1682

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10].

2016
Source : Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10].
Ont participé à cette édition électronique : Nathalie Berton-Blivet (Responsable éditorial), Anne Piéjus (Responsable éditorial) et Vincent Jolivet (Informatique).

[Madrigal.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 4-5.

[...] Voicy un Madrigal qui a esté fait sur la facilité qu’il a toûjours euë à prendre des Villes.

Tout le monde est surpris des victoires sans nombre
 Que remporte le grand LOUIS
 Sur ses plus puissans Ennemis,
 Qui mesme redoutent son ombre.
On s’étonne de voir cet invincible Roy
Prendre facilement les Villes les plus belles,
Et faisant tous les jours des Conquestes nouvelles,
 Remplir les Potentats d’effroy.
Mais pourquoy s’étonner des grands
  Exploits de guerre
 De ce Monarque sans pareil,
 Puis qu’on sçait que rien sur la Terre
 N’arreste le cours du Soleil ?

Eglogue §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 10-15.

 

Je n’attendray point que vous m’ayez fait connoistre le plaisir que vous aura infailliblement causé la lecture de l’Idille de Madame des Houlieres, employé dans la premiere Partie de cette Lettre, pour vous envoyer un autre Ouvrage de cette illustre Personne. En voicy un Pastoral, dont les Vers aisez, doux & naturels, vous feront admirer de plus en plus la beauté de son Génie.

EGLOGUE.

Assise au bord de la Seine
Sur le panchant d’un Costeau,
La Bergere Célimene
Laisse paistre son Troupeau.
Il descend dans la Prairie
Sans qu’elle daigne songer
Que le Loup pourra manger
Sa Brebis la plus chérie.
Le souvenir d’un Berger
Que la Fortune cruelle
Force à vivre éloigné d’elle
Dans un Climat Etranger,
Cause la langueur mortelle
Qui luy fait tout négliger.
Tantost cedant à la force
De ses amoureux transports,
Elle grave sur l’écorce
Des Arbrisseaux de ces bords,
Puisse durer, puisse croistre
L’ardeur de mon jeune Amant,
Comme feront sur ce Hestre
Ces marques de mon tourment !
Tantost meslant sur le sable
Le nom d’Acante & le sien,
Elle trouve insuportable
Qu’un Zéphir impitoyable
En passant n’en laisse rien.
Quelle cruelle avanture,
Dit-elle avec un soûpir,
Si ce qu’a fait le Zéphir
M’est un veritable augure,
Que de si tendres amours,
Ne dureront pas toûjours !
Je briserois ma Musete
S’il estoit un Imposteur,
Et du fer de ma Houlete
Je me percerois le cœur.
A ces mots, elle repasse
Dans son esprit alarmé,
L’air, les traits, l’esprit, la grace
De ce Berger trop aimé.
Les Oyseaux de ce Bocage
Se taisent pour écouter
Ce qu’ils l’entendent chanter
Du beau Berger qui l’engage.
Ils voudroient le répeter,
Mais leur plus tendre ramage
Ne la sçauroit imiter.
Jamais cette triste Amante
Ne voit sur l’herbe naissante
Folastrer d’heureux Amans,
Qu’elle ne se représente
Combien l’absence d’Acante
Luy couste de doux momens.
Jamais des Bergers ne viennent
De ces bords délicieux
Où ses destins le retiennent,
Que son amour curieux
Ne s’informe si ces Lieux
Ont des Nymphes assez belles
Pour faire des Infidelles.
Enfin mille fois le jour
Elle veut, elle apprehende
Tout ce que craint & demande
Le plus violent amour.
 Qu’on doit plaindre une Bergere
Si facile à s’alarmer !
Pourquoy du plaisir d’aimer
Faut-il se faire une affaire ?
Quels Bergers en font autant
Dans l’heureux siecle où nous sommes ?
Acante qu’elle aime tant
Est sans-doute un Inconstant
Comme tous les autres Hommes.

[Lettre du médecin blayois sur les réjouissances de Bordeaux]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p.15-25, 27,29-44, 47-51, 54-62.

 

Revenons, Madame, aux Réjoüissances. Celles de Bordeaux ont eu tant d'éclat, que l'on en a donné au Public une Relation particuliere. Cependant quelque étenduë qu'elle soit, on peut dire que ce n'est qu'un Abregé de ce que vous trouverez dans la Lettre dont je vous envoye une Copie. Cette Lettre m'est venuë d'une Dame de Xaintonge, qui l'avoit reçeuë d'un Cavalier, qui estant en ce temps-là à Bordeaux, a esté témoin des diverses Festes que l'on y a faites.

 

A MADAME DE ***

A Bordeaux ce 29. Aoust 1682.

 

Vous voulez, Madame, que je vous apprenne tout ce qui s'est fait icy pour celébrer la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Songez-vous bien que c'est une Histoire que vous demandez ? Vous parlez absolument, je dois obeïr, & malgré moy devenir Historien. Le 18 Aoust, Mrs les Maire & Jurats, Gouverneurs perpétuels de la Ville, reçeurent cette importante Nouvelle par des Lettres de Cachet ; & le lendemain 19. Mrs Jegun, Daste, Fresquet, Navarre, & Dumas, Jurats, en l'absence de Mr le Marquis d'Estrade Maire de Bordeaux, & de Mr de Maniban Premier Jurat, convoquerent le Corps de Ville. Il fut résolu dans cette Assemblée, qu'on fermeroit les Boutiques depuis le Jeudy 20. jusqu'au Dimanche 23. qu'aucun Artisan ne travailleroit, qu'on feroit des Feux devant chaque Porte, & qu'on illumineroit toutes les Fenestres pendant ces trois jours. L'Ordonnance qu'on en publia fut affichée dans tous les Carfours à son de Trompe, & reçeuë avec un applaudissement general. Ce jour estant arrivé, l'on commença à distribuer du Pain & du Vin chez tous les Jurats, à l'Hostel de Ville, & dans beaucoup de Maisons particulieres, de sorte qu'on entendoit dans toutes les Ruës, boire à la santé du Roy, de Monseigneur le Dauphin, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Sur les cinq heures du soir, Mr de Ris Intendant de la Province, se rendit à S. André, pour y assister auTe Deum. Quantité de Personnes de qualité l'accompagnoient, & deux Hoquetons marchoient devant luy. Vous sçavez, Madame, que S. André est l'Eglise Cathédrale. Mrs les Jurats revestus de leurs Robes de Damas blanc & rouge-cramoisy, avec le Corps de la Bource qu'ils avoient fait inviter, s'y rendirent aussi à la mesme heure, précedez & suivis de leurs Gardes, & de tous leurs Officiers. Apres qu'ils furent placez, ainsi que Mrs du Présidial, Mr le Doyen entonna leTe Deum, qui fut chanté en Musique. Celle de S. Seurin, qui est cette belle Eglise hors des enceintes de la Ville, s'estoit jointe à la Musique de S. André, & l'une & l'autre n'oublia rien de ce qu'on pouvoit attendre d'elle dans une Solemnité si éclatante. LeTe Deumfiny, le Procureur Syndic de la Ville ayant commencé à crier Vive le Roy, le nombre infiny de monde qui remplissoit cette grande Eglise, continua la mesme acclamation, que les Orgues & les Trompetes redoublerent par leurs fanfares. Sur les huit heures, les Tours de l'Hostel de Ville parurent toutes brillantes, par la quantité des Lumieres dont elles furent couvertes, & ce fut comme un signal à tous les Particuliers pour en mettre à leurs Fenestres. Une heure apres, Mrs les Jurats estant sortis de l'Hostel de Ville avec leurs Robes de cerémonie, précedez des Tambours, des Fifres, des Trompetes, des Hautbois, & des Violons, & accompagnez de plus de deux cens Officiers de Quartier, se rendirent devant un grand Feu qu'ils avoient fait allumer sur le Fossé vis-à-vis le College des Jesuites. Il fut allumé par le plus ancien Jurat au son de la Cloche, & de tous ces Instrumens, & au bruit des Boëtes & des Petards. Aussitost chaque Particulier en fit un devant sa Porte. Il y eut en beaucoup d'endroits des Fontaines de Vin, qui coulerent une partie de la nuit, & on ne se contenta pas ce soir là, & les deux autres, d'avoir exécuté l'Ordonnance. Il n'y a point d'Habitant qui n'ait continué pendant six jours à faire des Feux devant sa Porte, & à mettre des Lumieres à ses Fenestres, en sorte que l'on peut dire que depuis le 20 jusques au 26. il y a eu un jour continuel à Bordeaux.

Le Vendredy 21. Mr de Ris Intendant, donna le Bal. Il envoya des Billets chez toutes les Personnes de qualité, & reçeut la Compagnie dans une grand Salle, admirablement éclairée de Flambeaux de cire blanche, dans des Placards d'argent & de vermeil, avec des Miroirs, qui par la réflexion des lumieres faisoient un tres-bel effet. Douze Violons & douze Hautbois de la Ville, estoient placez sur une maniere de Theatre qu'on avoit dressé dans cette Salle, & rien ne manquoit à l'ajustement des Dames. Je vous assure que dans le brillant que leur donnoient ce soir-là les Diamans & les Pierreries, je trouvay les Bordeloises fort belles, & je ne sçay si pour peu que j'eusse eu de panchant à l'inconstance, je n'aurois point fait infidelité à la Dame du Royaume qui mérite le mieux d'estre aimée. Les Hommes estoient aussi tres-proprement mis. Je vis parmy eux Mr de Landiras, que vous connoissez. Mr le Marquis de Ris commença le Bal avec Madame de Latrenne. Madame de Bouran, Madame de Sales, Madame de Nord, Mademoiselle Carriere, & Mademoiselle Cloisel, se distinguerent par la justesse & la grace de leur dance ; & entre les Hommes, on remarqua Mr le Marquis de Femel, Mr de Bordes, Mr de Malvirade, & Mr de S. Cric. Le Bal ayant duré jusques à minuit, on présenta la Collation aux Dames. Elle fut servie par six Hommes, qui portoient toutes sortes de Confitures dans six grands Bassins d'argent. Six autres suivoient dans le mesme ordre, avec pareil nombre de Bassins de Fruit. Pendant la Collation, on tira des Boëtes dans le Jardin, on jetta des Fusées volantes, & la réjoüissance finit par un beau Feu d'artifice que Mr de Ris avoit fait faire sur le Fossé du Chapeau-rouge, vis-à-vis du Puy-paulin, où il loge. Ce Feu, Madame, sembloit représenter un Enfer. Si-tost qu'il fut allumé, il en sortit une infinité de Serpenteaux. On y voyoit des Rouës, das Abîmes, & des Goufres de feu, d'où partoient à tous momens des Fusées volantes sans nombre. Les trois quarts des Bordelois, & je croy, tous les Etrangers, y assisterent. Juges des cris de Vive le Roy.

 

Le Samedy 23. le Chasteau Trompete, le Fort-Loüis, & le Chasteau du Ha, firent leur réjoüissance, à laquelle les Marchands Habitans des Chartrons contribuerent, en préparant cinquante Pieces de Canon qui avoient esté tirées de leurs Vaisseaux. Mrs de l'Admirauté choisirent ce mesme jour pour marquer leur joye. Ils firent mettre quantité de Lumieres à tous les Vaisseaux, depuis la Hune jusque sur le Pont. Ainsi à l'entrée de la nuit, les Habitans des Chartrons qui sont sur le Port, ayant illuminé toutes les Fenestres de leurs Maisons, qui sont la plûpart de trois étages, & les Vaisseaux ayant allumé leurs Feux, cela fit voir la plus belle chose qu'on se puisse imaginer, toutes ces Lumieres se multipliant, & s'agrandissant sur l'eau, par les diverses refléxions que la Riviere en faisoit. Ce fut pendant cette Illumination que le Chasteau Trompete, le Fort-Loüis, & le Chasteau du Ha, firent trois décharges de tout leur Canon, & autant de leur Mousqueterie. Il y avoit des Feux allumez dans toutes les Tours, & sur les Cavaliers, & tous les Soldats y estoient sous les armes. Chaque décharge de ces trois Places de guerre, fut de quarante coups de Canon, & de cinq cens coups de Mousquets pour chacune, à quoy les Habitans des Chartrons répondirent par plus de mille coups de Canon qu'ils tirerent toute la nuit, ainsi que tous les Vaisseaux qui avoient de l'Artillerie. Sur les neuf heures du soir, Mrs de l'Admirauté firent représenter un Combat naval par douze petits Brigantins, qui conduisirent au milieu de la Garonne un grand Bateau gaudronné de toutes parts. Ces Brigantins estoient équipez fort proprement. On avoit mis dans chacun douze Matelots vestus de Casaques bleuës, avec des Bonnets de mesme couleur. Ils mirent le feu à ce grand Bateau, croisant devant & derriere, & tirant des Pierriers qu'on avoit mis dans leur Bord, tandis que tous les Vaisseaux faisoient grand feu. Comme vous avez veu le Port de Bordeaux, vous sçavez, Madame, que sa longueur qui est en Croissant, depuis l'Hôpital general de la Manufacture jusques au bout des Chartrons, a pres d'une lieuë d'étenduë ; de sorte que voyant tout le long de la Riviere sur la terre & sur l'eau, une multitude prodigieuse de Lumieres, rangées par tout avec ordre selon la grandeur & la disposition des Maisons & des Navires où elles estoient, il eust esté malaisé de quiter ce grand Spéctacle, sans le bruit de plusieurs Boëtes, & l'éclat d'un grand nombre de Fusées, qu'on tira sur les onze heures dans la Place du Marché-neuf. C'estoit la Réjoüissance particuliere des Habitans du Quartier de S. Michel. Dés le matin, Mr Duribaud qui en est le Capitaine, avoit fait dresser dans cette Place une tres-belle & grande Fontaine de Vin. [...] La Place estoit toute illuminée, & la belle Pyramide de S. Michel qu'on avoit garnie de quantité de Lumieres, & d'où partoient sans cesse des Fusées volantes, ne contribua pas peu à son embellissement. Le Feu de joye que l'on y avoit dressé, fut allumé par Mr Dumas, Jurat du Quartier. Outre les Lumieres des Fenestres, il y avoit en divers endroits de la Place des Feux suspendus en l'air, qui à travers la matiere transparente qui les renfermoit, faisoient paroître des Couronnes, des Dauphins, & des Vive le Roy, tout lumineux. L'on y tira plus de deux cens Boëtes, & plus de deux mille Petards ; & comme le Clocher des Peres de l'Observance regarde sur cette Place, ces Religieux, qui avoient chanté le Te Deum , & fait la Procession chez eux, l'illuminérent sur toute la Galerie à la naissance de l'Aiguille, avec des Feux composez de telle sorte, qu'ils sembloient estre des tisons ardens, tant la lumiere qu'ils produisoient estoit diférente des autres Lumieres. Les principaux Habitans de ce Quartier accompagnerent le Jurat chez luy avec les Hautbois & les Violons, firent dancer les Dames en divers endroits ; & pour porter aussi la joye chez les plus infortunez, ils donnerent une somme d'argent considérable aux Dames de la Charité, pour la distribuer aux Nécessiteux de la Paroisse. Ce mesme jour 22. ceux du Quartier de Sainte Colombe firent une Grote au derriere de cette Eglise. Il en sortoit deux Fontanes, l'une de Vin, & l'autre de Biere, à travers de tres-beaux Coquillages, & des Fleurs de toutes sortes. Tout ce jour, & le lendemain, ils firent de grandes réjoüissances. Il y eut chaque fois un Feu d'artifice, dont le dessein estoit l'embrazement d'un Chasteau. La Grote estoit éclairée par des Feux qui parurent dans des Machines d'une figure toute particuliere. Mrs du Pont de S. Jean firent aussi deux Fontaines de Vin dans leur Quartier. Tout le jour on y donna du Pain, du Vin, & de la Viande, à tous les Pauvres ; & le soir on fit joüer un Feu d'artifice représentant un Vaisseau, qui tira plus de deux mille Petards.

