de la Feüillade, & Monsieur le Comte de Marsan. Ils coururent six sois, & ce fut le Party de Monseigneur qui gagna. Il mit quatre dedans, & fit les plus belles Courses du monde. Le Prix estoit de cinquante Pistoles chacun. La Reyne & Madame la Dauphine étoient présentes avec Monsieur, Madame, Mademoiselle, & presque toute la Cour.

Le Dimanche 24. il y eut une Course de Bague & de Testes, dans laquelle Monsieur le Duc de S. Aignan, & Monsieur le Duc de Gramont, furent établis Juges du Camp. Ce premier avoit esté choisy seul Juge des Courses dés l’année derniere, mais la maladie de Madame la Dauphine empécha ce divertissement. Quelques jours avant cette Course du 24. le Roy qui estoit à table, ayant apperçeu Monsieur le Duc de S. Aignan, luy dit en riant, qu’il y avoit d’autres Juges nommez que luy ; à quoy ce Duc répondit, que s’il croyoit qu’une Requeste Inpromptu pust luy redonner cette Place, elle seroit bientost faite ; mais qu’avant que de travailler, il eust bien voulu estre assuré du succés. Monseigneur le Dauphin prit la parole, & dit qu’il pouvoit toûjours faire sa Requeste. Monsieur de S. Aignan sortit aussitost. Quoy que le Repas fust si avancé, que l’Entremets étoit prest d’estre servy, il ne laissa pas d’apporter ces seize Vers, avant que Leurs Majestez fussent hors de table. Elles témoignerent en estre fort satisfaites, aussi bien que Monseigneur, & Madame la Dauphine.

A MONSEIGNEUR
LE DAUPHIN,
Requeste Inpromptu.

J’ay fait un Bout-rimé Pour vous, & dans ce temps
Vous me mettez, Seigneur, au rang des Mécontens,
Et quand vous reprenez & le Dard & la Lance,
Vous croyez m’obliger à garder le silence ?
Ah, rendez-moy justice, & considérez bien
Qu’autrefois j’estois Juge, & je ne suis plus rien.
S’il faut vous divertir, s’il faut mesme combatre,
Lors que l’on n’est que trois, peut-on pas estre quatre ?
De me mettre en ce nombre il ne tiendra qu’à vous,
Et je n’y seray pas le plus foible de tous.
Mais si cet Inpromptu rend mon attente vaine,
Je m’en vay de ce pas me jetter dans la Seine.
Seigneur, faites-moy donc, empeschant ce malheur,
Mourir dans un Combat, & non pas de douleur,
Faute de voir au Camp l’adresse sans seconde
Qu’aura le digne Fils du plus Grand Roy du Monde.

[Tremblement de terre arrivé en plusieurs endroits] §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 307-309.

 

La nuit du 11. au 12. de ce mois, sur les deux heures, le tremblement de terre dont vous souhaitez estre éclaircie, se fit sentir à Paris. Le lendemain chacun en parla, mais d'une maniere qui donnoit lieu d'en douter. Les Religieux & Religieuses qui chantoient alors Matines, l'assuroient un peu plus fortement que les autres ; mais tout cela ne suffisoit pas pour persuader les Incredules, & on n'eust rien crû de ce tremblement, si la ruine qu'il a causée en divers endroits n'en eust esté une preuve. Il est confirmé par les nouvelles que l'on en reçoit de jour en jour; & quand les Lettres auront eu le temps de de venir, je crois que nous apprendrons qu'il aura esté universel. Voicy l'Extrait d'une que j'ay reçeuë de Dijon. Cette nuit la terre a tremlé a deux secousses diférentes. Il y a peu de Personnes qui n'en ayent esté éveillées. Un Soldat étoit en sentinelle au dessus d'une Tour, n'eust pû éviter de tomber dans le Fossé, s'il ne se fust promptement jetté à terre à la renverse. [...]

Air nouveau §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 332-333.

Un fort habile Homme a mis en air les Vers que vous allez lire, & que je vous envoye notez.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Je veux, & ne veux plus vous voir, doit regarder la page 333.
Je veux, & ne veux plus vous voir,
Je crains vostre présence, & mon coeur la desire.
La Loy de mon cruel devoir,
M'oblige, en vous quitant, de suivre son empire.
Mais croyez, cher Tircis, que malgré sa contrainte,
L'Amour à vostre Image en son coeur si bien peinte,
Que sans desobeyr, je vous verray toûjours,
Estant le seul plaisir que j'auray tous les jours.
images/1682-05_332.JPG

[Sur Saint-Aignan]* §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 347-350.