Le Dimanche 23. on entendit les Tambours & les Fifres qui batoient la marche à la Dragonne, & l'on apperçeut une Compagnie de Cent Maistres à cheval tres-bien ordonnée. Ils se promenerent par toute la Ville, doublant les Rangs dans les larges Ruës, & formant des Défilez dans les étroites. Cinquante de ces Messieurs marchoient devant les autres derriere, & dans le milieu estoient deux Chariots couverts de Tapisseries, sur lesquels on avoit dressé des Tables, garnies tres-proprement de toute sorte de Viandes. Ces deux Chariots estoient suivis de quatre Mulets, portant le Bagage. Vous pouvez croire que les Bouteilles de Vin n'y manquoient pas, pour boire à la santé de la Famille Royale, ce que l'on faisoit de temps en temps. Cette mesme Compagnie, qui estoit du Quartier de la Porte S?. Julien, par où toutes les Charetes des Couziots, Païsans des Landes, entrent dans la Ville tous les Vendredis & Samedis, quelquefois au nombre de quatre cens, avoit eu soin les deux derniers jours d'arrester tous les Bouviers en entrant & en sortant, pour les faire boire à la santé du Roy, & du nouveau Prince, afin qu'ils portassent dans leurs Landes la joye que cette heureuse Naissance inspiroit partout. Le soir ils allumerent un Feu dans la Place des Augustins, tirerent des Boëtes & des Petards, tandis que ces Peres firent la Procession chacun un Cierge à la main, & qu'ils chanterent leTe Deum. Vous avez impatience sans doute d'apprendre ce que firent les Minimes vos Directeurs. Un grand Bucher estoit dressé dans leur Court, où s'estant rendus en Chapes, le Supérieur y mit le feu, & au son des Cloches ils chanterent leTe Deum & l'Exaudiat. Toutes les Fenestres des deux Dortoirs qui regardent sur la Ville, & l'entrée de leur Court, estoient éclairées. Si-tost qu'ils furent rentrez, on entendit de quatre divers endroits de leur Convent, une afreable décharge de Mousqueterie, mais avec un si bel ordre, que l'on ne tiroit jamais deux coups de suite dans le mesme lieu. Pour mieux observer cet ordre, ils avoient fait comme quatre Bateries. La principale estoit au haut de l'Eglise, les deux autres dans les Dortoirs, & la quatriéme aux Fenestres de leur Biblioteque. Les Carmes allumerent aussi un Feu devant leur Convent, mirent des Lumieres à leur Clocher, & firent la Procession, tandis que ceux qui demeurent sur le Fossé des Taneurs soupoient dehors à une Table commune, & donnoient à boire & à manger à tous deux qui s'approchoient. Enfin, Madame, dans tous les Convents on a fait des Prieres pour le Roy & pour la Maison Royale. Les Ecoliers mesme des Jesuites avancerent leurs Affiches, & tous leurs Ouvrages furent à l'honneur du Roy, de Monseigneur le Dauphin, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Ce mesme jour, Mrs les Jurats firent éclater leur magnificence. Depuis le matin jusques au soir, on n'entendit à l'Hostel de la Ville que fanfares de Trompetes, de Hautbois, & de Violons. Ils donnerent le Bal aux Dames. Mr de Ris y estoit. La Compagnie fut reçeuë dans une Salle tres-belle & tres-grande, tenduë d'une riche Tapisserie, & ornée de quantité de Plaques d'argent, de Lustres de cristal, & de vermeil doré. Les Lumieres qui estoient en tres-grand nombre, firent paroistre les Dames avec un éclat extraordinaire ; & les mesmes Personnes qui s'estoient fait remarquer chez Mr de Ris, se distinguerent encor à l'Hostel de Ville. Mr Jegun commença le Bal avec Madame l'Intendante. Il dura pres de quatre heures, apres quoy Mrs les Jurats firent passer tout ce beau monde dans une autre grande Salle tapissée, & éclairée de la mesme sorte que celle où l'on venoit de dancer. J'y vis, Madame, une Table de quatre vingt Couverts, sur laquelle on servit un Ambigu de toute sorte de Viandes exquises, de Fruits, & de Confitures. C'estoit quelque chose de magnifique, mais je n'admiray pas tant la magnificence que l'ordre de ce Repas. Les Dames seules estoient assises à table, & la discretion des Cavaliers fut si grande, que vous-mesme, Madame, qui estes tres-délicate sur ce Chapitre, vous auriez esté charmée de leur respect. Les Santez du Roy, de Monseigneur le Dauphin, & de Monseigneur le Duc de Bourgogne, furent beuës avec beaucoup de solemnité ; & les Trompetes, les Hautbois, & les Violons, joüerent dans tout le temps du Repas. Lors qu'il fut finy, on se plaça aux Fenestres pour voir tirer le Feu d'artifice, qui eut tout le succés qu'on en attendoit. On l'avoit dressé à un coin du College des Jesuites, & vis-à-vis d'une grande Machine quarrée de trente pieds de hauteur, placée à l'autre coin du mesme College. Cette Machine avoit deux grands Portiques, arvores des Armes de France, de Baviere, & de l'Hostel de Ville. Au dessus de ces Portiques estoient deux Croissans qui représentoient le Port de Bordeaux. Dans le haut de la Machine, on découvroit la Riviere de Garonne, couverte de Vaisseaux & de Dauphins, qui dans un mouvement continuel, à la lueur d'un nombre incroyable de Lumieres, faisoient un effet tres-surprenant. Il y avoit dans le bas quatre Fontaines de Vin, deux de blanc, & deux de rouge, que quatre Dauphins, qui sembloient sortir du fond de cette Riviere, jettoient par cinq tuyaux dans quatre Bassins, où tout le monde puisoit dans distinction. Le Feu d'artifice représentoit la mesme chose, & l'on avoit placé l'un & l'autre avec tant de justesse, que quand la grande Machine fut illuminée, & qu'on fit joüer le Feu, la Court du College parut comme un enfoncement reculé, au fond duquel on voyoit une tres-belle Perspéctive d'un Feu tout diférent, par le soin que les Jesuites avoient pris, de faire briller diversement les Lumieres qu'ils avoient placées en tres-grand nombre sur toutes les Fenestres qui regardent cette Court.

Mrs les Jurats, qui avoient commencé le Jeudy 20. par le Feu de joye, avoient prétendu finir le Dimanche 23. par celuy d'artifice ; mais Mrs les Juge & Consuls, & les Bourgeois qui ont passé dans les Charges qui composent le Corps de la Bource, aussi bien que les Bourgeois Marchands des Chartrons, les prierent d'agréer qu'ils fissent leurs Réjoüissances particulieres. Ainsi ils prolongerent leur Ordonnance, de deux autres jours, & Bordeaux chomma la Feste de S. Loüis, quoy qu'elle ne soit point de commandement dans le Diocese. Le Lundy 24. ayant donc esté donné aux Marchands des Chartrons, pour faire leur Feste, ils la commencerent dés le matin par plusieurs décharges de Canon. Mrs Renut, Delbreil, Ras, Bongard, & Boët, tenoient table ouverte, & devant cette belle Maison qu'on bâtissoit lors que vous estiez icy, ils avoient fait faire une Fontaine de Vin de Grave, qui sortoit de dessous terre par deux gros tuyaux. [...] Les Flamands & les Anglois, & quantité d'autres Etrangers, firent honneur à cette Fontaine, & luy tinrent compagnie depuis le matin jusques au soir. Ce fut une assez plaisante chose. Au commencement chaque Nation dançoit à sa mode, & entonnoit des Chansons que peu de Personnes entendoient. La fin en estoit toûjours un Vive le Roy de France, qui prononcé en plusieurs sortes de Langues, & articulé avec des accens diférens, faisoit un Concert des plus extraordinaires. [...] Le soir les divertissemens parurent dans tout leur éclat. Ces Messieurs firent des Illuminations beaucoup plus grandes que celles du Samedy. On avoit dressé des Tables tout le long de leurs Maisons, c'est à dire de la longueur de plus d'un quart de lieuë, & sur les neuf heures ils se mirent tous à table avec leurs Amis, Femmes & Enfans, & souperent au son des Violons & des Hautbois, tandis qu?on fit huit décharges de quatre-vingt Pieces de Canon, que l'on avoit divisées en quatre Bateries, qui se répondoient successivement. [...] Apres soupé, il y eut Bal en divers endroits, des Hautbois & des Violons par tout, & toute la nuit se passa de cette sorte.

Dés ce soir 24. le Corps de la Bource commença sa Feste par le bruit des Fifres, des Tambours & des Trompetes, qui se firent entendre à la Place du Change & dans tous les Lieux voisins. Mr de Lamarque, qui en est Juge cette année, donna le Bal aux Dames Bourgeoises, & une magnifique Collation, apres laquelle il fit allumer un Feu de joye devant sa Maison. [...]

Le Mardy 25. Feste de Saint Loüis, qui estoit le jour choisy pour la Réjoüissance du Corps de la Bourgoisie dans l'Hostel de la Bource, Mrs les Juge & Consuls en charge, avec tous les anciens Juge & Consuls, tous en Robe, & les Conseillers en Manteau, se rendirent sur les neuf heures dans leur Chapelle, où la Messe fut celebrée par Mr le Curé de S. Pierre, pendant qu'une excellente Musique chanta diférens Motets. Apres la Messe, la mesme Musique chanta leTe Deum & l'Exaudiat, & en suite quarante Canons se firent entendre. [...] Afin qu'il n'y eust personne qui ne ressentist la joye publique, ces Messieurs firent régaler pendant tout ce jour, tous les Prisonniers qui se trouverent dans les Prisons du Palais. Vous avez veu la Bource, Madame, & vous avez pû y remarquer une grande Place au bas, qu'on nomme effectivement la Place, à cause que c'est l'endroit où tous les Marchands s'assemblent. Je ne sçay si vous avez pris garde qu'il y a autour de cette Place quatre Allées bien voûtées, & pavées de grands Carreaux de marbre. Ces Messieurs firent faire de ces Allées quatre Places, qui furent meublées de Tapisseries & de Fauteüils. On y entroit par la Porte qui regarde la Place du Palais. Aux costez de cette Porte estoient deux Forests sombres, d'où deux Fontaines de Vin sortoient. Les Hautbois & les Violons furent placez de telle maniere, qu'on pouvoit dancer tout-à la-fois en quatre lieux diférens. C'est ce qu'on fit pendant tout le jour ; mais le soir, Mrs de la Bource donnerent le Bal en forme aux Dames Bourgeoises. Plusieurs Personnes de qualité s'y trouverent, & j'y vis Mr l'Intendant & Me l'Intendante. [...] Apres que l'on eut dancé pendant quatre heures, on pria la Compagnie de vouloir monter en haut. Il y avoit deux Tables de quarante Couverts chacune, dressées dans la Salle de l'Audience, & deux semblables dans la Salle des Parties. On servit sur toutes les quatre une magnifique Collation, mêlée de Viande, de Fruit, & de Confitures. La Façade de la Bource qui regarde la Riviere, estoit remplie de Lumieres jusques sur le toit, & l'on avoit ajoûté à la Galerie qui regne le long de cette Façade, une espece d'Amphitheatre, afin d'y pouvoir placer la Compagnie, pour voir le Feu d'artifice dressé sur le Quay Bourgeois, & celuy qui estoit sur deux grands Bateaux au milieu de la Riviere. Mr & Madame de Ris, Mrs les Jurats, & toutes les Dames qui avoient esté priées à cette Feste, estant montez apres la Collation dans les Places qu'on leur avoit préparées, furent agreablement surpris de voir la Riviere toute couverte de Bateaux bordez de Lumieres, avec des Fares ou Fanaux de diférentes couleurs. Les Trompetes ayant donné le signal, on commença au bruit des Tambours & des Fifres, la décharge de trente Boëtes, d'autant de Canons qui estoient sur le Port, de ceux des Vaisseaux, & d'un tres-grand nombre de Petards, qui faisant l'effet de la Mousqueterie, formoient une Attaque réguliere d'un Fort, dressé sur le Quay avec son Donjon carré. [...] On fit trois Attaques. A la derniere, tout le Feu fut allumé, & ce fut un éclat terrible, comme si le Canon de dehors eust donné dans le Magazin des Poudres du Fort. Alors les Tambours & les Trompetes redoublerent leurs fanfares, & en mesme temps on vit sortir du milieu de la Riviere quantité de Fusées volantes, pour servir de Prélude au feu qui fut mis par la derniere à celuy qui estoit dressé sur les deux Bateaux dont j'ay parlé. Il fut d'une beauté surprenante. L'invention en estoit deuë à Mr Sage. Cent petits Brigantins couverts de tous costez de Lumieres, vinrent faire autour de ce Feu plusieurs décharges de Canon & de Mousqueterie, pendant que d'autres voguoient au bord de la Riviere pour faire entendre, les uns de doux Concerts de Musique, & les autres des Trompetes, des Hautbois, des Violons, des Flûtes douces ; enfin, Madame, toute sorte d'Instrumens, qui faisoient une Simphonie toute charmante. [...]

LE MEDECIN BLAYOIS B.D.

 

Je croy, Madame, que vous tomberez d'accord qu'il n'y a rien de plus singulier que cette Relation. Sa longueur est cause que je tâcheray de retrancher les circonstances qui n'auront rien de particulier dans les Festes des autres Villes.

[Réjouissances à Rennes, Nantes et Brest pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 64-66.

 

Celles de Rennes en Bretagne ont paru avec grand éclat par la présence de Mr le Duc de Chaunes, Gouverneur de la Province. Apres qu'on y eut chanté le Te Deum avec beaucoup de solemnité, il alluma un grand Feu qui avoit esté préparé dans la Place, & le soir il en fit joüer un d'artifice qui attira l'admiration d'un nombre infiny de Spéctateurs. On l'avoit dressé dans un Pré qui est entre le Cours & le Rampart de la Ville. Toutes les Maisons furent illuminées pendant trois jours, & plusieurs Fontaines de Vin coulerent en divers endroits par les ordres de ce Duc. Toutes les Personnes de qualité, & les Bourgeois mesmes, marquerent leur joye par des Tables servies dans les Ruës. Nantes & Brest en ont donné de semblables témoignages, & surtout cette derniere, par le grand feu des Canons de terre & des Vaisseaux.[...]

[Réjouissances à Vannes pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 68, 74-81..

 

Mr l'Evesque de Vannes fit chanter le Te Deum dans sa Cathédrale le 13. de l'autre mois, en présence du Parlement de Bretagne, & de tous les autres Corps de la Ville. On fit de grandes distributions de Pain & de Vin, sur tout à la Porte de Mr le Premier Président, qui fit paroistre son zele avec tout l'éclat possible. [...]

Je passe à la Cerémonie qui s'est faite en ce lieu là pour le Voyage de Madame la Dauphine. Mr l'Evesque de Vannes estant arrivé sur les dix heures au Convent des Carmes de Sainte Anne, la Procession commença une heure apres par la marche de quarante Religieux dans le Cloistre de ces Peres. Ils estoient suivis du Clergé des Paroisses convoquées, & de quantité d'autres Ecclesiastiques. Ce Prélat fermoit la marche assisté des Chanoines & des Dignitez de sa Cathédrale. Il s'arresta à la Porte de l'Eglise pendant que les Religieux s'avancerent jusqu'au grand Portail du Cloistre fait pour les Pelerins, nommé Scala Sancta, parce qu'il est basty sur le modele de celuy de Rome. Ce Portail estoit orné de Festons, Pantes, & Girandoles de Laurier, avec des Couronnes du mesme Laurier sur les Armes de Leurs Majestez, Monseigneur le Dauphin, & de Madame la Dauphine. A l'entrée de ce grand Portail, les Religieux rencontrerent la Bourgeoisie d'Avray sous les armes. Elle étoit divisée en quatre Compagnies par les ordres du Syndic & des Echevins de la Ville, & précedoit les Juges Magistrats de la Juridiction Royale en Robes de Cerémonie. Les Officiers qui conduisoient cette Milice l'ayant rangée en deux hayes, le Pere Prieur des Carmes de Sainte Anne, accompagné des Prieurs des Carmes de Ploermel, de Hennebone, & du Bondon-lez-Vannes, vint complimenter Madame de la Bedoyere sur le Voeu qu'elle venoit rendre au nom de Madame la Dauphine, & luy dit en finissant, Que ne manquant plus à toutes les merveilleuses qualitez du meilleur & du plus grand Roy du monde, que celle de Grand-Pere; Sainte Anne, Ayeule du Roy des Roys, la luy avoit obtenuë, & la luy conserveroit pendant de longues années. Apres cela les Religieux reprirent leur marche vers l'Eglise, dont le Frontispice estoit de deux grands Corps d'Architecture, qui tenoient toute la hauteur & la largeur de la face de ce Temple. Au milieu paroissoit une riche figure de Sainte Anne en relief : Les mesmes Armes du portail du Cloistre y estoient entre-mêlées avec divers Chifres, Emblémes, Devises & autres ornemens à l'honneur du Roy, de Monseigneur le Dauphin & de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Madame de la Bedoyere, précedée par plusieurs Concerts de Voix & d'Instrumens, arriva à cette entrée, où s'estant mise à genoux sur un Carreau préparé, elle présenta la Lampe à Mr l'Evesque de Vannes. Si-tost que ce Prélat l'eut reçeuë, il commença le Te Deum, & ensuite celebra la Messe avec ses Habits Pontificaux. Elle fut réponduë par la Symphonie, & par le Clergé Séculier & Régulier. La Messe estant achevée, Mr l'Evesque précedé du mesme Clergé, & suivy des Juges & Magistrats d'Avray, vint où l'on avoit dressé un grand Feu, & il l'alluma au son des Cloches, des Timbales, des Trompettes & des Tambours. Il se fit plusieurs décharges de Canons, de Boëtes, & de la Mousqueterie de la Milice d'Avray, parmy les cris de Vive le Roy, qui retentissoient de tous costez par le concours de plus de vingt mille Personnes qui s'étoient renduës à cette cerémonie. La Tour de l'Eglise qui est fort haute, parut le soir toute en feu, & on tira un grand nombre de Fusées & de toute sorte d'Artifices.

Comme tout ce qui se fait présentement est à la loüange de Monseigneur le Duc de Bourgogne, les Musiciens n´ont pas manqué de mettre en air des Paroles sur cet auguste sujet. En voicy que je vous envoye notées. Elles sont de Mr Daubaine.

AIR NOUVEAU.Avis pour placer les Figures : l’Air qui commence par Favoris d'Apollon, doit regarder la page 82.

Favoris d'Apollon, Messieurs les beaux Esprits,
Par vos sçavans Ecrits
Celébrez l'heureuse Naissance
Du Prince, dont les Cieux font présent à la France.
Bacchus est ma Divinité.
Je remplis une place
A la Table mieux qu'au Parnasse,
Mon partage sera de boire à sa santé.
images/1682-09b_068.JPG

[Vers sur l’illumination des galeries du Louvre.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 82-86.

Cette Naissance a donné lieu à ces autres Vers, dont vous trouverez le tour aisé. Ils sont faits sur l’Illumination des Galeries du Louvre, & le Feu tiré sur l’eau le jour de la Feste de S. Loüis.

Des que le Soleil fut sous l’onde,
La premiere Ville du monde
Vn appareistre en un instant
Un Palais d’un or éclatant,
Tel qu’est le Temple de la Gloire
Peint par les Pilles de mémoire,
Ou dans son pompeux appareil,
Le riche Palais du Soleil.
Une Architecture excellente,
Toute lumineuse & brillante,
Ravissoit par sa nouveauté,
Aussibien que par sa beauté.
La Nuit ostant ses sombres voiles,
Montra des millions d’Etoiles,
Qui n’estoient point du Firmament,
Et tout parut enchantement.
Tous les Elémens sont en guerre,
Le Feu sort de l’Eau sur la Terre,
L’Air retentit de toutes parts.
La Paix craignit que ce fust Mars,
Ou que Jupiter en colere
Vinst foudroyer nostre Hémisphere,
Mais des Dauphins brûlans nageoient,
Et d’autres en l’air voltigeoient,
Qui disoient, ce n’est que la joye
D’un Duc que le Ciel nous envoye,
Duc par tant de vœux souhaité,
Duc qui vaut une Majesté.
 Un Cahos d’ombre & de lumiere
Refléchissoit sur la Riviere,
Couverte de mille Bateaux,
Mais qui n’osoient troubler ses eaux,
De peur d’effacer les Images
Qu’envoyoient tous ces beaux Rivages.
Des Jets de feu frapant les Cieux,
Surprenoient, & charmoient les yeux.
En cent figures diférentes,
De longues flâmes ondoyantes,
Tantost calmes, tantost bruyantes,
Se mestoient au doux son des voix
Des Trompetes & des Hautbois,
Lors que la Nymphe de la Seine
Empruntant une voix humaine,
Prononça clairement ces mots,
Que repéterent les Echos.
Nouveau Prince, dont l’origine
Toute grande, toute divine,
Vous montre tant & tant de Roys
Dignes du Sceptre des François,
Plusieurs Loüis, un Charlemagne,
Un Henry, terreur de l’Espagne,
Vainqueur de ses propres Sujets,
Qui m’enrichit de ses bienfaits,
Vous sçaurez bientost leur Histoire ;
Mais pour aller droit à la gloire,
Croyez-moy, tous ces Roys si grands,
Justes, pieux, ou conquérans,
Leur bonté comme leur puissance,
Leur valeur, comme leur prudence,
Enfin tous leurs Faits inoüis,
Vous les trouverez en LOUIS.
Cessez, heureux Mortels, d’admirer ces Spéctacles,
L’Etoile de LOUIS fait bien d’autres miracles.

[Impromptu.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 86-87.

 

L’Inpromptu qui suit a esté fait par M l’Abbé Testu dans un Repas que donna Madame la Duchesse de Richelieu.

Du Fils, du Pere, & du Grand-Pere,
Celébrans le bonheur en ce Banquet fameux.
Que le Grand-Pere est grand ! que le Fils est heureux !
Du Petit-Fils il n’est rien qu’un n’espere.
Il aura les vertus & l’esprit de sa Mere.
 Qu’il étonnera nos Neveux,
S’il peut encor trouver des Conquestes à faire !

 

L’Autheur de la Réponse à cet Inpromptu, n’a voulu marquer son nom que par ces trois lettres, M.D.S.

Madrigal sur celui de Mr l’Abbé de Testu §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 87-88.

MADRIGAL
Sur celuy de Mr l’Abbé Testu.

Il faut une adresse divine
Pour loüer en un Madrigal,
 LOUIS, qui n’eut jamais d’égal,
Les deux jeunes Héros avec une Héroine.
Tant de matiere & tant de choix
En sept Vers tout d’une tirade,
C’est mettre plus que l’Iliade
Dans une Coquille de Noix.

[Aventure.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 88-125.

 

Si le plaisir de s’estre vangé fait oublier beaucoup de malheurs, ils sont bien sensibles, quand on s’y expose volontairement, sans qu’on en tire aucun fruit. Jugez par là de ce que soufre la Dame dont vous allez voir l’Avanture. Elle est écrite par une Personne qui connoist les Gens intéressez, & qui m’assure qu’elle est veritable dans toutes ses circonstances. Je n’y ay changé, ny ajoûté aucun mot.

Un jeune Marquis fort bien fait, tres-aimable de sa personne, & aussi aimable par les qualitez de son esprit, conçeut de l’amour pour une Brune qui estoit d’un agrément dont on ne se pouvoit aisément défendre. Tout brilloit en elle. Ses moindres actions avoient un charme particulier. C’estoient les manieres du monde les plus engageantes, & les plus honnestes. En voila beaucoup, aussi son mérite n’alloit point plus loin. Elle avoit dans le fond de l’esprit, je-ne-sçay-quoy d’aigre & de rude, qui ne se découvroit qu’à la longue, & que sa douceur apparente déguisoit assez bien. Sur tout, elle avoit les passions d’une vivacité extraordinaire, & dés que son cœur estoit émû, elle estoit sujette à ne sçavoir pas trop bien ce qu’elle faisoit. Le Marquis crut d’abord avoir trouvé dans la belle Brune une Personne accomplie. Jamais passion ne commença avec plus d’ardeur que la sienne. Il eust juré qu’il estoit amoureux pour le reste de sa vie. D’autre costé, la Demoiselle ne fut pas tout-à-fait insensible aux soins, & aux assiduitez du Marquis. Je parle selon ce qui paroissoit, car au fond, la verité est qu’elle vint à l’aimer autant qu’elle en estoit aimée. Il n’estoit plus question que d’ajuster toutes choses pour le Sacrement. Cependant le caractere de la Belle commence à se déclarer peu à peu ; aujourd’huy un petit trait d’aigreur, demain un autre. Elle se ménageoit moins avec le Marquis dont elle se tenoit seûre, & elle avoit l’imprudence d’estre quelquefois assez naturelle. Ce n’estoit plus aux yeux du Marquis cette Fille si parfaite, dont il avoit esté charmé, l’illusion se dissipoit de jour en jour. Ce qu’il découvroit en approfondissant, le desabusoit de ce qui luy avoit d’abord sauté aux yeux. Sa passion estoit déja bien ébranlée dans son cœur, & il estoit tout disposé à un changement, lors qu’une nouvelle rencontre acheva de l’y déterminer tout-à-fait. Cette Demoiselle avoit une Amie, qui vint alors à Paris avec son Pere. C’estoit un Comte fort connu par l’ancienneté de sa Maison, par ses Biens, & mesme par la figure qu’il avoit faite autrefois à l’Armée. Il estoit veus, assez âgé, mais encor galant, & Homme du monde. Sa Fille n’estoit point encor venuë à Paris, & la premiere Personne qu’elle y vit, fut la belle Brune. Le Marquis la trouva chez sa Maîtresse dés la seconde visite qu’elle luy rendit, & se sentit déja beaucoup de panchant pour elle. Dans la situation où estoit son cœur, c’estoit justement ce qu’il luy falloit ; car rien n’estoit plus contraire au caractere de la belle Brune que celuy de la Fille du Comte. Cette derniere avoit un air tranquille, accompagné de beaucoup de douceur. Ce qu’elle disoit estoit rarement brillant, mais toûjours raisonnable. On voyoit bien que ce qu’elle avoit d’honnesteté & d’engageant, n’estoit point pris dans l’usage du monde, mais dans un heureux naturel. Elle paroissoit sensible, & tendre, sans paroistre vive. Du reste elle avoit plus de beauté qu’il n’en faut pour ne passer que pour agreable, & elle estoit trop agreable pour ne passer que pour belle. La premiere fois que le Marquis la vit, il en fut fort touché, & luy tint compte de ce qu’elle n’avoit pas les bonnes qualitez de la belle Brune, c’est à dire, ce feu, & ce brillant de conversation ; car il crut par là, qu’elle n’auroit pas non plus ce que son Amie avoit de mauvais. Ils ne se furent pas veus une seconde fois chez la belle Brune, que cette Fille éclairée par sa passion, ne s’apperçeut bien de ce qui se passoit dans le cœur du Marquis. Elle luy en fit des reproches d’un certain ait, qui eust pû achever de le gagner à la Fille du Comte, si la chose n’eust pas esté déja faite. Le Marquis commençoit d’aller de son chef chez cette aimable Personne. Il s’estoit mis mesme assez bien avec le vieux Conte, & n’avoit pas lieu de désesperer qu’il n’en pust faire autant avec la Fille. Il n’est pas aisé de s’imaginer combien la belle Brune prit de haine pour son Amie, & pour le Marquis, mais sur tout pour son Amie. L’assiduité des visites du Marquis estoit fort diminuée, mais l’air dont il avoit coûtume de les rendre, estoit tout-à-fait passé. En récompense, (mais quelle triste récompense !) le Comte alloit souvent chez la belle Brune. Il luy débitoit de certaines douceurs de Vieillard, ausquelles elle ne répondoit pas avec grande application. Cependant il se fit une affaire sérieuse de ce qui n’en estoit pas une d’abord. Le Bon-Homme prit feu. Il conçeut le dessein de plaire, & commença à mentir sur son âge. La belle Brune comprit bien de quel usage luy pouvoit estre la passion du Comte pour elle. Aussi dés qu’elle s’en apperçeut, elle ne la négligea pas ; au contraire, elle s’étudia à se rendre de plus en plus maistresse de l’esprit de ce nouvel Amant. Il poussa sa folie jusqu’à songer au Mariage, & jusqu’à en parler à la belle Brune. Elle reçeut la proposition d’une maniere à faire croire qu’elle se pourroit rendre, & le Comte fut plus enflâmé que jamais. Le dessein de cette adroite Personne, estoit de tâcher à rengager le Marquis, & à l’arracher à sa nouvelle inclination ; mais si elle n’en pouvoit venir à bout, elle estoit résoluë à se sacrifier pour se vanger de sa Rivale ; à épouser le Comte, pour estre Belle-Mere de sa Fille, & rompre entierement le commerce qu’elle avoit avec le Marquis. Justement dans ce temps-là, le Marquis se trouva assez avancé aupres de la Belle qu’il aimoit, pour la pouvoir demander à son Pere. Le Comte avoit assez de panchant à faire ce Mariage ; mais la belle Brune fut consultée, & elle ne manqua pas de s’y opposer. Il est vray qu’elle le fit d’une maniere si fine, que le Comte ne démêla pas le veritable motif qui l’y obligeoit. Les mauvais offices qu’elle rendit au Marquis, l’éloignerent d’elle encor davantage. Il devint plus impossible que jamais qu’elle se ressaisist de son cœur. Quand elle fut une fois bien persuadée qu’elle avoit perdu le Marquis sans ressource, elle ne pensa plus qu’à sa vangeance, & elle fut mesme obligée d’y penser promptement, parce qu’elle voyoit le Comte fort disposé à donner sa Fille au Marquis, & qu’elle ne se pouvoit pas répondre de rompre toûjours ce coup, à moins que d’estre Femme du Comte. Elle prit donc un party si triste pour elle-mesme, & se fit autant de mal qu’à ceux dont elle se vouloit vanger. Cependant les maux qu’elle souffrit, ne les consolerent point des leurs. Ils les sentirent dans toute leur étenduë. Le premier effet du mariage de la belle Brune, fut un ordre que donna le Comte à sa Fille de ne plus voir le Marquis La nouvelle Comtesse prit le soin de faire executer cet ordre ponctuellement, & elle veilla sur cette aimable Personne avec tant d’exactitude, que la feuë Comtesse, quelque sévere qu’elle eust pû estre, eust esté assurément contente de la conduite vertueuse & reglée qu’on faisoit tenir à sa Fille. Le Marquis & la Maîtresse passoient d’assez mauvaises journées. Ils ne pouvoient ny se voir, ny avoir des nouvelles l’un de l’autre. La jeune Comtesse y donnoit bon ordre ; mais enfin elle avoit à faire à deux Amans, & deux Amans sont toûjours plus habiles que tout le reste du monde. Il sortit de chez le Comte une Demoiselle, à qui on proposa ailleurs une meilleure condition. Le Marquis ne perdit pas une occasion qui s’offroit si heureusement. Il fit si bien qu’une autre Demoiselle qui estoit toute à luy, entra à la place de celle qui estoit sortie. On ne sçeut point qu’elle eust aucune liaison avec le Marquis. Elle se garda bien de prononcer jamais son nom ; sur tout, elle marqua pour la Fille du Comte, autant d’aversion qu’elle pouvoit en marquer avec le respect qu’elle luy devoit, & il n’en fallut pas davantage pour la mettre fort bien en peu de temps aupres de sa Maîtresse. Voila donc déja un commerce de Lettres étably entre le Marquis & la Belle, par le moyen de cette Fille. C’estoit un grand point dans l’état où ils se trouvoient ; mais le Marquis poussa encor plus loin ses espérances, & il crut avoir imaginé un stratagême qui le conduiroit à épouser sa Maîtresse, malgré l’obstacle de la Belle-Mere. Il fit en sorte qu’il rencontra la jeune Comtesse dans une Maison où elle alloit souvent. Il prit devant elle un air fort abatu. Il eut toûjours les yeux attachez sur elle. Il luy envoya des regards pleins de tendresse & de douleur, & mesme soûpira deux ou trois fois assez à propos pour n’estre entendu que d’elle. La jeune Comtesse fit réfléxion sur tout cela, & n’y comprit rien. Elle le rencontre encor une fois. Ce furent les mesmes regards, les mesmes soûpirs, le mesme air. Il sortit presque aussi-tost qu’elle, & la réjoignant sur l’Escalier, il luy dit assez bas ; Madame, vous voyez un Malheureux, à qui il ne reste dans sa vie, que le triste plaisir de vous voir quelquefois un moment au milieu de vingt Personnes. Encor, à en juger par vos autres actions, je doute que vous m’en laissiez joüir longtemps. Il la quitta, en disant ces mots, sans attendre sa réponse, & la mit dans un embarras inconcevable. Quel procedé, quels discours estoient-ce-là, pour un Homme qui luy avoit fait une infidelité signalée, & à qui en suite elle avoit donné de grands sujets de la haïr ! Elle alla conter a sa Demoiselle, qui estoit devenuë sa Confidente, tout ce qui s’estoit passé entre le Marquis & elle, depuis le commencement, jusqu’à la rencontre sur l’Escalier, & luy demanda ce qu’elle pensoit d’une Avanture si peu ordinaire. Madame, luy répondit la Confidente, qui sçavoit bien ce qu’elle avoit à dire ; puis que vous voulez que je vous parle avec liberté, il faut que cet Homme-là vous aime. M’aimer ! s’écria la Comtesse, & il m’a quittée pour une autre, & je ne me suis mariée que pour m’en vanger ! Il n’importe, repliqua la Demoiselle, il vous aime, j’en voy des marques trop seûres. Il y a eu sans-doute quelque malentendu entre vous. Si j’étois en vostre place, je voudrois m’en éclaircir, & voir le Marquis. L’espérance, & le conseil que l’on donnoit à la Dame, la flatoient assez ; mais où voir le Marquis ? Elle luy avoit elle-mesme fait défendre l’entrée de sa Maison. Le Marquis, instruit par la Demoiselle de tout ce qui se passoit, se trouva un jour avec un de ses Amis aux Tuilleries, où il sçavoit que devoit aller la Comtesse, avec une autre Dame seulement. Il avoit prié son Amy de le servir, dans le dessein qu’il avoit de se promener quelque temps teste à teste avec la Comtesse. Elle arrive, & apperçoit le Marquis Il luy fait une profonde revérence d’un air fort mélancolique, & passe comme s’il n’eust osé parler à elle par respect. Comme elle mouroit d’envie de l’entretenir, elle le suivit d’Allée en Allée ; & le Marquis qui s’en appercevoit bien, se laissa enfin atteindre. Dés qu’elle fut proche de luy, elle laissa tomber à la fois son Eventail, une Canne, & un Gand, afin que de tout ce débris-là, il ne pust pas manquer d’en ramasser quelque chose, & qu’il eust de là occasion de luy parler. Le Marquis fit la galanterie avec beaucoup de promptitude, & la conversation commença à se lier entre les deux Dames, & les deux Cavaliers. Insensiblement on se sépara un peu. Le Marquis demeura avec la Comtesse. Ils ne furent pas longtemps à amener la matiere qu’ils vouloient traiter tous deux. Le Marquis se plaignit le plus tendrement du monde, de la haine qu’elle luy avoit marquée, en luy préferant un Rival, qui ne devoit pas avoir beaucoup de charmes pour elle. Elle ne manqua pas de répondre, qu’elle estoit fort surprise qu’il se plaignit des cruautez d’une autre que de sa Belle-Fille. Là-dessus le Marquis commença à luy dire, qu’il n’avoit jamais aimé la Personne qu’elle luy nommoit ; que son cœur n’avoit jamais renoncé à son premier attachement ; & que tout malheureux, tout privé d’espérance qu’il estoit, il n’y renonçoit pas encor. Quoy, luy dit la Comtesse, & que vouloient donc dire vos soins pour une Rivale ? Que vouloit dire le mépris que vous me fistes paroistre ? Ah ! luy répondit-il, que vous penétrastes mal dans un cœur qui estoit tout-à-vous ! Je voulus voir si un peu de jalousie n’exciteroit point dans vostre ame des sentimens de tendresse, que je n’avois encor pû surprendre ; mais l’artifice dont je me servis, ne fit que me convaincre de vostre indiférence. Vous me parustes ravie d’estre défaite de moy, pour ne plus songer qu’au Comte, qui pouvoit vous donner un rang plus élevé. La Comtesse l’écoutoit avec beaucoup d’étonnement, & de trouble. Elle luy fit des difficultez tres-solides, & tres-bien fondées, mais enfin il se tira de tout, & luy prouva qu’il l’avoit toûjours aimée, & qu’elle avoit eu grand tort de se marier. Jamais Comédien ne s’acquita mieux d’un rôle. Il luy dit des choses à luy fendre le cœur de pitié. La pauvre Comtesse demeura toute confonduë, & si elle eut un peu de joye de croire que le Marquis ne l’avoit point trahie, elle l’acheta bien cher, par le désespoir où elle fut de se trouver mariée mal à propos. Ils convinrent qu’il la verroit chez elle, mais qu’il prendroit son temps que le Comte n’y seroit pas, & que l’on cacheroit aussi l’intrigue à la Belle-Fille. Il estoit assez difficile qu’elle subsistât longtemps avec ces incommoditez ; mais c’estoit justement ce que le Marquis demandoit ; & pour la Comtesse, elle ne pouvoit se prendre qu’à elle mesme de la peine qu’elle avoit à voir son Amant prétendu. Dés qu’elle fut retournée chez elle, elle pleura abondamment. Elle estoit déja assez punie, car le Marquis luy avoit osté par là jusqu’au plaisir de croire qu’elle s’estoit vangée ; mais ses desseins ne se bornoient pas à si peu de chose. Il la vit deux ou trois fois assez secretement ; mais comme ce n’estoit pas son intention que ses visites fussent si secretes, le Comte en eut quelque vent. Aussi-tost tous les soupçons que peut former un Mary âgé, luy monterent à la teste. Il s’emporta contre sa Femme, & luy défendit absolument de revoir le Marquis. De telles défenses sont toûjours mal observées. Le moyen que la Comtesse eust pû se résoudre à se priver de la veuë d’un Amant qu’elle croyoit si fidelle ? Il revint la voir, un jour que la Demoiselle de la Comtesse avoit fait esperer au Marquis qu’il pourroit estre surpris par le Mary, ainsi qu’il le souhaitoit. Les mesures avoient esté prises juste. La Comtesse & le Marquis estoient ensemble, lors qu’on leur vint annoncer l’arrivée du Comte. Elle cria qu’elle estoit perduë. Le Marquis luy dit qu’elle ne s’étonnast point, & qu’il ne désespéroit pas de la tirer d’affaire. Le Mary entre dans la Chambre, & sans regarder presque le Marquis, demande à sa Femme, si elle avoit oublié sa défense. Le Marquis prend la parole, & dit au Comte, qu’il luy demande pardon de luy avoir donné le moindre chagrin ; que tous les entretiens qu’il avoit eus avec la Comtesse, n’avoient roulé que sur les moyens de luy faire obtenir sa Fille, pour laquelle il conservoit toûjours une extréme passion ; que la Comtesse avoit la bonté de s’intéresser pour luy, & qu’elle luy avoit promis qu’elle vaincroit la répugnance qu’avoit le Comte à l’accepter pour Gendre ; qu’il l’avoit desabusée sur quelques opinions desavantageuses qu’elle avoit conçeuës de luy, & qui l’eussent empeschée de favoriser ses desseins ; qu’enfin ils avoient traité la chose secretement, afin que la Comtesse ne pust pas estre suspecte lors qu’elle parleroit pour luy, & que le Comte n’eust pas lieu de trouver mauvais qu’il ne se fût pas adressé à luy directement. Le Marquis dit tout cela d’une maniere si soûmise, si touchante, & si vive, que le Comte sentit aussitost se réveiller en luy l’ancienne inclination qu’il avoit euë à en faire son Gendre. De plus il avoit envie de croire ce qu’on luy disoit, & il ne demandoit pas mieux que de se persuader que les visites secretes qu’on avoit renduës à sa Femme, n’avoient esté que sur le conte de sa Fille. C’estoit en estre quite à bon marché. Mais la Comtesse estoit dans un embarras inconcevable. Tout ce qu’on avoit allegué pour la justifier, ne luy plaisoit nullement. Elle eust presque autant aimé qu’on eust pris moins de soin de sa gloire. Emportée comme elle estoit, & soupçonnant qu’elle avoit esté joüée, il ne s’en falut rien qu’elle ne desavoüast le Marquis ; mais ce qu’elle eust esté obligée d’avoüer en la place, estoit terrible ; & pour ne pas faire croire qu’elle eust donné des rendez-vous à un Amant, elle fut réduite à en passer par où le Marquis vouloit, & à dire qu’elle n’avoit d’autre intention que de le marier à sa Belle-Fille. Ces paroles luy cousterent beaucoup à prononcer, mais il n’y avoit pas d’autre party à prendre. Enfin ces trois Personnes se séparerent dans des sentimens bien diférens. Le Marquis estoit fort satisfait. Le Comte ne sçavoit pas encor trop bien s’il devoit l’estre, & la Comtesse demeura outrée de douleur. Comme il restoit des scrupules dans l’esprit du Comte, il alla aussi-tost trouver la Demoiselle de sa Femme, qui n’avoit point esté présente à toute cette conversation. Il luy dit, qu’il venoit de surprendre le Marquis avec la Comtesse ; qu’assurément elle sçavoit leur intrigue, & qu’il vouloit qu’elle la luy avoüât. La Demoiselle qui estoit habile, & bien instruite, se mit à soûrire, & répondit froidement, qu’à la verité elle sçavoit toute l’intrigue, mais qu’elle n’estoit pas telle qu’il pensoit ; qu’il ne s’agissoit que de sa Fille. Là dessus, elle luy redit tout ce qu’il avoit déja entendu du Marquis. Il fut ravy de reconnoistre si clairement l’innocence de sa Femme, par une voix qui ne pouvoit estre suspecte. Il ne songea donc plus qu’à faire le Mariage de sa Fille, & du Marquis. La Comtesse qui estoit fortement engagée à ne s’y opposer pas, tomba malade de dépit d’avoir esté trompée, & fut dispensée par là d’estre d’une Feste si triste pour elle. Elle a toûjours son vieil Epoux, & son vieil Epoux ne sert plus à sa vangeance.