 

Je reserve pour le mois prochain plusieurs Sonnets sur les Bouts-rimez de Jupiter & de Pharmacopole. Il y en a quantité qui vous plairont, parce que les dernieres rimes se sont trouvées propres à faire quelque chose de naturel, & c’est tout pour un Sonnet que de le finir agreablement. Ainsi celuy qui remportera le Prix, aura d’autant plus de gloire, qu’il la gagnera sur de beaux Sonnets. Mr le Duc de S. Aignan qui le donne, en a augmenté la valeur de moitié depuis qu’il a cessé d’y prétendre. Cela doit avoir fort réjoüy un Inconnu, qui n’estimant la Médaille que par le seul poids de l’or, s’est gendarmé d’abord qu’il a sçeu que Messieurs de l’Académie Françoise n’estoient plus Juges de ce Diférend d’esprit. Il s’est figuré en mesme temps qu’il n’y avoit plus de Prix ; & le chagrin de se voir déchu de ses espérances, bien ou mal fondées, l’a fait si fort s’oublier, qu’il a laissé échaper je-ne-sçay-quels Vers, au desavantage de Monsieur de S. Aignan. Il manquoit encore à la gloire de ce Duc, qu’on écrivit contre luy. C’est le destin des grands Hommes, & les plus celebres de l’Antiquité ont eu leurs Censeurs. Entre les Illustres qu’on attaque, on peut assurer que ceux qui ont des Critiques qui cachent leur nom, sont foiblement attaquez. Quiconque se cache, croit ne pouvoir soûtenir ce qu’il avance, & tout ce qu’il fait ne sert qu’à prouver l’envie qui le ronge, & à donner plus d’éclat à la réputation qu’il veut affoiblir. Aussi le meilleur moyen de se vanger de ces sortes de Censeurs, c’est de garder le silence, & de leur marquer par là le mépris qu’on a pour eux. Il seroit facile de les terrasser, mais on les éleveroit en les combatant, & leur défaite leur donneroit de la gloire. Monsieur de S. Aignan a pris ce party. On l’a attaqué, il ne répond point. On sçait cependant qu’il le pourroit faire beaucoup mieux qu’un autre, mais il se contente d’avoir augmenté la valeur du Prix qu’il donne, en mesme temps qu’il a jugé à propos d’y renoncer ; & s’il consent à changer de Juges, ce n’est pas qu’il n’ait toûjours une tres-parfaite estime pour Messieurs de l’Académie Françoise ; mais ayant appris que quelques-uns de ce fameux Corps aspiroient à la Médaille, il a voulu les mettre en état d’y prétendre sans scrupule, en leur ostant une qualité, qu’ils ont crû eux-mesmes leur donner l’exclusion.

[Sur le livre Académie galante]* §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 350-351.

 

Le Sr Blageart imprime un Livre nouveau que vous trouverez tres-agreable. Il a pour titre, Académie Galante. Les Statuts vous en plairont. La plûpart ont esté faits par d’aimables Personnes de vostre Sexe, & il vous sera aisé de connoistre par le stile, que les Conversations d’une Societé tres-spirituelle ont fait naître cet Ouvrage. Les Avantures que l’on y debite, sont racontées naturellement, & l’on assure qu’elles ne contiennent rien que de veritable. Vous aurez ce Livre avec ma Lettre de Juin, c’est à dire le premier jour de Juillet. Je remets jusqu’à ce temps le détail exact de tout ce qui s’est passé aux derniers Etats de Bourgogne.

On vient de m’apprendre que Mr Malo Conseiller de la Grand’ Chambre est mort, & que Mr Guillard, un des plus éclairez Juges du Parlement, est monté en sa place. C’est tout ce que j’en puis dire, tant je suis pressé de finir ma Lettre.

A Paris ce 30. May 1682.

[Livres nouveaux]* §

Mercure galant, mai 1682 [tome 5], p. 350-352.

La Duchesse d’Estramene se vend chez le Sr Blageart, Court neuve du Palais, au Dauphin.

Le Sr Libraire au Palais, à l’Ecu de France, debite un Livre nouveau, intitulé La Science parfaite des Notaires. Il est de Mr Ferriore Avocat en Parlement, celebre par quantité d’autres Livres de Droit qu’il a mis au jour depuis trois ans avec grand succés. Ce dernier est un Inquarto fort ample, & aussi utile pour les Provinces de Droit Ecrit, que pour celles de Droit Coûtumier.