[Réjouissances à Montpellier pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 125-130, 134-137.

 

Je vous ay déjà parlé des Réjoüissances de beaucoup de Villes pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. L'heureuse nouvelle, qui en peu de jours en fut par tout, n'eut pas esté plûtost apportée à Montpellier, que Mr de la Gresse Premier Consul de la Ville, donna tous ses soins, pour s'acquiter dignement de ce qui le regardoit. On la fit sçavoir au Peuple par un Cry public, & ce fut par tout une joye inexprimable. On commença aussi-tost d'en donner des marques par un Te Deum, chanté solemnellement dans la Cathédrale. Mr Daguesseau, Intendant de la Province, y assista avec toutes les Compagnies de Justice, & les Consuls de la Ville en Robes de cerémonies. Mr de la Baume, & Mr de Trémoulet, Commandans dans la Ville & Citadelle en l'absence de Mr le Marquis de Castres qui en est le Gouverneur, y assisterent aussi, accompagnez de Mr de Villars, Major de la Citadelle, & de Mr Darnail, Major de la Ville. La Compagnie des Archers du Perroquet, qui est fort nombreuse, se promena avec l'Arc & le Carquois. Ils avoient chacun une Echarpe bleuë, garnie de grandes Dentelles or & argent & ils marchoient précedez de Violons, de Hautbois, & de Trompetes. On ne peut douter qu'une veritable joye ne les animast, puis qu'on vit dans cette Marche des Vieillards âgez de plus de 90. ans, faire avec l'Arc & la Fleche les mesmes fonctions des plus jeunes, sans qu'aucun d'eux eust voulu s'en dispenser. Mr le Marquis de Castres estoit alors à Cazal. Il y apprit qu'il estoit né un Prince à la France, & en mesme temps il écrivit à Madame la Marquise de Castres sa Mere, pour la prier d'avoir soin, qu'on n'oubliast rien dans son Gouvernement & dans ses Terres, de ce qui pouvoit marquer avec grand éclat la joye qu'il sentoit de cette heureuse Naissance. Madame la Marquise de Castres, digne Soeur de Mr le Cardinal de Bonzi, quoy que retenuë à Villeneuve la Cremade, donna ses ordres si justes, qu'on peut dire, que toute absente qu'elle estoit de Montpellier, elle eut plus de part qu'aucun aux Réjoüissances qui s'y firent. En effet, le Dimanche 30. Aoust, jour destiné pour les commencer, dés huit heures du matin, on vit un tres-beau Feu d'artifice dressé d'une maniere toute ingénieuse, devant l'Hôtel de Mr le Gouverneur. [...]

Sur les neuf heures du soir, Mr de la Baume, Lieutenant de Roy, apres avoir assisté au Feu de l'Hôtel de Ville, se mit à la teste des Compagnies des Six Quartiers, avec Mr Darnail, Major, & à la clarté de quantité de Flambeaux, marcha en cet ordre pour se rendre à un Feu dressé, outre celuy d'artifice, devant l'Hôtel de Mr le Marquis de Castres. Il fut reçeu à cinquante pas du Feu par le Capitaine des Gardes de ce Gouverneur, suivy de plusieurs Gardes avec leurs Casaques, & leurs Mousquetons, & par les Violons, Hautbois, & Trompetes, qui à son abord redoublerent leurs Fanfares, & l'accompagnerent jusqu'à ce Feu. Il l'alluma avec un Flambeau de Cire blanche, que l'Exempt des Gardes luy presenta. En mesme temps on fit joüer quantité de Boetes qui avoient esté posées à cent pas de là. Ce grand bruit ayant cessé, on entendit celuy de plusieurs décharges que firent les Gardes, & toute la Mousqueterie des Habitans un nombre de plus de six mille ; apres quoy, on aperçeut un Dragon, qui descendant d'une Tour, mit le feu à l'artifice, & s'en retourna aussi promptement qu'il estoit venu. L'effet en fut admirable, & ce Spéctacle dura environ deux heures. [...]

[Réjouissances à Grenoble pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 142-143, 145-152.

 

Les Réjoüissances qui se sont faites dans le Dauphiné, ont peut estre plus de droit que toutes les autres d'avoir icy un Article à part, puis que le Fils Aîné de France porte le nom de cette Province, depuis la Donation que Humbert en fit à la Couronne environ l'an 1340. Ce Prince joüoit à une Fenestre avec son Fils qui estoit encor Enfant. Il le laissa tomber par malheur, & le déplaisir qu'il eut de sa mort, le poussa à se dépoüiller de la Domination de Daufiné; mais il voulu éterniser le nom de Dauphin, dans la personne des Fils aînez de nos Roys. [...]

Le douziéme du mois d'Aoust, le son des Trompetes & des Tambours, & le carillon des Cloches, annoncerent à la Ville de Grenoble, que Monseigneur le Duc de Bourgogne estoit né. Les Feux qu'on alluma dans toutes les Ruës, & les Lumieres dont les Fenestres furent éclairées, dissiperent les tenebres de la nuit ; mais ces premieres marques d'une joye publique, ne furent que les préludes de ce qui se fit le 16. & le 17. du mesme mois. Le Lundy qui fut le 16. ce ne furent toute la matinée, que pluyes & vents ; mais aussi-tost qu'à deux heures apres midy les Crieurs publics eurent averty le Peuple, que le lendemain on solemniseroit cette heureuse Naissance, & que toute la Milice eust à se préparer pour paroistre en armes, les orages cesserent, & le plus beau temps du monde leur succeda. Aussi les Consuls en voulurent profiter ; & à leur sollicitation, cette mesme Milice qui n'estoit ordonnée que pour le lendemain, alla trouver Mr le Premier Président, qui commande en Dauphiné en l'absence de Mr le Maréchal Duc de la Feüillade Gouverneur, & de Mr le Comte Tallard Lieutenant de Roy, & obtint de luy la permission de prendre les armes dés ce jour. Jamais en si peu de temps on ne vit tant de monde armé. Les Compagnies se rangerent à leurs Postes en bon ordre, & se rendirent le soir sur le Pont de pierre, qui est à un bout de la Ville sur la Riviere de Lisere. Les Consuls y avoient fait préparer avec assez de promptitude quelques Feux d'artifice, qui furent poussez dans les airs, tandis que l'on entendoit un Concert de Fifres, de Tambours, de Hautbois, & de Musetes. Il sembloit mesme qu'il y eust encor de l'autre costé de l'eau un autre Concert des mesmes Instrumens, à cause d'un fort bel Echo qui en repétoit le son plusieurs fois, & qui est formé par les concavitez d'un Rocher qui avance en cet endroit. Ainsi finirent les plaisirs de cette nuit. Le lendemain les Tambours & les Trompetes furent plûtost oüies, qu'on ne vit le jour. C'en estoit un de Foire. Cependant les plus intéressez & les plus apres au trafic, les Etrangeres mesme, ne songerent qu'aux plaisirs de cette Feste ; & si l'on vendit quelque chose, ce ne fut que ce qui pouvoit y estre propre. C'est ainsi qu'on celébroit les jeux publics chez les Romains, qui auroient puny celuy qu'on auroit trouvé occupé à ce qui ne regardoit pas ces Jeux. A midy toute la Milice de Grenoble fut sous les Drapeaux dans une propreté extraordinaire, tant Officiers que Soldats. Elle se posta depuis la Place de S. André jusqu'à l'Eglise de Nostre-Dame, & occupa les lieux par où devoient passer le Parlement & la Chambre des Comptes. Les Consuls & les autres Officiers de l'Hostel de Ville, en Habits de cerémonie, se rendirent les premiers à la Cathédrale, escortez de leur Huissier, de six Valets de Ville, & de quatre Consignateurs armez de leurs Pertuisannes. Ensuite parurent ces deux Corps si considérables, par les grands Personnages qui les composent, le Parlement & la Chambre des Comptes. On chanta le Te Deum, auquel assista Mr l'Evesque, qui estoit revenu le jour précedent de la Grande Chartreuse, où il avoit rendu à Dieu en solitude, les mesmes graces pour le bonheur de la France, qu'il luy rendoit alors en public. Le Te Deum estant finy, au bruit des décharges continuelles qui faisoit la Milice, sur une Place qui est devant l'Eglise, les Consuls & le reste de l'Hôtel de Ville sortirent pour voir allumer le Feu. [...]

[Réjouissances à Vienne pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 163-164.

 

Tandis que Grenoble faisoit retentir les cris de Vive le Roy, on se préparoit dans les autres Villes du Dauphiné, à faire paroistre la joye qu'on avoit de la Naissance du Prince. Le 25. Feste de Saint Loüis, on chanta le Te Deum à Vienne dans l'Eglise Cathédrale. Mr de S. André Gouverneur de la Ville, y assista, & ensuite accompagné des Consuls & de toute la Milice, il vint allumer un grand Feu de joye que l'on avoit dressé dans la Place. [...]

La Feste du Parnasse, celebrée dans le College de Clermont §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 166-175.

 

Vous avez trouvé dans ma Lettre d’Aoust, une ample description de la grande Feste que les Jesuites de la Ruë S. Jacques ont faite, pour celebrer la Naissance du jeune Prince. Elle a donné lieu à cet Ouvrage de Mr Philibert d’Antibe.

LA FESTE
DU PARNASSE,
Celebrée dans le College
de Clermont
.

Quoy ! ce n’est qu’en buvant coup sur coup du Nectar,
Dit Apollon aux Dieux, qu’on celebre une Feste ?
Buvez, Messieurs, buvez ; pour moy, je guide un Char,
 Où j’ay grand besoin de ma teste,
Et quand vous en irez un peu plus de travers,
Tout n’ira pas moins droit dans ce vaste Univers.
Il ne faut pas pourtant qu’aucun de vous prétende,
Que pour avoir plus bû, sa joye en soit plus grande.
 C’est par l’ordre de Jupiter,
Qu’on celebre ce jour pour l’heureuse Naissance
 De cet auguste Enfant de France,
Qui doit par ses hauts Faits bientost faire éclater
 L’Image de nostre puissance.
On sçait si plus que vous je dois me disposer
 A rendre la Feste éclatante,
 Puis qu’il faut la solemniser
Pour plaire à ce grand Roy dont l’ardeur triomphante,
 Parmy les Mortels représente,
Qu’ainsi qu’à ma vertu rien ne peut s’opposer ;
Sa valeur peut tout maîtriser.
***
Je prétens donc ce soir, finissant ma carriere,
 Faire une Feste singuliere.
Venez sur le Parnasse, & vous serez témoins
Qu’en cette occasion j’épargne peu mes soins.
Mais n’allez pas chercher ce Mont dans l’Aonie,
On ne me trouve plus dans ce rude Païs ;
Depuis que j’ay trouvé la France si polie,
J’ay transporté mon Siege au milieu de Paris.
***
Apollon a fait voir l’effet de sa promesse.
Ce Lieu pour la Science au monde tant vanté,
 Pour les beaux Arts & pour la Politesse,
Parut le mesme soir un Sejour enchanté.
Là se faisoit entendre une sçavante Lyre
Qu’Apollon allioit à la voix des Neuf Sœurs.
On chanta le Héros qui régit cet Empire,
Et mesme on y chanta dignement ses grandeurs,
Quand ces Divinitez n’y pouvant pas suffire,
Les Echos de ce Mont redirent mille fois ;
 Pour chanter le plus grand des Roys,
Les Hommes & les Dieux n’en sçauroient assez dire ;
 Mais au defaut de nostre voix,
Il faut pour celébrer dignement ses Exploits,
Que la Terre charmée avec le Ciel l’admire.
Le Prince qui ne vient que de paroître au jour,
Eut sur ce sacré Mont un Eloge à son tour ;
Mais loüant un Enfant si-tost qu’on l’a veu naître,
On dit moins ce qu’il est, que ce qu’il pourroit estre.
Aussi pour bien sçavoir ce qu’il doit devenir,
Apollon va chercher au sein de l’avenir,
Où ses yeux découvrant le futur sans obstacle,
Il fit trembler le Monde, & rendit cet Oracle.
***
Pour se voir élevé jusqu’au sublime rang
De ces puissans Héros que l’Uvers révere,
Ce Prince n’a besoin que de l’auguste Sang
Que les Roys ses Ayeuls ont transmis à son Pere.
Estre brave, estre juste, estre grand, estre heureux,
 Sera l’effet de l’influence
Que versent sur l’Enfant les quatre Demy-Dieux
 Que nous choisimes dans les Cieux
Pour présider à sa Naissance.
***
Ce présage assuré redoubla sur ce lieu
La joye & les concerts des Filles de Mémoire,
 Qui sur la parole du Dieu,
Chanterent à l’envy cet Enfant plein de gloire.
Aucun ne s’attendoit à de nouveaux plaisirs ;
Les Voix, les Instrumens, sont la pompe ordinaire
 Des Festes qu’Apollon peut faire.
Mais voulant en ce jour surpasser nos desirs,
Et porter tout d’un coup l’étonnement dans l’ame,
Il fit voir à nos yeux, tant d’éclat, tant de flâme,
Que pour parer ces Lieux, & tous les environs,
On eust dit qu’il avoit divisé ses rayons.
C’estoit peu que de voir une vaste lumiere,
Des torrens enflâmez couvroient la terre entiere,
Des tourbillons de feu s’alloient perdre dans l’air,
Et mille traits ardens au Ciel sembloient voler.
Enfin en quelque lieu que l’on jettast la veuë,
La flâme avec éclat s’y voyoit répanduë,
Et l’on auroit douté qu’il fist seûr en ce Lieu,
Si l’on n’avoit connu la sagesse du Dieu.
***
Tout y parut au gré de la Troupe immortelle,
Qu’Apollon invita sortant de leur Festin ;
Mais doit-on s’étonner si la Feste fut belle ?
Les Habitans du Mont favorisoient son zele,
Et n’avoient avec luy que le mesme dessein.

[Sonnets de Mr l’Abbé de la Volpiliere.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 175-178.

 

Des trois Sonnets que j’ajoûte a cet Ouvrage, les deux premiers sont de Mr l’Abbé de la Volpiliere, & le troisiéme de Mr du Mas de Joigny.

AU ROY.

Grand de Nom, Grand de Cœur,
Grand en Paix, Grand en Guerre,
En Puissance, en Sagesse, en Conseils, en Exploits,
A forcer des Ramparts, comme à donner des Loix,
A subjuguer la Mer, comme à dompter la Terre.
***
Image du Grand Dieu qui forme le Tonnerre,
Vous foudroyez l’orgueil des Peuples & des Roys ;
Soûlevez contre vous en vain tous à la fois,
Au cœur de leurs Etats la crainte les resserre.
***
Tout cede à vos efforts, tout ce de à vos souhaits,
Le Ciel à pleines mains vous répand ses bienfaits,
Vous estes grand dans l’un, & dans l’autre Hémisphere.
***
Enfin pour mériter en tout le nom de Grand,
Il ne vous manquoit plus que le nom de Grand-Pere,
Et vostre Petit-Fils vous le donne en naissant.

SUR UNE LUMIERE extraordinaire qui parut à la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne.
Sonnet.

Prince, dés que tes yeux ouvrirent la paupiere,
Dans l’ombre de la nuit, le jour parut si beau,
Qu’on crût que le Soleil pour luire à ton Berceau,
Remonté sur son Char, reprenoit sa Carriere.
***
Mais d’où pouvoit partir cette grande lumiere,
Que d’un Soleil naissant, que d’un Astre nouveau ?
O Dieu ! quelle splendeur naîtra de ce Flambeau,
Et quel progrés fera cette Clarté premiere !
***
Je croy déja te voir Petit Fils du Soleil,
Adjoûter à la France un éclat sans pareil,
Et régner sans Second sur la terre & sur l’onde.
***
Je fais de ta Grandeur ce Présage hardy ;
Et si ton Orient éclaire tout le Monde,
Bel Astre de la Cour, que fera ton Midy !

[Sonnet de Mr du Mas de Joigny.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 179-180.

SUR LA NAISSANCE de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

Jeux, Divertissemens, Festes, Dances, Plaisirs,
Concerts, c’est à ce coup qu’il faut remplir la France.
Régnez-y tous en foule à l’heureuse Naissance
Du cher Fils que le Ciel accorde à ses desirs.
***
O que ce jeune Prince a coûté de soûpirs,
Et qu’il s’est fait attendre avec impatience,
Lors que pour couronner nostre juste espérance,
Il naist comme une Fleur que baisent les Zéphirs !
***
Le Flambeau d’Hymenée éclaira ce Miracle,
Et le Soleil n’eut point de part à son Spéctacle,
Mais sa retraite alors ne fut pas sans raison.
***
De honte & de respect il se cacha dans l’onde,
Ayant bien reconnu que sur nostre Horizon
Un Soleil plus charmant s’alloit montrer au monde.

[Concert pour la Dauphine]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 183-187.

 

Le Roy un peu avant son départ, fit entendre à Madame la Dauphine, cette merveilleuse Romaine, dont je vous ay entretenuë dans deux ou trois de mes LettresVoir cet article d'avril 1682 et cet article de juillet 1682.. Elle avoit extrémement plû les premieres fois qu'elle avoit chanté mais elle charma dans cette derniere occasion. Mr Lorenzani Maître de Chapelle & Intendant de la Musique de la Reyne, qui doit aussi sa naissance à la premiere Ville du monde, avoit fait un Concert où entroit la LyrePour la lire italienne, voir Marin Mersenne, L'Harmonie universelle, livre 4, p. 204-207, 215-216 que touche si agreablement cette admirable Personne. Ce Concert plût tellement à Leurs Majestez, qu'on le fit repéter plus d'une fois. De la maniere que Mlle Carousi fut applaudie de tout ce qui l'entendit, qu'on peut dire avoir esté l'Assemblée des premieres Personnes du monde, elle a sujet d'estre satisfaite du goust de la France. Madame la Dauphine, qui se connoît parfaitement à la Musique, & qui la sçait comme ceux qui la sçavent le mieux, ne la loüa pas médiocrement. Monseigneur luy témoigna l'extréme plaisir qu'elle luy avoit causé, aussi bien que Son A. R. qui ne se pouvoit lasser de luy donner des loüanges. La Reyne ne luy en fut pas avare ; mais celles du Roy, & les honnestetez que ce grand Prince luy a souvent faites, sont les marques indubitables du grand mérite de cette illustre Personne ; & comme elle a autant d'esprit & de discernement qu'on en puisse avoir, elle a connu tout le prix des loüanges de ce Monarque, qui a le goust merveilleux en toutes choses, & qui est trop éclairé pour estre capable de se tromper. Tout ce que chanta cette incomparable Romaine fut admiré, & l'on connut bien qu'elle n'avoit pas négligé de mêler les agrémens de la Musique Françoise aux beautez solides de l'Italienne. Mr Lorenzani ne put manquer d'entendre avec joye les loüanges qu'on donnoit à cette merveille de son Païs, puis que de la maniere dont elle executa les Airs qu'il avoit composez, il eut en mesme temps le plaisir de les voir extrémement applaudir par les Personnes qui donnent le prix à toutes choses.

[Réjouissances pour la naissance du duc de Bourgogne à Tours]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 187-202.

 

La Touraine a suivy l'exemple des autres Provinces, sur la nouvelle du bonheur public. Mr Amelot Archevesque de Tours, y fit commencer la Feste le Dimanche 23. veille de S. Barthelemy. Il avoit fait dresser un grand Feu dans la grande Court du Cloistre de S. Gatien qui est la Cathédrale, & apres le Te Deum chanté en présence de Mr de Razilly, Lieutenant de Roy, du Présidial & du Corps de Ville, il l'alluma au bruit de tout le Canon & des Boëtes de la Ville, aux fanfares des Trompetes, & au son des Timbales, des Tambours, & d'une infinité d'Instrumens. Les deux grosses Tours de Saint Gatien estoient éclairées d'une quantité surprenante de Lumieres, & remplies de Fusées volantes, qui firent en l'air un tres-bel effet. Le Feu finit par une distribution de quelques Pieces de Vin que le mesme Archevesque fit faire, & par une largesse de plusieurs poignées de Pieces d'argent qu'il jetta luy-mesme au Peuple.

Le Lundy 24. Mrs du Chapitre de S. Martin commencerent leurs Réjouissances par une sonnerie qu'ils ordonnerent pendant tout le jour à tous les Chapitres & Eglises qui dépendent d'eux. Sur les cinq heures du soir ils firent chanter le Te Deum en Musique, avec un Motet de la composition de Mr Cotereau, Célerier de leur Eglise, un des plus sçavans Hommes que nous ayons en Musique. Les mesmes Corps qui s'estoient trouvez à Saint Gatien, y assisterent en Robes de Cerémonie. La nuit commençant à s'approcher, on fit les Illuminations des cinq Clochers de la mesme Eglise, qui parurent tout en feu, par la quantité d'artifice & de Fusées que l'on y tira. On alluma aussi un grand Feu de joye, apres quoy Mr de Razilly, Mrs du Présidial, M. le Maire, & les autres Officiers de Ville, se rendirent dans la grande Salle du Chapitre, où ils furent régalez splendidement.

Le Mardy Feste de Saint Loüis, Madame de Béthune Abbesse de Beaumont, qui dés le 9. Aoust avoit fait chanter le Gratias Agimus en Musique, avec plusieurs beaux Motets, en attendant l'ordre des solemnitez publiques, fit tout ce qu'on pouvoit attendre d'une Personne aussi zelée qu'elle l'est pour Sa Majesté, & pour toute la Famille Royale. Le Te Deum fut tres-solemnellement chanté dans son Eglise, qui paroissoit toute en feu, par le nombre presque infiny de cierges qu'on y alluma. Ensuite on chanta l'Exaudiat, & plusieurs Motets, composez par Mr. Loyseau, Organiste de S. Martin. L'Orgue, les Voix & la Symphonie, tout fut admirable. Il s'y trouva de tous les Ordres de Religieux de la Ville ; & ceux des Supérieurs qui n'y purent assister, y envoyerent tenir leur place. Apres le Te Deum, Madame l'Abbesse fit distribuer une aumône extraordinaire à tous les Pauvres qui se présenterent, & le soir toutes les Fenestres de cette grande Maison furent éclairées d'un nombre prodigieux de Lanternes, qui par les lumieres qu'elles enfermoient, faisoient paroître des Sceptres, des Couronnes, des Soleils, des Dauphins, des Devises, des Fleurs de Lys, & des Trophées d'Armes. [...] Dans la Court, une Fontaine de Vin avoit dequoy réjoüir le Peuple. Un grand Feu de joye y fut allumé par la mesme Abbesse, avec un double Dauphin remply d'artifice, qui vola des Fenestres de son Parloir jusques à ce Feu, au haut duquel il y avoit une Bombe qui jetta plusieurs Fusées, & fit un tres-grand fracas. Ensuite les Boëtes se firent entendre. Un autre Dauphin semblable au premier partit des mesmes Fenestres, & alla porter le feu au Theatre, où le Sr Bruant s'estoit surpassé pour la disposition de l'artifice. En mesme temps on vit jouer Roüets, Pots, Lances, Fusées de toutes manieres, avec un succés qui luy attira de grands applaudissemens. Le carillon des Cloches, les Hautbois, les Musetes, les Violons, les Trompetes, les Timbales, les Tambours, faisoient cependant des Concerts tres-agreables. La Feste fut honorée de la présence de Mr l'Archevesque de Tours, de Mr de Razilly, des principaux Officiers, & de tout ce qu'il y avoit aux environs de Personnes considérables. Il y eut sur tout un si grand concours de Peuple, que les Murs & les Ramparts de la Ville, ausquels l'Abbaye est exposée, en estoient couverts. Les Païsanes des Hameaux voisins y vinrent dancer au son des Musetes, & jamais Réjoüissances ne furent plus generales. Elles durerent trois jours, & se terminerent le 27. par un grand Régale que Madame l'Abbesse fit à toute sa Communauté. Elle ordonna de toute la Feste, & en laissa la conduite à Mr de la Grangerouge son Intendant. Il est Frere du P. Henry de Montbazon, l'un des deux Capucins du Louvre, si renommez pour la Médecine.

Le Vendredy 28. Feste de S. Augustin, les Augustins firent paroistre leur zele par un Te Deum chanté en Musique, par quantité de Feux d'artifice, & par une tres-belle Collation qu'ils donnerent aux Musetes du Poitou, qui s'y étaient trouvées au nombre de vingt-quatre, & à diférentes Compagnies, que le dessein de leur faire honneur avoit mises sous les armes. Mr d'Apremont se distingua dans le Chasteau du Plessis, par un fort beau Feu, allumé le jour de S. Loüis, & par une Table ouverte. Le mesme jour les Religieuses de Nostre-Dame de Relay, Ordre de Fontevraut, chanterent le Te Deum avec beaucoup de solemnité, & dans les marques de joye qu'elles donnerent, il fut aisé de connoistre qu'elles avoient l'ame penétrée des graces qu'elles ont reçeuës depuis peu de temps des bontez du Roy.

Mr Tachereau, Seigneur de Besc & de la Galanderie, Secretaire du Roy, Honoraire, ne fut pas des moins ardens à donner des marques du zele qui l'animoit. Il estoit alors dans son Château de la Galanderie, situé auprés de Tours sur le bord de la Riviere. On chanta dans sa Chapelle un Te Deum en Musique, & pendant trois soirs il y eut des Illuminations à toutes les faces de sa Maison, avec des Feux, & un tres grand nombre de Fusées volantes, qui furent tirées au bruit des Boëtes, des Trompetes, & des Tambours. Quantité de Personnes remarquables de l'un & de l'autre Sexe se trouverent à la Feste, pendant laquelle il tint table ouverte, avec des Hautbois & des Violons, dont l'harmonie ne contribuoit pas peu à la pompe des Repas.

[Vers sur les fêtes du château de la Galanderie] §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 202-204.

[...] Quantité de Personnes remarquables de l’un & de l’autre Sexe se trouverent à la Feste, pendant laquelle il tint table ouverte, avec des Hautbois & des Violons, dont l’harmonie ne contribuoit pas peu à la pompe des Repas. Ce qui s’est passé dans ce Chasteau, a donné lieu à un galant Homme de ce Païs-là, de faire ces Vers.

On vit le premier soir, à la clarté des Feux,
De surprise & de peur les Nymphes de ces lieux
En désordre quiter nostre aimable Rivage,
Se plonger dans les eaux, se sauver à la nage.
On y vit arriver une Troupe d’Amours,
Dont l’abord fut fatal à nos Belles de Tours.
Tous, leurs Flambeaux en main, par un galant caprice
Vinrent mêler leur flâme à nos Feux d’artifice.
Cette flâme passa par les yeux dans le cœur,
Où s’émut aussi-tost une amoureuse ardeur.
Ainsi dans un Repas la Reyne de Cariage
But à longs traits l’amour mêlé dans un breuvage,
Et se formant par là d’inuisibles liens,
Fit voir un cœur sensible au Prince des Troyens.

 

Le moyen, Madame, de sortir de la Touraine, sans passer par Candes ? Candes est un Lieu qui mérite bien que les beautez vous en soient connuës. Vous en tomberez d’accord, quand vous aurez lû la Lettre qui suit.

[Lettre de Candes]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 204-206, 212-214.

 

Le moyen, Madame, de sortir de la Touraine, sans passer par Candes ? Candes est un Lieu qui mérite bien que les beautez vous en soient connuës. Vous en tomberez d'accord, quand vous aurez lû la Lettre qui suit.

 

A MADEMOISELLE ***

De Candes, ce 2. Septembre 1680.

 

Il n'y a jamais eu, Mademoiselle, de peinture plus vive que celle que vous m'avez faite dans vostre Lettre, des Réjoüissances publiques de Tours. Je croy voir ces Fontaines de Vin qui coulerent si longtemps devant l'Archevesché, cette profusion de Pieces d'argent que Mr l'Archevesque fit jetter au Peuple par les Fenestres; & sur tout, ces deux grosses Tours de la Cathédrale, qu'un nombre infiny de Flambeaux faisoit paroistre toutes brûlantes, & qui envoyoient sans cesse mille Fusées dans les airs. Sera-ce vous payer assez bien de vostre belle Rélation, que de vous en faire une des Festes qui se sont faites icy ? Candes n'est qu'un Désert, mais c'est le plus agreable Désert du Monde. Son heureuse situation a mérité que Mrs les Archevesques de Tours le choisissent, pour y passer la plus belle partie de l'année. [...]

Si tost que nostre grand Prélat eut solemnisé dans sa Cathédrale la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, il se rendit icy pour celebrer la mesme Feste. On l'annonça hier dés le matin, par le son de toutes les Cloches de la Collégiale, & par la permission que Mr l'Archevesque donna à tous les Habitans de ses Terres, d'y chasser pendant huit jours. Quelques Officiers, à qui la Paix a procuré le repos, prirent le soin de faire mettre sous les armes tous nos Citoyens, & d'incorporer dans la mesme Compagnie une infinité de Gens, qui venoient de tous les Villages d'alentour en si grand nombre, qu'il s'en trouva assez pour former un gros Camp. Ce n'estoient plus alors comme à Tours des Fontaines de Vin, mais ç'eust esté une vraye Riviere, si tout ce qu'on en distribua, eust passé par un mesme Canal. Sur les sept heures du soir, on chanta solemnellement le Te Deum, & on alluma un grand Feu au bruit confus des Cloches, des Tambours, des Mousquetades, des Fifres, des Boëtes, & de quelques Pieces de campagne, qui autrefois nous estoient necessaires pour nous défendre du pillage, mais qui sous le Regne de LOUIS XIV. ne peuvent servir qu'à des réjoüissances.

[Réjouissances pour la naissance du duc de Bourgogne à Limoges]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 215.

 

Le Mardy 18. Aoust, on fit à Limoges la Réjoüissance publique de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & rien ne manqua à cette Cerémonie. Le Te Deum fut chanté dans l'Eglise Cathédrale de S. Etienne. Tous les Corps y assisterent, & Mr l'Evesque, accompagné de son Clergé, officia avec grande pompe.

[Explications de devises par des vers de Charles Perrault.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 218-226.

 

Cette Seconde Partie de ma Lettre, ne devant servir qu’à vous rendre compte de ce qui s’est fait dans les Provinces pour la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, j’avois résolu de ne vous y point parler de Paris, ne doutant pas que je n’eusse toûjours quelque chose à vous en dire, si j’avois encor à traiter pendant six mois l’ample matiere des Réjoüissances. Cependant, Madame, je suis obligé, pour ne vous donner aucun lieu de plainte, de rappeller icy un Article, que vous trouverez considérable, & que j’oubliay le dernier Mois. Cet Article est l’Illumination que Mr Perrault, Controlleur des Bastimens du Roy, fit faire chez luy dés le jour mesme que l’on eut appris icy que Madame la Dauphine estoit accouchée d’un Prince. Il fit élever sur une Terrasse qui regarde sur la Ruë, une Pyramide de 25. pieds de hauteur, ornée de Peintures des trois costez qu’elle pouvoit estre veuë. Dans chacune de ces trois faces ornées, on voyoit par le bas deux grands Dauphins, qui enfermoient les Chifres du Roy, & ceux de Monseigneur le Dauphin. Au dessous estoient les Armes de France & de Bourgogne, entourées de Lauriers & de Palmes, qui se croisant, & formant encor une ovale au dessus, servoient de Bordure à une Devise, sur le jeune Prince qui venoit de naître. Le haut de la Pyramide, depuis son extrémité jusqu’à l’ovale, estoit orné de Festons, de Fleurs, & de Fruits. Les trois faces estoient semblables, à la réserve de chaque Devise. L’aprobation qu’elles ont euë, a engagé Mr Perrault à les expliquer par des Vers, qui ne vous déplairont pas.

La premiere de ces Devises, représentoit un Soleil levant, avec ces deux mots, Nascitur orbi, pour dire que la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, est un bien general qui ne regarde pas seulement la France, mais encor tous les Peuples de la Terre. Voicy les Vers qui expliquent cette pensée.

 Ne présumons pas vainement
 Que cet Astre doux & charmant,
N’ait ouvert que pour nous son illustre carriere,
Il vient pour le bonheur de cent Peuples divers,
 Et cette naissante lumiere
 Doit éclairer tout l’Univers.

 

La seconde Devise représentoit un Aiglon suivant deux grands Aigles, avec ces mots, fortes creantur fortibus, pour faire entendre que la seule Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, est une preuve assurée de la Valeur, & des autres Vertus qu’il possedera.

 Issu d’une vaillante Race,
Par tout il en suivra la glorieuse trace,
Et verra les dangers sans en estre étonné.
 La Valeur sera son partage ;
 Et pour juger de son courage,
Il suffit de sçavoir de quel Sang il est né.

 

La troisiéme estoit une Fontaine sortant de sa source, avec ces mots d’Ovide, patrios petet impiger ortus, pour signifier que comme les Fontaines remontent aussi haut que les Sources, quand les eaux en sont renfermées dans des Canaux qui les rendent jallissantes ; ainsi Monseigneur le Duc de Bourgogne, conduit par les préceptes & par les exemples des Princes incomparables dont il est issu, atteindra au mesme degré de vertu qu’ils possedent.

 Pendant que l’on voit mes seblables,
On ramper sur la Terre, ou croupir miserables
 Dans une molle oisiveté,
Par les divins ressorts d’une vertu divine
On me verra monter avec rapidité
 Aussi haut que mon origine.

 

Cette derniere Devise a esté faite pour le Roy, & a servy dans les Tapisseries des quatre Elémens, dont Mr Perrault a fait les seize Devises qui y sont. Il pouvoit bien luy estre permis, n’ayant eu que huit ou neuf heures pour faire son Illumination, de se servir de ce qui avoit esté déja employé ailleurs, & il n’a pas crû que Sa Majesté fust fâchée qu’une Devise qui exprime l’état présent des choses, devinst une Prophétie de ce que nos Neveux verront un jour en la Personne illustre de son Petit-Fils.

[Réjouissances à Paris pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 229-233, 235-237.

 

 

Le Mardy 15. de ce mois, Mr le Jeune de Franqueville, pour continuer les Réjoüissances dont je vous ay déjà fait diverses Relations, & donner des marques de son zele, & de celuy d'une jeune Noblesse qu'il éleve aux belles Lettres, fit faire un Feu de joye dans la Court, au Fauxbourg S. Germain, pres les Religieuses de N. Dame de Liesse, avec toute la magnificence possible. L'echafaut sur lequel il fut construit, avoit seize pieds de haut, & quinze en quarré. Quatre Divinitez ornoient les quatre Pilastres. Mars représentoit la France victorieuse. Apollon estoit environné de plusieurs François, qui sembloient luy rendre grace des avoir favorisez du plus vif éclat de ses lumieres. Cerés tenoit des Fleurs & des Fruits dont elle honoroit la France ; Et Minerve présentoit un Livre à Monseigneur le Duc de Bourgogne, pour luy enseigner les Actions héroïques de son auguste Ayeul, avec cette inscription, Disce facta parentum. La mesme Déesse portoit une Lance, pour marquez au jeune Prince qu'il devoit se signaler par les armes, à l'imitation de Sa Majesté. La Balustrade estoit ornée de Dauphins, de Fleurs de Lys d'or, & d'un Soleil au milieu. Quatre grands Globes qu'on avoit posez sur les Pilastres, représentoient les quatre Parties du Monde. Il en sortit quantité de Fusées volantes, pour marquez la joye que la Naissance du Prince doit avoir causée à toute la Terre. Sur l'Echafaut on voyoit un Piédestal, suporté par trois Lion & une Aigle. Il estoit haut de deux pieds, & l'on y avoit placé une Figure du Roy, assise sur une Corbeille de Fleurs, & revêtuë de Trophées d'Armes. Au dessus de cette Statuë paroissoit la Renommée descendant du Ciel. D'une main elle couronnoit le Roy d'une triple Couronne d'Olivier, & tenoit une Trompete de l'autre. [...]

 

Il y avoit sur la Balustrade quantité de Pots-à-feu, de Lances, de Saucissons, avec huit Quaisses de départemens, dont l'effet fut admirable. Aux quatre faces on avoit placé quatre Soleils, qui jettoient du feu de trente pieds de diametre. Je ne parle point de six douzaines de Fusées doubles Marquises & Royales. Tout fut tiré aux fanfares des Trompetes, & au son des Violons, qui se répondoient de la maniere du monde la plus agreable. Joignez à cela le bruit de plusieurs Tambours que l'on entendit dans l'interval de celuy de trois cens Boëtes, qui tirerent à trois diverses reprises, pour terminer cette Feste.

[Réjouissances à Melun pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 240-241.

 

Les Capucins de Melun, dont le Convent a esté basty des libéralitez du Roy Henry IV. auquel il a mis luy-mesme la premiere pierre, ont marqué leur joye par un Te Deum tres-solemnel qu'ils ont fait chanter dans leur Eglise. La Musique est fort rare chez ces Peres, & il faut que l'occasion soit bien pressante pour les obliger à s'en servir. Il y eut le soir un tres-beau Feu d'artifice, qui fut allumé par le Gouverneur. Il estoit accompagné du Maire de la Ville. Les Canons, les Trompetes, les Tambours, & les Cris de Vive le Roy, se firent entendre en mesme temps d'une tres-nombreuse Assemblée, tous les Habitans des environs s'estant rendus dans la Ville.

[Réjouissances au Havre et distiques .]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 242-262.

 

L’absence de Mr le Duc de S. Aignan, Gouverneur du Havre, qui estoit au Château d’Alincourt, ny l’indisposition de Mr de la Vaissiere, Lieutenant de Roy, n’auroient pas esté des obstacles à retarder la juste impatience qu’avoit cette Ville, de marquer son zele pour Sa Majesté, si ses Habitans n’avoient crû que ce petit retardement ne serviroit qu’à les mieux disposer à ce devoir. Ils n’eurent donc pas plûtost reçeu les ordres de Mr le Duc de S. Aignan, que tous les Corps furent avertis de se tenir prests pour celébrer la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. La Cerémonie commença le Jeudy 3. de ce Mois, par le Te Deum qui fut chanté solemnellement dans l’Eglise de Nostre-Dame. Mr de la Vaissiere y assista à la teste des Echevins, Conseillers, Syndic, & Corps de la Ville. Les Officiers de la Justice ordinaire, & les autres Corps Réguliers & Séculiers, les Capucins, & les Pénitens, se rendirent aussi dans la mesme Eglise, d’où apres le Te Deum, Mr de la Vaissiere & les Echevins retournerent en l’Hôtel de Ville, pour faire mettre l’Infanterie & la Cavalerie de la Bourgeoisie sous les armes, & disposer toutes choses pour une joye achevée. Elle parut avec grand éclat par un tres-beau Feu, que Mr le Lieutenant de Roy, accompagné du Corps de Ville, alluma ; par plusieurs décharges de la Mousqueterie, & des Cavaliers, que firent ces Bourgeois, aussi disciplinez & accoûtumez au service que de vieilles Troupes, avec tout l’ordre, la promptitude, & l’adresse possibles ; par quantité de volées de Canon, de décharges de Boëtes & de Mousquets, tant de la Citadelle que de la Ville, & enfin par le divertissement d’un tres-grand nombre de Fusées volantes, & d’autres Feux d’artifice. Le Frontispice & toute la Face de l’Hôtel de Ville, estoient ornez de Tableaux faits, & inventez par Mr Morel, l’un des Echevins, dont on ne peut trop estimer le zele. Il y en avoit neuf, tous Camayeux. Le premier, qui estoit tout de couleur de feu, représentoit le Roy dans un Soleil, donnant l’ame & la perfection aux huit autres, dont quatre estoient verts, & le reste, gris-de-lin. On avoit choisy ces deux couleurs, parce qu’elles plaisent à Madame la Dauphine. D’ailleurs on prétend que la couleur de feu, la verte, & la gris-de-lin jointes ensemble, font la couleur du Soleil. Ces Camayeux ornez chacun d’une Etoile, qui est la Devise de Monseigneur le Dauphin, avec leur titre & ame, estoient disposez de telle maniere, que faisant deux rangs, au milieu desquels celuy du Roy paroissoit en haut, il y en avoit un gris-de-lin vis-à-vis d’un vert, & au dessous un vert vis-à-vis d’un gris-de-lin. Ils représentoient ; le premier, l’Amour ; le second, l’Hymen ; le troisiéme, l’Invention ; le quatrieme, la Fécondité, le cinquiéme, le Bonheur éternel ; le sixiéme, la Sûreté des temps ; le septiéme, les Vœux publics ; & le huitiéme, la Naissance & l’Education de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Pour vous donner une idée plus forte de toutes ces choses, je vous envoye ces neuf Camayeux gravez, dans le mesme ordre où ils ont paru le jour de la Feste ; & comme ils sont tres-ingénieux, & que Mr Morel n’y a pas moins fait paroistre le zele des Habitans du Havre, que son esprit, & son talent à bien inventer, il est juste d’ajoûter une plus ample explication de la Planche où je les ay fait graver. Remarquez les Chifres qui sont au dessus de chaque Tableau, & jettez les yeux en suite sur ceux qui sont dans cette explication, & vous trouverez à quel Tableau elle se rapporte. Les deux Vers François qui regardent le sujet, estoient écrits avec le Pinceau au dessous des Figures de chacun ; mais comme il auroit fallu agrandir la Planche pour leur donner place, vous les trouverez entre les Chifres, & les explications des neuf Tableaux.

1.

L’Amour prenant de moy sa source,
De mon destin regle la course.

 

Cette Figure fait voir l’origine du bonheur dont nous joüissons, par la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Le Soleil qu’illumine ce Flambeau par le moyen du Miroir ardent, représente le Roy qui a le premier fait naistre l’amour de Monseigneur le Dauphin pour Madame la Dauphine ; & cette Etoile est celle de ce Prince, dont toute la lumiere & toute l’ardeur, ne servent qu’à entretenir un si beau feu.

2.

Ah Dieu ! qu’il est charmant le Lien conjugal,
Et que ce joug est doux, quand il est tout Royal !

 

Ce Héros, & cette Héroïne qui se donnent la main, qui sont sous un mesme joug, & dont les jambes sont liées par un Serpent, représentent l’heureux Mariage de Monseigneur le Dauphin, & de Madame la Dauphine. La Pomme qu’ils tiennent est une Pomme de Coing, dont le fruit mâle & femelle marque la fécondité. Le Serpent est par sa prudence l’image de la bonne conduite qui regne dans leur union ; & l’Etoile par le mot dereducit, explique qu’elle assemble, & unit fortement les cœurs de ces deux augustes Personnes.

3.

C’est en vain que l’amour soûpire,
Si le pouvoir ne nous inspire.

 

L’Invention, ou la Prudence, est icy représentée. Elle a des ailes en teste, pour exprimer la facilité avec laquelle elle execute les desseins qu’elle a conçeus. Elle tient d’une main le Buste de la Nature qu’elle imite & qu’elle perfectionne, & de l’autre une Inscription qui rend témoignage de son pouvoir. Ces mots, non aliunde, marquent combien la France est heureuse de n’estre point obligée à chercher des Appuis ailleurs que chez elle-mesme ; & l’Etoile de Monseigneur le Dauphin, par le motnec deficit, nous assure que ces Appuis ne nous manqueront jamais.

4.

Une bonne Princesse également féconde,
Mérité les égards du plus grand Roy du Monde.

 

La Fécondité tient d’une main un Nid d’Oiseaux, & de l’autre, une branche d’Olivier. Elle est couronnée de Genievre, & accompagnée des Animaux à qui cette qualité convient le plus ; & l’Etoile répond à tout le Tableau par le mot deproducit.

5.

Le bonheur éternel de voir dans les Provinces
Sortir d’un grand Héros un grand nombre de Princes.

 

Le Globe étoilé sur lequel cette Déesse est assisse, la Palme qu’elle tient d’une main, le Feu celeste & inextinguible qu’elle tient de l’autre, & le mot de sufficit qui s’applique à l’Etoile, tout représente icy le bonheur sans fin que nous apporte la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne.

6.

Rien ne peut ébranler une auguste Couronne,
Quand par des Successeurs le Ciel ainsi l’ordonne.

 

Cette Nymphe appuyée sur une Colomne, tenant une Massuë, & couronnée de Bétoine, qui est le plus fort de tous les Simples, est la France dont la gloire vient d’estre affermie puissamment. Le mot dereficit, veut dire que l’Etoile de Monseigneur le Dauphin, entretiendra, & conservera toûjours nostre repos.

7.

Enfin le Ciel aux Vœux de la France propice,
Leur accorde l’effet d’un pieux Sacrifice.

 

Ce sont icy les Prieres, & les Vœux publics de tous les Etats. Le mot derespicit, marque qu’ils ont esté écoûtez.

8.

Qu’il est cher ce Trésor, & que dans son besoin
Le Ciel & la Nature en auront un grand soin !

 

Deux Dauphins qui sont reconnus par tout le monde pour le Simbole de l’Humanité & de la Douceur, l’un mâle, & l’autre femelle, donnent icy tous leurs soins à leur petit Dauphin ; & le subducit appliqué à l’Etoile, exprime aussi la tendresse avec laquelle Monseigneur le Dauphin éleve ce prétieux Gage, qu’il vient de recevoir de l’amour de Madame la Dauphine.

9.

Mais ces Biens ne sont rien sans les graces entieres,
Et le divin respect du Pere des lumieres.

 

Cette derniere Devise fait assez voir que le Soleil, qui est le Roy, anime, acheve, & perfectionne tout.

 

Ces neuf Tableaux, embellis de Fleurs, & de divers ornemens, faisoient un tres-bel effet, aussi-bien que deux Fontaines de Vin placées aux deux Pavillons de l’Hôtel de Ville, que rendoient deux Merletes, qui sont les Armes de Mr de S. Aignan, & deux Salamandres, qui sont celles de la Ville, avec cette ame aux unes, tutto cuore, & aux autres, tutto fuoco. Toute la Court, & les dehors & dedans de cet Hôtel, estoient ornez de Paviers semez de Fleurs-de-Lys, & garnis d’une infinité de Lumieres. On avoit aussi illuminé toutes les Maisons des Habitans ; & les Echevins, Conseillers, Syndic, & autres Officiers, outre le Feu public par eux ordonné, en allumerent chacun un en particulier devant leur Maison, où ils firent une profusion surprenante de Vin d’Espagne, & d’autres Liqueurs au Peuple. Les Boutiques avoient été fermées pendant tout le jour ; & tous les Capitaines des Navires & Vaisseaux, qui sont toûjours dans le Port en tres-grand nombre, & de diférentes Nations, ayant reçeu ordre de les parer de leurs plus belles Enseignes, Paviers, Flâmes, Pavillons, & autres ornemens particuliers, s’en acquiterent avec tant de soin que rien ne fut oublié. Il y eut des Illuminations au haut de leurs Mats & Vergues ; & en general toute la Ville, animée par l’exemple & les nobles sentimens de son Gouverneur, & par son ancienne & inviolable fidelité au service de son Prince, fut si brillante de Feux, qu’on peut dire, que quoy que moins grande, elle ne ceda à aucune du Royaume. La Santé du Roy, & de toute la Famille Royale, fut beue plusieurs fois dans l’Hôtel de Ville, & à chaque fois on tiroit plusieurs volées de Canon, qui estoient toûjours suivies de grands cris de joye. Apres le Soupé, les Echevins donnerent le Bal, & régalerent les Dames d’une magnifique Collation.

Ce n’a pas esté seulement au Havre, & dans les Villes dépendantes de ce Gouvernement, qui sont Harfleur, Montivilliers, & Fécamp, que Mr le Duc de S. Aignan a fait donner d’éclatantes marques de la forte joye que le bonheur de la France luy a fait sentir.

[Réjouissances en Normandie et en Touraine pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 262-163, 267-268.

 

Ce n'a pas esté seulement au Havre, & dans les Villes dépendantes de ce Gouvernement, qui sont Harfleur, Montivilliers, & Fécamp, que Mr le Duc de S. Aignan a fait donner d'éclatantes marques de la forte joye que le bonheur de la France luy a fait sentir. Comme il est aussi Gouverneur des Villes & Château de Loches & Beaulieu ont y a fait des choses assez singulieres pour mériter icy un Article. [...]

Depuis le Dimanche 30. Aoust jusques au 6. de ce mois, il y eut divers Feux de joye, où les Fusées, les Girandoles, & autres Feux d'artifice, brillerent toûjours. Mrs de Loches en firent un avec une fort agreable Symphonie, & des Cabinets d'Orgues tres-beaux & tres-grands, qu'on apporta dans la Ruë, afin que rien ne manquast aux remercîmens & aux prieres que l'on fit à Dieu. Les Cordeliers, les Capucins, les Religieuses, nommées Filles de la Mere de Dieu, ou de Viantais, du nom de leur Supérieure, & les Dames de l'Hostel-Dieu, accompagnerent leurs Feux de Fusées, & d'Illuminations.

Sonnet en Rimes parlantes §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 271-275.

 

Voila, Madame, ce que l’amour qu’on a pour le Roy, & le zele ardent qu’on connoist pour ce grand Prince en Mr le Duc de S. Aignan, ont fait faire dans les Lieux dont il est le Gouverneur. Vous estimez tant cet illustre Duc, que je vous feray sans-doute plaisir de vous envoyer ce qui s’est fait depuis peu à son avantage.

EN RIMES PARLANTES.

Quand on ne produit rien qui ne soit trouvé bon,
Quoy qu’on ait des Censeurs de diferent génie,
Parmy les Gens d’esprit en quelle estime est-on ?
N’est-ce pas un honneur que tout le monde envie ?
***
Mais ne manquer jamais à bien prendre son ton,
Et conduire sa voix avec telle industrie,
Qu’on chante dignement les grandeurs de Bourbon,
C’est en quoy Saint Aignan tous les autres défie.
***
Quand on veut qu’il raisonne, il raisonne en Docteur ;
Quand on veut qu’il déclame, il parle en Orateur ;
Pour des Vers, il en fait en excellent Poëte.
***
Cent fois pour éprouver le beau talent qu’il a,
Cartel fut présenté, cent fois il l’accep-ta,
Et de ses Agresseurs s’ensuivit la défaite.

 

Si par hazard vous ne sçavez point encor ce que c’est que Rimes parlantes, vous n’avez qu’à assembler celles qu’on a fait entrer dans ce Sonnet, & vous trouverez,

Bon Genie,
On envie
Ton industrie.
Bourbon défie
Docteur, Orateur, Poëte,
A ta défaite.

 

Vous voyez, Madame, que toutes ces Rimes font un sens parfait, & par conséquent qu’elles sont parlantes. Cet ingénieux Sonnet, qui pourroit estre avoüé par ceux qui ont le plus de talent à remplir des Bouts-rimez, est d’un jeune Homme de qualité, Allemand, qui s’appelle George Conrad Schuster. Leipsic est le Lieu de sa naissance. Comme il a l’esprit fort vif, & grand génie pour les Vers, il en a fait icy en plusieurs occasions, & n’en a point fait qu’on n’ait leûs avec plaisir.

[Mariage à l’hôtel de Saint-Aignan.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 275-279.

[...] M le Duc de S. Aignan, qui s’est toûjours distingué en tout, n’a pû recevoir ceux-cy, & ne luy faire connoistre le cas qu’il en fait, que par des loüanges. Il luy a voulu marquer plus solidement combien il estime son mérite, en le priant d’accepter une Médaille d’or, & de prix. Le Roy est à la face droite de cette Médaille, & le Passage du Rhin au revers. Ainsi ce jeune Etranger, qui se prépare à s’en retourner en son Païs, y remportera de nobles preuves de l’esprit qu’on luy a trouvé en France, & aura sujet de faire valoir la magnificence des grands Seigneurs de la Cour, qui pour de simples Sonnets donnent dequoy immortaliser leur Nom dans une Famille.

Ce Duc, qui cherche toûjours à obliger, & qui oblige toûjours doublement par la maniere dont il fait les choses, a donné des marques de son ordinaire genérosité, dans l’occasion du Mariage de Mademoiselle de Morizel, qui s’est fait depuis deux mois à l’Hostel de S. Aignan. C’est une Personne de beaucoup de mérite, qui a demeuré plus de vingt ans aupres de feuë Madame la Duchesse de S. Aignan, & depuis toûjours aupres de Madame la Duchesse d’aujourd’huy. Elle est de la Maison du Bellay, & a épousé Mr de Viviers, qui a servy longtemps en qualité de Capitaine dans le Regiment de la Marine, & de Major dans Tréves, & qui est d’une des plus considérables Maisons du Dunois. Sa Majesté, dont la bonté & la justice se signalent tous les jours, l’a nommé pour son Lieutenant au Havre de Grace, & pour Survivant de Mr de la Vaissiere, Lieutenant de Roy en ce Gouvernement, que son grand âge, & l’incommodité d’une Paralysie du costé droit, en suite de plusieurs blessures, empeschent d’agir suivant toute l’étenduë de son zele. Quoy que Mr de Viviers ait ses Provisions, & fasse toutes les fonctions de cet Employ, Sa Majesté satisfaite des grands services de Mr de la Vaissiere, luy a fait aussi renouveler ses Provisions.

[Réjouissances à Marseille pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 288-291, 294-300, 304-305, 307-309.

 

La Ville de Marseille a profité de tous les avantages de son heureuse situation pour mieux témoigner sa joye, du bonheur de ce Royaume, & elle l'a fait paroistre avec d'autant plus d'éclat, qu'elle faisoit paroître aux yeux de tant de Nations diférentes qui abordent dans son Port, & qu'elle avoit pour témoins de son zele. Dés qu'elle eut appris la Naissance de nostre nouveau Prince, les Feux que tous ses Habitans allumerent de leur propre mouvement, prévinrent les ordres publics. Cet Empressement fut cause que Mrs les Echevins qui font la fonction de Gouverneurs en l'absence de Mr de Fourville-Pilles, Gouverneur Viguier pour sa Majesté, ne purent prendre autant de loisir qu'il eussent voulu, pour préparer la Feste à laquelle ils destinoient le 28. le 29. & le 30. d'Aoust, qui n'estoient guere éloignez.

Pendant que la Ville faisoit les aprests de ses Réjoüissances, tout le Port fit les siennes. Mr Brodart, Intendant General des Galeres, & Mr de Mansse, Premier Chef d'Escadre, se rendirent le 23. d'Aoust sur la Galere Réale, où ils assisterent avec tous les Officiers, au Te Deum qui fut chanté en Musique. [...]

Toutes les Galeres firent trois salves de cent coups de Canon chacune ausquelles l'Arsenal répondit toutes les trois fois par cent autres coups, sans compter les Boëtes qui tirerent de dessus les Murailles du Parc & le redoublement de tout ce bruit causé par l'Echo qui est dans le Port de Marseille. Ces Réjoüissances des Galeres durerent trois jours avec une magnificence égale, mais toûjours diverse. Ainsi elles ne finirent que le 26. d'Aoust ; & dés le lendemain 27. à l'entrée de la nuit, huit Trompetes à cheval precédez de vingt quatre Tambours, parez des couleurs de la Ville, portant chacun un Etendard en Broderie d'or & d'argent, & éclairez de six Flambeaux de Cire Blanche, allerent dans toutes les Places, publier qu'on fermast les Boutiques pendant trois jours, & qu'on ne songeast qu'aux Jeux publics. Le jour suivant les Echevins & Assesseur en Robes de cerémonie, accompagnez des Tambours, des Violons, des Trompetes, & de cinq cens jeunes Garçons qui portoient des Banderoles, allerent à l'Eglise Major, qui est la Cathédrale, que les Chanoines avoient pris soin de faire richement parer. [...] On fit une Procession solemnelle, où l'on porta les Chasses d'or & d'argent, de Nostre-Dame, de Saint-Lazare, de Sainte Magdelaine, de Sainte Marthe, & de Saint Cannat, précedées & suivies des Violons. Pendant la Procession, les Boëtes que l'on avoit disposées à toutes les Places de la Ville, par où elle devoit passer, tirerent incessamment. On rentra dans l'Eglise, où fut chanté un Te Deum à trois Choeurs de Musique, de la composition de Mr Michel, un des plus excellens Maîtres de Chapelle qu'ait jamais eus la Provence, & mesme quelques Chansons Provençales sur l'accouchement de Madame la Dauphine, ne furent pas trouvées indignes de suivre le Te Deum. L'apres-dînée, des Fontaines de Vin coulerent jusqu'à la nuit devant l'Hostel de Ville. On y donna un grand Bal à toutes les Dames ; & afin qu'il n'y eust point de divertissement où le Peuple ne prist part, on mit dans toutes les Places publiques des Violons pour le faire dancer. [...]

Le lendemain, on n'eut rien de nouveau pour l'invention, mais tout y fut encore plus magnifique. Enfin, le 30. on redoubla les soins pour finir par quelque chose d'extraordinaire. Le Cours de Marseille est un des plus beaux & des plus réguliers du monde. [...] C'est là la Scene qu'on avoit choisie pour achever dignement cette grande Feste. [...]

Un si beau Lieu le fut encor bien davantage, lors que sur les neuf heures du soir les quatre Compagnies de la Ville y vinrent toûjours dans un équipage tres-propre, éclairées d'un grand nombre de Flambeaux, & se rangerent en haye, pour laisser passer les Echevins qui allerent allumer un grand Feu qu'on avoit préparé à un bout du Cours vers la Porte de Rome. Les Compagnies rentrerent ensuite dans la Ville, dont elles firent tout le tour ; mais elles s'arresterent devant la Maison de Mr le Gouverneur pour donner lieu à leurs Enseignes de joüer du Drapeau. Tout le monde fut fort satisfait de la maniere dont ils s'acquiterent de cet exercice. Pour les Echevins, ils retournerent à l'Hostel de Ville, où ils donnerent un Repas public à tous ceux qui en voulurent estre, & ensuite les Violons sur l'eau, où plus de deux mille Batteaux les suivirent pour joüir de ce plaisir.

[Devises provenant de Dijon.]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 311-321.

 

Depuis que j’ay achevé la premiere Partie de cette Lettre, dans laquelle je vous parle du Char de Triomphe, où le jour de S. Loüis l’on vit paroistre à Dijon un jeune Enfant représentant Monseigneur le Duc de Bourgogne, au milieu des quatre derniers Ducs de ce nom, on m’a fait part des Devises qui ornoient ce Char. Je vous les envoye expliquées en Vers. On avoit mis ces paroles au dessous de l’Enfant, que la France couronnoit.

Nascente hoc cuncta
moventur.

 Il sort du sein de la Victoire,
Dans un temps où la Paix tient tout calme icy bas.
Parmy les Nations de cent & cent Climats
On entend publier sa naissance & sa gloire.
La Terre le prédit avec son tremblement
Par un Astre nouveau sorty du firmament.
Le Ciel mesme l’annonce aux Peuples de la Terre,
Et tout dit qu’il doit estre un jour par ses hauts faits,
Comme le Grand LOUIS, redoutable à la Guerre,
 Autant qu’aimable dans la Paix.

 

Au pied du Génie de la Bourgogne, qui conduisoit les Chevaux du Char, étoient ces autres paroles,

Hos quatuor unus
Hic aliquando dabit.
De Philippe on vanta par tout la hardiesse ;
Le partage de Jean fut l’intrepidité,
Son Fils aima la Paix, on loüa sa bonté.
Charles ne demanda qu’à combatre sans cesse ;
Et tout ce qu’en leur temps ces grands Héros ont eu
De valeur, de bonté, de force, & de vertu,
Doit de ce Prince seul former le caractere.
C’est un bien que le Ciel nous promet aujourd’huy ;
Et s’il n’avoit fait naistre & l’Ayeul & le Pere,
 Rien ne seroit si grand que luy.

 

Sur le Theatre où l’on dressa le Feu d’artifice, estoit la Félicité tenant un Enfant, que la France présentoit à la Bourgogne, en luy disant,

Dum repetam.

 Mon cœur consent qu’on te le donne,
Mais à condition de le reprendre un jour,
 Et qu’ayant porté ta Couronne,
Je le verray l’appuy de la mienne à mon tour.

 

La Bourgogne répondoit.

Dignam me Lilia
monstrant.

Cet honneur est bien grand, mais enfin, quoy qu’insigne,
 S’il pouvoit estre merité,
Et les Lys que je porte, & ma fidelité,
 Me flateroient d’en estre digne.

 

Autour du Theatre il y auoit quatre Emblêmes. Le premier estoit un Dauphin sur la Mer, & un dans le Ciel, avec ce Vers.

Imperium Oceano
famam qui terminet
astris.

Ce Prince imitera l’invincible LOUIS ;
Il fera comme luy des exploits inoüis,
Et comme luy, passant de Victoire en Victoire,
On le verra porter jusqu’au plus haut des airs,
Le bruit de son grand Nom, & l’éclat de sa gloire,
Et borner son Empire où finit l’Univers.

 

Le second estoit un Sep de Vigne, qui embrassoit un Arbre, avec ces mots,

Crescente crescam.

J’attache ma vie à la sienne,
Pour voir mon bonheur assuré ;
Cet Arbre croistra, je croistray,
Et sa grandeur fera la mienne.

 

Le troisiéme, un Grénadier chargé de ses Fleurs couronnées, avec cette Devise,

A ciascun’ la sua
corona.

Cette Tige paroisten Couronnes féconde ;
J’y vois celle du Roy, du Dauphin, de son Fils,
Et si de leur effet nos souhaits sont suivis,
L’un des trois quelque jour aura celle du Monde.

 

Le quatriéme, un Soleil regardant un Tournesol naissant, avec ces mots,

Sub tanto sidere
crescam.

Cet Astre souverain qui regne sur la France
 Présidoit quand je pris naissance ;
  Et j’espere aujourd’huy,
Secondé de sa douce & divine influence,
 Devenir aussi grand que luy.

 

La Machine de ce Feu avoit cinquante-trois pieds de hauteur. On y avoit écrit ce Sonnet, qui contient les Souhaits de la Bourgogne en faveur du jeune Prince.

Sur cet aimable Objet de ma tendresse extréme,
Ce Gage prétieux de ma felicité,
Ciel, verse tous les biens que ton pouvoir supréme
Répand en ces bas lieux pour marquer ta bonté.
***
LOUIS est grand en tout ; que ce Fils soit de mesme,
Qu’il joigne la valeur avec la pieté,
Et qu’orné des vertus dignes du Diadéme,
Le nombre de ses jours ne puisse estre compté.
***
 Tandis que l’on verra nostre vaste Hémisphere,
Partage sous les Loix de l’Ayeul & du Pere,
Que l’autre soit le prix de ses Exploits divers ;
***
 Et que plein du beau feu qu’un Sang Royal inspire,
Unissant à la fin & l’un & l’autre Empire,
Ce Prince soit un jour Maistre de l’Univers.

 

Ces Devises & ces Vers sont de Mr Moreau, Avocat General en la Chambre des Comptes de Dijon. Il a beaucoup de mérite, & s’est acquis grande réputation dans le Barreau par ses Plaidoyers, & le Discours de la présentation de Mr le Marquis d’Uxelles, Lieutenant de Roy en Bourgogne, & par ses Harangues à la Chambre des Comptes, qu’il fait tous les ans à la S. Martin. Mr Moreau, Auditeur des Comptes à Paris, est son Frere. C’est celuy dont je vous ay envoyé plusieurs Ouvrages galans, sous le nom du Fils d’un Auditeur des Comptes de Dijon.

[Réjouissances à Compiègne pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 325-330.

 

Mrs les Prieur & Religieux d'Eslimour Sainte Marguerite, prés Compiegne, s'étant acquitez avec toute la devotion possible des Prieres qui leur avoient esté ordonnées, pour l'heureux accouchement de Madame la Dauphine, à cause des grands Miracles qui se font tous les jours dans leur Eglise par l'intercession de la Sainte, dont ils conservent prétieusement les Reliques, ont mélé les témoignages de leur joye à ceux de toute la France. Ils ont suivy en cela l'exemple de Mr L'Abbé de Villacerf leur Chef, & de toute sa Famille, qui a un attachement inviolable pour le service du Roy. Le Dimanche 13. de ce mois ayant esté choisy pour la Feste, Mr Cottard, Prieur Claustral, donna tous les ordres necessaires pour l'Illumination de toute l'Eglise, & fit mettre au dessous du grand Crucifix de la Nef un Dais de Brocatel d'or, garny de Dentelles d'or & d'argent, & sous ce Dais, le Portrait du Roy, avec ses Armes. Celles de Monseigneur le Dauphin estoient à la droite, & celles de Monseigneur le Duc de Bourgogne, à la gauche. Le Te Deum fut chanté sur les six heures du soir, & à huit heures Mr Cottard à la teste de ses Religieux, alluma le Feu de joye. Il estoit dressé sur un grand Théatre, à quelques pas de l'Eglise. On y voyoit quatre grands Pilastres, sur le haut desquels estoient les quatre Vertus, avec cette Inscription au bas.

 

LUDOVICO MAGNO.

AUGUSTISSIMO EIUS DELPHINO.

AC SERINISSIMO DUCI BURGUNDIÆ.

ABBAS VILLASERIUS, PRIOR ET.

RELIGIOSI ELIMOURIENSES.

ÆTERNAM FELICITATEN.

DEPRECANTUR.

 

Le pied de chaque Pilastre estoit embelly d'une Devise.

La premiere estoit un Soleil naissant.

EXHILARAT NASCENDO OMNES.

La seconde, un Globe qui représentoit la Terre.

SI CONCEDAT AVUS

La troisieme, un Lys au pied de deux autres.

TERTIUS E CÆLO.

La quatriéme, un trophée d'armes.

HIS VINCERE DISCET.

Dans les quatre Faces on voyoit les Armes du Roy, de Monseigneur le Dauphin, de Monseigneur le Duc de Bourgogne, & de Mr l'Abbé de Villacerf ; & au milieu des quatre grandes Figures, la Renommée sur une Boule, tenoit une Trompete avec une Banderole aux Armes du jeune Prince. Comme l'Eglise est située sur la pente d'une Montagne qui commande aux environs, on vit le Feu de plus de trois lieues. L'Artifice fit merveilles ; & parmy le bruit des Tambours, en entendit celuy des Mousquets par la décharge qu'en firent les Habitans qui s'estoient mis sous les armes. Le carillon des Cloches du Prieuré & de la Paroisse, ne cessa point pendant tout ce temps & s'il y a eu plus de magnificence dans d'autres Festes, on peut dire qu'il n'y en a point qui ait esté celebrée avec des marques d'une réjoüissance plus parfaite.

Air nouveau §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 331.

Voicy un Air nouveau d´un bon Maistre, & dont les paroles sont fort estimées.

AIR NOUVEAU.

Avis pour placer les Figures : l’air qui commence par Quand on soûpire, doit regarder la page 331.
Quand on soûpire
Sans oser dire
Que l'on ressent
Un mal pressant,
Qu'on est à plaindre
D'estre obligé de se contraindre !
Mais on l'est encor plus, quand il faut soûpirer
Sans esperer.
images/1682-09b_331a.JPG

[Mort de M. l'Evêque de Bazas en Guyenne, suivie de celle de M. Testu]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 331-334.

 

Mr l'Evesque de Bazas en Guyenne, Suffragant d'Auch, est mort icy depuis quelques jours, âgé de 70. ans. Son nom de famille estoit de Boissonade d'Orty. Mr d'Orty, que l'on a veu à la teste du Regiment des Gardes, & à qui pour récompense le Roy a donné un Gouvernement, estoit son Frere.

Cette mort a esté suivie de celle de Mr Testu, Capitaine Chevalier du Guet de la Ville & Fauxbourgs de Paris, arrivée le 17. de ce mois. Il s'estoit toujours acquité des fonctions de la Charge avec tous les soins, & toute la vigilance que demande cet employ. Il estoit zelé pour le service du Roy, & avoit suivy en cela l'exemple de Feu Mr Testu son Pere, à qui la Cour avoit confié souvent le secret de beaucoup d'Affaires importantes. Je ne parle point de son esprit. On sçait que l'esprit est heréditaire dans cette famille, & qu'il n'y a personne du nom de Testu qui n'en ait infiniment. Il fut porté de son Hôtel Ruë Saint Loüis au Marais, en l'Eglise de Saint Gervais sa Paroisse, accompagné du Curé & de son Clergé, & suivy de tous ceux de sa Famille, & de deux Compagnies des Archers du Guet, avec leurs Lieutenans à la teste, Enseigne & Guidons. Les Tambours couverts de Crespe batoient à la sourdine ; & les Trompetes, couvertes aussi de Crespe, sonnoient de mesme. [...]

[Réjouissances à Mont-Louis pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 335-338.

 

Je vous ay deja parlé plusieurs fois de Mont-Loüis. Vous sçavez que cette Place est située au plus haut des Pyrenées. Les Travaux en sont tres réguliers, & le nom qu'elle porte doit faire juger qu'elle est fort considérable. Mr Durban qui en est Gouverneur, y a fait entendre un Te Deum au bruit des décharges de trente Pieces de Canon, & de trois salves de toute l'infanterie, qui est campée aux environs de la Place. La solemnité fut suivie d'un magnifique Repas qu'ils donna aux Officiers des Troupes, & aux principaux du Païs, qui avoient assisté au Te Deum. Il fit tirer le soir un tres-beau Feu d'artifice, qu'il avoit fait préparer sur un Rocher proche du Camp, où depuis quelques années il a fait faire plusieurs gros Jets d'eau. Rien n'estoit plus agreable que de voir ces eaux briller à la clarté que rendoient les Feux.

Le lendemain, Mr de Malezieu, Commissaire des Guerres, & que le Roy a chargé des Affaires de ce Païs-là en l'absence de l'Intendant, fit allumer des Feux dans son Quartier. Il y ajoûta l'ornement de quantité de Devises, & donna un Soupé aussi abondant que propre aux mesmes Officiers, & à tous ceux qui s'y voulurent trouver. Toutes sortes d'Instrumens se firent entendre pendant ce Régale. Les Feux que l'on fit joüer ayant attiré le Peuple des lieux voisins, Mr de Malezieu luy fit prendre part aux Réjoüissances par une grande distribution de Pain, & de Vin.

[Réjouissances à l'abbaye de Fontevraud pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 338-339.

 

Les Communautez qui composent l'Abbaye de Fontevraut, ont fait chanter un Te Deum à trois Choeurs de Musique. Quoy qu'il ne fut que quatre heures lors qu'il fut finy, Madame de Fontevraut ne laissa pas de faire allumer un Feu devant la grande Eglise. Tous les Habitans qui estoient en armes, firent un tres-grand nombre de décharges aux acclamations de Vive le Roy.

[Réjouissances à l'abbaye de Royal-Lieu près de Compiègne pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 340-342.

 

Je croy, Madame, que l'Abbaye de Royal-Lieu vous est connuë. Elle est située aupres de Compiegne, & c'est la premiere de France qui ait esté dédiée sous l'invocation de Saint Loüis. Madame de Roanez, Soeur de Mr le Maréchal Duc de la Feüillade, en est Abbesse. C'est une Dame fort consdérable par l'éclat de sa naissance mais plus encor par celuy de sa vertu. Elle est si genéralement reconnuë, qu'on peut dire que sa conduite sert d'exemple à la plûpart de celles de son caractère. Le nom qu'elle porte fait l'éloge de son zele, pour tout ce qui regarde la Maison Royale. Ce zele a paru dans la maniere dont elle a fait chanter le Te Deum, & d'autres Prieres pendant trois jours. Son Eglise estoit parée avec beaucoup de magnificence. Il y avoit quantité d'Instrumens, & la Musique fut trouvée charmante. Le Curé du lieu, avec tout ce qui compose sa Paroisse, & les Capucins, voulurent bien assister au Te Deum à la priere de cette illustre & pieuse Abbesse.

[Réjouissances à Bourg-en-Bresse pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 343-346.

 

Mr le Comte d'Entremont, Lieutenant General pour Sa Majesté des Provinces de Bresse, Bugey, Valromey, & Gex, ayant donné ses ordres pour faire celebrer la Naissance du jeune Prince, s'est voulu signaler dans Bourg, Capitale de Bresse, où il fait sa résidence ordinaire. Il y fit chanter le Te Deum, & y assista accompagné de tous les Corps. Toute la Bourgeoisie qui estoit en arme ne cessa point de faire des salves pendant tout l'apresdînée. Cet illustre Comte fit non seulement couler une Fontaine de Vin, & distribuer du pain, mais jetta beaucoup d'argent par les Fenestres de son Logis, apres avoir fait faire une Aumône particuliere à chaque Pauvre. Le soir, il régala magnifiquement toutes les Personnes qualifiées, au son de toutes sortes d'Instrumens. Pendant ce temps on illumina toutes les Fenestres, & des Feux de joye furent allumez par tout. Une Corne d'abondance estoit attachée au haut du toit de son Hôtel, d'où sortit de quoy en faire un, qui parut formé en un instant. Toute la Noblesse descendit, se mesla avec le Peuple, dança autour de ce Feu, & y jetta un nombre infiny de Verres de cristal, en buvant à la Santé de toute la Maison Royale. il sembloit que Mr le Comte d'Entremont estoit animé d'un zele pareil à celuy du Prophete Royal, qui dança devant l'Arche d'Alliance. C'est un Seigneur qui a beaucoup de vertu, & qui en donne tous les jours de grands exemples.

[Réjouissances à Asnières-sur-Oise pour la naissance du duc de Bourgogne]* §

Mercure galant, septembre 1682 (seconde partie) [tome 10], p. 347-349.Cet article relate le premier anniversaire de cette fondation.

 

Il me reste à vous parler d'une maniere de montrer sa joye, qui vous surprendra. Aussi est-elle si peu commune, que je ne connois qu'une Personne qui en ait donné de pareilles marques. Mademoiselle Martineau, Petite Fille de la Nourrice de Henry IV. apres avoir fait allumer des Feux devant sa Porte, & distribuer du Pain & du Vin pendant trois jours au dela des forces d'un Particulier, fit chanter à Agniere sur Oise, où elle demeure, une grande Messe ; un Te Deum, & un Salut. Ensuite s'estant renduë à Viarmes, elle y passa un Contract devant le Tabellion Juré au Bailliage & Chastellenie de ce Lieu, en date du 4. Aoust, par lequel elle fonde une grande Messe, un Te Deum, & un Salut, pour estre chantez tous les ans à perpétuité le 6. Aoust, jour de la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne. Il seroit difficile de mieux prouver son attachement pour la Famille Royale.